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Vodun SakPata et ePidemie de Variole danS la litterature orale Sacree du golfe du Benin
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Mahougnon KaKpo
1 Jâai utilisĂ©, pour la transcription des textes contenus dans cette Ă©tude, lâalphabet des langues na-tionales bĂ©ninoises. Il sâagit de lâuti-lisation dâun signe pour traduire un son et vice versa, la plupart des lettres de cet alphabet se pronon-çant comme en français sauf:: se prononce âĂȘâ comme dans tĂȘte. Exemple: Kk (la moto).: se prononce ââ comme dans orchestre. Exemple: T (le pĂšre).U: se prononce âouâ comme dans tout. Exemple: Ku (la mort).An: se prononce âanâ comme dans avant. Exemple: Tannyi (la tante paternelle).n: se prononce ânâ comme dans simple. Exemple: Sisn (la religion).In: se prononce âinâ comme dans indigo. Exemple: Sin (lâeau).n: se prononce ânâ comme dans prononcer. Exemple: Hn (le boa).Un: se prononce âunâ. Exemple: Hun (le sang).C: se prononce âtchâ comme dans tchĂšque. Exemple: Cuku (le chien).J: se prononce âdjâ comme dans djougou. Exemple: Ajo (le vol).X: aspiration forte, se prononce âchâ allemand comme dans nach. Exemple: X (la case).: câest le âdâ rĂ©troflexe. Exemple: (le filet de pĂȘche).Gb: câest une occlusive sonore la-bio-vĂ©laire. Exemple: Gb (la vie).
i le thĂšme de lâĂ©pidĂ©mie est bien manifeste dans la littĂ©rature Ă©crite francophone dâAfrique sub-saharienne, il nâest pas rĂ©vĂ©lĂ© dans la littĂ©rature orale, singuliĂšrement dans la littĂ©rature orale sacrĂ©e du golfe du BĂ©nin qui, elle-mĂȘme, semble frappĂ©e dâostracisme dans les recherches littĂ©-raires. Le seul argument recevable pourrait ĂȘtre
le caractÚre éminemment pointu de la recherche dans ce champ épistémologique réfractaire à tout amateurisme.
Câest donc dans les perspectives des voies ouvertes depuis 2006 dans le cadre de lâĂ©laboration dâune Ă©pistĂ©-mologie du Fa dans le domaine francophone avec la pa-rution de la premiĂšre Ă©dition de mon essai intitulĂ© Intro-duction Ă une poĂ©tique du Fa 2 que je propose la prĂ©sente Ă©tude, qui doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme lâhermĂ©neutique littĂ©raire dâune parole sacrĂ©e. Lâobjectif est ici de montrer â en considĂ©rant lâĂ©pidĂ©mie non comme âce qui touche un grand nombreâ, mais surtout comme une rĂ©elle affection infectieuse se propageant progressivement â que dans le panthĂ©on Vodun rĂ©gentĂ© par le systĂšme divinatoire Fa, la maladie de la variole est associĂ©e au Vodun Sakpata qui lâutilise comme une arme pour punir les malfaiteurs tout en dispensant les richesses de la terre comme rĂ©com-pense Ă ceux qui sont justes et de bonnes mĆurs.
Pour y parvenir, je procĂ©derai en trois temps. Dâabord, il est nĂ©cessaire de faire un bref rappel sur le systĂšme di-
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Kp: câest une occlusive sourde la-bio-vĂ©laire. Exemple: Kp (la pan-thĂšre).Sh: se prononce âchâ comme dans cherche. Exemple: Ishu (igname en Yoruba).Hw: câest la rencontre de deux consonnes âhâ et âwâ qui produit un phĂ©nomĂšne de labialisation. Exemple: Ahwan (la guerre).Xw: câest la rencontre de deux consonnes âxâ et âwâ qui produit un phĂ©nomĂšne de labialisation. Exemple: Axwe (la maison). 2 Mahougnon KaKpo, Introduc-tion Ă une poĂ©tique du Fa [2006], 2e Ă©dition revue et augmentĂ©e, âPrĂ©faceâ Ă la premiĂšre Ă©dition du Professeur Issiaka-Prosper L. LaLeye, âPrĂ©faceâ Ă la deuxiĂšme Ă©dition par Camille amouro, Coto-nou, Ăditions des Diasporas, 2010.3 Fa et ses langages constituent des concepts ayant dĂ©jĂ fait lâob-jet dâune plus profonde explication dans mes prĂ©cĂ©dents Ă©crits sur le Fa et le Vodun, notamment dans les essais: Mahougnon KaKpo, In-troduction Ă une poĂ©tique du Fa, cit., ou encore dans Mahougnon KaKpo, Yku-Mnji: une thĂ©ologie de la mort dans les Ćuvres de Fa. Essai dâhermĂ©neutique littĂ©raire, Cotonou, Ăditions des Diasporas, 2012.
vinatoire Fa ainsi que sur ses diffĂ©rents langages, ce qui permettra dâinsister et dâindiquer le langage qui servira de support Ă la dĂ©monstration ultĂ©rieure. Cette exposition pourra ensuite rendre possible une brĂšve Ă©pistĂ©mologie du Vodun Sakpata afin dâen indiquer lâorigine, les fonc-tions ainsi que les caractĂ©ristiques, notamment celle as-sociĂ©e Ă la maladie de la variole. Enfin, lâhermĂ©neutique dâun texte empruntĂ© Ă un des langages de Fa me permet-tra de souligner la poĂ©tique de lâĂ©pidĂ©mie de la variole dans la littĂ©rature orale sacrĂ©e manifeste dans le golfe du BĂ©nin.
Fa et ses différents langages
Le Fa 3 est lâun des systĂšmes de divination pratiquĂ©s dans le golfe du BĂ©nin, notamment par les peuples vi-vant sur le territoire de lâancienne civilisation du BĂ©nin occupĂ© aujourdâhui par le NigĂ©ria, le BĂ©nin et le Togo. Le mot Ifa et le systĂšme quâil induit sont fondamentalement et incontestablement dâorigine Yoruba. Etymologique-ment, le mot Ifa, dont la voyelle prĂ©fixale I en Yoruba est un prosthĂ©tique et la racine Fa signifie âAmourâ a le sens philosophique et spirituel: âDieu est Amourâ. Les Yoruba disent Ifa ou runmila (le messager entre Ciel et Terre). Les peuples du BĂ©nin ayant adoptĂ© Fa, en parti-culier les Gn, Aja et Waci disent Afan, les Fn, Gun et Saxw disent Fa. Fa est un ensemble de signes nommĂ©s Fadu, graphiquement exprimĂ©s en deux ensembles de traits verticaux et parallĂšles transcrits et lisibles de droite vers la gauche sur quatre colonnes.
Le Fadu est une division de Fa. Les Yoruba disent Odun Ifa, câest-Ă -dire Odun de Ifa, ce qui signifie âdivi-sionâ ou âpartieâ de Ifa. Il y a dans le systĂšme Fa un total de 16 Fadu cardinaux dits Mji (deux en Yoruba) parce que constituĂ©s dâune duplicitĂ© du mĂȘme signe. Ils sont rigoureusement hiĂ©rarchisĂ©s, nommĂ©s et se rĂ©partissent en mĂąles et en femelles et admettent une figuration indi-cielle et Ă©sotĂ©rique individuelles. Les 16 Fadu cardinaux se combinent entre eux pour donner un total de 256 dont 240 dĂ©rivĂ©s. Le Fadu est une figure oraculaire qui dĂ©ter-mine tout individu dont il en constitue le signe person-nel. Ainsi, lâon peut dĂ©terminer le Fadu personnel dâun individu. Le Fadu est un signe non linguistique, arbitraire et conventionnel, câest un code, une parole contenant plusieurs langages dĂ©tachables et reconnaissables sous la forme de divers genres littĂ©raires: Fagbesisa, Fagleta et
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15Fahan sont donc les langages de Fa. Ainsi, le Fadu est une Ćuvre littĂ©raire, une Ćuvre dâart.
Le dĂ©tachement ou lâexĂ©gĂšse du Fadu obĂ©it Ă un fonc-tionnement chronologique de ces trois langages. Dâabord Fagbesisa, le premier langage, est un morphĂšme consti-tuĂ© de Fa et de Gbesisa (parole incantatoire) et signifie âla voix de la parole efficaceâ. Câest lâincantation. Il sâagit de la parole efficace, agissante, activatrice et stupĂ©fiante de Fa. Câest un poĂšme incantatoire, un noĂšme, une devise ou une maxime de lâordre de la morale. Dans le dispositif et le dĂ©tachement du Fadu, le Fagbesisa apparaĂźt en pre-miĂšre position et fonctionne comme une pointe ou un prologue. Ensuite, le deuxiĂšme langage, le Fagleta, signi-fie âle champ de Faâ, câest-Ă -dire âlâunivers de Faâ. Câest un univers empreint dâimaginaire, de merveilleux ou du religieux, mais oĂč toujours le rĂ©el est prĂ©sent. Dans la disposition et le dĂ©tachement du Fadu, le Fagleta apparaĂźt en deuxiĂšme position aprĂšs le Fagbesisa et fonctionne comme un rĂ©cit qui peut ĂȘtre une lĂ©gende, un mythe, un conte ou encore une nouvelle. Enfin, le troisiĂšme langage, le Fahan, est un terme formĂ© de Fa et de han (chanson) et signifie la âchanson de Faâ. Câest un poĂšme chantĂ© qui, dans lâhermĂ©neutique du Fadu, intervient en troisiĂšme et derniĂšre position aprĂšs le Fagbesisa et le Fagleta. Ainsi, Fagbesisa, Fagleta et Fahan sont les trois langages constitutifs et chronologiques du Fadu qui, lui-mĂȘme, est une Parole de Fa.
Celui qui est habilitĂ© Ă procĂ©der Ă la consultation du Fa et, du coup, Ă en interprĂ©ter les langages, est le Bo-knn. Câest ainsi que les peuples pratiquant ce systĂšme de divination nomment le prĂȘtre de Fa. En Yoruba, on dit Babalawo, âle pĂšre du secretâ. On devient Boknn par un long et minutieux apprentissage de Fa. On ne naĂźt pas Boknn, on le devient. Câest pourquoi le Boknn nâest pas un devin. Il ne devine ni ne prĂ©dit rien. Il interprĂšte le Fadu qui apparaĂźt lors de la consultation et en pres-crit les V (les cĂ©rĂ©monies) y affĂ©rents, comme le fait un mĂ©decin aprĂšs une consultation. De la maĂźtrise ou non du systĂšme Fa par le Boknn dĂ©pend lâinterprĂ©tation et donc la vĂ©ritĂ© ou lâerreur lors de la consultation par Fa.
Câest du Fa quâest issu le Vodun, conçu comme une philosophie avant dâĂȘtre une religion, celle majoritaire-ment pratiquĂ©e par les populations vivant dans le golfe du BĂ©nin. Le Vodun est le nom gĂ©nĂ©rique des divinitĂ©s. En Yoruba, on dit Orisha. Lâensemble des rituels de cha-cune de ces divinitĂ©s fonde le panthĂ©on Vodun. Mais la destinĂ©e de chacune de ces divinitĂ©s est tracĂ©e et dessi-
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64 Le cas le plus surprenant est celui du PĂšre Pierre SauLnier de la SociĂ©tĂ© des Missions africaines dont lâĂ©tude porte pourtant di-rectement sur le Vodun Sakpata (en particulier, dans PĂšre Pierre SauLnier, Le vodun Sakpata divi-nitĂ© de la terre: Recherches sur le Vodun Sakpata Ă partir des noms individuels de ses vodunsi, Madrid, SociĂ©tĂ© des Missions Africaines, 2002, pp. 18-19; lâamalgame entre Fon et Dassa, qui se solde par la troublante erreur sur le rĂšgne du roi adandozan); le PĂšre chercheur nous offre aussi une âlittĂ©rature ethnographique sur Sakpataâ par chercheurs interposĂ©s en livrant des extraits de passages relatifs au Vodun Sakpata dans les ouvrages de Gilbert rouget, Pierre Verger, Melville et Frances HerSKoVitS, Bernard maupoiL et Roger Brand, extraits Ă partir desquels il fera ses propres analyses (Ibid., pp. 20-24). InĂšs de La torre, quant Ă elle, af-firme que Sakpata serait dâorigine âincertaineâ (InĂšs de La torre, Le Vodu en Afrique de lâouest: Rites et traditions, Paris, LâHarmattan, 1991, p. 71) tandis que HerSKoVitS (Melville J. et Frances S. HerSKoVitS, âAn outline of dahomean religious beliefâ, in Memoirs of the Ameri-can Anthropological Association, t. III, n. 41, 1933, passim) propose une orthographe erronĂ©e du nom du Vodun (Sagbata au lieu de Sak-pata) en le faisant dĂ©river dâune origine fantaisiste. Une telle dĂ©-marche, on en convient, est bien rĂ©vĂ©latrice du peu de sĂ©rieux qui sous-tend souvent les recherches dâune gĂ©nĂ©ration dâethnologues africanistes, notamment dans un domaine aussi sensible comme la religion, dĂ©marche dĂ©jĂ critiquĂ©e par AimĂ© CĂ©Saire et quâil a qualifiĂ©e de âdogoneuseâ dans Discours sur le colonialisme.5 Se rĂ©fĂ©rer Ă ce niveau Ă mon Ă©tude intitulĂ©e âPoĂ©tique de la paix ou Tofa: Communication entre les Vodun et les vivantsâ, in Mahougnon KaKpo (dir.), Voix et voies nouvelles de la littĂ©rature bĂ©ninoise, Cotonou, Ăditions des Diasporas, 2012, pp. 175-200.6 Il faut signaler que toutes ces villes, AbĂ©okuta au NigĂ©ria, Das-sa-ZoumĂ© au BĂ©nin, AtakpamĂ© et AlĂ©jo au Togo, se situent presque sur le mĂȘme parallĂšle. Ainsi se
nĂ©e par Fa. Câest pourquoi Fa, sans ĂȘtre vĂ©ritablement un Vodun lui-mĂȘme, est le maĂźtre de tous les Vodun devant lequel chacun dâeux vient se prosterner.
Sakpata: Ă©pistĂ©mologie dâun Vodun
En parlant des origines, je voudrais insister dâune part, sur lâintroduction du Vodun Sakpata dans lâancien royaume du DanxomĂš dâoĂč il a connu une expansion vers les autres populations du BĂ©nin et, dâautre part, sur son Ă©pistĂ©mologie.
Origine historique du Vodun Sakpata
Sur lâorigine de ce Vodun sur la cĂŽte du golfe du BĂ©-nin, la quasi-totalitĂ© des Ă©tudes existantes sont restĂ©es muettes ou Ă©vasives si les auteurs nâavancent pas des faussetĂ©s et ne baignent pas dans de graves confusions 4.
En rĂ©alitĂ©, sur le plan historique, la prĂ©sence du Vo-dun Sakpata sur la terre du BĂ©nin est antĂ©rieure Ă celle du Fa. Le Fa a Ă©tĂ© introduit dans le royaume du DanxomĂš au tout dĂ©but du rĂšgne dâaGadja (1711-1732) en 1715 par le Babalawo a-debl venu de IlĂ© If au NigĂ©ria 5. Or, le Vodun Sakpata Ă©tait dĂ©jĂ prĂ©sent dans le royaume dâIgbo i-daaca, sur le massif des quarante-et-une collines, au moins depuis la fin du XVIIe siĂšcle. Il y a Ă©tĂ© introduit lors du mouvement migratoire des mnjagun venus de gba, un village dâAbĂ©okuta au NigĂ©ria, sous la direction dâun chasseur du nom de as, lui-mĂȘme conduisant le prince oloFiN et sa famille ayant perdu le pouvoir. AprĂšs un sĂ©jour relativement long Ă KĂ©tou au BĂ©nin, ils sâinstal-lĂšrent sur les collines de Dassa-ZoumĂ© oĂč ils ont fondĂ© le village gba ko ku (gba nâest pas mort) en souvenir Ă©ternel de leur patrie Dâorigine. Puis, ces mnjagun ont continuĂ© leurs pĂ©riples pour aller sâĂ©tablir Ă AtakpamĂ© et Ă AlĂ©jo au Togo 6. Ils ont dĂ» partir de leur village dâori-gine avec leurs Orisha (Vodun en Yoruba) dans leurs ba-gages. Parmi ces Vodun, on peut citer Ogu, Txsu, Ibeji (les Jumeaux), Shankpanan (futur Sakpata)⊠AprĂšs leur installation Ă Dassa-ZoumĂ©, ils ont commencĂ© les pre-miĂšres initiations au Vodun Sakpata.
Câest ainsi quâau tout dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, des adeptes de ce Vodun avaient Ă©tĂ© capturĂ©s par les troupes du roi akaba (1685-1708) et ramenĂ©s au palais royal. Il leur avait Ă©tĂ© exigĂ© de se prosterner devant le roi, mais ils avaient catĂ©goriquement refusĂ©, expliquant que seul le
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17comprend aisĂ©ment le trajet des premiĂšres migrations nigĂ©rianes vers le BĂ©nin et le Togo.7 Les adeptes du Vodun Sakpata, qui ne portent pas des chaussures afin dâĂȘtre en permanence en contact avec leur divinitĂ©, ne se prosternent ou ne sâagenouillent que devant leur Vodun. Si cela nâest pas le cas, celui devant lequel ils sâagenouillent est attaquĂ© par la maladie de la variole et cela se solde fatalement par la mort.8 LissĂšzoun est un village situĂ© au nord-est dâAbomey et est ac-tuellement un Arrondissement de Bohicon. Câest dans ce village que lâarmĂ©e du roi aurait tuĂ© yaxS, le chef guerrier de Jigbe Wem qui aurait attaquĂ© Abomey avec ses troupes parce que les Danxom-nu (habitants du royaume du Danxom) auraient volĂ© (imitĂ©) la technique qui permettait de construire les Amlix (les cases en forme circulaire appelĂ©es âJx: la case des perlesâ oĂč le roi dĂ©posait son trĂ©sor) dont les Wemnu (ha-bitants de Wem) dĂ©tiendraient la licence.9 Le corps des victimes du Vodun Sakpata est en principe enterrĂ© dans une forĂȘt sacrĂ©e, emballĂ© dans une jalousie de raphia et dĂ©posĂ© dans la tombe. Cette dis-position est dâautant plus symbo-lique quâelle permet de restituer Ă la Terre (Vodun Sakpata) ce qui lui appartient. Par ailleurs, une expli-cation du point de vue sanitaire est possible et permet de comprendre quâen isolant le corps et en le dĂ©-posant directement dans la tombe, la dĂ©composition serait accĂ©lĂ©rĂ©e pour Ă©viter toute propagation du virus. Câest certainement ce qui explique pourquoi dans les annĂ©es 1956-1957, lorsquâune Ă©pidĂ©mie de variole sous lâĂ©gide de Sakpata avait dĂ©cimĂ© le village Tchalla OgoĂŻ non loin de Kkr sur la route in-ter-Ă©tat Cotonou-Parakou (BĂ©nin), les victimes avaient Ă©tĂ© inhumĂ©es dans un autre cimetiĂšre.10 En tant que sĆur jumelle du roi, et compte tenu du principe dâinsĂ©-parabilitĂ© des jumeaux en vigueur chez les Fon, Tasi HangBĂ© avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© symboliquement intronisĂ©e au mĂȘme moment que son frĂšre aKaBa. Ce nâest quâĂ la mort de ce dernier quâelle avait rĂ©ellement pris le pouvoir. Mais avant la fin
MaĂźtre de la Terre, sous-entendu le Vodun Sakpata, mĂ©-rite cet honneur pour les initiĂ©s de leur Ordre 7. Toute-fois, sous la menace dâĂȘtre dĂ©capitĂ©s, ils durent sâexĂ©cuter mais pas sans avoir fait porter la responsabilitĂ© au roi et aux membres de la cour royale. Quelques mois plus tard, une Ă©pidĂ©mie de variole se dĂ©clenche, fait des ravages dans la cour du roi et finit par emporter le roi akaba lui-mĂȘme qui meurt au front Ă LissĂšzoun 8 en 1708 au moment oĂč les Wemnu avaient attaquĂ© la capitale du royaume. Sur son corps, ses partisans dĂ©couvrirent de nombreuses et curieuses taches dues aux pustules de la variole. Les informations rĂ©vĂ©lĂšrent que le roi Ă©tait mort de la maladie de la variole qui serait provoquĂ©e par un mystĂ©rieux Vodun du pays Iaaca. Les premiers contacts avec le clergĂ© initial de ce Vodun permirent de savoir comment un tel corps devrait ĂȘtre inhumĂ© 9, ce qui fut fait en toute confidentialitĂ©. Car, en dehors de quelques dignitaires de la cour, nul ne savait mĂȘme pas que le roi Ă©tait mort au front et pour ceux qui avaient lâinformation, ils ignoraient pour la plupart la vĂ©ritable cause de la mort du roi. Ainsi, Tasi haNGbĂ©, sĆur jumelle du roi, avait Ă©tĂ© choisie pour continuer les opĂ©rations de guerre contre les Wemnu (les riverains du fleuve OuĂ©mĂ©) 10. La guerre une fois terminĂ©e, Tasi haNGbĂ© prit la rĂ©gence du trĂŽne qui dura trois ans (1708-1711). Câest au cours de cette rĂ©gence quâelle fera entrer Ă Abomey, en compagnie de mitchaĂŻ, le fils du PrĂȘtre Sakpata contraint de les suivre depuis Dassa-ZoumĂ©, ce redoutable Vodun Sakpata qui avait emportĂ© son frĂšre souverain Xwesu akaba.
Ainsi commence la propagation du culte du Vodun Sakpata qui part de Dassa-ZoumĂ© vers le centre pour at-teindre le sud et toute la rĂ©gion cĂŽtiĂšre du BĂ©nin. Mais la prĂ©sence de ce Vodun nâa pas toujours Ă©tĂ© facilement acceptĂ©e Ă Abomey compte tenu de ses exigences et de son caractĂšre trĂšs redoutable. En effet, lâun des attributs de ce Vodun est quâil est MaĂźtre de la Terre (Ayinn), pos-sesseur et dispensateur des biens de la terre (Dkunn), Roi des Perles (Jxsu). Et pour respecter son caractĂšre sacrĂ© et redoutable, lâon avait peur de le nommer par son vrai nom Sakpata; une litote est utilisĂ©e Ă cet effet, Ayikungban: la Terre. De mĂȘme, ses adeptes, qui sont des plus nombreux parmi les Vodunsi (adeptes du Vodun), se prosternent pour le saluer, comme les citoyens se pros-ternent pour saluer le roi. Aussi Vodun Sakpata entrait-il en conflit dâattribution avec le souverain qui, lui aussi, avait les mĂȘmes attributions. Comment un Vodun peut-il sâarroger les mĂȘmes attributions que le roi? Pour ce der-
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des opĂ©rations de guerre, nul ne devait savoir que le roi Ă©tait mort. Ainsi dĂ©guisĂ©e, et surtout pour Ă©viter quâelle ne soit rĂ©ellement identifiĂ©e, lâon avait interdit de sâapprocher du roi. Câest depuis cet Ă©vĂ©nement que nul ne doit sâap-procher de trop prĂšs du souverain du royaume du DanxomĂš.11 Didier HouĂ©noudĂ©, Musique Tra-ditionnelle Ă Abomey, CrĂ©dits pho-tographiques de Renate KrauSS-poetz, Abomey, RĂ©seau ThĂ©Ăątre Musique KarĂ©ta-RTMKA, 2009, p. 34.12 Pierre Verger, âNotes sur le culte des Orisa et Vodouns Ă Ba-hia, La Baie de tous les Saints et Ă lâancienne CĂŽte des Esclaves en Afriqueâ, in MĂ©moires de lâInstitut Français dâAfrique Noire, n. 51, 1957, pp. 140-242.13 Selon certaines sources, câest le Vodun lui-mĂȘme qui aurait dĂ©cidĂ© de repartir sur les collines Ă Das-sa-ZoumĂ© pour Ă©viter dâĂȘtre mĂ©-langĂ© au culte des Nnsuxwe dĂ©jĂ pratiquĂ© par les rois dâAbomey. Le culte des Nnsuxwe est celui ren-du aux princes de la famille royale ainsi quâaux dignitaires de la cour. Mais cette thĂšse non plus nâest pas plausible Ă©tant donnĂ© que le bannissement du Vodun Sakpata Ă Abomey est attestĂ© par plusieurs sources concordantes.14 Oro est un Vodun dont les adeptes sont organisĂ©s en un Ordre initiatique. Câest un Vodun sylvestre qui prĂŽne la paix, la jus-tice et recherche lâharmonie so-ciale. Il lutte contre les sorciers. Les femmes ne sont pas admises Ă tous les niveaux de lâOrdre.15 Pierre Verger, art. cit., citĂ© par R. P. Paul FaLCon, âReligion du Vo-dunâ, Ătudes dahomĂ©ennes (Nou-velle SĂ©rie), n. 18-19, juillet-oc-tobre 1970, p. 48.
nier et ses dignitaires, il ne saurait y avoir deux MaĂźtres de la Terre sur une mĂȘme terre (le royaume). Pire, Vodun Sakpata frappait impunĂ©ment dans la famille royale sans Ă©pargner le roi lui-mĂȘme. Car, outre le roi akaba qui en Ă©tait mort, le roi kPeNGla (1774-1789) serait Ă©galement mort de variole, tandis quâadaNdozaN (1797-1818) en aurait Ă©chappĂ© de justesse. Il sâagit-lĂ dâune profonde hu-miliation du trĂŽne et de toute la royautĂ© qui serait ainsi dĂ©fiĂ©e par un simple Vodun. Alors, lorsque cela arrivait, la cour en faisait un secret dâĂtat. Didier houĂ©NoudĂ© re-marque Ă cet effet:
LâautoritĂ© de la dynastie rĂ©gnante au DanxomĂš a plu-sieurs fois Ă©tĂ© remise en cause par le clergĂ© de Sakpata. Les souverains du DanxomĂš supportaient mal que leur lĂ©gitimitĂ© fut menacĂ©e par une divinitĂ© dont ils nâarri-vaient pas Ă contrĂŽler les adeptes. ConsidĂ©rĂ© comme le maĂźtre de la terre, Sakpata nâavait en effet aucun compte Ă rendre aux rois du DanxomĂš. Pour ces derniers, il ne pouvait y avoir deux maĂźtres pour un mĂȘme royaume, dâautant plus que Sakpata avait plusieurs fois frappĂ© dans le royaume, dĂ©cimant lâarmĂ©e des rois, tuant au sein mĂȘme de la famille royale par lâintermĂ©diaire dâĂ©pi-dĂ©mies de variole. Or le droit de vie et de mort Ă©tait un privilĂšge royal que sâarrogeait la divinitĂ© de la terre. La solution pour les souverains du DanxomĂš fut de bannir et dâexiler la divinitĂ© et son clergĂ© hors de la capitale oĂč siĂ©geait le gouvernement. 11
Ainsi, le Vodun Sakpata, aprĂšs son introduction Ă Abomey par Tasi haNGbĂ©, fut expulsĂ© du royaume avec son clergĂ© Ă cause de son extrĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ©. Pierre verGer rapporte que GhĂ©zo (1818-1858) et GlĂšlĂš (1858-1889) en auraient interdit le culte public 12. Toutefois, cette thĂšse ne paraĂźt pas plausible, car câest GhĂ©zo qui finit par autoriser lâimplantation du couvent dâAnagokxwe qui est aujourdâhui lâun des couvents les plus prestigieux du Vo-dun Sakpata Ă Abomey, mais Ă condition que le clergĂ© de ce Vodun reconnaisse et respecte les attributions du roi 13. Ce nâest pas seulement Ă Abomey que ce Vodun a fait lâob-jet de bannissement. Car, mĂȘme Ă AbĂ©okuta, son foyer initial, le Vodun Sakpata sera interdit en 1884. En effet, Ă cause dâune Ă©pidĂ©mie de variole qui avait dĂ©cimĂ© les po-pulations, les adeptes du culte Oro 14 sâĂ©taient vengĂ©s de ceux de Sakpata, ce qui avait occasionnĂ© plusieurs dĂ©cĂšs dans le rang de ces derniers. Ainsi, le culte fut interdit et les adeptes expulsĂ©s 15.
Mais la décision de Ghézo de réintégrer le culte du Vodun Sakpata à Abomey en a ouvert la voie à une ex-
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16 Bertrand ananou, Le Vodun: la religion traditionnelle du Danxom (lumiĂšre sur lâunivers spirituel du BĂ©nin), PrĂ©face de Dah AgbalĂšnon adanmaĂŻKpoHouĂ©, Bohicon, Ădi-tions ACT2D, 2012, p. 160.17 mn Olu: en Yoruba signifie âfils de Oluâ; câest un autre nom du Vodun Sakpata.
pansion rapide. On dĂ©nombre aujourdâhui plusieurs cou-vents du Vodun Sakpata sur le plateau dâAbomey 16.
Sakpata est un Vodun de lignage et non celui de toute une communautĂ©. Vodun de la Terre, il peut constituer Ă lui tout seul un panthĂ©on bien organisĂ© qui dĂ©voile sa gĂ©nĂ©alogie. Les diffĂ©rentes sortes de Sakpata qui existent sont environ une vingtaine dont voici quelques-uns, cha-cun sâoccupant dâun domaine particulier: Kuxsu Agbla (roi de la mort ou roi du pays des morts, câest le pĂšre de tous les Sakpata), Nynxwe Ananu (mĂšre de tous les Sak-pata), Dada Zoji (fils aĂźnĂ©, spĂ©cialiste des vomissements et de la dysenterie), Dada Ahwangan (chargĂ© de la dĂ©fense), Dada Langan (chargĂ© de lâagriculture et de la chasse, spĂ©-cialiste des fiĂšvres Ă©ruptives), Ahwanmlangni (chargĂ© de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure), Avimaj (chargĂ© de lâorganisation gĂ©nĂ©rale, il chĂątie ceux qui pleurent les victimes de Sak-pata, ce qui correspond Ă un autre nom du Vodun Sakpata en Yoruba qui est Alakpa gba ukp, câest-Ă -dire âcelui qui tue et en reçoit des remerciementsâ; il est en relation avec le Vodun Txsu), Bosu Zounhon (gardien), Aglosu Mnt (garde du corps, spĂ©cialiste des plaies incurables), Aukake (chargĂ© de la santĂ©, spĂ©cialiste des migraines), Kpese Ytanu (chargĂ© du culte), Dada Sinji (cuisinier), Maja, Adantanyi (spĂ©cialiste de la lĂšpre), Kukpea, Nu-jnum (annihile la volontĂ© des hommes), Sunvilngn, Lansu, Agbogboji (spĂ©cialiste des morts par noyade et du gonflement du corps des victimes).
De cette famille nombreuse et organisée, transparaßt davantage le caractÚre redoutable de ce Vodun dont voici un des panégyriques:
Ă vĂ©nĂ©rable femelleĂ Shankpanan le vĂ©nĂ©rableLoko nâest plusTu as dĂ©crĂ©tĂ© que nous ne nous agenouillons pasToi qui dĂ©fais les nĆudsTu es le Grand MaĂźtreCela te sied tellementĂ vĂ©nĂ©rable femelleĂ Shankpanan le vĂ©nĂ©rableSâil y a quelquâun qui dit que le vodun nâest rienIl va mourirMaladie terribleSi je suis chassĂ©, le pays sera troublĂ©Nous ne voulons pas parler de quelquâun qui tueEt mange les gensNous verrons revenir sur le chemin du champLe cadavre gonflĂ© de ceux qui insultent mn lu 17
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18 R.P. Paul FaLCon, âReligion du Vodunâ, cit., p. 48.19 Pour plus de dĂ©tails sur ce rythme sacrĂ© de Sakpata, voir Di-dier HouĂ©noudĂ©, op. cit., pp. 31-34.20 âShankpananâ ou âKpatakiâ que les Fon ont traduit par âSak-pataâ signifie: âlâIncontournable, le SuprĂȘmeâ.21 Tous les adeptes du Vodun Sak-pata sâappellent âAnagonuâ, câest-Ă -dire dâorigine Nago, ce qui rap-pelle effectivement cette source-lĂ . Il en est de mĂȘme des adeptes du Vodun Xvioso qui sâappellent âXweanuâ (dâorigine Xwea ou PĂ©ah), des adeptes du Vodun Dan qui sâappellent âMaxinuâ (dâorigine Maxi) et des adeptes du Vodun Txsu qui sâappellent âXnutâ (Xgbonut de Porto-Novo, câest-Ă -dire les riverains du fleuve Azeu Wgbo nommĂ© OuĂ©mĂ© et qui est le siĂšge de ce Vodun).
Le corps de celui qui a insulté le vodun va pourrir de son vivant
à vénérable femelleà Shankpanan le vénérableTu es le Grand MaßtreCela te sied tellement.
Paradoxalement, le caractĂšre redoutable du Vodun Sakpata nâa pas pu dĂ©teindre sur son culte qui est, dans le golfe du BĂ©nin, un des plus populaires. On le remarque dĂ©jĂ au niveau de la multiplicitĂ© des couvents qui lui sont dĂ©diĂ©s. De mĂȘme, ses cĂ©rĂ©monies dâexhibition publique sont de vĂ©ritables spectacles au sens plein du terme: un accoutrement riche et souvent assorti avec âde trĂšs beaux pagnes aux couleurs variĂ©esâ 18, de belles chorĂ©graphies symboliques avec des bonds, des pirouettes, des sauts, une musique aux sons de tam-tams bien rythmĂ©e, par exemple le rythme Agbocebu 19, des hymnes et chansons trĂšs poĂ©tiques et pleins dâenseignements de morale et de sagesse, font de ce Vodun redoutĂ© lâun des plus presti-gieux et le plus aimĂ© du panthĂ©on.
En dĂ©finitive, il faut retenir que le PanthĂ©on Vodun est rigoureusement ordonnancĂ© dans la conception dâune re-ligion monothĂ©iste. Dada Sgbo, Ă©galement appelĂ© Mawu (lâInsurpassable), est le Dieu Unique, CrĂ©ateur du Ciel et de la Terre, modeleur des Enveloppes Charnelles et commanditaire des Parcelles Divines. Ces derniĂšres sont les Vodun dont lâaĂźnĂ© est Sakpata, lequel a pour Ă©lĂ©ment de rattachement la Terre. Son arme essentielle dâattaque est la maladie de la variole ainsi que toutes les mala-dies Ă©ruptives et la dysenterie. Egalement appelĂ© Ayinn (MaĂźtre de la Terre), Dkunn (Possesseur de toutes les richesses) ou Jxsu (Roi des perles), Gouverneur et Ges-tionnaire de la Terre, Sakpata est dâabord une force bĂ©nĂ©-fique. Responsable de la fĂ©conditĂ© sous toutes ses formes, il assure la continuitĂ© de la vie sur la terre quâil symbolise et dont il distribue les richesses aux humains. Mais en tant que symbole de la Terre, il figure aussi une force capable de dĂ©truire. Il provoque sur la terre la sĂ©cheresse, le malheur et la mort de ceux qui ne sont pas de bonnes mĆurs. Son arme de destruction, qui peut ĂȘtre aussi bien individuelle que collective, est la maladie de la variole quâil symbolise tout autant. Le plus redoutĂ© du panthĂ©on Vodun, Sakpata est dâorigine Nago (Yoruba), comme le Fa dont il est issu. Son nom 20, le nom gĂ©nĂ©rique de ses adeptes qui est Anagonu 21, ses panĂ©gyriques ainsi que les hymnes Ă lui dĂ©diĂ©s par ses adeptes lâattestent de façon
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22 Une clarification est nĂ©cessaire Ă ce niveau. Dans le systĂšme Fa qui est fortement hiĂ©rarchisĂ©, Wln-Mnji est plus ancien et donc lâaĂźnĂ© de Lt-Mnji. Sur les seize Fadu cardinaux, le premier vient en sixiĂšme position tandis que le second vient en quatorziĂšme po-sition. Comment alors le Vodun Sakpata peut-il ĂȘtre dĂ©jĂ installĂ©, câest-Ă -dire Ă©rigĂ© dans Wln-Mnji et naĂźtre dans Lt-Mnji? La mĂȘme question est valable quant au Fadu Loso-Trukpn qui, lui, est encore un Fadu secondaire. Lâon pourrait sâĂ©tonner de voir le Vodun Sakpata Ă©rigĂ© dans Loso-Trukpn tel que je lâai dĂ©crit dans mon Ă©tude intitu-lĂ©e âPoĂ©tique de la paix ou Tofaâ, cit., pp. 175-200. Mais cet Ă©tat de choses se comprend aisĂ©ment, car en rĂ©alitĂ©, lâexistence du Vodun Sakpata dans Wln-Mnji nâest que virtuelle, Ă©tant donnĂ© que la Terre elle-mĂȘme quâil prĂ©figure nây existe quâen tant quâĂ©lĂ©ment (comme les trois autres Ă©lĂ©ments: lâEau, lâAir et le Feu) et câest dans Lt-Mnji quâelle Ă©mergera de lâEau. Autrement dit, la Terre est la materia prima sĂ©parĂ©e des Eaux (premier des Ă©lĂ©ments du Cosmos) par Dada Sgbo (lâĂtre SuprĂȘme) dans Lt-Mnji qui prĂ©figure le chaos primordial. La mĂ©thode dâor-donnancement du monde visible et invisible utilisĂ©e dans le Fa est de partir du virtuel pour aboutir au factuel, du possible pour atteindre le tangible.23 Pour des raisons de volume imposĂ© Ă cette Ă©tude, je ne don-nerai que le texte que jâai traduit en français; la transcription ainsi que la traduction juxtalinĂ©aire du texte original ne pouvant ĂȘtre re-produites ici.
incontestable. MaĂźtre de la Terre, possesseur et dispensa-teur des richesses de la terre, le Vodun Sakpata a le pou-voir dâattaquer et de vaincre tout ce qui existe sur terre.
Esquisse dâune Ă©pistĂ©mĂš du Vodun Sakpata
Toute esquisse de lâĂ©pistĂ©mĂš du Vodun doit se fonder sur la connaissance du Fa, car câest grĂące Ă ce dernier que parviennent aux humains, telle une porte ouverte sur lâau-delĂ , les rĂ©sonances de chaque Vodun. En effet, Fa est le messager de Dada Sgbo, la Grande Ăme, lâĂtre Su-prĂȘme et, en tant que tel, il dessine, dĂ©finit, dĂ©crit et trace lâĂ©cho des destinĂ©es aussi bien de tous les Vodun connus des hommes que de ces derniers eux-mĂȘmes. Bien que nâĂ©tant pas vĂ©ritablement un Vodun, Fa est celui auquel nul ne sâoppose parmi les Vodun. Câest pourquoi, sâil nây a pas de Vodun qui refuse de lui obĂ©ir, tous viennent se prosterner devant lui en signe de profonde et dâindĂ©fec-tible allĂ©geance; et tout homme qui souhaite que son existence â tel un sillon â soit droite, doit pouvoir lâac-crocher Ă Fa â comme Ă une Ă©toile.
Ainsi, la parole vĂ©ritable sur le Vodun Sakpata doit for-tement et fondamentalement sâarrimer Ă Fa, car plusieurs Fadu expriment la manifestation de ce Vodun. Il sâagit notamment des Fadu cardinaux dont quelques dĂ©rivĂ©s si-gnalent Ă©galement les traces de ce Vodun. Parmi les Fadu cardinaux, nous avons: Gbe-Mnji, Yku-Mnji, Di-Mnji, Loso-Mnji, Wln-Mnji, Trukpn-Mnji, Lt-Mnji, C-Mnji et Fu-Mnji. Mais les Fadu les plus expressifs concernant le Vodun Sakpata sont incontestablement Wln-Mnji et Lt-Mnji. La raison est que câest dans Wln-Mnji que Fa lui a confĂ©rĂ© tous les pouvoirs quâil dĂ©tient et qui lui permettent de prendre lâascendance sur tous les autres Vodun alors que Lt-Mnji lâa vu naĂźtre 22.
En considĂ©rant lâun des Fagleta de Wln-Mnji, nous avons le texte suivant 23:
Fagleta de Wln-Mnji
Dans un pays nommĂ© WkĂ lâĂ©poque mĂȘme oĂč la terreNâĂ©tait pas encore advenueEt nâexistait quâen tant que principeVivaient six frĂšres et sĆursTrois garçons et trois fillesSix frĂšres et sĆursQui allaient devenir grands et puissantsSix puissants et redoutables frĂšres et sĆursQui avaient le mĂȘme pĂšre
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24 Dada Sgbo, littĂ©ralement en Fongbe (langue Fon) initiatique signifie la âGrande Ămeâ. On dit Ă©galement Sgbo-Lisa, ou bien, de façon plus courante, Mawu. Dans la ThĂ©ologie Vodun des peuples vivant dans le golfe du BĂ©nin et consignĂ©e dans le Fa, Dada Sgbo est le Dieu Unique, lâIntelligence Infinie, le TrĂšs-Haut, le Premier, le CrĂ©ateur du Ciel et de la Terre, nĂ© de rien, qui sâengendre lui-mĂȘme et engendre toutes les Ăąmes. Il est donc aussi bien le modeleur des enveloppes charnelles (les humains) que le commanditaire des Essences Divines (les Vodun). Son Ă©lĂ©ment de rattachement est lâAbyssus. En Yoruba, il est nommĂ© lrun et câest le Dieu par lequel les populations jurent sans distinction de religion. On comprend alors aisĂ©ment que ceux qui Ăąnonnent polythĂ©isme au sujet des religions traditionnelles africaines ne savent en rĂ©alitĂ© rien de ce dont ils dis-sertent.25 Il sâagit-lĂ des principaux Vodun du panthĂ©on Vodun du golfe du BĂ©nin. Chacun dâeux ayant sa par-ticularitĂ©.26 Il sâagit ici de la terre en tant quâĂ©lĂ©ment, car Ă cette Ă©poque-lĂ , elle nâexistait quâĂ lâĂ©tat virtuel. Câest surtout dans le Fadu Lt-Mnji quâelle Ă©mergera de lâeau.27 Wln-Mnji est le sixiĂšme Fadu cardinal. Câest dans ce Fadu que le Vodun Sakpata est installĂ© avec tous ses attributs.
Un mĂȘme pĂšre qui est la Grande ĂmeEt ce pĂšre sâappelait Dada Sgbo 24
Et Dada Sgbo Ă©tait le gĂ©niteur de six frĂšres et sĆursXvioso, Gu, Dan, Txsu, Nan et Sakpata 25
Ils Ă©taient les enfants de Dada SgboEt les six enfants de Dada Sgbo ne savaient que chasserIls chassaient chaque jour du matin au soirEt les petits et gros gibiers et mĂȘme les prĂ©dateursConstituaient la pitance journaliĂšre de chacun dâeuxRien ne pouvait leur Ă©chapperIls chassaient chaque jour petits et gros gibiers et mĂȘme
les prédateursDans les brousses qui envahissaient la Terre 26
Et toute la Terre appartenait Ă SakpataComme le Feu appartenait Ă XviosoEt toute la Terre appartenait Ă SakpataComme lâAir appartenait Ă DanEt toute la Terre appartenait Ă SakpataComme lâEau appartenait Ă TxsuEt toute la Terre appartenait Ă SakpataComme le Fer appartenait Ă GuEt toute la Terre appartenait Ă SakpataComme la LumiĂšre appartenait Ă NanMais SakpataLâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursNâavait pas dâarmes pour aller Ă la chasseElle nâavait pas dâarmes pour aller Ă la chasseEt les petits et gros gibiers et surtout les prĂ©dateursLui Ă©chappaient sans Ă©chapper Ă ses autres frĂšres et
sĆursSakpataLâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursAvait des soucis gros comme une Ă©toileElle nâavait pas la ParoleElle nâavait pas la Parole car comment survivreSans armes pour aller Ă la chasseEt gouverner la Terre sans la ParoleLa Parole est le pouvoirEt SakpataLâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursNâavait pas la ParoleAlors SakpataLâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursAlla voir Fa AĂŻdegun le Grand MaĂźtre de la connaissanceElle voulait savoir comment aller Ă la chasse avec des
armesEt gouverner la Terre par la ParoleAlors Wln-Mnji 27 apparutEt Fa AĂŻdegun lui signifiaUne errante ne pouvait avoir la ParoleLa Parole est dâessence autoritĂ©
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2328 âAyinnâ est un morphĂšme en Fongbe composĂ© de âAyiâ = la terre et de âNnâ = MĂšre, Pro-priĂ©taire, Tuteur. âAyinnâ signifie donc âpropriĂ©taire de la terreâ. Ainsi, le Vodun Sakpata est le pro-priĂ©taire de la terre quâil gouverne et symbolise.29 âDkunnâ est un morphĂšme en Fongbe composĂ© de âDkunâ = Richesse et de âNnâ = MĂšre, PropriĂ©taire, Tuteur. âDkunnâ signifie donc âCelui qui possĂšde les richessesâ. Le Vodun Sakpata devient alors celui qui possĂšde et dispense les richesses de la terre dont il est le propriĂ©taire.30 R. P. Paul FaLCon, âReligion du Vodunâ, cit., p. V.
Et lâautoritĂ© nâest pas dâessence nomadeCar Sakpata Ă©tait une errante sur la TerrePuisque la Terre appartenait Ă SakpataSakpata devait avoir une rĂ©sidence sur la TerreEt Fa AĂŻdegun recommanda les ingrĂ©dients pour lâĂ©rec-
tion de la rĂ©sidenceEt Sakpata sâexĂ©cutaEt Fa AĂŻdegun Ă©rigea une forteresse Ă SakpataUne forteresse munie dâun KitiKiti le trĂšs redoutable gardien du seuil de SakpataAinsi avec une rĂ©sidence fortifiĂ©eDes armes de tous genres et un gardien du seuilSakpata lâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursRetrouva la Parole perdueElle retrouva tous ses attributs de Ayinn 28
MaĂźtre de la TerreElle retrouva tous ses attributs de Dkunn 29
Possesseur de toutes les richesses de la TerreEt Sakpata lâaĂźnĂ©e des six frĂšres et sĆursDevint plus puissante que ses autres frĂšres et sĆursEt ses autres frĂšres et sĆurs se mettaientHumblement sous son autoritĂ© unanimement acceptĂ©ePour aller Ă la chasse sur la Terre.
Ce texte sacrĂ© nous permet de savoir de façon incon-testable que le Vodun Sakpata, tout comme tous les autres Vodun, trouve son origine dans le Fa, ce dernier Ă©tant, il faut bien le souligner, un TraitĂ© de ThĂ©ologie Vodun. La plupart des chercheurs dans le domaine des sciences hu-maines, notamment en anthropologie, ethnologie, socio-logie ou littĂ©rature orale, ne parviennent presque jamais Ă souligner lâorigine du Vodun. Lâessentiel de leur perspi-cacitĂ© les amĂšne Ă rapidement Ă©vacuer, sinon Ă Ă©luder la question en estimant simplement que le Vodun est une rĂ©alitĂ© que le BĂ©nin a hĂ©ritĂ©e du NigĂ©ria. Câest vrai que pour mieux comprendre tant la complexitĂ© que la tĂ©nuitĂ© du Vodun, il faut surtout ĂȘtre Boknn car seul ce dernier maĂźtrise mieux lâessence du Vodun.
De mĂȘme, il est nĂ©cessaire de comprendre et de par-ler les langues des peuples qui pratiquent cette religion afin de mieux en saisir les nuances. Certes, il existe une abondante littĂ©rature sur le Vodun dont les Missionnaires catholiques sont pour la plupart les auteurs, leur objec-tif premier Ă©tant de bien connaĂźtre et dâanalyser dans le dĂ©tail les croyances et les cultes de ceux Ă qui ils prĂ©-tendent apporter la civilisation 30. Mais trĂšs peu de cher-cheurs parviennent Ă percevoir la profondeur du phĂ©-nomĂšne. Car, avant dâĂȘtre une religion, câest-Ă -dire une conception spirituelle dotĂ©e dâune thĂ©ologie fondĂ©e sur
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4 une cosmogonie hiĂ©rarchisĂ©e qui ordonnance le monde visible et le monde invisible, une anthropologie qui dĂ©-termine lâessence humaine, des rituels spĂ©cifiques intel-ligemment conçus avec lâexistence des hymnes, chants, priĂšres, noms, danses, cĂ©rĂ©monies, sacrifices, initiations, consĂ©crations⊠le Vodun est dâabord une maniĂšre parti-culiĂšre dâĂȘtre des peuples qui lâadoptent, câest-Ă -dire leur philosophie. On ne peut donc saisir vĂ©ritablement lâes-sence du Vodun sans apprĂ©hender cette philosophie-lĂ . Mais la plupart des recherches manquent de profondeur non seulement parce quâelles sont menĂ©es de lâextĂ©rieur, câest-Ă -dire en lâabsence dâune maĂźtrise de la langue et de la comprĂ©hension de la philosophie qui sous-tend le Vo-dun, mais surtout parce quâelles sont fondĂ©es sur des prĂ©-jugĂ©s religieux. Câest pourquoi lâinterprĂ©tation de ce Fa-gleta exige une connaissance toute particuliĂšre du champ dâinvestigation que sont le Fa et les Vodun.
En effet, la âforteresseâ dont parle le texte est lâinstal-lation ou lâĂ©rection du Vodun Sakpata par Fa. Les ingrĂ©-dients ayant servi Ă cette Ă©rection attestent de la puissance de ce Vodun ainsi que de son caractĂšre trĂšs redoutable. Le Vodun Sakpata est reprĂ©sentĂ© par un tumulus sur lequel un canari appelĂ© Ajalalazn (canari en terre cuite trouĂ© de toutes parts et dont chacune des ouvertures figure les pustules de la maladie de la variole que rĂ©gente le Vodun Sakpata) est visible. Parmi les ingrĂ©dients, jâindique ici le symbolisme de quelques-uns, ceux-lĂ qui peuvent ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©s sans que la Loi du Silence et le Sceau du Secret ne soient rompus:
â la pierre gidigbaja: câest une pierre brute figurant la manifestation de la variole; elle peut produire le feu, par percussion ou par frottement et le Vodun peut lâutiliser pour attaquer ses ennemis Ă la maniĂšre du Vodun Xvioso. Le symbolisme ambivalent qui se dĂ©gage dâun tel isomor-phisme se rapporte, dâune part, au caractĂšre purificateur, fĂ©condant, rĂ©gĂ©nĂ©rateur et illuminatif du feu et, dâautre part, Ă son aspect destructeur. Ainsi, le Vodun Sakpata peut procurer du feu comme il peut dĂ©truire par le feu;
â toutes les sortes dâĂ©pines: le symbole de lâĂ©pine est celui de la dĂ©fense, du bouclier ou du rempart. Le Vo-dun Sakpata utilise les Ă©pines dâabord pour se dĂ©fendre, pour annihiler les influences nĂ©fastes et pernicieuses pour lâhomme et la sociĂ©tĂ©, comme un animal utilisant ses cornes. Ensuite, il les utilise pour attaquer, surtout pour percer le corps de tout ce quâil attaque. Enfin, il les utilise comme un symbolisme axial et solaire Ă la maniĂšre des obĂ©lisques Ă©gyptiens;
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25â tous les cĂ©rĂ©ales, tubercules, fruits et liquides (eau, huile, alcool): le Vodun Sakpata, Ă©galement appelĂ© Dkunn (possesseur de toutes les richesses) ou Jxsu (Roi des perles), Ă©tant dispensateur des biens de la terre, gratifie en signe de rĂ©compense ceux qui le mĂ©ritent. Le symbolisme des cĂ©rĂ©ales renvoie Ă celui de lâĂ©pi, de maĂŻs notamment, qui est lâabondance, la fertilitĂ©, la croissance, la nourriture que le Vodun Sakpata est capable de dis-tribuer Ă profusion Ă ceux qui respectent ses principes. En revanche, le Vodun Sakpata punit tous ceux qui lui dĂ©sobĂ©issent et les chĂątie de leur impiĂ©tĂ© tant quâils se nourriront de ces Ă©pis, ou bien en leur envoyant la sĂ©che-resse qui tue toutes les rĂ©coltes: câest pourquoi on lâap-pelle aussi Vodun de la sĂ©cheresse;
â toutes sortes de ferraille: le fer, tout comme chez le Vodun Gu, est considĂ©rĂ© aussi bien comme principe actif modifiant la matiĂšre que comme instrument de destruc-tion et de mort. La pleine possession de cet Ă©lĂ©ment ren-force la puissance du Vodun Sakpata;
â Asn: une sorte dâantenne, une reprĂ©sentation mĂ©-tallique particuliĂšre figurant un appendice sensoriel aigu ou le lieu de captation de lâĂ©nergie aĂ©rienne par le Vodun Sakpata comme cela sâobserve Ă©galement chez le Vodun Dan, dont lâĂ©lĂ©ment de rattachement est lâAir;
â toutes les bĂȘtes fĂ©roces: elles figurent la rĂ©union des sorciers Ă qui le Vodun Sakpata commande tout comme le Vodun Nan rĂ©gente la connaissance du monde invisible et visible. Ainsi, le Vodun Sakpata commande Ă©galement lâunivers de la connaissance supĂ©rieure que lâon appelle la sorcellerie;
â un poussin: pour signaler sa prĂ©sence, la nuit notam-ment;
â une pipe et du tabac: le tabac est lâesprit de force ayant le pouvoir dâillumination et de puissance qui doit caractĂ©riser le Vodun Sakpata;
â des Ćufs: figuration de lâĆuf cosmique et principe du devenir et de tous les possibles, lâĆuf est multiplica-teur de vies, reprĂ©sentation de la puissance crĂ©atrice de la lumiĂšre et symbolise ici la capacitĂ© du Vodun Sakpata dâattaquer les femmes enceintes et de leur provoquer des maux de ventre.
Il faut signaler quâaucun de ces ingrĂ©dients nâest vi-sible sur la reprĂ©sentation du Vodun Sakpata parce quâĂ©tant recouverts par Ajalalazn en dessous du Vodun. Sur ce canari rituel, sont reprĂ©sentĂ©es de petites taches noires figurant les pustules de la variole. Les rares reprĂ©-sentations artistiques de ce Vodun le prĂ©sentent sous une
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31 Mahougnon KaKpo, Yku-Mnji: une thĂ©ologie de la mort dans les Ćuvres de Fa, cit., pp. 52-54.
forme humaine avec des attributs féminins, une femme de grande taille en position de combat, portant une courte jupe rituelle appelée valaya, biceps et chevilles ceints de perles et de cauris enfilés et tenant un balai en main droite et, dans la main gauche, un bùton.
Kiti: câest le gardien du seuil dont Fa a dotĂ© le Vo-dun Sakpata comme Lgba est le gardien du seuil de tous les autres Vodun. Il est dotĂ© non seulement de tous les attributs cachĂ©s de son MaĂźtre mais bien plus encore. Ainsi, Kiti a, de façon visible, un bĂąton, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un guide, un soutien, un bĂąton de dĂ©fense, de guerre aussi bien que comme un symbole de commandement, dâautoritĂ© et de souverainetĂ©. Ce bĂąton est nĂ©cessairement conçu avec un bois bien so-lide et Ă©pineux (xtin ou vlhuintin qui sont des essences arborescentes trĂšs rĂ©sistantes); il a Ă©galement un balai, symbole de puissance sacrĂ©e, dâautoritĂ© et dâexpulsion des influences nĂ©fastes. Ce balai, ceinturĂ© au manche par des perles et des piĂšces dâargent, est la figuration du bon-heur Ă ne pas faire fuir: câest pourquoi le Vodun Sakpata interdit de balayer la nuit. On retrouve sur la reprĂ©sen-tation du Vodun Kiti qui est un tumulus, outre les Ă©lĂ©-ments prĂ©citĂ©s, toutes sortes dâĂ©pines, des cactus que lâon y fait pousser, une tĂȘte de branche de palmier dont on se sert pour chasser les mauvais esprits dans le village ou dans les maisons, des louches, des spatules, des bouteilles dâeau, dâhuile et dâalcool, vĂ©ritables figurations de tout ce qui est comestible par lâhomme et dont ce Vodun est le dispensateur.
HermĂ©neutique littĂ©raire dâune parole sacrĂ©e
Je vais Ă prĂ©sent procĂ©der Ă une hermĂ©neutique lit-tĂ©raire dâun des langages de Fa. Il sâagit dâun Fagleta de Yku-Mnji. Le texte est recueilli en Fongbe (langue Fon), une des langues majoritairement parlĂ©es au BĂ©nin et la plus usitĂ©e en matiĂšre de Fa au BĂ©nin, ce dernier y ayant eu comme langue dâaccueil le Fongbe. Ce texte est extrait de mon essai intitulĂ© Yku-Mnji: une thĂ©ologie de la mort dans les Ćuvres de Fa. Essai dâhermĂ©neutique lit-tĂ©raire 31. Je nâen donne ici que la traduction que jâen ai faite en français courant, la transcription ainsi que la tra-duction juxtalinĂ©aire se trouvant dans lâouvrage prĂ©citĂ©. Lâobjectif est ici de montrer comment le trĂšs redoutable Vodun Sakpata chĂątie par lâĂ©pidĂ©mie de la variole mais aussi sâincline devant Fa.
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27Fagleta de Yku-Mnji
Sakpata emprunta une tĂȘte, des pieds, des bras, des habits
Il se rendit au marchĂ©Il y trouva une femmeĂ qui il dĂ©clara son amourCelle-ci accepta et le suivitLa femme demanda lĂ oĂč ils allaientâDans ma maisonâ, dĂ©clara SakpataEn cheminSakpata prĂ©textait dâune pause chaque foisEt en profitait pour restituer ce quâil avait empruntĂ©Au point oĂč il ne restait que le troncParvenus Ă la hauteur dâun tumulusSakpata signifia Ă sa femmeQue câĂ©tait sa maisonIls rentrĂšrent dans la maisonSakpata alla chercher du bois de chauffageLa femme ayant compris son intentionEn profita pour sâĂ©vaderSakpata se lança Ă sa poursuiteQuand elle se rĂ©fugiait dans une maisonSakpata y rĂ©pandait des maladiesLa femme se rĂ©fugia finalement dans la maison de Fa Sakpata pĂ©nĂ©tra dans la maison de Fa avec toutes les
maladiesConstatant la présence de Fa Il rebroussa cheminEt abandonna la femme à Fa.
Sakpata sort pour aller conquĂ©rir une femme. Or, lui-mĂȘme en est une. Jâai prĂ©cisĂ© prĂ©cĂ©demment que ce Vodun a des attributs fĂ©minins, ce qui est visible aussi bien sur les rares reprĂ©sentations artistiques que nous avons de lui que dans les rituels, panĂ©gyriques et chants Ă lui adressĂ©s. Les hommes qui sont adeptes de ce Vodun sont obligĂ©s de porter des boucles dâoreilles afin dâĂȘtre en phase avec ses attributs fĂ©minins. En rĂ©alitĂ©, que Sakpata ait des attributs fĂ©minins, cela ne devrait pas surprendre Ă©tant donnĂ© que la Terre, qui est son Ă©lĂ©ment de rattache-ment, est universellement assimilĂ©e Ă une mĂšre, nourrice, fĂ©conde, protectrice et rĂ©gĂ©nĂ©ratrice. Nous savons que Sakpata a plusieurs enfants et jâen ai indiquĂ©s quelques-uns plus haut. Le Vodun Sakpata, MaĂźtre du Monde, est donc source de vie (vie et mort), nourrit lâhomme avec les grains (maĂŻs, mil et les autres cĂ©rĂ©ales) et le protĂšge contre tout danger. Câest pourquoi les cultures africaines sont en gĂ©nĂ©ral intolĂ©rantes vis-Ă -vis des femmes stĂ©riles supposĂ©es rendre par consĂ©quent la terre familiale stĂ©-
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32 Jean CHeVaLier, Alain gHeer-Brant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982, p. 940.33 Xvioso: littĂ©ralement âoiseau cracheur de feuâ; câest le Vodun qui gouverne le Ciel, rĂ©gente la foudre et son Ă©lĂ©ment de ratta-chement est le Feu; principe mas-culin et actif, les Yoruba lâappellent Shango.34 Marcel griauLe, Dieu dâeau: entretiens avec OgotemmĂȘli, Paris, Librairie ArthĂšme Fayard, 1966, pp. 15-16.
rile. La terre comme matrice est un symbole universel. âElle est la vierge pĂ©nĂ©trĂ©e par la bĂȘche ou par la char-rue, fĂ©condĂ©e par la pluie ou par le sang, qui sont la se-mence du Ciel. Universellement, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais, les mĂ©tauxâ 32. Ain-si, en tant que Grand Commandeur de la Terre, la plus grande fortune du Vodun Sakpata provient de la terre, ce qui justifie pourquoi il est appelĂ© Dkunn (possesseur et dispensateur des richesses) ou Jxsu (Roi des perles). Il est ainsi le centre du monde, Ă la fois le plus craint et le plus aimĂ© de tous les Vodun.
De mĂȘme, le lien entre Sakpata et lâĂ©lĂ©ment Terre est davantage remarquable du huitiĂšme au onziĂšme ver-set oĂč Sakpata, sur le chemin du retour, est obligĂ© de restituer les organes empruntĂ©s Ă leurs propriĂ©taires. Au terme de cette opĂ©ration de restitution, Sakpata est complĂštement dĂ©membrĂ© et ne prĂ©sente plus que lâas-pect dâune croĂ»te, la croĂ»te terrestre, connue elle aussi comme Ă©tant un principe fĂ©minin et symbolisant lâĂ©lĂ©-ment passif Terre par opposition au Ciel qui figure le principe masculin et lâĂ©lĂ©ment actif qui est le Feu. La comparaison est ici assez Ă©clairante entre le Vodun Sak-pata, roi des Ayivodun (Vodun de la terre), et le Vodun Xvioso 33, roi des Jivodun (Vodun du ciel ou dâen-haut). Par ailleurs, Marcel Griaule rapporte dans ses entre-tiens avec le vieil oGotemmĂȘli comment, dans la doc-trine Ă©sotĂ©rique des Dogon, notamment dans la hiĂ©roga-mie fondamentale Ciel-Terre, Amma a crĂ©Ă© la terre qui est une femme:
Le Dieu Amma ayant donc pris un boudin de glaise, il le serra dans sa main et le lança comme il avait fait pour les astres. La glaise sâĂ©tale, gagne au nord qui est le haut, sâallonge au sud qui est le bas, bien que tout se passe Ă lâhorizontale.â La terre est couchĂ©e mais le nord est en haut.Elle sâĂ©tend Ă lâorient et Ă lâoccident, sĂ©parant ses membres comme un fĆtus dans la matrice. Elle est un corps, câest-Ă -dire une chose dont les membres se sont Ă©cartĂ©s dâune masse centrale.Et ce corps est femme, orientĂ© nord-sud, posĂ© Ă plat, face au ciel. Une fourmiliĂšre est son sexe, une termitiĂšre son clitoris. Amma, qui est seul et veut sâunir Ă cette crĂ©ature, sâapproche dâelle [âŠ].Au moment oĂč Dieu sâapproche, la termitiĂšre se dresse, barre le passage et montre sa masculinitĂ©. Elle est lâĂ©gale du sexe Ă©tranger, lâunion nâaura pas lieu.Pourtant, Dieu est tout-puissant. Il abat la termitiĂšre re-belle et sâunit Ă la terre excisĂ©e. 34
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2935 Jean CHeVaLier, Alain gHeer-Brant, op. cit., p. 941.36 Dans une communication in-titulĂ©e âDĂ©fense et illustration du fragment comme vecteur de connaissance et source dâarchivesâ prĂ©sentĂ©e lors du Colloque Inter-national Africa Nâko, Dire lâAfrique dans le monde. La bibliothĂšque co-loniale en dĂ©bat, tenu Ă Dakar, au SĂ©nĂ©gal, du 28 janvier au 1er fĂ©vrier 2013, Camille amouro indique que âle continuum linguistique des lan-gues gbĂš sâĂ©tend sur la cĂŽte Atlan-tique, du Ghana jusquâĂ la fron-tiĂšre du Nigeria et compte environ cinq millions de locuteurs. Il est composĂ© majoritairement de cinq dialectes satellites dâune dizaine de parlers: lâewe, le fn, lâaja, lâayiz, le xwea. On doit toutefois relati-viser ici la notion de continuum lin-guistique. En effet, si lâon considĂšre lâespagnol, le portugais, lâitalien et le français comme un continuum, on peut lâadmettre. Si, en re-vanche, cette notion ne sâapplique quâĂ des langues sĂ©parĂ©es unique-ment par quelques isoglosses, nous aurions alors cinq continua autour de ces cinq dialectes majeurs car ils ne sont pas inter-comprĂ©hensibles. Nous aurions ainsi un continuum ewe-gn constituĂ© de lâewe, du gn du Ghana-Togo, du gn du BĂ©nin, du waci; un continuum fn constituĂ© du fn dâAbomey, du maxi, du fn de Ouidah-Cotonou, du kotafn, du gun; un continuum ayiz avec le tri, le tfin, lâayiz; un continuum xwea constituĂ© du xwla, du bopa, du saxw, du s, du popo et lâaja. Câest dans ce mĂȘme sens que les dialectes du yoruba, prĂ©sents au Togo, au BĂ©nin et au Nigeria et qui comptent plus de vingt millions de locuteurs for-ment, eux, un continuum, mĂȘme si le faisceau dâisoglosses est ici plus Ă©tendu: ica, cab, iaaca, if, igala, ij, nago, kambolĂ©, mokole, yoru-baâŠâ.37 Txsu fait partie des six frĂšres et sĆurs de Sakpata prĂ©cĂ©demment Ă©numĂ©rĂ©s. âRoi des Eauxâ, Txsu reprĂ©sente lâesprit dâun ĂȘtre mal-formĂ© dĂ©cĂ©dĂ© et divinisĂ©. Autre-fois, ceux qui souffraient de ces af-fections Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des ĂȘtres venus dâailleurs et, ainsi, devaient retourner dâoĂč ils ve-naient, câest-Ă -dire Ă leur Ă©lĂ©ment. Alors, ils Ă©taient jetĂ©s Ă lâeau (eau
Ce texte Ă©claire dâun jour nouveau le symbolisme du âtumulusâ, âmaisonâ de Sakpata. Nous savons en effet, depuis le texte de Wln-Mnji analysĂ© supra, que la reprĂ©-sentation visible de Sakpata est un tumulus (butte, tertre, termitiĂšre). Il sâagit de la figuration de la materia prima qui conduit, surtout grĂące au sĂ©mantisme de la termitiĂšre dont lâisomorphisme des termites renvoie Ă lâidĂ©e dâun anĂ©antissement imperceptible mais inexorable, au prin-cipe de la dualitĂ© ou de la gĂ©mellitĂ©. Car, la termitiĂšre re-prĂ©sente, comme le souligne si bien la pensĂ©e Dogon, le clitoris, polaritĂ© mĂąle de la Terre dressĂ©e (Ă©rigĂ©e) contre le Ciel 35. Par ailleurs, dans la pensĂ©e Aja-Tado, la termi-tiĂšre est considĂ©rĂ©e comme la rĂ©sidence de Aziza, gĂ©nie de la mĂ©moire, de lâinspiration poĂ©tique et crĂ©atrice. Câest donc sous les auspices de ce principe de la gĂ©mellitĂ© que Sakpata est allĂ© emprunter des organes afin de changer dâaspect, de se dĂ©guiser en devenant un vĂ©ritable homme pour conquĂ©rir la femme convoitĂ©e.
Le premier verset fait apparaĂźtre le rapport Ă©troit quâentretient le Vodun Sakpata avec les autres Vodun. La maladie de la variole que rĂ©gente le Vodun Sakpata est dĂ©jĂ une pathologie Ă laquelle il est identifiĂ©, car le nom Sakpata a complĂštement Ă©clipsĂ© sinon effacĂ© celui pour dĂ©signer la maladie de la variole. Quel que soit le conti-nuum considĂ©rĂ© et quelle que soit la langue retenue 36, le mot pour dĂ©signer âvarioleâ est le mĂȘme pour dĂ©signer Sakpata. Le varioleux est considĂ©rĂ© comme celui qui a af-faire avec Sakpata et, dans ce cas, la crainte quâinspire le Vodun conduit les populations Ă ne pas le nommer mais Ă utiliser un euphĂ©misme pour expliquer la situation: le varioleux a affaire avec Mnaxo, câest-Ă -dire avec le âVĂ©-nĂ©rableâ Vodun. Il est nĂ©cessaire de rappeler ici quelques-uns des noms forts de Sakpata relatifs Ă la maladie: Azn-su (la grande maladie, la maladie redoutable, celle qui tue inexorablement et rapidement) ou Aznwann (la maladie qui sent mauvais, les pustules sur le corps du varioleux reprĂ©sentent des plaies qui sentent mauvais). Le sens de ces noms forts du Vodun est Ă entendre comme un euphĂ©misme dĂ©signant la maladie de la variole.
Câest donc ainsi que Sakpata est associĂ© Ă Txsu 37, le spĂ©cialiste des affections congĂ©nitales. Lâun des Sak-pata, notamment Avimaj (âquâil nây ait point de pleursâ, câest-Ă -dire celui qui interdit de pleurer les victimes de Sakpata, autrement il tue encore), est en Ă©troite rela-tion avec Txsu. On comprend alors pourquoi Sakpata va emprunter une tĂȘte, des bras, des pieds et des habits dâhomme pour se rendre au marchĂ©.
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douce: lacs, fleuvesâŠ) dâoĂč on res-sortait plus tard leur esprit Ă qui on vouait un culte dans des temples consacrĂ©s Ă cet effet. Le culte de Txsu est toujours vivace de nos jours, mĂȘme sâil nây a plus la mise Ă mort rituelle de lâĂȘtre malade. De ce Vodun est issu Ă Abomey un autre culte, celui des Zomadonu (on dit gĂ©nĂ©ralement Zomadonu b mn, câest-Ă -dire âle feu nâest pas quelque chose Ă mettre Ă la bouche, autrement, lâon aura la langue brĂ»lĂ©eâ) qui honore les enfants des rois nĂ©s anormaux et retournĂ©s Ă leurs Ă©lĂ©ments. Les cĂ©rĂ©monies de cĂ©lĂ©bration de ce Vodun passaient prioritairement avant les autres, car câĂ©taient les enfants des rois. Ă ce culte suc-cĂšde celui des Nnsuwxe qui, lui, dâorigine Maxi, est la vĂ©nĂ©ration des princes et princesses ayant vĂ©cu normalement et qui Ă©taient honorĂ©s aprĂšs leur mort. Ce qui est certain, câest que Nnsuxwe est un culte que les Maxi et les Fon vouent Ă leurs ancĂȘtres. Ă propos du Nn-suxwe, lâon peut utilement consul-ter FifamĂš Comfort Fulberte Capo CHiCHi, Anthologie commentĂ©e des chansons sacrĂ©es et rituelles chez les Nnsuxwe de Savalou, MĂ©moire de MaĂźtrise de Lettres Modernes, UniversitĂ© dâAbomey-Calavi, 2007.
Le marchĂ© est la destination de Sakpata signalĂ©e dans le deuxiĂšme verset. Le marchĂ© est le lieu de rassemble-ment public, siĂšge Ă©galement de Sakpata qui est sĂ»r dây retrouver la femme convoitĂ©e. Les jours du marchĂ© sont les prĂ©fĂ©rĂ©s du Vodun Sakpata. En effet, le schĂšme du marchĂ© est dâautant plus solidaire du Vodun Sakpata que lâun des Sakpata sâappelle Axinaj (âle marchĂ© sâanime-raâ, sous entendu âle marchĂ© sâanimera dans le couvent de Sakpataâ). De mĂȘme, le sĂ©mantisme du marchĂ© ren-voie ici Ă un autre Vodun, celui nommĂ© Ayizan (la Terre). Ce Vodun, Ă©galement terrien, ressemble fort bien dans la dĂ©nomination que dans certaines de ses caractĂ©ristiques Ă Sakpata. Son autel est constituĂ© dâun tertre surmontĂ© dâun Ajalalazn (le canari trouĂ© de toutes parts) serti de rameau de palmier, Ă©lĂ©ment essentiel dans les rituels Sak-pata, notamment dans les cĂ©rĂ©monies de sortie de ses no-vices. Il est installĂ© sur les places publiques, notamment les marchĂ©s, quâil est censĂ© protĂ©ger contre les influences nĂ©fastes. Sakpata Ă©tant le MaĂźtre de Ayizan, ce dernier doit lui favoriser la tĂąche en lui donnant les informations sur lâobjet de la quĂȘte. Câest pourquoi, en se rendant au marchĂ©, Sakpata fonctionne comme en territoire conquis.
Le texte fonctionne tout comme si la rencontre au marchĂ© entre Sakpata et la femme Ă©tait fortuite: âSakpa-ta emprunte des organes, se rend au marchĂ© oĂč il ren-contre une femmeâ. Or, il nây a pas que cette femme-lĂ dans le marchĂ©. Pourquoi alors Sakpata a-t-il Ă©lu celle-lĂ ? Si nous ne connaissions pas la suite du texte, nous au-rions pu rĂ©pondre que ce pourrait ĂȘtre grĂące Ă sa beautĂ©. Mais le texte est muet sur cet aspect et nous expose par la suite les rĂ©elles intentions de Sakpata: il veut tuer la femme. Donc, le choix de Sakpata ne rĂ©pond pas Ă une contingence. Cette femme-lĂ est une cible bien choisie. Mais quâaurait-elle fait pour mĂ©riter ce sort?
En effet, le Vodun Sakpata est un justicier. Ces vic-times sont souvent ceux qui enfreignent ses principes, lui manquent de respect et vivent dans une impiĂ©tĂ© ar-rogante. Et câest justement Ă ce niveau-lĂ que le texte a connu une ellipse. Car, il sâagit en rĂ©alitĂ© dâune jeune fille qui, ayant atteint lâĂąge de se marier, se moque de tous ses soupirants et prĂ©tendants. Non seulement elle refuse leurs avances, mais surtout elle les injurie, les humilie en imitant devant toutes ses copines les faits, gestes et paroles de tous ceux qui se prĂ©sentent devant elle. Lors-quâelle les aperçoit en ville, elle passe devant eux, par-fois en les bousculant ou en les piĂ©tinant et en les trai-tant de chiens. Or, le Vodun Sakpata interdit de traiter
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31ses adeptes dâimbĂ©ciles, de chiens, de les piĂ©tiner ou de passer au milieu de deux personnes en train de conver-ser. Mais la jeune fille, ignorant ou mĂ©prisant la qualitĂ© dâinitiĂ© de tous ses prĂ©tendants, faisait impunĂ©ment tout cela. Câest donc pourquoi Sakpata lâa Ă©lue comme cible Ă abattre.
Ainsi, arrivĂ© au marchĂ©, le jeune homme (Sak-pata dĂ©guisĂ©) charme la jeune fille dĂ©jĂ identifiĂ©e et, compte tenu de ses pouvoirs, sollicite son cĆur quâelle lui consent aussitĂŽt. Sur le chemin qui mĂšne chez son Ă©poux, la jeune fille se rend compte quâelle est en dan-ger. Mais elle nây peut rien parce quâelle est sous bonne garde: elle est prisonniĂšre. Elle trouve lâoccasion de sâĂ©va-der lorsque Sakpata la laisse seule pour aller chercher du bois de chauffage. Commence alors une poursuite qui va du dix-huitiĂšme au vingt-sixiĂšme verset: la jeune fille est poursuivie par le redoutable Sakpata.
Les vingtiĂšme et vingt-et-uniĂšme versets nous ap-prennent que âlorsque la jeune fille se rĂ©fugiait dans une maison, Sakpata y rĂ©pandait des maladiesâ. La pluralitĂ© des maladies fait comprendre quâil ne sâagit pas que de la maladie de la variole. Certes, la plus grande maladie que rĂ©gente le Vodun Sakpata est celle de la variole, une maladie trĂšs contagieuse, trĂšs infectieuse, Ă propagation rapide et Ă©pidĂ©mique. Une maladie que les Gourmant-chĂ©, qui ne connaissent pourtant pas la rĂ©alitĂ© de Sak-pata, appellent âle roi des maladiesâ pour en avoir Ă©tĂ© victimes pendant longtemps. Le verbe ârĂ©pandreâ utilisĂ© dans le verset correspond Ă la rĂ©alitĂ© du phĂ©nomĂšne dĂ©-crit. Car, dans plusieurs langues du continuum ee, la phrase pour dire que quelquâun souffre de la variole est: âLa terre (ou le feu) sâest dĂ©versĂ©e sur luiâ. Ainsi, en ârĂ©-pandantâ les maladies, Sakpata se âdĂ©verseâ sur le corps de ses victimes.
Toutefois, la variole nâest pas la seule maladie quâil rĂ©gente. Car nous savons dĂ©jĂ , Ă travers la spĂ©cialisation de chacun des membres de la grande famille de Sakpata, quâil gĂšre de façon gĂ©nĂ©rale les fiĂšvres Ă©ruptives, la dysen-terie, les cĂ©phalĂ©es, le vomissement, les plaies incurables, la lĂšpre, la fiĂšvre typhoĂŻde, la mort par noyade (câest pourquoi il est Ă©galement nommĂ© Da Avivnn, câest-Ă -dire âle VĂ©nĂ©rable qui provoque le froidâ) et le gonfle-ment du corps des victimes. La dĂ©nomination commune de la plupart de toutes ces pathologies est la mort. Câest le lieu de rappeler que le pĂšre de Sakpata est Kuxsu, le chef de la mort, et quâil sait la distribuer Ă merveille. Ainsi, le symbolisme qui se dĂ©gage de ces deux versets
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2 est fondamentalement la sanction qui frappe tous ceux qui tentent dâapporter une aide quelconque Ă ceux qui tombent sous le coup de Sakpata: il tue la victime, tue ses Ă©ventuels adjuvants, interdit Ă leurs parents de les pleu-rer et exige dâeux des remerciements. On comprend alors quâil ne sâagit pas seulement dâune Ă©pidĂ©mie de variole, mĂȘme si celle-ci est lâĂ©pidĂ©mie centrale.
Il en Ă©tait ainsi jusquâĂ ce que la jeune fille en vienne Ă se soumettre Ă Fa. Et câest alors que le redoutable Sakpata va renoncer Ă sa poursuite. Car, bien quâĂ©tant redoutable, Sakpata, comme tous les autres Vodun, se prosterne de-vant Fa. Câest ce dernier qui a tracĂ© les sillons des des-tinĂ©es de tous les Vodun. Fa est donc lâunique sauveur devant la mort. Ainsi, dans le cadre dâune rĂ©elle attaque Ă©pidĂ©mique due au Vodun Sakpata, les consignes de Fa permettent de conjurer la maladie, car il est lâarbre dont lâombre couvre ceux qui y trouvent refuge.
En somme, cette Ă©tude aura permis de rĂ©aliser que la problĂ©matique de lâĂ©pidĂ©mie est une rĂ©alitĂ© et non une virtualitĂ© dans la littĂ©rature orale sacrĂ©e manifeste dans le golfe du BĂ©nin Ă travers tous les champs de Fa. Ces der-niers embrassent la plupart des domaines de la connais-sance et nous introduisent, entre autres, dans lâunivers sacrĂ© du Vodun Sakpata, MaĂźtre de la terre et gouverneur de plusieurs maladies, notamment de la variole. Si Fa dĂ©voile les rituels du Vodun Sakpata avec toute sa puis-sance, câest encore lui qui permet de calmer ses vellĂ©itĂ©s de destruction. Les textes issus des diffĂ©rents langages du Fa expriment non seulement lâunivers du sacrĂ©, mais aussi une poĂ©tique spĂ©cifique Ă lâĂ©pidĂ©mie de la variole.
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