219

Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres
Page 2: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres
Page 3: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Tabledesmatières

Pagedetitre

Tabledesmatières

Pagedecopyright

Dumêmeauteur

Dédicace

Exergue

Introduction

1.Unepathologiedulien

Plaireàtoutprix

Letriangleinfernal

Quandledépendantaffectifestun«Sauveur»

Quandledépendantaffectifestune«Victime»

Quandledépendantaffectifestun«Bourreau»

L’immaturitéaffective

2.Unsentimentd’êtrevacillant

Commentdevient-ondépendantaffectifpathologique?

Tellementd’émotionspénibles!

Lacodépendance

Lerefusdelaréalité

3.Traiterladépendanceaffectivepathologique

Lerôledupsychothérapeute:«donnerdroitd’existenceàl’enfant»

Sortirdudéni

Page 4: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Construiredebonnesrelationsavecsoi

Construireunemeilleurevierelationnelle

Verslamaturitéaffective

Conclusion

Bibliographie

Remerciements

Notes

Page 5: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

©ÉditionsAlbinMichel,20109782226223487

OuvragepubliésousladirectiondeLaurePaoli

Page 6: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

DumêmeauteurLestoursdeBabel–Parler,écouter,raconter,dire;savoirsefairecomprendre

Jean-ClaudeLattès,1993.

Bienvivresaviedecouple–Affectivité,psychologie,communicationInterÉditions,1998.

Nospaysagesintérieurs.CesidéesquinousfaçonnentInterÉditions,2000.

L’artdes’aimersansmotsAlbinMichel,2003.Cherchedésespérémentl’hommedemavie.

Leregardd’unpsysurlasolitudedesfemmesd’aujourd’huiAlbinMichel,2004.

L’hypnoseéricksonienne:unsommeilquiéveilleDunod-InterÉditions,2005.

L’espritdelamagie,laPNL;relationàsoi,relationàl’autre,relationaumondeDunod-InterÉditions,2005.

(avecJosianedeSaint-Paul).L’Ennéagramme.Connaissancedesoietdéveloppementpersonnel

Dunod-InterÉditions,2006.(avecFrançoiseCavéetDominiqueLaugero).Journald’unepsychothérapeuteRamsay,2007.

C’estencoreloin,lebonheur?Dunod-InterÉditions,2007.

Lepardon.TyrannieoulibérationInterÉditions,2008.

Page 7: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Jedédiecelivreàvoustousquej’aimetant,vousdontlagentillesseetl’intelligenceducœur

saventsibienm’émerveiller.Jevoussouhaitelemeilleurdelavie.

Page 8: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Ladépendancesedéfinitcommelestadeoùl’envieestdevenuebesoin,avecapparitiondela

tolérance,c’est-à-diredelanécessitéd’augmenterlesdosespourobtenirlesmêmeseffets,et

l’apparitiondesignesdesevrageencasdenon-consommation.Unefoispassédel’usageàl’abus,puisàladépendance,iln’yaplusdeplaisir.Etmêmequandilenreste,ilestunemaladie…qui

peutêtred’amour.MichelReynaud

Tousnosbreuvagesalcaloïdesexcitantsnesontquelesubstitutdelatoxineunique,encoreàrechercher,quel’ivressedel’amourproduit.

SandorFerenczi

Leseulvoyagedontonnerevientpastoujourslesmainsvidesestintérieur.

AmosOz

Page 9: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Introduction

«Entreuneimpossibleperfection,quin’appartientqu’auxdieux,etunedépendancesi

harcelantequ’ellemèneàlaparalysie,àladestructionouàl’agression,ilexistebeaucoupde

nuances.»AlbertMemmi

L’être humain est avant tout un être social : nous sommes donc tousdépendantsaffectivementdanslamesureoùnousavonsnonseulementbesoinlesunsdesautres,maisaussibesoindesavoirquenoussommesaimés.C’estune dépendance on ne peut plus normale : l’affectivité, l’attachement,l’approbation et la reconnaissance, les émotions nées des relationsinterpersonnellessontdescomposantesessentiellesdontnousnepouvonspasnous passer à moins demettre notre santé psychique et physique en granddanger. Durant toute sa vie, chacun d’entre nous a besoin de nourrituresaffectivesaumoinsautantquedenourrituresterrestres.Et«ungrandnombrede nos besoins vitaux trouvent leur satisfaction dans le commerce avec nossemblables1».Parler de dépendance affective pathologique amène logiquement à parler

d’addiction,dernierrecourspour«pallierlesconséquencesd’unesouffrancepsychique souvent déterminée par des traumatismes anciens, sinonarchaïques2 ». Un début de vie chargé de grande souffrance, indicible, enraisondeliensparents-enfantproblématiquesoupathologiquesquiontinstalléune grande insécurité affective chez le tout-petit, que l’on retrouve chezl’adolescent puis, plus tard, chez l’adulte. Cette forme d’attachement,affectivement et émotionnellement très carencée, n’a pas su répondre auxbesoinspsychiquesessentielsdel’enfant.L’adultequ’ildeviendrasouffriradedépendanceaffectiveproblématiqueou,pire,pathologique.Cette dépendance conditionne les autres, ce qui signifie que toutes les

formes d’addiction sont les conséquences d’une dépendance affectivepathologique. L’on sait bien aujourd’hui qu’il existe un grand nombred’addictionsetleurquantitécommeleurvariétévontcroissant.Ilpeuts’agirde produits en vente libre comme l’alcool, le tabac, les médicaments

Page 10: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

psychotropes en tous genres vendus sur ordonnance, ou bien de produitsinterditscommel’héroïne,lacocaïne,lamarijuana,lecannabis,l’ecstasy,lesamphétamines ou autres dopants et anabolisants. Il peut aussi s’agir decomportements,commel’addictionàlanourriture(qu’ils’agissed’anorexieoudeboulimie),auxjeux(deplusenplusnombreuxetd’accèsfacilepuisquela Toile en propose un grand choix), à la sexualité, au sport, au travail (onparledeworkhaolismepourlesbourreauxdetravail),àuneidéologie(c’estlemilitantisme exacerbé), à la recherche frénétique d’argent ou de prestigesocial, de pouvoir aussi (comme la politique).Dans cemême cadre, il peuts’agir encore d’une quête insatiable de spiritualité (qu’il s’agisse d’unereligionoud’une secte), oubiend’amour.C’est de cette dernière recherchequejeparledanscelivre.Jeprécisequel’onn’utiliseletermeaddictionquesi les produits ou les comportements sont destinés à combler des manquesd’unefaçonàlafoisautomatiqueetsystématique:«Ladépendances’installedèsquel’onnepeutplussepasserdel’objetoudelasubstancechoisie3.»Enraisondesgravesetprofondescarencesaffectivesinstalléesdèslapetite

enfance, les dépendants affectifs pathologiques ne s’aiment pas et, nes’aimantpas,cherchentàl’extérieurcequ’ilsnetrouventpaseneux.C’estledésamourd’eux-mêmesquilesentraînedanscettepathologie.Ilssontainsiàl’affût de marques de reconnaissance et d’amour, de gratification, qui leurconfèrent un sentiment de valeur personnelle, la confirmation de leurexistence.C’estparcequ’ilsontétéempêchésdes’aimerqu’ilscherchentcetamourchezlesautres:unefaçondecompensercequileuramanquéetleurmanque encore cruellement. Une façon aussi de repousser la terreur de lasolitude.Pourtant, ilsneparviennent jamaisàêtre totalementsatisfaits :unjourou

l’autre, ils sont amenés à consulter un médecin qui leur prescrit le plussouventunantidépresseuretunanxiolytique,cequipeutlessoulagermaisnerèglepasleurproblème.Ilneleurviendraitd’ailleurspasàl’espritdeprendreunrendez-vousavecunaddictologuecars’étantéloignésd’eux-mêmes,ilsnepeuventpasprendreconsciencedel’originedeleurincapacitéàêtreheureux,pasplusquede laréalitéde leuraliénationetde leurbesoinde l’autredansl’espoirdelecombler.Leurscomportementsn’allantpasdanslesensdeleursobjectifs et les autres se lassantde leursdemandesexcessiveset constantes,leur vie peu à peu se transforme en enfer : le manque s’accentuant, les« doses » deviennent insuffisantes et la boucle se referme sur leur

Page 11: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

impossibilitéàs’aimer.Ladépression,lescrisesd’angoisse,lesinsomniesetdenombreusessomatisationslesmènentinévitablementchezlemédecin.Nous verrons comment les dépendants affectifs problématiques et

pathologiques démontrent par leurs actes une véritable pathologie del’attachement et une immaturité affective qui les contraint à s’enfoncertoujours davantage dans cette addiction à l’amour de l’autre. Puis nousdécrironscequi,dansleurenfance,acontribuéàinstallercettedépendanceetcomment leur vie émotionnelle subit dramatiquement les conséquencesnéfastesdeleurscomportementsaddictifsdontilssemblentvouloirignorerlescauses profondes. Enfin, nous aborderons l’approche thérapeutique qui vapermettre à ces patients de comprendre pourquoi et comment ils se sontenferrés dans cette dépendance et, surtout, d’améliorer leurs relations aveceux-mêmesetlesautresafindes’enlibérer.

Page 12: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

1.

Unepathologiedulien

«L’autredevientunedrogueapaisanteetrassurante.Celuiquirègleranosaffairesd’enfance.Ilnereprésenteplusl’êtrechermaisl’oxygènedont

onabesoinpourvivre.»DrWilliamLowenstein

Page 13: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

J’aidonnépourtitreàcettepartie«Lapathologiedulien»,carc’estbiende cela qu’il s’agit. Même si l’équilibre psychoaffectif de tous les êtreshumains a besoin de nourritures affectives, ce besoin ne dénote pasnécessairement une dépendance pathologique.Celle-ci n’existe que chez lesindividusaffectivementcarencésdontlesconduitesetlesdysfonctionnementsne font malheureusement qu’aggraver la problématique. La dépendanceaffective pathologique représente en effet une « tentative infructueuse demaîtriser la culpabilité, la dépression ou l’angoisse4 », ce qui est le traitcommun des toxicomanies. Elles trouvent toutes leur origine dans cettedépendance-là, affective, dont elles ne sont que les symptômes. Proustévoquaitàjustetitre«l’amour-drogue»…Senoyerdanslaquêtedésespéréed’amourendevenantétrangeràsoi-mêmecorrespondaumêmeprocessusquesenoyerdans lesdroguesquimodifient les étatsdeconscience : l’alcool ettoutes les autres, qu’elles soient « dures » ou « douces », car il existe unefaçon«dure»desedroguer,mêmeaveccesdernières.Ainsi,ladépendanceaffective pathologique – et son cortège de dépression, d’angoisse, desentimentd’échec–estàlabasedetouteslesautresaddictionsetl’individuainsidroguédevientl’esclavedecequ’ilconsomme,qu’ils’agissed’unêtrehumain, d’un comportement – comme les bourreaux de travail – ou d’unproduit.Jeparledoncdepathologieduliencarlesformesd’attachementmisesen

place par les patients qui en souffrent ne peuvent jamais être satisfaits etcontribuent–par leurpréoccupationexcessivedesautres–à leuraliénationdansautruiqui,seul,peutleurconférerlesentimentd’exister.Tantleurbesoind’amourestmaladif.Maisunamourpossessif,unamourexigeant,unamourqui n’en est pas un, tant il vampirise, tant il peut être destructeur. L’autre,totalementidéalisé,n’estpasaimételqu’ilest:iln’estfinalementqu’unoutil,un fournisseur de drogue, un dealer demarques d’amour : unmoyen pourapaiserladétresseetledésamourdesoi.Ilestbienévidentqu’aucunerelationne peut croître et embellir sur un terreau de cette sorte. Les patientsdépendantsaffectifspathologiquessontnarcissiques,c’est-à-dire,sansenêtreconscients, constamment en recherche de marques de reconnaissance etd’approbation qui les rassureraient sur leur valeur. Ce qui pourrait leurpermettredefairenaîtreuneébauched’estimedesoi.Pourtant,ilspayenttrès

Page 14: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

chercettepathologieduliendanslamesureoùaucunattachementdurablenepeutsurvivreàune telleobsession.Quantauxnombreuxsacrificesauxquelsils consentent pour tenter de se faire aimer, ils finissent évidemment pargénérerdelacolère,delarancunecontrecesautresqui,toutbienconsidéré,ne savent pas les apprécier à leur juste valeur. Car la pathologie du liendécouledirectementd’unecertitude: lesentimentdeleurvaleurpersonnelleetleurbonheurnepeuventadvenirquedel’extérieur.

Plaireàtoutprix

Vousavezsansdoutedéjàobservécesgensquiseconduisentcommevosmeilleursamis–mêmesansvousconnaîtreréellement:illeursuffitd’avoirledésirdevousplaire.Donnez-vousvotreavis?Ilsacquiescent.Émettez-vousunedemande?Ilsseprécipitentpourlasatisfaire.Exprimez-vousuneplainteou une doléance ? Ils vous écoutent, compatissants, et vous donnent desconseils. Déplorez-vous le comportement de quelqu’un à votre égard ? Ilsprennent instantanément votre parti, fustigeant cet individu (connu ou non)qui vous a déplu. Car les dépendants affectifs pathologiques ne vivent quedans la quête de plaire à tout prix pour obtenir de l’amour, recevoir descompliments, être reconnus pour leurs qualités relationnelles. Certainsmots(ou expressions) semblent exclus de leur vocabulaire : « Je ne suis pasd’accord»,«Non»,«Jenepeuxpas»,«Jen’enaipasenvie»,«Là,vousaveztort»…Pourplaireàcoupsûr,ilconvientavanttoutdesefocalisersurcequivafaireplaisiràl’autre,surla«bonne»façondes’occuperdelui,deveilleràsesintérêts,d’enprendresoin.

Critèresinternationauxdespersonnalitésdépendantesaffectives

DansleDSMIV5,l’onnetrouve,dansleclassementdestroublesdelapersonnalité,que les«Personnalitésdépendantes».Cependant,cesdernièresont,évidemment,despointscommunsaveclespersonnalitésdépendantes affectives problématiques et pathologiques. Il s’agit enparticulier des « comportements soumis », de la « peur de la

Page 15: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

séparation », que ce soit dans le cadre des relations de couple ousimplement familiales ou amicales. D’autres critères leur sontégalement communs, comme la difficulté « à exprimer sondésaccordavec autrui de peur de perdre son approbation, d’être rejetées », le« manque de confiance en soi, en son propre jugement ou en sesproprescapacités».Maisaussilefaitde«sesentirtrèsmalàl’aiseouimpuissantes » quand elles sont seules, l’acceptation de tâchesdésagréables – voire parfois dévalorisantes – pour être aimées, larecherche « de manière urgente d’une relation » dès la fin de laprécédente.Cespersonnessontpréoccupées«demanièreirréalisteparla crainte » d’être laissées seules, cette peur les poussant à faire toutleur possible pour l’éviter. Elles vivent dans la terreur de l’abandon(alorsquecetermenes’appliqueenréalitéqu’auxenfants),ressententuneprofondeblessured’amour-propreàchaquecritiqueoumarquededésapprobation – ce qui contribue à la chute de l’estime de soi, déjàbienfaible.Déjà, dans la première version du DSM, en 1952, les auteurs (G.

Loas et J.-D. Guelfi) parlaient d’une « personnalité passive-dépendante»commed’uneclassedelapersonnalitépassive-agressive.Les principaux éléments permettant ce diagnostic étaient le faitd’aliéner ses propres besoins, envies et désirs à ceux des autres et lafaiblessedelaconfianceensoietdel’estimedesoi,enparticulierdansdessituationsdesolitude.Cetteclasse,quin’apparaîtplusdansleDSMII(1968),revienten1980dansleDSMIIIcommetypologienefaisantplus partie d’une autre classe, mais bien comme « personnalitésdépendantes».C’est à partir du DSM III que l’on explique l’apparition de cette

pathologie par des facteurs qui remontent à la petite enfance, enparticulier l’angoisse de séparation. Lorsque la dépendance affectiveproblématiquedevientpathologique,lespersonnesquiensontatteintespeuventsouffrirdetroublesdel’humeur,d’anxiétéetmêmes’enfoncerdansladépression.

Si les dépendants affectifs problématiques se montrent extrêmementattentifs aux autres, ils demeurent le plus souvent sourds à leurs propresdésirsetsouhaits.Cesontceuxdesautresqu’ilssaventécouter,paslesleurs,

Page 16: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

cesderniersayantdepuisfort longtempsétérefoulés.C’estauxautresqu’ilscherchentàplaireenobéissantàdesdiktatsqu’ilssesontimposés(fortementaidésencelaparleuréducation):ainsi,ilsagissentcommeilspensentdevoirle faire et non comme ils ont envie de faire.L’essentiel étant demaintenirl’image qu’ils veulent donner aux autres, celle d’une personne altruiste,gentille, généreuse, dévouée, compatissante et tellement disponible ! Maisderrièrecetteimage,leursbesoinsetenviessontétouffés,emprisonnésdansuncarcan–depeurdedéplaireàcesautresqui,seuls,lesrassurentjouraprèsjour et leur donnent l’impression d’exister. Même si cette (illusion de)sécuritésepayeauprixfortdel’oublidesoi–del’abandondesoi.Mêmesicettesécuritédemeurefragile,mêmesil’onenperdparfoislesommeil,mêmesi l’on tombe parfois aussi dans des conduites addictives pour oublier saterreurden’êtrepasaimé–oupasbienaimé,oupasassezaimé.Seul.Alors, surtout, pour se sentir exister grâce au regardpositif de l’autre sur

soi, pour croireun tant soit peuen soi, s’accorderquelquevaleur, il faut sedétourner de soi, ne jamais se révéler, taire ses « failles » pourtant bienhumaines – comme, le croient-ils, leurs émotions et leurs besoins. Alors,surtout, ne pas rater une occasion d’être aimé, d’être apprécié. Car cetteaddiction-là est terrible : le besoin va croissant, le dépendant affectif n’estjamaissuffisammentrassasiéetlesdoses,finalement,serévèlentinsuffisantespourqu’ilsesenterassurésursacapacitéàplaire.Attirerl’attentiondesautressureuxgrâceàcedonpermetdereléguerauxoublietteslapeurduvide,delasolitude,ledésamourdesoi,l’immensesentimentd’impuissanceàêtreaiméetdenerienvaloir.Carliredel’amour,del’approbationdansleregardde l’autre (cette«prothèseà l’estimede soi»6),pendantunmoment, est laseulenourriturequivaillelapeine,quijustifiel’existence.

Recherched’amour,d’approbation,dereconnaissance

«Si jesuissuffisammentgénéreux,utile,aidant,disponible,à l’écoute, jeserai aimé » : telle est la conviction profonde du dépendant affectifpathologique.C’estl’autrequiluiferasavoirqu’ilestquelqu’unde«bien»,d’aimable,ausenspremierduterme:digned’amour.Dispensersanscessedel’attention,dusoutien,delaprésencepermetd’obtenirdelareconnaissance,dans la vie privée (famille, amis, couple) et professionnelle. « Et commej’aimeraibienceluiquisauram’aimer,m’apprécier!»:telestlecredodece

Page 17: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dépendant affectif pathologique qui fera tout, oui tout, pour montrer,démontrer que l’autre a bien raison de l’avoir choisi, lui, comme objetd’amouroudereconnaissance.Peuimportentlessacrifices,l’oublidesoi:ils’agitdeplaire,ils’agitsurtoutdenepasdéplaire.

Léonard,48ans.Depuispresquetroisdécennies,savieaffectiveest«unvéritable cauchemar ». Il vit seul et, dit-il, « je fuis la solitude dansl’hyperactivité».Sapeurdel’abandonnelequittepaset,parnon-hasard,ilestattirépardesfemmes«hyperexigeantesquinesaventjamaisapprécier»toutcequ’ilfaitpourelles.Iladmetqu’ilsouffred’un«donjuanismeaigü»qui lui procure une ivresse lui permettant d’oublier sa « tristessefondamentale».Quandilnese«tuepasautravail», ilpasseunegrandepartie de son temps sur les sites de rencontre pour avoir l’illusion d’êtreentourédenombreusesfemmesafin«deremplirlevide,defuirlasolitudeetl’ennui».«Jevisconstammentdans ledésirde l’autre»,dit-ilet,«enréalité, je

crois bien que je suis dépressif. Avec mes amis comme en amour, jerecherchetrèsvitelafusion,sanssavoirmettredescadresquimeprotègent.J’ai parfois tellement peur de ne pas séduire suffisamment qu’il m’arrived’avoirdestroublesdel’érection.J’aiunulcèrequineveutpascicatriser…Je suis chaque fois tellement déçu par les femmes… Je leur en veuxtellement…etjem’enveuxaussiàmoi.Jesaisquejesuistrèsimmaturesurleplanaffectif,maispourquoiest-cequemonchoixseportetoujourssurdesfemmesquinemecomprennentpas?»Léonardvitdansl’angoissequasiperpétuelleden’êtrepasaimé,pasbien

aimé, angoisse qu’il transpose sur ses performances sexuelles etprofessionnelles. Ainsi il ne se remet pas d’avoir échoué, il y a fortlongtemps de cela, à un concours important. Son image, très importantepourlui,s’enesttrouvéerabaisséeetilnes’enrelèvepas.Remplidepeurs,ilressentaussiauplusprofonddeluiuneimmensecolèrequ’ilexprimeavecune«violenceverbaleproportionnelle»àsasouffrance.Alorsqu’ilfuitleconflitcommelapeste.Léonardestprofondémentmalheureux:ilnes’aimepas,etdéclarequ’il

nesaitpasàquoiçapourraitbienluiservirdes’apprécierdavantage…

Page 18: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Les « règles comportementales » des dépendants affectifs pathologiquesdictentconstammentleursactesvis-à-visd’autrui.Donner(desontemps,desonénergie,desapersonne,desonargent),prendresursoilesproblèmesdesautres (qu’ils en aient ou non exprimé le désir), prendre enmain leur bien-être,éviteràtoutprixlesdésaccordsetlesconflits,éviterdedéplaireetd’êtrecritiqué, dissimuler ses propres émotions et désirs, être toujours de bonnehumeuretdisponible,empathique,compatissant.«Tantquejefaislebonheurde l’autre, je suis heureux », sous-entendu (et inconsciemment le plussouvent):«Tantqu’ilaurabesoindemoi,ilm’appréciera.»Lesdépendantsaffectifspathologiquesapprennentainsiàseconformerauxdésirsdesautres(à ce qu’ils croient être les désirs des autres) en espérant satisfaire leurspropres besoins (besoins qu’ils ne s’avouent que rarement), sachant que leseulquicomptevraimentestceluid’êtreaimé.

Ladépendanceaffectivenesedéclinepasqu’auféminin

Des siècles durant, l’on a seriné deux choses aux fillettes et auxadolescentes, lesdeux seules chosesqui, pensait-on, feraientd’elles àcoup sûr des femmes respectables et respectées : plaire aux hommespourtrouverunmariet,afindenepasêtrerejetéesouabandonnées,seconformer totalementà leursdésirs.Leurbonheurn’étaitpas le sujet.C’estainsiqu’ellesontété«formatées»pourséduire–et,cefaisant,aliénerleurproprepersonnalité–etsubir.Lalittératurenemanquepasd’exemples!CommelerappelleAliceMiller7:«Lesfemmes(étaient)prêtes à payer de l’humiliation et de la violence leur tendresse. »Conditionnéespourdevenirdesdépendantesaffectivespathologiques…Mais il ne s’agit bien sûr pas que des femmes. Cette dépendanceaffectiveserencontretoutautantchezleshommes.Toutcommelapeur(la terreur pour certains) d’être quittés, l’angoisse de la séparation, lesentiment d’incapacité à se prendre soi-même en charge, à êtreautonomesontdéclinéssansdistinctiondesexe.

Pour obtenir de l’amour, de l’admiration pour son dévouement, de lagratitudeaussi,delareconnaissanceetdel’approbation,ledépendantaffectifpathologique aliène totalement sa liberté et refoule longtemps ses propres

Page 19: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sentimentsetémotions–jusqu’às’enrendremaladeparfois.«S’illefaut,jeme transformerai en serpillière, pourvu qu’onm’aime », dit Luce. Tant il abesoin,tantilestabsolumentnécessairepourluideplaire,encoreettoujours,tantl’amitiéoul’amourdesautresluiestvital.Sanspourautantsedemandercequ’il éprouve lui-mêmepour ces autres, sansmêmes’enquérirdecequeces derniers désirent vraiment. Car il ne leur donne que ce qu’il voudraitrecevoir,sanschercheràsavoircequecesautresattendentréellementdelui.Viendrait-on luiexpliquerquechaqueêtrehumainestuniqueetdifférentdetouslesautres?Ilserendraitsourdàcediscoursquil’obligeraitàseremettreen question, lui, ce « spécialiste » de l’amour. Et si cet amour, cetteapprobationviennentàluimanquer,sileregarddel’autresedétournedelui,ils’écroule,s’effondredanssonméprisdeluietnes’enrelèvequ’enplaisantailleurs.«Àl’insupportableregarddel’Autrequichoit,répondcettedemandecannibaliquedelaprésence8.»Denombreuxauteursontdécritcetteaviditéquel’onretrouvechezcespatientspathologiquementdépendants.Cetteformed’avidité correspond tout à fait au phénomène de manque, terme utilisélorsquelaprisedeproduittoxiqueestdevenueuneaddictionetquecederniervientàmanquer.Certains dépendants affectifs pathologiques, dans leur quête infinie de

reconnaissance, deviennent des « bourreaux de travail » totalementdépendantsdeleuractivitéprofessionnelle–ouassociative–quileurapportetantd’approbationetlesvalorise.Nonseulementilsnerechignentjamaisàlatâche,maisilssechargentsouventdetravauxdontdescollèguessedéfaussentsureux.Etnonseulementilsnerefusentpasceseffortssupplémentaires,maisilsprennentaussienchargelesdifficultéspersonnellesdesgensquitravaillentaveceux.N’étantjamaistoutàfaitcertainsquelesautreslesadmirent,ilsnesont jamaisenpaixetnes’octroientaucunrepos.Il leurfautaider,soutenir,encourager,écouter,plaindre,consoler,sansjamaisriendemanderpoureux:ilseraithonteuxethumiliantdenepasallerbien.L’onparle souvent de « personnalités narcissiques » au sujet des patients

dépendantsaffectifspathologiques.Rappelonsquelenarcissismeprimaireestle sentiment d’omnipotence du très jeune enfant. Le narcissisme secondaires’installe quand cesse la fusion entre lamère et son enfant : celui-ci, en setournant vers lui-même, va compenser cette perte. Ce rapprochement estlogiquedans lamesureoù l’égocentrisme se retrouve, entre autres, dans lespersonnalitésditesnarcissiques.D’aprèsleDSMIV,lesprincipauxaspectsen

Page 20: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sont lebesoind’être admiré, le fréquentmanqued’empathie, l’illusiond’unamouridéal, lebesoinexcessifd’êtreaimé,l’utilisationd’autrui.Commelesdépendants affectifs pathologiques, les personnes ayant une personnaliténarcissique sont souvent envieuses, ont tendance à la manipulation,multiplient les courtes amours successives.Elles souffrent de somatisations,d’anxiété, deviennent la plupart du temps dépressives et ont descomportementsaddictifs(drogues,abusd’alcool,etc.)

Lesbourreauxdetravail

Dans une société où la compétition, le culte de la performance, del’excellenceetl’insécuritédel’emploifontrage,quandtouslessalariés– quelle que soit leur place – sont aujourd’hui sur des « siègeséjectables»etquandlestravailleursindépendantsignorentcombiendetempsilsvontpouvoir«tenir»,lesbourreauxdetravail(appelésaussiworkaholiques, un terme qui n’a que 20 ans d’existence !) sontextrêmement nombreux. Quel meilleur moyen d’obtenir de lareconnaissance,deseforgeruneimagegratifianted’eux-mêmes?Quelmeilleur moyen de se sentir exister ? Et ce n’est pas toujours pouramasserdel’argent.Nousenrencontronstouslesjours,oupresque.Ilsvont en vacances – huit jours par-ci, par-là, car ils n’aiment pasbeaucoup ça – avec leur téléphone portable professionnel et leurordinateur, au cas où l’on aurait besoin d’eux de façon urgente. Êtreindispensable, se montrer disponible à tout moment, sacrifier sa viepersonnelle(familiale,amicaleetsociale)autravail,confondrevivreettravailler:tellessontlescaractéristiquesdes«alcooliquesdutravail».Ilssontportésauxnues,encensésetmontréscommemodèles.Commes’iln’existaitquecettefaçonderéussirsavie…Pourtant,lesmédecinsspécialisésdansl’addictologielesconnaissent

bien,lesthérapeutesaussi:ilssontdépendantspathologiquesautravail.Leurssymptômesfontpartied’untableaucliniqueprécis:«Migraines,hypertension, problèmes cardiaques et rénaux, indigestion, douleursgastriques, insomnies. Irritabilité,agressivité,apathie, tristesse,colère,troubles du comportement, anorexie ou boulimie9. » Quand lesantidépresseursetlesanxiolytiquesnesuffisentplus,ils«craquent»:

Page 21: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

c’estleburnout,ladépression,l’angoisse.Ilsnecomprennentpastrèsbienpourquoi,persuadésden’êtremotivésqueparuneambitiondebonaloi qui correspond à notre modèle de société. L’épuisement est toutautantphysiquequepsychique.Àpartirdumomentoùlavieprivéedecesfemmesetdeceshommesn’estplussuffisammentpriseencompte,qu’elleestsacrifiée,ils’agitdedépendanceautravail.Les bourreaux de travail, pratiquant inconsciemment l’autothérapie

(commetouslesdépendants),sesontjetéscorpsetâmeperduspournepluspenseràautrechosequ’àleuractivitéprofessionnelle.Surtout,neplusressentir,évitertouteconfrontationavecsoi-même.Ilssontleplussouventnésdansunefamilleoùl’onconfondaitl’êtreetlefaire,oùlaréussite et l’efficacité étaient des valeurs prépondérantes, ce qui,inévitablement, a provoqué une faille importante dans la constructionde leur narcissisme, d’une image positive d’eux-mêmes. Toute cetteagitationpour…pourdevenir,untemps,ceshérosdestempsmodernesquiprônent ledépassementdesoi. Ilscroientnepouvoir recevoirdesmarquesd’approbation,d’amouretdereconnaissancequ’enfonctiondeleurpuissancedetravail.Cequiexpliqueleurdépressionlorsqueleursrésultats sont moins bons, qu’ils éprouvent des difficultés à seconcentrer…Carmêmele tempsdelafiertépourcequiestaccomplis’efface devant l’angoisse née de l’incertitude à maintenir le mêmeniveau de réussite. Lorsqu’ils entrent en dépression, ce qui est biennormaltantilsfontsubirdeviolenceàleurpsychismeetàleurcorps,les bourreaux de travail décompensent enfin. De façon brutale etinattendue : ils souffrent d’une sévère overdose. En s’écroulant, ens’effondrant,ilsperdentleurraisond’exister:lareconnaissance.Mais,ce qui est positif, ils vont enfin avoir la possibilité de prendre soind’eux…

Si leur humeur semble plutôt égale et joyeuse – elles donnent d’ailleursl’impressiond’avoiruneassezhauteestimedesoi–,ilnes’agitlàqued’uneapparence, car le contrôle sur elles-mêmes est grand, pour dissimuler leurcrainted’êtrecritiquées,dedéplaire,d’êtrerejetées.Cettemaîtrisedechaqueinstantnerésistecependantpastoujoursàdesaccèsdecolèreincontrôlables.Dansleurvierelationnelle,lanuanceestrarementdemise.SelonleDSMIV,lesautressontsoitadmirés,soitutiles,soitméprisés.Cequenousobserverons

Page 22: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dansdenombreuxexemples.Ilestpossibledecomprendrecettepathologieenanalysant leur enfance : leur développement se serait arrêté au stade de lacentralitédeleursbesoins.Cequiimpliqueque,devenuesadultes,ellessoientégocentriques – sans remettre en cause pour autant leurs facultésintellectuelles.Lespersonnalitésnarcissiquesontainsidescomportementsqui,parfois,se

rapprochent de ceux des personnes souffrant de troubles de la personnalitéhistrionique.Seretrouventeneffetlaquasiconstantequêted’attentionvenantd’autrui, lesattitudesvisantàsemettreenvaleur,àséduire(laséductionestdevenue un véritable besoin, celui de plaire), attirer le regard ou lacompassion.Carilfautêtreet restersous lesprojecteurs.L’égocentrismedecespersonnesesttrèsmarqué,toutcommeleurdépendanceauxautres.Leurintoléranceàlafrustrationpeutaussilesconduireàladépression.

Lepiègeduperfectionnisme

Nonseulementilseraithonteuxethumiliantdenepasallertoujoursbien,mais il serait honteux et humiliant de n’être pas parfait.La perfection !Unidéaldonttantdepatientsenthérapiepeinentàsedéfaire.Cars’ilsnesontpasparfaits,onrisquedenepaslesaimer,onrisquemêmedelesrejeter.Oubienilsvonttrahirleursparents,toutaumoinslesdécevoir.Ledroitàl’erreurleurest (depuis toujours) interdit – ou alors il peut coûter parfois très cher. Carc’est la peur, la terreur pour certains, qui les maintient sur le chemin del’illusoire perfection. Lemoindre faux pas les entraînerait sur la voie de lamoquerie,dumépris,deladésapprobation.Etquedeviendraitlabelleimage?Commentregagnerlaconfiance,l’estime,lerespectdesautres?Lapressionconstanted’unidéaldeperfectiontendleurcou,raiditleursépaules,briseleurdos,troubleleursommeil.Qu’importe!Cette«idéalopathie10»conditionneleurscomportements.Tyrannique,exigeanteàl’excès,ellelesmaintientdansleurextrêmedépendanceetleuréviteladépressionoùlesentraîneraienttoutmanquement,touteerreur.Charlottevientjusted’avoir40ans.Chefd’entreprise,mèrededeuxjeunes

enfants,savieest«unetornade».«Bourreaudetravail»,elleveilleaussiaubien-être de ses employés, se dépensant sans compter.Cequi ne l’empêchepas de tenter d’être une «mère parfaite », très dévouée à ses enfants, toutcommeune«femmed’intérieurparfaite»etune«compagneparfaite».Elle

Page 23: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

vitavecM.depuisseptans,M.quiaungrosproblèmedetoxicomanie:J’aiétéunepetitefilletrèsgâtéeparlavieetj’aipeurdedevoirlepayer.

Alors même si cette peur parfois me paralyse, je m’efforce d’être lameilleurepourmontrerquejenesuispasingrate.C’estvraiquejedoistoutassumer,mais jene veux surtoutpasqu’onmeplaigne.Après tout, il fautsouffrirpourréussir,non?Etjemedoisdefairefructifiertoutcequej’aireçu.Laseuledifficultéquejerencontre,c’estlerelationnelavecM.Ilpeutêtrecharmant,maisleplussouvent,ilmecritique.Selonlui,jenesuispasunebonnemère,jem’occupemaldelamaison,jesuistropgentilleavecmesemployés. Pourtant je fais ce que je peux alors que je ne peux jamaiscomptersurlui.Jeneluireprochepassesproblèmesdedrogueoud’alcool,jeveuxseulementquelesenfantsnelevoientpasquandilnevapasbien.Peut-être que je ne suis pas assez compréhensive, peut-être que je lui endemande trop… Ilmemetunepressionénorme sur tous les tableauxet jefais vraiment ceque jepeux…La seule vie socialeque j’ai, c’est grâceàmon travail : je rencontre beaucoup de gens qui ont l’air dem’apprécier.C’estagréable.Cequejenecomprendspas,c’estpourquoij’aitoujoursétéattiréepar lesécorchés…Jesuis insatisfaitedemoienpermanence,alorsque j’ai l’impression de tout gérer le mieux possible…C’est comme à lamaison : j’ai été une enfant très sage et une adolescente sans problème.Maisonsemoquaittoujoursdemoiàlamaisonparcequej’avaisunTOC:jemedouchaisaumoinstroisfoisparjour,cequifaisaitriretoutlemonde.Ma mère m’a même demandé de participer au règlement de la factured’eau…Jevisconstamment«dansunétatd’urgenceinterne»pourquetoutlemondesoitcontent…« Seule la perfection m’apportera l’amour et la reconnaissance dont j’ai

besoin pour vivre » : ainsi se formule la croyance des dépendants affectifspathologiques. Un tel idéal ne donne aucune permission, n’impose que desinterditsetdesdevoirs,qu’ils’agissedel’apparence,desactesoudesparoles.Lavieémotionnelleestmuréecarilfautsetairesurcequel’onressent:lesseulesexpressionsautoriséessontlajoiedefaireplaisir,lecontentementd’yavoirréussietlapeineéprouvéefaceàladouleurdel’autre.Puisquenesontimportantesque lesémotionsdesautres : tels lescaméléonsquiprennent lacouleurdelafeuille,cesgrandsdépendantsaffectifsseréjouissentdubonheurdesautresetsedésolentdeleursmalheurs.Dumoinslecroient-ils,maisleuridéal de perfection les a coupés de ce qu’ils ressentent vraiment au plusprofondd’eux-mêmes.D’unehumeurenapparenceégale,ilsseconformentà

Page 24: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

ce qu’ils croient que les autres exigent d’eux. Et lorsqu’ils évoquent leurspropresémotions,ilssecantonnentàleurbonheurderendrelesgensheureux,d’avoirpulesaider…Ilexisteuneautrefaçondevivreladépendanceaffectivepathologique,plus

discrèteetmasquée.Elleserencontrechezlespersonnesquiclamenthautetfort qu’elles n’ont besoin de personne, qui sont généralement à l’écoute deleurs besoins et désirs qu’elles parviennent parfois si bien à satisfaire qued’aucunspeuvent lesaccuserd’égoïsmeoud’égocentrisme.Si l’on s’avisaitde leur proposer un diagnostic de dépendance affective, elles necomprendraientpasetlerefuseraient.Ellesnesontpasenrechercheconstanted’amouroud’approbationetsemontrenttoutàfaitcapablesdes’exprimersurleursidées,certainesdeleursémotions,leurssouhaits.Leplussouvent,ellesviventtrèsbienleurcélibat,enapprécientleconfortetlaliberté.Lorsqu’ellessontamoureuses,elleséprouventassezvite–passéslespremiersémoisdelapassion– le sentimentd’étouffer, elles se sententoppressées,commesi leurpartenaire, au fil du temps, les entravait.Cequi, auboutdequelque temps,leur devient si invivable qu’elles provoquent la rupture11. Cette description,bienqueromanesque,pourraittrèsbienleurconvenir:«Ilyeuttoujours,aumoins, deux femmes en moi, une femme perdue et désespérée qui sentaitqu’elle se noyait, une autre qui entrait dans une situation comme elle seraitmontéesurscène,dissimulantsesvraiesémotionsparcequ’ellesn’étaientquefaiblesse, impuissance, désespoir, pour présenter au monde un sourire, del’ardeur,delacuriosité,del’enthousiasme,del’intérêt12.»

Florence,38ans:«Jemanquaidetomberamoureuse.Vraiment.Detoutemahauteur,detoutmonlong.Maisuncertaininstinctdesurviemesauvalavie et le cœur. Je décidai, car l’hommeme plaisait, et j’étais joueuse, dem’amuserensacompagnie.Touteladifficultérésidaitenunpointprécis:commentnepassebrûlerlesailes,comments’épargnerdenouvellesplaies.Noustraversâmesle fleuvepournousembrassersursarive,commedes

enfants.Oui,ilmeplaît(attention,nepassonspasleRubicon…).Alorsoui,mapeaubrûlecontrelasienne,commelasiennebrûlecontremapeau.Celane dure pas. Cela ne durera pas. Le temps… Aussi fugace qu’un vold’hirondelles.Il va falloir bientôt se refuser, esquiver, dire non, pour ne pas passer le

fleuvesacré,pourseprotégerdesblessurestropprofondes.Ettrèsbientôt,trèsvite,bienplusviteencore,monprintempsauragoûtélegoûtd’unepeau

Page 25: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

quemon été ne connaîtra pas.Ma vie va ainsi. Elle est compliquée, et jechoisisleshommesquilatraversentetmerenversentenconséquence.C’estcequejeveux.Enfin…Dugoûtdélicatd’unepeauàlablessureduventetdelapluie…Celame

donnedejolismots,debeauxsouvenirs,etdeslendemainsfourbus.Jesaissibien jouer lerôlede la fillequines’attachepas,quigardesadistance.M’imposerunedistancede sécurité.Maisparfois, peuàpeu, je sensbienque je faillis. Je flanche, je vacille. Je sens quelque chose de nouveau aufonddemoi.Quipourraitmeporter…Quipourraitfairequelesoleilbrillemême par temps de pluie. Parfois, au fond de moi, je sens une histoirenaître.Maisjerestecalme.Jeneveuxpasentendregrincerletapisdeverrebrisésurlequeljemarche.Gardertoujourslatêtehaute,malgrétout.»Ces femmes sont très autonomes dans tous les domaines de leur vie,

indépendantesetsûrementpasdéprimées,enfinlaplupartdutemps.Pourtant,leur vie amoureuse est faite de ruptures successives tant elles craignentl’engagementdanscedomaine.Florenceatoujourseu«peurdel’engagementtotal », elle se décrit « très exigeante, trop impatiente » : « Je me tiens àdistancepourmeprotéger.Alorsjesuistoujourslasecondetantj’aipeurdesouffrir.Etmaplusgrandepeurestdefaireunerencontreentantque«femmequi cherche l’amour » : je ne veux pas qu’un homme pense ça demoi. Jerefuse d’imaginer qu’un homme puisse découvrir ma plus grande faille :n’être pas parfaite. Mon adolescence m’a permis d’agrandir ma palette deculpabilitéetdedénigrement.Mesparentsm’ontfoiréleuramour,j’aivumamèretellementsouffrir,quel’amourmefaitpeur.Etpourtant,parfois,jemelaissealleràrêverd’unhommequim’aimeetmeprotège.J’auraistellementaiméquemamèremedisequ’elle croyait enmoi,qu’ellem’aimait commej’étais ; que mon père me dise que j’étais intelligente… » Leur volontéfarouched’indépendance«totale»n’estpasrassurantepourlespostulant(e)sen amour qui se heurtent à unmur et sont déroutés, dans tous les sens duterme.Quandellesnesontpascélibataires,ellessont trèssouventdéçuesetfrustréesparlapiètrequalité(àleursyeux)deséchangesdemarquesd’amour–maispréfèrentsetaire.Mêmeavecleursami(e)s,pourtantnombreux.

Anabelle,36ans:«Depuislafindemonadolescence,j’aitrèspeurdem’attacher,demeperdredansdessentimentsamoureux,demedévoiler,demesentiraffaiblieetvulnérable.Pourtant,jen’aimepasvivreseule,alorsjesorspresque tous les soirs, je rencontredeshommeset des femmeset j’ai

Page 26: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

craintunmomentque jesouffraisd’addictionausexe.Dans la journée, jememontresilencieuseetplutôtsombrepourtenirlesgensàdistance…»Pourquoi alors parle-t-on de dépendance affective pathologique pour ces

personnesquisontautonomes,responsables,quisaventtrèsbienseprendreencharge et ne sont en rien isolées, tout en ne craignant pas, apparemment, lasolitude?La raison résidedans leur enfance : aucuneenvienepouvait êtreexprimée – et donc encoremoins satisfaite. La constante intrusion de leursparents, par ailleurs tyranniques quant aux idées, pensées et sentiments« autorisés », les a à ce point empêchées de développer leur proprepersonnalitéqu’elleséprouventde trèsgrandesdifficultésàassocier intimitéet amour, engagement et amour authentique. Les demandes de l’autre sontsouventvécuescommedesintrusions,l’expressiondeleuramourcommedesfreins à leur indépendance. Une indépendance qu’elles défendentfarouchement…auprixdeleursolitude.Ellesviventainsiuncombatintérieurparticulièrementpénible,combatentreleurdésird’aimeretd’êtreaiméesetladéfensede leur indépendancesi chèrementacquise.Exprimer leursdésirsetleurs émotions, formuler des demandes sont des comportements qu’ellesévitent : elles se dévoileraient et, ce faisant, oseraient prendre le risque derévéler leur vulnérabilité.Alors, trop souvent, elles se satisfont de relations«ensurface»,oùsensualitéetsexualitéprennenttoutelaplace,oupresque.Pourtant,toutaufondd’elles-mêmes,ellesnecomprennentpaspourquoiellesne « tombent » que sur des hommes qui ne sont pas disponibles, pourquoiellessonttoujoursla«deuxième»,pourquoiellessont,finalement, toujoursseules.

Lasuradaptationaudésirdel’autre

Les personnes dépendantes affectives pensent et décident leurscomportements selon ce qu’elles imaginent du jugement des autres à leurendroit–jugementforcémentprésumé.Ellesbâtissentdeshypothèsessurlesattentesdesautresvis-à-visd’ellesets’ajustentàceshypothèses.Etpuisqu’ilfautêtreparfait,ilfautaussisetaireensoietsetaireàl’autre.Carentretenirl’image impose de garder sous silence – de ne même pas imaginer – unecritique,unjugementnégatif,uneidéedifférente,l’expressiond’unsentimentpersonnelquiiraitàl’encontredelarelationparfaite,del’ententetotale.Lesdépendantsaffectifspathologiquessontmuselésparleurbesoinimpérieuxde

Page 27: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

plaireetd’êtreapprouvésentout.Cenesontpasleursdésirsquicomptent(ilsn’enontconsciencequ’aucreuxdeleursolitude),maisceuxdel’autre.Leursidées,croient-ils,n’intéressentpersonneetrisqueraientdeheurtercetautrequipourraitalors lesrejeter,neplusportersureuxceregardgrâceauquel ilssesententexisteretpeuventcontinueràvivre.

Commentreconnaîtreunedépendanceaffectivepathologique?

Pour diagnostiquer une personnalité affectivement trop dépendante,plusieursélémentssontàprendreencompte.Entoutpremierlieuuneestime de soi très faible (voire inexistante), un besoin majeur de sesentirsinonaiméedumoinstrèsappréciéeet,conséquencedirectedecebesoin,unevéritable terreurde laséparation,vécuecommeunrejet–quiluidémontrerait,unefoisencore,sonimpuissanceàêtrereconnuecomme quelqu’un de « bien », d’« aimable ». D’autres facteurs sontimportantspourconfirmerunteldiagnostic,commelafaçondontsontvécues(ouontétévécues)lesruptures–danslafamille,enamitiéouenamour,ouencoredanslessituationsdedeuil.Si,pourcesderniers,les dépressions dites réactionnelles sont considérées comme« normales » et parviennent à être surmontées, le plus souvent lesdépressions des personnalités affectivement trop dépendantess’installentets’accumulentaucoursdelavie,qu’ellessoientreconnues–oudiagnostiquées–ounon.Un autre élément est également à prendre en compte : l’anxiété

ressentie devant la solitude, entraînant presque automatiquement unerecherche quasi obsessionnelle d’autres relations (amicales ouamoureuses).Doncl’impossibilitéàs’imaginersansaucunlienaffectif–cequi,enréalité,estunesituationexcessivementrare.

Alors, au prix de graves et très nuisibles contorsions avec leur identitéprofonde,aveccequ’ilssontvraiment,cesgrandsdépendantsacceptentnonseulementdes’adapteraudésirdel’autre,maisdes’ysuradapter–telsdesenfantsquicraignentdeperdreleseulamourquileurimporte,celuideleursparents.Ettantpiss’ilssontappréciés,aiméspourcequ’ilsnesontpas,pour

Page 28: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

leurgrandtalentàjouerunrôle:l’essentielestd’êtreapprécié,aimé,parfoisadmiré.Ettantpissileursactesvontàl’encontredecertainesdeleursvaleurs,pourvuqu’ilsconviennentàl’autre.C’estainsiqu’ilspeuventsesurprendreàaffirmerdesidéesquinesontpaslesleurs,àémettredesopinionsdifférentesdecequ’ilspensentvraiment.Ilspeuventmêmementirdélibérémentpournepas risquer la désapprobation, protégeant ainsi leur image – et jouantparfaitementleurrôle.Jusqu’à ne plus savoir ce qu’ils pensent vraiment. Car il est bien ici

questiond’unrôledontl’autreécritlesdialoguesetorganiselamiseenscène– malgré lui. Les grands dépendants affectifs n’ayant pas droit à laspontanéité, ils ne font que réagir : leurs paroles, leurs actes viennent enréponseàl’autre,cequ’ilattend,cequ’ildésire,cequ’ildit,faitetveutfaire,pense,etc.S’ils sedonnent ledroit à l’initiative, cen’est qu’en fonctiondel’autre : ce qui peut lui plaire, le contenter. Pour qu’il ne se détourne pas,surtoutpas.Afind’éviterunerépliquemalheureuse,ilssecontiennentjusqu’àparaîtreparfoisrigides–maistoujoursàl’écoute,attentifs.Puisqu’ilfautsanscesse se contrôler pour rester aimable, le plus aimable. Jusqu’à ne plussavoir non plus qui ils sont vraiment : à force de porter un masque, uncostume qui ne sont pas les leurs, bon nombre de ces grands dépendantsaffectifssontdansun fauxself. Ilssesont tellementcoupésde leurvéritablepersonnalité,deleurvéritableidentité,qu’ilsfinissentparconfondrelerôleetleurréalité.Uneréalitéqu’ilsn’aimentpas,quilesconfronteraitdirectementavec leurproblème,une réalitéqu’ils refusentde regarderen face.D’autantplusqu’ilsn’apprécientpasvraimentletête-à-têteaveceux-mêmes,loins’enfaut : ilsont tropbesoind’êtreentourés.Lasolitudeestbien troppénible…Ellerisqueraitd’imposeruneformedeconfrontationavecsoi-mêmeavecsoncortèged’émotionsétouffées,deproblèmespsychoaffectifsnonrésolus…etsianciens!Jusqu’àneplussavoircequ’ilsressententvraiment.Tellementsoucieux

de l’humeur de l’autre, craignant tellement le mot maladroit, le geste malcompris, ils se raidissent dans leur désir demaîtrise de ce qu’ils pourraientdireoufairequidéplairaitàcetautreàquiilsdonnenttoutpouvoirsureux–lepouvoirdelesrendreheureuxoumalheureux.Unpouvoirquelaplupartdutempscetautreignore…Yalcina35ans:enfantmaltraitéparunpèretyranniqueetsadiqueetune

mère à la fois dépressive et cruelle, il continue, adulte, à se suradapter aux

Page 29: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

désirsetbesoinsdesautres.Depuissapluspetiteenfance, ilcèdeà tous leschantages de ses parents, de ses frères et sœurs. Il vit aujourd’hui avecunefemmeunpeuplusâgéequelui,qu’ilneparvientpasàquitter:

Pournepasmesentirseul,jemerendaiscomplicedetouteslesbêtisesdemesfrères:commej’étaisleplusjeune,ilsm’obligeaientàprendresurmoileursfautesenmemenaçantdeneplusjoueravecmoi.Pourmepunir,monpère me contraignait à rester des heures à genoux, les bras levés, mesurveillantouchargeantmesfrèresdemesurveillerà tourderôle.Quandmamèreétaitencolère,ellemepinçaittellementfortquej’avaisdesbleuspleinlesbras.Macompagne,I.,areprisleflambeaudemesparentsenseplaignanttout

letempsdesespropresparents,nem’écoutantqued’uneoreillelorsquejeluiparlaisdesmiens.Pourluiplaire, luimontrerquejevivaissespropressouffrances, j’ai développé une empathie surdimensionnée. En réalité, j’aiacceptédevivreavecellepour fuirmesparents. Ilyaquinzeansdéjà.Jesuisalléjusqu’àm’interdiredepartiravecelleenvacancespourlaissermaplaceàsonfrèrequi,disait-elle,étaittrèsdéprimé.Il y a sept ans, j’ai rencontré une jeune femmeavec qui jem’entendais

bien.Jel’aiditàmacompagne,cequim’acoûtébeaucoupd’efforts,maisellem’aordonnéderesteravecelle,metraitantdetraître,demanipulateur.Enréalité,j’ail’impressionqu’ellem’empêchedepenserpuisque,àlafindenos discussions, elle me prouve toujours que j’ai tort. Je ne peux pas laquitter,jen’aipasledroitdelafairesouffrir.Jen’aijamaissudirenon,jen’aijamaisriendemandépourmoi.Toutaucontraire:mafamillepeutmedemanderdel’argent,desservices,jesuistoujourslàpourtoutlemonde.Jesuisallévoirunpsyqui,àlapremièreséance,m’atraitédec…molles13:jeneluiairienrépondu.J’avaisenviedemourir.Là,quandjeviensvousvoir,jeretrouvedelaforce.Maisjesaisqueçane

tiendrapaslongtemps,c’esttropprofondenmoicettepeurdedéplaireauxautres…Pourtant,mapirecrainteestjustementd’êtreaimé,carc’estalorsque je me perds moi-même : j’accepte tout de l’autre, je fais tout pourl’autre.Jedisparaiscomplètement–etjefinisparluienvouloir.Les dépendants affectifs vont jusqu’à vivre, dans leurs relations

Page 30: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

amoureuses,unesexualitépeusatisfaisante:leplaisirdel’autreétantleurseulepréoccupation–unefoisadmiselacertitudequecetautrelesdésire–,ilfaut alors, comme dans tous les autres domaines, se soumettre au (à la)partenaire.Quel’onéprouveounonl’enviedefairel’amour,quel’onsoitounon dans ce désir : la soumission à l’autre est largement prioritaire, peuimportesonpropreplaisir.Et,surtout,nejamaisdirequel’onpréféreraitjusteun câlin, que l’on n’apprécie pas telle ou telle pratique, que l’on voudraitdormir,oubienmêmepartir…

Durôleàlamanipulation

Cettemaîtrise,quiexerceunetensionbienpénible,impliquecependantuneforme évidente de manipulation. Car le projet est de se faire aimer :comportements de séduction, amabilité, douceur, serviabilité et disponibiliténe sont pas totalement désintéressés. Même si bon nombre de grandsdépendants affectifs excellent dans leur rôle, depuis très longtemps, jusqu’àoublierqu’ilsjouentunrôle,iln’enrestepasmoinsquelamanipulation,bienréelle,sedissimulesouventderrièreuneextrêmegentillesse.

Lucien a 38 ans. Son divorce vient d’être prononcé, après six ans d’unmariageplutôtmouvementéavecNina.«J’ailesentimentdeneplusexister,disait-il en sortant du tribunal, je passe mon temps à me remettre enquestion. En même temps, je suis en colère contre notre incapacité àcommuniquer.» Il ressentunegrande tristesse,amêmepleuré, jusqu’àcequ’il trouve la solution : « Je ne veux plus tenir compte de ma tristesse.Désormais,jenevivraiquedanslemental.Rideausurmesémotions.»Depuisdeuxans,ilvitavecS.:ils’ennuie,alesentimentd’êtreenfermé,

cequiprovoqueenluiuneirritationqui,accumulée,estdevenuedelacolèrecontrecettefemme.Ilestdevenudistant,n’éprouveplusdedésirpourelle.Ilsesentfatigué,trouvequeS.estdevenuetropexigeanteaveclui.Ilvoudraitqu’ellepartemaisneparvientpasàleluidire.Sonestimedeluiestsifaiblequ’il ressentunegrandeémotionà l’idéequ’il pourrait êtreaimépour cequ’ilest.Trèssensibleàl’imagequ’ildonneauxautres,ilsepiègelui-mêmeens’infligeantdesrèglescomportementalestrèscontraignantes:«Jeveuxêtreadmiré,doncjenedoisjamaisdécevoir.Sijesuisspontané,onjugeramal ce que je fais ou dis, donc je me ferai remarquer et jugernégativement.»

Page 31: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Lucien est littéralement « terrifié » à l’idée qu’on ne le trouve pasintelligent,c’estpourluiunequalitéfondamentale:ainsiilsecontientsansrelâche.Ilsecoupedesesémotionspourêtreenmesuredese«régulerpourmieux se contrôler ». « Je veux que l’onm’admire pourmon équanimité,mon infini respectdesautres,maqualitéd’écoute.» Ilaimeraitaussi êtrequelqu’un de connu pour se faire « remarquer par les filles », dit-il ensouriant. Il a bien conscience qu’il est beaucoup trop sensible à ce quepensentlesautresdeluisurleplanintellectuel.Dans sa vie de couple avec S., il ne dit jamais ce qui le dérange pour

éviter les discussions pénibles. Il « laisse pourrir la situation pour ne pasprendreenchargelaséparation».D’autantplusqu’ils’estdéjàdétachédesacompagneetexprimel’enviedevivrequelquesaventures…Maisilnesaitpas très bien « quel rôle jouer » : « Si jememontre joyeux, on pourraitabuser demoi. Si jememontre rassurant, protecteur, j’aurai le bon rôle,mais je risque dem’oublier. Pourtant, quand je suis amoureux, j’ai envied’aiderlafemmeàs’épanouir,jel’encourage.Jesuispersuadéquec’estcequ’unefemmeattendd’unhomme.Jeseraialorsdansledésirdel’autreetj’oublierai lemien. Je ne peux décemment pas dire à une femme que j’aijusteenviedelaséduire,d’êtreséduit,devivreunebelleaventureavecelle,ou simplement de la sauter. J’aime donner mais je donne trop. Je vaischanger de tactique, mais comment dire aux femmes que j’ai besoind’isolement,dedistance,quejedoisgarderlecontrôle…C’estpourçaquejemontredemoideschosespasvraies,pourêtresûrd’êtreaccepté,aimé…Jen’aipasledroitdem’affirmertelquejesuis,alorsjesuissanscesseensuradaptationàl’autrepourêtreaimé…Jefaislegentil,c’est-à-direquejedonne ce qu’on attend de moi, de la gentillesse… Je ne dois surtout pasmontrerquejesuiségoïste,etjenelesuispas…Jedoisrendreunefemmeheureuse,mais je ne peux pas être aimé tel que je suis, alors je suis tropgentil…»Lucienadécidéd’arrêterd’être« tropgentil»avec les femmes :après

unenuitpasséeavecunejeunefemmerencontréesurunsiteInternet,ildit:« Je l’ai sautée puis virée ! Elle me caressait la tête ! J’en ai assez desfemmesfusionnelles!»Et,avecd’autres–carenquelquespetitessemaines,il s’est retrouvé entouré d’une petite cour –, il admet qu’il cherche à lesmanipuler : « Quand nous bavardons, je leur démontre que je sais etqu’elles ne savent pas, c’est une façon de me valider et de prendrel’ascendantsurelles.Etaussidemeprouverquej’aidelavaleur:comme

Page 32: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

ellesvontm’aimer,jevaispouvoirdirigerleurssentiments»…Exposez-vous un problème ? Les dépendants affectifs problématiques ou

pathologiques vous trouvent une solution. Ils seraient même capables d’entrouversansqu’ilyaitréellementdeproblèmeoudedifficultéàrésoudretantils sont à l’affût de votre gratitude. Ils peuvent ainsi se charger de tâcheséminemmentdésagréablessansrechigner–surtoutpasdevantvouscarilfautêtreparfait.Cequinelesempêchepas,nousleverrons,d’êtrefurieuxd’êtreallévouschercheràl’aéroportàcinqheuresdumatin!D’avoirdûnourrirvoschats pendant deux semaines ! Mais jamais, ô grand jamais, ils ne vousrefuseraientce-petit-service-de-rien-du-tout…Ceseraitindigneethonteuxdeleurpart.Pourtant,enfouidansl’inconscient,secachetropsouventledésirderendre l’autre redevable : «Après tout ceque j’ai fait pour lui, il peut bienm’aideraussi,fairequelquechosepourmoi»…Malheureusement,pourêtreaidé,ilfautsavoirledemander…

Lesmaîtreschanteurs

Mêmes’ilsen«font»beaucouppourséduireetmaintenirlelien,lesgrands dépendants affectifs ne sont pas tous, loin s’en faut, des« maîtres chanteurs affectifs » qui, s’ils sont des personnalités tropdépendantesaffectivement, sont égalementdespervers.Tyranniquesàl’excès, terroristesà leursheures, ilsutilisent lessentimentsde l’autrepourprendrelepouvoirsur luiet l’obligerà leurobéirentout.Tantôtils useront de colère et de violence verbale, tantôt ils préféreront unemanière plus douce, voire aimante, pour parvenir à leurs fins. Maisd’unefaçonoud’uneautre,lamenaceestlà,lechantageaffectifopère.Connaissant parfaitement bien leurs victimes et leurs points faibles(peurs, espoirs, sentiments, secrets parfois), que ce soit dans la vieprofessionnelle ou dans le domaine privé, ils se servent de ce savoirpourlescontrôleretobtenircequ’ilsveulent.Ignorantlesensdumotempathie,ilsprennentplaisiràvoirl’autreperdresesmoyens,souffrir,douterde luiet, finalement, toujourscéderparcrainted’être rejetéoudansl’espoirquecettetyrannieenfincessera.

Page 33: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Si l’on veut être admiré, aimé, il convient de démontrer une compassionhors du commun, de se montrer le plus attentif, le plus serviable, le plusaffable, celui qui sait le mieux aimer, s’occuper des autres, les prendre encharge. Une attitude qui ressemblerait à de la générosité, de la bonté, del’altruisme,del’amourmême.Alorsqu’ilestsurtoutquestionicidechercheràsatisfaireun incoerciblebesoind’êtreapprécié,aimé.Làest lecœurde lamanipulation–certainsparlentdemalhonnêteté…Souriremalgrélacolèreoulatristesseaucreuxdelagorge,donnersanscompterdesonénergieetdesavaillancealorsqu’onsesentlas,vidé;paraîtreintéresséparcequiennuieouneconcerneenrien,réfléchiràcequiferaplaisiràcoupsûr,choisirlesbonsmots, s’accuser et présenter ses excuses pour une erreur dont l’onn’est pasresponsable(«J’auraisdûprévoir…,jem’enveux…»)…

Leharcèlementamoureux

Contrairementauharcèlementmoral,leharcèlementamoureuxn’estpas dénoncé dans le Code pénal français. Il l’est au Canada et auxÉtats-Unis.Danscespays,ilportelenomde«criminalharassment».Les seules infractions reconnues (par l’article 222-16), sont leharcèlement téléphonique et les violences délibérées. En Grande-Bretagne, la loi décrit le stalking, ce qui signifie « s’approcher à pasfeutré » : une forme de harcèlement amoureux et moral, Synonymeaujourd’huidepersécution,deterrorismepsychologique,ilestqualifiéde « persécution obsessionnelle ». Les persécuteurs ainsi désignéspeuvent inonder leur victime de lettres, de cadeaux, de coups detéléphoneoudemessages(SMS)incessants,lesépier,lessurveiller,lesattendre au travail ou devant leur domicile, ou, pire, les menacer,provoquerdesdégâtsmatériels–surlesvoitures,parexemple.Ces comportements, pathologiques, peuvent tout à fait émaner de

dépendantsaffectifspathologiquesquiontperdutoutemesure…

Nous allons voir maintenant que les personnes trop dépendantesaffectivementsedonnentbiensouventlaresponsabilitédubonheurdel’autre,ne se fiantmalheureusementqu’à leurspropres certitudes sur cequipeut le

Page 34: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

rendreheureuxoumalheureux.Ainsi, ellescherchent à fairepour l’autrecequilesrendraitheureuseselles-mêmes,cequ’enréalitéellesattendentdelui,certainesquetouslesêtreshumainssontconstruitsdelamêmefaçon,qu’ilséprouventlesmêmesdésirs.

Letriangleinfernal

Dénommé«triangledramatique»parStephenB.Karpman,cetriangle,queje qualifie d’« infernal14 », est l’un des éléments majeurs de l’analysetransactionnelle15.Iloffreunegrilledelecturedescomportementshumainsetdeleursinteractionstoutàfaitintéressanteettotalementadaptéedanslecadredesdépendancesaffectivespathologiques.Ilformalisebonnombrede«jeuxpsychologiques»trèsnuisiblesàlavierelationnelleetaffective.

Dequoi s’agit-il ?Ce triangle décrit l’un de ces « jeux » et demande aumoins deux joueurs, chacun tenant l’un des trois rôles possibles : Sauveur,Bourreau (ou Persécuteur) et Victime. J’utiliserai des majuscules lorsqu’ils’agiradecescomportementsentermederôlesurletriangle.Chaquejoueurse place (inconsciemment) sur l’une des pointes (tout être humain, depuisl’enfance, a un rôle préférentiel). Au cours du jeu, c’est-à-dire d’une suited’interactionsavecuneautrepersonne, les interlocuteursvont« tourner»etchangerderôle.Parexemple,leSauveurpeutseretrouverenVictime,celle-cidevenantBourreau:

Page 35: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Le père : Quand tu auras fini tes devoirs, je t’emmène faire un tour,d’accord?Tudoisavoirenviedeprendreunpeul’air,non?(Sauveur)Lefils:J’aimeraismieuxallervoirmescopains,ilsm’attendentdehors…Lepère:Tunepréfèrespassortiravecmoi?Onseraitbientouslesdeux,

rienqu’unpetittour…(Victime)La mère : Mais laisse-le aller avec ses amis, tu ne vois pas que tu

l’embêtes?(Bourreau)Lepère :Nemeparlepascommeçadevant lui ! Je suis sonpèreet je

veux faireun touravecmon fils,ne temêlepasdeça ! (Bourreau)Et toi,viens,onvaallerentrehommestaperquelquesballes!Viensavectonvieuxpère,tumeferasplaisir…(Victime)Lamère :Etmoi, là-dedans, qu’est-ce que je fais ?La cuisine, comme

d’habitude!(Victime)Je tiensàpréciserqu’ilconvientdedistinguer lagentillesseet l’altruisme

du jeu du Sauveur, tout comme il n’est évidemment pas question ici desvictimes d’incidents ou d’accidents réels lorsque nous parlons du rôle deVictime.Nous allons voir comment les personnes trop dépendantes affectivement

jouenttouràtourlestroisrôles,commentuneVictimedevientBourreauetunSauveuruneVictime:

«Bonjour,Maman,c’estmoi!–Oh,bonjourmachérie !Jesuisbiencontenteque tum’appelles…Tu

m’as laissée trop longtemps sans nouvelles… Tu sais, une semaine, c’estlongpourmoi…(amorcedujeuenVictime).–Oui,jesais,maisjesuistrèsoccupée…Tusaisbienquejepenseàtoi

mêmesijenet’appellepas.–Oui,maisuncoupdefil,c’estvitefait…–Maman, je voulais te dire que je ne pouvais pas venir dîner chez toi

demainsoir,j’aiuneréuniondetravailimportantequirisquedeseterminertard.–Maisj’aidéjàtoutpréparé…Tum’avaispromis.

Page 36: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

–Oui,Maman,jet’avaispromis,maisonvientjustedemeprévenir…Jeviendraiuneautrefois…Tun’asqu’àtoutmettreaucongélateur,commeçatoutseraprêt…(conseilsduSauveur).–Tontravailestplusimportantquemoi…Tumefaisbeaucoupdepeine,

mapetitefille…–Non,cen’estpasça…Tunepeuxpasessayerdecomprendre?–Cequejecomprends,c’estquejenepeuxjamaiscomptersurtoi!Tu

me faispenserà tonpère, tuesaussiégoïsteque lui ! (laVictimedevientBourreau).–ArrêteMaman…Bon,écoute, j’assisteraiaudébutde laréunionet je

prétexteraiuneurgencefamilialepourmesauveravantlafin…maistunemefacilitespaslavie,tusais…(leSauveurdevientVictime).–Maisenfin, jesuistamère,c’estnormalquetufassesdeseffortspour

moi…Bon,àdemain…»Pourbienjouersonrôle, toutSauveurabesoind’uneVictime:comment,

sinon,pouvoiraider lesautres,prendre la responsabilitéde leurbonheur,enunmotlessauver?CarlesSauveurs«prennentsoindesgensquipourraientprendre soin d’eux-mêmes, en les empêchant de prendre leurs propresdécisions ou de trouver leur propre voie16. » Le Sauveur use et abused’expressions telles : «Tudevrais faire ceci, tu ne devrais pas faire cela »,«Non, tu t’yprendsmal, laisse-moi faire»,«À taplace, je…»,«Tun’asqu’àmedemander…»Delamêmefaçon,laVictime,parsaplainte,estàlarecherche d’un Sauveur : qui la sauvera de son malheur ou de sonimpuissance ?Par définition, uneVictime se sent impuissante, incapable defairedeschoix,deprendrelamoindredécisionpourcequilaconcerne,sinonellen’auraitpasbesoind’unSauveur.Doncelleseplaint:«Qu’est-cequejepeuxfaire?»,«Àmaplace,queferais-tu?»,«Qu’enpenses-tu?»,«Jenesais pas quoi faire… », « Je n’y comprends rien… » Quant au Bourreau(appeléaussi lePersécuteur), ilcritique,donnedes leçonssur tout. Ilabiensûrbesoinqu’uneVictimeseprésente:sinon,quipunir,quicritiquer,surquiprendre le pouvoir, à qui donner une bonne leçon, qui réprimander ? LeBourreauditsouvent:«Jetel’avaisbiendit!»,«Tunem’aspasécouté»,«Tuesvraimenttropnul!»,«Tufaisvraimentn’importequoi!»,«C’eststupide ! », etc.Ces trois rôles sur le triangle que je qualifie d’Infernal ontpour « mission » d’obtenir des marques de reconnaissance qui donnent le

Page 37: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sentimentd’exister.

Quandledépendantaffectifestun«Sauveur»

Quelquesoitletypedeproblèmed’unepersonne,leSauveursel’approprieetrienn’estalorsplusimportantpourluiqued’ytrouverunesolution–quandiln’anticipepaslaplainte…CarleSauveur«sait»parfaitementbiencequiconvient à cet autre qu’il considère comme une Victime – qui se présentecommetelle,parsaplainte,formuléedirectementounon–quinesaitpasseprendreencharge.Luisauraquoifaire,quoiconseiller,bienmieuxque toutautre.C’estsonrôle,celuiqu’ilsaitmerveilleusementbienjouer!LeSauveurestconstammentinquietpourlaVictime:a-t-ellebiencomprissesconseils?Cetteinquiétudeluisertd’ailleursd’alibipoursemêlersanscessedesaffairesdeces«pauvres»Victimesdont ildoitbiens’occuper,carsans lui…C’estainsi que leSauveurpratique assidûment l’intrusiondans laviedes autres :«Pourmieuxaider,ilfautbiensavoir,n’est-cepas?»,«C’estparcequejesuis inquiet pour toi que je te pose toutes ces questions », « Si je suis siinquiet,c’estparcequet’aime…»

Àquoireconnaît-onunsauveur?

IlexisteplusieurscritèresdéfinissantunSauveur. Ilsuffitd’enrempliraumoinstroisparmilessuivantspourenmériterlequalificatif.UnSauveurnerépondpasàunedemanded’aidedirecte.UnSauveursecontraintàaiderl’autre,mêmelorsqu’iln’enapasenvie.UnSauveurfaitplusdequarantepourcentdelatâche.UnSauveur n’estpas toujours compétent dans ce qu’il entreprend pour

l’autre.UnSauveurnesaitpasrefuser,mêmes’ilenaenvie.Un Sauveur fait quelque chose à la place de l’autre (qui est tout à fait

capabledelefairelui-même).UnSauveurenfaittoujoursunpeuplusquecequiluiestdemandé.UnSauveursesenttoujourspluscompétentquel’autrepourrésoudreses

problèmes(mêmesic’estfaux).

Page 38: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

UnSauveursesenttoujoursindispensable.UnSauveuraconstammentbesoinde«Sauver»quelqu’un.Un Sauveur a besoin de croire que l’autre est impuissant, incompétent,

mêmesic’esttotalementfaux.Cen’estqu’enaidant l’autreque leSauveuraunebonneopinionde lui-

même.Un Sauveur ne demande pas à l’autre ce qu’il peut faire pour lui : il lui

imposesonaideselonsesproprescritères.UnSauveursepermetdepenser,deparleràlaplacedel’autre.UnSauveur prenddes initiatives concernant la vie de l’autre sans lui en

parlerauparavant.UnSauveurne tientpascomptede sespropresbesoins,désirset envies :

seulsceuxdel’autresontprisencompte,qu’ilssoientexprimésounon.UnSauveurestdoncunexpertdansledomainedel’assistanat.

L’objectifduSauveurest,évidemment,derecevoirdelareconnaissance,delagratitude,del’amourbiensouvent,oudel’amitié.Del’admirationparfoisaussi.Engénéral, lesSauveurs sontpersuadésque toutepersonnequi adesproblèmesàrésoudreouquise trouvedevantunedifficultéest incapabledes’ensortirseule,nesaitmêmepascequiseraitbonpourelle,aabsolumentbesoind’être aidéeoumêmeprise encharge.Cette conviction,bienancrée,s’est installée dans l’enfance : certaines méthodes éducatives distillentrégulièrementcessortesd’idéesdanslestêtessimalléablesdesenfants.Fortmalheureusement.

Lilianeatoujoursétéunemèretrès«enveloppante»etintrusiveavecsesdeuxenfants.Pourtant,ilsn’ontpasmanquédeluiexpliquerqu’ilsétaientdevenus des adultes, qu’ils savaient se prendre en charge, s’organiser,penser par eux-mêmes. Bref, qu’ils étaient devenus autonomes et adultes,malgré tous lesobstaclesquecettemèreavaitpudressersur lechemindeleur indépendance. Sophie, sa fille, s’est plainte un jour de l’ambiancepesantequi régnaità son travail. Justeunepetite remarquecommeça, enpassant.Maisquin’apaséchappéàLiliane…Unesemaineplustard,quellenefutpaslasurprisedeSophielorsquesonsupérieurdirectestentrédans

Page 39: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

son bureau, la mine quelque peu renfrognée. « Sophie, lui demanda-t-il,pourquoi ne m’avez-vous pas informé de votre désir de nous quitter, dedonnervotredémission?»«Jevousdemandepardon?»,réponditSophie,abasourdie.«Vousavezbienmisplusieursdemandesd’emploisurdifférentssites,n’est-cepas?».Cen’étaitbiensûrpasSophiequis’étaitchargéedecesannonces,mais

bienLiliane,qui«s’inquiétait»tellementpoursafille…

Marion(32ans)est«encore»célibataireetsamèrenelesupportepas.Sanscesseellelaquestionnesursesrencontres,sessorties,lesgensqu’ellefréquente. Sans cesse elle déplore de n’être toujours pas grand-mère.Marionaétéélevéedansl’idée«qu’ilnefautjamaisdécevoirsesparents»etelleressentunegrandeculpabilitédenepaslessatisfaire.Pourtant,ellene répond jamais aux remarques, questions et jérémiades de samère.Unsoir,alorsqu’elleétaitpasséechezsesparents,Marionfut«invitée»parsamèreàlarejoindredanssonbureau.L’ordinateurétaitallumé.Quellenefutpaslasurprisehorrifiéedelajeunefemmelorsqu’elledécouvritquesamèreavait répondu à de nombreuses annonces sur des sites de rencontre. Sefaisantpasserpoursa fille,elleavaitsélectionnéquelques jeunesgensquilui convenaient et qui n’attendaient qu’un mot de Marion pour larencontrer…

Lucileestdésespérée:à38ans,elleestencorecélibataireetnecomprendpas pourquoi elle ne « tombe » que sur des « hommes à problèmes ».Effectivement, le tableauqu’ellebrossedesescompagnons laisserêveur…«Àcroirequetulesattires»,remarquesonpère.«Maisjenecomprendspas,ilsontl’airtoutàfaitnormauxquandjelesrencontre.Etpuispetitàpetit, je découvre qu’ils ont de graves problèmes. L’un était toxicomane,l’autre complètement inféodé à sa mère (il vivait avec elle à 43 ans), unautre encore m’avait caché qu’il vivait déjà avec une autre femme, sansoublier celui qui s’était inventé une profession… Je n’y comprends rien.Qu’est-ce que j’ai qui les attire tellement ?Et pourquoi ce sont justementceux-làquimeplaisent?»

Page 40: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Certains parents peuvent se révéler de véritables caricatures de Sauveurstrès intrusifs, d’autant plus que, durant de très longues années, bon nombred’enfants n’osent pas se rebeller – et n’y consentent parfois que trèsdifficilementlorsqu’ilssontdevenusadultes.Iln’yaévidemmentpasquelesparentsquiempiètentsur le territoiredesautres.Lesamisou lespartenairesd’uncouple,quandilssouffrentd’unedépendanceaffectivepathologique,ontégalementdescomportementsdeSauveurs.

Jérôme,32ans:«Ilyabeaucoupdechosesquej’aimeraisdireàLætitia,maisellecroittellementbienmeconnaîtrequ’ellefinitmesphrasesetjenepeux pas aller au bout de mes pensées. C’est sûrement pour me prouverqu’elleme comprend, et je n’osepas lui dire qu’elle se trompe…Et je neveuxriendirequand jesuisencolère,parcequ’ellemereprocheraitde lafairesouffrir.Jeluiparledemoinsenmoins…»

En bonne dépendante affective pathologique qui ne supporte pas lasolitude, Laure ne veut pas que sa collègueCamille rentre seule chez elle(soncompagnonestpartideuxjoursàLondrespoursesaffaires).Ilest19heuresetCamillesortdeson travail, seréjouissantà laperspectived’unesoirée tranquille à la maison, quand Laure la rejoint en courant. « Mavoitureestgaréeàdeuxpas, je t’enlèvepour lanuit. Iln’estpasquestionque turestesseulecesoir !»Camillesedéfend:«Non, je t’assure,c’esttrès gentil, mais j’avais prévu une bonne soirée chez moi… », « Ne meraconte pas d’histoires, tu seras bien mieux avec moi. Je vais faire desgrillades,jevaisbienm’occuperdetoi!»,«Non,jet’assure,jepréfère…»,«Taratata,jeteconnais,tuvasbroyerdunoirtoutelasoirée…»C’estainsiqueCamilleseretrouva,sansl’avoirdésiré,chezLaure…quinesupportaitpaslasolitude.

Quanddeuxsauveursviventencouple

JacquesetJacquelineviventensembledepuisbientôttreizeans.Ilsavaienttout juste20ans lorsqu’ils se sont rencontrés.L’enfancedeJacquelineavaitététrèsdifficile–toutcommecelledeJacques.Durantdesannées,cederniers’estconsacréàfairelebonheurdeJacqueline–toutcommeellel’afaitpourlui. Ils sont restés ainsi durant une dizaine d’années un couple de Sauveurs

Page 41: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

(maisaussideVictimesetdeBourreaux) trèsdépendantsaffectivement l’undel’autre.Etcedefaçonpathologiquecar,àlesentendre,chacuns’estsacrifiépourl’autreet,entoutelogique,chacunenveutterriblementàl’autre,chacunsesentantlaVictimedel’autre:«J’aitoutfaitpourlui,etvoilàcommeilmeremercie!»,«J’aitoutfaitpourelle,etvoilàcommeellemeremercie!»Jacqueline n’a vu chez Jacques qu’un homme généreux, extrêmement

dévoué, dont le seul souci était de la protéger dumalheur et de réparer sonenfancedouloureuse. Jacquesn’avuchezJacquelinequ’une femmecapabledelecomprendre,des’occuperdeluietderéparersonenfancemalheureuse.Pourtant,ilssereprochentaujourd’huides’êtretrop«oubliés»,d’avoirlaisséde côté leurs propres besoins et désirs. Très fragilisée, leur relation estdésormaiscompromise,chacunreprochantàl’autreden’avoirpassul’aimer,d’avoir déçu ses attentes de compréhension et d’épanouissement : « J’ail’impression de ne pas le connaître, il me reproche de n’avoir pensé qu’àmoi»,«Jedécouvreuneautrefemmequi,depuisplusdedouzeans,avoulumecontrôler.»

CommentJacquesa-t-ilvouluSauverJacqueline?Depuissaplustendreenfance,ilestpersuadéque,pourbienaimer,ilfaut

s’effacercomplètementetremettresonbonheurentrelesmainsdelapersonneaimée–etquil’aime.IlatoujourscruqueJacquelinesavaitmieuxaimerquelui : au tout début de leur relation, il l’a laissée à la fois définir ce qu’estl’amourmaisaussisesmodalités«pratiques»etsesrèglescomportementales(«Quandons’aime,ilfaut…»).C’estainsiqueJacques,pour«bien»aimerJacquelineetlaSauver,appritàluiobéirentouspoints,àl’écouterencoreetencore se plaindre de sa famille, se taisant sur ses propres émotions, sespropresbesoinsetdésirs,sesgoûts.Car,luiassurait-elle:«Jesaiscequiestbon pour toi, pour nous. Ne sommes-nous pas heureux ensemble ? » EtJacques,enbonSauveur,seconformaitàsesdemandes,endossantlerôledubon«réparateur».Car Jacqueline a très longuement décrit, au cours de ces années, son

enfance pénible : sans cesse elle y revenait, se présentant en Victime etsuscitant alors le Sauveur chez Jacques. De façon très indirecte mais bienréelle, elle lui demandait de la guérir de ces longues années si difficiles àvivre. Elle attendait de lui qu’il lui apporte ce que ni son père ni sa mère

Page 42: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

n’avaient su lui donner. Passant tour à tour du rôle de Victime à celui deBourreau,elleseservaitdesasouffrancepourobtenirdecethommetoutcequ’elle désirait, se donnant tous les droits – ne lui en octroyant aucun.Elleconsultait son téléphone portable («Quand on s’aime, on n’a pas de secretl’unpourl’autre»),ouvraitsoncourrier,letriait,lerangeait(«avoirunsecret,c’est déjà une trahison. ») Elle prenait toutes les décisions, de façonunilatérale.AlorsJacques,petitàpetit,s’estenfermédanslesilence.Ilneluia jamais parlé de la maltraitance qu’il a subie dans son enfance et sonadolescence:c’estJacquelinequioccupaittoutleterritoiredelaparole,maisausside laplainte. Iln’a jamaisosé formuler lemoindrepetit souhait.AfinqueJacquelinesesente«bien»aimée,Jacquesafaitdeseffortsinouïspourse conformer à ses désirs.Ce faisant, il lui apportait enfin tout ce dont elleavaitétéprivéedurantdelonguesannées.

CommentJacquelinea-t-ellevouluSauverJacques?Elleluiaenseignéle«moded’emploi»del’amour(selonelle).Elleluia

doncapprisqu’ilfallait«toutsedire,toutfaireensemble»et,surtout,suivreses conseils à la lettre car, disait-elle : «Moi, je sais ce qu’est aimer ».Enéchange,elleluioffraituneviefacile:elles’occupaitdetoutdanslamaison,ledéchargeaitdetouteslestâchesadministratives,lesoutenaitfinancièrementlorsqu’ilenavaitbesoin.Ellemultipliaitlesattentions,proposaitsanscessedenouvelles activités, le sollicitait très souvent sexuellement, organisait lesvacances.EtJacquessuivait.Sile«Sauvetage»deJacquelineétaitautoritaire–ilfrôlaitsouventlejeu

du Persécuteur –, celui de Jacques était agi sur unmode complaisant, pluseffacé.Mais,progressivement,unegrandecolères’estdéveloppéeenluicarilsupportait demoins enmoins de se conformer aux désirs de Jacqueline. Ils’est alors permis d’exprimer, d’abord timidement puis de plus en plusfermement, quelques désaccords et avis personnels non « conformes » auxrègles jusque-là admises. Et Jacqueline menaçait alors de le quitter, luireprochantdeneplusvouloir l’aimer.C’est ainsi que, depuis trois ans, leurrelationsedétériore.Aujourd’hui,elleestensursis.Jacquelinesedemandecequ’elle pourrait faire pour garder Jacques, sans songer un seul instant qu’ilpourrait,luiaussi,avoirunavissurlaquestion.SelonleursmouvementssurleTriangle, ils adoptent successivement les trois rôles : Sauveur (« Si tu fais

Page 43: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

commejeleveux,tuserasheureuxcarjet’aimeraibien»,«Elleabesoindemoi,elleadéjàtantsouffert»),Victime(«Aprèstoutcequej’aivécu,jenesupporteraispasquetum’abandonnes»,«Jenepeuxpasfairemieux,tum’endemandes tellement ») etBourreau («Si tu ne suis plusmes conseils, je tequitterai », « Personne ne pourra t’aimer comme moi ni supporter toncaractère»).Oucommentmaintenirdesliensfusionnelsquiempêtrentaulieud’épanouir…

Il convient bien sûr que la Victime reste bien dans son rôle afin que leSauveurpuisseconserversonpouvoirsurelle.Carellenedoitenaucuncasmontrer qu’elle peut devenir autonome : elle doit constamment ou presqueavoirbesoindesonaide.C’estainsiqueleSauveuratoutintérêtà«choisir»desVictimesquidésirentlerester.SelonS.Egleston:«OnagitenSauveurchaque foisque l’onprendquelqu’und’autre en charge–dans sespensées,ses sentiments, ses décisions, ses attitudes, son évolution, son bien-être, sesproblèmesou sondestin17. »L’évolutionde laVictimene faitpasvraimentpartiedesprojetsduSauveurquidevraitalorsse tournerversdespersonnesencore plus « faibles et impuissantes », bref de « meilleures Victimes ».Victimesconsentantes,dumoinsdanslespremierstemps.

Quandledépendantaffectifestune«Victime»

Lorsquesonaideestrefusée,oumalinterprétée,leSauveursesentrejeté:vexé,ilselamentesurl’ingratitudedelaVictimequin’apassul’apprécieràsajustevaleur.

Lorsque Sophie a découvert ce qu’avait fait Liliane, samère, elle s’estprécipitéechezelledèslafindesajournéedetravail.Sansmêmeprendreletempsdes’asseoir,ellel’ainvectivée:« Comment as-tu osé me faire ça ? Qui t’a donné la permission de

t’immiscerainsidansmavie?Pourquituteprendsàlafin?Etpourquoimeprends-tu?

Page 44: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

–Mais…Jevoulaisseulementt’aider…–Non,Maman,tunevoulaispasm’aider,tuvoulaisfourrertonnezdans

mesaffaires,commetul’astoujoursfait!–Moi?Non,jamais!J’étaisinquiètepourtoi,tudisaisque…–Est-cequetucomprendsquejenepeuxplusriendiredevanttoi?Jene

peuxplusteparler!Est-cequetut’imaginesuneseuleminutecequemonpatronapenséquand il a vu tes annonces ?Est-ce que tu peuxaumoinsl’imaginer?–Maistudisaisque…–Est-cequeje t’aiditquejevoulaischangerde travail?Est-cequeje

t’aiditça?–Non,maistuteplaignais…–Etalors?– Alors je ne veux que ton bonheur… Je voulais juste t’aider…Neme

parlepassiméchamment!– C’est moi la méchante ? C’est moi ? Et toi, comment peux-tu te

qualifier?–Jesuistamaman,jet’aime,jem’inquiètepourtoi, jeneveuxqueton

bonheur…– Surtout, surtout, arrête de t’inquiéter pour moi, d’accord ?

L’inquiétude, c’est pas de l’amour… Je ne sais pas si tu sais vraimentaimer…–Oh,Sophie!Maisc’estmonstrueuxcequetudislà!Moi,jenesaispas

aimer?Moi?Aprèstoutcequej’aifaitpourtoi!»Ilestaiséd’imaginer ledésarroideLilianedevenue laVictimedesafille

quiapris lerôleduBourreau.Ellequifaisaitdesonmieux,ellequiétaitsiattentive à la moindre parole de Sophie… Liliane s’est rendue tellementmaladeaprèscettescènequ’elleaétéhospitaliséepourdépression.Victimedel’« ingratitude » de sa fille, elle a baissé ses bras de Sauveur pour se faireprendreenchargeparunautreSauveur,institutionnelcelui-là.

Àquoireconnaît-onuneVictime?

Page 45: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

«Jen’enpeuxplus!»,«Jesuisdébordée!»,«Jen’yarriveraijamais!»,« C’est affreux, tu ne sais pas ce qui m’arrive ? », « Si encore j’étaiscapable…»,«Jenesaispasversquime tourner»,«Siencoreonm’avaitappris ! », «C’est toujours àmoiqueça arrive !», «C’est tropcompliquépourmoi»,«Jepréfèrebaisserlesbras»,«Cen’estpasdemafaute!»,«Onnemedemandejamaismonavis!»,«C’esttoujoursmoiquimedévouepourlesautres!»,«Jen’aiqu’àmerésigner»,«Quandonabesoindemoi,onmetrouve, mais personne ne se demande de quoi j’ai besoin, moi ! »… LeslitaniesdesVictimesponctuent leursdiscoursdeplaintes etde réclamationsvindicatives:ellesnepeuventpasvouséchapper.SansoublierquelaVictimeneformulepastoujourssesdemandesdefaçon

directe : elle préférera vous dire qu’elle a trop chaud plutôt que de vousdemander si elle peut ouvrir la fenêtre (s’il y a plusieurs personnes, vouspouvezêtresûrqu’unSauveurseprécipiterapourlefaire…)Ellepeutaussilefaireavecunecertaineagressivité:«Sijenedemanderien,évidemmentonfaitcommesijen’étaispaslà»…

Ce que la Victime ne comprend pas – ne veut pas comprendre –, c’estqu’elle s’est elle-même mise dans la situation qu’elle déplore : elle l’aprovoquée. Lorsque le Sauveur devient Victime, il se sent véritablementhumilié alors qu’il ne s’est pas un instant demandé si ce qu’il faisait étaitadaptéousisesconseilsétaient judicieux.Humilié,vexéet réellement tristecar ilvoulait tellementbien faire !Les tentativesde justificationdeLiliane,devenueVictime,sontcellesdetouslesSauveurs«bafoués»:«Jeneveuxquetonbonheur»,«Jevoulaisjustet’aider»,«Jem’inquiétaispourtoi»…Un Sauveur souffre terriblement lorsqu’il ne peut pas sauver une Victime,lorsquesonaideestdéniée, rejetée,critiquée(«Regardeceque tum’as faitfaire ! »). Il devient alors la véritable Victime : en l’occurrence, c’est bienainsiqu’ilseperçoit.

Madeleineatoujoursétéunemère«exemplaire».Elles’estoccupéedeses trois enfants avec dévouement, gentillesse, constance, application etamour.Elle ne vivait que pour eux, elle ne vivait que par eux.Ce qu’ellereconnaîtbienvolontiers :« Ilsétaientmaraisondevivre, ilsétaient toutpourmoi. »Mais les enfants ont grandi etMadeleine se sent perdue. Sonmariest«depuistoujours»trèssouventabsentpoursontravail,ellen’est

Page 46: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

pasencoregrand-mère,apeud’amies–ellen’aguèreprisletempsdes’enfaireet, lorsquesonépouxestà lamaison, ilpréfère les tête-à-tête.«J’aitoutfaitpourmesenfants,jeleuraitoutsacrifié:maviedefemme,puisquejen’aijamaissuivileurpèredanssesdéplacements;mavieprofessionnelleaussi, car j’adorais lemétierquiaurait dûêtre lemien.Etaujourd’hui jesuis seule, je ne sais pasquoi fairedemoi,maviem’ennuie.Mes enfantssontdispersés,loind’ici,ilsmènentleurviesansseposerdequestionssurlamienne. J’aimerais tant les serrer dansmes bras ! À quoi auront servitoutescesannéesoù jenevivaisquepoureux?Jen’existaisqu’à traverseux. Ils me téléphonent, de temps à autre, un bref moment. Nouscommuniquons par e-mails aussi. Mais je ne sais même pas comment ilsvivent,jeneconnaispasleurmaison,leurenvironnement.Ilsmeracontentquelquesbribes,par-ci, par-là… Ilme fautbiende l’imaginationpourmeles représenter. Aujourd’hui,ma vie n’est qu’un grand vide, après tout cequej’aifaitpoureux,cen’estvraimentpasjuste!»Madeleine souffre du syndrome du nid vide : ses enfants partis, elle se

sentabandonnée,inutile,malaimée.Elleattendaitdelareconnaissance,delagratitude,unesortede«retoursurinvestissement»affectif.Ellen’apascomprisqu’elleavaitseulementremplisonrôledemère.Nulaumondenel’a contrainte à sacrifier sa vie professionnelle, nul au monde ne l’aempêchée de suivre, parfois, son époux dans ses déplacements. Lui quin’attendaitqueça!Elleseuleadécidédes’oublier.

Éliseestunejeunefemmede32ans,mèredetroisjeunesenfants.Aprèsleurmariage,sonépouxvoulaittrèsvitedesenfants:elleaabandonnésesétudesdemédecine.Ilvoulaitvivreàlacampagne:ellel’asuivi,acceptantde s’éloigner de sa famille, de ses amies et de sonmode de vie. Après lanaissancedudernier,elleavaitpriscinqkilosquesonépouxluiademandédeperdre:elles’estmiseaurégime.Pendantsesraresmomentsdeliberté,elleécrivaitdescontespourenfant,cequiluiavaluleméprisironiquedeson époux : elle a rangé cahiers et crayons.Et ainsi de suite :Élise s’estperdue.Elleaaliénésavéritablepersonnalitéparpeurdedéplaireetd’êtrerejetée.Dans de telles situations, le Sauveur peut s’identifier à un martyr : ne

sacrifie-t-il pas son temps, son énergie, sa créativité aux autres ?

Page 47: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

N’abandonne-t-ilpas,s’illejugenécessaire,sonpropreconfort–émotionnelet matériel – pour le bonheur des autres ? Ne se dévoue-t-il passuffisamment ? Ou mal ? Mérite-t-il un tel abandon ? Décidément, notreSauveur se sent trop souvent la Victime d’une telle injustice qu’il ne peutqu’enendosserlecostume…

Uncoupledevictimes:unerelationdifficile

Agnès (35 ans) etOlivier (34 ans) viennent de se séparer après un an etdemideviecommune.Ilssesontrencontrésunsoir,chezdesamis:lasoirées’estprolongéetrèstarddansunbaroùl’uneetl’autresesontracontéleurvie– des vies pénibles. Chacun se présentait comme uneVictime, suscitant enl’autreleSauveur.Jenedonneraipastouslesdétails,ceseraittroplong,maisvoicil’essentiel.

Aujourd’hui, Agnès vit seule avec sa fille de 5 ans, après avoir vécu bonnombre d’aventures qui n’ont jamais duré plus de deux ans. Avec chaquehomme, elle s’installait très vite dans une vie commune : « une assurancecontrelaséparation»,dit-elle.Filleunique,elleagrandientreunpèreetunemère toujours en conflit et qui, trop préoccupés par leurs querelles, ont«oublié»devalorisercettepetitefille,neluifaisantjamaisuncompliment.Agnèsavaitd’ailleurstrèsvitecomprisqu’ilvalaitmieuxpourellenepassefaireremarquer,nesurtoutpasdérangercesadultesirasciblesquiparaissaienttropsouvent l’ignorer.N’ayantpasbeaucoupexistéauxyeuxdesesparents(c’est du moins ce qu’elle croit), ils ne l’ont évidemment pas aidée à seconstruireunebonne imaged’elle-même.Ellen’apasfaitd’étudesetenestaujourd’huitrèscomplexée.«Jenesaispascequesignifiedeveniradulte»,dit-elleenpenchantlatêtesursonépaule,commepours’enexcuser.«Jecroisquej’aitoujourscherchéàêtreaimée.»C’estainsiqueleshommesavecquielleavécuétaienttous«difficiles,marginaux.Ilsavaientbesoindemoi.»Unancien « taulard », deux toxicomanes (dont l’un est le père de sa fille), unperversmanipulateur…Olivier estmalade alcoolique. Son histoire est dramatique.Âgé de 5 ans

lorsque ses parents ont divorcé, il est resté avec son père et ses deux petitsfrères. Sa mère avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide, la dernièrelorsqu’il avait 5 ans : elle s’était ouvert les poignets et était entrée dans sachambrepour les luimontrer.Sonpère avite retrouvéune compagne,mais

Page 48: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

ellenevoulaitpassechargerdes troisgarçons.Elle l’adoncquittépourunautre homme et lui est parti à l’étranger (à son retour, ils se sont remisensemble).Pendant cette absence, laDASSadûplacerOlivier et ses frèresdansuneinstitutiondurantonzeans(samèrevenaitluirendrevisitetouslesquinze jours). «Monpèrem’a beaucoupmanqué, dit-il.En fait, j’ai été unpèrepourmesfrèresetunmaripourmamère,mêmesielleavaitbeaucoupd’amants.»Oliviern’apaseud’enfance:onlaluiavolé.Parentifiétrèstôt,leschantagesaffectifsdesamèrel’ontfaitgrandirtropvite.À l’écoute du récit de leur vie, le Sauveur de chacun s’est évidemment

apitoyé sur les épreuves de l’autre et, deuxmois plus tard,Olivier est venus’installerdansl’appartementd’Agnès(quittantunechambreminusculequ’iloccupaitavecun ami).Mais l’euphorie des débuts s’est vite transformée enincompatibilitéàvivreensemble.Persuadésqueleurssouffrancespasséesleurdonnaient ledroit de tout exigerde l’autre, ils ont rapidement accumulé lesdéceptionsetlesrancunes.«Ilnem’écoutepas,seplaintAgnès,etquandilabu, il me menace de partir. Pourtant, je fais tout ce que je peux pour luifaciliter la vie. » « C’est Agnès qui décide de tout, elle ne me fait pasconfiance,pourtant,jefaistoutcequejepeuxpourluiêtreagréable»,déploreOlivier.Agnès,quicraignaitqu’Oliviernerestepasavecelles’ilsnevivaientpasensemble,necomprendpasqu’Olivieraimepasserdesmoments«avecses potes », sans elle. Olivier a le sentiment de faire « beaucoup deconcessions » et d’avoir changé de vie pour elle. Il trouve qu’elle ne faitaucuneffort.Agnèsestdanslapeur:ellenesaitpass’ilvarester.Olivierlatrouvetrop

exigeante et la voudrait plus patiente. « Je me sens utilisé pour qu’elleconservesonéquilibre»,dit-il,tandisqu’Agnèsseplaintparcequ’ilsnefontpasgrand-choseensemble.«Ellemedévalorisechaquefoisquejenesuispasd’accordavecelle»,«Ilparlebeaucoup,maispasdechosesprofondes,etjedétestequ’ilsevalorisedevantmesamis.»«Agnèsn’estpasassezcâline,pasassezamoureuse»,dit-il,«AvecOlivier,jem’ennuie.Jesuisencolèreaprèsluietjem’enveux.Detoutefaçon,ilnepeutpasm’épauler»,dit-elle.Après avoir été dans des rôles de Victime, puis de Sauveur, Agnès et

OliviersontdevenusdesBourreauxl’unpourl’autre.

Quandledépendantaffectifestun«Bourreau»

Page 49: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Ce sont ces allers-retours du Sauveur à laVictime qui peuvent rendre leSauveurdeplusenplusirascibleettyrannique,particulièrementapteaussiauchantage affectif. Ce dont Liliane, souvenez-vous, ne s’est pas privée. Carcomment ose-t-on refuser son aide ? Comment ose-t-on l’agonir dereproches ? Faut-il qu’elle soit bien mal aimée… Il est pourtant fréquentqu’un Sauveur soit rabroué, sans que pour autant il se pose les bonnesquestions:enbonneVictime,c’esttoujoursl’autrequiatort.L’autre,c’estsaVictime–quiestenquelquesbrefsinstantsdevenuesonpireBourreau,quilepersécute. Lui reproche-t-on d’avoir été trop loin ? Il se défend en arguantqu’ilaledroitd’aiderceuxqu’ilaime,quec’estmêmesondevoir–quitteàsemontrerintrusifetgênant.Ainsi,lorsquelaVictime(cellequeleSauveuravouluaider)décidedene

plusselaissermanipulerparceSauveur,quandelles’émancipeenselibérantdecettetutelle,leSauveurrisquebien,nousl’avonsvu,desetransformerenBourreau, en Persécuteur. Peut-être était-il devenu un peu trop autoritaire àforcedes’occuperdetoutetdedictersaconduiteàlapersonnesurlaquelleilavait jeté son dévolu ? Peut-être cette Victime éprouve-t-elle l’envie de seprendreenmain,devolerdesespropresailes?LaVictime,quidèslorsn’enestplusune,sedétournedeluipourcausedetyrannieoud’intrusionmassivedans sa vie. Alors, devant cette notoire ingratitude, ce Sauveur devenuVictime va prendre le rôle du Bourreau : « C’est comme ça que tu meremercies ?Avant deme connaître, tu n’étais rien !Tun’étais rien et tu nevauxrien!Quandjepenseàtoutcequej’aisacrifiépourtoi!Tun’asmêmepas été capable de l’apprécier ! Tu le regretteras, tu sais, mais il sera troptard…»

Àquoireconnaît-onunBourreau?

Si,commeleSauveur,leBourreausaitcequivousconvient,cequiestbon(juste,utile,efficace)pourvous, ilnechercheravraimentpasàvousséduirepourvousenconvaincre.Tout à l’inverse, il vousassénera sa façondevoiravecforceetautorité.Sondiscourss’accompagneradecritiques–quandilnetenterapasdevousrabaisseroumêmedevoushumilier.Ilnevousécoutepas,ne tientaucuncomptedevospropos,devosarguments,etencoremoinsdevos émotions qui ne le concernent en rien. Elles peuvent tout au plusl’exaspérerou,pire,l’amuseretprovoquersessarcasmes.

Page 50: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

LesdeuxmodesdecommunicationduBourreausontlacolère(àdesdegrésdivers, depuis la simple irritation jusqu’à la rage) et la leçondemorale trèscritiqueàvotreégard.Trèsautoritaire, ildésireconserver lecontrôledevosactes,maisaussidevospensées.Carilaraisonentoutetn’asurtoutpasenviede s’encombrer de vos plaintes (il ne peut jouer ce rôle que si vous vousprésentez enVictime) ou de vos désirs (il deviendrait alors votre Sauveur).C’est lui qui commande, un point c’est tout. Sa colère, sa frustrations’exprimentsuruntonquiinterditladiscussion.Souscouvertdefranchise,ilvous assène ses arguments sans attendre de réplique de votre part. Trèssouvent dévalorisant, il se montre sévère, dur et tranchant. Il blâme etconsidère toute interaction comme une prise de pouvoir. D’ailleurs sonattitude, le tonqu’ilemploieet l’ensembledesoncomportementnonverbalne vous laissent aucun autre choix que de vous taire.Àmoins que vous nesoyez prêt à subir ses foudres puisque votre souffrance le laisse totalementindifférent – ouquevous tentiez dedevenir sonSauveur.LeBourreauveutcontrôler,etçanesediscutepas.

IlesttrèsfaciledepasserdurôledeSauveuràceluideBourreau.Ilsuffitd’avoir le sentiment d’avoir trop longtempsmalmené ses propres désirs ouenvies, « d’en avoir beaucoup ou trop fait » pour quelqu’un, d’avoirl’impression d’avoir été utilisé, exploité et harcelé par des demandesincessantes. Surtout si les remerciements ne sont pas au rendez-vous, ouinsuffisantsoupas«bien»exprimés.Ledévouementa ses limiteset si, enplus, l’ondoit faire face à de l’ingratitudeoude l’indifférence, si l’onn’enobtientniapprobation,nireconnaissance,àquoicelasert-il?

Danièles’esttoujoursprésentéecommeuneVictimedesescollègues:enbon Sauveur, elle prend en charge une grande partie de leur travail pouréviter les retards, elle fait même des heures supplémentaires de façontellement discrète que personne ou presque n’en est informé.Pourtant, cefaisant,elleaccumulebeaucoupderessentimentcontresescollègueset,unjour, elle est allée déposer ses doléances sur le bureau de son supérieurhiérarchique,accomplissantainsiunactededélation.Toutyétaitprécisé:les retardsetdépartsavant l’heure, son surcroîtde travail.LeSauveuren

Page 51: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

elle aimait tellement sentir que ces collègues avaient besoin d’elle qu’elleavait outrepassé ses forces, son énergie et ses capacités de dévouement àleur égard. Passant par la case « Victime », elle a considéré qu’elle enfaisait trop, qu’elle n’en obtenait aucune reconnaissance, pas même un« merci ». Il est vrai que, selon ses dires de Victime, ils ne se sentaientabsolumentpasredevablesdeseseffortspourlessoulagerdansleurtravail.Elle est donc allée dans la case « Bourreau », sans réfléchir auxconséquencesdesonacte.Toutcelainconsciemment,biensûr.

Stéphane,38ans,seprésentecommeunSauveurquisesacrifiepoursesparents.S’ilgagneplutôtbiensavie,ilnepartjamaisenvacancescarsesparents (des Victimes) n’ont pas les moyens de s’offrir le moindre petitvoyage.Il«permet»àsamère(Sauveurégalementdanscettesituation)devenirchezluitouslesjourspourfairesonlit,s’occuperdesesvêtements,desonménage,etluiapporterunrepaschaudchaquesoir.«Elleesttellementcontentedefaireçapourmoi!»,dit-il.Nousavonsparlédecettesituationetilaconvenuavecmoiqu’ilpouvaitpeut-êtrefairesonlitlui-même.«Jeneveuxsurtoutpaslapriverdecepetitbonheur…»,affirmait-ilenSauveur.Àforcedeseplaindredesesparentsetdessacrificesqu’ilfaitpoureux,ilressentdeplusenplusdecolèreàleurégard:«C’estàcaused’euxquejegâchemavie!Pournepaslesabandonner,jen’ainivacances,nimêmedesweek-ends…Jenesupportepluscettevieétriquée…»Etpuisunjour,ilestarrivétoutsouriantpoursaséance.Ils’estassisetm’aannoncé:«Voilà,jel’aifait!–Qu’avez-vousfait?–J’aicrachésurmamère!–Vousavezcrachésurvotremère?–Oui, j’airéussià le faire.Danstousles livresdepsyqueje lis,ondit

qu’ilfautexprimersacolère:alorsjeluiaicrachédessus.Jeluiaiexprimémacolère.»La réaction de Stéphane est catastrophique. Il s’est transformé en

«Bourreau».

Page 52: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

UncoupledeBourreaux:unerelationenpéril

Chantal et Pierre sont mariés depuis vingt-six ans, ils ont trois enfants,étudiants.Chantal,quiadopteenpremier lieuunrôledeVictime,déplore lemanque de communication entre eux, regrette qu’ils ne fassent pas plus dechosesensembleetseplaintde lafaçondontPierre luiparle :«Ilmeparlemal, il le fait exprès. » Pierre, qui se place d’emblée en Sauveur, lui faitremarquerqu’ilestsurtoutattentif«auxchosesimportantes,commelasanté,l’ententefamiliale,savieprofessionnelle»,etqu’ilestconstammententraind’aiderquelqu’un.«Onpeutmeprésentern’importequelproblème,ajoute-t-il, je trouve toujours une solution. » Puis, très vite, chacun se place enBourreau:«Tunesaisquemecritiquerdufondducanapéoùtuestoujoursvautré»,dit-elle,«Tuastoujoursétécomplètementcoincée,tudétestesfairel’amour», réplique-t-il.«C’estpourçaque tum’as trompée…Etpourquoiest-ceque jen’avaispasenviede faire l’amouravec toi, à tonavis?Tunepensaisqu’àtoi!»,«Oui, je t’ai trompée, tusais trèsbienpourquoi: tunevoulaispasquejeteparledemesproblèmesautravail.Alorsoui,jesuisalléchercherailleurscequetunemedonnaispas,cequetuétaisincapabledemedonner.Tupassaistontempsàteplaindredetout,tavie,tesparents…Onsedemandequidenousdeuxestégoïste!»,«Dèsquejedisquelquechose,tumecassescomplètement,commesitutetrouvaisplusintelligentquemoi!Oncroitrêver!»,«Tuneparlesquedetoi.Mêmelesenfantsledisent!»«Ettutrouvesmalin demonter les enfants contremoi, peut-être ?Cen’est pas cequ’onpeutattendred’unbonpère!»Etc.Et finalement, après avoir bien exprimé leurs colères, leurs désillusions,

ChantaletPierre,que j’interrogesur leursattentesmutuelles,ont lesmêmesréponses–lesmêmesattentes:toujoursdavantagedemarquesd’amour…

NuldoutequebonnombredeSauveursignorentqu’ilestparfoisdifficile,voire pénible, de démontrer de la gratitude à leur égard : ce serait alors unaveudesapropre impuissance.Car«Il fautbeaucoupdeforceetd’orgueil,ou de placidité, pour supporter ses propres dettes sans inquiétude niressentiment18.»Ilestfréquentderencontrerdespersonnesquisedétournentdecellesqui lesontconnuesen fâcheuseposture,ou trèsendemande,dansdes situations difficiles. Cette attitude signe le besoin de conserver la tête

Page 53: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

hauteunefoisle«sauvetage»réussi.Dans ces cas-là, nous en reparlerons, le Sauveur doit, autant que faire se

peut,dissimulerlemieuxpossiblesonressentiment.LesBourreauxn’ontpastrès bonne presse – ils se cachaientmême le visage…Si le Persécuteur serévèle,lerisqueestalorsd’être«désaimé».Cequiestàlafoisproprementim-pen-sa-bleetsurtoutinadmissible.Alorsilconvientderefouler,derefoulerencore, d’éviter de se montrer agressif – ou même un tantinet bougon. LeBourreau exprime très clairement, par ses mimiques et ses attitudes, unegrandecolèrequ’iln’exprimepastoujours.IlseraitbientropdangereuxpourleSauveurd’exposercettecolèreaugrandjour.D’autantplusqu’ellepeutluiservird’alibienretournantlaresponsabilitédes«ratages»desonSauvetage– accompagnés de leur cortège d’émotions pénibles – sur la Victime.N’oublions pas que, souvent, les Victimes s’avèrent plus fortes que lesSauveursdanslamesureoùellessaventfortbienobtenircequ’ellesdésirent.L’équation est d’une grande logique : le fait de Sauver une Victime finittoujours par déclencher de la colère car le Sauveur finit par se lasser de sedévouer alors qu’il n’en a pas toujours envie tandis que laVictime se lassed’êtreconsidéréecommeunesorted’infirme.LeSauveurfinitpardevenirsonPersécuteurqu’àsontourellevapersécuter,letransformantenVictime.Etlaboucledujeupsychologiqueestbouclée.Le«bénéfice»étantdedévaloriserl’autreoudesesentirsoi-mêmedévalorisé.Que faire alors pour se réconforter dans ce dernier cas ?Manger (trop),

fumer(trop),multiplier lespartenairessexuels,sedroguer,passer lanuitsuruneconsoledejeuousetuerautravail…Ouencoretombermalade,faireune« bonne » déprime… Car un Sauveur qui a le sentiment d’avoir perdu lecontrôle sur la Victime, qui pense n’avoir plus aucun pouvoir sur elle –puisqu’elleserefusedésormaisàtout«Sauvetage»desapart–,ceSauveur-là,sesentantinutile,limité,peut-êtreincompétent,imparfaitforcément,rejeté,retrouveladétestationdesoiquil’avaitamenéàcetypedecomportement:lapriseenchargedubonheurde l’autre.Orcettedétestationdesoiest lavoieroyaleparoùs’engouffreladépression.Ilestpossible,aussi,deretourneràlacasedépart:chercherviteunepauvre

Victimeàsauverqui,elle,sauraappréciercequel’onfaitpourelle.C’estleschéma le plus fréquent : il permet de continuer à compenser les carencesaffectives de « l’enfant intérieur » de ces personnes dont l’immaturitéaffectiveestsimanifeste.

Page 54: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

L’immaturitéaffective

«Seull’autrepeutmerendreheureux»:telleestlacroyanceprofondémentancrée des dépendants affectifs pathologiques (cet autre pouvant être unmembrede la famille,unamiouunpartenaireducouple).Telleestaussi ladéfinition de l’immaturité affective.Avec toutes les déclinaisons possibles :«Jesuis incapabledevivreseul»,«Seule, jenevaux rien»,«L’autreestresponsabledemonbonheur»,«Jesuisresponsabledubonheurdel’autre»,«Nousnefaisonsqu’un»,«Noussommessemblables!»,«L’autreesttoutpourmoi»,«Sinousnousséparions,j’enmourrais»,«Jedoisêtretoutpourl’autre»,«L’autredoit toujoursêtre làpourmoi»,«L’autredoit êtremonseulsouci»,«Jedoisêtreleseulsoucidel’autre»,«Quandons’aime,ondoittoutfaireensemble,toutsedire,neriensecacher»,«L’autreestlàpourmecombler»,«Jedoiscomblerl’autre»,«L’autredoitpouvoircomptersurmoiàtoutmoment»,«Jedoispouvoircomptersurl’autreàtoutmoment»,«Jedoisêtrelapersonnelaplusimportantepourl’autre»…Sinousavionsaffaire à des enfants, à un âge où les parents sont censés s’occuper d’euxpresque constamment, où ils ont pour tâche d’être attentifs aux besoins deleurspetitsquidoiventêtreaucentredeleurspréoccupations,certainesdecescertitudesseraienttoutàfaitacceptables.Dumoinscellesquiconcernentlesdevoirsdesparentsvis-à-visdeleursenfants.Maisnousparlonsicid’adultes.Personnen’aplusàlesnourrir,àlesvêtir,àleurchanterdeschansonspourlesendormir, à les releverquand ils tombentet à souffler sur leursbobos,poursécuriserleurenvironnement…Cetemps-làdevraitêtrerévolu.Pourtant, lespersonnes souffrant d’immaturité affective sont encore dans cette attente«d’unefigurequiesttoujourslà:dieupersonnel,angeprotecteur…19».Undieuprotecteurquiseportegarantdeleursécurité–affective,biensûr,etquilesprenneencharge,qui les sauveet les rassure,qui justifie leurexistence,quilesguide.L’immaturitéaffectiveestbeaucoupplusfréquentequel’onimagine,même

chezdesindividustoutàfaitadultesdansd’autresdomainesdeleurvie.Ellese traduit surtout par des comportements éminemment possessifs et trèsexigeants. Monsieur veut-il organiser une « soirée foot » avec des amis ?Madame l’accusera de l’abandonner, de préférer ses copains, de ne pass’intéresser suffisamment à elle.Madame veut-elle organiser un « dîner defilles » à l’extérieur ? Monsieur l’accusera de ne pas l’aimer assez, de ledélaisser,denepass’occuperde lui…Lesexemples,dans lescouplesmais

Page 55: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

aussidanslesrelationsfamilialesetamicales,sontpléthore.Cetteimmaturitéaffectivedesdépendantsaffectifspathologiqueslespousse

à vivre des relations « de type parent-enfant » malsaines20 pas toujourssatisfaisantes ni épanouissantes, loin s’en faut,mais que les partenaires (enamitié comme en amour) ne veulent surtout pas rompre, car la solitude lesattendraitaudétourde laséparation.Etcommeleurbonheurnepeutarriverquepar l’autre, il leurest toutbonnement impossibled’imaginerdemettrefin à une relation (avec ses parents ou ses enfants, ses amis ou sescompagnons).Une patientem’a dit récemment : «Une séparation, c’est unanéantissement ! ». C’est en ces termes aussi que peut être décritel’immaturité des dépendants affectifs pathologiques.La dépendance est tropfortepourêtretransgressée:tropgrandestlebesoindelaprésencedel’autre,de son approbation. Il ne s’agit donc plus pour eux de l’envie (naturelle)d’aimer et d’être aimé : le manque de sécurité affective dans l’enfance l’atransforméeenbesoin,sourcedelatropfortedépendance.Unbesoinquilescontrôletotalement,unbesoinjamaistotalementassouvi.Il est parfois étonnant d’observer à quel point la dépendance affective

pathologique empêche d’aimer vraiment : l’autre, que l’on croit pourtantaimersincèrement,n’estqu’uneimagesurlaquellecespersonnesplaquentdescomportementsamoureux,pourlabonneraisonquecetautreestsimplementlàpourcomblerunvideaffectifabyssal.Iln’estdoncpasaimépourcequ’ilest,maispourcequ’ilreprésente.Nousretrouvonslàlemythe–encorebienvivant–duprincecharmantquisaura (enfin !)apporterà la femme toutcequ’elle désire et plus encore. Le prince charmant, une image pour jeunesfemmesquiseconduisentcommedesenfantscapricieuses toujoursenquêted’absolu, qui refusent la réalité et vont de frustrations en déceptionsamoureuses, qui semblent ignorer que l’autre a aussi des attentes et desbesoins.Ceciestaussivalablepourleshommesquiattendentlafemmeidéale.

Laterreurdelasolitude

Ladépendanceaffectiveproblématiqueoupathologiqueestdoncnéedanslecreusetde l’insécuritéaffectivede l’enfanceetde l’adolescence.Chez lesadultes, elle se traduit immanquablement par une véritable terreur del’isolement. Et le mot terreur n’est pas trop fort. C’est pourquoi lescomportements de ces personnes sont dictés par l’évitement de la solitude.

Page 56: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

L’autre–lesautres–devientleproduitconsomméparletoxicomane(alcool,cocaïne,héroïne,crack,etc.),produitdontilnepeutsepasser.C’estainsique,et lesprogrès technologiques semblentavoirétéprévusà

ceteffet,ilseraitimpensabledenepasêtrereliéàl’autre,lesautresqui,parleur présence constante, maintiennent le lien affectif et sécurisent.Aujourd’hui, les outils de communication permettent à chaque instant derester«encontact»:sinon,lasouffrancesubmergeaussivitequel’angoissedu vide, de la non-existence. Car vivre sans l’autre est impossible : celasignifieraitquel’onseretrouveseulfaceàsoi-même–àsondésamourdesoilorsquel’autrenenourritplusdel’émerveillementdesaprésence.

Louiseaaujourd’hui59ans.Elleestmariéedepuis trente-cinqansàJ.dontlemétierimposedetrèsfréquentsvoyagesàl’étranger.Elleestlamèredequatreenfants,tousmariésetsansenfants,dispersésdanstoutel’Europe.Elle se sent un peu « perdue » et dit avoir honte de venir consulter unepsychothérapeute:«C’estunemarquedefaiblesse»pense-t-elle.Jenemereconnaispas : jecroyaisêtregaieet jedécouvredepuisquelquesannéesque je n’ai plus de désir, que je suis triste, apathique, peut-être un peudéprimée », ajoute-t-elle. Jusqu’alors, elle avait (sans le savoirconsciemment)utiliséledénipour«mettredecôté»toutcequi lagênait.Mais « tout revient et j’ai besoin de parler de moi ». Louise, qui s’étaitmuréedanslesilence,souffredetensionsmusculairesdouloureuses,surtoutdanslanuque:«Onm’atoujoursapprisàmetenirdroite,quoiqu’ilpuissearriver », dit-elle, ajoutant que « la communication sur les émotions atoujours été interdite, même avec des amies proches ». Elle prend unantidépresseurdepuisdix-huitmois,maisnesesentpastellementmieux.«Jemesuiscomplètementinvestiedansmafamillecarj’aicrulongtemps

au mythe de la famille parfaite. Mais je déchante. J’ai sans doute étésurprotectricepourmesenfants,carj’ailesentimentqu’ilsontélevéunmurentreeuxetmoi.Maisjen’aipasledroitdemeplaindre:jeneméritepascequej’aiàcôtédesautresquionteumoinsdechance!Jenedoispasdirece qui ne va pas. » Louise juge ainsi ses émotions pénibles illégitimes.«Monmarin’apasletempsd’êtreromantique–ilnel’ajamaisété,maisc’est un homme bien. Je ne veux surtout pas être lourde pour lui, il atellementderesponsabilités!Jevoudraisêtreuneplumemaisj’aidumalà

Page 57: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

cachermatristesse…C’estcurieux,jefaissouventlemêmecauchemar:jeperds mon alliance… Je suis très seule, finalement, mais je fais madifficile…Nous avons une très bellemaison de campagne, enBourgogne.Monmariadoreyaller.Moij’aimeraisbienyinviterdesamis,maisilveutquenousrestionsseuls.Ilestunpeuours…MêmeàParis, jenepeuxpasvoirgrandmonde,carjedoisresterdisponiblepourlui.Alorsjenepeuxpasm’engagerdansuneactivitérégulière.Jesaisqu’ilvoitbienqueçanevapastrèsbien,et jem’enveux,maisilrefused’enparler.Moiaussi, jesuisbien obligée de lui cacher beaucoup de choses : ma tristesse, mesdouleurs…J’aipeurde luienparleretdemettremoncoupleenpéril.Enplus,cen’estjamaislemomentdeparleraveclui.Dèsquelerepasestfini,repaspendant lequel il écoute les informations, il vadanssonbureau…Ilestdemoinsenmoinsdisponiblepourmoi…Jeluienveuxquandmêmeunpeu,mais ilne fautpasqu’il sache…Il fautque j’apprenneà fonctionnerautrement : il prend sa retraitedansunan…Jeneme sensplus existeràvivreainsiaveclui,commesijenel’intéressaispas.Enréalité,j’aitrèspeurqu’ilsedétournedemoi,qu’ilmequittesijesuissincèreaveclui.Pourtant,il faudraitque j’apprenneàvivremoinsen fonctionde lui,mais jenesaispasfaire.Et ilmelereprocherait…Quandilyaundésaccordentrenous,mêmeléger,ilveuttoujoursavoirraison,c’esttoujoursmoiquiaitort.Peut-êtrea-t-il vraiment raison? Jene sais plusquoi penser…Mêmequand iln’estpaslà,j’hésiteàinviterdesamis,j’aipeurqu’ill’apprenne,etcommeilesttrèspossessif,jeneveuxsurtoutpaslecontrarier.»Lesgrandsdépendantsaffectifsnetrouventd’intérêtàlaviequesiunautre

la rend attrayante. Ne s’aimant pas, comment pourraient-ils vivre un seulinstantenbonaccordaveceux-mêmes?C’estpourquoiilscroientnepouvoirvivrequepar l’autre, cemagicienqui seul sait raviver l’étincelledeviequidemeureauplusprofondd’eux…Ouvivreparprocuration.

Annie, une jeune femmede42ans, vit depuis la finde sonadolescencedans la terreur de la solitude. Elle est belle, profondément gentille et trèscréative.Pournejamaisrisquerd’êtreseule,ellea,reconnaît-elle,trouvéunexcellentremède.Toutd’abord,elles’estmariéetrèsjeune(ellen’avaitque20ans)avecG.ets’estempresséed’avoirtroisenfants«danslafoulée.Aumoins, j’étais assurée pour plus de vingt ans, simonmarime quittait, derester avecmes trois enfants, de ne pas être seule », explique-t-elle.Puis,trèsrapidement,elles’estinscritesurunsited’escorteet,sonphysiquetrèsavantageuxaidant,elleavaiten«encours»plusieurshommesavecquielle

Page 58: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

passaitdessoirées,parfoismêmedesfinsdesemaineetdetempsàautredecourtes vacances. Tout en gagnant de belles sommes d’argent. Ce qui nel’empêchapasdetomber«follementamoureuse»d’unhomme,E..ElleeninformasonépouxquiacceptadelapartageravecE.,àconditionqu’ellenesoitpasabsenteplusdetroisnuitsparsemaine.Annie,entresesenfants,sonmari,sonamoureuxetleshommesderencontre,étaitvraimenttrèsoccupéeetn’avaitsurtoutpasletempsdeseretrouverseule…Puis,aufildesannées,elles’épritdel’undeses«clients»,C.,et, tout

naturellement,enparlaàsonépoux.MaisE.,qu’elleinformaégalement,laquitta:s’ilacceptaitqu’elleresteavecG.,sonmari,iln’étaitpasquestionpour lui d’avoir un rival « de cœur ». Annie vécut cette rupture dans ladouleur, mais elle n’eut pas le temps de s’appesantir sur son chagrin :d’autreshommesétaientlàquil’aimaient,qu’elleaimait.Puisellerencontratrèsviteunautre«client»dontelletombaamoureuse

enquelquessoirées.Informé,G.semontraencoretrèstolérant, tandisqueC. était, mais en secret, rongé de jalousie. Pourtant, ne voulant pas laperdre,ilsemontraittoujourscharmantavecelle–etfortgénéreux.Annieestheureuse:ellemaintientlasolitudesiloind’elleque,pense-t-

elle,ellenel’atteindrajamais…Cetteterreurdel’isolementestvécuecommeuneangoissedeséparation–

une angoisse de mort. D’autant plus que l’isolement (pourtant le lot dechaqueêtrehumain) contraindrait à l’apprentissagede l’autonomie : «Si jesuisseul,jedeviensresponsabledemoi,demavie.»Maissouvenons-nous:les personnes trop dépendantes se ressentent comme impuissantes à gérerseules leur vie, démunies de toutes ressources, incapables d’exister sansl’autre. Ce qui explique les nombreuses somatisations liées à cette terreurfondamentaledelasolitudeetlescomportementscompulsifsvisantàéloignerl’angoissenéede l’insécurité affective.Cettepeurquasipaniquegénèredesattitudes d’oubli total de soi pour se consacrer, se dévouer parfaitement etuniquementàl’autre,auxautres.Lerefoulementdesémotionsgénèretoujoursdessomatisations,toutcommeleurdéni.Lementaletlephysiqueformentuntout, il est impossible de les dissocier. D’autant plus que nos émotionss’inscrivent en premier lieu dans notre corps et participent à nos processusmentauxet intellectuels.«La tumeur,disaitFritzZorn,c’étaientdes larmesrentrées. Toutes les larmes que je n’avais pas pleurées et n’avais pas voulupleurer au cours de ma vie se seraient amassées dans mon cou et auraient

Page 59: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

façonné cette tumeur parce que leur véritable destination, à savoir êtrepleurées,n’avaitpaspus’accomplir21.»Paradoxalement,c’estens’oubliantelles-mêmes au profit d’autrui que ces personnes ont le sentiment de vivrepleinement!Cettesorted’acharnementdanslaquêted’amour,d’approbationet de reconnaissance est proportionnelle à la peur de la solitude qui lespoursuitencoreettoujours.Jusqu’àplacercetautresurunpiédestald’oùilnepourraquedégringoler : l’idolâtrealors retomberadansunedésillusiond’oùnaîtrontlacolèreetladépression.Mais avant la rupture, vient tout d’abord le temps de la grande tempête

émotionnelle, chargée de larmes, de cris, de supplications, d’injures, decritiquesacerbesetdemenaces.D’espoirsaussi,parfois:«aimerpourdeux»nerebutepaslesgrandsdépendantsaffectifset,mêmedevantl’inéluctable,ilsseprennentàespérerencore,àcroireenunrenouveaudelarelation–contretoute réalité. Ils sontprêtsà toutpourconserverce regardde l’autrequi lesanime,quilesfaitexister,quilesrendaimablesaupremiersensduterme.Quivientmasquerlesidouloureuxetsiprofondmal-êtreauquelilsveulentàtoutprixéchapper.Pour les dépendants affectifs pathologiques, il est toujours préférable de

maintenir une relation, même destructrice, plutôt que de vivre la solitude.C’est ainsi que nous rencontrons de ces personnes qui, bien qu’étant trèsmalheureuses dans leurs relations amoureuses ou amicales, ou mêmefamiliales,nepeuventpasy renoncer,neveulentpas.Leursouffranceseraitbienpire, croient-elles, que cequ’elles subissent dans ces liensmalsainsouinvivables. Et quiconque voudrait leur faire comprendre qu’elles méritentmieux,qu’ellessonttropmalheureusesetqu’ilvaudraitbienmieuxenvisagerune rupture serait immédiatement considéré commeun ennemi.Car, le plussouvent, elles confondent la force de leurs sentiments avec leur terreur del’isolement. Plus elles craignent la solitude et plus elles sont persuadéesd’aimer. Combien de fois n’avons-nous pas entendu l’expression de cettecroyance : «Lavien’a aucunevaleur tant que l’onnevit pas en couple»,avec son corollaire : « Tant que je ne vis pas en couple, je n’ai aucunevaleur » ? Le couple est « une valeur sûre », sécurisante. Ces idées sontenfouiessiprofondémentdanslesinconscientscollectifsqu’ellesnerisquentpasdeperdreleurpuissance.C’est ainsi que l’autre, celui qui donne la vie aux grands dépendants

affectifs, est réduit (très inconsciemment) à un rôle de soufflet, si l’on peut

Page 60: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dire:unsouffletquiattiselesbraisesetcréelefeu–lavie.Époux,amantsetcompagnons,épouses,maîtressesetcompagnes,amisetamies,membresdelafamille sont utilisés comme des soufflets : ils existent pour éviterl’isolement.Ilssontperçuscommeétantdifférents,plusfortsqu’euxetc’estjustement cette force qu’ils utilisent pour eux. L’autre est nécessairementpourvu d’une puissance qui leur manque : la relation avec lui permet, untemps, d’acquérir cette puissance. Ce n’est pas l’être qui est aimé,mais cequ’ilapporte:uneprotectioncontrel’isolement.C’estbienpourquoiilnefautjamaiscesserdeplaire,ilfauttoujoursresterparfait.L’histoirequiva suivrepeutparaître invraisemblable et caricaturale,mais

elleestvraie.

Nous sommes le 29 novembre 2006, il est 12h30 : Virginie sonne àmaporte.C’estsondeuxièmerendez-vousavecunepsychothérapeute.Elleaura39ansdansunmois.Mignonne,coquette,leregardvide.D’emblée,ellemedit, accablée : « Je suis dans un brouillard total, dans le gouffre. Je suisdésespérée.»Auxquestionssursesparents,ellemerépondquesamèreest« végétative et soumise », que son père la « dégoûte », qu’il est trèsmaniaque mais gentil. « Mes parents, ajoute-t-elle, ne dorment plusensembledepuis29ansets’ennuientmortellement.»Ils luiont longtempsseriné qu’elle n’était qu’un « accident » et que « l’on aurait préféré ungarçon».Filleunique,elleestdepuisquelquesmoisretournéevivredanslesombre appartement de son adolescence mélancolique, pour des raisonsfinancières.Lesoir,enrentrantd’untravailquil’ennuie,elles’enfermedanssachambreavecun«plateau-repas-télé».Ellesouffred’insomniesdepuisune dizaine d’années, de troubles alimentaires et d’alopécie (perte descheveux). Elleme raconte que, petite, elle hurlait en voyant son père carjusqu’à l’adolescence, elle le craignait beaucoup. La tête basse, elle«avoue»avoirétévioléedeuxfois: lapremière ilyadouzeansparsonostéopatheet,plustard,parlebeau-frèred’unedesesamies.Elleporteunlourd poids de culpabilité pour ces deux « petits incidents », dit-elle.Elledéploreque leshommesqui luiplaisent la rejettent («comme l’a faitmonpèrequin’étaitpasaffectueuxetsemontraitgrossier»).Etelleentreprenddemedécriresaviesentimentale:unvéritablechaos.En1982,Virginiea14ansetsuccombeaucharmedeL.quia«unetrès

Page 61: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

forte personnalité ». Avec lui – et sous son influence –, elle participe aubraquaged’unebijouterie:uncomportement«entotaleoppositionaveclemodedeviedemesparents».Elleditavoirété«endoctrinée»parL.quiavait déjà connu les maisons de redressement et avait longtemps étémaltraité par son père. « Je n’ai pas su dire non, je voulais avoir unerelationaveclui.C’étaitlapremièrefoisquejefranchissaislepasetj’avaistrèspeurqu’ilmelaissetombersijenevolaispasaveclui.Jel’écoutaisetj’adhéraisaveuglémentàsonpointdevue.Ilprenait–medemandaitdeluidonner –mon argent de poche pour s’acheter des cigarettes, il a volé lachevalièredemonpère(sansmeledire)etm’aobligéeàvolerlagourmettedematante.Ilmefaisaitsouffrirendraguantdevantmoid’autresfilles.Unbeau jour, il a disparu après avoir pris les disques que nous avions volésensemble.C’estàcemoment-làquej’aivécumapremièrecrised’angoisse:j’avaislasensationd’étouffer.Quelquesmoisplustard,jemesuisforcéeàavoirdesrelationssexuelles

avecD.,unItalien,alorsquejen’enavaispasenvie.J’aicomprisqu’aveclui, c’était un passage obligé pour ne pas être rejetée d’emblée, et jem’ysuis pliée à tort. Plus tard, j’avais le sentiment d’être complètementdévalorisée.En 1986, j’avais alors 18 ans, j’ai rencontré W. qui me plaisait

énormément physiquement. Je le trouvais généreux, aimant, cultivé etj’admirais en lui l’autodidacte qui avait réussi. Mais il s’est vite révéléviolentetjalouxdefaçonmaladiveaprèssonintégrationdansl’armée.Nousavionsprojetédenousfiancer,maisceprojetfutannulélematinoùilm’agifléeparcequej’avais,laveilleausoir,fêtémonBacavecdesamiesdansuneboîtedenuit.Cethomme,dontjecroyaisqu’ilétaitlegrandamourdemavie,estdevenuunvéritablemufle.Desannéesplustard,jel’airevulorsd’unesoiréeavecdescopines:ilm’aditqu’iln’avaitjamaiseulecoupdefoudre pourmoi. Pourtant, notre compatibilité physique était géniale, trèsforte,etj’aibienperçuquepourlui,j’étaislapremière.Pendantsontempsàl’armée,ilaeuenviedetenterunerelationavecunecoiffeuse:jel’aisuet,unsoir,j’airencontréJ.-L.dansuneboîte:j’aidoncmenédefrontcesdeuxrelationspendantunan.J.-L.étaittoutàfaitàmongoûtphysiquement,ilétaitgentiletgénéreux.

Mais je m’ennuyais avec lui. Après un long moment d’hésitation à metorturer sur le choix que je devais faire entreW. et lui, puisque je sortais

Page 62: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

avec les deux en même temps, j’ai décidé de quitter J.-L., mais commej’avais été trop bavarde, il connaissait l’existence et l’adresse deW. Il adoncdébarquéàl’improvistealorsquej’étaisenpleineréconciliationetW.apréférémequitter:ilaététrèshumiliéd’apprendrequej’avaisquelqu’und’autreenparallèle.Danslavoiture,j’aifaitunevéritablecrisedenerfs:jeréalisai que j’avais perduW.Alors j’ai accepté de rester avec J.-L.,maisj’étaisanéantie.Iln’yavaitquepeuoupasdesexedanscetterelation,carnous étions incompatibles (j’avais découvert qu’il se masturbait derrièremondosetj’étaisécœurée).En1991,j’airencontréS.,ungrandcharmeur,séducteur,dontj’aimaisle

sensdel’humour.Iladûmeséduirependantneufmoisavantquejebaisselagarde.Mais, dès que j’ai couchéavec lui, j’ai senti qu’il n’était plus àmespieds.J’aidécouvertaufildutemps(carnoussommesrestéstroisansensemble) qu’il était égoïste, menteur, dragueur, et joueur (il perdaitbeaucoup d’argent au tiercé). Avec S., j’ai vécu sous le même toit unerelationdestructrice car c’était unhommepervers. J’ai réussi à le quitteraprès qu’une amiem’eut présenté son beau-frère,K., en 1994.C’était unhomme sexuellement beaucoup trop brutal, pas épanouissant du tout. JepeuxmêmeparlerdevioldansleboisdeVincennes,àquelquesmètresdelaroute…dans lesherbeshautes.Mais, comme jepensaisquenous sortionsensemble,jen’aipasassimilécetacteàunviol,dumoinsdanslespremierstemps.Jenel’aicomprisqueplustard,enparlantavecdespsy.K.m’avaitfaitcroirequenousallionsnousmarieretcommejen’avaisqu’uneenvie,partir de chez mes parents, j’ai cru en sa promesse. Pourtant, il ne metéléphonait jamais tandis que je me ruinais en téléphone (il vivait àLondres). Finalement, j’ai fait une dépression en réalisant que ce qu’ilm’avaitpromisneseréaliseraitjamais.J’aicherchéàcomprendrepourquoiil s’était comportéde la sorte, et je suisallée levoiràLondres treize foispour faire le tour du personnage et m’apercevoir qu’il était musulmanpratiquantetquenousn’étionsdoncpascompatibles,bienque larelationsoitencoreactiveàchacundemesvoyages.Etpuisnonseulementilavaitdes problèmes d’érection, mais nous n’avions pas une relationépanouissante. Elle a fini par devenir inexistante lors de mes derniersdéplacements.Ilm’aquittéepartéléphone(çaaduréquatreheures)àlafindel’année1996.Finalement,j’étaisplutôtcontentedenepascontinueraveclui.Entre-temps, j’avais rencontréM. chez des amis, un gentil brun, et j’ai

Page 63: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

pensé qu’il pourrait m’aider à oublier K. Il était plus un copain qu’unamant : il y avait bien eu quelques relations sexuelles insatisfaisantes audébut de notre histoire, mais elles ont vite cessé. Je n’avais donc pas lesentimentdeletromperenallantvoirK.àLondres.Jenel’aimaispasetjel’aiquittéquandj’airencontréJ.Mais,toutenétantencoreavecK.etM.,j’aiétéavecC.,quiétaitgentilet

me faisait penser àmongrand-père décédé.C’était au début de 1997.Cen’étaitpasuncoupdecœur,maisunbonamant.Pourtant,mavieàsescôtésmanquaitdepiment.J.etmoinoussommesrencontrésparlebiaisd’uneagencematrimoniale,

à la fin de l’année 1997. Jeme sentais bien avec lui, comme si je l’avaistoujoursconnu.Lorsdenotrepremierrendez-vous,nousn’arrêtionspasdeparleretnousavonsdécouvertbeaucoupdecentresd’intérêtcommuns (lesport, lamusique, lesvoyages…).J.estunepersonnecultivéequisuscitaitmon admiration, professionnellement et personnellement. Tout le mondel’appréciait pour son goût pour les contacts humains, parce qu’il était unhommejovialetsympathique.Mais,envivantàsescôtés,j’aidécouvertunhommemacho(dugenre«lesfemmesdoiventrepasser»),compenséparlefaitqu’ilfaisaitdivinementlacuisine.Ilm’aprodiguédejudicieuxconseilspour avancer professionnellement : il était le grand frère que je n’avaisjamais eu. Jeme sentais bien dans sa famille qui était un peu devenue lamienne (comparée à mes parents que je ne trouvais vraiment pas à lahauteur).Mais les relations sexuelles furent inexistantespendant cinqans.Nousavonsétémariésseptansetnotredivorceaétéprononcéilyajustedeuxans.L’histoire de Virginie pourrait encore se poursuivre sur de nombreuses

pages,maisrevenonsausujetdecelivre.L’autreétantutilisé,ilvadesoiqu’ilestégalementmalaimé,defaçontrès

incomplète, partielle : idolâtrer n’est pas aimer, mais alors pas dutout. Idolâtrer, c’est regarder l’autre en levant les yeux, en implorant sonamour,saprotection,sabonté. Idolâtrer,c’estseplacerdevantson idole, telun jeune enfant devant sesparents, tel un croyant devant sondieu.C’est secroiretellementfaibleetimpuissantquetoutevieseraitimpossiblesanslui,ce«pourvoyeur22»devie,d’illusiond’êtreaiméjusteparcequ’ildaigneposerson regard sur cet idolâtre fervent, avide demarques d’amour, de gratitudepourtoutcequ’ilestcapabledefairepourbienhonorerceluiquiluipermet

Page 64: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

d’exister.Et,letempsdel’idolâtrie,desecroireaimable.Pourtant,ceregardaimantnedoitsurtoutpassedétourner:larelationcourraitungravedanger.Cequiexpliquelajalousiequitordleventreetcognelecœuràlaseuleidéede ce détournement des yeux. Une jalousie souvent fondée sur uneimaginationcréantdesscénarioscatastrophiquessur labasedudésamourdesoi (« Qui, me connaissant, peut continuer à m’aimer puisque je ne vauxrien?»).Lapeurdeperdrel’autreéquivautàlaterreurdel’isolementpuisquelesdépendantsaffectifspathologiquessontpersuadésqu’ilsnesurvivrontpasàcetteperte,que la souffrance résultantdumanque les terrassera.Quand lebesoininsatiabledel’autreneseraplusassouvi,ilsnepeuventquedésespérerd’eux-mêmesdansl’humiliationden’êtreplusaimés.Unehumiliationquilespousseraàlahaine,àlarageagressiveetmenaçante:unefaçoncommeuneautrederesterencontact,denepasrompretoutàfait.Car ne nous y trompons pas : « Le plaisir de la dépendance est celui du

besoin satisfait23 », quelle que soit la dépendance. Peu importe le produitréclamé:tantquele«pourvoyeur»(dedrogues,desexe,detravail,d’extasereligieuse, etc.) accomplit sa tâche, le dépendant est rassuré, sécure. Maiscombien de temps durera la « pourvoyance » ? Sa qualité restera-t-elleconstante?Leprixàpayerneva-t-ilpasaugmenter?Telssontlesconstantssujets d’inquiétudedes dépendants pathologiques, inquiétudequi tempère laqualité du plaisir ressenti. En effet, que se passera-t-il en cas demanque ?Pourcespersonnes, lepourvoyeurestunêtreabsolument irremplaçablecar,impuissantes, elles sont obligées de passer par lui. Alors, en cas dedéfaillance,ilfaudrasetournerversunautre,puisencoreunautre…Commel’afaitVirginieavecsesespoirssuccessifs…Unebelleconstanceet,chaquefois,unetelledésillusion!L’obsessiondesautres(des«pourvoyeurs»réelsetpotentiels)faitpartie

des caractéristiques des personnes trop dépendantes affectivement : seconsidérant elles-mêmesdepeud’intérêt, elles sont constamment à l’écoutedesautres,deleurspensées,émotions,projets.Cequiévitedesepenchersurses propres émotions… Cette concentration sur l’autre a pour objectifd’apaiserlesinquiétudesàsonsujet,ousurlapérennitédelarelationaveclui.Plus les informations sont nombreuses, plus la tranquillité d’esprit (et decœur)augmente–àcondition,bienévidemment,quecesinformationsaillentdanslesensdesattentes:lacertitudequelesbesoinsaffectifsserontsatisfaits.Obsessions et inquiétudes donnent l’impression de vivre intensément et

Page 65: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

rassurentpuisqu’ellessontlesignedel’existenced’unlien.Sanslien,lapeurdeleperdren’auraitpaslieud’être.L’autre, les autres, sont les sujets de conversation favoris des dépendants

affectifs pathologiques. Tout ce qui concerne les autres les passionne : ilssaventécouteretretenirdefaçonétonnanteparfoischaquedétaildeleurvie.Une façon comme une autre d’éviter de penser à soi… Les problèmes desautres sont tellement plus intéressants ! Leurs joies aussi, tout comme lesmenusincidentsquiponctuentleurvie, leurssoucis, leursgoûts, leurssujetsd’intérêt.Etcommel’onn’ajamaisfinidedécouvrirunêtrehumain,l’onn’ajamaisfinideparlerdesautres:ilyatoujoursquelquechoseàdire…Toutcomme ilya toujoursdeschosesà fairepour l’autre !Qu’onenait

envieounon,quelleimportance?Ilyaégalementtoujoursàfaireàlaplacedel’autre–commes’ilétaitunpeuincompétent…Maisnon,c’estjustepourlui rendre service… Et puis il est tellement gratifiant de se rendreindispensable : l’onn’aurapas fini de faire appel àvous, vous avez tant detalent,decompétence!Alorsoui,ilconvientd’êtretoujoursdisponiblepourdevenirréellementindispensable:nulencoreaujourd’huin’ainventémeilleurmoyen d’y parvenir. D’autant plus que si l’on est considéré commeindispensable,l’onpeutsesentirenmeilleureestimedesoi,presqueauniveaudesautres.Non?Si!Etl’onpeutalorsmériterd’êtreaimé…

Seperdredansl’autre:lafusion

Voici quelques définitions du dictionnaire Petit Robert. Fusion :« Dissolution d’un corps dans un liquide, mélange intime. Union intimerésultantdelacombinaisonoudel’interpénétrationd’êtresoudechoses.VoirSe fondre, se confondre. Absorption. Ant. Séparation. » Et voici quelquessynonymes : «mêler, agglutiner, confondre, embrouiller, hybrider, brouiller,broyer,manipuler,délayer,dissoudre,diluer…Embrouillamini,fatras,gâchis,confusion…24 ». Je vous propose donc de créer quelques phrases enremplaçantlemotfusionparceuxproposésci-dessus.Parexemple,aulieudedire«Jenecroisqu’enl’amourfusionnel»,nouspourrionsdire«Jenecroisqu’enl’amourdissolution»,oubien«Jenecroisqu’enl’amourfatras»,etc.La fusion consiste à désirer se fondre, se dissoudre dans l’autre etréciproquement:cardanscetteformed’amour,ouplutôtd’illusiond’amour,lesoiestextrêmementvalorisédansleregarddel’autre!Commeaussidans

Page 66: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

la passion où l’on n’aime, n’adore, que soi-même. C’est donc la meilleurefaçondecréeruntelembrouillamini,unetelleconfusion,unetelledilutionetuntelgâchisquesapropreexistenceesttotalementetfondamentalementniée.Deuxêtresenfusionsontréduitsàunesortedecurieusehybridation…

Juliette,32ans,vientd’écrireunelettred’amouràsoncompagnonquienaimeuneautre.En voici quelques extraits : « Je t’aime et te déteste. J’aienvied’êtredanstesbrasetj’aienviedelesarracher.Tuesl’hommequimecalme,m’apaise,mefaitrire,merendheureuseet tuesaussi l’hommequimefaitpleurer,quimedéchirelecœur,quimeblesseetquimefaitperdretouteconfiance.Rompre,tequitter,j’aiunepeurbleuedelefaire…Dujourau lendemain, j’ai compris que tu n’étais pas à moi, que tu ne le seraisjamais. Mais quand je pleure, qui me console ? Vers qui je peux metourner?Tun’esmêmepascapabledem’appelerpoursavoircommentjevais!J’avaispourtantl’airassezmal,ilmesemble,çaauraitéténormaldeprendredemesnouvelles,jetrouve.Tuenavaispourcinqminutes,c’esttoutce que je te demandais…Je ne sais pas si tume trouves lourde, collante,pathétique, lamentable… Je ne sais pas. J’ai toujours peur de mal faire,peur de te perdre. Mon Dieu, mais te perdre, ça, ça me fait exploser enlarmes!C’estlapirechosequipourraitm’arriver…Sijenepouvaisplusterevoir,jamais…Jesais,onesttrèsdifférents,maisçapeutêtrenotreforce…Pourtoi,jeferaisn’importequoi.Pourtoi.Demande-moin’importequoi,jeseraitoujourslàpourtout,pourtoujours.Jen’avaisjamaisaiméquelqu’unàcepoint…Quand j’aibesoinde toi, quand j’aiunproblème,quand j’aibesoindeteparler,est-cequetueslà?Non.Tuterenfermes.Tuarrivesàvoirtespotes,tun’aspasletempsdem’écouter.Situm’aimais,tuprendraissoindemoi.Tumelaissesseule.Tut’enfousdemoi,decequejevis,deceque je pense. Tu t’en fous ou tu as peur, donc tu t’éloignes au lieu dechercheràcomprendre.Situtiensvraimentàmoi,commetuledis,prouve-leetabrègemessouffrances.Tumedoisbiença.»Évidemment,ledésirdenefairequ’unavecl’autreestlaconséquenceàla

foisdel’immaturitéaffectiveetdelaterreurdel’isolement:sijesuisdiluéedansl’autre,nousnenoussépareronsjamais.LePetitRobert leditbien : lecontrairedelafusionestlaséparation.Plusjemeconfondsavecl’autre,plusj’aidelavaleur–plusjem’oublieetm’éloignedemoijusqu’àneplusdutoutsavoir qui je suis. Mais est-ce vraiment important ? Non, car seul l’autrecompte, seuls comptent les autres qui satisfont mon immense et insatiablebesoind’affection.Elleestdoncéminemmentsouhaitable,cettefusion :elle

Page 67: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

repousse l’angoisse de la séparation, elle permet de trouver une sécuritéaffective qui, de loin, pourrait ressembler à celle que l’enfant ressent enbaignantdansleliquideamniotiqueavantlaséparationàtoutjamaisd’avecsamère. La naissance est d’ailleurs, rappelons-le, la première séparation, cellequigénèrejustementl’angoissedeséparationlaplusarchaïque.D’autant plus que cette toute première épreuve sera suivie de peu, en

quelques mois, par l’angoisse de l’individuation qui permet de devenir unindividuséparédesamère–etplustardautonome.Unêtrequiparledeluienemployant le Je et non pas un vague Nous où vont se dissoudre lesindividualités, les identités profondes. « La fusion éradique l’isolement defaçon radicale,ensupprimant touteconsciencedesoi, entraînant lapertedusens de soi25. » Est-ce vraiment si enthousiasmant qu’il faille y consacrertoute son énergie ? Tous ses efforts ? Sans doute, puisque les dépendantsaffectifs pathologiques sont assez nombreux… Faut-il se désaimer très fortpourgâcherainsitantdepotentialités,tantderessources!Encoreeût-ilfallucroire en ces potentialités, en ces ressources. Mais n’y croyant pas, cespersonnes acceptent joyeusement de se détourner d’elles-mêmes pour tenterdes’intégrerenl’autre–del’intégrerenelles.Pournefairequ’unets’oubliersur l’autel du besoin avide d’affection et de sécurité affective. L’amourromantique est l’une desmeilleures représentations de la fusion, une de sescomposantesétant la soifd’unabsoluoù lesamoureuxse fondent l’undansl’autreetdisparaissent,engloutisparleurdésirdenefairequ’un.En se perdant dans l’autre, elles ont l’assurance de mieux le servir, de

mieuxluiplaire,demieuxdevinersesdésirsetsesenvies,sesaspirations–etde confondre ces désirs, envies et aspirations avec les leurs. Elles se« caméléonent » sur ses goûts et ses centres d’intérêt, sur sa religion, sonidéologie, ses rythmes, ses préférences et ses rejets. Jusqu’à ne plus sereconnaîtreelles-mêmes:oubliésleurssentimentsetémotionsfondamentaux,oubliésleursprojetsdevie,oubliécequiestimportantenelles.Àl’écouteetl’expression sincère et authentique de ce qu’elles sont, elles préfèrent lasécurité(illusoire)qu’offreapparemmentlafusion.Cechoixleurestdictéparla terreur de la solitude. Il est à l’origine de nombreuses somatisations,l’épuisement en tout premier lieu. Et, malheureusement, s’étant ainsiappropriécequiconstituel’autre–oulesautres–,s’étantàcepointaliénéesàautrui,ellesfinissentparneplussavoirquoipenser,quedire,quevouloir,quedésirer.Letrop-pleindesidéesetdesenviesdel’autrecamoufleetétouffeen

Page 68: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

elles leurs propres idées et envies, provoquant une immense force d’inertie,une grande passivité dans leur vie sociale. Ce qui rend cette dernièreparticulièrement difficile car leurs proches finissent par se lasser de cetteinertie,decetteabsenced’autonomiedelapensée,d’affirmationdesoi.Decegoût étrange pour un mimétisme qui devient vite insupportable : mêmesvêtements, mêmes idées, mêmes goûts…Mais comment s’affirmer lorsquel’on ne sait plus qui l’on est ? Déplaire étant formellement interdit,l’inquiétude refait surface…Il fautparfoisune séparation (l’autredécidedemettrefinàlarelation)pourdécouvriràquelpointladépendanceàl’autreestvraimentpathologique.Telunenfantabandonné,lapersonnequiseretrouveseulesembleavoirperdutoussesrepèrescarellenevivaitqu’enfonctiondesdésirs(réelsousupposés)del’autre.Elleavaitdepuisbienlongtempsrenoncéà exprimer le moindre désir, la moindre envie personnelle. Il lui fautréapprendreàvivre.Lorsqu’unindividuesttrèsfusionnel(dansla«dissolution»delui-même),

ilnepeutsupporterunseulinstantquel’autre(lesautresavecquiilentretientunliendecetype)montredesvelléitésdeprisededistance–neserait-cequepour se retrouverunpeu seul avec lui-même, cequi estpourtanthautementrecommandable.Cetautrerisquebiendesubirderechefdes«campagnesdeculpabilisation » réitérées à chaque tentative d’isolement. Les dépendantsaffectifspathologiques, laplupartdutemps, lemanipulentenseplaignantetenlemettantmalà l’aiseparunemultiplicationdeleçonsdemorale.Qu’ilsne s’appliquentpas forcément…Ilsont lacritique facileetne la supportentpas venant de l’autre. Devenus Persécuteurs, ils se sentent plus forts en lerabaissant. Et ils exigeront de plus en plus les « doses » utiles demarquesd’amour allant en augmentant, car il s’agit d’une drogue.Ce comportementinsatiablerisquepourtantd’effrayercetautrequiauradeplusenplusenviedeseprotégerenprenantdeladistance.Etlecercledeviendravicieux,commeill’est dans toutes les formes d’addiction. Car il est impossible de se sentircombléunebonne foispour toutes : celanepeutpasexisterdans la réalité.Lespourvoyeursontaussileursfaiblessesetleur«produit»desinsuffisances,surtoutdansladurée.Ilsnesontpasdesdieux…La vulnérabilité des grands dépendants affectifs est proportionnelle à

l’importancedu lien : cequiexplique l’escaladede leursexigences. Iln’estpasquestiondevivredebonsmoments end’autres compagniesque la leur,d’avoirdes intérêtsdifférents,desactivités sanseux.« Ilsnedoivent rienà

Page 69: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

personne,cependant tout leurestdû26. » Jeme souviensd’unhommequi afini par interdire à sa femme de suivre ses cours de gymnastique : « Je necomprendspasqu’ellepuissesetrouverbiensansmoi»,disait-il,furieux.Sacolère était monumentale quand elle parvenait à s’y rendre. Pour « fairepasser»l’interdiction,ilselançaitdansdelonguestiradessursonamour,sasouffrance lorsque tout ne se passait pas comme il le voulait…MêmedanssonrôledeBourreau, il seplaçaitenVictime. Iln’hésitaitpasà lui faireduchantageausuicideoulamenaçaitdepartiraveclesenfants.Pour ces patients, la fusion représente donc le « meilleur » moyen pour

lutter(parledéni)contrelaterreurdel’isolement.Cettefusion«floute»lesfrontièresavecl’autreetpermetainsiàlafoisdesupporterl’oublidesoietdecroireenunesécuritéaffectivequiacruellementmanquédansleurhistoiredevie.

Desattentesimpossiblesàsatisfaire

Les attentes des dépendants affectifs pathologiques sont gigantesques etinadaptées,d’autantplusimpossiblesàsatisfairequ’ellesseconfondentaveccelles de l’enfant : devenu adulte, il espère encore recevoir les marquesd’amour qu’il aurait « dû » recevoir de ses parents. Ce qui est une quêteencoreplusimpossiblequecelleduSaintGraal!Nulêtreaumondenepourraprodiguerunamourparentalàunautreadulte,jamais.Malheureusementpoureux, les dépendants affectifs, dans leur penséemagique enfantine, y croientencore,sansquecelasoitconscientisé.Ilsattendentdel’autred’êtrepourluilapersonnelaplusimportanteaumonde:uneexigencetotalement illusoire.Ils attendent toutes les attentions, toutes les preuves d’amour qui leurprouveront qu’ils sont aimés, aimables, et dans la durée. Ils attendent quel’autrelesfasseexister,cequin’eststrictementpasdesonressort.Cet amour parental tant espéré est exigé de toutes les personnes de

l’entourage : membres de la famille (parents, frères et sœurs, mais aussienfants et petits-enfants), partenaires et conjoints, amis, professeurs,collègues, supérieurs au travail, guides spirituels, psychothérapeutes… Ettoute « défaillance » (oumanquement à ces attentes qui sera perçu commetelle)n’engendreraquede lacolèreetduressentiment.Cessortesd’attentesne correspondent pas à la réalité du présent. Imaginez qu’enfant, vous ayezespéré très fort telleou tellepoupée, telou tel camion.Vousn’avez reçuni

Page 70: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

l’une, ni l’autre et voilà que, maintenant que vous êtes adulte, l’un de vosproches vous offre cette poupée ou ce camion. Que ressentirez-vous, sinonune totale inadéquation entre votre désir d’enfant et votre désird’aujourd’hui?Cecadeau, inadapté,nevousprocurerapas la joieanticipéelorsquevousétiezenfant.

Simon,50ans,estdivorcé(«untrèsmauvaisdivorce»)depuissixansetses cinq enfants vivent avec leur mère. Simon passe le plus clair de sontemps à combattre ses peurs en étant dans « une quête permanente deséduction ». De nombreuses femmes vont et viennent dans sa vie, mais iln’estjamaissatisfait,«ilyatoujoursquelquechosequinevapas».Ilestdéprimédepuislongtempsetdorttrèsmal.«J’aibesoind’amourcommedel’eau », dit-il, et il ajoute : « Je veux être reconnu comme le meilleurcompagnonetpourmafinessedeperceptiondelafemmequej’aime».Cequ’à l’évidence elles ne reconnaissent pas puisqu’il finit toujours par êtredéçu.«Jenepeuxpasm’épanouiravecquelqu’unquinemedonnepasceque j’attends, c’est pour cela que je multiplie les rencontres, je cherchequelqu’un qui saura enfin m’apprécier à ma juste valeur, qui saura bienm’aimer…»Etlui,sait-ilaimer?Simonestenmanqueconstantdereconnaissance,alorsilrencontre,tombe

trèsamoureuxenuneoudeuxsoirées(sansquitterlaoulesfemmesavecquiil a déjà une liaison), puis très vite se lasse, veut quitter, est quitté, seréconcilie.Simonestfatigué,amalpartout:«Jedonnetropdepouvoirauxfemmes surmoi, je n’ai pas lemoral.Elles se plaignent tout le tempsmaisaucuneneseposelaquestiondesavoirsi jen’aipasàmeplaindred’elle…J’aibesoinde leuramour,c’est laseulenourrituredont j’aibesoin.Maisaufinal,jesuistoujoursdéçu»,regrette-t-il.Simon se sent humilié par ces femmes qui ne savent pas l’aimer. Alors,

régulièrement,ilinvitedesamisàdînerpourse«sentirexister».L’idéed’enfiniraveclavieluiestvenueplusieursfois,lorsqu’ilsesentabandonné…C’estpourquoilesattentessurleplanaffectifdesdépendantspathologiques

ne peuvent pas être satisfaites. Elles ne sont en réalité que des pièges, tantpour celui qui espère cesmarques d’amour que pour ceux qui en donnent.Ellesseront toujours insuffisantes,quoiqu’ils fassent,car inappropriéesà laréalité du présent. Frustrations, désillusions, déceptions sont les seules

Page 71: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

conséquencesdecesattentesimpossiblesàsatisfaire.Ellesdemeurentfixéesàunpassédouloureuxquinechangerajamais.Lepasséestcequ’ilest,resterapour toujours ce qu’il est. Et vouloir tenter de le modifier s’appuie sur unespoirforcémentvouéà l’échec.Toutcommel’intentiondes’encouperunebonnefoispourtoutesafinden’enplussouffrir,d’éleverdesmursentresonhistoiredevieet leprésentnepeutpasêtreunebonneidée:cetteformededéninepourraitgénérerqu’unecoupureaveccequ’ilyadebondanslepasséet avec les apprentissages de tous ordres qui se sont accumulés au fil dutemps.Etcessortesdemurssontégalementdespiègesetdesillusions:nossouvenirsrestentgravésennousjusqu’audernierjourdenotrevie.

Commentaimerl’autresil’onnes’aimepassoi-même?

Il est troublant, à l’écoute des patients en dépendance affectivepathologique, de reconnaître qu’ils demandent tous à être aimés sans parlerd’offrirlaréciproque:donnerdel’amour.PrenonsLucien:ilparlesansarrêtdesonimmensedésird’êtreaiméetdesrôlesqu’iljoueaveclesfemmespourtenter d’y parvenir. Virginie aussi ne recherche que des hommes quil’aimeront, qui l’aideront à quitter définitivement ses parents : aucun nepourraluiconvenir…Etsivousrelisezlesexemplesdonnésplushaut,vousconstaterez la même chose. Pourtant, ces personnes insistent sur le faitqu’elles veulent rendre les autres heureux, qu’elles y consacrent toute leurbelle énergie, qu’elles s’effacent même complètement devant les désirsd’autrui,négligeantlesleurs.Ellessontainsipersuadées,ellessepersuadent,qu’ellesaiment,qu’ellessaventaimer.Pourtant, il est admis que l’on ne peut bien aimer que si l’on s’aime

suffisamment soi-même. Qu’il est impossible de donner de l’amour s’iln’existe pas en soi – pour soi. Il n’est bien sûr pas question de devenir sapropreidole(celas’appelledelamégalomanie!),mais,entoutelogique,l’onnepeutoffriràl’autrequecequiestensoi.Jesaisquecedouteémissurlaqualitéd’amourdesgrandsdépendantsaffectifsn’estpassimpleàadmettre,mais c’est ainsi. Le psychiatre américain Irvin Yalom emploie des termesencore plus forts, évoquant la « perspective utilitaire27 » de ces typesd’attachements, tous types de relations confondues (familiales, amicales,sociales, professionnelles et amoureuses). Ce qui signifie que l’on nerecherche que ce qui va combler nos besoins : les autres aspects de la

Page 72: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

personnalitédelapersonnequel’oncroitsincèrementaimerétantméconnusou,pire,àpeinesupportés.Ils’agitdoncd’unamourpartieletnondel’amourdel’individutelqu’ilestdanssaglobalité.L’onn’entrepasenamourcommedansuneépicerieoùl’onneprendquecedontonaenvieoubesoin.Unêtrehumainn’estpasunensemblederayonnagesoùl’onpeutchoisircequinousconvientetoublier–danslemeilleurdescas–cequinenousestpasutile(ous’enirriter,commecelaarrivesouvent).

Yves,49ans.Savieaffectiven’estpastrèssimple.Actuellementencoursdedivorce, ilvitavecuneamie,Estelle. Ila troisenfants,dontunpetitde3 ans. Il est resté marié quatre ans avec Elinor, mais a eu « vite besoind’avoir unemaîtresse ». Auparavant, il avait étémarié vingt ans avecF.,avec qui il a eu ses deux aînés. Elle l’avait quitté sans crier gare,brusquement, lui annonçant qu’elle en aimait un autre. Pour ne pas êtreseul, il s’est immédiatement inscrit dansuneagencematrimoniale, où il arencontréElinor.Ill’ademandéeenmariageaudécèsaccidenteldeF.,pourqu’ils aient « une mère de remplacement », et il a accédé à son désird’enfant, le petit de 3 ans qui, aujourd’hui, est en garde alternée.« J’attendais de l’aimer, dit-il, elle est parfaite, exceptionnelle, ne vit quepour lesautres.Mais jenesuispasamoureux.Pasplusqued’Estellequi,elleaussi, veutun enfant. Jeme trouve très lâche car jene fais rienpourfaireévoluerlasituation.ReveniravecElinorseraitbienpourlafamille,lesenfants,maisjen’aiquetrèspeudedésirpourelleetledivorceestsurlepointd’êtreprononcé.Lesenfantsl’adorent,maisest-cequec’estunebonneraison?J’aiaussidesdoutessurlessentimentsd’Estelleàmonégard:jecrainsqu’elleveuilleunenfantetqu’ensuite,lassée,elleneparteaveclui.Jedéteste lescontraintes, lesconflits. J’aimequ’onme laisse tranquille

avecmesmillehuitcentsBDetmon trainélectriquequioccupeà luiseultouteunepièce.C’est làque je suisheureux,etdansmasalledemusiqueaussi.Jen’aimepasavoirtoutescesquestions…Finalement,cequimetleplusd’intensitédansmavie,c’estl’amourplatonique:lefairedurerlepluslongtemps possible me met en transe. Après, c’est moins intéressant. Jevoudraisêtrerestédansmonenfanceheureuse,entre5et15ans!…Jesuisgentil, j’aime qu’on me trouve gentil, je voudrais même qu’on me trouveformidable !Comme j’ai de l’argent, je fais énormément de cadeaux et je

Page 73: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

suissûrd’êtreunbonpapa:jem’amusebeaucoupavecmesenfants.»Les êtres aimés ne seraient alors que des « pourvoyeurs de produits de

première nécessité28 », dont la justification de l’existence sur terre seraitréduite à la satisfaction du besoin d’amour des dépendants affectifspathologiques.Cetteapprocheutilitaristenepeutenaucuncassesubstitueràde l’amour.Aucune relationdequalité (avec lesmembresde sa famille, sesamis,sespartenairesenamouretmêmeaveclesgensdesonenvironnementprofessionnel)nepeutêtreenvisagéesur labasede la terreurde lasolitude.Carcegenred’amour-là,centréuniquementsurcequel’onvarecevoir–touten croyant satisfaire les désirs de l’autre – n’est pas de l’amour, mais un«besoind’amour».Danscessortesdesituations,toutsepassecommesilesautresdevaientseconcentreruniquementsurceque lesdépendantsaffectifsdésirent:commeilscroientlefaire.Commesi,enéchangedel’oublidesoi,de l’aliénationde soi (qui n’ont jamais été réclaméspar qui que ce soit, dumoinspasconsciemmentetsurtoutpasàl’âgeadulte),l’autreétaitforcémentredevabled’amour.C’est pour ces raisons que naîtra la déception (nous y reviendrons) : le

besoin d’amour est tellement avide, tellement insatiable, que nul être aumonde ne pourra jamais le satisfaire complètement et dans la durée.Quelledésillusion !L’autre, que l’on avaitmis sur unpiédestal (d’où il nepouvaitque tomber !), que l’on adorait, pour qui l’on a consenti tous les sacrifices,tous,oui,ehbiencetautrenes’avèrepassiadorablequecela,finalement.Et,progressivement,ilseraparénonpasdetouteslesvertuscommecefutlecasau début de la relation,mais de tous les défauts. Sans bien sûr reconnaîtrequ’il n’était finalement qu’un inconnu : une personne que l’on ne s’est pasdonnélapeinedeconnaître,avecsesressourcesetseslimites,sesqualitésetsesmanques.Unevéritable personne, en fin de compte.Unepersonne aveclaquellel’intimitéfaisaitpeur.L’intimitévéritableréclameledévoilementdesoi:sil’onn’osepass’ouvriràl’autreparcraintedenepasêtreaimé,sil’onrefusededécouvrirl’autretelqu’ilestdanssonidentitéprofondepourn’êtrepas déçu, quelle place donne-t-on à l’intimité, clé de voûte de l’amourauthentique?Aucune.L’heuresonnealorsdudésenchantementetdelarage,durejetavantd’êtrerejeté…

L’immaturité affective cause ainsi, nous venons de le voir, de grands

Page 74: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dommagesémotionnelset relationnels.La terreurde l’isolement, ledésirdefusion avec l’autre au prix de la perte de la conscience de soi, les attentesimpossibles à satisfaire et l’incapacité à offrir un véritable amour sontmalheureusement le lot commun de la vie si douloureuse des dépendantsaffectifsproblématiquesetpathologiques.

Page 75: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

2.

Unsentimentd’êtrevacillant

«Pourquoiest-cequecelaparaîtsubversifdedirequetoutadultedoitaccueillirtoutêtrehumaindès

sanaissancecommeilaimeraitlui-mêmeêtreaccueilli?Aveclemêmerespectquecetadulte

désireraits’ilétaitdanslasituationdecetenfant.»FrançoiseDolto

Page 76: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Commentdevient-ondépendantaffectifpathologique?

L’essentiel des facteurs à l’origine de la dépendance affectiveproblématique ou pathologique s’installe dans le milieu familial. L’enfancedure longtemps et les émotions se gravent progressivement, elles restentgravéestoutelavie.Jevoudraiscependantajoutericiquetouslesenfantsnesontpas«égaux»dans leur façonde subir les traumatismes : certains sontplus vulnérables psychiquement que d’autres.Enoutre, l’enfant d’unparentmalade alcoolique ou qui prend régulièrement des psychotropes seradavantage prédisposé à des comportements addictifs. Il présentera plus derisquesdedeveniràsontourdépendantpathologique,quelquesoitletypededépendanceverslequelilsetournera.

Histoiresd’enfance

Ce qui se passe, déjà, au cours de la vie intra-utérine n’est pas du toutanodin et de ces premiers moments dépendra une grande part de la vieaffective,relationnelleetémotionnelledel’êtrehumain,dudébutàlafindeson existence. Pendant la grossesse, des liens profonds se créent, sedéveloppent et sont entretenus entre lamère et l’enfant : c’est la naissanced’unattachementextrêmementpuissantfondésurunéchangeémotionneldechaqueinstant.Eneffet,« ilseraitabsurdedecroirequelepsychismenesemette à fonctionner qu’aumoment de la naissance29 ». Pendant longtemps,très longtemps, l’homme de la rue comme les scientifiques pensaient quel’utérus n’était qu’une poche neutre et muette où pouvait se développerl’enfant : une sorte d’éprouvette géante, tout comme ils avaient la certitudequelesbébésànaîtrenerelevaientquedelaseulebiologie.Cescroyancesontaujourd’hui heureusement disparu (du moins l’espère-t-on) et l’on sait fortbienquecequisepasseentrelamèreetl’enfant–sansoublierlepère–,toutaulongdelagestation,estfondamental.L’échangeaffectifexistebeletbien.L’enfant « devine » parfaitement bien sa mère, et « il n’est pas jusqu’à lagestuelle (de la mère) qui ne soit son inconscient mis en acte – ce qui lui

Page 77: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

permettra,àsoninsu,deformaterceluidesonenfant30».Grâce à des informations biologiques et émotionnelles, la mère joue

égalementunrôleextrêmementimportantdanslarelationentrelepère–dontelleest la traductrice–et l’enfant.Sielleadesrelationsaffectivespositivesavec cet homme, l’enfant réagira aussi aux états internes, aux émotions dupère.Sicelui-cinesesentpasbien(s’ileststressé,fatigué,malade),lamère,soucieuse, transmet son inquiétude à l’enfant qui devient plus agité etaugmente de façon significative le nombre de ses mouvements et de seschangements de posture. Au cours de la grossesse, la communication avecl’enfantn’existequesurunmodeémotionnel:ils’agitd’un«langage»fondéuniquementsurlesémotions.Durantcettepériode,ilappartientàlamèrededésigner le père à l’enfant. Les mères n’ont pas toujours conscience del’importancedecetteprésentationquiconditionne«pourtoujours»lerôledupère. Pour la bonne raison qu’elles ignorent que si « le développement del’embryonestplusdévoluauxgènesmaternels,ledéveloppementdesannexes(leplacentaqui trie les nutriments en les séparant des toxiquesque lamèreaurait pu déverser dans son enfant au point de le tuer), qui assurentl’approvisionnement nutritionnel de l’embryon, est plus dévolu aux gènespaternels31».Cettedécouvertebiologiquechambouletotalementlesdonnéesscientifiques jusqu’alors en vigueur. Elle confère au père un rôle essentieldanslasurviemêmedel’enfantengestation,alorsquel’onatoujourscruqueseulelamèreenétaitresponsable.Sicetteprésentationparlamère–elledontl’influenceest fondamentale sur les futures interactionsentre l’enfant et sonpère – n’a pas lieu, ce dernier éprouvera bien des difficultés à assumer safonction.Lesmèresn’ontpastoujoursconsciencedel’importancedecechoixquidéterminelerôledupère.Quandlagrossesses’estbienpasséephysiquement,psychologiquementet

affectivement,quandl’enfantestunémerveillementsouhaité,lesparentssontfiersetheureuxdecetévénementtantattendu.Lepère,bouleversé(quiaura,danslesmeilleursdescas,participéàlanaissance,enlemettantaumondelui-même ou en aidant la mère), entoure la jeune maman et l’enfant avectendresse,étonnementetamour.Cesparentsvont,dèslespremièressecondes,installer les toutes premières interactions d’amour avec le bébé : gestesenveloppantspontanés,parolesdouces, regardsderavissement.Lenouveau-nésefamiliariseavecleurodeuretréciproquement.Pourtant,lepremierjourdelavieterrestreestmarquéparuneséparation,lapremièreséparationquevit

Page 78: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

un être humain : c’est à ce moment que peut s’installer l’angoisse deséparation, équivalente à une angoisse demort.À la naissance, l’enfant estbrutalement transplanté dans un monde nouveau, exilé de la matricematernelle. Le fait même de naître constitue l’une des épreuves les pluspéniblesdesavie,uneépreuvequi resteragravéeen luipour toujours, sansqu’ilenaitconscience.Lorsquel’enfant,surtout,nereçoitpasimmédiatementlesmarquesd’amourdesamèreetdesonpère, lorsqu’ilest immédiatementmisenréanimationouencouveusepourdesraisonsmédicales,cetteangoissepeut se graver dans la mémoire du nouveau-né, dans ce lieu appelél’inconscientoùsontengrangées toutes lesexpérienceset lesémotionsd’unêtre humain. Cette angoisse risque d’être réactivée, plus tard, à chaqueséparation(décès,déménagement,ruptured’amitiéoud’amour).Selonque lamère attend avecplusoumoinsd’impatience lemomentoù

elle nourrit son nouveau-né (au sein ou au biberon), qu’elle aime plus oumoinscegesteetcecontactavecsonenfant,laqualitédel’attachementetdusentimentdesécuritéqu’ilprocureseravariable.Silesparentssontheureux,lebébé sera rassuré.Toutes leurs émotions, agréablesoudouloureuses, sontressentiespar lenouveau-né.Et lorsque lanaissancen’estpasun«heureuxévénement»,l’enfantnepeutpass’endéfendre.L’onadéjàvudesnouveau-nés,âgésdequelquesheuresoumêmemoins,

quisecabrentlorsqueleurmèrelesprenddanssesbras:ilapparaîtalorsquelesliensd’attachementtisséspendantlagrossessen’ontpasétésuffisammentsécurisants.Lesnouveau-nésontlacapacitédecomprendres’ilssontounonlesbienvenuset,malheureusement, ilsontétéenmesurederemarquer« lessignes conscients et inconscients d’aversion ou d’impatience de leur mère,[…]leurvolontédevivres’enesttrouvéebrisée32».Noussavonstousqu’unegrossessen’estpastoujoursdésirée,qu’ellenesedéroulepastoujourssouslesmeilleurs auspices et personne n’est à blâmer. L’on sait aussi que l’instinctmaternel n’existe pas : qu’il s’agisse de lamère ou du père, il convient deparlerdesfonctionsparentales.Lafonctionmaternelleconsisteàveillerauxbesoinsdesonenfantetàlessatisfaireenétantune«goodenoughmother»,c’est-à-direune«mèreordinairenormalementdévouée33».Danslemeilleurdescas,elleesthabitéepar«lapréoccupationmaternelleprimaire34»,c’est-à-direlasymbiosetotaleavecsonenfant.Àcestade,iln’existeencoreaucunefrontièreentrelamèreetlebébé:c’estlafusiontotale,etindispensablepourl’enfant.Lamèresait,ressentlessensationsetlaplupartdesémotionsdeson

Page 79: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

bébé–ellesomatisebiensouventenmêmetempsquelui.Cettesymbioseestcequerecherchenttouteleurvielesdépendantsaffectifspathologiques:ilsnelatrouventjamais,évidemment.Lamèrenedoitpaspourautantoutrepasserles limites de sa fonction en « tissant autour de (l’enfant) un utérus, virtuelcertes,mais extensible à l’infini, qui reviendrait à le garder indéfiniment enelle35 ». C’est ce que font les mères possessives et surprotectrices qui neveulent pas « lâcher » leur petit, qui ne supportent pas – plus ou moinsconsciemment–qu’ilsconstruisentd’autresliens,plustard.Quand le temps de la préoccupation maternelle primaire s’achève – ce

temps de la fusion qui permet de bâtir le socle sur lequel l’enfant pourraconstruire son self en toute confiance, sûr alors de son omnipotence –, ilappartient à la mère d’accepter que son enfant fasse l’apprentissage de lafrustration.Sinon, il auradumal àdevenir,plus tard, autonome :grâceauxfrustrationsressenties,ilpourraquitter,trèsprogressivementaufildesannées,latotaledépendance.L’indépendancedel’enfant,dontlamèreestengrandepartieresponsable,seconstruitsursacapacitéàsupporterlafrustration.Lafonctionpaternelleestd’assumersesdroitssurl’enfantqui,grâceàlui

aussi,apusedévelopperdansleventredesamère.Elleconsisteàveilleràcequecelle-cin’accaparepassonpetitetnelimitepassaproprevieàsonrôledemère.Autrementdit,lepèreestlàpourluirappelerqu’elleestunefemmeet que sa féminité n’a surtout pas à s’effacer devant la maternité. Tropnombreusessontlesmèresquiabandonnentleurviedefemme,obsédéesparleurdésirdecombler leurenfantetseulement lui–elles-mêmesse trouvantapparemmenttotalementcombléesparleurmaternité.Combiendefoisn’ai-jepasentendudespèresseplaignantdeleurépouseoucompagnequirefusaitdereprendreleurplacedefemmeauprèsd’eux:«Depuislanaissancedenotrefille, elle dort dans sa chambre et se refuse àmoi », « J’ai l’impression den’avoir été qu’un étalon car depuis qu’elle est mère, ma femme s’estdétournée de la sexualité. » Si les pères souffrent de cette situation quidéséquilibretotalementlaviedecouple(fondéesurlasexualité), lesenfantsn’ensouffrentpasmoins.Le«retouràlaféminité»delamère,initiéetaidéparlepère,estd’autantplusimportantqu’ilfaitcomprendreàl’enfantqu’elleestsamère,certes,maisaussil’épouseoulacompagnedesonpère,cequivaaussidanslesensdunécessaireapprentissagedelafrustration.

Page 80: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Lesentimentdesécuritédanslapetiteenfance

Lenourrissonetunpeuplus tard lebébéconstituent lesmeilleuresreprésentations de la dépendance. Il faudra plusieurs années pour,progressivement, amener l’enfant à se séparer afin, plus tard, qu’ilpuisse devenir un adulte autonome. Cette individuation est très lentechez le petit de l’homme. De nombreux spécialistes confirmentaujourd’huiquec’estlaqualitédesrelationsentrelesparentsetl’enfantqui va aider à vivre cette séparation de façon épanouissante, ladépendances’amenuisantaufildesannées.C’est aussi la qualité de ces relations qui va déterminer le mode

d’attachemententre l’enfantet sesparents.Eneffet, celui-ci seraplusoumoinssécurisantpourl’enfantselonlesexpériencesqu’ilvitencettepériodeditearchaïque.Siellessontglobalementbonnes,c’est-à-diresilepetitenfantestrassurésursonimportance,s’ilsesentprotégéetaucentre de l’attention de ses parents, la séparation sera facilitée, toutcomme son développement physique et son aptitude aux relationssociales. Dans le cas contraire, le jeune enfant se sentira insécure et,malheureusement pour lui, il ne pourra s’appuyer que sur unattachement non sécurisant pour construire le sentiment de sa valeurpersonnelle:ilsouffriradecarenceaffective.SelonleDrSuzanneRenaud,professeurà l’universitédeMontréal,

« la dépendance pourrait être définie par le rapport d’une personnetributaire àune autre avecun attachement lié à l’insécurité36 ».Cettepersonnevadonc rechercher, toute sa vie durant, quelqu’unqui va larassureretluiapporterunesécuritéquiluiamanquédanssespremièresannéesdevie.L’amour inconditionnel des parents est essentiel pour que l’enfant

accepte de quitter progressivement la dépendance afin d’acquérir lamaturité affective d’un adulte. Sinon, il risque bien d’entrer dans unedépendanceaffectivepathologique.Lesdevoirsdesparentsvis-à-visdeleurs enfants sont de leur apporter ce dont ils auront besoin pouraffronterleurvieadulte,delesaideretdelessoutenir,etbiensûrdeleséduquerdetellefaçonqu’ilsaurontunjourl’envie–etlespossibilités–de voler de leurs propres ailes. Sans l’assurance de cet amourinconditionnel,l’adulte–commel’enfant–neconnaîtrapaslasécurité

Page 81: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

affective et sa vie relationnelle sera minée par la peur de n’être pasaimé, peur fondée sur la croyance qu’il n’est pas digne d’amour.Croyance qui génère la honte de soi, le sentiment d’être seul, laculpabilité, la soumission aux désirs des autres – parfois même lacompromissionquientraîneàlafoislaragecontrelesautresetcontresoi.Laporteestgrandeouvertepourlaisserentrerladépression.

Avec le temps des sourires du bébé, l’un des comportements les pluspuissants en terme d’attachement, vient celui des échangesmimétiques, desregards(lavisiondubébéeststabiliséeverssixmois)etdespremiersbisous:toustypesd’échangesquirenforcentencorelesliens.Lamère,unefoisencore– quand elle le désire – va présenter à nouveau son père à l’enfant : cethommeest alors confirmédans son statutdepère àpart entière.C’est ainsiqueleséchangesémotionnelspositifsentrelebébéetsesparentscontribuentàmettreenplacelesoclesurlequelpourrasedéveloppersonnarcissisme.Ceci,j’insiste, quand la mère accepte ce rapprochement (pourtant fondamental)entre lepèreet l’enfant–neveutpasgardercelui-cipourelle,cequiarriveaussi.L’enfantabesoindelaprotectiondesamèreetdesonpère.Etilesttrèsregrettable que trop d’adultes déplorent un « père absent », nongéographiquement,maisabsentdesesdevoirsdepère.Cetteabsence–delanaissanceà la finde l’adolescence–,est souventvécuecommeunemarqued’indifférence à leur égard, ce qui peut entraîner de réels problèmespsychoaffectifs. Et l’« on ne peut que regretter l’exil du père sur sonstrapontinéjectableetl’invitationàêtreunemère-bisoutoutauplusunpère-Joseph37».La dépendance de l’enfant est normale car c’est peu à peu, durant de

longuesannées,quevasedéveloppersonautonomie.Dès laprimeenfance,les enfants se posent (inconsciemment) des questions : « Est-ce que je suisaimé ? », « Est-ce que je serai toujours aimé ? », « Va-t-on prendresuffisammentsoindemoi?»,toutesquestionsquirendrontl’attachementplusoumoinssécurisant.Carl’enfantsait,sansenavoiruneconscienceclaire,quesaviedépenddesamèreoudelapersonnequitientcerôle,desadultesquiprennentsoindelui.

Lucienavait2anslorsquesamèreaquittésonpère.Elles’estremariée

Page 82: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

deux fois et sondernier époux la frappait. « Jem’efforçaisde resterdansmonmonde»,expliqueLucien.(AlbertMemmidécrittrèsbien«l’enfantquidemandeàsonuniversimaginairerefuge,défenseetcompensationcontresafaiblesse et ses peurs38 ».) Comme elle a très souvent déménagé, le petitLucienn’apasrevusonpèreavantd’avoir10ans:ilamanquédemodèlemasculin,à la foisguideetprotecteur. Ilavait8ansquandsamèrea faitune tentative de suicide après s’être trop alcoolisée : elle était devenuemaladealcoolique.Sacolèreàl’encontredesonsecondbeau-pèren’afaitquecroître,àtelpointquevers14ans,ilsedisait:«Oujemesuicide,oujele tue. »Comme« il n’y avait pas de solutions », il s’est de plus en plusrenfermé sur lui-même. À l’école, il était qualifié de « bizarre » par lesautres à qui il ne parlait pas.Quand samère et sonmari se battaient, ildevenait«amorphe,avecpleindebrouillard»danslatête.Enfantetadolescent,ilnepensaitqu’àunechose:«prouverquej’avais

de lavaleurà tout lemonde,ycomprismoi-même,en faisant toutbien, jevoulais être parfait. Pour survivre, il fallait que je passe à travers mesémotions (la peur d’abord, puis la colère et la tristesse). Je me souviens,j’avais8ou9ans,mamèresortaitlesoirpourboireetjecrevaisdepeuràcausedumonstrequiétaitsousmonlit.Unenuit,ellem’aréveillépourmemontrer ses deux poignets ouverts. Quand j’étais adolescent, j’étaistellement tristede lavoirsepourrir lavie…»Nouscomprenonsmieuxsapeur du jugement des autres et pourquoi, aujourd’hui, il dit : « Je necomprends pas comment on peut aimer ses parents. En général, ils fontch…» Ila le sentimentde s’être« fait tout seul», cequi estnaturel, sonpère et samèrene l’ayant en rienaidéàaffronter lemondeet lesautres.Enfantseul,livréàlui-même,traitéde«c…»parsondeuxièmebeau-père:lesadultesl’ontpousséànevivrequedanssonimaginaire,cequineluiaattiréquedesmoqueries.Adolescent,ilécrivaitdesvers:onriaitdelui.Etil se sent toujours maladroit avec les femmes, comme au temps de sespremières amours, quand il écrivait des lettres d’amour dont on semoquait.Ilesttrèsambivalent:silesfemmesl’attirent,ilenapeur.Surtout,ses sentiments pour samère sont très ambivalents : il lui en veut et il esttriste pour elle. Comme, tout naturellement, vis-à-vis des femmes qu’il a«besoinderendreheureuses»,etpourquiiléprouvedelacolère,commelepetitgarçonquinesavaitpasquoifairepourextirpersamèredumalheur.

Page 83: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Les parents de Catherine se disputaient (allaient jusqu’à se frapper)presqueconstamment:«Jenesavaisjamais,enrentrantdel’école,cequej’allais trouver à lamaison. » Samèremenaçait régulièrement d’aller senoyer, tandis que son père n’avait que ses résultats scolaires en tête.« J’avais peur de jouer car il ne fallait pas rire : sinon on me traitaitdefofolle.Personnenem’encourageait:quandj’avaisdebonnesnotes,onmedisaitquec’étaitnormal, etquand je rataisundevoir,onme frappait.Mamèrem’atoujoursditqu’ellenevoulaitpasêtreenceintedemoi:ellen’avaitpasfinisesétudesetn’avaitsurtoutpasenvied’avoirunbébé.»Sesparents insistaient toujours sur le fait qu’ils faisaient de gros sacrificesfinancierspourqu’ellesuivedesétudes,«cequiestfaux,ilsgagnaienttrèsbien leur vie. Le pire, c’était la peur : j’avais peur de ma mère, de seshurlementsetdesesclaques,j’avaispeurdelaviolenceverbaleetphysiquedemonpère.Un jour, ilm’a jetéecontre lemur.Aujourd’hui, jecroisquej’aiencorepeurdeshommes.»Lesexemplesd’enfancedifficilesonttellementnombreuxqu’unlivreentier

n’ysuffiraitpas.Lorsqu’unemère, trop occupée (par d’autres enfants, son travail ou quoi

que ce soit d’autre) ou indisponible (malade, épuisée) ne consacre passuffisammentdetempsàsonenfant,ilestaisédecomprendrequ’elleestdansl’impossibilité de le mettre au centre de son attention : elle n’est passuffisamment rassurante.Comme lespères« absents», quimême lorsqu’ilssontprésents,ne«virilisent39»passuffisammentleurgarçon.GuyCorneau,danssonexcellentouvragePèremanquant,filsmanqué,décrit très finementtoutcequelescarencesenéchangesaffectifsetémotionnelsentrelepèreetson fils peuvent entraîner commedommagesdans le psychismede l’enfant.Le manque d’attention de la mère est vécu comme de l’indifférence parl’enfant,même nourrisson, situation très dommageable pour la constructiondunarcissisme,carlamèreestLAréférencedel’enfant:ilestaimablesiellele trouve aimable, c’est-à-dire digne d’être aimé… Ce que les dépendantsaffectifspathologiquesrecherchentdésespérémentdansleurvied’adultes.Lesmèrespeuattentives,voireinattentives,àleurenfant(etdéjàaunourrisson)nelui permettent pas de développer le sentiment de sa propre puissancepersonnelle.Toutàl’inverse,ilmettraenplaceunecroyanceselonlaquelle,sesentant incompétent, il ne sert à rien d’agir. Et il y a pire : les mères qui

Page 84: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

utilisentleurenfantpourserassurersurleurestimedesoi:«Soisparfaitetsoisexactementcommeje leveux.»Persuadéesd’êtreomnipotenteset tropsûresd’ellesquantàlafaçond’éleverleurenfant,ellesmaintiennentcelui-cidansunedépendanceliéeàsonsentimentd’impuissance.Cefaisant,ellesluitransmettent implicitement un message du genre : « Ton rôle est de mevaloriser,tudoismerendrefièredemoietmerestersoumis.»Àl’inverse,lorsquelamèreestsurprotectrice,ellenefacilitepasnonplus

laconstructiondesonautonomie.Contrairementàcequel’onpourraitcroire,lasurprotectionn’estpasdutoutrassurante:toutfaireàlaplacedesonenfantva empêcher ce dernier d’acquérir, les années passant, une confiance en luinécessaire pour avoir envie de quitter la confortable mais dommageabledépendance.Ilneserapasenmesured’affronterlesréalitésparfoisdifficilesdelavieadulte.Sil’onpeutreconnaîtrequel’intentionétaitbonne,lerésultatestquecetenfantsupporteratrèsdifficilementlafrustration,nelaconnaissantpasoupassuffisamment.Ilenestdevenuincapableet,unefoislancédanslemonde,ilsesentiraperdu,iln’aaucunrepère.Toutcommelefaitd’anticipersesdésirsn’estsurtoutpasunebonneidée:l’enfantmanquerad’espacepourexprimerceuxquiluisontpropres.CesmèressurprotectricesseconduisentenSauveur,croyanttoujourssavoircedontl’enfantaenvie,cequiseralemieuxpourlui.«Cequ’onm’évitaitdansmajeunesse,cen’étaitpaslasouffranceou le malheur, c’étaient les problèmes, et par conséquent la capacitéd’affronter les problèmes », écrivait F. Zorn40. Elles vont même parfoisjusqu’à l’empêcher de penser et répondent à sa place lorsqu’on pose unequestion ! Je me souviens d’une patiente qui était venue me présenter sonjeune fils de 2 ans ; elle m’a dit : « Je m’appelle Arthur et j’ai 2 ans » !L’espacepsychiquepersonneldel’enfantestenvahiparlamèrequinesaitpasconsidérer son enfant comme une personne « en devenir », comme disaitFrançoiseDolto.L’enfantaledroitd’exprimerdesdésirsetdessouhaitsquipeuvent être pris en compte. Et, l’âge venant, il peut être très instructif deparler avec son enfant pour savoir ce qui peut lui être utile. Pour cela, lesparents doivent descendre du piédestal sur lequel ils se sont juchés dès lanaissancedel’enfant.Lasymbiosedelamamanavecsontout-petit,sielleestnécessaire pendant quelques mois, doit laisser place, petit à petit, àl’installationduJedel’enfant.Sinon,iln’éprouveramêmepasl’envieoulavolontéd’êtrelui-même,spontanéetauthentique,carilcroiraqu’iln’enapasle droit ou pas la compétence. Le parent surprotecteur – souvent trèspossessif–envoieunmessagede«handicap»àsonenfant,du type :«Tu

Page 85: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

auras toujours besoin de moi », « Sans moi tu n’arriveras à rien », toutesprédictionsquirisquentbiendeseréalisersi l’enfant,à l’adolescence,neserebellepasavecvigueur, transgressant l’interditparentald’être lui-même.Jemesouviensdelamèred’undemespatientsâgéde34ans.Ellem’aunjourtéléphonépourprendredesnouvellesdeson«tout-petit».Béatricea31ansetsamèreluiditencore:«Tuesmonbébé,tusais,tuserastoujoursmatoutepetitefille.»Béatrice,célibataire,demandedel’aideàsesamiespourremplirses«papiers»administratifs,persuadéequ’ellenecomprendrarien…Lesparents surprotecteurspour leurs enfants, nepeuventquegénérerdes

adultes qui craignent l’autonomie. Les enfants surprotégés sont fragiles etvulnérables, et ils le demeurent devenus adultes. Ils sont démunis etimpuissantsdevantlesaléasdelavie.Quandl’enfantn’estpasautorisé,dansuncadreprotecteur,àdécouvrirlemonde,lesautres,àfairedesexpériencesparlui-même,«ildevientunmoi-tuetnonunmoi-je41».Etvousn’imaginezpascombiendepersonnes,adultespar leurâge,n’ont

jamaisrempliunedéclarationd’impôt,ouunefeuilledeSécuritésociale,nesaventpasorganiserdesvacancesouunesoirée :ellesse reposentsur leursparents,leursamisouleurpartenaire…Ilmevientenmémoirel’exempledecettemèrequi, supportant trèsmalquesa fillede32ansvivedésormaisencouple,luiaécritunelettreluidisant:«C’estdenous,tonpèreetmoi,quetuasbesoin.Nousseulspouvonsteguiderdanstavie.»Ledésirdesurprotégerson enfant est souvent le symptômed’une angoisse de lamère qui, pour serassurer elle-même et remonter le niveau de son estime de soi plutôtdéfaillante, entoure son enfant sur qui elle projette ses peurs – l’entouretellement qu’elle l’enferme dans une cage, devenant alors son geôlier.Devenantainsityrannique.

Unelongueséparationdunouveau-néetdesamèrepeutaussigénérerunterrainpropiceàl’installationd’unetropgrandedépendanceaffective.Ilpeuts’agir d’une séparation pour des raisons de santé de la mère, ouprofessionnelles;ous’ilyaunepersonnetrèsmaladedanslafamille,quelamère doit soigner ; ou encore pour des vacances, même chez les grands-parents;oupourdesraisonsdedivorce.Lestempsdeséparationdesjeunesenfants et de leurs parents doivent être allongés très progressivement, dequelques jours à quelques semaines, et encore, pas plus de deux ou trois

Page 86: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

jusqu’à une douzaine d’années. Sinon, les enfants risquent de vivre cesséparations (qui ravivent l’angoisse de séparation primordiale) comme desabandons–etdevenirabandonniques,c’est-à-direcraignanttoujoursaufondd’eux-mêmesd’êtrerejetés.Si l’un des parents est dépendant affectif pathologique (ou si les deux le

sont),sonattachementàleurenfantneseranisain,nirassurant.Unemèretrèsdépendantedonneracemodèleàsafille,unpèretrèsdépendantmontreracemodèleàsonfils.L’uneet l’autre,devenusadultes,rechercherontàcomblercetteabsencedesécuritéaffective.Cesparentsdemandentàleurenfantdelesprendre affectivement en charge, de façon implicite, et, ce faisant,l’adultifient:c’estl’enfantquidoitalorsrassurersesparents(oul’und’eux)!D.Winnicott a beaucoup insisté sur « la tendance innée de l’enfant à lasollicitude42».Lorsquesesparentsviventdesproblèmesdecouple, l’enfantsait très vite servir d’ambassadeur entre eux, apprenant ainsi à aider lespersonnesdesonentourage,cequ’ilrisquebiendefairetoutesavie.Certainsparents, croyant peut-être bien faire, asservissent totalement leurs enfants,exigeantd’euxuneobéissanceetunedépendancetotales jusqu’àunâgetrèsavancé–mêmequand, à leur tour, ils sontdevenusparents…Commecettemèred’unefemmede42ans,mariéeetmèredefamille,quiexigeaitd’elleaumoinsuncoupdetéléphoneparjour!Ilarriveaussiquel’undesparents(oulesdeux)éprouvedesdifficultésàdémontrersonaffection,sesémotionsliéesauxliensetàl’attachement,cequivacruellementmanqueraudéveloppementdu narcissisme de l’enfant. S’il y a un problème d’addiction (alcool, autresdrogues,parexemple)oudepsychopathologie importante, l’enfant seravitetrèsinsécure.Ilrisquemêmed’êtreluiaussitrèstôtadultifié:«on»luiferasentir qu’il doit prendre en charge l’un de ses parents,ménager l’autre,etc.Lesenfantsthérapeutesdeleursparentssontnombreux…Etjenedécriraipasles différentes formes de maltraitance infligées aux enfants43, qu’elle soitphysique, et/ou psychologique (et donc moins visible) : dévalorisations,injures,critiquesrépétées,humiliations(sanstoujoursenavoirconscience).Jemepermetsd’insister sur la nécessaire interdictiondes châtiments corporelsqui sont « des procédés de brutes et de lâches qui feraient mieux des’interrogersurleursantémentale44».Lorsque,devenueadulte, lapersonneconstateavecungranddésarroique, finalement,ellenes’aimepas,quesonestime de soi est gravement carencée – n’ayant pu s’étayer sur un soclenarcissique suffisamment solide–, elle n’est pas étonnée,mais elle a honte.Récemment,en2009,lecinéasteautrichienMichaelHanekeareçulaPalme

Page 87: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

d’orduFestivaldeCannespoursonfilmLeRubanblanc,trèsdérangeant,surles méfaits d’une éducation trop répressive. Les mœurs en ce domainecommenceraient-ellesàévoluer?

Unenfantabesoindemarquesd’amouretdecadressécurisants

Ilestimpossible,pourcomprendrelesoriginesetl’installationd’unedépendance affective pathologique, de faire l’impasse sur les longuesannéesd’enfance.Carunenfantabesoin,avanttout,bienplusquedemultiples cadeaux ou de beaux et coûteux vêtements, de marquesd’amour fréquentes et adaptées et d’un cadre sécurisant, c’est-à-diredeparentscapablesd’assumerleurrôled’éducateursresponsables,d’assumerleursfonctionsparentales.Unenfant,depuislaminuteoùilest né, a besoin d’unamour inconditionnel. Ce qui signifie que sesparentsl’aiment,telqu’ilest,quoiqu’ilfasse,mêmes’ildésobéitoufaitunebêtise,sansattendredeluiqu’ilrépondeexactementàleursdésirs,sansplaquer sur luiun idéaldeperfectionavec lequel ilnesesentirajamais à la hauteur.Car un enfant est précieux, a de la valeur,mêmelorsqu’ilnecorrespondpasauxattentesdesesparents.Iln’estpassurterrepourrendresesparentsheureuxoupoursoignerleurproprepassé.C’est l’amour inconditionnel donné à l’enfant qui lui permettra des’accepter tel qu’il est, dans son unicité et sa différence. C’est danscettesorted’amourquelesparentsontintégrél’idéequ’ilsdoiventêtrecapables de s’opposer à leur enfant qui apprend très vite que leurautorité,nécessaire,estrassurante.Bienplusqueneleseraitundésirdeluiplaireoude leséduire–désir liéàunepeurde luidéplaire–,quiserait la marque d’une grave défaillance parentale. Récemment, j’aientendu un enfant d’environ 5 ans qui hurlait dans unmagasin pouravoirun jouet, accusant samèreden’êtrepas«gentille» : elle lui aréponduavecjustessequ’ellen’étaitpaslàpourêtregentillemaispourfairesonéducation.Ilfautregardersonenfantavecbienveillance, luisourire, luiparler,

lecaresser, lemasser, lecâliner, l’embrasser, le tenirdanssesbrasdefaçonconfortablepourlui,lerassurer,l’écouter.Ilfautl’encourager,le

Page 88: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

complimenter (pas n’importe comment, bien sûr !), le valoriser,découvrirprogressivementquiilest,danssadifférence,saparticularité,les goûts qui lui sont propres, respecter ses rythmes. Il faut éviter detropleforcer(surtoutàmanger:unenfantquivabienneselaisserapasmourir de faim ! Ou à être propre trop tôt : il le sera un jour oul’autre…).Lasantépsychiqued’unenfantréclamedutempspasséavecsesparents–passeulementquandilestmaladeoupourlegronder!–,du temps pour apprendre à le connaître, pour lui montrer que l’ons’intéresseàlui,àsescentresd’intérêt.Nepasledisputeroutremesuremais savoir le faire de façon appropriée. Surtout ne pas critiquer cequ’ilestmaiscequ’ilfait,legrondersursescomportementsetnonsursa personnalité, quoi qu’il arrive, ne jamais l’humilier, et surtout pasdevant d’autres enfants, ne pas le comparer à d’autres qui seraient« meilleurs que lui, plus sages, qui travaillent mieux, qui sont plusobéissants… ». Tout comme il convient de proscrire toute forme dechantageaffectif qui ancredéfinitivementunegrandeculpabilité chezl’enfant,uneculpabilitéaucunementjustifiée:«Situn’espassage,tuvasfairedelapeineàtamaman»,«Cetteenfantmerendfolle»,«Cetenfantvametuer!»,«Tufaisdelapeineàlatablequandtutecognescontreelle,demande-luipardon!»,«Tuvaspeiner lepetitJésus, luiquit’aimetant»(àcesujet,ilconviendraitquelesparentscessentdeseprendrepourJésusouquelqueautredieu…).Ilfautaccepterquesonenfantvivetranquillementsonenfance,sans

entendreparlerdessoucis(detravail,d’argent,derelationdecouple)deses parents. Il faut aussi accepter que son enfant grandisse, aime àl’extérieurdelamaison.Qu’ilaitsespropresavisetidéessanssesentircoupable d’être en désaccord avec ses parents (qui n’ont et n’aurontjamais la science infuse) et sans que ceux-ci tentent, par une formequelconque de chantage affectif ou d’abus de pouvoir, de les enculpabiliser. Qu’il puisse ressentir ses propres émotions, ses propresfaçonsd’exprimersonaffectionousonmécontentement.Pourtant,bien« des émotions des enfants sont dérangeantes pour les parents, leurtranquillité.C’estpourquoil’enfantlesbannitoulesdéguise45».Sinon, eh bien sinon il ne pourra pas réussir l’étape longue et

progressive de séparation, d’individuation nécessaire à son psychismeet à sa vie psychoaffective, à son équilibre. Ses besoins d’amour, si

Page 89: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

légitimes, ne seront pas satisfaits et il cherchera toute sa vie à lescombler,envain:ildeviendraundépendantaffectifpathologiquedontles carences affectives et émotionnelles resteront vivaces en lui sansmême qu’il en ait conscience. Alors il adoptera les comportementsdécrits dans la première partie de ce livre, aliénant ainsi sa véritablepersonnalitéet,surtout,enétantmalheureux.

Lorsqu’une mère est dépressive (ou un père), elle n’est pas capabled’apporter de la sécurité à son enfant, étant elle-même trop insécure.Commentpourrait-ellevalorisersonenfant,l’aideràdéveloppersaconfianceenlui,sonestimedesoi,l’encourager?Avecunemèredépressive,etquiplusest quand le père est trop « occupé », ou indisponible, le socle narcissiqueindispensableàlaconstructiondel’autonomienepeutpasêtreédifié.Quantauxmèressouffrantdusyndromede lamèremorte,ellessontdans la totaleimpossibilité d’apporter autre chose à leur enfant que des soins« d’intendance » : toilette, habillage et nourriture, tous actes accomplismachinalement,sansqu’iln’ypasseaucunaffect,aucuncâlin,aucunecaresse,aucunbisou,aucuneparole…De lamême façon, unemère anxieuse n’est pas en état d’être rassurante

poursonenfant.Nesesentantpaselle-mêmeensécurité,ellenepeutpaslesécuriser. Qui ne connaît des parents (car les pères aussi peuvent êtreanxieux !) qui ont présenté à leur enfant un monde « dangereux », peupléd’embûches,remplidegensdontilfaut«seméfier»?Oudesparentsquiontempêché leur enfant d’apprendre à faire du vélo, ou de tout autre engin«possiblementmortel»?Ouencoredesparentsnesachantpastrèsbiencequ’ilsdoiventfairesileurenfantpleure,ousefaitmal,ouadelafièvre,etquipaniquent–paniquantainsileurpetit?Etjeneparlepasdesparentsquiontdesphobieshandicapantes,commelanosophobie(laphobiedesmaladies)…J’ai eu une patiente qui en souffrait : elle a vécu comme un véritablecauchemar tous les cris de sa fille, depuis sa naissance, puis ses accès defièvre,sesdiarrhées,sesrefusdemanger,puissesmaladiesinfantiles.Quantaupère,relativementincompétentpourtoutcequitouchaitauxsoinsàdonneràunbébépuisàunenfant,iln’aguèrepurassurerleurpetitefille.Jerappelleiciquelesenfants,mêmetrèspetits,mêmes’ilsnemettentpasdemotssurcequ’ils perçoivent, captent parfaitement bien les émotions de leurs parents(parfoismieuxquecesderniers)et«comprennent»trèsbienàleurfaçonles

Page 90: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

situations. Françoise Dolto disait que les enfants et les chiens savent toutavantlesadultes…Il existe donc bon nombre de facteurs qui peuvent entraîner une

prédispositionàladépendanceaffectivepathologique:untissagedifficileouproblématique des liens in utero, l’impossibilité à dépasser l’angoisse deséparation de la naissance, une séparation qui interrompt un moment lesmarques d’attachement, un manque d’attention des parents et surtout de lamèreou,aucontraire,unesurprotectionparentaleoudesdysfonctionnementsfamiliaux. Albert Memmi pense que « toutes les dépendances seraient desrelais de la dépendance infantile. […] Le petit de l’homme estparticulièrement avide de soins et d’attentions […] et l’adulte ne sedébarrassera jamais complètement de cette exigence inquiète, comme si sasurvieenétait toujours tributaire46.» J’ajouteraisque les intensités sont trèsvariables d’une personne à l’autre, selon que l’on est dans une dépendancesaineoupathologique.

Éducationetmorale

Lesméthodeséducativesévoluent(fortheureusement)aucoursdessiècles,mais les grandes vertus enseignées aux enfants restent globalement lesmêmes. Si toutes sont respectables et importantes à inculquer dès la petiteenfance, ilexistecependantdes«détournements»decertainesd’entreellesquisonttrèsefficacespourinstallerunedépendanceaffectivepathologique.L’égoïsmeatrèsmauvaisepresse.C’estmêmeun«trèsvilaindéfaut»,dit-

onauxenfants.Carilfauttoujoursêtre«biengentil»avecsamamanetsonpapa,sesfrèresetsœurs,sespetitscamarades,lesgensengénéral.Certes,ilestplusfaciledevivreenbonneentente,enfamille,àl’écoleetailleurs,maislesdangersd’untelmartelagesontbienréels.Qu’est-ce qu’un enfant gentil (c’est-à-dire pas égoïste) ?Dans la bouche

desparentsetdeséducateurs,ils’agitd’unenfantsoumis,quiditouiàtout,estd’humeurégale,«jouebiensagement,biengentiment»,nesedisputepasaveclesmembresdesafratrie,obéitaudoigtetàl’œilàsesparentsd’abord,mais aussi à ses éducateurs (professeursdes écolespuis du collège, autoritéreligieuse,etc.),chercheàfaireplaisir,àcontenterlesunsetlesautres…Unenfantbiengentilestainsiassimiléàunesortedepotichesur laquelleseraitpeintunvisage : sur les lèvres,unsourire–mais lesyeuxsont fermés.Car

Page 91: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

l’enfantnedoitsurtoutpascommuniquercequ’ilressent.Ildoitmangertoutcequ’onluidonne(mêmes’iln’apasfaimouqu’iln’aimepascequ’onluipropose)quandsesparentsledécident.Iln’apasledroitdedirequ’iln’aimepas les épinards, sinon il devra en manger tous les jours… Il ne doit pasexprimer ses préférences, ni demander avec insistance quelque chose pourlui:àforcederavalersesenvies,ilfiniraparlesrefouler(inconsciemment).Plustard,quandilseraadulte,ilnesaurapascequipeutluifaireplaisir,ilneconnaîtrapassesdésirsets’attacheraàsatisfaireceuxdesautres.

Quelquesdéfinitions

•L’égoïsme,selonlePetitRobert,estla«dispositionàneparlerquedesoi,àrapportertoutàsoi».• L’égocentrisme est la « tendance à tout rapporter à soi, à ne

s’intéresser aux êtres et aux choses que dans la mesure où l’intérêtqu’onseporteàsoi-mêmes’entrouveéveillé».•L’égotismeestla«dispositionàparlerdesoi,àfairedesanalyses

détailléesdesapersonnalitéphysiqueetmorale».

Unenfant«gentil»doitaussipensercommesesparents,mêmes’iln’estpasd’accord:ilnepeutpasdirequeTontonJacquesneluiplaîtpas,ilserait« vilain », ou « méchant ». Il ne peut pas dire non plus qu’il s’ennuie ledimancheetpendantlesgrandesvacancesavecsagrand-mèreparcequ’ellelegardeauprèsd’elletoutelajournéeetqu’ill’aideàs’occuperdulinge(lavage,repassage…).Lorsque,devenuadulte(etmêmedéjàà l’adolescence),on luidemanderacequ’ilpense,iln’oserapasparler:onatellementpensépourluiqu’ilnesaitmêmepasqu’ilestcapablede lefairepar lui-même.Unenfantgentilnedoitpasnonplusexprimercequ’ilressent,saufdel’amour.Maiss’iltrouvesamère tropintrusive(«Il faut toutmedire, jesuis tamaman, tunedoispasavoirdesecretpourtamaman»)ousonpèretropinjustecarilvientde ledisputer très fortsanssavoircequis’est réellementpassé(«C’estpasmoiquiaitapéDamien,c’estluiquim’afaitmal»),iln’asurtoutpasledroit

Page 92: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

deledire.Surtout,cen’est«pasbien»dedénoncersonfrère.Unenfant«gentil»nefait«pastropdebruit»enjouant,carildérangerait

sesparentsqui,pardéfinition,sonttoujoursfatigués,outrèsoccupésavecdeschoses«importantes»:ilssontentrainde«jouer»(àl’ordinateur,etc.),ouderegarderunfilm…Ilest«sagecommeuneimage»pourfaireplaisiràsesparents, sesgrands-parents :«Si tun’espassage,disait samèreà sapetitefilleAlice, jemesuicide»!Ildortbien,nefaitsurtoutpaspipiaulit(«Tun’aspashonte!»),acceptelespunitions(justesouinjustes)sansbroncher.Ildit«bonjouràladame»,ilnerêvepas(«Tuperdstontemps»).Surtout,iltravaillebienàl’école,«pourfaireplaisir»àsesparents:paspourlui,non.Sesbonnesnotesremplissentsesparentsd’orgueil.Ets’iln’estpasunélèvetrèsbrillant,ilserahumilié:ilperdrarapidementtouteconfianceenlui.

«Tonignoranceestsanslacune»,disaitsonpèreàJohanna.À13ans,ilne lui apasadressé laparolependant sixmois car ses résultats scolairesn’étaientpasbons.Adulte,elleamisdelonguesannéespourfiniruncursuscomplet : elle commençait des études puis les abandonnait. Cela pendantplusdedixans:tropdévaloriséeparsonpère,ellen’allaitjamaisjusqu’aubout.Toutaulongdesonadolescence,sonpèreluiserinait:«Tuespartiederienetarrivéenullepart»…Aujourd’hui,à36ans,ellevientdeterminerbrillammentlesétudesqu’elleavaitchoisies,elleestmêmesortiepremièrede sa promotion.Mais que de gâchis : de temps, d’espoir, d’intelligence,d’énergie!

Sylvien’apasfaitd’étudesetleregrettebeaucoupaujourd’hui,à40ans.Durant son enfance et son adolescence, sa mère a pensé à sa place, lui«interdisant»inconsciemmentdedéveloppersespropresfacultésmentalesde réflexion et d’apprentissage.Aujourd’hui, cettemère se substitueà ellepour élever sa fille : elle sait mieux ce qu’il faut faire avec un enfant.Maintenue dans un état quelque peu infantile, Agnès se laisse faire et a«démissionné»desonrôledemère,supplantéeparcette femmeintrusivequia,enoutre, toujoursdévalorisé sa fillequ’elleaempêchéedegrandir.Pasavecdesmots, non,mais en semontrant totalement indifférente à ses

Page 93: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

résultats scolaires. Quant au père, il était trop souvent absent pours’occuperdesafille:ilendéléguaitl’éducationàsafemme.Unenfant«gentil»n’apasledroitdepenseràlui,defairequelquechose

pourlui:c’est«égoïste»depenseràsoi.Égoïstedesedéfendre,d’avoirdesidées personnelles, d’avoir des intérêts, des goûts, des aspirations nonconformesàceuxdelafamille.D’avoirdes«mauvaissentiments»:jalousieouenvie(l’undesseptpéchéscapitaux),delacolère(encoreun),avectoutesses déclinaisons : rancune, ressentiment, agacement, etc. Et pourquoi lesenfants ne devraient-ils pas être importants à leurs propres yeux ? En quoi« les autres » seraient-ils plus importants qu’eux ? Suzanne, à 45 ans, medisait:«Sij’aiunevieamoureuse,jeseraisobligéedequittermamère,ellemel’adit,etjetrahiraismonpère».Sonpèreestdécédédepuislongtemps.Oùestl’égoïsme?Qui se montre plus qu’égoïste, et bien plutôt égocentrique souvent ? Ce

sont,enl’état,lesparentsdecettesorte,quine«considèrentlemondequede(leur)seulpointdevue»,qui,parcequ’ilssontdesparents,croienttoutsavoirets’octroienttouslesdroitssurleursenfants.Quinelesélèventquepourleurpropresatisfaction,leurproprebien-être,selondesprincipessurannés,sanssepréoccuperdelapsychologiedesenfants(petitsetgrands).Leuréducationestfaite d’interdits plus que de permissions, elle érige des règles qui sont devéritables carcans non adaptés à l’enfant, sans possibilité d’évolution selonleurâgecartroprigides.Pourtant,disaitFrançoiseDolto,«lesparentsn’ontque des devoirs » vis-à-vis de leurs enfants. Et s’il n’est évidemment pasquestionqu’ilsfassentpreuvedelaxisme(poursesentirrassurés,lesenfantsont besoin de règles), ils auraient tout intérêt, pour être vraiment de bonsparents, à s’assouplir, à abandonner leur défense favorite : « J’ai été élevécommeçaetjen’ensuispasmort!»Unbienpiètreargument…Ilsdevraient,dansl’intérêtdeleursenfants,accepterqueceux-cisontdespersonnesàpartentière–etsurtoutpasdesclones.Respectersesparentsnesignifiepasdire«amen»àtoutcequ’ilspensent

etàtoutcequ’ilsdemandent,surtoutengrandissant.Iln’yapasqu’uneseulefaçonderéussirsavie,de«bien»vivreou«bien»faireleschoses.Pourtant,ilsembleraitquemêmeunetoutepetitevelléitéd’unenfantd’avoirunautreavisnepeutqueprovoquerquelacolère–oudumépris–desesparents.Enquoiserait-ceunmanquederespect?Évidemment,sil’avisestprécédéd’uneinsulteou formulée surun tonpar exempleméprisant, il s’agit bien làd’un

Page 94: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

manque de respect. Ce que, pourtant, certains parents pratiquentrégulièrement, sans vergogne – le plus souvent ceux des grands dépendantsaffectifs. « Tu es stupide, tais-toi ! », « Tu n’es qu’une petitemorveuse de12ans,tais-toi!»,«Tuestropc…,tun’aurasjamaistonbac!»,«Tun’esbonneàrien,tais-toi!»,«Jenetepermetspasdemeparlercommeça,tais-toioutuvasenrecevoirune!»:ainsis’exprimentlesparentsBourreaux.Ou,surunmodeVictime:«Aprèstouslessacrificesqu’onafaitspourtoi,tuosesnousparlercommeça!»,«Maisqu’est-cequejet’aifait?»,«Tumefaistropdepeine,jenetecomprendsplus…»,«Tun’aspasledroitdemeparlercommeça,jeneleméritepas…»Ilestvraiquecesparents-làn’ontjamaisvraimentfaitd’effortpourcomprendreleursenfants.J’insistesurlefaitquejeneparlepasicidesadolescentsengrandmaldevivre,commeceuxquel’onvoitdanscertainesémissionsdetélévision.J’éprouvedegrandesdifficultés,jel’avoue,àadmettreque,danscertaines

famille, le respect ne soit obligatoire quedansun sens : les enfants doiventrespecterleursparents,certes,maispourquoicesderniersnedevraient-ilspasrespecter leurs enfants ? Alice Miller47 s’est longtemps battue contrel’interprétation fallacieuse du commandement « Tes parents tu honoreras »,une interprétation qui a laissé libre cours aux maltraitances physiques etpsychologiques faitesauxenfants.L’onpeut toutà fait respecter sesparentssans avoir toujours à l’esprit l’obligation de les satisfaire en tout ou de lesvaloriser!Sil’onfaitremarqueràunparentqu’ilnerespectepassonenfantquandilexprimeviolemmentsacolèrecontrelui,ilvousrenvoie«dansvosbuts»rapidement.Ilrépliquera:«Maisj’aibienledroit,d’ailleursj’aitouslesdroitssurlui,c’estmonenfant!»Enrevanche,siunenfantditqu’ilestagacépar les ronflements de sonpère qui l’empêchent de dormir, oupar lemauvaisgoûtdelasoupequesamèrel’obligetouslessoirsàavaler,qu’ilenaassezdemaldormiroudemanger«ce trucdégueu» (l’expression, il estvrai,manque un peu d’élégance…), cet agacement sera sûrement considérécommeunmanquederespect.Cequin’estpourtantpaslecas.Enrepensantàcertainspatientsetpatientes,jepeuximaginercombienilsontdûsouffrirdumanquederespectdelapartdeleursparents.

Sophie:«À12ans,mamèreacommencéàmeteindreenblonde:elletrouvait qu’être brune (j’avais les cheveux très noirs) n’était pas trèsavantageux.Surunephotodemoià10ans,elleapassédufeutrejaunepourfaire croire que j’étais blonde ! Et depuis toute petite, elle m’a mise au

Page 95: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

régime carune femme sedoit d’êtremince et il faut s’y préparer très tôt.Ellem’obligeait,noushabitionsdans lesud,àresterdeuxheurespar jourau soleil : pour être jolie, disait-elle, il faut être bronzée. Aujourd’hui, à26ans,jemetrouvegrosseetlaide.»

Barbara, 47 ans, est en surpoids. «Mamère, dit-elle,m’a seriné toutemon enfance que si j’étais grosse, je ne plairai jamais aux hommes. Elleavaitraison.D’ailleursl’histoiredemonpoidsestl’histoiredelaviedemamère. Mon corps est rond, comme le bébé qu’elle a voulu garder auprèsd’elle.Maiselleahontedemoi,ellemel’adit.»Lepatriarcatàlaromaine,fortheureusement,n’estplusdemisedansnotre

culture, mais beaucoup de parents et d’éducateurs semblent en être encoreimprégnés,sansenavoirconscience.Latoléranceetlabienveillancenesontpastoujoursaucœurdecertainesméthodeséducativescastratrices(aussibienpour les petits garçons que les petites filles). « Un enfant qui n’a pas étérespectéentantquepersonne,plustard,quandilseraadulte,secramponneraà ses parents ou à des substituts, en attendant d’eux tout ce qui lui a étérefusé48»danssonenfance,enparticulierl’amour.Avecl’alibidurespect,la«castration»intervientsousformed’interditsquipeuventserésumerenunephrase : « Tu n’as pas le droit d’être toi-même. » Sous entendu : « Tu esmauvais, tu n’es pas capable, tu ne sais pas. Tu me dois le respect, alorsécoute-moi,obéis-moiettoutsepasserabien.»Toutsepasserapourtanttrèsmal.Le respect, la confiance, ça semérite, non ?C’est ce que l’on dit auxadultes, pas aux enfants. D’autant plus que les parents ne montrent pastoujoursl’exemple,loins’enfaut.Leurscris,leurimpuissanceévidente,leursinsultes, leurs critiques blessantes adressées à leurs enfants sont-ellesdesmarques de respect (sansmême parler d’amour…) ?Autorisent-elles laconfianceensoi,l’estimedesoi?L’intrusion(pratiquéesurtoutparlesmères)dans les affaires des enfants (courrier, journal intime, téléphone portable)serait-elledevenueunemarquederespect?Inspire-t-ellelaconfiance?Quantauharosurlacolèredesenfants,ilesttoujoursdesaison.Lacolère!

Cepéché,capital,n’enestunquepourlesenfants.Lesparentsnes’enpriventpas.Lesadultesnonplus,engénéral,surlesplus«faibles»,ceuxsurquileurautorité est reconnue comme légitime. Éducateurs, supérieurs hiérarchiques,conseillersspirituels,etlesparents,biensûr:ilsontledroitd’exprimerleur

Page 96: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

colère, du plus petit désaccord jusqu’à la rage. Pourtant, la colère estsimplement une réaction à quelque chose qui ne nous plaît pas, dansl’environnementnaturel,matérielouhumain–ouennous.Lesraisonsensontdonc plutôt fréquentes, pour les grands comme pour les petits, mais cesderniersdoiventlaravaler,quandilsnelaretournentpascontreeux:cequigénère immanquablement une dépression. Sinon, une pluie de punitions, decritiquesoud’insultestombesureuxrapidement–quandcenesontpasdesgifles, des fessées ou pire…Les enfants n’ont pas le droit d’exprimer leurcolère.C’est un fait, lamesse est dite.Même s’ils ne comprennent pas trèsbienpourquoi,mêmesiles«grands»nemontrentpasl’exemple.

Lesparentstoxiques

Lesparents toxiquesserévèlent incompétentsdansbiendesdomaines,et,en outre, ils ne peuvent transmettre à leurs enfants un quelconque « artd’aimer»(etsurtoutpassoi-même).Chezcesderniers,touteformedeliennepeutprovoquerquedelapeur:l’amourfaitmal,qu’onledonneouqu’onlereçoive.Carpasunmoment,aucoursdeleurenfance,cesenfantsnepeuventimaginerqueleursparentsnelesaimentpas.Lesparentsmalaimantet/ounesachantpas reconnaître lesmarquesd’amourqu’ils reçoiventde leurspetitsdistillenteneuxlacraintedel’amour.Il existe différentes sortes de parents toxiques, et leur « toxicité » est

d’intensité variable, selon qu’ils se montrent trop faibles et incapablesd’assumer leurs responsabilités, ne donnant à leurs enfants aucun modèleacceptable d’adultes suffisamment indépendants et matures. Ou qu’ils semontrent,commelaplupartdutemps,tropanxieux:ilsnepréparentpasleursenfantsàaffronter lemondedesadultes.Ilspeuventaussi lesadultifier, leurdemandanttropvitedeseprendreenchargeeux-mêmes,oudelesprendreencharge:cefaisant,ilslespriventdeleurenfance.JepenseàGaëlle(25ans),quiavécuseuleavecsamèredepuis l’âgede4ans.Ellen’avaitpas10ansquand cette mère lui a confié la responsabilité des courses à faire pour lasemaine,àpeine12ansquandelleluiaconfiélagestiondescomptesetdesfactures à payer. Surtout, ces parents ignorent – ou veulent ignorer – lesbesoinsdeleursenfants:besoinsqui,rapidement,neserontplusexprimés,nimême,àforce,ressentis.Enparticulier lesbesoinsaffectifs,car il leurest,àl’inverse, demandé de satisfaire les besoins du ou des parents et ceux de la

Page 97: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

fratrie.Lechantageaffectifestàl’honneurdanscetypedefamilleoùilpeut,par exemple, exister des problèmes d’alcoolisme ou de dysfonctionnementsfamiliaux qui instaurent « l’instabilité, l’insécurité, l’imprévisibilité, descomportementsarbitraires,laconfusionetdesmauvaistraitementsphysiques,mentaux, émotionnels, sexuels (même implicites), l’abandon ou lanégligence49».Commelesenfantssonttropjeunespourbienjouercerôledeparentsqui leur est demandé (de façon implicite), ils développent en eux lesentimentden’êtrejamaissuffisammentàlahauteur.Ilssontentraînésdurantde longues années à devenir des Sauveurs, des dépendants affectifspathologiques.Ces enfants sont sacrifiés sur l’autel de l’incompétence et del’immaturitédeleursparents.

Marie,30ans,vitchezsesparentscarellen’osepasles«abandonner».Elle ne sait pas du tout ce qu’elle veut faire professionnellement, et va depetitboulotenpetitboulot,n’ayantpas toutà fait terminéunemaîtrisedepsychologie.«J’aicommencéàdevenirtimideenmaternelle,jen’yaipasditunmotpendantsixmois.Un fois,onm’aoubliée : jedormaispendantque les autres jouaient. Je me sentais triste et seule. Mon pèrem’impressionnait, ma mère m’étouffait et me parle, aujourd’hui encore,commesi j’avais12ans!Passionnée,elledramatisetoutetprendsurelletout lemalheurdesautres.Elleanticipe toujours lepireet je l’ai toujoursvueivredèslemilieudesrepas.Toutestdifficilepourmoi:jemepétrifiedepanique à l’idée de faire quelque chose comme téléphoner, demander,prendreuneinitiative.Jesaisquejesuistrèsinhibée:jeneveuxsurtoutpasdérangeretj’aitoujourseupeurdedécevoirmesparents.C’estcurieux,j’aitoujours peur qu’on m’oublie, même avec mes amis. J’ai vraiment lesentimentden’avoirétéqu’uneincompétente,danstouslesdomaines.»

Lisesesouvientque,dèssonentréeenclassedesixième,enville,alorsqu’ilshabitaient lacampagne,sesparentsont installé leursquatre enfants(qui se suivaient de très près) dans un appartement, à charge pour Lise,troisièmedanslafratrie,des’occuperdesesfrères.Cette«pasencorejeunefille » de 12 ans s’est ainsi retrouvée avec trois « enfants » à nourrir, àsurveiller. Elle devait s’occuper de leur linge, veiller à ce que les devoirssoientfaits:ellevivaitdanslaterreurqu’illeurarriveunaccident.Durantseptans,alorsqu’elle-mêmeétaitévidemmentscolarisée,elleatenulerôle

Page 98: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

demamanpourses frères,n’ayantpasunmoment–etpasmême l’idée–pours’occuperunpeud’elle-même.D’autres parents sont toxiques dans la mesure où ils se montrent

dominateurset,cequivadepair,manipulateurs.L’objectifétantdeconserverlepouvoiretlecontrôlesurleursenfants.D’autantplusqueladominationnes’exerce pas forcément avec un excès de rigueur ou de sévérité. Certainsparentssontparvenusàunartconsommédelamanipulation,àtelpointqu’ilsn’ontmêmeplusàs’exprimerverbalementpourobtenircequ’ilsveulent:lacommunicationnonverbale(leregard,surtout,maisl’attitudeaussi)estbiensuffisante. Ils peuvent aussi manipuler en se montrant tellement« exemplaires » et « parfaits » dans leur générosité, leur dévouement, queleurs enfants se retrouvent pieds et mains liés, sans aucune possibilité derébellion.Ainsi,trèstôt,ilsapprennentàsubirunedominationpsychiquequirisque de se prolonger tout au long de leur vie. Car ils sont sous la couped’unevolontédecontrôletotalsurleurvieprésenteetfuture,avecparfoislesmeilleures intentions dumonde –mais aussi les pires.Une patientem’a unjour décrit le « hold-up émotionnel » que samère lui avait infligé : « Ellen’aimait pas que je sois différente de ce qu’elle avait toujours désiré pourmoi:ellenem’aimaitpasmoimaiscequej’auraisdûdevenir.»

Quelquescroyancesdeparentstoxiques

Tous les parents ont des certitudes concernant l’éducation de leursenfants et cequ’ils sont endroit d’attendred’eux.Envoiciquelques-unesparmilesplustoxiques.•Unenfantdoitsecomporteren touspointsselon lesdésirsdeses

parents.•Unenfantdoitavoirpourpriorité la satisfactiondesdésirsdeses

parents.•Unenfantn’apasvraimentdepersonnalité,c’estpourquoiildoitse

conformerauxdirectivesdesesparents.

Page 99: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

• Un enfant n’a pas à exiger, ou même à demander : ses parentssaventcequiestbonpourlui.•Unenfantsedoitd’êtrelafiertédesesparents.•Unenfantdoitveillerànepaspeinersesparents,niàlesdécevoir.•Quandunenfantobéitàsesparents,toutvabienpourlui.• Un enfant est responsable des punitions que ses parents lui

infligent.•Unenfantquel’onécoutedevientunenfantcapricieux.•Unenfantquel’oncomplimentedevienttropimbudesapersonne.

Lesenfantsvictimesdeparentsbourreaux(sansmajusculescettefois)onttous des problèmes psychoaffectifs, ce qui se comprend fort bien. Je vousprésente maintenant le cas de Bernard, qui a grandi dans une familleéminemmentdysfonctionnelle.

Bernard a 38 ans, il est marié, a deux enfants. Il est venu en thérapiecomme on « appelle au secours ». Sa vie personnelle et sa vieprofessionnellesontdes«échecs».Toutletemps«stressé,déprimé»,ila«desblocagesdanslatête»etnepeutplus«nipensernifairequoiquecesoit ». Sa petite sœur s’est suicidée : elle s’est pendue chez ses parents.«Elleaexprimécequemoijen’arrivaispasàleurdire.»Sonfrèreaîné,quinesupportaitpas leursparents,estpartide lamaisonà18ansetn’ajamaisplusdonnédenouvelles.«Lui,aumoins,aeulecouragedepartirdèsqu’ill’apu.Moi,jen’airompuaveceuxqu’à30ans,etencore,parcequemonépousem’apousséàlefaire.»«Monpèreétaitlâche:ilnevoulaitjamaisriensavoir,etmamèreétait

hystérique,trèsviolente.Ellenousbattaitconstammenttandisqueluisortaitde la pièce… Mon grand-père maternel était alcoolique, et mes grands-parents paternels se sont suicidés ensemble quand j’avais 19 ans : ils nevoulaientpasquelamortlessépare.Moi,j’aitoujoursétésage,jenedisaisjamaisnon,jebaissaislatête,jenepouvaispasmedéfendre–aujourd’huinonplus.J’aitrèsviteapprisàfaireprofilbas,àmetaire,quoiqu’ilarrive.Mesparentsétaientmaltraitantsetjeressensbeaucoupdeviolenceenmoi,ellemefaitpeur.J’aiétéconditionnéànepasavoird’idéespersonnelles,dedésirs, d’envies, à refuser toute forme de plaisir. Je n’ai appris qu’à être

Page 100: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

passif, à devenir transparent pour les autres, à contenter tout lemonde, àsurtoutnepas faired’erreurs.Engénéral, jenedisquecequivaplaireàmoninterlocuteur.Jesouffred’unegrandeincompétencerelationnelle:c’estdansmanature,jenesaispascommentmecomporteraveclesgens.Quandmamèrecriait,jemesentaiscoupabledetout…Depuisbienlongtemps,j’ailesentimentd’êtremort,denepasexister, tellement jemesens impuissantdans la vie, incapable de quoi que ce soit. J’avais envie de crier à mesparents :“Laissez-moi avancer !”,mais j’ai toujours euhonte demoi, demon physique, de la personne que j’étais, de l’image que je donnais demoi.»Ceque les parents ignorent – ou semblent ignorer –, c’est que toutes les

expériencesvécues,touteslesémotionsressentiesdurantl’enfancedemeurentgravéesdansl’adulte.Bonnombrededépendantsaffectifspathologiques(quicroient toujours au mythe de la famille idéale) restent toute leur vie sousl’influencede leurs parents, que ceux-ci soient encore vivants ounon.Leurpeurdelesdécevoir,deles«trahir»,guidelaplupartdeleurscomportementset, sans cesse, ils recherchent amour et approbation chez leurs amis, leurspartenaires en amour, leur psy, mais aussi dans leur vie spirituelle ouidéologique, ou encore dans leur vie professionnelle. Ils cherchent aussi àcompenserlescarencesaccumuléesdansdemultiplesdépendances,car,jelerépète, toutes les formes de dépendance sont des symptômes d’unedépendanceaffectiveproblématiqueoupathologique.«Et lorsqu’unemêmefaçon de compenser devient un besoin irrépressible auquel il faut répondresous peine d’en éprouver de l’angoisse et même de la culpabilité, lacompensations’esttransforméeencompulsion.C’estl’accoutumance50.»

Vous comprenez mieux comment l’on devient dépendant affectifproblématiqueoupathologique,commentsesontinstalléslescomportementsetlesattitudesdécritsprécédemment.Iln’yapasdehasard:certainsparentsetadultessonttoxiquespourlesenfants,commesouventleurspropresparentsl’ont été avec eux. Ils ont eux-mêmesmanqué d’amour et ne savent pas endonner:chaquemaillondelachaînen’atransmisquedumal-amour,dumal-aimant, transplantant ainsi à la génération suivante une vie émotionnelle etrelationnellecatastrophique.Mais ilne s’agiten riend’unemalédiction : enprendreconsciencepeutpermettredebrisercettechaîne.

Page 101: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Tellementd’émotionspénibles!

Lespersonnessouffrantd’unetropgrandedépendanceaffectiveontunevieémotionnelle extrêmement pénible : elles ne s’aiment pas, oscillent entre latristesse et ladépression– car lesmomentsdevraie joie, légère, sont rares.Elles passent de l’anxiété à l’angoisse, la sérénité leur est étrangère. Leurfrustrationestgrande,quandellenesetransformepasencolère.Ettoutcelasurfonddeculpabilitéden’êtrepasaimables.Unflorilèged’émotionstoutesplus douloureuses les unes que les autres les habite, que quelques fugaceséclairciesneparviennentpasàeffacerouseulementàatténuer.

Ledésamourdesoi

Ledésamourdesoiestunempêchementmajeurdevivreheureux.Ilnepeutqu’entraîner l’être humain dans des comportements, des idées, des attitudesquin’irontqu’àl’encontredesesdésirsprofonds,desonabyssaldésird’êtreaimé. Car s’il ne l’est pas, la raison en est simple : il ne lemérite pas, dumoins le croit-il.Nombreux sont les patients qui ne se posentmême pas laquestiondesavoirsicettecertitudeestfondéeounon.Ilsont interprétéleurhistoired’enfancecommela«preuve»qu’ilsnesontpasdignesd’êtreaimés,qu’ilsnevalentrien.Ilsnes’aimentpas.Lucie,quin’aque19ans,meparlaitainsi : « Quand quelqu’un de proche n’est pas content de moi, je feraisn’importequoipourqu’ilm’aime.Jepourraisdeveniruneserpillièrepourluiplaire»,tandisqueMagaliepleure:«Jesuistransparente,jesuisuneombre,jen’aipasdevie»…Nous avons vu comment le milieu familial, quand il n’apporte pas à

l’enfantunebonnequalitéd’amouretdesécurité,d’acceptationdeluitelqu’ilest,deprotection–oupire,quandilestincohérentetdysfonctionnel–,peutprovoquerdegrandsdommagesdanslepsychismedecetenfant,danssaviepsychoaffectiveetémotionnelle.Carcequiluiamanqué,etadulteluimanqueencore, c’est un socle, une assise narcissique sur laquelle fonder, au fil desannées,unebonneestimedesoi.Cequiestlogiquedanslamesureoùils’estsuradapté aux demandes, aux exigences (implicites ou explicites) de sesparentspourtenterd’enêtreaimé.Iladoncjouélerôlequ’onluiimposait(ouqu’il pensait qu’on lui imposait), sacrifiant sa propre identité, sa proprepersonnalité.Aliénantsavéritablenaturepuisquesesbesoins,sesdésirsetses

Page 102: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

idées étaient déniés. Adulte, il se juge impuissant et ne peut donc querechercherchezl’autrecequ’ilcroitnepasavoirenlui,créantetalimentantsa dépendance pathologique. Ce sentiment d’impuissance s’accompagnetoujours d’une dévalorisation de soi, comme si les critiques entendues dansl’enfanceétaientjustifiées.Ilreprendainsileflambeaudesesparents.Noussavonsque lesmaladesalcooliquescommencentà ledevenirquand

ilssontendépression (alorsque l’alcool renddépressif…),mêmesielleest«blanche»,c’est-à-diremasquée:sousl’effetdecetalcool,ils«oublient»momentanément leursdifficultés.Maisquandl’effetestdissipé, ledésespoirrevient toujours. Il se passe la même chose avec les grands dépendantsaffectifs : un regard aimant et tout semble aller bien. Un regard qui sedétourne,ettoutvamal,trèsmal.Sil’estimedesoinepeutpasêtretoujoursconstante,ellepeutnéanmoinsdemeureràunbonniveau.Lorsqu’ellen’existepas, ou qu’elle est très déficitaire, les amplitudes sont nettement plusmarquées,danslemauvaissens.Queneferait-onpas,alors,pourprouverquel’onestaimable?Pourtant,quoiquel’onfasse,onfinittoujoursparsetrouver« nul ». Un ami vous propose de partager le pain d’épices qu’il vient deconfectionner?Vousacceptezeninsistantsurlefaitquevousn’êtes«mêmepas capable » d’en faire autant ! Une amie vous montre comment elle ainstallésabibliothèque?Vouslacomplimentezenremarquantquevousn’êtes«mêmepascapable»d’enfaireautant.Tout événement, même minime, est utilisé pour se dévaloriser : à ses

propresyeuxetauxyeuxdel’autre.Lespersonnesquimanquentd’estimedesoi s’observent à travers un miroir déformant : elles s’y trouvent laides,stupides, incapables, incompétentes, inutiles, indignes d’être aimées,aujourd’huietpourtoujours.Mêmesiellessoignentle«paraître»etqueleurviesembleenviable:cen’estpourellesquedelapoudredeperlimpinpinquine les trompent pas, elles. Car ne s’estimant pas, ne s’aimant pas, ellesdéprécienttoutcequ’ilpeutyavoirdepositifdansleurvie.Etsil’ons’avisaitde leur faire un compliment, elles le détourneraient pour le réduire à néant.« On n’aime pas ce qu’on fait, on n’aime pas ce qu’on est. On estfondamentalement insuffisant51. » Et, se critiquant quasi constamment, l’onsupporte trèsmal les critiquesdes autres. Il faut dire que, des critiques, cespersonnesenontsoupé!Ellesontponctuépresquevingtannéesdeleurvie:une de plus, c’est une de trop. Elles seules ont le droit de s’en faire. JulesRenard, dans son Journal, décrit très bien sa très basse estime de soi :

Page 103: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

«J’aimebeaucoup lescompliments. Jene lesprovoquepas,mais je souffrequandonnem’enfaitpas,et,quandonm’enfait,j’arrêtetoutdesuite:jenelaisse pas la personne s’étendre comme je voudrais. […] D’expérience enexpérience,j’enarriveàlacertitudequejenesuisfaitpourrien.[…]Jeveuxfaire les choses bien, et je désire que quelqu’un, n’importe qui, s’enaperçoive.[…]Lebonheur,c’estd’êtreheureux;cen’estpasdefairecroireauxautresqu’onl’est52.»…L’onnepeutqu’admirerlestyle…etdéplorerlecontenu. Quoi d’étonnant à cela, le pauvre Poil de Carotte fut tellementmoqué,humilié…

Christellea38ans.EllevitavecPatricedepuistroisans,maisseplaintd’«unerelationdifficile».Elleneparvientpasàparler,às’exprimeraveclui.Comme,danssajeunesse,avecsesparents:«Ilssedisputaienttoutletemps.»Aujourd’hui,Christellenesesentpastrèsbiennonplusdanssavieprofessionnelle:«Jesuisdéçuequandmonéquipen’apasbesoindemonaide, je suis terroriséequand je dois parler en réunion. J’ai tout le tempspeur de déplaire. Et j’ai honte de moi. Je suis restée énurésique jusqu’àpresque20ans.Mamèremeditquejeneluiposaisaucunproblèmequandj’étais petite, à part celui-là, évidemment. Patrice semoque demoi parceque je suis très maniaque : c’est vrai que je suis toujours en train denettoyer…Jenesupportepaslasaleté.Jevisleregarddesautressurmoicommeunevéritablecontrainte,c’estinsupportable.Detoutefaçon,danslavie,onnepeutjamaisavoircequ’onveut.»

Inès a 45 ans. Célibataire, elle vit loin de toute sa famille (qui est enEspagne)dansunminusculestudiodepuisplusieursannées.Etpourtantellen’apasencoredéfaittouteslescaisses.«Jemesenstrèsmal,dit-elle.J’ailesentiment très profond, très lointain, que ma vie est un échec. J’ai descomplexessurmonphysiquequimegâchentlavie,jemesensvideetdansungrandnéantaffectif.Sij’aiaiméêtresolitairependantmonadolescence(pour éviter le heurt, le chaos, les colères et les affrontements avec monpère), aujourd’hui j’en souffre. J’ai des diplômes universitaires de bonniveau,maisj’airatéuneoccasiond’avoirunpostedechargéedecours:c’estLEregretdemavie.Alorsjefaisunpeun’importequoicommetravail,jem’ennuieetgagnelestrictminimum.J’ai trèspeudeviesocialeetsuistrès fidèle en amitié,mais je n’ai que deux amies… J’ai longtemps été la

Page 104: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

petitemamandemasœur.Monpèreétaittrèslointain,distant,froid,autoritaire,trèscoléreux(tous

les enfants tremblaient de peur). Ma mère était très dynamique, proche,attentive. Mais il fallait toujours faire comme si tout allait bien. Depuisquelques années, elle est en dépression.À 9 ans, j’ai appris parma sœuraînéequemamèreavaitvoulumefairepasser…Jenesaispasprendresoindemoi,jen’enaipasenvie.J’aitellemententendudiredumaldeshommesquejenemesuisrapprochéed’aucun, jamais.J’enaihonte.Pourtant j’aidéjà été amoureuse, il y a 5 ans. Il ne l’a jamais su. Je n’arrête pas degrossir et les antidépresseurs n’arrangent rien. Depuis la terminale, j’ail’impressiond’êtreungrosveauquiattendqu’ons’occupedelui…»Seperdre dans le désir de l’autre est trop souvent la seulemanière de se

sentirvivre:ledésamourdesoitransformelasatisfactiondesdésirsdel’autreenobligation,uneobligationquiconfèrelesentimentd’existerenétantutile,en « servant au moins à quelque chose ». Être approuvé par l’autre, êtreaccepté par l’autre donne une raison de vivre, et, un tant soit peu, des’accepter soi-même, de s’accorder un minimum de valeur. Cette extrêmedépendance, cette attente, cette tension vers l’approbation de l’autre sontproportionnellesaudénidetoutcequifaitlarichessedecespatients,detoutcequ’ilspourraientaimer,appréciereneux.Lorsquetouteslesqualités,toutesles ressources sont ainsi déniées, ils ne « voient » plus le meilleur d’eux-mêmes,maiscequ’ilsdétestent.Àforcedes’aliéner,des’éloignerdesoipourêtreplusàmêmedemieux

« aimer » l’autre, ou mieux le servir, l’on finit par se mépriser encoredavantage : l’on a honte de soi, l’on est coupable vis-à-vis de soi.Certainspatients emploient le terme«déchéance»enparlantd’eux.C’estvousdirecombien leur désamour d’eux est fort, profond. Leur amour-propre est tropsouventblessé : ils sontdepuis longtemps leurplusgrandennemi, leur jugeinterneimplacablequilescondamneencoreetencore.Etlorsqu’ilsprennentconscience de leur dépendance, ils s’en détestent davantage : une faiblesseinacceptable !Une faiblessequ’il fautbiencacher : la spontanéitédisparaît.Lemensongepeutfairesonapparitionaudétourd’unediscussion.Ilfautbiensauverlesapparences!Oubienalorsenrajouterdanslecynisme,l’ironiequiravage:dirigéecontresoi,bienévidemment.Ledésamourdesoinaîtaussidela contradiction (l’être humain en est rempli !) entre l’attente dereconnaissancedel’autre(quisignifiequel’ons’évalueplutôtpositivement)

Page 105: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

et l’idée que l’on ne vaut rien. Si je ne vaux rien, si je suis un incapable,commentêtreappréciéparautrui?

Dominique a 46 ans, sa vie « ne ressemble à rien ». Après plusieursrelations amoureuses décevantes, parfois « humiliantes », elle vit seuledepuissixans.Sonpère,décédédepuisplusieursannées,était trèsviolent,buvait trop.«J’aivécudans l’ombredemasœur, lapréféréedemamère.Ellesviventencoreensemble,avec le filsde18ansquemasœurs’est faitfaireparunhommedepassage.Mamèrenevoulaitquedesgarçons:elleaeu deux filles, alors ce petit-fils, c’est tout pour elle, un vrai miracle !Pourtant,elledétestait leshommes,elledisaitsansarrêtqu’ellesouhaitaitlamortdenotrepère. J’enétaisvenue,adolescente,à ladésireraussi : ilétaittellementdur!»LarelationdeDominiqueavecsamèreatoujoursététrèsfusionnelle,etdonctrèsambivalente:elleenabesoinautantqu’ellelarejette. Elle n’a des rapports corrects avec elle que lorsqu’elle vit unerelationamoureuse.«Déjàenfant, j’étaisanorexique;aujourd’hui, jemange trèspeu…Ma

mèrenevoulaitpasdemoi,ellemel’adit,medécrivanttoutessestentativesd’avortement lorsqu’ellem’attendait.Pourtant, elle ne vivait que pour sesenfants:ellenelisaitpas,n’avaitpasd’amies,niaucuncentred’intérêt.Mapeur des hommes est celle demon père, quime terrorisait, ma haine deshommes est celle demamère.Chercher un homme estmon seul travail àplein temps alors que j’ai très peur d’aimer être seule. Je fais commecertains enfants : je m’efforce d’oublier tout le négatif. Mais j’ai quandmême des souvenirs qui reviennent… Comme quand ma mère m’a dit :“Sans toi, je n’aurais pas subi ton père”, ou, le jour de ma communionsolennelle:“Profitebiendetarobeblanche,tunetemarieraspas”.Jemesenstrèscoupablevis-à-visdemonpère:sijel’avaismieuxaimé,

ilneseraitpasmort.Jevaisrégulièremententretenirsatombepourpayerd’avoir souhaité sa mort. Et vis-à-vis de ma mère, je me sens coupableaussi:d’êtrenée,deluiavoirgâchélavie.Jenemepardonneraijamais.Jesuisnulle,uneratée.Jenesuismêmepascapabledem’assumer:c’estunamidelonguedate,unex,quimedonnedequoivivre…Àmonâge…J’aihontedemoi.»Toutes les formesdedépendancedénotentunméprisde soi, conscientou

Page 106: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

non.Telunhommed’affairesouunchefd’entreprisetrèsbrillant,quisontdesbourreauxdetravailetquineviventquepourgagnertoujoursplusdepouvoirsurlesautres–masquantainsileurdétresse,leurdépression,leursentimentdesolitude.La rechercheeffrénéedesexe, toutcomme l’addictionaux jeux,etautrescompulsionscomportementalessontmotivéesparleméprisdesoiliéàune dépendance affective pathologique. Car « toutes les toxicomanies sansdroguechimiquesontdes tentatives infructueusesdemaîtriser laculpabilité,ladépressionoul’angoisseparl’activité53».Lescomportementsmisenplacepour se « distraire » des émotions trop pénibles à vivre – le sentiment desolitude,ledésespoir,l’angoissedevivre–agissentcommedesdrogues,etledeviennent.Leméprisde soi, intimement lié audésamourde soi,voire à lahaine de soi, génère ainsi des comportements d’autodestruction. Comme lefait de ne pas quitter le partenaire d’une relation très pénible à vivre, voirenuisiblepourlepsychismeetlavieémotionnelle,ouàl’inversedeprovoquerunerupturetantlapeurestgranded’êtrequitté.Cettepeurdecequiestvécucommedurejetest,pourbeaucoup,pireencoreàvivrequelasolitude.Ne jamais dire « non », se rendre toujours disponible pour les autres, se

taire à soi et sur soi, même sur ses idées est invivable. D’autant plus que,paradoxalement, ces personnes « filtrent » les compliments ou lesmarquesd’affection pourtant si désirés et attendus : « Je ne les mérite pas » estl’argument le plus utilisé, avec toutes les déclinaisons possibles. Car lesdépendants affectifs pathologiques préféreront toujours, consciemment,donner plutôt que recevoir.Quant au verbe « demander », il est totalementexclu de leur vocabulaire lorsqu’il s’applique à eux-mêmes. Et si l’autrerefusait?Ceseraitpireencore.L’onretrouveainsi lemodèle, formaliséparMartin Seligman54, de « la résignation apprise » (ou « l’impuissanceacquise»),«l’unedesprincipalesthéoriesdeladépression».Lapersonnequine fait pas le lien entre ce qu’elle fait et les résultats obtenus devientdépressiveet adopteuneattitude fatalistedevant lavie.Un fatalismeetuneimpuissancequinel’empêchentcependantpasdecroire(ouplutôtd’espérer)qu’ilestpossibled’êtreaimésil’ons’endonnevraimentlapeine,sil’onsaitsuffisamment se sacrifier pour l’autre. Etmême si cette certitude se trouvemiseàmallorsd’uneséparation,ellerefaitsurface–faisantrejaillirl’espoir–àchaquenouvellerencontre.Désamouretméprisdesoinepeuventquegénérerdeladépression.

Page 107: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Delatristesseàladépression

Les enfants dont la tristesse est plusoumoins chroniquedeviendront desadultesaumieuxdéprimés,aupiredépressifs.Jerappellequel’essentieldeladépression naît dans la colère non exprimée que l’on retourne contre soi.Commentnepasressentirdelatristesse,delapeine,duchagrinlorsqu’onalesentiment de n’être pas important, pas aimé, mal aimé ? D’être incompris,injustementcritiqué?Lesenfantsdontj’aiparléprécédemmentontdéveloppédes dépressions réactionnelles en réaction aux comportements de leursparents et, de façon plus générale, de certains adultes faisant partie de leurenvironnement.L’onnesaitd’ailleurspasvraimentdistinguer,quandilssontdevenus adultes, si c’est la dépression qui crée la dépendance affectivepathologiqueoubienlecontraire.Cequiimporteestquelesdeuxsontliées,même s’il s’agit parfois d’une dépression masquée, non apparente. Lapersonnevit«normalement»etellene«tient»qu’ensecoupanttotalementdesesaffects,desesémotions,cettecoupureétantpossibleparunexcèsdemaîtrise–unesortedeparalysieémotionnelle–ouchimiquement,parlapriserégulièred’antidépresseursetd’anxiolytiques.L’onnesait.

Élodie,23ans,esthantéeparl’idéedelamort,qu’ellesouhaiteparfois.Aprèsuneruptureamoureuse,elleafaitunedépressionréactionnellesurunétat dépressif chronique (sa mère aussi était et est encore dépressive).Durant les derniers mois de cette relation, elle voulait « être dans unplacard, disparaître pour qu’on l’oublie ». « J’ai souvent envie de passersous un bus pour qu’il m’écrase, dit-elle. Presque tous les soirs, jem’endormais en n’ayant pas envie deme réveiller lematin. J’ai trèsmalvéculedivorcedemesparentsetj’enveuxàmamèredel’avoirprovoquéentrompant mon père. Elle m’a souvent frappée en me disant que je ladégoûtais ! Avec ma belle-mère, je me sens nulle, et mon beau-père estviolent. J’aiunnouvelamoureux, et j’ai trèspeurde ledécevoir.Cen’estpas simple, il auneamiequ’il vaquitter,medit-il,mais j’aidumalà luifaire confiance. Je voudrais être parfaite, tout contrôler pour qu’il mechoisisse,etsurtoutparceque,sinon,j’aipeurdemesuicider.»Cequi est sûr, c’est que ce type d’émotions, qui vont de la tristesse à la

dépression(qu’ellesoitmasquée, larvéeouavérée),naîtdans lemanque,unmanque apparemment irrémédiable qui semble s’être installé pour toujours.La solitude rend triste, lapeurd’être seul rend triste, la tristesse rend triste.Toute laviedudépendantaffectifpathologique tourneautourde la tristesse,

Page 108: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

avecdesintensitésvariablesselonlessituationsetlescirconstances.Tristessed’avoir le sentiment de tout donner et de ne rien recevoir. Même si cetteperceptionn’estpasfondée,elleexiste–c’estcequicompte.

Inès,nousl’avonsvu,estdépressiveets’estinstalléeenmode«survie».De plus, elle n’a pas que des difficultés professionnelles, familiales etrelationnelles : elle est malade et accumule les somatisations. Lesantidépresseursnombreuxetvariés,qui luisontprescritsparsonmédecin,nefontqu’atténuerl’intensitédesesémotions:soncorps,alors,compenseenmultipliant les dysfonctionnements, hormonaux en particulier, ce qui aprovoquél’apparitiondekystesovariens,uneprisedepoidsconséquenteetune fortepilosité trèspénibleàvivre.Les traitementsdesendocrinologuesqu’elleconsulteneparviennentpasà la stabiliser.Lesanti-inflammatoiresne viennent pas à bout d’une tendinite chronique à l’épaule droite et ladouleur l’empêche souvent de dormir. Petit à petit, son médecin a doncajouté des anxiolytiques qui l’apaisent enfin, pressentant un syndromeanxio-dépressif (SAD).On lui a égalementdiagnostiquéunephlébite. Inèsestconstammentépuisée :c’est l’undessymptômesde ladépression.Plusrécemment,onluiadécouvertdeskystesdanslessinusfaciauxetdanslesamygdales, ainsi qu’une tumeur à l’hypophyse… Le corps d’Inès parle lelangagedeladépression.

Nadia, 67 ans, a « toujours été angoissée ». Elle n’a jamais eu lesentiment de prendre sa vie en main, « à cause des hommes », dit-elle.«Pendantseptans,aprèsmesétudes(jesuisagrégéed’allemand),j’aivécudans un no man’s land, assistée jour et nuit par ma mère. J’étais enrégression massive, disait le psychiatre que j’ai consulté à l’hôpitalpsychiatrique.J’airéussiàtravaillerquelquesannées,puisj’aiétémisetrèstôt en retraite pour invalidité. J’ai beaucoup regretté, j’aimais bienenseigner.Depuistoujours,j’ailacolonnevertébralefragileetj’aidûvoirpresque une cinquantaine de médecins en tous genres. Je prends desantalgiquestrèsforts,maisj’aidesinsomniesdepuisdesannées:jenemesensjamaisreposée.Lapersonnequialepluscomptépourmoi,dansmavieaffective, c’estmamère.Ellem’aditqu’ellenem’avaitpasdésiréeparceque mon père la trompait. Mes parents m’ont élevée avec une grandesévérité : je n’avais pas le droit à l’erreur. Je crois que je n’ai pas le

Page 109: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sentiment d’avoir été aimée. Pourtant, mon corps s’arrête de souffrir dèsque je crois l’être. Il a fonctionné comme ça toute ma vie. J’ai toujourspensé qu’il fallait donner pour recevoir : j’ai été élevée dans cette idée,mêmesilemessagen’étaitpasaussiclairementexprimé.Etjesuistellementperfectionniste!Jen’aiaucuneconfianceenmoi,alorsjeveuxtoutletempsme maîtriser. Mon kinésithérapeute me dit que c’est pour ça que j’ai lesmusclesdesépaulesetdudossidurs…Aujourd’huiencore,rienqu’àl’idéed’êtredésapprouvéeparlesautres,jememetsàpleurer.Etquandjesouffre,jemedisquejesuisvilaine,quejenedevraispasavoirmal…»Qu’il s’agisse de tristesse ou de dépression, le corps s’exprime. Les

émotionsétantinscritesdanslecorps,lesgrandsdépendantsaffectifssontlaplupartdutempsplusvulnérablesàlamaladie,ilssontsouventmalades.Leursystème immunitaire, dont les liens avec le stress ne sont plus à démontrer,n’estpastrèsvaillant.Leurcorpsdittoutesleurssouffrances.

Tamara a 30 ans. Elle souffre d’une dépression chronique. « C’estinsupportabled’être seule,dit-elle, çame terrorise.Alors jememetsavecn’importe quel homme, mais j’ai toujours la peur au ventre : et s’ilm’abandonnait?Jemedétested’êtrecommeça,maisjen’ypeuxrien.Mamèreestunefemmetrèsforte,moijenelesuispas.Etjedétesteleshommes,ce sont tous des vicieux, des fils de p…, des enc… Moi je recherche unhommequiseraitàlafoisunpère,unmarietunami.Jevaisdéjàmieux,jen’aiplusdeTOC,maislavienepeutrienm’offrir:jenesaispassijevaispouvoircontinuerlongtempscommeça.»Silesracinesdecettetristesseonttrouvéleurvoiedanslemanqued’amour,

de multiples ramifications l’ont menée vers la dépression, signature dudésamourdesoi,undésamourprofond,existentiel.

Del’anxiétéàl’angoisse

Lespeursdesdépendantsaffectifspathologiquessontmultiples.Ellessontsi nombreuses, si imbriquées les unes dans les autres qu’elles peuventprovoquerdescrisesd’angoissesévères.L’angoisseétantune immensepeursans objet précis : il y en a trop qui s’amalgament, au point de ne plus lesreconnaître.Quin’apas été témoind’unevéritable crised’angoissenepeutmême pas se l’imaginer. Je vois encore ce patient inondé de sueur, la têtebaissée,lesmainscrispéessursesgenoux,trèsrouge,nepouvantplusparler,

Page 110: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

lecorpsfigé.Jerevoiscettepatienterecroquevilléesurlefauteuil,incapablede dire unmot, tremblant comme une feuille. Parvenus à cette partie de celivre,voussavezbiendequoicespersonnesontpeur:desconflits,mêmedespetites disputes ou des simples fâcheries qui ne durent pas. Vous savez cequ’elles redoutent : déplaire, être jugées négativement, n’être passuffisamment aimables, être inintéressantes, imparfaites, se tromper, malanticiper un besoin de l’autre ou mal y répondre, se montrer vulnérables,mettrel’autredemauvaisehumeur.Voussavezcequialimenteleursangoisses– sans être toujours verbalisé : la rupture, la séparation, le rejet, lemanqued’amour,lasolitude,l’abandon.

Paula34ans,ilvitavecsonamiR.depuiscinqans.«Jen’arrivepasàdonnerunedirectionàmavie,jenesuisjamaisrassuré.Adolescent,j’aieudesTOC,maisc’étaitpassé.Aujourd’hui,ilsreviennent:jedoistoucherdesobjets tous lesmatinset tous lessoirspourcombattremonanxiété.Àmontravail,j’ailesentimentd’avoirététrahi,trompé,sali.Jesuisincapabledefixerdupositifsurmoi:jenegardequelenégatif.Mafamilleatoujoursététrèspesante.Personnenem’ajamaisécoutésurcetteterreetjecontinueàêtrecomplètementinfantiliséparR.:ilm’étouffe.Mesparentsmemanquentalorsquejesaisqu’auprèsd’eux,jesuistrèsmal.Mêmeaujourd’hui,quandjevais lesvoir, jen’arrivepasàdormir : j’ai troppeur.Depuis toutpetit,j’appréhendelamortdemamère.Jesuiconstammenttourmenté,jen’aipaslesentimentdemeconnaître.C’estcommesij’étaisétrangeràmoi-mêmeetçam’effraie.Jenesaismêmepascequejedésire.Enfant,déjà,jevivaisdanslapeur:quandmesparentssortaient,quand

ilsmedemandaientd’alleràlacave,quandlesautresélèvessemoquaientde moi. Mes parents n’ont fait que m’insécuriser : matériellement etaffectivement.J’ailongtempsétéleconfidentdesproblèmesdemamère.Enfait, j’ai manqué d’eux. J’aimerais tellement grandir enfin et devenirindépendant!Toutestdifficileet j’ai trèspeurdevivreseul, jenem’aimepas. Je prends des anxiolytiques, mais ce n’est qu’un pansement sur mespeurs. J’aurais besoin que mes parents m’encouragent, me valorisent…MêmeavecR.jemesensseul,sansaucunappui.Finalement,iln’estqu’unebéquillepourmoi.Maisjelecrainsetneluifaispasconfiance.Jevoudraisqu’on m’aime ! Je déteste la réalité de ma vie, elle m’angoisse, j’ai

Page 111: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

constamment un fond d’anxiété et d’insatisfaction. Je ne me sens pasvraimentexister.J’ailesentimentd’êtreéperdumentseul!

Maudea30ans.Elle subitdesboufféesd’angoissequi empirentdepuisqu’elleestentréedanslavieactive.Pire,ellea«peurd’avoirpeur».Cesaccèsdepaniquel’empêchentdes’alimenternormalement,saufquandelleestchezsesparents.Sonpère,sujetlui-mêmeàdescrisesd’angoisse,s’esttoujoursmontré trèsautoritaire.Sapremièregrandepeur, elle l’avécueà8ans,lorsdelaséparationavecsesparentsquisontpartisenvacancessanselle. « J’ai tout le temps peur de déplaire aux gens. Pourme rassurer, jeprends les autres en charge : c’est le seul moment où mes inquiétudesperpétuelles me laissent en paix. Je suis tellement sensible au regard desautres!»Pourtant, Maude, comme Paul et tant d’autres dépendants affectifs

pathologiques,neconnaissentpasquelatristesse.

Delafrustrationàlacolère

Lorsque lemeilleur de son énergie est dévoué à la recherche d’amour etd’approbation, est consacré à plaire à l’autre (à éviter de lui déplaire),l’accumulation de frustration est à ce point grande qu’elle finit par setransformer en colère. Car si les autres sont responsables du bonheur despatients dépendants affectifs pathologiques, ils le sont, en toute logique, deleur malheur, de leurs maux et de leurs désillusions. Ce sont eux lescoupables,lesboucsémissairesdel’immaturitédecespatients.«Lesgensquisontleplussujetsàlacolèresontceuxquicroientqu’ilsdoiventtoujoursfaireplaisir aux autres pour éviter de les irriter55. » Faire constamment plaisir àl’autre–l’irriterseraitdésastreux–estlemeilleurmoyenpourfairenaîtrelacolère.Frustrésparcettecompulsionàsatisfairelesbesoinsdel’autreetnonles leurs, les dépendants affectifs pathologiques sont remplis de rancœur :contre les autres (pourqui ils se sacrifient, délibérément),mais aussi contreeux,pour lesmêmesraisons.Maiscommeils’agitd’unedépendance, ilsnepeuvent pas faire autrement, du moins le croient-ils. Ils « payent » leursécuritéaffective(ouplutôtl’illusiondelasécuritéaffective)auprixdeleur

Page 112: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

oublid’eux-mêmes,deleuraliénation,duméprisdeleursvéritablesbesoins.Trop attachés à satisfaire ceux des autres, ils vivent dans une continuellefrustration.

Patrice,40ans:«Jenesupporteplusmesparents:monpèreboittrop,mamèrefumetrop,etilsnes’intéressentpasàmoi.Ilsnesontpasgénéreux,mamère refusemonhomosexualité et j’éprouve une colère très violente àson égard. Quand elle me téléphone, c’est pour me faire des reproches,commed’habitude.C’estunefemmecastratrice:elleacastrémonpère,ilneditrien,etellem’acastrémoi.Ellem’obligeaitàfaireleménagedanslamaison,quandj’étaisenfantetadolescent.Etj’enaimarrequetoutreposesurmoi. Si aumoinsonme remerciait,mais çaa l’air tellementnormal !PourNoël,mamèrem’asouventoffertdesbijoux:commeparhasard,jelesai tous perdus ! Je sais que ça lui fait de la peine… J’en veux à C. dem’avoirinstallédansunedépendance:jelemenaceparfoisdeletromper,maisjesuistoujoursdéçuparsaréaction.Alorsjedeviensdeplusenplusintolérant avec lui. Je lui ai dit que notre relation ne me convenait plus,qu’ellenemenourrissaitplus…Maisaprès,j’aiculpabilisé…»

Lara,25ans:LettreàB.«J’aipasdormidelanuit.J’aidût’appelerunetrentainedefois,toujourslemêmesilencedetonrépondeur…Jet’ailaissédeuxmessages, sûrement incompréhensibles à cause demes larmes…J’aipassélanuitàpenseràtoi,àmedirequeçanetetouchaitpas,quetut’enfoutais,quejen’étaisqu’uneparmid’autres.J’aiaussipenséquejen’étaispaslaseuleavecquitutrompaistafemme,qu’ilyenavaitcertainementuneautre.Et que je passais après.Comme toujours.Pourquoi tume fais ça?Pourquoitunerépondspasalorsquetusaisqueçamefaitdumal?Jetehais,jetejurequejetehaisvraimentquandtufaisça!Trentefois,bordel,jet’aiappelétrentefois,etpasuneseulet’asdécroché!!!Alorsquet’étaislà!C’estvraimentdufoutagedegueule!Etavectouslesjoursfériésquisepointent,commeparhasardt’astoujourspasletempsdemevoir…!Maistumeprendsvraimentpouruneconne,c’estpaspossible!Jepleuresurtonrépondeur,ettoi,çatepasseau-dessus?Toi,t’enasrienàfoutre!C’estpaspossibled’êtreautantinsensible!Là,j’aivraimentdelahainecontretoi.Jetrouvequetuteconduiscomme

unporcimmature.Vraiment.Commeledernierdesenfoirés.Etçameblesse

Page 113: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

d’avoir pu être aussi conne de tomber amoureuse d’un gars aussi peurespectueux,aussinul.C’estrévoltant,cequetufais.Là,àcetinstant,jetehais.Jetehaiscommejen’aijamaishaïpersonne.Etsurtout,surtout,jetehais comme j’ai toujours espéréne jamaisdevoir tehaïr.Maisquelgenred’homme traite la fille à laquelle il tient de cette façon ? Quel genred’hommees-tu?Quanttuteregardesdanslaglace,tutedisquoi?T’espasun homme, t’assumes pas, tu me fuis… Tu ne sais même pas me direadieu…»Danslescouplesoùl’undespartenairesesttropdépendantaffectivement,

lesalleretretoursentrelaréassuranceetlacolèren’enfinissentpas:– « Je vais faire tout ce qu’elle me demande, elle va bien s’en rendre

compte…»;–«Siaumoinsilm’écoutait,s’ilfaisaitcequej’attendsdelui,jeseraisde

meilleurehumeuretplusgentilleaveclui,maisilmedéçoittellement!».Ilserassureavecsabonnevolonté,elleestencoredéçue,ilestfrustré,elle

le repousse… La même chose se reproduit, indéfiniment. La frustrationaccumulée finit par aigrir et risque bien de prendre au dépourvu lorsque lacolèren’estpassuffisammentmaîtrisée.Elles’exprimeparuntondésagréableet, parfois, par des mots regrettés aussitôt prononcés. À force d’enrager,effectivement,leseffortsconsentispourplaireàl’autresontdemoinsbonnequalité : plaintes et récriminations peuvent surgir, provoquant une situationque les dépendants affectifs pathologiques voudraient fuir à tout prix. Ilspeuvent alors se draper dans leur bonne volonté, incriminant l’autre qui,vraiment, est de trop mauvaise foi. Ces retournements évoquent le triangleinfernal:quandleSauveursetransformeenBourreau…:«Tousmeseffortssont inutiles : je fais ce que je peux et n’en suis même pas remerciée.Finalement,cen’étaitpas lapeinedemedonner toutcemal, ilne leméritepas.Detoutefaçon,c’esttoujourscommeça,plusonenfaitetmoinsonestremercié. J’en ai assez de m’excuser quand quelque chose ne va pas…Finalement, jeme demande s’ilm’aime vraiment. S’ilm’aimait, il voudraitquejesoisheureuse,non?Ilmerendrait lavieplussimple,plusagréable!Maisnon,c’esttoujoursmoiquidoisfairedesefforts,m’accuserdetouts’iln’estpascontent.Non,décidément,ilnem’aimepas.»

Page 114: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Toutestdelafautedesautres

Les dépendants affectifs pathologiques rendent les autres (tous lesautres)responsablesdeleurmalheur.Dansleursimmensesdifficultésàêtre heureux, il est évidemment plus confortable et moins«désobligeant»à leurégarddesepersuaderquecesont lesautresetleur difficulté à les aimer qui sont la cause de leurs tourments. Ils nes’interrogentpas sur leurspropres impossibilités, convaincusque leurartd’aimerestsupérieur.Seconfondantavecl’enfantqu’ilsontété,ilsconsidèrentque,àl’instardeleursparents,lesautressontresponsablesd’eux,d’autantplusquetropsouvent,ilssesententexploités.Etsimal«rémunérés»!Cette«faute»attribuéeàl’autreestfréquentedanslescouples : lorsqu’undespartenairesest très«demandeur»,exigeplusque l’autre, il finit par se demander s’il est vraiment bien aimé. S’ill’était,nuldoutequel’autreluiaccorderaitdavantaged’attentionsetdeprésence…«Toutestbonetrienn’estsuffisant:parents,amis,Sécuritésociale,

État,Église,syndicat…Àqui l’onréclameetque l’oncondamne.Onenvoudratoujoursàceluidontonespèretantetquinerépondpas,ousi mal, à nos vœux56. » C’est de cette façon que ces personnes sesententpiégées,abusées,certaines–aveclameilleuremauvaisefoidumonde–quelesautressontlesseulsresponsablesdeleurmalheur.

Il est très pénible de se sentir piégé dans la contradiction qui, à la fois,accuselesautreset lesrecherchepourenrecevoirdel’amour.Contradictionquiestàl’originedesdésillusions,desdéceptionsqui,àleurtour,génèrentdelacolèreet,parfois,uneattitudetrèsagressive.Parcequele«bien»attendun’estpas toujoursaurendez-vousdeseffortsquiontétéfaits.Très loins’enfaut ! D’autant plus que la colère est alimentée par la très désagréableconsciencede ladépendance : laboucleestbienbouclée.Defrustrationsendésillusions, de déceptions en rancœurs, la relation ne peut connaître qued’inévitables déboires. Satisfaire les désirs de l’autre par obligation, en nefaisant que des efforts (et donc sans réel plaisir) ne peut qu’amener lespersonnes trop dépendantes à attendre fébrilement un « retour sur

Page 115: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

investissement ». Car la dette ne doit être payée qu’en espèces aimantes etreconnaissantes,enmarquesd’amour.L’autreestainsiconstammentredevablepuisque leseffortssontconstants.Ainsiseforgent lesressentiments,dans lecreusetdesattentesdésespérées.

Julien a 37 ans. Il vit avec C. depuis 3 ans. « J’ai encore des résidusd’unemèrecastratrice,destructrice.Elleaaussicastrémonpère,quis’esttoujours tenuen retrait.Cen’étaitpasunmodèle. J’ai toujourscherchéàsauverlemonde,àaidermesproches.C’estmamèrequim’aapprisàêtrecommeça,pourelle. Il fallaitqu’ellepuissecomptersurmoi,àn’importequelmoment.Ellem’adit un jourque j’étais sonmari idéal !AvecC., jeretrouvelacolère:ilyatropdechosesquinem’appartiennentpasdanslaconstruction de ma vie. Avec elle, je suis trop frustré, nous n’avons plusd’intimité,nidesexualité(ellesetrouvetropgrosse).J’ensuisarrivéàuntelpointdesaturationquejenepeuxpluslarassurer.Jenesaismêmeplussij’enaiencoreenvie.Finalement,jemèneuneviedec…,jepasseàcôtédeplaisirssimples.Jenesaispassijepourraiunjourpardonneràmonpèred’avoirétésilâche,etàmamèredem’avoirutilisé.»

Karinea38ans.Elleestmariéedepuisdix-septansavecG.,quivit enAllemagne.«ChaquefoisquejemesuisdécidéeàpartirvivreavecluienAllemagne,j’aidûrentrerencatastropheenFrancepourmefairesoigner.Jem’accommodaisdevivresanslui:jesavaisquejen’étaispasseule,quej’étaisaimée.Ilvapeut-êtrevenirs’installeràParis.Jel’aimebien,maisjen’aijamaisétéamoureusedelui.LorsdemadernièretentativepourvivreenAllemagne, j’étais tellement désespérée d’être encoremalade que j’ai faitune tentative de suicide. De toute façon, je suis en dépression depuisl’adolescence.Depuis, ilm’arrivede fairedevéritablescrisesde ragequimedonnentdelatachycardie.J’aiparfoisenvied’étranglermamèreet,ilyaquelquesmois,jemesuisouvertlesveinesdevantellepourqu’ellesoitunpeuplusgentilleavecmoi.Jevoulaisvraiment lui fairepeur.G.aété trèsdéçuparmaconduite…Jesuissousantidépresseursetanxiolytiquesdepuisdesannées,maisçanesuffitpas.J’aiétéaucollègechezdesreligieuses:leur mascarade m’exaspérait et je me suis fait renvoyer pour mauvaiseinfluence sur mes camarades ! C’est vrai, je suis capable d’être plusmauvaisequed’autres.J’aitropdecolèreenmoi:contremesparents, les

Page 116: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

bonnessœurs,lesmédecins,etmaintenantG.quinefaitrienpourtrouverdutravailàParisalorsqu’ilestsurlepointdevenirvivreavecmoi.Aubureau,je faisdeplusenplusd’erreurs tellement je suis excédée, çacommenceàm’inquiéter.Jesuisunemauvaisepersonne,alorsàquoibonvivrecommeça?Jecreusematombelentementmaissûrement:jesuisdévoréedecolèreetdetristesse.»Les dépendants affectifs pathologiques n’innovent en rien : n’ont-ils pas,

dansleurenfanceetleuradolescence–etcelasepoursuitparfoisdansleurvied’adultes–entenduleursparentsparlerdedettesd’amourenverseux?«Jet’aiportée,jemesuisoccupéedetoietc’estcommeçaquetumeremercies?Tun’esqu’uneingrate!»,«Aprèstouslessacrificesqu’onafaitpourtoi,tupourrais aumoins venir nous voir un peu plus souvent ! », etc. En réalité,l’autre à qui l’on se sacrifie n’est ni plus ni moins considéré comme uncréancier:ildoitdonnerdelareconnaissanceetdel’amourenfonctiondecequ’ilreçoit,ildoitmêmepayerdesintérêts…carlafrustrationcoûtecher.Lechoix est limité : une seule alternative est possible, se taire et fulminer ensilenceouexprimersacolèreaurisquedebriserlarelation.Cettealternativeesttypiqueducomportementpassif-agressif:l’oscillationentrelesdeuxpôlesest quasi constante. La passivité est exprimée avec des plaintes, descomplaintesetdeslarmes,tandisquel’agressivitésetraduitparlacolère(trèsinattendue),parfoisviolente.

Annick a 41 ans. Elle s’estmariée avec S. il y a trois ans. Elle souffred’eczéma,d’asthmeetd’arthrite.«Mamèren’apassudonnerd’amouràsesenfants.Moi,pournepasmontrerquejepleurais,jem’enfermaisdansunplacard.Monpère,alcoolique,mefrappait,plusquesesautresenfants,parcequejenepleuraisjamaisdevantlui.Jeluidisaisqu’ilétaitméchantetjel’affrontais.J’enveuxencorebeaucoupàmamère,àmonpèreaussi.Jenepeuxpas,neveuxpasleurpardonner,iln’yapasderaison.Cettecolèremedonneparfoisenviededisparaître.Jen’arrivepasàavoirunbébéparcequemonventreestencombrédevieilleries,et jem’enveuxdenepasêtreplus légère.Pourtant, je suis quandmêmecontented’enfin éprouverde lacolèrecontremesfrèresquim’onttellementfaitsouffrir:ilss’arrangeaienttoujourspourquecesoitmoiquimefassebattre…»Frustration et colère sont on ne peut plus légitimes du point de vue des

dépendants affectifs pathologiques qui ne connaissent que l’effort, lacontrainte, le devoir qu’ils s’imposent,mais qui sont leur raison d’être. Ne

Page 117: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

s’octroyant pas le droit à une vie qui tiendrait compte de ce qu’ils sontvraiment, de ce à quoi ils aspirent, ils éprouvent forcément de la colère.Sesacrifieràsesenfants,àsonépouxousonépouse,àsesparents,àsesamis,àsontravail,àsacommunautéreligieuse,àsonidéologienepeutengendrerquedes frustrations. Contrairement à ce qui est attendu si éperdument, cecomportement sacrificiel devrait-il être « gratuit » ? Il le serait s’il émanaitd’un véritable altruisme ou amour, d’une conviction profonde. Ce qui n’estpaslecas.L’extrêmesollicitudeneprovoquepastoujoursuneréciprocitécarils’agiticid’uneforme«d’attachementpathogèneoùsemêlentlapeuretlesentimentdudevoir,dansunsimulacre,unefaçadededévouementconsidérécommeunevertu57».

Laculpabilité

Commentnepassesentircoupablequand,dansl’enfanceetl’adolescence,l’on a entendu que l’on était responsable des émotions de ses parents ? (enanalyse transactionnelle, il existe un jeu psychologique dénommé « Mèredéchirée»:«J’ai tellementsouffertpourt’avoir!»)S’ils’agitdejoie, trèsbien,mais pour la déception, c’est nettementmoins bien, comme pour leurmauvaise humeur, énervement, colère, ou leur tristesse. Pour leur piètrequalitédevieou leur fatigue, leur inquiétudeet leurs soucis…Responsableaussidespunitions:l’enfant«oblige»sesparentsàlepunir,àlefrapper,àl’enfermer (placard, cave…). Toutes formes de culpabilité absolument nonjustifiées.Danslecasdesdépendantsaffectifspathologiques,lesentimentdeculpabilitéesttotalementinfondélorsqu’ils’attacheauxcomportementsqu’ilsontpuavoirdansleurjeunesse.Ilpeutcependant,parfois,l’êtredansleurvieadulte s’ils ont réellement nui à quelqu’un, gravement, ou exprimé tropviolemmentleurcolère: leursmotsaurontdépasséleurpensée,dit-on.Maisce sentiment n’a pas à perdurer ou à gâcher une relation, surtout quand la«faute»estminime:sonampleurneseraitalorsquefantasmée–quandcen’est pas l’erreur elle-même qui ne relèverait que du fantasme ! Dans cessituations,«l’autopunitiondépassedeloinlecrime58».Rappelonscependantque l’obsession de la perfection ne peut qu’engendrer un sentiment deculpabilitéchroniqueetbiendifficileàcombattre.NousavonsquittéAnnicketsacolère,nouslaretrouvonsavecsaculpabilité:

Page 118: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Jem’enveuxtellementdenepassavoircommuniqueravecmamère,den’avoirjamaissulefaire…Ellen’apassumeprotégerdemonpère,et jeluienveuxpourça,maiselleavaitsansdoutetrèspeurdelui,elleaussi.Jel’aiinvitéeàmonmariage:elles’esttenueàl’écart,commeunepestiférée,etmoi jen’aipas sualler vers elle…Elle vit sûrementmieuxaujourd’huiquemonpèreestmort,maiselleestseuleavecsesmauvaissouvenirs…Ellen’apassuêtreunebonnemère,maismoijenesaispasêtreunebonnefillepourelleetjem’enveuxterriblement.Cependant, la plus grande culpabilité, inconsciente engénéral, a tout lieu

d’exister : il s’agitde« la transgressionenvers soi-même». IrvingYalomcitelesproposd’OttoRank:«Nousnoussentonscoupablesàcausedelavienon utilisée, de ce que nous portons en nous de non vécu59. » C’est cetteculpabilité-là, lapluspénibleàvivre,qui condamne lesdépendants affectifspathologiquesà«l’autodestructionquotidiennepartielle60.»Car l’on peut à juste titre se sentir coupable d’avoir mal fait : c’est une

culpabilité normale, fondée sur quelque chose de concret et qui peut êtretraitée avec une réparation (même symbolique) ou une demande de pardonlorsque cela est possible. Il s’agit souvent d’une culpabilitémineure qui neméritepasque l’ons’yarrêteplus longtemps. Il existeaussi lesculpabilitésnon fondées sur une parole ou un acte réels – l’importance en est alorsamplifiée.Maislaculpabilitéenverssoi-même,cellequiprovoqueleplusdesouffrance, n’est pas simple à conscientiser. Elle renvoie directement audésamour de soi.Cette forme-là, bienplus forte que le sentiment de ne pasavoirfaitcequel’autreattendaitdesoi,denepasavoirbienremplisonrôle,ronge de l’intérieur. Elle ne place pas non plus la personne en victime del’autre:ils’agitd’unehistoireentresoietsoi.Lapire.Ellepeutserésumerenquelquesmots:«Jesuiscoupablederatermavie».Cesseptmotscréentdesravagesdanslavieémotionnelleetlepsychisme:

ils laminent bien davantage que, par exemple, d’en vouloir encore à sesparentsmaladesou,pire,décédés(cequi,pourtant,estdéjàtrèsculpabilisant).Oudes’envouloird’avoirblesséenparolesquelqu’unquel’onaime(cequiest aussi très culpabilisant). La culpabilité dont nous parlons, que IrvingYalom,OttoRanketd’autresnommentla«culpabilitéexistentielle»,estbienpire.C’estunenferinconscientquiinterdittoutepossibilitéd’êtreheureux.

Mallorya37ans.Enfant trèsrêveuseetsolitaire,elleacommencéàsemordrel’intérieurdesjouesàl’écoleprimaireet,aucollège,s’arrachaitles

Page 119: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

cheveuxjusqu’àsouffrird’une«mini-calvitie».Ellepleuresursasolitudeaffective. « J’ai profondément aimé deux hommes dans ma vie. Ils m’ontquittée.Jenecomprendspaspourquoi.Jeleurdonnaisdel’amour,jefaisaistoutpourlesdélesterdecequiétaittroplourdpoureux,jelesaiécoutés,jeleurapportaisdeladouceur, j’étaisprésente.Est-cequecen’estpasainsiqu’on aime ? Quel mal ai-je pu leur faire ? J’étais leur infirmière, leurmaman… Petite, j’étais toujours anxieuse de ne pas être à la hauteur,adolescenteaussi.J’avaisunepeurénormemaisjenel’exprimaisjamais.Jemesenscoupablevis-à-visd’eux:ilsn’ontpasreçucequ’ilsvoulaientdemoi. Ma mère me faisait ses confidences : je ne l’ai sans doute passuffisammentécoutée.J’aienvied’êtreunevraiefemme,féminine,maismamèreenavaittrèspeur.Ellenemefaisaitpasconfiance.Jevoulaistellementêtre aimée, pour me fortifier, me donner l’ampleur que ma mèrem’interdisait, avoir le sentiment d’exister. Sans amour, je ne me sens pascomplète,maisjeneveuxpasdésobéiràmamère.J’étaissitristepourelle:ellen’apaseuunejeunesseheureuse.Enmêmetemps,jeluienveuxd’avoirvouluétoufferlafemmeenmoi.Etjem’enveuxdeluienvouloir.Jen’aipasreçulapermissiond’êtreunevraiefemme,devivrecommejevoulais.Maisjen’ai jamaisriendit.Jemesuis interditdedécevoirmesparents,surtoutmamère.Jesuisencolèrecontremoidenepasm’êtreécoutée,den’avoirjamaisditnon.Jevoudraistantsavoirexprimercequejeressens,avoirplusd’assurance. J’aimerais être dans lemonde, oser le féminin, oser deveniruneadulte,mesentircomplète,entière.Sortirducoconquinemeprotègepas. Je veux affirmermes besoins de femme et vivre à fond ce que j’ai àvivre, vivre pour moi, complètement. Je veux rester fâchée contre lesinjustices,lescombattre,arrêterd’idéaliserlesgens,surtoutceuxquim’ontfaitmal.Jeveuxarrêterdecroirequ’ondoittoujoursêtred’accordaveclesgensqu’onaimeetfaireleSAMUaffectifquandilsnevontpasbien.»

Loïca30ans.«Quandj’aiunchoixàfaire,jenesaisjamaissijedoislefairepourmesatisfairemoioupourfaireplaisiràmesparents.J’aitoujourstoutfaitpourmonpère.C’estluiquiachoisimesétudes,alorsquej’étaisintéressépartellementdechoses!Maisilatoutfaitpourmetransformerenvéritablemachineàculpabiliser!Jesubisetréagisaulieud’agir,ettoutceque j’entreprends,c’estpour luiprouverque jesuisunbon fils,qu’ilpeut

Page 120: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

(enfin)m’aimer…Jevoudraissuivremeschoixàmoi,authentiques,maisjenesaismêmeplussijelesconnais.J’aiconstammentsavoixdansmatête.Je suis autant en colère contre lui que contre moi parce que je ne merespecte pas. J’essayed’êtremoi,mais, finalement, je crois que je ne saispasbienquijesuis.Jevoudraiscroireenmavaleur,maisjen’aisuquemeplierencinquantepourplaireàmafamilleetj’ailesentimentd’êtrebloquédetouslescôtés.Enfant,mamèrenemeprotégeaitpasdemonpèredevantqui jen’osaispasm’exprimer : j’avaisbien troppeurdesespunitions,deses humiliations. Il faut que je sorte de son influence, que j’arrête decherchersareconnaissance.»CommeleditsibienJulie:«Çasuffitdesemépriser»!C’estcequ’elle

diraitàEmmanuellesiellel’entendait:«JemesuismariéepourfaireplaisiràPierrequis’estmontrésigentilavecmoiquandj’étaismalade!Commej’aitoujourscherché à faire plaisir àmon père. Jeme suis évertuée à sauver lacellulefamiliale,àmeconformerauxdésirsdemesparentsalorsque j’étaisune enfant révoltée à l’intérieur. En réalité, toutes mes révoltes se sonttransformées en capitulations… » Le premier des devoirs envers soi-mêmeétantdeserespecteretdefairevivretoutesarichesseintérieure,iln’estpasétonnant que cette forme de culpabilité soit si destructrice et ravage autantl’estime de soi. Les dépendants affectifs pathologiques n’ont plus aucuneintimitéaveceux-mêmes,leursémotions:aucoursdeleurchemindevie,ilssesontd’abordtrahispuisoubliés…

Lacodépendance

Jusqu’ici,jevousaiparlédeladépendanceaffectivepathologiqueetdesesnombreusesmanifestations. J’abordemaintenant la notionde codépendance,c’est-à-dire la dépendance à la dépendance de l’autre.À l’origine, ce termeétaitutilisépourqualifierunepersonnevivantavecunmaladealcooliqueoutoxicomane.Aujourd’hui,cetteacceptions’estélargieetdécrit«touslesgensquisetransformenteux-mêmesenvictimesenportantsecoursàunepersonneobsédée, droguée, brutale ou excessivement dépendante, et en devenantresponsabledecettepersonne61».Eneffet,nombreuxsontcellesetceuxqui,parnon-hasard,sontattirés(qu’ils’agissed’amouroud’amitié)pardesgensqui, globalement, vont mal. Comme me le disait une patiente : « Je necomprendspaspourquoi jesuis toujoursattiréepardeshommesquiontdes

Page 121: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

problèmes:ilspeuventavoirunemaladie,ousedroguer,ouencoreavoirunefamille très dysfonctionnelle.Mais je n’en loupe aucun… ou aucun ne meloupe. » Tandis qu’une autre, il y a longtemps, s’apitoyait sur sonmari endisant :«Maissi je lequitte,quipourra-t-il frapper?»Uneautrepatiente,encore, regrettait de « tomber » systématiquement sur des hommes trèsmaladesalcooliquesetgrandsconsommateursdedrogues.Êtrecodépendantsignifie avoir besoinde s’occuper dequelqu’un– aupoint de s’oublier soi-même – et, dans le pire des cas, de souhaiter que cette situation perdure(souhait très inconscient, évidemment). Car cet autre, dont le codépendants’occupe avec tant de dévouement, lui procure une sécurité affectivepermanentedont ilserait trèspénibledesepriver–pourseretrouverfaceàlui-même et son comportement autodestructeur. Élisabeth, infirmière, estcodépendanteetelleachoisi(inconsciemment)unmétieraveclequelelleestsûreetcertainedepouvoirvivreaumieuxsacodépendance.Ilyauratoujoursdesmaladesàsoigner!Traditionnellement,lesfemmesontétééduquéespourdevenirdeparfaites

codépendantes.Deleurmarisurchargédetravailqu’ilfautsouteniretaiderdesonmieuxenluiretiranttouteresponsabilitésurl’intendancedelamaison.Deleurs enfants àqui elles se consacraient totalement sanspenserune secondequ’ellespouvaientprendreunpeudetempspourelles.Deleursparentsaussi,parfois.Du « suivi » des relations amicales. Des œuvres (bonnes) qui leurprenaient le peu de liberté qu’elles pouvaient dégager de leurs nombreusesoccupations. En échange, elles recevaient un certain confort matériel, lerespectde leurépouxetde leursrelations.Ellesenretiraientaussi,defaçonmoinsexplicite, lesentimenthautementvalorisantd’êtreAB-SO-LU-MENTIN-DIS-PEN-SA-BLES.Cequin’estpasrien!Leurcodépendanceétaitleurraison de vivre. Il n’y en avait pas d’autre. Et nombre d’entre elles ne segênaientpaspourcritiquerlesfemmesqui,allègrement,sedélestaientdecesobligations-là pour gagner leur vie, aux dépends bien évidemment du bien-êtredeleurfamille.Silasociétéaquelquepeuévolué,iln’enrestepasmoinsvraiquetropde

personnes se retrouvent dans la codépendance par un excès d’empathie, decompassionfrôlant lapathologieoudesensdudevoir.Lacompassionvasetransformerenpitié :«Jenepouvais la laisserdanscetétat.Oui,ellevients’installer chez nous jusqu’à ce qu’elle aille mieux », « Je ne vais pas luiraccrocher au nez quand elle me demande un petit service ! Elle est déjàtellementmalheureuse!»,etc.Lesrelationsdecouple,lesrelationsfamiliales

Page 122: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

etamicalessontdetrèsbonsterreauxpourmettreenœuvrelacodépendance,unexcellentmoyenpourfuirlesresponsabilitésquetoutêtrehumainaenverslui-même, pourmaintenir le déni sur l’oubli de soi, dont j’ai donnémaintsexemples. L’aliénation de soi trouve cependant des compensations qui nemanquentpasd’intérêt.Defaçongénérale,etdoncpasseulementdanslescouples,unepersonneest

codépendantesiellepenseêtreresponsabledeshumeursdesautres:lechampestlarge.Leproblèmen’estd’ailleurspasnécessairementchez«l’autre»:ilest chez le codépendant qui, affecté par les sentiments et le comportementd’autrui, cherche à son tour à influencer ce dernier par le contrôle (ou latentativedecontrôle).Touscomportementsetobsessionsd’autruiquiontpourmission de satisfaire ses besoins d’être aimé. Être disponible (dans sonentouragepersonneletprofessionnel,danslarue,lestransports…)luipermetdemoinssedétester,desevaloriser.Nousretrouvonschezlescodépendantstouslessymptômespsychiquesetcomportementauxdesdépendantsaffectifspathologiques.Leur besoin de reconnaissance, d’amour et d’approbation estleurdrogue.Le plus grand piège, si l’on a affaire à des codépendants, c’est d’être

maintenusdansunesituationproblématique.Leurcredoétantd’aider, il fautbienavoirbesoind’êtreaidé,sinonilsseraientinutiles.Ilsn’irontpasjusqu’àcréer des problèmes, non, mais ils auront très envie (inconsciemment) quel’autreaittoujoursbesoind’eux.Ledésintéressementn’estpasleurfort,maislàestjustementleurpathologie.C’estpourcetteraisonqu’ilsnepeuventpasenvisagerdemettrefinàunerelation(familiale,amicaleouamoureuse)danslaquelle ilss’éteignent– lesautresaussi.Laséparation,nous l’avonsvu,estinenvisageable.Lesgensquilesfontsouffrirneleurfontpaspeurtantqu’ilsont besoin d’eux. Lors et las, même frustrés et insatisfaits, malgré leurdétresse,ilsresterontdanslecreusetdeleurdésespoir–làoù,malgrétout,ilsontlesentimentd’existeruntantsoitpeu.

Lebesoindecontrôle

« Le codépendant est un individu qui se fait une véritable obsession decontrôler lecomportementde l’autre62.»Nonseulementsoncomportement,maisaussicequ’ilest.MelodyBeattiepoursuitenprécisantquececontrôlesur les gens et les événements s’exerce par « le biais du désarroi, de la

Page 123: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

culpabilité,delacoercition,delamenace,delamultiplicationdesconseils,dela manipulation ou de la domination63. » La codépendance est un outil depouvoirsurl’autre.Élisabethmedisaitqu’elleenvoulaitàsonpèreden’avoirpassuivi toutessesdirectivesmédicales :« Ilenestmort».Lesplaintesetcomplaintesdespersonnesquiviventavecdessujetsquisedroguentouquiboivent trop ne se comptent plus tant il y en a ! Les codépendants ne leslâchent pas une seconde, alternant les reproches et les encouragements, lesmenacesetlespleurs.Jemesouviensd’unpatientqui,chaquematin,donnaitàsonépouselemédicamentquil’empêcheraitdeboiredanslajournée.Il leluimettait lui-mêmedanslaboucheetvérifiait, lamainsursoncou,qu’ellel’avalait bien. Oui, car elle l’avait plus d’une fois trompé en gardant lecomprimé dans la joue. Lorsqu’elle avait bien avalé, il lui faisait un groscâlin…Lesgenscodépendantssaventcequ’ilfautfaireetnepasfaire,cequiest

bienoumal,cequiest justeou injuste,cequiestpermisou interdit (cequiexpliquequecertainsvoudraientsauverlemondeentieralorsqu’ilsnesaventpas se prendre en charge eux-mêmes !). Ils possèdent savoir, savoir-être etsavoir-faire, les imposent sans cesse, ce qui, cela ne nous étonnera guère,provoque souvent le comportementopposé !Cequi lesmet très encolère !Colère qui les culpabilise. Culpabilité qui les pousse à devenir plus«gentils»…Sil’illusionducodépendantestdechangerl’autre(danslecasparticulierdesaddictions),sondésirinconscientestqu’ilnechangepas:s’ilchangeait, la codépendance n’aurait plus lieu d’être. Colère, culpabilité etgentillessenesontpasl’apanagedescodépendants:cellesetceuxquiensontdépendantséprouventaussicesémotions.Etlaboucleserefermesurunenfer.Tel homme, si fier de gagner tant d’argent, n’a jamais voulu que sa femmetravaille. Il lamaintient en dépendancematérielle. S’ennuyant à lamaison,ellecommenceàboire jusqu’àdevenirmaladealcoolique : lacodépendancede son époux est née. Il peut alors se permettre de lui reprocher de tropdépenser d’argent, de trop boire, tandis qu’elle, voulant éveiller sacompassion, sedésole, prometqueplus jamais… Il la console…Mais il nefaitrienpourqu’iln’yaitplusd’alcoolàlamaison,nefaitrienpourqu’elles’ennuiemoins,l’empêchemêmederejoindreuneassociationoùelleaimeraitêtrebénévole.Illagardeauprèsdelui,àdispositiondesacodépendance.Àlafois«généreux»(ilnedemandepasledivorce)etdominateur(illuiinterditdesortiravecd’autresfemmes),ilsoumetsaVictimeàsoncontrôlecarilenabesoin.

Page 124: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Biensûr, toutceciaunomde l’amour!«Pouraider l’autre,pour luiêtreutile-indispensable.Parcequecetautre, lepauvre,nesaitpas, lui,cequiestbonpourlui,nicommentilfautfaire,secomporter.Etpuisparcequec’estcequenoussavonsbienfaire–nousnesavonsmêmefairequeça!Parcequec’estnotredevoir,aussi :cen’estpas toujoursunplaisir,voussavez!Maisquevoulez-vous,c’estnotreraisondevivre…Etcen’estpastoujoursfacile:noussouffronsensilenceparcequenousnousdevonsdenousmontrerforts,sinoniln’auraitpluspersonnesurquicompter…»Lescodépendantsadorentsemêlerdesaffairesdesautres–uneformede

vieparprocuration…Cequileurpermetdeleurdonnerdesconseils,deleurfaire, si nécessaire, des leçons de morale. Leur masque de gentillesse,d’altruismeetdedouceurleurpermetd’ouvrirlesportesdelaviedesautres.Uneintrusionqui,audébut,n’estpasvécuecommetelle.Mais le jouroùladouceur fait quelque peu défaut, où lemasque tombe, l’intrusion n’est pluspermiseetlescodépendantsn’ontplusqu’às’éloigner,grinçantdesdentsderage.«On»arefuséleuraide,leursoutien,leursconseils:c’estinadmissible.Et,nenousytromponspas,denombreuxcodépendantssedissimulentaussiderrière desmasques deVictimes : lorsqu’ils adoptent ce genre de rôle, ilssontencoreplusforts!Commentnepaslesménager?Commentleurrefuserquelquechose?Lamanipulationesttoujoursefficace.

Lescouplesdecodépendants

Larelationdecoupleestlacombinaisonquasimentidéalepourréunirdeuxcodépendants.Donner, aider, étant la préoccupationmajeuredes dépendantsaffectifspathologiques.Quoideplusinstructifsurlacodépendanceencouplequed’entendrecettefemme:«Simonépouxestheureux,jesuisheureusecarc’estgrâceàmoi.S’ilvamal, jesuismalheureuseet jem’ensenscoupablecarc’estàcausedemoi.»

Souvenez-vous de Bernard : venu en thérapie comme on appelle « ausecours»,ilestmariéetadeuxenfants.Sonépouse,Brigitte,estcommeluidépendanteaffectivepathologique.BernardfutsonSauveur,commeellefutlesien.Tousdeuxsontcodépendants,chacunàsamanière.BrigittecritiquesanscesseBernard,lerabroue,n’estjamaiscontentedecequ’ilfait.Elleletraite

Page 125: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

de«nul»devantleursenfants.Luis’enfermedanslesilence.Elleseplaint:«Après ceque j’aivécu, tupourrais êtreplusgentil avecmoi», lui s’isoledans sonbureau :« J’aidu travail». Ilne seplaintpas,n’exprime rien (enmots),mais sa colère est immense.Brigitte est nerveuse, querelleuse, lui secache derrière un calme apparent. Chacun accuse l’autre de son malheurconjugal.Brigitte l’empêche de voir ses rares amis à l’extérieur et elle ne veut

recevoirpersonne:c’estpourcetteraisonqu’elleatoujoursrefuséd’acheterfauteuils ou canapés. Elle est agressive tout en le maternant, se montrejalouse. Bernard refuse de plus en plus souvent d’obéir à Brigitte : ellel’insultealorsdavantage.Depuisprèsdedeuxans, elle refuse toute intimitéavec lui : ils ne dormentmême plus dans lamême chambre. Sous le coupd’une grande colère, elle a annoncé son intention de divorcer. Il n’a rienressenti,ilnelacroitpas:iln’estplusamoureuxd’elleetrêved’êtreavecuneautrefemme.Lacommunicationentreeuxestdeplusenplusdifficile.Elleseborneàdescontingencesmatérielles,àlapréparationdesrepas,auxactivitésdes enfants. En réalité, aucun des deux n’est rassuré sur les sentiments del’autreàsonégard,etchacunreprocheàl’autrecequ’ilest.Aucunnereçoitsuffisammentdemarquesd’amour.Brigitteattendait«tout»deBernardquilui,attendait«tout»deBrigitte.«Tout»étantd’abordlaréparationdeleurenfance de mal aimés, « tout » étant la solution miracle à toutes leursfrustrations,déceptions,difficultésrelationnelles.«Tout»étanttrèsvague,sivague qu’impossible à satisfaire. Brigitte ne s’aime pas, Bernard pasdavantage. Mais tous deux voudraient que l’autre lui apporte ce qu’ils nesaventpassedonneràeux-mêmes:estimedesoi,respect,valorisation.

Lerefusdelaréalité

À la lecture de tous ces exemples, vous vous êtes peut-être dit quej’exagérais, que j’en « rajoutais ».Malheureusement non. Et ce qui vous asans doute davantage surpris, c’est que toutes ces personnes, intelligentes –voirebrillantes–,entretiennentunrapportquelquepeuproblématiqueaveclaréalité. Souvenons-nous que les dépendants affectifs pathologiques, à unmomentouàunautre,seconsidèrent–mêmeinconsciemment–commedesvictimesimpuissantesquiontbesoindesautrespourvivre.Ilsn’imaginentpasque leur vie relationnelle dépend pour une grande partie d’eux, qu’ils la

Page 126: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

construisent.Mêmesi,tropsouvent,ilsontvécu(ouontlaperceptiond’avoirvécu) un grandmanque d’amour dans leurs jeunes années. Pourtant, ils netentent pas, pour la plupart, de comprendre, de regarder lucidement leurséchecsaffectifssuccessifsafind’arrêterdelesmultiplier.

Ledénidelaréalité

Ce qui est frappant, dans les pathologies du lien, c’est la capacité despersonnes qui en souffrent à utiliser le déni commemécanisme de défensepréférentiel.Ledéni consistant à refuser de regarder la réalité.Cen’est pasunedécisionconsciente,maiselleestlà,bienprésente.Jetiensàpréciserqueledénin’estpaslerefoulement,unautremécanismededéfensequiconsiste,toujours inconsciemment, à refouler ses désirs dans l’inconscient. Cesmécanismes s’installent très tôt chez l’enfant : ils sont mis en place parl’inconscient pour se protéger de certains aspects de la réalité. Une réalitédéniée, remplacée par des interprétations plus ou moins conscientes,lesquelles, s’appuyantsurdesconvictionsprofondescommecellesquenousavons vues dans la première partie de ce livre, vont générer lescomportementsdéjàdécrits.

Matthieua37ans.TrèsamoureuxdeCharlotte, il trouvecependantque«larelationesttrèscompliquée.Jel’aimeénormément,dit-il,jel’aiaiméedèsquejel’aivue.Pourtant,j’aiparfoisl’impressionqu’ellenem’aimepasautantquejel’aime.J’aiététrèsbienacceptédanssafamilleoùjemesenstrèsàl’aise.Elleestmêmedevenuetrèsamieavecmonfrèreetmasœur.Siellesavaitcommejesuisprêtàtoutfairepourelle!J’avaisdéjàdéménagépour me rapprocher d’elle, puis, le temps passant, je me suis acheté unappartement,persuadéqu’elleviendraityvivreavecmoi.Ellem’aditquec’était encore trop tôt, mais notre relation dure depuis trois ans ! Je saisqu’elleaimesonindépendance,etjelarespecterai…L’annéedernière,j’aiconsacrétoutmontempslibreàl’aideràmontersapropresociété:ainsi,nous passions tous nos week-end ensemble, presque toutes nos soirées etj’avais mille prétextes pour l’appeler souvent dans la journée. Elle nerépondait pas à tous mes appels, c’est normal, je sais qu’elle est trèsoccupée!J’étaissiheureuxqu’elleaiteubesoindemoi!Aujourd’hui,sonaffaire est lancée et marche bien : elle m’a d’ailleurs remercié. Je vaiscontinuer à tout faire pour qu’elle se sente bien, qu’elle soit contente de

Page 127: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

moi.»Charlottea36ans:«Jen’enpeuxplus.J’aimebeaucoupMatthieu,mais

il ne veut apparemment pas comprendreque je ne suis plus amoureusedelui. Je ne sais même pas si je l’ai déjà été. Il est adorable, intelligent,dévoué,maisilm’étouffeetrefused’entenircomptequandj’essayedeleluifaire comprendre. Je suis très triste de cette situation, et en colère aussi,contreluiquineveutpasm’entendre!»S’ilestvraiquel’objectivitéabsoluen’existepas,ilestpourtantpossiblede

tenterdes’enrapprocher.Orcespersonnesnecherchentpasàvérifiersileursinterprétationssontplusoumoinséloignées–ouproches–delaréalité.Lesinterprétations, ou inférences, sont de plus ou moins bonne qualité et, enl’occurrence, cellesdesgrandsdépendants affectifs sont fort éloignéesde laréalitélorsqu’ils’agitdeleurvierelationnelle.

Émilie a 23 ans. Elle vit avec Éric depuis deux ans, un homme que safamilleet sesamiesn’acceptentpasdu tout, le trouvant trop familier, tropsûrdelui.Ilssedisputentsouventet,aucoursdecesscènestrèsviolentesverbalement,ellese frappe la têteavec lepoing.Ellen’apas lesentimentd’être respectée et, dit-elle,manque d’attention de sa part. Émilie, depuissonenfance,s’esttoujourspliéeauxdésirsdesautres:«Jemesenssouventperdue et j’ai peur d’être responsable. Je laisse Éric décider àma place,c’estmieuxpourmoi.Etenmêmetemps,j’aipeurdelui:ilm’infantiliseetj’ail’impressiondemeretrouverdevantmesparents.Jesuisdanssondésiret je m’efface. Je ne m’affirme pas, j’ai trop peur de déplaire. Quandj’essayedeparleràÉric,pourqu’ilmecomprenne, ilme répondqu’ilneveutpasseremettreenquestion,quec’estmoiquisuismalade.»Émilieconsidèresoncompagnoncommeunefigured’autoritéetrefusede

regarderlaréalitéenface:leurviecommunenelarendpasheureuse.Ellegrossit,adescompulsionssurlechocolatet,manquantdedouceur,surlesgâteauxetlesbonbons.Émilies’apitoiesurelle,secroitfolle,craintdeneplusplaireàÉricsielleévolue.«Jeveuxqu’ons’occupedemoipouravoirlesentimentd’existeretsurtoutd’êtrelaplusimportante.»

Julesa35ans.IlvitavecYanndepuiscinqansetsesent trèsmaldanscetterelation.«Yannm’infantiliseetjesuiscomplètementdépendantdelui.

Page 128: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Jevischezlui,c’estluiquiprendtoutenchargefinancièrementcarjegagnetrèspeud’argent. J’étouffe,maisqu’est-ceque je peux faire?Enplus, jem’ennuie terriblement avec lui. J’ai le sentiment d’être complètementbloqué, que tout est difficile. Yann, je l’aime beaucoup, j’ai de l’affectionpourlui,maisças’arrêtelà.Pourtant,j’aitrèspeurdevivreseul,etcen’estmatériellementpaspossible,detoutefaçon.Jeletrompesouvent,maisçanem’apporte rien, sinon l’envie d’avoir mon propre appartement. Je n’aimepasceque jesuisdevenu,mais jen’ypeuxrien.Jeneveuxpasretournervivrechezmesparents!LarelationavecYannnemenourritplusetj’ailesentimentd’êtreseulaffectivement.J’ailedoscomplètementbloqué,j’aiunesciatiquechroniqueetjetrouvequeYannm’exploite,cequimemettrèsencolèrecontrelui.Iln’estplusqu’unebéquillepourmoi…Jecroisaussiquejelecrainsetj’aiperdutouteconfianceenlui…Commejenerencontreraijamaisquelqu’und’autre,ilfautbienquejeresteaveclui,non?»Les dépendants affectifs pathologiques se comportent exactement comme

s’ilsétaientempêchésdepenser:ilsdécriventunesituationdanslaquelleilssouffrent et refusent de voir qu’ils pourraient s’en extraire, ou réagirautrement.Ce qui démontre une fois encore que le déni est inconscient.Lapeur de déplaire, la terreur de l’isolement les maintiennent dans un telbrouillard qu’ils sont réellement persuadés qu’ils ne peuvent rien faire pourdiminuerleurdétresse,oumêmeensortir.D’autantplusque,biensouvent,ilssont dans le déni de leur dépendance, comme Matthieu ou, d’une façonmoindre,Émilie.Nousvivonsàuneépoqueoùl’indépendanceestunevertutrèsprisée(alorsquenotresociétéoccidentale,defaçoncontradictoire,inciteles gens à devenir de plus en plus dépendants en créant sans cesse denouvelles addictions) : il n’est donc pas question de donner de soi l’imaged’unepersonnedépendante.Ilenvadesadignité!Cequiestfrappant,c’estqu’ilsnecomprennentpas,en toutesincérité,pourquoi leproblèmeperdure,puisqu’ils font toutpourque« çamarche».Regarder en face la réalité, lesfaitstelsqu’ilssont,leuresttrèspénible,quandcen’estpasimpossible.Illeurfaudrabeaucoupdecourage:c’estcequenousverronsdansladernièrepartiedecelivre.Ce déni, cette dénégation, les pousse à des méconnaissances de deux

sortes:ignorerlesfaitsd’unepart,oubienlesconnaîtremaisnepasentenircompte. Cette façon de se mentir à eux-mêmes (non délibérément, le plussouvent) les amène à adopter une attitude très passive.Même lorsqu’ils sesententépuisés,engrandedéperditiond’énergie,mêmelorsqu’ilsentombent

Page 129: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

malades : rienn’y fait.L’écrande fuméequ’ils installent devant leurs yeuxtientlieuderéalitéetilsnesedoutentgénéralementpasquelessomatisationsdont ils souffrent (insomnies,douleursarticulaires,problèmesdigestifs,etc.)sont directement liées à leurs difficultés relationnelles. Ce sont des signauxqu’envoie leur corps, auxquels ils restent sourds car ils ne les comprennentpas.J’aisouventparlédesliensexistantentrelecorpsetl’esprit,lapsyché,lepsychisme, liens reconnus par la « Faculté » puisque la médecinepsychosomatiqueestdevenueunespécialité.Commeleditsi jolimentHenriGougaud,«Lecorps,dehautenbas,estunvillagedemémoires64.»Ledénis’appliqueauxfaits«mal»interprétés,auxgrandsmouvementsémotionnels,déniéseuxaussi.C’estainsiquelesdépendantsaffectifspathologiquesrestentattachés à des besoins infantiles et fantasmés, immergés qu’ils sont dansl’illusiond’aimer.

L’égocentrisme

Dans l’illusion d’aimer car, sans que cela soit conscient, cette sorted’amour-làestsurtoutdonnépourenrecevoir:l’êtreaiméestutilisécommepourvoyeur d’amour, d’approbation, de sécurité affective, de sentimentd’exister. Il n’est donc pas aimé tel qu’il est, pour ce qu’il est, ni dans saspécificité, ni dans son entièreté, car la personne qui croit l’aimer n’estpréoccupée, en réalité, que de ce qu’elle va recevoir. Objétisé (considérécomme un objet), il n’est pas pris en compte par le dépendant affectifpathologique,danssadémarched’extorsiond’amouroudemarquesd’amour.Ce qui peut sembler contradictoire avec le fait que, pour recevoir ce qu’ilattend de l’autre, il s’oublie lui-même, il se consacre à la satisfaction desbesoinsdecetaimé.L’intentionsembleeneffettoutàfaitdésintéressée,maisdanslecadredecettepathologiedulien,ellenel’estpas.Cequin’estpastrèsvalorisant.Si,aulieudedireàlapersonne«Jeveuxt’aimertoutemavie»,nouslui

disions « Je veux t’ingérer toute ma vie », comment réagirait-elle ? Cettedévoration, cette vampirisation n’existent que pour combler les carencesaffectives. Est-ce une forme d’amour de l’autre ou d’avidité ?N’est-ce pasplutôt la signature d’un autocentrage exacerbé ? Ne seraient-ce pas desmarquesobjectivesd’égocentrisme?Jelecrainsfort,malheureusement.A-t-on,danscessituations,quelqueinquiétudepourlebien-êtrepsychologiqueet

Page 130: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

affectifdel’autre?Sesoucie-t-onréellementdesavieémotionnelle?Tenterde devenir indispensable ne constitue pas une véritable marque d’amour.Avoir besoin (et non envie) d’aider les autres pour être en mesure des’accorder quelque valeur ou se donner le sentiment d’exister n’est pas del’altruisme mais bien plutôt de l’égocentrisme. Achète-t-on l’amour oul’amitié ? Parmi la pléthore des définitions de l’amour, il en est une quej’apprécie tout particulièrement : « L’amour, c’est vouloir porter l’autre auplus haut de lui-même65 ». Est-ce la préoccupation des dépendants affectifspathologiques, avec leur « assujettissement à un lien essentiellementimaginairequilesforceenpermanenceàfaireleurspreuves,àacheterauprixle plus fort leur droit à l’existence66 » ? Sans doute l’ignorent-ils, mais laréponseestnon.Nousavonsdéjàvuquel’égocentrismeétaitune«tendanceàramenertout

àsoi-même,àsesentirlecentredumonde,àneconcevoircedernierquedesonseulpointdevue».Cequiestbiennaturelaucoursdelaconstructiondel’enfant ne l’est plus lorsqu’il s’agit d’adultes. Les dépendants affectifspathologiquespensent,enraisondeleurégocentrisme,quelesautressontenpermanenceentraindelesobservertandisqueleurautocentragelesconduitàn’agirqu’en fonctionde leurspropres intérêts.Pourtant, si vous leur faisiezuneremarquedecegenre,ilsdémentiraientimmédiatement,seraientàlafoisoutrésetpeinés:cequiestnormalpuisqu’ilsn’ontpasconsciencedetoutesles motivations de leurs comportements. Oscar Wilde disait : « L’égoïsmen’estpasvivrecommeonledésire,maisdemanderauxautresdevivrecommeonveutqu’ilsvivent.»Unedemandetotalementimplicite,celavasansdire…

Dépendanceetresponsabilité

L’évitement de la responsabilité est l’une des manifestations de ladépendance affective pathologique. En effet, n’ayant pas intégré dansl’enfance la relation de cause à effet entre leur comportement et sesconséquences–empêchésencelaparuncontrôleparentalexcessifetparunmanquecuisantd’encouragements–,lespatientsentretiennentledéniquantàleurs responsabilités à l’égard de ce qu’ils vivent. Autrement dit, ils sontintimementpersuadésqu’ilsn’ontaucunimpactsurleurvie,qu’ilsremettentdanslesmainsdesautres.Sesentirresponsabledesoi,delaconstructiondesavie, de ses comportements et de ses choix relève d’un sentiment de liberté

Page 131: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

qu’ilsn’ontpas.Pourcausedepaniqueaiguëàcetteseuleidée,qu’ilsrefusentcar ils se sentent impuissants. Ils ignorent qu’ils pourraient acquérir lapuissance personnelle qui leur permettrait de vivre selon leur véritablepersonnalité–oubliée.Alors ilsadoptentdescomportementspulsionnels (lapulsionestla«chargeénergétiquequifaittendrel’organismeversunbut67»:après lepassageà l’acte, la tensiondisparaît.) Ils analysentcespulsions,oucompulsions, en ces termes : « Je ne pouvais pas faire autrement », « Jen’avaispaslechoix»,«Jen’ypeuxrien»,«C’estplusfortquemoi»,etc.Oubienalors ilsconfient leursresponsabilitésàd’autrespersonnesàqui ilsdemandent, implicitement, de lesprendre en charge.Seplaçant enVictimesimpuissantes, ils cherchent des Sauveurs. S’ils acceptaient leursresponsabilités, cela équivaudrait à reconnaître qu’ils sont seuls à pouvoirdéciderpoureux:cetévitementlesprotègedoncdelaterreurdel’isolement.Cette« fuite» leurestpourtant fortdommageabledans lamesureoùelle

restreint considérablement la compréhension des manifestations somatiquesqu’ilssubissent,desinsomnies,del’anxiété,deladépression,dumalgénéraldevivre.LePrIrvinYalomdécrit trèsbiencespersonnalitéssidépendantesqui,pourseprotégerdelasolitudeetéviterlesresponsabilités,croientenun«sauveurultime»quiviendraetsauras’occuperd’elles.CepeutêtreDieu,une institution, un psy, des gens de l’entourage. Elles choisissent ainsil’irresponsabilité,aveclacertitudequ’ellessontaussidémuniesqu’unenfantqui vient de naître ou un vieillard.Le « sauveur ultime » n’est rien d’autrequ’un pourvoyeur… Ni responsables d’eux-mêmes, ni responsables desautres, les dépendants affectifs pathologiques se présentent comme deshandicapés,etlecroient.Nepass’affirmer,suivrelesgoûtsdesautres,trouverdebonnesraisonspournepasprendrededécisionimportante,sesoumettreà«l’avisgénéral»,cachersesémotions,dissimulersespropresdésirs:cesontdes évitements de responsabilité. « Je ne veux pas déranger ; faites votrechoix,jevoussuivrai;qu’est-cequetuferaisàmaplace?Jenesaispasquoidécider,etvous?»Etc.Lespetitesphrasesquicontournentlaprisederisquesont nombreuses. Lesmanifestations d’autonomie, d’indépendance, de librearbitrerecèlenteneffetdegrandsdangers:leprincipalétantdedéplaire.Cequisignifie,peut-être,êtrerejetéetseretrouverseul.

Françoise, très pratiquante durant son enfance et son adolescence, a

Page 132: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

changéde«dieu»après les événements demai1968, reniant le premier.Elle est devenue une maoïste très fervente, jusqu’à quitter une activitéprofessionnelleprestigieusepouraller travailleràlachaîne,enusine,afind’yporterlabonneparole.Puis,unjour,cefutlacatastrophe:sonnouveaudieudégringoladesonpiédestal.Grandesfurentsadéception,sacolèreetsa…dépression.Illuiafalludesannéespourretrouverunautrepourvoyeur,pour se sentir exister à nouveau. Vous lui auriez dit alors qu’elle étaitdépendanteaffectivepathologique,ellevousauraitriaunez.Pourtantellel’étaitbeletbien.Toussesactesétaientdictéspardesidéesqu’ellecroyaitjustesetutiles:

elle n’avait pas besoin de réfléchir, ayant complètement aliéné saresponsabilité,jusqu’àsescapacitésintellectuellespourtantbrillantes.Ellene décidait plus, elle n’avait plus à choisir : son comportement lui étaitdicté,toutcommesavierelationnelle.Elleavaitperdutoutlibrearbitreetseplaisaitàdireàsesamis:«Sivousêtescontremesidées,vousêtescontremoi.Jen’aiplusrienàfaireavecvous.»Durantdesannées,vaillantpetitguerrier, elle s’est échinée à convaincre, à prêcher, à mettre toute sonénergieetsaforcedansla«cause».Qu’il s’agisse de « philosophie, de religion, d’une idéologie ou d’une

personne, le fait d’y être attaché de façon automatique signifie que vousrenoncez à vous-même en tant qu’individu séparé68 ». Il n’y a plus defrontièresclairesentresoietautrui.Sansséparationavecl’autre,l’êtrehumainretrouvelafusionarchaïquedesaprimeenfance.Iln’estplusunadulteàpartentière.Mais alors, que deviennent les dépendants affectifs pathologiques ? Que

deviendront-ils ? Sont-ils condamnés à vivre leur détresse, leur misèrerelationnelle tout au long de leur vie ? Bien sûr que non ! Il leur faudrapourtantfranchirlesnécessairesétapesquilesmènerontversla…délivrance.Étapes pas toujours simples ou agréables, avec des renoncements, desséparations.Car:«Unbontravailthérapeutiques’accompagnetoujoursd’uneépreuve de la réalité et de la recherche d’avancées personnelles69. » Despériodes de prises de conscience accompagnées d’un véritable désir dechangement. Des moments qui les feront grandir et leur permettront des’épanouirenretrouvantunevéritableintimitéaveceux-mêmes.Cefaisant,ilsse réconcilieront avec leur identité profonde : ils apprendront ainsi à serespecter et à se faire respecter. Sur ce chemin de reconstruction, ils seront

Page 133: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

guidésparunthérapeutequilesaidera,àleurproprerythme,àsedébarrasserducarcandanslequelilssemaltraitent.

Page 134: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

3.

Traiterladépendanceaffectivepathologique

«Soyezàvous-mêmevotreproprelumière,votreproprerefuge.»

AlexandraDavid-Néel

Page 135: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Lerôledupsychothérapeute:«donnerdroitd’existenceàl’enfant»

Il appartient au thérapeute de savoir diagnostiquer les dépendancesaffectivespathologiquesendonnantauxpatientstoutletempsnécessairepourl’expression de leurs souffrances, la narration de leur histoire de vie et ladescriptiondeleurenvironnementfamilial.Cependant,cediagnosticn’estpastoujourssimpleàétablircarnoussavonsquelesadultesayantsubidansleurenfance des carences affectives ou des parents négligents, ou mêmedysfonctionnels, voire maltraitants, sont le plus souvent dans le déni. Ilsopposentgénéralementunrefusglobaldecequis’estpassédansleursjeunesannées,déniantlapossibilitéd’avoirsubidestraumatismes–cequiaggraveconsidérablement leur impact sur leur psychisme. Alors que, pourtant, lescomportements de ces patients adultes « décrivent » une répétition de cestraumatismes. Il envademêmepour lesémotions reliées à ces événementstraumatiques. S’il n’est pas difficile de reconnaître et d’admettre celles quisont jugées acceptables (tristesse, anxiété, inquiétudes et désillusions), laconfrontation est plus problématique lorsqu’il s’agit des autres : colère,frustration,haine,envie,jalousie…Uneétapeessentielle.Touteémotionaunsens : les patients le découvriront. Identifier ses émotions, apprendre à lesnommer, c’est déjà enlever quelques épaisseurs de brouillard : une lumièreapparaît,faiblemaisbienréelle.Il est important de garder en mémoire le possible enfermement

(inconscient)decertainspatientsdansunfauxself,dèsl’enfance:ilspeuventy demeurer pendant toute la durée de leur thérapie qui devient alorsinterminable car tout ce qui a été intégré dans le psychisme à une périodearchaïquenepeut être« travaillé».Ce fauxself « désigne l’adaptation, parsoumissionoucompromis,d’unindividuàsonenvironnement[…],leprivantde développer sa vraie personnalité et entraînant plus tard des relationsartificielles. […] Ilpeutperturber le sentimentd’exister70 ».C’est ainsi quecertainsenfants,parfoistrèstôt,sesonteffacésetinterdit«deseconstruireunsentimentd’être71».Derrièrece fauxself se terreainsiundésespoir installé

Page 136: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dèsledébutdelapériodequel’onnommearchaïque.Unautrefacteurestàprendreencompte,c’estl’attitudeduthérapeutevis-

à-vis de l’isolement existentiel, de la responsabilité liée à la liberté,l’autonomie,etlapeur,existentielleégalement,delamort.Silethérapeute,aucours de sa propre thérapie, n’a pas « traité » ces trois angoissesfondamentales, il risque bien de pratiquer le déni au cours de ces thérapiesbienparticulièresquesont les thérapiesdesgrandsdépendantsaffectifs.Carc’est bien « la confrontation aux fondamentaux de l’existence qui se révèlethérapeutique72».Cespatientsviennentgénéralementconsulterunthérapeutesurlesconseils

de leur médecin – généraliste ou psychiatre. Ils suivent pour la plupart letraitementmédicamenteuxquel’ondonnehabituellementdanslessyndromesanxio-dépressifs(SAD),c’est-à-diredesantidépresseursetdesanxiolytiques,auxquelss’ajoutentparfoisdessomnifères.Cestraitementsleurpermettentde«tenir»àpeuprèsdansunesociétéoùl’onn’apasledroitd’allermal73,enabaissant l’intensité des mouvements émotionnels trop pénibles à vivre(dépression,angoisses).Pourcetteraison,l’accèsauxémotionsestrenduplusdifficile, ce qui ne facilite pas le travail en profondeur. Cependant, il seraitmalvenuderemettrecestraitementsenquestion:l’accèsàlaconscience,parl’introspection, serait empêchéen raisonde laconfusion, justement,danscetrop-plein d’émotions. Le thérapeute doit apprendre à travailler avec cettecontradiction.En sachant aussi que les patients ne doivent pas non plus entrer en

dépendancevis-à-visdecesmédications–nidupsy.Il faudrabien,unjour,quelathérapiesetermineetlethérapeutedevraengagercette«dernièrelignedroite»avecbeaucoupdeprécautionspourque lepatientne«sabote»pastoutesonévolutionencraignantcetteséparation.Ilyfaudra,delapartdupsy,une grande capacité de réassurance et infiniment de patience –avec unediminution progressive de la fréquence des séances et un grand, sincère etprofonddésird’autonomiedelapartdupatient.N’oublionspasquecheztoutêtrehumain,maisbiendavantagechezlesdépendantsaffectifspathologiques,l’idéemêmedeséparationestanxiogène.Pourtant,commelerappelleSandorFerenczi,lespersonnesdépendantessaventqueladépendanceaffective,tellequ’ilslavivent,leurestnéfaste,carellerenvoieimmédiatementàlanotionderejetquiadviendratôtoutard.Tellessontleurstristesexpériences.Ilconvientdedirequ’unethérapienepeutpas,àelleseule,résoudre tous

Page 137: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

lesproblèmes,carlavieapportesonlotdejoiesmaisaussidesouffranceset,surtout,lespatientsdoiventprendreconsciencequelethérapeuten’estqu’unguide. Ils ont leur part de travail à faire et doivent accepter que, in fine, ilsserontseulspourcontinueràlefairequandlathérapieseraterminée.Danscessortesdepsychothérapies,lethérapeutedevraveilleràéviterdetomberdansle « piège » de ces patients qui voudront trop souvent considérer leur psycommele«sauveur»quiviendrarésoudreleursproblèmes.Cequin’estpastoujours simple, malheureusement, surtout si le psy se sent quelque peu«flatté»parcetteattitude(leplussouventimplicite).Ilyverral’occasiondesesentirindispensable,cequi,danscecas,pourras’apparenteràuneprisedepouvoirsurlepatientqui,trèsdépendant,n’attendqueça,aumoinsuntemps.C’estpourquoi,danslessupervisionsdethérapeutes,jerestetrèsvigilantesurcet aspect : un dépendant affectif pathologique ne pourra en aucun cas êtresérieusement aidé par un autre dépendant affectif problématique oupathologiquequis’ignore!Or,etc’esttoutàfaitconsternant,cettesituationserencontre,enparticulieravecdesthérapeutesquin’ontpaseux-mêmesfaitdethérapie,etchezceuxquicroientquec’estlepsyqui«faitletravail»…qui se place ainsi en Sauveur. Or, « plus le psy se montre actif et directif(même ostensiblement dans le but d’aider le patient à assumer saresponsabilité),pluslepatientsevoitinfantilisé74».Siunpatientnedoitpas«tout»attendred’unpsychothérapeute-Sauveur,

lepsy,parsonhumanité,devralesoutenirenl’accompagnanttoutaulongdela thérapie afin qu’il ne se sente jamais seul dans son entreprise. Il doitpouvoirlaissers’exprimerl’enfantquiestenlui,parfoisredevenircetenfantsouffrant,meurtri.Luipermettre,enfin,d’exister.Lepsyaégalementpourtâched’aiderlepatientàretrouversessouvenirs–

sansencraindreaucun–,àles«ranger»chronologiquement,maissurtoutàenparler.Mêmes’il s’agitd’événementspénibles,voire traumatisants, ilestabsolument nécessaire de les verbaliser : cette remémorisation estfondamentale dans le processus thérapeutique.Certains thérapeutes estimentquecetteétapen’estpasnécessaire,qu’unedouleurdéjàvécuen’apasàêtrerépétéeparsonrécit.Jecroisqu’ilest,peut-êtremalheureusementmaisc’estainsi, impossible de faire cette « économie ». Que la parole permet aucontrairede«sortir»desoicesépinessidouloureuses.Queleprocessusdecicatrisation de certaines blessures ne pourra en aucun cas commencer tantquelaplaien’estpas«nettoyée»parlaparole.Carc’estjustementlaprisede

Page 138: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

conscience de l’aspect si pénible de certains souvenirs qui permettra, par lacompréhensiondesémotionsquiysontliées,deprendredurecul.C’estainsiquelesblessurespeuventcicatriser,grâceauxmotsmissurlessouffrancesetles émotionsqui seront enfin reconnues.Tout en sachant, bien évidemment,que les situations, les événementsvécusne seront jamais effacés– le croireserait naïf et relèverait, de la part du psy, d’une illusion d’omnipotence –,mêmesileurimpactémotionnels’entrouveconsidérablementadouci.Lepsy,niimpatient,nipressé,respectueuxdurythmedesespatients,devra

leur offrir un espace-temps rassurant.Le travail demémoire demande de lalenteur car l’inconscient, pour protéger le patient d’un « tsunami »émotionnel,nedélivrelessouvenirsenfouisqueprogressivement.Ilsuffitaupsy d’être là et de savoir se synchroniser sur le rythme de la personne, de« mettre des mots sur le processus de réinvestissement progressif desémotions75.»Lathérapiepermetauxpatients,ens’appuyantsurlarelationthérapeutique,

de reprendre goût à la vie en retrouvant le désir et la volonté de vivre enfonction de ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes. Ils ne se heurtentplusauxobstacles,nombreux,quigénéraientleursblocages:délivrésdeleursillusions, ilsacceptent la réalitéde leurhumaineet imparfaitecondition.Or,pouraccepterlaréalité,plusieursprisesdeconsciencesontnécessaires.

Sortirdudéni

Lapremièreétapedelathérapieseradoncdédiéeauxsinécessairesprisesdeconscience:«Chacunnedoit-ilpass’apercevoirdel’étatoùilest,pourvuqu’ilveuilles’enapercevoir?»,écrivaitFritzZorndanssonjournal.Pouryparvenir, lavolontéd’ouvrir lesyeux,de sortirdudéni, s’impose.Admettrecet « état » d’excessive dépendance, à travers ses manifestationsémotionnelles et comportementales, à travers les situations et expériencesvécues,estlepremierpasindispensable.PourFreud,«lepasséquin’estpasmis en conscience se répète, et Jung disait que ce qui demeure inconscientnous arrive de l’extérieur comme un destin qui nous semble étranger alorsqu’il reflète simplement notre condition de vie intérieure76 ». Qui voudraitdemeurerjusqu’àsonderniersouffledansuneprisondontilaremislacléàd’autres ? Qui pourrait, en vérité, se satisfaire de ces ébauches de joie ou

Page 139: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

mêmedebonheurquedonnentlesautreslorsqu’ilsleveulentbien,lorsqu’ilsyconsentent?Quirefuseraitdepouvoirs’appuyersursoipours’apportercequ’ilrecherche,envain,ailleursqu’enlui-même?Si les enfants n’ont pas la capacité de développer une claire lucidité sur

eux-mêmes,ceuxqui lesentourentoulemondeengénéral, lesadultes,eux,disposentdetouteslesressourcespourlefaire.C’estpourquoiilestessentielpourlespatientsdebalayerlelourdécrandefuméequilesempêchedesevoirtels qu’ils sont. Essentiel aussi de dissiper le brouillard qui noie leur vieémotionnelle dans la confusion, qui anesthésie et engourdit les facultés decompréhensiondecequ’ilsviventetmasqueleurpersonnalitéprofondepour,finalement,lesrendreétrangersàeux-mêmes.Avantmêmedecomprendrepourquoietcommentladépendanceaffective

pathologique s’est installée au fil des années, il leur faudra accepter deregarder et d’admettre, en toute lucidité, ce que cette dernière génère entermesderelationàsoietderelationàl’autre.Sansceregardlucide,l’onnepeut que s’engoncer dans la répétition traumatique et l’on se croitdéfinitivement incapable d’imaginer que d’autres choix, d’autres optionsexistent.Unepatientemedisaitrécemmentqu’ellepensaitêtre«inapte»aubonheur,auxjoiesdelavie:cesontsespeursetsondésamourd’elle-même–enraisonjustementdecettecroyanceenson«inaptitude»–quiluidictentcette conclusion. Pour qu’elle apprenne à se faire confiance, pour qu’elledeviennesa«bonnemère»intérieure,elledoitd’abordadmettrelaréalitédecettecroyance,etsesconséquences.

Revisitersescroyances

Dans la première partie, nous avons observé que de très nombreusescroyances(certitudesnondémontrées)faussaientlejugementdesdépendantsaffectifspathologiques.Lefonctionnementdescroyancesestsimple.Prenonsl’exemple d’une personne qui croit que les besoins des autres sont plusimportantsquelessiens(nousenavonsdéjàrencontré).C’estl’énoncé–toutdumoins conscient – de sa croyance. Sespensées tourneront alors sur lesmeilleuresfaçonsdeconnaître(oudedeviner)cesbesoinsetdelessatisfaireefficacement.Elleressentiraungrandplaisirà l’idéedebiens’occuperdesautres et sera fière de passer à l’acte tout en étant remplie d’attentes dereconnaissance ou d’amour. Ces « autres » vont peut-être la féliciter, ou la

Page 140: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

remerciervivement.Sacroyanceseraconfirméeetrenforcée.Toutcecidansleplusgranddénidesespropresbesoins,enfouissoussapeurden’êtrepasaimée. Prenons un autre exemple : Jeanne ne s’aime pas, elle croit (estpersuadée)qu’ellenepourra jamaisplaireàunhomme:«Jenecomprendspasqu’unhommes’intéresseàmoi»,dit-elle.Danssondialogueinterne,sespensées,elleseconvainc,grâceàdenombreusessituationsvécues,quejamaisellenerencontreraunhommequiauraenviedes’approcherd’elle.Ou,s’illefait, « c’est justepour coucher avecmoi car leshommesneveulentqueduc…».Elle en est triste, parfoismêmedésespérée.Lorsqu’elleva en soirée,elle reste isolée et distante. C’est ainsi que, refusant toute rencontre, elleconfirmeetrenforcesacroyance:elleneplairajamaisàunhomme«bien».Or, des croyances, nous en avons tous un très grand nombre, certaines

d’ordre général, d’autres s’appliquant à différents domaines : croyances sursoi (les plus importantes), sur les autres (parents et famille, amis,environnementhumain),surlavie,surl’amour–pournousenteniràcellesquiconcernent le thèmedecelivre.Noscroyancesconstituentnospaysagesintérieurs et, surtout, notre « squelette » psychique dans lamesure où ellesconditionnent nos pensées, nos émotions et nos comportements, ainsi quenousvenonsde levoir.Cescertitudess’installentpourunegrandepartdansl’enfance : nous « prenons » celles de nos parents, de notremilieu, de nosfréquentations(mêmedéjàà lacrèche),denos lectures,des films,etc.Ellessont également conditionnées par l’interprétation que nous donnons auxexpériences vécues. Ceci dès la naissance car, très tôt, nous éprouvons lebesoin(mêmesansmots)dedonnerunsensàcequenousvivons.Et,cequiest tout aussi important, nous passons notre vie à nous « confirmer » leurvéracitéetàlesrenforcer:carilestimpensablederemettreenquestionson«squelette»sansappréhension…J’ajoutequelescroyancesdontnousnousoccuponsdanscespagessontdescertitudes limitantes, c’est-à-dire qu’ellesnesontabsolumentpasaidantes,commed’autreslesont,comme«J’aidelavaleur », « Je mérite d’être aimé », etc. Ce sont ces croyances tellementnégatives,trèslimitantessursoi,quiconditionnentlamauvaiseestimedesoi.C’estpourquoi il est essentielpour le thérapeutede relever régulièrement

lescroyancesexpriméespar lepatientaufildesondiscours :«Ainsi,vouscroyez que les besoins des autres sont plus importants que les vôtres ? »…Plusieurs séances lui permettront de mieux connaître les certitudes –conscientes–quil’ontamenéàcettedépendanceaffectivepathologique.Etde vérifier avec lui qu’il a bien compris, évidemment. Pour le patient,

Page 141: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

découvrirquecertainesdesescroyancespeuventêtreremisesenquestionestàlafoistrèspénibleetdifficile.D’autantplusque,nousl’avonsvu,ellessontà la fois à la source des comportements des dépendants affectifspathologiques et bien souvent le résultat, donc la confirmation, desinterprétations des situations qu’ils ont vécues. Il s’agit donc, en quelquesorte,d’unvéritablecerclevicieuxsurlequellethérapeutedevraintervenir.

Reprenons des exemples de croyances sur soi décrites dans la premièrepartie.«Jen’aipasledroitdem’affirmertelquejesuis,alorsjesuissanscesseen

suradaptationàl’autrepourêtreaimé»,disaitLucien,quiajoutait:«Jeveuxêtreadmiré,doncjenedoisjamaisdécevoir.Sijesuisspontané,onjugeramalcequejefaisoudis,doncjemeferairemarqueretjugernégativement».«Jesuis insatisfaitedemoienpermanence»,déplorait Inès.Tandisqued’autrespensaient : « Si je suis suffisamment généreux, utile, aidant, disponible, àl’écoute, je serai aimé », et « Seule la perfectionm’apportera l’amour et lareconnaissancedontj’aibesoinpourvivre.»Etd’autresencore:«Jen’aipasledroitdemeplaindre:jeneméritepascequej’aiàcôtédesautresquionteumoinsdechance!Jenedoispasdirecequinevapas.»Sans,biensûr,négligertouslescommentairesabsolumentdésastreuxsursoi…

Pourquoiest-ondépendant?Parcequ’onlecroit77

Sil’oncroitquel’onabesoindel’autrepoursesentirexister,sil’oncroit que l’on est incapable de s’appuyer sur soi, que l’on n’est pasaimable, que l’on est faible et impuissant, que l’on n’est pasresponsabledesavie,quel’onnepossèdeaucunlibrearbitre,quetousnosmalheurs viennent des autres, alors, bien sûr, il faut « créer » unsauveur (une personne, une idéologie, une religion, une cause…) quiviendra nous prendre en charge et recouvrir de pétales de roses notrechemindevie.Jetiensàpréciserquetouteslespersonnesquiadhèrentàuneidéologie,quicroientenDieu,quimilitentpourunecausenesontpas forcément dépendantes affectives pathologiques : elles ne le sont

Page 142: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

que si elles attendent d’en être totalement comblées au point des’oublierelles-mêmesetderenonceràleurvéritableidentité.Quanddescroyancesdecetypesonttrèssolidementancrées,ilsera

difficiled’accepterdelesremettreenquestionpourlabonneraisonqueces patients sont dépendants… de leurs croyances : ce sont leursdrogues, ils en ont besoin. Ainsi, si je crois en la puissance dupourvoyeur-sauveurquejemesuischoisi,ensacompétence,jedécidedeletransformerréellementenSauveuretjenepeuxplusm’enpasser.Siunepersonnevantelesbienfaitsdesonaddictionendisant:«Jouermedonnedel’espoir,mepermetderêver.Biensûrjesuisdéçuquandje ne gagne pas, mais un jour, je gagnerai, alors je ne dois pasarrêter!..»,«Sijesuisparfait,jeseraienfinaimé»,«Sijeneboispastouslessoirs,jedorsmal,jesuistropagitée»,«Passertoutmontempslibre à militer donne un sens à ma vie », « Si je suis un pratiquantfervent,Dieum’aimeraetm’aideraàvivre»,etc.,ellen’aurasûrementpasledésirdes’enséparer.Nousavonsvudanslapremièrepartiequel’addictionfonctionnecommeuneautothérapie:s’endéfairepeutêtreeffrayant. La croyance crée le besoin et s’appuie sur lui pour seconfirmer,serenforcer.

Nousavons«entendu»aussibonnombredecroyancessursoietlarelationamoureuse :«Qui,meconnaissant,pourraitcontinueràm’aimerpuisque jenevauxrien?»,«Jedoisrendreunefemmeheureuse,mais jenepeuxpasêtre aimé tel que je suis, alors je suis trop gentil », « Seul l’autre peutmerendre heureux », « Je suis incapable de vivre seul », « Seule, je ne vauxrien»,«Nousne faisonsqu’un»,«Noussommessemblables»,«Sinousnousséparions,j’enmourrais»,«Uneséparation,c’estunanéantissement»,« La vie n’a aucune valeur tant que l’on ne vit pas en couple », avec soncorollaire:«Tantquejenevispasencouple,jen’aiaucunevaleur»,«Toietmoi,nousnefaisonsqu’un»,«Jemesensensymbiosetotaleavecelle»,«Jesaiscequetupenses»,«Tunepeuxrienmecacher, tusais»,«Jeressensexactementlamêmechosequetoi»,«Elleetmoi,c’estpareil»…Lacoupeestpleine…dedésamourdesoi.D’autrescroyancesaussisurl’attitudeàadopterquandonaime:«Jesuis

responsable du bonheur de l’autre », « L’autre doit être tout pour moi »,«L’autredoitêtremonseulsouci»,«Jedoisêtretoutpourl’autre»,«L’autre

Page 143: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

doittoujoursêtrelàpourmoi»,«Jedoisêtreleseulsoucidel’autre»,«Tantque je fais le bonheur de l’autre, je suis heureux », sous-entendu (etinconsciemment le plus souvent) : « Tant qu’il aura besoin de moi, ilm’appréciera»,«Sijesuissiinquiet,c’estparcequet’aime…»,«L’autreestresponsable de mon bonheur », « Quand on s’aime, on doit tout faireensemble,toutsedire,neriensecacher»,«L’autreestlàpourmecombler»,« Je dois combler l’autre », « L’autre doit pouvoir compter sur moi à toutmoment»,«Jedoispouvoircomptersur l’autreà toutmoment»,«Jedoisêtre la personne la plus importante pour l’autre », « Je ne comprends pasqu’ellepuissese trouverbiensansmoi»,«Jememetsà taplace»,«Pourbien aimer, il faut s’oublier »… La coupe est pleine… du mal-amour del’autre.Ces trois types de croyances sont ceux qui ont le plus de pouvoir pour

conditionner la vie des dépendants affectifs pathologiques. Il en existed’autres,bienlimitants,commeceuxconcernantlesliensfamiliaux:«Jen’aipas le droit de décevoirmes parents qui se sont sacrifiés pourmoi », « Jeconnaisbienmon fils et je sais cequi estbonpour lui.»Oubienceuxquidictent lescomportementssociaux:«Jedoisêtre lemeilleur»,«Plusonad’argent,plusonestadmiré»,etc.Nousretrouvonslemêmeschémadecroyancesdanslacodépendance.Une

personne qui vit avec un conjoint malade alcoolique ou toxicomane croitsouventqu’elleparviendraàarrêtercecomportementaddictifparlaforcedeson amour. Malheureusement, elle n’y parviendra pas dans la durée. Sonbesoin excessif d’être utile, son fantasme quant à sa capacité à soigner sonépoux, l’entraîneront vers une amère désillusion. Ils forment un couple decodépendantscarl’ons’attiremutuellementsurdesressemblances,etsi l’onmanque d’estime de soi, on se rapprochera des personnes qui souffrent decettemêmeproblématique…Devenir lucide sur ses croyances, du moins celles qui sont devenues

conscientes, est nécessaire, et admettre que l’on se comporte « comme si »elles étaient des vérités universelles est une étape très importante. Car, cefaisant,c’estdéjàleprocessusmêmedeleurfonctionnementquiestcompris.Cette lucidité représente un retour à la réalité : les patients prennentconscienceque,peut-être,leurvision,leurinterprétationdelaréalitén’estpasentièrementjuste,ouplutôtqu’ilspeuventsortirdecetenferautoentretenuparlapuissancedecroyanceslimitantesenlesreconsidérant.

Page 144: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Une croyance importante sur soi s’installe souvent à la suite d’uneexpérience particulièrement forte, dont l’impact a été suffisamment puissantpourqu’uneconclusiongénéraleensoittirée.Letravailduthérapeuteconsistealorsàproposerd’autresinterprétations,d’autresconclusions:ilsuggèreainsides recadrages au patient qui comprend qu’unemême expérience peut êtreinterprétéedeplusieursfaçons.Siunenfantsefaitsévèrementpunirparsonpère et en conclut qu’il est mauvais, l’adulte qu’il est devenu recevra duthérapeutelapermissiond’interpréterdifféremmentcettesituation:sonpèreétait énervé, était quelqu’un de colérique, etc. Sa déduction : « Je suismauvais»s’entrouverainfléchieetpeut-êtremodifiée.

Vousavezditperfection?

Quiditperfectiondit finde l’évolution,duprogrès–mort.Lemotperfectionvientdulatin:per-facere.Persignifie« jusqu’aubout»etfacere « faire ». Autrement dit, perfection veut dire « ce qui est faitjusqu’au bout ».Nulle avancée n’est plus alors possible.Ce qui peutfâchersingulièrementlesperfectionnistesetl’onenrencontretellementparmi les dépendants affectifs pathologiques. Ainsi, recherchantvainement la perfection, ils ne peuvent qu’être insatisfaits d’eux-mêmes, anxieux et coupables de ne pas faire encore plus et encoremieuxpourl’autre.Lethérapeutepeutexpliqueraupatientquelaperfectionn’estqu’un

mythe:ilpeutmêmeleluiprouvertrèssimplementenluidemandantde décrire une journée « parfaite » selon lui. Cette description devracomporter un nombre infini de minuscules détails, de critères, quidémontreront cette perfection. Autrement dit, il s’agit d’une tâchetotalement impossible à réaliser ! Il peut aussi lui demander, pour laprochaine séance, de décrire par écrit ce qu’est la perfection. Le«commentairedetexte»duthérapeuteserafaitdecontre-exemples,depropositions venant de sa propre vision du monde, selon d’autrescritères.Toutcecipourluidire, toutsimplement,quelaperfectionestun concept, c’est-à-dire une idée on ne peut plus abstraite et dontchaqueindividupossèdesapropredéfinition.S’ilestutileetévolutifdevouloirs’amélioreroud’améliorersescompétences(seperfectionner),

Page 145: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

vouloirlaperfectionn’estqu’unleurre,unvéritablepoison.

Lethérapeutepeutexpliquerque,lorsquenoussommesenfants,mêmetrèspetits,nouscherchonsàcomprendrecequisepasseautourdenous,ennous.« Si mes parents sont en colère contre moi, c’est que je suis un méchantgarçon»,«Simesparentsseséparent,c’estqu’ilsneveulentplusdemoi»,etc.Maisl’enfantquenousétionsn’étaitpasenmesuredetoutcomprendreetbonnombredesesinterprétationsl’ontconduitàdesconclusionsqu’ilrisquede tenir pour « vraies » toute sa vie. Le thérapeute fera en sorte que sonpatient remetteenquestion,àson rythmeet sans leheurter,certainesdesesdéductions. Si cela est possible, il peut inviter le patient à interroger sesparentssurdifférentspointsessentiels : ledéroulementdelagrossessedesamère,sanaissance,satoutepetiteenfance,etc.Sic’est impossible, ilpourrapeut-êtreposercesquestionsàd’autresmembresdelafamille.Sinon,ilserabiensûrplusdifficilederetrouver,pourlecomprendre,levécudunourrisson.Lorsqu’un patient découvre ce fonctionnement des croyances, il en est

immédiatement soulagé car il commence à entrevoir une possibilité dechangementdepointdevuesurlui-même,commeunerespiration–enfin!Ilesttellementreposantdes’entendredire,aveclesprécautionsd’usageet

entempsvoulu,quecequeles«gens»pensentdenous,cequ’ilsressententpour nous, n’est pas nécessairement lié à ce que nous sommes ou à notrevaleurentantqu’êtreshumains,pasplusqu’ànotreréussitesociale.Jerépètesouvent,àquiveutbienl’entendre,quenousnepouvonspasplaireàtoutlemonde–commetoutlemondenenousplaîtpas.Biensûr,ladeuxièmepartiede la phrase passe beaucoup plus facilement…Et il n’est pas toujours trèsfaciled’admettrelaréalitédelapremièreproposition.Ilestpourtanttellementrassurantd’entendreunepermissionessentielle, à savoirque l’onn’apasàvivreque pour les autres : nous avons ledroit, etmême ledevoir, devivrepournous,avec lesautres.D’êtreégoïste,àsavoirdeprendresoinaussidenousetnonpasquedenotrefamilleet/ounotretravail!Touteslescroyancessontàl’originedesémotions:c’estpourquoi,aprèsle

travail sur lescroyances, il est fondamentalde retrouvercellesqui leur sontassociées.

Retrouversesémotions

Page 146: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

« Si quelque chose a pu être vécu sans être éprouvé, c’est parce que lapersonnalités’estcoupéeendeuxpouréviterd’êtretotalementdétruiteparlechoc,etilfautfavoriserlerapprochementdecesdeuxmorceaux78.»Lesdeux«morceaux»étantl’expériencevécueetl’émotion(oulesémotions)quiluiestliée.Quandcelles-ciontététroplongtempsrefoulées,quandl’enfant,puisl’adolescent, ont perfectionné l’art de ne plus rien ressentir, toute la vieémotionnelle est devenue singulièrement étrangère à l’adulte devenu. Lathérapie va permettre au patient d’opérer cette rencontre, cette réunion. Ceserontdespassagespéniblesparfois,quidemandentdeprendresontemps,quiautorisent(enfin)leslarmes,lescrisdecolère,lesrecroquevillementsdepeur,carlesdépendantsaffectifspathologiques,vouslesavezmaintenant,onttropsouvent et depuis fort longtemps, dû verrouiller leur vie émotionnelle pourn’enpas souffrir–consciemmentdumoins.Cettecatharsisagit commeunevéritablelibération,leslarmesaffleurentsivite!Danslagêne,audébut,carilfautbiendonnerdesoiunebonne image,car il fautbienresterdigne!Puiscettegênelaisselaplaceauxpleursquiautorisentceprocessusdelibération.Permettant au patient de se retrouver tel qu’il était avant d’endosser soncostume,d’installersonmasqueetd’écriredesscénariosillusoires.Ils pleurent enfin, cespatients. Ils pleurent lorsqu’ils prennent conscience

que,par leurhistoire, ilsontdû– trèsprécocement–apprendreàs’occuperd’eux seuls : vivaient en eux l’enfant désespéré et l’enfant thérapeute de cedernier.L’autocompassionqu’ilsressententalorsàl’égarddecetout-petitqui,danssasolitudeextrême,atrouvéenluilecourageetlapuissanceintérieurepour se permettre de survivre au(x) traumatisme(s), est très touchante. Cefaisant,ilspeuventenfins’autoriseràretrouverlesémotionssiprofondémentenfouies. Ils pleurent et, au détour d’une larme de rage, découvrent leurcolère, leur haine parfois, leur jalousie, leurs sentiments d’envie…Peu leurimporte désormais : ils s’expriment enfin ! Certains osent crier, insulter,critiquer:ilsontaccédéàleurintimitéémotionnelle.L’attitudeduthérapeutelesaaidés : ilne jugepas, ilentend, reformule. Ilest là,dansuneprésenceactivepourentendrelespeurs–abyssales–, lesculpabilités, leshontes : lesunes entraînant les autres. La dépression, la tristesse, le désamour de soicommencentàsedésagréger.Leméprisdesoiestquestionnéd’unenouvellefaçon.Lepatients’étonnelui-même:ilressentaitréellementtoutcela?Ilnele savait pas ? Il a le droit de l’exprimer ? Même l’agressivité, pourtantenterrée si loin de sa conscience… Cette agressivité qui, « de toutes lestendanceshumaines,(est)cellequisetrouveleplussouventcachée,déguisée,

Page 147: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

déviée, attribuée à des instances extérieures79 ». Cette agressivité qui est àl’originedelacréativitédel’enfant…Mêmelahaine?Mêmevis-à-visd’unemère?D’unpère?Mêmes’ilsnesontplusdecemonde?Oui,biensûr.Nossociétés occidentales (et sans doute d’autres) condamnent sévèrement lacritique des personnes décédées : la mort confèrerait-elle une sorte desainteté?Faudrait-il,parcequedesparentsoudesprochesontquittécettevieterrestre,deveniramnésiqueà leursujet?Pourquelles«bonnes»raisons?Alors oui, même la haine, car toutes nos émotions sont porteuses demessages:ellesnousparlentdenous,decequenousavonsressenti,decequenouséprouvons.Danschaquelarme,unmot;danschaquecri,uneblessure;danschaquecœurquibattropvite,unepeur.Le patient apprend que le mythe new age d’un amour universel n’est…

qu’un mythe justement. Il découvre que sa haine lui parle de lui, de sonhistoire passée, de son présent ; qu’elle lui parle de ses blessures, de sessouffrances. Pleurer, enrager : voilà que s’ouvre le champ des possibles.Désormais,ilseraitbieninutilederesteraveugleàlaréalité:lesémotions,siellessontavanttoutinscritesdansnotrecorps,sontégalementpartieprenantedansnosprocessusdepensée.Nousnesommespascoupésendeuxetcequenous ressentons influence grandement ce que nous pensons, choisissons,décidons.Cequenotrecorpssavait,ilpeutenfinlerévélerpuisquelaportedela vie émotionnelle s’est ouverte. Tout ce qui avait été dissimulé par lebrouillard réapparaît : c’est le retour du refoulé. Le patient découvre quepouvoir exprimer ses mouvements émotionnels, c’est aussi être capable denouerdes lienssurunmodeauthentique.L’onsait tellementmieuxregarderles autres lorsque disparaissent les brumes générées par la peur et lesillusions!Ets’ilestbienuneréalité,uneseuleréalitéchezunêtrehumain,cesontsesémotions.Uneémotionn’estjamaisfausse,tandisquelessouvenirsdes événements eux-mêmes, ou les idées, les pensées… Ce sont lesretrouvaillesavecsesémotionsquivontguiderlepatientverslesnourrituresémotionnelles,verssesvéritablesbesoins,lessiens.Quant aux émotions prescrites par les parents, les éducateurs, celles que

l’on se doit d’éprouver en lieu et place des sentiments authentiques, ellesfinissentparrendremalade–maladedenepasavoirledroitd’êtresoi-même.Maladedeseforceràsourirelorsqu’onesttriste,des’obligeràsetaireensemordantl’intérieurdesjouespournepasmontrersacolère,rireouironisersurce qui fait mal… C’est ce qu’apprennent les patients en thérapie. Ils

Page 148: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

comprennent aussi que leur santé (physique et psychique) a énormémentsouffertdeleurlongsilencesurlesémotionssipéniblesàvivre,quandellesn’avaientpasacquisleurtitredeséjour:reconduitesàlafrontièredunon-dit,elles sont douloureuses à révéler car elles gênent, elles dérangent… Ils semontrent parfois choqués d’avoir dû se contraindre à devenir des robots !Commesiunenfantquis’estfigé,durcicommedelapierreétaitunepreuvedelaréussitedesonéducation!Cetteformed’«anesthésieaffective80»,cerempart épais construit autour de la vie émotionnelle avait pourmission deprotéger l’enfant de sa trop grande souffrance. Alors qu’elle est fortpréjudiciableàtoutevierelationnelle.Nousvivonsdansunesociétéquidonneprioritéauparaîtreetàl’avoir,qui

n’encourage en rien la réflexion sur soi – sans même parlerd’introspection!–,etdéciderdefaireunepsychothérapiedénoteducourage,motivépar ledésirderetrouver lesémotionset lessentiments refoulésdansl’inconscient.Car ils ne sont que refoulés : ils n’ont pas disparu.Le travailthérapeutiqueconsistejustementàlesmettreaugrandjourpoursortirdufauxself dont la protection n’a plus lieu d’être. S’il fut souvent l’ultime recourspourl’enfantblessé,iln’estplusutilepourl’adulte:toutaucontraire,carillui faut retrouver son véritable self, sa véritable identité avec ses désirsauthentiques.C’est ceque lui permet la catharsis émotionnelle, l’expressiondes émotions revenues. D’autant plus que, durant toute son enfance, l’êtrehumainestunevéritable«éponge» faceauxémotionsde sesparentsetdeson entourage proche.Alors non seulement il s’en croit responsable – et seculpabiliselorsqu’ellessontdouloureuses–,mais,parmimétismeémotionnel,il arrive fréquemment qu’il s’approprie (inconsciemment) l’angoisse, ou latristesse,oulaculpabilitéouencorelahonte,l’absenced’estimedesoidesesparents(oudel’undesesparents)endépression.Ilserasouventextrêmementpéniblepourlespatientsdeseconfronteravec

l’imperfection de ses parents (ou d’un parent) : il faudra alors combattrel’inévitableculpabilité–vis-à-visdecesparents (qui,dans l’enfance, furentleursdieux!)–etvis-à-visd’eux-mêmes,d’avoirétésinaïfs(maisunenfant,spontanément, fait confiance à ses parents). Il faudra aussi « trier » lesémotionsquiontétéprescrites,«trier»cellesquineleurappartiennentpas:cetteétape,fondamentaleaucoursdela thérapie, lesmènesur lechemindel’authenticité–uneformedelibertéqu’ilsignoraient.Enfin,laprisedeconsciencedesattentesillusoiresoffreaussilapossibilité

Page 149: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

dedevenirpluslucidesursoi-même.

Comprendresescomportements

Lapsychothérapievapermettreauxdépendantsaffectifspathologiquesdecomprendrenon seulement leurs comportements,mais aussi l’impact de cesderniers dans leur vie relationnelle. Cette connaissance lucide de leursmotivationsetdeleursfaçonsd’agirlesinciteraàsortirdeleurrôleet,pourcertains,deleurfauxself.Lethérapeutevaaussileurexpliquerque,dèsleurplus jeune âge, ils ont acquis leur « tendance à entourermaternellement lesautres81 ». J’ai déjà évoqué ces enfants « parentifiés », adultifiés par leursparents et qui, très tôt, en deviennent les thérapeutes, tout comme ils semontrent à la fois compréhensifs et remplis de sollicitude avec les autresadultes en général. C’est ainsi, ayant trop vite grandi, qu’ils en viennent àdevenir le « soignant » de leurs parents, car « un enfant traumatisé ethypermaturedoitendosserdemanièreprématuréelaresponsabilitédesadultesimmatures, défaillants ou agresseurs82 ». De nombreux psychiatres etpsychologues de l’enfance ont décrit cet élan spontané de sollicitude et decompréhensionchezcesenfants–élantoutaussispontanéquel’onretrouvechezlespatientsdépendantsaffectifspathologiques.

Apprendreàmieuxseconnaître

Faire connaissanceavec levrai soi (sortir du fauxself et des rôles) est leseul antidote à l’oubli et au désamour de soi. Découvrir ses croyances,retrouver sa vie émotionnelle authentique et comprendre ses comportementspours’engagersurlecheminmenantversunemeilleureconnaissancedesoi.Se connaître mieux, se reconnaître. Pouvoir, au détour du sentier, se poserdeuxquestionsessentielles :«Quisuis-je?»,«Qu’est-cequiest importantpourmoi,dansmavie?», et«Qu’est-ceque jeveux?», et commenceràtrouver quelques ébauches de réponses. Pouvoir, aussi, énoncer plusclairement ce que l’onneveut plus, ce qui fait tropmal.Apprendreque cesont nos croyances qui, muettes et pourtant toutes-puissantes, génèrent nosémotionsetguidentnoscomportements.Découvrircesélémentsdufonctionnementdupsychismedel’êtrehumain

éclairelespatientsdépendantsaffectifspathologiquessurlaréellepossibilité

Page 150: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

qui leur est offerte de mettre fin à des comportements automatiques et des’ouvriràd’autreschoix:ilestpossibledemodifierdescroyances,etdoncde«penserautrement»pourressentird’autresémotionsetagirdifféremment.Laboucle infernale peut être transformée en cercle humainement plus vivable.Car ce fonctionnement des croyances est applicable quelles que soient lescertitudes. Il se déroule de la même façon pour confirmer et renforcer descroyances aidantes : « Je suis quelqu’un de bien », « J’ai le droit de merespecter»,etc.Mieuxseconnaître,c’estchoisird’arrêterdesementirpourdevenircapable

dedéfinir clairement saproblématique.Le faitmêmededéciderde se faireaiderdémontreunevraievolontédeseconfronteràsesdifficultés,d’arrêterdetenter de se persuader que « finalement, rien n’est grave, et puis pourquoi,après tout, chercher à être plus heureux ? Je n’ai qu’à me résigner… »Lorsque lespatientsdécouvrentqu’ils seconduisent seloncertaines idéesetn’obtiennent pas ce qu’ils désirent, ils sont désormais en mesure des’interrogersurlavéracitéet l’efficacitédecesidées.Cetteconfrontationvaleur permettre de nombreuses remises en question : ils acceptent dereconnaîtrequ’ilsontpuse tromper,qu’ils ignoraientmêmeàquelpoint ilss’étaient éloignés d’eux, persuadés à la fois d’avoir raison et d’êtreimpuissants pour ne serait-ce qu’envisager une viemeilleure.Découvrir lesvéritablesmotivationsdeleurscomportementspermetauxpatientsdequitterla position de victime en récupérant, progressivement, leur puissancepersonnelleetleurlibrearbitre.Lechangement,alors,apparaîtpossible.Au cours de la thérapie, les patients prennent donc conscience de la

motivation principale qui est à l’origine de leurs comportements : leurrecherche effrénée d’amour. Une quête qui génère une exigence deperfectionnisme très culpabilisante puisque illusoire, une suradaptationextrêmement contraignante aux désirs d’autrui, des agissements souventmanipulatoirespourparvenirà leurs fins.Ces réalités,aussipéniblessoient-elles,représententunpassagenécessaire.«Sitantestqu’ilexisteuncheminvers le meilleur, il faut, pour le trouver, bien regarder le pire », écrivaitThomasHardy.C’estencomprenantàquelpointlesjeuxpsychologiques,etparticulièrementlesrôlesdeSauveur,deVictimeetdePersécuteur,sontvainset dommageables pour leur équilibre psychoaffectif qu’ils peuvent décider,progressivement, de les abandonner.C’est pourquoi il est essentiel pour cespatientsdeseréhabiliterà leurspropresyeuxpour lescomportementsqu’ilsont eus jusqu’alors. Comment, en effet, accepter, sans ressentir un grand

Page 151: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

désespoir,l’idéequel’onattend«tout»desautres,quelacompulsionàaider,à se rendre indispensable serait la seule voie possible pour se sentir exister,pour se réaliser pleinement, pour avoir une raison de vivre ? Commentconcevoir sans une infinie tristesse l’idée de s’abandonner soi-même, de sedétourner de soi pour s’approprier la vie de l’autre : ses besoins et sesaspirations ? Comment ne pas être bouleversé en constatant que l’on a dûcreuserungrandvideàl’intérieurdesoipourpermettreàautrui–àsoninsu–des’ylover?

Florence:«Toutestpossibleetrienn’arrive…Dehors,par-delàlestoits,j’entends vibrer le cri des hirondelles. Mais je suis dans un tel désarroiqu’elles n’arrivent pas à m’enchanter. Parfois je ne m’explique pas mathéorie de l’échec, cet entre-deux qui ne rime à rien. C’est étrange devouloirdesautres cequ’ils nepeuventpasdonner.C’est étrangeaussi deresterlà,àattendre,encoreetencore,sanssavoirquoifaire.Etlesoirdesecoucher en sedisantque vraimentdemain, il serait bondepasseràautrechose. D’oublier. Et recommencer, le soir en rentrant chez soi, seule, aucalme, en commençant ses vacances qui riment avec errance, oui,recommenceràsedireque,vraiment,cedoitêtrefini…Maispourquois’infligeruntelchâtiment,detellespunitions?Pourquoi

toujours être la seconde ? Que la seconde ? Pourquoi n’être que la fillequ’on met dans son lit et pas dans sa vie ? Un peu/beaucoup marre dessituations foireuses. À quoi servent-elles ? Ne serais-je capable que decela?Jepatine,jen’avancepas.Alorsquejen’attendsquecela.Quelqu’unquej’aimeetquim’aime…Je sais que certains de mes comportements, certaines de mes peurs,

viennent de la non-conciliation entre rêve et réalité. Déjà quelques joursavantnotredernièreséance,j’avaisbiencomprisquemonnon-engagementvientdelà.Maismoij’aimemoninconséquence.Comment,sansneplussecomportercommeunpapillon,portéaufilduvent,restercepapillon?Sansêtretoujourscolléderrièreunevitre,lesailesdéployées?Au-delàdetout,malgrélesobligationsauxquellesonnepeutdéroger,c’estperdre(l’illusionde)malibertéquimefaitpeur.L’idéedepartirquandjeveux,sansattaches,meréjouit,meporte,melibère.Jetentederéconcilierletout…Cesentimentpermanentd’insécuritéetmesobligationsd’adulte.»Le thérapeute va expliquer qu’un comportement a toujours une raison

d’être:nousnefaisonsjamaisrien«pourrien»,c’estcequel’onappellela

Page 152: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

«fonctionpositive»oule«bénéfice»de tousnosactes.Maisforceestdeconstaterquecettefonctionpositive,quecebénéficen’ensontpasvraimentquand les attentes sont vaines et que les comportements entraînent desrésultatsconstammentdécevants.«L’insoutenablenécessitédeplaire83»estle premier élément remis en question : le patient a pu identifier lesconséquencesdesonbesointoujoursinassouvid’êtrerassurésursacapacitéàêtre aimé tout en craignant, une fois la relation installée – d’amitié oud’amour –, l’inévitable rupture.Qui, en effet, pourrait suffisamment l’aimertel qu’il est : indigne d’amour ? Et par quel miracle serait-il possible de«tenir»dansladuréeenjouantunrôle,endissimulantsesproprespensées,ses véritables émotions, en ayant peur de la sincérité ? Aucun être humainn’estcapabledece tourdeforcequiconsisteàsemontrersous les traitsdequelqu’un d’autre ; en tout cas pas très longtemps. La peur panique d’êtredécouvertprovoquel’erreur,puisleserreurs,jusqu’audévoilement.Àmoinsque la rupture ne permette pas d’en arriver à ce point de non-retour… Lethérapeuteexpliqueaussiquel’onnepeutpasêtreprofondémentaimésursesseulesactions.L’amourseportesurl’ÊTREetnonsurleFAIRE,quinevientqu’après. Les mensonges (dits ou par omission) ne peuvent pas protégeréternellement.

Construiredebonnesrelationsavecsoi

Tout au long de leur enfance et de leur adolescence, puis dans leur vied’adultes, les patients dépendants affectifs pathologiques ont installé, enraisonde leurhistoiredevie,descertitudessureux-mêmeset lesautresquiles ontmenésdansune insécurité permanente quant à leurs capacités à êtreaimés.Au coursde leur thérapie, ils apprennent qu’ils n’ont eude cessedeconfirmer et renforcer ces certitudes très limitantes, très négatives (enparticulier sur eux). Jamais remises en question, elles ont jalonné leur vied’échecs, de culpabilités, de terreur de se retrouver seuls. C’est pourquoi illeurafalluaccepterdesortirdudénietd’êtreconfrontésàleurréalité.Pouryparvenir, ils font preuve non seulement d’un immense courage, mais aussid’unegrandecapacitéàserévolter.Ilabienfallueneffetqu’unbeaujourilsserebellent,osantaffronterleurpasséetlespersonnesquil’ontpeuplé(leursparents en premier lieu). Oser se questionner à leur sujet, oser transgresserl’omerta, cette nocive loi du silence. Oser regarder toutes ces années de

Page 153: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

souffrances comme des formes d’injustice et décider de se transformer enjusticierspourlesréparer,pourquelescicatricessereferment.

Réparersonenfance

Pourobtenirdescicatricesdebonnequalité,tousleschirurgiensetpanseursvousexpliquerontqu’ilfautauparavantbiennettoyeretrefermeràl’intérieur,à chaqueniveau–duplusprofondauplus superficiel– et, évidemment,nerienoublier!Lescicatricespsychiquessontdemêmenature: ilconvientderéparer l’enfance afin qu’elles deviennent de fines traces blanches bienrégulières que l’on ne viendra plus gratter et rouvrir. C’est pourquoi j’aiévoqué plutôt la très nécessaire réhabilitation du patient par lui-même,réhabilitation qui prendra en compte ce qui n’était pas de sa propreresponsabilité:leplusimportantétantleregardqu’ilportesurcequ’ilavécuplutôtquelesévénementseux-mêmes.Réparersonenfanceconsistedonc,entoutpremierlieu,àretrouverl’enfant

en soi, cet enfant qui a tellement souffert qu’il a enfoui profondément etrefoulé ses souffrances. Ces retrouvailles vont lui permettre de prendreconsciencedetoutcequelecorpsaenregistré,intégrédepuisl’époquelaplusarchaïquedesonhistoire.Réparerl’enfance,c’estpansersesblessures.

Cynthia,26ans,a,commetantdejeunesfemmes,souffertd’attitudestrèsmalsainesdelapartdesamère.Alorsqu’ellen’avaitque10ans,celle-ciacommencé à lui présenter ses nombreux amants, à lui raconter toutes sesrencontresavecdeshommes,cequ’ilsfaisaientensemble…Les patients dépendants affectifs pathologiques ont à franchir la porte

étroitequiva leurpermettred’entreren rébellionpouradmettre, reconnaîtrecequ’ilsontsubi,sanséprouverdeculpabilité.Cequin’estpassimple.Qu’ils’agissedeserebellercontredesvaleursetdespratiquesissuesdeméthodeséducatives hautement condamnables, ou de soi-disant vertus inadaptées cartropintégristes,ouencorecontredesincompétences,desnégligencesou,pire,desmaltraitances psychiques.La révolte est nécessaire, tout comme elle l’atoujoursétépourfaireprogresserl’humanité.Elleoffreladistanceutilepourobserver les faits. Pour se rebeller, les patients doivent avant tout intégrerl’idée que leur « mission sur terre » n’était pas de contenter constammentleursparentset admettrequ’ilspeuventdevenirautonomescar leurbonheurne dépend pas de leur soumission. Cet apprentissage et cette nouvelle

Page 154: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

clairvoyanceexcluent,j’insiste,laculpabilité:ilnes’agitquederemettrelesresponsabilités à leur juste place et de donner aux enfants intérieurs lapermission de grandir, afin de pouvoir voler de leurs propres ailes. Lespatients s’étonnent : « Ce n’était donc pas moi qui étais responsable de ladépressiondemamère?Delafureurdemonpère?»,«J’ailedroitdepenserautrement?»…Etcesétonnementsopèrenttrèsviteunrapprochementaveceux-mêmes : « Jene suispas simauvaisque ça», «D’autresparents, sansdoute,auraientpum’aimer…»

PeterPanoul’enfantquinevoulaitpasgrandir

Parcequ’iln’enapasreçulapermission,PeterPanrefusedegrandir.Dépendantaffectifpathologique,« laquêtede l’acceptationparautruidevient son seul moyen de s’accepter lui-même. Il prend l’amourcommechosedue…Ilprétendêtreunadultemaisagitenfaitcommeunenfantgâté84.»L’imagequeleshommessouffrantdusyndromedePeterPandonne

aux autres est bien plaisante : joyeux, enthousiastes, toujours remplisd’énergie et prêts à tout faire, à tout découvrir, pétulants, insatiablesdans la recherche du plaisir, insouciants, sûrs d’eux-mêmes – etbeaucoupdefemmesseplaisentenleurcompagnie.Jusqu’àceque,letemps passant, ils se dévoilent car ils finissent par s’effondrer. Leurapparente confiance en eux s’avère être un complexe d’inférioritésurcompenséetleuramourdurisqueuncomportementcontraphobique,tant ils vivent dans la peur. Leur façon ferme de s’affirmer, plutôt«virile»,masqueleurcolèreetleurestimedesoi,unleurre,dissimuleunfortsentimentd’impuissanceàmenerunevieadulte.S’ilssecroienttoutpermis,c’estpourdissimulerleurdépression.Leur enfance, en apparence tout à fait agréable, les a rapidement

plongés dans l’angoisse, la peur de la solitude, la misogynie (qui setraduiraplustardparunmachismeguèresupportable).Leursrelationsavec leur mère étaient chargées d’ambivalence, de confusion dessentiments qui oscillaient entre l’agressivité et la culpabilité. Ce quin’estpasétonnant,danslamesureoùleshommesséducteurssontdans

Page 155: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

la quête constante d’une « bonne » mère. Ils ne semblaient pasconcernéspar l’autorité paternelle et les règles à respecter.Au fil desannées, l’immaturitédeleursparents, troplaxisteset trop«absents»,quicompensaientsouventleurmanqued’attentionpardel’argent,leura fait éprouver un fort sentiment de solitude. Enfants livrés à eux-mêmes, ils ont consacré leur enfance à la recherche perpétuelle duplaisir auquel ils sont persuadés d’avoir droit, quel qu’il soit.Comportementqu’ilsperpétuentdevenusadultes.Pourtant,unjour,lecarrosses’esttransforméencitrouille:le«Pays

de Jamais Jamais85 » s’est effacé devant une réalité beaucoupmoinsplaisante.Unpèrequin’apaspuêtreunmodèlepoursonfils,unemèrepeu affectueuse : le jeune Peter Pan n’a pas eu d’autre choix que decompenserlemanqued’amourparuneconstantequêted’admirationetdereconnaissance.Si les hommes souffrant du syndrome de Peter Pan représentent la

jeunesseéternelle–c’estcequ’ilsdésirent,d’autantplusqu’ilssonttrèsnarcissiques–,ilscraignentsurtout,letempspassant,desortirdurêve,deseconfronteravec la réalité.Cequiexpliquequecertains la fuientdanslatoxicomanie.Aufondd’eux-mêmess’installelatristesse,mêmes’ilscontinuentàrechercherleplaisir,mêmes’ilspeuvents’attacheràdes femmes qui prennent soin d’eux. Ne pouvant plus tromper leurmonde, ils commencent à agir « de manière purement infantile »,confuse,peurationnelle.Toujoursdansl’espoirderesterjeunes.Cesyndromedécritdeshommes trèsdépendantsaffectivement : ils

n’ont pas accès à leurs véritables émotions, ils se montrentperfectionnistes, veulent encore et toujours plaire, adoptant uncomportement de séducteur et demanipulateur. Ils refusent de quitterleursillusionset,verslacinquantaine,ilsnepeuventplusmasquerleurdépression.

Certes, il n’est jamais aisé de se confronter aux défaillances parentales,même minimes. Comme il n’est jamais simple d’assumer les siennes, card’autrespersonnes,élevéesaveclesmêmesparents,neseraientpeut-êtrepasdevenuesaussidépendantesaffectivement,avecunetelleintensité.Maisc’estainsi.Chaquepasestimportant:là,ilestquestionderéparerlepassé–etnoncequienaétéfait–,delaisserenfinl’enfants’exprimercomplètementetlui

Page 156: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

permettre de prendre de la distance avec ses parents. Pour y parvenir, lespatientss’appuientsurlarelationthérapeutiqueafind’affrontercequihantaitleurenfanceavecl’interdictiondelereconnaître.Aujourd’hui,ilsserévèlentà eux-mêmes les peurs et les injustices, les colères et les désespoirs. Ilsdécouvrent,parfoiseffarés,qu’ungrandnombredeblessurespsychoaffectivesauraient pu être évitées si leurs parents avaient un tant soit peu remis enquestion leurs méthodes éducatives appliquées en toutes bonnes intentions(celles qui pavent la route qui mène à l’enfer…) par des adultes trop sûrsd’eux,peucurieuxetamnésiquessurleurpropreenfance.L’onpeutd’ailleursse poser la question pertinente de savoir pourquoi il n’est écrit nulle part :«Tesenfantsturespecteras»…Souvenons-nousquelespatientsontétéadultifiésendevenantàlafoisleur

propreparentetceluidel’undeleursparents–quandcen’estpasdelafratrietoutentière,commedevaillantspetitsadultesdequelquesannées…Maisdespetitsadultesquimanquentcruellementdescompétencespropres,justement,auxseulsvraisadultes:ilsn’ontpastoujourssucomment«bien»remplircerôle et s’en culpabilisaient. Leurs parents ont volé leur enfance et son lotd’innocence, de légèreté, de rêve… Grâce à la thérapie (et à la luciditéacquise),ilssontcapablesderéhabilitercetenfantqu’ilsétaient,deluioffriruneenfance.Pourleurplusgrandsoulagement.Ilsontsuffisammentpayéàlaplacedeleursparentsinaptesàlaparentalité,incompétentsdansleurfonction.Ils peuvent alors leur restituer leurs responsabilités. Parfois, ils sont un peueffrayésdeceretournementdesituation, ilscherchentà lesexcuser–cequiserapossible,s’ilsledésirent,unefoislathérapieterminée.C’estpourquoiilm’arrive régulièrement de leur proposer d’imaginer qu’ils assistent à leurprocèsaucoursduquelilsjouerontlerôle…deleurpropreavocat.Ilsrédigentleurplaidoirieavecpourtoiledefondl’idéequ’ilssontaccusésdetout…etresponsablesderien.Lesenfantsnesontpascoupables.Justiceserafaite.Ledésamour de soi commence à se dissiper. L’enfant n’a plus à subir, ni à setaire.Lescicatrices,peuàpeu,serefermentsurdestissus«sains».Lorsque les patients, grâce à leur juste rébellion, se libèrent de la tutelle

parentaleinappropriée,ilsdécouvrentparfoisqu’ilsontenquelquesorteprisle relais de ces parents néfastes à leur épanouissement. Ils ont tellementintégrés leurs principes que leur surmoi, cette instance parentale introjectée,intériorisée,perpétuelesprincipesetvaleursdontilsdésiraientsedégager.Un« juge» intérieur lescondamne,commel’œilde laconsciencequi regardaitCaïn. Il est important que le thérapeute les aide à comprendre ce processus

Page 157: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

pour s’en dégager. J’imagine que bien des lecteurs pensent, parfois à justetitre,que lesparentsne sont«quandmêmepascoupablesde tout,qu’il estinjuste de les stigmatiser ainsi ». Je leurs réponds que cette réparation del’enfance(etdesrelationsaveclesparentsenparticulier)nepeutsefairequ’àtravers le regard de l’enfant blessé : c’est à lui que le thérapeute donne laparoleafinqu’il«renonceàunattachementdestructeur».Ilestdéjàtellementpéniblede regarder,pour lapremière fois leplus souvent, toutescesannéesdouloureusessansenavoirhonte,enacceptantlavulnérabilité,lafragilitéquegénèreceregard!Ilestdéjàtellementpénibledebousculer,parcesprisesdeconscience, les sentiments éprouvés vis-à-vis de ses parents ! Combiend’enfantssetaisent,paramourpourleursparents,mêmelorsquelesfaitssontincontestables ? Combien d’enfants préfèrent porter sur eux le poids desincompétences de leurs parents ? Combien d’adultes refusent encore ettoujourslaluciditésurleursparents,lesêtresqu’ilsidolâtrent?Unvéritabletravaildedeuils’impose:celui,toutd’abord,del’illusiondes

parents parfaits. Le père idéal n’existe pas, la mère idéale non plus. L’êtrehumain est faillible et, très vite, les parents tombent de leur piédestal : ilsdésertentl’Olympe…J’aidéjàabordélethèmedel’illusoireperfection:ilesttemps désormais de faire le deuil de celle de ses parents. S’il est désolantd’accepter que les meilleurs parents seront toujours imparfaits – mais celas’appelletoutsimplementgrandir–,ilestextrêmementsoulageantetapaisantd’intégrercettebanaleréalité.

Florence:«Cherpapa,longtemps,jet’aiattendu.Longtemps.Peut-êtremême encore aujourd’hui. Longtemps, j’ai espéré que tu m’attendrais, làdehors,etquejepasseraisavanttoutlereste.C’estpeut-êtrearrivé.Maissipeu souventque jen’engardeaucun souvenir.Non, les souvenirsque j’aisontcesmomentsoù,àlasortiedel’école,unefoismesamispartis,àpartirde11h30, je t’attendais.Jecommençaisàcompter lesvoituresblanches,commelatienne.Etj’attendais.Patienteetdocile.Résignée.Aujourd’hui,jepartirais,encolèreettriste,maisjepartirais.Nelaissant

àpersonnelesoindem’écorcher.Maisàcetâge-là,àcemoment-làde lavie,etjusqu’àilyapeu,j’auraisattendu.Ungeste,unmot.Uneattention.L’impressiond’êtreunchienattendantunecaressequinevientpas.Chienfidèle.Longtemps,j’auraisétéunepetitefillepatienteetdéçue.Chaquejour.

Page 158: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Ensuite, j’ai attendu d’autres hommes. Plus tard. Sans imaginer jamaispouvoir être celle qu’on viendrait chercher parce qu’on en a envie, parcequ’onl’aime.Non.Jeretrouvaismaplaceàl’arrière,enattendantun«jenesaisquoi»quinevenaitpas.Oui,jedoiscomprendre,etaccepterqu’ilestbien trop tardpour te rattraper,etpour tevoirenfinarriverà l’heure.Aimant et souriant. Comme le père que j’aurais aimé avoir. Tu n’es pascelui-là.Tuneleseraspas.Àmoidevivresanscetteépine.Àmoidevivresanscepèrefantasmé.Àmoidevivre.Àmoidem’imaginerlibéréedecesattentesjamaisassouvies.Je n’arrive pas encore vraiment à faire grandir la petite fille qui

t’attendaitdevantl’écoleprimaire.Elleadumalàrenoncer,alorsjelefaispourelle.Maisavant,jeluidemandedeneplust’attendre.Parcequ’ainsi,je vais pouvoir avancer vers de meilleures choses, moins douloureuses.Changer le rapport à l’autre. Arrêter d’être derrière l’autre, la seconde.Dansl’arrière-boutique.Attendante.Soumiseauxchoses,auxdésirsetauxfaits.»Réparerlesdommagespsychoaffectifsliésauxparentsneconcernepasque

le passé. Certains patients, devenus adultes, sont encore ligotés par la tropgrande influence de leurs parents qui, décidément, veulent à tout prixconserverlecontrôlesurleursenfantscommesi,touteleurviedurant,ilsleurappartenaient ! Comme si leurs « toujours-petits-jamais-grandis » n’étaientpascapablesdes’assumer!Carilfautlesconserversouscloche,laclochedudésir absolu de maintenir leur pouvoir sur eux. Leurs arguments sontnombreuxpourpréservercepouvoirsurleurprogéniture:l’inquiétude(réelleou non) qui autoriserait à elle seule ce contrôle ; le chantage affectif et laculpabilité qui brisent les efforts d’autonomisation ; l’argent (moyenlargementutilisépourdominer);lamauvaisefoiquilaissepantelant;l’appelàlaloyautéaussi,quipeutallerjusqu’àcondamnerdeschoixdepartenaires,de profession, de lieu de résidence ! Et, outre toutes ces formes demanipulation, l’amour!L’amouraunomduquel,seloncertainsparents, toutest permis, même un comportement dominateur et/ou destructeur.Même lacritique, les jugements négatifs, les « ordres » ou les incitations très«appuyées»àsuivreleursconseils.Distillerhabilementledoutesursoi,sursesfacultés,estunefaçonefficacedecréerlebesoin.Proposerde«faireàlaplace » est un bonmoyen pour garder ses enfants sous contrôle : « Je vaisfaire ça, tu es fatiguée, repose-toi ». L’amour, qui emmaillote des désirs demainmise totalitaire sur ses enfants adultes. Je pense à ces parents (père ou

Page 159: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

mère)quidisentàleurenfantquin’enestplusun:«Jeteconnaismieuxquetoi, je sais ce qui est bon pour toi ». Je pense aussi à toutes ces « filles decompagnie86 » (adultes et célibataires) interdites d’aimer ailleurs par desmères égocentriques et possessives. Toutes ces manifestations de pseudoamoursonttellementéloignéesdel’amourvéritable!L’époused’undemespatientsconsacreplusieursheuresparsemaineàfaire

leménagechezsonfilsde32ans;elles’occupeégalementdesonlinge…Sicefilsétaitenthérapie,ildécideraitdemettrefinàcettesituationquipermetàsamèredecontrôlerson«petit».Il luidiraitclairementqu’ilesttoutàfaitcapabledes’occuperdeluietdesonintendance.Sansdouteluiferait-ildelapeine, mais ce n’est pas une bonne raison pour accepter de perpétuer cecomportement.C’estdesapropreviequ’ils’agit:sisamèreadesproblèmesdedépendanceaffective,leterritoireduproblèmeestchezelle.Cetteattitudeseraitunexemplederévoltecontreunemèreabusive.Tantdemèresjustifientleurdésirdecontrôlesurleursenfantsaveccessimplesmots:«Jenevisquepourtonbonheur;toutcequejefais,jelefaispourtoi.»Seulelarévoltedesenfantsgrandispourraveniràboutdecespratiques.Unemèren’apasàvivreQUE pour ses enfants : elle est aussi une femme, une amie, peut-être uneépouse, elle a une vie professionnelle, des activités, des aspirations, desprojets,unevie,etc.Et comme il est difficile, au cours de la thérapie, de se dégager de cette

tutelle si bien intentionnée, de cette tutelle quimaintient la croyance en sapropre impuissance. Pourtant, lorsque la révolte est enmarche, les patientsdépendantsaffectifspathologiquesyparviennent.

Assumersavieémotionnelle

Lespatientsontaussiàréapprendrequelavieémotionnellereprésenteunecomposante essentielle de l’être humain. Je dis réapprendre car l’enfant lepressent,lesait.Et,lorsqu’ilyestautorisé,ilexprimecequ’ilressent:pardesmots,maisaussipartoutsoncorps,sesgestes,sesmimiques,parsacréativité,ses comportements – par la maladie aussi, quand il n’est pas entendu.Pourtant, les dépendants affectifs pathologiques craignent comme la pestecettesihumainecomposante:n’ayantpasledroitd’êtresincèressurcequ’ilséprouvent, ilscontinuentànier leursémotions.Cequipeuthumainementsecomprendre, mais ce qui les prive, fort malheureusement, des prises de

Page 160: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

conscienceindispensablespourrésoudreleursproblèmes.Cen’estquedanslecadre rassurant de la thérapie qu’ils vont enfin entrer en contact avec elles,qu’ils vont réparer cemanque en découvrant le respect qu’ils leur doivent.Sûrsden’êtrepas jugés,après lesavoirexprimées (commenous l’avonsvuplushaut),ilss’autorisentenfinàlesconsidérercommefaisantpartied’eux-mêmes.Ilsacceptentleurscolères, leursrages, leurssentimentsdehonte,deculpabilité, leurdésespoiret leur rancune, leursdésirsdemanipuler,parfois,lespersonnesdontilsattendenttantd’amouretdereconnaissance…Ils parviennent ainsi à intégrer l’idée que toutes ces émotions ne sont ni

bonnes,nimauvaises, simplement justes.Qu’elles sont« l’échode leurêtreréel87 », qu’elles font partie d’eux et qu’elles sont lesmessagères utiles lesinformant de ce qu’ils sont en train de vivre.Bien sûr, elles peuvent gêner,mais il n’est plus temps de les renier ou de chercher à les dissimuler.Ellessont une part intégrante de leur personnalité, de leur identité. Toutedépendanceaffectivepathologiqueestreliéedetrèsprèsàlavieémotionnellepuisque le comportement qu’elle génère est mis en place justement pourcombattredesémotionstropdouloureuses.Déjà, lors de la réparation de l’enfance, lorsque les responsabilités sont

remisesàleurplace,uneformed’apaisementapucommenceràs’installer.Ledésamourdesois’amoindrit.Réhabilitéauxyeuxdupatient,l’enfantintérieuracquiertuneplusgrandeconfianceenlui.Ilestalorspossiblepourl’adultedereconsidérer certains de ses choix, de ses croyances, de ses comportements.Davantageconnectésavecleursémotions,lespatientsapprennentaussiàlesassumer,mêmecellesquinelesflattentpas…Lesassumant,illeurseraplusfacilededécouvrircequ’ilsveulentvraimentpoureux: ilsvontenfinavoiraccèsàleursdésirs.Sansdoutecommenceront-ilsàcesserde«fairecommesi»ilsn’étaient jamaisencolère,commes’ilsétaientconstammentbéatsdecompassion, remplis de bonnes intentions, tellement généreux… Un leurrepour eux, un leurre pour les autres. Et, davantage respectueux de ce qu’ilsressentent,ilsserontenmesured’êtreplusattentifsauxémotionsdesautres:ils les craindront moins. Progressivement, ils vont enfin sortir del’ambivalence des sentiments : ils sauront repérer des émotions opposéescomme l’envie de plaire et le ressentiment, la tristesse et le contentementfactice.Ilsnecraignentpluslesnombreusesdéclinaisonsdelacolère.CommeJustinqui,aujourd’hui,comprendpourquoiiladupsoriasissurlesjambes.Nepouvantnier cettemanifestation somatiquede sonémotion, il est désormais

Page 161: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

capabled’interrogersacolèreetd’yremédier.Lorsdesadernièreséance,ilenaformulétrèsclairementlaraison:«MesparentsontvoulufairedemoiunMonsieurParfaitentoutetquin’apasledroitd’allermal.»Lespatientspeuventaussis’adresseràl’enfantqu’ilsétaient,qu’ilsportent

à l’intérieur d’eux-mêmes, pour le rassurer, lui donner des permissions. Ilsvontànouveaudevenirleur«bonparent»,maisunparentaverti,compétent.Cetteformedereparentageestessentiellepourréparer leurvieémotionnellepassée et les autoriser à vivre leurs véritables émotions, celles de tous lesjours,dansleprésent.Illeurfaudraapprendrebeaucoupdechosesàcetenfantafin d’apaiser ses souffrances, pour qu’elles cicatrisent. Ils lui expliquerontque les émotions ne sont pas inspirées par le Malin : elles n’ont rien dediabolique ou d’effrayant car toutes sont justifiées. Ce sont leursmanifestationsqu’ilconviendrapeut-êtredechanger:ressentirnedonnepastous les droits… L’enfant doit bien comprendre qu’il peut éprouver de lacolère et que cen’est pas une raisonpour faire dumal aux autres ou à lui-même.Ilpeutressentirdelapeur,maisnedoitpasentraînerl’autreavecluidanssapanique.Ilpeutsesentirtristesansdésirerpourautantquel’autrelesoitàsaplace.Etréciproquement:ilaledroitden’êtrepastristeàlaplacedel’autre.Ildoitavanttoutetsurtoutsavoirquelefaitderessentirsesémotionshumaniseetenrichitlapsyché–cequel’onappelleaussil’esprit.Cetravailsurlesémotionsaunautreobjectif:faireadmettreauxpatients

que les émotions, quelles qu’elles soient, plaisantes ou pénibles, font partienon seulement de tout être humain mais sont aussi une part intégrante duvivant. Seule lamort les anéantit, définitivement. Il s’agit là d’une réalité àlaquelle nous sommes tous confrontés, tout au long de notre vie, au plusprofonddenous.Lemeilleurexemplequelethérapeutepuisseendonnerestquelathérapieseraitimpossiblesansl’expressiondetouscesaffects.J’aidéjàmentionné le fait que les traitements antidépresseurs et anxiolytiquesempêchaient l’accès aux émotions, ce qui ne facilite pas le travailthérapeutique–maisquesanseux,lespatientsensont,àl’opposé,tellementsubmergés que ce travail est rendu impossible. Il convient d’apprendre àsurfersurcettecontradiction,tantilseraitincongrud’imaginerunethérapieaucours de laquelle le thérapeute n’interrogerait pas le patient sur ce qu’ilressent!Assumersavieémotionnellepermetdelacomprendrepourmieuxlavivre:

l’on a moins peur de l’inconnu. La comprendre, c’est connaître sa raison

Page 162: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

d’être, et son fonctionnement. La soif d’absolu ne conduit qu’à de péniblesdésillusions, l’évitement de l’expression (adaptée) de la colère conduit à lafrustration et parfois à un comportement verbal ou physique empreint deviolence. Comprendre sa vie émotionnelle, c’est aussi savoir reconnaître etnommersesémotions,devenirdeplusenpluscompétentpourleurdonnerunnom en tenant compte de leurs infinies subtilités et finesses.Certaines sonttellementvolatiles et fugaces, tandisqued’autresprovoquentdes sensationsphysiquespouvantêtretrompeuses…Maintenantquelesblocagessontlevés,ellesontenfinledroitd’exister.Seulslespsychopathesnelesressententpas.Enfinnommées,ellesserontalorsreliéesàdesbesoins,carnousavonsaussides besoins émotionnels, comme par exemple tout ce qui a trait àl’attachement : affection, amitié, tendresse, amour, etc. Ou encore àl’expressionartistique…Lesémotionsexistentdans tous lesdomainesde lavie.Reliéesàcesbesoinsbienhumains, il seraalorspossibled’apprendreàlessatisfaire–aumoinsenpartie,l’idéalrestant…unidéal!S’ils ne peuvent parvenir à assumer leur vie émotionnelle, les patients

dépendants affectifs pathologiques maintiennent une sorte de torpeurémotionnellequiengendreladépression,lescrisesd’angoisse,lesinsomnieset somatisations en tout genre qui sont les preuves malheureuses de leursouffrance. Ils ignorentquecet engourdissementne lesprotègeen rien : lesmurs qu’ils ont inconsciemment dressés entre leurs émotions et d’autresaspectsd’eux-mêmessontaujourd’huiàl’originedeleurmaldevivre.

Construiredesfrontièresintérieures

Imaginezuninstantunimmeubledeplusieursétagesdontonauraitmisenpanne les ascenseurs et cadenassé les portesmenant aux escaliers : il seraitimpossibledepasserd’unétageàl’autre.Leshabitantsneserencontreraientplus et finiraient par oublier l’existence de leurs voisins. Il n’y aurait plusdésormais de communication possible entre eux. Imaginez maintenant, àl’inverse, qu’il n’y ait pasdemurs entre chaque appartement et que chaquefamillepuisseainsiallerchez lesunset lesautres,yprendredes livres,desvêtements,desmeubles,dormir,manger leur repas,etc. Il estdifficilede sefaireune représentationdecesabsurdessituations.Pourtant,c’estunpeucequisepasseaveclesfrontièresintérieuresdespatientsdontnousparlons.Soitellessontdesmursépaisettotalementimperméables,soitellessontabsentes.

Page 163: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Danscesdeuxsituations,laproblématiqueestdetaille.Nousvenonsdeparlerdesmursqui encerclent la vie émotionnelle : ce sont de solides remparts etl’onnepeut lesfranchird’aucunefaçon.Lesémotionssontalors«encampretranché », inaccessibles, méconnues, ignorées. À l’inverse, le manque defrontièresintérieuresexpliquetrèsbienlasubmersionémotionnelle–toujourstrès douloureuse et génératrice parfois de crises de panique car, enl’occurrence, il ne s’agit aucunement de joie ! La dépendance affectivepathologique dénote un grave problème de frontières intérieures – qu’ils’agissedemurstropépaisoud’absencedecesfrontièresquilimitenttoutesles composantes de l’être humain. Ce serait donc peu dire que d’affirmerqu’ellessonttrèsnombreuses.Lorsqu’ellesn’existentpas,nulnepeutvraimentsavoirs’ilestaimépour

cequ’ilestoupourcequ’ilfait.Ainsi,laconfusionestgrandeentrel’êtreetlefaire,lescomportements.Toutcommeentrequisontcespatientsetl’imagequ’ils veulent donner d’eux-mêmes. Entre ce qu’ils ressentent et ce qu’ilspensent : entre les émotions et les idées, entre leurs raisonnementsintellectuelsetleursémotions.Entrelepassé, lemomentprésentet l’avenir.Prenons l’exemple d’une personne qui n’a pas construit de frontièresintérieuresclairesentrelepassé,leprésentetl’avenir.Sisonhistoiredevieaétémalheureuse, elle en souffre encore aujourd’hui avec lamême intensitéque par le passé : elle ne parvient pas à respecter ce que j’appelle unechronologieémotionnelle.Si,enplus,elleprojettesestourmentsdanslefutur–« J’aibeaucoup souffert, j’en souffre encore aujourd’hui et jenevoispascomment je pourrais ne plus souffrir dans l’avenir » –, elle se crée desreprésentations d’un futur douloureux sans espoir d’amélioration possible.Elle se«cogne»dans sonpasséàchaque instant…Sielle construisaitdesfrontières perméables entre ces trois composantes du temps, elle souffriraitdéjàmoins–letempsatténuantlespeines–etpourraitdévelopperdesprojetsagréables.Elle serait capable d’imaginer, d’entrevoir un futur qui lui donneenviedevivremieux.Lespatientsdontnousparlonssouffrentterriblementdumanque de ces frontières-là : jour après jour, ils perpétuent leur enfancedifficileet l’avenirqu’ilsentrevoientestbiensombre. Ilsnepossèdentdoncpas non plus de frontières entre l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte etl’adulteplusmûrd’aujourd’hui.Ilssesententaussiimpuissantsquepeutl’êtreunpetit,aussidémunisetsansaucunecapacitéàavoirunimpactsurleurvie.Il peut également exister un manque de frontières intérieures entre les

différents domaines de la vie : la sphère privée : familiale, amicale,

Page 164: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

amoureuse et ceux de la sphère sociale et professionnelle. Ce manquen’induit,unefoisencore,quedelaconfusiondanslessentiments,lespensées,les émotions, les attentes et les comportements (pas toujours adaptés). Jedonneraiunexemple simple et très fréquent : confondre lesbesoins sexuels(physiques), et les besoins émotionnels, l’affectivité. Confondresystématiquementlasexualitéetl’amour.Biensûr,lesdeuxcoexistentdansl’amour authentique, mais, dans le cas de ces patients, cette confusion estparticulièrementdommageable.J’avaisunpatientquicroyaitsincèrementêtreamoureuxdechaquefemmeaveclaquelleilavaitdesrelationssexuelles–etelles étaient nombreuses. « J’adore les femmes, je les aime », répétait-ilsouvent–maisilnesavaitpasmêmeenaimerune…Quantauxfemmesquisepersuadentqu’ellesaimentunhommedèsleurpremièrenuitpartagée–etque sansdoute elles sont aiméesde cethomme !–, elles sontpléthore. J’aisouventrencontrédespatientsquiconfondaientaussileurpuissanceinterneetleur musculature – qu’ils entretenaient avec une belle persévérance afin demasquer ce qu’ils appelaient leur « faiblesse » : entendez leur sensibilité.Combien de parents confondent encore la sévérité avec l’autorité, laresponsabilité,n’ayantpasinstallédefrontièresentreleurdésirdepouvoirsurl’autreetleurpuissancepersonnelle(qui,sansdoute,leurmanque).L’«écologiepsychique88»demandedespontsoudes routes,desmoyens

d’accèsentretouslesaspectsdesoietdutemps,despontsoudesroutesquirelient les frontières entre elles. D’accès aisé, ils permettent de faire cessertoutes ces confusions qui ont contribué à installer le brouillard interne. Lethérapeuteestlàpouraiderlespatientsàconstruirecesfrontièresetcesponts.Tout comme il est là pour les aider à transformer les murs intérieurs enfrontièresperméables.Carlorsqu’ils’agitdevéritablesmurs,ilestimpossibled’avoir accès à ses croyances, ou à ses pensées, ou à ses émotions, à sessentiments, à sa mémoire aussi. De nombreux patients disent ne pas sesouvenir de leurs premières années, ne pas avoir de souvenirs d’enfance –parfoisjusqu’à10ou12ans.Leurpasséestemmuré,toutcommelesontlesémotions liéesàcesannéesd’amnésie.Si,unmoment, les remparts sontdebonnesetutilesprotections,ilsfinissentparisoler…desoi-mêmeenpremierlieu : ces patients souffrent d’un isolement intérieur qui les empêcheaujourd’hui de contacter les différentes composantes de leur personnalité.C’est pourquoi la plupart d’entre eux parlent du « grand vide » qu’ilsressententeneux.C’estcequeviventlesdépendantsaffectifspathologiques.

Page 165: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Toutunmondeàdécouvrir:lesémotions

Toutunmonde,eneffet, car lesémotions sontnombreuses,parfoistrès subtiles, très parlantes. Tout un monde à découvrir par panssuccessifs.Voussentez-vouscoupable?Demandez-vousquellevaleurimportantepourvousaététrahie,enquoivousavezétéinfidèleàvous-même. Vous sentez-vous triste ? Interrogez-vous sur ce qui vousmanque. Ressentez-vous de la peur ? Demandez-vous ce que vouscraignez. De la déception ? Demandez-vous si vos attentes étaientréalistesetappropriées.Toutesnosémotionsontdeschosestrèsimportantesànousdire.Or

nousvivonsdansunesociétéoùl’onnousdemandedelesrefouler,deles enfouir si profondément qu’elles seront oubliées. Exception faite,bienentendu,decellesquisontautorisées:lajoie,ledésir,lafierté,leplaisir…Maisquesontnosémotionsdevenues?Lesenfouirestbieninutileet inconséquent :ellesdemeurentennouset, tellesdesrivièressouterraines qui,muettes, suivent leur chemin, elles finissent toujoursparressortir…Il ne sert à rien de les refuser : elles représentent la vie qui est en

nous.Mêmeprivédesesfacultésmentales,unêtrehumainestcapablede ressentir des émotions. Même perdu dans le coma, il demeureréceptif à l’expression de l’attachement : une caresse sur la maindessineunfaiblesouriresursonvisage.Lesyeuxfermés, ilse tournevers la personne assise, en silence, auprès de lui. Et qu’avons-nousbesoin de femmes et d’hommes qui ne « vont bien » que grâce à lachimie,alorsqu’ilssontanxieux,dépressifs?Etqu’avons-nousbesoinde robots à figure humaine aux émotions anesthésiées par leconformisme ? Imaginez un bref instant un enfant qui ne souriraitplus…

Pour aider le patient à installer des frontières (perméables) intérieures, lethérapeute peut proposer une métaphore : chaque domaine (émotions,croyances,pensées,aspirations,composantesdutemps,enfance,adolescence,différents rôleset fonctions,etc.)peutêtre représentéparune image. Ilpeut

Page 166: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

s’agird’unepièced’unemaison,d’uneétagèredebibliothèqueoud’unesalled’archives où tout est accessible. Puis les frontières elles-mêmes sontreprésentéessousformedeporteset/oudefenêtresquel’onpeutévidemmentouvrir, ou toute autre représentation visuelle provenant de l’imaginaire dupatient.Commes’ils’agissaitdevoisins–cesontlespartiesdesoi–quiseconnaissent,serespectent,mêmes’ilsnesontpastoujoursdumêmeavis,quisont capables de s’exprimer et d’interagir. Ainsi, le patient parvient plusfacilement à comprendre l’origine de ses émotions (toujours liées àl’événement vécu) en s’interrogeant sur le message qu’elles luicommuniquent.Attentifàcemessage,ilsauracommentagirentenantcomptedecequecetteémotionluiapprendsurlui.Grâceàcetteimageriementale,illui sera désormais possible, par exemple, de repérer des émotions quiappartiennent au passé et ne sont plus d’actualité. Il pourra comprendre lescontradictionsinternesqui,souvent,lemettentdanslaconfusion,toutcommeil sera enmesured’apprécier, outre la réalitéde sa complexité intérieure, lebien-fondédesélémentsquilecomposent,leurutilité,leurnécessité.Mêmesiles comportements que certains génèrent ne lui conviennent pas ouplus : ilpourra en identifier la fonction et, tout en la respectant, imaginer d’autresmoyensdelasatisfaire.Cartouteslescomposantesdel’êtrehumainontuneraison d’être, une fonction qu’il est essentiel de connaître, de comprendre.Cette étape permet surtout au patient de prendre conscience de sa richesseintérieure–luiquineressentaitqueduvide!

Développerl’estimedesoi

L’estimedesoinepeutexisterquesil’onseconnaît:commentpourrais-jeaimerunlivrequejen’auraispaslu?C’estpourcetteraisonquecetaspectdutravail thérapeutique, mieux se connaître, est essentiel : car sur quoidévelopperuneestimedesoitantquel’onsesentvide?Puisquel’estimedesoietlerespectquel’onseportesontinséparablesl’unedel’autre,ilfautbienque les patients aient acquis de bonnes raisons de s’apprécier.Lorsqu’ils seconnaissent mieux, ils commencent à entrevoir ce dont ils ont réellementbesoin : sortisde leur ignorance sureux-mêmes, ils abordentcettephasederetrouvaillesavecespoir.Mêmes’ilsrestentencoreunpeusceptiquessurcedroitaurespectdecequ’ilssont,mêmes’ilsnesontpasencoretrèssûrsdeleurvaleurpersonnelle.Ilssontdéjàtrèssoulagésdesavoirquecelaleurestpermisetque,pouracquérirdel’estimedesoi,ilconvientdesavoirdéfinirce

Page 167: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

«soi»uniquequ’est toutêtrehumain.Un«soi»certes imparfait,maisun«soi»avecquivivreenharmonie.« Tu es plein de secrets que tu appellesMoi », disait PaulValéry. Il est

tempsdelesdécouvriraulieudesouhaiterêtrequelqu’und’autre.Acquérirlacapacitédesedéfinir,dedécrirequil’onestentouteluciditéreprésenteuneavancéefondamentale.Connaîtresescompétences,sescapacités(quelsqu’ensoient les domaines) permet de développer une meilleure confiance en soi.Toutenadmettantaussiseslimites:nulêtreaumondenepeutpossédertousles savoir-faire, c’est rigoureusement impossible.Même si, au fil du temps,certains peuvent s’apprendre ou être perfectionnés. Au cours de cetterecherche,lesentimentd’impuissancegénéraliséediminue,d’autantplusquelethérapeutepeutinciterlespatientsàreconnaîtrequ’ilspeuventsemontrerefficacesdebiendesfaçonspourlesautres:pourquoialorsnepasmettreenœuvre leursnombreux talentspoureux-mêmes?Pourquoi alors continuer àcroirequ’ilsnedépendentquedesautres?Laconfianceensoicommenceàs’installer surun socle solideendécouvrant tous les savoir-fairequiont étémisenœuvreauserviced’autrui.Quandcen’estpas,cerisesurlegâteau,uneébauchedefiertéquilesgagneauregarddecequ’ilsontétécapablesdefaire.Cetteprisedeconscienceest trèsbénéfiqueetpermet,aufildesséances,deconstruireunsentimentdesoideplusenpluspositif.Lespatientsperçoiventqu’ils possèdent eux aussi une puissance personnelle qu’ils pourront utiliserpoureux.L’échecneseraplusleurterreur,pasplusquelejugementd’autrui:ils savent désormais qu’ils peuvent s’appuyer sur des compétences bienréelles.L’installation de la confiance en soi précède celle de l’estime de soi qui

pourra s’enraciner dans ce terreau de bonne qualité. Progressivement, lespatientsvontposersurcequ’ilssont,etnonplussurcequ’ilssaventfaire,unregardàlafoislucideetbienveillant.Lesdécouvertesvontsesuccéderàviveallure, avec lemême plaisir que s’ils apprenaient à connaître une personnequ’ils ne connaissaient pas et qui leur plaît de plus en plus : ses goûts, sescentresd’intérêtsetsesaspirations,sespensées,sesémotions,sesdésirsetsesbesoins. Ce qui n’empêche pas, au passage, de relever des traits depersonnalité peut-être moins plaisants et de les accepter car ils font partied’eux-mêmes tout autant que leurs qualités. Et comment pourraient-ilscomprendreetêtreenmesured’analysercequiestenpleinelumièrelorsqu’ilsignorentcequisetrouvedansdeszonesd’ombre?

Page 168: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Aucoursdelathérapie,lethérapeuteaideainsilespatientsàserapprocherd’eux-mêmes,àserencontrercommeonpeutretrouverunamiperdudevuedepuis très longtemps. Il ne s’agit pas de s’encenser mais bien plutôt derechercherensoileslieuxd’énergie,lesforcesquiontpermisàcesfemmesetàceshommesdesurvivremalgrétout,malgrédescarencesaffectivesgraves,malgré des traumatismes dont d’autres auraient pumourir par dégoût de lavie.Carmêmes’ils sontendépression,cequ’ilsontdéjàapprissureux,cequ’ilspressententeneux, les tirevers la sortiedece trop long tunnel. Ilestdonc davantage question d’une recherche de cohérence avec soi-même, defidélitéàsoietàsesplusprofondesaspirations.Ledésird’êtreaiméestonnepeutplushumain,maispasàn’importequelprix.C’estceprixàpayerquiestalors remis sérieusement en question : l’amour se donne, il ne semonnayepas.Commeilpeutserefuser:ilfautpouvoirl’accepterencomprenantquel’onpeutêtretrèsaimableetpasaimépartelleoutellepersonne.Cenouveauregardsursoivalepermettreet«l’approbationdesautresneserviraplusdeprothèseàl’estimedesoi89»,ceneseraplusnécessaire,ouplusdutoutdanslesmêmesproportions.Lespatientstrouveronteneuxlacapacitéàsupporterdenepastoujoursplaire.Quecesoitdanslavieprivéeouprofessionnelle,ledésirdereconnaissanceesthumain,maispastoujoursexprimé:ilfaudraalorssecontenterdecequel’onreçoitetcomblerlesmanquesens’octroyantàsoi-même cette approbation, cette reconnaissance. La dépendance diminue,l’estimedesoiseconstruitpeuàpeu.

Florencefaitlebiland’uneannée:«Leverreàmoitiévide:– j’aieu lapeurdemavie. Imaginant lepire, lamaladie, ladouleur, la

solitude;–unecolère,celledenepasêtreaimée.Sanscommentaires;–droguéedel’affect.Voilàbiencequejesuis.Avecparfois,l’impression

d’avoirjetémonorgueilavecl’eaudubain.UntransgènequejeportedansmonADN,issud’uncroisementavecuneserpillière;–cesentimentdenepasavancer.Quetoutemavieseracommecela.Une

Page 169: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

pageblanchequejen’arrivepasànoircir.Uneerrance;– toujours pas vraiment convaincue d’être totalement aimable. Un

paradoxe;– tropderetoursenarrière.Unevisionsévèredemonéducationquine

m’a pas laissé assez d’autonomie, une personnalité trop écrasée par lesdesideratademamère,tropsoumiseàsavolonté.Etvoilàdonclapersonnequejesuisdevenue:enretardsurlesautres(parcequesinon,biensûr,mavie aurait été tout autre, j’aurais été une guerrière, une battante, unewinneuse.Voilàquidonne,ensous-impression,uneidéedelalooseusequejemefigureêtre);– trop de nombrilisme. En même temps, je n’ai pas vraiment d’autres

directionsverslesquellesregarder…;– trop feignante. jeme laisse vivre. À tendre à la facilité, ilme semble

qu’on tend à la médiocrité. Plus d’exigence intellectuelle. Une grosseflemme.

Verreàmoitiéplein:–jemesuisréconciliéeavecmoncorps.Aprèsmonopérationdurein,j’ai

pris conscience que je pouvais lui faire confiance. Une libération. Ons’entendbienmieux,luietmoi;–jecommenceàpenserquejesuisquelqu’undebien.Selonmesvaleurs.

Mon intégrité.Oui, jemérite de bonnes choses.Oui, je suis quelqu’un debien;–unegrandeannéedevoyage:unretouràNewYork,glacé.Monfétiche,

mycity.UnretourprintanieràMadrid.Ola,Guapa!Unétéausoleil.Unautomne asiatique. La découverte du raffinement japonais. L’Asie. Unevisiondifférentedumonde.Unenchantement;–uneannéederencontres.Deuxhistoiresunpeusimilaires,maisavecdes

hommes/garçonsdifférents.Celachange.Celafaitavancer.Celamarqueaustabilo leserreursàéviter.Dusexe.Çafaitaussidubien,malgré tout,aumoral.»

Page 170: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Lesoietle«soiidéal»

Lesdépendantsaffectifspathologiquessesontlongtempsdétestésdenepascorrespondreà leur«soi idéal»,dene jamaisatteindre l’idéalgrandioseque leurs fantasmes avaient forgé en ignorantque les rêvesn’étaientpastoujoursadaptésàlaréalité.Idéalgrandiosedeperfectionen tout : aspiration tout aussi irréaliste qu’irréalisable. Alors, bienévidemment, l’écart entrecequ’ils croyaient être et cequ’ils auraientdésiré être ne les autorisait qu’à se rejeter eux-mêmes – tout comme,parprojection,ilsnepouvaientqu’imaginerlerejetparlesautres.C’estcequiarrivelorsquele«soiidéal»relèvedel’utopie,«cepaysoùl’onn’arrive jamais… ». S’il est on ne peut plus louable de vouloir seperfectionner, évoluer, il est illusoiredevouloir separerde toutes lesqualités,detouteslesvertus.Il est préférable de s’évaluer avec lucidité, avec les qualités et les

immanquables défauts et limites de la condition humaine. Comment,d’ailleurs, être en mesure de repousser des limites si nous ne lesconnaissons pas ?Comment pourrais-je déterminer ce qui est bon oupaspourmoisijenesaispascequimeconvient,sijen’aipasaccèsàmonidentitéprofonde?Commentsaurais-jedécouvrircequ’ilyadebonenl’autresijenereconnaispascequiestbonenmoi?Si l’idéal de soi représente un bon aiguillon pour se motiver à

avancer, à faire vivre ce qui existe en soi, il ne doit pas servir deréférencepoursejugernégativement.Jepeuxdire«Jeveuxdéveloppercettequalité»,maispas« Jen’yparviendrai jamais», sauf, j’insiste,s’il s’agit d’une ressource que je ne possède pas du tout et qui necorrespondenrienàmapersonnalité.Jenepeuxpasdevenirquelqu’und’autreetc’est trèsbien : lesdifférences interpersonnellesnepeuventqu’enrichir les relations.Lavieseraitbienennuyeusesinousn’étionspasuniques !Mieuxvautalorss’enaccommoderet s’appuyersursesressources,cellesenquinouspouvonsavoirconfiance.

Mieuxlespatientsseconnaissent,plusilssaventcequ’ilsveulent,cequ’ilsdésirent, ce qu’ils souhaitent. Moins ils subissent les autres. Ils cessent derépéterencoreetencorecepasséqu’ils tentaient,maisenvain,de fuirdansunequêted’amour.Car,cheminfaisantversl’estimedesoi,ilscomprennent

Page 171: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

que,poursemontrer loyauxenverseux-mêmes,respectueuxd’eux-mêmes– ce qui leur évitera bien des culpabilités existentielles, commenous l’avonsvu –, ils doivent être à l’écoute d’eux-mêmes. Tout comme ils apprennentqu’ils ne pourront plus, telles des girouettes, changer d’avis sur eux selonqu’ilsserontounonappréciésparl’autre.Ilssaventqueletrèshumaindésird’approbation et de reconnaissance ne doit plus tenir les rênes de leursémotions, décisions, comportements, et qu’il est plus important de tenircompted’eux-mêmesenpremierlieu.Ilssaventdepuisbienlongtempsqueledésirdeplaireàtoutprixestuntrèsmauvaisconseiller…Leurestimedesoiallantcroissant,leursanciennescroyancesporteusesde

rejetetdeméprisdecequ’ilssontnesontplusauxcommandes:lespatientsnecherchentplusà«confirmer»qu’ilsn’ontpasdevaleur, ilsquittent les«prédictionsautoréalisatrices»quilesconfortaientdansledésamourd’eux-mêmes.Nesedétestantplus, ilsvontcommencerà«vérifier»,grâceàdescomportementsdifférentsetunautremodedecommunication,quelemonde,lesautres,neleursontpashostiles.Lahonteden’être«que»cequ’ilssont,la culpabilité de n’être pas parfaits s’éloignent dans les brumes du passé.Croyantdavantageeneux,ilss’autorisent,enfin,àentrerencontactavecleursdésirs, leurssouhaitsetàen tenircompte.S’appréciant telsqu’ilssont,sansidéedegrandiosité,ilssaventqu’ilssontcapablesdeprendredesdécisionsenseprenantencompte,etdes’ytenir.Defairedeschoixsanslesregretter,desoutenirunediscussionsansseperdredansl’autre,de«prendreparti»poureux-mêmeslorsquec’estnécessaire,d’accepter lescritiquesquandellessontfondées et les désaccords. Le sentiment de leur valeur personnelle va sedévelopper après chaque victoire, chaque succès, et il ne s’effondrera pasdevantl’erreuroul’échec.Lebonheurdesautres,s’ilpeutcontinueràfairepartiedespréoccupations

des anciens dépendants affectifs pathologiques, n’est plus une obsessionpuisqu’ils ont abandonné, au cours de la thérapie, le perpétuel besoin dereconnaissance par les autres. Leur propre approbation, lorsqu’elle estjustifiée,leursuffit:elleconforterégulièrementl’estimedesoi.Iln’estplusnécessaire de se voiler la face, de sementir à soi-même ou de tenter de sejustifier aux yeux des autres : la spontanéité reprend ses droits. Surtout, lespatientsdécouvrent,sans tropvouloirycroiredans lesdébuts,que labonnerelationqu’ilsentretiennentaveceux-mêmes–ayantprisconsciencede leurrichesse en tant qu’être – leur permet d’apprécier les moments où ils sontseuls.Detrouverduplaisiràseretrouverenleurproprecompagnie.Unplaisir

Page 172: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

certain, même, de s’accepter tels qu’ils sont, sans se dévaloriser et sanshypertrophie duMoi, ce que je qualifie de boursouflure de l’ego – qui estparadoxalement le fait des personnes souffrant d’un grave complexed’infériorité…Ces patients savent désormais admettre et assumer leurs désirs et leurs

besoins:confiantsenleurpuissancepersonnelle,ilspeuventdéciderqueleurmission sur terre n’est plus de s’aliéner dans les désirs des autres.L’exploration clairvoyante de leur véritable personnalité les mèneprogressivementversl’intégritévis-à-visd’eux-mêmes.Loyauté,cohérence,intégrité : trois valeurs existentielles essentielles pour s’accepter (mêmelorsquelelongfleuvedelavien’estpastoujourstranquille)etsemotiveràseconstruirelameilleureviepossible.Troisvaleursdécoulantdirectementd’uneestimedesoisolide,mêmesiellepeutvarierparfois,seloncequel’onestentraindevivre.Lesamplitudesdecesvariationsneserontpastrèsgrandescarlesentimentbienintégrédesaproprevaleurpersonnelleconstitueunrempartpuissantcontrel’effondrement.Mêmedanslatourmente,lalibertédepenseretderessentirparsoi-mêmedemeure,toutcommel’idéequel’onestprécieuxd’abord à ses propres yeux et que notre devoir est de savoir nous protéger,nousménager.

Dunécessaireégoïsme

Au nombre des objections entendues au cours de ces thérapies, laplusfréquenteest:«Maisjevaisdevenirégoïste!C’estimpossible!»Pourtantilpeutêtretrèsutileetnécessairedeledevenir:s’occuperdesoi, savoir seménageret seprotéger,écouter sesémotionseten tenircompte, connaître ses besoins et ses désirs et chercher à les satisfairelorsque c’est possible représentent sans doute des attitudes et descomportementsquel’onpourraitqualifierd’égoïstes.Danslebonsensdu terme.Car si le fait de respecter son intégrité et sa loyauté enverssoi-mêmeestégoïste,soyonségoïstes!Silafidélitéàcequel’onestauplusprofonddesoiestégoïste,soyonségoïstes!Ilconvientdeparveniràbiendéterminercequel’onpeutfairepourl’autresanssetrahirsoi-même,sansfrôlerlalimitequiengendreraitdelacolèrecontrel’autre–quin’yseraitpourrien.

Page 173: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Pourquoi faudrait-il accorder davantage de valeur aux autres qu’àsoi-même ? Pourquoi faudrait-il accorder davantage de valeur auxdésirs des autres qu’aux siens ? À quel titre ? Au nom de quoi ?Serions-nousmoins importants que les autres ?Enquoi ?Pourquoi ?L’abnégationadurétroplongtemps:qu’a-t-ellerapporté?Dumalheuret de la colère à l’égard des autres, justement. Serait-il impossible des’occuperdesoiETdesautres?S’attacheràsespriorités,àsespropresbesoins et aspirations empêcherait-il de prendre en compte ceux desautres ? Mon expérience m’a toujours démontré que l’on ne peutvraimentapporterquelquechoseauxautresquedanslamesureoùl’onsait se respecter soi-même. L’estime de soi n’a rien à voir avecl’égocentrisme:ellen’exclutpasl’autre,toutaucontraire:elleautoriseun«savoir-vivreavec»debonnequalité.

Toutescesidées,nouvellespourlespatients,touscessavoir-faireetsavoir-êtrenes’acquièrentpasenun jour!Si, intellectuellement, ilssontassimilésrelativement facilement, il faudra du temps avant qu’ils ne soientdéfinitivement intégrésetmisenœuvre.Jedisrelativement,carcespatientsopposentsouventdenombreusesobjectionsàceschangementsderegardsureux-mêmes. Leurs arguments s’appuient sur leurs expériences d’échecsrépétésàlafoisdansleurrelationaveceux-mêmesetaveclesautres.Cequiest normal. La patience est un aspect très important dans leuraccompagnement vers cette forme de libération : les barrages érigés nonseulementsontsolides,maisilsontétérenforcésaucoursdeleurviepassée.Lemanquedefrontièresentrelesentimentdesoietlesproblèmesfaitquecespatients se sont trop longtemps confondus avec ces derniers. Comme s’ilsn’étaientquedesproblèmesetnondesêtreshumainsayantdesproblèmesàrésoudre.Ilestalorsquestiondeporterunautreregardsursoi:parlepassé,ils ont fait ce qu’ils pouvaient, persuadés qu’il leur était impossible d’agirautrement. Au lieu de continuer à s’en vouloir, il leur est proposé de seconsidérer avec tolérance et bienveillance car cette réhabilitation est unpassagenécessaireversl’acceptationdesoi,detoutcequilesconstitue.Cetteétape franchie, ils savent qu’ils doivent, quoi qu’il puisse arriver, demeurerfidèlesàeux-mêmesafind’éviterderetrouverleurvieilennemi:ledésamour.«Pour s’aimer soi-même, il est indispensabledesecomporterdemanièreàs’admirersoi-même90»:c’estcequ’ilsapprennentenconsolidantleurestime

Page 174: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

desoi.Ilsprennentainsiconsciencequ’ilnesuffitpasd’avoirdesdésirs:lavolonté de les prendre en charge – au moins en partie – est tout aussinécessaire.Ilsnesontplusdesenfantsenperpétuelleetvainedemande,maisdesadultesquisaventcomptersureux.Lavolontéetledésirs’unissentpourfaire des choix, bâtir des projets, construire leur présent au jour le jour, etl’avenir.Lorsque le soclede l’estimede soi est consolidé, ladépendanceaffective

estamoindrie,larelationavecsoi-mêmeaméliorée:lespatientspeuventalorsapprendreàconstruiredemeilleuresrelationsaveclesautres.

Construireunemeilleurevierelationnelle

Au cours de l’apprentissage précédent, les patients ont pu découvrirl’autocompassion,l’indulgenceàleurégardetl’acceptationdecequ’ilssont,avec ce qu’ils peuvent apprécier en eux et ce qu’ils aiment moins. Ayantrenoncéàlaperfection,ilssontdésormaisenmesuredetolérerl’imperfectiondes autres : d’être moins exigeants vis-à-vis d’eux d’autant plus que leursattentes ne sont plus les mêmes. Ayant admis leurs « faiblesses » – leurvulnérabilité liée à leur humanité –, ils les admettent plus volontiers chezautrui.Ilsontcomprisqueleurbonheurestd’abordenleurspropresmainsetque les autres ne peuvent qu’y contribuer.Débarrassés du lourd fardeau decetteobligationàlesrendreheureux,cesautresvontenfinpouvoirbénéficierd’un regard plus objectif sur ce qu’ils sont et ce qu’ils sont en mesured’apporter – qui ne sera en aucun cas un dû. Les patients apprennent lerenoncement à des idées et des croyances, qu’ils quittent parfois trèsdifficilement.

Lesrenoncementsnécessaires

Le tempsestvenude renonceràquelques illusionsquin’entraînaientquede graves désenchantements. Comme celle, dont l’abandon est douloureux,qui voudrait que l’on soit totalement compris par les personnes qui nousaiment,mêmecellesquinous aimentvraimentbeaucoup.C’est une illusioncar il est, nous l’avons vu, rigoureusement impossible de se mettrecomplètement à la place de l’autre. Bien sûr, ceux qui nous aiment ont

Page 175: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

compris beaucoup de choses sur nous, nous connaissent souvent très bien,maiscettecompréhension,cetteconnaissanceneseront jamais totales.C’estainsi.Mêmenosparents,mêmenoscompagnesetcompagnonsdevie,mêmenos meilleurs ami(e)s ne nous comprendront jamais comme nous lesouhaiterions. C’est bien pourquoi – étant les seuls à nous connaîtreréellement, en profondeur – il est essentiel de demeurer fidèle à soi-même.Personnenenousconnaissantmieuxquenous,personnenepeutnousdicterdefaçonpéremptoirenoschoix,nosdécisions,noscomportementsetencoremoinsnospenséesounossentiments.Nouspouvonsdemanderdesconseils,les écouter, y réfléchir, mais en dernier lieu, c’est nous qui décidons,choisissons – c’est nous qui agissons, pensons, ressentons. Même si nouspréféronssuivrelesavisd’unepersonnequenoustrouvonshabilitéeànousendonner,notreespacededécisionestmalgrétoutpréservé.Ils’agitdenous,denotre vie et personne, en dépit de toute sameilleure volonté, ne peut nouscontraindre à quoi que ce soit concernant notre vie. Car c’est nous quidéterminonsquelsensnousdonnonsàcequisepasse,c’estnousetnousseulsqui déterminons l’importance que nous attribuons aux situations que nousvivons, c’est nous qui, seuls, connaissons nos priorités. Bien évidemment,personne n’a réponse à tout et il est souvent conseillé de faire appel à des«experts»quisaurontnousguider.L’idée,ouledésird’uneautonomietotalen’est qu’une utopie et surtout le reflet d’une psychorigidité : nous avonsbesoindesautres.Cependant,c’estnotrechoixdefaireappelàeux:ilsn’ontrienàimposer.Unedépendanceinfantileàdesfiguresd’autorité,doncsurtoutà des valeurs parentales, n’a plus à guider les adultes : il est urgent derenonceràcequelesparentscomprennent«totalement»leursenfants.Celan’adviendra sans doute jamais. Il est illusoire aussi d’attendre de parentspossessifs, surprotecteurs et contrôlant qu’ils acceptent que leurs enfantsprennent leurenvolpourvivreà leurguise.Toutcommeilest indispensablede cesser de croire que les parents connaissent leurs enfantsmieux que cesderniers : si cette illusionest très rassurantepourdesenfants, elle l’estdéjàmoinspourdesadolescentsettoutàfaitobsolètepourdesadultes.Commeilestillusoire–etinfantile–aussidecroirequelesparentsvontchangerpourdevenir,enfin,cequeleursenfantsvoudraientqu’ilssoient.Enrèglegénérale,il est préférable de renoncer à tout projet de changement sur l’autre, lesautres…

Oxanna,37ans,s’adresseàsamère:«Maman,j’essaiedetetrouverdescirconstancesatténuantes: touteslesmèresfontdeserreurs, lestiennesne

Page 176: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sontsansdoutepaspiresquelesautres.Orsimamémoireaparfoiseffacéla trace de ma colère à ton égard, des faits toujours renouvelés viennentravivercettecolèrequidevraitpourtant,depuis le temps,êtrerangéedansun tiroir poussiéreux. Ainsi, je t’ai eue au téléphone trois minutesaujourd’hui,ettuboudais,tuboudaiscommetuassouventboudéquandtun’étaispascontentedemonattitude,car jenet’aipasdonnédenouvellesdepuis…quatrejours!Tumedisais:“Jenesuispascontentedecequetues,decequetufais,alorsjeboudepourquetusoiscequejevoudraisquetu sois…” Tu veux encoreme changer – alors quemoi je fais des effortspouraccepterquetunechangerasjamais!Tun’aimespascequejesuis:c’estaffreusementdouloureux,vexantetinjuste.Mon adolescence a été une lutte constante contre toi pour m’affirmer,

pour respirer. Je devais, telle une fée, rendre ta vie soudainementmerveilleuse.J’étaisnéepourêtreà taseuledisposition.Tunet’es jamaisinquiétée que de toi. Tu as tenté de me modeler, physiquement etintellectuellementpourêtrequelqu’unquin’étaitpasmoi.J’ail’impressionde t’avoir faithonte,à toi,mamère, toute lavie.En fait, je rayaismaviepour te faire plaisir. Je ne me souviens pas de tes compliments. Je mesouviensdetahonte.Etjen’avaispasledroitàl’erreur.Notreviedefamilleressemblaitàcelled’uncampmilitaire…Tu as lumon journal intime.Quand, après le bac, à 17 ans, j’ai voulu

partiràParis,tum’asdit:“Commentvas-tugagnertavie?Tunesaisrienfaire ? Tu veux quoi ? Te prostituer ?” Ton statut de mère suffit pour tedonnerraison.Etc’esttoujoursàmoiquetudemandesdetesoutenirquandtuesmalade,alorsquetuasunmari.Àsonsujet,tum’asditquetuauraisétéplusheureusesitunel’avaispasrencontré.Tum’asracontédeschosesque j’aurais aimé ne pas savoir. Tu t’es engueulée avec lui toute ta vie,violemmentparfois.Tusaismieuxquemoicequimeconvient,tusaismieuxquemoicommentmenermaproprevie.C’estdommagecarc’estlamienneetjenecomptepast’enfairecadeau.Jeregrettededevoirmettredeslimitesà ton emprise surma vie, de la distance, des bornes. Je refuse d’étoufferdavantage.»Uneautreillusionestàabandonner:celle,conservéedepuislatoutepetite

enfance, qui nous porterait à croire en notre omnipotence, notre toute-puissance.Lespatientsontpayétrèscher,émotionnellementparlant,decroirequ’il leur suffisait de se mettre au service inconditionnel des autres, de se

Page 177: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

sacrifieràeux,pourrecevoirdel’amourenéchange.Cettecroyancerelèvedelapenséemagiquedel’enfant:l’adultedoits’enséparerpoursedébarrasserd’unedépendanceaffectivepathologique.Silessouriresdupetitenfantontpuattendrir samère, il n’en va plus ainsi lorsqu’on est devenu grand !Lâchercetteformeutopiquedepouvoirsurl’autrepermetderelativiserl’impactquel’on peut avoir sur lui. Et si nous devons respecter notre intégrité et notrecohérence,ilnousfautaussirespecterl’intégritéetlacohérencedespersonnesquinousentourent.Silespatientsserespectent,ilssedoiventderespecterlesautres.Afindebriserlabouclederétroactionnégative91.Danslemêmeordred’idée,lespatientsrenoncentàl’illusionqu’ilspeuvent

avoiruncontrôle totalsurautrui–commel’avaient leursparentssureux-mêmes.Lavierelationnelle,pourêtreagréable,épanouieetépanouissante,sedoitd’être«égalitaire»:ellenedoitenaucuncasreprésenterunerecherchedepouvoirsuroucontrequelqu’un.Cetteformed’obstination,leplussouventpathologique, est à cepointmanipulatricequ’elle est laplupart du temps lefait des pervers narcissiques. Elle ne génère que des relations trèsdestructrices. Même si, trop souvent, pouvoir et force de caractère sontconfondus, bien à tort : la véritable force intérieure réside plutôt dans lerenoncementaupouvoiretlerespectdel’autre.Qu’avons-nousbesoindecepouvoirquinepeutenriensecompareràdel’amitiéoudel’amour?Sinonpourcompenseruncomplexed’infériorité…«Unchefestunhommequiabesoindesautres»,disaitPaulValéry.S’ilesthumaind’avoirenvied’aideretdesoutenirlesautres,celan’arienàvoiravecledésirdeprendrelecontrôle,surtouts’ilsledemandentetquel’onagitdanslerespectdecequ’ilssont.Iln’est pas question de chercher à les duper et de profiter de leur faiblessepassagère.Cequi est évidemmentpossible si l’onn’estpasdansun rôledeSauveur. Renoncer à contrôler l’autre, c’est devenir capable de refuser derendre un service, de dire « non », ou encore de se dire : « Ceci ne meconcernepas, jeneveuxpasm’enmêler !»C’est aussi arrêterde se sentirtotalementetsanscesseconcernéparcequevitl’autre,defaireleschosesàsaplacequandilpeuttrèsbienlefaire.Renonceràcontrôlerl’autre,c’estsavoirsedésengagerdesavielorsqu’ilnenousdemanderien.C’estalorscesserderechercher inlassablement desmarques d’approbation ou de reconnaissance.C’estquitterladépendanceetlacodépendance.Ilenvademêmepourlanotiondecontrôletotalsursoi.Quoiqueprônent

et espèrent certains, cette idée ne concerne pas l’être humain, d’autant plus

Page 178: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

qu’elle renvoie à la notion de perfection : autre illusion à lâcherdéfinitivement. Savoir se contrôler pour vivre avec les autres de façon«civilisée»estunechose,sedurcirtouslesmusclespour,peut-être,parvenirau contrôle total sur soi n’est sûrement pas compatible avec la nécessaireflexibilité qui permet de s’adapter aux personnes et aux situations.Incompatibleaussiavec l’idéeque l’êtrehumainest faillible :c’est l’unedeses définitions… L’on en reviendrait alors aux pratiques des dépendantsaffectifs pathologiques qui tentaient sans cesse de museler leurs émotions,leurs pensées, leur spontanéité. Ce qui correspondrait à l’inversion del’objectifdespatients.Jemesouviensd’unefemmequiétaitvenueàunstageque j’animais sur les émotions.Lorsqu’elle a compris qu’il s’agissait de lesaccepter et de les comprendre, elle s’est levée et, prenant ses affaires, s’estdirigéeverslaporteenmedisantsuruntonàlafoistrèsautoritaireetremplidecolère:«Moi,cequejevoulais,c’estapprendreàlescontrôlertotalement.Jen’aipasmaplaceici!»…Sans doute les patients ont-ils déjà renoncé à cette croyance qui les

persuadaitque lebonheurnepeutvenirquede l’autre. Ilya et ily auratoujours des limites à ce que l’on peut attendre d’autrui et il vaut mieuxprendre sonbonheur enmainplutôt quede tendrevers l’autreunplateau…qui ne sera jamais rempli comme on le voudrait. Un être humain ne peutdonnerquecequ’ilaetiln’estmêmepasobligédelefaire.Chacund’entrenous a ses limites, tout comme il possède un libre arbitre. Évidemment,sachant qu’il s’agit de dépendants affectifs pathologiques, cette notion delimite à ce que l’on peut faire pour l’autre peut paraître étrange, eux quidonnaient « tout » à l’autre. Pourtant, leur relation à eux-mêmes étant déjàconsidérablementréparée, ilssontenmesured’accéderàcerenoncement-là.Si douloureux soit-il. Car il les renvoie face à eux-mêmes et à leurresponsabilitéàleurégard.

Florence:«Aujourd’hui, jesuislafemmeseule.Quiauvudescheminstorturés et tortueux que j’empruntais, pourrait le rester.Qu’il est lourd lecheminquej’avaischoisi!Jepensaisquej’étaisfaiteainsi,atypique,horsnorme. Celle qui renvoyait aux femmes leur condition de mère et decompagne.J’étaislanuitaujour,jesuislaluneausoleil,jesuislameràlaterre, la célibataire face aux couples, la femme solitaire face à la famille.

Page 179: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Depuishier,j’oscilleentrelesriresetleslarmes.Jesaisqu’ilmefaudramedéfairedecertaineschoses…Lerenoncementappellelatristesse,non?Jefais pourtant leménage dansma vie, dansma tête. Le vide.Comme sousl’eau.Partantduprincipesimpleetefficacequetoutauneplace…etsicelan’enapas,celan’arienàfaireici.Avecmadernièrerencontre,j’aicommisl’erreurdetrop.Cellequidevraitfairequevoilà,c’estfini,jem’arrêtelà,jedescendsici.Jenepeuxm’enprendrequ’àmoi.Jenepeuxplusvivremavieainsi, une fille fragile dans une solide armure. Pas si solide… Alors j’aienfincommencécettefameuselettreàmonpère:“Cher,trèscherPapa,Longtemps, j’ai attendu que tu me regardes. Que tu me voies. Exister.

Longtemps, j’ai attendu d’exister pour toi, à tes yeux. Et je pourrais medemander si jen’attendspas encore.Longtemps je t’aiattendu,auproprecomme au figuré. J’aurais tellement voulu que tu me voies. Que tu meparles.Quej’existeàtesyeux.Commeuneenfant.Commeunêtrehumain.Commetafamille.Enfant,jenesaispascequejereprésentaispourtoi…Tafille,biensûr.Unecertaine idéede l’obligation,aussi.Mais toujoursdansunordresecondaire.Ausecondplan,surlaphoto.Avoir la place qui me revenait, voilà ce que j’aurais voulu. Ma place

d’enfant. Ma place de fille. Pas ce qui arrivait après ton boulot, tamaîtresse. Moi, j’aurais voulu arriver après Maman. Simplement. Jen’existais pas beaucoup lorsque j’étais enfant, mais lorsque vous avezdivorcé,j’aiétél’instrumentduchantage,unpionsurlejeud’échec.Etj’aiencore moins existé pour moi. J’existais pour vous. Alors, l’absence, lesilence, l’hommeoccupé, l’hommepas disponible, autant de signes que jereconnaistellementbien.Unvraidétecteur.Qu’onmemettedansunesalleavec cinquante hommes, je serai attirée par celui qui sera enmain. Pourmonmalheur.Alors,pourexisterauxyeuxdeshommes,j’aieubesoind’attirersurmoi

leregard,deprovoquer,denepasbaisser les yeux.Qu’est-cequiattire leplus le regard d’un homme chez une femme ? Sinon la sensualité, lasexualité?Et j’aiconfonduleschoses.Jemesuisditquel’hommequimeregardeestunhommequim’aime.Sanscomprendrevraimentqu’unhommequime regarde, c’est simplementunhommequiaenviedemoi.Pasplus.Pasmoins.J’aiconfondu.Jemesuisditqu’unhommequimeregardeétaitunhommepourquij’existe.Alorsj’existe.Moi.Danslesyeuxdecethomme.

Page 180: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Uninstant.Uncourtinstant.Etpuis…Etsijenedéfaispascenœud,jen’avanceraipas,jen’avanceraiplus.Ne

pas défaire ce lien, ne pasme défaire de cet état, de cette façon de faire,c’est renonceràunenouvellehistoired’amour.Unebelle et sainehistoired’amour.Aujourd’hui,j’ailechoix:lechoixderesteràvivreceséchecs,ceshistoires finies avant d’avoir débuté, le choix de continuer à m’écorcherpour des raisons qui ne sont plus tout à fait les miennes, parce qu’à unmoment donné dans ma vie de petite fille, je n’ai pas existé dans la vie,papa.Oualorsjechoisislecôtédelalumière,jechoisisdeneplusattendred’existerpourunhomme,pourêtrelapremièredanslecœurdecethomme,pourneplusaccepterd’êtrelaénièmemaisbiend’êtrelapremière,laseule.Je suis quelqu’un de bien. Je choisis d’être aimée pour ce que je suis,

pourcellequejesuis.Jefaislechoixdeneplusattendre.”»Ilconvientaussiderenonceràcertainesattentesimpossiblesàsatisfaire–

lesdéceptionsserontmoinsintenses,ellesneprécéderontpluslarancune,lafrustrationetlacolère.Ainsilesattentesvontêtre«revuesàlabaisse»:ellesseront plus facilement satisfaites car plus adaptées à chaque personne.L’étayagesursesparentsestnormal toutau longde l’enfance, l’étayagesurl’autren’estplusdemisedanslemondedesadultes.Sinon,c’estcetautrequiest encore et toujours fautif, responsable des problèmes. Ce qui est parfoisvrai,mais,àbienyregarder, trèsrarement.Pourparveniràcerenoncement,certainsdeuilss’avèrentnécessaires–ouàterminer–cequisignifieaccepterla réalité. Deuil de la mère idéale, du père idéal, de la famille idéale, duconjointidéal,del’amiidéal…Pouryparvenir(prenonsl’exempledelamèreidéale), je demande aux patients de réfléchir aux qualités et auxcomportementsqu’auraiteuunemèreidéale.Puisdecherchereneux-mêmess’ilspossèdentcesqualités,s’ilssontcapablesd’avoircescomportements.Leplussouvent,lesréponsessontpositives.Aprèscetteclarification,lespatientssont invités à mettre en œuvre l’ensemble de ces ressources – puisqu’ellesexistent–pourdevenirunebonnemèrevis-à-visd’eux-mêmesets’apporterce dont ils ont besoin.Cesser de le chercher ailleurs et d’être constammentdéçus.Cesserdelerechercherchezsesamis,sonpartenaire,sesenfants–qui,bientropsouvent,portentlesattentesdeleursparents,deleursgrands-parents,dans une chaîne malsaine entretenue depuis des générations. D’autant plusque : « Un enfant n’est pas une assurance contre la solitude ni lasouffrance92.»Apprendreàêtrepoursoiunebonnemèreetunbonpèreest

Page 181: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

uneétapeessentielledelathérapie.Ainsi,lespersonnesfaisantpartiedel’environnementhumaindespatients

sontacceptées,bienqu’imparfaites,nesontplusidéalisées.Savoirquel’onnepeutpas«tout»attendredesautres,qu’ilsonteuxaussideslimites,qu’ilsnepossèdent pas les réponses à tous nos problèmes, génère un apprentissage :l’acceptation de la frustration qui fait, aussi, partie de la condition de l’êtrehumain.C’estceque l’onapprenddès lapetiteenfance.D’autantplusqu’ilest impossible de concevoir une vie exempte de la moindre difficulté, dechagrins–entredeuxpériodesd’intensesatisfactionetdejoie.Lethérapeute,conscientdesfréquentsdilemmesvécusparlespatients,sedoitdelesguidervers l’acceptation de la nécessaire tolérance non seulement à la frustration,maisàlasouffrance.L’objectifdelathérapien’étantpas–cequiestexpliquédèsledébut–d’être«heureuxtoutletemps»,cequineveutpasdiregrand-chose,maisderécupérersapuissancepersonnelle.Lorsdel’expérimentationdeceschangementsd’attitude(tantvis-à-visdes

autresqued’eux-mêmes),lespatientspeuventêtreprisdedoutequantàleursréelles motivations : consciemment, ils sont pleinement désireux de cesimportants changements, tandis qu’inconsciemment, l’espoir de prolongerl’immaturitéaffectiverisquedepersister.Devenirresponsabledesaviepeutencore faire très peur. Le thérapeute doit se montrer très attentif et leurrappelerque«laculpabilitéexistentiellenaîtdel’omission:coupablesdeceque l’on n’a pas fait de sa vie93 ». Il leur rappelle les affres qu’ils vivaientavant d’entreprendre, avec un beau courage, leur thérapie. Il rassurerégulièrement les patients sur l’importance de ce nécessaire travail, sur lesnombreux avantages qu’ils retireront de ces renoncements successifs. Il lesinformedesdangersdesprophétiesdévalorisantes:«Jen’yarriveraijamais,ce n’est pas pour moi… », prophéties autoréalisatrices qui les ont tant faitsouffrir dans le passé. Séance après séance, ce travail thérapeutique lesrenvoie à une réalité qu’ils avaient depuis si longtemps bannie ou ignorée :l’obligation de ne compter que sur eux, de renoncer désormais à leursentiment d’impuissance, à l’apitoiement sur eux. Encore desrenoncements… Pourtant, grâce à eux, de nouveaux possibles apparaissentdanslecielbiencouvertqu’étaitleleur.Un autre renoncement – ô combien pénible – est à faire : il s’agit

d’abandonnerlacroyanceselonlaquelleleurmissionsurterreestdefairelebonheurdesautres.Toutcommeilsontlâchél’illusionqueleurbonheurne

Page 182: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

pouvaitvenirquedel’extérieur.Ilfautprendreletempsd’expliquerque,toutcommeeux,autruiestresponsabledesonproprebonheuretquel’onpeutyparticipers’ilenexprimeledésir.Maisquesademandeconstituelalimitedece qu’ils peuvent accomplir pour eux. « Mais alors, ma vie deviendrainutile!»,ainsipeutserésumerlapaniquequecerenoncementimplique.Car« être utile » est un besoin consubstantiel chez les dépendants affectifspathologiques.Orilnes’agitpasdecesserdel’être,maisd’apprendreàl’êtreà bon escient et en réponse à une demande – tout simplement pour éviterd’êtreintrusifcommepeutl’êtreunSauveur.Apprendreàêtreréellementutiletout en restant fidèle à soi-même, sans mettre dans l’ombre ses propresbesoins. La générosité, la sollicitude, l’empathie et la compassion sont debellesvaleurs:ilseraitbiendommagedelesgâcherparexcèsoupardésirdepossessiondel’autre.Nedit-onpasqu’ilestpréférabled’apprendreàpêcherplutôtquedepêcheràlaplacedel’autre?

«PrièreGestalt»deFritzPerls

«Jem’occupedemesaffairesettut’occupesdetesaffaires.Jenesuispasdanscemondepoursatisfairetesattentes.Ettun’espasdanscemondepoursatisfairelesmiennes.Tuestoietjesuismoi.Siparchancenousnoustrouvonsmutuellement,c’estmerveilleux.Sinon,nousn’ypouvonsrien.»

J’enarrivemaintenantauxrenoncementslesplusdouloureux,liésàceluideplaire,etquidébouchesurlaterreurd’êtrepeut-êtremoinsaimési l’onoseenfinquitterlesoripeauxdesancienscostumesendosséspourséduire,pourseconformer.Moinsaiméou,pire,neplus être aimépar certainespersonnes :l’on pourrait se demander s’il s’agissait vraiment d’amour… Crainte dedéplaire à ses parents. À la question : « Vont-ils moins m’aimer ? », jerépondrai :«S’ilsvousaimentvraiment, ilsvousaimeront toujours,comme

Page 183: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

vousêtes.»Ilsn’ontpasàdésirerlecontrôlesureuxenfaisantmiroiterunebelle récompense s’ils se soumettent.Ni lesparents sur leurs enfants, ni lesadultesentreeux,celavasansdire.Crainteaussidedéplaireàsesamis,àsoncompagnon de vie, à son entourage, alors que l’on sait tellement bien lesservir…Maiss’ilsnesaventapprécierquele«service»,quelleestlavaleurdeleurssentiments?Etquelleestlavaleurdessentimentsdeceluiquinesaitquesesacrifier?Tellementdequestions,tellementdepeurs…Car il s’agit bien là de renoncer « pour toujours » à la fusion, à la

dépendanceaffectivepathologique.D’accepterdesedétacherenexistant,dedevenirunindividuàlafoisséparéetreliéàd’autres:ils’agitd’unprocessus« normal » qui permet de se sentir une personne entière et complète.C’estainsiquel’onpeutacquérirl’autonomie,sachant,j’insiste,quel’indépendancetotale n’existe pas. Seul ce détachement permet d’accéder à la véritableintimité avec l’autre, dans le respect de l’intégrité de chacun.Car commentêtre intime avec quelqu’un si j’ai l’illusion qu’il fait partie demoi ? Seulsdeuxêtresséparéssontenmesuredeseréunir,d’allerl’unversl’autre.Cequiest valable en amitié et en amour l’est tout autant pour les liens tissés enfamille. Seule la qualité de la vie relationnelle est en mesure d’atténuergrandement la terreur de l’isolement existentiel. Seule la défusion peutapportercettequalité.Ledésird’êtreaiméestbienhumain,toutindividusurterre est dépendant affectivement, mais le besoin de fusion-totale-tout-le-tempsnepeutqu’éroderlesliensjusqu’àleurdisparition.Àl’inverse,sesentirlibre dans l’expression des attachements autorise leur approfondissement etgarantitleurdurée.Cette acceptation du détachement fait sourdre tant d’angoisses que le

temps est une aide très précieuse : tout se fera très lentement, trèsprogressivement, avec des moments d’arrêt pour rassurer le patient. L’idéemême de se détacher renvoie immanquablement à l’angoisse archaïque deséparation : il faut rassurer et rassurer encore sur le fait que l’on estmieuxaimé si l’on est séparé. Que l’on perd une forme de sécurité – illusoire enréalité –, que l’on y gagne en terme de capacité à mieux vivre. Il s’agitd’entamer ce travail de renoncement, qui s’apparente à un deuil, àl’acceptationdelaséparation–cequisepassedéjàlorsdelanaissancepuisàlafindelafusionavecsamère.Uneséparationquinevapassanspeinemaisquiautoriseral’apprentissaged’unesolitudebienvécue.N’est-onpasheureuxdeseretrouveravecsonmeilleurami?Devenircapabled’êtreseulavecsoi-mêmepermetunamourauthentiquepourl’autre.L’estimedesoiestbienlà:

Page 184: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

unemagnifiquevictoirepour lespatients. Ils sontdevenus leurpropremèresuffisamment bonne, l’autoparentage est un succès. Ils savent qu’ils sontaimés,qu’ilspeuventl’être.Accepter la séparation, le détachement, ne peut se faire que si l’on a su

construire des frontières efficaces entre son monde intérieur et le mondeextérieur.

Construiredesfrontièresextérieures

Lorsquelanotiondeséparation–quin’estenrienunisolement–estbienintégrée,lespatientssontaptesàreconnaîtrequ’ilssontdifférentsdesautres,uniquesenleursingularité.Capablesd’établirunenettedistinctionentreeuxet autrui pour ne plus se diluer, se perdre dans ces autres. « Être connectésignifieêtreenlien,avoirunerelation.Sionn’estpasséparé,onnepeutpasseconnecter94.»Lanotiondeterritoireesttoutaussiimportantechezlesêtreshumainsque

chez les animaux. Si ces derniers le marquent avec leurs odeurs, nousmarquons aussi le nôtre (sans le savoir) très tôt dans notre histoire. Lafonctiondelapartieducerveaunomméecerveaureptilien(carilnousvientdetrèsloin)estjustementdeprotégernotreterritoire.Ils’agitbiensûrdenotreespace personnel : le premier territoire physique étant notre corps quin’appartient à nul autre qu’à nous-mêmes. C’est pourquoi les punitionscorporellesconstituentdesintrusionsmajeuressurlecorpsdesenfants,c’estpourquoi les attouchements sont considérés comme des viols. Depuisl’enfance, nous défendons jalousement notre lit, notre étagère, notre tiroir,notrechambre,nosaffaires(vêtementsetobjetsdetousordres).Etnousavonsraison:ilyvadenotresentimentdesécurité.Sanscetespacepersonnel,nousnoussentonsendangeretpouvonstrèsvitedeveniragressifs.Cequiexpliquecertainscomportementspeucivilsdanslestransportsencommunoùl’onesttassé comme des bestiaux partant à l’abattoir, ou dans un petit appartementpartagéparunefamilletrèsnombreuse,oudansdesimmeublesoùlesbruitsdelavieprivéedesunsempiètentsurleterritoiredelavieprivéedesautres…Il en va demême pour ce qui concerne notre espace personnel cognitif,

psychologique et affectif : il nous faut le défendre contre toute formed’intrusion;sanspourautants’yréfugierdansunesortederepliquiexcluraitlescontactsaveclesautresetentraîneraituneformedesolitude«retranchée»

Page 185: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

peuvivable.Aprèstout,pénétrerchezquelqu’unparinfractionestpuniparlaloi.Nombreux sont celles et ceuxqui, ayant subi un vol de radio dans leurvoitureouuncambriolage,ontlesentimentd’avoir,disentils,«subiunviol».La protection du territoire physique relève du peu d’instinct qui nous reste.J’aimeraisévoquericicequej’appelle«l’apprentissagedelaportefermée».Tantjesuisconsternéelorsquej’entendsdesparentsmedirequ’iln’yapasdeporteàleurchambre!Qu’ilsdemandentàleursenfantsdenejamaisfermercomplètementlaportedelaleur!Qu’ilsnefrappentpasavantd’yentreroubien ils frappent et entrent sans attendre la permission ! Autant d’intrusionrelève du plus grand irrespect, même lorsqu’il s’agit d’enfants. «Mais il apeurdunoir…»:àquoiserventlesveilleuses,àquoiserventlesappareilsquipermettentd’entendrepleurerlepetitdanssachambre,danssonespace?Pasplustardqu’hier,unepatientemedisaitquemêmelaportedelasalledebainsne fermait pas, que ses parents pouvaient y entrer pendant qu’elle sedouchait !Sansparlerde laportedes toilettes…Toutcomme l’impudeuretl’exhibitiondescorpsquidéstabilisentles–mêmes–enfants…quisubissentainsidenombreusesinvasionsdansleurterritoiresousprétextequ’ilssontdesenfants.Cependant,carcesexemplesdécriventdesintrusionstrèsévidentes,iln’est

pastoujoursaiséderepérerles«franchissements»defrontièrescommisparlesautres–commenousnesommespasforcémentconscientsdesnôtres.Quipourraitqualifierd’intrusionlesimplefaitdedonnerunconseilsansqu’ilaitété demandé ? Qui pourrait qualifier d’intrusion le simple fait de posercertainesquestionsd’ordreprivé«parcequ’on s’inquiète et qu’on abesoind’êtrerassuré»?Lesdonneursdeleçonsdemorale,mêmedéguisées,savent-ils qu’ils sont intrusifs ? Avec les meilleures intentions du monde, nousrisquonsbiensouventd’envahirquelquepeuleterritoiredel’autre.Enréalité,nous n’identifions ces empiétements sur notre espace personnel qu’en étanttrèsdisponiblesàcequenousressentons.Etdoncunefoisquele«mal»estfait.Unefoisquenousressentonsdesémotionsdel’ordredelacolère,maissans toujours savoir vraiment pourquoi. Maintenant, vous le saurez : sansmêmequ’ilyaitundésaccordouunconflit, lacolèrepeutêtregénéréeparune intrusion dans votre territoire personnel invisible. D’autant plus quel’intimité autorise souvent ces entrées dans cet espace très privé. Lesfrontières ne sont pas toujours très claires. Dans de nombreux exemplesdonnés dans les parties précédentes, les différentes formes d’intrusion sontmultiples.Commecettemèrequi,encachette,metdespetitesannoncespour

Page 186: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

«caser»safille,oucellequi,sansleluidire,metuneannoncepourquesafille trouve un autre travail. Et tant d’autres, dans l’enfance – beaucoup deparentsdésirentque leursenfantspartagentaveceuxleurespacepersonnel :«Tumedisbientout,n’est-cepas?Tunemecachesrien,ceseraittrèsvilainde ta part », quand ils ne lisent pas leurs journaux intimes. Quand ils nemettent pas une pression insupportable pour le choix des études, voire dupartenaireenamour.Entredeuxadultesrecherchant lafusion, l’intrusionestconstante:«Onsedittout»enestlaphrasetype.La colère, comme la révolte, est nécessaire pour faire cesser toute forme

d’intrusion.Défendonsonpaysens’envoyantdesfleurs?«Laprotectiondenotrevieprivéenécessiteparfoisuneréactiondéfensivepleined’assuranceetparfois de colère95. » D’autant plus que cette saine colère peut s’exprimerdans le plus grand calme, un calme qui trouve sa source dans la certituded’êtredanssonbondroit.C’esttoutenotreattitudenonverbalequitransmetlemessage:«Propriétéprivée,défensed’entrersanspermission».Pluslesenfantsgrandissentetplus ilsont ledroitderefusernettementetfermementl’invasionparentale.Devenusadultes,cerefusestundevoir:parcequ’ilssontloyauxenverseux,parcequ’ilsserespectent.Ilssedoiventàeux-mêmesdelarefuser où d’en fixer les limites, ou encore de l’accepter si tel est leur bonvouloir. C’est à eux de décider. Ce qui n’équivaut pas, évidemment, à unedéclaration de guerre : il n’est question ici que de protéger son espacepersonnel.«Lebutdesfrontièresestdeseprotégerdumonde,denepasêtresubmergé par les émotions des autres ou des situations physiquement,mentalement,émotionnellementouspirituellementdangereuses96.»Comment affirmer que l’on aime quelqu’un si l’on veut lui imposer une

idée:«JetrouvetonenviedepartirseuleauJapontrèsinquiétante,tuferaismieux d’y renoncer… », une façon de faire : « Moi, à ta place, je m’yprendraisautrement»,modifiersespensées:«Tunepeuxpaspenserainsi,tutetrompes,tunesaispascequetudis»,cequ’ilressent:«Moi,àtaplace,jene seraispas si triste, tu as tort, tu sais…».Dequeldroit etpourqui seprend-on ? Toute forme de contrôle sur l’autre est intrusive. Certainespersonnesontlafortdésagréablemaniedefinirlesphrasescommencéesparlesautres:quelleprisedepouvoir!Etquelleintrusion!«Maisc’étaitjustepourl’aider,luimontrerquej’avaisbiencompris…»:mauvaisedécision.Si,enfin,laphraseestterminéeparceluiquil’avaitcommencée,lavéritétombecommeuncouperet:«Cen’estpasdutoutcequejevoulaisdire!»

Page 187: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Protégersonterritoire–afind’évitertouteatteinteàsonintégrité–consisteaussi à expliquerauxpersonnesde sonenvironnementprocheque l’onpeutavoir envie de solitude ou de silence à certains moments, sans que ce soitinterprété comme une bouderie ou le signe de mauvaise humeur. Cela nesignifiepasquecertainsdeleurscomportementsnenousplaisentpasouquecertaines paroles nous font souffrir. Ce territoire personnel (psychologique,mental,émotionnel)estceluidenotreidentité:ilreprésenteledernierbastiondenotremoiprofond.Ilgénère lesplusgrandescolères lorsqu’ilestenvahi.Franchement, entre nous, comment supportez-vous que des gens, mêmeproches, se mêlent de vos affaires ? À votre avis, comment les autressupportent-ilsquel’onsemêledesleurss’ilsnedemandentrien?Lespatientsquisouffraientd’unedépendanceaffectivepathologiqueétaientlesmeilleursenvahisseurs, lesplusdoués– leurquêteeffrénéed’amour lespoussaitdansles derniers retranchements des autres : leur espace personnel. Lerenoncement à la fusion et l’acceptationde la séparationvont les aider à sedétournerdecequiétaitchezeuxextrêmementspontanéettellementintrusif.Comme ils ont appris à trier ce qui était de leur responsabilité et ce quirelevaitdecellede leursparentsdurant leurenfance, il leur fautmaintenantdéterminer clairement ce qui leur appartient et ce qui appartient à l’autre.Séparercequiestleurpropreproblèmedecequiestleproblèmedel’autre.Cequiest leurpropreémotiondecequiest l’émotiondel’autre.Cequiestsurleurterritoiredecequiestsurleterritoiredel’autre.

Marie, 32ans, écrit à ses parents : «Maman, je voudrais exprimermasouffrance,etcelaaprèsquecesdernièressemaines,noussoyonsarrivéesàun point où nous ne pouvions plus communiquer. Je vais vous dire deschosesquejenevousaijamaisditesauparavant.Masouffrance,dis-tu,oui,ilyena.Elleestplusprécisémentexpliquéedansdeuxlettresquejevousaiécritesilyaplusd’unan,quejenevousavaispasenvoyéesjusqu’ici,pourvousménager.Jecroisqu’ilestbonmaintenantquevouslesreceviezetleslisiez,jelesaiajoutéesàcettelettredansl’enveloppe.Delasouffranceoui.Vous m’avez volé une partie de mon enfance. Oui, parce que la situationétaittellementcompliquéechezvous,entrevousdeux,qu’iln’yavaitpasdeplacepourquejem’exprime,quejetentedenouvellesaventures,quej’ailledécouvrir lemonde.Non,ma seule issueétaitde travailler, jeme répétais

Page 188: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

qu’ainsi, j’aurai lapaix,vousnem’embêteriezplusavecvosproblèmesdecouple,defamille.J’aisouffert,oui,j’étaisdanslapeurambiantedevosréactions,jen’étais

pasenconfiance,jetremblaisaumoindredevospas,portantmonattentionsurlesonqu’allaitfairelapoignéedugarageàvotreretour,cequiindiquaitplusoumoinsl’étatd’espritdanslequelvousétiez,particulièrementpourtoiMaman,dontjenesavaisjamaisdansquelétattuétais,aveclacraintequeçan’exploseàtoutmoment,sanssavoirpourquoi.J’avaispeurdefairetropde bruit, d’être vivante. Vos crises me laissaient paralysée, je faisais toutpourneplusfairedebruit,pournepasvouscontrarier,mesentantobligéederesteràvoscôtésparcequepasserdutempsavecdesamis,cen’étaitpaspossible,pourtoiMaman,surtout(interditd’êtrebienailleurs).L’extérieurétaitmauvais,ilfallaittoujoursseméfier.J’aiétévictimedevotresystèmeetjepensequevousavezvécusurmondos.Papa, jamais tu ne t’es dit que des enfants pouvaient avoir besoin

d’encouragements, qu’ils pouvaient être félicités quand ils réussissaient ?Nousréprimander,nousdemandertoujoursplus,ça,tusavaisfaire,maisjecherchequandest-cequetunousasfélicités.Jenetrouvepas.Etc’est toiensuitequimedisquejesuisperfectionniste!Onatentéd’enparlertouslesdeux de tout cela, il y a un an. Tum’as alors indiqué que tu avais touteconfianceenmoiàl’époque,quetusavaisqueje«réussirai»mesétudes.Maisalorspourquoit’es-tuacharnéàmebaratineraveclesgrandesécoles,X ? Combien de cauchemars ai-je fait quand, une fois arrivée à T., jeretournaisenprépa,parcequecetteécolen’étaitpasassezbien,qu’ilfallaità nouveau tenterX et tout cela avec la crainte de ne pas avoir une écoleaussibienànouveau?N’as-tupascomprisquejecherchaistonregard,tonadmiration,delareconnaissance,quejen’auraijamais?Pourquoicequeje faisaisn’était jamaisassezbien?Quede jalousie j’éprouvaisquand tuétaistendreaveclescousins,etjemedemandaisbiencequejedevaisfairepourquetulesoisavecmoi!J’étaisprêteàtoutpourquetumeregardes,mais j’ai le sentiment que tu ne semblais pas t’en rendre compte.L’éducation,c’étaitàladure,sansémotion,aveccommeuniqueobjectifdevie:réussiràintégrerunegrandeécole,gageensuited’unevieréussie.Jen’aipaslesouvenirdevousavoirentendudire:“Unjour,tutemarieras,ceseraunbeaumoment…Unjouravectonmari,vousferez lechoixd’avoirdesenfants…”

Page 189: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Àcroirequejen’aipasledroitdemieuxréussirmavieaffectivequelavôtre. Tout comme je n’ai pas eu la permission de mieux réussir ma vieprofessionnelle,degagnerplusd’argent.Maman,plutôtquedet’enréjouir,tulevismal.Jalousie?Aimer,n’est-cepasvouloirlemeilleurpourl’autre,lesentirépanoui,indépendant?Mais, effectivement, exprimer cela à vos côtés, c’était impossible, vos

disputesoccupaient tropl’espacedeparole,sanscompterque j’étaisvotreotage, quand Maman venait dans ma chambre pendant des heures, meracontersesdéboiresconjugaux,quejen’avaispasàécouteretàentendre,etquetoi,Papa, tupensaisplusà toiqu’àtesenfants.Quejamais tun’asdemandé à Maman de me laisser tranquille, tu ne me protégeais pas, tut’appuyaissurmoipourarrondirtoutcela.Non seulement votre fille a souffert,mais elle subit encore vos insultes,

vos reproches, vos tentatives de chantage affectif. Les enfants n’ont pas àêtre des clones de leurs parents. Normalement, ils doivent recevoir lapermissiond’êtredifférents,d’aimeretdes’épanouirailleurs.Vousvoir,meproposez-vous?Peut-être,quandMamansecontrôlera,car

maintenant,jeneveuxplusdesescrisesd’hystérie,c’estterminépourmoi.Je demande aussi que vous arrêtiez de jouer aux victimes, que vous vouscomportiezenparentsresponsables.Et,aupassage,cen’estpasparcequevous êtes des parents que vous avez forcément raison. Il serait temps quevousreconnaissiezvoserreurs.Ceque je veuxmaintenant, c’est que : 1)Vousme laissiez vivremavie

d’adulte,sanssouhaitercontrôlercequejefais;jeneveuxplusperdremonénergie avec vos problèmes, vos angoisses ; cette énergie, j’en ai besoinpourconstruiremaviede femme.2)Vousnevouscomportiezpluscommedesvictimes.3)Vousreconnaissiezvoserreursetmeprésentiezdesexcusespour vos comportements nuisibles, pendant mon enfance, car la victime,c’étaitmoi,etnonvous,commevoussemblezcroire.Sivoussouhaitezquenousnousvoyions,ilvafalloirquevousacceptiez

mes règles. Je ne connais pas bien vos enfances, même si j’en pressensquelques éléments, avec leurs conséquences dans nos vies. Je vous suisreconnaissante de m’avoir apporté du confort matériel, de m’avoir faitdécouvrir l’Europe,dem’avoiroffertdes séjours linguistiques,dem’avoirpayémes études àParis.Cela vous intéressera peut-être de savoir que jen’ai plus de troubles alimentaires, que jemangemaintenant de tout, sans

Page 190: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

crainte,sansangoisse,quej’airetrouvéunehygiènedeviesaineetstable,que j’ai des amis de qualité, et surtout, que je suis heureuse avec D.,d’autantplusmaintenantquenouspartageonsnotrequotidien.»Cet apprentissage ne peut exister sans rendre concrète la notion de

séparation:endécouvrirlesconséquencesdanslaviedetouslesjours.Pourclarifierlesterritoires(lesienetceluidel’autre), ilestplusfaciled’enfaireuneimage:deuxcerclesreliésparun«pont»représententdeuxpersonnes,ou plutôt l’espace personnel de deux personnes qui sont séparées etconnectées. Les cercles déterminent le tracé des frontières. Des frontièresperméables: lelienexistetoujours,toutcommelacommunication.Souvent,jeproposeauxpatientsd’imaginerqueces«bulles»possèdentuneporteetdesfenêtres,avecdespoignéesàl’intérieur.Illeurappartientdesemettreaureborddelafenêtrepourdiscuteravecl’autre,oud’ouvrirgrandlaportepourl’inviteràpartagersonintimité…Unebonnerelationavecsoipermetdefairetoutcequiestnécessairepourprotégersonterritoire,unesolideestimedesoiautoriseàenpréciser le tracé,à le rendreclair–pour soi-mêmeetpour lesautres – afin de s’y sentir en sécurité. Comme lorsqu’il s’agissait desfrontières internes, iln’estnullementquestiond’érigerdesmursentre soietlesautres:c’estlefaitdespsychopathes.Ils’agitsimplementdeclarifiersesfrontièresextérieuresqui,grâceauxouvertures,nesignifiepasl’exclusiondesnécessaires nourritures affectives. Bien au contraire, elles permettent de sesentirimpliquédanslaviedesautresendéterminant,enchoisissantleslimitesde cette implication, en autorisant les désaccords, en acceptant de ne pas«mettreàl’intérieur»desonterritoirelesémotionsdecertainsautresafindeconserverlelienaffectifexistantaveceux–l’onpeutconnaîtrelesémotionsd’autruisansnécessairementlesressentir:cen’estpasuneformed’amour.Ensupprimantaussicetétrangebesoind’avoirtoujoursraison.Maisenrefusantàautruil’autorisationdefairedescommentairessurvous(saufs’ilssontdouxàentendre), de vous critiquer quand vous ne leur demandez pas leur avis ou,pire,devousfairedesremarquesmalveillantes.Portesetfenêtresconstituentdesouverturesà l’autre,danstous lessensduterme.Uneécoute,unintérêt,pas unpoids que l’onvoudrait porter par je ne sais quel esprit de sacrifice,car:«L’hommenaïfétouffelesêtresqu’ilchéritdansl’écœurantcocondesabonnevolonté97.»

Florence:«Jereviensd’unséjourdansleMidi,unséjourpendantlequelforceaétédemesouvenirquej’étaislafilledemesparents,etquecertains

Page 191: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

schémassemblentimmuables.Jepensequ’iln’yaplusd’amourentremoietmamère, et l’obligation du devoir filial est dénuée de plaisir…Regagnermespositions. Savoirqu’àunmomentdemavie, j’ai eu trèspeur et que,dans un réflexe enfantin, jeme suis tournée vers ceuxqui auraient pumeprotéger, mes parents… Savoir depuis longtemps qu’ils n’en sont pascapables. Défaire ce nœud-là. Rapidement. Dire Merci et au revoir.Arrêter.»Il s’agit aussi, avec les frontières extérieures, de trouver un équilibre qui

prenne en compte le possible conflit entre respecter sa cohérence et sonintégritéetsesuradapteraudésirdel’autre,entreresterfidèleàsoietledésird’aider les autres, certains autres. Tout va dépendre de qui il s’agit, de lanaturedelademande(sansdemande,iln’yapasd’aidemaisduSauvetage),de sonenvied’yconsacrerde l’énergie, etdequellequantitéd’énergie l’ondisposeàcemoment-là.«Etlaspontanéité?»,medirez-vouspeut-être…Ehbien je vous répondrai qu’après tant d’années, dedécennies passées dans ladépendanceaffectivepathologique,lespatientsmisdanscetypedesituationdoiventparfoisprendreletempsderéfléchir.Leurspontanéitéleurajouétantdevilainstours…D’autantplusqu’ilnepeutexisterdevéritableempathie– l’aptitude à comprendre l’autre en décidant, pour un moment, de voir lasituationavecsesyeuxetnonpluslesvôtres–tantquel’ons’imaginedansl’obligation d’aider quelqu’un. Ce qui implique de sortir de l’égocentrismepour«sebrancher»surl’autre.Lespatients qui souffraient d’unedépendance affectivepathologique sont

désormaissortisdudénide leurréalité, ilsont réussiàconstruiredebonnesrelationsaveceux-mêmesetaveclesautres.Ilsvontmaintenants’engagersurlecheminquivalesmenerverslamaturitéaffective.

Verslamaturitéaffective

Grâceàleurtravail,lespatientsontmûri,grandi.Ilsacceptentd’entrerdansl’âge adulte, ce qu’ils refusaient, inconsciemment, jusqu’alors car ils seberçaient d’illusions qui dissimulaient leur grande peur d’avoir à devenirresponsables de leur vie. Ils laissent derrière eux un passé qu’ils ont pu, enpartie, réparer. Ils l’acceptentmalgré toutcequ’ilportaitcommesouffrance,malgré ses répercussions qui les ont longtemps détournés de leur véritablepersonnalité.Ilssaventqu’ilsnedoiventplusaliénerleurpaixintérieure,leur

Page 192: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

cohérence ni leur intégrité dans une vaine recherche d’approbation, dereconnaissance ou d’amour. Qu’il n’est plus question désormais de nes’attribuerquelquevaleurqu’enfonctionduregardquelesautresportentsureux.

Accepterlaresponsabilitédesavie

Le propre d’un individu adulte est de savoir se prendre en charge,d’assumersespensées,sesdésirs,sesémotions(toussesdésirset toutessesémotions dans le présent) et la façon de les exprimer. D’assumer sescomportements et leurs conséquences, tant sur lui-même que sur les autres.J’insistesurlefaitquelespatientssontenmesured’assumerleurssentimentsd’aujourd’hui,alorsqu’ilsnesontpasresponsablesdeceuxressentisdansleurpassé,maisbienplutôtde l’attitudequ’ilsdécidentd’avoirdésormaisà leurégard.Cequi impliquedesavoir réfléchirpourdévelopper laconsciencedesoi.Savoirceque l’onveutetceque l’on ressent,admettrequesesbesoins(qu’ilssoientd’ordreaffectifouémotionnel)neserontpastoujourssatisfaits,ou qu’ils doivent être différés. Être capable d’accorder aux autres lamêmelibertéd’êtrecequ’ilssont.Renonceràles«utiliser»pourleurpropreprofitmais devenir curieux de ce qu’ils sont vraiment dans leur entièreté afin demieux les comprendre. Et, s’ils le peuvent et le désirent, répondre à leursdemandes d’aide ou de soutien. Accepter, même si cela peut être parfoispénible, de décevoir, de déplaire, de ne pas être aimé sans se sentirabandonnéspourautant.Comptersureuxpourdonnerunsensàleurvie,enrestantàlafoisséparésetreliés,mêmesitouslesrêvesn’ontpasétéréalisés.Êtreenmesure,plutôtquedesedévaloriseraumoindre«ratage»,derepérerquelle était la fonction positive – la motivation, la peur ou le besoin àsatisfaire – de tel ou tel comportement inadapté à la situation. Se donnerledroità l’erreursansse fustiger.Sefaireconfiance :écoutersesémotions,lesnommer,comprendreleurmessage.Savoirs’appuyersursesressources,etparfoissurseslimites.C’est tout cela, et sans doute plus encore, prendre la responsabilité de sa

vie, décider de dépendre de soi-même tout en respectant autrui, tout ensachant accepter son aide et son soutien lorsque c’est nécessaire. Savoirprotéger ses frontières extérieures et tenir compte de celles d’autrui. Seconsidérercommeunepersonnepleineetentière,aussiimportantequetoutes

Page 193: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

les autres. Accepter de prendre leur part de responsabilité dans ce qu’ilsvivent, ce qui signifie cesser d’accuser le monde entier de leurs malheurs.Accepterdeprendreleurpartderesponsabilité,lorsquecelaestjustifié,dansla blessure faite à l’autre : être capable de réparer ou de s’en excuser. Etréciproquement.Comprendre labouclederétroactionde lacommunication :avoir conscience de l’impact de leurs comportements sur l’autre. Car il estessentiel d’intégrer l’idée que l’être humain, par ses comportements, peutsusciteraussibienlepirequelemeilleurchezsesinterlocuteurs.Ilestausside leur responsabilité de s’adapter – ou non – à ces derniers, et donc d’enassumerlesconséquences.Etréciproquement.Intégrerl’idéequel’onnepeutêtredifférentdecequel’onestetquel’onpeutévoluertoutesavie.Garderenmémoireque,grâceaureparentage, ilest toujourspossibledeseconsoleretqu’ilseraitdommageablederépondreauxdésirsdefusionquinemanquerontpas, dans lesmauvaismoments, de réapparaître.Des individus responsablesd’eux et de leur vie. Si « l’irresponsabilité est la clef de la jeunesseéternelle98»,ilconvientaussid’accepterquenousconstruisonsnous-mêmes,etpourlaplusgrandepart,notrevie,pourlemeilleuretpourlepire.

VousavezdéjàfaitlaconnaissancedeYalcinetdesapeurd’aimer,desonenfance douloureuse aussi. Aujourd’hui, il veut vivre sa « vraie » vie etabandonner son rêve de devenir « le plus grand footballeur, celui que tousaimentetadmirent».Ilrefusedevivreunjourdeplus«lemartyravecI.»:

«Jeveuxprendremonenvol,affirme-t-ilavecassurance,jeneveuxplusluiappartenir,jeneveuxplusêtresonpunching-ballousonboucémissaire,jeneveuxplussupportersoncontrôleperpétuelsurmoi.Mavieestcommeun livre dont les pages ne sont pas reliées : je prends les feuilles dans ledésordre mais je veux les remettre en place pour reconstituer le livre. Jen’écouteraiplussesjugementsetsescritiques–ellesemoquaitmêmedemareligion,“unereligiondemerde”,disait-elle.Jeneveuxplusêtresavictimecarjesuisentraindedécouvrirquijesuis.J’étaisbientropdépendantdesesidéesetsesjugements.Ellen’asuquedonnerdestitresàsespromesses,elle n’a pas su agir. Je ne lui obéis plus et jeme sens bien en disantmavérité:j’aiaccédéàmavieenparlantàI.demessouffrances.Ellen’apas

Page 194: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

lemonopolede l’enfancemalheureuse.Aujourd’hui, elle tentede résoudremesproblèmesmaisjeneluidemanderien.Jeluirefuselerôlequej’aisilongtemps joué : lavictime.Jereprendspossessiondemavie : j’aidonnémon temps aux autres au lieu de m’occuper de moi. I. me garde depuislongtempsauprèsd’elleparunchantageausuicide,décrétantquejen’avaispasd’autremissionque,jelacite,luiapporterdubonheur!Maisjesuisenpleinerévolutionet jeparviensàdireque jenesuisplusd’accord, jesaismaintenantluidirenon.Quand je l’ai rencontrée, j’avais la pêche, j’adorais danser. Puis j’ai

perdu l’envie de sortir, de rencontrer des gens. Je n’avais plus envie dedanser,jenefaisaisplusdesport.J’étaisdevenucasanier,triste,seulavecmonjointdusoirpourmedétendre.Avecelle,l’amourétaitungouffrequimefaisait tellementpeur!Mesparentsacceptent trèsbien ladistancequej’ai installéevis-à-visd’eux. Ilsmeregardentenfincommeunadulteetnetentent plus de me culpabiliser. Avant, je croyais que je devais sauver lemonde, être le meilleur de ma famille, sa fierté. Ce rêve n’existe plus.L’amour d’I. est tellement égoïste ! Je nem’en rendais pas compte, je luifaisais confiance. Jeme suis occultémoi-même : j’ai accepté sesœillèresparamour,c’estpourçaquej’aiacceptédesubir.Aprèsletravail,plusjem’approchaisdelamaison,moinsbienjemesentais.Iln’yapaslongtemps,j’aitrouvélecouragedeluidirequej’avaispeurdelamèrequ’ellepouvaitêtre.Detoutefaçon,nousneferonspasd’enfantensemble:depuisplusdecinqans,elleneparlequedeçaet jen’éjaculeplus.C’estmoncorpsquirefuse.Jemedonneencoredutemps,maisjesaisquemavieavecelleestentraindeseterminer.»Semontrer responsable de soi, c’est aussi accepter de devenir autonome

vis-à-visdesfiguresd’autorité,quifaisaienttellementpeur!Entoutpremierlieu ses parents. Quitte à leur déplaire, quitte à les contrarier : ils nechangerontsansdoutepas,maisvotreattitudelorsquevousêtesaveceux,ouen communication avec eux (qui, elle, a changé) leur démontrera que vousn’êtes plus un petit enfant que l’on peut contraindre et contrôler.Même sivous serez toujours et à jamais leur enfant, vous êtes désormais un enfantdevenu adulte, agissant comme tel. Tant qu’ils seront vaillants et en bonnesanté, vous ne leur devez rien. Si vous éprouvez de l’affection pour eux,agissez en fonction de ce qu’elle implique pour vous. Et acceptez laréciproque : ils ne vous doivent plus rien aujourd’hui. Et si le lien s’esteffiloché,quereste-t-il?Ilimportedel’analyserconsciemmentpourentenir

Page 195: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

compte. « En disposant à tout âge de la lucidité nécessaire, nous pouvonséviterdechanterencoreettoujourslesmêmeschansonstristes99.»Toutceciengardant enmémoire que le désir est souvent trop exigeant, tandis que lesouhaitestplussouple.Formulerunsouhait,c’estsavoirque,mêmeréalisteetréalisable,ilpeutêtredifféré,oujamaissatisfait,oumême…peusouhaitableenfonctiondecequel’onestetdel’environnementhumain.

Vanessa, 34 ans. « J.-C., il y a maintenant cinq ans que nous vivonsensembleetj’aiparfoisl’impressionquejenesaispluscequesignifieêtreunefemme.Tonégocentrismemedésespère.J’aitouttenté,toutessayépourte faire comprendre qu’un couple, ça nemarche pas comme ça, à la foischacundesoncôtéetmoiàtonservicequandçatechante.Jenetedésireplus depuis longtemps, tu ne penses qu’à ton plaisir, comme si j’étais unepoupée… Je me sens exploitée, physiquement, matériellement,psychologiquement,affectivement.Dansnotrevie,touttourneautourdetoi,detesidées,detesenvies,detesmuscles!Noussommestellementéloignésl’undel’autre!Pendanttoutescesannées,j’aieupeurdetoi,cartesmots,tes regards, tes gestes peuvent être si blessants, ils m’ont si souventblessée…Tumereprochesd’avoirprisdupoids,tucritiquesmesgoûts,mesfaçons de penser. J’ai petit à petit découvert en toi un petit tyrancomplètement imbu de sa personne, élitiste, vaniteux. Insupportable,agressif. J’ai passé des nuits entières à te parler, à t’expliquer : tu nem’entendspas,tut’enfiches.Commesiriennepouvaittetoucher.Parfois,tumefaistrèspeur,j’ail’impressionquetuesprêtàmefrapper.Jepréfèrevivre seule : j’en ai même besoin pourme retrouver. J’ai passé tellementd’années seule pendant mes études, j’ai l’habitude. Et puis là, c’est monchoix.Jetequitte,etleseulfaitd’écrirecesmotsm’apaise.Jean-PaulSartredisaitque«noussommescondamnésàlaliberté»:c’est

cequ’impliquelaresponsabilitédesoi.Unelibertéquifaittrèspeur,dontlesdépendantsaffectifspathologiquesnevoulaientsurtoutpas:ilslafuyaient.Ilsprennent conscience qu’il est temps pour euxmaintenant de la regarder enface, d’oser prendre le risque de s’y confronter, avec tout le cortèged’hésitations,dedoutes,d’essaiseterreursqu’ellecomporte.Sesentirlibrenesignifiepas croireque l’onpeut faire tout etn’importequoi, quandonenaenvie–mêmesic’estainsique l’onvitauPaysduJamaisJamais100…S’ilexiste,cen’estpassurnotrevieilleterre.Croireensaliberté,c’estarrêterdecroirequenotredestinnenousappartientpas,ouqu’ilexisteunefatalité–le

Page 196: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

fatum–quiconduiraitnospaslàoùnousnelevoulonspas.Nousnesommespasdesmarionnettes,nouspossédonsunlibrearbitre,noussommescapablesd’analyse, de réflexion. Et nous ne sommes pas omnipotents non plus. Lesmiracles de la pensée magique n’appartiennent qu’aux enfants… Être libreimpliquederefuserderesterdansl’ignorance.Êtreresponsabledesoi,c’estsavoirs’accordersuffisammentd’attention–

sans se noyer, tel Narcisse, dans le miroir – pour connaître ses véritablesbesoins,qu’ilssoientd’ordrephysique(s’occuperdesoncorps,leménageretle soigner), matériel, émotionnel, affectif, spirituel, etc. Il est essentiel desavoir de quelles nourritures affectives (notre besoin essentiel) nous avonsvraimentbesoinetfaireensorted’êtrerassasié.Cequiestvalablepourtouslesautresbesoins,danslamesuredupossibleettoutenrestantréaliste.Cequin’empêchera jamais de rêver, rassurez-vous. Mais il s’agit de cesser deconfondre le rêve et la réalité, de savoir distinguer quand nous sommes entrain de rêver notre vie et quand nous la vivons réellement. Cette prise enchargedesoiparsoiimpliqueunregarddifférentsursoiet,parconséquent,denouveauxcomportements,denouvellesattitudes.Carsanscettevolontédechanger,dequitterdeshabitudesnuisiblesàsoi-même,iln’yapasdelibertépossible.Danstouslesdomaines.Toutcommeilestnécessairederegarderlemondeetsoidans lemondesousdesanglesdifférents :pourenmodifier lesensdonnédans les tempsdifficiles.Ce regardnouveau,cetteattributiondesensencoreinéditevaengendrerdestransformationsdanslaviedespatients.Leursprioritésneserontplus lesmêmes, leurschoixnonplus,pasplusqueleursdécisions,leursorientationsdanslavie,leursprojets.

Bernard : « Je découvre que j’ai des envies sans en avoir peur. Jeparviensàm’affirmertoutenrestantserein.Onsemoquaittoujoursdemoi,enfant, quand je disais que j’aimais regarder les oiseaux… J’ai décidéd’allerlesvoirchaquevendredipendantlapausedudéjeuner.Finalement,c’esttrèssimple,ilsuffisaitquejeledécide.D’ailleurs,onnesemoqueplusdemoi,oualorsjen’yfaisplusattention:çam’estbienégal.Jen’aiplushontedemoi,demonphysique,dequijesuis.Jesaisdirenon(pasencoreassezàmongoût,maisc’esttoujoursmieuxquejamais),jesaisdirequandjenesuispasd’accordouencolère.Jenem’enfermeplusdanslesilence.Ilm’arrivemême, parfois, de frôler l’insouciance, la légèreté ! Je ne savaispascequec’était…Moiquiavaispeurdetoutlemonde,jedécouvre,dansmontravail,que

Page 197: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

j’aime beaucoup animer des séminaires, des groupes de travail. Les gensviennentversmoi…Jemesuisinscritàuncoursdedessin:c’estsuper…Jenesuisplusmalade,jedorsbien.Jediscequejepense,cequejeressens.C’estleplusdifficile,maisj’yprendsduplaisir.J’existe!Se savoir libre peut, vers la fin de la thérapie, effrayer les patients qui,

souffrant d’une sorte d’amnésie temporaire, ont oublié qu’ils ne sont plusimpuissantscommeils lecroyaientaudébutde leur thérapie,qu’ilspeuventquitterleurrôledevictimesanscraindrededevenirtransparentsauxyeuxdesautres.Qu’ilspeuvent,grâceàunevie relationnellenourrissante,compenserle sentiment d’isolement inhérent à toute vie, réalité à laquelle seule lamaturité affective permet d’accéder. Et l’accepter. Qu’ils se doivent à eux-mêmesdedéveloppertoutleurpotentielsommeillantdanslesprofondeursdeleurêtre.Etquecela leurdemanderadesefforts–dont, enfin, ils seront lespremiersbénéficiaires!–,qu’ilsconnaîtrontsansdoutedeséchecs,maisaussidesréussitesquilesremplirontdefierté.Ilspourrontseréjouirdetoutcequeleur vie leur apporte (en acceptant de n’être pas constamment comblés) etcesser de ne penser qu’à ce qu’ils ne possèdent pas, n’ont pas vécu, nepeuvent pas faire ou qu’ils ne seront jamais. Ils pourront utiliser leurculpabilité existentielle (pour n’avoir pas plus tôt fait fructifier tout lepotentielquiesteneux,pours’êtretroplongtempsdélaissés)commetremplinsurlequelrebondirpours’éveillerdavantageàcequ’ilssont,àcequ’ilssontcapables de faire pour eux, de vivre pour eux. Les patients sont désormaisconscientsqu’ilssontàlafoisresponsablesdusensqu’ilsdonnentàleurvieet aux événements qui la remplissent, et de leurs comportements dans leurfaçon de mener cette vie. Ce qui est essentiel dans leur thérapie dans lamesureoùellecontribueàchasserledésespoirliéàlaculpabilitélorsquel’ons’estmontrédéloyalenverssoi-même.J’aimeraisterminercechapitreparcettecitationqui,demonpointdevue,

le résume pleinement. « L’être de l’homme […] ne lui est pas seulementdonné:illuiestexigé.L’êtrehumainenestresponsable;ausenslittéral,ilesttenuderépondre,s’ilestinterrogé,surcequ’ilafaitdelui-même.Celuiquil’interroge est son juge, lui-même qui se tient devant lui. Cette situationgénèredel’angoisse,[…]quiestangoissedeculpabilité[…],derejetdesoioude lacondamnation. […]Dansces limites, il luiestdemandédefairedelui-mêmecequ’ilestcensédevenir,c’est-à-direderemplirsadestinée.Danstout acte d’affirmation de soi morale, l’être humain contribue àl’accomplissement de sa destinée, à l’actualisation de ce qu’il est

Page 198: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

potentiellement101.»Mûris, grandis, devenus des adultes responsables, les patients sont alors

prêtspourtenterl’aventuredel’amour.

Oserl’amourauthentique

Ledésird’unerencontrenaîtd’uneprojectiondansl’avenir.Unerencontreauthentique implique d’avoir renoncé à la séduction et à la résignation, aucontrôledel’autreetàson«utilisation».Renonceràséduiresignifieprendreconsciencequel’onestséduisant:lefairelaisselaplaceàl’être.C’estcequifaittouteladifférence,trèsqualitative.Renonceràlarésignation,c’estrefuserdesesoumettreàunequelconqueformedeprisedepouvoirsursoiparl’autre– refuser d’êtremanipulé, utilisé par l’autre. Une rencontre authentique estunerencontreoùl’onprendlerisquedesedévoiler,desemontrertelquel’onest–etden’êtrepastoujours«agréé»,cequineveutpasdirequel’onn’estpasaimableausenspremierduterme,maistoutsimplementquel’onneplaîtpasàcettepersonne-là.D’autantplusqu’ilserait inutiledechercheràplairetantquel’onneseplaîtpas:sinonle«mauvaisgoût»del’autreseraittropflagrantetsonintérêtsansvaleuraucune.Unerencontreauthentiqueimpliqueaussiquevousêtesprêtàécouterlapersonnequivousfaitface,quevousêtescurieuxd’elle,detoutcequilaconstitue.Comment,sinon,savoirquielleest,la connaître afin de faire naître une véritable attirance fondée sur cetteconnaissance – et non sur la peur d’être seul. Pour cela, il faut décider deprendredutemps…C’estleplusbeaucadeauquel’onpuissefaireàl’autreetà soi-même – à l’amour aussi. Décider aussi que vous êtes libre de ne pasaimer:unenouvellelibertéquivaconféreràl’amourunebellequalité.Car les sentiments humains ont une fâcheuse tendance à se confondre, à

notre plus grand dam. Il n’est pas toujours simple de distinguer le désir dubesoin de l’autre, ce besoin de l’amour, la peur de la séparation qui, à elleseule,n’estenrienunepreuved’amour,àl’instardelacodépendanceetdeladépendanceaffectivepathologique.Sansoubliercettecurieuseformedenon-amour qui voudrait que l’on aime parce que l’on est aimé… Le besoin del’autre n’existe que dans l’amour de l’autre : « J’ai besoin de toi car jet’aime », équation qui n’est plus de l’amour lorsqu’elle est inversée : « Jet’aimeparceque j’ai besoinde toi. »Parparenthèses, ceci est valable aussibienenamitiéqu’enamour.Commelespatientsnepouvaientpass’apprécier

Page 199: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

tant qu’ils ne se connaissaient pas, ils ne pourront pas entrer en amour (jen’aime pas le verbe « tomber » à ce sujet) sans cette connaissance, mêmepartielle dans les premiers temps, de l’autre. Bien sûr, ils pourront êtreamoureux, se sentir irrésistiblement attirés, selon l’expression de BorisCyrulnik. Mais ce sentiment amoureux ne constitue que les prémisses del’amourquinaîtd’uneconnaissancemutuelle.Ilyfautdelacuriosité,disais-je,maisaussideladisponibilité,beaucoupd’attentionetunevraiecapacitéàl’écoute, une écoute totale. Sansmettre de côté ce qui plaît moins, sans leminimiser et sans en faire non plus une « clause d’exclusion », enfin pasforcément,toutvadépendredequoiils’agit.Cetteouvertureàl’autre(sansapriori ni présuppositions) tel qu’il est, facilite grandement le dévoilement,progressifsic’estvotredésir,desoi.Toutensachantaussiqueleverbeaimern’estpaslesynonymeduverbeposséder…

Dequoiestconstituél’amourauthentique?

Chaquepartenairesesentresponsabledelarelationetilluitientàcœurderestervigilantafinquecequilacomposesoitpréservé,sachantque«l’amourmature constitue une modalité d’être en relation avec le monde102 » bienparticulière.Dequoiestfaitl’amourmature?• En tout premier lieu, du sentiment d’amour, d’affection, de tendresse

désintéressée:c’estlesocledelarelation.•Derespect, tant de soi tel que l’on est, que de l’autre tel qu’il est.Un

respect dans tous les domaines : physique, psychologique, affectif etémotionnel,mentaletspirituel.Unrespectdel’autredanssonidentitéunique,sa différence et son imperfection. Ce qui implique un désir toujoursrenouvelé de le connaître, dans tous ses aspects, son évolution, sesmouvementsdel’âme,sesaspirations.•Deconfiance,unélémentfondamental,quiautorisel’expressiondesoi,le

dévoilementdesoi.• D’aide, de soutien et de sollicitude, parfois même d’inquiétude

généreuse pour l’autre, qui permettent de donner du réconfort et de laconsolation, dans tous les domaines, autant que l’on puisse le faire.L’empathie et lacompassion trouvent leurvéritableplacedans cette formed’amour.Toutcommelafiertédel’autreestressentie,autorisantlafiertéde

Page 200: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

soi,lafiertéd’êtreaimé.•D’envie de donner, de plaisir d’aimer et de donner, et non d’attente

passive.Lemoteurn’estpaslebesoindesesentirexisteràtraversl’amourdel’autremaisdans la joiedudon,dansunmouvementque l’onsait initierdefaçon active. Car la vraie générosité suppose de savoir faire des efforts :l’altruismeauthentiqueestalorsrevalorisépuisqu’iln’attendrienenéchange.•Deplaisirdesplaisirs, dans toutes leursdéclinaisons : physiques,mais

passeulement.Intellectuels,sensoriels,émotionnels,spirituels…• Cette responsablité partagée, la réciprocité, qui s’attache à tous les

aspects de la relation, s’accompagne nécessairement de lucidité surl’évolutiondel’autre,lasienne,cartoutcequiestvivantestenmouvement.• D’enthousiasme, né de l’amour et de la volonté d’un développement

heureuxdelarelation.L’amourmaturedéveloppeledésirdecroissancepersonnelle–desoiet

del’autre,carilautoriseleséchangesaffectifsdésintéressés,dansunespiralequis’enrichitsanscesse.

Désirer une rencontre authentique signifie que l’on sait que « l’amouraccompli est une union qui implique la préservation de l’intégrité, del’individualité. Le paradoxe de l’amour résidant en ce que deux êtresdeviennent un et cependant restent deux103 ». Ce paradoxe est la premièrecondition pour qu’existe une véritable intimité entre deux êtres séparés etreliés.Lespatientsrestentcependantconscientsqu’ilssonteux-mêmeslimitésdanscequ’ilspeuventoffrir à l’autre, tout comme il existedes limites à ceque l’autrepeutdonner.Ledésird’absolus’effacedevant la réalitéde l’êtrehumainàlafoisfaillibleetlimité,maisqui,àl’intérieurdeceslimites,peuts’avérerunvéritabletrésor,unsujetd’émerveillement.L’entréeenamour,quia lieu dans cette partie que l’on nomme inconscient avant même que laconscience en soit réellement avisée, s’oppose totalement à l’autocentrage :ellepermetdes’extrairedesoi,parmoments,pourdonnerdutempsàl’autre,poursepréoccuperdelui,decequ’ilest,decequ’ildésireauplusprofonddelui, de cequ’il pense et de ses aspirations.Ainsi il se sent écouté,compris,honoré parfois, de la plus belle façon. Tandis que l’égocentrisme s’occupeexclusivement du désir que cet autre ressemble à ce que vous vous voulez

Page 201: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

qu’ilsoitplutôtqu’àcequ’ilest.L’amourauthentique,accompli,permetauxpatientsdevoirquiestl’autre:

le brouillard et les écrans de fumée installés par les peurs et les illusionsinfantilesontpresquedisparuducieldesamoursnaissantes.Jedispresquecarcetteentréeenamourdistilledelapeur:ellerenvoieauxséparationsvécueslorsdelanaissanceetde«l’apparition»duJeetduTu–lafindelafusionavecsamère.Sicesséparationssesontpasséesendouceuretenréassurancesur le fait d’être toujours aimé malgré elles, les amours balbutiantes neconnaîtront pas – ou si peu – cette peur. Mais le sentiment de sécurité acruellementmanquéà laplupartdespatientsquivont affronter ce retourdel’angoissedeséparationenmêmetempsqu’ilsdécouvrent l’amour.Cen’estpaspourautantqu’ilsdoivents’endétourner,surtoutpas!Ilsontpu,aucoursde la thérapie, construire des frontières entre le passé et le présent, entre leprésentet le futur : ilssontalorscapablesde«ranger»cetteangoissedansuneboîteposéesuruneétagèredelabibliothèquedeleurviepassée.Ilsnelaprojetterontpassurleuravenir.Durantlathérapie,endécouvrantcequiétaitcachédansleszonesd’ombre,

les patients ont appris la bienveillance à leur égard (pas le laxisme), et leurtolérancevis-à-visd’eux-mêmeslesconduitàadopterlamêmeattitudefaceàl’autre. Ils sont conscients que l’amour de l’autre n’a pas pour fonction deréparer leurs carences affectives, ou de panser les nombreuses blessures detoutessortes :qu’il s’agissede laconfianceensoi,de l’estimedesoioudunarcissisme.Ilsontlâchélesillusionsquilespoussaientàconfondreunamourdit«romantique»fondésurlafusion,ouunattachementfondésurlapeuretle désamour de soi avec l’amour authentique. Ils ont appris qu’ils nepouvaient à la fois aimer quelqu’un et espérer qu’il devienne quelqu’und’autre, qu’il change. «Entre le Je et leTu, il n’y a ni buts, ni appétits, nianticipation ;et lesaspirationselles-mêmeschangentquandellespassentdel’image rêvée à l’image apparue. Tout moyen est obstacle. Quand tous lesmoyenssontabolis,alorsseulementseproduitlarencontre104.»Oser l’amour authentique, c’est accepter de vivre une merveilleuse

aventure : l’espoir et le désir procurent le courage nécessaire aux effortsconsentispourtraverserensemblelesdéconvenuesetlesdifficultésdelavie.Est-il utile d’ajouter qu’ils en valent la peine ? Et l’aventure est toujourspossible.Avant de conclure ce livre, je voudrais partager avec vous cet hommage

Page 202: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

magnifiquerenduparl’écrivainAmosOzàl’artd’aimerdesongrand-père.«Ilnefaisaitpassemblantparpolitessetoutenrongeantsonfrein.Il n’interrompait pas son interlocutrice en terminant impatiemment ses

phrasesàsaplace.Ilnelacoupaitpasetn’intervenaitpaspourrésumersapenséeetpasserà

unautresujet.Il ne la laissait pas parler en l’air, profitant de l’occasion pour préparer

mentalementsaréponse.Il ne feignait pas un intérêt ou un plaisir qu’il éprouvait réellement : sa

curiositéétaitinsatiable.Ils’intéressaitdetrèsprèsàsapartenaire.Ilseplaisaitàl’attendre,etmême

sielleprenaitsontemps,ilpatientaitensedélectantdesesva-et-vient.Il ne la houspillait pas. Ne la bousculait pas. Il la laissait achever, après

quoi,loindeseprécipiter,ilfaisaitdurerleplaisir:Yenaurait-ilencoreunpeu?S’illuivenaituneautrevague?Il aimait qu’elle lui prenne lamain pour le guider, à son rythme. Il était

contentdel’escorter,commeuneflûteaccompagnantunemélodie.Il était heureux de la comprendre.De s’informer.De savoir. Il voulait la

connaîtreàfond.Etdavantage.Ilaimaitsedonner,plusencorequ’iln’appréciaitsonabandonàelle.Elle

lui parlait tout son soûl, lui confiant les détails les plus intimes, secrets etsensibles,confidencesqu’ilécoutaitavec intelligence,douceur,sympathieetpatience.Avecplaisiretémotion.Quantité d’hommes aiment le sexe tant et plus, mais ils haïssent les

femmes.Mongrand-père,mesemble-t-il,aimaitlesdeux.Avectact:ilnecalculaitpas.Ilnesubtilisaitpassondû,ilnesehâtaitpas.

Ilaimaitnaviguersanssepresserdejeterl’ancre105.»

Page 203: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Conclusion

«Lesindividusobéissantàunemotivationdecroissancen’établissentpasdesliensfondéssuruneperceptiondesautrescommepourvoyeurspourleursdifférentsbesoins,maislesconsidèrentcommedesêtrescomplexes,uniquesetentiers.»

Page 204: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

IrvinYalomParvenue à la fin de cet ouvrage, je voudrais insister sur le fait qu’il est

possible,grâceàlapsychothérapie,deselibérerducarcaninvivablequ’estladépendanceaffectivepathologique.Dereprendrepossessiondesoiet,enfin,de connaître des relations avec les autres aussi enrichissantesqu’épanouissantes.Sur le fait aussiqu’il estpossible, après la réconciliationavecsoi,dedonnerunsensàsavieenétantmoinsfocalisésursoi-même:enétant curieux de s’ouvrir aux autres et au monde, en sortant de soi pourparticiperdavantageàlaviequiestautourdenous,s’yimpliquerenfonctiondesesvaleursprofondesetdesesaspirations.Car«lesensdelaviesetrouvedans l’opportunité que nous avons de produire ou de contribuer à quelquechose qui nous dépasse, […] qui fait appel à toute la noblesse latente del’individuetluioffreunecauseàlaquelleseconsacrer106.»Je ne doute pas que les patients puissent découvrir ce qui sommeillait en

euxdepuisleurpetiteenfance:unevraiegentillesse,mêmes’ilssesonttroplongtemps fourvoyés en la confondant avec leur quête. Une gentillesseauthentiquequiestl’unedesplusbellesqualitésdel’êtrehumain.Ilm’arrivesouvent de la voir à l’œuvre chez mes proches et j’en suis à chaque foisémerveillée.Cettegentillesse-làn’al’airderien,restediscrète.Elleestfaited’écouteattentiveconstante, sansenavoir l’air ;depetits actesquipeuventéclairer chaque journée…Elleest faitede souriresetdedouceur,d’humourtendreetd’attention.Elleestjoyeuseouinquièteselonlescirconstances,elleesttoujoursprésente,quoiqu’ilpuissesepasser.Elleestfaitedepetitsrituelscommede surprisesheureuses,de regardscomplicesetdeparoles jolies,delarmes partagées et de joies toutes simples. Elle trouve sa source dans laprofondebonté,dansunaltruismequisaitoubliersespropresbesoinslorsquec’est nécessaire. Qui sait aller au-devant de la demande d’aide si elle estévidenteetpénibleàformuler,sansexigencederéciprocité.Carelleestfaiteaussideconfiance.Niintrusionnibesoindecontrôle,elleestrespectueusedusecretetneforce

pas la confidence. Elle sait attendre pour consoler, réconforter, encourager,valoriser. Elle est tolérante et bienveillante, attendrie devant l’erreur ou lamaladresse.Ellesaitriredecequin’estpasgrave,pleurerdevantladouleur.Ellesaitseconder,soutenirdanslesprojets,s’intéresserauxgoûts,auxdésirs.Ellesaitdonnertoutcequ’elleaàoffrir,avecbonheuretintelligence,tactetfinesse.Ellen’exige rien :ni louangesnicompliments,et sait recevoir.Elle

Page 205: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

estdévouéesansexcès,sansfioritures.Elleestengagement impliciteenversl’autre.Ellen’apasbesoind’êtreclaméesurlestoits:illuisuffitd’être.Illuisuffit d’avoir confiance en elle, instinctivement. Elle ne répond à aucunecontrainte, elle n’obéit à aucune loi, céleste ou terrestre. Elle est libre etlibrementconsentie,n’adecomptesàrendreàpersonne.Ellen’espèrepasleparadis. Elle n’est pas charitable : elle est gentillesse.Elle est – et cela luidonnelameilleureraisond’exister.

Page 206: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Bibliographie

ABRAHAMNicolas,TOROKMaria,L’Écorceet leNoyau,Flammarion,1987.ADÈS Jean, LEJOYEUX Michel, Encore plus ! : sexe, travail, argent,

OdileJacob,2001.AÏNJ.,Transmissions,liensetfiliations.Secretsetrépétitions,Érès,2003.ANCELIN-SCHÜTZENBERGER Anne, DEVROEDE Ghislain, Ces

enfantsmaladesdeleursparents,PetiteBibliothèquePayot,2005.ANDRÉ Christophe, LELORD François, L’Estime de soi. S’aimer pour

mieuxvivreaveclesautres,OdileJacob,1999.AUBERT Nicole, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps,

Flammarion,2003(aveclacollaborationdeChristopheRoux-Dufort).BADINTERÉlisabeth,XY–Del’identitémasculine,OdileJacob,1992.BARRAL,W.,FrançoiseDolto,c’est laparolequi faitvivre.Unethéorie

corporelledulangage,Gallimard,2003.BEATTIEMelody,Vaincrelacodépendance,J.-C.Lattès,1991.BENSAÏD Catherine,Aime-toi, La vie t’aimera. Comprendre sa douleur

pourentendresondésir,RobertLaffont,1992.BERGERONHenri,L’État et la toxicomanie : histoire d’une singularité

française,PUF,1999.BLYERobert,L’Hommesauvageet l’enfant.L’avenirdugenremasculin,

LeSeuil,1992.BOWENM.,LaDifférenciationdesoi,ESF,1984.BOWLBYJohn,Attachementetperte,PUF,1978.CORNEAU Guy, Père manquant, fils manqué. Que sont les hommes

devenus?,Éd.del’Homme,1989.CORNEAUGuy,LeMeilleurde soi,RobertLaffont, coll. «Réponses »,

2007.CORNEAUGuy,N’ya-t-ilpasd’amourheureux?Commentleslienspère-

Page 207: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

filleetmère-filsconditionnentnosamours,RobertLaffont,coll.«Réponses»,1997.CYRULNIKBoris,Souslesignedulien,Hachette,1989.CYRULNIKBoris,Dechairetd’âme,OdileJacob,2006.DAMASIOAntonio,L’ErreurdeDescartes.Laraisondesémotions.Odile

Jacob,1995.DAMASIOAntonio,Spinozaavaitraison:joieettristesse,lecerveaudes

émotions,OdileJacob,2003.DOLTOFrançoise,LaCausedesenfants,RobertLaffont,1985.DOLTOFrançoise,InconscientetDestin,LeSeuil,1988.DOLTO Françoise, Tout est langage, Gallimard, coll. « Folio Essais »,

1994.DUMASD.,Sanspèreetsansparole.Laplacedupèredansl’équilibrede

l’enfant,Hachette,1999.EHRENBERGAlain,L’Individuincertain,HachetteLittérature,«Pluriel»,

1995.FERENCZI Sandor, L’Enfant dans l’adulte, Petite Bibliothèque Payot,

2006(préfacedeSimoneKorff-Sausse).FERENCZI Sandor, Sur les addictions, Petite Bibliothèque Payot, 2008

(préfacedeCatherineAudibert).FERENCZISandor,L’Enfantetlemondeextérieur.Ledéveloppementdes

relations,Payot,1972.FERENCZISandor,Processusdematurationchezl’enfant.Développement

affectifetenvironnement,Payot,1970.FERENCZI Sandor, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant,

Payot,2004.FERENCZISandor,Journalclinique,Payot,1985.FORWARD Susan, Le Chantage affectif. Quand ceux que nous aimons

nousmanipulent,InterÉditions,1998.FORWARDSusan,Parents toxiques. Comment échapper à leur emprise,

Marabout,2007.FRANKLVictor,Raisonsdevivre,Éd.duTricorne,Genève,1993.

Page 208: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

FROMMErich,L’Artd’aimer,DescléedeBrouwer,2007.GLOVERRobertA.,Tropgentil pour êtreheureux.Le syndromeduchic

type,PetiteBibliothèquePayot,2005.GUADENEYNicoleetPatrice,L’Attachement,Masson,2006.GUY-GILLETG.,LaBlessuredeNarcisse,AlbinMichel,1994.HARRUS-RÉVIDI G., Parents immatures et enfants adultes, Petite

BibliothèquePayot,2004.KILEYDan,Le Syndrome de Peter Pan. Ces hommes qui ont refusé de

grandir,OdileJacob,coll.«Poche»,2000.KLEINMélanie,LaPsychanalysedesenfants,PUF,1959.KLEINMélanie,RIVIÈREJean,L’AmouretlaHaine,PetiteBibliothèque

Payot,1984.KLEINMélanie,RIVIÈREJean,LaPsychanalysedesenfants,PUF,1959.KORCZAKJanusz,Commentaimerunenfant,RobertLaffont,1978.KORCZAKJanusz,LeDroitdel’enfantaurespect,RobertLaffont,1979.LEMAYMichel,J’aimalàmamère,Fleurus,1979.LEWISRoy,Pourquoij’aimangémonpère,PressesPocket,1998.LEDOUXMichelH.,Dictionnaireraisonnédel’œuvredeFrançoiseDolto,

Payot,coll.«Désir»,2006(préfacedeJ.-D.Nasio).LOWENSTEIN William (Dr), Ces dépendances qui nous gouvernent.

Comments’enlibérer?,Calmann-Lévy,2005.MAYR.,LeDésird’être,Épi,1973.MAYR.,Psychologieexistentielle,Épi,1971.MAYR.,Amouretvolonté,Stock,1971.MEMMIAlbert,LaDépendance.Esquissepourunportraitdudépendant,

Gallimard,coll.«Folio-Essai»,1979.MILLERAlice,Notrecorpsnementjamais,Flammarion,2005.MILLERAlice,L’Enfantsousterreur.L’ignorancedel’adulteetsonprix,

Aubier,1986.MILLER Alice, C’est pour ton bien. Les racines de la violence dans

l’éducationdel’enfant,Aubier,1984.NAOURIAldo,Éduquersesenfants.L’urgenceaujourd’hui,OdileJacob,

Page 209: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

coll.«Poche»,2009.PALMEREllen,LesFrontièresdanslesrelationshumaines.Pourêtresoi

etensemble,séparéetconnecté,InterÉditions,2008.PINKOLAESTÈSClarissa,Femmesquicourentavec les loups.Histoires

etmythesdel’archétypedelafemmesauvage,Grasset,1996.RANKOtto,Volontéetpsychothérapie,Payot,2002.RANKOtto,LaVolontédubonheur:au-delàdufreudisme,Stock,1975.REYNAUDMichel,LesPratiquesaddictives,OdileJacob,2000(encoll.

avecP.-J.Larquet,G.Lagrue).REYNAUDMichel,Cannabis et santé, Flammarion-Médecines-Sciences,

2004.REYNAUDMichel,Médecineetaddictions,Masson,2005 (en coll. avec

D.BaillyetJ.-L.Venisse).REYNAUD Michel, L’Amour est une drogue douce… en général,

R.Laffont,2005(encoll.avecC.Siguret).REYNAUDMichel,Traitéd’addictologie,Flammarion,2006.TISSERONSerge,Vérités et mensonges de nos émotions, AlbinMichel,

2005.VAN DER BROUK Jeanne,Manuel à l’usage des enfants qui ont des

parentsdifficiles,LeSeuil,coll.«PointVirgule»,1979(préfacedeFrançoiseDolto).VIORST Judith,LesRenoncements nécessaires pour devenir adulte. Tout

cequ’il fautabandonneren routepourdeveniradulte,RobertLaffont,coll.«Réponses»,1988.VIORST Judith, Renoncez à tout contrôler !, Robert Laffont, coll.

«Pocket»,2003.WHITFIELD Charles L. (Dr), L’Enfant intérieur. Découvrir et rétablir

l’enfantensoi,Éd.ModusVivendi,1993.WINNICOTTDonaldW.,LaMèresuffisammentbonne,PetiteBibliothèque

Payot,2006(préfacedeGisèleHarrus-Révidi).WINNICOTTDonaldW.,LeBébéetsamère,Payot,1997.WINNICOTTDonaldW.,LeProcessusdematurationchezl’enfant,Payot,

1996.

Page 210: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

WINNICOTTDonaldW.,Conseilsauxparents,Payot,1995.WINNICOTTDonaldW.,Jeuetréalité,Payot,1971.WINNICOTTDonaldW.,L’Enfantetsafamille,Payot,2002.WINNICOTT Donald W., Agressivité, culpabilité et réparation, Petite

Bibliothèque Payot, 2004 (introduction rédigée par les traducteurs anglaisMadeleineMichelinetLynnRosaz).YALOMIrvin,LeBourreaude l’amour.Histoires depsychothérapie, Éd.

Galaade,2005.YALOMIrvin,Mensongessurledivan,Éd.Galaade,2007.YALOMIrvin,Apprendreàmourir,Éd.Galaade,2008.YALOMIrvin,LaThérapieexistentielle,Éd.Galaade,2008.YALOMIrvin,LaMalédictionduchathongrois.Contesdepsychothérapie,

Éd.Galaade,2008.ZORNFritz,Mars,Gallimard,1979.

Page 211: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

Remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ontacceptédefigurerdanscelivre.Parsoucideconfidentialité,jeneciteraipasleurnom,maisjevoudraisdireicicombienjesuissensibleàleurconfiance.Etungrandmerciàtousceuxquim’ontencouragée,soutenueetéclairéedeleursidéestoutaulongdel’écriture.

Page 212: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

1.

A. Memmi, La Dépendance. Esquisse pour un portrait du dépendant,Gallimard,Folio,Essai,1979,p.174.2.

S.Ferenczi,Surlesaddictions,PetiteBibliothèquePayot,2008,PréfacedeC.Audibert,p.18.3.

DrW.Lowenstein,CesDépendancesqui nousgouvernent.Comment s’enlibérer?,Poche,2005,p.23.4.

O.Fénichel,LaThéoriepsychanalytiquedesnévroses,PUF,1953.5.

Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, traductionfrançaise,Masson,1996.6.

C.AndréetF.Lelord,L’Estimede soi.S’aimerpourmieuxvivreavec lesautres,OdileJacob,1999,p.117.8.

J.-R.Freymann,LesParuresdel’oralité,Springer-Velag,1992,p.102.7.

VoirBibliographie,p.321.9.

DrW.Lowenstein,op.cit.,p.223.10.

C.AndréetF.Lelord,op.cit.,p179.11.

JedécriscetypedecomportementdansCherchedésespérémentl’hommedemavie,AlbinMichel,2004.12.

AnaïsNin,Êtreunefemme,Stock,1977.13.

Jerappellequ’ilestinadmissiblequ’un«psy»s’adresseainsiàunpatient.

Page 213: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

14.

VoirS.Tenenbaum,Nospaysagesintérieurs.Cesidéesquinousfaçonnent,InterÉditions,2007,p.24.15.

ApprochethérapeutiqueformaliséeparleDrEricBerne.16.

C.Steiner,L’ABCdesémotions.Développersonintelligenceémotionnelle,InterÉditions,1998,p.141.17.

M.Beattie,Vaincrelacodépendance,J.-C.Lattès,1991,p.113.18.

A.Memmi,op.cit.,p.73.19.

I.Yalom,LaThérapieexistentielle,éd.Galaade,2008,p.179.20.

M.Beattie,op.cit.,p.122.21.

FritzZorn,Mars,Gallimard,1979.22.

A.Memmi,op.cit.,p.178.23.

Ibid.24.

LeRobert,Dictionnairedesidéesparlesmots.25.

I.Yalom,op.cit.,p.523.26.

J. Agelergues et P. Kamel, « La perversion narcissique », Revue dePsychanalyse,PUF,2003.27.

I.Yalom,op.cit.,p.506.

Page 214: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

28.

A.Memmi,op.cit.,p.129.29.

S.Ferenczi,L’Enfantdansl’adulte,PetiteBibliothèquePayot,2006(préfacedeS.Korff-Sausse),p.14.30.

A.Naouri,Éduquersesenfants.L’urgenceaujourd’hui,OdileJacob,2009,p.121.31.

Ibid.,p.130.32.

S.Ferenczi,op.cit.,p.15.33.

D.W.Winnicott,LaMèresuffisammentbonne,Payot,2006.34.

Ibid.,p.37.35.

A.Naouri,op.cit.,p.146.37.

Ibid.,p.175.38.

A.Memmi,op.cit.36.

DrS.Renaud,inLeclinicien,11janvier2008.39.

G.Corneau,Pèremanquant,filsmanqué,LesÉditionsdel’Homme,1989,p.17.40.

VoirBibliographie,p.321.41.

M.-H.Ledoux,Dictionnaireraisonnédel’œuvredeFrançoiseDolto,Payot,«Désir»,2006,p.38.

Page 215: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

42.

D.W.Winnicott,op.cit.,p.10.43.

J’ai longuementdécritces typesdemaltraitanceparentaledansPardonner.Tyrannieoulibération,InterÉditions,2008.44.

A.Naouri,op.cit.,p.237.45.

I.Filliozat,Trouversonproprechemin.Unguidepourredéfinir lesensdesavieetréussirl’essentiel,Pocket,2004,p.68.46.

AMemmi,op.cit.,p.40.47.

VoirBibliographie,p.321.48.

A.Miller,Notrecorpsnementjamais,Flammarion,2005,p.15.49.

C.Whitfield,L’Enfant intérieur.Découvrir et rétablir l’enfant en soi, éd.ModusVivendi,1993,p.67.50.

G.Corneau,LeMeilleurdesoi,RobertLaffont,«Réponses»,2007,p.115.51.

M.Beattie,op.cit.,p.155.52.

CitéparC.AndréetF.Lelord,op.cit.,p.68.53.

O.Fénichel,op.cit.54.

I.Yalom,op.cit.,p.360.55.

B. Doty et P. Rooney, Apprivoiser les sentiments négatifs, InterÉditions,1995,p.127.

Page 216: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

56.

A.Memmi,op.cit.,p.63.57.

A.Miller,Notrecorpsnementjamais,op.cit.58.

I.Yalom,op.cit.,p.386.59.

Ibid.,p.380.60.

Ibid.61.

S.Forward(encoll.avecG.Buck),Parentstoxiques.Commentéchapperàleuremprise,Marabout,1991,p.52.62.

M.Beattie,op.cit.,p.13.63.

Ibid,p.62.69.

I.Yalom,op.cit.,p.23.64.

H.Gougaud,LesSeptPlumesdel’aigle,LeSeuil,1995,p.144.65.

V.Woolf,LaTraverséedesapparences,Poche,1999.66.

DrT.Vincent,L’Anorexie,OdileJacobPratique,2006,p.80.67.

J.LaplancheetJ.-B.Pontalis,Vocabulairedelapsychanalyse,PUF,2007.68.

A. Linden, Les Frontières dans les relations humaines. Pour être soi etensemble,séparéetconnecté,InterÉditions,2008,p.198.70.

Page 217: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

SandorFerenczi,Surlesaddictions,PetiteBibliothèquePayot,2008,p.28.71.

Ibid.72.

I.Yalom,op.cit.,p.23.73.

P. Brückner, L’Euphorie perpétuelle. Essai sur le devoir de bonheur,Grasset,2000.74.

I.Yalom,op.cit.,p.366.75.

S. Tisseron, Vérités et mensonges de nos émotions, Albin Michel, 2005,p.200.76.

G.Corneau,N’ya-t-ilpasd’amourheureux?Commentleslienspère-filleetmère-filsconditionnentnosamours,RobertLaffont,«Réponses»,1997,p.69.77.

A.Memmi,op.cit.,p.57.78.

S.Ferenczi,Psychanalyse,Œuvrescomplètes,tomeIV,Payot,1982.79.

D.W.Winnicott,Agressivité, culpabilité et réparation, Petite BibliothèquePayot,2004,p.14.80.

S.Tisseron,op.cit.,p.31.81.

S.Ferenczi,Surlesaddictions,op.cit.,p.19.82.

Ibid.,p.20.83.

C.AndréetF.Lelord,op.cit.,p.110.

Page 218: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

84.

D.Kiley,LeSyndromedePeterPan.Ceshommesquiontrefusédegrandir,OdileJacobPoche,2000,p.12.85.

Neverland.86.

VoirSylvieTenebaum,Cherchedésespérémentl’hommedemavie,op.cit.87.

I.Filliozat,op.cit.,p.117.88.

G.Corneau,Pèremanquant,filsmanqué,op.cit.,p.39.89.

F.AndréetC.Lelord,op.cit.,p.117.90.

D.W.Winnicott,Agressivité,culpabilitéetréparation,op.cit.91.

En communication, la « boucle de rétroaction » (ou feed-back) décritl’influence qu’ont deux interlocuteurs l’un sur l’autre au cours d’uneinteraction.C’estunconceptessentielenanalysesystémique.92.

D.Tartt,LeMaîtredesillusions,Plon,1993.93.

I.Yalom,op.cit.,p.386.94.

A.Linden,op.cit.,p.9.95.

E. Guilane-Nachez, D. Akutagawa, T. Whitman, Mêlons-nous de nosaffaires ! Nos territoires et ceux des autres dans la vie personnelle etprofessionnelle,InterÉditions,1997,p.23.96.

A.Linden,op.cit.,p.9.97.

Page 219: Vaincre la d©pendance affective - Pour ne plus vivre uniquement par le regard des autres

R. Blye, L’Homme sauvage et l’enfant. L’avenir du genre masculin, LeSeuil,1992,p.96.98.

D.Kiley,op.cit.,p.56.99.

J.Viorst,LesRenoncementsnécessaires.Toutcequ’il fautabandonnerenroutepourdeveniradulte,RobertLaffont,«Réponses»,1988,p.347.100.

AupaysdeNeverland(PeterPan).101.

P.Tillich,LeCouraged’être,LeSeuil,1971.102.

I.Yalom,op.cit.,p.512.103.

E.Fromm,L’Artd’aimer,DescléedeBrouwer,2007.104.

M.Buber,Jeettu,Aubier-Montaigne,1969,p.30.105.

A.Oz,Unehistoired’amouretdeténèbres,Gallimard,2002.106.

W.Durant,Onthemeaningoflife,RayLong&RichardR.Smith,1932.