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Voyage au bout de la nuit est une biographie romancée de Céline. Ferdinand Bardamu, héros du roman et double de l’auteur, raconte sa vie, ses vagabondages : l’engagement dans l’armée en 1914 : « c’est le révélateur de la bêtise humaine ». Ensuite, il découvre l’Afrique coloniale : « révélateur de la veulerie humaine » ; s’ensuit le séjour en Amérique qui deviendra le « révélateur de la misère humaine au milieu de l’abondance ». Céline a aussi dénoncé la déshumanisation : le travail à la chaîne dans les usines, le capitalisme. À Paris, il évoque le monde des boutiquiers, la misère des employés minables qu’il soigne dans son cabinet médical. Ses romans sont marqués par le mélange des niveaux de langue. L’évocation de la peur Présence de la nuit, elle est comparée à un monstre : « nuit énorme », « bouffait », « la langue », « elle contenait des volontés homicides énormes », etc. La ponctuation (interrogations et exclamations) signale la peur. Les personnages sont dans le flou ; ce qui reste concret est la nuit. Ils sont troublés : on note la récurrence de la conjonction de subordination que qui permet d’éviter l’inversion du sujet → phrases très lourdes. Les phrases courtes proférées par les protagonistes témoignent aussi de la peur ressentie. L’impératif de la première phrase de notre extrait, qui est un ordre donné par les officiers, signale la peur et l’agressivité. Les nombreuses répétitions lexicales (« nuit », « là », « route », « escadron », etc.) traduisent l’angoisse des soldats et un malaise certain : ils cherchent leurs mots, le dialogue initial semble contaminer la narration. Le mélange des niveaux de langue (familier : « bouffer », « pépère » ; grossier : « gueulait », etc. ; soutenu : emploi du subjonctif imparfait (« sacrifiât »), « inertie », « trépas »,

Voyage Au Bout de La Nuit

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Page 1: Voyage Au Bout de La Nuit

Voyage au bout de la nuit est une biographie romancée de Céline. Ferdinand Bardamu, héros

du roman et double de l’auteur, raconte sa vie, ses vagabondages : l’engagement dans l’armée en

1914 : « c’est le révélateur de la bêtise humaine ». Ensuite, il découvre l’Afrique

coloniale : « révélateur de la veulerie humaine » ; s’ensuit le séjour en Amérique qui deviendra le

« révélateur de la misère humaine au milieu de l’abondance ». Céline a aussi dénoncé la

déshumanisation : le travail à la chaîne dans les usines, le capitalisme. À Paris, il évoque le monde

des boutiquiers, la misère des employés minables qu’il soigne dans son cabinet médical.

Ses romans sont marqués par le mélange des niveaux de langue.

L’évocation de la peur

Présence de la nuit, elle est comparée à un monstre : « nuit énorme », « bouffait »,

« la langue », « elle contenait des volontés homicides énormes », etc.

La ponctuation (interrogations et exclamations) signale la peur. Les personnages sont

dans le flou ; ce qui reste concret est la nuit. Ils sont troublés : on note

la récurrence de la conjonction de subordination que qui permet d’éviter l’inversion du

sujet → phrases très lourdes.

Les phrases courtes proférées par les protagonistes témoignent aussi de la peur

ressentie.

L’impératif de la première phrase de notre extrait, qui est un ordre donné par les

officiers, signale la peur et l’agressivité.

Les nombreuses répétitions lexicales (« nuit », « là », « route », « escadron », etc.)

traduisent l’angoisse des soldats et un malaise certain : ils cherchent leurs mots, le

dialogue initial semble contaminer la narration.

Le mélange des niveaux de langue (familier : « bouffer »,

« pépère » ; grossier : « gueulait », etc. ; soutenu : emploi du subjonctif imparfait

(« sacrifiât »), « inertie », « trépas », « homicide ») montre que les soldats sont

affectés et le lecteur est généralement surpris par ce contraste important dans les

niveaux de langue. La mort est évoquée au moyen de termes appartenant à la langue

soutenue, contrairement à l’évocation de la vie.

La dénonciation de l’absurdité de la guerre

L’ignorance des soldats, lâches à cause des officiers et notamment de leur

incompétence (« où que c’est Barbagny ? — C’est par là ! » → ils ne savent pas où

c’est ; de même avec « dont il nous parlait d’ailleurs lui-même absolument au

hasard »), énoncé qui signale la dénonciation narratoriale de la guerre : les officiers

renvoient leurs soldats alors que ceux-là restent au campement.

Page 2: Voyage Au Bout de La Nuit

Bardamu s’interroge : que va-t-il gagner à se battre ? C’est une révolte passive : « on

luttait un peu avec lui à coups d’inertie » → oxymore. « C’était comme si on avait

essayé […] de me donner l’envie d’aller me suicider. »

Enfin, la parataxe de la dernière phrase relève aussi de cette dénonciation de la

guerre et de la vacuité du combat.

Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline

Résumé du roman Quelques critiques de Voyage au bout de la nuit Premières et dernières phrases de Voyage au bout de la nuit Quelques citations de Voyage au bout de la nuit

Résumé du roman

Paris, place de Clichy, 1914. Envoûté par la musique d'une parade militaire, Ferdinand Bardamu,

jeune rebelle, décide, par excès d'héroïsme, de s'engager dans la guerre contre les Allemands. Mais

au front, c'est l'enfer et l'absurdité. Il perd vite son enthousiasme et découvre avec épouvante les

horreurs de la guerre. Il ne comprend plus pourquoi il doit tirer sur les Allemands. Il prend aussi

conscience de sa propre lâcheté.

On lui confie une mission de reconnaissance. Lors d'une nuit d'errance, il rencontre un réserviste

nommé Robinson qui cherche à déserter. Ils envisagent de s'enfuir, mais leur tentative échoue.

Blessé, traumatisé à jamais par la guerre, Bardamu revient à Paris pour être soigné. On lui remet

une médaille militaire. Lors de cette cérémonie, il fait la connaissance de Lola, une jeune et jolie

infirmière américaine. Bardamu est soigné dans différents hôpitaux. Il prend conscience des

avantages et profits que tirent de la guerre tous ceux qui y ont échappé.

Lola, compagne futile et légère, le quitte. Il rencontre alors Musyne, une jeune violoniste. Ils ont une

aventure, mais, un jour de bombardement, elle l'abandonne.

Réformé, Bardamu décide de partir pour l'Afrique. Il y découvre les horreurs de l'exploitation

coloniale. Il retrouve Robinson, rencontré sur les champs de bataille, et lui succède en reprenant la

gérance d'un comptoir commercial. Il tombe malade et connaît des crises de délire.

Page 3: Voyage Au Bout de La Nuit

Il quitte l'Afrique à demi-mort à bord d'un bâtiment espagnol qui a tout d'une galère. Ce bateau

l'emmène jusqu'à New-York . Dès son arrivée, il est placé en quarantaine . Dans cette ville à

laquelle, il a tant rêvé, il ne connaît que solitude et pauvreté. Il part à Détroit pour y travailler. Il

rencontre Molly, une prostituée généreuse qui le délivre de l'enfer de l'usine Ford . Molly aime

Bardamu , l'entretient et lui propose de partager son bonheur. Mais son désir d'explorer plus avant

l'existence le pousse à renoncer à cette femme généreuse. Il quitte les Etats-Unis et revient à Paris.

Il rentre le cœur gonflé et meurtri par toutes ces expériences.

Devenu médecin , mais menant une existence toujours aussi misérable, il s'installe à Rancy,

banlieue triste et pauvre. Il y découvre les côtés les plus répugnants et les plus désespérants de la

condition humaine. Il assiste impuissant à la mort de Bébert, un petit garçon qu'il aimait bien et que

la science ne peut sauver. Puis il se retrouvé mêlé à une sordide histoire. Une famille de sa

clientèle, les Henrouille, souhaitent se débarrasser de leur mère âgée. Ils font appel à Robinson qui

accepte de tuer la vieille dame pour dix mille francs. Mais par maladresse, Robinson échoue et se

blesse. Il perd provisoirement la vue. Bardamu soigne Robinson qui part ensuite s'exiler à Toulouse

en compagnie de la mère Henrouille, sa victime rescapée.

Bardamu quitte Rançy et abandonne la médecine. Il devient figurant dans un spectacle de danse. Il

se rend ensuite à Toulouse et retrouve Robinson. Il fait la connaissance de Madelon , sa fiancée et

devient son amant. Il fait visiter avec la mère Henrouille un caveau plein de cadavres à des

touristes. Mais la vieille dame tombe dans l'escalier, vraisemblablement poussée par Bardamu, et se

tue. Robinson incite son compère à regagner Paris.

Il est engagé comme médecin dans un établissement psychiatrique dont le patron est le docteur

Baryton. Les deux hommes sympathisent.

Rapidement, Baryton sombre dans la folie et annonce à Bardamu sa décision de partir : " je vais

renaître, Ferdinand." Il confie à Bardamu la direction de la clinique. Robinson reparaît au grand

regret de son ami. Il a recouvré la vue et a quitté Madelon. Bardamu le cache dans sa clinique pour

le soustraire à Madelon qui, amoureuse, le poursuit. Sophie, une superbe infirmière slovaque, qui

est devenue la maîtresse de Bardamu, prêche pour la réconciliation entre Robinson et Madelon.

Bardamu propose une sortie à la fête des Batignolles afin de réconcilier tout le monde. Robinson

refuse les avances de Madelon dans le taxi et avoue son dégoût des grands sentiments Madelon le

Page 4: Voyage Au Bout de La Nuit

tue de trois coups de revolver. Après l'agonie de Robinson, Bardamu se retrouve seul en bordure

d'un canal. Un remorqueur siffle au loin comme s'il souhaitait emmener avec lui tout ce qui existe :

"tout , qu'on n'en parle plus."

Quelques critiques de Voyage au bout de la nuit

Il faut relire Céline en le voyant. Céline a dit la vérité du siècle : ce qui est là est là , irréfutable,

débile, monstrueux, rarement dansant et vivable.

Philippe Sollers in Céline, Voyage au bout de la Nuit, Gallimard

 

Saisissante épopée de la révolte et du dégoût , long cauchemar visionnaire ruisselant d'invention

verbale , et dominé par l'inoubliable figure de Bardamu, Le Voyage a exercé une action considérable

. Céline fut l'un des premiers à vivre ce dont la littérature actuelle allait bientôt se nourrir presque

exclusivement  : l'absurdité de la vie humaine.

Gaëtan Picon, Panorama de la Nouvelle littérature française, Gallimard, 1976

 

Pour nous la question n'est pas de savoir si la peinture de M. Céline est atroce, nous demandons si

elle est vraie. Elle l'est. Et plus vrai encore que la peinture , ce langage inouï, comble du naturel et

de l'artifice, inventé, créé de toutes pièces à l'exemple de la tragédie , aussi loin que possible d'une

reproduction servile du langage des misérables, mais fait justement pour exprimer ce que le langage

des misérables ne saura jamais exprimer, la sombre enfance des misérables.

Bernanos, Le Figaro, décembre 1932

 

Le style de Céline est subordonné à sa perception du monde. A travers ce style rapide qui

semblerait négligé, incorrect, passionné, vit, jaillit et palpite la réelle richesse de la culture française,

l'expérience affective et intellectuelle d'une grande nation dans toute sa richesse et ses plus fines

nuances. Et, en même temps, Céline écrit comme s'il était le premier à se colleter avec le langage.

L'artiste secoue de fond en comble le vocabulaire de la littérature française.

Page 5: Voyage Au Bout de La Nuit

Léon Trotski, Littérature et révolution

 

Premières et dernières phrases de Voyage au bout de la nuit

Début du roman

" ça a débuté comme ça. Moi , j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler.

Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade...."

Fin du roman

" De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse,

un autre pont, loin, plus loin... Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville

entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle

plus. "

Quelques citations de Voyage au bout de la nuit

L'amour, c'est l'infini à la portée des caniches.

Quand on a pas d'imagination, mourir c'est peu de chose, quand on en a, mourir c'est trop.

Le cinéma, ce nouveau petit salarié de nos rêves on peut l'acheter lui, se le procurer pour une heure

ou deux, comme un prostitué.

Faire confiance aux hommes, c'est déjà se faire tuer un peu.

On n'est jamais très mécontent qu'un adulte s'en aille, ça fait toujours une vache de moins sur la

terre, qu'on se dit, tandis que pour un enfant, c'est tout de même moins sûr. Il y a l'avenir.

Page 6: Voyage Au Bout de La Nuit

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À PROPOS THÉÂTRE

09 mar2013

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

Corrigé rédigé du commentaire donné dans le corpus «   Figures de guerriers   » (DST)

Au lendemain de la première guerre mondiale, de nombreux ouvrages ont été écrits pour en décrire les violences, aussi bien du côté français que du côté allemand. On connaît  l’œuvre d’Heinrich Maria Remarque, A l’ouest, rien de nouveau, parue en 1927, qui dénonce la propagande patriotique et l’horreur vécue des tranchées. Pour le personnage principal du Voyage au bout de la Nuit, roman de Louis-Ferdinand Céline, publié en 1932 la guerre n’est que la première étape d’un long périple, mais elle constitue une expérience fondatrice. Ferdinand Bardamu  (barda-mu), soldat banal, découvre l’horreur et s’interroge sur les responsables de cet état de fait.

Comment Céline met-il ce personnage de Bardamu au service de la dénonciation de la guerre ?

Nous verrons dans un premier temps que ce passage révèle un moment essentiel pour le narrateur, avant de nous interroger dans un deuxième temps sur l’opposition qui s’y manifeste entre lui et le reste des hommes. Enfin, nous verrons que s’amorce ici le processus de dénonciation qui est à l’œuvre dans l’ensemble du roman.

Le dessinateur Jacques Tardi a illustré Voyage au bout de la Nuit

I Un moment essentiel pour Bardamu

1)      La situation du narrateur

Page 7: Voyage Au Bout de La Nuit

Le roman, Voyage au bout de la nuit est écrit à la première personne du singulier, et la première grande expérience du narrateur, Ferdinand Bardamu,  est celle de la guerre de 1914. Etudiant en médecine, engagé volontaire, il se rend très vite compte de l’horreur et l’extrait proposé décrit justement le moment où il découvre la réalité de la guerre.

 Pris sous le feu des ennemis, dans un environnement campagnard, il met en évidence le danger encouru. Ainsi les éléments du paysage comme le vent ou les peupliers sont contaminés par le vocabulaire de la guerre : l’adjectif « brutal », rejeté au milieu de la phrase vient caractériser le vent, tandis que le narrateur parle des « rafales de feuilles » à propos des arbres. L’allitération en f crée une impression de danger. A l’inverse, le bruit des balles est désigné par « les petits bruits secs ». Cette incertitude relative à la source même du danger accentue l’angoisse, et le jeune Bardamu emploie une métonymie hyperbolique « en nous entourant de mille morts » pour parler des balles qui le menacent lui et ses compagnons. La métaphore « on s’en trouvait comme habillés », en évoquant le vêtement accentue l’évidence du danger. Dans cette situation, Bardamu a aussi sous les yeux la figure du colonel, installé sur le talus, personnage dont l’impassibilité le stupéfie. L’utilisation de l’imparfait et de l’adverbe  « il ne bronchait toujours pas » manifeste cet étonnement et la précision « sans hâte », qui vient qualifier la lecture du colonel rend encore plus surprenant ce comportement.

2)      Une réflexion personnelle

A partir de cette situation, Bardamu  va développer une réflexion qui est en fait la prise de conscience de ce qu’est réellement la guerre. La répétition de l’expression temporelle « A présent » (l.9 et 27) montre le caractère décisif de ce moment. L’emploi de verbes qui traduisent la réflexion « « je conçus », « pensais-je », « je le concevais », ainsi que des mots de liaisons qui évoquent la progression du raisonnement (« donc » aux lignes 8, 15, 30, 38 ; « dès lors » l. 11, « décidement » l.22, « sans doute ») conduisent le lecteur à suivre Bardamu dans le déroulement de sa pensée, et instaurent ainsi une étroite complicité avec lui.

3)      Un narrateur jeune et naïf

Cette complicité est également appuyée par le fait que le narrateur se présente avant tout comme un être naïf qui perd brutalement ses illusions. Cette naïveté est mise en scène par le premier aveu : « faut que je dise tout de suite ». Alors que le lecteur s’attend à quelque chose de bien plus grave étant donné le contexte, ce qui est avoué, c’est seulement l’attitude d’un citadin qui ne supporte pas de sortir du cadre auquel il est habitué. La violence du ton (emploi d’adverbes absolus comme « jamais » ou « toujours » ; d’un rythme ternaire qui utilisent trois propositions relatives dont les verbes sont à la forme négative) fait sourire et amène le lecteur à considérer le narrateur comme très jeune.

De la même manière, le choix d’un langage familier caractérisé par les prolepses (l.1 et l.8), l’oubli des négations (« j’ai jamais pu la sentir », « c’est à pas y tenir » : cet oubli est soigneusement calculé par Céline, afin de traduire l’exaspération du personnage), les pléonasmes (« on y ajoute la guerre en plus ») témoigne de la volonté de mettre en scène un personnage supposé jeune découvrant la réalité du monde, et réagissant spontanément par l’indignation. Dans le dernier paragraphe, Bardamu se représente lui-même comme un enfant: des expressions comme « Ce qu’on faisait…n’était pas défendu », « des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade » suggèrent un étonnement enfantin devant la manière dont les adultes ont organisé le monde.

Dans le même registre, il se présente lui-même comme « puceau de l’Horreur », avant d’affirmer « J’étais dépucelé ». Il n’hésite pas ainsi à se moquer de lui-même, tout en affirmant la guerre comme expérience décisive qui détermine un avant et un après inéluctable.

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II Une singularité irréductible   : moi et les autres

1)      L’hypertrophie du moi

Ce passage manifeste ainsi une nette opposition nette entre Bardamu et le reste du monde. Le «  je » est extrêmement présent, et on peut s’interroger sur l’ambiguïté du début du texte qui ne comporte de virgule qu’après « la campagne ». Les deux premiers termes « Moi d’abord » suggèrent un ego très développé chez le narrateur, ce que la suite du texte confirme. Si Bardamu utilise la première personne du pluriel « nous », ou le pronom indéfini « on » pour désigner les soldats, la plupart du temps il se représente seul face au reste du monde, seul à prendre conscience de la guerre, et seul à ne pas vouloir mourir. De fait si le colonel ne semble pas avoir peur, ce n’est pas par courage, mais par manque d’imagination. : « Il n’imaginait pas son trépas !». L’emploi d’une phrase exclamative montre bien à quel point le narrateur est choqué de ce qu’il considère comme un défaut.  A l’inverse, lui-même, doué d’imagination,  revendique hautement la peur : « Je n’osais plus remuer », « ma

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peur devint panique » « et avec quel effroi… ». Il n’hésite pas non plus à se qualifier de « lâche », ce qui dans le contexte de la guerre de 1914 apparaît comme une provocation, et là encore affirme son unicité au moyen d’une interrogation que la précision géographique « sur la terre » rend quelque peu prétentieuse: « Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? ». De manière significative, même si Bardamu pressent que d’autres soldats pourraient être comme lui, comme l’agent de liaison « chaque fois un peu plus vert et foireux », il insiste bien sur l’impossibilité de communiquer : « on n’avait pas le temps de fraterniser non plus ». C’est donc bien sa solitude et son isolement que Céline choisit de mettre en évidence.

2)      Les «   autres   »

Cette solitude, Bardamu la rend plus sensible en accentuant le grand nombre de tous ceux qui ne sont pas comme lui. Du colonel, qualifié de « monstre », (alors qu’étymologiquement, le monstre est au contraire unique) Bardamu passe à « beaucoup des comme lui»  puis « tout autant dans l’armée d’en face » dans la même phrase. Cette première gradation est accentuée par une seconde : « un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? ». Dans le paragraphe suivant, Bardamu imagine alors cette masse d’hommes décidés à faire la guerre. Une première phrase oppose donc le narrateur « perdu », et « deux millions de fous héroïques et déchainés et armés jusqu’aux cheveux ». On note la répétition de la conjonction de coordination « et » qui amplifie l’effet de nombre, et l’oxymore « fous héroïques » qui ne va sans rappeler la « boucherie héroïque » dont parle Voltaire dans Candide, quand il évoque la guerre. Quant à l’expression « Armés jusqu’aux cheveux » si elle manifeste une tonalité humoristique, elle suggère aussi que ces hommes-là sont encore plus armés que la normale, « jusqu’aux dents ». La phrase qui suit se développe sur sept lignes et évoque le déferlement de ces armées, caractérisées par le mouvement (« sur motos », « en autos », « volants », « creusant », « caracolant dans les sentiers ») et le bruit (« hurlants », « sifflants », « pétaradants », les allitérations en « an » vont dans le même sens). On remarque bien sûr la répétition du verbe « détruire » et la gradation « Allemagne, France et continents ». La guerre, tout d’abord qualifiée « d’imbécillité infernale » est devenue « croisade apocalyptique ». Ce qui est désormais en jeu, c’est l’imminence de la fin du monde.

3)      La responsabilité d’une société tout entière   ?

Parmi ces autres, le narrateur dénonce la responsabilité de ceux qui décident, en commençant par la hiérarchie militaire, le colonel tout d’abord, puis le général. Significativement, Céline l’a appelé « général des Entrayes », ce qui met en évidence la particule, indice de noblesse, et l’ironie de sa fonction, qui envoie le plus de soldats possible à la mort  (général des entrailles). Malgré la connotation péjorative de l’adjectif « petites », Bardamu montre bien que les lettres du général sont toutes puissantes : à son indignation qui se manifeste par une série de questions, jouant toutes avec des synonymes « méprise », « erreur », « maldonne », « on s’était trompé », s’oppose la réponse qu’il suppose faite par le général et rapportée ici au style direct : « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ». La guerre apparaît ainsi voulue et encouragée par le gouvernement et la société. Le dernier paragraphe développe une opposition entre le « on », les soldats ordinaires, ravalés à des comportements enfantins, ce que suggèrent des expressions comme « cela…n’était pas défendu » ou « sans mériter une bonne engueulade », et « les gens sérieux », qui  encouragent « le tirage au sort » (les jeux de hasard ), « les fiançailles » (une pratique extrêmement bourgeoise) et « la chasse à courre » (activité à laquelle ne se livrent que l’aristocratie et la haute bourgeoisie, et qui s’achève tout de même par la curée). Pour Bardamu, comme pour Céline, la guerre est avant tout décidée par le pouvoir en place et la société qu’il cherche à défendre.

   

II Une œuvre de dénonciation

1)      «   la sale âme héroïque des hommes   »

Page 10: Voyage Au Bout de La Nuit

Mais le narrateur ne se contente pas de mettre en cause ceux qui détiennent le pouvoir. C’est l’humanité toute entière qu’il dénonce ici. En parlant de la « sentence  des hommes et des choses », il évoque une condamnation générale. Avec la mise en avant de l’adverbe « jamais » en début de phrase, il accentue le caractère « implacable » de cette « sentence ».  Lorsqu’il parle de son dépucelage, de son entrée dans la guerre (métaphore filée ?), il découvre « tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ». Le terme « d’âme » souvent employé de manière valorisante est ici totalement déprécié par les adjectifs « sale » et « fainéante », et là encore la critique concerne l’ensemble de l’humanité. En précisant « ça venait des profondeurs et c’était arrivé », Bardamu continue dans la dépréciation, tout d’abord avec le démonstratif familier « ça », puis avec cette notion de « profondeurs », qui connote le caché et l’innommable.

2)      Voyage au bout de la nuit

Ainsi la guerre apparaît bien comme la première étape de ce voyage au bout de la nuit, qui donne son titre au roman, première découverte de l’horreur et de l’ignominie humaine. Le départ  de la place Clichy marque l’entrée de Bardamu dans la vraie vie. On note quelques termes qui renvoient à la notion de chemin ou de  voyage : « ses chemins qui ne vont nulle part », « dans les sentiers », « la bonne voie » et on remarque que Bardamu lui-même se décrit comme désormais pris dans un mouvement qu’il ne peut contrôler : « je m’étais embarqué » (l’image maritime exclut toute possibilité de fuite), « j’étais pris dans cette fuite en masse, vers… ». Il est à  noter cependant que dans cette présentation, Bardamu semble se considérer comme différent des autres. Homme lui-même, échapperait-il à la condamnation ? La question reste posée en ce début de roman.

3)      Une écriture de la dénonciation

Le seul recours qu’il reste au narrateur, c’est la parole : « faut que je dise toute suite ». Le ton familier trahit ici l’urgence de s’exprimer, et dessine les deux tonalités majeures du roman. D’abord l’indignation, voire la colère, qui se manifeste par la multiplication des phrases exclamatives ou des interrogatives à valeur rhétorique, par l’emploi de termes familiers ou d’incorrections très calculées (les négations incomplètes).  Ensuite l’ironie, qui permet de contrebalancer quelque peu la noirceur du roman, sensible ici par des antiphrases : « Nous étions jolis ! », « continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! ». On peut aussi relever l’expression des « soldats inconnus », pour parler des Allemands (la tombe du soldat inconnu a été installée sous l’arc de triomphe après la guerre de 1914 le 28 janvier 1921). Dans cet extrait, il est difficile de dissocier Céline de Bardamu. C’est par l’intermédiaire de son personnage que Céline développe sa dénonciation, mais il ne faut pas oublier qu’un autre personnage est aussi essentiel dans le roman, Robinson et que les effets d’écho que l’on peut établir entre l’auteur et ces deux personnages principaux sont de fait complexes.

Conclusion

Ainsi, cet extrait apparaît comme un moment essentiel dans le roman : il pose le personnage principal, Ferdinand Bardamu, comme une sorte d’anti-héros égocentrique,  revendiquant la lâcheté et mettant en cause la société dans son ensemble : il critique la guerre, les hommes qui l’ont décidée et qui la font. Lui-même nous apparaît comme  condamné à subir la situation, sans rien pouvoir faire sinon parler, dénoncer avec une force et une ironie désespérée. Double possible de son auteur, Bardamu entame ici son propre Voyage au bout de la Nuit, entraînant à sa suite un lecteur à la fois choqué et fasciné par la singularité d’un tel narrateur.

 

 Voyage au bout de la nuit ressemble à une autobiographie romancée puisque ce livre est écrit à la première personne du singulier et qu’il décrit des lieux, évènements… que Céline a visité, vécu…(Première Guerre Mondiale, Afrique coloniale, Usine Ford à Détroit…). Cependant, il est important de rappeler qu’il ne s’agit que d’un roman dont le personnage principal se nomme Ferdinand Bardamu et dont nous suivons la vie pendant une vingtaine d’années de 1914 environ au début des années 1930.

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Le langage utilisé est familier au début du roman, il va ensuite se hausser. Bardamu s’engage dans l’armée française sur un coup de tête. Il décrit alors les horreurs de la guerre, les fusillés pour l’exemple notamment, et affirme son hostilité au conflit. Il rencontre au cours d’une patrouille un personnage qui va le suivre tout au long du roman : Léon Robinson. Son attrait pour les femmes transparaît également, il s’amourache d’une jeune infirmière américaine nommée Lola qui ne comprend pas son pacifisme qu’elle prend pour des sentiments antipatriotiques. Ferdinand sort de la Grande Guerre par la petite porte en se faisant interner dans un asile, son caractère d’antihéros transparaît alors, ce manque de courage est aussi un caractère de Robinson. Bardamu critique le patriotisme exacerbé de la nation en guerre, il se moque des élans patriotiques d’un des patients de l’asile, élans qu’il perçoit comme le meilleur moyen de rester éloigner des combats et du tribunal militaire en s’attirant la sympathie du directeur des lieux, grand décideur de l’état de ses patients et de leur maintien à l’asile.            Ferdinand fait ensuite route vers l’Afrique, bercée d’illusions, à bord d’un navire où il devient rapidement la tête de turc des autres passagers, victime de la bêtise et des pulsions animales des autres hommes libérées par la longueur de la traversée. Il réussit à se tirer de la mauvaise passe grâce à son talent d’orateur et à quelques tournées. Les images d’Epinal que Bardamu entretenaient à propos des colonies françaises s’évaporent dès qu’il pose le pied à terre. Chaleur et insectes, asservissement des indigènes et comportement des coloniaux lui sautent aux yeux. Les Noirs se prostituent, abusent d’alcool, sont montrés comme des imbéciles non civilisés…Les Blancs se moquent d’eux, les considèrent comme des esclaves. L’agressivité est la règle dans les rapports coloniaux-indigènes mais aussi entre Blancs. Arrivé dans une ville côtière, Fort-Gono, où il séjourne quelques jours, Ferdinand est ensuite muté plus en avant dans la forêt tropical malgré ses tentatives d’hospitalisation (en souvenir de sa carrière de Poilu). Il remplace un individu [qui se trouve être Robinson] qui tenait une petite boutique en pleine jungle et qui lui vole le peu d’argent qui lui était destiné et ne lui laisse que quelques boîtes de conserve de cassoulets, une cargaison de chaussettes et une cabane croulante. Buvant de la vase, malade, apeuré d’avoir à rendre compte de l’état du commerce qu’il est censé tenir, Ferdinand décide de fuir à travers la jungle et rencontre un Espagnol esseulé lui aussi qui lui indique une possession côtière espagnole. Vendu par un curé, il devient rameur sur un navire à destination des Etats-Unis, de New York plus précisément.Mis en quarantaine comme tous les immigrants, Bardamu réussit à s’échapper, se fait paradoxalement embaucher par les services de l’immigration, s’enfuit à nouveau et découvre la ville de New York si différente de Paris, impersonnelle, aux habitants tristes. Une fois encore, les quelques espoirs qu’il avait en arrivant sont rapidement dissipés et font place à l’angoisse et la tristesse. Ayant retrouvé Lola, son amie américaine, il est embauché dans les usines Ford de Détroit où il découvre les affres du travail à la chaîne asservissant, destructeur physiquement et mentalement. Il s’acoquine d’une prostituée, la première personne réellement gentille qu’il rencontre. Toujours à la suite de Robinson qu’il sait présent aux Etats-Unis, il le retrouve dans ses minables combines qui lui permettent de survivre.Il décide ensuite de rentrer en France où il retrouve ce qu’il a quitté. Après avoir passé le diplôme de médecin, il s’établit en banlieue parisienne, au Rancy, où la clientèle est rare et pauvre, tendance accentuée par le faible intérêt que Bardamu, sans ambition, porte à s’attacher ses patients ; il ne travaille que pour subsister. Il y rencontre les Henrouille, un couple qui cherche à se débarrasser de la mère du mari, d’abord en essayant de la faire interner dans un asile avec l’aide professionnelle de Ferdinand, sans succès, puis de la tuer avec l’aide de Robinson, sans réussite non plus. Les Henrouille sont caricaturés par Bardamu comme le couple ayant

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travaillé toute leur vie pour payer la dette de leur maison et qui, après l’avoir payée, ne savent pas faire autre chose. Leur vie est mesquine, sans intérêt ; ils subissent le train-train quotidien. Les autres patients de  Ferdinand sont de pauvres gens qui subissent la misère quotidienne ; le docteur se décrit souvent comme impuissant, toujours comme agissant non pour guérir mais pour avoir l’air actif et occupé vis-à-vis de la famille du malade, plus intéressé par l’argent que par la guérison de ceux qui lui sont confiés. Une fois il est touché par le cas d’un petit malade, le neveu de sa concierge âgé de sept ans, il essaie de le guérir, se renseigne auprès de collègues qui évite de donner une opinion sur ce cas désespéré, sans succès et le petit Bébert décède. Les médecins sont décrits par Bardamu comme des incapables et les plus savants d’entre eux comme des beaux parleurs.Lors de la tentative d’assassinat contre la vieille Henrouille, Robinson est blessé aux yeux et perd alors la vue. Déprimant, soigné par les instigateurs du meurtre, il est ensuite envoyé à Toulouse avec celle qui aurait pu être sa victime sur les conseils d’un curé éloigné des valeurs catholiques, nommé Protiste, connaissance de la bru Henrouille. Bardamu continue ensuite sa vie, déprimé et déprimant dans sa banlieue parisienne où son quotidien de médecin s’allie à ses passages chez les prostituées. Encouragé par l’abbé Protiste, il se rend à Toulouse visiter Robinson et la veuve Henrouille. Cette dernière les fait vivre en organisant la visite d’un tombeau, accolé à l’église de Protiste, pour les touristes. Robinson, toujours pessimiste et déprimé, s’est fiancé à une jeune fille, Madelon, débrouillarde et fort jolie, avec qui Bardamu s’empresse de faire connaissance. Cet empressement lui est dommageable quand Madelon essaie de dresser son fiancé contre Ferdinand, peureuse qu’elle est qu’il s’en aille. Le docteur quitte Toulouse le jour où Robinson, ingrat, tue la vieille Henrouille en la jetant dans son tombeau.De retour à Paris, il est embauché dans un asile où les moyens médicaux employés ne servent qu’à rassurer les familles des patients. Le directeur de l’établissement ne s’intéresse qu’aux profits qu’il peut tirer de ses fous. Après s’être rapproché de Bardamu et ayant appris l’anglais grâce à lui, le directeur décide de quitter son poste et laisse l’asile aux bons soins de Ferdinand. Ce dernier se contente de le gérer au jour le jour. Les problèmes reviennent quand Robinson qui, ayant recouvré en partie la vue, a quitté Madelon, lui demande son aide. Embauché par Bardamu, il est tué par Madelon qui l’a retrouvé, l’a fait chanter avec le meurtre de la vieille Henrouille, lui a, à nouveau, exprimé tout son amour sans succès : Robinson exprime son dégoût pour l’amour et l’attirance entre les gens.

Citations :

Sur la Grande Guerre :"La guerre en somme c'était tout ce qu'on ne comprenait pas." (p.12)"On et puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté." (p.14)"Quand on a pas d'imagination, mourir c'est peu de chose, quand on en a, mourir c'est trop." (p.19)"C'est à partir de [...] là qu'on a commencé à fusiller des troupiers pour leur remonter le moral" (p.30)"La guerre [...], cette foutue énorme rage qui poussait la moitié des humains, aimants ou non, à envoyer l'autre moitié vers l'abattoir" (p.50)"Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue." (p.82)

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Le militaire : "N'ayant pas l'habitude de penser, dès qu'on lui parle il est forcé pour essayer de vous comprendre de se résoudre à des efforts accablants" (p.121)

Sur l'Afrique :"Les indigènes eux, ne fonctionnent guère en somme qu'à coups de trique, ils gardent cette dignité, tandis que les Blancs, perfectionnés par l'instruction publique, ils marchent tout seuls" (p.139)

Citations générales :"Et où aller dehors, [...], dès qu'on a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir." (p.200)"C'est quelque chose de toujours vrai un corps, c'est pour cela que c'est presque toujours triste et dégoûtant à regarder" (p.272)"Célèbre d'emblée, il ne lui [un scientifique reconnu] restait plus jusqu'à sa mort, qu'à noircir régulièrement quelques colonnes illisibles dans divers périodiques spécialisés pour se maintenir en vedette." [...] "Le public scientifique sérieux lui faisant à présent crédit et confiance. Cela dispensait le public sérieux de le lire." (p.282)"Pour les ravigoter, on les remonte les riches, à chaque dix ans, d'un cran dans la Légion d'honneur, comme un vieux nichon." (p.334)"Très peu de présence, tout est là, surtout pour l'amour" (p.366)"Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s'y mettre. On en a bien marre de s'écouter toujours causer" (p.458)

Mon avis :

Le simple résumé de la trame de ce roman ne suffit pas à montrer tout l'intérêt de Voyage au bout de la nuit qui réside dans le style, la prose de Céline. L'écrivain décrit, en utilisant souvent l'ironie, le désespoir, la lassitude, la banalité, la tristesse et la méchanceté des gens moyens avec une grande réussite. Ce roman fait broyer du noir au lecteur : il est risqué de le lire si ce dernier est déprimé voire dépressif. Le comportement de l'écrivain pendant la Seconde Guerre Mondiale ainsi que ses pamphlets antisémites peuvent mener à une opinion négative mais l'on comprend mieux après avoir lu ce roman pourquoi Céline est, encore aujourd'hui, une référence de la littérature française.Ses descriptions de la Première Guerre Mondiale, du colonialisme français en Afrique, des procédés inhumains du fordisme américain (travail à la chaîne) sont autant de témoignages sur de grands évènements ou d'importantes tendances de son époque ; témoignages, aux accents pacifistes sociales, qui vont parfois à contre-courant des pensées des années 20-30 (ex : la lâcheté du Poilu Bardamu alors que les contemporains de Céline ne souhaitaient retenir que l'héroïsme des soldats). Enfin, les comportements mesquins, individualistes (égoïstes) et intéressés de Robinson et de Bardamu constituent une critique des hommes et des rapports qu'ils entretiennent entre eux.

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