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Notre nez est-il quantique?Lemécanisme intime de perception desodeurs reste unmystère. Un chercheurfrançais estime qu’il repose sur la vibra-tion desmolécules odorantes. PAGE 3

Du fleuret à la sangsueAnciennechampionne d’escrime, Brigitte Latrilledirige, près de Bordeaux, un élevage desangsues. Elle en vend 100000par anà travers lemonde. Portrait. PAGE 7

Santé: alertes venues du froidGrâce à de précieux registres,les pays scandinaves peuvent étudieret estimer rapidement les risquesliés auxmédicaments. PAGE 2

c a r t e b l an ch e

CédricVillani

Mathématicien, professeurà l’université de Lyon-I,directeur de l’Institut

Henri-Poincaré (CNRS/UPMC),Médaille Fields 2010

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

L e 4 janvier, le cinéma américain décernait un«oscar scientifique» à des chercheurs de l’ETHZurich et de Cornell University (Etat de New

York) pour avoir développé un logiciel de « turbulen-ce par ondelettes» qui crée des images de fluides,flammes ou fumées réalistes, sur unmouvementd’ensemble prescrit.

Cette récompense ne surprendra pas ceux quisavent l’importance du triptyquemathématiques-physique-informatique dans le cinéma actuel. Defait, lors du gigantesque colloque joint des associa-tionsmathématiques américaines, tenu à San Diegoen janvier, une session était dévolue à la création gra-phique. Des représentants de groupes comme Adobeou Disney y évoquaient le rôle toujours croissantdes équations et techniquesmathématiques dans cedomaine, qui s’est fait avec de grands studios com-me Industrial Light &Magic, Pixar, Dreamworks ouWata, de grands projets comme Toy Story, mais aus-si de grandes figures humaines comme le légendairechercheur Edwin Catmull. Dans sa passionnante

conférence plénière, «Howmathematics has chan-gedHollywood», Tony DeRose, directeur de la recher-che de Pixar, évoquait avec fierté les activités scienti-fiques et les publications de son groupe.

L’histoire des fluides est à cet égard exemplaire.Pendant desmillénaires, on ne savait décrire que paranalogie le mouvement de la «mer violette», selonune expression homérique populaire. C’est seule-ment vers 1750 que desmathématiciens commeEuler ou d’Alembert se lancèrent dans une aventurerévolutionnaire: mettre en équations lemouve-ment confus des eaux!

En résultèrent les équations d’Euler, de Navier-Sto-kes, de Boussinesq, qui sont aujourd’hui à la base denos prédictionsmétéorologiques,mais aussi denotre représentation animée des fluides. Résolus pardes algorithmesmodernes, ces modèlesmathémati-ques remplacent avantageusement au cinéma lesanciens effets spéciaux analogiques. Ainsi la mer est-elle devenue pleinement, selon lemot de Léo Ferré,une «mathématique bleue» !

L’analysedes équations auxdérivéespartielles, lagéométrie constructive, les estimationsprobabilistes,l’algèbre linéaire: autant de domainesmathématiquesqui se combinentavec laphénoménalepuissance infor-matiquedes studios hollywoodienspour calculer lesformes, les ombres, les reflets, la lumière, lemouve-mentdes cheveux, des vagues et des vêtements, avecun réalismequi donne l’illusionde la nature.

Etmême, qui faitmieuxque la nature! Le réalisa-teur de cinémapeut désormais améliorer les lois de laphysiqueoude la biologie à sa guise: dansBrave, ledernier-nédes studios Pixar, les personnages ont desexpressionsbien plusmobiles que ce que des nerfsfaciauxhumains peuvent réaliser, et la tignasse rous-se de l’héroïne est guidéepar des ressorts invisiblesgarantissant la souplesse élégante des cheveux en tou-tes circonstances…Des subtilités qui, bien sûr, échap-pent au spectateur: dans ce domaine la technologiene doit pas se faire remarquer,mais juste fournirl’écrin où l’art des scénaristes etmetteurs en scènepourra s’épanouir.p

De lamerviolette à lamathématiquebleue

Chamois.NICOLAS KRIEF/DIVERGENCE POUR «LE MONDE»

DanslesréservesduMuséumDepuis trois siècles, lesnaturalistesont accumulé

huitmillionsde spécimens, rassemblésdans les sous-sols de laGrandeGaleriede l’évolutionàParis.

Plongéeaumilieudecepeuple souterrain.PAGES 4-5

Cahier du «Monde »N˚ 21163 daté Samedi 2 février 2013 - Ne peut être vendu séparément

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Sandrine Cabut

Les pays nordiques seraient-ils desmodèles pour l’épidé-miologie? Des effets secon-daires des pilules de 3egéné-ration à ceux d’un vaccincontre la grippe H1N1, beau-

coupd’alertes viennentdu froid.Qu’il s’agissededonnées concernant la

consommation et les effets secondairesdemédicaments, la santé des enfants, lescancers ou les pathologies chroniques(diabète, maladies cardio-vasculaires…),les étudesmenéesdans ces «petits» pays–dontlepluspeuplé,laSuède,avec9,5mil-lionsd’habitants–fontsouventréférence.Elles sont régulièrement publiées dansdes revues médicales de haut niveau, etpeuvent venir à l’appui de décisions desanté publique à l’échelle internationale.Desperformancesqui reposent enbonnepartiesurl’exploitationd’unsystèmetrèsdéveloppéde registres.

Le principe de ces bases de données,auxquelles ont recours de nombreuxpays, notamment anglo-saxons, est derecueillirdesinformationsdefaçonconti-nue et exhaustive dans une population

géographiquement définie, à des fins desantépubliqueetde recherche.

Les registres des pays nordiques pré-sententdenombreuxavantages: ils exis-tentdepuis longtemps,dansdemultiplesdomaines, et sont pour la plupart natio-naux,c’est-à-direqu’ilscouvrentl’intégra-lité de la population.Des atouts précieuxensantépublique.

Dans l’épineux dossier des pilulescontraceptives, la quantification des ris-ques thromboemboliques veineux desdifférentes pilules s’est ainsi largementappuyée sur les résultats de recherchesconduitesauDanemark.

Pour mener à bien leurs enquêtes depharmaco-épidémiologie – notammentpubliées en2009 et 2011 dans le BritishMedical Journal –,ŒjvindLidegaard (uni-versité de Copenhague) et ses collèguesont consulté et croisé les informationsdequatre bases de données. Il y a toutd’abord celles du registre des «statisti-ques du Danemark», qui contient desinformations de type état civil sur les5,74millions de citoyens. Les chercheursontainsi estiméavecprécision lapopula-tion des femmes âgées de 15 à 49ansentre1995et 2009.

Parallèlement, ilsontpucomptabiliserles cas de phlébites et d’embolies pulmo-naires grâce au registre national despatients, qui collecte tous les diagnosticsposés lors des hospitalisations dans desétablissements publics ou privés danoisdepuis 1977. Le registre national des cau-ses de décès a permis de recenser lesmortspar thromboemboliesveineuses.

Enfin, les prescriptions des différentscontraceptifsontétédéterminéesàpartirduregistrenationaldesproduitsdesanté,crééen1994poursuivredefaçonexhaus-tive les ventes de médicaments – surordonnanceounon–danstouteslesphar-maciesdupays.

Chaque Danois étant identifié par unnumérounique, qui est utilisé dans touslesregistrespublics, lesbasesdedonnéesdu pays peuvent être assez facilementreliéesentreelles.Par sécurité, les autori-sations ne sont cependant délivrées quedans le cadre de projets scientifiquesbiendéfinis.

Au final, en chaînant ces quatre sour-ces de données, l’équipe danoise a puconfirmerquele risquedethrombophlé-bite sous pilule de 3e ou 4egénération(dontleprogestatifestdudesogestrel,dugestodèneoudeladrospirénone)estdou-blé par rapport à celui des pilules de2egénération (à base de lévonorgestrel).«Les registres permettentune estimationfiable des risques pour tous les médica-mentspeud’annéesaprès leurmise sur lemarché, souligneŒjvindLidegaard.C’estaussi avec ces outils que nous avons pu,parexemple,étudierl’influencedestraite-ments hormonaux de la ménopause surles risquesdemaladiescardio-vasculairesoude cancers de l’ovaire.»

Desexemplesparmibiend’autres…LeDanemark a une longue tradition debasesdedonnées,dans ledomainemédi-cal mais aussi d’autres tels que l’éduca-tion.Lepremierdesregistresdanoisaétécrééen1875pourrecenserlesdécès,souli-gne un numéro spécial du ScandinavianJournal of Public Health paru en 2011.Depuis,biend’autresontétémisenplacepour étudier diversesmaladies (cancers,diabète, pathologies psychiatriques…).Le Danemark dispose aussi, depuis 1870,d’un registre des jumeaux, qui est l’undes plus anciens au monde. Il existemême un registre danois des enfantsadoptés.

LaSuède, laNorvège, l’Islandeet laFin-lande sont également dans cette straté-gie des registres nationaux. Et ils s’unis-sentmêmedans certains domaines. Unebase commune des prescriptions demédicamentsdanstouscespaysestainsiopérationnelle ; elle permet d’obtenirdes données sur une population de25millionsd’habitants, de faire des com-paraisons par pays… Dans un domaineproche, un rapport du Sénat françaisdaté de juillet2012 souligne le rôle cru-cial des registres suédois, danois, maisaussi australiensdans la surveillancedesdispositifsmédicaux.

Le document signale notamment «lacapacité des registres suédois à détectertrèsenamontlesdysfonctionnementspré-sentés par certains dispositifs», ce quiexplique en partie le nombre limité demarques de dispositifs médicaux – pro-thèsesdehancheparexemple–commer-cialisées en Suèdepar rapport au reste del’Europe.Leprixpeut-êtredelasécurité.p

Santépublique:les leçonsdumodèlescandinave

é p i d é m i o l o g i e | Lespaysnordiquesdisposentdenombreuxregistresquileurpermettentdedépisterrapidementleseffetssecondairesoulesmésusagesdesmédicaments.UnoutilquifaitdéfautenFrance

I l existe, en France, 53registresquali-fiéspar les autorités, parmi les-quelsquatorze concernentdes can-

cers généraux, onzedes cancers «spé-cialisés» (tumeursdigestives, dusein…), six desmaladiesneuro-cardio-vasculaires,quatredesmalformationscongénitaleset onzedesmaladiesrares. Laplupart sontdépartementauxou régionaux. Les bases dedonnéesnationales sontprincipalementconsa-crées auxmaladies rares et aux cancersde l’enfant. Ces outils de surveillancesanitaireet de recherche s’ajoutentàd’autres commeles cohortes, qui per-mettentde suivreunepopulationdon-néedans le temps.

PourCatherineArnaud, responsabledu registredeshandicapsde l’enfantdeHaute-Garonne, lemodèlenordiqueadequoi faire rêver.«Nos registresdehandicapspermettentd’améliorer lesconnaissances et d’apprécier lesprogrèsdespolitiquespérinatales,mais leursrésultatsnepeuventpas êtregénéralisésà toute lapopulation,estime-t-elle. Ilest évident quedes basesde donnéesexhaustives et facilement combinablesentre elles, commedans les paysnordi-ques, sont très performantespour larecherche.»Elle notequ’un tel systèmenécessite l’adhésiondesprofessionnelset l’acceptationdes familles, ce quineserait pas forcémentévident enFrance.

Contraintesbudgétaires«Dans le domainedes cancers, les

paysduNordet l’Angleterre sont ceuxquiont fait le plusd’effortspour recen-ser lesdonnées sur l’ensemblede leurpopulation,souligne leprofesseurFabienCalvo,directeurde la rechercheàl’Institutnationalducanceret directeurde l’institutducancerde l’Aviesan.EnFrance,nos registres couvrent 15%de lapopulation.C’est suffisantpourobtenirdes informationspertinentes.Maisdansl’avenir, si l’onveut corréler lesdonnéescliniqueset celles concernant le génomedes tumeurs, il faudraétendrenos regis-tres et affiner leur fonctionnement.»

Jean-ClaudeDesenclos,directeurscientifiquede l’Institutdeveille sanitai-re, s’interrogesur la faisabilitéetmêmel’intérêtdecopier lemodèlescandina-ve.«Les registres sontdesoutils indispen-sables,mais l’exempleducancermontrequedesdonnées régionalesparaissentsuffisantesd’unpointdevue stratégi-quepour la santépublique. Les ressour-ces, notamment financières, qu’il fau-draitmobiliserpourmettre enplacedesregistresnationauxparaissentdémesu-réesdans le contexte français.»

Pour l’heure, les registresde l’Hexago-neontdéjà à faire faceàbiendesdiffi-cultés, à commencerpar les contraintesbudgétaires.«Laqualificationdonneaccèsàdes financementspublics,maisqui sont insuffisantspourassurer le fonc-tionnementbasiqued’un registre. Lors-quenous voulonsmenerdesprojetsderecherche, il faut chercherd’autresfonds, expliqueCatherineArnaud.Aujourd’hui, je ne saispas encoredequelbudget je vaisdisposerpour 2013.» Leschercheurs seplaignentaussi de ladiffi-cultéd’accéder à certainesdonnéesmédico-administratives,telles cellesdel’assurance-maladieetdeshôpitaux.

«Travaillerpourun registreest sou-ventassezhéroïque, il est difficile de lefaire fonctionner, lesmontages sonttropcomplexes, résumeJean-PaulMoat-ti, directeurde l’Institutde santépubli-que (Aviesan) et représentantde l’In-sermauComiténationaldes registres.Le systèmedoit évoluerpour êtrepluscohérentet faciliter la recherche.»p

S.Ca.

SCIENCE&TECHNO a c t u a l i t é

«Unoutilprécieuxd’uncoûtmodeste»

«Les registrespermettent uneestimation fiable

des risquespour touslesmédicaments»

ŒjvindLidegaarduniversitéde Copenhague

EnFrance,desavis

divergents

L eprofesseurCamilla Stol-tenbergdirige l’Institut nor-végiende santépublique

depuis juin2012. Cette épidémio-logisteœuvrepour le développe-mentdes registres de santé enNorvègedepuis vingt ans.

Quels sont les principauxatouts des registres pour l’épi-démiologie?

Ils sont souvent lemeilleurmoyen, et parfois le seul, derépondre auxquestionsde santépublique. Ces bases de donnéespermettentpar exemplededéter-miner la répartitiondesmaladiessur le territoire et les causes desdécès, d’estimer la qualité dessoins,mais aussi de savoir quel-les sont les conséquencesd’uneépidémiede grippe chez les fem-mes enceintes.

Les registres sont aussi très uti-les pour évaluer les effets secon-dairesdesmédicamentsdans la«vraie vie», au-delàdes étudescliniquesmenées pour lamisesur lemarché.Au total, ces outils

précieuxparticipent à la sur-veillance sanitaire de toute unepopulation, et ils permettentdemenerdes études spécifiques.

Ils peuvent aussi avoir un rôled’alerte: enNorvège, ils nous ontdéjà permisde détecterune épi-démieou lemésusaged’unmédi-cament.Deplus, une fois lesinfrastructuresenplace, les coûtssont relativementmodestes.

Où en est le développementdesregistres enNorvège?

Notrepremier registremédicalmoderne, celui des causes dedécès, a été créé en 1951. Il a étésuivi, l’année suivante, par unregistredes cancers ; puis par leregistremédical desnaissances,actif depuis 1967. Actuellement,nousdisposons au total de16registresnationaux, qui sonten cours demodernisationpourles rendre encoreplus efficaces.

Notre objectif est qu’ils fonc-tionnenten temps réel, avecunaccèsplus facile pour les cher-cheurs, tout en garantissantune

protectiondesdonnées indivi-duelles. Je souhaite aussi qu’il yait davantagede retoursd’infor-mationvers la population, entemps réel également. C’est le caspar exemple sur le sujet de la qua-lité des soins. Personnenemonte-rait dansunavion sans avoir unminimumdegarantiesde sécuri-té concernant l’appareil et lescapacitésde l’équipage. Il doit enallerdemêmepour leshôpitaux!

Quelles sont les collaborationsavec les autres pays?

Elles sontnombreuses avec lesautrespaysnordiques, ce qui per-metd’obtenir des données surunepopulationde 27millions depersonnes. L’idéal serait unemise en communà l’échelle euro-péenne. En France, vous avezpeude registresnationaux,mais ilexistede grandes bases de don-nées provenantde l’assurance-maladie et des hôpitaux. Il n’estpas éthiquequ’elles soient aussipeuutilisées.p

propos recueillis par S.Ca.

2 0123Samedi 2 février 2013

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Graphèneetcerveauvirtuel, championsd’EuropeLaCommissionachoisideuxprojetspharesquidoiventdisposerd’unmilliardd’eurossurdixans

MédecineLes chercheurs de l’Insermproches des associationsde patients

Uneenquête, réalisée auprèsde600chercheursdes laboratoiresdel’Inserm,a été renduepublique lorsde lasixièmerencontre«Recherche&associationsdemalades», jeudi31janvier. 81%des chercheurs interrogésontdes contacts avec les associationsdemalades, dont lamoitié sontdes contactsréguliers, indiquent les résultatsde cetteenquête, appeléeCairnet, effectuée lorsd’entretienset par consultationélectronique.Deux tiersdes chercheursen relationavecune associationconsidèrent«utile»ou«déterminant» lefaitque «le contactdirect avecdesmaladesapporteunemotivationsupplémentaireà l’activité de recherche».«Les associationsdemalades sont les plusàmêmedediffuser des informationsauprèsdesmaladesqu’elles représentent»,estimentquatre chercheurs interrogéssur cinq.Qui considèrent aussique lesinformationsfourniespar les associationsles aidentdans leurs recherches.

Santé publiqueDes bactéries intestinales liéesà lamalnutrition infantileLesmalnutritions sévères de l’enfant,telles que le kwashiorkor, ne sont passeulementdues à une alimentationinsuffisante; les bactéries du tubedigestif jouent aussi un rôle important,selondeuxétudesmenées auMalawi. Lapremièrea été conduite chez 377pairesde jumeaux, dont l’un souffrait demalnutrition, et chez des souris. Leschercheursont observéque lemicrobiote(flore intestinale) des enfants et desanimauxmalnutris était immature.Unrégimehypercalorique, traitementstandardde cesmalnutritions, a euuneffet bénéfiquemais incomplet sur lesbactéries intestinales.D’autres stratégiessontnécessaires afin denormaliser lemicrobioteet la croissancede ces enfants,concluent les chercheurs.Une autreétude auprèsde 2767bébés, égalementauMalawi, constateque l’additiond’unantibiotique (type amoxicilline) aurégimehypercaloriqueaméliore le tauxdeguérisonet de survie de ces enfants.(PHOTO: BURGER/PHANE)

> Trehanet al., «NewEngland JournalofMedicine», 31 janvier.> Gordonet al., «Science», 1er février.

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Quandlesondesmontentaunezo l f a c t i o n |Denouveauxrésultatsappuientunehypothèsecontroverséesurlamanièredontlenezperçoit lesvibrationsdesmoléculesodorantes

a c t u a l i t é SCIENCE&TECHNO

David Larousserie

Les hommes sont peut-être de piètres nez encomparaison deschiens ou des cochons,mais ils seraient capa-bles de certaines

prouesses,commedétecterdesdiffé-rences d’odeur entre deux molécu-les pourtant très proches, selon uneétude grecque et anglaise parue le25janvierdans la revuePLoSOne. Cequi relance l’hypothèse d’un méca-nisme biophysique original etcontroversé pour expliquer com-ment lenez sent les odeurs.

Dixquidamsanglaisont reniflé, àl’University College de Londres, des

tubescontenantdifférentesmolécu-lesodorantes.Uncomposéaromati-que, l’acétophénone, au nez fruité.Une famille de muscs contenantbeaucoupplus d’atomesd’hydrogè-ne. Et enfin, des molécules «alour-dies» en substituant des atomesd’hydrogènepardudeutériumdanslesdeuxmoléculesprécédentes. Lescobayesontétéincapablesdedistin-guer les acétophénones normalesdes deutérées, appelées isotopes,mais ont pu le faire pour lesmuscs,attribuant une odeur «grillée» auxformes contenantdudeutérium.

«Pour les muscs, qui contiennentbeaucoup de deutérium, la différen-ceestcommele jouret lanuit», insis-teLucaTurin,responsabledel’étudeau Centre Alexander-Fleming prèsd’Athènes, dont des résultats anté-rieurs avaient été invalidés, en2004, parune équipe américaine.

Ces nouveaux tests relancentdonc ledébat, sous-tenduen faitpardeux théoriesmoléculaires fort dif-férentes. La première, classique enbiologie, explique que la détectionpassepar la liaisonentreunodorantet un récepteur, à la manière dontune clé trouve sa serrure. La formede lamolécule est donc cruciale.

La seconde, défendue depuis1996parLucaTurin,proposeque lesrécepteurs détectent les vibrationsinternes des molécules, comme lefait un spectroscope de laboratoire.

Chaque groupement chimique aunevibrationcaractéristiqued’origi-nequantiquequeleschimistesutili-sent pour identifier lesmolécules.

Si personne n’a pour l’instantidentifié un tel instrument dansnotrenez,cettethéoriefaitdesprévi-sions différentes de celle de saconcurrente. Ainsi, des moléculesdemême formemais vibrant diffé-remment (par exemple si du deuté-rium remplace de l’hydrogène)devraient avoir une odeur différen-te. Ou deux molécules ayant desvibrations identiques, mais des for-mes différentes, devraient avoir lamêmeodeur.

C’est à ces démonstrations ques’attache Luca Turin depuis desannées.En 2011par exemple, il avaitmontré que des mouches distin-guent les formes deutérées ou non.«J’apportedesdonnées indépendan-tes du modèle sous-jacent. Je peuxme tromper de mécanisme mais lesdonnées sont là !», explique le cher-cheur.«La théorieactuelleestaccep-tée avec des expériencesmoins bon-nes que les miennes. Il y a là-dessusune folle indulgence», ajoute-t-il.

« Il est vrai que pour l’olfaction,nous n’avons pas de preuves directesd’une liaison entre récepteur et odo-rant. L’affinité chimique semble fai-ble entre ces molécules, alors que lesystème est très sensible», préciseRolandSalesse, de l’Institut nationaldelarechercheagronomique(INRA).

LeslieVosshall,del’universitéRoc-kefeller aux Etats-Unis, qui recon-naissait dans l’article critique de2004 «qu’il n’existe pas de théoriesatisfaisante pour expliquer com-ment unemolécule entraîne une cer-taineperceptionolfactive»,n’esttou-jourspas convaincue. Elle adéclaréàla BBC: «Je compare la théorie de lavibrationet ses défenseurs à la figuredelalicorne.Lerestedelacommunau-té à des chevaux. Il est impossible deprouver que les licornes existent ounon,mais la questionde savoir pour-quoi les choses sentent comme ellessententest l’affairedeschevaux.»«Jepréfère être comparé à un animallégendaireplutôtqu’àuncanasson»,nousa rétorquéLucaTurin.

«Personnen’aencoretrouvéunélé-ment biologique de détection devibration. Ces nouveaux résultatspourraient sans doute s’expliquerparlemodèleclé-serrurecarlachimiedes récepteurs est très complexe»,tempère Roland Salesse. Ajouter desdeutériums pourrait avoir un effetchimique «classique» et expliquerla réponsedifférente des récepteurs,notamment parce que les liaisonshydrogène entre récepteur et odo-rant seraient changées.

Luca Turin balaie l’argument enexpliquantque cette différenced’af-finité existe, mais aussi bien entredes muscs différents sentant pareilqu’entreunmuscet son isotopesen-tant trèsdifféremment.

«L’idée de Turin est intéressantecar tout ne s’expliquepas par les for-mesdesmolécules.L’effetsurlechan-gement d’odeur montré, ici, est trèsgrand», reconnaît Varoujan Yay-layan,del’universitéMcGillauCana-da. Luca Turin sait bien que le der-nier mot ne pourra venir que demesures physiques au niveau desmolécules mêmes, montrant uneffet électronique inhabituel. Desthéoriciens ont déjà estimé que, surle papier, ce serait possible.

L’enjeu n’est pas que fondamen-tal. Il s’agit, commeenmédecine, deprévoir l’action de molécules surl’homme. «Prédire les odeurs, dessi-ner lesmoléculesest importantpourl’industrie des lessives, savons, cos-métiques… Aujourd’hui c’est lehasard qui domine », constateVaroujanYaylayan.

Roland Salesse, comme beau-coup d’autres, est, lui, sur un autrecréneau, celui des nez artificielspour repérer des produits chimi-ques dangereux par exemple. Ausein du projet européen BOND, il aainsidéveloppéuninstrumentutili-sant des capteurs biologiques pouridentifier différentes molécules. Etcela marche, même si on ne com-prendpasdans ledétail comment lanature fonctionne.

QuantàLucaTurin,tenace, ilenvi-saged’autresexpériences,ensubsti-tuantcette foisdesatomesdecarbo-nelourdsàdescarbonesnormaux.p

CardiologieLemariage réduirait le risqueet la gravité des infarctusL’argumentsera-t-il reprisà l’Assembléenationalepar lespartisansdumariagepour tous?UneétudemenéeenFinlandependantdixansconclutque l’incidencedes infarctusdumyocardeest 50%à60%plusélevéechez lescélibataires, quelsquesoient leurâgeet leur sexe. Les chercheurs,qui se sontappuyéssur lesdonnéesdesregistresnationaux,notentaussi que lasurvieàunmoisdecesaccidentscardiaquesestdeux foisplusbasse chezles individusnonmariés.Unrisqueaccrud’accidentscardiaqueschez lescélibatairesavaitdéjàété retrouvédansd’autresétudes,mais laplupartn’avaientétudiéque lapopulationmasculine.> LamminstautaAet al. ; «EuropeanJournalof PreventiveCardiology»,31janvier.

C’est, enmillionsd’années, l’âged’œufsde ténias retrouvésdansdes excrémentsde requins fossilisésdatantdupermien–avant l’apparitiondespremiersdino-saures. Cettedécouverte, présentéedansla revuePLoSOne le 30janvier, fait recu-lerde 140millionsd’annéesdans letemps laprésencedevers intestinauxchezdes vertébrés. Les coprolithesoùlesœufsont été trouvésproviennentd’unsite brésilien correspondantàunemareoùdenombreuxpoissonspréhis-toriquesauraientétépiégés.

t é l e s c o p e

Commepressenti cinq joursaupa-ravant par la revue Nature(cahier «Science &techno» du26janvier), la Commission euro-

péenne a annoncé, lundi 28 janvier, lenomdesdeuxgagnantsde sonappeld’of-fres scientifiquegéant.

Les projets Graphène et Human Braindisposeront d’un financement d’un mil-liard d’euros chacun pendant dix ans. Lavice-présidente de la Commission, NeelieKroes,aironiquementcomparécettecom-pétition à la célèbre émissionde téléréali-té «X-factor», qui voit s’affronter deschanteurs. Les deux projets retenus ontété sélectionnés, parmi six finalistes, parun juryde 25 experts.

Le premier, piloté par Jari Kinaret del’université Chalmers de technologie enSuède, concerne 176groupesde rechercherépartis dans 17pays européens. Il a pourbut de transformer la découverte récented’une molécule de carbone en forme defeuille, le graphène, en une multituded’applicationsenélectronique,communi-cation, énergie… Neelie Kroes, lors de la

conférence de presse, a rêvé de faire enEurope une «vallée graphène» à l’imagede la SiliconValley californienne.

Le second projet, mené par HenryMarkramdel’Ecolepolytechniquefédéra-le de Lausanne en Suisse, rassemble87groupes de 23 pays. Son objectif est desimuler un cerveau humain, par lerecoursnotamment à de l’électronique etde l’informatique.

Un laboratoire français se distingue enétant associé aux deux projets. Il s’agit del’unitémixtederechercheentreleCNRSetl’entreprise Thales, installée à Palaiseau.Son directeur scientifique n’est autrequ’Albert Fert, Prix Nobel de physique en2007surlaspintronique.Legroupedesoncollègue Pierre Séneor est impliqué dansle projet Graphène, tandis que celui de sacollègue Julie Grollier participera à celuide Human Brain. Il s’agira dans son casd’élaborer des composants électroniquesaux propriétés proches des synapses desneurones, ayant en particulier la capacitéde s’activer ou non en fonction des diffé-rentes stimulationspassées reçues.

Cependant, la question des finance-ments n’est pas complètement réglée.L’Union européenne (UE) s’engage à hau-teurde50%, soitunmilliardd’eurospourles deux projets retenus. L’autre moitiéviendradesEtatsmembresetdespartenai-resprivés.D’oresetdéjà,108millionsd’eu-rosont étéattribuéspour trentemoisauxdeuxlauréatspourlaphasedelancement.

L’aventure continueDeuxmillions d’euros seront attribués

par l’UE à partir d’avril pour un program-medecoordinationdesEtatsmembresenvue de financer ces projets. Cet outil degouvernance,baptiséEranet,adéjàétéuti-lisédansd’autrescadres. Lebutestque lesdifférents partenaires s’entendent pourrendre leur effort cohérent.

En France, l’Agence nationale de larecherche a entamé avec ses homologueset les différents ministères la rédactiond’unepropositionqu’elle rendra, en avril,à la Commission.

Le volet financement est égalementincertain pour les années suivantes car le

budget pluriannuel de l’UE n’est toujourspas approuvé. En particulier le program-mederechercheditHorizon2020quicou-vrira la période 2014-2020. Le Parlementeuropéensouhaiterait 100milliardsd’eu-ros; la Commission, 80milliards…

Les «perdants» ne baissent pas nonplus les bras. Le porte-parole du projetGuardian Angels, destiné à développerdes composantsminiatures peu consom-mateursd’énergiepourlasanté, l’environ-nementou les transports,a fait savoirquel’aventure continue «grâce aux soutiensdes partenaires du consortium».

Idempour FuturICT, vaste programmed’analysededonnéesphysiques,économi-quesousociales.«FuturICTacrééune fan-tastique communauté interdisciplinaireet internationale, intégrant des connais-sances en ingénierie et dans les sciencesnaturelleset humainespour répondreauxdéfis de société duXXIesiècle. Nous restonsunis.Etnousavonsdéjàcommencéàrepar-tir», a déclaréDirkHelbing, son responsa-ble, au quotidien suisse Le Temps.p

D.L.

Représentationd’unemolécule à l’odeur demusc dont la sensationolfactive changepour devenir«grillée» si des atomes d’hydrogène (en blanc) sont remplacéspar du deutérium.

LUCA TURIN

«Nousn’avonspasdepreuves directesd’une liaison entre

récepteur et odorant»Roland Salesse

(INRA)

30123Samedi 2 février 2013

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SCIENCE&TECHNO é v é n e m e n t

Laurence Caramel

D’iciquelquesmois, lesspé-cimensrécoltésparPhilip-pe Bouchet et son équipedans la baie de Madang,en Papouasie-Nouvelle-Guinée, lors de l’expédi-

tiondel’automne2012, irontrejoindrelasal-le des mollusques marins dans la zoothè-quesouterraineduMuséumnationald’his-toirenaturelle à Paris.

Aunequinzainedemètressousterre,dansun univers de béton coulé au milieu desannées 1980, lapièce26CGnediffèrepasdesdix-sept autres salles de 70mètres de longsur 30mètres de large où s’accumulent surtroisniveauxprèsdetroissièclesd’histoireetdedécouvertes,mais elle est l’unedes rares àêtreencoreaniméeparune intenseactivité.

Chaque année, 20000à 30000 mollus-quesmarins, dont la taille nedépassepas enmoyenne 8mm, se font une place dans les10000 tiroirs des rayonnages métalliquesoù cohabitent dans un ordre quelque peualéatoire les collections historiques d’Adan-son (XVIIIesiècle), conservées dans de drôlesdepetitesboîtes fabriquéesdansdescartesàjouer, et d’Orbigny (XIXesiècle) ; celles héri-tées des grandes navigations de L’AstrolabeoudeLaZélée,ouencoredepauvres familles«orphelines» à propos desquelles PhilippeMaestrati,assistantdeconservationdelacol-lection de mollusques au Muséum, recon-naît qu’«il y a bien longtemps que personnen’amissonnezdedans».Aumilieudecesmil-lions de coquillages se distinguent sans pei-ne quelques monstres que leur esthétiqueexceptionnelle destine aux expositionspour le grandpublic.

Année après année, il faut ainsi trouvertroismètrescubessupplémentairespources

seuls invertébrés. Un volume bien moinsdérisoirequ’ilneparaîtdeprimeabord.Car ily a longtempsque la zoothèque imaginéeen1986 pour accueillir toutes les collections delaGalerie de zoologie – aujourd’huidevenuela Grande Galerie de l’évolution et situéejusteau-dessus–«craque».Quelquehuitmil-lions d’animaux y ont trouvé refuge lors dece granddéménagement, destiné à donner àl’illustreétablissementparisienun lieud’ex-positiondignedesonrangetdeson temps.

Huitmillions,c’estcertesbeaucoupmoinsque les 30millionsd’insectes stockés dans lebâtimentd’entomologiesituéàquelquespasde là, rueBuffon,maisontrouve, ici, lesespè-ceslesplusvolumineuses:36000mammifè-res et oiseauxnaturalisésoccupent lamoitiédu volume de la zoothèque. Au total, le siteabritelaquasi-totalitédesspécimensdepois-

sons,dereptiles,d’amphibiens,desarthropo-des terrestres, des invertébrésmarins – dontla totalitédescoraux–etenvironuntiersdescollections de mammifères et d’oiseauxappartenantauMuséum.

«Il faudrait 25% de superficie en plus. Ongarde tout depuis 1793 [date de création duMuséum]»,résumeJacquesCuisin,responsa-

bledulieu.Maisàl’heuredesrestrictionsbud-gétaires et vu leprixdumètrecarréparisien,inutilederêver: lapénuried’espacevadurer.D’autant que, depuis le début des années2000, l’utilisationduséquençagemoléculai-repour répertorier les espèces a créédenou-veaux besoins. «Nous pouvons avoir troismodes de conservation pour un seul spéci-men : à sec, dans l’alcool, et sous formed’échantillon d’ADN séquencé, expliqueM.Maestrati. On ne pourra pas tenir long-tempscommeça.»

Dans le dédale de couloirs gris plus sem-blableàunsinistreparkingqu’àunhautlieude sciences, le silence qui règne ne fait paséchoàcettebataillequise joueensurface.Latempérature maintenue à 15 oC finit deconférer au lieu son atmosphère de sarco-phage où sont tenus au secret les précieuxspécimens rapportés par les naturalistesfrançais de leurs lointains voyages. Le lieuest hautement sécurisé, tant en raison de lavaleurdes collectionsquedu risque sanitai-re lié à la présencede grosses quantités d’al-cool pur au cœurde Paris.

L’accèsàchacunedessallesestcommandépar un code secret, et la vigilance redouble àl’approche de la salle dite «du dodo». Danscette pièce exiguë sont conservées, à l’instardugrandoiseau endémiquede l’îleMaurice,lesespècesdisparues.

Derrière une cloison de verre, on croiseainsi le regard d’un canard du Labrador,d’un loup de Tasmanie. Le premier petitchimpanzé rapporté du Gabon aux alen-tours de 1740 trouve aussi sa place auxcôtés d’autres pièces jugées particulière-mentfragilespar lesconservateurs,commeles premiers herbiers de poissons réaliséspar le naturaliste Philibert Commerson aumilieu du XVIIIesiècle… «Il y a ici quelquesprémicesdenotrehistoirenaturelle», témoi-gne Jacques Cuisin en gratifiant généreuse-

ment le visiteur demoult anecdotes.Dans les autres salles, ce peuple souter-

rain a été soigneusement rangé dans degrandes armoiresmétalliques qui se dépla-cent le long de rails au gré de la curiosité etdes besoins. Un coup demanivelle, et voilàla famille des ours bruns qui apparaît, unours du Tibet, un autre d’Amérique, ungrizzli… Un peu plus loin, un tigre mal enpoint se campe sur ses 200kilos.

Unautretourdemanivelle,etvoilàlesanti-lopes d’Afrique, puis les primates, installésdansdefacétieusespositions…Danscetextra-ordinaire défilé se faufilent des spécimensaffublés d’une petite étiquette rouge qui nepeuventéchapperà l’œil avisédes initiés.

L’émotionest alors à son comble. Ce signecoloré – choisi par les plus hautes instancesscientifiques chargées d’établir les codesd’unenomenclatureinternationale–permetde distinguer le premier spécimen d’uneespèce à avoir été décrit. Parmi eux, le grandpanda,découverten1869auTibetpar lepèreArmandDavid, estundesplus imposants.

Ces «types» qui serventde référence à lacommunauté des naturalistes ne quittentplus Paris depuis quelques années. «Tropfragiles, trop précieux», constateM.Cuisin.Mais ils peuvent être consultés, commel’ensemble du fonds. Environ 160cher-cheurs françaisouétrangers travaillentà lazoothèque chaque année, pour quelquesjournées ou quelques mois, sur les collec-tes issuesdesdernièresexplorationsousurles collections historiques.

Ils sont les seuls, avec quelques visiteursprivilégiés,à franchirlesgrillesdusanctuai-re. Le gardien ne doute pas qu’il soit un tré-sor : « Ici viennent des chefs d’Etat »,confie-t-il avec fierté.p

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h i s t o i r e n a t u r e l l e

MuséumUnzooimmobile

Huitmillionsdespécimens(mammifères,poissons,reptiles,amphibiens, invertébrésmarins…)s’empilentdanslazoothèqueduMuséumdeParis, richedetroissièclesd’histoireetdedécouvertes

1.

Il y a longtempsquela zoothèque imaginéeen 1986pour accueillirtoutes les collections

de laGalerie de zoologie«craque»

4 0123Samedi 2 février 2013

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é v é n e m e n t SCIENCE&TECHNO

11.

10.

5.

9.

1. Cercopithèqued’Asie.2. Le tarsier,minuscule primate.

3. Un imposant cœlacanthe.4.Hyène duKenya en trophée.5. Raie de l’Atlantique en fluide

de conservation.6. Le tout premier grand

panda connu,envoyé de Chinepar le pèreArmandDavid, en 1869.

(PHOTOS : NICOLAS KRIEF/DIVERGENCE POUR «LE MONDE»)

3. 4.

6. 7.

8. 12.

2.

7. Documents attestant du suiviscientifiquedes collectionsd’invertébrésdu Sénégal.8. Bouquetin des Alpes.

9. L’usure du temps révèlele remplissage de paillechez ce kob d’Afrique.

10. Petitmarsupial d’Australiedépourvude poils.

11. Bénitier de l’océan Indien.12. Jeune tigre de Sibérie.

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Chien joyeux remue laqueue. Chat agressif prépa-re ses griffes. Lapin apeuré ales oreilles couchées. Au

grand jeudu langage corporel desanimaux, je voudrais le cochon. Car,avantde finir chez le charcutier sous

une infinité de formesplus oumoins appétissantes, le porc a eu satranchede vie, sa portiond’émo-tions.Mais lesquelles? Laplupart desrecherches consacrées aubien-êtreanimal se focalisent sur la peur oul’anxiété. Pourtant, il y a aussi descochonsheureux. Encore faut-ilsavoir les reconnaître.

Dansune étude publiée le 17 jan-vier par la revue PhysiologyandBehavior, une équipenéerlandaisede l’universitédeWageningen racon-te qu’elle a imaginéune expériencedestinée à identifier non seulementles signauxgrâce auxquels ce suidémanifeste son ressenti profond,mais aussi si les émotions expri-mées se propagent à ses camaradesd’enclos.

On sait en effet qu’existentdesphénomènesde «contagionémo-tionnelle» dans les situationsdedétresse, lorsque, par exemple, lesanimauxd’élevage sontmanipulésoudéplacés sansménagementet,bien sûr, quandon lesmèneà l’abat-toir. Onpense au fameuxcri stridentdu cochonqu’on va saigner, qui vousvrille les oreilles en tire-bouchon.Ces chercheursont vouludétermi-

ner s’il existait d’autres indicateursplus subtils.

Pour ce faire, ils ont fait subir àquelquesgorets une variantede ladouche écossaisependant sept joursnonconsécutifs, à raisondedeuxséancesquotidiennes. Tantôt on lesaccueillait par deuxdansunenclosdeplus de 10m2, avec paille fraîche,bonbainde boueet friandises dechoix. Leparadis porcin. Les cher-cheursnedonnaient certes pas de laconfiture aux cochonsmais ils leurcachaient 20 raisins secs enrobésdechocolat, dont ils (les porcs et lesscientifiques) semblent raffoler.

Et tantôt, sansmêmeune explica-tion, les gorets étaientmis à l’isole-ment dansunmitard à barreauxde3,3m2 dans lequel un bipèdemalaimable entrait ensuite pour lesmuseler. Avant chaque séance leurétait diffuséunbref «son et lumiè-re» pour qu’au termedu condition-nement ils soient capables d’antici-per, grâce à ce génériquededébut, lesort, agréable oupas, qui leur étaitréservé.

Pendant tous ces tests, les cher-cheursnotaient lesmanifestationsde joie et de stress.Dans la première

catégorie, on rangeun comporte-ment très semblable à celui…duchien. Le cochon remue la queue,joue et aboie. C’est une autre chan-sonquand le porc a peur: il hurle,grogne, laisse échapper quantitéd’excréments et d’urine, baisse laqueueet les oreilles. Lors de l’étapefinale de l’expérience, qui a rassem-blé cochons conditionnés et cochonsnaïfs, les premiers, lors de la diffu-siondugénériquededébut, sont par-venusà transmettre leurs émotionsaux secondsavantmêmequeces der-niers, qui n’avaient jamais eudroitauparadis garni de raisins chocola-tés ou à la prison étroite, n’aiententrevuce qui les attendait.

Identifier les signauxpar lesquelsles bêtes expriment leurs sentimentsdoit permettred’améliorer, dit l’étu-de, «le bien-être, la santé et les perfor-mances des animauxqui sont gardésengrandnombredans une seule piè-ce». Derrière lemotobscurde «per-formances», il faut comprendre laproductivitéde l’élevage, l’abondan-te lactationdes vaches épanouies oula bonnequalité de la viandedespourceauxnon stressés.Gai cochonfait unbon jambon.p

Si vous avez aimé LeNomde larose, vous allez adorer l’histoi-re dePoggioBracciolini(1380-1459) et dumanuscrit

qu’il retrouvadansunmonastère.Heureusement, ici, point de catastro-phe finale: il s’agitd’unhappyend,

et vouspouvez facilementvouspro-curer ledit ouvrage, qui contribuaàinspirer la sciencemoderne.

Dans le livre qui relate cette aven-ture (The Swerve – «ladéviation» –,de StephenGreenblatt,W.W.Norton,2011), un chapitre est consacré à l’his-toired’une findumonde: celle dumondeclassiqueet de la perte de laplupartde sesœuvres. Presquemilleans après, les précurseursde laRenaissanceécument les bibliothè-quesdesmonastères afinde retrou-ver des chefs-d’œuvreoubliés. Brac-ciolini, secrétairepontifical, aprèsl’échecde sonparti – le pape, sonemployeur, sera jeté enprison–, partà traversmonts et vauxdeBavière àla recherched’autres trésors. C’estainsi que, probablementdans lemonastèrede Fulda, il tombeen 1417surune copieduDe rerumnatura(De la nature), de Lucrèce.

Bracciolini se rend rapidementcomptequ’il amis lamain suruneœuvrehorsnorme, radicale, excessi-vedéjàpour les auteurs classiques.Lucrèce, disciple fidèle d’Epicure, yexposeunmatérialismesans conces-sions: l’Univers est constituéd’unnombre infinid’atomesqui semeu-

vent auhasard à travers l’espace, for-mantdes structures complexespoursedésagréger et formerpar la suitedenouvelles configurations. Il n’y apasde grandplan,pas d’architectedivin. Les atomeset le vide sont toutce qui existe et l’âmeestmortelle.

Mais c’est loin d’être une visiondésolante: Lucrèce chante la libéra-tion de l’humanité de ses peurs lesplus irrationnelles. Après lamort,nos atomes iront former d’autresconfigurations. Il ne faut donc crain-dre ni lamort ni les dieux. Et la natu-re est animée par une vitalité inter-ne éblouissante, qui suscite tou-jours des nouvelles rencontresentre atomes.

Longtempson s’estmoquédu cli-namen, ladéviationqui, selon lui,modifiait auhasard la trajectoiredesatomes. En réalité, sa conceptiondumondeest très riche et, pour certainsaspects,moderne. Rienà voir avecceuxquipensaient que la nature estungrandmécanismed’horlogerie.SansdouteLucrèce serait-il assez inté-ressépar lamécaniquequantique etson royaumede l’indétermination.

Lameilleurepartie du livre retracele succès fulgurant et discret de cette

œuvre. Les plusbrillants esprits euro-péens le lisent attentivementet s’eninspirent.GiordanoBrunoypuiseraunevisionde l’Universoù lesmon-deshabités sontmultiples, tous for-mésde lamêmematière, sansdistinc-tionentre terre et ciel. Galiléey trou-verapeut-être sonatomisme.Montai-gne, qui citera cent fois LucrècedanssesEssais, en avait fait son livredechevet.DemêmepourMachiavel,qui appliqueracette visiond’unmon-de sansprovidenceà l’étudede l’his-toire et de la politique. PierreGassen-di initieraMolière à Lucrèce, dont ilaurait fait une traductionenvers,malheureusementperdue.

Succèsdiscret aussi : l’œuvre estvite condamnéepar l’Eglise et interdi-te. Les intellectuelsdoiventdoncl’étudier sanspouvoir s’en réclamerpubliquement. L’Eglise tentera envaind’empêcher la diffusionde cettepenséenouvellequi forme labasedenotreactuelle visiondumonde.Oui,l’atomismemoderneestné avec laredécouvertede ce livre.Ovidedisait : «Les vers du sublimeLucrècesontdestinésà périr seulementà lafindumonde.» Il nepouvait pasmieuxdire.p

HervéMorin

Lundi 28janvier, une équipe américaine apuisé de l’eau dans le lac Whillans, aprèsavoir percé les 800mètres de glace qui lerecouvrent, sur les marges occidentales

de la calotte polaire antarctique. «Cet effortmar-que la première récupération réussie d’un échan-tillon propre d’un lac sous-glaciaire de l’Antarcti-que», clament les participants à cette mission,quiannoncentyavoirtrouvédesbactéries.Ilspas-sent sous silenceun précédent: il y a presqueunan, le5février2012, lesRussesdelastationVostokont aussi atteint la surface d’un lac situé sous3769 mètres de glace, avec une autre techniquede forage, accuséepar certainsd’êtrepolluante.

Eternelles rivalités scientifiques et diplomati-ques,dont lecontinentblancest le théâtredepuissa découverte, en 1820! Dans son livreVostok, leglaciologueJean-RobertPetitretracecetteépopéedontilestuntémoindepremièremain.Directeurde recherche au laboratoirede glaciologie et géo-physique de l’environnement de Grenoble(CNRS, université Joseph-Fourier), il a participé àdenombreusesmissionsaupôledufroid(lether-momètre y est descendu à – 89,3 oC), situé à l’en-droit le plus reculé de la planète, à 1400km detoutpointde ravitaillement.

Archive du climatVostok, c’est d’abord cela : un point perdu

dansundésertblancetglacé,quelesSoviétiquessont bien décidés à conquérir, dans la lignée desexpéditions nationales parfois mortelles (Scottet ses compagnons, il y a un siècle) qui visaientavant tout un planter de drapeau cocardier. Cesera chose faite le 16décembre 1957, lorsque28hommes atteignent le pôle Sudmagnétique,à 3480 mètres d’altitude, à bord d’une colonnede Kharkovchanka, des camions à chenillesgéants deplusde trente tonnes.

Les Soviétiques sont allés le plus loin? LesAméricains iront le plus profond, emportant lespremièresmanches dans le forage du continentblanc. Jean-Robert Petit racontepar lemenucet-te nouvelle compétition. Entre les deux géants,on croise quelques acteurs qui tirent leur épin-gle du jeu – comme le Danois Willi Dansgaardqui, le premier, établit un lien entre la composi-tion isotopique de la glace et la températuremoyennelocale.Ondécouvrealorsuneformida-ble archive du climat : plus on creuse dans lacalotte,plusonremontedansletemps.Cescarot-tes translucides, tout comme les sédimentsmarins ou lacustres, vont permettre de décrirelesgrandesalternancesdeglaciationetdedégla-ciation. Et de percevoir toujours plus finementl’inquiétante accélération du réchauffementdue à l’accumulationdeCO2d’originehumaine.

Dans cette nouvelle course, les Français vonts’illustrer de façon éclatante en s’associant à lafoisavec lesRusseset lesAméricains…Derrière lepionnierClaudeLorius, plusieurs générationsdeglaciologues ont été formées à l’école Vostok.L’aventuresepoursuivra-t-elleavecl’explorationdébutantedulacsous-glaciairedumêmenom?p

Vostok, le dernier secret de l’Antarctique,de Jean-Robert Petit (Paulsen, 245p., 19,90¤).

Aventuresdanslesglacesantarctiques

Jean-RobertPetit retraceundemi-siècled’étudede la calottepolaireàVostok, lepôledu froid

Aquoionreconnaîtuncochonheureux

IMPROBAB LO LOG I E

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Lepoèmeretrouvédesatomes

L E S COU L I S S E SD E L A PA I L L A S S E

MarcoZitoPhysicien des particules,

Commissariatàl’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

SCIENCE&TECHNO r e n d e z - v o u s

L E L I V R E

Lesdentsde l’oursin

Exposition«Bêtes de sexe»Inventée il y a environunmilliardd’annéesparl’évolution, la sexualité n’a, depuis, cessé de seraffiner et de se diversifier, chez les animauxcommechez les végétaux. L’exposition, conçuepar leMuséumd’histoirenaturelle de Londres,est déconseillée auxplus jeunes,mais le Palaisde la découverte assure qu’adultes et enfants àpartir duCE2pourront y trouverde quoinourrir leur curiosité. Auprogrammede lavisite: une centained’animauxnaturalisés, descourts-métragesde la série «GreenPorno»conçuspar IsabellaRossellini, etmêmedesanimauxvivants.> Palais de la découverte,Paris8e, jusqu’au25août. Tous les jours sauf le lundi.> http://www.palais-decouverte.fr

Cette imagedemicroscopieélectroniquevientderemporterunecompétition internationale lancéepar lemagazineScienceet laNational ScienceFoun-dationaméricaine.Elle représente, en fausses cou-leurs, des cristauxqui forment l’extrémitédesdentsde l’oursinArbaciapunctulata. Alors que les

cristauxminérauxontd’ordinairedes facesplanesetdesarêtesvives, cesmonocristauxsont très fine-mentenchevêtrésafinde conférerà cebiomatériauassezde robustessepouraraserde la roche. p(PUPA U.P.A. GILBERT AND CHRISTOPHER E.KILLIAN,

UNIVERSITY OF WISCONSIN-MADISON)

Agenda

6 0123Samedi 2 février 2013

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r e n d e z - v o u s SCIENCE&TECHNO

Z OO LOG I E

Claudia Courtois

Bordeaux, correspondante

BrigitteLatrillen’a jamais cherchéàcapter lesfeuxdelarampe.Cet-te grande femme de 53 ans estdevenuel’unedesraresspécialis-tesdel’élevagedesangsues.Qua-tre sociétés se disputent le mar-

ché mondial, en Allemagne, en Angleterre, enRussieetenFrance,dans lebassind’Arcachon.AAudenge, dans cesmarais où l’on cultivait déjàdessangsuesauXIXesiècle,descentainesdemil-liers de vers annélides sont élevés en milieunaturel.Chaqueété, aumomentde l’arrivéedessangsues juvéniles, Brigitte Latrille se retrouvedans lesbassinsd’eaudouceavecsesdeuxcolla-borateurs, SoniaPéducasseetAdrienBajeux.

Unepartiedesannélidessontrécupéréespourêtrenourriespuismisesaujeûnedansunlabora-toire àEysines, aunord-ouestdeBordeaux.Ellesseront ensuite expédiées dans lemonde entier.«Sur 100000 sangsues vendues par an, nous enexportons 70%, principalement aux Etats-Unis,auCanada,enCoréeet enEurope», expliquecet-te ex-hôtessede l’air. Ricarimpexest la seuledesquatresociétésàavoirreçu l’agrément«disposi-tifmédical»delapuissanteFoodandDrugAdmi-nistration(FDA)américaine.

Lelaboratoirenepaiepasdemine: installéaurez-de-chaussée d’unemaison d’habitation desannées 1960 – où Brigitte Latrille vit à l’étage –derrière de hautsmurs blancs, on imaginemallaprésencedecesmilliersd’animauxhermaph-rodites somnolant ou digérant par groupe de150dansdesbidonsenplastique translucides.

Sentinellede lapollution,Hirudomedicinalisest un invertébré sensible: vulnérable aux pol-luants (pesticides, herbicides…), au réchauffe-ment climatique à l’origine de l’assèchementdes zoneshumides– son lieude vie deprédilec-tion–,à ladisparitiondesgrenouilles– leshôtesprivilégiés des juvéniles. Marie-Luce Jardin,danssathèsedemédecinesur«lesthérapiesparles sangsues» (2005), explique que l’espèce aaussiété«fragiliséeparlacollecteirraisonnéeauXIXesiècle», quand la sangsue était considéréecomme le remède miracle à tous les mauxhumainsavantde tomberendésuétude.Consé-quence: l’espèceestmenacéed’extinction.

Les invertébrés à deuxventousesde l’autodi-dacteBrigitte Latrille n’ontpas ces soucis-là à sefaire. Elle qui n’avait jamais entenduparler – etencoremoins vu – de sangsues de sa vie avantd’acheter l’entreprise en 1993. A cette époque,«sanstrop [se]poserdequestions», ellesautesurl’occasionquesonpère,ex-présidentdel’univer-sité des sciences deBordeauxet ex-directeurdecabinet de Jack Ralite, ministre de la santé audébut des années 1980, lui présente: racheteruneentreprised’élevagede sangsues transmisedepèreenfilsdepuis1845.Peuimportesiellen’aqu’une licence de langues et civilisations slavesen poche. «Je me suis accrochée.» Ses parentsl’ontbeaucoupsoutenue, son investissementetsavolontéont fait le reste.

L’autre grand spécialiste du sujet, GuennadyNikonov,àlatêtedelaplusgrandefermed’éleva-gedesangsuesenmilieuartificielàcôtédeMos-cou, se souvient très bien de ses premiers pas«dans le brouillard». «Maintenant,dit-il,mêmesi elle n’a pas dediplômede scientifique, Brigitteest devenue une très bonne spécialiste en biolo-gie, comportement et physiologie des sangsues.Et nous travaillons ensemble à l’améliorationdenos connaissances enbiochimie, pharmacologieet cosmétologie.»

Cegoûtpour le défi et la compétition remon-tentà ses jeunesannées: la jeuneBrigitteest tri-ple championneolympique (1976, 1980et 1984)au fleuret par équipes. «J’en ai conservé la com-

bativité», lâche laquinquagénairemodeste.Ellesebatd’autantplusque,depuislesannées2000,elle souffre d’une rétinopathie inversée: elle nepeut voir qu’à la périphérie de son champ devision.Désormais,ellemetsadextéritéauservi-ce de ces ovipares, porteurs de tant de fantas-mes. Une sangsue blessée? Gravide? Elle lesreconnaîtautoucher.DescommandesparInter-net?Unlogicieldesynthèsevocal l’alerte.Sonia,sa collaboratrice, sonsoutienet complice, enestbluffée:«Cettecapacitéd’adaptationestphéno-ménale, surtout dans lesmanipulations car, cer-tains jours, les sangsues sont fofolles.»

Maisquipeutbienachetercespetitsverssom-bres? «Des CHU, des cliniques et, de plus enplus,des naturopathes, kinésithérapeutes et ostéopa-

thes», précise la présidente de Ricarimpex. Lessangsuessontsouventutiliséesenmicrochirur-gie et chirurgie plastique, pour des reprises degreffe, des petits hématomes, en rhumatologie,contre l’arthrose du genou, du dos…Une crèmemédicale à base de salive de sangsue est mêmecommercialiséepourluttercontrelesinsuffisan-ces veineuses comme les phlébites ou les suites

de sclérose, contre les complications inflamma-toiresouencorecontrelescrisesd’hémorroïdes.

Les vertus curatives de l’animal, dont safameuse salive qui contient de l’hirudine – unesubstance anticoagulante –, sont nombreuses.«Lasangsuefaitnaturellementdepuisdesmillé-naires ce que l’hommen’a découvert que depuisun siècle», assure Jacques Baudet, professeuréméritedemicrochirurgieauCHUdeBordeaux,un des premiers en Europe à avoir réimplanté,au début des années 1970, un segment de doigtpuis unemain entière et à utiliser des sangsuescontre les congestions veineuses postopératoi-res. LeprofesseurBaudet se fournissait bien sûrauprèsdeRicarimpex.

Quarante ans plus tard, son successeur à ladirection du service chirurgie plastique etreconstructiveduCHUgarde toujours un bocalde sangsues à portée de main. «C’est mer-veilleux, la sangsue, lâchePhilippePélissier: elleinjecte un anesthésique local, puis un anti-inflammatoirepour éviter l’œdèmeaumomentde la piqûre, puis, pour empêcher la coagulationdu sang, un anticoagulant, le plus puissant dumonde. Autre miracle, poursuit-il, pour ne pasque les vaisseaux se rebouchent, elle sécrète desenzymes qui inhibent l’agrégation de plaquet-tes.» Il faut ajouter d’autres enzymes, qui aug-mententlaperméabilitécutanéeauxsécrétionssalivaires de la sangsue et l’afflux sanguin. Ellesécrète aussi unantibactérien.«C’est unanimalqui recèle encorepleins demystères et fait l’objetde nombreuses recherches, complète BrigitteLatrille, qui n’a jamais pris de vacances depuisl’achat de l’entreprise. C’est ce quime fascine, etc’estunpeumavie.»p

Florence Rosier

Il n’a ni les ailes de géantde l’albatrosni samajestédeprincedes nuées. Il ne hantegénéralementpas les tempêtes.Mais cevoyageurailé a d’autres qualités: c’est un

navigateurhorspair, d’où lesmissionsdemes-sagerque lui confièrent longtemps l’arméeoules amoureux.Grâce à son sens de l’orienta-tion réputé, il retrouve facilement sonpigeon-nier. Car c’est dupigeonvoyageur qu’il s’agit.

Ce sensde l’orientationest peut-être légen-dairemais il n’est pas infaillible. C’est ce quitransparaît à la lecture d’un article paru le30janvier dansThe Journal of ExperimentalBiology. L’auteur, JonathanHagstrum,del’USGeological Survey, a cherché à résoudre cemystère: pourquoi les pigeons lâchés à JerseyHill («la collinede Jersey»), dans l’Etat deNewYork, se perdent-ils quasi systématiquement?Pourquoi sont-ils incapables de retrouver lecheminde leur pigeonnier favori, Cornell Loft,distantde quelque 120kilomètres à l’est de Jer-seyHill?

«Ce “triangle des Bermudes de l’orientationaviaire”a toujours fasciné les experts, qui n’encomprenaientpas l’origine», relèveHervéCadiou, enseignant-chercheurà l’universitéde Strasbourg.Mais pourquoi donc, le 13août1969, tous les pigeons libérés à JerseyHill ont-ilsmiraculeusementpris la bonnedirectionpour atteindre le pigeonnier?

Le géologuea repris les 984expériencesdelâchersdepigeons réalisées entre1968 et 1987parBill Keeton, de l’université de Cornell. Enparallèle, il a fait tourner un logicielmodéli-sant les ondes infrasonores sepropageant loca-lement, un jour donné. Et ce, dans l’idée de tes-ter l’hypothèse suivante: les pigeons s’oriente-raient endétectant les infrasons issusdu siteautourdupigeonnier.D’une fréquenced’envi-ron 1kilohertz, ces infrasons résulteraientdu

couplageentre l’atmosphère et les vibrationsde surface duglobe, secouédemicroséismespermanents – oude la diffusion, selon la géo-métriedu terrain, des ondes infrasonoresgénéréespar les tempêtes agitant les océansprofonds («microbarome»).

L’auteur a employé le logicielHarpa (Hamil-tonian ray-tracingprogramfor acousticwavesin theatmosphere), qui se fonde sur la géomé-trie du terrain et les donnéesmétéorologiquesdu jour dit (températurede l’air, direction etvitessedes vents…). Résultat: «JerseyHill appa-raît commeune “zoned’ombre infrasonore”,d’où les pigeons ne peuvent capter les infra-sons émanantdupigeonnier de Cornell», résu-meHervéCadiou. Les très nombreux jours oùles colombidés se sontperdus, les infrasonssemblent avoir été «projetés» à trophautealtitudepour qu’ils aientpu les capter.Mais le13août 1969 les conditionsmétéorologiquessemblent avoir été exceptionnellement favo-rables au «guidage» des infrasonsdupigeon-nier jusqu’à JerseyHill.

La boussole internede ceMercure ailé estpourtant loind’avoir livré ses secrets. Car denombreusesautres thèses sont proposéespour expliquer le fonctionnementde son«GPS». «Les pigeons voyageurs se guident aus-si sur les lignes de champmagnétique, expli-queHervéCadiou.A intervalles réguliers, ilsfont des vols en L pour scanner ces lignes etcontinuerà suivre leur lignede champ initiale.Peut-être aussi utilisent-ils leur sens olfactif.»Pour s’en retourner, «tant bien quemal»,droit au logis –malgré l’orage, le vautour à laserre cruelle ou le fripond’enfant.p

Lespigeonsdéroutésparun«triangledesBermudes»

BrigitteLatrille,reinedessangsuesChampionneolympiquedefleuret,cetteancienne

hôtessedel’airdirigeunélevaged’«Hirudomedicinalis»

a f f a i r e d e l o g i q u e

«C’est unanimal quirecèle encore pleinde

mystères et fait l’objet denombreuses recherches»

Brigitte Latrille.RODOLPHE ESCHER

POUR «LE MONDE»

Le pigeonvoyageur, «Columba livia»,pourrait s’orienter grâce aux infrasons.

HENRY AUSLOOS/BIOSPHOTO

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8 0123Samedi 2 février 2013 SCIENCE&TECHNO

Al’occasionde lamédiatisationdurisque thromboembolique asso-cié à l’utilisation des pilules, onassiste à une querelle qui tourne

au ridicule et au pathétique. Chacun, dési-reuxdemontrerlaméconnaissanceduris-que,yvadesonpetitcoupletetdesonpetitchiffre.Avouloirmontrerlesinsuffisancesdesuns,onréussitsurtoutàmontrerlasuf-fisance des autres. Cela ne contribue pas àlaréflexionnécessairesurlerenforcementde lapharmacovigilance.

La pharmacovigilance, jusqu’à récem-ment, utilisait principalement la notifica-tion spontanée, c’est-à-dire la collecte etl’analysedesdéclarationsd’effetsindésira-bles.Cetoutilestefficacepourdétecterdessignaux, des indices d’un possible risquemédicamenteux jusqu’iciméconnu,maisil ne saurait lesdétecter tous.Une identifi-cationexhaustivedescasd’effetsindésira-blesest illusoire.Ungrandnombreresteraignoré du fait de la présence d’autres fac-teursde risquequi rendentdifficile l’attri-butionde l’effet aumédicament.

Pour être efficace, un système de sur-veillancerenforcée justementvoulupar laministre chargée de la santé doit réunirplusieurs outils. Ils devront s’appuyer sur,premièrement, l’utilisation des bases dedonnées de notification spontanée, pourque soit développé un outil de détectionautomatisédessignaux.Lerapportdel’Ins-pection générale des affaires sociales(IGAS) réalisé après l’affaire du Mediatorrecommandait de mettre en place un teloutil. Cettemise enplace est à l’étude.

Deuxièmement, sur l’utilisation desbases de données de l’Assurance-maladie.Nous disposons en France de la plus gran-debasededonnéesde remboursementdumonde. Ces données restent sous-exploi-tées, faute de moyens et d’accessibilité,comme cela a encore été souligné dans lapétition lancée récemment. Leur utilisa-tionpermettrait, dans le systèmede phar-macovigilance renforcé, la surveillancecontinuedesclassesmédicamenteusesfor-tement utilisées pour lesquelles tout ris-que, même faible, peut avoir des consé-quencesimportantesenraisondunombred’utilisateurs. L’accès à ces données doit

absolument être facilité pour que cettechargedesurveillancepuisseêtrepartagéeentre toutes les structures participant ausystèmedepharmacovigilancerenforcé.

Troisièmement, l’utilisation des basesde données de vente des médicaments.Lesbasesdedonnéesdel’Assurance-mala-die ne permettent pas la surveillance desmédicaments non remboursés, qui sontde plus en plus nombreux. Les acteurs dusystème de pharmacovigilance renforcédevront avoir libre accès aux données devente de tous les médicaments actuelle-ment commercialisés.

Quatrièmement, l’utilisation des basesde données de prescription. Ces bases de

données, largement utilisées par l’indus-triepharmaceutique,ne serventpas assezà surveiller le médicament. Elles pour-raient notamment servir pour construiredes actions ciblées de prévention et d’in-formation.

Cinquièmement, l’utilisation des don-nées couplées d’hospitalisationet de rem-boursement d’un patient. Parmi l’ensem-ble des effets indésirables, certains, dontles accidents vasculaires cérébraux ou lesinfarctus du myocarde, ont été identifiéscomme étant d’une importance capitalepourlasantépublique.L’identificationdesmédicaments pouvant augmenter le ris-que de ces événements serait facilitée sil’on pouvait disposer, avec l’accord despatients,de leursdonnéesindividuellesderemboursement en sus de leurs donnéesd’hospitalisation. Cela nécessite d’utiliserle numéro de Sécurité sociale. La législa-tion actuelle ne permet pas cette utilisa-

tiondansuneactivitédepharmacovigilan-ce etd’identificationcontinuedes risques.

Sixièmement, l’éducation au risquemédicamenteux. Il n’est de bon contrôledurisquemédicamenteuxsansbonneuti-lisation du médicament. Cette éducationest insuffisanteenFrance,pour lesprofes-sionnels de santé comme pour la popula-tion en général, c’est-à-dire les patients etleur famille.

En faculté demédecine, l’enseignementde la pharmacologie médicale est réalisétrop tôt dans les études, et ses horairesréduits ne permettent qu’une introduc-tion très limitée au risque médicamen-teux.Celadevrait cependantêtreamélioréparlaréformeencoursdumasterdeméde-cine, avec l’introduction d’un module debon usage du médicament. Cette forma-tioninitialedevraitêtrecomplétéeparuneformation continue indépendante et vali-dée sur la pharmacologie des nouveauxmédicaments, les risques nouvellementidentifiés et l’actualisation des pratiquesdebonusagedumédicament.

Il faut, de plus, développer une éduca-tion de la population. Tout médicamentpeut être responsable d’effets graves; laprise d’un médicament est toujours uneprise de risque, justifiée uniquement parle bénéfice attendu. La campagne sur laconsommationdesantibiotiquesaaidélesmédecinsà se justifierpournepasprescri-re un antibiotique; l’éducation sur le ris-quedesmédicamentsdevra les aider à fai-re comprendre aux patients que la non-prescription est parfois la meilleure desprescriptions.

Lamise à dispositionélargiede cesdon-néespermettra l’utilisationsimultanéededifférentsoutilsdepharmaco-épidémiolo-gie dans le systèmede pharmacovigilancerenforcé. La pharmaco-épidémiologie estla science pharmacologique qui étudie,avecdesoutilsépidémiologiques,lesbéné-fices et les risques liés à l’utilisation desmédicamentsdans les conditionsde la viecourante. L’Agence nationale de sécuritédu médicament et des produits de santé(ANSM) a pu l’intégrer à son fonctionne-ment cette année, mais avec des moyenslimités, enparticulier sur le planhumain.

Afindepalliercettelimite,lasolutionévi-dentepourdévelopperrapidementlesystè-me de pharmacovigilance renforcé seraitde l’appuyer sur les structures existantes.Des structures qui réunissent des compé-tences sur le médicament, la formation,l’évaluation, lebonusage, etayantunposi-tionnementhospitalieretuniversitaire.

La mise en place d’un tel système estnécessaireaudéveloppementd’unevérita-ble politique de prévention et de sécuritédumédicament,maisilnefaudrapassous-estimer la tâche. Cette politique réclameune volonté, elle réclame de l’argent, elleréclamesurtoutuneambitiond’améliora-tiondurable et éclairée de l’utilisationdesmédicaments.p

«Laprise d’und’unmédicament

est uneprise de risque,justifiée par le bénéfice

attendu»

LA VOIXESTLIBRE

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MATHIEU VIDARD

LA TÊTE AU CARRÉ

DU LUNDI AU VENDREDI DE 14H À 15H

Avec chaque vendredi

la chronique de la rédaction du cahier

DONNEZ VOS

OREILLES

À LA SCIENCE

Pourasseoirunevéritablepolitiquedepréventionetdesécuritédumédicament, ilest indispensabled’associerlesmondeshospitalieretuniversitaireauxstructuresexistantessurlemédicament, laformation, l’évaluationetlebonusage

Pilule:arrêtonslasurenchèreetpassonsàl’action| t r i b u n e |

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Un moteur hybride qui ne manque pas d’air

SOURCE : PSA PEUGEOT-CITROENINFOGRAPHIE LE MONDE

Pour réussir à produire la voiture à 2 litres d’essenceaux 100 km que le gouvernement souhaite fairerouler dès 2020, PSA Peugeot-Citroën a dégainé,mardi 22 janvier, un nouveau concept de véhiculehybride, l’« hybrid air ». Contrairement aux hybridesactuels, qui associent un moteur thermiqueà une batterie électrique, le constructeur françaisa imaginé un hybride associant un moteurà essence, un accumulateur d’énergie sous formed’air comprimé et un moteur-pompe hydraulique.Deux ans de travaux et 80 brevets ont conduit à lavalidation d’un concept qui permet de consommerenviron 3 litres aux 100 km et réduit, sur les petitsmodèles, les émissions de CO

2de 45 % en zone

urbaine. Pourquoi en ville ?

Pompehydraulique

Moteurhydraulique

Boîtede vitesses

Accumulateur(stockeur d’énergie)

Circuit hydraulique

Réservoircarburant

Réservoirbasse pression

Pompehydraulique

Réservoirbasse pression

Boîtede vitesses

Moteurthermique

Moteurthermique

Accumulateur

Phase decompressionde l’airvia le piston

Phasede détente

Piston

Réserved’azote

Huilehaute pression

Circuit huile haute pression

Huilebasse pression

(transformel’huile hautepression enbasse pression)

(transformel’huile bassepression enhaute pression)

Circuit huile basse pressionMoteurhydraulique

Parce que dans cet environnement une voiturene cesse d’accélérer et de décélérer sur de trèsfaibles distances. Et ce nouvel hybride se calesur ce va-et-vient en adaptant des technologiesdéjà éprouvées, notamment avec la DSde Citroën, célèbre dans les années 1950 pour sessuspensions, son freinage ou encore sa commanded’embrayage. Techniquement, le moteurhydraulique récupère l’énergie produiteen décélérant ou en freinant, la transmet viaun double circuit d’huile à haute et basse pressionà une pompe à air comprimé où elle s’accumule.Cette pompe restitue à la demande l’énergie stockée.Cette technologie sera proposée sur des petitescitadines à partir de 2016.

Circuit de recharge avechuile haute pression

2. CircuithydrauliqueLe moteur et la pompehydraulique, accolés,récupèrent l’énergiede la décélérationou du freinage etla transmettent aucircuit pneumatiquegrâce à un échanged’huile basse et hautepression.

1. CircuitpneumatiqueL’énergie transmisepar l’huile hautepression pénètredans la pompe, quibaigne dans de l’azote,actionne le piston etrestitue, après stockagede quelques secondes,l’énergie au moteurhydraulique.

Trois modesde fonctionnement

1. Essence, au-dessus de 70 km/h

2. Air, au-dessous de 70 km/h

3. Combiné, recharge de l’accumulateur

L’équipement

Le mode « air », comment ça marche ?

¶Les signataires sont rattachés

au CHU et à l’universitéde Bordeaux.

Annie Fourrier-Réglat etAntoine Pariente, enseignantsen pharmacologie et chercheursen pharmaco-épidémiologie

et pharmacovigilance;MathieuMolimard, président

du Collège nationalde pharmacologiemédicale;NicholasMoore, ex-présidentde la Société internationale

de pharmacovigilance.


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