Voyage Au Centre de La Terre

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The classical book of Jules Verne

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  • Voyage au Centre de la TerreThe Project Gutenberg EBook of Voyage au Centre de laTerre, by Jules Verne (#22 in our series by Jules Verne)

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    Title: Voyage au Centre de la Terre

    Author: Jules Verne

    Release Date: December, 2003 [EBook #4791] [Yes, weare more than one year ahead of schedule] [This file wasfirst posted on March 21, 2002]

    Edition: 10

    Language: French

    Character set encoding: Latin-1

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  • *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK,VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE ***

    Carlo Traverso, Robert Rowe, Charles Franks and theOnline Distributed Proofreading Team.

    We thank the Bibliotheque Nationale de France that hasmade available the image files at www://gallica.bnf.fr,authorizing the preparation of the etext through OCR.

    Nous remercions la Bibliothque Nationale de France qui amis dispositions les images dans www://gallica.bnf.fr, eta donn l'authorization les utilizer pour preparer ce texte.

    Editorial note: the runes in the text are represented by thelast two hexadecimal digits of their Unicode encoding (from16A0 to 16F0). We emphasize with XY the runes thatVerne emphasizes with serifs, and tanslitterates withuppecase.

    Note de l'diteur: les runes qui sont dans le texte sontrepresentes par les deux dernires chiffes hexadcimalesde leur codage Unicode (de 16A0 16F0). On rpresenteavec XY les runes que Verne relve avec des srifs, ettranscrit avec des majuscules.

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  • Jules Verne

    VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE

    I

    Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeurLidenbrock, revint prcipitamment vers sa petite maisonsitue au numro 19 de Knig-strasse, l'une des plusanciennes rues du vieux quartier de Hambourg.

    La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dnercommenait peine chanter sur le fourneau de lacuisine.

    Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plusimpatient des hommes, va pousser des cris de dtresse.

    --Dja M. Lidonbrock! s'cria la bonne Marthe stupfaite,en entre-billant la porte de la salle manger.

    --Oui, Marthe; mais le dner a le droit de ne point tre cuit,car il n'est pas deux heures. La demie vient peine desonner Saint-Michel.

    --Alors pourquoi M. Lidenbrock rentre-t-il?

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  • --Il nous le dira vraisemblablement.

    --Le voil! je me sauve. Monsieur Axel, vous lui ferezentendre raison.

    Et la bonne Marthe regagna son laboratoire culinaire.

    Je restai seul. Mais de faire entendre raison au plusirascible des professeurs, c'est ce que mon caractre unpeu indcis ne me permettait pas. Aussi je me prparais regagner prudemment ma petite chambre du haut, quandla porte de la rue cria sur ses gonds; de grands pieds firentcraquer l'escalier de bois, et le matre de la maison,traversant la salle manger, se prcipite aussitt dans soncabinet de travail.

    Mais, pendant ce rapide passage, il avait jet dans un coinsa canne tte de casse-noisette, sur la table son largechapeau poils rebrousss et son neveu ces parolesretentissantes:

    Axel, suis-moi!

    Je n'avais pas eu le temps de bouger que le professeur mecriait dj avec un vif accent d'impatience:

    Eh bien! tu n'es pas encore ici?

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  • Je m'lanai dans le cabinet de mon redoutable matre.

    Otto Lidenbrock n'tait pas un mchant homme, j'enconviens volontiers; mais, moins de changementsimprobables, il mourra dans la peau d'un terrible original.

    Il tait professeur au Johannaeum, et faisait un cours deminralogie pendant lequel il se mettait rgulirement encolre une fois ou deux. Non point qu'il se proccuptd'avoir des lves assidus ses leons, ni du degrd'attention qu'ils lui accordaient, ni du succs qu'ilspouvaient obtenir par la suite; ces dtails ne l'inquitaientgure. Il professait subjectivement, suivant uneexpression de la philosophie allemande, pour lui et nonpour les autres. C'tait un savant goste, un puits descience dont la poulie grinait quand on en voulait tirerquelque chose. En un mot, un avare.

    Il y a quelques professeurs de ce genre en Allemagne.

    Mon oncle, malheureusement, ne jouissait pas d'uneextrme facilit de prononciation, sinon dans l'intimit, aumoins quand il parlait en public, et c'est un dfautregrettable chez un orateur. En effet, dans sesdmonstrations au Johannaeum, souvent le professeurs'arrtait court; il luttait contre un mot rcalcitrant qui nevoulait pas glisser entre ses lvres, un de ces mots qui

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  • rsistent, se gonflent et finissent par sortir sous la formepeu scientifique d'un juron. De l, grande colre.

    Il y a en minralogie bien des dnominationssemi-grecques, semi-latines, difficiles prononcer, de cesrudes appellations qui corcheraient les lvres d'un pote.Je ne veux pas dire du mal de cette science. Loin de moi.Mais lorsqu'on se trouve en prsence des cristallisationsrhombodriques, des rsines rtinasphaltes, desghlnites, des tangasites, des molybdates de plomb, destungstates de manganse et des titaniates de zircone, ilest permis la langue la plus adroite de fourcher.

    Or, dans la ville, on connaissait cette pardonnable infirmitde mon oncle, et on, en abusait, et on l'attendait auxpassages dangereux, et il se mettait en fureur, et l'on riait,ce qui n'est pas de bon got, mme pour des Allemands.S'il y avait donc toujours grande affluence d'auditeurs auxcours de Lidenbrock, combien les suivaient assidment quivenaient surtout pour se drider aux belles colres duprofesseur!

    Quoi qu'il en soit, mon oncle, je ne saurais trop le dire, taitun vritable savant. Bien qu'il casst parfois seschantillons les essayer trop brusquement, il joignait augnie du gologue l'oeil du minralogiste. Avec sonmarteau, sa pointe d'acier, son aiguille aimante, son

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  • chalumeau et son flacon d'acide nitrique, c'tait un hommetrs fort. A la cassure, l'aspect, la duret, la fusibilit,au son, l'odeur, au got d'un minral quelconque, il leclassait sans hsiter parmi les six cents espces que lascience compte aujourd'hui.

    Aussi le nom de Lidenbrock retentissait avec honneur dansles gymnases et les associations nationales. MM. HumphryDavy, de Humboldt, les capitaines Franklin et Sabine, nemanqurent pas de lui rendre visite leur passage Hambourg. MM. Becquerel, Ebelmen, Brewater, Dumas,Milne-Edwards, aimaient le consulter sur des questionsles plus palpitantes de la chimie. Cette science lui devaitd'assez belles dcouvertes, et, en 1853, il avait paru Leipzig un _Trait de Cristallographie transcendante_, parle professeur Otto Lidenbrock, grand in-folio avecplanches, qui cependant ne fit pas ses frais.

    Ajoutez cela que mon oncle tait conservateur du museminralogique de M. Struve, ambassadeur de Russie,prcieuse collection d'une renomme europenne.

    Voil donc le personnage qui m'interpellait avec tantd'impatience. Reprsentez-vous un homme grand, maigre,d'une sant de fer, et d'un blond juvnile qui lui tait dixbonnes annes de sa cinquantaine. Ses gros yeuxroulaient sans cesse derrire des lunettes considrables;

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  • son nez, long et mince, ressemblait une lame affile; lesmchants prtendaient mme qu'il tait aimant et qu'ilattirait la limaille de fer. Pure calomnie; il n'attirait que letabac, mais en grande abondance, pour ne point mentir.

    Quand j'aurai ajout que mon oncle faisait des enjambesmathmatiques d'une demi-toise, et si je dis qu'enmarchant il tenait ses poings solidement ferms, signe d'untemprament imptueux, on le connatra assez pour nepas se montrer friand de sa compagnie.

    Il demeurait dans sa petite maison de Knigstrasse, unehabitation moiti bois, moiti brique, pignon dentel; elledonnait sur l'un de ces canaux sinueux qui se croisent aumilieu du plus ancien quartier de Hambourg que l'incendiede 1842 a heureusement respect.

    La vieille maison penchait un peu, il est vrai, et tendait leventre aux passants; elle portait son toit inclin sur l'oreille,comme la casquette d'un tudiant de la Tugendbund;l'aplomb de ses lignes laissait dsirer; mais, en somme,elle se tenait bien, grace un vieil orme vigoureusementencastr dans la faade, qui poussait au printemps sesbourgeons en fleurs travers les vitraux des fentres.

    Mon oncle ne laissait pas d'tre riche pour un professeurallemand. La maison lui appartenait en toute proprit,

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  • contenant et contenu. Le contenu, c'tait sa filleuleGraben, jeune Virlandaise de dix-sept ans, la bonneMarthe et moi. En ma double qualit de neveu etd'orphelin, je devins son aide-prparateur dans sesexpriences.

    J'avouerai que je mordis avec apptit aux sciencesgologiques; j'avais du sang de minralogiste dans lesveines, et je ne m'ennuyais jamais en compagnie de mesprcieux cailloux.

    En somme, on pouvait vivre heureux dans cettemaisonnette de Knig-strasse, malgr les impatiences deson propritaire, car, tout en s'y prenant d'une faon unpeu brutale, celui-ci ne m'en aimait pas moins. Mais cethomme-l ne savait pas attendre, et il tait plus press quenature.

    Quand, en avril, il avait plant dans les pots de faence deson salon des pieds de rsda ou de volubilis, chaquematin il allait rgulirement les tirer par les feuilles afin dehter leur croissance.

    Avec un pareil original, il n'y avait qu' obir. Je meprcipitai donc dans son cabinet.

    II

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  • Ce cabinet tait un vritable muse. Tous les chantillonsdu rgne minral s'y trouvaient tiquets avec l'ordre leplus parfait, suivant les trois grandes divisions desminraux inflammables, mtalliques et lithodes.

    Comme je les connaissais, ces bibelots de la scienceminralogique! Que de fois, au lieu de muser avec desgarons de mon ge, je m'tais plu pousseter cesgraphites, ces anthracites, ces houilles, ces lignites, cestourbes! Et les bitumes, les rsines, les sels organiquesqu'il fallait prserver du moindre atome de poussire! Etces mtaux, depuis le fer jusqu' l'or, dont la valeur relativedisparaissait devant l'galit absolue des spcimensscientifiques! Et toutes ces pierres qui eussent suffi reconstruire la maison de Knig-strasse, mme avec unebelle chambre de plus, dont je me serais si bien arrang!

    Mais, en entrant dans le cabinet, je ne songeais gure ces merveilles. Mon oncle seul occupait ma pense. Il taitenfoui dans son large fauteuil garni de velours d'Utrecht, ettenait entre les mains un livre qu'il considrait avec la plusprofonde admiration.

    Quel livre! quel livre! s'criait-il.

    Cette exclamation me rappela que le professeurLidenbrock tait aussi bibliomane ses moments perdus;

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  • mais un bouquin n'avait de prix ses yeux qu' lacondition d'tre introuvable, ou tout au moins illisible.

    Eh bien! me dit-il, tu ne vois donc pas? Mais c'est untrsor inestimable que j'ai rencontr ce matin en furetantdans la boutique du juif Hevelius.

    --Magnifique! rpondis-je avec un enthousiasme decommande.

    En effet, quoi bon ce fracas pour un vieil in-quarto dont ledos et les plats semblaient faits d'un veau grossier, unbouquin jauntre auquel pendait un signet dcolor?

    Cependant les interjections admiratives du professeur nediscontinuaient pas.

    Vois, disait-il, en se faisant lui-mme demandes etrponses; est-ce assez beau? Oui, c'est admirable! Etquelle reliure! Ce livre s'ouvre-t-il facilement? Oui, car ilreste ouvert n'importe quelle page! Mais se ferme-t-ilbien? Oui, car la couverture et les feuilles forment un toutbien uni, sans se sparer ni biller en aucun endroit. Et cedos qui n'offre pas une seule brisure aprs sept cents ansd'existence! Ah! voil une reliure dont Bozerian, Closs ouPurgold eussent t fiers!

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  • En parlant ainsi, mon oncle ouvrait et fermaitsuccessivement le vieux bouquin, Je ne pouvais fairemoins que de l'interroger sur son contenu, bien que cela nem'intresst aucunement.

    Et quel est donc le titre de ce merveilleux volume?demandai-je avec un empressement trop enthousiastepour n'tre pas feint.

    --Cet ouvrage! rpondit mon oncle en s'animant, c'estl'Heims-Kringla de Snorre Turleson, le fameux auteurislandais du douzime sicle; c'est la Chronique desprinces norvgiens qui rgnrent en Islande.

    --Vraiment! m'criai-je de mon mieux, et, sans doute, c'estune traduction en langue allemande?

    --Bon! riposta vivement le professeur, une traduction! Etqu'en ferais-je de ta traduction! Qui se soucie de tatraduction! Ceci est l'ouvrage original en langue islandaise,ce magnifique idiome, riche et simple la fois, qui autoriseles combinaisons grammaticales les plus varies et denombreuses modifications de mots!

    --Comme l'allemand, insinuai-je avec assez de bonheur.

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  • --Oui, rpondit mon oncle en haussant les paules; maisavec cette diffrence que la langue islandaise admet lestrois genres comme le grec et dcline les noms proprescomme le latin!

    --Ah! fis-je un peu branl dans mon indiffrence, et lescaractres de ce livre sont-ils beaux?

    --Des caractres! qui te parle de caractres, malheureuxAxel! Il s'agit bien de caractres! Ah! tu prends cela pourun imprim! Mais, ignorant, c'est un manuscrit, et unmanuscrit runique!...

    --Runique?

    --Oui! Vas-tu me demander maintenant de t'expliquer cemot?

    --Je m'en garderai bien, rpliquai-je avec l'accent d'unhomme bless dans son amour-propre.

    Mais mon oncle continua de plus belle, et m'instruisit,malgr moi, de choses que je ne tenais gure savoir.

    Les runes, reprit-il, taient des caractres d'criture usitsautrefois en Islande, et, suivant la tradition, ils furentinvents par Odin lui-mme! Mais regarde donc, admire

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  • donc, impie, ces types qui sont sortis de l'imagination d'undieu!

    Ma foi, faute de rplique, j'allais me prosterner, genre derponse qui doit plaire aux dieux comme aux rois, car ellea l'avantage de ne jamais les embarrasser, quand unincident vint dtourner le cours de la conversation.

    Ce fut l'apparition d'un parchemin crasseux qui glissa dubouquin et tomba terre.

    Mon oncle se prcipita sur ce brimborion avec une aviditfacile comprendra. Un vieux document, enfermpeut-tre depuis un temps immmorial dans un vieux livre,ne pouvait manquer d'avoir un haut prix ses yeux.

    Qu'est-ce que cela? s'cria-t-il.

    Et, en mme temps, il dployait soigneusement sur satable un morceau de parchemin long de cinq pouces, largede trois, et sur lequel s'allongeaient, en lignestransversales, des caractres de grimoire.

    En voici le fac-simil exact. Je tiens faire connatre cessignes bizarres, car ils amenrent le professeur Lidenbrocket son neveu entreprendre la plus trange expdition dudix-neuvime sicle:

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  • EF . E6 B3 DA DA BC C5 BC E6 C5 A2 C5 DA BC C5 C5B4 C1 A6 C5 BC CE CF BC BC D8 A0 A2 B3 CF C5 C1C5 A0 B3 C1 C5 A6 E6 B4 C5 B4 CF , BC D0 D8 B3 D0CF E6 D0 CF C5BC BCD0 AD A6 E6 E6 B3 C5 D8 CF B3D0 C5C1 B3 A2 D0 C5 B4 CF E6 E6 C1 DABCD0 D0CFA2 D0 D0 E6 . B3 BC B4 E6 B4 C1 C5 D0 D0 B2 BC B4B4 A6 E6 D8 C1 C5 C5 A2 CF A2 DA A0 E6 D0 B3 CF A2A6 CF , C1 D0 B4 AD BC C5 C1 B2 AD B4C5 A6 C1 C1E6

    Le professeur considra pendant quelques instants cettesrie de caractres; puis il dit en relevant ses lunettes:

    C'est du runique; ces types sont absolument identiques ceux du manuscrit de Snorre Turleson! Mais... qu'est-ceque cela peut signifier?

    Comme le runique me paraissait tre une invention desavants pour mystifier le pauvre monde, je ne fus pasfch de voir que mon oncle n'y comprenait rien. Dumoins, cela me sembla ainsi au mouvement de ses doigtsqui commenaient s'agiter terriblement.

    C'est pourtant du vieil islandais! murmurait-il entre sesdents.

    Et le professeur Lidenbrock devait bien s'y connatre, car ilpassait pour tre un vritable polyglotte. Non pas qu'il

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  • parlt couramment les deux mille langues et les quatremille idiomes employs la surface du globe, mais enfin ilen savait sa bonne part.

    Il allait donc, en prsence de cette difficult, se livrer toute l'imptuosit de son caractre, et je prvoyais unescne violente, quand deux heures sonnrent au petitcartel de la chemine.

    Aussitt la bonne Marthe ouvrit la porte du cabinet endisant:

    La soupe est servie.

    --Au diable la soupe, s'cria mon oncle, et celle qui l'a faite,et ceux qui la mangeront!

    Marthe s'enfuit; je volai sur ses pas, et, sans savoircomment, je me trouvai assis ma place habituelle dans lasalle manger.

    J'attendis quelques instants. Le professeur ne vint pas.C'tait la premire fois, ma connaissance, qu'il manquait la solennit du dner. Et quel dner, cependant! unesoupe au persil, une omelette au jambon releve d'oseille la muscade, une longe de veau la compote de prunes,et, pour dessert, des crevettes au sucre, le tout arros d'un

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  • joli vin de la Moselle.

    Voil ce qu'un vieux papier allait coter mon oncle. Mafoi, en qualit de neveu dvou, je me crs oblig demanger pour lui, et mme pour moi. Ce que je fis enconscience.

    Je n'ai jamais vu chose pareille! disait la bonne Marthe enservant. M. Lidenbrock qui n'est pas table!

    --C'est ne pas le croire.

    --Cela prsage quelque vnement grave! reprenait lavieille servante en hochant la tte.

    Dans mon opinion, cela ne prsageait rien, sinon unescne pouvantable, quand mon oncle trouverait son dnerdvor.

    J'en tais ma dernire crevette, lorsqu'une voixretentissante m'arracha aux volupts du dessert. Je ne fisqu'un bond de la salle dans le cabinet.

    III

    C'est videmment du runique, disait le professeur enfronant le sourcil. Mais il y a un secret, et je le dcouvrirai,

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  • sinon...

    Un geste violent acheva sa pense.

    Mets-toi l, ajouta-t-il en m'indiquant la table du poing, etcris.

    En un instant je fus prt.

    Maintenant, je vais te dicter chaque lettre de notrealphabet qui correspond l'un de ces caractres islandais.Nous verrons ce que cela donnera. Mais, par saint Michel!garde-toi bien de te tromper!

    La dicte commena. Je m'appliquai de mon mieux;chaque lettre fut appele l'une aprs l'autre, et formal'incomprhensible succession des mots suivants:

    mm . r n l l s e s r e u e l s e e c J d e s g t s s m f u n t e i ef n i e d r k e k t , s a m n a t r a t e S S a o d r r n e m t n ae I n u a e c t r r i l S a A t u a a r . n s c r c i e a a b s c c dr m i e e u t u l f r a n t u d t , i a c o s e i b o K e d i i Y

    Quand ce travail fut termin, mon oncle prit vivement lafeuille sur laquelle je venais d'crire, et il l'examinalongtemps avec attention.

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  • Qu'est-ce que cela veut dire? rptait-il machinalement.

    Sur l'honneur, je n'aurais pas pu le lui apprendre. D'ailleursil ne m'interrogea pas cet gard, et il continua de separler lui-mme:

    C'est ce que nous appelons un cryptogramme, disait-il,dans lequel le sens est cach sous des lettres brouilles dessein, et qui, convenablement disposes, formeraientune phrase intelligible! Quand je pense qu'il y a l peut-trel'explication ou l'indication d'une grande dcouverte!

    Pour mon compte, je pensais qu'il n'y avait absolumentrien, mais je gardai prudemment mon opinion.

    Le professeur prit alors le livre et le parchemin, et lescompara tous les deux.

    Ces deux critures ne sont pas de la mme main, dit-il; lecryptogramme est postrieur au livre, et j'en vois toutd'abord une preuve irrfragable. En effet, la premire lettreest une double M qu'on chercherait, vainement dans lelivre de Turleson, car elle ne fut ajoute l'alphabetislandais qu'au quatorzime sicle. Ainsi donc, il y a aumoins deux cents ans entre le manuscrit et le document.

    Cela j'en conviens, me parut assez logique.

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  • Je suis donc conduit penser, reprit mon oncle, que l'undes possesseurs de ce livre aura trac ces caractresmystrieux. Mais qui diable tait ce possesseur? N'aurait-ilpoint mis son nom quelque endroit de ce manuscrit?

    Mon oncle releva ses lunettes, prit une forte loupe, etpassa soigneusement en revue les premires pages dulivre. Au verso de la seconde, celle du faux titre, ildcouvrit une sorte de macule, qui faisait l'oeil l'effetd'une tache d'encre. Cependant, en y regardant de prs,on distinguait quelques caractres demi effacs. Mononcle comprit que l tait le point intressant; il s'acharnadonc sur la macule et, sa grosse loupe aidant, il finit parreconnatre les signes que voici, caractres runiques qu'illut sans hsiter:

    D0 E6 B3 C5 BC D0 B4 B3 A2 BC BC C5 EF

    Arne Saknussem! s'cria-t-il d'un ton triomphant, maisc'est un nom cela, et un nom islandais encore! celui d'unsavant du seizime sicle, d'un alchimiste clbre!

    Je regardai mon oncle avec une certaine admiration.

    Ces alchimistes, reprit-il, Avicenne, Bacon, Lulle,Paracelse, taient les vritables, les seuls savants de leurpoque. Ils ont fait des dcouvertes dont nous avons le

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  • droit d'tre tonns. Pourquoi, ce Saknussemm n'aurait-ilpas enfoui sous cet incomprhensible cryptogrammequelque surprenante invention? Cela doit tre ainsi. Celaest.

    L'imagination du professeur s'enflammait cettehypothse.

    Sans doute, osai-je rpondre, mais quel intrt pouvaitavoir ce savant cacher ainsi quelque merveilleusedcouverte?

    --Pourquoi? pourquoi? Eh! le sais-je? Galile n'en a-t-il pasagi ainsi pour Saturne? D'ailleurs, nous verrons bien;j'aurai le secret de ce document, et je ne prendrai ninourriture ni sommeil avant de l'avoir devin.

    --Oh! pensai-je.

    --Ni toi, non plus, Axel, reprit-il.

    --Diable! me dis-je, il est heureux que j'aie dn pour deux!

    --Et d'abord, fit mon oncle, il faut trouver la langue de cechiffre. Cela ne doit pas tre difficile.

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  • A ces mots, je relevai vivement la tte. Mon oncle repritson soliloque:

    Rien n'est plus ais. Il y a dans ce document centtrente-deux lettres qui donnent soixante-dix-neufconsonnes contre cinquante-trois voyelles. Or, c'est peuprs suivant cette proportion que sont forms les mots deslangues mridionales, tandis que les idiomes du nord sontinfiniment plus riches en consonnes. Il s'agit donc d'unelangue du midi.

    Ces conclusions taient fort justes.

    Mais quelle est cette langue?

    C'est l que j'attendais mon savant, chez lequel cependantje dcouvrais un profond analyste.

    Ce Saknussemm, reprit-il, tait un homme instruit; or, dsqu'il n'crivait pas dans sa langue maternelle, il devaitchoisir de prfrence la langue courante entre les espritscultivs du seizime sicle, je veux dire le latin. Si je metrompe, je pourrai essayer de l'espagnol, du franais, del'italien, du grec, de l'hbreu. Mais les savants du seizimesicle crivaient gnralement en latin. J'ai donc le droit dedire _ priori_: ceci est du latin.

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  • Je sautai sur ma chaise. Mes souvenirs de latiniste servoltaient contre la prtention que cette suite de motsbaroques pt appartenir la douce langue de Virgile.

    Oui! du latin, reprit mon oncle, mais du latin brouill.

    --A la bonne heure! pensai-je. Si tu le dbrouilles, tu serasfin, mon oncle.

    --Examinons bien, dit-il, en reprenant la feuille sur laquellej'avais crit. Voil une srie de cent trente-deux lettres quise prsentent sous un dsordre apparent. Il y a des motso les consonnes se rencontrent seules comme le premiermrnlls, d'autres o les voyelles, au contraire, abondent,le cinquime, par exemple, unteief, ou l'avant-dernieroseibo. Or, cette disposition n'a videmment pas tcombine; elle est donne mathmatiquement par laraison inconnue qui a prsid la succession de ceslettres. Il me parait certain que la phrase primitive a tcrite rgulirement, puis retourne suivant une loi qu'ilfaut dcouvrir. Celui qui possderait la clef de ce chiffrele lirait couramment. Mais quelle est cette clef? Axel, as-tucette clef?

    A cette question je ne rpondis rien, et pour cause. Mesregards s'taient arrts sur un charmant portrait suspenduau mur, le portrait de Graben. La pupille de mon oncle se

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  • trouvait alors Altona, chez une de ses parentes, et son,absence me rendait fort triste, car, je puis l'avouermaintenant, la jolie Virlandaise et le neveu du professeurs'aimaient avec toute la patience et toute la tranquillitallemandes; nous nous tions fiancs l'insu de mononcle, trop gologue pour comprendre de pareilssentiments. Graben tait une charmante jeune fille blondeaux yeux bleus, d'un caractre un peu grave, d'un esprit unpeu srieux; mais elle ne m'en aimait pas moins; pour moncompte, je l'adorais, si toutefois ce verbe existe dans lalangue tudesque! L'image de ma petite Virlandaise merejeta donc, en un instant, du monde des ralits danscelui des chimres, dans celui des souvenirs.

    Je revis la fidle compagne de mes travaux et de mesplaisirs. Elle m'aidait ranger chaque jour les prcieusespierres de mon oncle; elle les tiquetait avec moi. C'taitune trs forte minralogiste que mademoiselle Graben!Elle aimait approfondir les questions ardues de lascience. Que de douces heures nous avions passes tudier ensemble, et combien j'enviai souvent le sort deces pierres insensibles qu'elle maniait de ses charmantesmains.

    Puis, l'instant de l rcration venue, nous sortions tous lesdeux; nous prenions par les alles touffues de l'Alsser, etnous nous rendions de compagnie au vieux moulin

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  • goudronn qui fait si bon effet l'extrmit du lac; cheminfaisant, on causait en se tenant par la main; je lui racontaisdes choses dont elle riait de son mieux; on arrivait ainsijusqu'au bord de l'Elbe, et, aprs avoir dit bonsoir auxcygnes qui nagent parmi les grands nnuphars blancs,nous revenions au quai par la barque vapeur.

    Or, j'en tais l de mon rve, quand mon oncle, frappant latable du poing, me ramena violemment la ralit.

    Voyons, dit-il, la premire, ide qui doit se prsenter l'esprit pour brouiller les lettres d'une phrase, c'est, il mesemble, d'crire les mots verticalement au lieu de les tracerhorizontalement.

    --Tiens! pensai-je.

    --Il faut voir ce que cela produit, Axel, jette une phrasequelconque sur ce bout de papier; mais, au lieu dedisposer les lettres la suite les unes des autres, mets-lessuccessivement par colonnes verticales, de manire lesgrouper en nombre de cinq ou six.

    Je compris ce dont il s'agissait, et immdiatement j'crivisde haut en bas:

    J m n e , b e e , t G e t' b m i r n a i a t a ! i e p e

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  • Bon, dit le professeur, sans avoir lu. Maintenant, disposeces mots sur une ligne horizontale.

    J'obis, et j'obtins la phrase suivante:

    Jmne,b ee,tGe t'bmirn aiata! iepe

    Parfait! fit mon oncle en m'arrachant le papier des mains,voil qui a dj la physionomie du vieux document; lesvoyelles sont groupes ainsi que les consonnes dans lemme dsordre; il y a mme des majuscules au milieu desmots, ainsi que des virgules, tout comme dans leparchemin de Saknussemm!

    Je ne puis m'empcher de trouver ces remarques fortingnieuses.

    Or, reprit mon oncle en s'adressant directement moi,pour lire la phrase que tu viens d'crire, et que je neconnais pas, il me suffira de prendre successivement lapremire lettre de chaque mot, puis la seconde, puis latroisime, ainsi de suite.

    Et mon oncle, son grand tonnement, et surtout au mien,lut:

    Je t'aime bien, ma petite Graben!

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  • Hein! fit le professeur.

    Oui, sans m'en douter, en amoureux maladroit, j'avaistrac cette phrase compromettante!

    Ah! tu aimes Graben! reprit mon oncle d'un vritable tonde tuteur!

    --Oui ... Non ... balbutiai-je!

    --Ah! tu aimes Graben, reprit-il machinalement. Eh bien,appliquons mon procd au document en question!

    Mon oncle, retomb dans son absorbante contemplation,oubliait dj mes imprudentes paroles. Je dis imprudentes,car la tte du savant ne pouvait comprendre les choses ducoeur. Mais, heureusement, la grande affaire du documentl'emporta.

    Au moment de faire son exprience capitale, les yeux duprofesseur Lidenbrock lancrent des clairs travers seslunettes; ses doigts tremblrent, lorsqu'il reprit le vieuxparchemin; il tait srieusement mu. Enfin il toussafortement, et d'une voix grave, appelant successivement lapremire lettre, puis la seconde de chaque mot; il me dictala srie suivante:

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  • _mmessunkaSenrA.icefdoK.segnittamurtnecertserrette,rotaivsadua,ednecsedsadnelacartniiiluJsiratracSarbmutabiledmekmeretarcsilucoYsleffenSnI_

    En finissant, je l'avouerai, j'tais motionn, ces lettres,nommes une une, ne m'avaient prsent aucun sens l'esprit; j'attendais donc que le professeur laisst sedrouler pompeusement entre ses lvres une phrase d'unemagnifique latinit.

    Mais, qui aurait pu le prvoir! Un violent coup de poingbranla la table. L'encre rejaillit, la plume me sauta desmains.

    Ce n'est pas cela! s'cria mon oncle, cela n'a pas le senscommun!

    Puis, traversant le cabinet comme un boulet, descendantl'escalier comme une avalanche, il se prcipita dansKnig-strasse, et s'enfuit toutes jambes.

    IV

    Il est parti? s'cria Marthe en accourant au bruit de laporte de la rue qui, violemment referme, venait d'branlerla maison tout entire.

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  • --Oui! rpondis-je, compltement parti!

    --Eh bien? et son dner? fit la vieille servante.

    --Il ne dnera pas!

    --Et son souper?

    --Il ne soupera pas!

    --Comment? dit Marthe en joignant les mains.

    --Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dansla maison! Mon oncle Lidenbrock nous met tous la ditejusqu'au moment o il aura dchiffr un vieux grimoire quiest absolument indchiffrable!

    --Jsus! nous n'avons donc plus qu' mourir de faim!

    Je n'osai pas avouer qu'avec un homme aussi absolu quemon oncle, c'tait un sort invitable.

    La vieille servante, srieusement alarme, retourna danssa cuisine en gmissant.

    Quand je fus seul, l'ide me vint d'aller tout conter Graben; mais comment quitter la maison? Et s'il

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  • m'appelait? Et s'il voulait recommencer ce travaillogogriphique, qu'on et vainement propos au vieilOEdipe! Et si je ne rpondais pas son appel,qu'adviendrait-il?

    Le plus sage tait de rester. Justement, un minralogistede Besanon venait de nous adresser une collection degodes siliceuses qu'il fallait classer. Je me mis au travail.Je triai, j'tiquetai, je disposai dans leur vitrine toutes cespierres creuses au-dedans desquelles s'agitaient de petitscristaux.

    Mais cette occupation ne m'absorbait pas; l'affaire du vieuxdocument ne laissait point de me proccuper trangement.Ma tte bouillonnait, et je me sentais pris d'une vagueinquitude. J'avais le pressentiment d'une catastropheprochaine.

    Au bout d'une heure, mes godes taient tages avecordre. Je me laissai aller alors dans le grand fauteuild'Utrecht, les bras ballants et la tte renverse. J'allumaima pipe long tuyau courbe, dont le fourneau sculptreprsentait une naade nonchalamment tendue; puis, jem'amusai suivre les progrs de la carbonisation, qui dema naade faisait peu peu une ngresse accomplie. Detemps en temps, j'coutais si quelque pas retentissait dansl'escalier. Mais non. O pouvait tre mon oncle en ce

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  • moment? Je me le figurais courant sous les beaux arbresde la route d'Altona, gesticulant, tirant au mur avec sacanne, d'un bras violent battant les herbes, dcapitant leschardons et troublant dans leur repos les cigognessolitaires.

    Rentrerait-il triomphant ou dcourag? Qui aurait raisonl'un de l'autre, du secret ou de lui? Je m'interrogeais ainsi,et, machinalement, je pris entre mes doigts la feuille depapier sur laquelle s'allongeait l'incomprhensible sriedes lettres traces par moi. Je me rptais:

    Qu'est-ce que cela signifie?

    Je cherchai grouper ces lettres de manire former desmots. Impossible. Qu'on les runit par deux, trois, ou cinq,ou six, cela ne donnait absolument rien d'intelligible; il yavait bien les quatorzime; quinzime et seizime lettresqui faisaient le mot anglais ice, et laquatre-vingt-quatrime, la quatre-vingt-cinquime et laquatre-vingt-sixime formaient le mot sir. Enfin, dans lecorps du document, et la deuxime et la troisimeligne, je remarquai aussi les mots latins rota,mutabile, ira, neo, atra.

    Diable, pensai-je, ces derniers mots sembleraient donnerraison mon oncle sur la langue du document! Et mme,

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  • la quatrime ligne, j'aperois encore le mot luco qui setraduit par bois sacr. Il est vrai qu' la troisime, on lit lemot tabiled de tournure parfaitement hbraque, et ladernire, les vocables mer, arc, mre, qui sontpurement franais.

    Il y avait l de quoi perdre la tte! Quatre idiomes diffrentsdans cette phrase absurde! Quel rapport pouvait-il existerentre les mots glace, monsieur, colre, cruel, bois sacr,changeant, mre, arc ou mer? Le premier et le dernierseuls se rapprochaient facilement; rien d'tonnant que,dans un document crit en Islande, il ft question d'unemer de glace. Mais de l comprendre le reste ducryptogramme, c'tait autre chose.

    Je me dbattais donc contre une insoluble difficult; moncerveau s'chauffait; mes yeux clignaient sur la feuille depapier; les cent trente-deux lettres semblaient voltigerautour de moi, comme ces larmes d'argent qui glissentdans l'air autour de notre tte, lorsque le sang s'y estviolemment port.

    J'tais en proie une sorte d'hallucination; j'touffais; il mefallait de l'air. Machinalement, je m'ventai avec la feuillede papier, dont le verso et le recto se prsentrentsuccessivement mes regards.

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  • Quelle fut ma surprise, quand, dans l'une de ces voltesrapides, au moment o le verso se tournait vers moi, jecrus voir apparatre des mots parfaitement lisibles, desmots latins, entre autres craterem et terrestre

    Soudain une lueur se fit dans mon esprit; ces seuls indicesme firent entrevoir la vrit; j'avais dcouvert la loi duchiffre. Pour lire ce document, il n'tait pas mmencessaire de le lire travers la feuille retourne! Non. Telil tait, tel il m'avait t dict, tel il pouvait tre pelcouramment. Toutes les ingnieuses combinaisons duprofesseur se ralisaient; il avait eu raison pour ladisposition des lettres, raison pour la langue du document!Il s'en fallut d'un rien qu'il pt lire d'un bout l'autre cettephrase latine, et ce rien, le hasard venait de me ledonner!

    On comprend si je fus mu! Mes yeux se troublrent. Je nepouvais m'en servir. J'avais tal la feuille de papier sur latable. Il me suffisait d'y jeter un regard pour devenirpossesseur du secret.

    Enfin je parvins calmer mon agitation. Je m'imposai la loide faire deux fois le tour de la chambre pour apaiser mesnerfs, et je revins m'engouffrer dans le vaste fauteuil.

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  • Lisons, m'criai-je, aprs avoir refait dans mes poumonsune ample provision d'air.

    Je me penchai sur la table; je posai mon doigtsuccessivement sur chaque lettre, et, sans m'arrter, sanshsiter, un instant, je prononai haute voix la phrase toutentire.

    Mais quelle stupfaction, quelle terreur m'envahit! Je restaid'abord comme frapp d'un coup subit. Quoi! ce que jevenais d'apprendre s'tait accompli! un homme avait euassez d'audace pour pntrer! ...

    Ah! m'criai-je en bondissant: mais non! mais non! mononcle ne le saura pas! Il ne manquerait plus qu'il vint connatre un semblable voyage! Il voudrait en goter aussi!Rien ne pourrait l'arrter! Un gologue si dtermin! ilpartirait quand mme, malgr tout, en dpit de tout! Et ilm'emmnerait avec lui, et nous n'en reviendrions pas!Jamais! jamais!

    J'tais dans une surexcitation difficile peindre.

    Non! non! ce ne sera pas, dis-je avec nergie, et, puisqueje peux empcher qu'une pareille ide vienne l'esprit demon tyran, je le ferai. A tourner et retourner cedocument, il pourrait par hasard en dcouvrir la clef!

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  • Dtruisons-le.

    Il y avait un reste de feu dans la chemine. Je saisis nonseulement la feuille de papier, mais le parchemin deSaknussem; d'une main fbrile j'allais prcipiter le tout surles charbons et anantir ce dangereux secret, quand laporte du cabinet s'ouvrit. Mon oncle parut.

    V

    Je n'eus que le temps de replacer sur la table lemalencontreux document.

    Le professeur Lidenbrock paraissait profondmentabsorb. Sa pense dominante ne lui laissait pas uninstant de rpit; il avait videmment scrut, analysl'affaire, mis en oeuvre toutes les ressources de sonimagination pendant sa promenade, et il revenait appliquerquelque combinaison nouvelle.

    En effet, il s'assit dans son fauteuil, et, la plume la main,il commena tablir des formules qui ressemblaient uncalcul algbrique.

    Je suivais du regard sa main frmissante; je ne perdaispas un seul de ses mouvements. Quelque rsultatinespr allait-il donc inopinment se produire? Je

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  • tremblais, et sans raison, puisque la vraie combinaison, laseule tant dj trouve, toute autre recherche devenaitforcment vaine.

    Pendant trois longues heures, mon oncle travailla sansparler, sans lever la tte, effaant, reprenant, raturant,recommenant mille fois.

    Je savais bien que, s'il parvenait arranger des lettressuivant toutes les positions relatives qu'elles pouvaientoccuper, la phrase se trouverait faite. Mais je savais aussique vingt lettres seulement peuvent former deuxquintillions, quatre cent trente-deux quatrillions, neuf centdeux trillions, huit milliards, cent soixante-seize millions, sixcent quarante mille combinaisons. Or, il y avait centtrente-deux lettres dans la phrase, et ces cent trente-deuxlettres donnaient un nombre de phrases diffrentescompos de cent trente-trois chiffres au moins, nombrepresque impossible numrer et qui chappe touteapprciation.

    J'tais rassur sur ce moyen hroque de rsoudre leproblme.

    Cependant le temps s'coulait; la nuit se fit; les bruits de larue s'apaisrent; mon oncle, toujours courb sur sa tche,ne vit rien, pas mme la bonne Marthe qui entr'ouvrit la

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  • porte; il n'entendit rien, pas mme la voix de cette digneservante, disant:

    Monsieur soupera-t-il ce soir?

    Aussi Marthe dut-elle s'en aller sans rponse: pour moi,aprs avoir rsist pendant quelque temps, je fus pris d'uninvincible sommeil, et je m'endormis sur un bout ducanap, tandis que mon oncle Lidenbrock calculait etraturait toujours.

    Quand je me rveillai, le lendemain, l'infatigable piocheurtait encore au travail. Ses yeux rouges, son teint blafard,ses cheveux entremls sous sa main fivreuse, sespommettes empourpres indiquaient assez sa lutte terribleavec l'impossible, et, dans quelles fatigues de l'esprit, dansquelle contention du cerveau, les heures durent s'coulerpour lui.

    Vraiment, il me fit piti. Malgr les reproches que je croyaistre en droit de lui faire, une certaine motion me gagnait.Le pauvre homme tait tellement possd de son ide,qu'il oubliait de se mettre en colre; toutes ses forces vivesse concentraient sur un seul point, et, comme elles nes'chappaient pas par leur exutoire ordinaire, on pouvaitcraindre que leur tension ne le ft clater d'un instant l'autre.

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  • Je pouvais d'un geste desserrer cet tau de fer qui luiserrait le crne, d'un mot seulement! Et je n'en fis rien.

    Cependant j'avais bon coeur. Pourquoi restai-je muet enpareille circonstance? Dans l'intrt mme de mon oncle.

    Non, non, rptai-je, non, je ne parlerai pas! Il voudrait yaller, je le connais; rien ne saurait l'arrter. C'est uneimagination volcanique, et, pour faire ce que d'autresgologues n'ont point fait, il risquerait sa vie. Je me tairai;je garderai ce secret dont le hasard m'a rendu matre; ledcouvrir, ce serait tuer le professeur Lidenbrock. Qu'il ledevine, s'il le peut; je ne veux pas me reprocher un jour del'avoir conduit sa perte.

    Ceci bien rsolu, je me croisai les bras, et j'attendis. Maisj'avais compt sans un incident qui se produisit quelquesheures de l.

    Lorsque la bonne Marthe voulut sortir de la maison pour serendre au march, elle trouva la porte close; la grosse clefmanquait la serrure.

    Qui l'avait te? Mon oncle videmment, quand il rentra laveille aprs son excursion prcipite.

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  • tait-ce dessein? tait-ce par mgarde? Voulait-il noussoumettre aux rigueurs de la faim? Cela m'et paru un peufort. Quoi! Marthe et moi, nous serions victimes d'unesituation qui ne nous regardait pas le moins du monde?Sans doute, et je me souvins d'un prcdent de nature nous effrayer. En effet, il y a quelques annes, l'poqueo mon oncle travaillait sa grande classificationminralogique, il demeura quarante-huit heures sansmanger, et toute sa maison dut se conformer cette ditescientifique. Pour mon compte, j'y gagnai des crampesd'estomac fort peu rcratives chez un garon d'un naturelassez vorace.

    Or, il me parut que le djeuner allait faire dfaut comme lesouper de la veille. Cependant je rsolus d'tre hroque etde ne pas cder devant les exigences de la faim. Martheprenait cela trs au srieux et se dsolait, la bonne femme.Quant moi, l'impossibilit de quitter la maison meproccupait davantage et pour cause. On me comprendbien.

    Mon oncle travaillait toujours; son imagination se perdaitdans le monde idal des combinaisons; il vivait loin de laterre, et vritablement en dehors des besoins terrestres.

    Vers midi, la faim m'aiguillonna srieusement; Marthe, trsinnocemment, avait dvor la veille les provisions du

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  • garde-manger; il ne restait plus rien la maison,Cependant je tins bon. J'y mettais une sorte de pointd'honneur.

    Deux heures sonnrent. Cela devenait ridicule, intolrablemme; j'ouvrais des yeux dmesurs. Je commenai medire que j'exagrais l'importance du document; que mononcle n'y ajouterait pas foi; qu'il verrait l une simplemystification; qu'au pis aller on le retiendrait malgr lui, s'ilvoulait tenter l'aventure; qu'enfin il pouvait dcouvritlui-mme la clef du chiffre, et que j'en serais alors pourmes frais d'abstinence.

    Ces raisons, que j'eusse rejetes la veille avec indignation,me parurent excellentes; je trouvai mme parfaitementabsurde d'avoir attendu si longtemps, et mon parti fut prisde tout dire.

    Je cherchais donc une entre en matire, pas tropbrusque, quand le professeur se leva, mit son chapeau etse prpara sortir.

    Quoi, quitter la maison, et nous enfermer encore! Jamais.

    Mon oncle! dis-je.

    Il ne parut pas m'entendre.

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  • Mon oncle Lidenbrock! rptai-je en levant la voix.

    --Hein? fit-il comme un homme subitement rveill.

    --Eh bien! cette clef?

    --Quelle clef? La clef de la porte?

    --Mais non, m'criai-je, la clef du document!

    Le professeur me regarda par-dessus ses lunettes; ilremarqua sans doute quelque chose d'insolite dans maphysionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sanspouvoir parler, il m'interrogea du regard. Cependant jamaisdemande ne fut formule d'une faon plus nette.

    Je remuai la tte de haut en bas.

    Il secoua la sienne avec une sorte de piti, comme s'il avaitaffaire un fou.

    Je fis un geste plus affirmatif.

    Ses yeux brillrent d'un vif clat; sa main devintmenaante.

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  • Cette conversation muette dans ces circonstances etintress le spectateur le plus indiffrent. Et vraiment j'enarrivais ne plus oser parler, tant je craignais que mononcle ne m'toufft dans les premiers embrassements desa joie. Mais il devint si pressant qu'il fallut rpondre.

    Oui, cette clef!... le hasard!...

    --Que dis-tu? s'cria-t-il avec une indescriptible motion.

    --Tenez, dis-je en lui prsentant la feuille de papier surlaquelle j'avais crit, lisez.

    --Mais cela ne signifie rien! rpondit-il en froissant la feuille.

    --Rien, en commenant lire par le commencement, maispar la fin...

    Je n'avais pas achev ma phrase que le professeurpoussait un cri, mieux qu'un cri, un vritable rugissement!Une rvlation venait de se faire, dans son esprit. Il taittransfigur.

    Ah! ingnieux Saknussemm! s'cria-t-il, tu avais doncd'abord crit ta phrase l'envers!

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  • Et se prcipitant sur la feuille de papier, l'oeil trouble, lavoix mue, il lut le document tout entier, en remontant de ladernire lettre la premire.

    Il tait conu en ces termes:

    _In Sneffels Yoculis craterem kem delibat umbra ScartarisJulii intra calendas descende, audas viator, et terrestrecentrum attinges. Kod feci. Arne Saknussem_.

    Ce qui, de ce mauvais latin, peut tre traduit ainsi:

    _Descends dans le cratre du Yocul de Sneffels quel'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes deJuillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre dela Terre. Ce que j'ai fait. Arne Saknussemm_,

    Mon oncle, cette lecture, bondit comme s'il etinopinment touch une bouteille de Leyde. Il taitmagnifique d'audace, de joie et de conviction. Il allait etvenait; il prenait sa tte deux mains; il dplaait lessiges; il empilait ses livres; il jonglait, c'est ne pas lecroire, avec ses prcieuses godes; il lanait un coup depoing par-ci, une tape par-l. Enfin ses nerfs se calmrentet, comme un homme puis par une trop grande dpensede fluide, il retomba dans son fauteuil.

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  • Quelle heure est-il donc? demanda-t-il aprs quelquesinstants de silence.

    --Trois heures, rpondis-je.

    --Tiens! mon dner a pass vite, Je meurs de faim. A table.Puis ensuite...

    --Ensuite?

    --Tu feras ma malle.

    --Hein! m'criai-je.

    --Et la tienne! rpondit l'impitoyable professeur en entrantdans la salle manger.

    VI

    A ces paroles, un frisson me passa par tout le corps.Cependant je me contins. Je rsolus mme de faire bonnefigure. Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrterle professeur Lidenbrock; or, il y en avait, et de bons,contre la possibilit d'un pareil voyage. Aller au centre dela terre! Quelle folie! Je rservai ma dialectique pour lemoment opportun, et je m'occupai du repas.

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  • Inutile de rapporter les imprcations de mon oncle devantla table desservie. Tout s'expliqua. La libert fut rendue la bonne Marthe. Elle courut au march et fit si bien,qu'une heure aprs ma faim tait calme, et je revenais ausentiment de la situation.

    Pendant le repas, mon oncle fut presque gai; il luichappait de ces plaisanteries de savant qui ne sontjamais bien dangereuses. Aprs le dessert, il me fit signede le suivre dans son cabinet.

    J'obis. Il s'assit un bout de sa table de travail, et moi l'autre.

    Axel, dit-il d'une voix assez douce, tu es un garon trsingnieux; tu m'as rendu l un fier service, quand, deguerre lasse, j'allais abandonner cette combinaison. O meserais-je gar? Nul ne peut le savoir! Je n'oublierai jamaiscela, mon garon, et de la gloire que nous allons acqurirtu auras ta part.

    Allons! pensai-je, il est de bonne humeur; le moment estvenu de discuter cette gloire.

    --Avant tout, reprit mon oncle, je te recommande le secretle plus absolu, tu m'entends? Je ne manque pas d'envieuxdans le monde des savants, et beaucoup voudraient

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  • entreprendre ce voyage, qui ne s'en douteront qu' notreretour.

    --Croyez-vous, dis-je, que le nombre de ces audacieux ftsi grand?

    --Certes! qui hsiterait conqurir une telle renomme? Sice document tait connu, une arme entire de gologuesse prcipiterait sur les traces d'Arne Saknussemm!

    --Voil ce dont je ne suis pas persuad, mon oncle, carrien ne prouve l'authenticit de ce document.

    --Comment! Et le livre dans lequel nous l'avons dcouvert!

    --Bon! j'accorde que ce Saknussemm ait crit ces lignes,mais s'ensuit-il qu'il ait rellement accompli ce voyage, etce vieux parchemin ne peut-il renfermer unemystification?

    Ce dernier mot, un peu hasard, je regrettai presque del'avoir prononc; le professeur frona son pais sourcil, etje craignais d'avoir compromis les suites de cetteconversation. Heureusement il n'en fut rien. Mon svreinterlocuteur baucha une sorte de sourire sur ses lvreset rpondit:

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  • C'est ce que nous verrons.

    --Ah! fis-je un peu vex; mais permettez-moi d'puiser lasrie des objections relatives ce document.

    --Parle, mon garon, ne te gne pas. Je te laisse toutelibert d'exprimer ton opinion. Tu n'es plus mon neveu,mais mon collgue. Ainsi, va.

    --Eh bien, je vous demanderai d'abord ce que sont ceYocul, ce Sneffels et ce Scartaris, dont je n'ai jamaisentendu parler?

    --Rien n'est plus facile. J'ai prcisment reu, il y a quelquetemps, une carte de mon ami Peterman, de Leipzig; elle nepouvait arriver plus propos. Prends le troisime atlasdans la seconde trave de la grande bibliothque, srie Z,planche 4.

    Je me levai, et, grce ces indications prcises, je trouvairapidement l'atlas demand. Mon oncle l'ouvrit et dit:

    Voici une des meilleures cartes de l'Islande, celle deHanderson, et je crois qu'elle va nous donner la solution detoutes tes difficults.

    Je me penchai sur la carte.

    Voyage au Centre de la Terre 48

  • Vois cette le compose de volcans, dit le professeur, etremarque qu'ils portent tous le nom de Yocul. Ce mot veutdire glacier en islandais, et, sous la latitude leve del'Islande, la plupart des ruptions se font jour travers lescouches de glace. De l cette dnomination de Yoculapplique tous les monts ignivomes de l'le.

    --Bien, rpondis-je, mais qu'est-ce que le Sneffels?

    J'esprais qu' cette demande il n'y aurait pas de rponse.Je me trompais. Mon oncle reprit:

    Suis-moi sur la cte occidentale de l'Islande. Aperois-tuReykjawik, sa capitale? Oui. Bien. Remonte les fjordsinnombrables de ces rivages rongs par la mer, etarrte-toi un peu au-dessous du soixante-cinquime degrde latitude. Que vois-tu l?

    --Une sorte de presqu'le semblable un os dcharn, quetermine une norme rotule.

    --La comparaison est juste, mon garon; maintenant,n'aperois-tu rien sur cette rotule?

    --Si, un mont qui semble avoir pouss en mer.

    --Bon! c'est le Sneffels.

    Voyage au Centre de la Terre 49

  • --Le Sneffels?

    --Lui-mme, une montagne haute de cinq mille pieds, l'unedes plus remarquables de l'le, et coup sr la plusclbre du monde entier, si son cratre aboutit au centredu globe.

    --Mais c'est impossible! m'criai-je en haussant les pauleset rvolt contre une pareille supposition.

    --Impossible! rpondit le professeur Lidenbrock d'un tonsvre. Et pourquoi cela?

    --Parce que ce cratre, est videmment obstru par leslaves, les roches brlantes, et qu'alors...

    --Et si c'est un cratre teint?

    --teint?

    --Oui. Le nombre des volcans en activit la surface duglobe n'est actuellement que de trois cents environ; mais ilexiste une bien plus grande quantit de volcans teints. Orle Sneffels compte parmi ces derniers, et, depuis les tempshistoriques, il n'a eu qu'une seule ruption, celle de 1219; partir de cette poque, ses rumeurs se sont apaises peu peu, et il n'est plus au nombre des volcans actifs.

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  • ces affirmations positives je n'avais absolument rien rpondre; je me rejetai donc sur les autres obscurits querenfermait le document.

    Que signifie ce mot Scartaris, demandai-je, et queviennent faire l les calendes de juillet?

    Mon oncle prit quelques moments de rflexion. J'eus uninstant d'espoir, mais un seul, car bientt il me rpondit ences termes:

    Ce que tu appelles obscurit est pour moi lumire. Celaprouve les soins ingnieux avec lesquels Saknussemm avoulu prciser sa dcouverte. Le Sneffels est form deplusieurs cratres; il y avait donc ncessit d'indiquer celuid'entre eux qui mne au centre du globe. Qu'a fait lesavant Islandais? Il a remarqu qu'aux approches descalendes de juillet, c'est--dire vers les derniers jours dumois de juin, un des pics de la montagne, le Scartaris,projetait son ombre jusqu' l'ouverture du cratre enquestion, et il a consign le fait dans son document.Pouvait-il imaginer une indication plus exacte, et une foisarrivs an sommet du Sneffels, nous sera-t-il possibled'hsiter sur le chemin prendre?

    Dcidment mon oncle avait rponse tout. Je vis bienqu'il tait inattaquable sur les mots du vieux parchemin. Je

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  • cessai donc de le presser ce sujet, et, comme il fallait leconvaincre avant tout, je passais aux objectionsscientifiques, bien autrement graves, mon avis.

    Allons, dis-je, je suis forc d'en convenir, la phrase deSaknussemm est claire et ne peut laisser aucun doute l'esprit. J'accorde mme que le document a un air deparfaite authenticit. Ce savant est all au fond duSneffels; il a vu l'ombre du Scartaris caresser les bords ducratre avant les calendes de juillet; il a mme entenduraconter dans les rcits lgendaires de son temps que cecratre aboutissait au centre de la terre; mais quant ytre parvenu lui-mme, quant avoir fait le voyage et entre revenu, s'il l'a entrepris, non, cent fois non!

    --Et la raison? dit mon oncle d'un ton singulirementmoqueur.

    --C'est que toutes les thories de la science dmontrentqu'une pareille entreprise est impraticable!

    --Toutes les thories disent cela? rpondit le professeur onprenant un air bonhomme. Ah! les vilaines thories!comme elles vont nous gner, ces pauvres thories!

    Je vis qu'il se moquait de moi, mais je continuainanmoins.

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  • Oui! il est parfaitement reconnu que la chaleur augmenteenviron d'un degr par soixante-dix pieds de profondeurau-dessous de la surface du globe; or, en admettant cetteproportionnalit constante, le rayon terrestre tant dequinze cents lieues, il existe au centre une temprature dedeux millions de degrs. Les matires de l'intrieur de laterre se trouvent donc l'tat de gaz incandescent, car lesmtaux, l'or, le platine, les roches les plus dures, nersistent pas une pareille chaleur. J'ai donc le droit dedemander s'il est possible de pntrer dans un semblablemilieu!

    --Ainsi, Axel, c'est la chaleur qui t'embarrasse?

    --Sans doute. Si nous arrivions une profondeur de dixlieues seulement, nous serions parvenus la limite del'corce terrestre, car dj la temprature est suprieure treize cents degrs.

    --Et tu as peur d'entrer en fusion?

    --Je vous laisse la question dcider, rpondis-je avechumeur.

    --Voici ce, que je dcide, rpondit le professeur Lidenbrocken prenant ses grands airs; c'est que ni toi ni personne nesait d'une faon certaine ce qui se passe l'intrieur du

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  • globe, attendu qu'on connat peine la douze millimepartie de son rayon; c'est que la science est minemmentperfectible et que chaque thorie est incessammentdtruite par une thorie nouvelle. N'a-t-on pas cru jusqu'Fourier que la temprature des espaces plantaires allaittoujours diminuant, et ne sait-on pas aujourd'hui que lesplus grands froids des rgions thres ne dpassent pasquarante ou cinquante degrs au-dessous de zro?Pourquoi n'en serait-il pas ainsi de la chaleur interne?Pourquoi, une certaine profondeur, n'atteindrait-elle pasune limite infranchissable, au lieu de s'lever jusqu'audegr de fusion des minraux les plus rfractaires?

    Mon oncle plaant la question sur le terrain deshypothses, je n'eus rien rpondre.

    Eh bien, je te dirai que de vritables savants, Poissonentre autres, ont prouv que, si une chaleur de deuxmillions de degrs existait l'intrieur du globe, les gazincandescents provenant des matires fonduesacquerraient une lasticit telle que l'corce terrestre nepourrait y rsister et claterait comme les parois d'unechaudire sous l'effort de la vapeur.

    --C'est l'avis de Poisson, mon oncle, voil tout.

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  • --D'accord, mais c'est aussi l'avis d'autres gologuesdistingus, que l'intrieur du globe n'est form ni de gaz nid'eau, ni des plus lourdes pierres que nous connaissions,car, dans ce cas, la terre aurait un poids deux fois moindre.

    --Oh! avec les chiffres on prouve tout ce qu'on veut!

    --Et avec les faits, mon garon, en est-il de mme? N'est-ilpas constant que le nombre des volcans aconsidrablement diminu depuis les premiers jours dumonde, et, si chaleur centrale il y a, ne peut-on en conclurequ'elle tend s'affaiblir?

    --Mon oncle, si vous entrez dans le champ dessuppositions, je n'ai plus discuter.

    --Et moi j'ai dire qu' mon opinion se joignent lesopinions de gens fort comptents. Te souviens-tu d'unevisite que me fit le clbre chimiste anglais Humphry Davyen 1825?

    --Aucunement, car je ne suis venu au monde que dix-neufans aprs.

    --Eh bien, Humphry Davy vint me voir son passage Hambourg. Nous discutmes longtemps, entre autresquestions, l'hypothse de la liquidit du noyau intrieur de

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  • la terre. Nous tions tous deux d'accord que cette liquiditne pouvait exister, par une raison laquelle la science n'ajamais trouv de rponse.

    --Et laquelle? dis-je un peu tonn.

    --C'est que cette masse liquide serait sujette commel'Ocan, l'attraction de la lune, et consquemment, deuxfois par jour, il se produirait des mares intrieures qui,soulevant l'corce terrestre, donneraient lieu destremblements de terre priodiques!

    --Mais il est pourtant vident que la surface du globe a tsoumise la combustion, et il est permis de supposer quela crote extrieure s'est refroidie d'abord, tandis que lachaleur se rfugiait au centre.

    --Erreur, rpondit mon oncle; la terre a t chauffe par lacombustion de sa surface, et non autrement. Sa surfacetait compose d'une grande quantit de mtaux, tels quele potassium, le sodium, qui ont la proprit des'enflammer au seul contact de l'air et de l'eau; ces mtauxprirent feu quand les vapeurs atmosphriques seprcipitrent en pluie sur le sol, et peu peu, lorsque leseaux pntrrent dans les fissures de l'corce terrestre,elles dterminrent de nouveaux incendies avecexplosions et ruptions. De l les volcans si nombreux aux

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  • premiers jours du monde.

    --Mais voil une ingnieuse hypothse! m'criai-je un peumalgr moi.

    --Et qu'Humphry Davy me rendit sensible, ici mme, parune exprience bien simple. Il composa une boulemtallique faite principalement des mtaux dont je viens deparler, et qui figurait parfaitement notre globe; lorsqu'onfaisait tomber une fine rose sa surface, celle-ci seboursouflait, s'oxydait et formait une petite montagne; uncratre s'ouvrait son sommet; l'ruption avait lieu etcommuniquait toute la boule une chaleur telle qu'ildevenait impossible de la tenir la main.

    Vraiment, je commenais tre branl par les argumentsdu professeur; il les faisait valoir d'ailleurs avec sa passionet son enthousiasme habituels.

    Tu le vois, Axel, ajouta-t-il, l'tat du noyau central asoulev des hypothses diverses entre les gologues; riende moins prouv que ce fait d'une chaleur interne; suivantmoi, elle n'existe pas; elle ne saurait exister; nous leverrons, d'ailleurs, et, comme Arne Saknussemm, noussaurons quoi nous en tenir sur cette grande question.

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  • Eh bien! oui, rpondis-je en me sentant gagner cetenthousiasme; oui, nous le verrons, si on y voit toutefois.

    --Et pourquoi pas? Ne pouvons-nous compter sur desphnomnes lectriques pour nous clairer, et mme surl'atmosphre, que sa pression peut rendre lumineuse ens'approchant du centre?

    --Oui, dis-je, oui! cela est possible, aprs tout,

    --Cela est certain, rpondit triomphalement mon oncle;mais silence, entends-tu! silence sur tout ceci, et quepersonne n'ait ide de dcouvrir avant nous le centre de laterre

    VII

    Ainsi se termina cette mmorable sance. Cet entretienme donna la fivre. Je sortis du cabinet de mon onclecomme tourdi, et il n'y avait pas assez d'air dans les ruesde Hambourg pour me remettre, je gagnai donc les bordsde l'Elbe, du ct du bac vapeur qui met la ville encommunication avec le chemin de fer de Harbourg

    tais-je convaincu de ce que je venais d'apprendre?N'avais-je pas subi la domination du professeurLidenbrock? Devais-je prendre au srieux sa rsolution

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  • d'aller au centre du massif terrestre? Venais-je d'entendreles spculations insenses d'un fou ou les dductionsscientifiques d'un grand gnie? En tout cela, o s'arrtait lavrit, o commenait l'erreur? Je flottais entre millehypothses contradictoires, sans pouvoir m'accrocher aucune,

    Cependant je me rappelais avoir t convaincu, quoiquemon enthousiasme comment se modrer; mais j'auraisvoulu partir immdiatement et ne pas prendre le temps dela rflexion. Oui, le courage ne m'et pas manqu pourboucler ma valise en ce moment.

    Il faut pourtant l'avouer, une heure aprs, cettesurexcitation tomba; mes nerfs se dtendirent, et desprofonds abmes de la terre je remontai sa surface.

    C'est absurde! m'criai-je; cela n'a pas le sens commun!Ce n'est pas une proposition srieuse faire un garonsens. Rien de tout cela n'existe. J'ai mal dormi, j'ai fait unmauvais rve.

    Cependant j'avais suivi les bords de l'Elbe et tourn la ville.Aprs avoir remont le port, j'tais arriv la routed'Altona. Un pressentiment me conduisait, pressentimentjustifi, car j'aperus bientt ma petite Graben qui, de sonpied leste, revenait bravement Hambourg.

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  • Graben! lui criai-je de loin.

    La jeune fille s'arrta, un peu trouble, j'imagine, des'entendre appeler ainsi sur une grande route. En dix pasje fus prs d'elle.

    Axel! fit-elle surprise. Ah! tu es venu ma rencontre!C'est bien cela, monsieur.

    Mais, en me regardant, Graben ne put se mprendre mon air inquiet, boulevers.

    Qu'as-tu donc? dit-elle en me tendant la main.

    --Ce que j'ai, Graben! m'criai-je.

    En deux secondes et en trois phrases ma jolie Virlandaisetait au courant de la situation. Pendant quelques instantselle garda le silence. Son coeur palpitait-il l'gal du mien?je l'ignore, mais sa main ne tremblait pas dans la mienne.Nous fmes une centaine de pas sans parler.

    Axel! me dit-elle enfin.

    --Ma chre Graben!

    --Ce sera l un beau voyage.

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  • Je bondis ces mots.

    Oui, Axel, et digne du neveu d'un savant. Il est bien qu'unhomme se soit distingu par quelque grande entreprise!

    --Quoi! Graben, tu ne me dtournes pas de tenter unepareille expdition?

    --Non, cher Axel, et ton oncle et toi, je vousaccompagnerais volontiers, si une pauvre fille ne devaittre un embarras pour vous.

    --Dis-tu vrai?

    --Je dis vrai.

    Ah! femmes, jeunes filles, coeurs fminins toujoursincomprhensibles! Quand vous n'tes pas les plus timidesdes tres, vous en tes les plus braves! La raison n'a quefaire auprs de vous. Quoi! cette enfant m'encourageait prendre part a cette expdition! Elle n'et pas craint detenter l'aventure. Elle m'y poussait, moi qu'elle aimaitcependant!

    J'tais dconcert et, pourquoi ne pas le dire, honteux.

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  • Graben, repris-je, nous verrons si demain tu parleras decette manire.

    --Demain, cher Axel, je parlerai comme aujourd'hui.

    Graben et moi, nous tenant par la main, mais gardant unprofond silence, nous continumes notre chemin, j'taisbris par les motions de la journe.

    Aprs tout, pensai-je, les calendes de juillet sont encoreloin et, d'ici l, bien des vnements se passeront quiguriront mon oncle de sa manie de voyager sous terre.

    La nuit tait venue quand nous arrivmes la maison deKnig-strasse. Je m'attendais trouver la demeuretranquille, mon oncle couch suivant son habitude et labonne Marthe donnant la salle manger le dernier coupde plumeau du soir.

    Mais j'avais compt sans l'impatience du professeur. Je letrouvai criant, s'agitant au milieu d'une troupe de porteursqui dchargeaient certaines marchandises dans l'alle; lavieille servante ne savait o donner de la tte.

    Mais viens donc, Axel; hte-toi donc, malheureux! s'criamon oncle du plus loin qu'il m'aperut, et ta malle qui n'estpas faite, et mes papiers qui ne sont pas en ordre, et mon

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  • sac de voyage dont je ne trouve pas la clef, et mes gutresqui n'arrivent pas!

    Je demeurai stupfait. La voix me manquait pour parler.C'est peine si mes lvres purent articuler ces mots:

    Nous partons donc?

    --Oui, malheureux garon, qui vas te promener au lieud'tre l!

    --Nous partons? rptai-je d'une voix affaiblie.

    --Oui, aprs-demain matin, la premire heure.

    Je ne pus en entendre davantage, et je m'enfuis dans mapetite chambre.

    Il n'y avait plus en douter; mon oncle venait d'employerson aprs-midi se procurer une partie des objets etustensiles ncessaires son voyage; l'alle taitencombre d'chelles de cordes noeuds, de torches, degourdes, de crampons de fer, de pics, de btons ferrs, depioches, de quoi charger dix hommes au moins.

    Je passai une nuit affreuse. Le lendemain je m'entendisappeler de bonne heure. J'tais dcid ne pas ouvrir ma

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  • porte. Mais le moyen de rsistera la douce voix quiprononait ces mots: Mon cher Axel?

    Je sortis de ma chambre. Je pensai que mon air dfait, mapleur, mes yeux rougis par l'insomnie allaient produireleur effet sur Graben et changer ses ides.

    Ah! mon cher Axel, me dit-elle, je vois que tu te portesmieux et que la nuit t'a calm.

    --Calm! m'criai-je.

    Je me prcipitai vts mon miroir. Eh bien, j'avais moinsmauvaise mine que je ne le supposais. C'tait n'y pascroire.

    Axel, me dit Graben, j'ai longtemps caus avec montuteur. C'est un hardi savant, un homme de grand courage,et tu te souviendras que son sang coule dans tes veines. Ilm'a racont ses projets, ses esprances, pourquoi etcomment il espre atteindre son but. Il y parviendra, je n'endoute pas. Ah! cher Axel, c'est beau de se dvouer ainsi la science! Quelle gloire attend M. Lidenbrock et rejaillirasur son compagnon! Au retour, Axel, tu seras un homme,son gal, libre de parler, libre d'agir, libre enfin de...

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  • La jeune fille, rougissante, n'acheva pas. Ses paroles meranimaient. Cependant je ne voulais pas croire encore notre dpart. J'entranai Graben vers le cabinet duprofesseur.

    Mon oncle, dis-je, il est donc bien dcid que nouspartons?

    --Comment! tu en doutes?

    --Non, dis-je afin de ne pas le contrarier. Seulement, jevous demanderai ce qui nous presse.

    --Mais le temps! le temps qui fuit avec une irrparablevitesse!

    --Cependant nous ne sommes qu'au 26 mai, et jusqu' lafin de juin ...

    --Eh! crois-tu donc, ignorant, qu'on se rende si facilementen Islande? Si tu ne m'avais pas quitt comme un fou, jet'aurais emmen au bureau-office de Copenhague, chezLiffender et Co. L, tu aurais vu que de Copenhague Reykjawik il n'y a qu'un service.

    --Eh bien?

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  • --Eh bien! si nous attendions au 22 juin, nous arriverionstrop tard pour voir l'ombre du Scartaris caresser le cratredu Sneffels; il faut donc gagner Copenhague au plus vitepour y chercher un moyen de transport. Va faire ta malle!

    Il n'y avait pas un mot rpondre. Je remontai dans machambre. Graben me suivit. Ce fut elle qui se chargea demettre en ordre, dans une petite valise, les objetsncessaires mon voyage. Elle n'tait pas plus mue ques'il se ft agi d'une promenade Lubeck ou Heligoland;ses petites mains allaient et venaient sans prcipitation;elle causait avec calme; elle me donnait les raisons lesplus senses en faveur de notre expdition. Ellem'enchantait, et je me sentais une grosse colre contreelle. Quelquefois je voulais m'emporter, mais elle n'yprenait garde et continuait mthodiquement sa tranquillebesogne.

    Enfin la dernire courroie de la valise fut boucle. Jedescendis au rez-de-chausse.

    Pendant cette journe les fournisseurs d'instruments dephysique, d'armes, d'appareils lectriques s'taientmultiplis. La bonne Marthe en perdait la tte.

    Est-ce que Monsieur est fou? me dit-elle.

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  • Je fis un signe affirmatif.

    Et il vous emmne avec lui?

    Mme affirmation.

    O cela? dit-elle.

    J'indiquai du doigt le centre de la terre.

    la cave? s'cria la vieille servante.

    --Non, dis-je enfin, plus bas!

    Le soir arriva. Je n'avais plus conscience du temps coul.

    demain matin, dit mon oncle, nous partons six heuresprcises.

    A dix heures je tombai sur mon lit comme une masseinerte.

    Pendant la nuit mes terreurs me reprirent.

    Je la passai rver de gouffres! J'tais en proie au dlire.Je me sentais treint par la main vigoureuse duprofesseur, entran, abm, enlis! Je tombais au fond

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  • d'insondables prcipices avec cette vitesse croissante descorps abandonns dans l'espace. Ma vie n'tait plusqu'une chute interminable.

    Je me rveillai cinq heures, bris de fatigue et d'motion.Je descendis la salle manger. Mon oncle tait table. Ildvorait. Je le regardai avec un sentiment d'horreur. MaisGraben tait l. Je ne dis rien. Je ne pus manger.

    cinq heures et demie, un roulement se fit entendre dansla rue. Une large voiture arrivait pour nous conduire auchemin de fer d'Altona. Elle fut bientt encombre des colisde mon oncle.

    Et ta malle? me dit-il.

    --Elle est prte, rpondis-je en dfaillant.

    --Dpche-toi donc de la descendre, ou tu vas nous fairemanquer le train!

    Lutter contre ma destine me parut alors impossible. Jeremontai dans ma chambre, et, laissant glisser ma valisesur les marches de l'escalier, je m'lanai sa suite.

    En ce moment mon oncle remettait solennellement entreles mains de Graben les rnes de sa maison. Ma jolie

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  • Virlandaise conservait son calme habituel. Elle embrassason tuteur, mais elle ne put retenir une larme en effleurantma joue de ses douces lvres.

    Graben! m'criai-je.

    --Va, mon cher Axel, va, me dit-elle, tu quittes ta fiance,mais tu trouveras ta femme au retour.

    Je serrai Graben dans mes bras, et pris place dans lavoiture. Marthe et la jeune fille, du seuil de la porte, nousadressrent un dernier adieu; puis les deux chevaux,excits par le sifflement de leur conducteur, s'lancrentau galop sur la route d'Altona.

    VIII

    Altona, vritable banlieue de Hambourg, est tte de lignedu chemin de fer de Kiel qui devait nous conduire aurivage des Belt. En moins de vingt minutes, nous entrionssur le territoire du Holstein.

    A six heures et demie la voiture s'arrta devant la gare; lesnombreux colis de mon oncle, ses volumineux articles devoyage furent dchargs, transports, pess, tiquets,rechargs dans le wagon de bagages, et sept heuresnous tions assis l'un vis--vis de l'autre dans le mme

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  • compartiment. La vapeur siffla, la locomotive se mit enmouvement. Nous tions partis.

    tais-je rsign? Pas encore. Cependant l'air frais dumatin, les dtails de la route rapidement renouvels par lavitesse du train me distrayaient de ma grandeproccupation.

    Quant la pense du professeur, elle devanaitvidemment ce convoi trop lent au gr de son impatience.Nous tions seuls dans le wagon, mais sans parler. Mononcle revisitait ses poches et son sac de voyage avec uneminutieuse attention. Je vis bien que rien ne lui manquaitdes pices ncessaires l'excution de ses projets.

    Entre autres, une feuille de papier, plie avec soin, portaitl'entte de la chancellerie danoise, avec la signature de M.Christiensen, consul Hambourg et l'ami du professeur.Cela devait nous donner toute facilit d'obtenir Copenhague des recommandations pour le gouverneur del'Islande.

    J'aperus aussi le fameux document prcieusement enfouidans la plus secrte poche du portefeuille. Je le maudis dufond du coeur, et je me remis examiner le pays. C'taitune vaste suite de plaines peu curieuses, monotones,limoneuses et assez fcondes: une campagne trs

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  • favorable l'tablissement d'un railway et propice ceslignes droites si chres aux compagnies de chemins de fer.

    Mais cette monotonie n'eut pas le temps de ma fatiguer,car, trois heures aprs notre dpart, le train s'arrtait Kiel, deux pas de la mer.

    Nos bagages tant enregistrs pour Copenhague, il n'y eutpas s'en occuper. Cependant le professeur les suivit d'unoeil inquiet pendant leur transport au bateau vapeur. Lils disparurent fond de cale.

    Mon oncle, dans sa prcipitation, avait si bien calcul lesheures de correspondance du chemin de fer et du bateau,qu'il nous restait une journe entire perdre. Le steamerl'Ellenora, ne partait pas avant la nuit. De l une fivre deneuf heures, pendant laquelle l'irascible voyageur envoya tous les diables l'administration des bateaux et desrailways et les gouvernements qui tolraient de pareilsabus. Je dus faire chorus avec lui quand il entreprit lecapitaine de l'Ellenora ce sujet. Il voulait l'obliger chauffer sans perdre un instant. L'autre l'envoya promener.

    A Kiel, comme ailleurs, il faut bien qu'une journe sepasse. A force de nous promener sur les rivagesverdoyants de la baie au fond de laquelle s'lve la petiteville, de parcourir les bois touffus qui lui donnent

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  • l'apparence d'un nid dans un faisceau de branches,d'admirer les villas pourvues chacune de leur petite maisonde bain froid, enfin de courir et de maugrer, nousatteignmes dix heures du soir.

    Les tourbillons de la fume de l'Ellenora, se dveloppaientdans le ciel; le pont tremblotait sous les frissonnements dela chaudire; nous tions bord et propritaires de deuxcouchettes tages dans l'unique chambre du bateau.

    A dix heures un quart les amarres furent largues, et lesteamer fila rapidement sur les sombres eaux du grandBelt.

    La nuit tait noire; il y avait belle brise et forte mer;quelques feux de la cte apparurent dans les tnbres;plus tard, je ne sais, un phare clats tincela au-dessusdes flots; ce fut tout ce qui resta dans mon souvenir decette premire traverse.

    A sept heures du matin nous dbarquions Korsor, petiteville situe sur la cte occidentale du Seeland. L noussautions du bateau dans un nouveau chemin de fer quinous emportait travers un pays non moins plat que lescampagnes du Holstein.

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  • C'tait encore trois heures de voyage avant d'atteindre lacapitale du Danemark. Mon oncle n'avait pas ferm l'oeilde la nuit. Dans son impatience, je crois qu'il poussait lewagon avec ses pieds.

    Enfin il aperut une chappe de mer.

    Le Sund! s'cria-t-il.

    Il y avait sur notre gauche une vaste construction quiressemblait un hpital.

    C'est une maison de fous, dit un de nos compagnons devoyage.

    --Bon, pensai-je, voil un tablissement o nous devrionsfinir nos jours! Et, si grand qu'il ft, cet hpital serait encoretrop petit pour contenir toute la folie du professeurLidenbrock!

    Enfin, dix heures du matin, nous prenions pied Copenhague; les bagages furent chargs sur une voitureet conduits avec nous l'htel du Phoenix dansBred-Gade. Ce fut l'affaire d'une demi-heure, car la gareest situe en dehors de la ville. Puis mon oncle, faisantune toilette sommaire, m'entrana sa suite. Le portier del'htel parlait l'allemand et l'anglais; mais le professeur, en

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  • sa qualit de polyglotte, l'interrogea en bon danois, et cefut en bon danois que ce personnage lui indiqua lasituation du Musum des Antiquits du Nord.

    Le directeur de ce curieux tablissement, o sontentasses des merveilles qui permettraient de reconstruirel'histoire du pays avec ses vieilles armes de pierre, seshanaps et ses bijoux, tait un savant, l'ami du consul deHambourg, M. le professeur Thomson.

    Mon oncle avait pour lui une chaude lettre derecommandation. En gnral, un savant en reoit assezmal un autre. Mais ici ce fut tout autrement. M. Thomson,en homme serviable, fit un cordial accueil au professeurLidenbrock, et mme son neveu. Dire que notre secretfut gard vis--vis de l'excellent directeur du Musum, c'est peine ncessaire. Nous voulions tout bonnement visiterl'Islande en amateurs dsintresss.

    M. Thomson se mit entirement notre disposition, etnous courmes les quais afin do chercher un navire enpartance.

    J'esprais que les moyens de transport manqueraientabsolument; mais il n'en fut rien. Une petite golettedanoise, la Valkyrie, devait mettre la voile le 2 juin pourReykjawik. Le capitaine, M. Bjarne, se trouvait bord; son

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  • futur passager, dans sa joie, lui serra les mains lesbriser. Ce brave homme fut un peu tonn d'une pareilletreinte. Il trouvait tout simple d'aller en Islande, puisquec'tait son mtier. Mon oncle trouvait cela sublime. Ledigne capitaine profita de cet enthousiasme pour nous fairepayer double le passage sur son btiment. Mais nous n'yregardions pas de si prs.

    Soyez bord mardi, sept heures du matin, dit M.Bjarne aprs avoir empoch un nombre respectable despecies-dollars.

    Nous remercimes alors M. Thomson de ses bons soins,et nous revnmes l'htel du Phoenix.

    Cela va bien! cela va trs bien, rptait mon oncle. Quelheureux hasard d'avoir trouv ce btiment prt partir!Maintenant djeunons, et allons visiter la ville.

    Nous nous rendmes Kongens-Nye-Torw, placeirrgulire o se trouve un poste avec deux innocentscanons braqus qui ne font peur personne. Tout prs, aun 5, il y avait une restauration franaise, tenue par uncuisinier nomm Vincent; nous y djeunmessuffisamment pour le prix modr de quatre markschacun[1].

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  • [1] 2fr. 75c. environ.

    Puis je pris un plaisir d'enfant parcourir la ville; mon onclese laissait promener; d'ailleurs il ne vit rien, ni l'insignifiantpalais du roi, ni le joli pont du dix-septime sicle quienjambe le canal devant le Musum, ni cet immensecnotaphe de Torwaldsen, orn de peintures muraleshorribles et qui contient l'intrieur les oeuvres de cestatuaire, ni, dans un assez beau parc, le chteaubonbonnire de Rosenborg, ni l'admirable dificerenaissance de la Bourse, ni son clocher fait avec lesqueues entrelaces de quatre dragons de bronze, ni lesgrands moulins des remparts, dont les vastes ailess'enflaient comme les voiles d'un vaisseau au vent de lamer.

    Quelles dlicieuses promenades nous eussions faites, majolie Virlandaise et moi, du ct du port o les deux-pontset les frgates dormaient paisiblement sous leur toiturerouge, sur les bords verdoyants du dtroit, travers cesombrages touffus au sein desquels se cache la citadelle,dont les canons allongent leur gueule noirtre entre lesbranches des sureaux et des saules!

    Mais, hlas! elle tait loin, ma pauvre Graben, etpouvais-je esprer de la revoir jamais!

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  • Cependant, si mon oncle ne remarqua rien de ces sitesenchanteurs, il fut vivement frapp par la vue d'un certainclocher situ dans l'le d'Amak, qui forme le quartiersud-ouest de Copenhague.

    Je reus l'ordre de diriger nos pas de ce ct; je montaidans une petite embarcation vapeur qui faisait le servicedes canaux, et, en quelques instants, elle accosta le quaide Dock-Yard.

    Aprs avoir travers quelques rues troites o desgalriens, vtus de pantalons mi-partie jaunes et gris,travaillaient sous le bton des argousins, nous arrivmesdevant Vor-Frelsers-Kirk. Cette glise n'offrait rien deremarquable. Mais voici pourquoi son clocher assez levavait attir l'attention du professeur: partir de laplate-forme, un escalier extrieur circulait autour de saflche, et ses spirales se droulaient en plein ciel.

    Montons, dit mon oncle.

    --Mais, le vertige? rpliquai-je.

    --Raison de plus, il faut s'y habituer.

    --Cependant...

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  • --Viens, te dis-je, ne perdons pas de temps. Il fallut obir.Un gardien, qui demeurait de l'autre ct de la rue, nousremit une clef, et l'ascension commena.

    Mon oncle me prcdait d'un pas alerte. Je le suivais nonsans terreur, car la tte me tournait avec une dplorablefacilit. Je n'avais ni l'aplomb des aigles ni l'insensibilit deleurs nerfs.

    Tant que nous fmes emprisonns dans la vis intrieure,tout alla bien; mais aprs cent cinquante marches l'air vintme frapper au visage; nous tions parvenus laplate-forme du clocher. L commenait l'escalier arien,gard par une frle rampe, et dont les marches, de plus enplus troites, semblaient monter vers l'infini.

    Je ne pourrai jamais! m'criai-je.

    --Serais-tu poltron, par hasard? Monte! rponditimpitoyablement le professeur.

    Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand airm'tourdissait; je sentais le clocher osciller sous lesrafales; mes jambes se drobaient; je grimpai bientt surles genoux, puis sur le ventre; je fermais les yeux;j'prouvais le mal de l'espace.

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  • Enfin, mon oncle me tirant par le collet, j'arrivai prs de laboule.

    Regarde, me dit-il, et regarde bien! il faut prendre _desleons d'abme!_

    Je dus ouvrir les yeux. J'apercevais les maisons aplaties etcomme crases par une chute, au milieu du brouillard desfumes. Au-dessus de ma tte passaient des nuageschevels, et, par un renversement d'optique, ils meparaissaient immobiles, tandis que le clocher, la boule,moi, nous tions entrans avec une fantastique vitesse.Au loin, d'un ct s'tendait la campagne verdoyante; del'autre tincelait la mer sous un faisceau de rayons. LeSund se droulait la pointe d'Elseneur, avec quelquesvoiles blanches, vritables ailes de goland, et dans labrume de l'est ondulaient les ctes peine estompes dela Sude. Toute cette immensit tourbillonnait mesregards.

    Nanmoins il fallut me lever, me tenir droit et regarder. Mapremire leon de vertige dura une heure. Quand enfin ilme fut permis de redescendre et de toucher du pied lepav solide des rues, j'tais courbatur.

    Nous recommencerons demain, dit mon professeur.

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  • Et en effet, pendant cinq jours, je repris cet exercicevertigineux, et, bon gr mal gr, je fis des progrssensibles dans l'art des hautes contemplations.

    IX

    Le jour du dpart arriva. La veille, le complaisant M.Thomson nous avait apport des lettres derecommandations pressantes pour le comte Trampe,gouverneur de l'Islande, M. Pietursson, le coadjuteur del'vque, et M. Finsen, maire de Reykjawik. En retour, mononcle lui octroya les plus chaleureuses poignes de main.

    Le 2, six heures du matin, nos prcieux bagages taientrendus bord de la Valkyrie. Le capitaine nous conduisit des cabines assez troites et disposes sous une espcede rouf.

    Avons-nous bon vent? demanda mon oncle.

    --Excellent, rpondit le capitaine Bjarne. Un vent desud-est. Nous allons sortir du Sund grand largue et toutesvoiles dehors.

    Quelques instants plus tard, la golette, sous sa misaine,sa brigantine, son hunier et son perroquet, appareilla etdonna pleine toile dans le dtroit. Une heure aprs la

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  • capitale du Danemark semblait s'enfoncer dans les flotsloigns et la Valkyrie rasait la cte d'Elseneur. Dans ladisposition nerveuse o je me trouvais, je m'attendais voir l'ombre d'Hamlet errant sur la terrasse lgendaire.

    Sublime insens! disais-je, tu nous approuverais sansdoute! tu nous suivrais peut-tre pour venir au centre duglobe chercher une solution ton doute ternel!

    Mais rien ne parut sur les antiques murailles; le chteauest, d'ailleurs, beaucoup plus jeune que l'hroque princede Danemark. Il sert maintenant de loge somptueuse auportier de ce dtroit du Sund o passent chaque annequinze mille navires de toutes les nations.

    Le chteau de Krongborg disparut bientt dans la brume,ainsi que la tour d'Helsinborg, leve sur la rive sudoise,et la golette s'inclina lgrement sous les brises duCattgat.

    La Valkyrie tait fine voilire, mais avec un navire voileson ne sait jamais trop sur quoi compter. Elle transportait Reykjawik du charbon, des ustensiles de mnage, de lapoterie, des vtements de laine et une cargaison de bl;cinq hommes d'quipage, tous Danois, suffisaient lamanoeuvrer.

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  • Quelle sera la dure de la traverse? demanda mononcle au capitaine.

    --Une dizaine de jours, rpondit ce dernier, si nous nerencontrons pas trop de grains de nord-ouest par le traversdes Fero.

    --Mais, enfin, vous n'tes pas sujet prouver des retardsconsidrables?

    --Non, monsieur Lidenbrock; soyez tranquille, nousarriverons.

    Vers le soir la golette doubla le cap Skagen la pointenord du Danemark, traversa pendant la nuit le Skager-Rak,rangea l'extrmit de la Norvge par le travers du capLindness et donna dans la mer du Nord.

    Deux jours aprs, nous avions connaissance des ctesd'Ecosse la hauteur de Peterheade, et la Valkyrie sedirigea vers les Fero en passant entre les Orcades et lesSeethland.

    Bientt notre golette fut battue par les vagues del'Atlantique; elle dut louvoyer contre le vent du nord etn'atteignit pas sans peine les Fero. Le 3, le capitainereconnut Myganness, la plus orientale de ces les, et,

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  • partir de ce moment, il marcha droit au cap Portland, situsur la cte mridionale de l'Islande.

    La traverse n'offrit aucun incident remarquable. Jesupportai assez bien les preuves de la mer; mon oncle, son grand dpit, et sa honte plus grande encore, necessa pas d'tre malade.

    Il ne put donc entreprendre le capitaine Bjarne sur laquestion du Sneffels, sur les moyens de communication,sur les facilits de transport; il dut remettra ses explications son arrive et passa tout son temps tendu dans sacabine, dont les cloisons craquaient par les grands coupsde tangage. Il faut l'avouer, il mritait un peu son sort.

    Le 11, nous relevmes le cap Portland; le temps, clairalors, permit d'apercevoir le Myrdals Yocul, qui le domine.Le cap se compose d'un gros morne pentes roides, etplant tout seul sur la plage.

    La Valkyrie se tint une distance raisonnable des ctes,en les prolongeant vers l'ouest, au milieu de nombreuxtroupeaux de baleines et de requins. Bientt apparut unimmense rocher perc jour, au travers duquel la mercumeuse donnait avec furie. Les lots de Westmansemblrent sortir de l'Ocan, comme une seme de rocssur la plaine liquide. A partir de ce moment, la golette prit

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  • du champ pour tourner bonne distance le capReykjaness, qui ferme l'angle occidental de l'Islande.

    La mer, trs forte, empchait mon oncle de monter sur lepont pour admirer ces ctes dchiquetes et battues parles vents du sud-ouest.

    Quarante-huit heures aprs, en sortant d'une tempte quifora la golette de fuir sec de toile, on releva dans l'estla balise de la pointe de Skagen, dont les rochesdangereuses se prolongent une grande distance sous lesflots. Un pilote islandais vint bord, et, trois heures plustard, la Valkyrie mouillait devant Reykjawik, dans la baie deFaxa.

    Le professeur sortit enfin de sa cabine, un peu ple, unpeu dfait, mais toujours enthousiaste, et