Compte-rendu
"Les enjeux de la cross-canalité à l’aune du commerce 4.0"
mercredi 4 Janvier 2017
Chaire E.Leclerc / ESCP Europe
"Prospective du
commerce dans la société 4.0"
PETITS-DEJEUNERS DU COMMERCE 4.0.
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"Les enjeux de la cross-canalité
à l’aune du commerce 4.0"
Experts réunis pour en débattre :
Pr. Régine Vanheems,
Dr. Dominique Moreno,
Et Erwin Cott (Multi-entrepreneur digital)
Le Pr. Régine Vanheems est auteur de l’ouvrage "Réussir sa stratégie cross et omni-canal",
primé "ouvrage remarquable" par la FCA pour l'année 2016.
Dr. Dominique Moreno est co-auteur de l’ouvrage "Commerce et urbanisme commercial. Les
grands enjeux de demain".
Erwin Cott est Président de la startup Mobile R2D2 (membre de la French Tech), lauréat
2016 des "Mobility Awards".
En présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E.Leclerc et Président
de la Chaire E.Leclerc/ESCP Europe) et du Pr. Olivier Badot (Doyen à la recherche à
ESCP Europe et Directeur scientifique de la Chaire) pour animer, rebondir et
approfondir le débat.
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C’est devant un amphi comble, que M. Frank Bournois, Directeur Général de ESCP Europe a
inauguré le deuxième Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 autour des enjeux de la cross-canalité.
Dans son mot d’accueil, ce dernier a exprimé sa fierté que l’école soit dotée d’une Chaire qui
porte une vision prospective sur le commerce et qui concourt à préparer au mieux les
managers de demain. Dans ce sens, il a tenu à remercier Michel-Edouard Leclerc, président de
la Chaire E. Leclerc, ainsi que son directeur scientifique, le Pr. Olivier Badot, pour leur
implication et leur contribution à l’excellence académique qui fait la réputation de ESCP
Europe à l’international.
Des modèles réinventés pour un nouveau monde
Dans le même esprit de rapprochement entre monde académique et monde professionnel,
Michel-Edouard Leclerc rappelle que dans un monde en mutation, il est plus que jamais
nécessaire d’apprendre à travailler dans l’immédiateté, la complexité et l’innovation. A
travers cette Chaire, il se fixe comme objectif majeur de pallier le manque de travaux
académiques en réflexion stratégique et de créer un environnement propice à la confrontation
interdisciplinaire autour de problématiques liées au commerce de demain et à la distribution.
Par le biais d’une belle métaphore, il assure l’engagement dans la durée du groupe E. Leclerc
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pour la promotion de la recherche, des publications et d’édition de travaux : « tel Christophe
Colomb, nous regardons loin devant, […] on se doute bien qu’il y a des Indes, des Amériques,
mais nous ne savons pas affréter les navires pour trouver de nouvelles terres de croissance et
de nouveaux modèles. D’où la nécessité d’un retour à l’école ».
Stratégies cross-canal : leitmotiv de l’optimisation de l’expérience d’achat et de la
relation-client
Ayant cumulé 20 ans d’expérience dans six multinationales, puis 7 ans en tant que consultant
en transformation technologique des entreprises, pour ensuite créer une start-up qui opère
dans le digital, Erwin Cott est très bien placé pour exposer les différentes évolutions des
modèles cross-canal, ainsi que pour faire un panorama des différentes pratiques en France et à
travers le monde.
Selon lui, l’enjeu pour les entreprises consiste à déployer des stratégies efficaces afin de
croiser les avantages que peuvent présenter les différents canaux. Ceux qui peuvent paraître
concurrents doivent être envisagés comme atouts qui se complètent.
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Pour mettre au point une stratégie efficace en matière de gestion combinée des canaux, il
préconise de suivre le modèle développé par le Pr. R. Vanheems dans son livre « Réussir sa
stratégie cross et omni-canal » et qui se déploie sur quatre niveaux : cohérence, convergence,
synchronisation et intégration. Avec une image et un message clairs, des outils qui placent le
client au centre de la démarche, l’assemblage des canaux en un système unique, les
entreprises mettent toutes les chances de leur côté pour réussir leur stratégie cross-canal.
L’expérience utilisateur, le Big Data, le cloud et les objets connectés comme piliers
technologiques de la révolution 4.0
Compte tenu des différents changements dans le comportement des consommateurs,
l’amélioration de l’expérience utilisateur se situe au cœur des enjeux du cross-canal.
Que ce soit en termes de vente, de navigation sur internet ou de relation client, le mobile est
devenu l’un des canaux de contact privilégiés. Le m-shopping est à la fois « utile, facile,
expérientiel et partageable » argumente Erwin Cott.
L’expérience cross-canal est d’autant plus fonctionnelle (possibilité d’accéder aux produits
partout, à tout moment), attractive et ciblée (coûts de livraison bas, récompenses sur mesure,
statut privilégié) mais aussi interactive (synchronisation avec tous les devices, offres en temps
réel, dialogue). En illustration, Erwin Cott décrit la révolution qui pourrait résulter de
l’utilisation de la technologie de réalité augmentée (sweet fit/FX mirror) et de
wearable technology sur l’expérience utilisateur : « assis, dans un train, le consommateur
pourra recevoir la nouvelle collection de sa marque préférée, et même l’essayer ».
Pour le spécialiste, le m-commerce n’est que la partie apparente de l’iceberg, principalement
parce que « le cloud est en train de transformer l’informatique en commodity ». Ce dernier
constitue un outil visant à réunir les différents canaux en un seul à travers un support central,
et permettant de capturer des interfaces et d’envoyer les informations pour qu’elles soient
traitées en temps réel et restituées aux utilisateurs. L’agrégation de ces données devient alors
un facteur clé de différenciation pour les entreprises. Ainsi, la puissance des solutions offertes
par le cloud et le Big Data contribue grandement à la démocratisation du cross-canal.
Pour ce qui est des objets connectés, il assure que grâce à la valeur ajoutée qu’ils sont
susceptibles d’apporter aux clients, ces derniers sont en phase de devenir des canaux de vente
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en puissance. A titre d’exemple, à l’aide des boutons d’achats d’Amazon : il est possible de
commander sa lessive par un simple clic dès que la machine à laver vous signale qu’il faut
renouveler le stock. Des enseignes de distributions ont déployé des beacons, sortes de
capteurs, qui orientent avec précision l’utilisateur vers le produit convoité, ou encore des
zapettes qui permettent de faire ses courses depuis chez soi en scannant les codes-barres des
produits.
Enfin, Erwin Cott insiste sur l’importance d’un élément clé dans le déploiement de toute
stratégie cross-canal, à savoir le « digital mindset ». Cet état d’esprit, nourri par les
technologies d’intelligence artificielle, requiert la participation de tous les acteurs afin de
s’adapter au plus vite aux nouveaux changements.
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Des consommateurs hyperconnectés aux parcours d’achat cross-canal
Régine Vanheems, Professeur à l'Université de Lyon et auteur de l'ouvrage « Réussir sa
stratégie cross et omni canal » interpelle la salle en affirmant que les « comportements des
consommateurs ont plus changé en 20 ans qu’en 20 siècles ».
En effet, à l’aune du commerce 4.0, nous avons affaire à des consommateurs hyperconnectés
(internet, mobile, réseaux sociaux, objets connectés…), à tel point que les appareils
technologiques sont considérés comme « une extension de soi » ou « un moi connecté » dont
la privation provoque chez certains un « réel traumatisme », affirme Régine Vanheems.
Dans ce contexte, les parcours clients deviennent en toute évidence cross-canal : « la
trajectoire d’achat n’est plus du tout la même qu’il y a 20 ans. Elle est plus linéaire et directe
» poursuit-elle. Elle renchérit qu’« aujourd’hui 78% de gens font une recherche online avant
de faire une transaction offline ». Ce phénomène multiplie les occasions de rencontre entre
consommateurs et enseignes, donnant lieu à des trajectoires de plus en plus complexes entre
les différents canaux : « nous assistons à un d’enchevêtrement des deux mondes, réel et
virtuel où le consommateur passe constamment de l’un à l’autre via des micro
connections ».
Le web to store (clients qui se renseignent en ligne avant d’acheter en magasin), le drive, le
click and collect (clients qui commandent en ligne et retirent leurs achats sur place), le
showrooming (clients qui se rendent dans un point de vente pour voir et/ou tester le produit
avant d’effectuer la transaction offline) et autres trajectoires et fragmentations d’expériences
d’achat incitent les entreprises à revisiter tous les fondamentaux du commerce et du
marketing.
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Expérience « liquide » vs expérience « sublimée »
Régine Vanheems préconise une « expérience liquide » pour les produits peu impliquants afin
de simplifier « les achats de corvée ». L’avantage escompté est la fluidification du parcours
d’achat et le retrait des « irritants ». Parmi les exemples les plus parlants dans ce sens, on
retrouve les touch button à domicile pour commander des produits en rupture comme détaillé
dans l’intervention d’Erwin Cott, ou encore l’entreprise Purple qui propose de vous livrer
l’essence à l’endroit où vous êtes garé. CVS Pharmacy quant à eux préviennent la perte de
temps pour se garer dans des situations urgentes en proposant une offre drive ou click&collect
pour récupérer les médicaments.
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Touch button à domicile
Ceci dit, le consommateur ne cherche pas toujours à être dans l’efficacité et la rapidité de la
transaction. Les enseignes, les points de vente, les sites web et les communautés de marque
sont aussi des lieux d’expérience pour les clients. Pour les achats hédonistes,
« récréationnistes » ou même de butinage, les entreprises ont tout intérêt à créer une
« expérience sublimée » qui sera porteuse de sens et qui marquera l’esprit du client.
Le choix de telle ou telle stratégie passe indubitablement par une démarche « d’empowerment
du client, pour lui proposer une expérience cross-canal flexible et non pré-formatée par
l’enseigne » déduit Régine Vanheems.
Vers un rééquilibrage au sein du couple humain/technologie
« A force de passer des heures face à des écrans froids et sans âme, le client recherche autre
chose, du lien, de l’authentique. C’est cette rareté du contact humain qui fait qu’il soit
recherché […] et induit progressivement un rééquilibrage au sein du couple
humain/technologie » insiste Régine Vanheems.
De cette perspective, les marques sont amenées à adopter une démarche relationnelle, mettant
le client au centre. En d’autres termes, elles doivent être à l’écoute des attentes des clients,
développer une grande qualité de service, mais aussi et surtout, disposer d’une réactivité
optimale à chacun des points de contact.
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Repenser le rôle du vendeur prend également toute son importance pour mieux accompagner
le parcours d’un client connecté « éclairé et en mouvement », face à un vendeur souvent
« myope » et effacé.
Mise en perspective : va-t-on vers des places de marché « multi-intégratrices » et
« multi-directionnelles » ?
En raison de l’importance croissante des réseaux sociaux, de la force de la communauté des
consommateurs et du foisonnement d'appareils connectés, les modèles de distribution
traditionnels subissent un bouleversement radical. En effet, le Pr. Olivier Badot attire
l’attention sur le fait que le numéro 2 mondial du commerce aujourd’hui, Alibaba, est un
pure player, qui ne possède ni magasin, ni stock, ni entrepôt !
Pour mieux entrevoir la généalogie de cette mutation, il propose une lecture dépassant la
dichotomie classique entre commerce physique et digital.
Généalogie du commerce digital
D’un côté, il assimile le smartphone et ses différentes applis à des boutiques dans un centre
commercial, il l’incorpore ainsi au « commerce de destination » classique. D’autre part, et
au-delà de la crosscanalité, ce spécialiste de la prospective dessine une projection futuriste
sur le caractère « visqueux » et « mobiquitaire » du commerce de demain.
Waze de Google va d’ailleurs dans ce sens assure le Pr. Badot : « quand vous vous
retrouverez coincé dans un embouteillage et que vous tenterez tant bien que mal d’en sortir,
l’application pressentira votre malaise, et vous proposera de faire un petit détour vers un
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magasin qui propose la raquette que vous auriez « googelisée » la veille, à un prix
promotionnel ». Cette intégration de variables situationnelles, comportementales et
émotionnelles justifie l’intérêt et l’importance que pourraient prendre les objets connectés
dans un futur proche et conforte « l’utopie de la main invisible de l’algorithme ». Pour
approfondir davantage le sujet, Cf. dernier livre du Professeur Olivier Badot « Commerce et
urbanisme commercial. Les grands enjeux de demain ».
Saisir les usages et créer des synergies entre les différents canaux et plateformes : clé
de réussite de la transition digitale
>>> A l’ère digitale, le consommateur connecté et en mouvement reprend le pouvoir : il
peut acheter n'importe quoi, n'importe où n'importe quand, et à n'importe qui, selon ses
besoins et ses envies, dans une « canalisation à distance » cette fois-ci. A cet effet, le Pr.
Olivier Badot prédit que le modèle chinois ne saurait tarder à se manifester en occident. Car
dans un monde en mutation, seules les entreprises engagées, qui sont au plus proche de leurs
clients pourront survivre. Le « #commerce » ou la vente sur les réseaux sociaux
conversationnels deviendraient alors incontournables dans des plateformes multi -
intégratrices.
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A commerce agile, législation plus souple
Le Dr. Dominique Moreno, spécialiste juridique du commerce et de la distribution au sein de
la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Ile-de-France et co-auteur du livre
« Commerce et urbanisme commercial. Les grands enjeux de demain », pense que malgré la
crise que connait le commerce physique, ce dernier garde toute sa place. « Des villes sans
commerce sont des villes mortes » argumente-t-elle. Elle soutient qu’il faut dépasser les
clivages entre les différentes formes du commerce, afin de coller aux facettes multiples des
consommateurs et au décloisonnement des canaux de distribution.
Au terme « réglementation » elle préfère celui de « régulation », plus souple et plus proactif.
En effet, et même si le législateur a mis du temps, il a fini par comprendre (surtout après les
années 2000) que le commerce est une fonction structurante de la ville : « on est passé à une
volonté de réguler le commerce via l’urbanisme général plutôt que par la police de la
concurrence ». Elle plaide en faveur d’une législation qui protège les droits essentiels, tout en
stimulant l’activité économique.
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Ceci dit, et malgré les différentes simplifications, les difficultés sont loin d’être dépassées.
Les documents réglementaires restent rigides et la procédure de révision lourde. Elle prévient
quant au fait que l’empilement des différentes lois ne complique encore plus la situation au
lieu d’apporter des réponses. En l’occurrence la fusion du permis de construire et de
l’autorisation d’exploitation commerciale défendue par la Loi Pinel, ou encore le projet de loi
relatif au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain (janvier 2017) qui établit un seuil
de 400m² pour les commerces.
Michel Edouard Leclerc rebondit sur ce point, et émet ses craintes du fait que le découpage
compartimenté de la ville et autres zonages ne crée un risque de repli sur soi, qui n’est plus
en phase avec les valeurs de partage, de proximité, d’ouverture et d’économie collaborative.
C’est en saisissant les usages et en anticipant les besoins des clients dans l’ensemble, que les
entreprises peuvent relever le défi du cross-canal. « Dans une démarche plutôt axée
technologie, il est plus que jamais indispensable d’intégrer l’humain, afin de combler le fossé
qui se creuse entre l’offre déployée et les attentes des clients connectés » conclut Régine
Vanheems.
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Les prochains « Petits-Déjeuners du Commerce 4.0 »
A l’aune de ces mutations sans précédent, il est plus que jamais nécessaire d’en considérer
l’ampleur, la portée et la complexité. Les prochains rendez-vous s’inscrivent dans la même
lignée des deux premiers et tentent d’apporter une vision transversale et prospective dans des
domaines clés du commerce de demain.
Ces rencontres sont gratuites et ouvertes à tout public sur inscription. Vous êtes cordialement
invités à y assister. Alors à vos agendas !