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Célébrations officielles et pouvoirs africains: symbolique et construction de l'ÉtatAuthor(s): Yves-A. FauréSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol.12, No. 3 (1978), pp. 383-404Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/484485 .

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Revue canadienne des 6tudes africaines/Canadian Journal of African Studies Volume XII, no 3, 1978, 383-404

Cld6brations officielles et pouvoirs africains: symbolique et construction de I'Etat

Yves-A. FAURE *

ABSTRACT - Official Ceremonies and African Powers

Inherited from colonization and built on the occidental model, official ceremonies in Black Africa have resisted the will for cultural liberation and policies for authenticity. As symbolical practices they reflect the major problem of the official society for they contribute actively to the construction of the state. Their structural invariance and institutional universality, while explaining their non-autonomy in relation to the state, can also shed light on the latter's relative autonomy in Black Africa.

Le travail pr6sent6 ci-dessous ne m6rite, a proprement parler, que la qualification d'essai. De ce genre scientifico-litt6raire, il partage, en effet, 'a la fois les caracteres d'un effort personnel ponctuel et, cela va de soi, les maladresses, les insuffisances, les atermoiements d'une d6marche qui se cherche plus qu'elle ne r6vele. On voudra bien l'appr6hender comme une premiere approche encore impressionniste et incertaine, une premiere identification d'un ph6nomene qui appellera un investis- sement scientifique plus approfondi. Les pages qui suivent sont avant tout le r6sultat d'un exercice exploratoire.

Les c616brations ont, depuis quelque temps, connu les honneurs de l'inves- tigation de certaines sciences sociales. La curiosit6 naturelle et 16gitime exprim6e a l'endroit des manifestations festives par l'ethno-anthropologie s'est v6rifi6e dans d'autres disciplines, comme l'histoire, rendue attentive a de nouveaux champs de l'action sociale autant par son d6veloppement scientifique intime que par des

* Assistant de recherche de la Fondation nationale de science politique, Centre d'etude d'Afrique noire, Institut d'etudes politiques de Bordeaux.

1. Cf., par exemple, la belle et 6mouvante analyse de Jean DUVIGNAUD, Fetes et civi- lisations, Geneve, Weber, 1973, 202p.; 6galement, dans une toute autre d6marche, Maurice COYAUD, << F&es japonaises, un essai d'analyse semiotique >>, dans L'Homme, Revue frangaise d'anthropologie, octobre-d6cembre 1977, pp. 91-105.

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sollicitations id6ologiques et culturelles du moment 2. On se propose ici, avec la modestie des moyens pr6cit6e, de diversifier encore davantage les approches universitaires des fetes, en portant notre attention sur celles que l'opinion commune, reprenant la pratique institutionnelle, qualifie d'officielles. Leur relation au politique, comme rh6toriques du pouvoir et comme objets d'une science du politique, en constituera un peu la sp6cificit6 nouvelle, confort6e par l'aire retenue: l'Afrique noire.

De maniere g6n6rale, I'activit6 festive, profond6ment ancr6e dans la vie des groupements humains 3, n'a pas 6chapp6 a l'oeuvre de < repossession du monde > entreprise par l'Itat moderne. La fete a accompagn6 ses premiers deve-

loppements 4 et demeure, depuis lors, li6e a son extraordinaire destin. Il n'est pas un r6gime, dans le cas sp6cialement frangais, qui n'ait remis en cause l'existence de fetes nationales. Et si des pol6miques ont 6clat6, elles portaient sur les valeurs a exalter mais non point sur le principe de c616bration parfaitement reconnu, par tous les bords, comme une n6cessite d'Etat. Tous s'accordaient, et s'accordent encore, sur l'utilit6 de c6remonies et de r6jouissances ponctuant la vie de la nation. Tous se reconnaissent dans le culte civil orchestr6 par l'9tat. On peut certes signaler la scl6rose qui atteint, actuellement, les fetes officielles s qui accident desormais a l'institution par abandon de leurs caractbres originaires. Mais le grand probl&me demeure celui du rapport oblig6 de l'Etat aux pratiques de c616bration, et de leur permanence a travers des r6gimes, des id6ologies, des groupes, et des espaces diff6rents. Ce qui est remarquable en effet, c'est que des organisations nationales se rattachant ostensiblement a des conceptions philoso- phiques et politiques dissemblables partagent en commun cette tendance a vibrer

p6riodiquement, et selon des modes identiques, aux antiennes fix6es par les gouvernants.

Remarquable 6galement est la reprise fidble de telles pratiques dans un continent depuis peu lib6r6 et soucieux d'61iminer les restes 6conomiques, sociaux et culturels de la colonisation. Les c616brations officielles, baties sur le mod1le occidental, ont r6sist6 en Afrique a cette volonte d'authenticit6, de d6culturation, comme si la meme structure politique formelle imposait d'elle-meme certains comportements invariants a travers la multiplicit6 des groupes sociaux qu'elle peut circonscrire et les voeux conscients des dirigeants politiques. Nul doute qu'il faut voir la l'action uniforme de ce que J. Ellul qualifiait naguere comme 6tant la

r6alit6 actuelle la plus importante, beaucoup plus fondamentale que le fait 6cono- mique 6 : I'tat-nation.

Pr6cis6ment, cette organisation moderne, n6e en Occident, a 6t6 16gu6e aux pays africains qui ne l'ont point reni6e i l'occasion des ind6pendances mais bien

2. Cf., par exemple, Rosemonde SANSON, Les 14 juillet, fete et conscience nationale 1789-1975, Paris, Flammarion, 1976, 221p., et Mona OzouF, < La fete sous la Revolution frangaise >>, dans Faire de l'histoire, sous la direction de J. LE GOFF et P. NOLA, tome III, pp. 256-277, Paris, Gallimard, 1974.

3. Cf. J. DUVIGNAUD, op. cit. 4. Cf. R. SANSON et M. OZOUF, op. cit. 5. R. SANSON, op. cit., p. 7. 6. J. ELLUL, L'illusion politique, Paris, R. Laffont, 1965, p. 16.

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plut6t reprise a leur compte et comme int6rioris6e. Aucune analyse n'a cach6 l'aspect artificiel de ce < placage > institutionnel impos6 de l'exterieur, v6ritable corps allogene plac6 sur des ensembles sociaux qui avaient par ailleurs s6cr6t6 des structures politiques sp6cifiques. Mais justement, le fait pour les 61lites africaines d'avoir voulu assumer cette succession, envers et contre tout, de s'&tre reconnues dans ce cadre 6tatique moderne leur a fait obligation de l'imposer 'a la soci6t6. Toute l'activit6 politique africaine depuis les ind6pendances a 6t6, par la suite, domin6e par le probleme de la construction de l'tat. Mais son absence v6ritable d'autorit6 - en d6pit d'actes violents spectaculaires -, sa tres faible capacit6 transformatrice de la soci6t6, ses grandes difficult6s 'a contr6ler une p6riph6rie tourn6e vers d'autres all6geances et solidarit6s ont, entre autres raisons, r6duit consid6rablement son aptitude 'a s'imposer par les moyens traditionnels du droit (norme juridique, respect de l'institution). La construction de l'ttat africain n'en a pas 6t6 stopp6e pour autant : elle est toujours sur le chantier politique. Mais nous pr6tendons qu'elle emprunte pour ce faire des voies peu objectives, peu discursives, peu r6glementaires (au sens juridique), bref peu orthodoxes, donc difficilement saisies par les analyses institutionnelles : notamment l'utilisation de ressources symboliques. Les c616brations officielles vont justement, au-delk du sens bien apparent qu'elles peuvent livrer, par un d6ploiement peu commun de signes multiples, permettre le renforcement de l'organisation 6tatique. Telle est en tout cas la probl6matique a laquelle voudrait se rattacher ce travail.

I - TYPOLOGIE: VARIETES ET VARIATIONS

C'est un truisme - qu'il convient pourtant sans cesse de rappeler car il permet de batir les analyses sur des bases solides - de retenir que les pays africains subissent pr6sentement le poids d'influences historiques concurrentes, cristallis6es lors du vaste mouvement de colonisation. Beaucoup de domaines de la vie sociale, 6cono- mique et culturelle, et la quasi-totalit6 de la vie politique rel'vent de traditions diff6rentes, et les crises qui secouent r6gulierement ces secteurs de la vie nationale s'expliquent, pour une bonne part, par le m6tabolisme difficile de pratiques et d'intelligences, de comportements et de sensibilit6s initialement dissemblables. Les f6tes africaines n'6chappent pas 'a cette regle qui prend l'allure d'un destin. Celles actuellement en vigueur renvoient ainsi a des traditions interp6n6tr6es aux rares exceptions de celles qu'on peut rattacher 'B un type historique pur. Il est cependant commode, pour l'analyse, de distinguer plusieurs grands groupes de f6tes afin de mieux situer dans cet ensemble celles retenues par cette 6tude.

Les pays africains connaissent en premier lieu ce qu'on peut appeler des f6tes traditionnelles, qui demeurent vivaces et r6sistent encore avec succes A l'entre- prise de destruction/reconstruction de l'itat moderne. Elles c61~brent, selon des modes ancestraux, certains actes essentiels de la vie sociale (circoncision, nubilit6, fundrailles...) ou certaines 6tapes intra-annuelles du cycle 6conomique, scandant le rythme agricole et chantant la production (fite des ignames, fin de la r6colte du riz...). Relevant de traditions qui 6chappent au d6veloppement du pouvoir central moderne, elles ne sont pas du tout cautionn6es par l'itat, B peine tol6r6es, et, pour mieux signifier son m6pris i leur 6gard, elles ne donnent pas lieu i des

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jours de ch6mage qui constituent, on le verra, un 616ment important de la fete officielle. La faiblesse de leur lien a l'Etat - ou son aspect n6gatif - diminue, a nos

yeux, leur int6r&t ici. Elles sont d'ailleurs, avec raison, revendiqu6es comme objet d'6tude par d'autres sciences humaines.

L'intervention de l'1tat est d6jai plus nette dans les grandes fetes religieuses modernes. La plupart des pays africains, marqu6s par l'occupation des Europ6ens, reconnaissent comme officielles les fetes chr6tiennes : P&ques, Ascension, Pentec6te, Assomption, Toussaint et NoEl. En outre, tous les pays oii s'est manifest6e la

p6n6tration plus ancienne de l'Islam accordent le meme statut aux grandes f&tes musulmanes que sont la fin du Ramadan et la f6te du mouton.

Les f6tes civiles de tradition occidentale ont 6t6 6galement reprises 'a leur

compte par les jeunes pays africains : le ler janvier, le 1er mai font ainsi l'objet de c6r6monies semblables sur des continents diff6rents. Ces fetes (religieuses et civiles) sont dites officielles et le pouvoir politique, pour en marquer la solennit6, les agr6mente du ch6mage 6conomique.

Il y a enfin, dans cet 6ventail de c616brations, les c6r6monies et r6jouissances qui comm6morent certaines 6tapes essentielles dans la vie de ces jeunes nations. Et, de meme que les Francais cultivent le 14 juillet comme l'an premier d'une ere politique nouvelle, de meme les Etats africains font des journ6es anniversaires de leur ind6pendance ou de la proclamation de la R6publique des moments parti- culibrement fastes et 6mouvants. Ce sont 6videmment ces dernibres fetes qui sont vis6es dans cette 6tude. I1 nous a paru utile en effet de s'interroger sur cette habitude qu'a l'1tat de se m6nager quelques c616brations, de se constituer en

objet de fete, d'exalter c6r6monieusement certaines de ses valeurs. Les pays africains n'ont pas oubli6 de s6lectionner certaines dates de leur histoire moderne et d'en c616brer r6gulibrement le sens. C'est un ph6nomeine tout 'a fait g6n6ral sur le continent, qui n'est donc pas tributaire de traditions (pr6) coloniales sp6cifiques.

On ajoutera, pour mieux situer ces c616brations nationales dans l'ensemble des festivit6s africaines, que leur particularit6 est, bien stir, de proc6der de l'Etat, d'etre organis6es par les dirigeants politiques, pr6sid6es par les autorit6s publiques et de mobiliser, sinon l'6nergie, au moins l'attention des populations nationales, la sensibilisation 6tant ais6ment acquise par l'octroi de mesures connexes qui fixent le statut de la fte : jour ch6m6 et pay6, suspension des activit6s judiciaires, etc. II faut cependant pr6ciser que ces fetes nationales voient leur sp6cificit6 6tatique l6ge'rement alt6r6e - mais point remise en cause - par des emprunts partiels 'a d'autres types de fetes pr6c6demment relev6es. Les c616brations consacr6es par l'Itat moderne intebgrent en effet des caractbres festifs traditionnels : prestations coutumibres dans les d6fil6s, danses ethniques qui c6toient les danses occidentales... 11 faut noter 6galement la tendance trbs nette a politiser, ou mieux,

. 6tatiser des

fetes, ? l'origine purement civiles ; les l•r janvier et 1'' mai, la fagon dont ils sont investis par les autorit6s officielles, illustrent bien cette irr6sistible propension de l'Itat i < occuper de plus en plus de domaines de la vie sociale et montrent, incidemment, que les fetes relivent rarement de types purs. Il n'empiche que l'impulsion donn6e par l'ltat

i certaines fetes, la caution dont il les cr6dite, leur

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consecration par la regle de droit et par l'intervention de ceux qui incarnent l'autorit6 publique, suffisent 'a particulariser les c616brations officielles dont on dira, pour les caract6riser rapidement, qu'elles comportent une dominante 6tatique.

Pour ce qui les concerne plus particulierement, on avancera qu'une pr6sen- tation taxonomique, meme grossibre, en permet une approche int6ressante. Sans vouloir tomber dans les 6cueils, peu scientifiques il est vrai, de d6marches exclu- sivement classificatoires, on remarquera cependant qu'elles constituent souvent une

premiere 6tape indispensable du d6veloppement heuristique.

On peut tout d'abord d6tacher une premiere masse de fetes, relevant de deux themes dominants et conjoints, qui s'oppose aux autres c616brations plus indiff6rencides. La quasi-totalit6 des pays africains magnifient le jour anniversaire de leur ind6pendance comme le temps O de leur nouvelle existence de nations libres. On citera pour simples exemples, et au hasard de nos r6f6rences : le Burundi (1-7), la Haute-Volta (5-8), le Kenya (10-12), le Ghana (6-3), I'Ouganda (9-12), le Soudan (1-1), la Somalie (1-7), le Rwanda (1-7). La Gambie fete le jour anniversaire de l'acquisition de son autonomie interne (4-10) 7. La Guin6e combine dans ses c616brations le jour de l'ind6pendance (20-10) et le jour du r6f6rendum qui lui a valu cette ind6pendance pr6cipit6e (28-9). Le Zaire ajoute a cette fete (30-6) celle offerte ia la memoire des martyrs de l'ind6pen- dance (4-1).

Beaucoup de ces ttats c61lbrent 6galement la proclamation de la R6publique : Burundi (26-10), Ghana (1-7), Liberia (26-7), Malawi (6-7), Haute-Volta (11-12). Lorsque les pays ont connu, ce qui est 6videmment fr6quent, des renversements de r6gime, les proclamations successives de R6publique font l'objet de cultes officiels 6galement successifs. L'Ouganda fete ainsi sa Ire r6publique (8-9) depuis 1967, et sa Deuxiebme r6publique (25-1) depuis 1971. Le Zaire propose le meme cheminement politique et id6ologique.

A c6t6 de ces 6v6nements majeurs dans la vie des jeunes nations africaines, qui polarisent, sans surprise, la plupart des cel6brations officielles, mobilisent l'essentiel des activites festives modernes, et mettent en jeu l'ensemble des capacit6s symboliques de l'Itat, d'autres fetes officielles sont consacr6es 'a des encensements plus varies.

Les dirigeants politiques ne se privent pas des vertus laudatives que peuvent leur procurer les c6l6brations publiques. Et des fetes sont organis6es, qui chantent le chef ou le groupe au pouvoir. Le 20 octobre, dans l'ancienne colonie anglaise, 6tait le < Kenyatta Day >>. Au Zaire, le 15 octobre est consacr6 a la fete du chef de l'Etat. En Athiopie, nagubre, le 23 juillet 6tait fit6 comme jour anniversaire de l'Empereur, et le jour du couronnement (2-11) donnait 6galement lieu

. des

c6r~monies officielles et r6jouissances publiques.

La militarisation des pouvoirs politiques africains a eu des consequences sur les fetes : les diverses armies ou coteries militaires ayant acc~d6 au gouvernement

7. Cf. Armand PREVOST, La Republique de Gambie, Paris, Berger-Levrault, 1973.

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se sont empress6es de faire c616brer, par les populations, les anniversaires de leur putsch ou de leur pronunciamento. Ce recours 'a la comm6moration publique est d'ailleurs, en Afrique noire, tres sp6cifique des r6gimes militaires qui y voient peut- etre un instrument efficace de 16gitimation et, en tout cas, un terrain d6monstratif auquel sont accoutum6s les 616ments de l'arm6e. Le Ghana fete, le 13 janvier, le deuxieme retour (1972) au pouvoir de l'arm6e (Conseil militaire supreme). Le B6nin (26-10), le Zaire (17-11), la Haute-Volta (3-1), le Rwanda (26-10) c6l'brent leurs forces armies populaires ou nationales. Les c6r6monies r6currentes peuvent aussi b6n6ficier au parti politique, dans les pays oi il est, rh6toriquement, le lieu d'6mergence et d'exercice du pouvoir. Le 20 mai, au Zaire, est c616br6 comme jour anniversaire du Mouvement populaire pour la R6volution. Au Togo, c'est le 30 aoit qui est fet6 en souvenir de l'appel lanc6 en 1969 a Kpalim6, par le pr6sident-g6n6ral Eyad6ma pour l'6dification du parti gouvernemental, le Rassemblement du peuple togolais.

La proclamation, par les gouvernants, d'un rattachement a une id6ologie r6solument novatrice, ou l'interpr6tation de leur accession au pouvoir comme un bouleversement irr6versible de l'ordre des choses se complete de c616brations officielles. Les anniversaires de chaque R6volution nationale sont fet6s en Afrique noire, notamment par la Somalie (21-10), l'i~thiopie d6sormais (12-9), les Seychelles (5-6), le Soudan (17-11)... En Guin6e, ce n'est pas la r6volution par elle-meme mais un acte r6volutionnaire qui a les honneurs du calendrier officiel : le 22 novembre est chant6e la r6sistance A l'agression de 1970 perp6tr6e par les troupes coloniales portugaises de Bissau. Au Gabon, I'id6ologie du r6gime qui, et pour cause dirimante, peut difficilement passer pour r6volutionnaire, donne lieu cependant aux memes manifestations : le 12 mars est fet6e la politique de

<< rnovation > du chef de l'Ftat.

Au Rwanda, des fetes officielles sont consacr6es a la c616bration du gouver- nement (26-10) et de l'Assembl6e nationale (25-9). Mais il serait faux de ramener ces deux manifestations aux pratiques solipsistes pr6c6demment relev6es, elles s'attachent plut6t a louer des institutions. Confirment cette lecture les dates qui completent le calendrier officiel rwandais : la D6mocratie et la Justice sont

f&t6es successivement le 28 janvier et le 24 novembre.

11 faut enfin signaler d'autres c616brations qui doivent s'interpr6ter moins comme relevant d'une volont6 nette de fixer des valeurs a exalter que comme expression de la survenance, sur le plan politique, de problemes que les dirigeants ont vocation 'a r6soudre. Par la c616bration, on essaiera moins d'encenser que de conjurer. La fete de la jeunesse (11-2) au Cameroun illustre bien ce type parti- culier. Les dirigeants de ce pays tentent d'impulser chaque ann6e un 6lan nouveau & leur politique d'encadrement des populations jeunes dont on sait, quand on 6value leur dimension d6mographique, quelle importance ind6niable elles repr6- sentent - m~me virtuellement - dans le syst~me politique. Dans le cadre de la fete officielle, par l'investissement humain dicrdtd, qui consiste, grossibrement, en de vastes operations de nettoyage, sont pr6par6es et rassembl6es toutes sortes de mesures qui assurent, th6oriquement, l'extension du contr6le social sur ces cat6gories sociales. On tente ainsi la canalisation de leurs aspirations et on vise

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assur6ment 'a limiter les perturbations qu'ils pourraient cr6er dans le systeme politique. Par la fete, leur mobilisation r6currente est declench~e pour une meilleure socialisation par i'Etat.

La masse des fetes officielles ne se r6pite pas identiquement dans des

cel6brations aux fr6quences r6gulieres. Elle est affect6e, au contraire de certaines variations qui attestent de changements id6ologiques dans les r6gimes politiques, certaines valeurs jusqu'alors proposees a la passion publique periclitant soudain, au b6n6fice de signes nouveaux un moment plus en grace. Ce ph6nomi~ne se manifeste trbs nettement, de faqon exterieure et comme quantitativement. 11 r6sulte peu d'un souci global et d6lib6r6 et prealable de modifier le statut de la fete.

I1 s'exprime au contraire 'a travers mille petites modifications - mobilisation, faste, participation officielle diff6rents - qui pebsent finalement sur l'6conomie g6n6rale de la c6l6bration et lui donnent uni ,ens r6form6. On peut ainsi rep6rer des modifications d'ordre synchronique dans la hierarchie des fetes, dans un meme pays, done des changements dans les valeurs fix6es et lou6es par le pouvoir politique. Au Cameroun, la fete du 20 mai, qui comm6more la r6unification de 1972 des deux territoires anglophone et francophone, est devenue la grande fete nationale qui supplante largement celle en l'honneur de l'ind6pendance (1-1). Ce changement quantitatif/qualitatif 6tablit bien, dans ses developpements in- conscients ou non dits, combien de credit les dirigeants accordent 'a cette nouvelle 6tape de construction de l'Ftat, cens6 n'8tre dignement chant6, parce que confort6, qu'a' partir de la r6unification. Peu importe, id6ologiquement, que celle-ci soit plus artificielle que profonde, qu'elle engendre plus de probleimes qu'elle n'en r6soud 8. C'est l'acte officiel de retablissement du < grand Cameroun >> qui fonde la credibilit6 de l'tat, il est donc logique que ce soit cet acte qui focalise les ressources symboliques des institutions et des hommes, qu'il soit deis lors propos6 a l'exaltation publique.

De meme au Togo, la fete de l'independance (27-4) a-t-elle diminu6 d'importance par rapport aux fetes qui c6l6brent le d6tenteur du pouvoir ; elle connait moins de faste que celle qui rappelle l'arrivee sur la sce'ne politique du g6neral Eyad6ma (13-1) ou que celles qui vantent le parti (30-8 ; 30-11).

La prudence s'impose cependant : on ne peut pas toujours conclure des variations notees des changements dans l'id6ologie du r6gime. Des modifications peuvent relever de certaines commodites, climatiques et/ou 6conomiques ; en C6te d'Ivoire, la fete de l'ind6pendance se situe le 7 d6cembre alors qu'elle devrait, par fid6lit6 historique, etre c6l6br"e le 7 aofit. En Haute-Volta, la fete de l'ind6pendance (5-8) est organis6e sous le signe de la modestie, les grandes manifestations et r6jouissances 6tant r6serv6es au jour anniversaire de la procla- mation de la R6publique (11-12). Toutefois, mime dans les cas oii la d~termi- nation mat6rielle est 6vidente, elle n'exclut peut-8tre pas l'intervention d'6l6ments superstructurels : on pourrait avancer que la suj6tion d6lib~r6e d'une c6lbration i des conditions physiques ou i des modes productifs souligne la moindre impor-

8. Cf. J. F. MIDARD, << L' tat sous-d6veloppe du Cameroun >>, dans L'Annee Africaine 1977, Bordeaux-Paris, Pedone, a paraitre.

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tance qu'on lui accorde, car le culte, comme ph6nomi~ne id6ologique, est susceptible de dominer, voire nier, des contraintes 6conomiques.

Enfin, comme point limite de variations, on peut signaler des disparitions significatives de fetes. Par exemple, dans le cadre de son programme d'authenticit6, et pour mieux marquer la nature laique de l'Etat, le Zaire a 6limin6 du calendrier des fetes officielles le jour de NoEl.

/ - STRUCTURE ELEMENTAIRE

Pratiques et symboliques sociales relevant exclusivement de l'Etat, les c6lebrations officielles sont construites sur une gestuelle et un discours de base bien constants. La liturgie peut se r6duire 'a des prestations fondamentales identiques d'un pays a un autre, d'une p6riode a une autre. Cette invariance structurelle, qui force

l'espace et le temps, fonde l'6conomie politique bien specifique des ceI6brations officielles, les constituant en production de

l'ttat. Cette identit6 profonde se

trouve encore accentuee par la permanence des memes faits et dires cer6moniels a travers des regimes politiques et des ideologies divers. Un seul exemple suffira a eclairer ce propos : le rite de la fete officielle et la conscience d'une imperieuse n6cessit6 d'y sacrifier n'ont absolument pas change au Mali avant et apre's le

coup d'Etat militaire qui a renvers6, en 1968, le r6gime de Modibo Keita. Ce sont les mimes gestes, les memes paroles, les memes comportements.

Les 6l6ments essentiels des festivit6s 9, qui donnent 'a la c6lebration sa

coherence, sont en outre suffisamment stables pour en constituer la structure el6mentaire qu'on se propose a present de d6gager. Mais les gestes de base ne sont pas prisonniers de la synchronie, ils s'inscrivent au contraire dans la dur6e, ils jalonnent, ponctuent, scandent les festivites, se d6roulent en phases successives. C'est pourquoi la structure 6voqu~e ci-dessous ne peut l'etre dans un temps immuable.

Certaines manifestations caracterisent une premiebre 6tape des c616brations, toujours d6butees avant la journee exclusivement consacr6e par la Loi. L'inter- pretation qu'on donnera des fetes nationales permet assur6ment de les classer dans les rites inchoatifs dans la mesure exacte oi~ ils ne renvoient pas tous au grand organisateur b6neficiaire de ces c6l6brations, l'Etat lui-meme.

La retraite aux flambeaux, qui se d6roule la veille de la fete, est un pr6ambule oblige des c6remonies, sorte de rep6tition des d6fil6s qui en constitueront le temps fort. Mais, a la diff6rence de ces colonnes programm6es, la retraite est a peine organis6e et elle est faite d'une participation spontan6e des populations. Elle est plus accept~e qu'am6nag6e par les autorit6s (Mali, 22-9-1976 ; 22-9-1968 ; Togo, 27-4-1977...). Elle entre souvent en concurrence avec d'autres r~jouissances populaires (bals). Et, dj8i, elle prefigure, par son d6roulement mi-improvise, mi-organis6, les manifestations officielles caract6ris~es par un souci trbs net d'ordonnancement.

9. Les ref6rences pr6cises des f&tes analys6es dans cette section sont rassembl6es a la fin de cet article.

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CELEBRATIONS OFFICIELLES ET POUVOIRS AFRICAINS 391

Peut egalement faire partie de cette premiere phase le traditionnel message a la nation adress6 par le Chef de l'1tat. I1 constitue un instrument essentiel dans

l'entreprise de mobilisation des citoyens d6ploy6e ' a]'occasion des fetes nationales.

II entretient avec la fete officielle un rapport qui n'est pas simple: l'allocution du gouvernant parait profiter des qualites extraordinaires de la fete mais, dans le meme temps, la solennit6 de la c6hlbration doit beaucoup a l'intervention du chef de I'Itat ; la fite fait la n6cessite et I'importance du message autoris6 qui contribue, en retour, 5 l'apparat de la fete. Surtout lorsqu'elles 6manent de contextes oui le neo-patrimonialisme s'illustre par l'identification entre le pouvoir et son d6tenteur, la cle6bration et I'allocution sont particulibrement conjointes. Elles se fortifient reciproquement. Le discours autoris6 procede du gouvernant supreme, seul a pouvoir s'exprimer au nom de l'ensemble social qu'il administre. 11 est suppose6 tre le seul 'a avoir une idee sur le comportement du pays, sur l'avenir de la nation, sur le fonctionnement de l'1tat. Et, en un sens, c'est vrai, puisque l'Ftat, c'est lui. La formulation du message est conforme a l'id6e autocratique qui preside a l'exer- cice de tout pouvoir, avec cette sp6cificit6 africaine que cela peut rester du domaine de la volont6 et du discours car le principe achoppe ensuite sur des r6alit6s contra- dictoires qui hypothequent son application stricte dans son sens authentiquement autoritaire o. Le message b6n6ficie, comme tout le verbe pr6sidentiel, d'une large diffusion : radio, television, journaux... (Cameroun, 20-5-1976 ; Togo, 13-1-1977 ; 27-4-1977 ; Mali, 22-9-1976 ; 22-9-1968 ; 22-9-1965 ; Haute-Volta, 3-1-1970 ; 11-12-1966).

Vieille manifestation de courtoisie, la presentation des vceux diplomatiques est inseparable des festivites officielles. Leur sens va bien au-dela de la simple politesse : par une sorte de reconnaissance inter pares, ils participent activement a la confortation, entre Etats, de l'1tat 11. Ils sont adresses quelques jours avant les festivit6s et le rythme de r6ception des messages s'acc6lere singulierement 'a l'approche du jour de c6lbration, sans qu'on puisse justement 6tablir de leur survenance chronologique des correlations sociologiques 6videntes. Les plus em-

presses laudateurs ne sont pas les plus proches ideologiquement, et les plus z616s contempteurs des regimes en phase de celebrations figurent souvent parmi les plus prompts et les plus constants dans cette pratique courtoise 12

Ces messages qui 6manent de chefs d'itat se doublent la plupart du temps des vceux que le corps diplomatique accr6dit6 dans le pays en fete presente au

10. Cf. J. F. M1iDARD, article cite et G. MYRDAL, <<L',tat mou dans les pays sous- developpes >, dans Revue Tiers-Monde, janvier-mars 1969.

11. Voir, h ce sujet, F. CONSTANTIN, << Rgionalisme international et pouvoirs africains >>, dans Revue

fran'aise de science politique, f6vrier 1976, pp. 70-102, oui est d6montre le renfor-

cement du pouvoir 6tatique a travers l'acte diplomatique. 12. Pour la fete du 20 mai 1976, le pr6sident Ahidjo du Cameroun a regu successi-

vement des messages de felicitations provenant de: Madagascar, Maroc. Ethiopie, Tunisie, Niger, Rwanda, Vatican, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Espagne, Inde, Suisse, Iran, Roumanie, Arabie saoudite, Luxembourg, Turquie, Cor6e du Nord, URSS, Bangla Desh, Vi&t-nam (Cameroun Tribune du 22 mai 1976), puis de Belgique, Finlande, IEgypte, Congo, Chine, MAlawi, Japon, etc. (Cameroun Tribune des 23 et 24 mai 1976). 11 serait aberrant de vouloir tirer de cet ordre, qui doit surtout ' des problkmes geographiques et technologiques, des principes socio-politiques quelconques.

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392 CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

dirigeant politique lors d'une breve ceremonie le jour meme des festivit6s officielles (Mali, 22-9-1976; 22-9-1965 ; Cameroun, 20-5-1976; Haute-Volta, 11-12-1976...). 11 arrive frequemment que des chefs d'Etat 6trangers honorent de leur presence les c6r6monies, accentuant encore ce phenomene de confortation du pouvoir d'Etat (Togo, 13-1-1977, cinq chefs d'Etat africains invites accompagn6s de six repr6- sentants d'autres chefs d'Etat).

Places en tate des c6remonies officielles, la veille ou le matin meme, les offices religieux concourent ia la solennit6 de la cel6bration. Leur nombre et leur nature dependent 6videmment de la distribution nationale des confessions. Dans la region retenue ici, les offices se deroulent dans l'6glise, dans le temple et dans la mosquee (Haute-Volta, 11-12-1966; 11-12-1976; Togo, 30-8-1977 ; Came- roun, 20-5-1976...). La distinction des domaines spirituel et temporel, partout delicate i 6tablir, gagne encore, sur le terrain africain, du flou. L'office religieux s'inscrit fidielement dans l'ordre de consecration fixe par l'Etat. 11 se soumet respectueusement aux directives politiques qui dressent la hierarchie des valeurs que la socie6t doit celbrer. I1 arrive que cette sujetion - episodique - au temporel prenne l'aspect d'un veritable devoiement du culte initial qui est alors requis pour sanctionner les vertus du dirigeant en place. Au Cameroun (20-5-1976) les offices ont e6t l'occasion explicite de < souhaiter longue vie ia la R6publique unie, a son leader et ia son peuple >. Ainsi est realis6 comme un retour aux sources du pouvoir; mais la volontaire recherche de consecration spirituelle doit tre appreciee autant comme une consolidation machiav6lienne du pouvoir que comme le t6moi- gnage d'une crise de son identite. L'amalgame politico-religieux trouve sa meilleure illustration par I'usage expressif que fait le chef de l'Etat togolais de l'onction spirituelle. Elle lui est acquise par des celebrants qui, ouvertement, font de l'office religieux l'occasion d'une ben6diction supplementaire du chef de l'Etat de6ja encens6 quotidiennement sur le plan lai'c. Ce < detournement >> de la fonction religieuse, commun aux trois grandes confessions precitees, est trbs bien exprim6 par le president de la communaute musulmane au cours du rite :

Grafce 'a Allah qui depuis 1967 b6nit les actes de notre Timonier national, le g6neral d'armee Gnassingb6 Eyad6ma, nous fetons aujourd'hui les dix ans de son regime, dix ans d'union, etc. (Togo Presse, 7 janvier 1977).

La periode pr6c6dant les ceremonies officielles est g6neralement marqu6e par de vastes operations de nettoyage des secteurs citadins oui se deroulent les manifestations. Le pouvoir camerounais, lorsqu'il c6l1bre la jeunesse (11-2), saisit precis6ment l'occasion pour entrainer la population juvenile dans des travaux de refection et d'embellissement. Cette operation est pompeusement qualifi6e d' < investissement humain > (Cameroun, 11-2-1976).

Le jour de c6l6bration consacr6 par l'I?tat d6veloppe 6videmment les plus importantes c6r6monies. C'est ce jour-li que les diverses prestations acquibrent leur caractbre officiel, ce jour-1i que l'tItat se manifeste avec 6clat, ce jour-li que les rites, accomplis ou pr6sid6s par les autorites, se parent de la solennite qui permet, formellement, de reconnaitre les pratiques d'un pouvoir politique central moderne. La toponymie du cadre de c6l6bration contribue

. l'exaltation du

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CELEBRATIONS OFFICIELLES ET POUVOIRS AFRICAINS 393

moment": ' Bamako et 'a Ouagadougou, les c6remonies se d6roulent avenue et

place de l'Ind6pendance (Mali, 22-9-1968; 22-9-1965; Haute-Volta, 11-12-1976); a Yaound6 elles ont lieu place de la Reunification (Cameroun, 20-5-1976).

La foule se presse dans le secteur des manifestations officielles. Elle a droit aux bas-c6tes des avenues et des boulevards, cependant que les repr6sentants de

l'1tat, les cadres sociaux et 6conomiques du pays s'alignent dans une tribune

rdservee. La localisation de l'espace officiel d6signe, comme dans toute ceremonie politique publique, le lieu des valeurs c6lbr6es et ceux qui, incarnant ou repr6- sentant ces valeurs, vont etre les promoteurs r6cipiendaires des c6remonies. La tribune officielle dessine promptement I'autorite. 11 y a un espace du profane oi s'entassent ceux qui doivent communier dans l'exaltation et un espace du sacr6 oiu sont figur6s les objets du culte. Une indiffkrenciation des lieux et prota- gonistes de l'office civil n'est pas concevable dans une fete officielle. Le culte des valeurs de l'Ftat ne peut s'exercer dans l'ind6termination et l'anonymat. La g0ometrie des pouvoirs et des fonctions conjure, au contraire, la banalit6 et I'indifference. 11 n'est plus possible devant une telle construction dans l'espace de demeurer insensible a l'Institud. Du coup on peut souligner que l'officiel, I'6tatique ne s'expriment pas seulement 'a travers des normes juridiques et sociales et morales explicites, i travers une violence organis6e, mais se traduisent par des

representations dans l'espace, se d6veloppent dans le non-dit. Le positionnement des acteurs sociaux n'est pas le fruit du hasard mais bien le resultat de la n6cessit6 6tatique. 11 figure le grand ordonnancement, ceuvre majeure et permanente du

pouvoir central moderne. La distribution spatiale des groupes et des r6les reproduit bien la distinction grossibre gouvernants/gouvern6s, logique de l'Etat fond6 par hypothise sur la diff6renciation sociale.

L'arrivee du chef de l'Eitat marque le coup d'envoi des festivit6s mais non de l'animation assuree tres t t le matin par toute une population qui se d6verse dans le secteur des c6remonies. L'attente qu'elle s'impose ainsi est de celles qui fondent la suj6tion et I'6chauffement auquel elle se livre est de ceux qui flattent

l'autorit6. L'arrivde et les premiers gestes du chef de l'Ftat r6pondent a un rituel immuable qui nie, comme l'ensemble des 6l6ments festifs d6crits ici, les differences de r6gimes et la d6rive du temps. A c6td de cette inertie essentielle, les consid6- rations ideologiques figurent au rang de vicissitudes bien negligeables. On l'a not6: le changement de gouvernement au Mali (chute de Keita, le socialiste, arriv6e au pouvoir de l'arm6e) ne provoque aucune modification dans l'esprit des c6r6monies, dans leur d6roulement physique. C'est la r6p6tition tres fidble des memes d6marches et des memes discours (Mali, 22-9-1976 22-9-1968). Le principe, c'est I'inalteration du c6r6monial

d'ltat. Le chef de l'1tat descend de

l'automobile et est salu6, a son entr6e dans la tribune officielle, par les grands commis de l'Etat, membres du gouvernement, du parlement, du conseil dcono- mique et social, dignitaires du parti, reprdsentants de pays 6trangers (Cameroun, 20-5-1976 ; Haute-Volta, 3-1-1970; 11-12-1966...).

En pr6sence du leader politique d6bute une phase d'exthriorisation des attributs de l'Etat. On d6ploie de favon ostentatoire les figures et les sons par quoi on reprdsente la puissance publique souveraine. En quelques minutes et

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394 REVUE CANADIENNE DES ETUDES AFRICAINES

par quelques gestes est r6alis"e une extraordinaire consommation de signes et de symboles (de l'Etat) : reanimation de la flamme, sonnerie aux morts, dep6t de gerbes, hymne national et/ou des forces arm6es, presentation du drapeau national, passage en revue des troupes, remise de d6corations. Ce dernier instant est particulibrement important: il retablit la communication entre le pouvoir et le sujet. L'Jtat arrache certains citoyens ai l'anonymat et leur assure une identi- fication precise. La hi6rarchie des ordres remis permet d'6valuer les m6rites du r6cipiendaire pour les services rendus au pays. La hierarchie est tris complexe; elle s'6tablit d'abord entre les differents ordres nationaux. Mais il existe aussi un 6chelonnement subtil a l'int6rieur de chaque ordre oi l'on distingue l'officier du chevalier, l'6toile d'or de l'6toile d'argent, l'effigie lion de l'effigie abeille, le collier de la grande croix, le grand cordon de la medaille, la valeur du m6rite...

Le temps fort de la journ6e de c6l6bration est 6videmment celui du ddfild. 11 developpe le c6t6 spectaculaire de la fete officielle. Les mots ordinaires ne suffisent plus dans les qualifications des commentateurs : c'est <<le clou de la

journee >, c'est < un 6venement grandiose, merveilleux >>. Et c'est vrai que le

d6file est la colonne vertebrale des festivit6s. Il1 est long, quelquefois tris long: de une heure trente a trois heures. Sa composition est particulierement riche. D6filent, en effet: des pionniers, des 61&ves de centres de formation profession- nelle, les anciens combattants et veuves de guerre, les syndicats de travailleurs, les organisations de femmes et de jeunes du parti, les miliciens et militants du

parti, I'arm6e dans ses diverses unites, la police, la gendarmerie, la garde r6publi- caine, les pompiers, chauffeurs de taxis, les secouristes et agents de la sante, des guerisseurs traditionnels, les chefs coutumiers, les majorettes, des representants des secteurs 6conomiques informels (revendeurs, etc.), les e61ves, coll6giens et

lyceens, les associations sportives, le genie rural, les associations culturelles. La caracteristique du defile est 6videmment l'ordre, auquel renvoie l'activit6 principale de l'tat 13, et l'integration dans cet ordre d'un maximum de personnes, de groupes et d'activit6s. L'Ttat manifeste bien sa tendance profonde 'a tout ordonnancer, a tout se lier, i tout se rattacher, comme s'il suffisait que les acteurs sociaux defilent sous son effigie pour que le pouvoir moderne s'affirme sur eux. Et c'est un peu vrai, car l'autorit6 de l'Etat, son emprise sur la societ6 civile s'arretent souvent 1a, a cette apparence, 'a ce simulacre. Mais le symbole qui nourrit

l'ltat est plus fort que la r6alit6 et lui permet de se contenter, presen-

tement, de l'illusion.

Les cer6monies officielles prennent fin par la reception offerte par le chef de l'1tat 'a toutes les personnalites nationales et 6trangeres, cependant que la population assiste a des spectacles sportifs ou se livre, corps en fete, a des

activites ludiques (bals...).

Tels sont, trbs grossibrement rapport6s, les segments essentiels et stables des c6l6brations officielles qui, rassembl6s, fonctionnent comme une veritable

13. Cf. G. A. HEEGER, The Politics of Underdevelopment, Mac Millan, 1974 : < L'ur- gence no 1 pour les societes sous-developpees du point de vue politique est la recherche de

l'ordre et non du developpement >>, cite par J. F. MEDARD, op. cit.

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structure, tant leur presence s'impose mutuellement pour fournir 'a la totalit6 cre6e un sens bien d6fini. Les c6l6brations officielles se deroulent identiquement selon un mode r6plicatif de gestes de base. I1 apparait, d'autre part, que l'officiel n'investit pas continuellement la c6l6bration. Il1 se r6vile par flux et reflux et surtout le jour consacr6 par le calendrier national apris des preparatifs qui peuvent durer une semaine. Puis il s'6vanouit de nouveau pour laisser place 'a la liesse pl6b6ienne. Le rite propose donc deux phases, l'officielle et la profane. Et la hierarchie des valeurs est bien martel6e": l'officielle le temps fort, I'apparat, le symbole, I'Autorit6 et l'Institu6, au profane l'amusement, le non- serieux. Le profane procede de l'officiel-sacr6, n'existe que par lui, est structure par lui.

/// - IDEOLOGIE ET STATUT

Comme productions symboliques, l'6tude des cle6brations peut contribuer acti- vement a la p6n6tration scientifique de l'ideologie des regimes africains. Si la philat6lie a pu fournir un champ d'analyse pour le chercheur politique 14, que dire alors des fetes officielles qui paraissent presenter un double avantage puisque < l'image tout autant que le discours r6vble les intentions politiques 15 >. C'est peut-etre ici le lieu de pr6ciser le concept d'ideologie, s'agissant de l'6tude des problemes africains. Des trois connotations relev6es par G. Caire 16, on n6gligera la premibre, peu pertinente ici (<< conception du monde... >) pour retenir les deux suivantes: << force de mobilisation des 6nergies >, capable de << donner des directives individuelles et collectives 17>> et entreprises d"<< opacification du r6el >, < apolog6tique et antonymificatrice 18 >> relevant du < statut de la fausse conscience 19 >. Dans ce dernier cas, est mise en valeur la capacit6 d'occultation de la r6alit6 si importante dans l'6tude de la vie politique contemporaine d'Afrique noire.

Ces c6l6brations, a travers les gestes et les paroles qu'elles d6veloppent, sont porteuses de valeurs. Non pas valeurs atteintes et exaltees dans leur accomplis- sement, mais valeurs de r6ffrence que l'ensemble social, ou plut6t le pouvoir, se propose virtuellement d'atteindre 20. Ainsi se constitue l'image que le pouvoir peut donner de lui, veut livrer h l'opinion. Cette fixation sur le mode du < sollen > et non sur celui, plus prosaique, du < sein > donne une apparence d'activit6 au

14. Cf. HUBERT et LABBa, <<50 ans de timbres sovietiques >>, Revue frangaise de science

politique, d6cembre 1973, pp. 1157-1170. 15. R. SANSON, op. cit., p. 39. 16. G. CAIRE, <<Ideologie du developpement et developpement de l'id&ologie >>, Revue

Tiers-Monde, tome XV, no 57, janvier-mars 1974, pp. 5-30. 17. D6finition tiree de M. RODINSON, << Sociologie marxiste et ideologie marxiste >>, dans

Diogene, octobre-d6cembre 1968. 18. G. CAIRE, art. cit., p. 5. 19. G. LUKAcs, Histoire et conscience de classe, Editions de Minuit, 1960. 20. Voir, supra, les themes de cle6bration: ind6pendance, republique, d6mocratie,

jeunesse, revolution...

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396 CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

pouvoir et le dispense en meme temps de la r6alisation des objectifs chants 21 Car ce qu'6crivait Georges Balandier '

propos des soci6t6s qui < ne sont jamais ce qu'elles paraissent tre ou ce qu'elles pretendent etre 22?> nous semble etre bien autre chose qu'une caract6ristique ponctuelle du pouvoir africain : son principe actif et d6terminant. Les fetes officielles sont parties prenantes de cette < tentative de contr6le symbolique de la r6alit6 ia laquelle on attribue inconsciemment une port6e instrumentale 23 >. Elles nourrissent commod6ment < l'illusionnisme poli- tique 24 >> qui fait toute la sp6cificit6 de l'Ftat africain pr6sent.

Mais la relation symbolique du pouvoir au corps social est affect6e direc- tement par la nature objective de la cel6bration. Or celle-ci ne se r6duit pas aux seules c6r6monies, meme si elles sont essentielles ; elle donne lieu ia des ? productions > connexes qu'il convient maintenant d'6valuer. Des rigles juridiques et des mesures sociales sont en effet d6cid6es a l'occasion des c616brations officielles, qui en fixent le statut v6ritable. Par elles, on peut induire le cr6dit que le pouvoir accorde a la fete, par elles on peut appr6cier l'efficacit6 des fonctions d6volues aux cl66brations dans le systeme politique. Le r6le, mobilisateur notamment, qu'elles peuvent jouer depend essentiellement de leur statut. Leur condition

6conomique est, bien stir, essentielle. La grande majorit6 d'entre elles se d6roulent lors de journ6es ch6m6es et payees, ce qui n'a guere de signification pour les masses paysannes qui constituent, de beaucoup, le contingent le plus nombreux des populations, mais qui revet de l'importance pour les citadins, salari6s des secteurs public et priv6 qui sont, eux, des protagonistes privil6gi6s des c616- brations25. Avant tout, la fete est pour eux cet instant heureux de repos r6munr6 ; par le ch6mage pay6, la fete de l'1Ftat devient un peu la fete de chaque salari6. L'inactivit6 r6tribu"e offre un terrain favorable de r6ceptivit6 aux mots d'ordre et de < participation > accrue. L'analyse de l'efficacit6 du commerce symbolique pouvoir/citoyens ia travers les c6l"brations doit n6cessairement prendre en compte cet aspect alimentaire fondamental qui renvoie le vrai visage de la fete officielle, en exprimant la maniere dont celle-ci est v6cue. Sinon, I'analyste politique pourrait se voir reprocher le d6faut d6jai relev6 ' l'endroit des historiens, accus6s d'avoir interpr6t6 les fetes comme l'entendaient leurs organisateurs, d'avoir

manifest6 une si grande complaisance au volontarisme dirigeant quand il aurait fallu aller au-deli du < sens recherche et proclam6 vers le sens v6cu 26 >>. Il1 est

ais6 de montrer, a contrario, qu'il suffit que la fete ne soit pas agr6ment6e du

21. < Regle profonde et toujours v6rifi6e, qui devrait devenir un theorime d'interpr6- tation politique : le regime qui parle le plus de telle valeur est celui qui consciemment ou inconsciemment la nie et l'empeche d'etre >; J. ELLUL, op. cit., p. 14.

22. G. BALANDIER, Sens et puissance, Paris, P.U.F., 1971, p. 7. 23. J. F. MIIDARD, art. cit. 24. Ibidem. 25. Qui ont lieu exclusivement dans les centres urbains. On remarquera la minutie que

met le pouvoir a pr6ciser par le d6tail la r6glementation du ch6mage en cas de c616bration ; voir, par exemple, la loi du 12 juin 1967 et I'ordonnance du 26-9-1972 fixant le regime des f6tes 16gales dans la R6publique du Cameroun.

26. M. OzouF, art. cit., p. 266.

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CELEBRATIONS OFFICIELLES ET POUVOIRS AFRICAINS 397

ch6mage pour que la c6l6bration soit ramen6e au rang d'un simple rappel historique dans un discours presidentiel 27.

Un autre e1ement, negatif cette fois, precise le statut de la cel6bration officielle. Les 16gislateurs d'Afrique noire, pour marquer la solennit6 de la journ6e, ont d6cid6 la suspension des activit6s judiciaires : les d6bats sont g6n6ralement proscrits, de meme que sont exclus les significations et les actes d'ex6cution 28 Sur le plan symbolique ce fait est tres important: a l'occasion de la fete, l'Etat tout entier doit tre tourn6 vers les c6r6monies, s'abandonner pleinement au rappel exalt6 du pass6. Il ne peut y avoir concurrence de preoccupations ou

r6serves. Pour ce faire le pouvoir va jusqu'a decr6ter le non-fonctionnement de l'Etat dans une activit6 qui lui est, historiquement et/ou constitutionnellement, la plus li6e. On ne peut trouver souci plus manifeste de m6nager un maximum d'attention et d'effet a la c616bration. Mais la suspension des activit6s judiciaires n'empeche pas, a l'occasion de la fete, le jaillissement de la justice, non plus comme production d'une institution sp6cialis6e de l'Etat, mais comme 6manation quasi m6taphysique du pouvoir. Des decisions spectaculaires sont prises, qui se trouvent etre gen6ralement des octrois de grace 29, par quoi le gouvernement, dans sa superbe munificence, rompant I'ordre politique d'ici-bas, 6vacuant la banalit6 quotidienne, rappelle le commerce privil6gi6 qu'entretient, historiquement, la puissance temporelle avec les divinit6s. C'est le fait-du-prince, acte par lequel l'arbitraire superieur s'impose au monde plkb6ien.

La < divine surprise > peut aussi se manifester, par la bouche autoris6e du chef, dans le domaine social, par l'annonce de mesures propres a satisfaire les populations 30. On ne saurait enfin oublier de faire mention des 6volutions sportives, r6jouissances diverses, spectacles de toutes sortes qui gravitent autour des c61&- brations. Ils montrent en quoi la f&te politique moderne est l'h6ritiere d'un appareil festil ancestral et completent, sur le plan ludique, ses caracteres statu- taires: la perpetuation pr6sente du vieux principe panem et circenses assure la cristallisation des int6rets et des attentions a la c616bration.

Le statut ainsi constitu6 de la fete officielle ne fait pas que comporter des caract6ristiques ext6rieures ou des notations pittoresques. Il d6termine profon-

27. Voir, par exemple, la f&te du 5 aofit 1966 (ind6pendance) en Haute-Volta qui n'a donne lieu qu'd un message du chef de l'Etat, A l'exclusion de cer6monies et r6jouissances.

28. Cf., par exemple, la loi no 16-61. AN. instituant les f&tes 16gales de la Republique de Haute-Volta et I'Ordonnance modificative du 28 d6cembre 1968.

29. Voir, par exemple, la f&te du 13 janvier 1976 au Ghana: des peines de mort sont commuees en peine d'emprisonnement, dans Annee africaine 1976, C.E.A.N., Bordeaux, Pedone (ed.), p. 425 ; voir, 6galement, la f&te du 19 novembre 1977 au Mali, ofi 33 detenus ont 6t6 gracies.

30. Voir, par exemple, la fete du 13 janvier 1977 au Togo oi le G6ndral-pr6sident annonce trois mesures rejouissantes : 1) augmentation de 15% de tous les salaires, 2) allo- cations familiales doubl6es pour les agents permanents du secteur public, 3) exon6ration du paiement de la taxe civique par les paysans. Ces mesures sont pr6sent6es dans la presse comme un ( somptueux cadeau d'Eyad6ma >>, une nouvelle preuve de la o sollicitude du guide de la nation >.

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398 REVUE CANADIENNE DES ETUDES AFRICAtNES

d6ment la nature de la f te d'Eitat et ne peut tre 61ud6 dans l'analyse des fonctions de celle-ci. La mobilisation, on l'a note, procede surtout des conditions 6cono-

miques et ludiques r6serv6es 'a la fete officielle : il serait faux de l'appr6hender isol6ment de ces deux facteurs. Ce que l'analyse gagnerait en subtilit6, elle le perdrait, perte irreparable, en r6alisme.

IV- CELEBRATIONS OFFICIELLES ET TEMPS DU POUVOIR

Les f&tes officielles ne r6velent pas seulement des ideologies, elles traduisent aussi la philosophie d'un pouvoir politique qui ne s'exerce pas exclusivement dans l'espace - sur des hommes, dans un territoire, ' travers des institutions - mais qui s'inscrit 6galement dans la dur6e et se d6veloppe selon des rythmes particuliers. Jean Zi6gler a d6jh mis en avant la relation du temps et du pouvoir et, 6tudiant le premier terme comme repr6sentation, il en a retenu les aspects philosophiques et psycho-sociologiques 31. On voudrait ici mettre l'accent sur le temps, vecteur fondamental du pouvoir politique, avec lequel cependant le commerce peut tre

vari6: le pouvoir < joue > avec lui, peut le manipuler, presque le nier, en

marquer les moments forts, l'affecter de jalons particuliers en participant A l'ceuvre de rep6rage du temps social en quoi consiste le calendrier 32

Les c6l6brations officielles manifestent cette permanente volont6 de maitriser le rythme historique des groupes sociaux en s'imposant des respirations. Le pouvoir politique apparait bien comme l'organisateur du temps public par l'am6nagement du calendrier national. Les pouvoirs africains modernes ne d6rogent en rien '

cette propension profonde et universelle. Ils sont meme conduits a une grande prolificit6 dans cette matiere, aides en cela par les vicissitudes et les soubresauts qui les affectent r6gulierement et qui pr6parent un terrain de choix pour les entreprises de c616bration d'6v6nements politiques.

Mais la fete officielle renvoie aussi ' un autre rapport que le pouvoir peut entretenir avec le temps. Il1 est exprim6 par H. Lefebvre qui, dans un livre riche d'id6es fulgurantes, nous fait notamment remarquer :

Consid6rons les monuments, les 6difices, les palais. Le projet dominateur qu'ils [les promoteurs des institutions] disent et dissimulent dans leur grandeur, a savoir la mise en scene et la mise en spectacle du pouvoir politique, sa representation, ce projet se cache derriere la capacit6 de durer, (...) les signes de l'&ternel n'ornent pas vainement la monumentalit6 33

I1 en est de mime pour les c6r6monies et les rites.

31. Cf. J. ZIIGLER, Le pouvoir africain, Paris, Seuil, 1971, pp. 126ss. 32. On notera au passage la faillite epist6mologique de la politologie qui neglige g6n&-

ralement d'int6grer dans ses analyses la dimension historique - non le passe mais la duree -

qui constitue pourtant une categorie du politique. 33. H. LEFEBVRE, De l'ttat, Paris, 1978, U.G.E., tome 4, pp. 42ss.

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On rejoint, par 1, le < principe de conservation >, sur lequel J. Duvignaud voit reposer la loi instituant la fete nationale :

Parce qu'elle pretend ramener pour quelques heures les citoyens en l'&tat d'inno- cence spontanbe des d6buts du grand changement, elle rend institutionnel et d6finitif le r6sultat de ces changements. Commemorer est d'abord maintenir... 34

Ce principe de conservation sous-tendu par les c616brations officielles est bien

v6rifi6 par les historiens i l'occasion de l'analyse des fetes r6volutionnaires :

chacun attend de la fete qu'elle enseigne la R6volution ' ceux qui ne l'auront pas directement connue 35

L'exaltation du moment premier, instant lib6ratoire ou innocent, v6ritable mythe des origines, qui assure cette fixit6 historique passe pr6cis6ment par la fonction p6dagogique de la fete, v6ritable 6cole ou se dispense la culture civique nationale. La r6p6tition des c616brations accentue encore l'immobilit6 temporelle des valeurs encensees.

Ce moment originaire, c'est, la plupart du temps, le jour de l'ind6pendance et le jour de proclamation de la R6publique, f&t6s quasi unanimement par les pays africains 36. L'6v6nement initial peut, dans son d6roulement, ne pas avoir

concern6 l'ensemble des populations. Pr6cis6ment, la fete va permettre - ou simplement tenter - la c616bration par le groupe national de l'acte originaire qui ne l'avait pas touch6, mais dont le pouvoir veut montrer quel horizon nouveau il ouvre a la vie publique. C'est pourquoi les accessions au pouvoir de coteries civiles ou militaires font souvent l'objet de fRtes officielles 37 car elles sont pr6sent6es par leurs auteurs comme le debut d'une bre politique nouvelle pour l'ensemble national.

L'exaltation est toujours celle d'un acte de naissance : soit de l'Ftat libre et souverain, soit du d6tenteur du pouvoir. On n'oublie pas que < comm6morer, c'est aussi enraciner et sacraliser la continuit6 historique (d'une nation) 38 >. Ainsi la fete chante l'6v6nement premier, le mythe des origines que plus rien ne peut alt6rer, subvertir, corrompre. Curieusement, c'est en exploitant les ressources du temps que la fete tend, a la limite, a le nier: fixant les valeurs c616br6es, elle les arrache au d6roulement irreversible du temps et les pr6serve de son cortege d'al6as, d'ind6termination, de renversement. Elle les met a l'abri des attaques, du changement, de la mode id6ologique. Mais elle tend aussi, finalement, a les r6int6grer dans l'histoire - repr6sentation du temps - en les fixant, a l'aide de la liturgie r6p6titive, dans les m6moires. Cette intolerance au changement permet de comprendre pourquoi la c616bration officielle consacre aussi des entreprises de conqu~te du pouvoir. Elle pr6munit en fait contre le danger de voir comm6morer un acte initial subversif qui peut offrir valeur d'exemple. S'il est vrai que cet

34. J. DUVIGNAUD, op. cit., p. 124. 35. M. OzouF, art. cit., p. 259. 36. Cf., supra. 37. Cf., supra. 38. R. SANSON, op. cit., p. 5.

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6v6nement originaire vant6 est quelquefois propre 'a aiguiser des tentations nouvelles, il est vrai aussi que la conquete du pouvoir est pr6sent6e comme exceptionnelle, n6cessaire, et insusceptible de recommencement effectif. La seule

reproduction ia laquelle elle donne lieu, .

l'occasion de la fete, est celle, symbo- lique, de son sens historique. Ainsi la comm6moration se pr6sente-t-elle bien comme une conjuration 39.

Le discours autoris6, produit ia l'occasion de la c616bration, propose prolon- gements et illustrations de cette philosophie politique. Sa construction sur un mode binaire d6tourne d'une lecture lineaire du temps social. L'acte originaire c616br6 se pr6sente comme ligne de partage, distribuant l'histoire de la nation en un avant infernal, un aprbs 6d6nique. Au milieu est place l'6v6nement magnifi6, qui tire sa n6cessit6 du chaos pr6c6dent et fonde sa 16gitimit6 sur le bonheur retrouv6. Ce manich6isme historique est certes sous-jacent & tous les discours qui s'ordonnent autour des fetes officielles ; mais la multiplicit6 des renversements de pouvoir en

Afrique noire, en fournissant autant d'occasions d'encensement des conqu6rants eux-memes, accentue la lecture, dichotomiquement valoris6e, du temps politique. Quelques extraits de d6clarations suffiront ici

ce 30 novembre (1969) oii chaque Togolais a chang6 son fusil d'6paule pour se soumettre volontairement a la dynamique salvatrice apport6e par le R.P.I. (parti unique) dont les pr6ceptes doivent servir de passerelle entre le pass6 douloureux des masses opprim6es et l'avenir r6volutionnaire, radieux et prometteur de notre pays... (Togo, fdte du 30 novembre 1977).

Ce 22 septembre (1960), notre peuple s'est r6solument engag6 e construire une nouvelle soci6t6 (Mali, fete du 22 septembre 1968).

Notre pays 6tait alors au bord du gouffre puisque les finances publiques, entre autres, allaient chaque jour p6riclitant... (Haute-Volta, fete du 3 janvier 1970).

Le pays vivait sous un r6gime de coup de force contre les institutions 16gales et les instances 6lues du Parti. Cette situation avait conduit le pays dans l'impasse... Ce coup d'etat du 19 novembre est venu mettre un terme ' cette situation (Mali, fdte du 19 novembre 1976).

Cette faron d'aborder l'histoire dans le discours autoris6 et qui a pour fonction id6ologique de souligner la n6cessit6 de l'intervention du gouvernant en place, de susciter l'adh6sion envers un acte quasi providentiel, est extraordinai- rement pr6sente dans le message a la nation livr6 par le g6n6ral-pr6sident du Togo, Eyad6ma,

' l'occasion de la comm6moration du 10e anniversaire de sa prise du pouvoir. L'expression en est si limpide, I'intention si explicit6e, qu'il est ais6 de constituer, dans l'histoire relue, deux masses valoris6es de faits qu'on peut affecter, la premibre, d'un signe n6gatif, la seconde d'un signe positif. L'axe d'antisym6trie figure l'intervention salutaire, r6sultante n6cessaire des deux forces oppos6es. Ti suffit alors d'aligner de chaque c6t6 les attributs et qualifications utilis6s dans le discours :

39. Cf. M. OzouF, art. cit., p. 268.

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Temps anterieur Temps o Temps posterieur (-) (+)

- d6sordre intervention du - progres essentiels - anarchie leader donnant - efforts consid6rables - haine naissance au <<mythe - r6sultats incomparables - reglements de compte des origines >>, - nation solide - multitude de maux necessit6e par - nombreuses r6alisations - pays au bord de l'abi^me - grandes creations du - jeux politiques pervers lgitimbe par parti - pas d'unit6 nationale - r6formes fondamentales - peur et ins6curite - actions d6cisives - arrestations arbitraires - ordre - pas de d6veloppement - paix - querelles partisanes - union - rivalites de clans - solidarit6 - luttes d'h6g6monie - pouvoir au peuple

(Togo, f&te du 13 janvier 1977)

Les c616brations officielles, et les discours toujours semblables qu'elles livrent, traduisent bien la particularit6 de la representation, par le pouvoir politique, du temps.

V -FETES DE LA NATION OU AFFAIRES D'ETAT ?

Les acteurs nationaux, on l'a vu, sont presents tout au long des c6r6monies et

r6jouissances. D'abord, ce sont eux qui animent les phases non officielles des

c616brations. Ensuite ils sont des protagonistes nombreux et constants du rituel de la fete : plebe exhort6e a chanter les valeurs du pouvoir et plebe rassembl6e, regroup6e et d6filant. On remarque d6ja que la nation n'est ici pr6sentee, en tant qu'etre social, que symboliquement: son uniformit6 et son ordre sont tres artificiels (d6marche ext6rieure, vetements), sa pr6sence nombreuse doit souvent plus a l'efficacit6 de l'encadrement urbain par le pouvoir40 qu'au zble mfi par l'identification a l'6v6nement c616br6. Aussi, qualifier certaines c616brations offi- cielles - mime celles marquees par une participation populaire - de fetes nationales est soit un abus de langage qui fausse l'analyse, soit une fid61it6 condamnable au discours id6ologique de l'Etat41. La c616bration officielle, quel que soit le degr6 de l'intervention pl6b6ienne, est avant tout la fete de l'Etat. On le verra plus clairement a travers certains aspects de ce solipsisme c616bratif auquel se livre l'Etat africain.

Le probleme majeur des 61lites africaines demeure toujours la construction de l'1Etat. Elle est, depuis les independances, a l'ordre du jour permanent des activit6s du pouvoir. IAluder

cette priorit6, ce serait risquer de m6connaitre les

40. Au Togo, par exemple, la mobilisation (au sens presque militaire du terme) est assuree par des salves de canons qui invitent la population a se reveiller et a se rassembler dans les stades.

41. Meme (surtout) en presence d'allocutions dont les thames favoris sont l'unit6 nationale, la construction nationale, etc. Chacun sait que la nation est a faire.

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ressorts essentiels de la vie politique africaine et de mal analyser ses d6velop- pements 42

La c616bration officielle peut souvent etre glorification de la direction

politiques du pays, soit par r6cup6ration des vertus abstraites, soit tout simple- ment par mise en place des fetes ad hoc. Toutes cependant sanctifient au moins le chef a qui sont destines chants d'encouragements des masses et congratulations des subalternes politiques et administratifs, ou la structure juridique (rh6torique) de formation du pouvoir (parti, parlement...).

La fete est 6galement l'occasion d'une d6monstration du fonctionnement de

l'appareil d'Itat, l'exercice de mobilisation de ses divers rouages. La fete de la

jeunesse au Cameroun (11 f6vrier), 'a c6t6 de la participation juv6nile contrainte et d6risoire 'a des travaux de nettoyage a laquelle elle donne lieu, offre le spectacle essentiel d'un activisme de tous les responsables locaux du parti, des organisations politiques de jeunes, des administrateurs pr6fectoraux et sous-pr6fectoraux, des chefs d'6tablissements scolaires, soucieux de se montrer respectueux des directives du pouvoir central (arret du programme des manifestations, encadrement, pr6si- dence des c6r6monies, etc.). Un sous-pr6fet est alors en droit de conclure que < la fete de la jeunesse est une institution politique de l'tat 43 >>.

La fete officielle est le moment propice a la floraison des bilans. Bilans d'activit6 des instances dirigeantes 6videmment. Ainsi, au Cameroun (fete du 20 mai 1976), chaque ministre a 6t6 invit6 a pr6senter son travail, ses r6sultats dans le journal national. Mais ce n'est pas n'importe quel bilan qui a 6t6 trac6 : dans chaque monographie la d6monstration a exclusivement port6 sur l'effort d'harmonisation des statuts et r6gimes, d'uniformisation des gestions, sur la r6duction des disparit6s, sur les chances d'6galisation par des r6glementations nouvelles, bref sur tout ce qui tend a r6sorber les diff6rences juridiques et '

d6velopper le contr6le objectif, abstrait du pouvoir central, sur tout ce qui parait fortifier la construction de l'ttat. On ne s'6tonnera pas, des lors, que les seuls

d6partements minist6riels qui aient rempli cette mission d' << information > sont ceux de la fonction publique, du travail et de la pr6voyance sociale44, les seuls a avoir contribu6 a l'oeuvre majeure d'affirmation du pouvoir 6tatique.

L'Mtat, grand organisateur et promoteur des c616brations, en est aussi, symboliquement, le b6n6ficiaire imm6diat. Une analyse rapide des remises de

d6corations, moment solennel du rite, r6vile que les r6cipiendaires sont presque exclusivement des acteurs 6tatiques, des agents qui, organiquement, participent a la construction de l'Etat. D'abord, certes, c'est le leader qui est vise par les distinctions. Ainsi, au Mali (fete du 22 septembre 1965), le socialiste Modibo Keita s'est vu attribuer toute une panoplie de d6corations: midaille d'or de l'Ind6pendance, collier de l'Ordre national, Grand-Croix de l'Ordre national,

42. Voir, par exemple, les problkmes de I' <int6gration >> r6gionale dont la fonction implicite est le renforcement du pouvoir &tatique, dans < R6gionalisme international et pouvoirs africains >>, par F. CONSTANTIN, art. cit.

43. Cameroon Tribune, 10 f6vrier 1976. 44. Cameroon Tribune, 23 et 24 mai 1976.

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CELEBRATIONS OFFICIELLES ET POUVOIRS AFRICAINS 403

m6daille d'argent du MWrite national avec effigie lion debout, m6daille d'argent du M6rite national avec effigie abeille 45. Ce sont aussi des agents plus modestes, mais pas moins essentiels, du pouvoir central qui b6n6ficient des distinctions: conseillers municipaux, d6put6s, administrateurs de l'Assembl6e nationale (Mali, f&te du 22 septembre 1965), ou encore commandant de cercle, maitre de second

cycle, agent technique de la statistique, commis d'administration, chef d'arron- dissement, directeur des Eaux et Forets qui reqoivent exclusivement les plus hauts ordres nationaux (Mali, fete du 22 septembre 1976).

Les dirigeants africains sont soucieux d'organiser les c616brations sur 1'ensemble du territoire qu'ils contr6lent juridiquement. Aussi les pr6fectures et sous-pr6fectures sont-elles le th6atre de c6r6monies qui n'ont rien a envier a celles de la capitale. Elles se pr6sentent comme une r6plique locale exacte de la liturgie officielle (Haute-Volta, 11 d6cembre 1976 ; Cameroun, 20 mai 1976; Mali, 22 septembre 1976 ; Togo, 17 janvier 1977, etc.). On y repbre tous les

616ments fondamentaux, a une 6chelle r6duite : discours, revue, d6fil6, attributs du pouvoir, d6corations, r6ceptions... Au fur et ' mesure que diminue l'impor- tance politique de la cit6, on assiste a un tassement corr61atif des autorit6s qui organisent et pr6sident les c616brations gouverneurs de r6gion, pr6fets, sous-

pr6fets, dirigeants municipaux. Le principe centralisateur de l'Etat se v6rifie tout autour de la zone nucl6aire dans une reproduction infinie de gestes et de

r6les. L'identification r6p6titive dans laquelle H. Lefebvre voit la logique de l'Institution moderne est confirm6e ici 46.

Mais l'affirmation de l'Etat ne se r6alise pas seulement dans les fetes officielles

politiques. Elles en sont certes un lieu de d6monstration privil6gi6 mais d'autres fetes qui, originairement, ne mettent pas en cause la structure politique moderne, sont cependant en Afrique noire investies avec succes par le pouvoir central. Les 1er mai et ler janvier 47 sont nettement orient6s dans le sens 6tatique: ils sont I'occasion d'une mise en avant des personnalit6s et des instances de l'Etat: vceux pr6sent6s au chef de l'Ftat, discours du leader ou d'un ministre, mobilisation des agents administratifs et politiques, pr6sence du corps diplomatique, etc. (Haute- Volta, ler janvier 1975 ; Togo, 1er janvier 1977). A cette occasion l'allocution officielle est presque exclusivement consacr6e aux problimes de la fonction

publique (Haute-Volta, ler mai 1975) 48, quand elle n'est pas tourn6e vers les themes purement politiques (unit6 nationale, d6veloppement autocentr6 : Came- roun, ler janvier 1976 ; rappel des d6cisions du parti : Togo, 1er janvier 1977). Ultime preuve de la r6cup6ration 6tatique de ces fetes quand le traditionnel d6fil6 des travailleurs part de la permanence du parti (Cameroun, 1er mai 1976).

45. L'Essor du Mali, 27 septembre 1965. 46. H. LEFEBVRE, op. cit., tome 4, pp. 52ss. 47. On ne parlera pas ici des fetes consacr6es aux pouvoirs traditionnels et marquees

par la pr6sence et quelquefois la caution des autorit6s modernes; elles pr6sentent alors un parfait syncr6tisme.

48. 11 est vrai que de fagon g6ndrale en Afrique noire les problemes sociaux ou syndicaux sont en fait des problemes touchant les fonctionnaires. Un exemple: au Togo, 'a l'occasion de la fete du ler mai 1977, dans le traditionnel cahier de dol6ances pr6sent6 par les travailleurs au chef de l'Etat, les onze propositions formul6es concernent directement le personnel ou l'activit6 de l'Eitat. (Togo Presse, 3 mai 1977.)

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404 CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

VI - CONCLUSION

Les c6l6brations officielles - dont les f&tes pr6tendues nationales - sont moins le fait d'une m6moire collective qui s'arreterait avec r6gularit6 sur des moments

exceptionnels du pass6 que le produit exclusif d'une structure politique bien identifiable, en quete de ressources, principalement symboliques, pour se conforter, s'imposer aux acteurs sociaux et au temps. C'est pourquoi, au demeurant, ces

c616brations africaines ne peuvent rappeler exactement les premieres fetes r6volu- tionnaires frangaises qui exaltaient les sentiments d'une communaut6 politique particulierement pr6sente et active dans l'6v6nement initial magnifi6. Elles relevent ici d'une 6vidente d6termination externe; l'acceptation d'un tel h6ritage sans

b6n6fice d'inventaire entraine les 61ites africaines dans des oeuvres de consolidation sociologique aussi n6cessaires que d61icates car fort ambigues.

Tous les 616ments factuels pr6sent6s dans ces pages s'opposent ' une

conception < nationale > des c616brations officielles. Les unites liturgiques nous en avaient d6jai dissuad6s 49. De meme, doit-on se d6tourner d'une explication

id0ologique car des r6gimes qui se rattachent 'a des conceptions philosophiques

ou se situent dans des mouvances internationales bien diff6rentes sacrifient de la meme faron, avec les memes automatismes, a ces rites-lt: le Mali socialiste (sous Keita) comme la C6te d'lvoire lib6rale, le Togo militaris6 comme le Cameroun discursivement attir6 par le d6veloppement autocentr6.

Rattach6es au contraire 'a la seule structure politique qui les enfante, les conditions d'existence des c616brations officielles gagnent en clart6. Le sens et la fonction de celles-ci deviennent plus intelligibles. Participant essentiellement a la construction de l'tat, elles montrent par quoi l'organisation politique moderne se r6alise en dehors de la norme sociale explicite, en dehors de la loi et du droit, en dehors de la monopolisation de la violence 16gitime, dans l'allocation de valeurs, de signes propos6s a l'exaltation publique qui contribuent 'a la concr6tion d'un fonds politico-culturel collectif, et forgent de nouvelles all6geances dans un ensemble social dont l'unit6 est encore a faire. L'analyse des c616brations offi- cielles, en tant que pratiques et symboliques propres a lI'Etat, explique leur

universalit6 et leur permanence : a travers l'espace, a travers le temps, a travers des hommes et des r6gimes qui se proclament diff6rents, 'a travers des organisations juridiques dissemblables,

' travers des id6ologies concurrentes. Le principe, c'est la g6n6ralisation du meme recours aux memes c616brations. La seule existence meme formelle de l'tat parait imposer d'elle-meme ces pratiques. On en conclura provisoirement que les tropismes sociologiques profonds - dans lesquels on peut situer le renforcement de l'3tat - transcendent les volont6s conscientes et les discours officiels. On en conclura aussi que, pour certaines productions, l'Etat atteint

. une sorte d'autonomie en provoquant, par sa logique interne, des attitudes

semblables. On peut certes exciper de l'artificialit6 de la production 6tatique pr6sent6e ici. Ce serait cependant hatif: il n'est pas du tout dit que ce qui nous appara"it secondaire ne constitue pas pr6cis6ment I'activit6 essentielle de l'itat africain en rupture de pesanteur sociologique.

49. Cf., supra ? 2.

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