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p.325 « Mon intention est d’étudier la capacité de l’individu d’être seul, présumant que cette attitude conitue l’un des signes les plus importants de la maturité de développement ae#if. Au cours de presque tous nos traitements psychanalytiques, il y a des moments où cette aptitude à être seul eimportante pour le patient. Du point de vue clinique, cela peut se traduire par un épisode de silence ou une séance silencieuse. Loin d’être une manifeation de résiance, ce silence conitue en fait pour le patient un aboutissement. C’epeut -être là qu’il ecapable, pour la première fois, d’être seul. C’esur cet aspe# du transfert dans lequel le patient eseul au cours de la séance analytique que j’aimerais attirer l’attention. » « Il serait probablement vrai de dire que, dans la littérature psychanalytique, on a plus écrit sur la peur d’être seul, ou le désir d’être seul, que sur l’aptitude à être seul. L’état de repli, mécanisme de défense qui implique une attente de persécution, a fait aussi l’objet d’un grand nombre de travaux. La capacité d’être seul Donald Woods Winnicott (18971971) La capacité d ’être seul De la pédiatrie à la psychanalyse Payot - coll. Science de l’homme - Paris - 1969 ! " 1958 www.tabledesable."

[Winnicott] La Capacité d'Être Seul

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p.325 « Mon intention est d’étudier la capacité de l’individu d’être seul, présumant que cette attitude constitue l’un des signes les plus importants de la maturité de développement affe#if.

Au cours de presque tous nos t ra i tements psychanalytiques, il y a des moments où cette aptitude à être seul est importante pour le patient. Du point de vue clinique, cela peut se traduire par un épisode de silence ou une séance silencieuse. Loin d’être une manifestation de résistance, ce silence constitue en fait pour le patient un aboutissement. C’est peut-être là qu’il est capable, pour la première fois, d’être seul. C’est sur cet aspe# du transfert dans lequel le patient est seul au cours de la séance analytique que j’aimerais attirer l’attention. »

« Il serait probablement vrai de dire que, dans la littérature psychanalytique, on a plus écrit sur la peur d’être seul, ou le désir d’être seul, que sur l’aptitude à être seul. L’état de repli, mécanisme de défense qui implique une attente de persécution, a fait aussi l’objet d’un grand nombre de travaux.

La capacité d’être seul

Donald Woods Winnicott(1897–1971)

La capacité d ’être seul

De la pédiatrie à la psychanalysePayot - coll. Science de l’homme - Paris - 1969

!"1958

www.tabledesable."

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À mon avis, il est temps d’entreprendre une étude des aspe#s positifs de la capacité d’être seul. Il se peut qu’il y ait eu tentative isolées faites pour décrire cette capacité d’être seul, mais je n’en ai pas connaissance. Je me référerai au concept de S. Freud (1914) relatif à la relation anaclitique. »

p.326 « Relations à deux et relations à tro! »

« Rickman nous a habitué à l’idée de penser en termes de relations à trois et à deux personnes et nous parlerons souvent du complexe d’Œdipe comme stade durant lequel les relations triangulaires dominent le champ d’expérience. Tout essai de description du complexe d’Œdipe ne prenant que deux personnes en considération est vouée à l’échec. Il n’en existe pas moins des relations à deux : elles appartiennent à un stade relativement plus primitif de l’histoire de l’individu. La première relation de personne à personne est celle qui s’établit entre le petit enfant de sa mère ou le substitut maternel, avant qu’aucune qualité propre à la mère n’ai été isolée pour aboutir à l’idée d’un père. La conception Kleinienne de la position dépressive peut être décrite en termes de relations à deux et il serait peut-être juste de dire que la relation à deux est un trait cara#éristique de ce concept. »

« Après avoir pensé en termes de relations à trois ou à deux, il semblerait tout naturel de vouloir retrouver un stade encore plus primitif et de parler de relation à un ! À première vue, il pourrait sembler que le narcissisme soit justement cette relation – qu’il s’agisse d’une forme primitive du narcissisme secondaire ou du narcissisme primaire lui-même. Je suis

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cependant d’avis que ce bond en arrière d’un stade de relation à deux à un stade de relations de l’individu avec lui-même ne peut, en fait, être accompli sans porter atteinte à une grande partie de ce que nous avons appris par le travail analytique et par l’observation dire#e des mères et des petits enfants. »

« Être effectivement seul »

« On comprendra aisément que l’objet de mon étude n’est pas le fait d’être effe#ivement seul. Il se peut qu’un homme soit seul dans une cellule et soit incapable de supporter sa solitude. Les souffrances qu’il endure dépassent l’imagination. Beaucoup de personnes cependant sont capables, avant même d’être sortie de l’enfance, d’apprécier la solitude et elles peuvent même la considérer comme une possession des plus précieuses. »

« Cette capacité d’être seul est soit un phénomène très élaboré, qui apparait dans le développement individuel après l’établissement des relations à trois, soit un phénomène des premiers moments de la vie qui mérite une étude particulière parce qu’il est la base à partir de laquelle s’élabore la solitude. »

p.327 « Le paradoxe »

« Le point principal de cette étude peut maintenant être abordé. Bien que des expériences diverses et nombreuses contribuent à la formation de cette capacité d’être seul, il s’en trouve une qui est fondamentale. Si elle est insuffisante, son

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développement s’en trouve arrêté : il s’agit de l’expérience d ’être seul, en ta" que nourr#son et petit enfa", en présence de la mère. Le fondement de la capacité d’être seul est donc paradoxal puisque c’est l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un d’autre. »

« Ici intervient une relation d’un type plutôt particulier : celle qui existe entre le nourrisson ou le petit enfant, qui est seul, et la mère ou le substitut maternel sur la présence effe#ive desquels on peut compter, même si pendant un moment la mère n’est représentée que par le berceau ou le landau ou l’atmosphère générale de l’environnement immédiat. J’aimerais suggérer un nom pour ce type particulier de relation. »

« Personnellement, j’utilise volontiers le terme relation au moi (ego relatedn$s) qui convient en ce sens qu’il contraste assez nettement avec celui de relation pulsionne%e (id relatio&hip), cet élément qui perturbe sans cesse ce qu’on pourrait appeler la vie du moi. »

« La relation au moi décrit cette relation entre deux personnes dont l’une, en tout cas, est seule ; peut-être les deux sont-elles seules, pourtant la présence de chacune importe à l’autre. Je pense que si l’on compare la signification du mot Like (aimer bien) à celle du mot Love (aimer d’amour), on s’aperçoit que le premier est du domaine de la relation au moi alors que le second est plutôt une question de relations pulsionnelles, sous une forme brute ou sublimée. »

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p.328 « La scène p#mitive »

« Il serait possible de dire que la capacité d’un individu d’être seul est fondée sur son aptitude à affronter les sentiments suscités par la scène primitive. Dans la scène primitive, l’excitation du coït entre les parents est perçue ou imaginée. Ce rapport est accepté par l’enfant qui est en bonne santé, capable de maîtriser la haine et de la canaliser au service de la masturbation. »

« Dans la masturbation, l’entière responsabilité du fantasme, conscient ou inconscient, est acceptée par l’enfant qui est le troisième personnage de la relation triangulaire. Être capable d’être seul, dans ces circonstances, implique une maturité du développement érotique, une puissance génitale, ou l’acceptation correspondante de la féminité ; cela suppose une union des pulsions et des idées agressives et érotiques ainsi qu’une tolérance de l’ambivalence; naturellement, la capacité de l’individu de s’identifier à chacun des parents va de pair. »

« On pourrait compliquer une telle étude presque à l’infini, la capacité d’être seul étant presque synonyme de maturité affe#ive. »

« Le bon objet inté#o#sé »

« Je vais essayer maintenant d’employer un autre langage, celui qui résulte des travaux de Mélanie Klein. La capacité d’être seul repose sur l’existence, dans la réalité psychique de

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l’individu, d’un bon objet. Le bon sein ou le bon pénis intériorisés, ou les bonnes relations intériorisées, sont suffisamment bien établis et défendus pour que l’individu ait confiance (du moins pour le moment) dans le présent et dans l’avenir. La relation de l’individu avec ses objets internes, qui va de pair avec une confiance dans les relations internes, fournit à el le seule assez pour vivre, de sorte que, temporairement, il est capable d’être heureux, même en l’absence d’objets et de stimulations externes. La maturité et la capacité d’être seul impliquent que l’individu a eu la chance, grâce à des soins maternels suffisamment bons (good enough), d’édifier sa confiance en un environnement favorable. Il y est parvenu par la répétition de gratifications instinctuelles satisfaisantes. »

p.329 « Dans le langage Kleinien, on se réfère donc au stade plus primitif du développement de l’individu que celui du règne du classique complexe d’Œdipe. Cela suppose néanmoins que le moi ait atteint un degré considérable de maturité et que l’individu ait réalisé son unité. Autrement, quel sens cela aurait-il de se référer à l’intérieur et à l’extérieur ou de donner une signification particulière aux fantasmes internes ? En termes négatifs, il faut que l’individu n’ait que peu d’angoisse de persécution ? En termes positifs, les bons objets internes font partie du monde personnel intérieur de l’individu et sont prêts à être projetés le moment voulu. »

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« Être seul à un $ade d’immatu#té »

« La question que l’on se pose maintenant est celle-ci : un enfant, ou un nourrisson, peut-il être vraiment seul à un stade très primitif alors que l’immaturité du moi rend impossible une description de cet état suivant les termes que nous venons d’employer ? C’est là la partie essentielle de ma thèse : il nous faut pouvoir parler d’une forme non élaborée de solitude; même si nous convenions que la capacité d’être vraiment seul correspond à une élaboration, l’aptitude à la solitude authentique a ses fondements dans cette première expérience d’être seul en présence de quelqu’un. Être seul en présence de quelqu’un est un fait qui peut intervenir à un stade très primitif, au moment où l’immaturité du moi $t compe&ée de façon nature%e par le support du moi offert par la mère. Puis vient le temps où l’individu intériorise cette mère-support du moi et devient ainsi capable d’être seul sans recourir à tout moment à la mère ou au symbole maternel. »

« “Je su! seul ” »

« J’aimerais maintenant aborder ce sujet d’une manière différente par l’étude des mots “Je suis seul”.

Nous avons tout d’abord le mot “Je”, qui implique un degré important du développement affe#if. L’individu a réalisé son unité, l’intégration est un fait. Le monde extérieur est aboli et une vie intérieure est devenue possible. Il s’agit simplement ici d’une définition topographique de la personnalité en tant que chose, en tant qu’organisation d’un

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noyau du moi. À ce point, on ne se réfère pas à l’existence (living).

Puis viennent les mots “Je suis”, qui représentent un stade du [// p.330] développement individuel. Par ces mots, l’individu prend forme et vie. »

« Dans les débuts du “Je suis”, l’individu est (pour ainsi dire) à l’état brut, sans défense, vulnérable, paranoïde en puissance. Il ne peut réussir à passer ce stade du “Je suis” que parce qu’il existe un environnement qui le protège. Cet environnement prote#eur, c’est en fait la mère, préoccupée de son petit enfant; son identification à son enfant la rend apte à comprendre les besoins du moi de celui-ci. Point n’est besoin de postuler, de la part du nourrisson, une perception de la mère à ce stade du “Je suis”. »

« J’en arrive maintenant aux mots : “Je suis seul”. Selon la théorie que j’avance, il est indispensable qu’à ce nouveau stade le petit enfant puisse se rendre compte de l’existence in inter rompue de l a mère . Par l à , j e ne veux pa s nécessairement parler d’une prise de conscience mentale. Je considère cependant que “Je suis seul” est une amplification de “Je suis” qui dépend de la conscience qu’a le petit enfant de l’existence ininterrompue d’une mère à laquelle on peut se fier; la sécurité qu’elle apporte ainsi lui rend possible d’être seul et de jouir d’être seul, pour une durée limitée. »

« De cette façon, j’essaie de justifier ce paradoxe que la capacité d’être seul est basée sur l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un et que si cette expérience est insuffisante, la capacité d’être seul ne parvient pas à se développer. »

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« “Relation au moi” (égo-relatedness) »

« Maintenant, si je suis dans le vrai à propos de ce paradoxe, il devient intéressant d’examiner la nature de la relation du petit enfant avec sa mère, relation que j’ai appelée relation au moi pour les besoins de cet article. On verra que j’attache une grande importance à cette relation car je considère qu’elle est la matière à partir de laquelle se forme l’amitié. La matrice du tra&fert s’y trouve peut être aussi. »

« Il y a une autre raison pour laquelle j’attache une importance particulière à cette notion de relation au moi et, afin de m’exprimer clairement, il me faut faire une petite digression. »

« Je pense que l’on sera généralement d’accord qu’une pulsion instin#uelle n’a de signification que si elle s’inscrit dans l’existence du moi, soit une pulsion intellectuelle démembre un moi faible, soit qu’elle fortifie un moi fort. [...] l$ relatio& i&tin)ue%$ fortifie le moi lorsqu’e%$ s’i&crive" da& le cadre d ’une relation au moi. Cela accepté, il en découle une compréhension de l’importance de la capacité d’être seul. C’est seulement lorsqu’il est [// p.331] seul (c’est-à-dire en présence de quelqu’un) que le petit enfant peut découvrir sa vie personnelle. »

« Le terme pathologique de l’alternative est une existence fausse, construite sur des relations à des excitations externes. Quand il est seul dans le sens où j’emploie ce mot, et seulement quand il est seul, le petit enfant est capable de faire l’équivalent de ce qui s’appellerait se détendre chez un adulte. Il est alors capable de parvenir à un état de non-intégration, à

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un état où il n’y a pas d’orientation; il s’ébat et, pendant un temps, il lui est donné d’exister sans être soit en réa#ion contre une immixtion extérieure, soit une personne a#ive dont l’intérêt ou le mouvement suit une dire#ion. Le terrain est prêt pour une expérience instinctuelle. Arrive une perception ou une pulsion; dans ce cadre, la perception ou la pulsion sera ressentie comme réelle et constituera vraiment une expérience personnelle. »

« Nous allons voir maintenant pourquoi il est important que quelqu’un se trouve là, que quelqu’un soit présent sans pourtant rien exiger; la pulsion étant là, l’expérience instin#uelle peut alors porter ses fruits et l’objet peut être partie ou tout de la personne qui le soigne, à savoir la mère. C’est seulement dans ces conditions qu’un enfant peut avoir une expérience qu’il ressent comme réelle. Un grand nombre d’expériences de ce genre forment la base d’une vie riche de réalité, et non pleine de futilité. L’individu qui possède cette capacité d’être seul est constamment capable de redécouvrir la pulsion personnelle, pulsion qui n’est pas expérimentée en vain parce que l’état de solitude est un état qui (paradoxalement) implique toujours la présence de quelqu’un d’autre. »

« Par la suite, l’individu devient capable de renoncer à la présence effe#ive d’une mère ou d’un substitut maternel. Ce phénomène a été décrit comme celui de l’édification d’un “environnement interne” et il s’agit d’un phénomène plus primitif que celui appelé “introje#ion de la mère”. »

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p.333 « Résumé »

« La capacité d’être seul est un phénomène très élaboré et de nombreux fa#eurs contribuent à son établissement. Elle est en relation étroite avec une maturité affe#ive.

Le fondement de la capacité d’être seul est l’expérience vécue d’être seul en présence de quelqu’un. De cette façon, un petit enfant, dont l’organisation du moi est faible, est capable d’être seul grâce à un soutien du moi faible. »

« Le type de relation qui existe entre le petit enfant et la mère – qui agit en tant que soutien du moi – mérite une étude particulière. Bien que d’autres termes aient été utilisés, je suis d’avis que l’expression “relation au moi” (ego-relatedn$s) pourrait convenir temporairement. »

« Dans le cadre de la relation au moi interviennent des relations instin#uelles qui fortifient, plutôt qu’elles ne le troublent, le moi qui n’est pas encore organisé.

Graduellement, l’environnement qui sert de support au moi est introje#é et sert à l’édification de la personnalité de l’individu, si bien que se forme une capacité d’être vraiment seul. Mais ainsi, théoriquement, il y a toujours quelqu’un de présent, quelqu’un qui, en fin de compte et inconsciemment, est assimilé à la mère, celle qui, durant les premiers jours et les premières semaines, s’était identifiée temporairement à son petit enfant et pour laquelle rien ne comptait d’autre, au cours de cette période, que les soins à lui apporter. »

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