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ART TRIMESTRIEL DÉCEMBRE 2011 I 2 I 0

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ART TRIMESTRIELDÉCEMBRE 2011 I N°2 I 0€

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éditorialQu’est-ce qui nous préoccupe au Théâtre de la Vie ?

Notre travail est porté par l’idée d’un monde viable dans le futur.

Une perspective que nous considérons comme « viable dans le futur » est la dissolution des frontières et la création de liens. Nombre de pensées communes, susceptibles d’apporter de nouvelles impulsions, sont encore, par habitude, traitées séparément : les domaines artistiques, les langages artistiques, les sciences, les inventions. Pour établir la durabilité et la viabilité dans le futur, il nous semble important d’élargir notre perception en forçant les interactions entre différentes disciplines, en insufflant des rencontres entre, par exemple, les sciences, la philosophie, la sociologie, la politique, l’écologie ou la médecine.

Le théâtre, nourriture et outil de vie. Voilà le fil conducteur qui guide le Théâtre de la Vie dans son travail artistique et dans lequel s’inscrit le magazine Vis à Vie. Ici, il est question du processus qui met l’art en général et le théâtre en particulier en rapport avec le monde dans lequel nous vivons.

Notre magazine Vis à Vie renforce l’idée d’un théâtre qui ne soit pas uniquement une salle d’accueil de spectacles, mais soit aussi un lieu d’échanges, de découvertes et d’ouverture aux autres disciplines. En proposant des pistes de réflexion qui nous paraissent intéressantes à partager, nous espérons ainsi éveiller la curiosité auprès de nos lecteurs / spectateurs.

Accessible au plus grand nombre et distribué gratuitement, ce trimestriel n’est pas dédié à la seule programmation du Théâtre de la Vie mais s’ouvre aux contributions d’auteurs, de slameurs, d’acteurs de la vie sociale, politique, philosophique, scientifique et artistique.

Nous nous réjouissons de faire partie du processus qui participe au plus grand des arts : l’art de vivre.

Nous participons tous à la création. Nous sommes tous rois, poètes, musiciens. Il n’est que de nous ouvrir comme des lotus pour découvrir ce qui est en nous. (Henry Miller)

L’équipe du Théâtre de la Vie

Extrait d’une illustration de

Joanna LorhoPORTRAIT >> page 32

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L’équipe

Claudia GäblerAnik Rolland-RubinfajerNathalie KamounCaroline GereduzAbdel BouzbibaFatma GirretzLéon Küpperpier Gallen

éDiTeuR ReSpONSABLeClaudia GäblerThéâtre de la Vierue Traversière 451210 BruxellesTél. +32 2 219 11 [email protected]

Si vous souhaitez nousfaire part de vos avis ou envies,si vous désirez recevoir ViSAViechez vous... Contactez-nous !

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Couverture

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Herbert Rolland - 1985

Mai 68 avait ouvert bien des portes ; notamment modifié le regard sur l’enfance. Rien de tout cela n’est dépassé aujourd’hui. Mais le monde a continué son évolution. Et c’est à la lumière des données qui se sont ajoutées à nos connaissances, que j’aimerais aborder certaines questions aujourd’hui. Il ne fait pas de doute que nous entrons dans une ère nouvelle. Les possibilités humaines et technologiques se sont développées comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Ce développement prend des allures de plus en plus vertigineuses au cours de ces années 80. En effet, jamais la production sur terre n’a pu être aussi immensément riche, rapide, multiple, et pourtant le monde vit dans la crise économique, la faim et la maladie qui déciment des peuples, la guerre, le chômage, etc. La crise actuelle est une illustration dramatique de la difficulté de la société à faire face aux changements. En langue chinoise, le mot « crise» a deux significations : « danger » et « opportunité » ; les deux pôles d’un même phénomène.

Holunderschule : l’école du sureau !

Au début des années 90, dans la Communauté germanophone de l’est de la Belgique, un homme du nom de Helmut Hahn a attiré l’attention des pédagogues, des parents d’élèves et des administrations communales sur l’importance des cours d’école qui, selon lui, devaient être plus proches de la nature. Il lui a fallu beaucoup de persévérance afin que, des années plus tard, la première cour de récréation de ce type voie le jour. Depuis, nombre d’écoles ont suivi l’exemple de ce projet pionnier. Désormais Helmut Hahn travaille en indépendant sous le label « Holunderschule». Bilan de ses activités à ce jour : La réalisation de 40 projets de cours de récréation proche de la nature en Communauté germanophone, 5 «Holunderschulen » en Communauté française, 12 en Allemagne fédérale, 14 au Grand-duché du Luxembourg. Ainsi que plusieurs projets de plaines de jeux publiques ou privées.

Témoins de notre temps

Rencontre avec le psychanalysteAlain Didier-Weillen compagnie de Pascale Champagne, Gwen Berrou et Céline Rallet

Qu’y a-t-il dans le regard étonné que le nouveau né pose sur le monde ? Dans le « pourquoi » insistant de l’enfant ? Dans la sidération de l’adulte à l’écoute d’une note, d’un rythme, d’un trait d’esprit inouï ? Dans le vol suspendu du danseur ?Le surgissement d’un nouveau radical qui va bien au-delà du renouveau lié à la remémoration d’un signifiant refoulé, tel que Freud l’avait formulé. Il est la clé d’un lieu auquel le mot ne donne pas accès et que Lacan situait « plus loin » que l’inconscient.Mais comment s’approcher d’un tel lieu ? L’acte de création semble y mener lorsqu’il offre à notre perception de quoi appréhender l’invisible, l’inouï. Et n’y a-t-il qu’une réponse à cet étonnement ? Quelles instances psychiques met-il en jeu ?

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EDITORIAL

SOMMAIRE

VISIONNAIRES

6 Herbert Rolland

12 Holunderschule

20 PROPOSITIONS UTOPISTES

22 LE DEFI POSITIF Thierry Janssen

LES MOTS QUI CLAQUENT

24 Manifeste du dégagisme

26 Mc Volauvent

PORTRAIT

28 Joanna Lorho

33 LE BARDA D’YVETTE

PROCESSUS CROISES

34 Isabelle Wery et Marcel Boulanger

36 Blast Dance

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Sommaire

Faisons des Vivants

THEATROPOLITAIN – CREATION

Faisons des Vivants, un projet de Christine Horman et Isabelle Puissant, avec tout autour Nathalie Boulanger, Hélène Désirant, Bertrand De Wolf, Aurélie Forges, Kevin Matagne, Francesco Mormino et Gaëtan van den Berg.

Coproduction du Théâtre de la Vie, avec le soutien de la Roseraie

Création(s) en Voisinage

Plate-forme de recherches théâtrales «in-situ» avec Olivier Lenel, Céline Rallet et Clément Thirion

Afin d’engager une réelle collaboration avec les artistes accueillis, le Théâtre de la Vie initie Création(s) en Voisinage, une plate-forme de recherches théâtrales « in situ », proposée à trois créateurs : Olivier Lenel, Céline Rallet et Clément Thirion. Pendant deux mois, ils se partageront le lieu pour donner corps, chair et voix à leurs rêves de théâtre.

VY de et par Michèle Nguyen

MOLIERE 2011 - Catégorie Jeune Public Meilleur «seul en scène» - Belgique 2010-2011

Texte et interprétation : Michèle Nguyen Mise en scène : Alberto Garcia SanchezAccompagnement artistique :Alain Moreau et Morane AslounConception et réalisation de la marionnette : Alain Moreau (Tof Théâtre)Création lumière : Morane AslounRégie : Morane Asloun ou Nicolas FauchetConcept. et réal. du pupitre : Didier HenryCréation sonore : Jeanne DebarsyGraphiste : Fabian SbarroDéléguée de production : Sylviane EvrardAttachée de diffusion : My-Linh Bui

Spectacle produit par le Collectif Travaux Publics

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40 BD

42 LE THEATRE ET APRES ?

THEATRE DE LA VIE

44 Témoins de notre temps

46 VY

Création(s) en voisinage (3)

49 1) Agrippine

50 2) Les nuits blanches

51 3) Projet de recherche

52 Faisons des Vivants

54 EN DEDANS Christine Horman

56 CHAMP LIBRE

58 INFORMATIONS PRATIQUES Théâtre de la Vie

60 PROGRAMMATION Saison 2011-2012 au Théâtre de la Vie

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VISIONNAIRES

Herbert Rolland

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Herbert Rolland, qui a co-fondé le Théâtre de la Vie en 1971 et en a assuré la direction artistique jusqu’en 2010 (année de son décès), était américain, de parents polonais et allemands. Dans les années 60 il travaille dans diverses jeunes compagnies new-yorkaises et y découvre le théâtre de Bertolt Brecht.Il part alors vivre à Berlin et, après un stage au Berliner Ensemble, est engagé comme metteur en scène permanent au Volkstheater de Rostock.Il se rend ensuite à Bruxelles où, après avoir mis sur pied le Théâtre Populaire de Bruxelles, il crée avec Nicole Dumez le Théâtre de la Vie. Il y assurera la plupart des mises en scène.

Il fait partie du noyau de créateurs qui sont à l’origine de l’étonnant essor du théâtre belge qui s’adresse particulièrement aux jeunes. À ce titre, en 1979, il est appelé à la direction artistique du premier Centre Dramatique de ce type créé en Belgique : le Centre Dramatique pour l’Enfance et la Jeunesse, devenu aujourd’hui le Centre Dramatique Pierre de Lune. Pendant de nombreuses années, Herbert Rolland a également dirigé, dans le cadre de son travail, une très importante série de stages d’initiation et d’entraînement à l’improvisation théâtrale dans un grand nombre de lieux en Belgique, France, Suisse, etc.

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par Herbert Rolland - 1985

Quelques réflexions concernantles questions du théâtre et de l’enseignementà l’aube du XXIè siècle

IntroductionOn rapporte que des anthropologues en visites régulières dans des tribus isolées d’Afrique, constatèrent, lors de ces visites, que certaines tribus cessaient de chanter. Revenant plusieurs années plus tard sur les lieux où ils avaient fait ce constat, ils s’aperçurent que ces tribus n’existaient plus. Avoir cessé de chanter avait donc été un signe précurseur de leur disparition prochaine. Ceci m’a été raconté il y a plusieurs années et je n’ai pas arrêté d’y penser depuis. Cette histoire vécue illustre bien ce que depuis longtemps je ne cessais de me répéter : l’expression artistique est une nécessité vitale pour chaque être humain. Aussi indispensable que le fait de respirer. Un acte nécessaire à notre équilibre psychique, physique, émotionnel. Cette affirmation faisait écho à ce que je ressentais intérieurement, sans pour autant pouvoir l’expliquer. Jusqu’au jour où je pris connaissance de découvertes récentes très étonnantes, sur le fonctionnement de notre cerveau. Ce qui découlait de ces découvertes apporta une confirmation scientifique à ce que je ressentais – et que je n’étais pas seul à ressentir.Intuitivement, cela était connu depuis l’origine des temps. Le lien avec les questions de l’art et de l’enseignement étant évident, ne pas en tenir compte me paraîtrait être une grave lacune. Tout comme me paraîtrait grave de ne pas tenir compte des réalités de l’époque dans laquelle nous entrons. Je m’attacherai donc particulièrement à ces deux aspects de la question.

Le Théâtre de la Vie et le Centre Dramatique pour l’Enfance et la Jeunesse – Bruxelles Voilà quatorze ans que, dans la foulée des évènements et des réflexions nés de mai 68,

j’ai participé à la création d’un théâtre qui avait décidé de se consacrer principalement au jeune public, le Théâtre de la Vie. Voilà sept ans qu’à ce théâtre est venu s’ajouter un autre organisme qui a pris racine à Bruxelles, le Centre Dramatique pour l’Enfance et la Jeunesse, créé à l’initiative du Théâtre de la Vie. Depuis la création du Théâtre de la Vie, beaucoup de spectacles ont été créés. Le Théâtre de la Vie a joué pour plus de 500.000 spectateurs, dont énormément d’enfants. Le Centre Dramatique a quant à lui invité de très nombreuses compagnies théâtrales qui s’adressent au jeune public. Le Théâtre de la Vie a joué dans des centaines de lieux en Belgique, en France, en Allemagne, en Tunisie, en Suisse, au Grand Duché du Luxembourg, au Canada (de Montréal à Vancouver), au Mexique, en Angleterre… Le Centre Dramatique accueille chaque année plus de 150 représentations pour environ 20.000 spectateurs, principalement à destination des écoles. Mais aussi des ateliers, des animations, des rencontres, etc… Nous avons pu convaincre les pouvoirs publics de l’importance de ces activités et obtenir une aide qui permet à de très nombreux enfants de participer à des séances dans des conditions extraordinairement favorables.

Une ère nouvelleCette expérience de théâtre pour le jeune public est considérable – et il faut en parler. Mais je suis beaucoup plus tenté aujourd’hui de parler de ce qui nous a animés pour créer ce théâtre et ce centre dramatique, et ce qui nous amène aujourd’hui, après toutes ces années de travail dans des conditions souvent difficiles, à penser que ce travail est capital et qu’il est fondamental de le poursuivre. De dégager ce qui aujourd’hui, en 1985, nous paraît fondamental dans la relation théâtre /expression artistique en relation avec l’être humain en général, et les jeunes en particulier. Mai 68 avait ouvert bien des portes ; notamment modifié

le regard sur l’enfance. Rien de tout cela n’est dépassé aujourd’hui. Mais le monde a continué son évolution. Et c’est à la lumière des données qui se sont ajoutées à nos connaissances, que j’aimerais aborder certaines questions aujourd’hui. Il ne fait pas de doute que nous entrons dans une ère nouvelle. Les possibilités humaines et technologiques se sont développées comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Ce développement prend des allures de plus en plus vertigineuses au cours de ces années 80. « Les années 80 seront une période révolutionnaire », dit le physicien Fritjof Capra, « car la structure de notre société ne correspond plus à la nouvelle conception du monde qui émerge de l’investigation scientifique ». On ne peut donc actuellement pas parler d’art, ni d’enseignement, sans la connaissance des nouvelles données révolutionnaires de notre époque, données qui se multiplient à une vitesse de plus en plus soutenue. C’est dans ce contexte que je vais tenter d’orienter le débat, sans l’enfermer dans des schémas dépassés. Pour ce faire, je me référerai à un certain nombre d’expériences, ainsi qu’à des extraits que je citerai largement d’un ouvrage que je crois essentiel à la compréhension du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.Cet ouvrage dont le titre original est The Aquarius Conspiracy, traduit en français par Les Enfants du Verseau, a été écrit par Marylin Ferguson, une journaliste américaine, spécialiste des études sur le fonctionnement du cerveau. Marylin Ferguson analyse les aspects fondamentaux de notre époque avec une vision du monde qui rassemble à la fois les plus récentes percées de l’investigation scientifique et les prises de conscience de la plus ancienne pensée qui nous soit parvenue.Elle part du principe que, pour aborder la vie dans la période que nous vivons, il faut un « changement de paradigme », c’est-à-dire de cadre de pensée, de structure intellectuelle. Une nouvelle façon de penser des vieux problèmes.

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En effet, jamais la production sur terre n’a pu être aussi immensément riche, rapide, multiple, et pourtant le monde vit dans la crise économique, la faim et la maladie qui déciment des peuples, la guerre, le chômage, etc. La crise actuelle est une illustration dramatique des difficultés de la société à faire face aux changements. En langue chinoise, le mot « crise » a deux significations : « danger » et « opportunité » ; les deux pôles d’un même phénomène. Actuellement dans le monde, c’est l’élément « danger » qui est prédominant parce que les structures sociales, politiques, économiques et mentales ne sont pas adaptées à la nouvelle réalité. Nouvelle réalité qui existe quelle que soit notre volonté à son égard. Visiblement ces structures ne sont pas à même de faire face aux nouvelles exigences de notre époque.

L’ institution scolaire – comme toute institution – est rigide et ses structures se modifient lentement. Elle n’est donc jamais tout à fait adaptée à son époque.*

Et comme je viens de le dire, celle que nous vivons avance « vertigineusement ».

Il faut donc concevoir à côté de ces structures résistantes d’autres approches plus souples, plus rapides, plus mouvantes. Il faut des êtres qui acquièrent de plus en plus de souplesse – prix de l’ajustement rapide et permanent à des changements de plus en plus fulgurants.

Le fonctionnement du cerveau J’ai cité tout à l’heure la phrase de Capra disant que notre société ne correspondait plus à la nouvelle conception du monde qui émerge de l’investigation scientifique. Cette investigation scientifique a touché un domaine particulièrement important en ce qui concerne l’enseignement et l’art : celui de l’étude du fonctionnement du cerveau. Cette étude a prouvé que les hémisphères cérébraux droit et gauche interagissent en permanence, mais que chacun présente des fonctions qui lui sont propres. Ces deux hémisphères peuvent opérer indépendamment. Le cerveau gauche, c’est la partie qui peut parler de ses expériences et les analyser. Il additionne, soustrait, unit, mesure, compartimente, organise, nomme, classe, etc. L’hémisphère droit ne contrôle pas le mécanisme de la parole mais donne à l’expression son influence émotionnelle.

Si la région du cerveau droit est endommagée, la parole devient monotone et sans couleur. L’hémisphère droit est plus musical et plus sensuel que le gauche. Il pense par images, voit par ensembles, détecte les structures. « Le cerveau droit “accorde” une information, le cerveau gauche “l’adapte”. » (Marshall Mc Luhan)L’hémisphère droit répond à la nouveauté, à l’inconnu. Il est faiseur d’ensembles ; sa vision est holiste. Sa faculté de détecter des tendances et des structures est d’une importance cruciale. Plus nous sommes capables de brosser un tableau à partir d’une information minimale, mieux nous sommes équipés pour survivre. On cite l’anecdote d’Einstein réfutant un certain nombre d’hypothèses d’autres savants parce qu’elles étaient trop « logiques ». En effet, disait-il, la logique rationnelle ne peut rien inventer.

Or, pour des raisons culturelles et biologiques, le cerveau gauche domine la conscience de la plupart d’entre nous. Pratiquement, toute notre conscience se limite au seul aspect de la fonction cérébrale qui réduit les objets en leurs parties. Le cerveau gauche réduit le droit au silence. Nous isolons ainsi le cœur et l’esprit. Coupé de la fantaisie, des rêves, des intuitions et de l’appréhension holiste du cerveau droit, le gauche devient stérile. Les sentiments sont endigués, se traduisant en fatigue, maladie, névrose, etc. Cette fragmentation nous coûte notre santé, notre habilité à apprendre, à créer, à innover. La science n’a pas encore pu expliquer pourquoi le cerveau droit « sait ». Mais ce qui compte est que quelque chose en nous est plus sage et mieux informé que notre conscience ordinaire. Pourquoi alors nous en priver ? Nous commençons alors à voir dans le malaise ou les maladies de notre vie adulte, les résultats d’un système qui nous a enseigné à être « tranquilles », à regarder vers le passé, à compter sur l’autorité, à construire des certitudes, à être « corrects » plutôt qu’ouverts. La peur d’apprendre et de la transformation est le produit inévitable d’un tel système. Pourquoi les écoles ont-elles pour routine de punir et d’ inhiber les jeunes esprits ? Peut-être est-ce parce que les écoles, telles que nous les connaissons, ont été conçues bien avant que nous ayons une quelconque compréhension du cerveau humain, et pour une société qui a disparu depuis bien longtemps. Une époque où le savoir semblait stable et certain.

Le fonctionnement du cerveau et l’enseignement L’information pénètre très lentement dans les écoles. Les programmes ont souvent des années, voire des décennies, de retard sur le savoir d’un domaine particulier. « Notre sous-estimation de la capacité du cerveau et notre ignorance de son fonctionnement nous ont amenés à concevoir le système éducatif à l’envers et à rebours » dit Marylin Ferguson. Ce que nous savons désormais de la nature fait tomber les barrières artificielles entre les disciplines. Il s’agit donc, à la lumière des découvertes sur le fonctionnement du cerveau, d’apprendre « de tout son cerveau », c’est à dire d’inclure aussi la vie émotionnelle, intuitive, sensorielle dans le processus de l’apprentissage. L’utilisation des deux hémisphères du cerveau, qui permet à l’intellect et aux sentiments de fusionner, et aux fonctions corticales supérieures, telles que le jugement, de faire la paix avec les intuitions, étaient dans le passé l’apanage de quelques uns : le philosophe d’Athènes, le maître zen, le génie de la Renaissance, le physicien créatif. Une telle brochette de héros n’avait rien de commun avec les gens « normaux ». Mais il n’existe plus de raison de limiter à une élite le savoir impliquant tout le cerveau. La science et les expériences personnelles d’un grand nombre de personnes démontrent qu’il s’agit d’une capacité innée chez l’homme, et non d’un simple don qu’on rencontre chez les artistes, les yogis et les prodiges scientifiques.

Les découvertes sur la spécialisation des hémisphères droit et gauche, même très simplifiées, ont offert à l ’ éducation une métaphore nouvelle et provocante concernant l ’apprentissage. La validation scientifique de l ’ intuition, le mot qui désigne un savoir dont on ne peut retracer l ’origine, a secoué la science et commence tout juste à avoir un résultat en éducation.

Notre civilisation, qui a donc été bâtie, éduquée, organisée principalement à partir du fonctionnement de l’hémisphère gauche – celui du « rationnel » – doit, pour survivre, se rééquilibrer en faisant également appel à l’hémisphère droit ; celui des émotions, de l’intuition, de la connaissance profonde, en contact direct avec notre corps. Celui-ci peut nous apporter cette souplesse indispensable pour nous frayer une voie dans l’immensité des connaissances nouvelles.

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Bien des mémorisations et des accumulations de connaissances compartimentées que l’enseignement actuel nous dispense seraient largement plus efficaces stockées dans un ordinateur, que notre souplesse mentale et notre imaginaire nous permettraient d’utiliser au mieux, que dans notre cerveau.

Les pratiques artistiques dans l’enseignement On peut comprendre, dès lors, l’importance que peut jouer dans l’enseignement l’intégration de pratiques d’expressions artistiques. Pratiques qui permettent aux jeunes non seulement d’assister à des représentations mais aussi d’être « acteurs ». L’enseignement pourrait aussi, je crois, retrouver par cette voie un rôle d’ « initiation » qui était autrefois fondamental et qui a été presque totalement oublié.Je parlerai surtout du théâtre, puisque c’est le moyen d’expression que je pratique le plus, mais il est clair que d’autres disciplines artistiques, telles que la danse, la musique, les arts plastiques, etc. sont aussi importantes. Bien sûr, le théâtre – pas plus qu’une autre institution ou un autre art – n’échappe aux contradictions de notre époque. Les caractéristiques citées pour les écoles s’y retrouvent et le simple fait de parler « théâtre » ou « activité artistique » ne donne pas une réponse complète. Il faut savoir de quelle approche artistique il s’agit : créative ou académique. Le grand théoricien du théâtre de notre époque, Bertolt Brecht, a écrit il y a déjà plus de trente ans : « le temps est venu de bâtir le théâtre des gens qui veulent savoir ». Il ne s’agit donc pas de mettre le théâtre en avant comme une quelconque panacée universelle.

Un certain théâtre que l’on pourrait appeler « académique » – mais qui peut revêtir des formes très sophistiquées, soi-disant « modernes » – porte en lui, comme d’autres arts, les mêmes maladies que l’institution scolaire. Ce théâtre qui a scindé le monde entre « artistes » et « non artistes », qui a scindé l’art et la vie, le corps et l’esprit, a crée les conditions de son propre étouffement. Ce n’est donc pas à lui que je ferai référence, mais à celui des praticiens contemporains les plus lucides qui luttent pour permettre au théâtre de redevenir un art d’expression véritable et total des êtres humains de notre époque.

époque où la planète devient un « village global ». Il est préférable dès lors, de proposer aux jeunes des pratiques théâtrales qui leur permettent une utilisation créative, qui leur permettent une expression véritable et profonde d’eux-mêmes. Une expression qui englobe leurs sentiments et leurs pensées, leur corps et leur esprit.

Une tendance nouvelle dans le théâtre Pendant très longtemps, on a parlé de théâtre à l’école, essentiellement au travers de l’analyse de textes. Par la même occasion, on recomman-dait aux jeunes d’aller voir des spectacles, sur-tout classiques. C’était ce que l’on appelait les « matinées classiques ». Les acteurs de ces spec-tacles savaient à peine bouger, étaient enfermés dans des costumes qui ne leur permettaient pas beaucoup de mouvements, et se cantonnaient essentiellement à bien dire les textes. Progressivement, le théâtre s’est adressé aussi aux plus jeunes. Pour cette raison et, face à l’évolution des mentalités et des pratiques théâtrales, ces fameuses « matinées classiques » devinrent anachroniques. S’est alors posée la question parmi les professionnels : Qu’offrir à ce public de jeunes ? Quel répertoire ? Quels spectacles ? Certaines compagnies ont inventé leurs propres spectacles, ont créé leurs propres pièces. D’autres ont fait des adaptations jouées de façon plus vivante. Le tout avec des résultats plus riches qu’avant. Des réussites, des échecs. Maintenant, cette genèse passée, cette période de transition dépassée, une tendance nouvelle émerge. Celle d’un théâtre où l’on ne scinde plus les publics, qui puisse à la fois satisfaire les besoins des plus jeunes, des aînés et des adultes.Une forme de théâtre populaire dans sa signification la plus profonde. Ce théâtre populaire exigera des œuvres plus fortes, plus denses, plus complexes. Nous entrons ainsi dans la recherche d’un théâtre de création, de haute valeur artistique, joué de façon vivante, imagée, riche en couleur et pouvant répondre à des préoccupations multiples.Un théâtre qui retrouve ses caractéristiques principales : sa capacité de faire se rencontrer des êtres humains, de les faire vibrer ensemble, de les émouvoir, de les interroger, de les diviser, de les rassembler. Bref d’agir sur eux. Le théâtre est un art de la rencontre, un art du spectacle, un art du présent. Le théâtre

se vit dans le « ici et maintenant ». Depuis une vingtaine d’années on est frappés par l’impact auprès des jeunes de la musique, des concerts en tous genres. En même temps, des centaines de milliers de jeunes se sont mis spontanément à apprendre à jouer d’un instrument de musique. C’est là un phénomène que les gens de théâtre n’ont pas beaucoup étudié. Il y a eu cette année, lors du festival d’Avignon, un événement théâtral qui y ressemblait. Pendant tout un mois, chaque soir, un millier de personnes se rassemblaient pour suivre le spectacle Mahabharata, monté par l’équipe de Peter Brook. Pendant une trentaine de soirées consécutives – et trois fois durant toute une nuit – mille personnes, dont énormément de jeunes, ont assisté, et vibré en commun lors de ce spectacle.

Quelles en ont été certaines de ses caractéristiques ?

- Une histoire simple et complexe, vieille comme l’humanité. Des contes populaires venus d’Inde et pourtant très proches de chacun de nous.

- Des représentations données dans un lieu « magique », dans la nature. Un lieu dont on a admirablement bien utilisé les caractéristiques.

- Un jeu d’acteurs souple, imagé, haut en couleurs, vivant, simple, vrai, intense. Avec humour, chaleur, intelligence. Un jeu où le corps des interprètes intervenait autant que la parole.

- Un rapport vivant entre le spectacle et le public : la disposition scénique, le « confort » sommaire, le rapport entre les spectateurs rendu possible, la simplicité des lieux, l’accueil.

- Une utilisation importante de la musique.- Un jeu collectif d’acteurs en connivence avec le

public – sans démagogie.- Une fête, un jeu rituel.- La présence du « souffle ».

Un courant inexplicable et pourtant réel a permis aux êtres humains ainsi réunis de se sentir faire partie d’un moment essentiel de la vie.Une autre expérience à plus petite échelle, avec des moyens beaucoup plus limités, a été entreprise, l’an passé à Bruxelles, par le Théâtre de la Vie. Il s’agissait de réaliser un spectacle basé sur une multitude de regards posés sur le thème ancestral du Chaperon Rouge. La préparation de ce spectacle avait réuni une vingtaine de personnes, dont certains comédiens, des musiciens, écrivains, décorateurs, techniciens de théâtre. Pendant environ cinq mois, ces personnes ont travaillé quotidiennement, avec l’utilisation d’un certain nombre de techniques d’improvisation –

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techniques sur lesquelles je reviendrai et qui font appel à l’hémisphère droit du cerveau. Ces cinq mois d’improvisations et d’élaboration ont abouti à un spectacle que nous avons appelé Le long Voyage du Petit Chaperon Rouge et du Grand Méchant Loup. Ce spectacle, nous l’avons joué chaque soir devant un très nombreux public de tous âges, mais principalement des jeunes de quinze à vingt-cinq ans, dans la salle de la Rotonde du Botanique.Dès son arrivée, le spectateur était engagé dans un parcours ludique à travers les caves du Botanique. Durant ce parcours, il pouvait progressivement pénétrer dans un univers qui le dégageait de ses réflexes d’auto-défense, de certaines tensions, de certaines rigidités corporelles et mentales.Le spectacle ensuite, dans lequel il entrait avec plus de facilité et qui se déroulait dans un espace circulaire où le contact était rendu possible, le mettait en présence de l’univers de ce conte qui véhicule tant de références à notre moi le plus profond. Spectacle conçu pour permettre à chacun d’y projeter sa propre image.Chaque soir, il a fallu refuser du public et asseoir le double de personnes prévues. Si la salle n’avait pas été réservée pour d’autres activités, les représentations auraient pu être prolongées.Beaucoup de « spécialistes théâtraux » n’ont pas réellement compris pourquoi le public réagissait de manière aussi chaleureuse. Leurs critères de jugement sur la valeur artistique ne pouvaient pas expliquer les réactions inhabituelles des spectateurs. Spectateurs qui, malgré la longueur du spectacle (presque trois heures) ne se décidaient à quitter la salle que lentement et parfois au bout d’une demi-heure.

Les ateliers d’initiation à l’expression théâtraleCe résultat, bien agréable à vivre, ne m’a toutefois pas totalement surpris. En effet, il correspondait aux rapports qui se créent parmi de nombreuses personnes qui participent aux stages d’initiation théâtrale que nous organisons depuis trois, quatre ans. Ce spectacle avait été construit sur le modèle même de ces stages. Nous y faisons largement appel à des techniques d’improvisation et autres approches de mise en condition pour développer les possibilités créatives. Certaines de ces approches s’apparentent très fort à ce qui est appelé aussi « psycho techniques »

ou « techniques transformatives », étudiées spécialement pour permettre aux participants d’utiliser aussi l’hémisphère droit de leur cerveau. Ces techniques permettent l’entrée dans d’autres états de conscience et sont déclencheurs d’une forte activité créative. Bien utilisées, non seulement elles ne comportent aucun danger, mais sont, au contraire, des facteurs d’équilibre. Certaines écoles et laboratoires industriels d’avant-garde américains les utilisent déjà. Leur utilisation dans l’approche artistique n’en est encore qu’au stade du tâtonnement.Le mot « technique » ne doit pas effrayer. La technique est un outil avec lequel on peut faire le meilleur et le pire. En réalité, il s’agit d’un certain nombre de clefs qui permettent d’ouvrir ou d’entrouvrir un certain nombre de portes que nous avons soigneusement verrouillées ou que l’on a verrouillées pour nous.Quelles sont ces fameuses « techniques » ? La plupart ne sont pas nouvelles, certaines se pratiquent, sous une forme ou une autre, depuis l’aube des temps. Elles ont pour dénominateur commun de permettre l’entrée en rapport avec soi-même, de se « re-centrer », de retrouver son propre rythme, sa propre respiration, sa capacité de contact avec soi-même et les autres, de mieux appréhender le « ici et maintenant ». Cela peut consister en jeux d’improvisations, en jeux qui font intervenir le souffle et le son, en danse, en activités proches des arts martiaux, etc. L’essentiel dans toutes ces approches est le climat de confiance et de chaleur dans lequel elles se déroulent, dans les règles du jeu qui comportent l’absence de jugement, la liberté totale de chacun de participer ou non et à quel degré, dans l’approbation de toute expression, celle-ci étant considérée comme un besoin vital. Ils sont basés sur trois phases : rencontre de soi – rencontre du partenaire – rencontre du « public ».Ces ateliers visent en tout premier lieu à nous faire redécouvrir notre capacité naturelle de jeu théâtral. À faire le « vide », pour permettre à de nouvelles impulsions de nous guider. Ils n’exigent ni effort, ni volonté. C’est la découverte du plaisir comme guide infaillible. C’est aussi l’apprentissage de « règles du jeu » qui permettent, par le biais du conte, de « distancier » les émotions que nous avons exprimées et de les transformer en jeu. En nous rappelant que le jeu peut participer à notre apprentissage de la vie et à la découverte du monde. C’est aussi reprendre contact avec notre corps. Reprendre conscience de notre corps. Agir à partir de notre corps, à

partir de notre respiration qui élargit l’espace de notre corps aux dimensions du cosmos. Redécouvrir l’interpénétration des choses et des êtres. Abolir la notion arbitraire des « limites » – du « personnage », du « lieu », du « temps ».Ces techniques donc, judicieusement utilisées, par une alternance d’activités qui impliquent à tour de rôle le corps et l’esprit, le cerveau gauche et le droit, tout en nous permettant un retour à nous-mêmes et ensuite aux autres, deviennent aussi outil pour mieux utiliser le vaste réservoir de possibilités que le monde contemporain met à notre disposition, notamment dans les moyens de communication. C’est la réconciliation possible du Yogi et de l’ordinateur, du chasseur du temps des cavernes et de l’astronaute, du sorcier et de l’astrophysicien.Ces ateliers ne visent pas la fabrication de chefs-d’œuvre « impérissables », ni celle d’artistes « émérites »... Ils s’éloignent d’une certaine conception de l’enseignement artistique qui forment des « spécialistes de l’expression », qui empêchent les non-initiés de s’exprimer, qui développent des techniques qui servent surtout à terroriser le public, à le rendre dépendant de « maîtres » qui savent...

***

Il me semble inhérent à toute véritable pratique artistique d’éveiller aussi à la sensibilité et à la création le plus grand nombre de personnes possible. De servir de tremplin, de « guide », de point de repère aux êtres pour se développer et vivre leur vie avec un maximum de leur potentiel. De participer à l’initiation aux mystères de la vie, à leur interrogation.Vue sous cet angle, la barrière artificielle dressée entre l’enseignant et l’artiste s’élimine sans peine. Et peut-être retrouverons-nous alors, ensemble, le sens de la phrase de ce visionnaire qu’est Henry Miller : « Nous participons tous à la création. Nous sommes tous rois, poètes, musiciens. Il n’est que de nous ouvrir comme des lotus pour découvrir ce qui est en nous ».

Herbert Rolland, Bruxelles, le 23 novembre 1985.

* Les phrases citées en italique sont extraites des Enfants du verseau de Marilyn Ferguson, éditions Calmann-Levy, 1981.

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Dans chaque enfant il y a un artiste.Le problème est de savoir comment resterun artiste en grandissant.

Pablo Picasso

« Roméo, mon meilleur ami » par Bantayehu, 4 ans et demi

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HolunderschuleConception du dossier : Claudia Gäbler / Collaboration : Pierre Doome / Traduction : GIL / Photos : © Anik Rolland-Rubinfajer

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Sans vision aucune, rien ne va. Vous voyez ces petits ? Ils cherchent leur chemin.

Le chemin qui mène vers le monde a toujours été plongé dans l’obscurité. Maintenant nous l’avons éclairé d’une lumière crue. Les petits clignent des yeux. Ils ne veulent pas voir, ils veulent chercher. Le jeu s’appelle colin-maillard. Les grands l’ont-ils oublié ?Le jeu : et si les visions étaient lovées dans le jeu des petits ? Les enfants solaires de nos rêves…L’image d’un rêve m’a réveillé. Plongé dans le train-train de la vie d’un instituteur d’école primaire, j’étais un peu éteint et fatigué. Et voilà qu’apparaît dans mon rêve le grand monde sans limites, mouvementé et boursouflé comme une immense toile rapiécée. Et en plein milieu, un petit espace avec des bords anguleux, une boîte pour enfants. Et bien, jouez maintenant ! Ils ne jouent pas, ils gigotent par-ci par là, se tabassent et se cognent la tête.

Ce petit lopin au centre du monde doit-il vraiment être une boîte ?

Sur cette question, je me suis réveillé. La réponse est à portée de mains : au centre du monde, je place un morceau du monde, un petit buisson. Je plante pour les enfants un buisson de sureau ! Et avec ce

buisson commence le jeu, et ce jeu... fait l’école !« HOLUNDERSCHULE », l’école du sureau 2.

Holunderschule ! Je donne aux enfants un petit morceau du monde et l’instituteur que je suis fait un pas en arrière. Ils sont seuls dans le monde et… jouent. Ils jouent avec leurs mains et leurs pieds, avec des branches et des cailloux, avec Lena et Jan, avec des mots et des nuages. Ils jouent avec leurs particularités, ils jouent avec eux-mêmes : Lena est la Reine, elle porte une couronne de feuilles d’érable ; Jan pousse une planche par-dessus le trou vaseux, il est le constructeur de ponts ; Ole pense à l’avenir, il rassemble du bois à brûler pour l’hiver. Laurette aime l’ordre, elle balaye le sol avec une branche… je les regarde et soudain, je vois briller la clef : ici ils peuvent devenir ce qu’ils sont déjà, ici ils peuvent jouer ce qu’ils sont, et de la façon dont ils jouent, ainsi ils deviendront.

Serait-ce ça la clef ? Dans le jeu avec branches, cailloux et mains boueuses, entre bosses et creux et farfadets dans les broussailles, se révèle aux enfants l’antique royaume de la magie où le monde les embrasse, tout simplement, comme ils sont là, des orteils à la pointe du nez, avec tous leurs rêves, leurs souhaits, leurs questions, avec leur vivacité d’esprit et leur étourderie, les embrasse tout simplement.

L’école serait-elle cela ?

J’ai ramassé la clef et l’ai transmise à d’autres et ce qu’il en est devenu, est vraiment une école, la « Holunderschule ». Cette école n’a pas de bâtiment et pas d’horaire, son symbole est la sauterelle et les gens plein d’entrain qui, de-ci de-là, s’aventurent sur les plateaux grisâtres et disent qu’il y a encore des choses à changer dans le monde anguleux des enfants. Celui des parterres figés de buissons couvrants, des arceaux normatifs, des conducteurs des travaux publics, des concierges et de l’amas répugnant des doutes et des préjugés. Le mouvement va en vagues rafraîchissantes par-dessus l’asphalte et les tapis de gazon, par-dessus les angoisses surveillantes et les horaires des cours et pénètrent jusque dans les encoignures profondes du monde enseignant. Il revient dans un flot de joie de vivre et de joie d’apprendre.

Une réalité est née de la vision.

1 Holunderschule : un groupement d’intérêt fondé en Allemagne fédérale par Heinrich Benjes pour l’élaboration de cours de récréation proches de la nature. Texte extrait du site www.holunderschule.be

2 Note du traducteur : « Holunderschule », tex tuellement, c’est « l’école du sureau » ; dans l’esprit, une cour d’un établissement scolaire proche de la nature. L’école buissonnière dans la cour de récréation en quelque sor te.

Holunderschule :une visionpar Heinrich Benjes, fondateur de la Holunderschule1

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Rencontre entre Claudia Gäbler et Helmut Hahn dans son atelier de Hünningen, près de Saint-Vith.Helmut Hahn : Tout a commencé dans la cour de récréation de mes propres enfants. À l’époque, j’ai éprouvé la nécessité de participer à rendre le monde plus vivable pour l’avenir. Cela m’a amené à m’intéresser à la génération future. Je voulais m’adresser aux enfants. C’était le début des années 90. L’époque des grandes tempêtes. À la radio, j’avais entendu parler pour la première fois du réchauffement de la planète. Ces tempêtes en étaient la suite. C’est là que j’ai tourné une page importante de ma vie. Je ne voulais plus contribuer à la pollution de l’environnement.Claudia Gäbler : Comment en es-tu venu à t’intéresser plus spécialement au thème des cours d’école ? H.H : C’est grâce à cette prise de conscience et à quelques livres, que je suis tombé sur le thème de l’élaboration des cours de récréation dans les établissements scolaires. Débuter par là me semblait sensé. C’est là que se rassemblent tous les enfants. Dans un premier temps, mes efforts ont simplement consisté à leur apprendre à vivre en accord avec la nature. C’était un début. Toutes les autres questions se sont posées plus tard. C.G : Que faut-il pour réaliser une cour d’école proche de la nature et en accord avec elle ?H.H : Des complices, de l’enthousiasme. Entamer le dialogue et s’accrocher. Il faut des personnes qui prennent le projet en mains. La majorité des

parents pensent peu à ce à quoi ressemble la cour d’école de leurs enfants. Une cour de récréation proche de la nature n’est pas nécessairement un critère à retenir dans le choix d’une école. Il est donc nécessaire, de prime abord, de sensibiliser les parents à ce thème, d’éveiller leur intérêt. Il est utile de leur donner les informations qui démontrent les possibilités apportées par une telle cour de récréation dans le développement de leurs enfants. Sans la requête et l’engagement des parents, un tel projet n’est pas réalisable. De même sans pédagogues enthousiastes. C.G : Quels ont été les arguments à contrario ?H.H : Le plus souvent, cette argumentation provient des administrations communales. Pour celles-ci, le projet implique, en premier lieu, un surcroît de travail. Ces administrations préfèrent les cours asphaltées, elles sont nettes et propres une fois pour toutes. Pas de plantes à tailler, pas de copeaux à étaler. Une cour de récréation proche de la nature demande, à l’occasion, une intervention des ouvriers communaux, soit pour nettoyer le site ou pour tailler une haie. Dans ce cas, il s’agit d’entretenir le dialogue et de trouver des solutions acceptables entre les différentes parties : les parents d’élèves, la direction, les pédagogues de l’école et l’administration communale.Puis, il y a les normes de sécurité à respecter. Jusqu’en 2002, il n’existait pas, en Belgique, de normes sécuritaires obligatoires. Cette année-là, une nouvelle règlementation est apparue. Ne respectant pas les nouvelles normes, beaucoup de plaines de jeux ont tout simplement été démontées et fermées.

L’étonnant parcours

Au début des années 90, dans la Communauté germanophone de l’est de la Belgique, un homme du nom de Helmut Hahn a attiré l’attention des pédagogues, des parents d’élèves et des administrations communales sur l’importance des cours d’école qui, selon lui, devaient être plus proches de la nature. Il lui a fallu beaucoup de persévérance afin que, des années plus tard, la première cour de récréation de ce type voie le jour. Depuis, nombre d’écoles ont suivi l’exemple de ce projet pionnier. Désormais Helmut Hahn travaille en indépendant sous le label « Holunderschule ».

Bilan de ses activités à ce jour : La réalisation de 40 projets de cours de récréation proche de la nature en Commu-nauté germanophone, 5 « Holunderschulen » en Communauté française, 12 en Allemagne fédérale, 14 au Grand-duché du Luxembourg. Ainsi que plusieurs projets de plaines de jeux publiques ou privées.

Viens

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Par ailleurs, lors de l’élaboration de projets, se pose souvent la question financière : il n’y a pas d’argent ! Dans mes exposés, je signale alors que l’aménagement d’une plaine de jeux ne doit pas nécessairement coûter cher. Il est possible de faire intervenir le sponsoring ou même le Département de la Nature et des Forêts.C.G : Lors de l’élaboration et la création des projets, tu travailles étroitement avec les parents, les pédagogues et les différentes administrations ?H.H : J’apprécie que les choses ne viennent pas que de moi. Chacun a l’occasion de venir exposer ses idées, mon travail consiste surtout à mettre tout le projet en musique et… à attiser les passions. Le concours des bénévoles, qui d’ailleurs provoquent une satisfaction personnelle, font naturellement baisser les coûts. En plus du plaisir, les projets créent un sentiment d’appartenance. Les participants apprennent à se connaître, à se reconnaître ou à se connaître d’une autre manière. Grâce au contact avec Heinrich Benjes, le fondateur de la « Holunderschule », la phase préparatoire est devenue plus concrète.C.G : Les participants à un projet vivent une expérience lors de la construction. Que peux-tu en dire ?H.H : J’ai déjà le projet en tête quand j’en trace les grandes lignes sur l’asphalte. Toutefois, un sentiment d’insécurité peut s’installer quand il n’existe pas de plans précis sur papier. Pour les participants, la construction débute dans un certain flou. Ensuite, le plaisir de construire d’une façon spontanée s’installe. Les hommes redeviennent des petits garçons. On rit pas mal

en s’activant. Il m’est arrivé de travailler avec un groupe composé uniquement de femmes. Nous avons construit des petits ponts, avec un outillage inusité pour elles, elles ont été enchantées.C.G : Tu utilises une quantité de bois assez importante dans tes constructions et tes maisonnettes sont courbes et penchées. Que faut-il en penser ?H.H : La quantité de bois dans la réalisation vient de ma volonté de ne pas faire venir les matériaux nécessaires à mes projets de régions éloignées. Dans notre région de forêts d’épicéas, le bois de construction existe en quantité. C’est donc tout naturellement que je l’intègre dans mes projets. En plus, j’adore travailler le bois. Dans la région de Brême, en Allemagne fédérale, là où vit Heinrich Benjes, le bois est plus rare. C’est le sable qui est surtout utilisé. Concernant les maisonnettes, celles-ci ne doivent pas nécessairement présenter de courbures. Les enfants n’ont pas besoin d’habitations courbes et penchées. Ils jouent à l’intérieur, qu’elles soient droites ou courbes. Au fond, ils n’auraient même pas besoin d’un abri. Un tas de sable et quelques planches leur suffiraient. Ce serait pour eux le paradis. Mais ça, ça ne va pas ! Là, les parents ne sont pas d’accord. Derrière l’idée des maisonnettes de jeu, il y a le souhait que les enfants jouent à l’extérieur, même s’il pleut ou s’il neige. Les courbes et les angles irréguliers prennent plutôt naissance dans mon imagination, dans ma compréhension d’une esthétique plus proche de la nature. Pour moi, cela représente un contrepoids à la symétrie et à la dominance de la

ligne droite dans les bâtiments scolaires.C.G : Considérant tes projets déjà réalisés, je constate plus qu’un simple aspect de rapprochement à la nature. Toute la cour de récréation, les maisonnettes et les autres éléments que tu y ajoutes me semblent être une invitation à une création personnelle. J’y découvre des recoins, des couloirs, des niches, des buissons, des feuilles mortes, de l’écorce, des rondelles en bois, bref, du matériel que je peux prendre en mains et utiliser comme bon me semble. Il est permis à mon imagination de donner une signification nouvelle au site et à ces divers éléments, de les utiliser et de les mettre en corrélation différemment.H.H : C’est une condition très importante afin de faire place au jeu créatif. Un modèle de jeu, fabriqué industriellement, acquis sur le marché, ne peut être modifié par l’enfant. Il grimpe à l’échelle et redescend sur le toboggan. À partir de la troisième fois, ce n’est plus très exaltant… Pour les enfants qui n’aiment ni le football, ni les toboggans, la situation est pénible et c’est le cas dans la majorité des établissements scolaires. Les uns occupent la cour pour jouer au foot, les autres errent sans but. Ceux-ci cherchent une issue à l’ennui. L’agressivité ne tarde pas à pointer son nez rageur.C.G : Aujourd’hui, chaque petit enfant dispose de crayons de couleurs et dessine, mais très peu d’enfants savent encore dessiner en quittant l’école. Existe-t-il dans la « Holunderschule », un contrepoids à cette situation ? Et quel est cet état, où la créativité peut se déployer, qu’il s’agirait de préserver ou de retrouver ?

que je te montre!

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H.H : L’état de créativité est une parenthèse dans le temps. D’une certaine manière, on quitte la réalité pour entrer dans une autre dimension où l’on recrée sa propre réalité. Je vis intensément ces moments, lors de la construction. Tout comme les enfants qui, eux, traversent le miroir avec facilité. Ils créent alors dans le plaisir et l’exaltation. La « Holunderschule » offre un espace propice à cela.C.G : La créativité, c’est aussi, en premier lieu, s’accorder l’espace ad hoc. Un espace de liberté sans contraintes, sans tâche à devoir accomplir. Avant la possibilité d’une création, se trouve donc la mission de s’accorder l’espace nécessaire, ne tendant pas vers un but défini, où tout peut arriver, où ce n’est pas grave si, vu de l’extérieur, rien ne se passe (l’expérience montre qu’il s’y passe toujours quelque chose). C’est là l’endroit où naîtra une création effective. Et c’est ce que cette cour de récréation rend possible en dehors de la classe : un espace où les catégories « bon » ou « mauvais » n’ont pas cours ; où, avant l’analyse de mon action, en amont, a lieu l’action elle-même. Comment, dès lors, doit être conçue une plaine de jeux afin que les enfants puissent s’y épanouir ?H.H : C’est un espace dégagé où du matériel mobile est à disposition, avec lequel les enfants peuvent jouer, avec quoi ils peuvent modifier leur environnement immédiat : des morceaux de bois, du feuillage, un buisson auquel on peut arracher une feuille à l’occasion. L’important est d’accorder une certaine liberté aux

enfants. Le matériel mobile est une invitation à l’expérimentation, à la tentative, au test. À la maison, les enfants n’ont plus guère une telle latitude. S’il existe un jardin, il est trop soigné et l’ordre y règne. Les jardins ont une fonction décorative, il n’y a pas de place pour les enfants. Dans les cours d’école, je place des éléments divers car, au fond, les enfants en récréation ont également des souhaits divers. Les uns veulent jouer au foot, les autres cherchent un coin tranquille pour s’isoler. Autant que faire se peut, j’essaie de couvrir une grande palette de souhaits. Pas trop et pas trop compliqués.C.G : Je crois que, dans ta compréhension de la stimulation de la créativité chez l’enfant, le rôle de l’adulte et du pédagogue est déplacé. Dans ce processus, les adultes ne transmettent pas de savoir, ils donnent des possibilités : de l’espace et du matériel. Ni plus ni moins. Les enfants sont naturellement créatifs. Dès le départ, ils sont « nécessairement » créatifs, afin de s’orienter dans le monde, de se l’approprier pour se développer. De prime abord, stimuler la créativité n’a rien à voir avec la création de belles images ou la transmission de techniques artistiques. Ce qui est utile, c’est la réalisation, la mise à disposition et la création d’opportunités. Les enfants n’apprennent pas la « créativité » des adultes.H.H : Ce qui me met des bâtons dans les roues dans la réalisation de projets, c’est l’aspect sécuritaire. La norme sécuritaire a exigé que plus rien de mobile ne se trouve sur le site. Tout doit

être fixé ! Pas le moindre morceau de bois ne peut y traîner. D’ailleurs, absolument rien de mobile ne peut s’y trouver. J’essaie de trouver des solutions à ce problème et des compromis car l’interdiction de matériel mobile signifie la mort des projets. Les enfants ont besoin de morceaux et de rondelles de bois. Notamment pour construire leurs meubles. Les enfants jouent avec ce qui se présente par hasard. Sans matériel mobile, pas de créativité. Dans le jeu, le matériel mobile a des fonctions. À l’intérieur des maisonnettes, les enfants aménagent autour d’eux leurs chambres, leurs refuges. Un nouveau local se crée, une pizzeria, un magasin de détail, une banque, un salon de coiffure. Ils construisent également des chemins et des routes. Il y a des listes de prix pour les pizzas et il te faut de l’argent pour les payer... Dans ce cas, l’écorce d’arbre devient très utile. C’est plus que du jeu. C’est une préparation à la vie plus tard. C’est l’art de communiquer. Des schémas de vie sont expérimentés et des alternatives à la réalité sont projetées.C.G : Peut-être que l’une des voies pour réaliser une « Holunderschule » serait de retrouver la capacité à observer – en tant qu’adultes – nos propres façons de penser et d’agir. Notre façon de vivre, de manière normative, rend difficile la possibilité d’offrir à nos enfants les cours d’école dont ils auraient besoin. La question de la responsabilité se pose, à bien des niveaux : une fois ce sont les assurances, une autre fois, les objections des administrations communales, ou encore la pression de la responsabilité

3 *Michael Polanyi, chimiste et philosophe hongrois (1891-1976) : c’est à lui que l’on doit la notion du savoir implicite.

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ressentie par les directeurs d’école et pour finir, les angoisses des parents. Qu’y a-t-il, là derrière, si des morceaux et des rondelles de bois, de l’écorce et des feuilles d’arbres sont classés en tant que problème sécuritaire ? Les 57 projets de cours de récréation « Holunderschule » que tu as réalisés, démontrent que des solutions sont possibles du moment que l’on se concentre sur la solution et non sur le problème et l’angoisse.H.H : À la fin de mes exposés, je dis toujours : remettez-vous votre enfance en mémoire. À l’époque, qu’avez-vous vécu ? Et j’invite les parents à regarder jouer leurs enfants dans la cour de l’école.C.G : J’éprouve le sentiment que ces cours de récréation sont aussi comme une nourriture pour les adultes. Je m’y suis sentie sereine et j’ai beaucoup appris en observant les jeux des enfants : ils sortent en récréation sans plan précis. Dans un premier temps, ils sont là, se laissent entraîner là où le hasard les pousse. Le jeu concret se développe en jouant. Jouons ! Et parfois, ce jeu-là dure deux semaines avant qu’il soit remplacé par un autre. Toutefois, à l’occasion, les réalités ludiques des enfants évoluent et se superposent pendant une même récréation. Ils passent de l’extraterrestre au policier, de la vendeuse à la fée, de l’attaquant armé jusqu’aux dents au grand frère protecteur, du vent au silence à la tartine de dix heures. C’est une forme de créativité qui vient du cœur et non de la raison. Elle suit ce qui naît sur place. Il n’y a pas là d’intention concrète.

Je pense qu’avec tes cours de récréation si proches de la nature, tu as offert à de nombreux enfants de merveilleux espaces où s’exprimer et expérimenter librement. Un espace où il est possible de s’épanouir dans la joie de vivre et de créer. De plus, la « Holunderschule » ouvre un espace dans l’école où le savoir de l’enfant, qui ne dispose pas encore du vocabulaire nécessaire, peut s’exprimer. « Viens que je te montre ! » se dit plus simplement pour l’enfant que trouver les mots pour quelque chose qui ne se laisse pas encore appréhender, les concepts. La compréhension précède la notion. Grâce à l’action, l’impossibilité de dire l’idée n’empêche pas de l’expérimenter. Michael Polanyi3 a dit un jour : « Nous savons plus que ce que nous pouvons dire. » Cela vaut pour les adultes comme pour les enfants. « Viens que je te montre ! » est une forme qui exprime un savoir implicite. Ce qui précède a peu de place dans une classe d’école où la communication se base sur la langue parlée et écrite. Un espace tel que la « Holunderschule » ouvre un champ d’action à l’expérimentation et à la communication de ce que l’on sait sans savoir encore le dire.

Plus d’informations : www.holunderschule.be

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Inviter la nature dans la courde l’écoleGuido Falter, directeur des écoles communales de la ville de Saint-Vith et du village de Crombach a fait part à Anik Rolland-Rubinfajer et à Claudia Gäbler de ses expériences des cours de récréation réalisées d’après la conception de la « Holunderschule ». Ces cours d’école, plus proches de la nature, ont été construites par Helmut Hahn avec l’aide de parents d’élèves et des pédagogues concernés.

Ces cours d’école, façon « Holunderschule » sont-elles vraiment utiles ici ?

Guido Falter : Il est vrai que nous vivons en pleine nature... Néanmoins, même ici les contacts avec la nature ne vont pas de soi. La région n’est pas pauvre, la plupart des jardins sont conçus par des architectes. Ils n’ont pas été pensés pour le jeu des enfants. Ils n’y invitent pas. Les structures scolaires existantes ne permettent guère les contacts des enfants avec la nature. Par ailleurs, le projet que nous avons réalisé avec Helmut Hahn n’a pas été conçu uniquement pour le jeu mais également dans le but de pouvoir observer la nature avec les enfants. Ces observations sont intégrées de diverses manières dans les leçons,

par exemple de biologie. Le nom et le symbole du projet « Holunderschule », c’est le sureau. Il annonce ce que nous voulions réaliser par ce projet... Le sureau (sambucus en latin) est une plante qui offre de nombreuses possibilités. Avec les tiges, on peut fabriquer des flutiaux ou des colliers. Avec les fleurs, une tisane pour les grippés. Avec les baies mûres, riches en vitamines, du jus, de la gelée, de la confiture. Un bouquet de fleurs de sureau, suspendu dans la cuisine, écarte les mouches. Il y a encore quelques années, dans chaque ferme, la boisson préférée et incontournable était faite à base de fleurs de sureau. Notre but n’était pas de créer une cour d’école verdoyante mais d’intégrer, d’une façon active, cet espace dans la vie scolaire.

Et quelles sont les observations que vous avez pu y faire ?

G.F : Il nous est apparu très distinctement que les cours d’école asphaltées étaient liées à un surcroît d’agressivité. Les enfants ignorent à quoi ils pourraient bien jouer. Leur imagination n’est pas sollicitée, elle est au point mort. À contrario, la cour d’école verdoyante nous aide, nous les pédagogues. Ce qui m’a convaincu et enthousiasmé a été de voir y jouer les enfants. La première que j’ai visitée à été celle de l’école primaire d’Emmels, un village proche, c’était durant la pause de midi. J’ai tout de suite été abordé par un jeune élève qui me tendait un morceau de branchette en disant : « Tu veux un cigare ? » Tout imprégné de mon rôle de pédagogue, j’ai naturellement répondu : « Non merci, je ne fume pas. » Spontanément, l’enfant

m’a refait une proposition : « Alors tu veux peut-être un saucisson ? » Voilà qui m’en a plus appris que de longs discours.Voyez ici ces petits dessins, je les ai fixés à l’armoire de mon bureau. Je ne sais même plus d’où je les tiens.

Ce sont des incitations à réfléchir. Ils montrent que c’est la société et, aussi, assez souvent, l’école, qui met à mal la puissance d’imagination des enfants. On peut observer que cette puissance est bien là. Cependant l’école, parfois, l’étouffe. Lorsque nous avons construit la cour de l’école, il nous a fallu oublier que tout doit toujours être droit, à angle droit. Nous avons redécouvert comment nous procédions du temps de notre enfance. Nous y avons pris bien du plaisir. Helmut nous a encouragés à abandonner la ligne droite, l’angle droit et à suivre ce qui voulait bien naître. Il nous a toujours dit : « Regardez ! Rien n’est droit dans la nature. Même l’horizon est courbe. »

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Ceci sont mes amis. De mon ancienne école à St. Vith.Ils me manquent et la cour de récréation aussi.Là- bas le sol n’est pas dur, il est tout doux, lorsqu’on court dessus.Là –bas on sait rêver des jeux et les réaliser par après.Là –bas on ne joue pas ce qu’on joue d’habitude et partout. Là-bas on joue nos jeux.Et personne ne nous dit, ce que nous devons jouer et comment il faut le faire.

Herbert aurait dit de cette cour :Quel bel endroit. Ici on sait bien prendre l’air.Il faudrait bien, un jour, en parler dans un article.Et je suis sûr qu’ il aurait sourit en disant cela.

Kolja, 10 ans

Les adultes ayant participé au projet ont donc retrouvé une part de leur enfance ?

G.F : On peut l’affirmer. Et cela met en lumière un second aspect important du projet : des contacts s’établissent entre les parents. Ils participent dans la bonne humeur à un projet commun. Ils étaient vraiment heureux de ce retour dans le temps. Oui, c’était vraiment enrichissant.Et les enfants ?G.F : Naturellement, les enfants aussi ont participé, avec leurs seaux et leurs pelles. Plus tard, chaque classe a eu la responsabilité d’une partie déterminée du site, de l’entretien et de la santé des plantations. C’est donc vraiment leur cour d’école. Ils prennent ces responsabilités à cœur. Ils observent le site avec beaucoup d’attention et viennent nous faire part de leurs découvertes… Les bonnes et les moins bonnes. Un oiseau qui construit son nid ou une dégradation…Parlons des coûts ?G.F : Pour l’entièreté des transformations, les coûts ont été d’environ 7000€. L’association des parents a rassemblé la somme nécessaire en organisant des fêtes scolaires et d’autres ac t i v i tés semblables. L’adminis t r a t ion Communale a participé à raison de 3000€ et a mis à disposition un moyen de transport pour le bois de construction. Tout ce qui manquait encore, les parents l’ont réalisé eux-mêmes, grâce au soutien de Helmut Hahn. Certains parents prennent part à la construction, d’autres cuisent du pain ou des spaghettis, préparent le café. Chacun a une activité dès lors qu’il a envie de participer. Grâce à ce projet, beaucoup de parents ont fait connaissance. Une fois par an, nous invitons des parents d’élèves pour les travaux d’entretien du site. C’est une excellente possibilité d’intégrer les parents des nouveaux élèves. Dans nos projets pédagogiques, la cour de l’école prend une fonction importante. Elle nous vient en aide.

Pistes de réflexion Pour une sélection équitable, l’examen sera le même pour tous : grimpez sur l’arbre !

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Propositions utopistesLa ville idéale, par Sintayehu 6 ans et Marius 8 ans

Le chant des fleurs Sintayehu, 6 ansLa vie en or Sintayehu, 6 ans

Des animaux qui écrasent les voitures Marius, 8 ans

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Les doubles saisons merveilleuses Sintayehu, 6 ans

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Se laisser emporter par le flux

« Cer taines personnes, espérant devenir célèbres, transforment leur nom afin de le rendre plus facile à prononcer et à mémoriser. La renommée de Mihaly Csikszentmihalyi (prononcez “Mi-aïe-i Tchik-sainte-mi-aïe-ii”) est la preuve que, en la matière, une idée utile ou un concept bien énoncé peuvent pallier le handicap d’un patronyme un peu compliqué. Bien souvent, ce genre d’idée et de concept naît de constatations très simples. Encore faut-il poser les questions qui permettent d’y aboutir et clarifier les réponses que l’on en retire. C’est le mérite qui revient à ce psychologue d’origine hongroise immigré aux états-Unis dans les années 1950, diplômé de l’université de Chicago et actuellement professeur à la Claremont Graduate University. Très tôt dans sa carrière, Csikszentmihalyi s’intéressa aux conditions du processus créatif. En observant des peintres au travail, il constata qu’ils étaient totalement concentrés sur leur ouvrage ; ils n’éprouvaient ni la faim, ni l’inconfort, ni la fatigue ; et, lorsqu’ils avaient terminé leur œuvre, ils s’en désintéressaient pour en commencer une autre. Le témoignage de ces artistes ne laissait aucun doute : ce qui les incitait à peindre n’était pas le fait d’obtenir de la reconnaissance ou de l’argent, mais tout simplement la satisfaction de tremper leur pinceau dans la peinture, de poser les couleurs sur la toile et de se laisser emporter au plus profond du sujet représenté, en fusion avec leur projet, suspendus dans le temps, évaluant un instant après l’autre la matérialisation de leur vision, baignés dans une sorte d’état de grâce. Ils ne recherchaient pas de gratification extérieure; l’acte de peindre suffisait à les motiver et à les combler.Désireux de mieux comprendre la “motivation intrinsèque” de ces peintres, Csikszentmihalyi interrogea d’autres passionnés totalement accaparés par leur occupation, parmi lesquels des joueurs d’échecs, des grimpeurs de haute montagne, des danseurs et des chirurgiens. Tous lui avouèrent retirer un véritable plaisir de leur engagement dans l’action. Cette jouissance

Au lieu de ne voir en l’être humain que des manques et des défauts, il paraît urgent de rappeler que nous sommes les détenteurs d’un potentiel extrêmement positif. Le défi est de prendre conscience de ce potentiel et de le manifester à travers nos actions. Car, de toute évidence, c’est le meilleur moyen d’être heureux et de rester en bonne santé.

Après nous avoir invités à élargir notre conception de la médecine (La Solution intérieure) et de la maladie (La maladie a-t-elle un sens ?), Thierry Janssen poursuit sa réflexion, ici, au sujet du bonheur et de la bonne santé. Soucieux, comme toujours, de l’inscrire dans un contexte scientifique, il s’appuie sur les récents travaux de la biologie, des neurosciences et de la psychologie. Nous découvrons alors que la véritable félicité dépend de notre capacité non seulement à éprouver du plaisir, mais aussi à nous engager dans des expériences enrichissantes et à donner un sens à notre existence.

Chacun devrait tenter de trouver la proportion idéale entre ces différents ingrédients. Les recherches sur le bonheur montrent que notre vie n’est réellement heureuse que si nous pouvons actualiser le meilleur de nous-mêmes, en lien avec les autres. Les émotions agréables qui naissent de cet épanouissement vertueux participent à notre bien-être physique, psychique et social. Elles sont un gage de bonne santé individuelle et collective.

Le Défi positif est un livre de vie profondément humaniste. Thierry Janssen y parle d’optimisme et d’altruisme, d’intégrité et de créativité, de discernement et d’humilité, d’humour et de gratitude. Dans un langage accessible à tous, il nous révèle les secrets de ce que les philosophes de l’Antiquité appelaient une « bonne vie », une vie à la fois éthique et esthétique.

Chirurgien devenu psychothérapeute, Thierry Janssen est l’auteur de six livres traduits dans plusieurs langues. Le Défi positif est le dernier opus d’une trilogie commencée avec La Solution intérieure et La maladie a-t-elle un sens ?, deux ouvrages qui ont rencontré un vif succès auprès d’un large public.

Thierry Janssen est venu auThéâtre de la Vie dans le cadre des

Témoins de notre temps en 2009.Il nous livre aujourd’hui quelques extraits

de son livre Le défi positif dans lequel il aborde – entre autres – la question de

l’état créatif.

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Thierry Janssen

Le défi positif

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n’était pas d’ordre sensuel. C’était une profonde satisfaction éprouvée avec du recul par rapport à l’expérience elle-même ; peu importait que celle-ci ait pu être pénible à certains moments. Jouer, escalader, danser, opérer n’était pas forcément facile, mais représentait une fin, un but en soi. Il s’agissait d’“activités autotéliques” (du grec auto : soi-même, et telos : le but) au cours desquelles les personnes interrogées se sentaient comme “emportées par un courant”, “portées par un flux”, “totalement immergées” dans ce qu’elles faisaient. Le plaisir procuré par l’expérience de ce flux constituait la principale raison pour poursuivre l’action qui le provoquait. »

Privilégier les activités autotéliques

« De nombreuses études montrent que l’expérience optimale est un phénomène universel. Elle survient chez tous les êtres humains indépendamment du sexe, de l’âge, de la classe sociale et de la culture, et ce dans pratiquement tous les genres d’activités. Faire le ménage, cirer des chaussures, repasser des vêtements, préparer un repas, jardiner, conduire une voiture… : chacune de nos actions peut-être l’occasion d’expérimenter le flux de l’expérience optimale. Cela dépend de l’intention avec laquelle on s’y engage et de la qualité des compétences mobilisées pour l’accomplir. Que ce soit dans les loisirs, les jeux, les sports, l’expression artistique, l’apprentissage scolaire, le travail professionnel ou la vie ménagère, plus l’activité est captivante, moins elle est répétitive, plus elle est susceptible de déclencher le flux. En outre Csikszentmihalyi a identifié un type de personnalité – qualifié d’“autotélique” – particulièrement douée pour y accéder. Kevin Rathunde – l’un des collaborateurs de Csikszentmihalyi – a montré que le développement de ces personnalités autotéliques dépend grandement du contexte familial et scolaire dans lequel les enfants grandissent. Encourager un enfant à apprendre de nouvelles aptitudes, lui tenir un discours clair et bienveillant, lui témoigner de la confiance,

lui donner la possibilité de faire des choix tout en insistant sur la nécessité d’en assumer les conséquences, ne pas l’éduquer d’une manière répressive mais, au contraire, l’“élever” au maximum de ses potentialités : tout cela permet de “construire” un adulte ouvert et curieux, original et créatif, indépendant et responsable, apte à connaître davantage d’expériences optimales. De ce point de vue, il apparaît particulièrement important de ne pas trop blesser l’ego de l’enfant, car moins l’ego est blessé, moins l’on est préoccupé par soi-même et plus on dispose d’énergie psychique pour s’investir dans des activités autotéliques. »

La curiosité

« Stimuler notre créativité implique de développer notre curiosité. Car il n’y a pas de créativité sans curiosité. Cette dernière n’est donc pas forcément un “vilain défaut” Au contraire, elle témoigne de notre désir intrinsèque d’expérience et de connaissance. Elle est à la base des processus de motivation. “Sa fonction est de nous inciter à explorer, à apprendre et à nous immerger dans les évènements”, souligne Todd Kashdan – psychologue à la Georges Mason University de Fairfax, en Virginie. En absorbant notre attention dans l’action, elle participe aux “expériences optimales des flux” décrites par Mihaly Csikszentmihalyi. Elle représente donc une source immédiate d’émotions positives. À long terme, elle permet d’acquérir une plus grande connaissance et de développer davantage de compétences. Personne n’est dépourvu de curiosité. Toutefois, les études montrent qu’il existe des variations importantes d’un individu à l’autre. écouter une chanson avec attention est le résultat d’une curiosité assez banale. Plonger dans une mer glacée pour récupérer une valise emportée par les vagues est le fait d’une curiosité plus développée. Et si, de retour sur la plage, après avoir découvert que la valise était vide, nous décidons de mener une enquête pour retrouver son propriétaire et savoir ce qu’elle faisait dans l’eau, nous témoignerons d’une curiosité encore plus importante. La curiosité peut-être insatiable. Les psychologues positifs en distinguent plusieurs

composantes : l’intérêt, tout d’abord, qui nous oriente vers un but ; la recherche de la nouveauté, ensuite, qui nous pousse à vivre de nouvelles expériences afin de porter notre stimulation à son niveau optimal et nous fait ainsi parfois prendre des risques importants ; l’ouverture à l’expérience, enfin, qui nous prédispose à être réceptifs à toutes sortes d’idées, de sentiments et de valeurs inédits. Cette force du caractère est favorisée par l’autonomie et la confiance en soi. En revanche elle est inhibée par la peur et l’anxiété. Elle est aussi découragée par le dogmatisme et rendue impossible par l’égocentrisme ; car, à ne s’intéresser qu’à soi, on ne trouve plus beaucoup d’intérêt à ce qui se passe en dehors de soi. Être curieux a des conséquences généralement positives et augmente le degré de satisfaction de l’individu. Néanmoins, dans certains cas, la recherche de la nouveauté peut conduire à faire des expériences déplaisantes, voire carrément dangereuses. »

L’ouverture d’esprit

« Être curieux n’a de sens que si l’on fait preuve d’ouverture d’esprit. Cela implique d’examiner objectivement les faits sans céder à la tentation de rester fixé sur nos idées préconçues. Il s’agit d’avoir la volonté de rechercher des informations qui peuvent remettre en cause nos croyances, d’envisager tous les aspects d’un problème sans exclusive, de soupeser équitablement toutes les possibilités de réponse, et d’accepter de changer notre point de vue face à de nouvelles preuves. Une personne à l’esprit ouvert considère sa capacité à changer d’idée comme une force. Elle ne surestime pas sa façon de penser et ne se fie pas uniquement à son intuition pour prendre une décision, car elle est consciente des pièges dans lesquels sa pensée peut s’enferrer pour préserver ses croyances.Quiconque prétend s’ériger en juge de la vérité et du savoir s’expose à périr sous les éclats de rire des dieux, puisque nous ignorons comment sont réellement les choses et que nous n’en connaissons que la représentation que nous nous en faisons, disait Albert Einstein, un exemple d’ouverture d’esprit. »

THIERRY JANSSEN

Le défi positif

L L L LES LIENS QUI LIBÈRENT

une autre manière de parler

du bonheur et de la bonne

santé

Le défi positif

« Au lieu de ne voir en l’être humain que des manques et des défauts, il paraît urgent de rappeler que nous sommes les détenteurs d’un potentiel extrêmement positif. Le défi est de prendre conscience de ce potentiel et de le manifester à travers nos actions. Car, de toute évidence, c’est le meilleur moyen d’être heureux et de rester en bonne santé. »

Après nous avoir invités à élargir notre conception de la médecine (La Solution intérieure) et de la maladie (La maladie a-t-elle un sens ?), Thierry Janssen poursuit sa réflexion, ici, au sujet du bonheur et de la bonne santé. Soucieux, comme toujours, de l’inscrire dans un contexte scientifique, il s’appuie sur les récents travaux de la biologie, des neuros-ciences et de la psychologie. Nous découvrons alors que la véritable féli-cité dépend de notre capacité non seulement à éprouver du plaisir, mais aussi à nous engager dans des expériences enrichissantes et à donner un sens à notre existence.

« Chacun devrait tenter de trouver la proportion idéale entre ces différents ingrédients. Les recherches sur le bonheur montrent que notre vie n’est réelle-ment heureuse que si nous pouvons actualiser le meilleur de nous-même, en lien avec les autres. Les émotions agréables qui naissent de cet épanouisse-ment vertueux participent à notre bien-être physique, psychique et social. Elles sont un gage de bonne santé individuelle et collective. »

Le Défi positif est un livre de vie profondément humaniste. Thierry Jans-sen y parle d’optimisme et d’altruisme, d’intégrité et de créativité, de discernement et d’humilité, d’humour et de gratitude. Dans un langage accessible à tous, il nous révèle les secrets de ce que les philosophes de l’Antiquité appelaient une « bonne vie », une vie à la fois éthique et esthétique.

Chirurgien devenu psychothérapeute, Thierry Janssen est l’auteur de six livres traduits dans plusieurs langues. Le Défi positif est le dernier opus d’une trilogie commencée avec La Solution intérieure et La maladie a-t-elle un sens ?, deux ouvrages qui ont rencontré un vif succès auprès d’un large public.

DÉP. LÉG. : XX 2011XX e TTC France

ISBN 978-2-918597-27-8

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« Ben Ali, dégage ! » Ce cri, qui a eu raison le 14 janvier 2011 de l’autocrate tunisien et fait tache d’huile dans tout le Proche-Orient, voire jusqu’en Chine en passant par l’Espagne, la Grèce, l’Italie ou la France après la Côte d’Ivoire et la RDC et avant le Bélarus, marque une rupture dans l’histoire des insurrections populaires.

Pour la première fois, il ne s’agit pas de prendre le pouvoir mais « simplement » de déloger celui qui le détient, de vider la place qu’il occupe, de le détrôner. C’est là où le dégagement se distingue de la révolution. Dans cette dernière, le vide est impensé comme tel : la vacance du pouvoir est nulle puisque la destitution de l’ancien pouvoir et l’institution du nouveau sont un seul et même mouvement. De là le leader révolutionnaire plus ou moins charismatique et obligatoirement providentiel, celui qui renverse le pouvoir en place pour s’y installer, icône inconcevable dans un mouvement dégagiste. En ne proposant rien (que le dégagement), les manifestants dégagistes déboussolent la classe politique professionnelle, la prennent à contre-pied. Le dégagisme, c’est la politique de la chaise vidée, qui n’annonce ni ne préjuge de celui qui finira par l’occuper à son tour. Le temps de la contemplation vigilante de ce vide – le temps dégagiste par excellence, un temps de haute mais riche incertitude – enracine dans les consciences politiques ainsi affûtées une méfiance salutaire à l’endroit de celui qui planera autour de la chaise laissée vacante.

À l’idéalisme professionnel et souvent naïf du révolutionnaire succède donc le réalisme créateur du dégagiste désillusionné mais vacciné. Il n’est, désormais, de chaise qu’éjectable.

(…)

Approfondir, étendre, décliner, illustrer cette intuition, tel est l’objectif que se donne ici le Collectif MANIFESTEMENT. La perspective est résolument théorique, mordante, jubilatoire, émancipatoire, littéraire, apologétique, péremptoire, disparate, elliptique, équivoque, boursouflée, polyphonique, universaliste, prophétique, performative, anonyme et subjective. D’où la forme du manifeste adoptée. Ce qui n’en fait pas un simple exercice de style. Le Manifeste du dégagisme est un exercice politique de gymnastique mentale.

« Nous sommes tous des parieurs » Homme contre-révolutionnaire, tu noies la beauté de la langue qui s’invente au fronton des bars populaires, tu te terres, tu te meurs dans l’indistinction des ombres, cœur rongé du monde. Et lorsque tu réapparais, tu n’a d’autre mission que de reféconder la peur.

Anonyme, Gafsa, 31 mars 2011

Dégage !

Tunisie entière, 14 jan. 2011

« Dégage » est une injonction sans reste, la sommation

d’un pur partir. Le dégagement sera donc du côté de l’acte.

Un acte qui n’a d’autre nom que le réel de cette injonction

même. L’adresse d’un impératif catégorique. « Dégage»

fissure un monde tout autant qu’il en déclare l’inanité. Il

nomme la nécessité d’un autre monde sans en proposer

d’architecture. Il ne crée pas un monde autre, il l’appelle

dans sa déclaration. « Du directeur au balayeur, à la manif,

on y va tous. »

Le « Dégage » renvoie à l’impossible de tout nom hérité. « La

révolution n’est pas finie », première chose affirmée haut et fort

devant le sit-in du théâtre municipal à Tunis, trois mois après.

« événement, émeutes, insurrections, révolution.» Le «

Dégage » renvoie à l’indécidabilité d’un nom. Conduira t-il à

l’invention de nouveaux noms ?

Nous sommes ceux qui n’auront plusde pères.Redeyef, 29 mars 2011À la reconnaissance d’une paternité clandestine s’ajoute l’af firmation d’une nécessaire négation de tout pouvoir paternel. « Nous sommes les va-nu-pieds, personne ne pourra plus nous commander ». Et au légendaire et éculé « Je vous ai compris » ils rétorquent « c’est ça, cause toujours, nous en rirons ! ».

Extraits du Manifeste du dégagisme,

Collectif MANIFESTEMENT

Édition Maelström 2011

www.manifestement.be

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Manifeste du DÉGAGISMERévolutionnaires d’hier et d’aujourd’hui : dégageons !

Deux extraits duManifeste du Dégagisme

24 LES MOTS QUI CLAQUENT

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Je suis celle qui

à nouveau désire.

Tunis sud, 7 avril 2011

Le dégagisme est le signe du passage du

discours du Maître au possible discours de la

multiplicité populaire. Nous avons dégagé un

type qui sans relâche et pendant 23 ans a voulu

« faire son maître », pauvreté subjective d’un

voleur, corrupteur et tortureur, d’un minable

dont le discours a indicé et tenté de démailler

le lien social. Là où le dégagisme est puissant,

c’est qu’il fait n

aître une multip

licité de sites, de

résistances, de lieux, de positio

nnements, autant

de multiplicités populaires, c

ontre lesquelles les

centralités passées et celles qui se reconstruisent

battent en brèche.

Le dégagisme crée le peuple qui manque,

transforme le sujet en le faisant accéder à la joie, «

il nous faudra réinventer le manque, il nous faudra

réinventer le désir ».

25

Nous ne serons plus

jamais des bouches

cousues.

Tunis, 6 avril 2011

« Non, Tu ne me feras plus dire que j’ai peur, je ne laisserai

plus vaincre le seul affect réel qui me rend vivant, et

porte aux nues une acmé de puissance, je porterai les

habits neufs des indications sommaires. » « Dégage! », et

je pourrai à nouveau me parler à moi même. Je découds

ma bouche, et le faisant, fais apparaître un peuple.

L’Arabe n’existe pas.Tunis, 6 avril 2011

Chaque dégagement est singulier. Il y a une « contamination » du dégagisme, comme ils disent, mais nul bis repetita qui serait formellement importable. Le « monde arabe » est un mythe, grâce auquel se répand cette idée d’une contamination générale des processus révolutionnaires. Il faut détruire un nom, ou décider son insignifiance : « l’Arabe n’existe pas », « “L’Arabe d’ici” non plus n’existe pas », Il y a d’ailleurs 700 millions d’arabités possibles. Car sinon, soit vous êtes arabes, voire islamistes, soit vous êtes modernes, c’est à dire démocrates. Les dégagistes tunisiens disent : « d’égal à égal ! » « Nous ne voulons pas de votre démocratie, nous inventons la nôtre. […] Vos “droits de l’homme” n’ont de toute façon servi qu’à nous asservir, et vous aurez beau nous saluer pour la maturité et la sagesse de notre “transition démocratique”, bla, bla, bla, de songe creux, nous tracerons d’autres sillons. »

Extraits du Manifeste du dégagisme,

Collectif MANIFESTEMENT

Édition Maelström 2011

www.manifestement.be

CRéATION(S)EN VOISINAGEavec Céline Rallet, membre du

Collectif MANIFESTEMENT

au Théâtre de la Vie >> p.51

Y a pas de chefs,y a que des porte-parolesGafsa 31 mars 2011 Le dégagement ne supporte aucune tentative de lui créer

une antériorité historique ou politique ; et malgré sa forme

insurrectionnelle spontanée, rien de tel pour autant qu’un

dégagement tombé du ciel, ex nihilo. S’il fait rupture, et

rend caduque toute possibilité d’un retour en arrière, il

n’est pour autant pas sans passif. Nulle antériorité de cet

acte sur lui même, mais une lente maturation souterraine

et secrète, des innombrables personnes, tenues à l’absolue

discrétion, à la clandestinité, et qui ont bataillé dans l’ombre

sur l’essentiel, inventé des modes d’action contournant la

répression, maintenu des hypothèses politiques dans un

d’état d’empêchement étatique absolu. À l’impossibilité, sous peine de mort et d’intimidations

abjectes, de se déclarer, a répondu la nécessité vitale de

l’horizontalité. Ni chefs, ni délégués, ni représentants,

rien qui appartienne à la structuration classique du

fonctionnement politique. Les gens entre eux ne savaient

pas même qu’ils faisaient parti du même parti ou groupe ou

association. L’horizontalité, issue de stratégies défensives,

s’affirme grâce au dégagement offensif, comme la

puissance nouvelle de l’événement tunisien.

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Amoureux de tout ce qui dénote, dénonce, innove et invente avec classe et fracas. Cet être étrange semble le plus souvent perdu, jamais à sa place, mal à l’aise dans un monde avec lequel il éprouve si peu d’affinités flagrantes. C’est tellement vrai que même au sein des milieux alternatifs, sa largeur de vue sera éprouvée. Il se qualifiera lui-même du plus punk de tous les rappeurs et plus rappeur de tous les punks.

En effet, ce touche-à-tout, dont la soif de création est à la hauteur de son degré de détresse, s’est dressé au fil des ans et des rencontres un fameux palmarès artistique.

Non seulement slameur liégeois dès la première heure (vainqueur du premier tournoi organisé à l’Aquilone), il roda fortement son écriture en officiant en qualité de MC dans le groupe Hip-Hop décalé Self-Service. Plus récemment, il a monté un groupe de Funk-Rock dont il est le désenchanteur vedette : Alonzo Zoo et ZE Zoophiles. Formation, qui, en un an d’existence, a réussi à susciter la grande curiosité du public liégeois.

Ajoutez à cela quelques projets musicaux et picturaux parallèles, plus quelques actes de terrorisme artistique, et voici un bref aperçu de ce dont l’homme est capable. Tout ça pour dire que si nos réels sont barricadés de toutes part, l’art ne peut souffrir aucune barrière inopportune. Et si les écrits de Volauvent sont le plus souvent sombres et désespérés (lui dirait simplement lucides), ses actes (artistiques, à tout le moins), eux sont pleins d’une énergie vitale rare.

Biographie reprise du livre Zone Slam, sous la direction de

Dominique Massaut dans la collection « Anthologies », éditée

par la Maison de la poésie d’Amay.

LES MOTS QUI CLAQUENT

MC VOLAUVENTPropos recueillis par Caroline Gereduz

LES MOTS QUI CLAQUENT

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C’est quoi le slam pour toi ?Le slam c’est un espace-temps autour du verbe où la parole est donnée à qui veut la prendre et où des oreilles sont là pour la recevoir.

Depuis quand le pratiques-tu ?Je slame depuis 2005, lors de la première soirée organisée à Liège. C’est là que j’ai appris que je slamais.

Qu’est ce que cela t’apporte ?Cela m’apporte de la satisfaction personnelle, un certain épanouissement. En tant que marginal inadapté aux schémas communément admis, qui rame clairement dans la vie de tous les jours, c’est un joli tour de force que de susciter, quand je suis au meilleur de moi-même, l’engouement voire l’admiration.

Quel est ton processus d’écriture, de création ?Pour écrire, j’attends que ça vienne. Je suis incapable de m’asseoir à un bureau en me disant « bon maintenant je vais écrire ». C’est l’écriture qui s’empare de moi. C’est donc un état de l’ordre du frénétique, inspiré. Assez jouissif par ce fait même de non-maîtrise un peu magique. Ensuite ma raison prend le relais, joue le rôle de saine censure pour créer mon esthétisme. Cela me procure la satisfaction d’avoir pu exprimer de manière élégante une souffrance réelle.

écrire ou slamer ?Les deux sont tout autant importants pour moi.L’idéal à atteindre, c’est écrire un texte dont le fond, autant que la forme, soit soigné et pertinent. Puis de le réci ter en rendant tant que possible l ’émot ion ini t iale de la créat ion en gérant silences, r y thmes, in tonat ions, modulat ions...

Thé ou café ?Le café du matin et la clope qui va avec est un rituel que je ne néglige jamais.

Le thé aussi je kiffe pour les bienfaits des boissons chaudes. Et la camomille pour essayer de calmer ma nervosité car jusqu’à présent j’essaye de me passer d’anxiolytiques.

STIB ou SNCB ?La marche à pied reste mon must en matière de transport car la pensée s’y déploie et permet la contemplation des pavés épars et des épaves.Sinon le bus c’est cool pour l’analyse sociologique.Le train berce et fait prendre conscience qu’entre deux villes, il y tout un monde de cambrousse.

Indigné ou Résigné ?Indigné sinon je me serais déjà tu depuis belle lurette.

Que penses tu des « Prix Paroles Urbaines » ?Les Prix Paroles Urbaines sont une belle reconnaissance du travail des « nouveaux poètes ». Et personnellement je ne cracherai jamais dessus. Mais il faut reconnaître le caractère aléatoire de tout concours. Ceux qui gagnent ont juste été capables de séduire ce jury-là, à ce moment-là.

MC VOLAUVENT, slameur« Coup de cœur »

du Théâtre de la Vielors des

Prix des Paroles Urbaines le 10 octobre 2011,

en partenariat avecLezards Urbains

www.lezarts-urbains.be

Lesbellesplantespar MC Volauventslameur

Qu’elles soient sauvages ou d’appartementsJ’affectionne particulièrement les belles plantesEt les crudités

De celles qui vous racontent des saladesEt qui pour un rien, vous prennent le chou

Celles qu’on effleure à peinePuis qui vous plantent là, atterrés

épineuses et sans pudeur, s’épargnant de tuteursDe celles qui se greffent à jamais, échardes dans nos cœurs

Faites de griffes et de griefsCâlines et carnivores, qu’on hume tel l’humus

Elles nous épluchent, nous décortiquentPuis lasses, nous jettent aux crasses ménagères

Alors on végète dans un décor tristeFaisant place aux subterfuges métaphoriquesPassée l’euphorie

Le cerveau en compote sous une purée de poisOn sert de compost, terreau d’une prochaine fois

Quand un nouvel amour voudra bien écloreUne autre erreur, une autre aurore, ça s’arrose

Alors que dans nos paniers,les remords pour seule récolte

SLAMÀ LA VIE

Le deuxième lundide chaque mois(entrée libre)

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Abdel Bouzbiba : Ton travail dégage une certaine mélancolie, qu’en penses-tu ?Joanna Lorho : Peut-être mais ça n’est pas un mode que je cultive par coquetterie, il y a une logique. Mon travail est lié à ce que je suis, à mon vécu, des choses tristes parfois et difficiles à résoudre, des choses pour lesquelles j’ai encore des questionnements profonds. C’est vrai, il y a une part de moi qui est triste, qui se sent illégitime, incomplète. Et si on dit que « la mélancolie est un deuil sans objet », alors je suis totalement dedans. Pour moi il n’y a rien de sinistre, ni de cliché dans la mélancolie, au contraire, si tu en sors quelque chose, c’est une sorte d’état de grâce. C’est déjà une forme de réponse, tu n’es pas en train de baisser les bras et de déprimer.Pour l’instant mon travail est motivé par le fait d’essayer de dire des choses, de « s’arranger avec la réalité », donc il est teinté fatalement. C’est très égocentrique... J’aimerais bien avoir un travail totalement détaché de ça, alors je serais dans un autre registre. J’aimerais bien. Peut-être plus tard.Oui, et c’est dommage, j’aurai bien voulu faire des choses hilarantes. Mais sinon ça va bien.(...)A.B : Montrer l’envers du décor, et ne pas être dans la représentation littérale, est-ce un objectif primordial pour toi ?J.L : Non pas du tout, en fait je n’ai jamais prémédité quoique ce soit. Je n’ai jamais rien « envisagé », au départ je ne me suis pas dit pour Kijé par exemple, que j’allais faire un film d’animation, et encore moins comment j’allais m’y prendre... Les travaux qui ont du sens pour moi, sont des « collectes ». Kijé je l’ai construit

sur une musique, Eleni aussi, dans ce cas, j’ai juste l’impression de collecter une série de « visions ». Du coup ça donne des choses qui ne sont pas tellement scénarisées, qui sont plutôt des ambiances. Après je fais tout ce que je peux pour y donner du sens, loin de moi l’envie de faire un truc complaisant, juste une série de dessins qui marchent ensemble. Ce que j’ai fait à côté de ça pour moi est maladroit, justement parce que je ne sais pas comment me situer.En tout cas, j’ai vraiment envie de raconter des choses. J’ai un projet de bande dessinée, même plusieurs, c’est le fouillis, est-ce qu’on peut appeler ça un projet... En tout cas, je pars d’une envie de raconter quelque chose, du coup, c’est beaucoup moins éthéré. Mais ça bloque quelque part pour l’instant. Quand je vois d’autres auteurs travailler, j’ai vraiment envie d’essayer de respecter, au moins une fois pour voir, le côté scénarisation, découpage, dessin... Mais justement, peut-être que ça m’emmène vers quelque chose de trop clair. Peut-être que ça me dérange. C’est aussi de la pudeur. Cette question de distance n’est pas du tout réglée pour le moment.A.B : Dans tes histoires, à l’exception de quelques-unes, on constate la présence de l’eau sous ses formes diverses et en tant qu’élément central (la mer, une rivière, la pluie). Faut-il chercher une symbolique spécifique à cela ?J.L : Je ne sais pas. La seule chose que je pense, c’est que c’est lié à mon enfance en Bretagne. J’ai passé des heures et des heures à me baigner dans la mer, à me promener au bord de la mer, à pêcher avec ma grand-mère. J’ai toujours adoré être immergée. Quand les plages étaient bondées de monde au mois de juillet, je nageais assez loin, j’essayais de m’enfoncer le plus

Onirismed’un rêve gris.Tout en grisaille subtile et en brumes énigma-tiques, Joanna Lorho ne montre pas, elle suggère.Elle suggère un univers sensible et fragile, dans lequel le bonheur et la tristesse voisinent. Qu’elle traite de la corrida1, d’une sortie à la plage2 ou bien qu’elle compose une mélodie au piano, Joanna Lorho nous plonge dans le songe, quelque part à la frontière entre Sommeil et Réveil. À travers une tension dramatique diffuse, que vient adoucir le grain du crayon gras, le travail de Joanna Lorho ouvre une porte vers une dimension nouvelle : notre monde intérieur.

1 El paseo www.grandpapier.org2 Eisbär éditions nos restes

PORTRAIT

Joanna Lorho PORTRAIT par Abdel Bouzbiba

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longtemps possible dans l’eau et d’un coup tout devenait sourd, presque silencieux, j’avais les yeux ouverts et je voyais la lumière qui filtrait à la surface. C’était un moment très réconfortant, c’était une activité récurrente. C’est peut-être juste ça, quand je cherche du plaisir dans le dessin je pense à l’eau tout simplement. En plus, graphiquement, c’est intéressant à dessiner. A.B : Peu le savent, mais tu es également pianiste, d’ailleurs tu composes toi-même les bandes-sons pour tes films d’animations. Quel lien établis-tu entre ton univers graphique et ton univers musical ? Est-ce pour toi un seul et même univers ou bien les distingues-tu l’un de l’autre ?J.L : Ça c’est une question compliquée... Pour Kijé, j’ai associé les deux, c’est une super expérience, et en plus ça a fait ma spécificité par rapport à ce film. Mais c’est comme si mêler les deux pour en faire quelque chose, de l’animation en l’occurrence, c’était une troisième discipline. Les problèmes ne sont plus les mêmes. Dans l’animation il y a beaucoup de problèmes qui ont disparu, j’ai l’impression. En dehors de l’animation, la musique et le dessin ne constituent pas un univers cohérent pour moi.Ce sont juste deux pratiques avec lesquelles je vis et auxquelles je ne peux pas renoncer. Les deux se sont nourries c’est sûr, j’aime bien « éclairer l’une avec l’autre », c’est pratique, mais j’ai deux vécus très différents vis à vis de la musique et du dessin. La musique, je l’ai apprise au conservatoire, gentiment, et quand j’ai rencontré d’autres musiciens, je me suis effacée parce que je ne savais rien faire d’autre que lire des partitions. J’étais incapable de jouer avec les autres (ni devant les autres). Donc c’est devenu une pratique solitaire, absolument

Joanna Lhoro est née en Bretagne en 1983. Elle arrive à Bruxelles en 2004, où elle entame des études d’illustration. Elle décide très rapidement d’y mettre un terme,afin de se consacrer entièrement à son projet d’animation qui a pour titre Kijé (Kijé devrait être visible courant 2012). Parallèlement elle rencontre les membres du collectif Nos restes avec qui elle fait un bout de route, en publiant di-verses illustrations, notamment dans les magazines Eïsbar. Rencontre avec le collectif L’employé du Moi, qui donne lieu à la publication d’ un récit sur le site grandpapier.org, et à une collaboration sur l’émission Radiograndpapier. Joanna anime régulièrement des ateliers d’animation avec les enfants, et enseigne depuis peu à l’ERG (institut supérieur libre d’arts plastiques). Également mu-sicienne, Joanna travaille actuellement sur un pro-jet qui devrait bientôt voir le jour.

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30PORTRAIT : Joanna Lorho

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confidentielle. J’enregistre des choses, je travaille des morceaux... On m’a dit que c’était de l’onanisme. Peut-être. En attendant, je suis très gênée de jouer devant des gens, je trouve ça super narcissique, j’ai du mal à passer au-dessus de ça. Je ne sais pas si je suis assez solide pour me dévoiler et supporter le jugement en musique.Le dessin c’est l’inverse, je n’ai jamais rien su faire de spécial, je ne me sens pas illustratrice, ni auteure de bande dessinée ni quoi que ce soit. Mais je n’ai pas de problème à montrer ce que je fais. Par contre, c’est assez « douloureux » comme pratique, c’est pas simple. Je ne dessine pas pour le plaisir, même si finalement quand ça vient, j’en ai, heureusement. Dans le piano il y a souvent un plaisir immédiat, et là, je peux créer des trucs spontanément, sans problèmes. En fait c’est un problème de confiance en soi.Mais bon, pour l’instant, il y a le film qui est un long projet qui prend le dessus depuis plusieurs années, il faudrait voir ce qui va se passer après. A.B : Serait-il envisageable pour toi de créer une pièce musicale qui se suffirait à elle-même, qui ne nécessiterait pas le soutien visuel d’une image ?J.L : Créer une pièce de musique, pas de problème, en fait, je compose des choses depuis un moment déjà. Par périodes, je ne pense même qu’à ça. Le piano, c’est la pratique à laquelle je

suis la plus fidèle et celle dont j’ai le plus de mal à me passer je crois... Et je pense que la musique dans son ensemble, est la chose qui m’émeut le plus. Mais, il y a une différence entre faire sa petite musique chez soi et envisager un projet qui, par exemple aurait pour finalité un concert...J’ai longtemps évité soigneusement cet aspect de la musique, tout simplement parce que jouer en présence de quelqu’un ça me retourne, je perds mes moyens, je n’ai aucun plaisir, donc j’avais renoncé à ça.Sauf depuis que j’ai commencé à travailler sur Kijé, j’ai remarqué que si la musique que je fais est au service d’autre chose, alors mon attention est déviée sur cette chose, et c’est assez salvateur, j’arrête de focaliser sur ce que je fais et ça passe presque tout seul.Au départ, la bande-son de Kijé était une pièce de Sergueï Prokofiev, mais je n’ai jamais pu obtenir les droits. Du coup, ça a été l’occasion de me rendre compte qu’au fond j’avais envie de faire cette musique. Finalement, c’est ça qui m’a permis de faire de la musique autrement, et commencer à faire bouger les choses, ça me permet de m’ouvrir un peu, de prendre conscience que je sais faire autre chose que déchiffrer du classique, et... me confronter au stress de faire écouter ma musique.

Depuis, j’ai commencé à faire des choses pour moi, à enregistrer des petits bouts de musique, à mettre en place un projet, sans lien avec le film, ni aucune image en particulier. J’ai fait un peu de chemin, maintenant, ce désir est bien logé, j’ai de plus en plus de matière donc il faudra bien que je pense à partager ça un jour ou l’autre...

www.joannalorho.com

PORTRAIT

Entre le 20 et le 24 juin 2012,le Théâtre de la Vie présentera une exposition collective des oeuvres de Mr.Pimpant, Joanna Lorho, Carl Roosens et Noémie Marsily.

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LE BARDA D’YVETTE 2.D’HIVER par Isabelle Wéry / croquis : Juan d’Oultremont

ANTI-FRIMAS LOVE

J’ai l’trou d’bulle à l’envi.Le gratin haut-fourneau.Le jus jusqu’au cou.C’est comme, et c’est.Ça cross plus vite que moi.C’est chaud :Moi Vevett a rencontré un Julos.Tous mes châteaux d’Espagne ont pété.Tous mes contours, détournés.Le doigt sur la sonnette/gâchette.Je peux bien déplier la chose sous toutes ses coutures, c’est du love :100% papier émeri du tatoo Campari.Alors, Vevett, comment tu le distingues hein, que c’est du « grand amour » ? À partir de quoi tu sais que c’est du grand et non du minus-love ? Ok, j’imagine qu’t’as l’organe qui fait boumboum, la mouillette aux lingettes et tous les symptômes sempiternels du love mais « legrandamourlegrandamour », c’est quoi le starting-point, LA caractéristique, c’est quand le on du off qui t’fait dir’que t’y es ?Euuuuuh... Ben.Euuuuuh et oui, tant pis pour les clichés et autres mais il est d’évidence qu’il y a des amours liés à l’ordinaire, et d’autres « les grands », à quelque chose de hors-ordinaire.Donc du « grand love », de ma petite expérience de vivante, je peux écrire que, moi Vevett, quand je sais que c’est du « le grand amour », c’est quand je sens la naissance d’un mouvement collectif révolutionnaire... à 2. Une envie, un désir espèce de mouvement prêt à grimper aux barricades, oui, quelque chose d’une révolution, de société ET de l’intime.Et quand je dis « mouvement collectif », oui oui je fais un lien avec la force des grands mouvements collectifs de l’Histoire. Avec les changements et les transformations parfois radicales qui en découlent.Mai 68... à 2, ihihih.

Le « grand love »...

D’une communauté. À 2.2. Oui, 2. Pas 3. Pas 4. 2, oh oui que l’on peut aimer 2, 3 personnes dans le même temps, des Jules et des Jim 2011, oh oui, comme les siècles à venir vont fristouiller avec du poly-amour, des partenaires

multiples et simultanés... Mais ici et maintenant, quand j’ai le « grand love » dans la tronche, j’ai ma concentration qui n’a pas envie de passer de quelqu’un à quelqu’autre ; ça n’a rien à faire avec des notions de morale, de réac ou convention sociale, c’est plutôt quelque chose de l’organique, de capacité physique : une concentration profonde sur UN endroit (un Julos) ; UN, afin de mieux le goûter. L’auteur Eugène Savitzkaya a la capacité de plonger dans une description minutieuse de l’épluchage des pommes et de faire corps avec la finesse, la richesse de la matière végétale ; une sensualité intelligente d’Eugène. Comme Eugène, immersion dans UNE matière. Afin de mettre au jour, la pulpe et le poisson rare, l’essence. Sentir en soi une dilatation... Un aiguisement de notre vie physique et sensorielle, de notre vie intellectuelle... Ouverture des frontières des possibles... Tandis que disparaît l’aliénation...(Au théâtre, c’est pas trop difficile de réussir un spectacle « seul en scène » et c’est une expé-rience riche. Mais un « 2 en scène », s’il est porté par une alchimie okéoké, c’est un mouvement de rare créati-vité et de culture surprenante pour les 2 partenaires)

C’est l’hiver aux fri-mas, t’as pas l’choix.Ça engelure de par-tout, t’as d’la glace qui fleurit - le ciel neige, tout a congélateur.E t d a n s l a c o u c h e,Pied’d’nez aux degrés,Il sticke sa réserve na-turelle au sacré de ma jungle ;Il biotope sa couenne à ma couenne ;Il exacerbe mon potentiel calorifique à hauteur vulcano.Collectivement duo.

Yvette

1) Lecture : Francesco Alberoni, Le choc amoureux (Innamoramento e amore).

2) Waoooooow le BICARBONATE DE SODIUM ! Quand t’as de l’acide dans l’bidou, du vinassé plein l’panier, t’en prends une cuillère à café du bica avec grand verre d’eau et t’es plus patraque/aigre ; tu peux aussi te récurer les dents avec, qu’il t’enlève le brun disgracieux de ton sourire; et il lave tes légumes en profondeur... (+ un tas d’autres propriétés à zyeuter sur le net).

3) à lire, waoooooow, il l’a fait Laurent Ancion, écrire un vrai livre autour de René Hainaux, acteur/pilier de l’histoire du théâtre francophone belge : Jouer, Enseigner, Chercher, Lansman éditeur (avec la complicité de Françoise Ponthier).

4) Lecture, suite au BARDA D’éTé : Traité d’athéologie de Michel Onfray, profonde analyse des trois monothéismes : Judaïsme,

Christianisme et Islam. Livre-construction solide et militante, à lire 100%.

5) Amours (Histoires des relations entre les hommes et les femmes), Jacques Attali l’a écrit.

6) En Vie, Eugène Savitzkaya, une pépite.

7) Ah oui donc ? La fête de Noël était donc à l’origine, un rite païen, récupéré par nos amis du chrétien. Ah oui donc ?

8) Les poèmes d’Yvette et les croquis

de Juan d’Oultremont : Saisons Culottes Amis, www.vinelande.be.

( barda = harnachement sac attirail kit-bag paquetage chargement colis équipement mon sac à dos ma besace)

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34 PROCESSUS CROISéS

I. Wéry : Marcel, je t’ai vu un jour regarder intensément la peau d’une prune en Italie, en disant que tu avais envie de la peindre. Quel est, quels sont les moteurs qui te donnent envie de peindre, une texture, une matière, une forme... ?

M. Berlanger : Aaaaaaaah. C’est pas tellement la matière qui me donne l’envie, c’est la matière en rapport avec la peinture, c’est-à-dire que je vois dans la prune une peinture. Une expérience. Quand je vois une peau de prune, c’est surtout pour moi un exercice extrêmement jouissif de peinture. Je vois la super expérience que cela peut-être de peindre une peau de prune. Et, autre donnée essentielle qui me donne envie de peindre, c’est comment susciter à celui qui regardera le tableau, le goût de la prune.

I.W : Et est-ce que la lecture de certains écrits peut te donner envie de peindre ?

M.B : Dans mes processus de travail, c’est vrai que quand je n’ai pas envie de peindre ou que je manque d’idées, je lis. L’image est parfois trop « énervante », car trop proche de la peinture, du tableau à réaliser. Tandis que la littérature, l’abstraction des mots, leurs enchaînements, font naître en moi des envies de peinture, des envies de processus. Les mots, dans leur distance avec l’aspect visuel de la peinture, me mènent parfois à d’autres manières très fortes d’invoquer la peinture. De nouvelles idées qui engendrent l’envie d’un tableau. En général, ce n’est pas à partir de lecture de romans, mais plutôt à partir de livres d’idées, de philosophie, donc de lectures dites « abstraites », à priori moins porteuses d’images qu’un roman de Balzac.

Il y a quelque chose de « grammatical » dans la peinture qui me touche beaucoup. Une « grammaire de la peinture »... Travailler avec des éléments très déconstruits, très analytiques et pouvoir les combiner. Les mots, chez moi, suscitent ça. Mais je travaille aussi avec beaucoup d’images. Différemment. Quand je peins une image, je ne cherche pas à la transformer, j’essaye de la reproduire précisément. Chaque image est pour moi « un programme », elle définit un programme à suivre, qui met en route une peinture. Et c’est seulement quand je peins que je découvre des éléments d’aspects abstraits. Peindre une image, c’est la faire, donc combiner des moments d’abstraction : un trait à côté d’un autre trait, une couleur, un mélange sur la palette... Donc, c’est plein de moments d’un langage qui va constituer une image. Image, fidélité à l’image et dans le moment de peinture, découverte de l’abstraction.Textes ou images, deux pôles qui peuvent alimenter la peinture, par des chemins différents.

I.W : Les événements de ta vie personnelle induisent-ils des envies de peindre?

M.B : Mmmmmmmmmmm… Question complexe...Je crois au lointain dans la peinture, même si cela n’est pas le but ultime. Mais des choses transparaissent, des obsessions de sujets, de formes... D’où cela vient-il? Des choses sont ORIGINALES, particulières et venant de loin dans nos origines... Je pense à l’enfance, aux éléments puissants qui se sont fabriqués en nous.Et bien sûr des événements marquants peuvent générer des travaux, ou le fait d’aimer des gens, d’avoir des enfants... Mais je me dis aussi que cela n’est pas souhaitable... Ce n’est pas ma petite vie qui va intéresser les gens; on souhaite que cela travaille en sous-main mais il faut se confronter à des questions artistiques.Une œuvre a un caractère indémêlable, pareil à un écheveau. Par exemple, Leonard de Vinci, dans chaque tableau et plus précisément La Madone à l’Enfant, on y repère des obsessions : il a peint dix fois cette scène, pourquoi ?... Parce que c’est aussi un événement historique, un événement littéraire où des éléments scientifiques interviennent ; La Madone, c’est aussi un exercice pour tous les peintres, etc... C’est ça l’écheveau, ce mélange de fils. Et c’est ce qui engendre une machine efficace, qui produit du discours et du sens – jusqu’à aujourd’hui ; cet écheveau crée un complexe, c’est-à-dire quelque chose de complet (pas compliqué hein). Et c’est d’ailleurs ce que l’on ressent à la vue d’un grand tableau, c’est qu’il est complet.

I.W : Et Marcel, tu peins donc beaucoup la nature ?

M.B : Il y a dans la nature, quelque chose des notions de l’art : de l’ordre et du chaos, des ensembles, des échelles de grandeurs... Quelque

PROCESSUS CROISéSMarcel Berlanger est peintre, prof de peinture à l’école de Recherche Graphique à Bruxelles.Isabelle Wéry est actrice, auteure, metteur en scène à Bruxelles.

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chose de très complet. La nature, comme modèle. Quelque chose de directement peignable... Juste à observer. Ça n’est pas simple de la peindre mais c’est un très très grand plaisir d’y parvenir.

I.W : Un plaisir ?

M.B : Oui le plaisir reste un moteur. Ce que j’adore dans la peinture dite « illusionniste », c’est de reconnaître quelque chose qui a été fabriqué... L’illusion, une magie première ! Je suis sidéré de l’effet d’illusion de mes peintures sur ceux qui la regardent. C’est un bonheur pour moi. Alors est-ce le fait de reconnaître l’objet, le plaisir de l’avoir fait, d’avoir réussi cette espèce de pirouette ou... ??? Incroyablement jouissif, quoi !

M.B : Et toi Isa, ton travail d’écriture a l’air branché sur les événements de ta vie ?

I.W : Oui, mais pas que. J’envisage mon existence comme un terrain d’exploration, et oui, je suis moi-même mon terrain d’exploration, tout en pensant, comme toi, que ma petite histoire personnelle n’est pas essentielle. Alors tout ce qui me traverse, tout ce que je vis ou expérimente devient matière à écriture à condition d’en faire surgir un « caractère universel » et non trop lié à une histoire personnelle. J’ai un plaisir fou à transformer, à jouer avec les événements de ma vie.

M.B : Oui, mais quand tu dis « ton propre terrain d’exploration », parfois on a l’impression que cela résonne avec d’autres vies, avec la littérature également, que c’est un mix de choses...

I.W : Oui, c’est un mix qui crée sur le papier un autre cadre que ma vie propre. À l’image du mot « écheveau » que tu utilises, c’est un tissu de liens, d’événements historiques, de fantasmagories...

M.B : Un tissu de mensonges, quo i!!! (hihihahaha)

I.W : Noooooooooon, je dirais pas du mensonge, j’aime pas le mot. Non, justement c’est une manière de mettre à distance les choses pour les rendre encore plus proches. Un mensonge vrai !

M.B + I.W : Un mentir vrai alors !!!!

M.B : Et euuuuuh, qu’est-ce qui te pousse plutôt vers le théâtre ? Quelle est la relation entre jouer et écrire?

I.W : écrire, je peux le faire partout, dans n’importe quelle situation. Sans spectateur nécessaire. C’est une espèce d’acte premier, indépendant, qui peut-être plus tard, débouchera sur du théâtre. Ce qui est souvent le cas. J’écris tout en étant actrice, j’ai en chair mes personnages ; le lien vers la scène est presque « naturel ». Et parfois certains sujets que je veux défendre doivent passer par la scène et le rapport direct au spectateur.

M.B : Dans ton écriture, je sens du jeu, de l’oral, du spontané, comme quelqu’un de pris à son propre jeu; j’y sens quelque chose chose «hors grammaire» qui envahit l’écriture de manière très étrange...

I.W : Mmmmmmmm… un de mes plus grands plaisirs, c’est de décadenasser les mots, de démantibuler la grammaire, la ponctuation ; c’est une spirale au fil du travail qui tout à coup engendre de nouvelles images qui me surprennent et font exploser le sens du texte. C’est un des immenses bonheurs de l’écriture.

M.B : ...

I.W : Dans mes processus d’écriture, ce qui

m’importe, c’est d’accumuler une matière sur un sujet, de sentir monter l’envie d’écrire, puis de foncer. Pas trop avoir envie de « bien faire », pas trop réfléchir, s’éloigner de ce que l’on pensait que l’on allait écrire. Le faire. En laissant surgir l’imprévu.

M.B : Le lien création et enfance apparaît évident pour les arts plastiques... Pareil pour l’écriture ?

I.W : Je n’ai pas d’expérience d’écriture avec les enfants. Oui sûrement. Mais par contre, ce que je sais c’est que l’acte d’écrire, pour un adulte, l’acte de créer une langue par exemple, participe de l’enfance (le jeu de l’acteur également d’ailleurs). Être connecté à une fluidité, à cette capacité de faire jeu de tout. Mais parallèlement à cette nécessaire liberté, écrire demande une capacité de construction, d’organisation de la pensée que n’ont pas toujours les enfants.

M.B : Tu penses que le langage des adultes est différent dans leur cerveau que ce qu’ils sortent de leur bouche?

I.W : Oh wouai. Non ? Siiiiii. Dans le cerveau, les phrases voltigent sans pudeur, sans tenir compte d’un interlocuteur, d’une bienséance... Euuuuuuuuh.

M.B : C’est peut-être ça le « mentir vrai » de l’écriture, c’est cette transmission d’une parole plus libre du cerveau qui parle... ?

I.W : Wouai peut-être... Bien que l’on écrit en sachant que l’on va être lu (cela met en branle des processus inconscients, c’est clair). Et en ayant envie de se surprendre soi-même.

SPECIAL 40 ANS THEATRE DE LA VIE

La mortdu cochonpremier spectacle d’Isabelle Wéry

le 30 mars 2012 à 20h15dans le cadre du Multiversdédié à l’art belge

www.theatredelavie.bewww.myspace.com/isabellewerywww.audienceproduction.be

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Il m’a été demandé d’écrire un texte sur un événement que j’organise depuis peu : The Blast Dance.

Concrètement, The Blast Dance, c’est un rendez-vous de danse collective qui consiste à réunir des participants dans une salle et à leur apprendre des chorégraphies. Ensuite, nous les dansons sur des places publiques. La seule musique présente alors est celle des souffles et des corps en mouvement.

J’ai voulu écrire la genèse du projet et développer la construction de son concept. Mais je me suis retrouvé dans une impasse…

En effet, en suivant la chronologie des événements, je devais constamment faire des sauts en arrière, prendre des chemins de traverse, créer des parenthèses, des renvois en bas de page… Je me suis rendu compte que certains aspects du projet répondaient à des expériences et des lectures qui n’avaient rien à voir avec le sujet « blast dance »… Un vrai casse-tête !

Alors, plutôt que de forcer l’écriture, j’ai regardé ce que j’avais devant moi : un réseau de paragraphes impossibles à enchaîner, comme des flux de pensées disparates. J’ai décidé qu’il serait inutile d’en faire un raisonnement linéaire, car ce n’est pas comme cela que le concept du blast dance s’est créé. Ce n’est tout simplement pas comme cela que le cerveau humain fonctionne !

Structure arborescente parcourue de milliards d’ondes électromagnétiques, l’information y circule dans tous les sens. Les pensées fusionnent, s’interpénètrent, se contredisent, se complètent, s’amplifient, s’éradiquent… Et de là, un jour, surgit une idée.

Alors plutôt que de vous proposer un seul texte, je vous livre, de manière brute, plusieurs « îlots » de pensées. Lisez-les dans l’ordre que vous désirez, relisez certains passages après en avoir lu d’autres, n’en lisez pas certains… Je vous laisse l’espace de faire votre propre chemin à travers ce flot d’idées. Un voyage libre dans les circonvolutions du cerveau.

J’espère que cela suscitera votre intérêt et, oserais-je l’espérer ?, vous donnera l’envie de venir danser au « blast dance ».

Clément, octobre 2011

THEBLASTDANCEpar Clément Thirion© Jean-Marc Manchel

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La réalisation des deux premières blast dances n’aurait pas été possible sans la formidable collaboration, à la fois artistique et logistique, de deux magnifiques personnes : Édith Depaule et Thomas Coumans.La réussite de l’événement tient en grande partie à la qualité de leurs chorégraphies, au charme de leur sourire et à la générosité de leur présence.J’en profite pour remercier le Théâtre de la Vie et à remercier d’avance les futurs lieux d’accueil du Blast Dance.Et bien entendu, je remercie les participants. La bienveillance de leurs avis et de leurs remarques est indispensable. C’est la raison d’être de ce projet.

Le Blast Dance n’a eu besoin que d’internet pour mobiliser déjà une centaine de partici-pants en deux événements. Amis qui avez des idées, il est temps de prendre le pouvoir !

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Le théâtre et après ?

LE THéÂTRE ET APRèS ?42

Une urgence spirituellepar Myriam Saduis

En 2008, Myriam Saduis, artiste française installée en Belgique, signe la mise en scène d’un scénario, non réalisé, de Bergman, Affaire d’âme, qui sera créé au Théâtre Océan Nord, à Bruxelles. Ce spectacle connaît un superbe accueil, tant du point de vue du public, critique, que des professionnels. Il recevra d’ailleurs, en 2009, le Prix de la critique : « Meilleure découverte ». Repris fin 2010 dans une perspective de diffusion, le spectacle est sélectionné par le Théâtre des Doms pour une série de représentations lors du festival d’Avignon 2011. Or, au moment où la compagnie s’apprête à signer le contrat pour Avignon, l’agence Drama – gestionnaire des droits d’exploitation du texte pour la France depuis 2009 – l’informe que des droits exclusifs sur tout le territoire français viennent d’être vendus pour une production en France dont la création est prévue en septembre.L’exclusivité du texte est vendue à une inconnue du monde théâtral, Bénédicte Acolas, pour un projet avec Sophie Marceau. Soulignons que l’agence Drama a légalement le droit de vendre une exclusivité, sans avoir à en informer une compagnie ayant fait une création antérieure du même texte en cours de diffusion.

Commence alors un « ballet des suppliques » : Demande de dérogation par la Fondation Bergman à Bénédicte Acolas pour Avignon.Demande personnelle de dérogation de Myriam Saduis à Bénédicte Acolas.Lettre de Myriam Saduis à Sophie Marceau, à ce sujet, via son agent.Refus de Bénédicte Acolas à la Fondation, puis à Myriam Saduis, se disant « favorable à la libre circulation des œuvres mais engagée avec ses producteurs sur l’exclusivité ».Réponse de Sophie Marceau, via son agent : « a lu la lettre, pas concernée ».

Annulation du contrat des Doms, Festival d’Avignon « off ».

L’intransigeance fut radicale : refus de laisser jouer aux Doms, dans le off d’Avignon, durant trois semaines et pas davantage, un spectacle créé antérieurement. Que pouvaient-ils craindre? Affaire d’âme n’aurait jamais, de toute manière, obtenu la même couverture médiatique qu’un spectacle avec Sophie Marceau.

Dans cette histoire, un travail, celui de Myriam Saduis et de toute son équipe, a été empêché, exclu, pour des raisons strictement mercantiles, qui doivent tout aux lois du marché et rien à l’art.

« Lorsque l’on m’enfermait, je cherchais ma lampe dans sa cachette et je dirigeais son faisceau contre le mur »

Ingmar Bergman, Lanterna Magica

Le théâtre prend tout sens par des interprétations multiples, voire divergentes. C’est ainsi qu’il est vivant. C’est ainsi qu’on doit le penser, le revendiquer.

J’ai fait la première création théâtrale d’Affaire d’âme et je le dis clairement : je me réjouis que d’autres aient eu envie de monter ce très beau texte.

Face à nous, petite compagnie basée en Belgique : une production avec Sophie Marceau, « l’actrice-préférée-des-français », qui fait là son retour au théâtre après 20 ans. Une exclusivité, prise sur toute la France, pour deux ans, par sa metteur en scène, au moment où nous allions jouer en France. Une agence, Drama, qui ne nous a aucunement garanti la possibilité de poursuivre la diffusion de notre travail.Plusieurs théâtres, des scènes nationales subventionnées, qui coproduisent et promo-tionnent un spectacle qui en interdit un autre, antérieur, sur le même texte, en cours de diffusion, le savent et ne font rien.

Comme l’écrira Jean-Pierre Thibaudat sur Rue 89, le projet de B. Acolas a été « monté autour

de la star de La Boum, selon un mode vendeur cher au théâtre privé, et non sur la base du projet artistique d’un metteur en scène. Buzz is buzz, money is money. » Comme le dira aussi Armelle Héliot dans Le Figaro : « Il est rare qu’un metteur en scène, sans expérience aucune, empêche des artistes de travailler ».

Bénédicte Acolas, « formée à la danse contem-poraine, ayant participé à de nombreux ateliers théâtre et ayant travaillé dans le secteur de la communication en entreprise », selon le dossier de presse du Rond-point, signe là son premier travail théâtral. En outre, elle se présentera comme traductrice, sans parler ni lire un mot de suédois. Elle dira s’être fait assister par deux traducteurs, non crédités. Cette « nouvelle » traduction est entachée du soupçon de plagiat de celle de Vincent Fournier, éditée aux Cahiers du Cinéma. Soupçon dont la presse française et belge se fera largement l’écho.

Avec cette nouvelle traduction et mise en scène de Bénédicte Acolas, la presse, dans sa grande majorité, évoquera très peu le texte de Bergman. Quand elle le fait, le qualifiera de faible, voire d’ennuyeux. « Fonds de tiroir » selon France-Culture, « Grande Sophie, petit Bergman » pour Exitmag, « Daté » selon La Tribune de Genève...

Achevé en 1987, Affaire d’âme concentre pourtant toutes les obsessions de Bergman : la folie, l’effondrement, le théâtre, le rêve, la quête de vérité... Ces grands thèmes bergmaniens traversent le texte de façon incandescente et entourent ce personnage, Victoria : un prénom unique dans toute l’œuvre du cinéaste.

Une Affaire d’âme est un texte magnifique, «un grand Bergman », je ne suis pas la seule à le penser.

En 1983, Bergman a annoncé qu’il arrêtait le cinéma, mais il continue d’écrire et rêve ce film, comme une urgence – le traducteur Vincent Fournier avait aussi pensé titrer ce texte par Une urgence spirituelle –, un film constitué d’un « long plan rapproché ». L’actrice pressentie renonce. Bergman aussi. Il en fera une

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pièce radiophonique en 1990, avec Jane Friedmann.En 2003, je découvre le texte en français, dans la traduction de Vincent Fournier, une très belle traduction, je le souligne. C’est par elle que j’ai perçu, dès la première lecture, la force théâtrale contenue dans ce scénario, resté irréalisé, à l’instar de son personnage principal, Victoria.

Quand je demande les droits en 2004, Bergman ne quitte plus beaucoup Farö. « Il est réticent pour donner des droits, il reste à Farö, me dit son agent, il ne veut pas qu’on l’importune ». Je ferais valoir que ce texte, resté en chantier, peut connaitre une autre forme de réalisation.Elle me promettra de faxer à Bergman mes premières notes de travail.

Quelques jours après, je recevais l’accord.

En 2008, je mets le texte en scène, avec deux actrices dans le rôle de Victoria, Florence Hebbelynck et Anne-Sophie de Bueger. Nous avons reçu l’accord d’un auteur de génie. Son œuvre nous parait inépuisable. Cela nous donne une exigence, le trac, du désir.Notre préoccupation a été, avec les moyens du théâtre, de nous rapprocher, nous aussi, non d’un visage, mais de son écriture. Entendre, le texte, plutôt que de

chercher à voir le plan.Bergman est un immense écrivain,

j’avais donc l’intuition que son écriture contenait en elle-

même le plan rapproché. C’est le cas.

Nous travaillons avec très peu

d’argent, faisant

du théâtre

« en gaz rare »

selon la si belle formule de Vitez qui qualifiait ainsi une économie

de moyens qui ne devait empêcher ni l’invention, ni le courage.

Nous avons travaillé ainsi, créant Affaire d’âme à l’abri, en petite bande, en insulaires, au plus près de l’auteur… loin de Bergman-la Marque, ligne Affaire, accessoire Histoire.

« La vérité n’est rien » dit Victoria dans Affaire d’âme.

C’est l’adulte Bergman qui l’écrit, mais j’aime penser que c’est Ernst-Ingmar, l’enfant, qui parle là, à travers elle, comme dans Lanterna Magica : « Je me suis fait menteur, je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n’ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences à la fois sur ma vie d’adulte et sur ma créativité. Il m’arrive parfois d’être obligé de me consoler en me disant que celui qui a vécu dans le mensonge aime la vérité. »

Myriam Saduis, octobre 2011

Pour savoir plus : www.affairedame.be

équipe de création Affaire d’âme

InterprétationFlorence Hebbelynck etAnne-Sophie de Bueger(dans le rôle de Victoria)TraductionVincent Fournier (éditions Cahiers du Cinéma)LumièresXavier LauwersBande sonoreJean-Luc Plouvier et Pascale SalkinImagesMarian HandwerkerAssistanat mis en scèneAurore Depré

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44 THéâTRE DE LA VIE

TéMOINS DENOTRE TEMPSSaison 6

3 décembre 201120h15 : Table ronde

avec

Alain Didier-WeillPascale ChampagneGwen BerrouCéline Ralletautour d‘Alain Didier-Weill, pour la présentation de son livre Un mystère plus lointain que l’inconscient, paru aux Éditions Aubier.

Le Théâtre de la Vie place au centre de ses recherches le désir de partager avec le public des questionnements, des découvertes, des réflexions qui touchent aux domaines les plus variés du monde de la création, qu’elle soit artistique, scientifique, philosophique ou sociale.

Inauguré lors de la saison 2006/2007, le cycle Témoins de notre temps a permis au public de ren-contrer des personnalités signifiantes telles que Margarethe von Trotta, Philippe Avron, Colette Braekman, Pierre Mertens et Jacques Dedecker, Bernard Werber, Tom Lannoye, Fabien Marsaud – alias Grand Corps Malade, Thierry Janssen, Jean Ziegler, Thomas Gunzig, Joël Pommerat, Yannic Mancel, Jonathan Hart Makwaia, Julos Beaucarne, Jean Gillibert, Françoise Louis-Morin, Luc De Smet, Denis Grozdanovitch...

Avec le projet Témoins de notre temps, le Théâtre de la Vie tient à s’affirmer en tant que lieu public où il est possible d’échanger et de rechercher des réponses réalisables. Un lieu où la vie, l’art et la société peuvent, dans leurs domaines respectifs, gagner en transparence.

Ce projet est organisé avec le soutien de la Commission Culturelle française (COCOF).

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« Il s’agit de travailler sur tout ce qu’un corps émet et qui n’est pas forcément visible et qui ne passe pas forcément par l’échange direct. »

Claude Régy

« Nous savons aujourd’hui que l’inconscient est le lieu privilégié où la vie trouve son sens, si et seulement si, le psychisme est capable de révolte et de création. Faire une psychanalyse, c’est s’offrir en tant que sujet la possibilité d’une renaissance par une restructuration du psychisme, dans un profond mouvement de création qui n’est pas simplement création de sens nouveau. De cette capacité essentielle d’altérer la réalité en y introduisant cet “alter absolu” qu’est “l’au-delà de la réalité”, il en ressort cet exploit consistant à se déplacer vers un ailleurs : la psyché et ses multiples mystères. La psyché est, par essence, conflictuelle. Au sein de cette conflictualité inhérente au psychisme et nécessaire à la condition humaine advient une jouissance vitale pour maintenir l’esprit en vie, vitale pour notre capacité de représentation, de création et de questionnement.

Les véritables artistes nous l’enseignent depuis toujours, cette nécessaire tension de la psyché pour créer. Celle qui permet à notre humanité aujourd’hui de ne pas se laisser happer dans un mouvement totalitaire de suspension du questionnement rétroactif et du questionnement insistant.

Et puis en nous transmettant l’existence d’une réserve permanente – l’inconscient – inépuisable, débordant le donné, le su, l’entendu, le vu, l’artiste et le psychanalyste nous apprennent qu’ils n’ont pas la propriété de cette réserve excessive : contrairement à ce que la société actuelle tend à nous faire croire. Ils ne sont pas propriétaires de leur richesse, et c’est pourquoi cette richesse est surabondante et ne se donne jamais deux fois de la même façon… »

Pascale Champagne

Cette soirée sera l’occasion, à partir du magnifique livre d’Alain Didier-Weill, de tenter de penser cet acte si surprenant qu’est l’acte créateur. Car l’intérêt que porte Alain Didier-Weill à la création artistique, au mouvement de la danse, à la lumière d’un tableau, à la pulsation musicale, à la présence du comédien l’amène à reconsidérer la clinique, la direction de la cure et,

de ce fait, la responsabilité de l’analyste, voire celle de l’artiste.

Qu’y a-t-il dans le regard étonné que le nouveau né pose sur le monde ? Dans le « pourquoi » insistant de l’enfant ? Dans la sidération de l’adulte à l’écoute d’une note, d’un rythme, d’un trait d’esprit inouï ? Dans le vol suspendu du danseur ?Le surgissement d’un nouveau radical qui va bien au-delà du renouveau lié à la remémoration d’un signifiant refoulé, tel que Freud l’avait formulé. Il est la clé d’un lieu auquel le mot ne donne pas accès et que Lacan situait « plus loin » que l’inconscient.Mais comment s’approcher d’un tel lieu ? L’acte de création semble y mener lorsqu’il offre à notre perception de quoi appréhender l’invisible, l’inouï. Et n’y a-t-il qu’une réponse à cet étonnement ? Quelles instances psychiques met-il en jeu ?

Alain Didier-Weill a trouvé dans la création artistique de quoi s’approcher de ce rien d’où naît la création et il postule qu’il s’agit du même lieu que celui où se tient la vérité, celle qui ne peut que se mi-dire, et « fait résonner un point de non-savoir radical »

Alain Didier-Weill est psychanalyste, Il est le cofondateur de l’Association Coût Freudien, de l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse et du Mouvement Insistance art psychanalyse et politique.. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et il est également dramaturge.

Pascale Champagne est psychanalyste, membre d’Insistance. Elle est également metteur en scène avec des jeunes, des adolescents et des adultes en difficulté. Elle crée cette année une troupe universitaire site UCL Woluwé.

Gwen Berrou est comédienne. Elle tente, à travers ses propres créations scéniques, son implication citoyenne et le partage de sa pratique d’écoute et de soin Reiki de cultiver l’espace nécessaire aux possibles.

Céline Rallet est comédienne, s’initie à la mise en scène, et est membre du collectif MANIFESTEMENT. Ses préoccupations vont à la question d’un possible renouvellement du rapport artistique entre art et politique, elle mène à ce titre un travail de recherche et d’écriture « en collaboration » avec le sud tunisien.

RESERVATIONS via www.theatredelavie.be ou par tél. 02 219 60 06

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La presse

C’est un parcours linéaire et pourtant singulier que Michèle Nguyen développe ici avec son talent si délicat, son art de la simplicité où fourmillent les ellipses, les audaces, son goût de l’intimité et du partage. Pour la première fois, l’artiste se donne en scène pour acolyte une marionnette, qu’elle manipule avec une jolie aisance.Ayant vu quelques spectacles du Tof Théâtre, Michèle Nguyen s’est adressée à Alain Moreau qui a créé pour elle le petit personnage et l’a initiée aux gestes qui l’animeraient. Avec pour seuls accessoires un lutrin, un grand ca-hier et un sac, sous les lumières tendres et subtiles de Nathalie Borlée, dans l’univers sonore discret mais précis de Jeanne Debarsy, « Vy » prend vie. À la mise en scène, Alberto Garcia Sanchez, fidèle et attentif complice de la conteuse, de son écriture, de son jeu. Des mots et une présence qui, jamais, n’oublient le silence, ce précieux partenaire des profondeurs.

Marie Baudet – La Libre Belgique, septembre 2010

Vy porte un prénom vietnamien qui désigne tout ce qui est minuscule. Petite fille, elle voulait être danseuse, sa grand-mère l’a mise au piano et la voilà conteuse. Seule en scène, avec un pupitre et une marionnette, sorte de prolongement d’elle-même, elle raconte ses souvenirs avec sa grand-mère acariâtre « qui n’aime pas les enfants jaunes » et ses rêves d’envol. On suit son parcours avec sa fragilité, ses maladresses, ses genoux écorchés, jusqu’à son départ loin de sa famille, ses voyages... Les mots de Michèle Nguyen, auteur et interprète, s’égrènent et le public écoute avec une attention rare. Elle sait, avec une admirable simplicité et une présence magnétique, rythmer son histoire, ménager ses effets, ciseler ses silences et doser l’émotion. Un conte sur l’enfance à vous faire pousser des ailes, qui vient de recevoir le Molière du spectacle jeune public.

Françoise Sabatier-Morel – Télérama, avril 2011

On ne saurait trop vous recommander Vy, solo autobiographique particulièrement émouvant de Michèle Nguyen (à partir de 8 ans). Sans autre artifice que la compagnie d’une petite marionnette, la comédienne déroule le fil d’une enfance blessée dans l’ombre d’une grand-mère sans amour et sauvée par l’écriture. Une mise à nu où l’humour et la délicatesse vont de pair. Ce spectacle qui touche à tout âge vient d’ailleurs d’être récompensé par le Molière jeune public.

Maïa Bouteillet – Paris Mômes, avril 2011

RESERVATIONS via www.theatredelavie.be ou par tel. 02 219 60 06

46 THéâTRE DE LA VIE

VYTexte et interprétation Michèle Nguyen

☛ Molière 2011 Catégorie Jeune Public

☛ Prix de la crtique belge 2010-2011 Meilleur “seul en scène”

17 décembre 2011 20h15

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« Réécrivant mon enfance je recouds mot à mot mes ailes. La lumière coule à nouveau dans mes veines ».

Michèle Nguyen

Dans le spectacle VY, Michèle Nguyen ouvre grand le livre du passé et interprète, on ne peut plus librement, son enfance bercée par la féroce présence de sa grand-mère.

Elle nous parle de sa maladresse, de son besoin de silence, de sa passion des mots, de son secret amour qui la mènera vers ses origines. Vers la paix aussi. Une marionnette l’accompagne silencieusement dans ce voyage souterrain.

Elle est tout autant la fragilité de l’enfance qu’un rien pourrait casser que le vieil enfant qui résiste en nous, tyrannise et tire les ficelles pour ne pas grandir.

Un enfant, avec les genoux amochés parce qu’il n’arrête pas de tomber, qui s’arrête devant une école de danse pour écouter de tout son être ce qui se passe de l’autre côté du mur, c’est ce qui m’a touché au delà de tout, dès les premières ébauches du texte que Michèle m’a fait lire. Vy, en chevalière errante, porte haut sa faille, et c’est là qu’on distingue l’humanité, donc la beauté. Elle, qui n’arrête pas de tomber, s’envole justement parce qu’elle tombe. C’est dans sa maladresse que se cachent ses ailes.

Alberto Garcia Sanchez – Metteur en scène

VY, c’est aussi la rencontre avec la puissance des mots, la magie de l’écriture : « Ma grand-mère tu vois je ne l’ai pas comprise et j’ai beau avoir grandi vieilli je ne comprends toujours pas pourquoi elle était si méchante pourquoi elle avait tellement besoin de couper la beauté ». écrire, c’est faire la paix avec tout ce que je n’ai pas compris.

Michèle Nguyen

Clin d’œil céleste

En avril 2011, Michèle Nguyen reçoit un appel étonnant : « le spectacle VY est nominé pour les Molières 2011 en catégorie jeune public ». Le choc est grand. Elle doit se préparer à affronter un public de 1000 personnes. Préparer ses mots. Son discours...Merci à... Elle se retourne vers son passé et là, le vertige. Tant de personnes à qui exprimer sa gratitude. Ce spectacle est le résultat de tant de coups de

pouce qu’elle a reçus depuis 14 ans, et le temps accordé n’est que de 2 minutes 30. Une semaine plus tard, elle emporte le Molière dans sa petite valise. À présent, il est sur sa cheminée. Auprès de la photographie d’Herbert Rolland. « C’est étrange parce que la première compagnie de théâtre qui vint dans mon école quand j’avais 14 ans, jouait Le médecin malgré lui. Cette compagnie était la sienne. C’était la première fois que je voyais du Molière. La dernière fois que j’en ai vu, c’était il y a 3 ans, au Théâtre de la Vie. C’était Dom Juan, mis en scène par Herbert Rolland... Je ne peux m’empêcher de voir, dans ce Molière que j’ai reçu, un clin d’œil céleste, car Herbert a été tout autant vital pour le Jeune public en Belgique que pour moi, dans ma vie. Il avait confiance en ma démarche. Il était fier de moi, je crois. Tous mes spectacles ont été accueillis dans son théâtre. »

Michèle Nguyen

Texte et interprétationMichèle Nguyen Mise en scèneAlberto Garcia Sanchez Accompagnement artistiqueAlain Moreau et Morane Asloun Conception et réalisation de la marionnetteAlain Moreau (Tof Théâtre) Création lumièreMorane Asloun RégieMorane Asloun ou Nicolas Fauchet Conception et réalisation du pupitreDidier Henry Création sonoreJeanne Debarsy Graphiste (visuel et affiche)Fabian Sbarro Déléguée de productionSylviane Evrard Attachée de diffusionMy-Linh Bui

Spectacle produit par le Collectif Travaux Publics

Co-producteurs : TAP – Scène Nationale de Poitiers, Le Théâtre – scène conventionnée de Laval, Scène Nationale de Sénart. Avec le soutien de la Communauté française de Belgique – Secteur de l´interdisciplinaire et du conte. En co-réalisation avec le Théâtre de la Vie (Bruxelles), la Montagne Magique (Bruxelles) et le Théâtre Dunois (Paris).

www.michelenguyen.com

Remerciementsà la cérémonie des Molières

Au nom de toute l’équipe, je tiens à vous remercier pour cette extraordinaire récom-pense.La joie que j’éprouve en le recevant est aussi grande que le respect que je ressens pour toutes ces personnes qui se battent quotidi-ennement pour que la poésie, l’imagination et le rêve ne disparaissent pas du monde des enfants.Vy est le onzième spectacle que j’écris et que je joue, mais le premier que je destine égale-ment au jeune public.C’est un spectacle qui me bouleverse par tout ce qu’il engendre de positif.Il est comme le pardon qui l’a inspiré : libérateur.

Je voudrais exprimer mon infinie gratitude.À mes deux compagnons de vie, Amalia et Didier Mélon, qui par leur amour et leur pa-tience me poussent à grandir et à faire la paix au plus profond de moi ;À Alberto Garcia Sanchez, ce metteur en scène hors pair et unique en son genre, qui, depuis 14 ans m’aide à mettre au monde mon univers sans jamais m’imposer le sien et c’est en cela qu’il est unique ;À Alain Moreau, qui m’a offert la plus émou-vante des partenaires, une fantastique mari-onnette ;À My-Linh Bui qui a insufflé tant d’enthou-siasme dans son travail de diffusion qu’elle nous a ouvert tout grand les portes du jeune public ;À Sylviane Evrard, qui, fidèlement, généreuse-ment, depuis plus de 14 ans m’épaule, gère diplomatiquement mes contradictions et traverse avec moi tant de hauts et tant de bas ;À Morane Asloun, mon régisseur de lumière, qui veille à ce que chacune de nos représen-tations soit plus juste que la précédente.

MerciÀ chacun des membres de l’équipe de créa-tion ; Au Collectif Travaux Publics ;À tous ceux qui ont pris le risque de program-mer Vy à la simple lecture du projet ;

Du fond du cœur, merciÀ chacun des co-producteurs qui nous a soutenu artistiquement et nous a aidé con-crètement à réaliser ce projet : La Scène Nationale de Poitiers, La Scène Nationale de Sénart, Le Théâtre de Laval et le Ministère de la Culture de la Communauté Française de Belgique.

Merci aussiÀ tous les festivals du conte de France, de Belgique, de Suisse, d’Espagne et du Québec, qui depuis 14 ans encouragent ma démarche ;À leur public, à leur capacité inouïe d’écouter.C’est grâce à eux qu’aujourd’hui, j’ose me présenter devant ce public ô combien ex-igeant, ô combien imprévisible : les enfants.

Merci à tous et à chacun de vous.Michèle Nguyen, dimanche 17 avril 2011

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L’artiste en création n’est pas un être isolé.

Fouineur d’idées, chercheur de sens, il s’inspire,

s’associe, réinvente, réécrit, partage, traduit,

démontre, récolte, puise, réagit, répond, partage,

perpétue, transpose, détourne...

Un bureau administratif dans un théâtre n’est pas

un organe cantonné. Composé de personnalités

différentes, « il » vit, vibre et se construit au

rythme des cheminements artistiques de chaque

créateur que celui-ci côtoie et accompagne sur une

ou plusieurs saisons.

Afin d’engager une réelle collaboration avec

les artistes accueillis, le Théâtre de la Vie initie

Création(s) en Voisinage, une plate-forme de

recherches théâtrales « in situ », proposée à trois

créateurs : Olivier Lenel, Céline Rallet et Clément

Thirion. Pendant deux mois, ils se partageront

le lieu pour donner corps, chair et voix à leurs

rêves de théâtre. 3 recherches en cours ; 3 temps

différents. Cette résidence croisée d’artistes

en création sera ponctuée par des rencontres

conviviales avec l’équipe du théâtre : l’occasion de

questionner et nourrir ces démarches artistiques.

CRéATION(S)EN VOISINAGEavec Olivier Lenel, Céline Rallet et Clément Thirion

décembre 2011 - janvier 2012Les rendez-vous publics seront annoncés ultérieurement.À suivre sur www.theatredelavie .be

RESERVATIONS via www.theatredelavie.be ou par tel. 02 219 60 06

48 THéâTRE DE LA VIE

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Attendu qu’Agrippine fut la mère de Néron, empereur romain,Attendu que Madame Véronique Dumont a été le professeur de monsieur Clément Thirion au Conservatoire d’art dramatique, qu’elle lui a donné à jouer le rôle d’Agrippine dans la scène 2 de l’acte 4 de la pièce Britannicus de Monsieur Jean Racine,Attendu que Monsieur Clément Thirion, 27 ans, souhaite rejouer Agrippine dans ladite scène 2 de l’acte 4 de la pièce Britannicus de Monsieur Jean Racine,Attendu que Monsieur Clément Thirion a demandé à Madame Véronique Dumont de lui donner la réplique pour lui permettre, à lui, de rejouer Agrippine (alors qu’à la question «que rêvez-vous de jouer au théâtre », Madame Véronique Dumont a souvent répondu « Agrippine dans la scène 2 de l’acte 4 de Britannicus de Monsieur Jean Racine »),Attendu, donc, que Néron sera joué par Madame Véronique Dumont, 43 ans,Rendez-vous est pris avec des spectateurs, afin qu’ils se taisent et laissent Clément jouer Agrippine avec Véronique qui joue Néron, sans rien objecter.Le mode opératoire de l’expérience sera assez simple : ils vont dire du texte. Celui de la scène

2 de l’acte 4 de la pièce Britannicus de Monsieur Jean Racine. Cette profération sera soumise, en direct sur le plateau, à divers stimuli, scénographiques ou autres.Au cours de la soirée, la pièce de Monsieur Jean Racine sera mise en lumière à travers le prisme de l’animalité. L’animal mère, l’animal reine, l’animal acteur dont les besoins fondamentaux sont, respectivement : amour, pouvoir, lumière (liste non exhaustive).Leur thèse se verra conclue par ce qu’ils imaginent des applaudissements (mais toute autre forme de conclusion est bienvenue).Ave.

Parfois, devant un film catastrophe, on a envie que les plans machiavéliques des méchants atteignent leur but... Dans certains films on va même jusqu’à ne construire un scénario que comme prétexte à offrir un spectacle de destruction totale en 3D. L’étrange émotion esthétique que ça procure fascine, fait peur, et on en vient parfois à espérer réellement l’apocalypse, ne serait-ce que pour échapper au quotidien...

Mais comment négocier alors le plongeon vertigineux dans le vide post-apocalyptique; lorsque le vide-tout-court nous pousse déjà

à vouloir remplir frénétiquement, à nous cramponner aux bribes d’espoir qu’il nous reste et à agripper avidement toute lueur d’opportunité pouvant éclairer l’inanité de notre agenda ?

Dans le contexte où le collectif semble devenir la nouvelle voie durable à suivre dans la production artistique mais surtout dans l’organisation du monde, je veux, tout en travaillant au collectif, convoquer des instincts avides, narcissiques, individualistes, qui semblent antinomiques au concept de collectif. Je veux les voir et les ressentir à l’œuvre, dans toute leur splendeur et leur ridicule, parce qu’ils sont en moi, en Agrippine, en nous, qu’ils fascinent et à qui ils font peur...

Si ces instincts ne sont pas enfouis au tréfonds de l’inconscient mais toujours présents aux bords des lèvres, prêts à surgir, ils imposent alors un réel choix conscient : s’y abandonner, ou non ? J’y vois un choix libre de l’individu que je veux être par rapport à la société à laquelle je souhaite participer.

Clément Thirionoctobre 2011

Agrippinepar Véronique Dumont et Clément Thirion

Au Théâtre de la Viedu 25 au 28 janvier 2012 20h15

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Monter un spectacle.Monter. écrire. Adapter. Traduire.écrire un spectacle.Finalement, monter un spectacle.Quoi. Qui. Quoi. Comment.Quoi. Qui. Dostoïevski.Adapter un spectacle.Adapter un texte. Un roman.Qui. Quoi. Les nuits blanches.D’abord, adapter.

écrire, ce n’est pas encore mon truc. Et puis, j’aime tellement les mots des autres. J’aime lire. Et voilà qu’un jour je tombe sur Dostoïevski (pas lui littéralement, je veux dire, parce que, donc, il, enfin, il est mort). Parfois, je lis les textes de Dostoïevski à haute voix et chaque fois, je me dis « Tout ça, là, doit se dire à haute voix, tout ça, doit se passer sur un plateau de théâtre, enfin, un plateau ou autre chose, je veux dire, ce texte a besoin d’un public pour vivre, pour résonner donc ». Et j’adapte Les nuits blanches, parce que c’est beau, parce que ce n’est pas trop long, parce qu’il y a peu de comédiens. Et je dis «j’adapte » mais en réalité , c’est presque sans y toucher, juste comme ça, pour dire. Ça prend du temps, parce que, bon, il faut être sûr que l’original soit le mieux. Il faut tout essayer et tout effacer.

Monter Les nuits blanches.Ou pas.Ou Dostoïevski.Monter Dostoïevski.(pas lui littéralement, parce que, donc, Dostoïevski, enfin, il est mort)D’abord, terminer l’adaptation sur le plateau.Prendre le temps.D’abord chercher.Oui, d’abord prendre le temps de chercher.

Travailler à son bureau, chercher la juste transposition du mot de Dostoïevski pour le plateau de théâtre, c’est bien. Mais ce n’est pas assez. Parce que le théâtre, je crois, ce ne sont pas des mots. C’est d’abord des comédiens qui les disent. Alors au théâtre de la Vie, on prend le temps (près de deux mois) pour tenter de répondre à cette question : « Comment nous amenons le mot (c’est plus court que de dire : “la manière de dire les choses”) de Dostoïevski sur un plateau de théâtre ? » Pour ça, nous axons notre travail sur deux éléments : Un (qui est donc le premier point) « comment je parle à celui qui m’écoute (ici, le public) ? » et Deux (le deuxième point) « dans quel espace moi, comédien, je me trouve quand je parle ? sur un plateau de théâtre ? dans un bâtiment ? dans une rue de Saint-Pétersbourg ? »

Après, je propose.Oui.C’est-à-dire, au public.Parce qu’il faut un public.Mais quoi ?Après, je propose quoi ?

Un jour, nous monterons un spectacle autour d’un texte de Dostoïevski. C’est sûr. C’est vraiment sûr. Sera-ce Les nuits blanches ? ou un autre ? D’ici là, nous aurons répondu à des questions qui nous brûlent pour l’instant, un peu. Nous avons hâte de commencer. Peut-être au mois de janvier, on vous montrera quelque chose. Qui ne sera pas un spectacle. Qui ne sera pas non plus une répétition ouverte. Peut-être on vous proposera de se rencontrer. En janvier. Ou bien ce sera pour plus tard. Un vrai spectacle. On aura monté un spectacle.

Olivier Lenel, le 26 octobre 2011

Participeront au travail de recherche : Marie du Bled,

Alexia Depicker, Simon Hommé, Vincent Huertas,

Nicolas d’Oultremont, Mikaël Sladden, Barbara Vandievel

(D.R

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THéâTRE DE LA VIE

Les nuitsblanchespar Olivier Lenel

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« C’est possible, possible, possible, ce doit être possible. »`

Wallace Stevens

La sensation unanimement par tagée quant au présent du monde dans lequel nous vivons est celle d’un monde finissant, à tout le moins crépusculaire, cer tainement sinistre et nauséabond.Un monde qui par tout se consume dans des logiques destructrices et suicidaires, un monde qui, par tout aussi et quels que soient par ailleurs les types de régimes politiques, provoque des colères populaires émeutières.Le projet s’origine donc dans le constat général d’un état « dépressif » générationnel, qui s’il était pensé ou diagnostiqué à la hauteur de l’épreuve existentielle qu’il nous donne à traverser, mériterait le nom de désespoir.

Désespoir existentiel, d’autant plus incisif qu’il est profondément politique. Comment ne pas céder aux sirènes du nihilisme ou du cynisme, voire encore

de la pure réactivité, du repli sur soi, ou d’une posture qui finalement ne serait que critique ? Peut-être en mobilisant des hypothèses de pensée existantes sur cet ici et maintenant ravagé, mais aussi et sur tout en questionnant au plus près les symptômes d’hypothétiques nouveaux commencements.

Les soulèvements dégagistes en Tunisie et en égypte, les récentes émeutes en Grèce et en Angleterre, mais aussi en Chine, les mouvements protestataires d’occupation de l’espace public en Espagne, en Belgique, en Israël, aux états Unis, le mouvements estudiantin au Chili, témoignent des premiers signes ou prémisses d’une bascule possible du monde contemporain et de la pensée vers autre chose que les restes moribonds et destructeurs de ce système tant économique que social et politique.

Ces signes méritent selon nous d’être pensés, analysés, exposés. Ils constituent assurément à nos yeux une matière vivante

que nous avons le désir d’interroger sur un plateau de théâtre. Donc, point de départ, épreuve du désespoir, point au travail, pressentiment joyeux d’une bascule de l’époque.

Céline Rallet , le 2 2 octobre 2011

« Ne comprends-tu pas que le désastre général est beaucoup trop grand pour qu’on se lamente à son sujet ? »

Rosa Luxembourg

Participants pressentis du projet de recherche :Sarah Antoine, Gwen Berrou, Jacques Fauville, Emmanuel Texeraud, Nathalie Rjewsky, Lisou de Henau, François Delcambre, Etienne Serk, Noémie Carcaud, Fabio Onano, le quatuor MP4 : Margaret Hermant, Pierre Heneaux, Merryl Havard, Laure Bardet

Céline Rallet, formée à la philosophie, comédienne, créatrice sonore à ses heures, apprentie metteur en scène, membre du collectif Manifestement et amoureuse du sud tunisien.

Projet derecherchepar Céline Rallet

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FAISONS DESVIVANTSTHEATROPOLITAIN - CRéATIONChristine Horman / Isabelle Puissant

du 6 au 11 mars 2012 à 20h15(sauf dimanche 11 mars à 17h)

RESERVATIONS via www.theatredelavie.be ou par tél. 02 219 60 06

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– On fait le bilan, dit l’une.– L’heure du bilan n’est pas venue, dit l’autre.– Le temps de la trêve oui. Regarde, le soleil nous invite en terrasse.Et l’une et l’autre commandent un vin blanc.

Fin de la saison On est en train de travailler et ça progresse… au Théâtre de la Vie, 5 rendez-vous public, 3 étapes de travail. Voilà un an et demi que Claudia Gäbler et Herbert Rolland ont manifesté leur intérêt pour notre travail de création, un travail patient, souvent long. À la lecture du projet Faisons Des Vivants ils ont proposé de nous accompagner sur la saison 2010-2011 avec le bien nommé On est en train de travailler et ça progresse, et d’accueillir la création en mars 2012.

À la fin de cette première saison, nous disons : oui, ça progresse ! Ça fluctue, ça change de direction, ça va ça vient… La création de Faisons Des Vivants est un processus d’aller retour et détour autour de la transmission, autour de la question

« Mais qu’est-ce donc d’être vivant ?! »

Sentiments ; émotions ; souvenirs ; blessures ; chansons ; berceuses ; phrases anodines, assassines, consolatrices ; prédictions ; malédictions ; histoires vraies ou fausses ; personnages ; mots des morts, des vivants, des absents... s’inscrivent en nous depuis toujours dans une « parole » intérieure silencieuse.

Cette parole (celle de tous), ces paroles (celles de chacun), nous voulons les mettre sur une scène.

Et en vrac cette année :

L’enfant de Verre fragile comme la porce- laine attend la nuit, le jour, attend nuit et jour ; et comme la Belle au Bois Dormant, pour conjurer le sort, dort.

L’enfant des vagues libre comme l’océan berce sa maman au fond de l’eau. La maman se noie et l’enfant s’endort à tout jamais sur le sable chaud de la lagune. Comme La Petite Fille aux Allumettes, d’avoir trop chaud dans son rêve, elle meurt de froid engloutie par le passé.

Une grand-mère par une berceuse, dit la dureté des choses : Ferme tes jolis yeux.Car tout n’est que mensonge. Le bonheur est un songe. Ferme tes jolis yeux.

Une fille dit à son père : Papa passe à l’eau. Et ils chantent.

Les ancêtres au-dessus du berceau promettent une belle vie, et quand ils ont trop bu, s’amusent : Tu ne seras jamais riche, tu n’auras pas de maison, pas de mari, une voiture, peut-être, mais une moche. Tu sauras tout faire tu ne feras jamais rien. Impossible pour toi d’être à l’heure, de cuisiner de faire la vaisselle… Ces mots résonnent comme la promesse des fées parmi lesquelles s’impose Carabosse.

Des souvenirs, les nôtres mais pas seulement, sont lus et passionnent comme des nouvelles avec des personnages, une intrigue, un début, une fin…

On s’invente des gestes consolateurs, on partage nos histoires, nos mots, nos restes (mais de bons restes : gâteau au chocolat, fromage, pain et vin).

On récolte des histoires…

Et maintenant, nous levons notre verre, en remerciant tous les gens qui nous accompagnent de près ou de loin, qui nous confient leur « mots intérieurs », nous écoutent, nous attendent patiemment. Nous donnons rendez-vous fin mars 2012, pour encore et toujours mettre en histoires ce que nous sommes.

Et enfin nous buvons.

Christine Horman et Isabelle PuissantBruxelles, juin 2011

Car la vie est dure et ne dure pas, et nous sommes les seuls à le savoir. (…) Nous sommes l’espèce fabulatrice.

Nancy Huston

Faisons des Vivantsun projet de Christine Hormanet Isabelle Puissant

avec Nathalie Boulanger, Hélène Désirant, Bertrand De Wolf, Aurélie Forges, Kevin Matagne, Francesco Mormino et Gaëtan van den Berg.

Coproduction du Théâtre de la Vie,avec le soutien de la Roseraie

C’était un long sommeil sans rêve ni voyageUn sommeil sans début ni f inRien ne changeNi la couleur du ciel ni le bruit dans les branches La perception du videsans émotion sans souf franceUn sommeil immuable

Un sommeil sans oubliEn écho du temps où chaque geste, chaque pas,chaque mouvement offensaient le destinOù même toucher, regarder, caresser,sentir était intrépide

Il faut que quelque chose change.

Rêve que tu grelot tes la neige tombeRêve que tu meurs de faim le pain manqueBrandis ton épée le malheur est à ta por te

Et réveille-toi

Un frisson puis la stupeur puis l’abandonLe monde est devenu pauvre et videIl reste une perception stridenteIl faut que ça s’arrête

Il y a la première fois où je fais du vélo.Il y a le vent dans mes cheveux,le sentiment de liber té.Il y a mon neveu, il me regarde.

Depuis un personnage sous la pluiefait du tricycle.On ne sait pas où il va… mais il y va.

Nouvelles deFAISONS DES VIVANTSJuin 2011

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FAISONS DESVIVANTSun projet de Christine Hormanet Isabelle Puissant

au Théâtre de la Viedu 6 au 11 mars 2011

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Mais que font nos voisins ?

Les scientifiques reconnaissent aujourd’hui très clairement que des systèmes naturels coopératifs, à l’opposé de l’évolutionnisme, du « c’est-le-plus-fort-qui-gagne », sont les forces les plus aptes à la survie.Alexander Lauterwasser, extrait d’interview, VIS A VIE n°1

Sous les pavés, les arbres !

On l’aura compris. Point de plage. Point d’horizon. Brique tu es, brique... tu resteras ? Nulle

fatalité pour Gérald Colleaux, habitant de la rue Traversière, qui compte bien mettre à profit l’incroyable diversité culturelle de sa commune (on compterait à Saint-Josse-ten-Noode plus de 153 nationalités et environ 60 langues), en proposant un projet fédérateur à l’attention de ses voisins : le bien nommé « TraVERTsons!». Car – de VERT – nous rêvons !

Un projet de Quartier vert pour la rue Traversière!

Densément peuplée et largement fréquentée par les piétons et autres usagers de la route, la rue Traversière se parcourt à sens unique :

on la traverse dans sa longueur, pour « circuler » rapidement. Point d’arrêt de plaisance, ni de circulation transversale. Le projet TraVERTsons! vise notamment l’installation de plantes grimpantes dont certaines relieraient les maisons par-dessus la rue. Ceci dans le but d’instaurer une nouvelle dynamique : celle de pouvoir traverser la rue de trottoir à trottoir... en rencontrant ses voisins !

Au menu : plantes grimpantes sur les façades des maisons et des bâtiments, mise en verdure des carrés d’arbre, pose de bacs sur les tournants de trottoirs aux croisements, création d’un parcours

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Champ libre Le coin des lecteurs, spectateurs, voisins...

René Hainauxjouer, enseigner, chercherUn livre de Laurent Ancion chez Lansman éditeur Sous la direction de Françoise Ponthier, avec l’aide d’Alain Chevalier © Dominique Gaffé

Raconter le parcours de René Hainaux, c’est raconter le siècle et com-prendre comment le théâtre francophone belge est devenu adulte. Mouche du coche, chercheur infatigable et empêcheur de tourner en rond, l’artiste belge a su instiguer de profondes mutations dans notre paysage théâtral.

Pour le grand public, René Hainaux, né en 1918, est évidemment l’immense acteur qui a traversé les décennies avec une autorité sans faille. Mais le public ignore que cette autorité est intimement liée à sa curiosité, à sa soif insatiable d’apprendre et à son souci de réinterroger sans cesse la pédagogie de l’art dramatique. Acteur, professeur et chercheur, René Hainaux est une éminence grise. Sans doute personne en Belgique, mieux que lui, n’a été aussi soucieux de l’art théâtral envisagé dans toutes ses dimensions.

Laurent Ancion L’auteur, Laurent Ancion, 37 ans, est journaliste. Depuis plusieurs années, il s’est spécialisé dans la critique théâtrale, tant en presse écrite (Le Soir, Elle Belgique) qu’en presse audiovisuelle (RTBF-La Première, Arte-Belgique). D’une plume rigoureuse, soutenue par une très abondante documentation, il trace et dégage les lignes de force d’une vie tout entière vouée à la passion contagieuse du théâtre.

Contact :Prothédis, 19, Place de la Hestre à 7170 Manage (La Hestre) Tél. +32-(0)64-237.840 – Fax : +32-(0)64-237.849 – [email protected]

Le l i v re es t également disponib le au x l ib r air ies Tropismes e t Fi l ig ranes à Br u xelles, Pa x à L iège.

Monsieur René and Mister Herbertpar Isabelle Wéry

Oh lalalala, quel plaisir de travailler le théâtre avec René Hainaux, acteur, et Herbert Rolland, metteur en scène.Ces deux bestioles aux âges mûrs totalisent à deux un pactole de plus de 100 années de pra-tique du théâtre.C’est dire les climats de finesse et d’intelligence dans lesquelles baignaient nos répétitions.D’Intermezzo de Giraudoux1, à Dom Juan de Molière2, en passant par le formidable Dialogues d’exilés3, René Hainaux hante les mises en scène d’Herbert en tant qu’« acteur » agissant (celui qui agit, qui est), à contrario de celui qui « fait ». René Hainaux en scène, c’est un art de jouer que je qualifierais de « soi, dans une autre organisation de soi » ; il utilise ce qu’il est mais en le réorganisant, que ce soit par le rythme de la parole, de la respiration ou par une position particulière du corps ou... En résulte une étonnante vérité, une présence vibrante, rayonnante.Une autre qualité qu’Herbert appréciait beaucoup chez René, c’est sa conscience aiguisée du rapport au spectateur... Une giga-bête de scène, qui sent par tous ses pores l’autre méga-bête tapie dans le noir, le public.Ce qui unit Monsieur René and Mister Herbert,

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mosaïque, organisation de la première fête des voisins le 26 mai 2012, achats groupés d’arbres, exposition de travaux d’élèves sur le thème, appel à projets artistiques, etc.

Foisonnement d’idées donc !

10 voisins se sont réunis dans le foyer du Théâtre de la Vie pour affiner le projet, croiser les ressources et compétences de chacun afin de finaliser un dossier de candidature à l’attention de IEB (Inter Environnement Bruxelles), dans le cadre de l’appel à projets « Quartiers Verts ».Affaire à suivre, assurément !

C’est par le mouvement dansé, à travers les échauffements, les jeux, les exercices d’improvisation que l’enfant va éveiller toutes les parties de son corps et les mettre en situation dans l’espace et le temps dans le respect de soi et les autres. Il développera son autonomie, sa spontanéité, sa créativité dans sa recherche, en intégrant l’intention du geste. Sans oublier les outils propres à la danse qui créent le corps en mouvement. Et bien sûr avec le plaisir d’être là, ensemble, tout simplement.

Cours donné par Yota Dafniotou, danseuse, chorégraphe et pédagogue. Elle donne des ateliers et stages aux enfants et aux adolescents dans les écoles et dans les structures culturelles.

Cours les samedis de 10h30 à 11h30 au Théâtre de la Vie45, rue Traversière1210 Bruxelles (Saint Josse Ten Noode)

Informations et inscriptions :anik.rolland@ theatredelavie.betel. 02 219 11 86

Atelier dansepour enfants6 à 9 ans

c’est leur avidité de textes, leur capacité à en déceler les singularités, de mettre au jour leurs contradictions, leurs dialectiques.Dire aussi combien les deux sont des êtres immensément humains, capables d’écoute et de regard de l’autre, d’amitiés profondes, d’émotions, de rires via les larmes.Les deux ont transpercé la guerre de 40-45, les deux n’ont pas de Dieu, les deux sont sensibles aux transformations de la matière, à un certain « recyclage » de la vie et de l’âme. Donc une cer-taine forme d’éternité.

Dans Dialogues d’exilés, un des personnages com-pare le plaisir de penser ensemble à une bonne dé-gustation de bières... René et Herbert réunis, c’était ça : siroter des instants d’intelligence, de convivia-lité, de plaisir de confrontation d’idées, de capacité d’étonnement, de rires, d’attention et de respect.Les deux ont la même particularité : celle de pour-suivre leur travail artistique jusqu’à loin, près de la fin de leur vie. Il est certain qu’ils se seront énormé-ment apportés sur les planches du Théâtre de la Vie.

1 Intermezzo de Giraudoux, mise en scène Herbert Rolland, création en 2002 au Théâtre de la Vie.2 Dom Juan de Molière, mise en scène Herbert Rolland, création en 1995 au Théâtre de la Vie. 3 Dialogues d’exilés de Brecht, mise en scène Herbert Rolland, création en 1999 au Théâtre de la Vie.

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À vos plumes ... !Si vous êtes auteur, spectateur, enseignant, slameur, voisin, illustrateur ... et que vous souhaitez soumettre une contribution, merci d’écrire à Nathalie Kamoun via l’adressepresse.theatredelavie @ gmail.com

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Carte nominative au prixde 15 euros qui vous donne accèsà chaque spectacle de la saison(septembre à juin) au tarif réduitde 5 euros.

Réservez votre carte « AMI POUR LA VIE »au THéâTRE DE LA VIE ou via reservations @ theatredelavie.be

Le Théâtre de la Vie remercie La Communauté française de Belgique, La Commission communautaire française, La Loterie Nationale, La Commune de Saint-Josse-ten-Noode, Le Vif Club, La Libre Belgique et Le Soir.

3RECEVOIR NOS INFORMATIONS

• Abonnez-vous à VIS A VIE (gratuit) par e-mail [email protected] par fax 02 219 33 44

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RéSERVER VOS PLACES

Via notre site www.theatredelavie.be Par téléphone 02 219 60 06

TARIFS

Tarif plein 12€ Tarif unique Multivers 12€ Tarif réduit 8€ (étudiants, demandeurs d’emploi, seniors, habitants de Saint-Josse) Témoins de notre temps 8€

Nous sommes partenaire d’Article 27, du Vif Club et d’Arsène 50.

PAYER ET RETIRER VOS PLACES

• Sur place pour les tickets individuels au plus tard 1/4h avant le début du spectacle (sous peine de remise en vente)

• Par virement pour les groupes de plus de 15 personnes Paiement à effectuer deux semaines avant la représentation (compte : 068-0489300-59)

OUVERTURE DES PORTES 1 heure avant le spectacle

BAR ET PETITE RESTAURATION 1 heure avant et après chaque représentation

CONTACT

THéÂTRE DE LA VIE rue Traversière 45 B-1210 Bruxelles

tél. 02 219 11 86 fax 02 219 33 44 Informations : [email protected] Courriel : [email protected]

ACCES

Métro Arrêt Botanique (Ligne 2 et 6) Tram Arrêt Botanique (92, 94) Bus STIB Arrêt Rue Traversière (61, 65, 66) DE LIJN Arrêt Botanique (270, 271, 272, 358)

PARKING Rue Traversière 15-21 1210 Bruxelles

www.theatre delavie.be

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MAGAZINE TRIMESTRIELDÉCEMBRE 2011 I N°2 I 0€

éd. responsable : Claudia Gäbler, rue Traversière 45, 1210 Bruxelles