1 - L'APPARITION DE LA VIE
Le Précambrien, dont la durée correspond aux 7/8e des temps géologiques,
n'est pas le désert azoïque imaginé par les naturalistes qui fixaient le début des
temps fossilifères au Cambrien, soit il y a 550 millions d'années (550 Ma). L'échelle
des temps géologiques représentée à la figure 1.1 situe les différentes périodes
citées. Bien que discrets et toujours trop rares, les documents fossiles de la Terre
primitive ont permis d'améliorer notre connaissance de la vie et de son évolution. Ce
chapitre traite tout d'abord des renseignements apportés par les roches sédimentaires
précambriennes les plus anciennes, puis des premières traces et des premières
formes de vie, enfin du développement d'une atmosphère oxydante qui a imprégné
irréversiblement soit la matière minérale, soit la physiologie de cellules dont les
adaptations anciennes sont encore repérables aujourd'hui. Tous ces faits
d'observation plaident en faveur d'une théorie scientifique de l'évolution de la vie, car
ils s'y intègrent et s'y enchaînent plus facilement que dans une autre théorie.
Les archives paléontologiques constituent les seuls témoins objectifs de cette
évolution. Mais les sites fossilifères sont rares, car la fossilisation nécessite des
conditions physico-chimiques particulières : enfouissement rapide et environnement
anoxique. Ils sont d'autant plus utiles lorsqu'ils ont conservé les traces des parties
molles des organismes. La fossilisation des animaux est souvent incomplète ; les
chairs se décomposent rapidement sous l'action principale des Bactéries et des
Champignons aérobies. Si les organismes sont sans squelette ni test minéralisé (Vers
ou Méduses, mais aussi Insectes bien que leur cuticule résiste mieux aux différentes
attaques), il ne subsiste plus aucun renseignement sur leur anatomie ; seules restent
parfois des traces de leur activité. Sporadiquement, les organismes dépourvus de
squelette interne ou externe donnent des fossiles d'une qualité remarquable à la
faveur, par exemple, d'épigénie siliceuse ; au cours de ce phénomène, les molécules
de silice remplacent point par point les molécules organiques : les détails des
organisations externes ou internes sont d'une finesse exceptionnelle. Dans le cas des
organismes unicellulaires précambriens, minuscules et le plus souvent dépourvus de
squelette, ce processus fossilifère est particulièrement précieux. Les animaux dotés
d'un endo- ou d'un exosquelette ne sont pas à l'abri d'une disparition complète ; selon
des expériences spécifiques, dans un milieu naturel ordinaire, des Crevettes sont
entièrement détruites en deux semaines environ. Le squelette minéralisé de différents
animaux (par exemple, les os de Vertébrés) se fossilise plus facilement, mais
l'événement demeure malgré tout exceptionnel. Trois mécanismes non exclusifs
désintègrent complètement le squelette :
1
- La dissolution, due aux acides (acides carbonique, nitrique, phosphorique...) ou
au sulfure d'hydrogène, produits issus surtout de la dégradation des composés
carbonés. Cinq ans suffisent pour détruire 50 % d'un échantillon coquillier.
- La biocorrosion, due principalement à des microorganismes tels que les
Bactéries, les Champignons ou les Cyanobactéries (appelées autrefois, à tort,
Cyanophycées) ; le processus est semblable à celui de la dissolution.
- L'abrasion mécanique, prépondérante, par exemple, dans la zone de
balancement des marées (zone intertidale) où vivent 95% des organismes marins.
En 1978, John William SCHOPF a testé les capacités de fossilisation de la faune
intertidale : 40 % des genres conservés in vivo étaient composés principalement
d'organismes sessiles. L'image du milieu donnée par les fossiles est donc souvent
déformée. Les roches fossilifères les plus anciennes ont cependant livré quelques
belles découvertes.
1.1 - Les événements marquants du Précambrien
1.1.1 - Les roches sédimentaires précambriennes
Long de 4 000 Ma, le Précambrien livre peu de roches sédimentaires dont l'âge
soit supérieur à 2 000 Ma ; celles dont l'âge dépasse 3 000 Ma sont rarissimes, en
raison des remaniements géologiques auxquels les roches sont soumises en
permanence : destruction par l'érosion, transformation par le métamorphisme et
disparition des roches par la subduction. C'est pourquoi les quelques gisements
interprétables qui datent du début du Précambrien sont inestimables.
Les premières séries sédimentaires
Les plus anciennes roches sédimentaires ont 3 800 à 3 750 Ma.
Groenlandaises, elles appartiennent au groupe d'Isua. Malheureusement, elles sont
très métamorphisées et les renseignements qu'elles fournissent ne peuvent être
qu’imprécis et incertains.
D'autres séries sédimentaires archéennes, relativement bien conservées, ont
été découvertes en Afrique du Sud et dans l'ouest australien, mais elles sont plus
récentes : 3 500 à 3 300 Ma. L'ensemble des roches d'Afrique du Sud constitue le
super-groupe du Swaziland, lui-même composé de plusieurs sous-ensembles qui
sont, du plus ancien au plus récent : les groupes d'Onwerwacht, de Fig-Tree et de
Moodies. Le super-groupe ouest-australien est celui de Pilbara comprenant, dans le
2
même ordre chronologique, les groupes de Warrawoona, de George Creek et de
Whim Creek. Ces deux séries ont livré les premiers fossiles incontestables.
La recherche des fossiles
La vie se distingue de l'état minéral par sa structure individualisée et organique
fondée sur la chimie du carbone, par son activité métabolique et par sa faculté de
reproduction. Les critères d'identification de la vie dans les roches sont directs et
morphologiques (fossiles et traces d'activité) ou bien indirects et de nature chimique
(enrichissement des roches en matières carbonées : kérogène, charbon...). Il s'agit de
retrouver ces indices dans les roches sédimentaires les plus anciennes.
- Les roches fossilifères
Les fossiles archéens sont contenus principalement dans deux types de
roches : les schistes et les cherts, nom générique anglais qui regroupe toutes les
roches sédimentaires siliceuses (chailles, jaspes, bancs de silexites ou rognons de
silex) d'origine chimique ou biochimique.
Dans les cherts, la structure tridimensionnelle des microfossiles est bien
conservée et peu déformée. Les roches sont assez transparentes pour que les
fossiles soient observables au microscope dans des lames minces. En revanche,
dans les schistes, cette observation est souvent impossible par manque de
transparence des sédiments. Une dissolution ménagée des schistes peut néanmoins
permettre de dégager d'éventuels fossiles, qui sont très fréquemment déformés.
- La reconnaissance des fossiles
Étant donné l'ancienneté des fossiles et le nombre d'altérations possibles de
leur structure, il est difficile de savoir si le spécimen observé est un simple fossile ou
une concrétion minérale. Pour lever l'indétermination, le paléontologue dispose de
quatre tests :
1) Doser les radioéléments pour déterminer avec le minimum d'incertitudes l'âge de
la roche fossilifère, datation absolue indispensable.
2) Montrer que le fossile fait partie intégrante de la roche, au lieu de résulter d'une
banale contamination accidentelle par des microorganismes actuels lors de sa récolte.
Ainsi, les échantillons de roches fissurées, poreuses ou altérées sont rejetés.
3) Déterminer avec la plus grande précision le mode de formation de la roche
fossilifère, afin de savoir si la présence de fossiles est plausible. Les dépôts
3
biologiques, tels que les Stromatolithes, produisent une roche de composition et de
structure caractéristiques qui facilitent cette détermination.
4) Prouver que la structure observée, scellée dans la roche, est bien un fossile, et
non une formation minérale qui rappelle des structures organiques. Cette
démonstration requiert de comparer des spécimens identiques à ceux trouvés dans
des roches de lieu, de nature et d'âge différents et, enfin, de rechercher des
composés organiques. Cette recherche s'effectue par déminéralisation de l'échantillon
de roche, qui est soumis à l'action de l'acide fluorhydrique (HF) et de l'acide
chlorhydrique (HCl).
Vers 1965, 100 microfossiles sont répertoriés. En 1980, il y en a 2 800, dont
85 % ont été trouvés dans les années 1970. Après avoir soumis ces découvertes aux
tests précédents, 20 % des fossiles décrits entre 1965 et 1970 se sont révélés des
contaminants.
1.1.2 - Des traces indirectes d'activité biologique
Les sédiments de certaines roches de la série groenlandaise d'Isua (3 800 Ma),
contemporaine de la formation de la croûte terrestre, sont peut-être d'origine
organique, à cause de l'excès de carbone 12 par rapport au carbone 13. Le carbone
existe sous trois formes différentes ; deux d'entre elles sont stables et non
radioactives ; il s'agit des carbones 12C et 13C ; la dernière, instable et radioactive, le
carbone 14C, est produite dans la haute atmosphère en quantité infime. Cet
enrichissement en 12C est attribué à des photolithotrophes, c’est-à-dire à des
organismes qui utilisent l’énergie lumineuse comme source énergétique et le CO2
comme source carbonée. Au cours de la photosynthèse, les cellules utilisent aussi
bien les deux isotopes du carbone 12C (98,9 % du carbone atmosphérique) et 13C (1,1
%) ; mais le 12C, moins lourd, circule plus rapidement dans les réactions
photosynthétiques : la matière organique s'enrichit en 12C, 2-3,5 % de plus dans les
tissus des plantes actuelles en C3 et 0,8-2 % dans les tissus des plantes actuelles en
C4 (Chez les plantes en C3, le CO2 se fixe sur un premier composé stable en C3 ; chez
les autres plantes ce composé est en C4). À leur mort, on retrouve cet enrichissement
dans les sédiments d'origine organique. On peut supposer qu'il en était de même
pour les cellules archéennes qui utilisaient la photosynthèse ; c'est pourquoi
l'enrichissement des sédiments d'Isua en 12C est relié à une activité de photosynthèse
précoce. Mais il peut également résulter de l’activité des chimiolithotrophes bactériens
(Ferro-, Thio- et Nitrobactéries) qui utilisent comme source d’énergie celle libérée par
des réactions d’oxydo-réduction et comme source carbonée le CO2. Seul le rejet de
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dioxygène (O2) est particulier à la photosynthèse. En définitive, l’excès de 12C dans les
sédiments d’Isua semble devoir être attribué uniquement à des autotrophes.
1.1.3 - Les premiers organismes précambriens
L'ère précambrienne se caractérise par trois apparitions majeures : celle des
cellules sans systèmes membranaires internes (réticulum, membrane nucléaire,
appareil de Golgi...) ; celle des cellules pourvues de systèmes membranaires internes.
Dans les années 1920, Edouard CHATTON a qualifié les premières de Procaryotes
(terme qui réunit en fait deux type cellulaires très différents : les Eubactéries -
Bactéries classiques - et les Archéobactéries - Archébactéries ou Archées) ; les
secondes d’Eucaryotes ; celle de l'apparition de la photosynthèse aérobie qui
modifiera complètement la chimie terrestre. Des biologistes ajoutent celle de la
fixation du diazote N2 qu'ils considèrent comme une acquisition importante des
microorganismes. La figure 1.1 résume quelques découvertes fossilifères
précambriennes auxquelles on se référera dans cette section.
5
fig. 1.1
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Les Procaryotes
Les premières traces de vie connues correspondent à des édifices de type
récifal, les Stromatolithes, édifiés probablement par des Bactéries. La taille et la
structure des fossiles archéens laissent supposer qu'il s'agissait de Bactéries,
auxquelles viennent s'ajouter des Procaryotes, souvent confondus avec elles : les
Archéobactéries.
- Les Stromatolithes
Au début du 20e siècle, Charles Doolittle WALCOTT a découvert dans des terrains
précambriens de l'ouest de l'Amérique du Nord des masses calcaires finement
feuilletées : les Stromatolites ou Stromatolithes (3 500 Ma à l'actuel).
Deux hypothèses opposées expliquent ces formations :
- des récifs fossilisés édifiés par des Algues, selon Ch. WALCOTT ;
- un processus inorganique de précipitations chimiques rythmiques, selon les
autres scientifiques.
La première hypothèse a été confirmée par Stanley TYLER et Elso BARGHOORN
quand ils ont découvert, en 1954, dans les roches précambriennes de Gunflint
relativement récentes (à peu près 2 000 Ma), près du lac Supérieur dans l'Ontario,
des microorganismes fossiles ressemblant aux Cyanobactéries et aux Bactéries
actuelles associées à des Stromatolithes (voir la fig 1.1). Depuis cette importante
découverte, des Stromatolithes vivants édifiés par des Cyanobactéries et des
Bactéries ont été trouvés dans des habitats côtiers, comme celui de la lagune de la
baie de Shark, sur la côte ouest de l'Australie.
On connaît maintenant environ quarante-cinq formations ; les plus vieilles datent
de 3 500 Ma. Mais ni les roches les plus anciennes de Swaziland, ni celles de Pilbara
n'avaient livré avec les Stromatolithes des fossiles de microorganismes permettant
d'identifier avec certitude l'origine biologique de ces formations. Cependant, dans des
Stromatolithes de la série de Warrawoona, au gisement de North Pole, on a identifié
avec certitude des Sphéroïdes et des formes rappelant les Cyanobactéries
actuelles : l'origine organique des Stromatolithes archéens est quasi certaine. Les
colonies actuelles de ces microorganismes sont encroûtantes et leur épaisseur
augmente régulièrement. Chaque étape de leur croissance se caractérise par de fines
stries concentriques, résultat de la précipitation de calcaire due à des Cyanobactéries
et à d'autres Bactéries autotrophes se développant en surface. Ces microorganismes
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sont à l'origine d'écosystèmes particuliers dont la structure verticale, très ordonnée, se
retrouve identique chez les Stromatolithes fossiles. Celle-ci dépend à la fois de la
lumière, de la concentration en dioxygène O2 et de relations trophiques.
On distingue, de haut en bas, trois zones :
1) La surface de croissance superficielle où se développent des Cyanobactéries et
des Bactéries aérobies strictes, photosynthétiques et productrices d'O2. Cette zone
contient principalement des autotrophes et quelques hétérotrophes aérobies. Le
calcaire précipité, produit par l'activité de ces microbes, constitue une pellicule de plus
en plus opaque, mais les microbes autotrophes se déplacent constamment vers la
surface des sédiments par phototactisme : la croissance du Stromatolithe et sa
photosynthèse ne sont donc jamais interrompues.
2) La zone intermédiaire est soumise à l'influence de l'O2, produit par la zone
superficielle, qui diffuse en partie vers les couches inférieures, et à celle de quelques
radiations lumineuses qui réussissent à pénétrer. Elle possède un peuplement plus
hétérogène. On y trouve des Bactéries photosynthétiques aérobies facultatives,
capables de se satisfaire du peu de lumière grâce à des pigments qui absorbent les
radiations non utilisées par les autotrophes sus-jacents. Si l'O2 vient à manquer, ces
Bactéries passent à la photosynthèse anaérobie, le substrat initial H2O est alors
remplacé par H2S. Les Bactéries hétérotrophes sont également des aérobies
facultatives capables soit de respirer, soit de fermenter si les conditions du milieu
deviennent anoxiques.
3) La zone inférieure, la plus épaisse, est aphotique et anoxique. Les Bactéries
abondantes et diverses sont hétérotrophes et anaérobies strictes.
Il est concevable, bien que non démontré, que les Stromatolithes archéens
aient été associés à des communautés bactériennes de ce type. Les organismes
autotrophes et hétérotrophes devaient exister au moins depuis 3 500 Ma, sinon
depuis 3 750 Ma, si l'on tient compte des renseignements fournis par les sédiments
d'Isua.
- Les Bactéries
Les Cyanobactéries
Des filaments bactériens rappelant ceux des Cyanobactéries ont été trouvés
dans le groupe de Warrawoona (Australie) ainsi que dans celui de l'Onwerwacht
(Afrique du Sud) ; cela constitue un autre argument en faveur d'une photosynthèse
aérobie précoce (3 500 Ma). Les Cyanobactéries sont des Procaryotes
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photosynthétiques, producteurs de dioxygène, unicellulaires ou coloniaux ; de très
nombreuses espèces sont planctoniques. La figure 1.2 compare le contour de deux
fossiles probables de Cyanobactéries à la silhouette et la structure de deux
Cyanobactéries filamenteuses actuelles.
Fig. 1.2
Certains filaments fossiles sont indiscernables des formes actuelles : même
forme, même taille des cellules et même gaine mucilagineuse. On pourrait en déduire
que l'évolution morphologique des Cyanobactéries a été extrêmement lente, voire
inexistante. Il existe des exemples d'évolution très lente chez un certain nombre
d'organismes reliques (Ginkgo, Cœlacanthe...), mais les Cyanobactéries détiennent le
record de lenteur : plus de 3 500 Ma sans altération notable de leur morphologie, ni
peut-être de leur physiologie.
9
Selon J. SCHOPF, cette absence d'évolution apparente est due à leur mode
asexué de reproduction, qui restreint leur possibilité d'évolution, et à leur capacité
adaptative extraordinaire, qui leur permet d'occuper tous les milieux et de survivre à
toutes les conditions : désert, toundra, forêt, cuirasses latéritiques, intérieur de
roches, chaleur, froid (résistance à -269°C pendant 7,5 heures), neige, eaux douces,
salées ou sursalées, eaux acides (pH 3,5) ou basiques (pH 11), en anaérobiose ou
en aérobiose, en milieu aphotique ou photique ; elles résistent à la déshydratation,
aux rayons X, aux ultra-violets et aux rayons gamma. Les Cyanobactéries sont
asexuées, universelles et ubiquistes ; ces caractéristiques limiteraient leur évolution
(voir la section 3.1 : « La reproduction sexuée »).
Les Sphéroïdes
Par souci de simplification, sous cette appellation descriptive sont regroupées
diverses formes reconnues par les spécialistes : les Coccoïdes (3 800 à 800 Ma), les
Sphéroïdes stricto sensu (3 300 à 800 Ma). Les fossiles précambriens sont
microscopiques, parfois peu reconnaissables en tant que tels et se présentent, le plus
souvent, sous forme de sphérules.
Les premiers Sphéroïdes vraiment biologiques se trouvent dans les couches de
Warrawoona et d'Onwerwacht (3 500 à 3 300 Ma, voir la fig. 1.1).
La figure 1.3 en présente différents groupements. Les Sphéroïdes soulèvent
quelques problèmes : nature du point noir (noyau, pyrénoïde ou pore germinatif),
origine des groupements en tétrades (premier signe d'une éventuelle méiose, et donc
d'une reproduction sexuée).
Fig. 1.3
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Formant des figures particulières qui sont à l'origine de plusieurs recherches,
certains Sphéroïdes représenteraient des étapes importantes dans l'évolution de la
vie :
- Passage de la cellule procaryote à la cellule eucaryote, qui est définie
principalement par son système membranaire interne : l'incorporation d'organismes
plus petits dans des Sphéroïdes est quelquefois considérée comme un passage de
l'état procaryote à l'état eucaryote à travers quelques types cellulaires. L'association
de Cyanobactéries et de Bactéries avec des Sphéroïdes a pu être décrite dans la
formation de Richât en Mauritanie. Selon l'hypothèse de l'endosymbiose, des
microorganismes d'abord infectieux de cellules procaryotes seraient devenus, par la
suite, symbiotiques, donnant alors naissance à la cellule eucaryote. Citant comme
exemples les chloroplastes et les mitochondries, Lynn MARGULIS rappelle que l’ADN de
ces organites intracellulaires, dont la division peut être indépendante de celle de la
cellule, possède des caractéristiques d'ADN bactérien. Actuellement, l’origine
symbiotique de ces deux organites est indiscutable.
Il convient de signaler que l'état eucaryote n'implique pas toujours la présence de
mitochondrie(s) ; quelques Protozoaires comme les Microsporidies (ex. : Vairimorpha),
les Diplomonadines (ex. : Giardia) et les Trichomonadines dont les Trichomonas n’en
ont pas. Les deux derniers groupes s'en trouvent sans doute dépourvus de façon
secondaire.
- Apparition des cellules eucaryotes avec la présence d'un organite cloisonné
visible sous la forme d'un point noir dans certains d'entre eux (fig. 1.3). La question du
point noir a été soulevée avec la découverte des Sphéroïdes Caryosphaeroides
pristina et Africanosphaeroides fertilis (fig. 1.3), dans les couches de Bitter Spring en
Australie (fig. 1.1). En 1969, J. SCHOPF y a vu un noyau (fig. 1.3) : la « paroi
cellulaire » (peut-être s’agit-il d’une membrane) s'est dédoublée en une « paroi »
externe (p. ext.) et une « paroi » interne (p. int.) à l'intérieur de laquelle se trouve le
reste d'un noyau (n.) sous l'aspect d'un point noir. En revanche, d'autres chercheurs
comme Preston CLOUD, G. LICARI, B. TROXEL et L. WRIGHT considèrent le Sphéroïde
comme une Algue rouge et voient dans le point noir un pyrénoïde. C'est un organite
intraplastidial, c'est-à-dire présent ici dans les chloroplastes, parcouru par de rares
thylakoïdes, filaments portant les pigments chlorophylliens. Le pyrénoïde est connu
chez les Algues rouges, mais aussi les Algues vertes et brunes ; sa principale
caractéristique est d'apparaître transparent en microscopie électronique. En 1973,
Gerhard KREMP a vu dans le point noir une concrétion calcaire semblable à celle qu'il
avait obtenue expérimentalement dans des Cyanobactéries. La même année, en
observant les cellules de face et de profil, Édouard BOUREAU a reconnu dans le point
noir d'Africanosphaeroides fertilis des pores germinatifs. Le point noir coïncide avec
11
des interruptions de la paroi cellulaire. Actuellement, pour la grande majorité des
chercheurs, les Sphéroides représentent les restes fossiles de cellules procaryotes.
- Apparition chez les cellules eucaryotes de la reproduction sexuée ; les
Sphéroïdes groupés en tétrades (série de Warrawoona) sont, pour des
paléontologues, une première figure caractéristique de la méiose. Dans cette
hypothèse, les Sphéroïdes regrouperaient aussi bien des cellules procaryotes que
des cellules eucaryotes. Cette succession de deux divisions cellulaires, spécifique de
la reproduction sexuée, donne naissance à quatre cellules, formant une tétrade. Les
scientifiques admettent que la sexualité, en effet, est liée à l'état eucaryote.
L'interprétation de tétrades (fig. 1 3) observées dans la formation de Bitter Spring par
différents spécialistes dont J. SCHOPF ou J. BLACIC, est loin d'être admise. Les uns y
voient des cellules issues de la méiose qui sont restées groupées, preuves de la
présence de cellules eucaryotes ; les autres, un groupement aléatoire qui ne
correspond pas une méiose.
- Origine des organismes pluricellulaires : les formes coloniales auraient pu donner
naissance aux organismes pluricellulaires. Les Sphéroïdes, issus de divisions
successives, restent parfois côte à côte et forment alors des pseudofilaments (série
de Warrawoona) ressemblant à des petits chapelets identiques aux Nostocs actuels.
Parfois, les cloisons intercellulaires sont perpendiculaires à l'axe du filament ; les
cellules du filament bactérien deviennent alors rectangulaires (fig. 1.2) comme celles
d'un filament algal. Des filaments des deux types ont été décrits dans les sédiments
de la flore de Gunflint (2 000 Ma) au Canada (fig. 1.1) et dans ceux, beaucoup plus
récents, de Bitter Spring (1 000 Ma). É. BOUREAU estime que ces fossiles constituent
une étape vers l'état pluricellulaire. La pluricellularité est certainement apparue
indépendamment chez les Eumycètes (Champignons), les Métazoaires et les
Chlorobiontes (Algues vertes, Charophytes et Archégoniates).
Il semble que des Procaryotes différents des Bactéries ordinaires soient
apparus peut-être simultanément, mais leurs particularités n'ont été reconnues qu’à la
fin des années 1970. Ces Procaryotes ont leur place dans cette section parce que
quelques-unes de leurs particularités permettent d'imaginer certaines conditions de
vie de la Terre primitive. La section suivante retrace l'histoire de leur reconnaissance.
12
- Des Archéobactéries appelées à régner
L'histoire de leur reconnaissance
La division règne animal - règne végétal est ancienne. Dans la première moitié
du XXe siècle, considérant cette dichotomie comme trop arbitraire, des biologistes ont
admis que les deux règnes divisant l'univers vivant étaient constitués l'un par les
Procaryotes, l'autre par les Eucaryotes. Or, la découverte, chez des microorganismes,
de plusieurs caractères originaux ont troublé cette dichotomie ; le scepticisme du
monde scientifique a été partiellement levé en 1980.
Dans les années 1960, chez des Bactéries halophiles qui se développent
uniquement dans des milieux sursalés dont la concentration en NaCl atteint 200 g.l-1,
Maurice KATES a trouvé des lipides anormaux (fig. 1.4-A) pourvus d'une fonction éther-
oxyde : les deux couches de lipides membranaires sont unies par des liaisons fortes
de type covalent où des électrons sont mis en commun. Les lipides membranaires
classiques (fig. 1.4-B) sont des phosphoglycérides où les connexions entre le glycérol
et les acides gras sont dues à des fonctions esters ; les liaisons habituelles de ces
lipides sont de type hydrophobe, des charges négatives et positives assurent la
cohésion moins forte de l'ensemble.
Fig. 1.4
13
Vers 1970, chez des Bactéries thermo-acidophiles vivant dans des eaux
chaudes et/ou acides (pH = 1) comme celles de geysers, les chimistes
Thomas LANGWORTHY et Mario DE ROSA ont reconnu les mêmes lipides anormaux.
Par ailleurs, en 1970, dans son laboratoire, Carl WOESE, avec un étudiant,
George FOX, a cherché à établir l'arbre phylétique des Bactéries par l'analyse de
l'ARN ribosomique. Constitués d'ARN et présents sans exception dans toutes les
cellules pro- et eucaryotes, les ribosomes sont importants pour l'étude de l'évolution ;
leurs séquences très conservées permettent l'établissement d'arbres phylétiques dont
les racines sont anciennes. En 1977, avec l'analyse de l'ARN ribosomique d'une
Bactérie méthanogène dont l'énergie provient de réactions d'oxydo-réduction
produisant du méthane, C. WOESE et G. FOX ont constaté que cet ARN était très
différent de celui des autres Pro- et Eucaryotes. L'ARN possédait, en effet, des
séquences spécifiques constituant une sorte de carte d'identité. Si la classification du
monde vivant était fondée sur la composition de l'ARN ribosomique, ces Bactéries
formeraient un troisième règne : celui des Archéobactéries. Deux autres arguments
ont étayé leur conclusion : les Bactéries méthanogènes sont toutes anaérobies, ce
qui peut être interprété comme la persistance d'une adaptation à des conditions de
vie primitives anoxiques, et leur arbre généalogique remonte très loin dans le temps.
La conclusion de leurs travaux (1977) a été accueillie avec beaucoup de réserves. En
formant une trichotomie classificatoire, les Archéobactéries bousculent l'ordre établi ;
de plus, elles sont tellement semblables aux Bactéries classiques qu'il peut paraître
surprenant d'élever leur groupe au statut de règne.
En 1979, T. LANGWORTHY a également trouvé chez les Bactéries méthanogènes
des lipides membranaires à fonction éther-oxyde. Intéressé par ces résultats,
C. WOESE a aussi analysé l'ARN ribosomique de ces Bactéries thermo-acidophiles et
halophiles pour savoir si elles appartenaient à la famille originale que G. FOX et lui-
même avaient reconnue. À cause de la forte similitude de leur ARN, il en a conclu que
les trois types de Bactéries appartiennent au même groupe.
La recherche des particularités de ces Archéobactéries s'achève avec deux
découvertes : l'une sur leur ADN et l'autre sur leur résistance intrinsèque à des
températures élevées (90°C, et parfois un peu plus). Mais, depuis les années 1980, le
nombre des espèces recensées a augmenté et la connaissance de leurs exigences
écologiques a progressé : elles semblent ubiquistes et la résistance à la chaleur
concerne seulement certaines d’entre elles. Au moment de sa réplication, l'ADN forme
une super-hélice positive, c'est-à-dire que ses deux brins, comme ceux d'une ficelle,
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s'enroulent l'un sur l'autre dans le même sens qu'une hélice de tire-bouchon. Or, chez
tous les autres organismes sans exception, cette super hélice est négative. Enfin, les
Archées thermophiles, halophiles et acidophiles sont résistantes à des températures
élevées proches de la limite létale, au-delà desquelles toutes les molécules
organiques sont désorganisées. Un ARN spécifique, des lipides avec des fonctions
éther-oxydes, des phospholipides membranaires réunis par une liaison covalente, une
super-hélice positive sont des caractéristiques communes singulières qui ont donc
permis la reconnaissance effective des travaux de C. WOESE et de G. FOX par la
publication, en 1980, dans la revue Science, d'un article co-signé par 19 auteurs : le
troisième règne des Archéobactéries est accepté par la majorité des scientifiques.
Leur place dans la théorie de l'évolution
Leurs caractéristiques tout à fait originales sont un témoignage des conditions
physico-chimiques présentes au moment de l'apparition de la vie. À la fin des années
1970, John CORLISS a estimé que les premières Archéobactéries ont pu apparaître
dans les océans primitifs, dont les caractéristiques physico-chimiques étaient
semblables à celles des sources hydrothermales des grands fonds que sont les
fumeurs noirs. Mais l'hypothèse des premières cellules chimiotrophes est sujette à
caution. Que les Archéobactéries soient les ancêtres des autres Procaryotes est peu
probable si l'on considère l'arbre généalogique (fig. 1.5) du monde vivant établi
d'après les travaux de WOESE et d'OLSEN ; on y observe une trichotomie qui témoigne
d’une indétermination phylogénétique. En 1989, Takashi MIYATA, professeur à
l’université d’Osaka, et son équipe ont utilisé comme marqueurs de l’évolution des
séquences de gènes ancestraux comme le sont, par exemple, les gènes codant pour
l’ARN ribosomique (ARNr). Ils sont arrivés à la conclusion que les Eubactéries et les
Archéobactéries constituent les deux premières branches de l’arbre du vivant et que
les Eucaryotes sont issus d’une dichotomie des Archées. Par la suite, cette
conclusion a été renforcée par l’étude des ARN-polymérases : les enzymes des
Archées et des Eucaryotes présentent entre elles plus de points communs qu’avec
celles des Eubactéries et sont également plus complexes.
15
Fig. 1.5
D’après J. GÉNERMONT, « tous les organismes vivants actuels semblent se répartir entre trois
grands ensembles monophylétiques souvent désignés sous les noms « archébactéries »,
« eubactéries » et « eucaryotes ». On figure en général cela sous la forme d’un arbre à trois
branches, dit « arbre universel du vivant », représenté non enraciné, ce qui traduit la « non-
résolution » des deux bifurcations successives que comporte sans doute la phylogénie réelle.
Dans l’état actuel de nos connaissances, il serait raisonnable de considérer ces trois ensembles
comme des taxons de même niveau hiérarchique, le plus élevé qui soit. » (Jean GÉNERMONT,
« Sur la notion de règne en général et sur celle du règne animal en particulier », Bull.
Soc. Zool. Fr., 1997, 122(4), 331-340).
Le passage aux cellules eucaryotes, dernier événement majeur de l'évolution
précambrienne, a été beaucoup plus tardif.
16
Les Eucaryotes
On cherche à savoir à quelle époque, sous quelles formes et comment les
cellules eucaryotes se sont développées.
- Leur date d'apparition
Les cellules eucaryotes se distinguent par leur organisation interne (présence
de structures membranaires), par la complexité de leurs formes et par leurs grandes
tailles : 5 à 60 micromètres, parfois 100, alors que les Bactéries ne dépassent jamais
60 micromètres. Seuls les deux derniers caractères se maintiennent au cours de la
fossilisation ; sur eux reposent les arguments en faveur de l'existence de ces cellules
dans les sédiments précambriens.
La diversité de leurs formes apparaît chez certains microfossiles découverts,
par exemple, dans la série d'Olkine en Sibérie (725 Ma), qui se présentent comme de
vrais filaments avec des cloisons transversales et surtout des ramifications. Dans la
dolomie de Beck-Spring au sud-est de la Californie (1 300 Ma) se trouvent également
des filaments très ramifiés, de grand diamètre, dont les cloisons transversales sont
rares. La formation de Kwagunt au nord-est du Grand-Canyon du Colorado (800 Ma)
contient des fossiles unicellulaires semblables à de petites fioles. Des cellules
épineuses de quelques centaines de micromètres sont présentes dans des schistes
sibériens (950 Ma). Des études statistiques sur la taille des cellules fossiles ont été
réalisées à partir de huit mille échantillons provenant de dix-huit formations
précambriennes. Constatant l'absence de cellules d'une taille égale ou supérieure à
cent micromètres dans des roches vieilles de 1 450 Ma ou plus, J. SCHOPF a conclu
que les cellules eucaryotes sont probablement apparues au plus tard vers cette date.
Mais, comme les Eucaryotes sont aérobies, la date généralement avancée est 2 000
Ma, car elle correspond à la présence d'une atmosphère oxygénée. La taille et la
forme des premières cellules supposées eucaryotes devaient être semblables à celle
des cellules procaryotes, c'est pourquoi elles passent inaperçues.
- Leur origine
Deux théories expliquent l'apparition des cellules eucaryotes. Selon la théorie
autogène, la compartimentation de la cellule provient directement d'une
transformation sur place du cytoplasme ; rien ne permet de la rejeter. Selon la théorie
de l'endosymbiose, soutenue depuis 1960 par Lynn MARGULIS, les organites
membranaires proviennent de la différenciation progressive de microorganismes
17
infectieux devenus symbiotes. Cette hypothèse, étayée par la présence d'ARN et
d'ADN de type eubactérien, par exemple, dans les mitochondries et les chloroplastes,
est renforcée par la connaissance de symbioses actuelles :
- L’Amibe Pelomixa palustris, dépourvue de mitochondrie(s), abrite deux Bactéries
symbiotiques dont l’une, aérobie, assure la respiration.
- Une Paramécie (P. bursaria) héberge des Chlorelles (Algues vertes
unicellulaires).
- L’Algue unicellulaire Cyanophora paradoxa, l'Algue verte Glaucocystis
nostochinaerium et les Coraux abritent dans leur cytoplasme des Cyanobactéries
symbiotes modifiées : les Cyanelles.
- Les cellules de Légumineuses des Bactéries du genre Rhizobium.
- Les cellules d'Orchidées des Champignons du genre Rhizoctonia.
En 1991, Susan DOUGLAS a découvert une algue d'eau douce, le Cryptomonas,
issue de la symbiose de deux organismes eucaryotes dont l'un est d'origine inconnue
et l'autre est une Algue rouge : dans la cellule du Cryptomonas, une structure
membranaire, le nucléosome, renferme de l'ADN et de l'ARN dont les caractères sont
ceux des acides nucléiques d'Algues rouges.
L. MARGULIS est convaincue que les symbioses renferment un grand potentiel
évolutif ; la mise en commun des ressources génétiques de chaque symbiote rendrait
l'association plus performante et compétitive. Les biologistes reconnaissent volontiers
qu'une symbiose peut être à l'origine des cellules eucaryotes et d'organismes
rudimentaires pluricellulaires, mais ils doutent qu'elle puisse donner des formes plus
complexes.
Aujourd’hui, l’origine symbiotique des mitochondries et des chloroplastes est
admise par tout le monde scientifique. Des recherches sur l’ARN ribosomique (ARNr
5, 5.8, 18, 28, 70 et 80S) ont révélé que la base de l’arbre des cellules eucaryotes est
occupée par les Microsporidies, les Diplomonadines et les Trichomonadines ; ces trois
groupes de Protozoaires dépourvus de mitochondries, ne comprennent quasiment
que des parasites ou des symbiotes et ils possèdent des caractères de Procaryotes :
ARNr 70S typique au lieu 80S pour tous les autres Eucaryotes, gènes des protéines
sans introns, séquences non codantes très courtes, absence de peroxysomes et
mode de vie presque anaérobie. (cf : « Que savons-nous de l’histoire évolutive des
Eucaryotes ? 2. De la diversification des protistes à la radiation des multicellulaires »,
André ADOUTTE, Agnès GERMOT, Hervé LE GUYADER et Hervé PHILIPPE, Médecine/Science
n° 2, vol 12, fév. 96, Société Française de Génétique.)
Ces mêmes travaux présentent les conclusions suivantes :
- La symbiose mitochondriale est apparue après les Protozoaires les plus anciens
puisque les Microsporidies sont primitivement amitochondriales, il y a doute pour les
18
deux groupes : Diplo- et Trichomonadines. Une fois la symbiose effectuée, certains
gènes mitochondriaux, en effet, sont incorporés dans les chromosomes nucléaires, ils
constituent alors des témoins de cette symbiose. En revanche, l’absence de ces
marqueurs nucléaires est une preuve d’une amitochondrie primitive ; or, ces deux
derniers groupes possèdent bien des marqueurs bactériens, mais on ne peut être
certain qu’ils proviennent de mitochondries.
- La symbiose chloroplastique des plus anciennes algues, les Rhodophycées, a suivi
la symbiose mitochondriale. Les Rhodophycées n’apparaissent pas, comme les trois
groupes précédents, à la base de l’arbre des Eucaryotes.
- Les acquisitions successives des cellules eucaryotes sont des plus anciennes aux
plus récentes : un noyau avec chromosomes, la mitose, la méiose, le flagelle,
l’appareil de Golgi, la symbiose mitochondriale contemporaine sans doute de la
formation d’introns nucléaires et enfin de la symbiose chloroplastique. Les
Microsporidies ont une mitose particulière (cf. ci-après la section : « L’apparition de la
mitose ») et elles ne comprennent ni mitochondries, ni flagelle, ni Golgi, ce qui
témoigne de leur ancienneté.
- Les Acritarches
Parmi les cellules eucaryotes primitives, peut-être représentées aussi par des
Sphéroïdes, on trouve d'abondants organismes unicellulaires planctoniques. Mais leur
relation phylétique avec les Algues actuelles est quasi inconnue ; aussi les désigne-t-
on sous le terme d'acritarche, d'un mot grec signifiant « inclassable ».
Ces cellules, dont les plus vieilles datent de 1 250 Ma, se caractérisent par leur
forme : sphérique simple (Acritarche sphéromorphe) ou bien sphérique pourvue de
minuscules expansions (Acritarche acanthomorphe), et par leur taille très largement
supérieure à celles des cellules précédentes. L'étude des variations de la taille des
Acritarches sphéromorphes permet de suivre leur évolution : à 1 000 Ma, ils
atteignent 3 mm, puis 1 cm à 850 Ma, date de leur apogée, et se raréfient vers
675 Ma ; seuls subsistent alors des petits Sphéromorphes de quelques centaines de
micromètres, qui disparaissent au Cambrien inférieur. Les Acanthomorphes subissent
une évolution parallèle : après avoir atteint 800 micromètres, leur taille diminue
progressivement jusqu'à 75 micromètres dans le Cambrien inférieur. Certains
survivent jusqu'au Quaternaire.
Le déclin de ces formes planctoniques est contemporain d'une glaciation de
grande ampleur, située entre 900 et 675 Ma. Au cours de cette période, on suppose
que la concentration de l'atmosphère en CO2 a progressivement diminué, alors que
celle d'O2 a augmenté. Dans des conditions expérimentales, cette situation entraîne
19
chez les Algues planctoniques une activité photosynthétique si faible qu’elle bloque
leur croissance. On peut imaginer que les Acritarches ont réagi de la même façon aux
variations de ces deux gaz atmosphériques et qu'ils n'ont jamais rattrapé le déclin
amorcé dès cette période.
Si les interprétations des fossiles précambriens diffèrent parfois complètement,
les scientifiques s'accordaient jusqu'à présent sur la date d'apparition des cellules
eucaryotes, 1 300 Ma. Cependant, un organisme interprété par certains comme une
Rhodophycée vieille de 2 000 Ma donnerait pour les Eucaryotes une date beaucoup
plus ancienne. Néanmoins, il est difficile de concevoir pourquoi 1,5 milliard d'années
a été nécessaire pour passer d'un type de cellule à l'autre, alors qu'à la fin du
Précambrien, il y a 570 Ma, les événements évolutifs biologiques se sont précipités.
Les différences entre les Procaryotes et les Eucaryotes sont sans doute
fondamentales pour expliquer ce délai. Quelques-unes sont résumées dans la
figure 1.6.
Fig. 1.6
Deux caractéristiques et une propriété des cellules eucaryotes constituent des
étapes fondamentales dans l'évolution de la vie :
- L'organisation de l'ADN, matériel héréditaire de la cellule, en chromosomes
linéaires pourvus d’un centromère et de télomères. L'ADN est enfermé dans le noyau
20
et la division cellulaire - mitose - remplace la scissiparité ; la reproduction sexuée
apparaît avec la méiose, qui est marquée par des échanges génétiques entre
chromosomes et une réduction du nombre de chromosomes, qui passe de 2n à n.
- La présence dans le cytoplasme d'organites limités par une membrane :
reticulum, noyau, appareil de Golgi, chloroplastes, mitochondries. Mais certains
Protozoaires (Métamonadines, Microsporidies et Parabasalides) sont des anaérobies
obligatoires car ils sont dépourvus de mitochondries. Cependant, les fonctions
physiologiques se compartimentent et leur complexité augmente.
- La tolérance au dioxygène : tous les Eucaryotes sont aérobies, alors que les
Procaryotes sont aérobies stricts, aérobies facultatifs ou bien anaérobies stricts.
Les biologistes décrivent la nature des premiers organismes, sans pour autant en être
certains.
La nature des premières cellules
Si l’on admet une complexification progressive de la vie et le postulat darwinien
de l’ascendance commune, un type cellulaire, constitué par les protocellules ou
progénotes, a assuré la continuité biologique entre les molécules prébiotiques d’une
part et les cellules pro- et eucaryotes trouvées dans les sédiments précambriens
d’autre part. L’identification ou la reconstitution de ce « chaînon manquant » est
toujours l’objet de recherches. Les hypothèses sur la nature de ces progénotes,
baptisés aussi LUCA (Last Universal Common Ancestor), ne manquent pas :
- LUCA était un photoautotrophe. On a longtemps pensé que les premières cellules
étaient autotrophes photosynthétiques, c'est-à-dire capables de transformer la
matière minérale en constituants organiques par utilisation de l'énergie lumineuse.
Mais l’affirmation d’un LUCA autotrophe est en contradiction avec le postulat disant
que les formes les plus simples apparaissent en premier. Les premières cellules
devraient plutôt avoir été hétérotrophes ; la présence de pigments assimilateurs
caractérise, en effet, des molécules parfois très élaborées et souvent des cellules
d'une complexité plus élevée que les cellules hétérotrophes.
- LUCA était une Bactérie chimiolithotrophe. Dans les années 1980, le problème de
la nature des premières cellules s'est posé à nouveau avec la découverte de
Bactéries autotrophes non photosynthétiques, dites chimiolithotrophes, dans les
grands fonds sous-marins actuels ; l'énergie nécessaire à la synthèse de leurs
molécules organiques provient de réactions d'oxydo-réduction et non plus de la
lumière, absente à ces profondeurs. Présentes près des sources hydrothermales que
21
sont les fumeurs noirs, ces Bactéries sont l'origine d'écosystèmes très riches bien que
limités. Leurs ancêtres sont considérées comme des éventuels LUCA parce qu’ils
vivaient comme leurs descendants dans des conditions supposées primitives : milieu
aquatique chaud et riche en ions minéraux, cellules procaryotes non
chlorophylliennes, autotrophes et thermophiles. Mais comme la chaîne de
biosynthèse de leurs composés organiques nécessite du dioxygène O2, issu lui-même
de la photosynthèse, les Bactéries chimiolithotrophes ne représentent plus les
premières cellules.
- LUCA était un Procaryote thermophile parce que les cellules les plus simples sont
procaryotes et que les océans primitifs avaient probablement une température élevée.
Cependant, cette hypothèse est peu probable, car si les microorganismes
thermophiles actuels peuvent ressembler à des organismes « primitifs », leur structure
et leur physiologie sont loin d’être primitives, comme en témoignent les mécanismes
structuraux et les systèmes enzymatiques qui leur permettent de résister aux
températures élevées.
- LUCA était une Archéobactérie. Dès leur découverte, les Archéobactéries ont été
considérées comme les descendantes directes de LUCA, car elles vivent dans des
milieux que l’on imagine semblables à ceux qui existaient au début du Précambrien.
De plus, elles possèdent des traits communs aux deux autres groupes dont, par
exemple, le code génétique, l’ADN, et des systèmes enzymatiques tels que l’ADN-
polymérase et les topo-isomérases (contrôlant l’entrelacement des brins d’ADN) qui
rendent plausibles leur ascendance. Dans cette hypothèse, les Eubactéries et les
Eucaryotes seraient des groupes frères, c’est-à-dire des groupes issus d’un même
ancêtre direct archéobactérien. Mais, par des caractères structuraux et enzymatiques,
les Archéobactéries sont aussi éloignées des Eubactéries que des Eucaryotes.
- LUCA était un Eucaryote parce que l’état eucaryote peut sembler moins évolué
que l’état procaryote. Selon certains chercheurs, les Procaryotes, en effet, ont subi
une sélection qui aurait simplifié leurs structures et leur physiologie, leur assurant
ainsi une adaptabilité, une résistance et un pouvoir de multiplication remarquables.
L’Eucaryote LUCA serait à l’origine, d’un côté, des Eucaryotes actuels et, de l’autre,
des Procaryotes. Dans cette hypothèse, les Archéobactéries et les Eubactéries
seraient des groupes frères.
22
D’après les cladistes, LUCA ne peut être ni une Archéobactérie ni un Eucaryote, car il
existait bien avant la séparation des deux clades, c’est-à-dire des deux lignées
monophylétiques.
Comme chacune de ces propositions soulève autant d’arguments favorables
que d’objections et d’interrogations, le débat reste ouvert.
L’origine des organismes pluricellulaires
Tout aussi probables, les théories coloniale et plasmodiale proposent une
origine différente des pluricellulaires.
La théorie coloniale
Dans le plancton, par exemple, des algues vertes pluricellulaires forment des
colonies qui semblent résulter de l’association d’algues unicellulaires biflagellées du
genre Chlamydomonas. Parmi ces algues vertes coloniales, figurent plusieurs
genres : Gonium constitué de 4 ou 16 cellules, Eudorina 32 cellules, Pleodorina 64 ou
128 cellules, Volvox aux alentours de 25 000 cellules.
Chez les Métazoaires, l’embranchement des Spongiaires, le plus primitif,
présentent des formes qui semblent résulter de l’association de cellules basiques
monoflagellées : les choanocytes. Ces dernières ont une structure très proche de
celle de Protozoaires : les Choanoflagellés dont le genre Codonosiga constitue une
colonie très simple à 2 cellules.
La cellule ancestrale serait une cellule flagellée de type Chlamydomonas pour le
règne végétal et de type Choanoflagellé pour le règne animal. Par divisions
successives, au fil du temps, ces cellules auraient formé des colonies stables et
permanentes.
La théorie plasmodiale
Les plasmodes sont de vastes cellules de plusieurs centaines de microns
pourvues de dizaines voire de centaines de noyaux. Les plasmodes sont connus chez
des Protozoaires tels que les Foraminifères et les Opalines. Ces plasmodes se
dissocient toujours à un moment de leur vie pour donner naissance à des cellules
uninucléées, état fondamental des Protozoaires.
Des biologistes supposent que la masse cytoplasmique scindée en territoires,
contrôlés chacun par noyau, s’est cloisonnée pour donner autant de cellules qu’il y
avait de noyaux.
23
Les Procaryotes, les Archéobactéries et les Eucaryotes ont sans doute été
profondément marqués par les conditions de vie auxquelles ils ont été exposés au
moment de leur apparition. L'une de ces conditions est la composition de
l'atmosphère, qui fut d'abord réductrice, puis progressivement oxydante. Il est légitime
de penser que cette évolution a influencé celle de la vie.
1.1.4 - Le développement d'une atmosphère oxygénée
Si l'atmosphère actuelle contient un fort pourcentage de dioxygène, seule une
activité photosynthétique en est la cause. Aucun autre mécanisme géologique,
chimique (décomposition de l'eau par les rayons ultraviolets) ou physiologique ne
dégage suffisamment d'O2 pour modifier d’une façon significative la composition
atmosphérique. Il est quasi certain que l'atmosphère primitive était anoxique et
réductrice.
Une atmosphère primitive anoxique
Au moment de la formation de la Terre, il y a 4 500 Ma, l'atmosphère est ténue ;
les particules et les molécules gazeuses sont chassées par le vent solaire, mélange
d'électrons, de neutrinos, de particules subatomiques et d'ondes électromagnétiques.
L'apparition de la magnétosphère un peu plus tard, vers 4 350 Ma, sert de bouclier
aux molécules volatiles issues du dégazage du manteau : celles-ci ne sont plus
balayées par le vent solaire ; seul le dihydrogène (H2), très diffusible, continue à
s'échapper dans l'espace ; l'atmosphère terrestre se constitue. Cette atmosphère
primitive était composée principalement de CO2 (concentration > 90 %), de SO2 et de
H2S, H2O, d’argon, de N2 et des oxydes d'azote (NO et NO2) ; le dioxygène O2 devait
être absent, car les chimistes estiment que sa présence aurait empêché la formation
des molécules prébiotiques.
L’origine du développement de l’oxygénation
- La photosynthèse aérobie
Il est certain que la photosynthèse aérobie est le seul phénomène de grande
ampleur capable de rendre cette atmosphère primitive oxydante. Pour se dérouler
normalement, la photosynthèse nécessite la présence simultanée de trois paramètres
primordiaux : lumière, CO2 et eau liquide, dont la décomposition libérera de l'O2, des
protons et des électrons, captés par les chaînes photosynthétiques. Dès le début du
24
Précambrien, la présence des deux premiers est indiscutable : le soleil rayonne
depuis peu de temps et les roches superficielles dégazent. Mais la présence d'eau
liquide en quantité suffisante pour permettre le développement des microorganismes
photoautotrophes est sans doute plus tardive. Les premières traces indirectes d'eau
liquide datent de 3 750 Ma, car les sédiments d'Isua contiennent déjà des oxydes de
fer sous forme de fer rubané (voir ci-dessous). Mais on ne sait pas si ces
observations, faites uniquement à Isua, sont généralisables à l'ensemble de la Terre.
En revanche, la présence d’eau ne fait aucun doute un peu plus tard : au Swaziland,
on a trouvé des pillow-lavas, coulées de laves refroidies dans l'eau dont les formes
arrondies rappellent celles d'oreillers, dans le goupe d'Owerwacht (3 500 Ma) et dans
le groupe de Moodies (3 300 Ma) où des ripple-marks ont été fossilisés. Ces
observations, jointes à celles des fossiles, laissent supposer que l'eau et les
Procaryotes photoautotrophes étaient présents probablement vers 3 750 Ma, et
certainement à partir de 3 500 Ma.
- Le témoignage des sédiments
Diverses roches sédimentaires telles que les formations de fer rubané,
l’uraninite ou la pyrite donnent des indices sur la teneur du milieu extérieur en
dioxygène.
Les formations de fer rubané constituent les principales réserves mondiales,
évaluées à 10 milliards de tonnes. Elles se sont déposées principalement entre 3 500
et 2 000 Ma. Le fer lessivé et dissous s'est accumulé dans les océans à l'état de fer
ferreux (Fe2+). Puis, sous l'effet de la photosynthèse, lorsque les eaux se sont
enrichies en O2, sa concentration est devenue telle que le fer ferreux (Fe2+) est passé,
en précipitant, à l'état de fer ferrique (Fe3+) sous forme d'hématite, Fe2O3, plus
rarement de magnétite, Fe3O4, et sous forme d'hydroxyde ferrique Fe(OH)3 (fig. 1 1).
Aux alentours de 2 500 Ma, les dépôts de fer rubané sont très abondants, comme
sans doute à l'apogée des Stromatolithes et des Cyanobactéries, dès 3 000 Ma.
L'uraninite insoluble UO2, en présence d'O2, se transforme en U3O8 soluble. Elle
se dissout quand la concentration en O2 dépasse 10 %. Or elle ne se trouve que dans
les sédiments dont l'âge est supérieur à 2 200 Ma ; par conséquent, l'atmosphère
terrestre dont la concentration en dioxygène était inférieure à 10 % devait être,
jusqu'à cette date, plus réductrice qu'oxydante.
25
La pyrite FeS2, présente dans des conglomérats, est également un révélateur
de la composition atmosphérique. Issue de l'altération de certaines roches, lessivée
par les eaux courantes, elle précipite rapidement dans des conditions anoxiques. En
revanche, lorsque les eaux sont oxygénées, elle s'oxyde rapidement et se dissout
dans l'eau. Elle est absente de tels conglomérats à partir de 2 000 Ma ; au-delà de
cette date, l'atmosphère et les eaux contiennent donc encore un faible pourcentage
d'O2.
26
Le devenir du dioxygène
- Le piégeage du dioxygène
Bien que l'apparition des Bactéries photosynthétiques aérobies soit précoce,
l'atmosphère n'est devenue oxygénée que tardivement. Ce décalage est dû à trois
phénomènes principaux qui fixent le dioxygène au fur et à mesure de sa formation.
L'oxydation de gaz d'origine volcanique est l'un des trois. Le dihydrogène se combine,
par exemple, avec l'O2 pour donner de l'eau, avec le méthane ou le monoxyde de
carbone pour donner du CO2, ou bien avec l'hydrogène sulfuré pour donner des
sulfates. L'oxydation du fer ferreux en solution dans les océans est le deuxième. La
respiration est le troisième.
- Le passage du dioxygène dans l'atmosphère
L'accumulation de l'O2 dans l'atmosphère n'a été possible que si l’une ou
plusieurs des trois voies ci-dessus était saturée. Le dégazage des laves se poursuit,
bien que son intensité soit diminuée. L'oxydation du fer en solution s'est terminée il y
a 2 000 Ma ; la fin des dépôts de fer rubané doit correspondre au passage de l'O2
dans l'atmosphère. La preuve de ce passage est apportée par la présence des
couches rouges continentales, dont la couleur est due à l'oxydation des minéraux
ferreux qu'elles contiennent. Les couches rouges riches en oxyde de fer Fe2O3
apparaissent dans des formations continentales à partir de 2 000 Ma. Quant à la
respiration, elle est un phénomène métabolique de première importance quasiment
pour toutes les espèces.
1.1.5 - Les conséquences du dioxygène atmosphérique sur la physiologie
Dues à des activités biologiques, les conditions atmosphériques, à leur tour,
vont modifier définitivement la matière vivante : deux types de photosynthèse peuvent
subsister chez un même organisme ; des systèmes enzymatiques se protègent de la
présence du dioxygène atmosphérique ; des processus biochimiques se greffent les
uns sur les autres ; la mitose apparaît...
L'acquisition d'une photosynthèse anaérobie et aérobie
L'optimum de croissance des Cyanobactéries actuelles dépend principalement
de la concentration atmosphérique en O2 ; il est atteint pour des valeurs en O2 de
27
10 %. Au-delà de 10 %, la photosynthèse est progressivement inhibée. Lorsque le
milieu devient anoxique, certaines Cyanobactéries adoptent une photosynthèse
anaérobie dans laquelle l'eau (H2O) est remplacée par du dihydrogène sulfuré (H2S).
L'eau et le dihydrogène sulfuré sont deux composés que les Cyanobactéries utilisent
pour en extraire le dihydrogène (H2) qui, combiné au dioxyde de carbone (CO2),
donne naissance à des composés carbonés organiques divers : acides gras, glucides
et acides aminés. Les deux types de photosynthèse peuvent se résumer comme suit,
si l'on admet la formation d'une molécule de glucose (C6H12O6) :
Concentration en O2 = 10 %
12 H2O + 6 CO2 <-------> C6H12O6 + 6 O2 + 6 H2O
Concentration en O2 nulle
12 H2S + 6 CO2 <-------> C6H12O6 + 12 S + 6 H2O
L'utilisation du dihydrogène sulfuré constitue peut-être une voie métabolique
ancienne, relique des premiers stades du développement évolutif des
Cyanobactéries.
L'inhibition des nitrogénases
Outre la photosynthèse, une deuxième voie métabolique, également sensible
aux variations de la teneur en O2, est la fixation de l'azote atmosphérique (N2) par
certaines Bactéries. Cette fixation est due à un complexe enzymatique : les
nitrogénases, très sensibles à la concentration en O2. Cette sensibilité s'expliquerait
par une adaptation primitive à des conditions de vie anoxique. Si le taux d'O2 est égal
à 0,1 %, les nitrogénases sont inhibées ; s'il dépasse 5 %, elles sont détruites. Ce
complexe enzymatique ne fonctionne qu'en l'absence totale de dioxygène. Cela
constitue un argument supplémentaire en faveur d’une atmosphère primitive
anoxique. Les Cyanobactéries sont protégées du dioxygène par les propriétés
suivantes :
1) Localisation des nitrogénases dans des cellules spécialisées, les hétérocystes
(fig. 1.2), dont le milieu interne anoxique est dépourvu de certains pigments
assimilateurs producteurs de dioxygène.
2) L'épaisseur de la membrane plasmique et celle de la gaine mucilagineuse de
l'hétérocyste ralentissent la diffusion du dioxygène du milieu extérieur vers la cellule.
3) Le dioxygène formé est rapidement fixé par des enzymes.
28
Il semble que l'on ait reconnu des hétérocystes chez des Cyanobactéries vieilles
de 2 200 Ma : le dioxygène atmosphérique était alors devenu suffisamment abondant
pour que les cellules eussent à s'en protéger. Cette conclusion rejoint celle avancée
précédemment, avec comme témoins l'uraninite et le fer rubané. Apparus il y a plus
de 2 200 Ma, les Procaryotes fixateurs du diazote libre (N2) sont peut-être les
premiers organismes autotrophes. Les ions nitrates n'étaient pas présents, puisqu'ils
résultent de la combinaison de N2 et de O2 ; quant à l'ammoniac (NH3) utilisable par
les premières cellules, il était aussitôt détruit par les abondants rayons ultraviolets, qui
n'étaient pas filtrés par la couche d'ozone (O3).
On trouve également chez les Eucaryotes des indices physiologiques et
biochimiques qui laissent supposer une apparition contemporaine de celle d'une
atmosphère oxygénée.
La greffe du cycle respiratoire sur un processus fermentaire
Les fermentations cellulaires débutent par la glycolyse et se terminent par la
réduction de l'acide pyruvique, sauf chez les Archées, où la glycolyse est inexistante.
La respiration commence également par la glycolyse, mais elle se poursuit par le
cycle de Krebs et se termine par la chaîne respiratoire composée des transporteurs
d'électrons et de protons.
Il existerait une relation évolutive entre les deux processus : le cycle respiratoire
mitochondrial semble s'être greffé sur la voie initialement fermentaire cytoplasmique,
qu'il a prolongée.
L'allongement d'une chaîne de biosynthèse
Les stérols constituent une famille de composés importants aussi bien chez les
Végétaux que chez les Animaux : le cholestérol (constituant fondamental de la
membrane plasmique), les hormones stéroïdes (œstrogènes, progestérone et
testostérone), divers pigments assimilateurs (chorophylles, caroténoïdes et
xanthophylles). La chaîne de biosynthèse simplifiée est résumée sur la figure 1.7.
Fig. 1.7
29
Seul le début de la chaîne est anaérobie ; en revanche, la synthèse des
composés finaux (hormones et pigments) est strictement aérobie. On peut interpréter
ces observations comme des adaptations à des conditions atmosphériques
différentes. Dans les années 1950, Norman HOROWITZ a formulé la théorie suivante :
les premières cellules, immergées dans un milieu riche en métabolites, les utilisaient
directement sans avoir à les synthétiser. Puis, au fur et à mesure de l'épuisement de
ces métabolites, les synthèses sont devenues obligatoires. Les chaînes métaboliques
ont commencé à fonctionner en élaborant les précurseurs de ces métabolites ; elles
se sont allongées quand les précurseurs, à leur tour, ont été épuisés : les cellules ont
dû synthétiser les précurseurs des précurseurs des métabolites et ainsi de suite... Si
l'on prend l'exemple des pigments assimilateurs (fig. 1.7), les xanthophylles sont les
molécules les plus anciennes et l'acétyl Co-A, la plus récente, a rétabli le
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fonctionnement de la chaîne de biosynthèse conduisant aux pigments assimilateurs.
Cette théorie a été remise en cause dans les années 1970 par une autre, plus
classique, qui soutient l'inverse : l'acétyl Co-A est la plus ancienne molécule de cette
chaîne des stérols, dont la complexité a augmenté, alors que les besoins des cellules
sont de plus en plus spécifiques.
L'apparition de la mitose
Les mitoses, à la différence des scissiparités des Procaryotes, se déroulent
toujours en atmosphère oxygénée. Ce fait renforce l'idée d'une apparition tardive des
Eucaryotes. Néanmoins, certains Protozoaires déjà signalés, dépourvus de
mitochondries, anaérobies probablement secondaires, échappent à cette règle
(dioxygène, mitochondries et mitose), car leurs mitoses se déroulent sans processus
respiratoires. Les Microsporidies, les plus anciens eucaryotes amitochondriaux, ont
des mitoses particulières qui se déroulent en quasi anaérobiose sans disparition de la
paroi nucléaire, le fuseau achromatique reste intranucléaire. Au moment de la
sporulation, aurait lieu une réduction chromatique ; dans ce cas, la méiose serait une
acquisition plus ancienne qu’on ne le pensait.
Pour résumer les faits, on peut écrire :
1) La vie est apparue très tôt (3 750 Ma) avec des Procaryotes autotrophes
photosynthétiques, dont les Cyanobactéries. Des hétérotrophes, sans doute, étaient
également présents.
2) Les Procaryotes ont précédé les Eucaryotes, si l’évolution va du simple au
complexe. Dans ce cas, la structure simple des Procaryotes situe leur apparition
avant celle des Eucaryotes. Certaines Bactéries symbiotiques, peut-être à l'origine de
certaines cellules eucaryotes (2 000 Ma), semblent confirmer cette conclusion.
3) L'atmosphère primitive a été réductrice et anaérobie, puis oxydante et aérobie,
sous l'effet de la photosynthèse. L'enrichissement de l'atmosphère en O2 est marqué
géologiquement par des roches particulières.
4) Les cellules ont gardé des empreintes physiologiques de l'évolution
atmosphérique. Les Bactéries sont soit anaérobies strictes, soit aérobies strictes, soit
aérobies facultatives, alors que les cellules eucaryotes - à de rares exceptions près -
sont aérobies strictes.
5) La vie devient au fil des temps de plus en plus complexe, complexité qui n'est
synonyme ni de supériorité ni de progrès ni de perfection.
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Ces faits d'observation conduisent à s'interroger sur l'origine de la vie sur
Terre ; soit elle est divine et les Textes Sacrés contiennent toutes les réponses, mais
cette hypothèse ne saurait avoir de valeur dans le champ de l'investigation
scientifique ; soit elle résulte de l'enchaînement de phénomènes physico-chimiques.
L'évolution de la vie, à son tout début, aurait été avant tout beaucoup plus chimique
que biologique. Les années 1950-1960 furent celles où les expériences se sont
multipliées, car il semblait possible de recréer la vie. La section suivante expose les
différents points de vue sur ce sujet.
Bibliographie de la section 1.1
Livres
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BRACK A. et RAULIN F. , L'Évolution chimique et les origines de la vie, Paris, Masson, 1991.
LOCQUIN M. (Ouvrage coordonné par), Aux origines de la vie, Paris, Fayard, 1987.
MAUREL M.-C. , Les Origines de la vie, Paris, Syros, 1994.La Naissance de la vie - de l’évolution prébiotique à l’évolution
biologique, Paris, Diderot, 1997.
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Articles
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GÉNERMONT J. : « Sur la notion de règne en général et sur celle de règne animal en particulier », Bull. Soc. Zool. Fr., 1997, 122(4), 331-340.
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