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Le XIXème siècle

Contexte historique et littéraire pour la lecture de Thérèse Raquin

Le passage du Pont-Neuf

Dossier de cours

CPLN-EPC 2LICA 2012/2013

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Le XIXème siècle

Le XIXème est le siècle qui connaît un développement sans précédent dans l’histoire humaine, que ce soit sur le plan politique, social, économique ou littéraire. On y apprend la démocratie, le libéralisme économique et politique, les droits sociaux. Les sciences et les techniques connaissent un développement étonnant. L’écrivain quant à lui entre en politique et le peuple dans la littérature.

Parallèlement à ces évolutions, le XIXème siècle va aussi être le théâtre d’inégalités sociales nouvelles. Le fossé s’élargit entre la bourgeoisie et une nouvelle classe de travailleurs, les ouvriers d’usine que l’on appelle le prolétariat, ouvrant la voie aux premières grandes revendications sociales et à l’avènement des grandes théories socialistes puis marxistes.

Un climat politique instable

La restauration La restauration désigne le retour d’un roi sur le trône de France après l’épisode

révolutionnaire. On restaure le régime monarchique. Le XIXème siècle est d’abord, pour la France, un siècle de transition politique. L’échec de la

Révolution de 1789 est cuisant. En effet que reste-t-il des idéaux de fraternité et d’égalité prônés par les Lumières durant le XVIIIème siècle ? Malgré une volonté de mettre fin aux guerres et aux horreurs commises sous la monarchie, la Révolution aboutit cependant sur un premier régime de transition violent avec la Terreur, par crainte d’une contre-révolution. Cela continue par la création du Premier Empire par Napoléon Bonaparte et les conquêtes sanglantes dans toute l’Europe. Au terme de l’aventure napoléonienne, la France finit par restaurer la monarchie en mettant Louis XVIII, frère de Louis XVI, sur le trône de France.

Cette monarchie constitutionnelle et censitaire ne répond pas vraiment aux aspirations des anciens républicains. Le siècle sera donc marqué par le mécontentement du peuple et les affrontements idéologiques conduisant à deux révolutions : la première en 1830, appelée les Trois Glorieuses, qui éloignera Charles X, successeur de Louis XVIII, du trône pour mettre à sa place le duc d’Orléans Louis Philippe 1er, son cousin.

Tout au long du XIXème, la volonté des peuples de se diriger eux-mêmes et de s’émanciper des monarchies grandit dans toute l’Europe. C’est la montée des nationalismes européens. Cette volonté d’émancipation va conduire, en 1848, à un mouvement révolutionnaire européen que l’on appellera le Printemps des Peuples.

Ce mouvement part de France, où les

mauvaises récoltes ont engendré la famine et eu des répercussions sur la production industrielle. Le peuple a faim et manque d’emploi. A cela s’ajoute la politique royale de plus en plus autoritaire du roi Louis-Philippe 1er. Au début de l’année 1848, le roi fait interdire une réunion de libéraux et de républicains, ce qui conduit à une nouvelle la révolution qui influencera tous les mouvements révolutionnaires européens.

Malgré cette effervescence révolutionnaire, aucune république ne sera

La République universelle, démocratique et sociale, Frédéric Sorrieu

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durablement créée en Europe après le Printemps des Peuples. La Deuxième république Proclamée après la révolution de 1848 et espérée comme le renouveau politique et

l’aboutissement de la Révolution de 1789 (grâce à l’instauration du suffrage universel, la liberté de la presse et de réunion), la Deuxième république ne tardera pas à devenir un régime plus stricte, abolissant le suffrage universel en 1850. En effet, son gouvernement est confié à des députés conservateurs, effrayés par la montée du socialisme et des revendications du peuple. Le nouveau président de la République depuis 1848, Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, provoque un coup d’Etat le 2 décembre 1851 et se fait proclamer Empereur des français sous le nom de Napoléon III, pour asseoir symboliquement le retour à la force du premier Empire.

Le second Empire Le début de ce nouveau régime constitutionnel est très autoritaire. L’Empereur organise une

forte répression contre ses adversaires. Il muselle les hommes de lettres. Hugo part en exil à Guernesey, une petite île anglaise au large des côtes de Normandie. Les tribunaux envoient les adversaires au bagne ou en déportation.

La liberté d’expression est abolie et l’importance de la morale et de la religion est remise au centre des priorités de l’Etat. Les écrivains jugés immoraux sont condamnés.

Le régime s’adoucit à partir de 1860 et devient plus souple afin de se réapproprier la popularité du peuple, ceci sans grand succès.

L’Europe est à nouveau en crise pour plusieurs raisons politiques et religieuses. Les guerres en Italie autour du Vatican irritent les catholiques et le traité de libre-échange avec l’Angleterre irrite les capitalistes. De plus, la montée en puissance de la Prusse, qui est en train d’accomplir son unification, inquiète la France sa voisine. Les deux pays entrent en guerre en 1870 et la France est vaincue lors de la bataille de Sedan.

En signant l’armistice avec la Prusse et en proclamant la Troisième République, la France perd l’Alsace et la Lorraine et est condamnée à payer de lourdes indemnités de guerre à la Prusse. Ces conditions sont inacceptables pour la population parisienne qui, de mars à mai 1871 tente de créer une république autogérée dans la capitale sur les bases des idées révolutionnaires (abolition de la peine de mort, confiscation des biens du clergés, suffrage universel) c’est la Commune de Paris, réprimée dans le sang. Après ce terrible épisode, le régime républicain s’impose définitivement en 1875, après cinq années de compromis entre monarchistes et républicains.

La guerre franco-prussienne laisse un traumatisme fort dans la société française du XIXème

siècle. De nombreux écrivains, depuis toujours opposés à Napoléon III comme Victor Hugo qui le méprisait, laissent des témoignages écrits qui dénoncent la violence de cette guerre, le malheur qu’elle a apporté aux hommes et à leur famille (Le Mal d’Arthur Rimbaud, voir textes annexes). La bourgeoisie, qui s’est fortement enrichie sous le Second Empire, est également de plus en plus critiquée. A l’inverse, la population ouvrière s’est fortement appauvrie et

Napoléon III et Bismarck après la bataille de Sedan

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la création des premiers syndicats génère un climat de tension entre le prolétariat et la bourgeoisie.

La société du XIXème

Le capitalisme et la bourgeoisie La nouvelle classe sociale montante et gagnante en ce XIXème siècle est la bourgeoisie. Les

commerçants, industriels et banquiers se sont enrichis grâce à l’économie libérale prônée dès le début du siècle. C’est le début du capitalisme. Le phénomène augmente avec l’apparition des grands magasins, de la publicité et l’ouverture de nouveaux marchés grâce à l’expansion coloniale de la France et des autres pays européens. La noblesse, qui ne travaille pas, s’appauvrit ; c’est la décadence. Elle perd son pouvoir.

Le peuple, quant à lui, ne voit pas son sort s’améliorer : il n’a toujours pas de véritable droit de vote, il travaille toujours et gagne peu d’argent. La misère ouvrière est un vivier d’inspiration pour de nombreux auteurs comme Hugo avec Les Misérables, ou Zola et son célèbre Germinal.

Malgré l’abolition de l’Ancien Régime, la société idéale voulue par les Lumières ne semble pas s’être réalisée.

L’économie libérale crée une nouvelle population de travailleurs : le prolétariat industriel.

Etymologiquement, le mot prolétaire désigne un citoyen romain qui n'a que ses enfants (proles) comme richesse. C'est la dernière classe sociale. Mal payée, travaillant dans des conditions désastreuses alors que les patrons amassent d’immenses fortunes, cette nouvelle classe sociale cherche sa place dans le siècle.

La réflexion sur les conditions de travail des prolétaires aboutit à de nouvelles théories politiques : le socialisme, le marxisme, l’anarchisme. Les écrivains vont de plus en plus s’intéresser à cette couche sociale dans laquelle ils trouveront les grandes inégalités de leur siècle.

La place des écrivains dans la vie publique L’écrivain devient un membre à part entière de la vie publique et politique. Le poète

Lamartine, par exemple, proclamera l’avènement de la Deuxième République et sera ministre des affaires étrangères pendant un temps. Victor Hugo sera engagé toute sa vie à différents niveaux (Liberté littéraire et de la presse) et pour diverses causes (Lutte contre la peine de mort, critique de la misère du peuple). Les écrivains mènent des carrières politiques, fondent des journaux, développent des théories politiques, débattent entre eux, puisque tous les écrivains n’embrassent pas les idées républicaines. Hugo lui-même fut un fervent royaliste durant sa jeunesse.

Le journalisme prend une importance toute nouvelle par lequel l’écrivain peut s’exprimer sur la société ou sur son art. La critique littéraire prend de l’essor et l’activité littéraire, entre autres grâce aux droits de propriété sur les œuvres, est peu à peu reconnue comme un travail sérieux, malgré l’attitude réservée, voire méprisante, de la bourgeoisie qui voit les écrivains et les artistes comme des parasites sociaux.

Les mangeurs de pommes de terre, Vincent Van Gogh, (1885)

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L’importance de la science Grâce aux nouvelles méthodes d’expérimentation, le savoir scientifique prend une ampleur

nouvelle. La fascination pour le progrès, qui découle du XVIIIème, est en vogue. Certains écrivains comme Jules Verne se spécialisent dans la littérature dite d’anticipation (qui deviendra la science-fiction), imaginant, plus d’un siècle avant l’invention du sous-marin ou de la fusée lunaire, des aventures à Vingt-mille lieues sous les mers ou des voyages de la Terre à la Lune.

C’est aussi le début d’une pensée positiviste, principalement développée par le philosophe

Auguste Comte qui postule que l’humain, à l’aide de l’esprit scientifique, va inexorablement se diriger vers une perfection de son être et de sa société.

L’intérêt pour l’histoire comme véritable science humaine, ainsi que les débuts de l’archéologie, crée un nouveau regard du passé, de l’antiquité grecque et romaine, mais aussi égyptienne suite au déchiffrage des hiéroglyphes par Champollion en 1824. La religion et les thèses bibliques sont remises en cause par la théorie de l’évolution de l’Anglais Charles Darwin. C’est un retour sur soi de l’homme par l’homme. On cherche à comprendre d’où il vient et où il va. Les réponses à ces questions ne sont désormais plus cherchées dans la religion mais bien dans la science et les savoirs amassés par le genre humain. Le romantisme

Le Romantisme est un mouvement littéraire qui prône de laisser largement place à

l'expression des sentiments et des sensations en abolissant les règles strictes de la littérature classique. Il propose de jouer sur les contrastes, sur l'opposition du beau et du laid, du sublime et du grotesque. Il préconise la liberté et le naturel en art. Le Romantisme s'exerce dans les romans, la poésie, ainsi que le théâtre.

En réaction aux progrès technologiques et à l’immobilisme social du peuple, certains écrivains ressentent comme une sorte d’angoisse existentielle. Dans tous ces changements historiques, l’individu existe-t-il encore ? C’est à cette question que tente de répondre la première génération d’écrivains romantiques.

Les origines du romantisme Le courant romantique apparaît au cours du XVIIIème siècle en Grande-Bretagne et en

Allemagne : Novalis (romantique allemand) en définit le programme dès 1798 :

Le monde doit être romantisé. Ainsi on retrouvera le sens originel. […] Quand je donne aux choses communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à ce qui est connu la dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un éclat d'infini : je les romantise. On remarque la volonté de rendre mystérieux, de briser le connu, le scientifique. Le

romantisme veut véritablement s’opposer au courant positiviste régnant et « déshumanisant » du progrès technologique et scientifique de ce début de siècle.

Mais ce n’est qu’au XIXème et principalement après 1820, avec Victor Hugo, que le courant

prend une véritable importance en France, bien que l’on puisse déjà voir des formes de « préromantisme » avant la Révolution chez certains auteurs en état de révolte métaphysique et en recherche d’une littérature nouvelle (Rousseau, Les Confessions : « J’étouffe dans l’univers »).

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Comme tout mouvement littéraire, le romantisme s’appuiera sur des manifestes qui établissent sa doctrine et ses ambitions poétiques. Deux manifestes sont indissociables du romantisme :

1. Racine et Shakespeare de Stendhal:

Stendhal préconise autant la liberté politique que littéraire. En 1824, dans le polémique Racine et Shakespeare, il défend le « romantique » Shakespeare contre le classique Racine. Il est contre la tragédie classique. Il propose une définition du romantisme qu'il appelle « Romanticisme ». Cette définition met l'accent sur l'innovation absolue du romantisme et sur la coïncidence entre un mouvement littéraire et son contexte historique.

2. Préface de Cromwell de Victor Hugo L’incontournable et fondateur manifeste du mouvement romantique ! Dans la préface à son

drame, Hugo propose une histoire culturelle et esthétique où il met en avant, à côté de la culture officielle, la permanence d'une contre-culture populaire, c'est-à-dire celle du grotesque incarné par des personnages secondaires comme Polichinelle, Sancho Pança, Sganarelle, Figaro. Le grotesque permet de jouer sur un effet de contraste, en opposition avec le sublime, ce qui est d'une infinie richesse. Parallèlement, Victor Hugo définit une poétique fondée sur le naturel, c'est-à-dire l'abandon d'un vers trop rigide, la recherche d'un lexique plus commun, le renoncement à la règle des trois unités (temps/lieu/action). La pièce Hernani, qui va créer un scandale connu sous le nom de Bataille d’Hernani, va montrer l’ampleur de l'opposition entre les romantiques et les classiques.

Le mal du siècle ou Le Spleen Les écrivains romantiques souffrent d’une forme de mélancolie, d’étouffement nommée « Le

mal du siècle ». Cette idée, émise pour la première fois par Chateaubriand (1768-1848) au tout début du XIXème, découle de la désillusion et du manque de repères des écrivains et de la jeunesse. Ce mal va prendre différents visages tout au long du siècle, partant du romantisme pour aboutir au réalisme, au naturalisme puis au symbolisme.

Lassitude, souffrance physique, ennui et insatisfaction, écart subi entre la vigueur des désirs et l’impossibilité ou l’inefficacité de l’action. La jeunesse est insatisfaite et déchirée, vieille avant la vieillesse, dégoûtée prématurément de l’existence.

Cette mélancolie qui touche les auteurs romantiques est communément appelée le Spleen, mot anglais provenant du grec ancien splēn qui signifie « rate » ou « mauvaise humeur ». En effet les Grecs, dans le cadre de la théorie des humeurs, pensaient que la rate déversait un fluide noir dans le corps : la bile noire, responsable de la mélancolie (melankholía) composé de mélas, « noir » et de khōlé, « la bile ». La surabondance de cette bile, sécrétée par la rate, provoquait, selon eux, la mélancolie.

Le spleen devient une conception propre au romantisme français. Chez les premiers romantiques, il définit plutôt une sorte de malaise psychosomatique. A partir de Baudelaire, il exprime la souffrance d’un individu non seulement isolé, dégoûté ou impuissant mais encore marginalisé, mis à l’index de la société à cause de son génie et, au bout du compte, aliéné, c'est-à-dire dépossédé de la maîtrise de son corps et de son âme. Or cette souffrance devient source de créativité pour le poète. Les thèmes de la souffrance amoureuse, de l’ennui, du mal de vivre prennent place dans la poésie.

La génération d’après les guerres napoléoniennes souffre d’un grand besoin d’héroïsme qu’elle trouve dans les modèles d’avant la révolution et des guerres napoléonienne (Napoléon étant la grande figure héroïque de l’homme seul, parti de rien, qui parvient, à force de

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persévérance et de charisme, à conquérir un empire gigantesque et redonner sa gloire à la France). Les récurrents échecs des révolutions créent également des traumatismes profonds chez les êtres en quête de liberté, de fraternité et de démocratie.

L’exil et le rêve Ainsi, chez l’écrivain romantique, le malaise

historique, le mal du siècle, se transforme souvent en angoisse métaphysique. Les thèmes du temps qui fuit, de la nature complice ou indifférente, de l’amour impossible ou malheureux refont surface. Les écrivains sont marginalisés et se marginalisent dans une aspiration au beau, à la fuite du monde et de la ville. C’est la volonté d’exil loin des hommes, la mise en scène de fuites dans le rêve, l'héroïsme passé, l'exotisme ou même le fantastique.

Les poètes maudits Le poète se considère donc comme l’être au-

dessus du genre humain : l’instabilité du présent et le dégoût de la société bourgeoise font du poète un individu incompris dès sa jeunesse, qui rejette les valeurs de la société, se conduit de manière provocante, dangereuse, asociale ou autodestructrice et fuit en se plongeant dans l’alcool et la drogue.

Les constantes des textes romantiques Quelques thèmes apparaissent de façon récurrente chez les auteurs romantiques, comme le

« moi » et l'amour malheureux. Quelques décors sont privilégiés ainsi que l'Histoire et l'exotisme. Quelques sensations sont suscitées chez le lecteur, comme le dépaysement et le mystère.

L’importance du « moi » Le Romantisme s'écrit d'abord à la première personne. La poésie lyrique exalte un « je » qui

s'exprimerait au nom de tous. Des genres naissent (comme le journal intime), se développent (comme l'autobiographie) et exaltent le désir de la connaissance de soi. C'est souvent un « moi » douloureux atteint par le « mal du siècle » que met en scène le Romantisme. Le héros peut être banni (comme Jean Valjean ou Quasimodo), ou s'exclure lui-même (comme Frollo ou Lorenzaccio) à cause de sa misanthropie.

L’explosion du « moi », du « je » va de pair avec une volonté de parler des émotions du sujet écrivant. Les écrivant veulent parler de leurs expérience mais aussi explorer en profondeur tous les domaines de l’art dans le but de pouvoir donner des définitions, d’analyser leurs états d’âme. L’imagination et la sensibilité prédominent sur toute autre faculté de l’esprit.

Amour malheureux Dans un monde guetté par l'ennui et la désillusion, l'amour semble être le refuge des idéaux.

Pourtant, l'histoire d'amour romantique se termine rarement bien. Séparés par des

Le voyageur contemplant une mer de brouillard, Caspar David Friedrich

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malentendus, la loi, les préjugés, les couples romantiques ne s'unissent que dans la mort. Cette impossibilité d’une union rend les auteurs mélancoliques. Les romantiques se réfugient dans le rêve et le fantasme d’un amour heureux. Comme les femmes parfaites dont ils rêvent n’existeront jamais, ces amours se révèlent malheureux Une double mort construit souvent la mythologie de ces couples impossibles.

L'exotisme La traduction est en vogue ainsi que la curiosité pour l'ailleurs. L'attrait pour l'Orient est avivé

par les découvertes comme les hiéroglyphes. Noms propres exotiques, informations sociologiques, descriptions précises, insertion de mots étrangers dans la narration : le souci de la couleur locale romantique est une façon d'aviver le mystère et le sentiment d'étrangeté. Le fantasme de l’étranger est une source d’inspiration forte (Atala de Chateaubriand, Salammbô de Flaubert).

La révolte, toujours… La révolte n’est pas absente du mouvement romantique, c’est une révolte à la fois

métaphysique, artistique et politique, un questionnement profond sur la société. Quelque chose de nouveau apparaît alors en littérature, quelque chose qui est définit à merveille dans la préface de Ruy Blas :

En examinant toujours cette monarchie et cette époque, au-dessous de la noblesse ainsi partagée, et fiée

dans les deux hommes que nous venons de nommer, on voit remuer dans l’ombre quelque chose de grand, de sombre et d’inconnu. C’est le peuple, le peuple, qui a l’avenir et qui n’a pas le présent ; le peuple, orphelin, pauvre, intelligent et fort ; placé très bas, et aspirant très haut ; ayant sur le dos les marques de la servitude et dans le cœur les préméditations du génie ; le peuple, valet des grands seigneurs, et amoureux, dans sa misère et dans son abjection, de la seule figure qui, au milieu de cette société écroulée, représente pour lui, dans un divin rayonnement, l’autorité, la charité et la fécondité [Ruy Blas, valet, est amoureux de la reine d’Espagne]. Le peuple, ce serait Ruy Blas.

Victor Hugo, Préface à Ruy Blas

Le romantisme en littérature Si l’on désigne souvent le roman lyrique (par exemple René de Chateaubriand, puis Adolphe de

Benjamin Constant) comme point de départ du mouvement romantique et de l’illustration du mal du siècle, c’est dans la poésie et le drame que le romantisme atteindra son apogée (Hernani, Cromwell, Ruy Blas de Hugo, Méditations poétiques de Lamartine, Chatterton, les Destinées d’Alfred de Vigny).

Le roman permet aux romantiques d’épancher leurs sentiments au travers du vécu d’un personnage qui leur correspond et dans lequel ils illustrent le mal du siècle.

Certains auteurs comme Stendhal privilégient le roman historique dans lequel ils mettent en lien le héros romantique en scène dans un événement marquant de l’histoire de France (La bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme).

C'est aussi l'occasion de donner aux romans une dimension sociale et politique. Notre-Dame de Paris est un roman médiéval qui illustre, grâce au personnage de Quasimodo, la théorie romantique de l'alliance des contraires. Enfin, Stendhal et Honoré de Balzac vont faire glisser le roman de l'évocation des mœurs passées à celle des mœurs présentes.

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Le drame, quant à lui, permet d’aborder un point de vue plus historique et idéaliste du romantisme en reprenant des événements mythiques ou des personnages jugés comme des héros romantiques. Le réalisme

Le réalisme vient d’une volonté d’écrire ce qui est vrai, de décrire la réalité le mieux

possible, telle qu’elle est. Les sujets ne sont donc plus idéalisés et sont recherchés dans les classes moyennes, dans la vie des ouvriers et dans les relations sentimentales.

Les débuts du réalisme Le réalisme est d’abord introduit en peinture. En 1850, le peintre Courbet présente un

tableau qui va faire un scandale : Un enterrement à Ornans . Ce tableau, jugé vulgaire parce qu’il représente un événement laid, trivial et sans beauté devient rapidement un manifeste du courant réaliste en peinture. Courbet se défendra en disant : « Je n'ai jamais eu d'autres maîtres en peinture que la nature et la tradition, que le public et le travail. » C'est la définition de ce nouveau courant dont il est devenu, en 1847 le chef, de file : le Réalisme. Courbet déclara aussi : « Je tiens à dire aussi que la peinture est un art essentiellement concret et ne peut consister que dans la représentation des choses réelles et existantes (...) de tous les objets visibles ; un objet abstrait, non visible, non existant n'est pas du domaine de la peinture ».

Autour de ces débats sur les buts de l’art et son action dans la vie publique, plusieurs artistes vont entourer et défendre Courbet, se ralliant au mouvement réaliste.

Les objectifs Suite aux désillusions des révolutions ratées de 1830 et de 1848, le mouvement romantique

s’affaiblit et le besoin de réagir contre le sentimentaliste exacerbé qui lui est propre grandit. C’est le début du réalisme. Les auteurs vont alors chercher à montrer le réel et les principes de ce courant reposent sur la reproduction la plus parfaite possible de la réalité.

Un enterrement à Ornans, Gustave Courbet, 1849-1859

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À la faveur de bouleversements idéologiques, sociopolitiques et scientifiques, le réalisme en vient à s'intéresser directement à ce que les sens perçoivent, décrète que tout événement, objet, être, chose ou action sont dignes d'être des sujets picturaux ou littéraires, et qu'ils doivent être représentés de manière véridique et surtout vraisemblable. Il faut avant tout que cela ait l’air vrai ! Plus d’illusion, pas de spiritualité pour décrire et comprendre le monde, ce sont bien les sens et l’observation qui devront aider l’artiste à représenter et comprendre le monde dans lequel il évolue afin d’échapper à cette angoisse métaphysique portée par les écrivains de la première moitié du siècle.

Les grands écrivains réalistes La transition L’écrivain qui, le premier, fait basculer son œuvre du romantisme au réalisme est Stendhal

(1783-1842). Dans son roman Le rouge et le noir, Stendhal met en scène un héros romantique en quête de gloire dont il dépeint le caractère ambitieux, parvenu et arriviste. Pour la première fois, et contrairement à Hugo et les romantiques qui veulent rendre plus beau le reflet du miroir (voir Textes annexes) l’idée de roman comme miroir de la réalité telle qu’elle est apparaît. La critique n’est plus cachée ou détournée, elle est directe :

Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des

cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former.

Stendhal, Le rouge et le noir (1830)

Deux œuvres phares du réalisme La Comédie humaine, « La société française allait être l’historien, je ne devais être que le

secrétaire ». Balzac, Avant propos de La Comédie humaine (1842)

L’écrivain réaliste veut décrire la société qui l’entoure. Le génie réaliste est Honoré de Balzac.

Son œuvre gigantesque, La Comédie humaine, est un cycle de roman, un système, un monde entier à côté du monde réel. Il écrit son œuvre pendant une vingtaine d’années. Elle comprendra 91 ouvrages dans lesquels apparaîtront plus de 2200 personnages. Balzac voulait « peindre les deux ou trois mille personnages saillants d’une époque » tout en tentant de « faire concurrence à l’état civil ». Autrement dit, de créer un monde vraisemblable, reflet de l’époque dans laquelle il vivait. On retrouve toutes les scènes et tous les thèmes de la vie humaine : études analytiques, philosophiques, psychologiques, de mœurs, scènes de la vie privées, publiques, politiques, parisiennes, campagnardes, etc.

Mme Bovary, « Ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache

extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style ». Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet (1852)

Gustave Flaubert est lui aussi un incontournable des réalistes. Son roman le plus célèbre, Mme

Bovary décrit la vie de campagne monotone d’une jeune femme s’ennuyant dans son mariage et qui, bercée par des lectures sentimentales, prend des amants pour tromper l’ennui. Toutes les méthodes chères aux réalistes sont présentes dans ce livre : descriptions détaillées des décors,

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des personnages, attardement sur les ambiances de la nature, utilisation d’un lexique spécialisé pour créer le réalisme, mise à l’écart des présences humaines lorsqu’on s’attache à la description des objets (voir textes en annexe).

Emile Zola, alors qu’il débute sa carrière, se fait la promesse d’embrasser la réalité, toute la

réalité, rien que la réalité. Ses premiers romans passent pour le moins inaperçus jusqu’à Thérèse Raquin qui suscite l’indignation de la critique (cf. le Figaro du 23 janvier 1868) sans toutefois apporter la notoriété à son auteur. Plus tard, avec l’Assommoir il devient le grand précurseur du mouvement qui va suivre le réalisme et pousser ses ambitions à l’extrême : le naturalisme.

Le naturalisme Découlant directement du réalisme, ce courant a lui aussi l’intention

d’embrasser le vrai et de décrire le plus fidèlement possible la réalité du monde contemporain, mais tout en s’ajoutant une portée scientifique, analytique et en appliquant à l’observation des phénomènes sociaux les principes des sciences expérimentales.

C'est un courant artistique et littéraire qui se propose de reproduire très exactement la nature et son fonctionnement, en refusant toute idéalisation du réel, et en valorisant tous les aspects, même ceux qui sont, à tort selon lui, réputés vils.

Un courant aux ambitions scientifiques

Les découvertes scientifiques du XIXème siècle influencent les écrivains naturalistes et les poussent à devenir, eux-aussi, des scientifiques, des psychologues et des analystes du genre humain. On découvre les premières bases de la génétique, de l’hérédité. L’engouement pour ces sciences nouvelles ainsi que la toute récente théorie de l’évolution que le naturaliste Charles Darwin (1809-1882) met sur pied après une série de voyages en Patagonie est phénoménal. Découlant de ces découvertes, d’autres suppositions font surface comme la physiognomonie ou la phrénologie, sciences qui affirment que l’on peut connaître l’âme et le caractère de quelqu'un en observant son visage ou la forme de son crâne. Tout ceci montre une envie de cerner l’humain dans l’immédiat, dans son corps, son allure et non plus seulement dans son esprit et sa place philosophique dans le monde, contrairement aux Lumières.

Etude, analyse, logique, méthode. Ces

quatre mots à eux seuls peuvent résumer la volonté des artistes naturalistes. On analysera les tempéraments, les causes des maux du peuple, les logiques sociales, familiales, environnementale et héréditaires qui emprisonnent des humains dans un destin auquel ils ne peuvent échapper. Zola sera particulièrement influencé par un ouvrage du docteur Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, qui le conduira à aller se documenter sur ses sujets, observer sur place la vie des gens, les caractères sociaux, le niveau de vie. Pour Germinal (1885), Zola avait

Caricature de Charles Darwin 1871

La Leçon de Claude Bernard, Léon Lhermitte

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effectivement passé huit jours en compagnie de mineurs afin de rendre son roman le plus réaliste possible.

Les origines Le terme même de naturaliste existe déjà depuis longtemps, il apparaît déjà chez Montaigne

(1533-1592) dans un sens proche des naturalistes du XIXème : le naturaliste est « celui qui étudie l’histoire naturelle ». Au XVIIIème, le mot naturalisme est employé pour désigner un système philosophique dans lequel la nature est vue comme le premier principe de toute chose. Diderot utilise également ce terme comme synonyme de « religion naturelle ». Nous sommes ici proches d’une philosophie matérialiste, chère à Diderot et d’autres Lumières.

Avant 1850, le terme s’applique déjà à la peinture avant de véritablement s’occuper de littérature. Baudelaire, entre autres, emploie ce mot pour différencier les peintres du Nord qu’il nomme coloristes et les peintres du Midi qu’il nomme des naturalistes puisque leurs tableaux s’occupent de reproduire une nature si belle qu’ils n’ont pas à chercher d’autres modèles. Il y a déjà ici une volonté de reproduire fidèlement la nature mais aussi de prendre pour modèle la campagne, le monde paysan, le monde ouvrier et la figure humaine avant le décors. On se détourne également des scènes historiques ou de la vie aristocratique.

Les techniques et méthodes des naturalistes Reprenant les techniques de la médecine expérimentale, les naturalistes vont passer par

l’observation détaillée pour construire leurs œuvres. Ils s’intéresseront aux tempéraments, aux

Planches de physiognomonie ; rapports entre l’homme et l’animal

Phrénologie

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nerfs, aux dysfonctionnements de la nature humaine et de la société. L’idée est de prendre des personnages et de les placer dans une œuvre comme l’on placerait des souris de laboratoire dans une cage. Puis on observe attentivement l’évolution de ces personnages dans leur milieu et dans les situations de leur vie. Zola l’explique dans sa préface à Thérèse Raquin, l’écrivain fait une « étude du tempérament et des modifications profondes de l'organisme sous la pression des milieux et des circonstances ». L’homme n’est plus vu comme seulement un esprit obéissant à la raison et à ses sentiments ; il possède un corps dont la bonne ou mauvaise santé commande son comportement. Il est le fruit de ses tempéraments, de ses nerfs.

Le milieu social de l’individu va aussi prendre de l’importance : l’individu naît et évolue dans un milieu social qui façonne ses réactions. La famille, l’éducation tiennent également un rôle dans le comportement de l’individu. L’idée d’un déterminisme social et héréditaire est fondamentale. L’individu est réellement prisonnier de sa condition.

Le modèle du naturalisme Le naturalisme, c’est aussi, en littérature, une envie de faire un roman dans lequel « on finira

par donner de simples études, sans péripéties ni dénouement, l’analyse d’une année d’existence, l’histoire d’une passion, la biographique d’un personnage, les notes prises sur la vie et logiquement classées ». Zola théorise pleinement tout ceci dans son ouvrage Le roman expérimental (1880). C’est une révolution dans la conception même du roman et qui suit parfaitement le réalisme de Balzac et plus encore de Flaubert, qui, selon Zola, pose les bases du naturalisme littéraire avec son roman L’Education sentimentale. « Pas d’histoire, pas de héros, tristesse provoquée par un livre “trop vrai” ». Le talent de l’écrivain naturaliste est de cacher la trame pour mieux expliquer le réel. L’auteur, comme Dieu, n’a pas à apparaître dans son œuvre.

L’importance du style Si l’intrigue ou l’histoire n’est pas ce qui intéresse les naturalistes, il ne faut pas faire un

amalgame avec le style qui, lui, est au centre de l’entreprise littéraire. Il ne suffit pas d’analyser simplement les choses, il faut savoir construire une littérature à la fois scientifique et esthétique. Réduit à un simple véhicule, le style se confond avec le sens du réel dont la définition consiste à « sentir la nature et la rendre telle qu'elle est » d'où la nécessité d'une langue qui ne soit pas écran, mais vivante, poignante, pleine de relief et qui fasse percevoir, ressentir, sentir ou entendre les ambiances des scènes.

Les naturalistes face à la critique Proche du vrai, du peuple, des bas-fonds, c'est-à-dire de ce qui est caché, sale, gluant,

visqueux, les naturalistes comme les frères Goncourt, Huysmans, Maupassant, vont essuyer de nombreuses critiques ainsi que de violentes insultes, Zola le premier. On traite le naturalisme de littérature putride. Le terme naturalisme contient encore aujourd’hui parfois un sous-entendu péjoratif. On leur reproche un langage trop cru, trop sale, on les accuse de faire de la littérature de bas-fond, de la pornographie, de parler d’immondices et de décrire des personnages odieux. Tout ceci ne va pas sans rappeler la querelle autour de la toile de Courbet, Un enterrement à Ornans.

Les sujets des naturalistes Dans leur entreprise d’observation de la société, il est vrai que les naturalistes choisissent

souvent des sujets sombres, des pathologies engendrées par des dysfonctionnements héréditaires ou par le dysfonctionnement de la société en général. Alcoolisme, syphilis,

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prostitution, inceste, meurtre, hystérie, rien n’échappe au regard des naturalistes et leur tentative de découvrir les origines des pathologies humaines.

Ce sera donc une analyse parfois cruelle qu’opéreront les naturalistes pour arriver à leurs fins :

montrer et dépasser les défauts et les dysfonctionnement de la société. Le symbolisme

Le symbolisme est un mouvement littéraire qui apparaît durant la seconde moitié du XIXème

siècle et au début de XXème siècle avec des écrivains comme Rimbaud, Verlaine, Mallarmé.

Les origines Le mot « symbole » nous vient du grec « symbolon » qui désignait un objet coupé en deux

permettant à ceux qui pouvaient en assembler les morceaux de se reconnaître. Le symbole est une représentation figurée de la réalité (mot ou expression renvoyant à autre

chose). Par exemple la Colombe qui symbolise la paix ou alors le squelette portant une faux symbolise la mort.

Les revendications des symbolistes

Le symbolisme est d’abord un mouvement dont les membres, les symbolistes, sont des poètes

qui se déclarent héritiers de Baudelaire (Les Fleurs du mal, 1857). Le mouvement est une réaction contre le romantisme (Hugo, Musset, Lamartine, Alfred de Vigny), le culte du moi et l'effusion lyrique, mais également contre le positivisme et le scientisme d’Auguste Comte (la connaissance du monde passe par la Raison Scientifique), et donc contre les réalistes et les naturalistes.

Pour les symbolistes, le monde sensible n'est qu'une apparence. Au-delà, le poète pressent

une autre réalité, celle des analogies :

- Les correspondances verticales entre le monde sensible et l'Idéal (l'Au-delà). - Les correspondances horizontales (ou synesthésies) entre les sens.

Pour les symbolistes, le travail poétique est la recherche d'un langage nouveau, celui qui

pourra restituer l'expérience métaphysique. Rimbaud : « Je me flattais d'inventer un langage poétique accessible un jour ou l'autre à tous les sens ».

Méthodes L’outil privilégié des symbolistes est la métaphore, figure qui consiste à désigner un objet ou

une idée par un mot qui convient pour un autre objet ou une autre idée liés aux précédents par une analogie, une ressemblance.

Par exemple : Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage (Baudelaire, L’ennemi, (1857).

Le vers, quant à lui, est libéré de ses contraintes traditionnelles, il est assoupli, voire libéré (vers blanc, vers libre).

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Biographie d’Emile Zola, les dates clés

Chef de file du naturalisme, Émile Zola s'efforça

d'appliquer la rigueur scientifique à l'écriture du roman. Ancré dans la France du second Empire, régime qu'il détestait, son cycle romanesque des Rougon-Macquart brosse une fresque psychologique et sociale inégalée dans la littérature française. Il fut aussi un ardent combattant pour la justice et la vérité, lors de l'affaire Dreyfus, qui déchira la France de la IIIe République.

Naissance

Émile Édouard Charles Antoine Zola naît le

2 avril 1840 à Paris, au 10, rue Saint-Joseph.

Famille Son père est ingénieur italien (François Zola) et sa

mère française (née Émilie Aubert). En 1843, la famille s’installe à Aix-en-Provence. Son père meurt 1847 laissant sa famille dans une certaine gêne financière.

Jeunes années (1840-1862)

A Aix, il se lie avec Paul Cézanne avant de retourner à Paris avec sa mère. Il échoue au baccalauréat en 1859 et abandonne les études. Il entre en 1862 aux éditions Hachette où il passera d'un emploi subalterne à la direction du service publicité.

Journaliste et écrivain (1862-1867)

En 1864, il publie les Contes à Ninon, puis son premier roman, La Confession de Claude (1865). À

partir de 1866, il collabore à plusieurs journaux en qualité de critique littéraire et artistique. Il évoque son admiration pour le réalisme d'Édouard Manet dans Mes Haines, (1866).

Écrivain naturaliste (1867-1877)

Après Thérèse Raquin (1867) et Madeleine Férat (1868), Zola conçoit la série des Rougon-Macquart.

Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire, dès 1868 mais n'en lance la publication qu'après la chute de Napoléon III. Il épouse Alexandrine Meley en 1870. Au fur et à mesure que paraissent ses romans, l’auteur est accusé de se complaire dans l’ordure à cause de son attention à la vie quotidienne et à la détresse jusque dans les classes inférieures de la société. Chef d'école (1877-1893)

En 1877, c’est le scandale et le triomphe de l'Assommoir, qui installe Zola dans la position de

maître du naturalisme – et dans l'aisance matérielle. Il achète une maison à Médan (1878) et y reçoit ses disciples. Intense activité critique pour promouvoir l'esthétique naturaliste (le Roman expérimental, 1880). Il achève la série des Rougon-Macquart en 1893, avec une certaine lassitude. Il

Autoportrait au béret, Émile Zola, 1902.

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entame, vers 1888, une liaison avec Jeanne Rozerot, une lingère au service de sa femme, qui lui donne deux enfants : Denise (1889) et Jacques (1891).

L’affaire Dreyfus

En 1897, Zola publie son premier article en faveur du capitaine Dreyfus. C’est un retour au

journalisme politique et son engagement le plus total dans une affaire juridique d’ampleur internationale. Il publie en 1898, à la une de l'Aurore une lettre ouverte au président de la République : J’accuse…! Condamné pour diffamation, il s'exile à Londres (1898-1899) pour se soustraire à la prison. Il écrit encore la Vérité en marche (1901) en faveur de la réhabilitation du capitaine Dreyfus.

Dernières années

De 1890 à 1898, il fait 19 tentatives de candidatures pour être élu à l'Académie française, sans

succès. Il commence un nouveau cycle de roman dans une perspective messianique : les Trois Villes (1894-1898) ; Les Quatre Evangiles (1899-inachevé).

Mort (accidentelle ?)

Dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, Emile Zola meurt par asphyxie, à Paris. La thèse de

l'obstruction volontaire de la cheminée par un antidreyfusard est aujourd'hui privilégiée. Ses obsèques furent grandioses et ces cendres transférées au Panthéon le 4 juin 1908.

Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et par un grand acte. Envions-le, sa

destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine.

Éloge funèbre prononcé par Anatole France, le 5 octobre 1902.

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Thérèse Raquin Thérèse Raquin est le troisième roman d’Emile Zola, qu’il publie en 1867 à l’âge de 27 ans. Ce

roman à l’intrigue simple, qui s’inscrit dans la tradition réaliste, dégage des thèmes forts en proposant un point de vue scientifique par l’analyse des tempéraments de deux personnages aux caractères et aux origines différentes, que leur passion adultère conduira au meurtre puis au suicide.

L’ouvrage est très mal accueilli par la critique, on le traite de « résidu de toutes les horreurs »

dans l’article « La Littérature putride » paru dans le Figaro de 1868. Zola devra défendre son « but scientifique » et réfuter l’accusation de faire de l’immondice par plaisir et par provocation dans la préface à la deuxième édition de son ouvrage.

Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu é tud ie r des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai

choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Premier roman remarqué d’Emile Zola, Thérèse Raquin contient déjà toutes les ambitions

naturalistes et scientifiques de l’auteur avant qu’il ne commence son cycle des Rougon-Macquart. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus […] j’ai tenté d’expliquer l’union étrange qui peut

se produire entre deux tempéraments différents, j’ai montré les troubles profonds d’une nature sanguine au contact d’une nature nerveuse. Qu’on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l’étude d’un cas curieux de physiologie.

Zola dira encore qu’il ne s’est pas appliqué à mettre des saletés dans son roman, mais qu’il en

a écrit les scènes et songé l’intrigue avec la seule curiosité du savant.

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Thématiques proposées pour des exposés oraux sur Thérèse Raquin Vous présenterez soit l’une des thématiques proposées ci-dessous, soit une thématique que

vous aurez vous-même définie, en lien avec un élément du roman qui vous a plu.

1. Le personnage de Thérèse : Présentation détaillée de Thérèse, de sa personnalité psychique et de ses sentiments au travers

d’une analyse approfondie d’extraits. Pas de paraphrases ! 2. Le personnage de Camille :

Présentation détaillée de Camille avant et après sa mort. Vous montrez l’évolution de ce

personnage au long du roman à travers deux extraits représentatifs selon vous. Pas de paraphrases !

3. Le personnage de Laurent

Présentation détaillée de Laurent, de son comportement et de sa personnalité psychique au

contact de Thérèse. Analyse de cette personnalité à travers une analyse approfondie d’un ou deux extraits. Pas de paraphrases !

4. Le personnage de Mme Raquin et ses invités

Présentation de Mme Raquin et de sa place dans ce roman ainsi que des soirées du jeudi soir. Vous montrez le rôle de ces soirées dans l’intrigue et la composition du roman en vous appuyant sur des extraits dûment analysés. Pas de paraphrases !

5. Réalisme et naturalisme dans le roman

Définition précise et complète du mouvement que vous démontrerez par l’analyse d’extraits du roman. Vous pouvez utiliser la présence et l’importance de la peinture par exemple. Pour le naturalisme, après avoir défini le mouvement, vous montrerez pourquoi Thérèse Raquin est à la fois un roman naturaliste et réaliste en présentant des extraits du roman : milieu intérieur (psychologie, hérédité) et extérieur (société). Pas de paraphrases !

6. La folie dans le roman

Vous montrerez à l’aide d’extraits comment la folie s’installe dans le roman, par quels

intermédiaires et chez quels personnages. Pas de paraphrase ! 7. Les lieux

Présentation des lieux clés du roman et de leur rôle dans la narration, de leurs particularités et

de leur impact sur l’ambiance du roman. Vous ferez un lien avec le réalisme du roman grâce à un ou plusieurs extraits dûment commentés. Pas de paraphrases !

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8. Thérèse Raquin : un roman policier ?

Présentation détaillée de l’intrigue du roman et du meurtre de Camille expliquant pourquoi

Thérèse Raquin peut être considéré comme un roman policier (intrigue, idée du meurtre, élément déclencheur, enquête, punition des assassins, etc.). Pas de paraphrases !

9. Le fantastique dans l’œuvre

Présentation des éléments surnaturels du roman et de leurs apparitions au fil du roman.

Explication au travers d’extraits dûment commentés. Pas de paraphrases !

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Annexes

Romantisme Victor Hugo, tête de file du romantisme dans les années 1820, avait déjà assis la théorie du

mouvement dans la préface à son drame Cromwell (1827), qui est véritablement le texte fondateur, le manifeste du romantisme. S’appuyant sur la différence entre la droiture des classiques et le grotesque des modernes, Hugo prône un débordement des passions, des formes mythologiques, de l’attrait au merveilleux et aux forces de la nature. On retrouve toutes les aspirations romantiques de la volonté d’une société nouvelle à l’attrait pour le sublime et la nature, l’opposition entre le beau et le laid, le grotesque et le sublime et un éloge dithyrambique du drame :

Voilà donc une nouvelle religion, une société nouvelle ; sur cette double base, il faut que nous voyions

grandir une nouvelle poésie.

Le christianisme amène la poésie à la vérité. Comme lui, la muse moderne verra les choses d’un coup d’œil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la création n’est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière

Nous voici parvenus à la sommité poétique des temps modernes. Shakespeare, c’est le Drame ; et le

drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la littérature actuelle.

D’autres, ce nous semble, l’ont déjà dit : le drame est un miroir où se réfléchit la nature. Mais si ce

miroir est un miroir ordinaire, une surface plane et unie, il ne renverra des objets qu’une image terne et sans relief, fidèle, mais décolorée ; on sait ce que la couleur et la lumière perdent à la réflexion simple. Il faut donc que le drame soit un miroir de concentration qui, loin de les affaiblir, ramasse et condense les rayons colorants, qui fasse d’une lueur une lumière, d’une lumière une flamme. Alors seulement le drame est avoué de l’art.

Victor Hugo, Préface à Cromwell

Réalisme Le ménétr i er a l la i t en tê te , avec son violon empanaché de rubans à la coquille; les mariés venaient

ensuite, les parents, les amis tout au hasard, et les enfants restaient derrière, s'amusant à arracher les clochettes des brins d'avoine, ou à se jouer entre eux, sans qu'on les vît ... Le père Rouault, un chapeau de so ie neuf sur la tê te et les parements de son habit noir lui couvrant les mains jusqu'aux ongles, donnait le bras à madame Bovary mère…Les autres gens de la noce causaient de leurs affaires ou se faisaient des niches dans le dos, s ' exci tant d'avance à la gaie té ; et, en y prêtant l'oreille, on entendait toujours le crin-crin du ménétrier qui continuait à jouer dans la campagne.

Quand il s'apercevait qu'on était loin derrière lui, il s'arrêtait à reprendre haleine, cirait longuement de colophane son archet, afin que les cordes grinçassent mieux, et puis il se remettait à marcher, abaissant et levant tour à tour le manche de son violon, pour se bien marquer la mesure à lui-même. Le brui t de l ' instrument fa isai t part ir de lo in les pet i t s o iseaux.

C'était sous le hangar de la charretterie que la table é tai t dressée . Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poule ts , du veau à la casserole, trois g igots , et, au milieu, un jo l i cochon de la i t rôt i , flanqué de quatre andoui l l es à l'oseille. Aux angles, se dressait l ' eau-de v ie dans des carafes. Le c idre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d'avance, avaient été remplis de v in jusqu'au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d'eux-mêmes au moindre choc de la table,

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présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour l es tourtes e t l es nougats . Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses; et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. A la base, d'abord, c'était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour dans des niches constellées d'étoiles en papier doré; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d'oranges; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturels, en guise de boules, au sommet.

Jusqu'au so ir , on mangea. Quand on était trop fatigué d'être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s'y endormirent et ronflèrent. Mais, au café , tout se ranima; alors on entama des chansons, on fit des tours de force , on portait des poids, on passait sous son pouce, on essayait à soulever les charrettes sur ses épaules, on disai t des gaudrio les , on embrassai t l es dames.

Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.

Naturalisme Préface de la deuxième édition de Thérèse Raquin

On commence, j’espère, à comprendre que mon but a été un but sc i ent i f ique avant tout. Lorsque mes deux personnages, Thérèse et Laurent, ont été créés, je me suis plu à me poser et à résoudre certains problèmes : ainsi, j’ai tenté d’expliquer l’union étrange qui peut se produire entre deux tempéraments différents, j’ai montré les troubles profonds d’une nature sanguine au contact d’une nature nerveuse. Qu’on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l’étude d’un cas curieux de physiologie. En un mot, je n’ai eu qu’un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. J’ai simplement fait sur deux corps vivants l e travai l analyt ique que les chirurgiens font sur des cadavres.

Poèmes

Le mal – Arthur Rimbaud Tandis que les crachats rouges de la mitraille

Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, 4 Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie épouvantable broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, 8 Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !... - Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; 11 Qui dans le bercement des hosannah s'endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,

14 Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !


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