Vidocq-Memoires de Vidocq - Tome II

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  • Mmoires de Vidocq - Tome IIEugne-Franois Vidocq

    Publication: 1828Catgorie(s): Non-Fiction, Biographie & Autobiographie, Fiction, Policiers &Mystres, HistoireSource: http://www.ebooksgratuits.com

  • A Propos Vidocq:Aventurier, voleur, bagnard, puis indicateur de police, il

    devient chef de la brigade de la Sret parisienne en1811. En 1827, Vidocq dmissionne de ses fonctions dechef de la Sret. Il s'installe Saint-Mand, prs de Paris,et cre une petite usine de papier. Il invente le papierinfalsifiable. En 1828, il publie des Mmoires quiconnaissent un grand succs, et qui inspirent notamment Honor de Balzac son personnage de Vautrin. Ruin parson affaire d'usine de papier, il occupe nouveau durantsept mois le poste de chef de la sret en 1832, puis quittedfinitivement le service public et fonde en 1833 le Bureaude renseignements pour le commerce, la premire agencede dtective prive, qui fournit aux commerants,moyennant finance, des services de renseignement et desurveillance conomique, ainsi que des informations surles conjoints volages.

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    Mmoires de Vidocq - Tome I (1828)Mmoires de Vidocq - Tome IV (1828)Mmoires de Vidocq - Tome III (1828)

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  • purposes.

  • CHAPITRE XV.

    Un receleur. Dnonciation. Premiers rapports avec

    la police. Dpart de Lyon. La mprise. Daprs les dangers que je courais en restant avec

    Roman et sa troupe, on peut se faire une ide de la joieque je ressentis de les avoir quitts. Il tait vident que legouvernement, une fois solidement assis, prendrait lesmesures les plus efficaces pour la sret de lintrieur. Lesdbris de ces bandes qui, sous le nom de Chevaliers duSoleil ou de Compagnie de Jsus, devaient leur formation lespoir dune raction politique, ajourne indfiniment,ne pouvaient manquer dtre anantis, aussitt quon levoudrait. Le seul prtexte honnte de leur brigandage, leroyalisme, nexistait plus, et quoique les Hiver, les Leprtre,les Boulanger, les Bastide, les Jausion, et autres fils defamille, se fissent encore une gloire dattaquer lescourriers, parce quils y trouvaient leur profit, il commenait ntre plus du bon ton de prouver que lon pensait bien ensappropriant par un coup de main largent de ltat. Tousces incroyables, qui il avait sembl piquant dentraver, lepistolet au poing, la circulation des dpches et laconcentration du produit des impts, rentraient dans leursfoyers, ceux qui en avaient, ou tchaient de se faire oublierailleurs, loin du thtre de leurs exploits. En dfinitive,

  • lordre se rtablissait, et lon touchait au terme o desbrigands, quelque ft leur couleur ou leur motif, ne jouiraientplus de la moindre considration. Jaurais eu le dsir, dansde telles circonstances, de menrler dans une bande devoleurs, que, abstraction faite de linfamie que je neredoutais plus, je men fusse bien gard, par la certitudedarriver promptement lchafaud. Mais une autre pensemanimait, je voulais fuir, quelque prix que ce fut, lesoccasions et les voies du crime ; je voulais rester libre.Jignorais comment ce vu se raliserait ; nimporte, monparti tait pris : javais fait, comme on dit, une croix sur lebagne. Press que jtais de men loigner de plus en plus,je me dirigeai sur Lyon, vitant les grandes routesjusquaux environs dOrange ; l, je trouvai des rouliersprovenaux, dont le chargement meut bientt rvl quilsallaient suivre le mme chemin que moi. Je liaiconversation avec eux, et comme ils me paraissaientdassez bonnes gens, je nhsitai pas leur dire que jtaisdserteur, et quils me rendraient un trs grand service, si,pour maider mettre en dfaut la vigilance desgendarmes, ils consentaient mimpatroniser parmi eux.Cette proposition ne leur causa aucune espce desurprise : il semblait quils se fussent attendus que jerclamerais labri de leur inviolabilit. cette poque, etsurtout dans le midi, il ntait pas rare de rencontrer desbraves, qui, pour fuir leurs drapeaux, sen remettaient ainsiprudemment la garde de Dieu. Il tait donc tout naturelque lon ft dispos men croire sur parole. Les rouliersme firent bon accueil ; quelque argent que je laissai voir

  • dessein acheva de les intresser mon sort. Il fut convenuque je passerais pour le fils du matre des voitures quicomposaient le convoi. En consquence, on maffubladune blouse ; et comme jtais cens faire mon premiervoyage, on me dcora de rubans et de bouquets, joyeuxinsignes qui, dans chaque auberge, me valurent lesflicitations de tout le monde.

    Nouveau Jean de Paris, je macquittai assez bien demon rle ; mais les largesses ncessaires pour le soutenirconvenablement portrent ma bourse de si rudesatteintes, quen arrivant la Guillotire, o je me sparaide mes gens, il me restait en tout vingt-huit sous. Avec desi minces ressources, il ny avait pas songer aux htelsde la place des Terreaux. Aprs avoir err quelque tempsdans les rues sales et noires de la seconde ville de France,je remarquai, rue des Quatre-Chapeaux, une espce detaverne, o je pensais que lon pourrait me servir un souperproportionn ltat de mes finances. Je ne mtais pastromp : le souper fut mdiocre, et trop tt termin. Restersur son apptit est dj un dsagrment ; ne savoir otrouver un gte en est un autre. Quand jeus essuy moncouteau, qui pourtant ntait pas trop gras, je mattristai parlide que jallais tre rduit passer la nuit la belletoile, lorsqu une table, voisine de la mienne, jentendisparler cet allemand corrompu, qui est usit dans quelquescantons des Pays-Bas, et que je comprenais parfaitement.Les interlocuteurs taient un homme et une femme dj surle retour ; je les reconnus pour des Juifs. Instruit qu Lyon,comme dans beaucoup dautres villes, les gens de cette

  • comme dans beaucoup dautres villes, les gens de cettecaste tiennent des maisons garnies, o lon admetvolontiers les voyageurs en contrebande, je leur demandaisils ne pourraient pas mindiquer une auberge. Je nepouvais mieux madresser : le Juif et sa femme taient deslogeurs. Ils offrirent de devenir mes htes, et je lesaccompagnai chez eux, rue Thomassin. Six litsgarnissaient le local dans lequel on minstalla ; aucun deuxntait occup, et pourtant il tait dix heures ; je crus que jenaurais pas de camarades de chambre, et jemendormis dans cette persuasion.

    mon rveil, des mots dune langue qui mtaitfamilire, viennent jusqu moi.

    Voil six plombes et une mche qui crossent, ditune voix qui ne mtait pas inconnue ; tu pioncesencore.(Voil six heures et demie qui sonnent ; tu dors encore.)

    Je crois bien ; nous avons voulu maquiller lasargue chez un orphelin, mais le pautre tait chaud ; jai vule moment o il faudrait jouer du vingt-deux ; et alors il yaurait eu du raisinet. (Nous avons voulu voler cette nuitchez un orfvre, mais le bourgeois tait sur ses gardes ;jai vu le moment o il faudrait jouer du poignard ; et alors ily aurait eu du sang !)

    Ah ! ah ! tu as peur daller labbaye de Monte--regret Mais en goupinant comme , on naffurepasdauber. (Ah ! ah ! tu as peur daller la guillotine Maisen travaillant de la sorte, on nattrape pas dargent.)

    Jaimerais mieux faire suer le chne sur le grandtrimard, que dcorner les boucards : on a toujours les

  • liges sur le dos. (Jaimerais mieux assassiner sur lagrande route que de forcer des boutiques ; on a toujoursles gendarmes sur le dos.)

    Enfin, vous navez rien grinchi Il y avait pourtant debelles foufires, des coucous, des brides dOrient.Leguinal naura rien mettre au fourgat. (Enfin, vous navezrien pris Il y avait pourtant de belles tabatires, desmontres, des chanes dor. Le Juif naura rien recler.)

    Non. Le carouble sest esquint dans la serrante ; lerifflard a battu morasse, et il a fallu se donner de lair. (Non.La fausse clef sest casse dans la serrure ; le bourgeois acri au secours, et il a fallu se sauver.)

    H ! les autres, dit un troisime interlocuteur, nebalancez donc pas tant le chiffon rouge ; il y a l un chnequi peut prter loche. (Ne remuez pas tant la langue ; il y al un homme qui peut prter loreille.)

    Lavis tait tardif : cependant on se tut. Jentrouvris lesyeux pour voir la figure de mes compagnons de chambre,mais mon lit tant le plus bas de tous, je ne pus rienapercevoir. Je restais immobile pour faire croire monsommeil, lorsquun des causeurs stant lev, je reconnusun vad du bagne de Toulon, Neveu, parti quelques joursavant moi. Son camarade saute du lit, cest Cadet-Paul,autre vad ; un troisime, un quatrime individu semettent sur leur sant, ce sont aussi des forats.

    Il y avait de quoi se croire encore la salle n 3. Enfin, jequitte mon tour le grabat ; peine ai-je mis le pied sur lecarreau, quun cri gnral slve : Cest Vidocq ! ! ! On

  • sempresse ; on me flicite. Lun des voleurs du garde-meuble, Charles Deschamps, qui stait sauv peu dejours aprs moi, me dit que tout le bagne tait dansladmiration de mon audace et de mes succs. Neufheures sonnent : on memmne djener aux Brotaux, o jetrouve les frres Quinet, Bonnefoi, Robineau, Mtral,Lemat, tous fameux dans le midi. On maccable deprvenances, on me procure de largent, des habits, etjusqu une matresse.

    Jtais l, comme on voit, dans la mme position quNantes. Je ne me souciais pas plus quen Bretagne,dexercer le mtier de mes amis,mais je devais recevoirde ma mre un secours pcuniaire, et il fallait vivre enattendant. Jimaginai que je parviendrais me faire nourrirquelque temps sans travailler. Je me proposaisrigoureusement de ntre quen subsistance parmi lesvoleurs ; mais lhomme propose, et Dieu dispose. Lesvads, mcontents de ce que, tantt sous un prtexte,tantt sous un autre, jvitais de concourir aux vols quilscommettaient chaque jour, me firent dnoncer sous mainpour se dbarrasser dun tmoin importun, et qui pouvaitdevenir dangereux. Ils prsumaient bien que jeparviendrais mchapper, mais ils comptaient quune foisreconnu par la police, et nayant plus dautre refuge queleur bande, je me dciderais prendre parti avec eux.Dans cette circonstance, comme dans toutes celles dumme genre o je me suis trouv, si lon tenait tant membaucher, cest que lon avait une haute opinion demon intelligence, de mon adresse, et surtout de ma force,

  • mon intelligence, de mon adresse, et surtout de ma force,qualit prcieuse dans une profession o le profit est tropsouvent rapproch du pril.

    Arrt, passage Saint-Cme, chez Adle Buffin, je fusconduit la prison de Roanne. Des les premiers mots demon interrogatoire, je reconnus que javais t vendu. Dansla fureur o me jeta cette dcouverte, je pris un parti violent,qui fut en quelque sorte mon dbut dans une carrire tout fait nouvelle pour moi. Jcrivis M. Dubois, commissairegnral de police, pour lui demander lentretenir enparticulier. Le mme soir, on me conduisit dans soncabinet. Aprs lui avoir expliqu ma position, je luiproposai de le mettre sur les traces des frres Quinet,alors poursuivis pour avoir assassin la femme dun maonde la rue Belle-Cordire. Joffris en outre de donner lesmoyens de se saisir de tous les individus logs tant chez leJuif que chez Caffin, menuisier, rue corche-Buf. Je nemettais ce service dautre prix que la libert de quitterLyon. M. Dubois devait avoir t plus dune fois dupe depareilles propositions ; je vis quil hsitait sen rapporter moi. Vous doutez de ma bonne foi, lui dis-je, lasuspecteriez-vous encore, si mtant chapp dans letrajet pour retourner la prison, je revenais me constituervotre prisonnier ? Non, me rpondit-il. Eh bien ! vousme reverrez bientt, pourvu que vous consentiez ne faire mes surveillants aucune recommandation particulire. Ilaccda ma demande : lon memmena. Arriv au coin dela rue de la Lanterne, je renverse les deux estafiers qui metenaient sous les bras, et je regagne toutes jambeslHtel de Ville, o je retrouve M. Dubois. Cette prompte

  • lHtel de Ville, o je retrouve M. Dubois. Cette prompteapparition le surprit beaucoup ; mais, certain ds lors quilpouvait compter sur moi, il permit que je me retirasse enlibert.

    Le lendemain, je vis le Juif, quon nommait Vidal ; ilmannona que nos amis taient alls loger la Croix-Rousse, dans une maison quil mindiqua. Je my rendis.On connaissait mon vasion, mais, comme on tait loin desouponner mes relations avec le commissaire gnral depolice, et quon ne supposait pas que jeusse devin dopartait le coup qui mavait frapp, on me fit un accueil fortamical. Dans la conversation, je recueillis sur les frresQuinet des dtails que je transmis la mme nuit M. Dubois, qui, bien convaincu de ma sincrit, me mit enrapport avec M. Garnier, secrtaire gnral de police,aujourdhui commissaire Paris. Je donnai cefonctionnaire tous les renseignements ncessaires, et jedois dire quil opra de son ct avec beaucoup de tact etdactivit.

    Deux jours avant quon effectut, daprs mesindications, une descente chez Vidal, je me fis arrter denouveau. On me reconduisit dans la prison de Roanne, oarrivrent le lendemain Vidal lui-mme, Caffin, Neveu,Cadet-Paul, Deschamps, et plusieurs autres quon avaitpris du mme coup de filet ; je restai dabord sanscommunication avec eux, parce que javais jugconvenable de me faire mettre au secret. Quand jen sortis,au bout de quelques jours, pour tre runi aux autresprisonniers, je feignis une grande surprise de trouver l toutmon monde. Personne ne paraissait avoir la moindre ide

  • mon monde. Personne ne paraissait avoir la moindre idedu rle que javais jou dans les arrestations. Neveu, seul,me regardait avec une espce de dfiance ; je lui endemandai la cause ; il mavoua qu la manire dont onlavait fouill et interrog, il ne pouvait sempcher decroire que jtais le dnonciateur. Je jouai lindignation, et,dans la crainte que cette opinion ne prt de la consistance,je runis les prisonniers, je leur fis part des soupons deNeveu, en leur demandant sils me croyaient capable devendre mes camarades ; tous rpondirent ngativement, etNeveu se vit contraint de me faire des excuses. Il tait bienimportant pour moi que ces soupons se dissipassentainsi, car jtais rserv une mort certaine sils se fussentconfirms. On avait vu Roanne plusieurs exemples decette justice distributive que les dtenus exeraient entreeux. Un nomm Moissel, souponn davoir fait desrvlations, relativement un vol de vases sacrs, avait tassomm dans les cours, sans quon pt jamais dcouvriravec certitude quel tait lassassin. Plus rcemment, unautre individu, accus dune indiscrtion du mme genre,avait t trouv un matin pendu avec un lien de paille auxbarreaux dune fentre ; les recherches navaient pas euplus de succs.

    Sur ces entrefaites, M. Dubois me manda son cabinet,o, pour carter tout soupon, on me conduisit avecdautres dtenus, comme sil se ft agi dun interrogatoire.Jentrai le premier : le commissaire gnral me dit quilvenait darriver Lyon plusieurs voleurs de Paris, fortadroits, et dautant plus dangereux, que, munis de papiersen rgle, ils pouvaient attendre en toute scurit loccasion

  • de faire quelque coup, pour disparatre aussitt aprs :ctaient Jallier dit Boubance, Bouthey dit Cadet,Garard,Buchard, Mollin dit le Chapellier, Marquis dit Main-dOr,etquelques autres moins fameux. Ces noms, sous lesquelsils me furent dsigns, mtaient alors tout fait inconnus ;je le dclarai M. Dubois, en ajoutant quil tait possiblequils fussent faux. Il voulait me faire relcherimmdiatement, pour quen voyant ces individus dansquelque lieu public, je pusse massurer sils ne mavaientjamais pass sous les yeux ; mais je lui fis observer quunemise en libert aussi brusque ne manquerait pas de mecompromettre vis--vis des dtenus, dans le cas o le biendu service exigerait quon mcrout de nouveau. Larflexion parut juste, et il fut convenu quon aviserait aumoyen de me faire sortir le lendemain sans inconvnient.

    Neveu, qui se trouvait parmi les dtenus extraits enmme temps que moi pour subir linterrogatoire, mesuccda dans le cabinet du commissaire gnral. Aprsquelques instants, je len vis sortir fort chauff : je luidemandai ce qui lui tait advenu.

    Croirais-tu, me dit-il, que le curieux mademand sije voulais macaroner des pgres de la grande vergne, quiviennent darriver ici ? Sil ny a que moi pour lesenflaquer, ils pourront bien dcarer de belle. (Croirais-tuque le commissaire ma demand si je voulais fairedcouvrir des voleurs qui viennent darriver de Paris ? Silny a que moi pour les faire arrter, ils sont bien srs de sesauver.)

  • Je ne te croyais pas si Job, repris-je, songeantrapidement au moyen de tirer parti de cette circonstanceJai promis de reconobrer tous les grinchisseurs, et de lesfaire arquepincer. (Je ne te croyais pas si niais Moi, jaipromis de reconnatre tous les voleurs, et de les fairearrter.)

    Comment ! tu te ferais cuisinier ; dailleurs tu neles conobres pas. (Comment ! tu te ferais mouchard ;dailleurs tu ne les connais pas.)

    Quimporte ? on me laissera fourmiller dans lavergne, et je trouverai bien moyen de me cavaler, tandisque tu seras encore avec le chat. (Quimporte ? on melaissera courir la ville, et je trouverai bien moyen demvader, tandis que toi tu resteras avec le gelier.)

    Neveu fut frapp de cette ide ; il tmoignait un vif regretdavoir repouss les offres du commissaire gnral ; etcomme je ne pouvais me passer de lui pour aller ladcouverte, je le pressai fortement de revenir sur sapremire dcision ; il y consentit, et M. Dubois, que javaisprvenu, nous ft conduire tous deux un soir, la porte dugrand thtre, puis aux Clestins, o Neveu me signalatous nos hommes. Nous nous retirmes ensuite, escortspar les agents de police, qui nous serraient de fort prs.Pour le succs de mon plan et pour ne pas me rendresuspect, il fallait pourtant faire une tentative, qui confirmtau moins lespoir que javais donn mon compagnon ; jelui fis part de mon projet : en passant rue Mercire, nousentrmes brusquement dans un passage, dont je tirai la

  • porte sur nous, et pendant que les agents couraient lautre issue, nous sortmes tranquillement par o noustions entrs. Lorsquils revinrent, tout honteux de leurgaucherie, nous tions dj loin.

    Deux jours aprs, Neveu, dont on navait plus besoin, etqui ne pouvait plus me souponner, fut arrt de nouveau.Pour moi, connaissant alors les voleurs quon voulaitdcouvrir, je les signalai aux agents de police, dans lglisede Saint-Nizier, o ils staient runis un dimanche, danslespoir de faire quelque coup la sortie du salut. Nepouvant plus tre utile lautorit, je quittai ensuite Lyonpour me rendre Paris, o, grce M. Dubois, jtais srdarriver sans tre inquit.

    Je partis en diligence par la route de la Bourgogne ; onne voyageait alors que de jour. Lucy-le-Bois, o javaiscouch comme tous les voyageurs, on moublia au momentdu dpart, et lorsque je mveillai, la voiture tait partiedepuis plus de deux heures ; jesprais la rejoindre lafaveur des ingalits de la route, qui est trs montueusedans ces cantons ; mais, en approchant Saint-Brice, je pusme convaincre quelle avait trop davance sur moi pour quilme ft possible de la rattraper ; je ralentis alors le pas. Unindividu qui cheminait dans la mme direction, me voyanttout en nage, me regarda avec attention, et me demanda sije venais de Lucy-le-Bois ; je lui dis queffectivement jenvenais, et la conversation en resta l. Cet homme sarrta Saint-Brice, tandis que je poussai jusqu Auxerre.Excd de fatigue, jentrai dans une auberge, o, aprsavoir dn, je mempressai de demander un lit.

  • Je dormais depuis quelques heures, lorsque je fusrveill par un grand bruit qui se faisait ma porte. Onfrappait coups redoubls ; je me lve demi habill ;jouvre, et mes yeux encore troubls par le sommeilentrevoient des charpes tricolores, des culottes jaunes etdes parements rouges. Cest le commissaire de policeflanqu dun marchal-des-logis et de deux gendarmes ; cet aspect, je ne suis pas matre dune premire motion : Voyez comme il plit, dit-on mes cts Il ny a pas dedoute, cest lui. Je lve les yeux, je reconnais lhomme quimavait parl Saint-Brice, mais rien ne mexpliquaitencore le motif de cette subite invasion.

    Procdons mthodiquement, dit le commissaire :cinq pieds cinq pouces, cest bien , cheveux blonds, sourcils et barbe idem, front ordinaire, yeux gris,nez fort, bouche moyenne, menton rond, visageplein, teint color, assez forte corpulence.

    Cest lui, scrient le marchal-des-logis, les deuxgendarmes et lhomme de Saint-Brice.

    Oui, cest bien lui, dit son tour le commissaireRedingote bleue, culotte de casimir gris, gilet blanc,cravate noire. Ctait peu prs mon costume.

    Eh bien ! ne lavais-je pas dit, observe avec unesatisfaction marque lofficieux guide des sbires cest undes voleurs !

    Le signalement saccordait parfaitement avec le mien,Pourtant je navais rien vol ; mais dans ma situation, je nedevais pas moins en concevoir des inquitudes. Peut-trentait-ce quune mprise ; peut-tre aussi lassistance

  • sagitait, transporte de joie. Paix donc scria lecommissaire, puis tournant le feuillet, il continua. On lereconnatra facilement son accent italien trs prononcIl a de plus le pouce de la main droite fortementendommag par un coup de feu. Je parlai devant eux ; jemontrai ma main droite, elle tait en fort bon tat. Tous lesassistants se regardrent ; lhomme de Saint-Brice,surtout, parut singulirement dconcert ; pour moi, je mesentais dbarrass dun poids norme. Le commissaire,que je questionnai mon tour, mapprit que la nuitprcdente un vol considrable avait t commis Saint-Brice. Un des individus souponns dy avoir participportait des vtements semblables aux miens, et il y avaitidentit de signalement. Ctait ce concours decirconstances, cet trange jeu du hasard qutait due ladsagrable visite que je venais de recevoir. On me fit desexcuses que jaccueillis de bonne grce, fort heureux dentre quitte si bon march ; toutefois, dans la crainte dequelque nouvelle catastrophe, je montai le soir mme dansune patache qui me transporta Paris, do je filai aussittsur Arras.

  • CHAPITRE XVI.

    Sjour Arras. Travestissements. Le faux

    Autrichien. Dpart. Sjour Rouen. Arrestation. Plusieurs raisons que lon devine ne permettaient pas

    que je me rendisse directement la maison paternelle : jedescendis chez une de mes tantes, qui mapprit la mort demon pre. Cette triste nouvelle me fut bientt confirme parma mre, qui me reut avec une tendresse bien faite pourcontraster avec les traitements affreux que javais prouvsdans les deux annes qui venaient de scouler. Elle nedsirait rien tant que de me conserver prs delle ; mais ilfallait que je restasse constamment cach ; je myrsignai : pendant trois mois, je ne quittai pas la maison.Au bout de ce temps, la captivit commenant me peser,je mavisai de sortir, tantt sous un dguisement, tanttsous un autre. Je pensais navoir pas t reconnu, lorsquetout coup le bruit se rpandit que jtais dans, la ville ;toute la police se mit en qute pour marrter ; chaqueinstant on faisait des visites chez ma mre, mais toujourssans dcouvrir ma cachette : ce nest pas quelle ne ftassez vaste, puisquelle avait dix pieds de long sur six delarge ; mais je lavais si adroitement dissimule, quunepersonne qui plus tard acheta la maison, lhabita prs dequatre ans sans souponner lexistence de cette pice ; et

  • probablement elle lignorerait encore, si je ne la lui eussepas rvle.

    Fort de cette retraite, hors de laquelle je croyais quilserait difficile de me surprendre, je repris bientt le coursde mes excursions. Un jour de mardi gras, je poussaimme limprudence jusqu paratre au bal Saint-Jacques,au milieu de plus de deux cents personnes. Jtais encostume de marquis ; une femme avec laquelle javais eudes liaisons mayant reconnu, fit part de sa dcouverte une autre femme, qui croyait avoir eu se plaindre de moi,de sorte quen moins dun quart dheure tout le monde susous quels habits Vidocq tait cach. Le bruit en vint auxoreilles de deux sergents de ville, Delrue et Carpentier, quifaisaient un service de police au bal. Le premier,sapprochant de moi, me dit voix basse quil dsirait meparler en particulier. Un esclandre et t fort dangereux ;je sortis. Arriv dans la cour, Delrue me demanda monnom. Je ne fus pas embarrass pour lui en donner un autreque le mien, en lui proposant avec politesse de medmasquer sil lexigeait. Je ne lexige pas, me dit-il ;cependant je ne serais pas fch de vous voir. En cecas, rpondis-je, ayez la complaisance de dnouer lescordons de mon masque, qui se sont mls Plein deconfiance, Delrue passe derrire moi ; au mme instant, jele renverse par un brusque mouvement darrire corps ; uncoup de poing envoie rouler son accolyte terre. Sansattendre quils se relvent, je fuis toutes jambes dans ladirection des remparts, comptant les escalader et gagnerla campagne ; mais peine ai-je fait quelques pas, que,

  • sans men douter, je me trouve engag dans un cul-de-sac,qui avait cess dtre une rue depuis que javais quittArras.

    Pendant que je me fourvoyais de la sorte, un bruit desouliers ferrs mannona que les deux sergents staientmis ma poursuite ; bientt je les vis arriver sur moi sabreen main. Jtais sans armes Je saisis la grosse clef dela maison, comme si cet t un pistolet ; et, faisant minede les coucher en joue, je les force me livrer passage. Passe tin quemin, Franois, me dit Carpentier dune voixaltre ; nva mie faire de btises . Je ne me le fis pasdire deux fois : en quelques minutes je fus dans mon rduit.

    Laventure sbruita, malgr les efforts que firent, pour latenir secrte, les deux sergents quelle couvrit de ridicule.Ce quil y eut de fcheux pour moi, cest que les autoritsredoublrent de surveillance, tel point quil me devint tout--fait impossible de sortir. Je restai ainsi claquemurpendant deux mois, qui me semblrent deux sicles. Nepouvant plus alors y tenir, je me dcidai quitter Arras : onme fit une pacotille de dentelles, et, par une belle nuit, jemloignai, muni dun passe-port quun nomm Blondel,lun de mes amis, mavait prt ; le signalement ne pouvaitpas maller, mais faute de mieux, il fallait bien que je menaccommodasse ; au surplus, on ne me fit en route aucuneobjection.

    Je vins Paris, o, tout en moccupant du placement demes marchandises, je faisais indirectement quelquesdmarches, afin de voir sil ne serait pas possible dobtenirla rvision de mon procs. Jappris quil fallait, au

  • pralable, se constituer prisonnier ; mais je ne pus jamaisme rsoudre me mettre de nouveau en contact avec dessclrats que japprciais trop bien. Ce ntait pas larestreinte qui me faisait horreur ; jaurais volontiersconsenti tre enferm seul entre quatre murs ; ce qui leprouve, cest que je demandai alors au ministre finirmon temps Arras, dans la prison des fous ; mais lasupplique resta sans rponse.

    Cependant mes dentelles taient vendues, mais avectrop peu de bnfice pour que je pusse songer me fairede ce commerce un moyen dexistence. Un commisvoyageur, qui logeait rue Saint-Martin, dans le mme htelque moi, et auquel je touchai quelques mots de maposition, me proposa de me faire entrer chez unemarchande de nouveauts qui courait les foires. La placeme fut effectivement donne, mais je ne loccupai que dixmois : quelques dsagrments de service me forcrent la quitter pour revenir encore une fois Arras.

    Je ne tardai pas reprendre le cours de mes excursionssemi-nocturnes. Dans la maison dune jeune personne laquelle je rendais quelques soins, venait trs frquemmentla fille dun gendarme. Je songeai tirer parti de cettecirconstance, pour tre inform lavance de tout ce qui setramerait contre moi. La fille du gendarme ne meconnaissait pas ; mais comme dans Arras, jtais le sujetpresque habituel des entretiens, il ntait pas extraordinairequelle parlt de moi, et souvent, en des termes fortsinguliers. Oh ! me dit-elle un jour, on finira par lattraper,ce coquin-l ; il y a dabord notre lieutenant (M. Dumortier,

  • aujourdhui commissaire de police Abbeville) qui lui enveut trop pour ne pas venir bout de le pincer ; je gagequil donnerait de bien bon cur un jour de sa paie pour letenir. Si jtais la place de votre lieutenant, et quejeusse bien envie de prendre Vidocq, repartis-je, il mesemble quil ne mchapperait pas.

    vous, comme aux autres ; il est toujours armjusquaux dents. Vous savez bien quon dit quil a tir deuxcoups de pistolets M. Delrue et M. Carpentier Et puisce nest pas tout, est-ce quil ne se change pas volonten botte de foin.

    En botte de foin ? mcriai-je, tout surpris de lanouvelle facult quon maccordait en botte de foin ?mais comment ?

    Oui, monsieur Mon pre le poursuivait un jour ; aumoment de lui mettre la main sur le collet, il ne saisit quunebotte de foin Il ny a pas dire, toute la brigade a vu labotte de foin, qui a t brle dans la cour du quartier.

    Je ne revenais pas de cette histoire. On mexpliquadepuis que les agents de lautorit, ne pouvant venir boutde se saisir de moi, lavaient rpandue et accrdite endsespoir de cause, parmi les superstitieux Artsiens.Cest par le mme motif, quils insinuaient obligeammentque jtais la doublure de certain loup-garou, dont lesapparitions trs problmatiques glaaient deffroi les fortesttes du pays. Heureusement ces terreurs ntaient paspartages par quelques jolies femmes qui jinspirais delintrt, et si le dmon de la jalousie ne se ft tout coupempar de lune dentre elles, les autorits ne se seraient

  • peut-tre pas de long-temps occupes de moi. Dans sondpit, elle fut indiscrte, et la police, qui ne savait trop ceque jtais devenu, acquit encore une fois la certitude quejhabitais Arras.

    Un soir que, sans dfiance et seulement arm dunbton, je revenais de la rue dAmiens, en traversant le pontsitu au bout de la rue des Goguets, je fus assailli par sept huit individus. Ctaient des sergents de ville dguiss ;ils me saisirent par mes vtements ; et dj ils se croyaientassurs de leur capture, lorsque, me dbarrassant par unevigoureuse secousse, je franchis le parapet et me jetaidans la rivire. On tait en dcembre ; les eaux taienthautes, le courant trs rapide ; aucun des agents neut lafantaisie de me suivre ; ils supposaient dailleurs quenallant mattendre sur le bord, je ne leur chapperais pas ;mais un gout que je remontai me fournit loccasion dedconcerter leur prvoyance, et ils mattendaient encore,que dj jtais install dans la maison de ma mre.

    Chaque jour je courais de nouveaux dangers, et chaquejour la ncessit la plus pressante me suggrait denouveaux expdients de salut. Cependant, la longue,suivant ma coutume, je me lassai dune libert que lebesoin de me cacher rendait illusoire. Des religieuses dela rue de mavaient quelque temps hberg. Je rsolusde renoncer leur hospitalit, et je rvai en mme tempsau moyen de me montrer en public sans inconvnient.Quelques milliers de prisonniers autrichiens taient alorsentasss dans la citadelle dArras, do ils sortaient pourtravailler chez les bourgeois, ou dans les campagnes

  • environnantes ; il me vint lide que la prsence de cestrangers pourrait mtre utile. Comme je parlais allemand,je liai conversation avec lun dentre eux, et je russis luiinspirer assez de confiance pour quil me confesst quiltait dans lintention de svader Ce projet taitfavorable mes vues ; ce prisonnier tait embarrass deses vtements de Kaiserlick ; je lui offris les miens enchange, et, moyennant quelque argent que je lui donnai, ilse trouva trop heureux de me cder ses papiers. Ds cemoment, je fus Autrichien aux yeux des Autrichiens eux-mmes, qui, appartenant diffrents corps, ne seconnaissaient pas entre eux.

    Sous ce nouveau travestissement, je me liai avec unejeune veuve qui avait un tablissement de mercerie dans larue de ; elle me trouvait de lintelligence ; elle voulut queje minstallasse chez elle ; et bientt nous courmesensemble les foires et les marchs. Il tait vident que jene pouvais la seconder quen me faisant comprendre desacheteurs. Je me forgeai un baragouin semi tudesque,semi franais ; que lon entendait merveille, et qui medevint si familier, quinsensiblement joubliai presque queje savais une autre langue. Du reste, lillusion tait sicomplte, quaprs quatre mois de cohabitation, la veuvene souponnait pas le moins du monde que le soi-disantKaiserlick tait un de ses amis denfance. Cependant elleme traitait si bien, quil me devint impossible de la tromperplus long-temps : un jour je me risquai lui dire enfin quijtais, et jamais femme, je crois, ne fut plus tonne. Mais,loin de me nuire dans son esprit, la confidence ne fit en

  • quelque sorte que rendre notre liaison plus intime, tant lesfemmes sont prises parfois de ce qui soffre elles sousles apparences du mystre ou de laventureux ! et puisnprouvent-elles pas toujours du charme connatre unmauvais sujet ? Qui, mieux que moi, a pu se convaincreque souvent elles sont la providence des forats vads etdes condamns fugitifs ?

    Onze mois scoulrent sans que rien vnt troubler mascurit. Lhabitude quon avait pris de me voir dans laville, mes frquentes rencontres avec des agents de police,qui navaient mme pas fait attention moi, tout semblaitannoncer la continuation de ce bien-tre, lorsquun jour quenous venions de nous mettre table dans larrire-boutique, trois figures de gendarmes se montrent, traversune porte vitre ; jallais servir le potage ; la cuillre metombe des mains. Mais, revenant bientt de la stupfactiono mavait jet cette incursion inattendue, je mlance versla porte, je mets le verrou, puis sautant par une croise, jemonte au grenier, do, gagnant par les toits la maisonvoisine, je descends prcipitamment lescalier qui doit meconduire dans la rue. Arriv la porte, elle est garde pardeux gendarmes Heureusement ce sont des nouveauxvenus qui ne connaissent aucune de mes physionomies. Montez donc, leur dis-je, le brigadier tient lhomme, maisil se dbat Montez, vous donnerez un coup de main ;moi je vais chercher la garde. Les deux gendarmes sehtent de monter et je disparais.

    Il tait vident quon mavait vendu la police ; mon amiedenfance tait incapable dune pareille noirceur, mais elle

  • avait sans doute commis quelque indiscrtion. Maintenantquon avait lveil sur moi, devais-je rester Arras ? il etfallu me condamner ne plus sortir de ma cachette. Je nepus me rsigner une vie si misrable, et je pris larsolution dabandonner dfinitivement la ville. La mercirevoulut toute force me suivre : elle avait des moyens detransport ; ses marchandises furent promptementemballes. Nous partmes ensemble ; et comme cela sepratique presque toujours en pareil cas, la police futinforme la dernire de la disparition dune femme dont ilne lui tait pas permis dignorer les dmarches. Daprsune vieille ide, on prsuma que nous gagnerions laBelgique, comme si la Belgique et encore t un pays derefuge ; et tandis quon se mettait notre poursuite dans ladirection de lancienne frontire, nous nous avancionstranquillement vers la Normandie par des chemins detraverse, que ma compagne avait appris connatre dansses explorations mercantiles.

    Ctait Rouen que nous avions projet de fixer notresjour. Arriv dans cette ville, javais sur moi le passe-portde Blondel, que je mtais procur Arras ; le signalementquil me donnait tait si diffrent du mien, quil taitindispensable de me mettre un peu mieux en rgle.

    Pour y parvenir, il fallait tromper une police devenuedautant plus vigilante et ombrageuse, que lescommunications des migrs en Angleterre se faisaientpar le littoral de la Normandie. Voici comment je my pris.Je me rendis lHtel de Ville, o je fis viser mon passe-port pour le Havre. Un visa sobtient dordinaire assez

  • facilement ; il suffit que le passe-port ne soit pas prim ; lemien ne ltait pas. La formalit remplie, je sors ; deuxminutes aprs, je rentre dans le bureau, je minforme si lonna pas trouv un portefeuille personne ne peut mendonner des nouvelles ; alors je suis dsespr ; desaffaires pressantes mappellent au Havre ; je dois partir lesoir mme et je nai plus de passe-port.

    Nest-ce que cela ? me dit un employ Avec leregistre des visas, on va vous donner un passe-port parduplicata. Ctait ce que je voulais ; le nom de Blondelme fut conserv, mais du moins, cette fois, il sappliquait mon signalement. Pour complter leffet de ma ruse, nonseulement je partis pour le Havre, ainsi que je lavaisannonc, mais encore je fis rclamer par les petitesaffiches le portefeuille, qui ntait sorti de mes mains quepour passer dans celles de ma compagne.

    Au moyen de ce petit tour dadresse, ma rhabilitationtait complte. Muni dexcellents papiers, il ne me restaitplus qu faire une fin honnte ; jy songeai srieusement.En consquence, je pris, rue Martainville, un magasin demercerie et de bonneterie, o nous faisions de si bonnesaffaires, que ma mre, qui javais fait sous main tenir demes nouvelles, se dcida venir nous joindre. Pendant unan, je fus rellement heureux ; mon commerce prenait de laconsistance, mes relations stendaient, le crdit sefondait, et plus dune maison de banque de Rouen serappelle peut-tre encore le temps o la signature deBlondel tait en faveur sur la place ; enfin, aprs tantdorages, je me croyais arriv au port, quand un incident

  • que je navais pu prvoir fit commencer pour moi unenouvelle srie de vicissitudes La mercire avec laquelleje vivais, cette femme qui mavait donn les plus fortespreuves de dvouement et damour, ne savisa-t-elle pasde brler dautres feux que ceux que javais allums dansson cur. Jaurais voulu pouvoir me dissimuler cetteinfidlit, mais le dlit tait flagrant ; il ne restait pas mme la coupable la ressource de ces dngations biensoutenues, labri desquelles un mari commode peut sefigurer quil ignore.

    Autrefois, je neusse pas subi un tel affront sans me livrer toute la fougue de ma colre : comme lon changeavec le temps ! Tmoin de mon malheur, je signifiaifroidement larrt dune sparation que je rsolus aussitt :prires, supplications, promesses dune meilleureconduite, rien ne put me flchir : je fus inexorableJaurais pu pardonner sans doute, ne fut-ce que parreconnaissance ; mais qui me rpondait que celle qui avaitt ma bienfaitrice romprait avec mon rival ? et ne devais-je pas craindre que dans un moment dpanchement, ellene me compromt par quelque confidence ? Nous fmesdonc par moiti le partage de nos marchandises ; monassocie me quitta ; depuis, je nai plus entendu parlerdelle.

    Dgot du sjour de Rouen par cette aventure, qui avaitfait du bruit, je repris le mtier de marchand forain ; mestournes comprenaient les arrondissements de Mantes,Saint-Germain et Versailles, o je me formai en peu detemps une excellente clientle ; mes bnfices devinrent

  • assez considrables pour que je pusse louer Versailles,rue de la Fontaine, un magasin avec un pied--terre, quema mre habitait pendant mes voyages. Ma conduite taitalors exempte de tous reproches ; jtais gnralementestim dans le cercle que je parcourais ; enfin, je croyaisavoir lass cette fatalit qui me rejetait sans cesse dansles voies du dshonneur, dont tous mes efforts tendaient mloigner, quand, dnonc par un camarade denfance,qui se vengeait ainsi de quelques dmls que nousavions eus ensemble, je fus arrt mon retour de la foirede Mantes. Quoique je soutinsse opinitrement que jentais pas Vidocq, mais Blondel, comme lindiquait monpasse-port, on me transfra Saint-Denis, do je devaistre dirig sur Douai. Aux soins extraordinaires quon pritpour empcher mon vasion, je vis que jtaisrecommand ; un coup dil que je jetai sur la feuille de lagendarmerie me rvla mme une prcaution dun genretout particulier : voici comment jy tais dsign.

    SURVEILLANCE SPCIALE. Vidocq (Eugne-Franois), condamn mort par

    contumace. Cet homme est excessivement entreprenant etdangereux.

    Ainsi, pour tenir en haleine la vigilance de mes gardiens,on me reprsentait comme un grand criminel. Je partis deSaint-Denis, en charrette, garrott de manire ne pouvoirfaire un mouvement, et jusqu Louvres lescorte ne cessadavoir les yeux sur moi ; ces dispositions annonaient desrigueurs quil mimportait de prvenir ; je retrouvai toute

  • cette nergie laquelle javais dj d tant de fois lalibert.

    On nous avait dposs dans le clocher de Louvres,transform en prison ; je fis apporter deux matelas, unecouverture et des draps, qui, coups et tresss, devaientnous servir descendre dans le cimetire ; un barreau futsci avec les couteaux de trois dserteurs enferms avecnous ; et deux heures du matin, je me risquai le premier.Parvenu lextrmit de la corde, je maperus quil senfallait de prs de quinze pieds quelle natteignt le sol : il nyavait pas hsiter ; je me laissai tomber. Mais, commedans ma chute sous les remparts de Lille, je me foulai lepied gauche, et il me devint presque impossible demarcher ; jessayais nanmoins de franchir les murs ducimetire, lorsque jentendis tourner doucement la clefdans la serrure. Ctait le gelier et son chien, qui navaientpas meilleur nez lun que lautre : dabord le gelier passasous la corde sans la voir, et le mtin prs dune fosse oje mtais tapis, sans me sentir. Leur ronde faite, ils seretirrent ; je pensais que mes compagnons suivraient monexemple ; mais personne ne venant, jescaladai lenceinte ;me voil dans la campagne. La douleur de mon pieddevient de plus en plus aigu Cependant je brave lasouffrance ; le courage me rend des forces, et je mloigneassez rapidement. Javais peu prs parcouru un quart delieue ; tout coup jentends sonner le tocsin ; on tait alors la mi-mai. Aux premires lueurs du jour, je vois quelquespaysans arms sortir de leurs habitations pour se rpandredans la plaine ; probablement ils ignoraient de quoi il

  • sagissait ; mais ma jambe clope tait un indice quidevait me rendre suspect ; jtais un visage inconnu ; il taitvident que les premiers qui me rencontreraientvoudraient, tout vnement, sassurer de ma personneValide, jeusse dconcert toutes les poursuites ; il nyavait plus qu me laisser empoigner, et je navais pas faitdeux cents pas, que, rejoint par les gendarmes, quiparcouraient la campagne, je fus apprhend au corps, etramen dans le maudit clocher.

    La triste issue de cette tentative ne me dcouragea pas. Bapaume, on nous avait mis la citadelle, dans uneancienne salle de police, place sous la surveillance dunposte de conscrits du 30e de ligne ; une seule sentinellenous gardait ; elle tait au bas de la fentre, et assezrapproche des prisonniers pour quils pussent entrer enconversation avec elle ; cest ce que je fis. Le soldat quije madressai me parut dassez bonne composition ;jimaginai quil me serait ais de le corrompre Je luioffris cinquante francs pour nous laisser vader pendant safaction. Il refusa dabord, mais, au ton de sa voix et certain clignotement de ses yeux, je crus mapercevoir quiltait impatient de tenir la somme ; seulement il nosait pas.Afin de lenhardir, jaugmentai la dose, je lui montrai troislouis, et il me rpondit quil tait prt nous seconder ; enmme temps, il mapprit que son tour reviendrait de minuit deux heures. Nos conventions faites, je mis la main luvre ; la muraille fut perce de manire nous livrerpassage ; nous nattendions plus que le moment opportunpour sortir. Enfin, minuit sonne, le soldat vient mannoncer

  • quil est l ; je lui donne les trois louis, et jactive lesdispositions ncessaires. Quand tout est prt, jappelle :Est-il temps ? dis-je la sentinelle. Oui, dpchez-vous , me rpondit-elle, aprs avoir un instant hsit. Jetrouve singulier quelle ne mait pas rpondu de suite ; jecrois entrevoir quelque chose de louche dans cetteconduite ; je prte loreille, il me semble entendre marcher ; la clart de la lune, japerois aussi lombre de plusieurshommes sur les glacis ; plus de doute, nous sommestrahis. Cependant, il peut se faire que jaie trop prcipitmon jugement ; pour men assurer, je prends de la paille, jefais la hte un mannequin, que jhabille ; je le prsente lissue que nous avions pratique ; au mme instant, uncoup de sabre pourfendre une enclume mapprend que jelai chapp belle, et me confirme de plus en plus danscette opinion, quil ne faut pas toujours se fier aux conscrits.Soudain la prison est envahie par les gendarmes ; ondresse un procs-verbal, on nous interroge, on veut toutsavoir ; je dclare que jai donn trois louis ; le conscrit nie ;je persiste dans ma dclaration ; on le fouille, et largent seretrouve dans ses souliers ; on le met au cachot.

    Quant nous, on nous fit de terribles menaces, maiscomme on ne pouvait pas nous punir, on se contenta dedoubler nos gardes Il ny avait plus moyen deschapper, moins dune de ces occasions que jpiaissans cesse ; elle se prsenta plus tt que je ne lauraisespr. Le lendemain tait le jour de notre dpart ; noustions descendus dans la cour de la caserne ; il y rgnaitune grande confusion, cause par la prsence simultane

  • dun nouveau transport de condamns et dun dtachementde conscrits des Ardennes, qui se rendaient au camp deBoulogne. Les adjudants disputaient le terrain auxgendarmes pour former les pelotons et faire lappel.Pendant que chacun comptait ses hommes, je me glissefurtivement dans la civire dune voiture de bagage qui sedisposait sortir de la cour Je traversai ainsi la ville,immobile, et me faisant petit autant que je le pouvais, afinde ntre pas dcouvert. Une fois hors des remparts, il neme restait plus qu mesquiver ; je saisis le moment o lecharretier, toujours altr, comme les gens de son espce,tait entr dans un bouchon pour se rafrachir ; et tandisque ses chevaux lattendaient sur la route, jallgeai savoiture dun poids dont il ne la supposait pas charge.Jallai aussitt me cacher dans un champ de colza ; etquand la nuit fut venue, je morientai.

  • CHAPITRE XVII.

    Le camp de Boulogne. La rencontre. Les recruteurs

    sous lancien rgime. M. Belle-Rose. Je me dirigeai travers la Picardie sur Boulogne.

    cette poque, Napolon avait renonc son projet dunedescente en Angleterre ; il tait all faire la guerre lAutriche avec sa grande arme ; mais il avait encorelaiss sur les bords de la Manche de nombreux bataillons.Il y avait dans les deux camps, celui de gauche et celui dedroite, des dpts de presque tous les corps et dessoldats de tous les pays de lEurope, des Italiens, desAllemands, des Pimontais, des Hollandais, des Suisses,et jusqu des Irlandais.

    Les uniformes taient trs varis ; leur diversit pouvaittre favorable pour me cacher Cependant je crus que ceserait mal me dguiser que demprunter lhabit militaire. Jesongeai un instant me faire soldat en ralit. Mais, pourentrer dans un rgiment, il et fallu avoir des papiers ; et jenen avais pas. Je renonai donc mon projet. Cependantle sjour Boulogne tait dangereux, tant que je nauraispas trouv me fourrer quelque part.

    Un jour que jtais plus embarrass de ma personne etplus inquiet que de coutume, je rencontrai sur la place de lahaute ville un sergent de lartillerie de marine, que javais

  • eu loccasion de voir Paris ; comme moi, il taitArtsien ; mais, embarqu presque enfant sur un vaisseaude ltat, il avait pass la plus grande partie de sa vie auxcolonies ; depuis, il ntait pas revenu au pays, et il nesavait rien de ma msaventure. Seulement il me regardaitcomme un bon vivant ; et quelques affaires de cabaret,dans lesquelles je lavais soutenu avec nergie, lui avaientdonn une haute opinion de ma bravoure.

    Te voil, me dit-il, Roger-Bontemps ; et que fais-tudonc Boulogne ? Ce que jy fais ? Pays, je cherche memployer la suite de larme. Ah ! tu cours aprs unemploi ; sais-tu que cest diablement difficile de se placeraujourdhui ; tiens, si tu veux suivre un conseil Mais,coute, ce nest pas ici que lon peut sexpliquer sonaise ; entrons chez Galand. Nous nous dirigemes versune espce de rogomiste, dont le modeste tablissementtait situ lun des angles de la place. Ah ! bonjour,Parisien, dit le sergent au cantinier. Bonjour, pre Dufailli,que peut-on vous offrir ? une pote ; du doux ou du rude ? Vingt-cinq dieu ! papa Galand, nous prenez-vous pourdes rafals ? Cest la fine rmoulade quil nous faut, et duvin trente, entendez-vous ? Puis il sadressa moi : Nest-il pas vrai, mon vieux, que les amis des amis sonttoujours des amis. Tope l , ajouta-t-il en me frappantdans la main ; et il mentrana dans un cabinet oM. Galand recevait les pratiques de prdilection.

    Javais grand apptit, et je ne vis pas sans une bien vivesatisfaction les apprts dun repas dont jallais prendre mapart. Une femme de vingt-cinq trente ans, de la taille, de

  • la figure, et de lhumeur de ces filles qui peuvent faire lebonheur de tout un corps de garde, vint nous mettre lecouvert : ctait une petite Ligeoise bien vive, bienenjoue, baragouinant son patois, et dbitant tout proposde grosses polissonneries, qui provoquaient le rire dusergent, charm quelle et autant desprit. Cest la belle-sur de notre hte, me dit-il ; jespre quelle en a desbossoirs ; cest gras comme une pelotte, rond comme uneboue ; aussi est-ce un plaisir. En mme temps Dufailli,arrondissant la forme de ses mains, lui faisait desagaceries de matelot, tantt lattirant sur ses genoux (car iltait assis), tantt appliquant sur sa joue luisante un de cesbaisers retentissants, qui rvlent un amour sansdiscrtion.

    Javoue que je ne voyais pas sans peine ce mange, quiralentissait le service lorsque mademoiselle Jeannette(ctait le nom de la belle-sur de M. Galand) stantbrusquement chappe des bras de mon Amphitryon,revint avec une moiti de dinde fortement assaisonne demoutarde, et deux bouteilles quelle plaa devant nous.

    la bonne heure ! scria le sergent ; voil de quoichiquer les vivres et pomper les huiles, et je vais menacquitter du bon coin. Aprs , nous verrons, car, dans lacassine, tout est notre discrtion ; je nai qu faire signe.Nest-il pas vrai, mademoiselle Jeannette ? Oui, moncamarade, continua-t-il, je suis le patron de cans.

    Je le flicitai sur tant de bonheur ; et nouscommenmes lun et lautre manger et boire

  • largement. Il y avait long-temps que je ne mtais trouv pareille fte ; je me lestai dimportance. Force bouteillesfurent vides ; nous allions, je crois, dboucher laseptime, lorsque le sergent sortit, probablement poursatisfaire un besoin, et rentra presque aussitt, ramenantavec lui deux nouveaux convives ; ctaient un fourrier et unsergent-major. Vingt-cinq dieu ! jaime la socit, scriaDufailli ; aussi, Pays, viens-je de faire deux recrues : je myentends recruter ; demandez plutt ces Messieurs.

    Oh, cest vrai, rpartit le fourrier, lui le coq, le papaDufailli, pour inventer des emblmes et embter leconscrit : quand jy pense, fallait-il que je fusse loff pourdonner dans un godan pareil ! Ah ! tu ten souviensencore ? Oui, oui, notre ancien, je men souviens, et lemajor aussi, puisque vous avez eu le toupet de lengageren qualit de notaire du rgiment.

    Eh bien ! na-t-il pas fait son chemin ? et, mille nomsdune pipe ! ne vaut-il pas mieux tre le premier comptabledune compagnie de canonniers, que de gratter le papierdans une tude ? Quen dis-tu, fourrier ? Je suis de votreavis ; pourtant Pourtant, pourtant, tu me diras peut-tre,toi, que tu tais plus heureux, quand, ds le patron minet, ilte fallait empoigner larrosoir, et te morfondre jeter duratafia de grenouilles sur tes tulipes. Nous allions nousembarquer Brest sur lInvincible ; tu ne voulais partir quecomme jardinier fleuriste du bord : allons tai-je dit, va pourjardinier fleuriste ; le capitaine aime les fleurs, chacun songot, mais aussi chacun son mtier ; jai fait le mien. Il mesemble que je te vois encore : tais-tu emprunt, lorsquau

  • lieu de temployer cultiver des plantes marines, comme tuty attendais, on tenvoya faire la manuvre de haubans surdu trente-six, et lorsquil te fallut mettre le feu au mortier surla bombarde ! ctait l le bouquet ! Mais ne parlons plusde a, et buvons un coup. Allons, Pays, verse donc boireaux camarades.

    Je me mis en train demplir les verres. Tu vois, me ditle sergent, quils ne men veulent plus : aussi nous troismaintenant ne faisons-nous plus quune paire damis. Cenest pas lembarras, je les ai fait joliment donner dans lepanneau ; mais tout nest rien ; nous autres recruteursde la marine, nous ne sommes que de la Saint-Jeanauprs des recruteurs dautrefois ; vous tes encore desblancs-becs, et vous navez pas connu Belle-Rose ; cestcelui-l qui avait le truque. Tel que vous me voyez, je ntaispas trop niolle, et cependant il memmaillota le mieux dumonde. Je crois que je vous ai dj cont , mais, touthasard, je vais le rpter pour le Pays.

    Dans lancien rgime, voyez-vous, nous avions descolonies, lle de France, Bourbon, la Martinique, laGuadeloupe, le Sngal, la Guyane, la Louisiane, Saint-Domingue, etc. prsent, fait brosse ; nous navonsplus que lle dOlron ; cest un peu plus que rien, ou,comme dit cet autre, cest un pied terre, en attendant lereste. La descente aurait pu nous rendre tout . Maisbah ! la descente, il ny faut plus songer, cest une affairefaite : la flottille pourrira dans le port et puis on fera du feuavec la dfroque. Mais je maperois que je cours uneborde et que je vais la drive ; en avant donc Belle-

  • borde et que je vais la drive ; en avant donc Belle-Rose ! car je crois que cest de Belle-Rose que je vousparlais.

    Comme je vous le disais ctait un gaillard qui avait lefil ; et puis dans ce temps l les jeunes gens ntaient passi allurs quaujourdhui.

    Javais quitt Arras quatorze ans, et jtais depuis sixmois Paris en apprentissage chez un armurier, quand unmatin le patron me chargea de porter au colonel descarabiniers, qui demeurait la Place Royale, une paire depistolets quil lui avait remis en tat. Je macquittai assezlestement de la commission ; malheureusement cesmaudits pistolets devaient faire rentrer dix-huit francs laboutique ; le colonel me compta largent et me donna lapice. Jusque l ctait merveille ; mais ne voil-t-il pas,quen traversant la rue du Plican, jentends frapper uncarreau. Je mimagine que cest quelquun deconnaissance, je lve le nez, quest-ce que je vois ? unemadame de Pompadour qui, ses appas lair, se carraitderrire une vitre plus claire que les autres ; et qui, par unsigne de la tte, accompagn dun aimable sourire,mengageait monter. On et dit dune miniature mouvantedans son cadre. Une gorge magnifique, une peau blanchecomme de la neige, une poitrine large, et par-dessus lemarch une figure ravissante, il nen fallait pas tant pour memettre en feu ; jenfile lalle, je monte lescalier quatre quatre, on mintroduit prs de la princesse : ctait unedivinit ! Approche, mon miston, me dit-elle, en mefrappant lgrement sur la joue, tu vas me faire ton petitcadeau, nest-ce pas ?

  • cadeau, nest-ce pas ? Je fouille alors en tremblant dans ma poche, et jen tire

    la pice que le colonel mavait donne. Dis donc petit,continua-t-elle, je crois, ma foi de Dieu, que tes Picard. Ehbien ! je suis ta payse : oh ! tu paieras bien un verre de vin ta payse !

    La demande tait faite de si bonne grce ! je neuspas la force de refuser ; les dix huit francs du colonel furententams. Un verre de vin en amne un autre, et puis deux,et puis trois et puis quatre, si bien que je menivrai deboisson et de volupt. Enfin la nuit arriva, et, je ne saiscomment cela se fit, mais je mveillai dans la rue, sur unbanc de pierre, la porte de lhtel des Fermes

    Ma surprise fut grande, en regardant autour de moi ;elle fut plus grande encore quand je vis le fond de mabourse : les oiseaux taient dnichs

    Quel moyen de rentrer chez mon bourgeois ? O allercoucher ? Je pris le parti de me promener en attendant lejour ; je navais point dautre but que de tuer le temps, ouplutt de mtourdir sur les suites dune premire faute. Jetournai machinalement mes pas du ct du march desInnocents. Fiez-vous donc aux payses ! me disais-je enmoi-mme ; me voil dans de beaux draps ! encore sil merestait quelque argent

    Javoue que, dans ce moment, il me passa de drlesdides par la tte Javais vu souvent affich sur les mursde Paris : Portefeuille perdu, avec mille, deux mille et troismille francs de rcompense qui le rapporterait. Est-ceque je ne mimaginai pas que jallais trouver un de cesportefeuilles ; et dvisageant les pavs un un, marchant

  • comme un homme qui cherche quelque chose ; jtais trssrieusement proccup de la possibilit dune si bonneaubaine, lorsque je fus tir de ma rverie par un coup depoing qui marriva dans le dos. Eh bien ! Cadet, que fais-tu donc par ici si matin ? Ah ! cest toi, Fanfan, et par quelhasard dans ce quartier cette heure ?

    Fanfan tait un apprenti ptissier, dont javais fait laconnaissance aux Porcherons ; en un instant, il meutappris que depuis six semaines il avait dsert le four, quilavait une matresse qui fournissait aux appointements, etque, pour le quart dheure, il se trouvait sans asile, parcequil avait pris fantaisie au monsieur de sa particulire decoucher avec elle. Au surplus, ajouta-t-il, je men bats lil ;si je passe la nuit la Souricire, le matin je reviens augte, et je me rattrape dans la journe. Fanfan le ptissierme paraissait un garon dgourdi ; je supposais quilpourrait mindiquer quelque expdient pour me tirerdaffaire ; je lui peignis mon embarras.

    Ce nest que a, me dit-il ; viens me rejoindre midiau cabaret de la barrire des Sergents ; je te donneraipeut-tre un bon conseil : dans tous les cas, nousdjenerons ensemble.

    Je fus exact au rendez-vous. Fanfan ne se fit pasattendre ; il tait arriv avant moi : aussitt que jentrai, onme conduisit dans un cabinet o je le trouvai en face dunecloyre dhutres, attabl entre deux femelles, dont lune, enmapercevant, partit dun grand clat de rire. Et qua-t-elledonc celle-l, scria Fanfan ? Eh ! Dieu me pardonne,cest le pays ! Cest la payse ! dis-je mon tour, un peu

  • cest le pays ! Cest la payse ! dis-je mon tour, un peuconfus. Oui, mon minet, cest la payse. Je voulus meplaindre du mchant tour quelle mavait jou la veille ;mais, en embrassant Fanfan, quelle appelait son lapin,elle se prit rire encore plus fort, et je vis que ce quil yavait de mieux faire, tait de prendre mon parti en brave.

    Eh bien ! me dit Fanfan, en me versant un verre devin blanc, et mallongeant une douzaine dhutres, tu voisquil ne faut jamais dsesprer de la Providence ; les piedsde cochon sont sur le gril : aimes-tu les pieds de cochon ?Je navais pas eu le temps de rpondre sa question, quedj ils taient servis. Lapptit avec lequel je dvoraistait tellement affirmatif, que Fanfan neut plus besoin deminterroger sur mon got. Bientt le Chablis meut mis engaiet ; joubliai les dsagrments que pourrait me causerle mcontentement de mon bourgeois, et comme lacompagne de ma payse mavait donn dans lil, je melanai lui faire ma dclaration. Foi de Dufailli ! elle taitgentille croquer ; elle me rendit la main.

    Tu maimes donc bien, me dit Fanchette, ctait lenom de la pronnelle. Si je vous aime ! Eh bien ! si tuveux, nous nous marierons ensemble. Cest a, ditFanfan, mariez-vous ; pour commencer, nous allons faire lanoce. Je te marie, Cadet, entends-tu ? Allons, embrassez-vous ; et en mme temps, il nous empoigna tous deux parla tte pour rapprocher nos deux visages. Pauvre chri,scria Fanchette, en me donnant un second baiser, sanslaide de mon ami ; sois tranquille, je te mettrai au pas.

    Jtais aux anges ; je passai une journe dlicieuse.

  • Le soir, jallai coucher avec Fanchette ; et, sans vanit, ellesy prit si bien quelle et tout lieu dtre satisfaite de moi.

    Mon ducation fut bientt faite. Fanchette tait toutefire davoir rencontr un lve qui profitait si bien de sesleons ; aussi me rcompensait-elle gnreusement.

    cette poque, les notables venaient de sassembler.Les notables taient de bons pigeons ; Fanchette lesplumait, et nous les mangions en commun. Chaque jourctaient des bombances nen plus finir. Nous ont-ils faitfaire des gueuletons, ces notables, nous en ont-ils faitfaire ! Sans compter que javais toujours le gousset garni !

    Fanchette et moi nous ne nous refusions rien : maisque les instants du bonheur sont courts ! Oh ! oui, trscourts !

    Un mois de cette bonne vie stait peine coul, queFanchette et ma payse furent arrtes et conduites laForce. Quavaient-elles fait ? je nen sais rien ; maiscomme les mauvaises langues parlaient du saut dunemontre rptition, moi, qui ne me souciais pas de faireconnaissance avec M. le lieutenant gnral de police, jejugeai prudent de ne pas men informer.

    Cette arrestation tait un coup que nous navions pasprvu ; Fanfan et moi, nous en fmes attrs. Fanchettetait si bonne enfant ! Et puis, maintenant que devenir, plusde ressources, me disais-je ; la marmite est renverse ;adieu les hutres, adieu le Chablis, adieu les petits soins.Naurait-il pas mieux valu rester mon tau ? De son ct,Fanfan se reprochait davoir renonc ses brioches.

    Nous nous avancions ainsi tristement sur le quai de la

  • Ferraille, lorsque nous fmes tout coup rveills par lebruit dune musique militaire, deux clarinettes, une grossecaisse et des cymbales. La foule stait rassemble autourde cet orchestre port sur une charrette, au-dessus delaquelle flottaient un drapeau et des panaches de toutes lescouleurs. Je crois quon jouait lair, O peut-on tre mieuxquau sein de sa famille ? Quand les musiciens eurent fini,les tambours battirent un banc ; un monsieur galonn surtoutes les coutures se leva et prit la parole, en montrant aupublic une grande pancarte sur laquelle tait reprsent unsoldat en uniforme. Par lautorisation de Sa Majest, dit-il, je viens ici pour expliquer aux sujets du roi de France lesavantages quil leur fait en les admettant dans sescolonies. Jeunes gens qui mentourez, vous ntes passans avoir entendu parler du pays de Cocagne ; cest danslInde quil faut aller pour le trouver ce fortun pays ; cest lque lon a de tout gogo.

    Souhaitez-vous de lor, des perles, des diamants ? leschemins en sont pavs ; il ny a qu se baisser pour enprendre, et encore ne vous baissez-vous pas, lesSauvages les ramassent pour vous.

    Aimez-vous les femmes ? il y en a pour tous les gots :vous avez dabord les ngresses, qui appartiennent toutle monde ; viennent ensuite les croles, qui sont blanchescomme vous et moi, et qui aiment les blancs la fureur, cequi est bien naturel dans un pays o il ny a que des noirs ;et remarquez bien quil nest pas une delles qui ne soitriche comme un Crsus, ce qui, soit dit entre nous, est fortavantageux pour le mariage.

  • Avez-vous la passion du vin ? cest comme lesfemmes, il y en a de toutes les couleurs, du malaga, dubordeaux, du champagne, etc. Par exemple, vous ne devezpas vous attendre rencontrer souvent du bourgogne ; jene veux pas vous tromper, il ne supporte pas la mer, maisdemandez de tous les autres crus du globe, six blancs labouteille, vu la concurrence, on sera trop heureux de vousen abreuver. Oui, messieurs, six blancs, et cela ne voussurprendra pas quand vous saurez que, quelquefois cent,deux cents, trois cents navires tous chargs de vins, sontarrivs en mme temps dans un seul port. Peignez-vousalors lembarras des capitaines : presss de senretourner, ils dposent leur cargaison terre, en faisantannoncer que ce sera leur rendre service de venir puisergratis mme les tonneaux.

    Ce nest pas tout : croyez-vous que ce ne soit pas unegrande douceur que davoir sans cesse le sucre sous samain ?

    Je ne vous parle pas du caf, des limons, desgrenades, des oranges, des ananas, et de mille fruitsdlicieux qui viennent l sans culture comme dans leParadis terrestre ; je ne dis rien non plus de ces liqueursdes les, dont on fait tant de cas, et qui sont si agrables,que, sauf votre respect, il semble, en les buvant, que le bonDieu et les anges vous pissent dans la bouche.

    Si je madressais des femmes ou des enfants, jepourrais leur vanter toutes ces friandises ; mais jemexplique devant des hommes.

    Fils de famille, je nignore pas les efforts que font

  • ordinairement les parents pour dtourner les jeunes gensde la voie qui doit les conduire la fortune ; mais soyezplus raisonnables que les papas et surtout que lesmamans.

    Ne les coutez pas, quand ils vous diront que lesSauvages mangent les Europens la croque-au-sel : toutcela tait bon au temps de Christophe Colomb, ou deRobinson Cruso.

    Ne les coutez pas, quand ils vous feront un monstrede la fivre jaune ; la fivre jaune ? eh ! messieurs, si elletait aussi terrible quon le prtend, il ny aurait que deshpitaux dans le pays : et Dieu sait quil ny en a pas unseul ?

    Sans doute on vous fera encore peur du climat, je suistrop franc pour ne pas en convenir : le climat est trs chaud,mais la nature sest montre si prodigue derafrachissements, quen vrit il faut y faire attention poursen apercevoir.

    On vous effraiera de la piqre des maringouins, de lamorsure des serpents sonnettes. Rassurez-vous ; navez-vous pas vos esclaves toujours prts chasser les uns ?quant aux autres, ne font-ils pas du bruit tout exprs pourvous avertir ?

    On vous fera des contes sur les naufrages. Apprenezque jai travers les mers cinquante sept fois ; que jai vu etrevu le bon homme tropique ; que je me soucie daller dunple lautre comme davaler un verre deau, et que surlOcan o il ny a ni trains de bois, ni nourrices, je me croisplus en sret bord dun vaisseau de 74, que dans les

  • casemates du coche dAuxerre, ou sur la galiote qui va deParis Saint-Cloud. En voil bien assez pour dissiper voscraintes. Je pourrais ajouter au tableau de ces agrments ; je pourrais vous entretenir de la chasse, de la pche :figurez-vous des forts o le gibier est si confiant, quil nesonge pas mme prendre la fuite, et si timide, quil suffitde crier un peu fort pour le faire tomber ; imaginez desfleuves et des lacs o le poisson est si abondant, quil lesfait dborder. Tout cela est merveilleux, tout cela est vrai.

    Jallais oublier de vous parler des chevaux : deschevaux, messieurs, on ne fait pas un pas sans enrencontrer par milliers ; on dirait des troupeaux demoutons ; seulement ils sont plus gros : tes-vousamateurs ? voulez-vous monter ? vous prenez une cordedans votre poche ; il est bon quelle soit un peu longue ;vous avez la prcaution dy faire un nud coulant ; voussaisissez linstant o les animaux sont patre, alors ils nese doutent de rien ; vous vous approchez doucement, vousfaites votre choix, et quand votre choix est fait, vous lancezla corde ; le cheval est vous, il ne vous reste plus qulenfourcher ou lemmener la longe, si vous le jugez propos : car notez bien quici chacun est libre de sesactions.

    Oui, messieurs, je le rpte, tout cela est vrai, trs vrai,excessivement vrai : la preuve, cest que le roi de France,Sa Majest Louis XVI, qui pourrait presque mentendre deson palais, mautorise vous offrir de sa part tant debienfaits. Oserais-je vous mentir si prs de lui ?

    Le roi veut vous vtir, le roi veut vous nourrir, il veut

  • Le roi veut vous vtir, le roi veut vous nourrir, il veutvous combler de richesses ; en retour, il nexige presquerien de vous : point de travail, bonne paie ; bonnenourriture, se lever et se coucher volont, lexercice unefois par mois, la parade la Saint-Louis ; pour celle-l, parexemple, je ne vous dissimule pas que vous ne pouvez pasvous en dispenser, moins que vous nen ayez obtenu lapermission, et on ne la refuse jamais. Ces obligationsremplies, tout votre temps est vous. Que voulez-vous deplus ? un bon engagement ? vous laurez ; mais dpchez-vous, je vous en prviens ; demain peut-tre il ne sera plustemps ; les vaisseaux sont en partance, on nattend plusque le vent pour mettre la voile Accourez donc,Parisiens, accourez. Si, par hasard, vous vous ennuyezdtre bien, vous aurez des congs quand vous voudrez :une barque est toujours dans le port, prte ramener enEurope ceux qui ont la maladie du pays ; elle ne fait que a.Que ceux qui dsirent avoir dautres dtails viennent metrouver ; je nai pas besoin de leur dire mon nom, je suisassez connu ; ma demeure est quatre pas dici, aupremier rverbre, maison du marchand de vin. Vousdemanderez M. Belle-Rose.

    Ma situation me rendit si attentif ce discours, que je leretins mot pour mot, et quoiquil y ait bientt vingt ans queje lai entendu, je ne pense pas en avoir omis une syllabe.

    Il ne fit pas moins dimpression sur Fanfan. Nous tions nous consulter, lorsquun grand escogriffe, dont nous nenous occupions pas le moins du monde, appliqua unecalotte Fanfan, et fit rouler son chapeau par terre. Jetapprendrai, lui dit-il, Malpot, me regarder de travers.

  • tapprendrai, lui dit-il, Malpot, me regarder de travers.Fanfan tait tout tourdi du coup ; je voulus prendre sadfense ; lescogriffe leva son tour la main sur moi ;bientt nous fmes entours ; la rixe devenait srieuse, lepublic prenait ses places ; ctait qui serait auxpremires. Tout coup un individu perce la foule ; ctaitM. Belle-Rose : Eh bien ! quest-ce quil y a ? dit-il ; et endsignant Fanfan, qui pleurait, je crois que monsieur a reuun soufflet : cela ne peut pas sarranger ; mais monsieurest brave, je lis a dans ses yeux ; cela sarrangera. Fanfanvoulut dmontrer quil navait pas tort, et ensuite quil navaitpas reu de soufflet. Cest gal, mon ami, rpliqua Belle-Rose ; il faut absolument sallonger. Certainement, ditlescogriffe, cela ne se passera pas comme a. Monsieurma insult, il men rendra raison ; il faut quil y en ait un desdeux qui reste sur la place.

    Eh bien ! soit, lon vous rendra raison, rpondit Belle-Rose ; je rponds de ces messieurs : votre heure ? Lavtre ? Cinq heures du matin, derrire larchevch.Japporterai des fleurets.

    La parole tait donne, lescogriffe se retira, et Belle-Rose frappant sur le ventre de Fanfan, lendroit du gileto lon met largent, y fit rsonner quelques pices,derniers dbris de notre splendeur clipse : Vraiment,mon enfant, je mintresse vous, lui dit-il, vous allez veniravec moi ; monsieur nest pas de trop, ajouta-t-il en mefrappant aussi sur le ventre, comme il avait fait Fanfan.

    M. Belle-Rose nous conduisit dans la rue de laJuiverie, jusqu la porte dun marchand de vin, o il nous fitentrer. Je nentrerai pas avec vous, nous dit-il ; un homme

  • entrer. Je nentrerai pas avec vous, nous dit-il ; un hommecomme moi doit garder le dcorum ; je vais medbarrasser de mon uniforme, et je vous rejoins dans laminute. Demandez du cachet rouge et trois verres.M. Belle-Rose nous quitta. Du cachet rouge, rpta-t-il ense retournant, du cachet rouge.

    Nous excutmes ponctuellement les ordres deM. Belle-Rose, qui ne tarda pas revenir, et que nousremes chapeau bas. Ah ! mes enfants, nous dit-il,couvrez-vous ; entre nous, pas de crmonies ; je vaismasseoir ; o est mon verre ? le premier venu, je le saisis la premire capucine, (il lavale dun trait). Javaisdiablement soif ; jai de la poussire plein la gorge.

    Tout en parlant, M. Belle-Rose lampa un second coup ;puis, stant essuy le front avec son mouchoir, il se mit lesdeux coudes sur la table, et prit un air mystrieux quicommena nous inquiter.

    Ah ! mes bons amis, cest donc demain que nousallons en dcoudre. Savez-vous, dit-il Fanfan, qui ntaitrien moins que rassur, que vous avez affaire forte partie,une des premires lames de France : il pelotte Saint-Georges. Il pelotte Saint-Georges ! rptait Fanfan dunton piteux en me regardant. Ah mon Dieu oui, il pelotteSaint-Georges ; ce nest pas tout, il est de mon devoir devous avertir quil a la main extrmement malheureuse. Etmoi donc ! dit Fanfan. Quoi ! vous aussi ? Parbleu ! jecrois bien, puisque, quand jtais chez mon bourgeois, il nese passait pas de jour que je ne cassasse quelque chose,ne ft-ce quune assiette. Vous ny tes pas, mon garon,reprit Belle-Rose : on dit dun homme quil a la main

  • malheureuse, quand il ne peut pas se battre sans tuer sonhomme.

    Lexplication tait trs claire ; Fanfan tremblait de tousses membres ; la sueur coulait de son front grossesgouttes ; des nuages blancs et bleus se promenaient surses joues rosaces dapprenti ptissier, sa facesalongeait, il avait le cur gros, il suffoquait ; enfin il laissachapper un norme soupir.

    Bravo ! scria Belle-Rose, en lui prenant la main dansla sienne ; jaime les gens qui nont pas peur Nest-cepas que vous navez pas peur ? Puis, frappant sur la table :Garon ! une bouteille, du mme, entends-tu ? cestmonsieur qui rgale Levez-vous donc un peu, mon ami,fendez-vous, relevez-vous, alongez le bras, pliez lasaigne, effacez-vous ; cest a. Superbe, superbe,dlicieux ! Et pendant ce temps, M. Belle-Rose vidait sonverre. Foi de Belle-Rose, je veux faire de vous un tireur.Savez-vous que vous tes bien pris ; vous seriez trs biensous les armes, et il y en a plus de quatre parmi les matresqui navaient pas autant de dispositions que vous. Quecest dommage que vous nayez pas t montr. Mais non,cest impossible ; vous avez frquent les salles. Oh ! jevous jure que non, rpondit Fanfan. Avouez que vousvous tes battu. Jamais. Pas de modestie ; quoi sertde cacher votre jeu ? est-ce que je ne vois pas bien Jevous proteste, mcriai-je alors, quil na jamais tenu unfleuret de sa vie. Puisque monsieur latteste, il faut bienque je men rapporte : mais, tenez, vous tes deux malins,ce nest pas aux vieux singes quon enseigne faire des

  • ce nest pas aux vieux singes quon enseigne faire desgrimaces : confessez-moi la vrit, ne craignez-vous pasque jaille vous trahir ? ne suis-je plus votre ami ? Si vousnavez pas de confiance en moi, il vaut autant que je meretire. Adieu messieurs, continua Belle-Rose dun aircourrouc, en savanant vers la porte, comme pour sortir.

    Ah ! monsieur Belle-Rose, ne nous abandonnez pas,scria Fanfan ; demandez plutt Cadet si je vous aimenti : je suis ptissier de mon tat ; est-ce de ma faute sijai des dispositions ? jai tenu le rouleau, mais Je medoutais bien, dit Belle-Rose, que vous aviez tenu quelquechose. Jaime la sincrit ; la sincrit, vous lavez ; cest laprincipale des vertus pour ltat militaire ; avec celle-l lonva loin ; je suis sr que vous ferez un fameux soldat. Maispour le moment, ce nest pas de cela quil sagit. Garon,une bouteille de vin. Puisque vous ne vous tes jamaisbattu, le diable memporte si jen crois rien et aprs uneminute de silence : cest gal ; mon bonheur moi, cest derendre service la jeunesse : je veux vous enseigner uncoup, un seul coup. (Fanfan ouvrait de grands yeux.) Vousme promettez bien de ne le montrer qui que ce soit. Jele jure, dit Fanfan. Eh bien, vous serez le premier quijaurai dit mon secret. Faut-il que je vous aime ! un coupauquel il ny a pas de parade ! un coup que je gardais pourmoi seul. Nimporte, demain il fera jour, je vous initierai.

    Ds ce moment Fanfan parut moins constern, il seconfondit en remercments envers M. Belle-Rose, quilregardait comme un sauveur ; on but encore quelquesrasades au milieu des protestations dintrt dune part, etde reconnaissance de lautre ; enfin, comme il se faisait

  • de reconnaissance de lautre ; enfin, comme il se faisaittard, M. Belle-Rose prit cong de nous, mais en hommequi connat son monde. Avant de nous quitter, il eutlattention de nous indiquer un endroit o nous pourrionsaller nous reposer. Prsentez-vous de ma part, nous dit-il,au Griffon, rue de la Mortellerie ; recommandez-vous demoi, dormez tranquilles, et vous verrez que tout se passerabien. Fanfan ne se fit pas tirer loreille pour payer lcot ; aurevoir, nous dit Belle-Rose, je vendrai vous rveiller.

    Nous allmes frapper la porte du Griffon, o lon nousdonna coucher. Fanfan ne put fermer lil : peut-tretait-il impatient de connatre le coup que M. Belle-Rosedevait lui montrer ; peut-tre tait-il effray ; ctait plutta.

    la petite pointe du jour, la clef tourne dans la serrure :quelquun entre, cest M. Belle-Rose. Morbleu ! est-cequon dort les uns sans les autres ? branle-bas gnralpartout, scrie-t-il. En un instant nous sommes sur pied.Quand nous fmes prts, il disparut un moment avecFanfan, et bientt aprs ils revinrent ensemble. Partons,dit Belle-Rose ; surtout pas de btises ; vous navez rien faire, quarte bande, et il senfilera de lui-mme.

    Fanfan, malgr la leon, ntait pas la noce : arrivsur le terrain, il tait plus mort que vif ; notre adversaire etson tmoin taient dj au poste. Cest ici quon vasaligner, dit Belle-Rose, en prenant les fleurets quilmavait remis, et dont il fit sauter les boutons ; puis,mesurant les lames : Il ny en aura pas un qui en ait dansle ventre six pouces de plus que lautre. Allons ! prenez moi

  • , M. Fanfan, continua-t-il, en prsentant les fleurets encroix.

    Fanfan hsite ; cependant, sur une seconde invitation,il saisit la monture, mais si gauchement quelle lui chappe. Ce nest rien, dit Belle-Rose en ramassant le fleuret quilremet la main de Fanfan, aprs lavoir plac vis--vis deson adversaire. Allons ! en garde ! on va voir qui est-ce quiempoignera les zharicots.

    Un moment, scrie le tmoin de ce dernier, jai unequestion faire auparavant. Monsieur, dit-il en sadressant Fanfan, qui pouvait peine se soutenir, nest ni prvt nimatre ? Quest-ce que cest ? rpond Fanfan du ton dunhomme qui se meurt. Daprs les lois du duel, reprit letmoin, mon devoir moblige vous sommer de dclarersur lhonneur si vous tes prvt ou matre ? Fanfan gardele silence et adresse un regard M. Belle-Rose, commepour linterroger sur ce quil doit dire. Parlez donc, lui ditencore le tmoin. Je suis, je suis, je ne suisquapprenti, balbutia Fanfan. Apprenti, on dit amateur,observa Belle-Rose. En ce cas, continua le tmoin,monsieur lamateur va se dshabiller, car cest sa peauque nous en voulons. Cest juste, dit Belle-Rose, je nysongeais pas ; on se dshabillera : vite, vite, M. Fanfan,habit et chemise bas.

    Fanfan faisait une fichue mine ; les manches de sonpourpoint navaient jamais t si troites : il sedboutonnait par en bas et se reboutonnait par en haut.Quand il fut dbarrass de son gilet, il ne put jamais venir bout de dnouer les cordons du col de sa chemise, il fallut

  • les couper ; enfin, sauf la culotte, le voil nu comme un ver.Belle-Rose lui redonne le fleuret : Allons ! mon ami, lui dit-il, en garde ! Dfends-toi, lui crie son adversaire ; les ferssont croiss, la lame de Fanfan frmit et sagite : lautrelame est immobile ; il semble que Fanfan va svanouir. Cen est assez, scrient tout--coup Belle-Rose et letmoin, en se jetant sur les fleurets ; cen est assez, voustes deux braves ; nous ne souffrirons pas que vous vousgorgiez ; que la paix soit faite, embrassez-vous, et quilnen soit plus question. Sacredieu ! il ne faut pas tuer toutce qui est gras Mais cest un intrpide ce jeune homme.Appaisez-vous donc, M. Fanfan.

    Fanfan commena respirer ; il se remit tout--faitquand on lui eut prouv quil avait montr du courage ; sonadversaire fit pour la frime quelques difficults de consentir un arrangement ; mais la fin il se radoucit ; onsembrassa ; et il fut convenu que la rconciliationsachverait en djenant au parvis Notre-Dame, labuvette des chantres : ctait l quil y avait du bon vin !

    Quand nous arrivmes, le couvert tait mis, le djenerprt : on nous attendait.

    Avant de nous attabler, M. Belle-Rose prit Fanfan etmoi en particulier. Eh bien ! mes amis, nous dit-il, voussavez prsent ce que cest quun duel ; ce nest pas lamer boire ; je suis content de vous, mon cher Fanfan,vous vous en tes tir comme un ange. Mais il faut treloyal jusquau bout : vous comprenez ce que parler veutdire ; il ne faut pas souffrir que ce soit lui qui paie.

    ces mots le front de Fanfan se rembrunit, car il

  • connaissait le fond de notre bourse. Eh ! mon Dieu,laissez bouillir le mouton, ajouta Belle-Rose, qui saperutde son embarras, si vous ntes pas en argent, je rpondspour le reste ; tenez, en voulez-vous de largent ? voulez-vous trente francs ? en voulez-vous soixante ? entre amis,on ne se gne pas ; et l-dessus il tira de sa poche douzecus de six livres : vous deux, dit-il, ils sont tous lavache, cela porte bonheur.

    Fanfan balanait : Acceptez, vous rendrez quandvous pourrez. cette condition, on ne risque riendemprunter. Je poussai le coude Fanfan, comme pourlui dire : prends toujours. Il comprit le signe, et nousempochmes les cus, touchs du bon cur de M. Belle-Rose.

    Il allait bientt nous en cuire. Ce que cest quand on napas dexprience. Oh ! il avait du service M. Belle-Rose !

    Le djeuner se passa fort gaiement : on parlabeaucoup de lavarice des parents, de la ladrerie desmatres dapprentissage, du bonheur dtre indpendant,des immenses richesses que lon amasse dans lInde : lesnoms du Cap, de Chandernagor, de Calcutta, dePondichry, de Tipoo-Sab, furent adroitement jets dansla conversation ; on cita des exemples de fortunescolossales faites par des jeunes gens que M. Belle-Roseavait rcemment engags. Ce nest pas pour me vanter,dit-il, mais je nai pas la main malheureuse ; cest moi quiai engag le petit Martin, eh bien ! maintenant, cest unNabab ; il roule sur lor et sur largent. Je gagerais quil estfier ; sil me revoyait, je suis sr quil ne me reconnatrait

  • plus. Oh ! jai fait diablement des ingrats dans ma vie ! Quevoulez-vous ? cest la destine de lhomme !

    La sance fut longue Au dessert, M. Belle-Roseremit sur le tapis les beaux fruits des Antilles ; quand on butdes vins fins : Vive le vin du Cap ; cest celui-l qui estexquis, scriait-il ; au caf, il sextasiait sur le Martinique ;on apporta du Coignac : Oh ! oh ! dit-il, en faisant lagrimace, a ne vaut pas le tafia, et encore moins lexcellentrhum de la Jamaque ; on lui versa du parfait-amour : selaisse boire, observa Belle-Rose, mais ce nest encore quede la petite bierre auprs des liqueurs de la clbremadame Anfous.

    M. Belle-Rose stait plac entre Fanfan et moi. Tout letemps du repas il eut soin de nous. Ctait toujours lamme chanson : videz donc vos verres, et il les remplissaitsans cesse. Qui ma bti des poules mouilles de votreespce ? disait-il dautres fois ; allons ! un peu dmulation,voyez-moi, comme javale .

    Ces apostrophes et bien dautres produisirent leureffet. Fanfan et moi, nous tions ce quon appelle bienpanss, lui surtout. M. Belle-Rose, cest-il encore bienloin les colonies, Chambernagor, Sering-a-patame ? cest-il encore bien loin ? rptait-il de temps autre, et il secroyait embarqu, tant il tait dans les branguesindes. Patience ! lui rpondit enfin Belle-Rose, nous arriverons :en attendant, je vais vous conter une petite histoire. Un jourque jtais en faction la porte du gouverneur Un jourquil tait gouverneur, redisait aprs lui Fanfan. Taisez-vous donc, lui dit Belle-Rose, en lui mettant la main sur la

  • bouche, cest quand je ntais encore que soldat,poursuivit-il. Jtais tranquillement assis devant ma gurite,me reposant sur un sopha, lorsque mon ngre, qui portaitmon fusil Il est bon que vous sachiez que dans lescolonies, chaque soldat a son esclave mle et femelle ;cest comme qui dirait ici un domestique des deux sexes, part que vous en faites tout ce que vous voulez, et que silsne vont pas votre fantaisie, vous avez sur eux droit de vieet de mort, cest--dire que vous pouvez les tuer comme ontue une mouche. Pour la femme, a vous regarde encore,vous vous en servez votre ide jtais donc en faction,comme je vous disais tout lheure ; mon ngre portaitmon fusil

    M. Belle-Rose peine achevait de prononcer cesmots, quun soldat en grande tenue entra dans la salle onous tions, et lui remit une lettre quil ouvrit avecprcipitation : Cest du ministre de la marine, dit-il ;M. de Sartine mcrit que le service du roi mappelle Surinam. Eh bien ! va pour Surinam. Diable, ajouta-t-il ensadressant Fanfan et moi, voil pourtant qui estembarrassant ; je ne comptai pas vous quitter sitt ; mais,comme dit cet autre, qui compte sans son hte comptedeux fois ; enfin, cest gal.

    M. Belle-Rose, prenant alors son verre, de la maindroite, frappait coups redoubls sur la table. Pendant queles autres convives sesquivaient un un, enfin une fille deservice accourut. La carte, et faites venir le bourgeois. Lebourgeois arrive en effet, avec une note de la dpense. Cest tonnant ! comme cela se monte ! observa Belle-

  • Rose, cent quatre-vingt-dix livres douze sols, six deniers !Ah ! pour le coup, M. Nivet, vous voulez nous corcher toutvifs ? Voil dabord un article que je ne vous passerai pas :quatre citrons vingt-quatre sols. Il ny en a eu que trois ;premire rduction. Peste, papa Nivet, je ne suis plussurpris si vous faites vos orges. Sept demi-tasses ; cestjoli ; il parat quil fait bon vrifier : nous ntions que six. Jesuis sr que je vais encore dcouvrir quelque erreurAsperges, dix-huit livres ; cest trop fort. En avril ! ditM. Nivet, de la primeur ! Cest juste, continuons : petitspois, artichaux, poisson. Le poisson davril nest pas pluscher que lautre, voyons un peu les fraises vingt-quatrelivres il ny a rien dire Quant au vin, cestraisonnable prsent, cest laddition que je vousattends : pose zro, retiens un, et trois de retenus Letotal est exact, les 12 sols sont rabattre, puis les 6deniers, reste 190 livres. Me trouvez-vous bon pour lasomme, papa Nivet ? Oh ! oh ! rpondit le traiteur, hieroui, aujourdhui non ; crdit sur terre tant que vousvoudrez, mais une fois que vous serez dans le sabot, ovoulez-vous que jaille vous chercher ? Surinam ? auDiable les pratiques doutre-mer ! Je vous prviens quecest de largent quil me faut, et vous ne sortirez pas dicisans mavoir satisfait. Dailleurs, je vais envoyer chercherle guet, et nous verrons

    M. Nivet sortit fort courrouc en apparence. Il est homme le faire, nous dit Belle-Rose ; mais il

    me vient une ide, aux grands maux les grands remdes.Sans doute que vous ne vous souciez pas plus que moi

  • dtre conduits M. Lenoir, entre quatre chandelles. Le roidonne 100 francs par homme qui sengage ; vous tesdeux, cela fait 200 francs, vous signez votre enrlement,je cours toucher les fonds, je reviens et je vous dlivre.Quen dites-vous ?

    Fanfan et moi nous gardions le silence. Quoi ! voushsitez ? javais meilleure opinion de vous, moi qui meserais mis en quatre et puis, en vous engageant vous nefaites pas un si mauvais march Dieu ! que je voudraisavoir votre ge, et savoir ce que je sais ! Quand on estjeune il y a toujours de la ressource. Allons ! continua-t-il ennous prsentant du papier, voil le moment de battremonnaie, mettez votre nom au bas de cette feuille.

    Les instances de M. Belle-Rose taient si pressantes,et nous avions une telle apprhension du guet, que noussignmes. Cest heureux, scria-t-il. prsent, je vaispayer ; si vous tes fchs, il sera toujours temps, il nyaura rien de fait, pourvu cependant que vous rendiez lesespces ; mais nous nen viendrons pas l Patience,mes bons amis, je serai promptement de retour.

    M. Belle-Rose sortit aussitt, et bientt aprs nous levmes revenir. La consigne est leve, prsent, nous dit-il, libre nous dvacuer la place ou de rester ; maisvous navez pas encore vu madame Belle-Rose, je veuxvous faire faire connaissance avec elle ; cest a unefemme ! de lesprit jusquau bout des ongles.

    M. Belle-Rose nous conduisit chez lui ; son logementntait pas des plus brillants : deux chambres sur lederrire dune maison dassez mince apparence,

  • quelque distance de larche Marion. Madame Belle-Rosetait dans un alcove au fond de la seconde pice, la tteex-hausse par une pile doreillers. Prs de son lit taientdeux bquilles, et non loin de l, une table de nuit, surlaquelle taient un crachoir, une tabatire en coquillage, ungobelet dargent et une bouteille deau de vie en vuidange.Madame Belle-Rose pouvait avoir de quarante-cinq cinquante ans ; elle tait dans un nglig galant, unefontange et un peignoir garnis de malines. Son visage luifaisait honneur. Au moment o nous parmes, elle futsaisie dune quinte de toux. Attendez quelle ait fini, nousdit M. Belle-Rose. Enfin, la toux se calma. Tu peux parler,ma mignonne ? Oui mon minet, rpondit-elle. Eh bien !tu vas me faire lamiti de dire ces messieurs quellefortune on fait, dans les colonies. Immense, M. Belle-Rose, immense ! Quels partis on y trouve pour lemariage. Quels partis ? superbes, M. Belle-Rose,superbes ! la plus mince hritire a des millions depiastres. Quelle vie on y fait ? Une vie de chanoine,M. Belle-Rose.

    Vous lentendez, dit le mari, je ne le lui fais pas dire. La farce tait joue. M. Belle-Rose nous offrit de nous

    rafrachir dun coup de rhum : nous trinqumes avec sonpouse, en buvant sa sant, et elle but notre bonvoyage. Car je pense bien, ajouta-t-elle, que cesmessieurs sont des ntres. Cher ami, dit-elle Fanfan,vous avez une figure comme on les aime dans ce pays-l :paules carres, poitrine large, jambe faite au tour, nez laBourbon. Puis, en sadressant moi : Et vous aussi ; oh !

  • vous tes des gaillards bien membrs Et des gaillardsqui ne se laisseront pas marcher sur le pied, reprit Belle-Rose ; monsieur, tel que tu le vois, a fait ses preuves cematin. Ah ! monsieur a fait ses preuves, je lui en fais moncompliment, approchez donc, mon pauvre Jsus, que jevous baise ; jai toujours aim les jeunes gens, cest mapassion moi ; chacun la sienne. Tu nes pas jaloux, Belle-Rose, nest-ce pas ? Jaloux ! et de quoi ? monsieur sestconduit comme un Bayard : aussi jen informerai le corps ;le colonel le saura ; cest de lavancement tout de suite,caporal au moins, si on ne le fait pas officier ; Hein !quand vous aurez lpaulette, vous redresserez-vous