Chapitre 21
Effet boule de neige
Ce lundi 25 mai, Bison-Farceur m'accueillit gentiment :
«Alors Cheval Virtuel, ça va mieux qu'hier ? Tu as réussi à
dormir ?
- Couci-couça... J'espère que votre ami journaliste va nous
répondre rapidement !
- T'inquiète pas pour ça ! Tu sais, Christian il est toujours là
quand on a besoin de lui pour faire un article...Y'a pas de raison qu'il ne
vienne pas nous aider alors qu'on est dans le pétrin... Je te parie un
carambar qu'on a de ses nouvelles ce matin !
- Tenu ! Mais j'espère que je vais perdre !
Le maître nous interrompit :
- Dites, les enfants, vous pourriez aller voir sur le site à quel
point on en est...
- Bof... Si c'est comme hier...
- Treize visites et vingt euros de plus, lança Bison Farceur
quelque minutes plus tard.
- C'est pas comme ça qu'on va y arriver», marmonnai-je.
Nous commençâmes à travailler mais le coeur n'y était pas.
Nous avions tellement envie d'entendre la sonnerie du téléphone !
D'habitude, elle arrivait toujours au mauvais moment, quand le maître
faisait une leçon ou quand on chantait... Et à chaque fois, Grand-Sachem
soupirait ou râlait... «Ca y est... ça recommence !» avant de décrocher.
Mais ce matin là, rien ! Pas un coup de fil avant la
Opération Cheval Virtuel
récréation !
A onze heures, tout le monde sorti en récréation sauf Lapin-
Timide qui était de service et devait donc essuyer le tableau et arroser les
plantes. Le téléphone sonna. Lapin-Timide hésita avant de décrocher : il
m'avait déjà confié que quand il était de service, il ne répondait jamais à
cause de sa timidité. Pourtant, le maître nous avait expliqué comment
faire. Mais c'était plus fort que lui : au moment de décrocher, il restait
paralysé par le trac. Ce fut sûrement très dur, mais il prit son courage à
deux mains (en même temps que le téléphone !) et réussit à bredouiller :
- A... a... allo , E... é... école de Ru... Ru... Ruffec...
- Bonjour ! Ici Christian du « Journal du Centre». Puis-je
parler à ton maître s'il te plaît ?
- Oui, bien sûr ! Il est dans la cour, je vais le chercher !
Nous vîmes Lapin-Timide sortir en trombe en criant :
«M'sieur, M'sieur, c'est le journaliste au téléphone !»
Le maître se précipita dans la classe pendant que Lapin-
Timide frappait dans nos mains en s'exclamant :
«J'ai réussi ! J'ai réussi à décrocher le téléphone !
- Super ! Tu as vu que ce n'était pas si dur !
- Bon, ben, je crois que j'ai perdu un carambar !
- Eh oui ! Je vais même en donner la moitié à Lapin-Timide,
il le mérite bien !»
A ce moment là, le maître ressortit et frappa dans ses mains.
«On rentre, les enfants.»
Nous étions déjà en rang car nous brûlions d'impatience :
qu'avait répondu Christian ?
«Bonne nouvelle ! Christian vient à quatorze heures !
- Qu'est-ce qu'il a dit, M'sieur ?
- Et bien, je lui ai expliqué nos difficultés et il a eu l'air très
Opération Cheval Virtuel
intéressé par votre action pour aider Philippe. Cet après-midi, il va falloir
que vous soyez convainquants pour qu'il écrive un bel article et que les
lecteurs soient touchés par votre histoire !
- Ne vous inquiétez pas M'sieur, on y arrivera !»
Nous décidâmes d'abord de ranger la classe, afin qu'elle soit
belle sur les photos. Nous accrochâmes un panneau qui expliquait nos
activités pour aider Philippe : le site Internet, la soirée réveillon, la vente
de fleurs, de viennoiseries et de légumes du jardin de l'école, la fabrication
des épinettes et les projets de CD et de spectacle... Tout cela prit la fin de
la matinée et la récréation de la cantine. A quatorze heures, un mur entier
était tapissé de photos et de textes.
Le claquement du portail de l'école nous avertit de l'arrivée
de Christian.
«Bon, le voilà ! A vous de jouer, les enfants», lança Grand
Sachem.
Christian entra dans la classe.
C'était un petit bonhomme rondouillard, vêtu d'un bermuda à
carreaux et d'une chemise à rayures. Il portait des lunettes relevées sur son
front. Ses cheveux frisés et un léger zozottement lui donnaient un air
sympathique. Il était effectivement très gentil et il nous interrogea pendant
une bonne heure. Il noircit plusieurs pages de son bloc-notes avec nos
réponses.
Pour finir, il nous prit en photo devant le panneau de
l'Opération Cheval Virtuel et nous quitta vers quinze heures trente en
nous disant : «Ze suis très ému par ce que vous faites et z'espère que vous
allez réussir. Ze vais tout faire pour vous aider à faire connaître votre
Association et votre site Internet. Ze ne sais pas si la rédaction de mon
zournal acceptera de publier mon article en entier, mais ze vous promets
de faire tout mon possible. De toute façon, ze reste en contact avec vous
Opération Cheval Virtuel
et avec votre maître. A bientôt donc !»
Dès qu'il fut parti, nous interrogeâmes Grand Sachem :
«Alors, M'sieur, on a été bien ?
- Parfaits, les enfants, vous avez été PARFAITS ! Je pense
que Christian a été impressionné et qu'il ne va pas nous décevoir.»
Et je peux vous confirmer qu'il ne nous déçut pas ! Le
lendemain matin, plusieurs enfants avaient ramené le journal. Grand
Sachem avait le sourire jusqu'aux oreilles en accrochant la page «Une» au
tableau. Christian avait fait très fort : un encart annonçait l'article en haut
à droite : «Ruffec: les enfants passent à l'action !» En ouvrant le journal,
nous vîmes que l'article occupait une bonne moitié de la page deux, la
page départementale. Sous la photo, on pouvait lire : « Les élèves de
Ruffec comptent sur vous ! » Enfin, le texte de Christian était
remarquable : précis, intéressant et surtout émouvant. Il avait su trouver
les bons mots pour attendrir les lecteurs : amour des chevaux, amitié pour
Philippe, générosité et enfin solidarité... Il concluait en indiquant notre
adresse et celle du site Internet.
«Et ben, si avec ça on ne récolte pas d'argent, c'est que les
gens n'ont pas de coeur ! lança Rossignol.
- Tout à fait, répliqua le maître. Je crois qu'il faut remercier
Christian ! On lui fera un petit courrier en fin de semaine. »
Comme chaque matin, nous nous mîmes au travail : maths,
français... Vers dix heures, le téléphone sonna, en pleine dictée des CE2.
Grand Sachem décrocha, non sans avoir râlé, comme d'habitude.
«Allô ! Ecole de Ruffec...
- ...
Opération Cheval Virtuel
– C'est moi !
- ...
- Bien sûr que ça nous intéresse ! A quelle heure ?
- ...
- A midi ? Ca fait juste pour préparer, mais bon... C'est
d'accord !
- ...
- Très bien ! A tout à l'heure et merci !»
Le maître raccrocha le téléphone en souriant. Bison-Farceur
demanda :
- C'était qui ?
- Indre bleue Berry Sud, la radio... Il nous propose une
émission sur «Opération Cheval Virtuel» aujourd'hui, entre douze heures
et douze heures trente ! Lapin-Timide s'affola :
- Là, dans deux heures ?
-Et oui ? Ca fait un peu court, mais je pense qu'il faut sauter
sur l'occasion. Le journaliste, qui s'appelle Roland Dattier, a lu le journal
ce matin et il veut vous aider. Voilà comment ça va se passer : il va
Opération Cheval Virtuel
interroger trois d'entre vous. Chacun parlera d'une partie de notre action. Il
vous posera des questions et il faudra y répondre le plus clairement
possible. Entre ces trois entretiens, il y aura une chanson qu'il nous
propose de choisir.
- Il va venir ici pour nous interroger ?
– Non ! Il va vous interroger au téléphone. D'ailleurs, il
rappelle dans une demi-heure pour les titres et pour vous
expliquer quelles questions il veut vous poser. »
Nous commençâmes par choisir les deux chansons que nous
voulions entendre pendant l'émission: « Mistral gagnant », de Renaud et
« Le Gitan » de Daniel Guichard. Ensuite, nous choisîmes les thèmes que
nous voulions évoquer : je fus désigné pour décrire les problèmes du
Centre Equestre ; Abeille-Rieuse devait parler des actions que nous
avions lancées et Bison-Farceur devrait décrire les activités du Centre
Equestre. Enfin, Grand Sachem ferait la conclusion.
Le journaliste nous rappela peu après et nous nous mîmes
d'accord sur quelques questions. Il nous expliqua comment l'émission se
déroulerait. Il ne restait plus qu'à attendre midi... La demi-heure qui nous
séparait de l'interview nous sembla longue. Comme moi, Abeille-Rieuse
et Bison-Farceur avaient le trac.
Pour nous occuper et nous décontracter, le maître saisit sa
guitare et nous chantâmes quelques morceaux, non sans regarder la
pendule rouge raccrochée au-dessus du tableau. A midi moins cinq, la
sonnerie du téléphone retentit. Abeille-Rieuse, Bison-Farceur, le maître et
moi restâmes dans la classe tandis que les autres allèrent dans le BCD
pour écouter l'émission à la radio.
Opération Cheval Virtuel
Un standardiste nous fit patienter pendant le flash
d'informations du midi, puis nous entendîmes Roland lancer l'émission :
«Et voici maintenant, chers auditeurs, votre émission
quotidienne : «Aujourd'hui en Indre» avec des invités pas ordinaires pour
une action extraordinaire ! Les élèves de l'Ecole de Ruffec et leur maître,
Philippe Froideau ! Bonjour Philippe ! Alors, tous vos élèves sont prêts
pour cette aventure de vingt minutes ?
- Oui, bonjour à tous ! répondit le maître. Ils écoutent tous
attentivement !
Après une petite présentation de l'école, Roland interrogea
Bison-Farceur.
- Alors je crois que j'ai un petit garçon en ligne...Bonjour
Brice, quel âge as-tu ?
- Onze ans !
- Et tu veux nous parler des activités de ton école ? Qu'est-ce
Opération Cheval Virtuel
qu'on peut pratiquer dans l'école ?
- Et bien, après la cantine, entre midi et quatorze heures, on
fait du sport, on va à la bibliothèque, ou on découvre l'environnement, on
jardine ou on joue de la musique.. Et le jeudi après-midi, on va faire du
poney au Centre Equestre.
- Oh la la ! Vous avez de la chance ! Parle-moi un peu de ce
que vous faites au Centre Equestre...
- On apprend à panser les poneys, à seller et puis on fait des
pony games, du dressage, de la voltige, de l'hipologie et du horse-ball. Et
puis, en fin d'année, on part deux jours en randonnée avec les poneys et
une carriole. On dort sous la tente.
-Et bien dis donc, vous en avez de la chance ! Je suppose que
ça vous plaît ? Qu'est-que tu préfères ?
- Moi, c'est le horse-ball !
- Et tu as un poney préféré ?
- Moi, c'est Mistral, comme Mistral Gagnant parce que c'est
le plus rapide.
- Oh, bravo Brice, pour cette habile transition car nous allons
maintenant écouter cette chanson !
Pendant que le disque de Renaud passait, Roland nous parla
en dehors des micros :
– Bravo ! On dirait un journaliste professionnel !
A la fin du morceau, Yohann prit le combiné et Roland
annonça :
- Alors, je crois que maintenant, j'ai Cheval Virtuel au bout
du fil... C'est ton vrai nom Cheval Virtuel ?
- Non, bien sûr, c'est un surnom que m'ont donné mes
copains. En réalité je m'appelle Yohann.
- Et toi aussi, tu as un poney préféré, je crois...
Opération Cheval Virtuel
- Oui, c'est Orage.
- Et justement, c'est Orage qui est à l'origine de cette belle
histoire. Tu veux nous expliquer ?
Et Yohann réexpliqua une nouvelle fois toute l'histoire : la
gourme, le Centre en difficulté, l'incendie, les dettes de Philippe... Il mit
beaucoup d'enthousiasme et Roland sembla être ému...
Il lança le dernier disque, puis donna la parole à Abeille-
Rieuse, qui raconta toutes nos initiatives pour sauver le Centre. Elle
n'oublia pas d'indiquer les coordonnées de l'Association et l'adresse
Internet du site.
En conclusion, Roland indiqua qu'il y avait déjà beaucoup
d'appels au standard de la radio, et promit de soutenir notre action en
parlant régulièrement. Après avoir raccroché, Grand Sachem alla chercher
les autres élèves dans la bibliothèque.
- Bon, alors, qu'est-ce que vous en avez pensé ?
Opération Cheval Virtuel
- C'était super ! On a tout enregistré, comme ça, vous pourrez
réécouter l'émission, répondit Ecureuil-Studieux.
- Et bien maintenant, à table ! Moi, ça m'a creusé l'appétit !»
termina le maître.
Durant le repas, nous ne parlâmes que de l'émission. Nous
espérions tous qu'elle allait déclencher des visites sur le site. Dès notre
retour en classe, nous fonçâmes sur les ordinateurs pour connaître le
nombre de visiteurs : déjà trente-neuf visites en moins d'une heure !
C'était encourageant ! Mais le meilleur était encore à venir : il arriva sous
la forme d'un fax de France 3, la télévision régionale :
«Chers élèves de Ruffec,
J'ai entendu votre interview à la radio et je voudrais faire connaître votre
initiation en réalisant un reportage sur vous. Cela pourrait-il avoir lieu
demain mercredi ? Je sais que vous n'avez pas école, mais il faudrait agir
vite. J'attends votre réponse.
Signé : Jean-Pierre Lheureux»
Le maître le rappela aussitôt et le rendez-vous fut fixé à neuf
heures à l'école.
Le lendemain fut une journée bien remplie. Jean-Pierre
arriva avec deux techniciens : un cadreur avec sa caméra et un preneur de
son. Jean-Pierre, lui, posait les questions auxquelles nous répondions de
notre mieux. Nous tournâmes une partie du reportage à l'école, puis la fin
au Centre Equestre. Jean-Pierre était très patient car nous dûmes souvent
recommencer des «prises». Nous nous quittâmes vers midi, en promettant
à Jean-Pierre de lui donner des nouvelles.
Opération Cheval Virtuel
- J'y compte bien ! Ne loupez pas le reportage ce soir sur
Télé Berry à 19 heures! Avec un peu de chance, il pourrait être repris dans
les infos nationales ! Je vous tiendrai au courant !»
Inutile de dire que tous le magnétoscopes étaient branchés ce
soir-là... Parents et grands-parents étaient devant la télévision ; Ruffec
était «village mort» ce jour là à 19 heures ! Nous eûmes droit à des
félicitations pour notre prestation.
Comme l'avait laissé entendre Jean-Pierre, le reportage fut
repris par France 3 Orléans puis diffusé dans le «19/20» national le
vendredi. C'était vraiment formidable.
Les coups de téléphone se succédaient et les visites sur le site
se multiplièrent rapidement, tout comme les chèques d'ailleurs. Il en
arrivait tous les jours.
Le 4 juin, le maître me tendit une enveloppe.
- Tiens, Yohann, une lettre de ton ancienne école...
Opération Cheval Virtuel
Je la pris en tremblant et la décachetai lentement. Qu'est-ce
que ça pouvait bien être ?
A l'intérieur, se trouvait un chèque de 246 €, accompagné
d'un petit mot :
«Cher Yohann,
Nous avons vu le reportage à la télévision et nous avons visité votre site
avec le Directeur. Nous avons trouvé votre opération super et nous avons
organisé une collecte... Nous te souhaitons bonne chance et peut-être à
bientôt !
Sans rancune,
Michaël et le reste de la classe de CM2 de l'an dernier !»
Je restai éberlué : mon ancien ennemi m'envoyait une lettre !
Le Maître me demanda :
- Qu'est-ce qui t'arrive Yohann ? Tu as l'air bizarre !
- Eh bien, en fait, c'est simple : j'ai cassé deux dents à celui
qui m'envoie cette lettre et ce chèque... J'ai du mal à y croire ! J'avais peur
que ce soit une lettre du Directeur de Franconville, qui vous raconte
l'histoire... Ca fait dix mois que je crains qu'elle n'arrive... Maintenant,
vous êtes au courant.
- Ca fait dix mois que je le sais, mon petit bonhomme ! Le
téléphone, ça existe ! Ton ancien Directeur m'avait tout raconté en
septembre.
- Pourquoi vous ne m'avez rien dit ?
- Parce que je n'en ai jamais eu besoin. On peut changer,
non ? La preuve, tu n'es plus le même qu'à Franconville !
- C'est vrai, mais vous y êtes tous pour quelque chose !»
Opération Cheval Virtuel
Ca faisait beaucoup d'émotions pour la journée et je rentrai
chez moi heureux ce soir-là. Michaël avait laissé son adresse et je lui
écrivis une longue lettre...
Opération Cheval Virtuel