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Jérémie Souteyrat pour Zoom Japon www.zoomjapon.info gratuit numéro 59 - avril 2016 Design à tous les étages CULTURE Triennale de Setouchi p. 20 VOYAGE Un pont trop beau p. 26

Zoom Japon 059

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Zoom Japon, numéro 59 (Avril 2016)

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Jérémie Souteyrat pour Zoom Japon

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Designà tous les étages

CULTURETriennale deSetouchi p. 20

VOYAGEUn pont trop beau p. 26

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10 rue Saint-Floren�n 75001 Paris Madeleine, ConcordeTél : 01 42 60 13 00www.toraya-group.co.jp/paris/

ÉDITOSimplicitéParmi les nombreuxaspects que nous appré-cions de la culture japo-naise figure en bonneplace le design. Il estvrai que depuis plu-sieurs années, nous

avons appris à aimer les objets imaginés pardes créateurs japonais. Ils nous plaisentparce que, la plupart du temps, ils sont utileset en même temps d’une simplicité formellequi force l’admiration. Pour ce premiernuméro du printemps, Zoom Japon a cher-ché à explorer cet univers du design dontl’histoire n’est pas récente. En effet, il fautremonter plusieurs siècles en arrière pourdécouvrir les motivations des artisans japo-nais qui ont su concevoir des produits auxformes souvent élégantes pour notre plusgrand plaisir. Bonne lecture.

LA RÉ[email protected]

ENVIRONNEMENT Pas de répitpour les baleinesSelon l’agence chargée de la pêche,

333 baleines de Minke ont été tuées. Le

Japon, qui lance régulièrement des

campagnes de chasse à la baleine sous

couvert d’expéditions scientifiques, n’a

jamais caché son goût pour la viande de

cétacés et défend cette pratique au nom

du patrimoine culinaire. L’industrie

baleinière a connu son essor après la

Seconde Guerre mondiale, pour nourrir

un pays affamé.

SCIENCE Le robot nousraconte des histoiresLe métier de romancier pourrait

bientôt disparaître avec l’émergence

des robots et autres programmes

d’intelligence artificielle. Une nouvelle

intitulée Konpyuta ga shôsetsu wo kaku

hi [Le jour où une machine a écrit un

roman] et co-écrite par un

programme d’intelligence artificielle a

été sélectionnée au prestigieux

concours littéraire Nikkei Hoshi

Shinichi Literary Award.

Telle est la durée du

trajet entre Tôkyô et

Shin-Hakodate, sur

l’île de Hokkaidô, après l’ouverture, le

26 mars, du nouveau tronçon

ferroviaire à grande vitesse. Il faudra

attendre au moins jusqu’à 2031 pour

que Sapporo soit le très attendu

terminus de cette nouvelle ligne.

4h02

L E REGARD D’ERIC RECHSTEINER

Pour leur déjeuner, les salariés, qui n’ont pas ramené leur bentô de la maison, ont l’embarras du choix avecune multitude de restaurants proposant des menus à bon prix. Mais avec l’arrivée des beaux jours, certainsd’entre eux préfèrent acheter un bentô qu’ils mangeront dans un parc ou dans un lieu tranquille avec des col-lègues. L’occasion de goûter quelques spécialités comme la langue de bœuf venue de la région de Sendai.

Quartier de Sendagaya, à Tôkyô

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Couverture : Jérémie Souteyrat pour Zoom Japon.

ZOOM ACTU

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ZOOM ACTU

D ans la région d’Ishinomaki dévastéepar le séisme, il y a ceux qui l’ontquittée après avoir tout perdu. Mais il

y a aussi ceux qui y reviennent pour faire revivreet développer leur région meurtrie. Ce phénomènebaptisé “U-Turn” (demi-tour) marque le retourdes gens qui regagnent leur ville natale pour ytravailler. Après avoir acquis ailleurs différents savoir-faire,ils profitent de leur retour pour réaliser leurrêve en créant de nouveaux projets professionnelset en tissant de nouveaux liens entre les gens.Nous avons enquêté sur ces jeunes pour qui l’at-tachement au pays natal est une source de dyna-misme pour toute la région.C’est le cas de SUzUKI Kimiko. Originaire duquartier d’Inai à Ishinomaki, cette jeune femmede 31 ans est revenue au printemps 2015 aprèsun séjour de plusieurs années à Tôkyô. Elletravaille actuellement au sein de l’associationHamanone (la racine de la plage) dans le quartierde Momonoura dont le but est de reconstruire

la péninsule d’Ojika. Tout en s’occupant de lagalerie gérée par cette organisation, Kimikocontinue à dessiner.A sa sortie du lycée pour filles d’Ishinomaki (ac-tuellement le lycée Sakurazaka), elle a poursuivises études de dessin dans une école privée àSendai, où elle a pu utiliser son talent pour ef-fectuer quelques petits boulots. A 24 ans, undéclic s’est opéré quand ses parents l’ont encou-ragée à parfaire sa formation de dessinatricedans la capitale. Elle a ainsi quitté sa région na-tale.Lors du séisme du 11 mars 2011, la maison deses parents a été à moitié détruite. Immédiatement,elle a voulu rentrer, mais ses parents lui ont dé-conseillé. “Certains ont perdu la vie sans pouvoir

Partis tenter l’aventure ailleurs, ils sontnombreux à revenir dans leur ville natalepour participer à sa renaissance.

SÉRIE Les bonnes recettes d’Ishinomaki

réaliser leur rêve. Alors, toi, si tu as encore unrêve, tu te dois de persévérer”, lui ont-ils dit pourjustifier leur position. Ces paroles l’ont encouragéeà réaliser sa première exposition personnelle.Par la suite, elle a multiplié les occasions de pré-senter ses œuvres.Il se trouve qu’à la fin 2014, Hamanone lui afait une proposition en rapport avec les chevreuilsde la péninsule d’Ojika (chevreuil en japonais).Très motivée par ce projet, Kimiko s’est décidéeà faire son retour. “Non seulement je suis là pourla région, mais je peux également continuer à des-siner”, se réjouit-elle. Si, juste après la catastrophe,elle a hésité à revenir, elle se sent aujourd’huisoulagée d’être revenue.Une partie de son travail concerne le dessin. “A

Nous avons entamé depuis plusieurs mois lapublication d’une série d’articles rédigés parl’équipe de l’Ishinomaki Hibi Shimbun dans le butd’informer les lecteurs sur la situation dans l’unedes villes les plus sinistrées par le séisme du11 mars 2011. Malgré ses difficultés, ce quoti-dien local continue à enquêter et à apporterchaque jour son lot d’informations. Si vous voulezle soutenir dans sa tâche, vous pouvez vous abon-ner à sa version électronique pour 1 000 yens(moins de 7 euros) par mois :https://newsmediastand.com/nms/N0120.do?com-mand=enter&mediaId=2301

La clientèle apprécie la grande variété de plats que propose SUZUKI Takaya dans son établissement.

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Remplacer

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Ishinomaki, j’ai trouvé qu’il manquait d’événementsculturels. Mon rêve est que les gens se familiarisentau dessin et à la peinture par le biais de l’environ-nement”, explique-t-elle. Jusqu’à présent, ellen’avait jamais trop réfléchi sur les raisons de sonattachement à la région. Mais tout est désormaisclair dans sa tête. “On y mange bien. On progressetous ensemble et on rencontre plein de personnesintéressantes. C’est un bonheur de pouvoir dessinerà Ishinomaki, tout en vivant avec ma famille”,lance-t-elle avec un sourire.En travaillant à Tôkyô, dans différents bistrots,restaurants japonais, italiens et autres établisse-ments, SuzuKI Takaya a appris de nombreusesrecettes de cuisine. Elevé dans le quartier d’ao-bahigashi, ce jeune de 30 ans est revenu à Ishi-nomaki à l’automne 2014 pour y ouvrir, quelquesmois plus tard, son restaurant baptisé IshinomakiBar - Datcha dans le quartier de Tatemachi.Situé dans une petite ruelle, ce lieu à l’atmosphèreunique attire une nouvelle clientèle de jeunesen quête de nouveauté.a sa sortie du lycée d’Ishinomaki, Takaya aconsacré la plupart de son temps à des activitésmusicales. Il gagnait alors sa vie en travaillantdans un restaurant chinois. Pour réaliser sonrêve et devenir musicien professionnel, il estparti à Tôkyô et a formé son propre groupe.Mais pour subvenir à ses besoins, il a dû continuerà travailler dans différents restaurants. Commeil refusait de bosser pour de grandes chaînes derestauration, il a choisi des établissements dontles profils culinaires étaient originaux. au fil desmois, il a pu ainsi enrichir sa palette et se doterd’un grand savoir-faire culinaire.En dépit de nombreux concerts, son groupe n’apas réussi à percer. Ses albums n’ont pas rencontréle succès, malgré une bonne distribution partoutau Japon. Les quatre membres du groupe ontdû se séparer pour suivre chacun leur chemin.Takaya a alors fait le choix d’ouvrir un restauranten restant à Tôkyô. “Mais l’acquisition d’un localallait me coûter des millions de yens. A Ishinomakien pleine reconstruction, je me suis dit que je

pourrai trouver un local plus facilement”, raconte-t-il. C’est ce qui l’a décidé à revenir dans sa villenatale.Désireux de jouer sur le côté très populaire despetites ruelles, Takaya a trouvé un local, dans lequartier de Tatemachi, lequel correspondait àcette ambiance. “Si les passants sont attirés parun tel lieu, c’est un bon déclic. Après c’est à moi demettre en avant mon talent de cuisinier”, affirme-t-il avec confiance. Il n’entend pas se contenterde rester à Ishinomaki. Son objectif est d’ouvrirune dizaine d’établissements dans les villes d’Ona-gawa, Kesennuma et même à Tôkyô !Takaya cogite sa tactique de conquête tout ensolidifiant sa base financière. “Où que l’on soit,l’important c’est de savoir ce qu’on veut vraiment.A Tôkyô, la chance peut vous sourire plusieursmilliers de fois plus qu’à Ishinomaki, mais laconcurrence est très, très dure. Finalement, il estplus probable de réussir à Ishinomaki qu’à Tôkyô”,reconnaît-il. Dans sa ville qu’il connaît bien, lejeune homme peut s’organiser et bien préparerl’avenir. C’est le début d’un plus grand défi.Ishinomaki 2.0, l’organisme qui œuvre pour lareconstruction de la ville, a lancé un plan d’aideaux réaménagements des maisons vacantes. Sondirecteur, MaTSuMura Gôta souligne la nécessitépour les habitants de faire preuve d’ouvertured’esprit pour accueillir non seulement les per-sonnes concernées par le phénomène du “u-Turn”, mais également les nouveaux arrivants.“Après le séisme, de nombreuses associations sontvenues à Ishinomaki, avec leur savoir-faire, leursexpériences et leurs ressources humaines. Elles ontaccepté les autres à bras ouverts. Grâce à ce travail,cela ne peut qu’encourager toutes les personnesqui souhaitent revenir dans une ville qui en abien besoin”, insiste-t-il.avec une telle envie d’accueillir ceux qui re-viennent et ceux qui viennent tenter leur chance,notre ville continuera de vivre. a Ishinomaki,nombreux sont ceux et celles qui débordent derêves et d’espoir.

ISHIMORI HIROSHI

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L ’exposition autour du zakka (le terme faitréférence à tout objet qui permet d'amé-liorer le quotidien) qui se déroule en ce

moment à Tôkyô regroupe une multitude d'objetsen acier, en plastique, et en papier de toute natureet de toute forme. Cependant on n'y trouve pasla collection composée d'objets en aluminium etrassemblée par le designer OnIshI seiji. Elle sem-ble être mieux connue à l'étranger qu'au Japonpuisqu'elle a déjà été présentée trois fois enEurope. Elle est d'ailleurs actuellement exposéeà la Maison de l'architecture Poitou-Charentesà Poitiers. né en 1944, OnIshI seiji a grandi àune époque où les objets en aluminium étaientmonnaie courante. Il a donc amassé au fil des ansdes centaines de jouets, d'objets du quotidiencomme des bouilloires et des ustensiles de cuisineproduits pour la plupart pendant la première moi-tié du siècle dernier. Il les a ensuite dépouillés deleurs décorations pour qu'ils retrouvent leur étatinitial. Dans le plus simple appareil que leur confè-

Les produits japonais sont réputéspour leur qualité et leur beauté. Nousen avons cherché les fondements.

ZOOM DOSSIER

C’est dans leur plus simple présentation que les objets du quotidien au Japon révèlent leur beauté.

Le design à portée de main

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rent l'anonymat et la nudité matérielle, ils expri-ment une certaine poésie propre aux objets duquotidien. Zoom Japon a rencontré OnIshI seijidans le quartier branché de Daikan-yama à Tôkyôpour discuter de la dimension intemporelle deces humbles produits.

Quelle est la taille de votre collection ?ONISHI Seiji : Je pense qu'elle doit comporterenviron 500 pièces. Mais je ne connais pas le chif-fre exact, car je n'ai jamais eu le temps d'en fairele tour. Aussi chaque fois qu'on me demande departiciper à une exposition avec des objets parti-

culiers, cela devient un cauchemar pour moi.(rires) Vous devez aussi savoir que je collectionnebien d'autres choses en dehors de ces objets enaluminium comme des ustensiles en métal émaillé.

Quand avez-vous commencé à collectionnerces produits ?O. S. : Je pense que la première fois que j'ai euconscience de ces objets, je devais avoir unedizaine d'années… Je sais que j'ai toujours eu uncôté excentrique. (rires) J'étais alors à l'école pri-maire. Un jour, un de mes camarades a ramenéune boîte à bentô ronde en métal. Je n'avaisjamais encore vu ce genre de produit puisque laplupart du temps les boîtes à bentô étaient deforme rectangulaire. J'ai décidé que j'en voulaisaussi une comme ça. A cette époque, l'alumi-nium commençait à être supplanté par le plas-tique. De nos jours, plus personne ne veut uti-liser des boîtes à repas comme celle-ci car ellessont froides au toucher et peu hygiéniques. Pour-tant les objets en aluminium reviennent à lamode, mais ils sont désormais fabriqués à l'étran-ger, en Inde ou au Vietnam, car les usines ontdisparu du paysage japonais.

A DÉCOUVRIR

F ormes nues : design domestique et aluminiumau Japon (1910-1960). C’est sous ce titre que

la collection réunie du Domaine de Boisbuchetest présentée jusqu’au 30 juillet à la Maison del’architecture (1, rue de la Tranchée 86000 Poi-tiers du lundi au vendredi de 12h30 à 18h, lesamedi de 14h30 à 18h). Un cycle de confé-rences et des visites commentées sont aussi pro-posés. Renseignements au 05 49 30 20 25.

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ZOOM DOSSIER

Les objets de votre collection sont-ils tous Madein Japan ?O. S. : Oui. Je me suis toujours limité aux objetsjaponais. On trouve des objets en aluminium par-tout dans le monde, de l'Europe à l'Amérique enpassant par l'Asie. Mais les objets japonais ont uneodeur particulière. C'est un peu comme l'eau oula terre. Un agriculteur est par exemple capable devous dire d'où vient une terre en fonction de sonodeur. Moi, c'est pareil, mais avec de l'aluminium.Je vous avais dit que j'étais bizarre. (rires) Il est intéressant de voir combien il est facile deremarquer les différences entre les produits fabri-qués avant et après la guerre. Les plus anciens, ceuxdes années 1920 et 1930 se distinguent par leurqualité plus fine. Cela s'explique par le fait qu'avantle conflit mondial, le Japon disposait davantage deressources. Ce n'est qu'à la fin de la guerre que sontapparus des objets plus grossiers. Défait, le Japona dû se séparer de tous ses armements comme sesavions de chasse. Mais au lieu de les remettre auxAlliés, tous les éléments ont été recyclés pour répon-dre à des besoins civils. Entre 1946 et 1948, il y aeu une ruée sur l'aluminium qui s'est traduite parla création d'une multitude d'objets et d'ustensilesdu quotidien. La plupart d'entre eux étaient pro-duits dans de petits ateliers ou par des artisans. Iln'y avait pas de designers industriels. Ces objetsétaient produits sans nécessité particulière. Aussileur design était minimal. Ils possédaient une formebrute sans aucun ornement ou aucune inscription.Les gens ne cherchaient pas de jolis objets. Ils nevoulaient avoir que des produits utiles. Ce sont cesobjets que je collectionne. Je ne les aime pas seule-ment parce qu'ils sont anciens. En tant que designerqui cherche toujours à conserver la simplicité, jesuis fasciné par cette époque où les artisans fabri-quaient des produits sans se préoccuper du design.C'est la raison pour laquelle j'aime ces objets simplesdont le seul objectif était de faciliter la vie des gens.Ils sont parfaits dans leur simplicité.

Le Japon a une longue tradition dans le recyclagedes matériaux, n'est-ce pas ?O. S. : En effet. Cette passion pour le recyclage estnée du besoin de notre pays de s'adapter à unmanque de ressources minières et à une populationnombreuse. Comme je le disais, pendant et aprèsla guerre, les objets qui auraient normalement dûêtre fabriqués en métal, en bois ou en céramiquel'ont été en aluminium. Aujourd'hui encore, leJapon reste le leader mondial du recyclage de l'alu-minium car il s’agit d’un matériau très coûteux àproduire, mais très facile à utiliser.

Vous pouvez dire que vous êtes intéressé par l'an-cien style zakka…O. S. : Oui, même si je préfère les nommer jitsuyô-hin (objets du quotidien). Depuis le milieu desannées 1960, le terme zakka a pris un sens un peu

ambigu et il est aujourd'hui utilisé pour désignerune multitude d'objets. Le design a remplacé lafonctionnalité comme principal élément de recon-naissance et la plupart de ces produits sont plusjolis à voir que pratiques. Pour moi, zakka n’est paslié aux seuls besoins du quotidien. C'est pour çaque je préfère utiliser le terme jitsuyôhin.

Je suppose que les objets que vous collectionnezn'ont pas une valeur intrinsèque.O. S. : Non pas vraiment. Les objets en métal ouen cuivre ont une plus grande valeur dans lamesure où jamais personne n'a utilisé l'aluminiumpour faire des objets de collection. Les objets queje recherche sont plutôt considérés comme des

U NE BRÈVE HISTOIRE DU ZAKKA

L 'histoire du zakka au Japonremonte au XVIIe siècle

quand le pays était encore ferméau reste du monde. A cetteépoque, seuls les Hollandaisétaient autorisés à commerceravec l'archipel et les produits qu'ilsamenaient avec eux ne man-quaient pas de susciter l'intérêtde la population locale. Entre autres choses, les tech-niques de soufflage et la découpedu verre ont été importées et ontpris racine. Elles continuent d’êtreappliquées de nos jours. Un autrepays européen a influencé l'arti-sanat japonais. Il s’agit de l'Alle-magne notamment à travers lecourant Bauhaus fondé en 1918.Grâce aux activités de certains deses membres qui ont quitté leurpays natal, la philosophie del'école a connu un développe-ment en dehors des frontières del’Allemagne et a eu un impactmajeur dans de nombreux pays.Au Japon, en particulier, legroupe Keiji Kôbô a été influencé.Il a fait progresser les processusde standardisation dans le mobi-lier facilitant ainsi la productionde masse.Après la guerre, la fabrication apris une dimension de plus enplus industrielle. Dans les années1950, en particulier, le gouverne-ment a encouragé le développe-ment d'une industrie pétrochi-

mique locale. En conséquence, leplastique s’est imposé comme unnouveau matériau pour répondreaux besoins quotidiens. C’estdans ce contexte que les objetszakka sont apparus utilisant les

propriétés du plastique pour créerde nouvelles formes avec descouleurs vives. Avec la mécanisa-tion et la production de masse,

des produits similaires ont com-mencé à inonder le marché et lesménages japonais sont devenusplus riches matériellement. En1954, le magazine de consom-mation Kurashi no techô a com-mencé à publier des tests lesconcernant. Le mensuel continuede nos jours à informer ses lec-teurs sur les nouveaux objets duquotidien et à inciter les fabricantsà faire de meilleurs produits.Entre la fin des années 50 et ledébut des années 60, le des-igner industriel a obtenu le statutde profession spécialisée. Beau-coup de jeunes créateurs ontacquis une connaissance des nou-veaux matériaux et de leurs pro-cédés de production. Ils ont com-mencé à produire des objets enfaisant attention à leur fonction-nalité et leur beauté tout en leuroffrant un attrait intemporel.Au début des années 1970, lesmagazines consacrés à la modeet la culture ont connu un déve-loppement important, ce qui acontribué à favoriser la diffusiond’informations venant de l'étran-ger. Les objets présentés sur leurspages étaient très attrayants etont suscité l’intérêt de nom-breuses personnes. Comme levolume d'informations a aug-menté au fil des ans, ces maga-

zines se sont transformés en véri-tables catalogues dont le butprincipal était, semble-t-il, de sti-muler les lecteurs à acheter de

plus en plus de produits.Dans les années 1990, la concep-tion d’objets comme des meu-bles, des appareils ménagers etd'autres produits a pris plus d’im-portance. Certains des meilleursdesigners du monde ont com-mencé à créer des produits japo-nais, contribuant à leur donnerune nouvelle valeur qui dépassaitde loin celle de leur usage. Lesconsommateurs ont commencéà les considérer comme des pro-duits de luxe et à les choisir enfonction de leur esthétique.Aujourd'hui, l'attrait du zakka vaau-delà des objets eux-mêmes etconcerne désormais leur embal-lage. Grâce aux avancées dans ledomaine de l’impression ou celuidu design, avec la croissance desréseaux de consommation et dedistribution, les emballages eux-mêmes ont fini par être considé-rés comme mignon ou cool. Ilsont atteint le statut de zakka.Accompagnés de publicitéssophistiquées, ils contribuent àencourager les achats, à la créa-tion de nouvelles tendances et demodes. Une nouvelle ère a fina-lement émergé dans laquelle leschoses matérielles jouent un rôlede premier plan dans la vie desgens.

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produits sans intérêt. Cela est dû au fait que l'alu-minium est un matériau très humble. De nosjours, les gens semblent le redécouvrir. A partirdu moment où vous abandonnez l'idée qu'il nes'agit que d'objets sans âme et peu attractifs, ilsapparaissent bien vite comme les témoins tran-quilles et importants d'une culture d'interactionavec les choses matérielles. C'est encore plus vrailorsque vous les nettoyez de tout ornementpuisqu'ils retrouvent leur forme initiale et leurfonction essentielle. Pour moi, cette pureté sym-bolise l'artisanat typique lié à un matériau et metl'accent sur la simplicité du design japonais.

Où recherchez-vous ces objets ?O. S. : A Tôkyô, il y a de nombreux marchés auxpuces où, avec un peu de chance, on en trouve.Dans la préfecture de Saitama, où je réside, je nemanque jamais de me rendre dans ce genre d'en-droits. Par exemple, le principal sanctuaire deKawagoe, le Hikawa Jinja, organise un marchéde ce genre. Quand les gens font des travaux derénovation dans de vieilles maisons, ils découvrent

plein de vieilleries. La plupart du temps, ils secontentent de les jeter, mais certains d'entre euxont la bonne idée de les vendre. Toutefois, àTôkyô, il n'y a quasiment plus de maisons d'avant-guerre. C'est la raison pour laquelle j'ai étenduma zone de recherche à d'autres régions. Lorsqueje me déplace pour mon travail, j'en profite pourvisiter des marchés locaux et des boutiques derecyclage. Par le passé, je rendais visite à des per-sonnes âgées qui stockaient chez elles des tas d'ob-jets de façon compulsive sans jamais rien jeter. Ilm'arrive encore aujourd'hui d'appeler des profes-sionnels dans tout le pays car certains d'entre euxpossèdent encore des objets qu'on ne trouve nullepart. Dans certains secteurs, on utilise encore desobjets en aluminium alors qu'ils ont été remplacésailleurs par des produits faits dans d'autresmatières.

Pourquoi la collection exposée en France s'ap-pelle-t-elle ONISHI-SUMI ?O. S. : SuMI Keiichi est le propriétaire d'une gale-rie qui m'a aidé à trouver certaines pièces de ma

collection. Récemment j'ai eu la chance de pouvoirentrer en contact avec des antiquaires et d'autrespersonnes susceptibles d'entrer en possession dece type d'objets. Ils ne sont pas vraiment intéresséspar ces objets dont la valeur est faible, mais ilssont assez gentils pour m'avertir quand ils ren-contrent ce genre de pièces. M. SuMI est une deces personnes. Environ 30 des 200 objets présen-tés en France ont été découverts par lui.

Pourquoi pensez-vous qu'il soit important demontrer votre collection ?O. S. : L'attitude traditionnelle faite de respectque les Japonais ont toujours eu à l'égard de lanature et de l'utilisation durable des ressources aété mise à mal par une tendance à la consomma-tion à outrance venue d'autres pays. Néanmoinsles gens n'oublient pas la beauté dans leur quotidienmême s'ils doivent faire face à des difficultés et àla pauvreté. En exposant ces bien modestes objets,j'espère amener les gens à réfléchir à nos valeurstraditionnelles.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN DEROME

L ‘ART ET LA MANIÈRE DE RÉPONDRE AUX BESOINS DU QUOTIDIEN

L e musée 21_21 CONCEPTIONSIGHT, situé à Tôkyô, a été créé en

2007 par l'architecte ANDÔ Tadao et ledesigner de mode Issey Miyake. Ilaccueille jusqu'au 5 juin une expositionfascinante sur le monde du zakka.Organisée par le designer industrielFUKASAWA Naoto, elle vise à montrer lerôle en constante évolution joué par lezakka dans la société japonaise.Chaque génération a sa définition duzakka. Par exemple, jusqu'aux années1950, lorsque le Japon a commencé àrattraper l'Occident, il s’agit surtout desobjets comme les bouilloires, les balais,les seaux et autres articles ménagers.Toutefois, lorsque le pays a commencéà jouir d'une longue période de crois-sance économique, les zakkaya (maga-sins proposant ce type de produits) ontcommencé à diversifier leur offre avecdes objets allant des verres fantaisie auxcouteaux, en passant par des plats, destabourets ou des vêtements. Ils propo-saient même parfois de la nourriture,des boissons et des cosmétiques. Au fildes années, le volume des choses dis-ponibles dans ces magasins a pris desproportions énormes. Alors qu’à l’ori-gine, le zakka désignait les objetsd'usage quotidien, celui d'aujourd'huiaccorde plus d’importance à l’esthé-tique qu’à la fonctionnalité.Il suffit d’entrer dans un magasin dezakka pour découvrir des ustensiles enbois, des couverts en métal et dessalières et des poivrières aux formesindéfinissables alignés aux côtés de pin-ceaux, de bouteilles d'eau en plastique,et des tabliers en vinyle. Il y a toujoursde nouvelles découvertes qui attendent

les clients curieux.Cependant, ces nouveaux objets nesont pas les seules choses qu’on peuttrouver dans un magasin de zakka. Lesgens ont redécouvert le charme desobjets et des ustensiles du passé dontl’aspect ancien les séduit. De plus enplus de gens apprennent à les appré-cier.Afin de résoudre une bonne fois pourtoutes l'énigme qui entoure l’idée dezakka, FUKASAWA Naoto et son équipede collaborateurs ont fini par trouverune définition qui leur a pris du tempsà déterminer : “Objets qui accompa-gnent nos espaces de vie de tous les jourset qui fournissent un élément subtil dedécoration”. “Le concept est difficile àdéfinir car il ne s’agit pas d’un objetunique, mais d’un ensemble de produits.Mais il s’en dégage un sentiment d'uni-formité. Les besoins des gens ont évidem-

ment évolué au fil des ans. Si l'on com-pare le coût actuel de la vie au Japon àcelui de 1925, par exemple, on constateun changement notable. On est passédes besoins liés aux dépenses de base(nourriture, vêtements et abris) à desbesoins non-essentiels (certains diraientfrivoles) liés aux loisirs. Les dépenses d'ali-mentation, par exemple, sont passées de40 à 26 %, celles liées à la maison ontbaissé de 20 à 8 %; tandis que cellespour l'habillement ont diminué de 13 à4 %. Ces trois postes combinés représen-taient 73 % des dépenses il y a 90 ans.Désormais, ils n’en représentent que38 %”, explique-t-il.Mais pourquoi les objets zakka sont-ilssi séduisants ? “Il se peut qu’ils représen-tent pour les gens comme le symboled'une petite dose de bonheur. Ils noussont familiers parce qu'ils font partie denotre vie quotidienne. Les gens apprécient

certainement le confort qu'ils offrent, etl'attention portée à leur fabrication. Lesgens sont attirés parce qu’ils ont l’impres-sion qu’ils font partie de leur propre vie”,ajoute-t-il.“Il est vrai qu’il s'agit d’articles de tousles jours et pas d'antiquités hors de prix.Pourtant, notre désir de les posséder ades points communs avec l’envie quenous pouvons avoir de nous procurer desantiquités. C’est un signe extérieur expri-mant la façon dont les gens qui les pos-sèdent vivent. Il me semble que les objetszakka constituent une catégorie d’objetsdont l’allure les distingue des autres pro-duits du design ou de l'artisanat. Peut-être est-ce pour cela que ces objets sus-citent souvent un sentiment de nostalgieà l’égard de moments pas si lointains queça. Il me semble qu’ils affectent des émo-tions associées avec le soulagement. Lesgens sont las des nouvelles choses et sontdésorientés par la vitesse à laquelle elleschangent. Voilà pourquoi les objets zakkanous procurent un sentiment d’apaise-ment. Dans ce contexte plus large etcompte tenu de l'importance que cesobjets ont dans la culture japonaise, cetteexposition d'objets qui semblent insigni-fiants est si intéressante”, assure FUKA-SAWA Naoto.Les expériences de recherche, de sélec-tion, d’achat, d’utilisation, de décora-tion que nous menons autour de cesproduits du quotidien nous permettentde retrouver leur nature profonde, età leur tour ils apportent de la joie à nosvies. Les objets zakka sont maintenantdevenus des éléments essentiels dansnos espaces de vie moderne.

J. D.

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A u Japon, le proverbe “Tôdai moto ku-rashi” (prendre de la distance pourmieux voir ce qui est sous notre nez)

est populaire et de nombreux artistes locaux peu-vent le revendiquer. kUrodA Taizô ne fait pasexception. La vie de ce céramiste reconnu, au-jourd'hui âgé de 69 ans, ressemble à celle d'autresartistes qui ont quitté leur pays à la recherche denouveaux horizons et d'inspiration avant derentrer et de cueillir les fruits de leur longuequête. Après avoir passé de nombreuses années àse former à l'étranger, le maître potier est revenudans l'archipel pour s'imposer comme l'un desmeilleurs céramistes de la planète dont le styleest moins inspiré par les techniques occidentalesou la céramique japonaise traditionnelle que parla porcelaine blanche coréenne Joseon. Ses œuvresse démarquent radicalement des porcelaines tech-niquement parfaites d'Arita, de kakiemon et deNabeshima pour ne nommer que les plus célèbrescentres de production du pays.

J'ai entendu dire que votre histoire d'amouravec la poterie serait le fruit du hasard.KURODA Taizô : C'est juste. Personne dans mafamille n'était potier. Tout a commencé par unerencontre dans un lieu inattendu : un restaurantparisien. Au lycée, j'avais été attiré par l'occidentgrâce à ses films et j'avais toujours rêvé de pouvoirme rendre en France. En 1966, le gouvernementjaponais a fini par autoriser tous les citoyens ja-ponais à voyager librement à l'étranger et j'aisaisi cette chance. Les billets d'avion à l'époquevalaient une petite fortune – l'équivalent au-jourd'hui de 3 millions de yens (23 800 euros) –et ma mère était très inquiète à l'idée que jeparte. mais pour moi, c'était une grande aventure.J'avais 20 ans et j'étais fauché. Je devais donctrouver un boulot. Alors que j'étais en train d'at-tendre à la table d'un restaurant parisien, j'ai faitconnaissance avec le célèbre céramiste et futurtrésor national vivant ShimAokA Tatsuzô.

SHIMAOKA était l'un des plus importants re-présentants du mouvement mingeipromouvantl'artisanat populaire…K. T. : oui. Le terme mingei (voir Zoom Japon,n°25, novembre 2012) signifie littéralement “l’artdes gens ordinaires réalisé à la main”. Les artistesétaient attachés à la simple beauté de ces objetsdu quotidien conçus et façonnés par des artisansordinaires.

Vous êtes devenu son apprenti ?K. T. : En quelque sorte, mais ça ne s'est pas faitimmédiatement. A cette époque, je ne manifestaisguère d'intérêt pour la poterie. Néanmoins, lemaître ShimAokA m'a présenté au potier canadienGaëtan Beaudin qui est aujourd'hui reconnu

RENCONTRE L’homme qui voyait blancLe célèbre céramiste KURODA Taizô aparcouru un long chemin avantd’atteindre ses objectifs de simplicité.

comme le père de la céramique moderne auQuébec. J’ai alors commencé à m'intéresser à lapoterie. Un an plus tard, je me suis rendu auCanada pour rencontrer Beaudin et c'est là quej'ai touché pour la première fois de ma vie untour de potier. J'ai ressenti à ce moment-là que

KURODA Taizô s’est intéressé à la céramique par hasard. Sa rencontre avec le célèbre céramiste SHIMAOKA

Tatsuzô a été déterminante.

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ce travail serait celui de toute ma vie. J'ai doncdécidé de rester au Québec et d'apprendre auxcôtés de Beaudin. Au total, j'ai passé 15 ans dema vie à l'étranger, dont 13 au Canada où j'aiprincipalement travaillé comme designer pourSIAL, l'entreprise de Beaudin. Celle-ci produisaitde la vaisselle fonctionnelle. Pendant cette période,je suis rentré deux fois au Japon pour travaillersous les ordres de SHIMAOkA, à Mashiko.

On compare souvent votre style avec le mini-malisme occidental. Etes-vous d'accord aveccette affirmation ?K. T. : Je ne connais pas vraiment la définitiondu minimalisme occidental, mais je comprendsque ce n'est pas très éloigné du minimalisme ja-ponais. Ce qui est certain, c'est que mes œuvresse rapprochent de la tradition japonaise. La seulechose que je peux en dire, c'est que j'ai toujoursété attiré par les choses simples et d'une certainefaçon, ma sensibilité a quelque chose en communavec tous ces différents styles. Par le passé,plusieurs personnes ont même affirmé que mesœuvres leur rappelaient les natures mortes dupeintre italien Giorgio Morandi, mais à cetteépoque, je ne le connaissais pas du tout. Pourêtre tout à fait franc, pour moi, l'art est art etcette expression de pureté peut être trouvée par-tout dans le monde sans qu'il soit question dedéfinitions.

Vous avez évoqué votre travail avec ShImaOKa

Tatsuzô à mashiko. Cette ville de la préfecturede Tochigi est célèbre pour son style rustiqueet simple…K. T. : Il n'empêche qu'aujourd'hui la poteriemoderne qui y est produite est de différentesformes. Et ceci grâce à la liberté créative queHAMAdA Shôji a réussi à imposer dans ce centrede production. Beaucoup de gens ont estiméque mon travail s'apparentait au sien. Cela mesatisfait car j'adore ses œuvres.

Est-ce que votre retour au Japon en 1981 a euune influence sur votre approche à l'égard dela poterie ?K. T. : Mon retour au pays a ouvert unenouvelle phase dans ma quête d'une expressionartistique. A ce moment-là, j'étais encore entrain d'explorer différentes voies, en testantplusieurs types de matériaux et toutes sortesde styles pour les décors. Mais je n'étais pas sûrde ce que je voulais faire. Ce n'est qu'en 1991,lorsque j'ai installé ma maison-studio dans lapéninsule d'Izu que j'ai compris que la libertéabsolue était en définitive un obstacle à monart et qu'il était nécessaire que j'établisse quelqueslimites. J'ai donc abandonné tout ce qui mesemblait superflu pour revenir aux fondamen-taux. Cela m'a libéré.

Il semble que vous êtes resté fidèle à cette ap-proche au cours des 25 dernières années, envous concentrant sur la forme, la couleur (leblanc) et votre tour. Comment obtenez-vousce blanc ?K. T. : J'utilise différentes terres provenant deplusieurs endroits parmi lesquels la préfecturede Hyôgo et la Nouvelle-Zélande. La seule façonpour moi d'atteindre une totale liberté d'expres-sion consiste à me restreindre moi-même. Enréduisant mon choix de couleur au seul blanc,cela m'a permis de me concentrer sur mon véri-table objectif qui est d'établir une relation avecles gens. Je sais que mes œuvres sont reconnuespour leur qualité artistique, mais le fait est queje réalise seulement des objets fonctionnels que

les gens peuvent vraiment utiliser comme de lavaisselle ou des vases. Vous pouvez d’ailleurs entrouver dans de nombreux restaurants. Commeles artistes du mouvement mingei, je trouve labeauté dans la simplicité. Par exemple, la plupartdes objets collectés par le Musée des arts populairesdu Japon à Tôkyô sont de simples outils, mais àmes yeux, ils ont tendance à les surévaluer. Cesont de beaux objets et c'est vraiment la seulechose qui compte.

Vos réalisations sont également célèbres pourleurs bords incroyablement minces - parfoisils ne dépassent pas un millimètre - qui semblenttoujours être proches de la rupture. Est-il vraique vous n’utilisez aucune machine pour at-teindre ce résultat ?K. T. : Oui, je veux travailler avec mes mainsqui constituent mes outils préférés. Les objetsque vous avez sous les yeux proviennent uni-quement de mon travail manuel avec le tour,sans qu’il y ait aucun autre embellissement.Comme je l'ai dit, je garde toujours à l’espritmes motivations originales qui prennent le passur les considérations stylistiques. C’est commeça que je fais de l'art. Chacun d’entre nous estune minuscule particule apparemment perduedans l'univers. Aussi mon but est-il de créerquelque chose qui, je l'espère, pourra toucher lavie des autres.

PROPOS RECUEILLIS PAR J. D.

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Outre le blanc, les bords extrêmement fins caractérisent les réalisations de KURODA.

Des œuvres toujours au bord de la rupture.

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D epuis la fin de la Seconde Guerre mon-diale, le Japon a souvent été associé àdes produits sans fioriture de qualité

vendus à des prix abordables. Alors qu’il y a60 ans, les fabricants japonais utilisaient les radiosà transistors pour pénétrer les marchés occidentaux,aujourd'hui les clients étrangers sont plus sus-ceptibles d'acheter des vêtements, par exemple,de la marque Uniqlo ou de choisir des objetsparmi la large gamme de produits courants pro-posés par Mujirushi Ryôhin. Mieux connue dansle monde entier sous le nom de Muji, la marquea commencé ses activités en 1980 avec une lignede 40 produits ménagers et alimentaires com-mercialisés dans les supermarchés Seiyû, propriétésde la société mère. Après plus de 35 ans d’existence,la société a fait un énorme bond en avant,puisqu’en 2014, elle possédait quelque 385 bou-tiques au Japon et 255 à l'étranger. Elle espèreaccroître sa présence mondiale dans 50 pays aumoment où tôkyô accueillera les Jeux Olympiquesd'été 2020.Même si aujourd'hui Muji est devenue un mas-todonte de la vente au détail avec un cataloguecontenant plus de 7 500 références (60 % deproduits ménagers, 35 % de vêtements et delinge), la société reste fidèle à sa philosophied'origine : concevoir des produits neutres fonc-tionnels dont le processus de production metl'accent sur le recyclage, en évitant le gaspillageinutile.Pendant de nombreuses années Muji n'a mêmepas divulgué les noms de ceux qui concevaientses produits, mais l’entreprise a récemment cédésur ce point en mettant en place une série de col-laborations avec des créateurs bien connus commeJames irvine, Jasper Morrison et FUkASAwA

Naoto. Ce dernier, en particulier, a été membredu conseil consultatif de Muji (un groupe dedesigners japonais de premier plan qui validenttous les nouveaux produits) depuis 2002. il aainsi participé au développement d'un certainnombre de produits à succès, y compris le fameuxlecteur de CD mural. Zoom Japon a réussi à lerencontrer pour un échange rapide sur Muji etla conception des produits.

Vous avez collaboré avec Muji au cours des14 dernières années, ce qui vous a permis debien connaître leur méthode de travail. Quelest, à votre avis, le secret de leur succès ?FUKASAWA Naoto : Je pense qu’il faut chercher

du côté du débat constant qui existe à tous lesniveaux de l’entreprise. Son président MAtSUi

tadamitsu est même venu avec un manuel de2 000 pages - le Mujigram - qui normalise tousles aspects de la planification, du développement,de la production, de la distribution et de la vente.Mais loin d'être un système vertical verrouillé dehaut en bas, chaque employé peut s’exprimerpour mettre en évidence des problèmes rencontrés

et pour trouver des solutions. Une fois que leursidées ont obtenu le feu vert, ils sont appliqués àl’ensemble du groupe. Un second aspect et peut-être encore plus important est lié au fait que leprocédé de fabrication est déterminé par l'utili-sation que le consommateur fera du produit.Muji n’est pas intéressé par des produits qu’onrendrait attrayants de façon artificielle par l'uti-lisation de couleurs vives ou des caractéristiquesparticulières. Nous refusons l'utilisation excessived'emballage ainsi que le recours à des célébritéspour promouvoir les produits. En d'autres termes,ils conservent une identité simple et tout ce quin’est pas directement lié à l’usage du produit estabandonné.

Pensez-vous que le succès initial de Muji aquelque chose à voir avec le moment où lasociété a été fondée ?F. N. : Je le pense. A l'époque, la société japonaiseétait au faîte de sa croissance économique. Deplus en plus de gens profitaient d’une richessematérielle considérable. Les années 1980 ont étéune période d'excès, avec des gens qui achetaientdes produits de luxe fabriqués à l'étranger. D'autrepart, ceux qui ne pouvaient pas se permettre cesproduits ont dû se contenter de biens de mauvaisequalité et à bas prix. Je pense que toutes ces dé-penses insensées ont amené beaucoup de gens àréfléchir et à revenir à l'essentiel, c’est-à-dire àune façon de vivre et de jouir d'une vie plussimple. Avec son concept de “vie compacte”,Muji a montré sa capacité à saisir parfaitement

L’entreprise possède désormais 385 magasins au Japon et 255 à l’étranger.

TENDANCE Un simple retour aux sourcesL’incroyable succès de Muji dansl’archipel et dans le monde exprime unbesoin de revenir aux fondamentaux.

Le textile représente 35 % des références de Muji.

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l’aspiration profonde des Japonais. En fait, jepense que les années 1980 – les fameuses annéesde bulle – ont été une aberration parce que laculture japonaise est en fait basée sur la notionde simplicité. Réfléchissez à la pratique du zenou à la cérémonie du thé: toutes les fonctionnalitésinutiles ont été supprimées afin de rendre leschoses simples et de mettre en avant la qualité etla fonction. L'esthétique traditionnelle du su (or-dinaire ou sans fioritures) vient de l'idée que lasimplicité fait non seulement référence à ce quiest modeste ou frugal, mais pourrait être plus at-trayante que le luxe.

Permettez-moi de me faire l’avocat du diable.Quand on circule dans un magasin Muji, toutest très uniforme et presque anonyme. Ne pen-sez-vous pas que c'est une négation de l'indivi-dualisme ?F. N. : Au contraire, il s’agit de nourrir l'indivi-dualité des gens. C’est pour ça que Muji crée desproduits neutres. Ces produits sont conçus dansle but de donner aux consommateurs un espacevide et de stimuler leur imagination. La dernièrechose que nous voulons faire est d'interférer avecl'individualité du consommateur. Il y a toujoursdes choses qui nous entourent dans la vie. Leschoses dont on s’entoure représentent la vie etles valeurs d'une personne. Concevoir un produitsignifie que l’on observe objectivement notre en-vironnement et qu’on en est conscient. J'aimel'approche de Muji parce qu'il ne vend pas monnom. Les produits que je conçois sont simplementdes objets qui se trouvent là. Ils ne sont pas ano-nymes, mais naturels.

Il est vrai que le design devient très superficielde nos jours. Tout est en surface et on ne trouveaucun contenu, aucune signification socialeréelle. Qu’en pensez-vous ?F. N. : Il est vrai que certaines personnes consi-dèrent le design comme s’il s’agissait d’unetendance de mode. Cependant, la vérité est quecela ne donne rien de durable. Les gens veulentquelque chose dont ils ne lasseront jamais, et enmême temps, ils sont toujours en quête de nou-veauté. Évidemment, c’est assez contradictoire,mais nos vies sont faites de nombreuses contra-dictions. Nous avons besoin de ces deux aspectsdans notre vie. Par conséquent, je pense qu'il y aassez d'espace pour les deux approches : un designsérieux et un design plus frivole.

Vous êtes célèbre pour combiner un designminimaliste avec un maximum de fonctionnalité.Pouvez-vous nous donner votre définition dudesign ?F. N. : Notre vie quotidienne a beaucoup évoluéavec les changements dans notre environnementde vie, l’évolution de l'électronique grand public

et les développements des technologies de l’in-formation. D'une manière générale, la plupartdes outils que nous utilisons tous les jours avecdésinvolture ont tendance à se rapprocher soitdu mur soit de notre corps. Prenez la télévision,par exemple. Les anciens modèles à tubes catho-diques étaient très volumineux, mais au fil desans, et surtout avec l'avènement des cristaux li-quides, ils sont devenus très minces. Par consé-quent, nous pouvons maintenant accrocher untéléviseur au mur comme un tableau. On pourraitdire que la télévision n’est devenue aujourd'huiqu’un simple contenu. D'autre part, nous pouvons

regarder les mêmes images sur un smartphoneposé sur la paume de notre main. En d'autrestermes, tous ces outils sont en train de changerprogressivement de forme. Seule leur fonctiond'origine demeure. Plus un objet se rapprochedu corps humain, plus on s’y adaptera facilements’il possède une forme plus douce.En tant que designer, mon travail est de ne pasdonner des formes à des objets, mais plutôt dedéterminer leurs positions. Est-ce qu’il sera installéprès d'un mur ou utilisé dans une main humaine ?Voilà ce qui est important.

PROPOS RECUEILLIS PAR J. D.

Après les années de forte croissance, les Japonais ont eu besoin de retrouver les formes simples.

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C haque shôji raconte une histoire.” Ceux deTominAgA Keiji reprennent régulièrementdes motifs de vagues, de montagnes ou

de scènes du quotidien comme celle de la confectiondu riz. D'un pas pressé, l'homme se dirige vers untemple situé non loin de son atelier, implanté dansla ville même de Tokushima. En entrant dans lebâtiment, on aperçoit rapidement un shôji somptueuxqui fait office de fenêtre dans la pièce principale.Long de plusieurs mètres, d'une simplicité désar-mante, les éléments de décoration de bois, sifinement exécutés, ne peuvent que susciter l'admi-ration. “Ce panneau retrace le parcours d'une jeune fille quia beaucoup souffert, commence à expliquer le maîtreartisan. Son mari est mort lors d'une bataille qui aeu lieu ici à Shikoku. Malgré son chagrin, elle restefidèle et continue de protéger la préfecture de Tokus-hima”, poursuit-il alors. “Elle est originaire de Chiba,c'est pourquoi on voit un prunier ici, symbole de sarégion natale. Elle est seule. Mais ne perd pas courage :elle finit par se transformer en oiseau.” Et s'envolepar-dessus la vague. maître-artisan, TominAgA

Keiji est avant tout un véritable artiste. il représentela quatrième génération de l'atelier K`Z Craft. Là,on fabrique des shôji selon une technique uniqueet un savoir-faire précieux transmis de père en filsdepuis 1875.En matière d'architecture, les shôji questionnent,de manière unique, les notions de volumes et d’in-térieur de la maison : en effet, les cloisons de papier,modulables à volonté, redéfinissent les espaces enfonction des besoins et des saisons. La chaleur dubois est propice à un foyer chaleureux qui appelle àà la détente et à la sérénité. Très utilisé autrefoisdans les maisons traditionnelles japonaises, c'estun savoir-faire qui tend malheureusement à seperdre dans l'archipel nippon aujourd'hui. Commeson père, son grand-père et son arrière-grand-pèreavant lui, TominAgA Keiji perpétue un savoir-faire traditionnel, “entièrement à la main. Nousn'utilisons aucune machine : je joue avec les matériauxafin de pouvoir les plier avec la chaleur de l'eauchaude.” Tout simplement.Dans le showroom de son petit atelier, les couleursdu bois réchauffent. on se sent à la maison danscette ambiance feutrée et confortable. Les shôjiréalisés, mais également les lampes, les meublessont d’une finesse exquise. Le tressage est précis etmagnifique. “Je veux que mon travail dure toujours.Et surtout qu'il dégage un sentiment de joie et debonheur à qui les utilise. Le ressenti est la base etl'émotion qu'il procure est le cœur de mon travail. Je

souhaite aussi qu'il inspire des générations futures.Pour que ce savoir-faire continue de trouver desartisans dévoués.”A quelques pas de son atelier, de l'autre côté de laruelle, TominAgA Keiji pointe du doigt une bâtissetraditionnelle. C'est la maison de famille “oùj'entrepose tout un tas de choses, notamment les shôjisconfectionnés par mon père”. il tient à présenterl’espace qu'il conserve religieusement à l'étage. Lejoyeux bazar de pièces de bois sculptées en tousgenres et de shôji de toutes tailles, fait tout à coupplace à un grand panneau représentant un homme,sous une ombrelle, qui observe une grenouille quitente d'attraper une branche en sautant. il racontealors à quel point l'ouvrage a changé sa vie. “Quandj'étais petit, mon père m'a montré ce shôji qu'il avaitlui-même réalisé entièrement : il m'a alors expliquéqu'il était l'homme et que j'étais la grenouille. Lapetite grenouille saute pour faire de son mieux ettenter d'attraper la branche  : l'homme l'observe etsimplement par le regard l'encourage à réussir.L'homme sait que la grenouille parviendra à attraperla branche un jour. Avec le temps et beaucoup d'effortset de travail.” Le visage de TominAgA Keiji s'obscurcitsoudainement. “Mon père est décédé en févrierdernier. J'étais enfant lorsqu'il m'a présenté ce panneauet j'ai tout de suite pris conscience que je ferai cemétier moi aussi. Qu'il ne faudrait pas se découragerparce que l'apprentissage serait long et difficile. Toutmon travail est parti de ce jour-là très précisément :du moment où mon père m'a raconté cette histoire.J'ai su qu'il fallait que je me batte pour y arriver etque mon père et ma famille seraient là pour m'en-courager.”Le moins que l'on puisse dire c'est que TominAgA

Keiji s'est imposé dans cette discipline difficile.Son parcours est très impressionnant. né en 1957à Tokushima, il a fait des études à Kyôto avant derejoindre la menuiserie familiale en 1982. En 2001,

il s’est fait remarquer en exposant pour la premièrefois à Tôkyô, un panneau réalisé avec du cèdre deTokushima. Cette même année, il a commencé àtravailler de plus en plus avec Kyôto. A partir de l'année suivante, il a régulièrementexposé dans la capitale et participé à des conférencessur les notions d'espace en architecture dans diversesuniversités du pays. En 2006, il remporte un premierprix national pour son travail. Récompenses etmarques de reconnaissance ne feront que pleuvoirles années suivantes. En 2014, il est reconnu artisand'excellence de Tokushima et devient maître artisand'Awa (ancien nom de Tokushima). Très attachéà sa région natale, TominAgA Keiji est fier de saville. “Comme tout natif du coin, j'adore danser”,s'amuse-t-il. En effet, la région est connue danstout l'archipel pour être le berceau de l'Awa-odori,une danse folklorique. Le festival local, organiséentre les 12 et 15 août, attire plus d'un million depersonnes originaires de tout le pays.Si au Japon, l'artisan travaille énormément avec“Kyôto, une ville que j'adore”, il est également invitéà présenter ses travaux dans le monde entier, àTaïwan, en italie ou en France. mais aussi à Dubai,en Allemagne, en Corée ou en Chine. Le shôjis'exporte et plaît à l'international. Dans l’archipel,huit temples ont acquis une ou plusieurs de cesréalisations. Récemment,“on m'a demandé deconstruire une salle de concert à Taïwan. J'animerégulièrement des conférences dans ce pays”, confie-t-il. Cerise sur le gâteau, il travaille aussi pourl'Empereur Akihito. mais pas la peine d'insister, ilne dira pas quels sont les types d'objets qu'il confec-tionne pour la famille impériale japonaise. “Lecontenu de ces commandes reste entièrement confi-dentiel, sourit-il. La seule chose que je peux dire estque ce sont des pièces uniques, réalisées dans un boisparticulièrement précieux.”

JOHANN FLEURI

EXPÉRIENCE Quand l’artisanat devient artInstallé sur l’île de Shikoku, TOMINAGAKeiji fabrique des cloisons de papierselon des techniques traditionnelles.

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41 rue Popincourt, Paris 11 - Metro St AmbroiseDu mardi au samedi, 12 h 30 - 18 h

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41 rue PoopDu

Salon de thé japonaisartisanat, instruments japonais

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ZOOM CULTURE

H UMEUR par KOGA Ritsuko

Je rêvais d'être entourée d'objets français,comme ceux que je voyais au Japon dans desmagazines qui présentaient la vie ordinaire desParisiens : sac à dos violet, drap rouge, vase enverre carré, épices dans des bocaux stylisés…Ayant grandi avec des draps blancs, l’idée selonlaquelle "le drap est blanc ou il peut être légè-rement coloré en bleu ou en rose" était uneévidence comme "la banane est jaune". Alors,en voyant des draps rouges, verts ou mêmenoirs, cela m'a fait penser que les Françaisavaient des goûts artistiques révolutionnaires!Sinon, dans ma ville natale, il y avait peu d'ob-jets authentiquement français, même si je fré-quentais des boutiques d'inspiration française.C'était un plaisir d'y acheter de jolis agendas,on pouvait lire des phrases écrites en françaissur la couverture (que je ne comprenais pas),par exemple : "la vie Paris", "rendez-vous de lapapier de la qualité".En arrivant ici, j'ai cherchédes cahiers pour mes coursde langue. Mon baptême futdécevant : ils étaient tous decouleurs unies, au mieux unpeu dégradées, le seul motifétait le logo d'Oxford. Riende très révolutionnaire ! Néanmoins, les objets pour la maison étaientdifférents. Chez IKEA, j'ai trouvé de jolis objetsmodernes, colorés, sophistiqués et pas chers.Pendant longtemps, j'étais persuadée que cemagasin était français. Aujourd'hui, n'ayant pasbeaucoup de temps pour sortir, je fais plutôtmes achats sur Internet. Il y a trois mois, j'aicommandé un produit d'une marque françaiseauprès d’un spécialiste d'électroménager connupour son contrat de confiance. Résultat : je n'aitoujours pas reçu le colis, ni le remboursement,ni même de réponse. Le mois suivant, j'ai com-mandé le parfum d'une grande marque fran-çaise sur son propre site. Pas de livraison. Aubout de deux appels et de deux courriels, onm'a "poliment" annoncé que la commanden'avait pas été passée à cause d’un problèmeinterne. Décidément, pour acquérir des pro-duits français, il faut être prête à accepter laFrench touch !

La touche française

ESSAI Une façond’élargir son horizonGrand spécialiste de l’art japonais,

François Berthier fut l’un des grands

professeurs à l’Institut national des

langues et civilisations orientales.

Parmi ses terrains de recherches

figuraient les jardins japonais. Les

éditions Arléa ont pris l’heureuse

initiative de publier un recueil de ses

articles sur la question, permettant

ainsi à un public plus large de

découvrir l’étendue de ses

connaissances sur le sujet. Comme il le

rappelle, l’art des jardins est ancien au

Japon puisqu’il

remonte au

moins au Ve

siècle de notre

ère. Cet intérêt

pour ce lieu

d’agrément

s’explique en

grande partie

par le fait que

les Japonais

l’ont toujours

considéré

comme “un champ spirituel où l’homme

peut se fondre dans la nature”. François

Berthier nous prend par la main et

nous entraîne dans cet univers

tellement éloigné de nos conceptions

avec une simplicité déconcertante. Le

fameux jardin de pierres du Ryôan-ji se

révèle ainsi au lecteur qui pourra ainsi

mieux l’appréhender le jour où il aura

la chance de le visiter. Un ouvrage

indispensable pour tous les voyageurs

qui veulent dépasser la dimension

contemplative de ces magnifiques

endroits encore nombreux au Japon.

La mystérieuse beauté des jardins japonais, de

François Berthier, arléa, 17 €

DVD Ichikiwa Kon parten guerreAdapté du roman d’OOKA Shôhei, Feux

dans la plaine, sorti en 1959, est le 36e

long-métrage

d’ICHIKAWA Kon,

cinéaste qui

connaîtra la

consécration en

étant choisi pour

réaliser le film

officiel des Jeux

olympiques de

Tôkyô cinq ans plus

tard. En attendant,

il propose une œuvre choc qui aborde de

front la guerre dans sa dimension la

moins glorieuse pour le Japon. Et il le

fait avec un talent immense. Aucune

concession n’est faite à cette armée

impériale en déroute. Son objectif

atteint est de montrer clairement à quel

point la guerre est une horreur.

Feux dans la plaine d’IChIkawa kon. Version

remastérisée en haute définition. Noir et blanc.

108 mn, Rimini Editions. En DVD et en Blu-Ray.

CINÉ-CLUB Rendez-vousavec l’histoire à Vichy Plus de 70 ans après

la fin de la Seconde

Guerre mondiale,

Japonais et Russes

n’ont toujours pas

signé de traité de

paix. Pour en

comprendre les

raisons, rendez-vous

le 12 avril à 20h30.

Cinéma Étoile Palace, Centre commercial des

quatre chemins, 35 rue Lucas 03200 Vichy,

www.rendezvousaveclejapon.fr

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avant le séisme du 11 mars, je m’intéressaisprincipalement à l’histoire, à la techniqueet à la conception de la poésie. Mais après

tous ces événements tragiques, mon intérêt s’est na-turellement tourné vers la société. Ne devais-je pasécrire sur le quotidien du Japon et de Fukushimaqui constituent des sujets sans fin ? me suis-jedemandé. Il était aussi très important pour moi dedonner un caractère documentaire à mon œuvre”.C’est en ces termes que WaGo Ryôichi s’étaitconfié à Zoom Japon (voir Zoom Japon, n°14,octobre 2011) quelques semaines après les tragiquesévénements du 11 mars 2011. originaire de Fuku -shima, le poète s’est rendu célèbre dans les joursqui ont suivi la catastrophe par la publication viaTwitter de ses textes. Ceux-ci rendaient compte àla fois de la crise nucléaire à laquelle le Japon étaitconfronté, mais aussi et surtout de son état d’espritface à cette situation sans précédent. Une façond’informer et d’alerter le reste de la populationpour qu’elle n’oublie pas et qu’elle continue à ma-nifester son intérêt pour la région frappée par unséisme, un tsunami et un accident nucléaire. Enl’espace de quelques semaines, WaGo Ryôichi apublié des centaines de poèmes sur Twitter,suscitant une grande émotion. Repris sous formed’ouvrages, ils ont connu un retentissement im-portant dans l’archipel, car l’homme évoquait avecsimplicité et justesse une réalité que les médiasrapportaient avec la froideur quiles caractérise souvent. Il voulait

également réagir face à l’attitude du gouvernement.“L’accident à la centrale de Fukushima Dai-ichi aclairement montré que la pratique du mensonged’Etat qui était la caractéristique du Japon pendantla guerre n’a absolument pas changé. J’ai donc bienl’intention, en tant que poète, de combattre ce malqui semble si profondément enraciné dans notre so-ciété”, nous expliquait-il tandis qu’il composaitjour et nuit des poèmes qu’il publiait ensuite surles réseaux sociaux.Pas étonnant qu’il ait intitulé son premier recueilJets de poèmes (Shi no tsubute). “Dans ma cellulesolitaire, ma seule pensée était que ma propre véritése trouvait dans les mots, et uniquement dans lesmots”, écrit-il dans la préface de cet ouvrage enfintraduit en français et avec le brio qu’on lui connaîtpar Corinne atlan aux éditions Erès. WaGo

Ryôichi a en effet réussi à amener ses contemporainsà prendre davantage en considération l’écrit aumoment où les images prennent de plus en plusde place dans notre façon de nous informer. “Montravail publié juste après le séisme a contribué àrelancer le débat sur le poids des mots dans notresociété alors que celui-ci avait pratiquement disparu

ces dernières années”, confirme-t-il. Car après tout,le poison qui s’est échappé de la centrale de Fu-kushima est invisible. La radioactivité ne se voitpas, mais elle est omniprésente. “Les radiationstombent toujours, alors je suis resté confiné chez moiaujourd'hui. Sans parler à personne, sans penser àrien”, écrit-il le 17 mars 2011. Grâce à ses textescourts, on partage le quotidien que des centainesde milliers d’autres individus ont également vécu.Il y a des hauts et des bas. Mais l’homme parvienttoujours à reprendre le dessus. “Fukushima enproie au désastre, je t’ensevelirai sous les mots. Je neme laisserai pas abattre”, lance-t-il le lendemainalors qu’il se sent prisonnier de cette ville d’où ilest impossible de sortir. “Plus d’endroit d’où partiren voyage, plus d’endroit pour aller et venir de l’ex-térieur, plus d’endroit pour revenir. L’horloge restearrêtée sur 2h46”, constate-t-il. La vie semble s’êtrefigée tandis qu’“il pleut des radiations. La nuit estsilencieuse, silencieuse”, ajoute WaGo Ryôichi prèsd’un mois après le séisme. on perçoit à travers cesphrases que la rupture n’est pas loin, mais le poèteparvient à résister. “Il n’est pas de nuit sans aube”,écrit-il le 26 mai pour achever ce Jets de poèmesqui ne constitue qu’une première étape dans letravail de reconquête qu’il entend accomplir. DansShi no kaikô [Rencontres poétiques, éd. asahiShimbun, 2011, inédit en français], autre recueilqu’il publie juste après celui-ci, WaGo Ryôichi apoursuivi son œuvre en collectant des témoignageset en exprimant sa résolution (ketsui) de reprendrepossession de Fukushima. En dépit de la situationet de moments à la limite de la rupture, il nebaisse jamais les bras. “Non, jamais je ne vendraimon âme de poète”, exulte-t-il avant d’écrire plusieursfois en gros caractères “Ecrire des poèmes”. Voilàpourquoi il faut lire Jets de poèmes, car il s’agit endéfinitive d’une magnifique leçon de courage etde résistance face à l’adversité. Merci à l’éditeurtoulousain de nous la proposer en français.

ODAIRA NAMIHEI

RéféRenceJets de poèmes : dans le vif defukushima, de Wagô Ryôichi,trad. par corinne atlan,editions erès, 2016, 25 €.

Cinq ans après le 11 mars 2011, les éditionsErès publient son magnifique recueil écritdans les heures qui ont suivi la tragédie.

LIVRE Wagô Ryôichi, poète résistant

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L e dôme géant est l'une des pièces majeuresdu grand rendez-vous triannuel. L’œuvreaura nécessité quelque 5 000 bambous

minutieusement tressés à la main, en un tempsrecord. Début mars, son concepteur, l'artistetaïwanais Wang Wen-chih a fait le déplacementsur l'île de Shôdoshima, pour achever lui-mêmela sculpture. Alors qu'il ne reste que deux semainesavant l'ouverture du festival, l'homme étaitfébrile. “Il reste beaucoup de travail et peu detemps, il va falloir se dépêcher”, explique-t-il touten continuant de se diriger vers Nakayama oùse trouve l'installation et en donnant des directivesà l'équipe qui l'entoure.Wang Wen-chih participe pour la troisième fois àla Triennale de Setouchi. Sa structure en bambousa été baptisée “Olive dream”, clin d'œil à l'île quil'accueille si chaleureusement depuis 2010 et dontl'économie repose à 60 % sur la culture du fruitoléagineux. “J'ai un coup de cœur pour cet endroit.Lorsque je suis venu la première fois ici, je ne connaissaispas le Japon. Les gens ont été si gentils et généreux. Ilsont partagé leur histoire, leur culture, leurs paysages.Il y a un sens de la communauté très fort que j'admirebeaucoup. J'ai été très touché”, assure-t-il.A travers son “rêve d'olive”, il leur rend hommage.“Cette fois, j'ai imaginé un dôme tout rond, commeune olive. Lorsque les visiteurs entreront à l'intérieur,j'aimerais qu'ils se sentent heureux. Sereins. Débarrassésdu stress du quotidien. Le centre de la sculpture est lecœur de l'olive. J'espère que les visiteurs entendront

leur propre cœur battre à l'unisson avec le dôme”,ajoute-t-il.On a beau être en mars, le soleil chatouille lesépaules. Shôdoshima a ce parfum qui rappelle laProvence et son climat méditerranéen de manièreassez troublante. Tout à coup, le rythme se ralentit.On retire son gros manteau qui devient superfluet on prend le temps de vivre. C'est sans doutecette douceur qui a donné envie à Patrick Tsai desauter le pas et de quitter Tôkyô où il vivait depuissix ans pour s'installer à Shôdoshima en septembre2014. Ce jeune homme d'origine taïwanaise est néaux Etats-Unis. Il est arrivé au Japon, dans le cadred'un projet artistique en 2012. Photographe, il en-dosse également à Shôdoshima, le rôle de professeurd'anglais et de guide touristique à l'occasion. Unvrai couteau suisse. Avec le festival qui approche, ila du pain sur la planche. “Je me plais beaucoup ici, j'ai été extrêmement bien

Plus d’un million de visiteurs sont attendusdans les îles de la mer Intérieure quicélèbrent l’art contemporain.

ART Triennale de Setouchi, c’est reparti

accueilli. Au départ, je dois avouer qu'il est plusdifficile de s'installer dans une si petite île que dansune grande métropole, mais j'ai le sentiment que celam'a rendu plus fort”, confie-t-il. C'est justementdans le cadre du festival qu'il a découvert l’endroitpour la première fois. C'était en 2013. “Mon séjouravait alors duré cinq semaines dans le cadre d'unemission pour le travail. J’y ai rencontré des gens sichaleureux que cela a provoqué un déclic.” Il a alorsquitté l'agence de publicité qui l'employait pourrejoindre la petite communauté.Cette fois, il est de l'autre côté de la barrière. C'estlui qui s'apprête à accueillir les visiteurs ainsi queles artistes de l'édition 2016 du festival. “La com-munauté d'artistes locaux est importante à Shôdo-shima. Nous sommes tous très solidaires et beaucoupprofitent de l'exposition de la Triennale pour donnerà leurs projets une audience internationale. C'est trèsmotivant.”

INFOS PRATIQUESSetouchi Triennale 2016. La session de printempss’achève le 17 avril. En été, elle se déroulera du 18juillet au 4 septembre. Celle de l’automne auralieu du 8 octobre au 6 novembre. Pour en savoir plus, http://setouchi-artfest.jp/en/

L’artiste taïwanais Wang Wen-chih participe pour la troisième fois à la Triennale de Setouchi.

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新宿日本語学校Shinjuku Japanese Language InstituteSINCE 1975

2016 marque la troisième édition de la triennaled'art contemporain Setouchi. En 2010, lors dela première édition, sept îles de la mer intérieurede Seto, enclavée entre Shikoku et honshû, yavaient participé. En 2013, elles étaient douzeet avaient accueilli plus d'un million de visiteurssur les trois temps forts organisés dans l'année(printemps, été, automne). Cette année, les équipes sont mobilisées pourproposer des visites ou performances étalées sur108 jours au total. Pour l’édition 2016, les orga-nisateurs ont choisi d'installer les œuvres sur les14 lieux qui ont fait le succès de 2013 : Naoshima,teshima, Megijima, ogijima, Shôdoshima,Ôshima, inujima, Shamijima (printemps seule-ment), honjima (automne), takamijima (au-tomne), awashima (automne), ibukijima (au-tomne), le port de takamatsu et enfin le portd’Uno. Plusieurs jours sont nécessaires si l'onveut visiter l'intégralité des lieux répartis sur lesdifférentes îles participantes au gré des saisons.au printemps, une première vague d'installationsa été dévoilée. Mais le grand temps fort restel'été, le climat maritime dont jouissent ces îlesest particulièrement agréable et se prête parfai-tement à une pérégrination artistique. Les îlesde la mer intérieure n’en sont pas à leur premièreexpérience en matière d'art contemporain etd'architecture. En plus de ce grand rendez-vous,elles proposent tout au long de l'année desmusées qui font partie des plus réputés du pays(teshima, Naoshima). Parmi les œuvres à découvrir, le pavillon deNaoshima, un bijou d'architecture, achevé l'annéedernière par FUJiMoto Sou (voir notre supplé-ment Les 50 qui font le Japon de demain, mars2013, pp. 92-93) . La créatrice de mode KoShiNo

Junko animera des ateliers à Shôdoshima. aogijima, l'artiste brésilienne, Regina Silveira,s'interrogera sur les notions d'espace tandis queotaKE Shinro s'appropriera une usine d'aiguillesabandonnée de teshima. a travers une grandeexposition, l’île de Megijima s'intéressera à unsavoir-faire local, celui des bonsaïs dont la pré-

fecture de Kagawa est la principale productricedu Japon. La triennale met également l’accent cette annéesur les spécialités culinaires locales. La petite îlede teshima (900 habitants) organise à nouveausa Shima kitchen, une grande fête où les habitantsinvitent les visiteurs de passage à partager desplats locaux. Une surprise attend ceux qui fêterontleur anniversaire le mois de leur visite. Pourceux qui souhaitent prolonger l'expérience, plu-sieurs familles de l'île proposent des logementschez l'habitant.Cinq artistes indiens collaboreront avec deséquipes japonaises au “Shôdoshima-chô futureproject” dirigé par tSUbaKi Noboru. L'idée estde réfléchir, explorer et inventer des moyens derelancer l'économie locale. La vitrine offerte parle festival est aussi l'occasion pour les élus locauxd'exprimer leurs inquiétudes quand à l'avenirde leurs îles rurales. “Au cours de leurs histoires, chacune de ses îles,idéalement situées au centre d'un commerce ma-

ritime important, a pu s'enrichir de nouvellescultures et créer une identité particulière et uniqueen son genre, rappelle Shiota Yukio, maire deShôdoshima. Malheureusement, aujourd'hui, àcause du vieillissement de la population et del'exode des jeunes vers les grandes villes, nos îlessont en train de mourir. En continuant d'organisercette Triennale, nous avons l'espoir de redynamiserle secteur et de donner envie aux personnes qui vi-sitent notre région de s'intéresser à son histoire,son patrimoine, sa culture. Pour que la mer deSeto, devienne une mer d'espoir pour le monde.”“Nous avons besoin de nous ouvrir davantage àl'international. Nos enfants ont besoin de parleranglais”, ajoute Shiota Yukio. De son côté, Pa-trick tsai en a bien conscience. il sait que l'onattend beaucoup de lui à ce sujet, mais il prendson rôle à cœur et ne regrette pas ses choix. “Jesuis fier de promouvoir les charmes de cette île. J'aireçu beaucoup de Shôdoshima, c'est naturel pourmoi de vouloir rendre en retour.”

JOHANN FLEURI

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Tous les trois ans, les îles de la mer Intérieure se transforment en de vastes chantiers culturels.

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F in connaisseur du cinéma japonais etdésireux d’offrir aux lecteurs francophonesun ouvrage qui dépoussière la manière de

présenter le 7è art nippon, Mathieu Capel a réussison pari avec son Evasion du Japon : cinéma japonaisdes années 1960 (éd. Les Prairies ordinaires). nonseulement il revisite avec force et clarté cette im-portante période sur le plan cinématographique,mais il donne de nombreuses clés pour saisir lestransformations sociales dans l’archipel et le contexte.Grâce à ce remarquable travail, on découvre que cequ’on a baptisé la nouvelle vague japonaise, en ré-férence à celle qui prévalait en France, ne se résumaitpas au simple désir d’en finir avec le cinéma depapa, c’est-à-dire de remettre en cause le systèmedes studios. “Aussi faut-il retenir tout jugement quidécrirait trop rapidement les “enfants terribles” de lanouvelle génération comme iconoclastes ou parricides.Et à contre-pied des anathèmes, interroger les raisonsqui les conduisent à se désolidariser de figures [les ci-néastes d’avant] si importantes”, écrit MathieuCapel. Les cinéastes qui tentaient alors d’existercherchaient avant tout à proposer un autre regardsur la société en lui substituant un nouveau modèle.Cette lecture du cinéma japonais des années 1960nous permet de revoir de nombreux films avecune approche différente et bien plus intéressanteque le simple parti pris esthétique imposé par laplupart des critiques. dès lors, on comprend mieuxle titre de son ouvrage Evasion du Japon, lui-mêmeinspiré par le film éponyme de YOshida Kijû,grande figure du cinéma de l’époque. nous avonsrencontré Mathieu Capel. il est revenu sur sonparcours qui l’a conduit à écrire ce livre qui marqueun tournant dans les études cinématographiquesconsacrées au Japon.

Qu’est-ce qui vous a conduit vers le cinémajaponais ?Mathieu Capel : C’est la découverte des filmsde YOshida Kijû lors d’une rétrospective organiséeà La rochelle en 1997, je crois. Je travaillaisalors sur Pasolini. Le cinéma japonais ne m’étaitpas étranger. J’avais vu en salles des films de Ku-rOsawa akira, KObaYashi Masaki ou encoreKitanO takeshi. il y avait un terrain sensiblesans doute, mais ce sont les œuvres de YOshida

qui ont servi de déclencheur. J’étais aussi à unmoment charnière dans mon parcours profes-sionnel et cette rencontre est finalement tombéeà un moment propice. il y a comme une espècede syndrome de stendhal avec une date que l’onpeut retrouver au jour près.

Vous parliez déjà japonais ?M. C. : Pas du tout. J’ai mis assez longtemps àm’y mettre. Comme j’étais dans un champ dis-ciplinaire assez particulier, celui des études ci-nématographiques, on se dit souvent que l’onpeut travailler sur des films sans en connaîtreforcément la langue puisqu’il existe de nombreusesœuvres disponibles en version sous-titrée. C’étaitle cas pour de nombreux cinéastes japonaiscomme Ozu Yasujirô ou KurOsawa akira.Mais pas pour YOshida. J’ai tout de même tra-vaillé dessus pendant trois ou quatre ans sansparler un traître mot de japonais jusqu’au momentoù je me suis dit que je n’arriverai à rien sansconnaître cette langue. Ça a été assez tardif,mais je l’ai fait. C’est en travaillant sur ma thèse

KIMURA Naho dans Purgatoire Eroïca (Rengoku eroika, 1970) de YOSHIDA Kijû.

DR

Dans un brillant essai consacré à unepériode cinématographique très chargée,Mathieu Capel met les points sur les i.

CINÉMA Les années 1960 revisitées

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que je me suis lancé dans l’étude de la langue.

Votre ouvrage porte sur le cinéma des années1960. Ce choix est-il seulement lié à votreintérêt pour Yoshida ?M. C. : Je me suis rapidement rendu compteque si je voulais qu’on s’intéresse à YOShiDa etqu’on le reconnaisse, car au fond je souhaitaisqu’on arrête de toujours parler d’ÔShiMa Nagisa,il était indispensable de revaloriser les films dechacun des cinéastes de cette époque. Je me suisdonc littéralement plongé dans cette périodecinématographique à la découverte des œuvresde tous ces cinéastes sans réellement savoir ceque j’y trouverai et ce que j’en ferai. a la mêmeépoque, je découvrais également des ouvragescomme celui de karataNi kôjin sur la littératurejaponaise moderne. il évoquait des espaces dis-cursifs qui se succédaient dans l’histoire de lalittérature, certains d’entre eux par exemplefaisant un retour vers l’ère taishô (1912-1925).tout cela m’a beaucoup impressionné et j’aidonc voulu à ma façon appliquer une approcheoriginale à l’égard du cinéma japonais. Celatenait aussi à une certaine insatisfaction par rap-port à ce qui existait déjà sur le cinéma de la pé-riode, notamment Le Cinéma japonais de SatÔ

tadao [éd. Centre Georges Pompidou], ceuxde Donald richie ou de Max tessier. Leur ap-proche très thématique ne répondait pas à cer-taines questions que je me posais. Pourquoi pas-sait-on tout d’un coup d’un cinéma classique,dit d’âge d’or, à un cinéma comme celui d’iMa-MUra Shôhei ? Qu’est-ce qui a été décisif ?Quand on lit ces auteurs, on a l’impression queMizOGUChi kenji est le cinéaste des femmes etqu’il est revendicatif pour ça, qu’iMaMUra estaussi un cinéaste des femmes et que c’est égalementpour cela qu’il est revendicatif, et pour YOShiDa,on peut aussi dire la même chose, etc. Or lesfilms de ces cinéastes ne se ressemblent absolumentpas. Quelle est leur différence fondamentale ?L’approche thématique ne permet pas à monsens de répondre à cette question. il fallait à

mon sens tenter de trouver une approche diffé-rente pour saisir le changement. Et ce qui m’estapparu clairement, c’est la rupture consomméeentre le Japon de l’après-guerre et le Japon de lahaute croissance économique. Elle explique l’ap-parition de films très différents.

L’intérêt de votre ouvrage repose aussi survotre souci de conserver une certaine distanceavec le cinéma de cette époque. Vous ne vousêtes pas laissé submerger par la “nouvellevague” comme d’autres qui ont considéré defaçon parfois péremptoire que les œuvres issuesde cette période étaient forcément toutes gé-niales.M. C. : Même si j’ai un fort tropisme pour un ci-néaste comme l’illustre la couverture de monlivre qui reprend une image du film PurgatoireEroica de YOShiDa kijû, j’ai essayé de montrergrâce à la lecture de nombreux textes qu’il existaitdes réseaux, des inimitiés, des rivalités, des débatset que la vision élégiaque du cinéma japonais, del’indépendance ou de la grande histoire héroïquene tenait pas. La réalité du cinéma que je découvraisalors ne correspondait plus du tout à ce que j’avaislu auparavant. Je devais donc en rendre compte.Pour cela, il fallait en finir avec certaines légendescomme celle d’un ÔShiMa claquant la porte dela Shôchiku après Nuit et brouillard au Japon.J’ai été moi-même le premier surpris en lisant lesmémoires du cinéaste de voir qu’il tempère beau-coup cette histoire. Pour parvenir à ce résultat, ily a aussi une question de méthode sans doute. Jeme suis rapidement rendu compte que la plupartdes acteurs de cette période ne parlaient pas de lamême chose et étaient en profond désaccord. ilne s’agissait pas d’un simple désaccord entre lescinéastes indépendants et ceux qui étaient restésdans les studios. Si on ne suivait que cette frac-ture-là, il était impossible de raconter grand chose.Je devais donc fouiller et comprendre ce quipouvait séparer un Ôshima d’un Yoshida. Ques’était-il passé entre eux. ils avaient longtempsété inséparables lorsqu’ils étaient assistants avant

de devenir des frères ennemis. Une explicationétait nécessaire et pour la donner, il était nécessairede se montrer le plus objectif possible en dépit demon tropisme que je n’ai pas vraiment cherché àdissimuler. J’aurais alors rédigé un portrait àcharge d’Ôshima et un panégyrique de Yoshida ?Quel intérêt. Je me serais alors menti à moi-même en affirmant que Bons à rien est un bienmeilleur film que Contes cruels de la jeunesse, cequi est évidemment faux.

Cette approche que vous dénoncez indirecte-ment est le reflet de cette politique des auteursque l’on retrouve souvent dans le cinéma.M. C. : En effet. On a tendance à penser qu’uncinéaste, une fois qu’il a été “élu”, ne produit quedes œuvres de premier ordre. C’est loin d’être lecas. C’est une approche qui dessert bien des au-teurs. Je pense, par exemple, à Nakahira kô.Son film Getsuyobi no yuka est sensationnel,mais il y a peu de chance qu’on en parle, moi-même je ne le fais pas, parce que Nakahira aréalisé beaucoup de mauvais films. C’est dommage.La politique des auteurs, c’est bien, mais je croisque la politique des films a aussi ses avantages.Dans le travail de recherche entrepris pour cetouvrage, j’ai apprécié de me retrouver parfoisconfronté à des situations où je devais revoir maconception à l’égard du travail de certainscinéastes. Cela ne collait pas et il fallait reprendrel’analyse autrement. C’est quelque chose que jetrouve très stimulant. Le résultat peut parfoisdécontenancer car cela peut donner l’impressiond’être confus. Mais en définitive, le lecteur peutmieux appréhender cette période cinématogra-phique si riche en rebondissements.

PROPOS RECUEILLIS PAR

GABRIEL BERNARD

RéféRenceevasion du Japon, cinémajaponais des années 1960,de Mathieu capel, éd. LesPrairies ordinaires, 22 €

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24 ZOOM JAPON numéro 59 avril 2016

sous serres, on utilisait celles qui provenaient d’Amé-rique. Le wagashi, pâtisserie japonaise traditionnelle,respecte quant à lui le rythme des fruits de saison.L’ichigo daifuku est une pâte de riz enrobant unefraise recouverte d’an (pâte de haricots rouges). Onne peut le déguster qu’au printemps. Il anime lesvitrines de saison avec un autre wagashi : le sakuramochi, un gâteau de riz avec des feuilles de cerisierenveloppant l’an. Au konbini, cette supéretteouverte 24h / 24, la saison des fraises prend desformes variées avec des choux à la crème ou deséclairs aux fraises, des crêpes à la confiture de fraiseou encore du gâteau roulé à la chantilly et aux fraises.Même le Pocky, l’équivalent du Mikado en France,n’est pas en reste avec une version kawaii au chocolatrose incrustés de morceaux de fraise.

MAEDA HARUYO & KOGA RITSUKO

ZOOM GOURMAND

A u Japon, lorsque l’hiver s’achève et quela douceur se fait de nouveau ressentir,les fraises apparaissent au rayon fruits du

supermarché. Chez les pâtissiers ou dans les restau-rants des hôtels se déroulent “la foire aux fraises”au cours de laquelle on présente différentes variantesde desserts à base de ce fruit rouge. Dans les cam-pagnes, c’est la cueillette qui débute. La fraise est leroi des fruits d’avril à mai. Même si, dès octobre,grâce à la culture sous serres très répandue dans l’ar-chipel, on peut en trouver facilement au marché. Il existe aujourd’hui plus d’une centaine de variétésavec chacune son nom. Dans l’est du pays, les pluspopulaires se nomment “Nyohô” et “Tochiotome”car elles viennent de la préfecture de Tochigi. Dansl’ouest, on les appelle “Toyonaka” et “Mao”. Ellesproviennent de Fukuoka. Contrairement aux pra-tiques dans les marchés français, au Japon, les fraisesne sont pas empilées sous forme de pyramide et ser-vies avec une pelle. Elles sont toujours vendues dansune barquette où elles sont soigneusement alignées.Pour cette princesse, les critères de sélection sonttrès stricts. Elle doit être belle et brillante. Le prixmoyen varie de 400 et 600 yens par barquette de300g, sauf si celles-ci portent un grand nom. Une“Mikagi ichigo”, originaire de la préfecture deMiyagi, coûte 1 000 yens l’unité. La “Bijinhime”,originaire de Gifu, est un joyau de 80 grammes dontle coût impressionnant avoisine les 50 000 yens lafraise. C’est pour cette raison que sur les étals, onles appelle “bijoux pour se régaler”.En France, le fraisier est la pâtisserie de référence,pour les Japonais, c’est l’ichigo no shôto kêki (short-cake aux fraises) que tout le monde apprécie ! C’estpresque une icône du pays, il décore toute l’annéela vitrine des pâtissiers. Avant la culture de la fraise

Au printemps, les rayons des supermarchés etdes pâtisseries se mettent à l’heure de ce fruitrouge que les Japonais aiment par-dessus tout.

DESSERT Le printemps ramène sa fraise

En haut : Puku puku Tai Ichigo, Koara no march, Pocky tsubutsubu ichigo, Double deep strawberry.

En bas : Melon pan à la fraise, gâteau aux fraises, Pretzel Hello Kitty fraise

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KIOKO www.kioko.fr46, rue des Petits Champs 75002 Paris- Meito Pukupuku Tai Ichigo 2,05 €- Lotte Koara no march fraise 3,25 €AKI boulanger akiboulanger.com16 rue Sainte-Anne 75001- Gâteau aux fraises 4,30 €- Melon pan à la fraise 2,20 €SATSUKI www.satsuki.fr37, avenue Lacassagne 69003 Lyon- Mochi à la fraise 1,89 €- Mochi à la fraise et au lait concentré 3,00 €- Limonade japonaise Ramune fraise 2,20 €K-mart Opéra8 rue Sainte Anne 75001 Paris- Glico Pocky tsubutsubu ichigo 2,00 €- Pretzel Hello Kitty fraise 1,20 €- Double deep strawberry 2,54 €TORAYA www.toraya-group.co.jp/toraya-paris/10, rue Saint-Florentin 75001 Paris- Sakura mochi (mars & avr.) 5,50 € (prix à emporter)

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Ouvert tous les jours de 11h30 à 22h30

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ZOOM GOURMAND

L A RECETTE DE HARUYO

PRÉPARATION1 - Enlever le calice des fraises.2 - Enrober la fraise avec l’an (10 g environ)

3 - Dans un bol, mélanger la farine de riz gluant, lesucre et l’eau.

4 - Recouvrir d’un film plastique, puis cuire au micro-ondes (600 W) pendant 3 minutes.

5 - Mélanger, puis recuire pendant 2 minutes jusqu’àce que la pâte devienne translucide.

6 - Verser dans un plat avec la fécule.7 - Diviser la pâte en 12 avec des ciseaux.8 - Envelopper la fraise et l’an avec la pâte. Bien coller.Astuce : On trouve la farine de riz gluant dans lesépiceries chinoises. L’an peut être remplacé par dela crème pâtissière.

INGRÉDIENTS(pour 12 daifuku)

12 belles fraises200 g d’an160 g de farine de riz gluant60 g de sucre180 ml d’eau

ICHIGO DAIFUKU(Fraise dans sa robe blanche)

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S ous le pont de bois, des bateaux à fond plattransportant des passagers sillonnent larivière comme ils le faisaient il y a plusieurs

siècles avant que la population soit autorisée àemprunter le pont. a l'image des gondoles de Veniseavec leur toit qui protège du soleil, la longue embar-cation glisse doucement sur l'eau tandis que sonpilote la manœuvre tranquillement. Cette lenteuret ce cadre intemporel nous feraient oublier que ceseaux tranquilles peuvent à tout moment se trans-former en un torrent destructeur.

Il ne s'agit pas d'un pont ordinaire. Vous êtes devantle pont Kintai qui enjambe la rivière Nishiki à Iwa-kuni, dans la préfecture de Yamaguchi. L'un destrois grands ponts du Japon. Les gens du cru sonttellement fiers de leur pont qu'ils le célèbrent tousles ans le 29 avril. Le Kintai bashi matsuri attirequelque 40 000 personnes chaque année. Qu'est-ce qui vaut à ce pont d'être si bien considéré?Il y a d'abord sa beauté. Par ailleurs, avec ses cinqélégantes arches construites initialement sans aucunclou et soutenues par trois piliers en pierre, il est lefruit d'une prouesse technique. Mais pour connaîtretoute son histoire, il faut remonter quatre siècles enarrière, en 1600 quand KIKKawa Hiroie, premierseigneur d'Iwakuni, a été défait lors de la bataille de

Sekigahara.Banni de son château d'Izumo, KIKKawa s'est ins-tallé à Iwakuni dans la perspective d'y implanter unnouveau château. Il a choisi le mont Shiroyama aubord de la rivière Nishiki, estimant que celle-ciconstituerait une excellente défense naturelle. Ildonna ordre aux samouraïs de haut rang de bâtirleurs résidences du côté de la rivière où se trouvaitle château tandis que les samouraïs de basse extrac-tion et les marchands devaient s'installer en face.C'est ainsi que la ville d'Iwakuni est devenue uneville coupée en deux par la rivière. C'est toujours comme ça de nos jours. Traverser larivière pour se rendre sur la rive du château revientà faire un voyage dans le temps. On retrouve les fon-

Chaque année, quelque 40 000 personnesviennent assister à une fête pas comme lesautres dans un cadre fantastique.

Le pont Kintai n’a pas été épargné par les éléments, mais les habitants d’Iwakuni n’ont jamais cessé de le reconstruire selon les plans d’origine.

DÉCOUVERTE Sur le pont d’Iwakuni

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dations de l'ancienne résidence de la famille Kikkawadans le parc Kikko qui abrite des musées, des fon-taines, d'anciens sanctuaires et des maisons desamouraïs. Il y a également le sanctuaire de la familleKIKKawa (1884) et le superbe parc Momiji Danicréé à partir de plusieurs jardins de temple et quel'on a surnommé le Kamakura de l'ouest.Le parc Kikko abrite aussi l'enclos aux serpentsblancs. Visibles seulement à Iwakuni, ces adorablescréatures sont des trésors nationaux et elles sontconsidérées comme des messagers de Benzaiten,divinité du Bonheur. De l'autre côté de la rivière setrouve le reste de la ville.De toute évidence, les deux parties de la ville avaientbesoin d'être reliées entre elles d'une manière oud'une autre. Mais la rivière Nishiki plutôt capricieuseet ses célèbres débordements ont réduit à néant lespremières tentatives de construire un pont. Jusqu'aujour où KIKKawa Hiroyoshi, troisième seigneurd'Iwakuni, a fait son entrée en scène. "Je veux bâtirun pont indestructible… Soit, je construirai des pilierstrès solides, soit, je créerai un pont sans aucun pilier",déclara-t-il. Il opta pour la première solution et lepremier pont Kintai fut terminé en 1673. Malheu-reusement, une tempête emporta la structure debois quelques mois plus tard. En 1674, un nouveaupont plus solide encore fut inauguré et tint 276 ansjusqu'au passage, le 14 septembre 1950, du typhonKijiya qui le détruisit. Les habitants de la ville se ras-semblèrent alors pour sauver ce qui restait du pontdont ils étaient si fiers. Ils travaillèrent toute la nuitpour tenter de détourner les eaux en chantant "Pro-tégeons le pont". Mais à 9h40, ils regardèrent impuis-sants le troisième pilier s'effondrer ainsi que la troi-sième et la quatrième arches être emportées au mêmetitre que leur rêve de voir un jour leur pont désignécomme trésor national.En réponse à la tristesse de la population locale,moins d'une semaine plus tard, des plans pour lereconstruire étaient déjà sur la table. Certains par-lementaires à Tôkyô suggérèrent de le remplacerpar un pont en béton, mais cette idée provoqua lacolère des habitants qui voulaient retrouver laconstruction originale. Finalement, au terme de

deux années de travail, c'est leur volonté qui prévalut.En janvier 1953, le pont Kintai, troisième du nom,fut inauguré. Quarante ans plus tard, il fut enregistrécomme trésor national.Les gens de Tôkyô avaient raison sur un point. Uneconstruction en bois serait toujours à la merci deséléments. Mais plutôt que de concevoir une structureplus permanente (une impossibilité puisque lesexperts avaient fini par reconnaître que les tech-niques modernes ne pourraient pas le rendre plussolide), la ville d'Iwakuni a trouvé une solution ori-ginale qui consiste à transmettre le savoir-faire archi-tectural afin qu'il puisse servir à nouveau. C'est ainsique les techniques traditionnelles sont transmisesd'une génération à l'autre des ingénieurs civils quipeuvent ainsi remplacer les sections usées par letemps par de nouvelles pièces fabriquées à partir decèdres japonais. Ils utilisent pour cela des techniquesqui n'ont guère changé depuis l'ère d'Edo (1603-1868).C'est en 2002 que s'est déroulée la première réno-vation de grande ampleur. Le chantier fut achevé le20 mars 2004, mais l'année suivante, le pont fut

endommagé après le passage d'un typhon particu-lièrement puissant. L'actuel pont Kintai est donc lequatrième du nom.Pour revenir à la fête qui le concerne, on est trèsvite enveloppé par le puissant son des grands tam-bours qui monte des rives de la Nishiki. De retourau matsuri, le son des tambours géants qui provientdes rives de la rivière rappelle le tonnerre avant latempête. Il annonce le temps fort de la journée : uneprocession spectaculaire sur le pont qui reconstituele retour du seigneur local (daimyo) après son séjourà Edo imposé par le Shogun pour s'assurer de la fidé-lité de ses vassaux. C'est magnifique, le daimyo étantaccompagné d'une escorte nombreuse et colorée,en costumes d'époque.On voit alors apparaître des hommes brandissantd'énormes bannières accrochées à de longues perchesau bout desquelles se trouvent des gros pompons.D'autres surgissent à leur suite, portant des drapeaux,frappant des tambours, sonnant des cymbales, chan-tant, portant de grand tansu (coffres en bois). Fonc-tionnaires, prêtres, courtisans, soldats, certains avecdes épées de samouraïs, certains avec des arcs et de

Le 29 avril, les Japonaises se mettent sur leur 31.

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longues flèches ornées, d'autres dans des manteauxdorés marchent et dansent à la fois au milieu de cepont intemporel. Cette scène rappelle l'une desestampes de Hiroshige tirée de sa longue série desCinquante-trois stations de la route du Tôkaidô. Leurpassage se déroule à un rythme qui rappelle celui duthéâtre Nô comme si l'on voulait nous faire l'élogede la lenteur. Au bout de près d'une heure, appa-raissent alors le seigneur et sa femme entourée deses dames d'honneur dans de superbes kimonos.Leur arrivée annonce la fin de la procession.C'est alors que les gens peuvent emprunter le pont

et le traverser. Pendant 195 ans, seuls le daimyô etses vassaux pouvaient passer par le pont, les autresmortels devaient se contenter de prendre le bateaupour aller sur l'autre rive. Ce n'est qu'en 1868 quetous les citoyens furent autorisés à l'utiliser. De nosjours, après s'être acquitté d'un péage de 300 yens,n'importe qui peut le traverser, mais cela ne nousempêche pas d'avoir l'impression de se sentir privi-légié de pouvoir le faire.Une fois la procession terminée, ils sont des centainesde touristes à s'y croiser. Et lorsqu'on demande si lepont peut supporter un tel poids, un guide local

bénévole nous répond qu'il ne faut pas s'inquiéter."Il a été conçu pour être plus solide à mesure que lepoids augmente", assure-t-il. A l'instar du daimyô etde son entourage, cela vaut la peine de prendre letemps de le traverser. Il convient de s'attarder et desavourer chaque instant, de profiter des courbes dupont, des marches, des collines boisées tout autouret de la rivière Nishiki sur son lit de pierre. Aprèstout, nous sommes bien au pays des pierres : Iwakuni. Le tir soudain des arquebuses fait sursauter les gens.Il vient de l'autre côté de la rivière où se trouve unecompagnie d'arquebusiers composée d'hommes et

L’une des grandes attractions est la séance de tir réalisée par les arquebusiers avec des armes vieilles de plus de 300 ans.

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de femmes d'Iwakuni, en tenue de combat desamouraïs. Le chargement de ces vieux fusils est unprocessus complexe qui prend un certain temps(comme tout le reste de nos jours), mais lorsque lecommandant dans son splendide costume donnel'ordre de tirer, retentit alors un craquement collectiffort et toute la troupe disparaît dans un nuage densede fumée. A ce moment-là, vous regardez autourde vous et pendant un moment, rien absolumentrien ne laisse supposer que vous êtes au XXIe siècle.La compagnie des arquebusiers d'Iwakuni s'entraîneune fois par mois le long des rives de la Nishiki.Comme les ingénieurs du pont, ses membres sou-haitent préserver cet héritage culturel, en particulierle style d'IsHIDA Mitsunari, commandant de l'arméede l'ouest pendant la bataille de sekigahara. Aprèscette séance, les jolis tireurs sont heureux de poserpour des photos. Ils vous laissent même porter leurarme. "Celle-ci a été utilisée il y a plus de 300 ans auJapon", confie l'un d'entre eux, les mains noires depoudre.Pour terminer la journée, vous ne pouvez pas quitter

Iwakuni sans avoir goûté ses célèbres sushi encouche. Des guides bénévoles revêtus de leur vesteturquoise vous aideront volontiers à trouver l'undes nombreux restaurants qui en servent, commele Hangetsu Ryokan, fondé en 1869, juste en basde la route du pont. En face, il dispose d'un magni-fique petit jardin wabi-sabi avec des lanternes depierre moussue, des érables et un étang avec descarpes. Une dame vêtue d'un kimono rose vousaperçoit en train d'admirer les poissons. “Nishikigoï,” dit-elle. Elle insiste sur le mot “Nishiki,”comme pour dire “Voyez, ils ont nommé le poissoncomme notre rivière, celle avec le pont”.

STEVE JOHN POWELL

POUR S’Y RENDREAu départ de Hiroshima, deux possibilitéss’offrent à vous. Vous pouvez emprunter leshinkansen en direction de Hakata jusqu’àShin-Iwakuni (15 mn) ou bien la ligne JR Sanyôjusqu’à Iwakuni (26 mn). Dans les deux cas, ilvous restera à parcourir 5-6 km en bus ou entaxi jusqu’au pont Kintai.

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“Plus il y a de monde sur le pont, plus il est solide”, affirme-t-on à Iwakuni.

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