UNIVERSITÉ DE NICE – SOPHIA ANTIPOLIS
FACULTÉ DE DROIT ET SCIENCES POLITIQUES
ÉCOLE DOCTORALE DROIT ET SCIENCES POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET DE GESTION
LABORATOIRE GREDEG UMR 627 – CNRS
LES EXCEPTIONS ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
DANS LA JURISPRUDENCE DE L’OMC
Thèse présentée et soutenue publiquement pour l’obtention du grade de Docteur en droit par
Uriell CHOQUET
Le 07 novembre 2015
JURY
Monsieur Jean-Baptiste RACINE
Professeur à l’Université de Nice – Sophia Antipolis, Directeur de recherches
Monsieur François COLLART DUTILLEUL
Professeur à l’Université de Nantes, Co-directeur de recherches
Monsieur Gilles-Jean MARTIN
Professeur émérite à l’Université de Nice – Sophia Antipolis
Madame Marie-Pierre LANFRANCHI
Professeure à Aix – Marseille Université, Rapporteure
Madame Valérie PIRONON
Professeure à l’Université de Nantes, Rapporteure
II
III
L’Université de Nice – Sophia Antipolis n’entend donner aucune approbation ni improbation
aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à
leurs auteurs.
IV
1
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s’adressent avant tout à Madame la Professeure Laurence BOY,
qui fut la première à m’accorder sa confiance pour traiter de ce sujet passionnant. Sa
lucidité et sa vision m’auront servi de guide tout au long de l’élaboration de cette thèse.
Je tiens également à témoigner ma reconnaissance à Mesdames les Professeures
Marie-Pierre LANFRANCHI et Valérie PIRONON, ainsi qu’à Messieurs les Professeurs
Jean-Baptiste RACINE, François COLLART DUTILLEUL et Gilles J. MARTIN, pour
l’attention qu’ils ont accordée à mon travail. Je remercie plus particulièrement mes
directeurs de thèse pour les conseils avisés qu’ils n’ont cessé de me prodiguer. C’est
grâce à leur confiance, leur indulgence et leur grande disponibilité que ce travail a pu
aboutir. Qu’ils trouvent ici l’expression de toute ma gratitude.
Enfin, cette thèse nomade doit tout aux personnes rencontrées chemin faisant qui, avec
leur infinie bienveillance, m’ont offert leur appui : un immense merci à mes familles
niçoise, nantaise et parisienne, pour m’avoir tant et si bien nourrie pendant toutes ces
années.
2
3
SOMMAIRE
Remerciements ..................................................................................................................... 1
Sommaire ............................................................................................................................. 3
Principales abréviations ....................................................................................................... 5
Introduction générale ......................................................................................................... 11
PREMIÈRE PARTIE. L’APPARENTE EFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES ............................................................. 45
TITRE I L'effectivité formelle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC .............. 49
CHAPITRE 1. Une application limitée des exceptions environnementales et
sanitaires sur le fondement de l’article XX du GATT .................... 51
CHAPITRE 2. Une consécration formelle de droits environnementaux et sanitaires
sur le fondement des Accords SPS et OTC ................................... 111
TITRE II L’ineffectivité substantielle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC 169
CHAPITRE 1. Une ineffectivité fondée sur les faits des espèces des différends .. 171
CHAPITRE 2. Une ineffectivité fondée sur les Accords SPS et OTC .................. 209
DEUXIÈME PARTIE. LES CAUSES DE L’INEFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES ........................................................... 261
TITRE I La neutralisation des exceptions par l’interprétation prétorienne des règles
probatoires ....................................................................................................... 265
CHAPITRE 1. Une neutralisation au regard de la répartition de la charge
probatoire ..................................................................................... 269
CHAPITRE 2. Une neutralisation au regard de la répartition des compétences en
matière d’appréciation des éléments de preuve ........................... 311
TITRE II La neutralisation des exceptions par la reconnaissance sélective des normes
externes au droit de l’OMC ............................................................................. 369
CHAPITRE 1. La reconnaissance des standards techniques internationaux ...... 373
CHAPITRE 2. Le refus de reconnaissance des règles internationales externes au
droit de l’OMC ............................................................................. 403
Conclusion générale ......................................................................................................... 469
Bibliographie................................................................................................................... 475
Principales décisions ........................................................................................................ 509
Index alphabétique ........................................................................................................... 517
Table des matières............................................................................................................ 521
4
5
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
AJDA Actualité juridique de droit administratif
AFDI Annuaire français de droit international
AFRI Annuaire français de relations internationales
ACDI Annuaire canadien de droit international
AJIL The American Journal of International Law
AJWH Asian Journal of WTO & International Health Law & Policy
al. Alinéa
Arch. philo. droit Archives de philosophie du droit
Art. Article
Chron. Rubrique « Chroniques » du recueil Dalloz
CE Communautés européennes
CIRDI Centre international pour le règlement des différends relatifs aux
investissements
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l’Union européenne
CILJ Cornell International Law Journal
D. Dalloz
dir. Sous la direction de
Dr. et société Droit et société
éd. Édition
EJIL European Journal of International Law
Env. Environnement et développement durable
EPO Étiquetage indiquant le pays d’origine
Fasc. Fascicule
GATT General Agreement on Tarifs and Trade
(Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce)
Gaz. Pal. Gazette du Palais
ibid. ibidem
ICLQ International & Comparative Law Quarterly
ICSID International Centre for Settlement of Investment Disputes
6
JDI Journal du droit international (Clunet)
JIDS Journal of International Dispute Settlement
JIEL Journal of International Economic Law
JO Journal officiel
JWT Journal of World Trade
LPA Les Petites affiches
Màj. Mise à jour
n° Numéro
Obs. NU L’observateur des Nations Unies
OGM Organismes Génétiquement Modifiés
OIE Office internationale des épizooties
(ancienne Organisation mondiale de la santé animale)
OIC Organisation internationale du Commerce
OMC Organisation Mondiale du Commerce
OMS Organisation Mondiale de la Santé
ONG Organisation non-gouvernementale
ONU Organisation des Nations-Unies
op. cit. opere citato
ORD Organe de Règlement des Différends de l’OMC
OTC Obstacles techniques au Commerce
p. Page
pp. Pages
§ Paragraphe
§§ Paragraphes
Rec. Recueil
Rép. dr. civ. Répertoire de droit civil Dalloz
Rép. eur. Répertoire de droit européen Dalloz
Rép. pr. civ. Répertoire de procédure civile Dalloz
Rép. Sociétés Répertoire de droit des sociétés Dalloz
RBDI Revue belge de droit international
RDI Revue de droit immobilier Dalloz
D. env. Revue de droit de l’environnement
7
RDSS Revue de droit sanitaire et social
RD rur. Revue de droit rural
Rev. arb. Revue de l’arbitrage
REDE Revue européenne de droit de l’environnement
RESS Revue européenne des sciences sociales
RGDIP Revue générale de droit international public
RIDE Revue internationale de droit économique
RJE Revue juridique de l’environnement
ROC Règlement sur les Obstacles au Commerce
RQDI Revue québécoise de droit international
RRJ Revue de recherche juridique et de droit prospectif
RSC Revue de science criminelle (Dalloz)
RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD Eur. Revue trimestrielle de droit européen
RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme
SPS Sanitaire et phytosanitaire
s. et suivants
TAFTA Traité de libre-échange transatlantique
TiSA Trade in Services Agreement
TCE Traité instituant la Communauté européenne
TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TPICE Tribunal de première instance des Communautés européennes
TPIUE Tribunal de première instance de l’Union européenne
TUE Traité sur l’Union européenne
v. Voir
vol. Volume
8
9
À Laurence,
Qui aurait nécessairement trouvé beaucoup à y redire ;
Que ce travail puisse néanmoins lui rendre hommage.
10
11
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. L’environnement et la santé, ou la suspicion du protectionnisme. Quel est le
point commun entre l’essence, la pêche aux crevettes et les tortues ? Pourquoi parler
dans le même temps de cigarettes aux clous de girofle et d’amiante ? Quel
dénominateur commun ces produits connaissent-ils avec les produits agricoles, les
pommes, la viande aux hormones, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les
volailles, les saumons, les sardines, les thons et les dauphins ? Tous ces produits, en
tant que marchandises, objets du commerce international, ont fait l’objet de litiges
devant les organes de règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC). La caractéristique principale de ces litiges réside dans la tentative
de l’État défendeur de justifier une mesure restrictive pour le commerce, le plus
souvent de produits agro-alimentaires, au nom de la protection de la santé ou de
l’environnement. Protectionnisme ou préservation de l’intérêt général ? Hormis les
affaires Amiante et Crevettes, les juges de l’OMC ont estimé que la santé et
l’environnement ne servaient que d’alibi à des mesures protectionnistes biaisant le jeu
de la concurrence loyale entre les États membres. Le constat interroge l’observateur
qui en vient à se demander si les exceptions environnementales et sanitaires présentes
dans les accords de l’OMC ont effectivement une quelconque consistance. Seraient-
elles inscrites dans les textes uniquement pour rassurer le profane sur l’éthique des
activités commerciales des États ? L’Union européenne était-elle de si mauvaise foi
lorsqu’elle interdit l’importation sur son territoire de produits biotechnologiques pour
risque sanitaire ? Interroger le sort de ces exceptions devant les organes de règlement
des différends permet de révéler les équilibres et déséquilibres d’un système
commercial prédominant dans le paysage juridique international, traduisant autant
d’arbitrages entre valeurs et intérêts divergents de la société contemporaine.
C’est ainsi que, tout en saluant le saisissement par le droit économique de valeurs non
commerciales, telles que la santé et l’environnement, Laurence BOY a néanmoins pu
mettre en garde contre le cynisme, ou la naïveté, des espoirs placés dans leur
12
« marchandisation contrôlée ». D’après elle, ces valeurs devraient être l’objet d’une
« régulation réelle »1. Concernant l’OMC, les valeurs portées par la réglementation
commerciale multilatérale s’expliquent notamment par l’évolution historique de
l’Organisation. Initialement vouée à être chapeautée par l’ONU, c’est en tant
qu’organisation commerciale autonome qu’elle a connu son apogée.
2. L’échec de l’Organisation Internationale du Commerce. La création de l’OMC
résulte d’une large dynamique institutionnelle advenue sur le plan international au
sortir de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’optique de la mise en place d’une
véritable interdépendance des différents États du monde, assimilée à une pacification
des rapports interétatiques, les grandes puissances alliées signent d’importants accords
mettant en place autant d’institutions spécifiques2. C’est dans cette dynamique que se
forme le projet visant à la mise en place de l’Organisation internationale du commerce
(OIC). Ce projet se déroule sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU3).
Il aboutit, en mars 1948 lors de la Conférence de La Havane, à l’adoption de la
« Charte instituant une organisation internationale du commerce »4. Cette Charte
vient compléter les objectifs de paix et de sécurité déjà consacrés par l’ONU en
régissant les questions économiques et sociales. Le premier article de la Charte
dispose ainsi qu’elle vise à « atteindre les objectifs fixés par la Charte des Nations
unies, particulièrement le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et les
conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social ».
L’OIC présentait ainsi deux particularités, qui ne se retrouvent pas dans l’actuelle
OMC : premièrement, elle s’inscrivait dans le système onusien, et avait vocation à
n’être qu’un volet spécifique d’un ensemble de politiques coordonnées ;
1 BOY L., « L’appel à la régulation en droit de l’environnement », in MARTIN G. J., (Mélanges en l’honneur
de), Pour un droit économique de l’environnement, Frison-Roche, Paris, 2013, p. 73. 2 Ainsi, dès 1944, sont signés les Accords de Bretton Woods, créant le Fonds monétaire international (FMI)
ainsi que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Initialement, les
deux institutions obéissent à une même logique de reconstruction des économies nationales post-conflit : la
première remplit un rôle de gestion des taux de change à court terme, tandis que la seconde vise à financer
des projets de construction à plus long terme. Les États-Unis posent explicitement, en janvier 1945, la
nécessité de compléter ces accords par la création d’une organisation ayant pour but de réduire les obstacles
aux échanges internationaux des marchandises. 3 Créée à San Francisco en juin 1945.
4L’intégralité du texte est disponible en ligne sur le site de l’OMC :
www.wto.org/french/docs_f/legal_f/havana_f.pdf, consulté le 17 janvier 2015.
13
deuxièmement, elle ne se contentait pas de régler les questions commerciales, mais
également les questions d’emploi et de développement économique. L’OIC avait ainsi
vocation à endosser une fonction régulatrice des questions économiques, tout en étant
chapeautée par une organisation également compétente en matière de droit de
l’homme1. Ce projet ambitieux est pourtant resté dans l’impasse, la Charte de la
Havane n’ayant finalement jamais été ratifiée par les États-Unis, suite à des tensions
politiques internes, soldant ainsi le projet par un échec2. Seul le volet commercial de
l’OIC subsistera, servant de base à un accord de libre-échange des marchandises,
finalement signé en marge de l’ONU.
3. Le GATT de 1947. Sur les cendres de l’OIC, un Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce est négocié et signé par vingt-trois États le 30 octobre 1947
à Genève : le GATT de 19473
. Le GATT (ou Accord général) est un accord
indépendant des Nations Unies, et exclusivement recentré sur les questions
commerciales : il poursuit le double objectif de mettre en place des principes
permettant une concurrence loyale entre ses contractants et d’assurer un processus
continu de libéralisation du commerce international4. Le GATT de 1947 régit pendant
11
C’est ainsi que la Charte de la Havane prévoyait d’appliquer un régime d’exception à certains produits
dits « de base », rejoignant l’idée des exceptions environnementales et sanitaires de l’OMC, en poursuivant
un objectif de sécurité alimentaire : v. COLLART DUTILLEUL F., « Charte de La Havane », in COLLART
DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde,
éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 143-145. Le Programme Lascaux a d’ailleurs fait une proposition prônant
un retour à l’esprit de la Charte de la Havane, afin de répondre aux défis actuels de sécurité alimentaire. V.
infra n° 6. 2 Pour une présentation succincte de l’échec de l’OIC, v. RAINELLI M., L’Organisation mondiale du
commerce, Collection Repères, La Découverte, 9e éd., Paris, 2011, encadré p. 23 ; pour une présentation
plus approfondie, v. GRAZ J.-C., Aux sources de l’OMC. La Charte de la Havane, 1941-1950, Librairie
Droz, Genève, 2009, 367 p. 3 Le sigle GATT reprend les initiales de la dénomination anglaise de l’accord : General Agreement on
Tariffs and Trade. Celui-ci est beaucoup plus usité que l’acronyme français : AGETAC. 4 Les conditions d’un « commerce loyal » (fair trade) sont assurées par une série d’obligations. Les
obligations centrales relèvent des deux premiers articles de l’Accord général. L’article I impose à toutes les
parties contractantes l’adoption de la clause de la nation la plus favorisée. Toute concession accordée par
une partie à une autre doit par là même être généralisée à l’ensemble des parties contractantes sans
discrimination. L’article II de l’Accord général pose en outre l’obligation de consentir des concessions
tarifaires en limitant les droits de douane imposés aux importations d’autres États signataires. Par le biais de
ces obligations principales, sans instaurer le libre-échange, le GATT vise à libéraliser les échanges entre les
parties contractantes, notamment en passant du bilatéral au multilatéral. Les obligations accessoires
imposent un code de conduite engageant les parties contractantes à ne pas prendre de mesures créant des
entraves au commerce international. Sous l’égide du GATT de 1947, les entraves visées relèvent
principalement des droits de douane et des restrictions quantitatives. L’Accord général contient en outre un
14
une cinquantaine d’années les rapports interétatiques commerciaux, jusqu’à l’issue de
l’Uruguay Round, qui marque un tournant dans l’histoire du droit du commerce
international en organisant la transition du GATT vers l’OMC. Malgré des
positionnements politiques différents1, les négociations aboutissent le 15 décembre
1993. Avec le cycle de l’Uruguay, les parties contractantes d’un Accord visant à
libéraliser le commerce des marchandises deviennent les États membres d’une
véritable organisation internationale.
4. La naissance de l’OMC. L’« Acte final reprenant les résultats des négociations
commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay » est signé le 15 avril 1994 à
Marrakech. L’« Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce » (dit
« Accord sur l’OMC »), auquel est annexé l’ensemble des accords négociés, fait partie
intégrante de cet Acte final. L’Accord sur l’OMC comporte ainsi quatre annexes
principales : le premier corps d’annexes comprend les accords multilatéraux sur le
certain nombre d’exceptions et de dérogations. Sont tout d’abord exclus du champ d’application de l’accord
les services, les produits agricoles et le textile. Les pays en développement bénéficient par ailleurs de
dispositions dérogatoires les exemptant par exemple de l’obligation de réciprocité, sous certaines
conditions. Enfin, l’Accord général autorise la constitution de zones régionales de libre-échange ou
d’unions douanières, du type CEE ou ALENA, sous réserve de différentes conditions également. Cet
Accord général met également en place un embryon de système de règlement des différends par le biais de
son article XXIII, intitulé « Protection des concessions et des avantages ». Celui-ci prévoit une procédure
en cas de plainte d’une partie contractante contre une autre pour différend commercial. En cas d’échec des
négociations bilatérales entre les parties concernées, un groupe de travail ou d’experts, dit panel, instruira
l’affaire pour trouver un arrangement. Ce panel rédige un rapport, en sus du rapport délivré par l’État en
cause, présentant des recommandations ou autorisations de suspension d’obligations à l’égard de l’État en
cause. Parallèlement à ce fonctionnement quotidien de l’institution se déroulent des cycles de négociations
commerciales multilatérales (dit round). Ceux-ci relèvent de la dynamique de libéralisation continue des
échanges de marchandises. Leur objet est ainsi la généralisation de concessions tarifaires des parties
contractantes entre elles. Six différents cycles de négociations se sont déroulés sous l’égide du GATT de
1947 : les cycles de Genève (1947), d’Annecy (1949), de Torquay (1951), le Dillon Round (1960-1961), le
Kennedy Round (1964-1967), le Tokyo round (1973-1979) et l’Uruguay Round (1986-1994). Ces cycles
sont caractérisés par une longueur et une complexité croissantes : celles-ci correspondent au passage de
négociations portant d’abord principalement sur les droits de douane, à des négociations relatives aux
barrières non-tarifaires, par exemple réglementaires. Il est à noter également que ces cycles de négociations
ont été l’occasion d’accueillir de nouvelles parties contractantes : de vingt-trois en 1947, elles sont passées
au nombre de cent-vingt en 1994. Pour une synthèse plus détaillée du GATT de 1947, v. RAINELLI M.,
L’Organisation mondiale du commerce, op. cit., pp. 19-58. 1 Les négociations ont été longues et complexes, en achoppant sur plusieurs points : la nouvelle attitude
offensive des États-Unis soutenant leurs exportations, et appelant à l’ouverture des marchés étrangers, à la
libéralisation du commerce mondial des produits agricoles, à l’extension des principes libre-échangistes au
commerce des services, à l’adoption de nouveaux accords.
15
commerce des marchandises1, l’Accord sur le commerce des services (AGCS)
2, ainsi
que les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC)3 ; la seconde annexe est constituée par le Mémorandum d’Accord sur le
règlement des différends ; la troisième régit le Mécanisme d’examen des politiques
commerciales ; la quatrième et dernière annexe comporte les différents accords
commerciaux plurilatéraux4.
L’OMC est ainsi née le 1er
janvier 1995, suite à la signature de ces accords de
Marrakech le 15 avril 19945. Son champ d’application s’est à ce point élargi que
l’organisation régit désormais le commerce international des marchandises, des
services et de la propriété intellectuelle. L’Organisation s’est également vue dotée
d’un mécanisme de règlement des différends, véritable fer de lance de l’Organisation,
qui lui confère une puissance inégalée6.
1 Cette Annexe 1A à l’Accord sur l’OMC est la plus importante et comprend l’Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce de 1994, dit GATT de 1944 et fondé sur le GATT de 1947 ; l’Accord sur
l’agriculture ; l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dit Accord SPS ;
l’Accord sur les textiles et les vêtements ; l’Accord sur les obstacles techniques au commerce, dit Accord
OTC ; l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce ; l’Accord sur la mise
en œuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 ; l’Accord sur
la mise en œuvre de l'article VII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 ;
l’Accord sur l'inspection avant expédition ; l’Accord sur les règles d'origine ; l’Accord sur les procédures
de licences d'importation ; l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires ; l’Accord sur les
sauvegardes. 2 Annexe 1B à l’Accord sur l’OMC.
3 Annexe 1C à l’Accord sur l’OMC.
4 Cette quatrième annexe à l’Accord sur l’OMC comprend l’Accord sur le commerce des aéronefs civils ;
l’Accord sur les marchés publics ; l’Accord international sur le secteur laitier ; l’Accord international sur
la viande bovine. 5 Le fonctionnement de l’institution est quotidiennement assuré par un secrétariat et son Directeur général.
Cette administration assure les tâches de gestion mais n’a aucun pouvoir décisionnel. L’Organisation est
dite member driven, c’est-à-dire que les décisions ne peuvent être prises que par les Membres. Leurs
représentants se réunissent dans le cadre de la Conférence ministérielle ou du Conseil général. Ce dernier se
réunit également pour remplir les fonctions d’Organe de règlement des différends et d’Organe d’examen
des politiques commerciales. Les Membres se réunissent également dans le cadre de Conseils spécifiques à
chaque accord, ou de comités spécialisés, groupes de travail ou d’expertise compétents pour certaines
questions plus précises. Le principe reste le même que sous l’empire du GATT de 1947 : chaque État
membre dispose d’une voix. Les décisions sont prises par consensus, ou le cas échéant à la majorité des
votes émis. 6 Le système de règlement des différends était considéré comme le « joyau de la couronne » de l’OMC par
son ancien Directeur général, Mike MOORE ; pour d’autres, il incarne la « clef de voûte » ou la « pierre
angulaire » du dispositif commercial multilatéral (v. not. MCHANETZKI M.-L., « Le règlement des
différends de l’OMC », Notes Bleues de Bercy, n°175, Janvier 2000, pp. 1-8) ; pour une présentation
exhaustive de la mise en place et du fonctionnement du système de règlement des différends de l’OMC, v.
16
5. L’apogée d’une organisation commerciale autonome. L’OMC, qui a
aujourd’hui vingt ans, regroupe la quasi-totalité des pays du monde1, dont les États
membres de l’Union européenne2
. L’élargissement du champ d’application des
principes du libre-échange, et la mise en place d’un véritable système de règlement
des différends, ont transformé le simple Accord général en véritable organisation
multilatérale de régulation du commerce international. Loin de sa vocation première à
n’incarner qu’une facette d’une gouvernance onusienne plus globale, l’OMC est
devenue une organisation exclusivement commerciale, fondée sur un système
juridique autonome, et dotée d’un mécanisme de règlement des différends lui
conférant une puissance inégalée. Dotée de nouveaux pouvoirs, l’organisation
commerciale se retrouve alors confrontée à de nouveaux défis. C’est ainsi que la
dynamique d’extension de ses domaines de compétence a notamment signifié la
transformation juridique des denrées agro-alimentaires en marchandises soumises aux
principes du libre-échange. Ces nouvelles règles de commerce international des
produits agro-alimentaires incarnent à la fois la fin de l’« exception agricole » et le
renouveau de la problématique des valeurs non commerciales dans ce système
commercial.
6. Le commerce des produits agro-alimentaires, ou le renouvellement de la
problématique des valeurs non commerciales à l’OMC. L’élargissement du champ
d’application de l’OMC en général, aux produits agro-alimentaires en particulier, a
renouvelé la problématique de l’articulation des questions non-commerciales à ce
système commercial3. Dans le domaine du commerce international des marchandises,
MONNIER P. et RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends », Jurisclasseur Droit international,
Fasc. 130-15, 2010. 1 L’OMC compte 160 Membres, ainsi que 24 gouvernements observateurs. Rapporté aux 197 pays reconnus
par l’ONU dans le monde, ce chiffre révèle que seule une petite dizaine de pays n’est pas concernée par
l’Organisation. 2 La Commission européenne s’exprime ainsi au nom des 28 États Membres de l’Union aux réunions de
l’OMC, ces derniers étant par ailleurs membres à part entière de l’organisation. Il faut également noter que
pour des raisons juridiques, l’Union européenne était dénommée « Communautés européennes » jusqu’au
30 novembre 2009 au sein de l’OMC, dénomination qui sera réutilisée dans cette thèse le cas échéant. 3 Cette problématique de l’articulation des questions commerciales et non commerciales se retrouve dans
d’autres domaines de l’OMC, qui ne seront néanmoins pas approfondis dans la présente étude. L’ADPIC,
par exemple, présente un immense intérêt, en particulier concernant la propriété intellectuelle des semences.
L’objectif social de l’accord est de protéger les résultats des investissements réalisés dans la mise au point
17
le changement majeur opéré en 1995 réside dans l’adoption de l’Accord sur
l’Agriculture (AsA). Celui-ci régit spécifiquement le commerce international des
denrées agro-alimentaires, qu’il soumet en substance aux principes généraux du libre-
échange. Poursuivant l’objectif d’« établir un système de commerce des produits
agricoles équitable et axé sur le marché », l’AsA incarne la fin de l’« exception
agricole »1
. Il reprend le principe majeur du « droit général des échanges de
marchandises »2 en appliquant le principe de non-discrimination aux produits agro-
alimentaires3. Or, ce domaine, comme l’illustre la difficulté des négociations pour
arriver à un accord, est d’une grande sensibilité politique, car lieu de rencontre de
multiples enjeux : l’agriculture et l’alimentation sont sous-tendues par des enjeux
culturels, sociaux, humains, sanitaires, environnementaux, et effectivement,
commerciaux. L’enchevêtrement, sinon l’affrontement, d’enjeux et d’intérêts apparaît
ainsi avec une acuité particulière dans le domaine agro-alimentaire, qui a déjà fait
l’objet d’importantes recherches. Le libre commerce des denrées agro-alimentaires
présente effectivement des enjeux pratiques importants en termes de sécurité
alimentaire.
de technologies nouvelles, de façon à encourager les activités de recherche-développement dans ce domaine
et à donner les moyens de les financer. Son article 27.3 autorise néanmoins les États membres à exclure de
la brevetabilité « les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur
territoire pour protéger l’ordre public et la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des
personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l’environnement ».
Sur ces questions, v. notamment la proposition du Programme LASCAUX, « Accès aux variétés végétales et
propriété intellectuelle internationale : les chercheurs à l’écoute des analyses des ONG », in COLLART
DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 2,
INIDA, San José (Costa Rica), 2014, pp. 209-223 ; v. également NGO M.-A., « Accord ADPIC », in
COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans
le monde, op. cit., pp. 23-25 ; COLLART DUTILLEUL C., La propriété industrielle appliquée aux produits
agro-alimentaires, thèse, Nantes, 2014, 449 p. ; et YAMTHIEU S., Accès aux aliments et droit de la propriété
industrielle : brevet, certificat d'obtention végétale et sécurité alimentaire dans les pays en développement,
Larcier, 2014, 392 p. 1 Pour une présentation succincte de l’Accord sur l’Agriculture (AsA), en particulier de ses interactions
avec la problématique de la sécurité alimentaire, v. CHARLIER C., « Accord sur l’Agriculture », in COLLART
DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde,
op. cit., pp. 30-32. 2Droit incarné par le GATT de 1947 selon RUIZ-FABRI H., « Organisation mondiale du Commerce – Droit
matériel – Généralités. Marchandises », JurisClasseur Droit international, 11,1998, Fasc. 130-20. 3 Il s’agit ici du principe de non-discrimination dérivé en droit de l’OMC par deux types d’obligations : la
clause de la nation la plus favorisée, interdisant les discriminations entre États membres ; et la clause du
traitement national interdisant une discrimination entre produits nationaux et étrangers.
18
C’est à cette question de savoir quel rôle joue, ou peut jouer, le droit pour atteindre
l’objectif de sécurité alimentaire1
, que s’est attelé le programme de recherche
LASCAUX2. Partant du principe que « le droit est ce langage politique, au sens premier,
qui porte les valeurs qu’une société se donne à elle-même », les travaux du
programme LASCAUX ont mis en lumière les pans du droit concourant aux problèmes
mondiaux tels que la famine, la malnutrition ou les scandales alimentaires3. Bien
évidemment, le droit du commerce international et l’ouverture des marchés ne sont pas
en reste : les obligations commerciales incombant aux États constitueraient autant
d’entraves à la constitution de stocks de nourriture d’une part, et à la protection
environnementale et sanitaire de leurs ressortissants d’autre part4. Que le droit de
l’OMC soit une cause de l’insécurité alimentaire dans le monde, ou qu’il échoue à la
réduire, il est mis en cause. Le Programme LASCAUX a ainsi émis deux propositions
principales pour le faire évoluer : la première consisterait à revenir à l’esprit de la
Charte de la Havane, en reconnaissant une « exception sur les produits agricoles de
1 Le Premier point du Plan d’action du Sommet mondial de l’alimentation (compris dans la Déclaration de
Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, Rome, le 13 novembre 1996) affirme que la sécurité alimentaire
est réputée exister « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à
une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs
préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Cette définition comprend ainsi deux axes
principaux, de quantité suffisante de nourriture (food security) et de qualité de celle-ci (food safety) (Pour
une présentation plus détaillée de la notion de sécurité alimentaire, et des différents instruments juridiques
la consacrant, v. PARENT G. et MORALES S., « Sécurité alimentaire », in COLLART DUTILLEUL F. et
BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, op. cit., pp. 618-
619.). 2 L’ensemble des activités et publications du Programme Lascaux est accessible en ligne : http://www.droit-
aliments-terre.eu [consulté le 05/07/2015]; v. également le nouveau site du Programme, aujourd’hui entré
dans une seconde phase : www.programmelascaux.eu [consulté le 05/07/2015]. 3 COLLART DUTILLEUL F., « Préface », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une
démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa Rica), 2013, p. 1 :
l’auteur rappelle, entre autres choses, qu’après des décennies de GATT et d’OMC, la famine frappe encore
plus de 800 millions de personnes et laisse un milliard et demi de personnes en état de malnutrition. 4 V. notamment JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V., « La sécurité alimentaire dans le droit de l’OMC ;
analyse critique et prospective » », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie
alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, op. cit., p. 267-268 ; JOURDAIN-FORTIER C., LOQUIN E.,
« Droit du commerce international et sécurité alimentaire », RIDE, 2012/4 t. XXVI, pp. 21-47 ; pour un
exemple de débat entre la souveraineté alimentaire et la libéralisation des échanges, v. « La libéralisation du
commerce et l’OMC : aide ou entrave au droit à l’alimentation ? », table ronde entre Olivier DE SCHUTTER
et Pascal LAMY, 11 mai 2009, Genève [accessible en ligne :
http://www.wto.org/french/forums_f/debates_f/debate14_f.htm, consulté le 1er
juin 2012].
19
base » 1
; la seconde consisterait à reconnaître une « exception alimentaire » sur le
modèle de l’« exception culturelle »2. La présente recherche s’inscrit naturellement
dans cet ensemble de travaux. Elle envisage néanmoins une hypothèse alternative, à
défaut de consensus multilatéral relatif à ces deux propositions, d’utilisation par le
juge de l’OMC des textes déjà négociés, en particulier des exceptions
environnementales et sanitaires. En effet, l’interdépendance entre commerce, santé et
environnement, semble, en apparence du moins, déjà prise en compte par l’OMC3.
7. L’apparente prise en compte de l’interdépendance entre commerce, santé et
environnement par l’OMC. L’ancien Directeur générale de l’OMC, Pascal LAMY, a
ainsi pu publier une lettre ouverte adressée à Olivier DE SCHUTTER, Rapporteur spécial
du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’alimentation,
avançant que le commerce international n’entre pas nécessairement en conflit avec la
sécurité alimentaire, voire qu’il y participe4. Cette interdépendance entre enjeux
commerciaux et non commerciaux apparait dans certains textes juridiques sur lesquels
est fondée l’OMC. Le Préambule de l’Accord sur l’OMC fait ainsi explicitement
1 PROPOSITION LASCAUX, « Les voies d’amélioration de la sécurité alimentaire dans un contexte de
mondialisation du commerce », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie
alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, op. cit., pp. 213-242. 2 PROPOSITION LASCAUX, « Proposition pour la reconnaissance internationale d’une ‘exception alimentaire’
sur le modèle de l’’exception culturelle’ », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une
démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, op. cit., pp. 13-43. 3 En théorie, la question se pose également de la place concourante des considérations sociales dans le droit
de l’OMC, notamment au regard de la problématique de la sécurité alimentaire. Elle est en pratique
néanmoins beaucoup moins présente, que ce soit dans les textes, ou dans les recours exercés dans le cadre
du système de règlement des différends de l’OMC. Parce que trop marginale, en comparaison de la place
prise par les exceptions environnementales et sanitaires, elle ne sera pas développée dans les
développements de la présente étude. Pour une introduction à cette question, v. MARCEAU G., « Le droit du
commerce international, les droits fondamentaux et les considérations sociales », Obs. NU, 2009, vol. 27,
n°2, pp. 241-247 ; v. également LANFRANCHI M.-P., « La gouvernance du commerce international : la
question de l’articulation commerce/normes sociales », in MEHDI R. (ed.), Quels acteurs pour une nouvelle
gouvernance ?, La Documentation français, 2005, pp. 185-208 ; et de la même auteure, « Les droits sociaux
fondamentaux dans le droit applicable au commerce international », in CHÉROT J.Y. et VAN REENEN T. (ed.)
Les droits sociaux fondamentaux à l’âge de la mondialisation, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2005,
pp. 59-73. 4 Cette allocution a été publiée le 14 décembre 2011 sur le site de l’OMC, sous l’intitulé « M. Lamy réfute
l’allégation du Rapporteur des Nations Unies selon laquelle le droit à l’alimentation est ‘otage’ des
négociations de l’OMC », et est accessible en ligne :
https://www.wto.org/french/news_f/news11_f/agcom_14dec11_f.htm [consulté le 05/07/2015]. Cette lettre
constituait une réponse à un rapport publié par Olivier DE SCHUTTER O. : « L’Organisation Mondiale du
Commerce et l’Agenda sur la Crise Mondiale de la Sécurité Alimentaire », note d’information du
Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, novembre 2011, accessible en ligne :
http://www.srfood.org/fr/commerce [consulté le 05/07/2015].
20
mention de l’objectif de développement durable (qui ne figurait pas dans le texte du
GATT de 1947) que souhaitent poursuivre les États membres1. S’appuyant sur ce
préambule, et annexée aux accords de Marrakech, est adoptée par les États membre
une Décision sur le commerce et l’environnement qui témoigne également du souci
des États membres d’accorder une attention particulière à ce lien entre commerce et
environnement2. Les Membres de l’OMC ont également pris acte de la relation entre
les politiques commerciales et sanitaires. On citera, entre autres choses, la série
d’ateliers consacrée à la propriété intellectuelle et la santé3. Prendre en compte
certaines de ces interdépendances entre commerce, santé et environnement ne conduit
pourtant pas nécessairement à résoudre les contradictions qui en résultent. Ces travaux
présentent souvent le travers de cultiver le mythe d’une convergence des objectifs
commerciaux et non commerciaux, en éludant leurs points de tension4. Par ailleurs, la
juridicité de ces travaux n’est pas établie, et n’a jamais constitué une base
suffisamment solide pour fonder la protection de la santé ou de l’environnement. Un
terrain plus solide, apparemment, est offert par l’inscription d’une exception générale
aux principes du libre-échange : certains accords prévoient la possibilité de mesures
restrictives pour le commerce international lorsqu’elles sont « nécessaires à la
protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation
1 Les États membres reconnaissent ainsi que « leurs rapports dans le domaine commercial et économique
devraient être orientés vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d’un niveau
élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective, et l’accroissement de la production et
du commerce de marchandises et de services, tout en permettant l’utilisation optimale des ressources
mondiales conformément à l’objectif de développement durable, en vue à la fois de préserver
l’environnement et de renforcer les moyens d’y parvenir d’une manière qui soit compatible avec leurs
besoins et soucis respectifs à différents niveaux de développement économique ». 2 Cette décision fonde la création d’un Comité du commerce et de l’environnement, ouvert à tous les
Membres et également à certaines organisations intergouvernementales en tant qu’observateurs. Ce Comité
mène des discussions, sans prendre de décision, mais permettant d’arrêter les termes d’un débat poursuivi
dans le cadre des négociations multilatérales. Ainsi en a-t-il été à propos de la relation entre le droit de
l’OMC et les Accords environnementaux multilatéraux (AEM). 3 Ceux-ci sont organisés conjointement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation
mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), et par le Secrétariat de l’OMC. Ils abordent des sujets tels
que l’accès aux technologies médicales, l’innovation. Ils font notamment suite à la Déclaration sur l’accord
sur les ADPIC et la santé publique, adoptée le 14 novembre 2001 par les États membres. Celle-ci consiste à
reconnaître la nécessité de certaines flexibilités dans la mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle
afin d’appuyer « le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique, et en particulier, de
promouvoir l’accès de tous aux médicaments » (Quatrième paragraphe de la Déclaration sur l’accord sur les
ADPIC et la santé publique). 4 V. entre autres sur le site de l’OMC : « L’OMC peut agir en faveur de l’environnement et de la santé » V. :
http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/10thi_f/10thi08_f.htm
21
des végétaux »1. C’est dans l’étude de ce régime d’exception que s’ancre la recherche
relative aux aspects environnementaux et sanitaires dans le droit de l’OMC.
8. Un régime d’exceptions. La « protection de la santé et de la vie des personnes et
des animaux » et la « préservation des végétaux »2 constituent l’exception phare au
régime général du commerce des marchandises. Et pour cause, elle est aussi bien
envisagée dans l’article XX b) du GATT, que dans les Accords OTC et SPS.
Il en va de l’articulation de ces trois accords, comme d’un régime d’exception allant
du plus général au plus particulier. L’article XX b) du GATT consiste en une
« exception générale » aux principes et règles de libre-échange des marchandises
posés par l’Accord général. C’est corrélativement à l’extension du champ
d’application de ces principes aux marchandises agro-alimentaires, par le biais de
l’adoption de l’Accord sur l’Agriculture (AsA), qu’ont été adoptés les Accords SPS et
OTC. Ceux-ci doivent être appréhendés comme les garde-fous à une utilisation
éventuellement abusive de l’exception environnementale et sanitaire, qui rendrait
caduque l’application des règles de libre-échange aux marchandises agro-alimentaires.
Les Accords SPS et OTC ont ainsi comme vocation première d’encadrer l’adoption
des mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des
animaux »3
. Ces deux accords contiennent des dispositions très similaires, et
l’articulation entre les deux n’est pas toujours aisée. Sorte d’exceptii speciales de
l’article XX b) du GATT, ils prévalent sur lui le cas échéant. Ces trois accords
interagissent ainsi selon une dynamique d’entonnoir : l’Accord SPS s’applique en
priorité s’il s’agit d’une mesure protectrice de l’environnement ou de la santé ; à
défaut, la mesure est susceptible de correspondre à la catégorie plus large des
règlements techniques, et d’être régie par l’Accord OTC ; si la mesure ne rentre dans
aucun des deux champs d’application précédents, elle sera soumise au régime prévu
par l’article XX b) du GATT. L’ensemble de ces textes est représentatif de l’ambigüité
1 Termes issus de l’article XX (b) du GATT, et repris en substance dans les préambules et les articles des
Accord SPS et OTC. 2 Ibid.
3 Selon l’OMC, « environ 10 pour cent des réglementations proposées au titre des Accords OTC et SPS qui
sont notifiées à l’OMC indiquent comme objectif la protection de l’environnement », v.
http://www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/envir_req_f.htm..
22
du régime auquel sont assujettis les produits agro-alimentaires, en ce que tout en
aménageant des exceptions au régime général, ils affichent comme principal objectif
la réduction minimale des effets négatifs sur le commerce.
9. L’article XX b) du GATT, « exception générale » aux principes du libre-
échange. L’article XX b) du GATT dispose que sont autorisées les mesures
« nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou
à la préservation des végétaux ». Tout en étant très proche des Accords SPS et OTC,
l’article XX b) connaît un champ d’application plus large. Corrélativement, ses
conditions d’application sont moins strictes que celles des accords précédents : la
mesure doit viser l’objectif de protection environnementale ou sanitaire, et être
appliquée de bonne foi. Nous verrons que la jurisprudence a néanmoins dégagé une
interprétation relativement stricte de cette exception1. De façon générale, un État
membre a tout intérêt quand il adopte une mesure d’ordre sanitaire à le faire en
conformité avec l’Accord SPS qui est le plus exigeant. Son article 2.4 énonce
d’ailleurs une présomption de compatibilité des mesures qui lui sont conformes avec
l’article XX (b) du GATT. Le statut de l’article XX pose encore question : stricte
exception, droit de valeur égale, voire réserve d’ordre public du commerce
international2, le débat n’est pas tranché
3. Il est en revanche établi que son paragraphe
b) et sa mise en œuvre par les organes de règlement des différends sont décisifs dans
la place des mesures sanitaires et environnementales au sein du droit de l’OMC4.
Depuis 1995, cet article XX b) est relayé par deux accords qui apparaissent comme ses
exceptii speciales.
1 Concernant l’interprétation restrictive par les organes de règlement des différends de l’article XX b) du
GATT, v. infra n° 42 à 51. 2 RUIZ-FABRI H., « Organisation mondiale du Commerce – Droit matériel – Généralités. Marchandises »,
JurisClasseur Droit international, Fasc. 130-20, 1998, n° 132. 3 Sur cette question, v. not. BARTENSTEIN K., « L'article XX du GATT : le principe de proportionnalité et la
concordance concrète entre le commerce et l'environnement », Les Cahiers de droit, vol. 43, 2002/4, pp.
651-684. 4 V. not. MARCEAU G., "The Future of International Trade Law: How Best for Trade to Deal With (New)
Non-trade Concerns?", in MULLER S., ZOURIDIS S., FRISHMAN M. and KISTEMAKER L. (eds.),The Law of
the Future and the Future of Law: Volume II, TOAEP, 2012, The Hague, pp. 279-295 ; ANDELA J. J., «
L'article XX du GATT de 1994 dans la jurisprudence de l'Organe de règlement des différends de l'OMC :
une analyse sous le prisme environnemental », RQDI, vol. 25.1 (2012), pp. 1-28.
23
10. Les Accords SPS et OTC, exceptii speciales aux principes du libre-échange.
Les Accords SPS et OTC, adoptés le 1er
janvier 1995, figurent dans la liste de
l’Annexe 1A (Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises) de l’Accord
instituant l’OMC. Malgré le fait que les champs d’application des deux accords
diffèrent, il n’est pas toujours évident de délimiter leurs frontières respectives.
Grossièrement, on considère que l’Accord SPS couvrira les mesures poursuivant un
objectif de protection contre un risque sanitaire ou environnemental1, et l’Accord OTC
les règlements techniques mettant par exemple en place des obligations d’étiquetage2.
Si apparemment, les dispositions de l’Accord OTC paraissent moins strictes que celles
de l’Accord SPS, pour certains auteurs, « ces deux accords relèvent des mêmes
principes et [la] jurisprudence en a considérablement atténué les différences »3.
Pour qu’il y ait compatibilité avec leurs termes, les Accords SPS et OTC posent une
série de conditions très strictes. Les deux grands principes de ces accords, pour que les
mesures environnementales et sanitaires y soient conformes, consistent à se fonder sur
des normes internationales existantes4, ou, à défaut, à justifier la mesure par des
preuves scientifiques établissant l’existence d’un risque pour la santé ou
l’environnement5. De plus, les mesures mises en place doivent être cohérentes, non-
discriminantes et proportionnées à l’objectif visé.
1 L’objet de l’Accord SPS est d’encadrer les mesures des États membres visant à prévenir les risques pour
les personnes causés par des maladies ou des parasites véhiculés par des animaux ou des plantes ; ou à
cause d’additifs, de contaminants, de toxines ou d’organismes pathogènes contenus dans les produits
alimentaires, boissons ou animaux. Pour une présentation succincte de l’Accord SPS, en particulier de ses
interactions avec la problématique de la sécurité alimentaire, v. CHARLIER C., « Accord SPS », in COLLART
DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde,
op. cit., pp. 28-30. 2 L’Accord OTC a pour objet de réglementer l’élaboration, l’adoption et l’application de tous les règlements
techniques et normes des offices de normalisation. Il met également en place des procédures d’évaluation et
de conformité des produits. Les normes sanitaires et phytosanitaires visées par l’Accord SPS sont exclues de
son champ d’application. Ainsi, dans le domaine agro-alimentaire, l’Accord OTC s’applique aux normes
non-couvertes par l’Accord SPS, et pouvant être qualifiées de règlements techniques, telles que les
prescriptions en matière d’emballage, de marquage et d’étiquetage. Pour une présentation succincte de
l’Accord OTC, en particulier de ses interactions avec la problématique de la sécurité alimentaire, v.
CHARLIER C., « Accord OTC », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire
juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, op. cit., pp. 26-28. 3 LUFF D., Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruylant, L.G.D.J.,
Bruxelles (Belgique), 2004, p. 1107. 4 Article 3.1 de l’Accord SPS.
5 Articles 2.2, 3.3 et 5.1 de l’Accord SPS, Article 2.2 de l’Accord OTC
24
S’il s’agit d’autoriser les mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux », la réserve reste
posée « que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen
de discrimination arbitraire ou injustifiable, soit une restriction déguisée au commerce
international » 1
.
Il faut ici souligner à quel point les Accords SPS et OTC sont connotés politiquement.
Ils incarnent, au même titre que l’AsA, la libéralisation du secteur agricole2. En effet,
leurs dispositions reprennent à plusieurs reprises l’impératif absolu de « réduire au
minimum les effets négatifs [des mesures sanitaires et phytosanitaires] sur le
commerce » 3
. C’est pourquoi l’accord s’applique à toutes les mesures sanitaires et
environnementales « qui peuvent, directement ou indirectement, affecter le commerce
international » 4
. Ces mesures ne sauraient « constituer une restriction déguisée au
commerce international »5, et ne doivent donc pas être « plus restrictives pour le
commerce qu’il n’est requis »6.
Ainsi, l’article XX b) du GATT en général, les Accords OTC et SPS en particulier,
permettent aux États membres d’adopter des mesures considérées comme des
obstacles aux échanges des produits agro-alimentaires, mais justifiées par un même
objectif de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, ou de
préservation des végétaux. Cependant, on constate que ces textes posent de strictes
exigences pour autoriser ces types de mesures, et qu’ils restent avant tout des outils de
promotion du libre-échange de produits considérés comme des marchandises. Les
1 § 1 du préambule et art. 5.4 de l’Accord SPS
2 L’« objectif prioritaire [de l’Accord SPS] est d’éviter qu’en matière de sécurité alimentaire précisément,
l’usage de mesures sanitaires ne camoufle des barrières déguisées aux échanges » : NOIVILLE C.,
« Principe de précaution et Organisation mondiale du commerce – Le cas du commerce alimentaire », JDI,
2000/2, p. 266. 3 § 4 du préambule de l’Accord SPS
4 Art. 1.1 SPS
5 Art. 2.3 SPS ; v. également le § 6 du préambule de l’Accord OTC qui pose la condition « que ces mesures
ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable
entre des pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international ». 6 Art. 5.6 SPS ; v. également l’article 2.2 de l’Accord OTC qui précise que ces mesures ne doivent avoir « ni
pour objet ni pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce international » et que « les
règlements techniques ne seront pas plus restrictifs pour le commerce qu’il n’est nécessaire ».
25
organes de règlement des différends n’ont pas manqué de préciser les modalités
d’application de ces articles dans le cadre des nombreux litiges rapidement apparus.
11. L’éclosion d’un contentieux des exceptions environnementales et sanitaires.
Comment, dès lors, étudier le sort des exceptions environnementales et sanitaires dans
le droit de l’OMC ? Les textes régissant la question sont complexes et techniques, et
laissent la place à de nombreuses spéculations théoriques. Il appert en revanche que
les organes de règlement des différends ont eu à se prononcer sur cette question à
maintes reprises, et offrent à l’observateur des réponses concrètes et tangibles sur des
cas précis. En outre, les domaines environnementaux et sanitaires étant
particulièrement sensibles, l’évolution du droit s’y caractérise par un rôle moteur
primordial du juge. Il n’est qu’à mentionner l’évolution avant tout prétorienne du
principe de précaution en droit interne et européen pour illustrer ce rôle1. Sur un plan
matériel, soulignons que l’éclosion de ce contentieux environnemental et sanitaire
correspond à la facette qualitative de la sécurité alimentaire2. Cela n’a rien d’étonnant,
les grandes puissances étant les premières utilisatrices du système de règlement des
différends de l’OMC : elles sont plus concernées par cet aspects qualitatif, que par
l’aspect quantitatif, qui reste avant tout un problème de pays pauvres. Malgré ce biais
qualitatif, les résultats de cette étude doivent être appréhendés dans une optique de
sécurité alimentaire, les exceptions environnementales et sanitaires en étant sa
principale manifestation dans le droit de l’OMC. La présente étude propose ainsi une
analyse exhaustive des rapports adoptés par l’Organe de règlement des différends
(ORD) ayant eu à mettre en œuvre les exceptions environnementales et sanitaires dans
le domaine du commerce international des marchandises3. L’ensemble de ces rapports
1 Le juge a par exemple joué un rôle clef dans l’extension du principe de précaution de l’environnement à la
santé. Sur ce point, v. notamment NOIVILLE C., « La lente maturation jurisprudentielle du principe de
précaution », in NOIVILLE C. (coord.), « Dossier sur le principe de précaution », Rec. D., 2007, n°22, pp.
1514 s. 2 Nous avons vu précédemment que la sécurité alimentaire est aujourd’hui conçue de manière quantitative
(une nourriture suffisante) et qualitative (une nourriture saine et nutritive). V. supra n° 6. 3En réalité, les premiers litiges à dimension sanitaire ou environnementale remontent aux années 80, sous
l’égide de l’ancien GATT : Rapport du Groupe spécial Canada—Mesures affectant l'exportation de harengs
et de saumons non préparés, L/6268 — 35S/106, adopté le 22 mars 1988 ; Rapport du Groupe spécial
Thaïlande — Restrictions à l'importation et taxes intérieures touchant les cigarettes, DS10/R, adopté le 7
novembre 1990 ; Rapport du Groupe spécial États-Unis—Restrictions à l'importation de thon, DS21/R,
distribué le 3 septembre 1991 ; Rapport du Groupe spécial États-Unis—Restrictions à l'importation de thon,
26
esquisse un véritable contentieux environnemental et sanitaire, dont les tenants et
aboutissants de l’étude doivent être précisés.
12. La forme des rapports étudiés. En vingt ans, ce sont une quinzaine d’affaires qui
ont posé la question de la mise en œuvre de l’exception environnementale ou sanitaire
dans le cadre du système de règlement des différends. Certaines sont purement
sanitaires, d’autres purement environnementales, mais la majorité relève du secteur
agro-alimentaire et mêle les deux types d’enjeux. À l’exception de deux affaires,
toutes ont usé de la procédure d’appel après la distribution du rapport du panel1. Si
l’échantillon est limité, il présente néanmoins une diversité de cas, ainsi que l’intérêt
d’offrir à l’examen des procédures complètes. Il faut préciser que les rapports des
organes de règlement des différends sont conséquents : le nombre de pages moyen des
rapports est de deux cents. Les rapports les plus importants sont ceux rédigés par les
Groupes spéciaux, le plus édifiant à cet égard étant le rapport OGM qui ne fait pas
moins de 1200 pages ! Si la complexité scientifique de ces affaires explique la taille
phénoménale des décisions rendues, elle ne la justifie pas totalement. Les rapports de
l’Organe d’appel, malgré son cantonnement aux questions de droit, atteignent presque
systématiquement la centaine de pages. Ceux-ci présentent d’importants
développements théoriques et juridiques qui alourdissent les raisonnements jusqu’à les
rendre difficilement compréhensibles. Dans l’ensemble, ces rapports manquent de
clarté concernant à la fois les motifs, les définitions des concepts, les conditions des
régimes et leur articulation. Ce manque de rigueur pose aux lecteurs la difficulté de ne
pas se laisser duper par la complexité des raisonnements : certaines déclarations de
principe laissent souvent croire à la mise en place d’une règle, qui n’est finalement pas
appliquée au cas d’espèce. Autrement dit, la forme des rapports étudiés nécessite de
faire la part entre les déclarations formelles, et les décisions substantielles.
distribué le 16 juin 1994, 33 I.L.M. 839 (1994). Néanmoins, il ne sera question de ces affaires que dans la
mesure de leur interdépendance avec celles traitées dans le cadre du système de règlement des différends de
l’OMC. 1 La phase juridictionnelle, qui comporte un double degré de juridiction, fait intervenir un Groupe spécial,
puis, sur le choix des parties, l'Organe d'appel. Sur ce point, v. MONNIER P. et RUIZ FABRI H., « OMC. –
Règlement des différends », op. cit., n° 52 à 94.
27
13. Le fond des rapports étudiés. Ces rapports forment un tout cohérent et homogène
tant dans les raisonnements que dans les solutions qu’ils adoptent. Hormis deux
affaires, les organes de règlement des différends n’admettent jamais la mise en œuvre
des exceptions environnementales ou sanitaires. Le point d’achoppement entre les faits
du cas d’espèce et la décision juridique réside nécessairement dans la difficile
justification, permettant aux mesures litigieuses de déroger aux grands principes du
libre-échange, justification qui passe le plus souvent par l’établissement scientifique
de l’existence d’un risque. Il faut rappeler que certains risques sanitaires ou
environnementaux invoqués relèvent du principe de précaution, qui, par nature, vise
des hypothèses de risques suspectés (non encore avérés). Il en résulte que les États ne
parviennent pas à prouver l’existence du risque environnemental ou sanitaire ayant
motivé l’adoption des mesures litigieuses restrictives pour le commerce international
des marchandises. Les raisonnements des organes de règlement des différends sont
techniques et complexes : ils articulent des exigences tant scientifiques que juridiques,
posent des règles inédites tant matérielles que procédurales. De manière générale, ils
font preuve d’une action normative importante, soit que les textes soient lacunaires,
soit qu’ils laissent une marge importante à leur interprète.
14. L’action normative des organes de règlement des différends. En se confrontant
à la question de l’exception environnementale et sanitaire, les organes de règlement
des différends endossent une véritable fonction normative. L’article 3.2 du
Mémorandum d’Accord indique certes que « les recommandations et décisions de
l’ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les
accords visés ». Malgré la prégnance de ce mythe du juge comme (simple) bouche de
la loi, les observateurs s’accordent à dire que cette idée relève de la fiction en ce qui
concerne les décisions prises par les organes de règlement des différends de l’OMC1.
1 CULOT H., «Soft Law et droit de l’OMC», RIDE, 2005/3 t. XIX, 3, p. 258, se référant à DAS B.L., The
WTO and the Multilateral Trading System – Past, Present and Future, Penang, Third World Network,
Londres, Zed Books, 2003, pp. 97 s.
28
Au contraire, c’est bien une véritable action normative que mènent les organes de
règlement des différends en clarifiant les accords visés1.
De cette action normative se dégage d’ailleurs une véritable tendance jurisprudentielle.
Formellement, le principe d’autorité de la chose jugée est exclu, et l’effet précédentiel
limité2. En effet, la décision rendue par les organes de règlement des différends ne
vaut en principe que pour le litige pour lequel ils sont saisis. La portée des solutions va
pourtant au-delà en pratique3, les organes de règlement des différends se référant
systématiquement aux décisions antérieures. Clôturant un ancien débat, nombre
d’auteurs n’hésitent plus à qualifier l’ensemble des décisions des organes de règlement
des différends de jurisprudence4.
Corrélativement, la question ne se pose plus du statut juridictionnel des organes de
règlement des différends. Si le pouvoir d’adopter les rapports revient à l’organe
politique, rassemblant les représentants des différents États membres, qu’est l’ORD,
cette prérogative n’est finalement devenue qu’une simple formalité5. Le mécanisme de
consensus inversé6 rend quasiment automatique l’adoption par l’ORD des rapports
rendus par les organes de règlement des différends. Ainsi, alors qu’à l’OMC les
négociations reflètent un blocage du processus de décision politique, les organes de
règlement des différends semblent les pallier en se hissant au premier plan7. L’Organe
1 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit », in KAHN P. (Mélanges en l’honneur de), Paris, Litec, 2000, pp. 303-334. 2 V. CHUA A., “The precedential effect of the WTO Panel and Appelate Body Reports”, Leiden Journal of
International Law, 1998, pp. 45-61 3 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit », op. cit., p. 323. 4 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 54, en particulier la note de bas de page 33 ; et RUIZ FABRI H., « La
juridictionnalisation du règlement des litiges économiques entre États », Rev. arb., 2003, n°3, pp. 881-947. 5 V. CANAL-FORGUES E., Le règlement des différends à l’OMC, 2
e édition, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 30 :
« L’issue des litiges échappe largement au contrôle politique de ces organes qui ne sont sollicités que pour
consacrer une solution déjà quasiment acquise ». 6 Articles 16.4 et 17.14 du Mémorandum d’accord : pour qu’un rapport ne soit pas adopté, il faudrait que
tous les Membres le décident par consensus. 7 Certains auteurs parlent ainsi d’un “rise to prominence”[élévation au premier plan] de l’Organe d’appel :
VAN DEN BOSSCHE P., From Afterthought to Centerpiece: The WTO Appellate Body and its rise to
Prominence in the World Trading System, Stresa 11-13 March 2005, Rapport provisoire, in The WTO at
Ten: The Contribution of the Dispute Settlement System, Cambridge UP, 2006.
29
d’appel, en particulier, a désormais acquis le statut, sinon de juge1
, du moins
« d’organe judiciaire principal de l’OMC » 2
. Le juridique semble avoir largement pris
le dessus sur le politique, si bien qu’à l’instar d’autres systèmes juridiques, à l’OMC
« la figure du juge tend à supplanter celle du législateur dans le Panthéon des
autorités sources de légitimité » 3
.
Partant, il paraît judicieux de considérer les Groupes spéciaux et l’Organe d’appel
comme les véritables organes de règlement des différends de l’OMC. Il faut toutefois
préciser que le processus de sélection et de nomination de ces juges reste obscur et est
largement critiqué. Les Groupes spéciaux sont composés de trois, ou
exceptionnellement cinq, experts sélectionnés au cas par cas ; l’Organe d’appel, lui,
est composé de sept membres désignés par l’ORD pour un mandat de quatre ans. Bien
que les candidatures soient soumises à des conditions d’expertise, d’indépendance et
de diversité des nationalités, les nominations sont faites à huis clos parmi les
diplomates s’occupant du commerce4
. Certains ont en outre mis en évidence
l’existence d’un biais culturel des membres de l’Organe d’appel, les juges de l’Organe
d’appel ayant par exemple été formés ou enseignant dans des universités anglo-
saxonnes5
. Cette caractéristique anthropologique des organes de règlement des
différends joue nécessairement un rôle dans les décisions qu’ils rendent. Toujours est-
il que ces organes de règlement des différends, amenés à se prononcer sur la mise en
œuvre des exceptions environnementales ou sanitaires au libre commerce des
1 RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends », op. cit., n°1 : d’après cette auteure, « la pratique
[permet d’affirmer] qu’il existe désormais un ‘juge de l’OMC’ ». 2 PETERSMANN E.-U., “Dispute Settlement in International Economic Law – Lessons for Strengthening
International Dispute Settlement in Nin-Economic Areas”, JIEL, 1999, n. 2, p. 209. 3 Mathieu B., La loi, 3
e éd., Dalloz, Paris, 2010, pp. 107-108.
4 Pour un point de vue critique sur ces processus de sélection et de nomination, v. PAUWELYN J.,
« Multilatéral. La sélection des juges à l’OMC mérite plus d’attention ! », Courrier international, publié le
19/11/2007, accessible en ligne : http://www.courrierinternational.com/article/2007/11/16/la-selection-des-
juges-a-l-omc-merite-plus-d-attention [consulté le 05/07/2015]. 5 BERNARD A. et RIEM F., « Amender le libre-échange en matière alimentaire ? », in COLLART DUTILLEUL F.
et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 2, op. cit., p.
337. Cet auteur reprend en outre le terme de « bureaucratie globale » proposée par un anthropologue à
propos du secrétariat de l’OMC, en soulignant l’omniprésence d’un personnel extrêmement mobile entre les
différentes structures genevoises, privées ou publiques, ne faisant allégeance qu’à ce groupe très limité
d’experts qui partage une culture commune acquise dans les grandes universités américaines : v. BADARO
M., « Le régime d’invisibilité des experts », in ABÉLÈS M., Des anthropologues à l’OMC. Scènes de la
gouvernance mondiale, CNRS éd., Paris, 2011, p. 83.
30
marchandises, produisent une véritable jurisprudence que nous étudions en tant que
telle. Dès lors, une telle approche implique certains choix méthodologiques qu’il
convient de justifier.
15. L’étude d’une jurisprudence ou des symptômes d’un déclin. S’adonner à l’étude
d’une jurisprudence équivaut à analyser des situations de conflit1. Si l’étude d’une
jurisprudence présente la garantie de l’analyse de situations concrètes, et évite par là
même de se perdre dans des considérations théoriques et spéculatives, elle comporte
également certaines limites qui doivent être prises en compte.
L’existence d’une jurisprudence a pu être appréhendée comme l’expression pure du
droit. Le Doyen CARBONNIER met néanmoins en garde contre la tendance à exagérer la
part du contentieux. D’après lui, le droit vivant et quotidien ne se résume pas à un
contentieux ; et il convient d’appréhender la pratique judiciaire comme une
« pathologie » 2. Les observateurs de l’OMC considèrent en ce sens que l’étude de la
jurisprudence des organes de règlement des différends de l’OMC offre « une
perception du système par ses dysfonctionnements »3
, et revient d’une certaine
manière à « regarder la vie dans un rétroviseur »4.
Les rapports des organes de règlement des différends relatifs aux exceptions
environnementales et sanitaires sont effectivement l’expression de
dysfonctionnements du système OMC. Ils se présentent avant tout comme autant de
symptômes d’une pathologie plus profonde. L’objectif de la présente étude consiste à
proposer un diagnostic, voire quelques prescriptions curatives. L’OMC semble bel et
1 Ces conflits ont néanmoins ceci de particulier qu’ils présentent une configuration tripartite dans laquelle le
juge se pose comme tiers chargé de le trancher. 2 « Sans doute, l’observation des cas cliniques contribue aux progrès de la biologie ; mais c’est à condition
qu’on la rapporte à une étude de la vie normale » : CARBONNIER J., Sociologie juridique, 2e édition, PUF,
Quadrige, 2004, p. 343. L’auteur propose ainsi de partir d’un double postulat, selon lequel premièrement le
contentieux déforme la réalité du droit, et deuxièmement le droit est infiniment plus vaste que le
contentieux. Adopter ce postulat pour la présente étude revient à appréhender le résultat d’ineffectivité des
exceptions environnementales et sanitaires comme des symptômes d’une pathologie, et non comme une
sentence absolue du système OMC. 3 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », RGDIP,
2006-1, p. 73. 4 Ibid. D’après l’auteure, une politique judiciaire, même très déterminée ne peut être une gouvernance. Et si
la politique judiciaire n’est pas relayée par des décisions étatiques, elle n’est pas viable à long terme.
31
bien atteinte d’une maladie dégénérative : l’échec de son unique cycle de négociations
commerciales, ainsi que la généralisation parallèle de traités de libre-échange
bilatéraux témoignent d’un déclin précoce de la jeune organisation.
16. L’échec de la conclusion du Cycle de Doha. Le cycle de Doha, ouvert lors de la
Conférence ministérielle du même nom en 2001, fait suite à un premier échec de
définition d’un programme de négociations en 1999 à Seattle1. Devant initialement se
clôturer au 1er
janvier 2005, il est aujourd’hui encore en cours, si bien que les États
membres semblent s’être enlisés dans les négociations de ce cycle2. Quant à cerner les
points de blocage de ces négociations, il suffit peut-être de rappeler le principe de
l’« engagement unique » de l’OMC, revenant au principe selon lequel « rien n’est
conclu tant que tout n’est pas conclu ». Dès lors, le nombre de thèmes sur la table des
négociations3, la sensibilité de certains sujets
4, et le nombre d’États devant arriver à un
consensus, expliquent aisément les difficultés rencontrées pour clôturer ce cycle.
Récemment, les États membres sont parvenus à la conclusion d’un accord à Bali, dont
l’apparent succès doit être nuancé au regard du peu de contenu des engagements pris.
À l’heure actuelle, les négociations du Cycle de Doha n’ont débouché que sur le
« Paquet Bali » le 7 décembre 2013. Cet « Accord sur la facilitation des échanges »
commerciaux internationaux, le premier depuis la création de l’OMC, a pourtant été
1 Cet échec tiendrait à la fois à certaines causes externes, telles que des manifestations de la société civile à
l’encontre du libre-échange, et à des causes internes de désaccords sur des points tels que l’agriculture,
l’introduction d’une clause sociale ou la place des pays en voie de développement. 2 Ont eu lieu dans ce cadre les échecs des conférences ministérielles de Cancun, en 2003 et Hong Kong, en
2005. Le 24 juillet 2006, Pascal Lamy, alors Directeur général de l’OMC, avait suspendu le cycle sine die.
La conférence ministérielle de Genève, en 2009, est l’occasion pour les États membres de réaffirmer leur
volonté de conclure le cycle en 2010, délai qui ne sera finalement pas respecté. 3 Sont en effet discutés pas moins d’une vingtaine de thème aussi variés que l’agriculture, l’accès aux
marchés pour les produits non agricoles, les services, la facilitation des échanges, les règles antidumping et
relatives aux subventions, les rapports entre commerce et environnement, des questions de propriété
intellectuelle, le règlement des différends, la mise en œuvre de différents accords de l’OMC, etc. 4 Pour ne prendre qu’un exemple, les débats relatifs à l’agriculture sont fortement empreints des différences
culturelles spécifiques à chaque pays ou région. Dans ce domaine s’affrontent quatre principaux acteurs: le
groupe de Cairn (qui réunit les principaux pays agro-exportateurs se positionnant contre les
protectionnismes américain et européen) défendant une vision ultra libérale des échanges agricoles ; les
États-Unis, ayant adopté une position de négociation offensive d’ouverture des marchés malgré leur
pratique de subventions à l’exportation ; les pays en développement revendiquent, pour leur part, le droit de
soutenir leurs populations rurales pauvres et d’assurer leur autosuffisance alimentaire ; et enfin l’Union
européenne, qui a mis en place une Politique agricole commune (PAC) depuis les années 60, défendant une
« exception agricole » aux règles de libre-échange.
32
qualifié de « Doha light » par les observateurs1 . Il représente effectivement moins de
10 % du vaste programme de réformes lancé à Doha2. Tout en parlant du « succès de
Bali »3, le Directeur général Roberto AZEVÊDO reconnaît que le cours des négociations
commerciales reste une « frustration »4. Et pour cause, il s’en est fallu de peu que cet
accord a minima ne soit finalement pas adopté5. En outre, le succès de la conférence
de Bali est largement remis en cause par la multiplication de nouveaux accords de
libre-échange.
17. La concurrence de nouveaux accords de libre-échange. Parallèlement, et à la
marge de ces négociations multilatérales, se multiplient depuis une dizaine d’années
de nombreux accords de libre-échange, qui font directement concurrence au droit de
l’OMC et témoignent de son déclin. Cette dynamique a d’abord été amorcée par les
États-Unis, qui ont signé un accord bilatéral avec le Maroc en 20046. L’Union
1 V. notamment LOROT P., « Le cycle de Doha n’a accouché finalement que d’un accord a minima en
décembre dernier à Bali », Le nouvel Économiste, publié le 7 janvier 2014, [disponible en ligne :
http://www.lenouveleconomiste.fr/le-cycle-de-doha-na-accouche-finalement-que-dun-accord-a-minima-en-
decembre-dernier-a-bali-21116/, consulté le 11 janvier 2015]. 2 Le texte ne concerne que trois volets : l'agriculture, avec un engagement à réduire les subventions à
l'export, l'aide au développement prévoyant une exemption accrue des droits de douane aux produits
provenant des pays les moins avancés, et la « facilitation des échanges », qui ambitionne de réduire la
bureaucratie aux frontières. Plusieurs sujets ont été exclus des négociations comme les droits de douanes,
ou encore les normes sanitaires ou environnementales applicables aux produits importés. V. notamment « À
Bali, l’OMC conclut un accord ‘historique’ », Le Monde.fr avec AFP, 07.12.2013 [disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/a-bali-l-omc-conclut-un-accord-
historique_3527224_3234.html#sXUwiOqhsKXyfx6g.99, consulté le 11 janvier 2015]. 3 AZEVÊDO R., « L’OMC célèbre vingt années de contribution à la croissance du commerce », Allocution
du Directeur général de l’OMC, 1er
janvier 2015 [disponible en ligne :
http://www.wto.org/french/news_f/news15_f/dgra_01jan15_f.htm, consulté le 12 janvier 2015]. 4 Ibid.
5 Le 31 juillet 2014, six mois après la conclusion de l’accord de Bali, l’Inde posait son veto à sa mise en
œuvre au nom de la lutte contre la pauvreté dans le pays. Le gouvernement indien souhaite en effet
pérenniser le mécanisme de distribution par l'État de produits alimentaires aux populations les plus pauvres,
alors que l'Accord de Bali prévoit qu'il y soit mis fin dans quatre ans. Les États-Unis considèrent que le
mécanisme indien de sécurité alimentaire constitue une distorsion aux règles commerciales multilatérales.
Pour permettre la ratification du Paquet Bali, le gouvernement américain s’est néanmoins engagé à ne pas
contester le programme indien d’achat et de redistribution des denrées alimentaires dans le cadre du
système de règlement des différends de l’OMC. Cette crise a d’ailleurs un temps poussé le Directeur
général à envisager la remise en cause de la règle du consensus. 6Cet Accord de libre-échange entre les États-Unis d’Amérique et le Maroc, entré en vigueur le 1
er janvier
2006, permet par exemple un libre accès des produits marocains sur le territoire américain, en échange de la
mise en place d’une protection des brevets des firmes pharmaceutiques américaine plus restrictive que
l’accord ADPIC (soit 30 ans au lieu de 20 ans). À ce jour, les États-Unis ont conclu au total une vingtaine
d’accords bilatéraux de libre-échange de ce type : Accords conclus avec l’Australie, le Bahreïn, le Canada,
le Chili, la Colombie, le Costa Rica, la République dominicaine, le Salvador, le Guatemala, le Honduras,
33
européenne a adopté à son tour une telle stratégie en multipliant la signature de traités
bilatéraux de libre-échanges1. À ce jour elle participe aux négociations d’accords
majeurs de libre-échange2. Ce sont probablement les négociations se déroulant à huis
clos concernant la libéralisation des échanges de services, qui témoignent le plus
manifestement du déclin actuel de l’OMC. Elles ont commencé en mars 2013 et ne
réunissent pas moins de cinquante pays, autoproclamés Really good friends of services,
les « vrais bons amis des services »3. Ces négociations, qui se déroulent également
hors du cadre de l’OMC, ont pour objectif d’arriver à un Accord sur le Commerce des
Service (ACS)4, qui irait plus loin dans la libéralisation des services que le droit de
l’OMC5. Celui-ci ferait en effet directement concurrence à l’Accord Général sur le
Commerce des Service (AGCS) conclut sous l’égide de l’OMC.
Les deux premiers exportateurs mondiaux ont ainsi amorcé une dynamique de
contournement du multilatéralisme, révélant avec acuité l’échec du Cycle de Doha6.
Israël, la Jordanie, la Corée, le Mexique, le Maroc, le Nicaragua, le Sultanat d’Oman, le Panama, le Pérou et
Singapour. Ces accords sont disponibles sur le site du Bureau du Représentant américain au commerce :
http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements, consulté le 12 janvier 2015. 1 Elle est à ce jour partie à quatre accords de ce type : Accords de libre-échange entre l’Union européenne et
le Chili, le Mexique, la Suisse et les Pays des Caraïbes (Carribean Free Trade Association, dit
CARIFORUM). Ces accords sont disponibles sur le site de la Commission européenne :
http://ec.europa.eu/internal_market/publicprocurement/rules/free_trade_agreements/index_fr.htm, consulté
le 12 janvier 2015. Pour une mise en perspective du droit de l’OMC au regard de l’Accord de libre-échange
avec les pays des Caraïbes, v. GRUNI G., “Going from One Extreme to the Other: Food Security and Export
Restrictions in the EU–CARIFORUM Economic Partnership Agreement”, European Law Journal, Vol. 19,
Issue 6, November 2013, pp. 864-883. 2 L’Accord économique et commercial global, dit CETA (Acronyme correspondant à l’intitulé anglais de
l’accord : Comprehensive Economic and Trade Aggreement), théoriquement déjà conclu avec le Canada,
est sur le point d’être validé par les provinces canadiennes et le parlement européen. Le Traité de libre-
échange transatlantique, dit TAFTA (Acronyme correspondant à l’intitulé anglais de l’accord :
Transatlantic Free Trade Agreement), est encore en cours de négociation entre l’Union européenne et les
États-Unis. Il se présente comme amorçant la création d’une zone de libre-échange transatlantique, dite
« Grand marché transatlantique ». D’une manière générale, ces deux accords visent à éliminer les barrières
tarifaires et non-tarifaires dans de nombreux secteurs économiques, dans un but d’augmentation d’échange
des marchandises. 3 Participent à ces négociations l’Australie, les États-Unis, le Japon, la Corée, le Chili, le Pérou, la Turquie,
le Panama, ainsi que les vingt-huit États membres de l’Union européenne. 4 Ou TiSA pour l’intitulé anglais de l’accord: Trade in Services Agreement.
5 Pour un bref aperçu des débats autour du TiSA, v. CHARREL M., « Huis clos autour de la libéralisation des
services », Le Monde, 4 août 2014. 6 En outre, la coexistence de ces accords de libre-échange avec le droit de l’OMC pose de nombreuses
questions d’articulation juridique, en particulier lorsque sont prévus des mécanismes de règlement des
différends distincts : la plupart du temps, ces accords de libre-échange conclus en dehors du cadre de
l’OMC comportement une clause d’arbitrage États-investisseur. Le règlement des différends prévoit ainsi la
possibilité pour des personnes privées, telles que les entreprises transnationales, de porter plainte contre un
34
L’OMC, à vingt ans, aurait déjà entonné son chant du cygne, mais sa pathologie
présenterait tous les avantages du cas d’école pour le chercheur.
18. L’OMC, un cas d’école. Pourquoi diable cette organisation commerciale
multilatérale au faîte de sa puissance, laboratoire unique en son genre, se retrouve-t-
elle aujourd’hui sur la pente descendante ? Il est envisageable que, libre-échange pour
libre-échange, les États les plus puissants aient préféré assurer leur suprématie
commerciale en revenant à des négociations bilatérales pour se départir de la lourdeur
du multilatéralisme. Celui-ci n’aurait alors trouvé sa pertinence que dans une optique
régulatrice. Dès lors, l’avenir de l’Organisation serait fonction de sa capacité à prendre
en compte des valeurs non commerciales1. Le déclin actuel de l’OMC ne serait-il pas
directement causé par une régulation déséquilibrée ? Les plus grandes affaires portées
devant les organes de règlement des différends ne démontraient-elles pas directement
ce besoin d’équilibre entre intérêts non commerciaux et principes commerciaux ?
Cette recherche d’équilibre entre intérêts divergents, loin d’être l’apanage du droit de
l’OMC, relève d’une problématique contemporaine dans un contexte de globalisation.
19. Une problématique contemporaine. « Droit global » 2
, « post-moderne »3, ou
encore « ordre international économique »4, si la terminologie diffère, la doctrine
État. Les conditions du litige sont a priori différentes des modalités prévues par le droit de l’OMC qui ne
prévoit la possibilité de différends qu’entre États. La pratique est évidemment plus nuancée, au regard de la
réalité de lobbying d’entreprises poussant les États à agir pour défendre leurs intérêts. Sur la complexité de
ces articulations, v. MARCEAU G. et WYATT J., “Settlement Regimes Intermingled: Regional Trade
Agreements and the WTO”, JIDS, Vol. 1, No. 1 (2010), pp. 67-95. 1 V. dans le même sens MARCEAU G., "The Future of International Trade Law: How Best for Trade to Deal
With (New) Non-trade Concerns?", op. cit., pp. 279-295. 2 V. ARNAUD A.-J., Entre modernité et mondialisation : cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et
de l’État, LGDJ, Coll. « Droit et Société », Paris, 1998, 185 p. ; v. également CHÉROT J.-Y. et FRYDMAN B.
(dir.), La science du droit dans la globalisation, Bruylant, Coll. Penser le droit, Bruxelles (Belgique), 302 p.,
et en particulier le second chapitre de l’ouvrage : FRYDMAN B., « Comment penser le droit global ? », pp.
17-48. 3 CHEVALLIER J., « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », Revue du
droit public, 1998, n° 3, pp. 659-714. 4« Au mieux se dessinent les contours d’un ordre international économique mais […] ce dessin inachevé est
déjà brouillé par les tensions qui s’exercent entre multilatéralisme, bilatéralisme et unilatéralisme » :
KESSEDJIAN C., « Mondialisation, gouvernance, régulation. Doit-on penser le droit international
économique différemment au XXIe siècle ? », in SOREL J.-M. (Ed.), Le droit international économique à
l’aube du XXIe siècle en hommage aux professeurs Dominique Carreau et Patrick Juillard, A. Pedone,
Paris, 2009, p. 268, citant l’introduction de CARREAU D. et JUILLARD P., Droit international économique, 3e
éd., Paris, Dalloz, 2007.
35
semble aujourd’hui s’accorder sur l’observation d’un droit inédit, en mutation, conçu
et appliqué en dehors des États, dont les contours restent flous. La démarche de la
présente étude consiste à appréhender le droit de l’OMC comme maillon de cet
univers mouvant et dynamique qu’est le droit dans un contexte de mondialisation et de
globalisation, et à tenter de cerner les tendances qu’il insuffle à cet ensemble, comme
la logique à laquelle il obéit.
Figure emblématique de la mondialisation1, le droit de l’OMC reflète bien les grandes
tendances actuelles du droit du commerce international2 : l’objet de la discipline s’est
à ce point élargi que le champ de la commercialité semble bel et bien avoir été
universalisé ; corrélativement, les finalités du droit de l’OMC répondent à des enjeux
immédiats et matériels, si bien que seuls les intérêts commerciaux semblent être pris
en compte. La présente recherche s’inscrit dans une interrogation classique plus large.
Il s’agit ici de savoir s’il existe des valeurs supérieures aux intérêts ou aux besoins du
commerce international dont l’ordre juridique assurerait la promotion et la traduction3.
Formulée autrement, la question qui se pose est celle de « l’intégration dans [les]
domaines d’intervention [des institutions mondiales] de nouveaux objectifs globaux
dignes d’intérêt » 4
. Les exceptions environnementales et sanitaires dans les accords de
l’OMC permettent-elles de déroger aux principes de libre-échange en tant que valeurs
supérieures ?
Le caractère classique de la question de la prise en compte de valeurs non
commerciales par un système commercial, se vérifie dans le fait qu’elle se pose au
sein d’autres ordres juridiques. Elle est par exemple particulièrement prégnante en
droit européen de la concurrence5 et en droit des investissements internationaux
1. Ces
1 L’OMC, à l’instar d’autres institutions post-seconde Guerre mondiale, représente une « tentative de
gouvernance de l’ordre économique mondial » selon KESSEDJIAN C., op. cit., p. 263. 2 Tendances très tôt mises en lumières, avant même la création de l’OMC, par Bruno OPPETIT, dans son
article : « Droit du commerce international et valeurs non marchandes », in Études de droit international en
l’honneur de Pierre Lalive, Ed. Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 1993, pp. 309-320, v. en particulier pp. 310-
311. 3 OPPETIT B., « Droit du commerce international et valeurs non marchandes », op. cit., p. 311.
4 SALAH M. M., Les contradictions du droit mondialisé, PUF, Coll. Droit, éthique et société, Paris, 2000, p.
152. 5 La question de savoir si le droit de la concurrence était capable de protéger d’autres valeurs que la seule
concurrence a été rapidement posée par Antoine PIROVANO, notamment dans son article « Progrès
36
droits composites, se situant à la croisée des chemins du droit international
économique et du droit du commerce international, du droit public et du droit privé2,
connaissent une même dynamique d’évolution profonde, voire d’innovation. Preuve
en sont, entre autres choses, les nouvelles formes hybrides de règlement des différends.
Les institutions d’arbitrage actuellement en discussion dans le cadre des négociations
des traités bilatéraux de libre-échange en offrent un exemple frappant3. Plus avant, le
secteur agro-alimentaire renouvelle ces problématiques, en interrogeant les différents
systèmes juridiques sur des enjeux concrets, tels que la sécurité alimentaire4.
Ces droits « post-modernes » interrogent chacun la problématique de l’équilibre entre
commercial et non commercial5. Cette problématique est notamment abordée par le
biais de la notion de « régulation » . Si la signification de cette notion fait largement
économique ou progrès social (ou les contradictions du droit de la concurrence) », Dalloz, 1980, chron., p.
145 ; elle se pose encore aujourd’hui, en particulier concernant le droit de l’environnement : v. MALET-
VIGNEAUX J., L’intégration du droit de l’environnement dans le droit de la concurrence, Thèse, Nice, 2014,
702 p. 1 Sur ces questions, v. de manière générale RACINE J.-B., L’arbitrage commercial international et l’ordre
public, Bibliothèque Droit privé, t. 309, Paris, LGDJ, 1999 ; BOUCOBZA X., « La prise en compte des
intérêts des États dans le commerce international », Rev. arb. 2005-2, p. 465, spéc. pp. 481 et s. ; PROUST J.,
L’arbitrage CIRDI face aux droits de l’homme, Thèse, Paris I, 2013 ; BACHAND R., GALLIÉ M., et
ROUSSEAU S., « Droit de l’investissement et droits humains dans les Amériques », AFDI, pp. 575-610 ; plus
spécifiquement concernant les enjeux alimentaires, v. COLLART DUTILLEUL F., « Proposition Lascaux -
Investissements internationaux et accaparement des terres : la recherche d’un équilibre », in COLLART
DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1,
op. cit., pp. 83-102 ; PROGRAMME LASCAUX, « Souveraineté sur les ressources naturelles et investissements
internationaux : les chercheurs à l’écoute des analyses des ONG », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T.
(dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 2, op. cit., pp. 265-283 . 2 V. dans le même sens KESSEDJIAN C., « Mondialisation, gouvernance, régulation. Doit-on penser le droit
international économique différemment au XXIe siècle ? », op. cit., p. 267. 3 Il s’agirait de formes hybrides d’arbitrage entre personnes privées et États pour régler des litiges relatifs
aux règles de libre-échange des marchandises et des services. 4 Outre les ouvrages Lascaux précités, v. les actes du colloque « Droit économique et sécurité alimentaire »
publiés à la RIDE, t. XXVI, 2012/4 ; pour une présentation générale de ces enjeux, v. plus particulièrement
COLLART DUTILLEUL F. et PIRONON V., « Droit économique et sécurité alimentaire », RIDE, 4/ 2012 (t.
XXVI), pp. 5-14. 5 C’est ainsi qu’Horatia MUIR WATT a proposé de « repenser le rôle du droit international privé, qui, trop
attaché à la valeur libérale de neutralité reste remarquablement absent des débats actuels sur le rôle du
droit dans la gouvernance mondiale, alors même que les défis qui attendent cette dernière viennent en
grande partie du rôle joué par les acteurs privés dans le fonctionnement de l’économie globale. Au rebours
de sa neutralité affichée, il s’agirait de le reconnaître comme espace de contestation ou d’opposition entre
des visions opposées du monde » : v. ses articles « Politique du droit international privé : réflexion
critique », in COLLART DUTILLEUL F. et RIEM F. (dir.), Droits fondamentaux, ordres publics et libertés
économiques, Institut Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Vichy, 2013, pp. 245-251 ; et
« Private International Law Beyond the Schism », Transnational Legal Theory, 2(3), 2011, pp. 347-427.
37
débat 1
, elle a néanmoins pu être définie comme un « système original d’articulation
de techniques juridiques visant à assurer, dans une situation économique marchande
donnée, le maintien des équilibres correspondant à un ordre public économique défini
par la loi qui régit le marché considéré »2. Ainsi, en tant qu’« ensemble de techniques
juridiques au service de finalités sociétales »3, la notion de régulation apparaît dans la
doctrine comme un outil d’analyse particulièrement pertinent des transformations
juridiques en cours dans nos sociétés contemporaines, en particulier dans le contexte
de mondialisation4. C’est sous cet angle régulateur que sera ici appréhendée la mise en
œuvre des exceptions environnementales et sanitaires par les organes de règlement des
différends de l’OMC. On rappellera une fois de plus la pertinence de l’étude de la
jurisprudence dans un tel contexte. En effet, ces évolutions du droit contemporain
correspondent à une transformation fondamentale du rôle du juriste et du juge : il n’a
plus la simple charge de dire le droit qu’il avait sous l’égide du monisme, mais la
mission plus difficile d’affronter la collision de discours5, au regard de leur légitimité
6.
Il était dès lors naturel de placer d’importantes attentes dans l’activité des organes de
règlement des différends, au regard de leur capacité régulatrice.
1 Certains voient dans ce concept un élément-clef à la fois de la théorie générale des systèmes et de
l’analyse des politiques publiques. Pourtant, le terme de régulation apparaît comme un « concept flou,
polysémique, utilisé dans des sens extrêmement variés, voire passablement contradictoires » : tour à tour
fonction intrinsèque du droit - donc attribut inhérent à tout système juridique, ou au contraire caractéristique
d’un certain type de droit - dont le support classique serait l’État providence, ou enfin synthèse des
nouveaux aspects du droit dans les sociétés contemporaines, le terme de régulation n’est pas des plus aisés à
cerner. La présente étude ne cherchera pas tant à enrichir cette notion, qu’à l’utiliser à des fins d’analyse du
système juridique qu’est l’OMC. Pour une présentation réelle de cette notion, v. notamment CHEVALLIER J.,
« La régulation juridique en question », Dr. et société, n°49, 2001, en particulier p. 830 ; v. également
BOY L., « Réflexions sur ‘le droit de la régulation’ », Dalloz 2001, Chr. 3031. 2 CHAMPAUD C., « Régulation et droit économique », RIDE, 2002/1 t. XVI, 1, p. 31.
3 Le même auteur paraphrase ici le Doyen JULLIOT de LA MORANDIÈRE, qui aurait répété à l’envie que « le
Droit est un ensemble de techniques au service d’une finalité » : ibid, p. 40. 4 V. également MARTIN G. J. et CLAM J. (éd.), Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, Paris,
1998, 454 p. 5 TEUBNER G., « Altera pars audiatur : le droit dans la collision des discours », Dr. et société, n° 35, 1997,
pp. 99-123. 6V. l’intervention d’Horatia MUIR WATT lors du Cycle de conférences du Conseil d’État 2015-2017, Droit
comparé et territorialité du droit – Première Conférence : Droit comparé, territorialité du droit : défis et
enjeux, le mercredi 20 mai 2015 [accessible en ligne https://vimeo.com/128856624, consulté le 4 juillet
2015], de 1:36:46 à 1:57:45. Pour appuyer ses propos, elle se réfère notamment au sociologue du droit
Roger COTTERRELL : “Increasingly, the juristic challenge is to identify and evaluate authority as it
operates in practice” [De plus en plus, le défi juridique consiste à identifier et évaluer l’autorité telle
qu’elle fonctionne en pratique], “Legal Authority in a Transnational World / Autotytet prawa w świecie
transnarodym”, in The Leon Petrazycki Lecture, University of Warsaw, May 22nd 2014, University of
Warsaw Faculty of Law and Administration, Warsaw, 2014, p. 38 (traduit par nos soins).
38
20. La capacité régulatrice des organes de règlement des différends de l’OMC.
L’Organisation est apparue à sa naissance comme une nouvelle instance de régulation
supra-étatique, transnationale, dont la fonction s’exerce notamment par le canal du
droit et la production de normes juridiques. Créée par voie d’accord entre États, elle
dispose bien, dans la sphère de compétence qui lui a été reconnue, d’une « capacité de
régulation autonome », dont l’influence se fait sentir, à travers le filtre étatique, sur les
acteurs économiques et sociaux1. Cette fonction régulatrice est renforcée par la
création de son mécanisme de règlement des différends, marquant la « naissance
d’une véritable juridiction mondiale des échanges »2. D’après le même auteur, l’OMC
serait ainsi devenue, à travers les normes qu’elle édicte et les sanctions qu’elle
prononce, « le régulateur des échanges internationaux », dont le rôle économique
apparaît sans cesse plus important3.
Devant l’hégémonie du droit de l’OMC et le formidable pouvoir d’attraction de son
système de règlement des différends, nombreux furent les observateurs à placer dans
ce système des espoirs de régulation. Laurence BOY envisageait ainsi l’OMC comme
un cadre « approprié » à l’émergence d’un droit économique mondial4. Dans une telle
optique, son système de règlement des différends pouvait apparaître comme le « juge
international le mieux armé » pour trancher les litiges commerciaux dans lesquels
peuvent interférer des préoccupations non directement commerciales, comme la
protection de la santé ou de l’environnement, avec les exigences de libre circulation
des marchandises5. Ces espoirs de régulation sont néanmoins compromis par le
langage commercial de l’organisation6, qui ne saurait dès lors représenter l’avenir de
1 CHEVALLIER J., « La régulation juridique en question », op. cit., p. 836.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 BOY L., « Le déficit démocratique de la mondialisation du droit économique et le rôle de la société
civile », RIDE, 3/2003 (t. XVII), p. 476. 5BOY L., « La place de l’environnement dans le règlement des conflits à l’organisation mondiale du
commerce », in PRIEUR M. (Mélanges en l’honneur de), Pour un droit commun de l’environnement., Paris,
Dalloz, 2007, p. 61. 6 V. en ce sens BOY L., « L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un concept », in PIROVANO A.,
(Mélanges en l’honneur de), L’ordre concurrentiel, éd. Frison-Roche, Paris, 2004, p. 47 : « En l’absence
d’une construction même embryonnaire d’un droit de la concurrence, la seule référence à la libre
circulation des marchandises offre peu de chances à la prise en compte de valeurs non marchandes dans la
construction d’un ordre concurrentiel mondial ».
39
tels droits non commerciaux. A priori opportune, l’attraction exercée par le système de
règlement des différends se transformerait in fine en danger pour les valeurs non
commerciales1.
Le danger se situerait avant tout dans l’esprit libéral dans lequel s’est construit le droit
de l’OMC. Celui-ci correspond à « l’idéologie du droit naturel économique » 2
ou
« théorie économique standard » 3
, selon laquelle la réglementation est plus un
problème qu’une solution : au contraire, les marchés laissés à eux-mêmes se
réguleraient plus efficacement en obéissant à la logique de la « main invisible »
d’Adam SMITH. Les juristes se sont appropriés ces questions relatives à l’évolution
néolibérale de la mondialisation, en admettant que le marché est désormais le centre
de gravité de cette évolution, l’alpha et l’oméga de l’organisation économique de la
société internationale4. Cette hypothèse théorique de la régulation des échanges par la
seule loi naturelle du marché est mise à mal par l’observation empirique de certains
juristes de l’évolution des différents secteurs de la société globale5. La régulation par
le marché nécessiterait entre autres préalables, l’existence de réglementations
matérielles et procédurales assurant son bon fonctionnement : « le marché n’est pas la
nature ou plutôt c’est une ‘seconde nature’, comme disent les philosophes, mais qui
demande à être instituée par le droit »6. Pour être véritablement régulatrice, la
déréglementation ne peut être totale, mais doit être choisie, en particulier dans des
1 ROMI R., « Droit de l’OMC et environnement : le ‘tout-commerce’ contre la protection ? », in Commerce
et environnement, Regards croisés, Dr. Envir., numéro spécial, déc. 2004, n°124, pp. 237-240. 2 FRYDMAN B., « Comment penser le droit global ? », op. cit., p. 33.
3 Ibid.
4 KESSEDJIAN C., « Mondialisation, gouvernance, régulation. Doit-on penser le droit international
économique différemment au XXIe siècle ? », op. cit., p. 264, à propos de l’ouvrage de CARREAU D. et
JUILLARD P., Droit international économique, op. cit., p. 34. 5 V. FRYDMAN B., « Comment penser le droit global ? », op. cit., p. 33. C’est ainsi que certains observateurs
ont posé les termes du problème en avançant que « les faits sont têtus et la réalité de la mondialisation des
échanges agricoles rechigne à tendre vers l’économie de tableau noir » (RIEM F., « Sécurité alimentaire et
commerce international : nourrir la planète par le marché ou sauver le ‘pacte colonial’ ? » », in COLLART
DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1,
op. cit., p. 70) ou que « les pratiques ‘libre-échangistes’ se réduisent dans la plupart des cas à des rapports
de domination » (BERNARD A. et RIEM F., « Amender le libre-échange en matière alimentaire ? », in
COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food
democracy, Vol. 2, op. cit., p. 338). 6 FRYDMAN B., « Comment penser le droit global ? », op. cit., p. 34.
40
domaines aussi délicats que la santé et l’environnement. L’analyse substantielle1 du
sort des exceptions environnementales et sanitaires devant les organes de règlement
des différends permet de mettre en lumière les valeurs portées par ces régulateurs
mondiaux.
21. Problématique. L’application des exceptions environnementales et sanitaires par
les organes de règlement des différends est symptomatique de l’activité régulatrice de
l’OMC. Or, ces exceptions se révèlent de simples leurres, vouées à une ineffectivité
systémique au sein du droit de l’OMC. L’Organisation et ses organes de règlement des
différends apparaissent dès lors comme des régulateurs exclusivement portés par et
pour les intérêts commerciaux. En refusant d’infléchir les principes du libre-échange
au nom des exceptions inscrites dans les textes, les organes de règlement des
différends font de l’OMC un droit rigide, vecteur d’insécurité environnementale,
sanitaire et alimentaire. Ces valeurs non-commerciales sont nécessairement plus
changeantes, moins tangibles, notamment parce qu’elles sont ancrées dans des
territoires et des cultures vivantes. Les refuser revient à uniformiser les droits des États
membres, au lieu d’assurer leur harmonie. Cette politique jurisprudentielle de
multilatéralisme extrême s’inscrit ainsi aux antipodes des défis sociétaux et juridiques
actuels qui consistent, plutôt que de figer de prétendues convergences, à reconnaitre
les différences, afin d’articuler le relatif à l’universel2. Nous soutenons que cette
incapacité des organes de règlement des différends à faire du droit de l’OMC un droit
malléable, capable d’absorber les différences culturelles portées par les valeurs non-
commerciales des différents États membres, est une cause directe du déclin de ce
système juridique. Il aurait été bien plus satisfaisant de conclure à la possibilité
d’utiliser la puissance du système de règlement des différends de l’OMC à des fins
1 L’analyse substantielle consiste pour Gérard FARJAT « à analyser, à qualifier ou à critiquer, des
institutions, des concepts juridiques ou des faits à partir d’hypothèses produites par le droit, ces hypothèses
étant livrées par un examen critique du système juridique. Cet examen critique permet de dégager ce que
nous appelons : droit substantiel ou ‘matériel’. Cette analyse s’oppose à une analyse ou à une qualification
qui serait purement formelle » (souligné dans l’original) : v. son article « L’importance d’une analyse
substantielle en droit économique », RIDE, 1986, n°0, pp.11-42 : la notion d’ « analyse substantielle de la
régulation juridique » a en outre été utilisée par Jacques CHEVALLIER dans son article, « La régulation
juridique en question », op. cit., p. 832. 2 DELMAS-MARTY M., Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, Seuil, Paris, 2004, 439 p.
41
non-commerciales, mal servies par ailleurs par leurs propres ordres juridiques1. Si ce
changement d’optique est envisageable concernant certains mécanismes particuliers
du « droit global »2, il se révèle plus délicat concernant le droit multilatéral de l’OMC,
plus dense et rigide. Le propos ici tenu ne se veut pas pessimiste. Il confirme
simplement la fin d’une ère, ayant poussé jusqu’à la démesure sa philosophie
d’universalisme, de progrès et de croissance3. Les crises actuelles, qu’elles soient
financières, alimentaires, sanitaires ou environnementales, témoignent toutes de cette
nécessité de changement. En droit, comme ailleurs, il est temps de retrouver un certain
sens de la tempérance, chère à nos grands sages4. L’émergence de la notion de
développement durable témoigne de ce souci, caractéristique de notre époque, de
concilier différentes valeurs et intérêts, économiques, sociaux et environnementaux5.
En droit, c’est probablement le principe de précaution qui incarne aujourd’hui la plus
fidèle transposition de cette idée de mesure. En ajustant leurs valeurs au défis actuels,
le juriste et le juge sont amenés à assouplir le multilatéral et à articuler les
particularismes internes et régionaux les uns aux autres6. Au regard de ces enjeux et
1 On ne prendra pour exemple que les Accords environnementaux multilatéraux (AEM) qui n’instaurent pas
de tel système de règlement des différends. 2 On se réfère notamment ici aux « O.J.N.I » (« objets normatifs non ou mal identifiés […] qui produisent
en pratique ou tentent de produire des effets de régulation ») définis par Benoît FRYDMAN, dans son article
« Comment penser le droit global ? », op. cit., p. 20. On se réfère également à la démonstration faite par
Horatia MUIR WATT de la possibilité d’utiliser un lien d’investissement pour fonder l’invocation de droits
de l’homme dans les rapports entre acteurs privés, à travers par exemple l’utilisation du Alien Tort Statute
américain : « Politique du droit international privé : réflexion critique », op. cit., pp. 245-251. 3 La démesure est ici employée comme la traduction de l’hybris grec, défini par le Dictionnaire Larousse
comme « tout ce qui, dans la conduite de l'homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et
devant appeler leur vengeance ». 4 La tempérance ou modération, en grec sophrosùne, était dans la Grèce antique une vertu essentielle, visant
justement à contrer le vice de démesure. Dans Le Philèbe, de Platon, Socrate, Protarque et Philèbe
expriment des avis divergents quant à ce qui constitue pour eux le souverain bien. Les trois interlocuteurs
finissent néanmoins par s’accorder sur la primauté de la mesure et de l’opportun. Ce serait cette même idée
de mesure qui irriguerait la philosophie plus contemporaine d’Ivan ILLICH, et le concept de
« décroissance » théorisé par l’économiste Nicholas GEORGESCU-ROEGEN : v. notamment son ouvrage, La
décroissance. Entropie, écologie, économie, Ellébore-Sang de la terre, Paris, 2006, 302 p. 5 Malgré sa promotion politique, cette notion recouvre une réalité incertaine en droit. V. LANFRANCHI M.-P.,
« Développement durable et droit international public », JurisClasseur Droit international, Fasc. 146-20,
2011. Pour une analyse de la notion de développement durable en droit agro-alimentaire, v. BOUILLOT P.-E.,
Les évolutions du droit rural et le développement durable, thèse, Nantes, 2014, 407 p. ; pour une
présentation plus synthétique de la notion, v. BOUILLOT P.-E., « Développement durable », in COLLART
DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde,
op. cit., pp. 251-253. 6 Il est d’ailleurs à noter que pour Paul RICŒUR, la notion de valeur elle-même se conçoit en termes de
compromis : « Je tiens le quasi-concept de valeur pour un terme de compromis, au point où se recroisent la
42
tendances contemporains, le droit de l’OMC apparaît comme un système archaïque,
rigide, incapable de concilier des valeurs divergentes. Ce propos résulte de deux
approches complémentaires.
22. Une première approche linéaire, s’apparentant à une chronique chorale de la
jurisprudence environnementale et sanitaire, révèle que les organes de règlement des
différends affichent une image régulatrice de leur activité. Ils adoptent un discours
ouvert, voire audacieux, affirmant leur prise en compte des préoccupations
environnementales et sanitaires par le biais des exceptions textuelles. Un premier
niveau de lecture, des rapports fondant les décisions des organes de règlement des
différends, laisse croire au possible infléchissement des grands principes de libre
circulation des marchandises au nom de valeurs non-commerciales, telles que la santé
et l’environnement. Il en ressort une reconnaissance apparente du droit des États
membres de l’OMC à la différence : ils semblent pouvoir se démarquer de
l’universalisme commercial, par exemple au motif de leur particularisme culturel en
termes de gestion des risques environnementaux et sanitaires. Cette malléabilité du
droit de l’OMC affichée par les organes de règlement des différends par le biais de
grandes déclarations de principe, est néanmoins contredite par la recherche plus
poussée du véritable sort réservé aux exceptions environnementales et sanitaires. En
effet, à l’examen, les organes de règlement des différends ont en réalité interprété les
exceptions environnementales et sanitaires de manière tellement restrictive, qu’elles
en sont devenues ineffectives. Le sort de ces exceptions fait dès lors apparaître le droit
positif de l’OMC comme outrageusement rigide, et imperméable à tout souci sanitaire
ou environnemental, et indirectement alimentaire. Ce décalage entre les discours
formels et la réalité substantielle, amène à avancer que les organes de règlement des
différends ont adopté une politique jurisprudentielle d’apparente effectivité des
exceptions environnementales et sanitaires (PARTIE I).
prétention à l’universalité et l’aveu d’historicité de certains devoirs dérivés auquel correspond de la part
d’autrui un droit d’exiger. En ce sens, la notion de valeur n’est pas un concept moral véritable mais un
concept de compromis, justifié par les cas où l’universalité historicité se confortent mutuellement plutôt
qu’elles ne se dissocient », Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990, p. 336.
43
23. Une seconde approche, transversale cette fois, révèle que la rigidité du
multilatéralisme commercial est ancrée jusque dans les mécanismes juridiques
techniques du droit de l’OMC. L’étude porte sur les principaux points de droit
déterminants dans l’issue des litiges environnementaux et sanitaires. Ainsi en va-t-il
du droit de la preuve, primordial dans la résolution de ces différends se situant, le plus
souvent, aux bornes des connaissances scientifiques. L’interprétation des règles de
preuve par les organes de règlement des différends, et leur application au contentieux
environnemental et sanitaire, témoignent d’un parti pris exclusivement commercial,
voire d’un refus procédural d’adopter une approche de précaution. L’incapacité du
droit de l’OMC à concilier des valeurs non-commerciales avec son système
commercial s’exprime, en outre, dans le rapport qu’ont mis en place les organes de
règlement des différends avec les systèmes juridiques extérieurs. La normativité
accordée à ces systèmes juridiques voisins semble être fonction des intérêts qu’ils
portent. C’est ainsi que certaines normes de soft law sont reconnues par les juges,
quand elles participent à leur décision d’incompatibilité des mesures
environnementales et sanitaires avec le droit de l’OMC. À l’inverse, les normes de
droit international porteuses des valeurs environnementales et sanitaires, telles que le
principe de précaution, se voient dénier toute effectivité dans le cadre du système de
règlement des différends. L’universalisme démesuré de l’OMC est ainsi présent dans
toutes les règles techniques, matérielles et procédurales, mobilisées pour trancher les
litiges environnementaux et sanitaires. Cela permet aux organes de règlement des
différends d’être inflexibles vis-à-vis des mesures nationales litigieuses, qui font un
pas de côté pour des motifs environnementaux et sanitaires, et d’opérer un mouvement
massif d’uniformisation des règlementations sur la seule valeur commerciale. Les
organes de règlement des différends ont ainsi interprété le droit de l’OMC de telle
manière qu’il comporte aujourd’hui systémiquement de multiples causes à
l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires (PARTIE II).
PARTIE I. L’APPARENTE EFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS ENVIRONNEMENTALES ET
SANITAIRES
PARTIE II. LES CAUSES DE L’INEFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS ENVIRONNEMENTALES ET
SANITAIRES
44
45
PREMIÈRE PARTIE
L’APPARENTE EFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
24. L’entretien d’une image de marque. Conformément aux attentes des
observateurs du droit de l’OMC, les organes de règlement des différends adoptent
dans leurs rapports une politique jurisprudentielle apparente de prise en compte des
considérations environnementales et sanitaires. Ils se posent dès lors comme les
régulateurs d’un ordre concurrentiel1 mondial, incluant des valeurs non-commerciales
au système commercial multilatéral. Les organes de règlement des différends ont dès
lors développé un discours entretenant cette image de marque, indice d’un droit
économique multilatéral équilibré. Pourtant, il n’est pas si aisé de ménager des intérêts
contradictoires, puisque la prise en compte d’intérêts non-commerciaux, tels que la
santé ou l’environnement, implique d’admettre que certains États dérogent aux
principes commerciaux du libre-échange.
25. Des mesures soumises à un régime dérogatoire. Techniquement, les organes de
règlement des différends se voient soumettre des litiges mettant en cause des mesures
environnementales et sanitaires restreignant le libre-échange de certains produits. La
question qui se pose est alors celle de savoir si les objectifs environnementaux et
sanitaires justifient ces restrictions, et légitiment par là même la mesure en cause.
Cette question d’articulation des principes du libre-échange avec la protection de
l’environnement et de la santé se pose de manière récurrente et particulièrement
prégnante en ce qui concerne le commerce des produits agro-alimentaires. C’est ainsi
que la Communauté européenne prétendait restreindre l’importation des produits
biotechnologiques ou des produits carnés nourris aux hormones pour protéger la santé
de ses ressortissants. Dans de tels cas de figure, il revient aux organes de règlement
des différends de décider s’ils acceptent que l’État auteur de la mesure échappe aux
1 Concernant les variations épistémiques autour de cette notion complexe, v. PIROVANO A., (Mélanges en
l’honneur de), L’ordre concurrentiel, éd. Frison-Roche, Paris, 2004, 688 p.
46
principes généraux de libre-circulation des marchandises, pour poursuivre de tels
objectifs non-commerciaux. Ces litiges présentent donc la problématique d’un
affrontement de valeurs, dans un rapport d’exclusion : les principes juridiques
commerciaux ne permettent pas aux États d’adopter des mesures poursuivant des
objectifs non-commerciaux, car elles sont assimilées à un protectionnisme
discriminatoire ; leur validation, à l’inverse, ne peut se faire qu’au détriment de ces
principes commerciaux, en y dérogeant.
Les organes de règlement des différends appréhendent cette question d’affrontement
de valeurs par le biais d’une recherche d’« équilibre », entre les libertés commerciales
et les préoccupations non-commerciales. La réponse s’appuie sur les exceptions
prévues par les textes de l’OMC, en particulier l’article XX du GATT, et les Accords
SPS et OTC1. Ces aménagements s’apparentent ainsi à une réserve d’ordre public,
posant une limite à la liberté économique des États membres de l’OMC2. Si cette
recherche d’équilibre a pu être saluée par la doctrine, il nous semble pourtant qu’elle
est cantonnée à l’apparence. Les décisions commentées dans cette partie, sous la
forme d’une chronique chorale de jurisprudence, ont en ce sens déjà été maintes fois
commentées. L’originalité de notre propos tient dans le point de vue général que nous
adoptons sur ces rapports : loin de suivre les auteurs qui dans leur immense majorité
saluent les efforts des organes de règlement des différends pour intégrer les valeurs
1 Ces exceptions, sont aussi dites « clauses de sauvegarde », en tant que mécanismes permettant de déroger
à la mise en œuvre du principe de libre circulation des marchandises. Cette possibilité de restriction de
certains échanges se retrouve dans les droits des différents systèmes économiques : c’est ainsi que le Traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) énonce le principe de libre-circulation des
marchandises dans le marché intérieur (article 35), tout en l’assortissant de possibilités d’ « interdiction ou
restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique,
d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou
de préservation des végétaux […] » (article 36) ; de manière analogue, l’Accord de libre-échange américain
(ALENA) prévoit une clause de sauvegarde en son article 2101 : v. BUGNICOURT J.-P., « Clause de
sauvegarde », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité
alimentaire dans le monde, op. cit., pp. 159-160. 2 C’est ainsi que certains observateurs considèrent que « l’ordre public alimentaire a assurément sa place
dans le cadre de l’OMC […] en tant qu’exception au libre commerce des produits agro-alimentaires. On
retrouve ici la fonction classique de l’ordre public : c’est une limite à la liberté justifiée par la prise en
compte d’un intérêt considéré comme supérieur à sa seule liberté (et généralement qualifié d’intérêt
général) » : v. RACINE J.-B. et BRÉGER T., « Ordre public », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P.
(dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, op. cit., pp. 467-471.
47
sanitaires et environnementales, c’est le constat d’une désillusion, voire d’un certain
cynisme, que nous faisons.
26. Un équilibre cantonné à l’apparence. Le ver était peut-être déjà dans le fruit :
s’il proclame sa prise en compte de valeurs non-commerciales, par le biais d’un statut
défensif qui annonce d’évidentes limites, le système reste porté par des valeurs
commerciales1. Certes, les textes prévoient ainsi classiquement un statut dérogatoire
aux intérêts non-commerciaux, allant à l’encontre de ses principes généraux, mais la
question reste de savoir comment ceux-ci seront interprétés et appliqués. À la
différence de la Cour de Justice de l’Union européenne, les organes de règlement des
différends, ont en réalité adopté une approche restrictive des exceptions
environnementales et sanitaires2 : l’apparente effectivité
3 des exceptions contraste
avec la réalité des solutions données aux litiges environnementaux et sanitaires. La
régulation des échanges internationaux assurée par les organes de règlement des
différends se révèle ainsi exclusivement mue par un souci commercial, n’accordant
aucune place à d’autres intérêts. De ce décalage entre le discours et la réalité, il résulte
1 C’est ainsi que Laurence BOY relevait par exemple, que la référence faite aux « considérations d’ordre
autre que commercial » dans les Accords de l’OMC témoignait déjà d’une grande ambiguïté : elle suggérait
dès lors que « face à un premier cercle d’ordre public fondé sur les principes directeurs du marché », il
existerait « un second cercle d’ordre public non marchand » : BOY L., « Droit économique et sécurité
alimentaire. Propos conclusifs », RIDE, 2012/4, p. 106. 2
En effet, la Cour de Justice de l’Union européenne a progressivement développé des exceptions
jurisprudentielles en dehors de la lettre du traité : d’abord par le biais des exigences impératives d’intérêt
général, puis par celui de la protection des droits fondamentaux : v. JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V.,
« La sécurité alimentaire dans le droit de l’OMC ; analyse critique et prospective » », in COLLART
DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1,
op. cit., p. 258. 3 Les notions d’effectivité et d’ineffectivité, la seconde étant construite a contrario de la première, ont fait
l’objet de nombreux écrits doctrinaux, en droit et en sociologie du droit. L’effectivité a ainsi pu être définie
d’une manière générale comme « le caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliqué
réellement » (CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9e édition mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011,
v° « effectivité »), ou comme « le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par
le droit » (LASCOUMES P., « Effectivité », in ARNAUD A.J. et al., Dictionnaire encyclopédique de théorie et
de sociologie du droit, LGDJ et Story-scientia, 1988 ). C’est une définition plus précise, proposée par
François RANGEON que nous retiendrons ici : conçue de manière normative, dans le cadre des rapports
droit/application du droit, « l’effectivité traduit une application correcte du droit, conforme à sa lettre ou du
moins à son esprit, c’est-à-dire à l’intention de son auteur, l’ineffectivité exprimant au contraire un échec,
une lacune, un défaut du droit » : pour une analyse approfondie de cette notion v. l’ensemble de l’article de
François RANGEON, « Réflexions sur l’effectivité du droit », in CURAPP, Les usages sociaux du droit, PUF,
Paris, 1989, pp. 126-149. V. également l’article de Jean CARBONNIER, « Effectivité et ineffectivité de la
règle de droit », L'Année sociologique, 1957-1958, repris dans Flexible droit, 10e éd., L.G.D.J., Paris, 2014,
pp. 136-148.
48
une neutralisation totale des exceptions environnementales et sanitaires, et l’incapacité
du système commercial à s’assouplir. En effet, si les organes de règlement des
différends de l’OMC paraissent formellement avoir rendu effectives les exceptions
environnementales et sanitaires (TITRE I), une analyse plus approfondie de la
jurisprudence révèle leur ineffectivité substantielle (TITRE II).
TITRE I L’EFFECTIVITÉ FORMELLE DES EXCEPTIONS DANS LA JURISPRUDENCE DE
L’OMC
TITRE II L’INEFFECTIVITÉ SUBSTANTIELLE DES EXCEPTIONS DANS LA JURISPRUDENCE
DE L’OMC
49
TITRE I
L’EFFECTIVITÉ FORMELLE DES EXCEPTIONS DANS LA
JURISPRUDENCE DE L’OMC
27. Un discours répondant à une problématique récurrente. Les organes de
règlement des différends ont eu la responsabilité de trancher des litiges mettant en
cause des mesures restrictives pour le commerce des marchandises, au nom de la
protection de la santé ou de l’environnement dès 1995, et cela de manière constante
pendant vingt ans. La question de l’articulation des règles commerciales et des valeurs
non commerciales n’a ainsi cessé de se poser devant eux. Ils ont répondu à cette
problématique en affichant une effectivité formelle des exceptions environnementales
et sanitaires au sein du droit de l’OMC. Les organes de règlement des différends se
sont dès lors posés comme des instances régulatrices, aménageant une place aux
valeurs non commerciales que sont l’environnement et la santé dans le système
commercial mondial.
28. L’effectivité formelle de régimes d’exception. Pour atteindre ce que les organes
de règlement des différends désignent comme l’« équilibre », entre les règles
commerciales et les libertés non commerciales des États membres de l’OMC, ils se
sont fondés sur différents textes, prévoyant un régime d’exceptions aux mesures
protectrices de la santé et de l’environnement : les différends environnementaux et
sanitaires ont d’abord été tranchés sur le fondement de l’article XX du GATT, c’est-à-
dire en tant qu’« exceptions générales » ; le contentieux environnemental et sanitaire
s’est progressivement déplacé vers les Accords SPS et OTC, alors présentés comme
des « exceptii speciales », régissant les mesures environnementales et sanitaires
affectant le commerce international des marchandises.
En définitive, l’interprétation de l’article XX du GATT, pour trancher les différends
généraux mettant en cause des mesures protectrices de la santé ou de l’environnement,
n’a permis qu’une application limitée des exceptions environnementales et sanitaires
(CHAPITRE 1). Affichant une politique jurisprudentielle analogue dans leur
interprétation des Accords SPS et OTC, les organes de règlement des différends sont
50
allés jusqu’à consacrer des droits environnementaux et sanitaires sur le fondement de
ces accords. Malheureusement, cette consécration n’est que formelle (CHAPITRE 2).
51
CHAPITRE 1.
UNE APPLICATION LIMITÉE DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES SUR LE FONDEMENT DE
L’ARTICLE XX DU GATT
29. Des exceptions appliquées dans deux affaires. En dehors d’une première affaire
Essence, qui a permis une consécration purement théorique de l’exception
environnementale, les organes de règlement des différends ont effectivement admis
dans deux autres dossiers, Crevettes et Amiante, la justification environnementale ou
sanitaire de restrictions au commerce international de certaines marchandises. Ils
relevaient de l’article XX du GATT, donc de son interprétation par les organes de
règlement des différends. Ces deux affaires leur ont permis de se prévaloir d’un statut
de régulateur mondial des échanges, prenant en compte les valeurs non commerciales
que sont l’environnement et la santé.
30. Le caractère limité de l’application. Cette application des exceptions
environnementales et sanitaires apparaît néanmoins fort limitée, à la fois au regard du
caractère contestable des raisonnements juridiques mis en œuvre, mais aussi au regard
du bilan global qui peut être dressé de cette jurisprudence. Effectivement, en vingt ans
de procédure, seules deux mesures environnementales et sanitaires seront réputées
compatibles avec les règles du commerce international. Il s’agit donc ici de mettre en
lumière, outre les faiblesses de ces raisonnements, les limites de la prise en compte des
valeurs non-commerciales ; ces limites se manifesteront de manière plus prégnante
encore dans les différends ultérieurs. L’interprétation de la réserve d’ordre public que
constitue l’article XX1 se révèle ainsi décevante in fine.
1 Ou de l’échec de son rôle de défense des exceptions non-commerciales constituant autant d’intérêts
publics impérieux : en ce sens, v. RACINE J.-B. et BRÉGER T., « Ordre public », in COLLART DUTILLEUL F.
et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, op. cit., pp.
467-471.
52
Sur le fondement des exceptions générales comprises par l’article XX du GATT, les
organes de règlement des différends ont appliqué de manière limitée l’exception
environnementale (SECTION 1) puis l’exception sanitaire (SECTION 2).
53
SECTION 1. L’APPLICATION LIMITÉE DE L’EXCEPTION
ENVIRONNEMENTALE
31. Une consécration formelle. Les organes de règlement des différends ont
initialement consacré l’exception environnementale sur le fondement de l’article XX g)
de l’Accord général dans les affaires Essence et Crevettes. Pour certains, cette
consécration relève d’une tendance à la conciliation de deux types d’intérêts
contradictoires1. Une analyse d’ensemble permet pourtant de mettre en lumière que
ces décisions ne peuvent être regardées comme ayant été l’amorce d’une réelle
politique jurisprudentielle, tendant à laisser une véritable place aux mesures
protectrices de l’environnement, au sein des grands principes du libre-échange2. Cette
consécration d’une exception environnementale par les organes de règlement des
différends semble donc avant tout formelle, notamment au regard de l’interprétation
restrictive par les organes de règlement des différends de l’article XX.
32. Une consécration sur le fondement de l’article XX g) de l’Accord général. Dans
les affaires Essence et Crevettes, il s’agissait de légitimer des mesures restrictives pour
le commerce international pour des motifs environnementaux sur le fondement de
l’article XX g) du GATT, selon lequel
1 La notion de conciliation était alors entendue comme une démarche tendant à « rapprocher des choses
opposées, contraires, pour les faire coexister harmonieusement, les rendre compatibles » : JOURDAIN-
FORTIER C., « Le règlement des différends de l’OMC et la protection des valeurs non-marchandes », in
BLIN O., Regards croisés sur le règlement des différends de l’OMC, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 83-110. 2
Cette problématique d’une consécration de principe, à l’application pratique limitée, se retrouve
également en droit de l’Union européenne. C’est ainsi, par exemple, que le juge européen a pu affirmer
dans l’affaire des Huiles usagées que la protection de l’environnement constituait un objectif d’intérêt
général, justifiant que des restrictions puissent être apportées aux libertés économiques fondamentales
(CJCE, arrêt du 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées, 240/83, Rec., p. 531)
et déclarer dans l’affaire des Bouteilles danoise, que « la protection de l’environnement constitue une
exigence impérative pouvant limiter l’application de l’article 30 du traité » (devenu l’article 34 TFUE, et
posant le principe de libre circulation des marchandises) (CJCE, arrêt du 20 septembre 1988, Commission c.
Danemark, 302/86, Rec., points 8 et 9). Ces déclarations de principes sont néanmoins largement nuancées
en réalité, notamment par l’application par les juges des principes de proportionnalité et de nécessité. Sur
cette question sur le plan européen, v. MALET-VIGNEAUX J. et MARTIN G. J., « L’intégration substantielle
des préoccupations environnementales dans le système juridique », in BOY L., RACINE J.-B., SUEUR J.-J.
(dir.), Pluralisme juridique et effectivité du droit économique, Larcier, Bruxelles, 2011, pp. 245-273, spéc.
pp. 262-267.
54
« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un
moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes
conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans
le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par
toute partie contractante des mesures […]se rapportant à la conservation des
ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement
avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ».
L’Organe d’appel a fait de cet article XX g) une interprétation restrictive, qui explique
que la consécration de l’exception environnementale n’ait été que théorique dans son
rapport Essence (§1). Il semblerait que ce n’est que parce qu’il s’est ponctuellement
éloigné de cette interprétation, en cantonnant sa solution au cas d’espèce, qu’il a pu,
pour la seule et unique fois, mettre en œuvre l’exception à l’issue de la longue et
laborieuse procédure de l’affaire Crevettes (§2).
LA CONSÉCRATION THÉORIQUE D’UNE EXCEPTION § 1.
ENVIRONNEMENTALE PAR LE RAPPORT ESSENCE
33. Un différend posant les jalons de la dialectique entre commerce et
environnement. Le premier différend tranché par l’Organe d’appel est de toute
importance puisqu’il pose les jalons1 de la dialectique entre le droit de l’OMC et les
préoccupations d’ordre autre que commercial2
. S’il n’est ici question que
1 Expression employée initialement par Hélène RUIZ-FABRI dans son article « Chronique du règlement des
différends 1996-1998 », JDI, 1999, n° 2, p. 455. 2 Cette affaire a d’ailleurs fait l’objet de nombreux écrits doctrinaux : v. BEHBOODI R., “Legal Reasoning
and the International Law of Trade – The First Steps of the Appellate Body of the WTO”, JWT, 1998, vol.
32, N°4, pp. 55-99, spéc. pp. 70-75 ; CAMERON J., CAMPBELL K., Dispute Resolution in the World Trade
Organization, Cameron May, London, 1998, pp. 90-91 ; CAMERON J., CAMPBELL K., “Challenging the
Boundaries of the DSU Through Trade and Environmental Disputes”, in CAMERON J., CAMPBELL K. (eds.),
Dispute Resolution in the World Trade Organization, Cameron May, London, 1998, pp. 204-231, spéc. pp.
209-212 ; CANAL-FORGUES E., « La procédure d’examen en appel de l’Organisation mondiale du
commerce », AFDI, 1996, vol. XLI, pp. 845-863, spéc. pp. 853-863 ; FLORY Th., « Chronique du règlement
des litiges de l’OMC », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 2000, N° 442, pp. 609-619 ;
HOEHN T., “United States – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline: Legal and Economic
Commentary”, in FIJALKOWSKI A., CAMERON J. (eds.), Trade and Environment: Bridging the Gap, The
Hague, T.M.C. Asser Institute, 1998, pp. 162-174; MARCEAU G., “A Call for Coherence in International
Law – Praises for the Prohibition Against ‘Clinical Isolation’ in WTO Dispute Settlement”, JWT, 1999, vol.
33, N°5, pp. 87-152., spéc. pp. 95-98 ; MAVROIDIS P.C., “Trade and Environment after the Shrimp – Turtles
55
d’environnement, ce sont pourtant bien les mêmes raisonnements qui façonnent les
solutions données à l’ensemble du contentieux des exceptions environnementales et
sanitaires, que les solutions soient fondées sur le GATT, l’Accord SPS ou l’Accord
OTC. Preuve en est que ces derniers rapports s’appuient largement sur le premier par
le biais de nombreuses références.
Outre la mise en place de plusieurs règles techniques, le rapport Essence annonce
toute l’ambivalence de ce contentieux : à la recherche de l’équilibre entre commerce et
environnement, l’Organe d’appel reconnait aux États Membres « une large autonomie
pour déterminer leurs propres politiques en matière d’environnement (y compris la
relation entre l’environnement et le commerce), leurs objectifs environnementaux et la
législation environnementale qu’ils adoptent et mettent en œuvre »1. Cette marge de
manœuvre reconnue aux États membres de l’OMC reste toutefois limitée d’après
l’interprétation de l’Organe d’appel par « la nécessité de respecter les prescriptions de
l’Accord général et des autres accords visés »2. En effet, malgré la reconnaissance
expresse que « l’article XX de l’Accord général contient des dispositions visant à
permettre que d’importants intérêts des États – y compris la protection de la santé des
personnes et la conservation des ressources naturelles épuisables – trouvent leur
Litigation”, JWT, 2000, vol. 34, N°1, pp. 73-88., spéc. pp. 79-84 ; NOGUEIRA G., “The First WTO
Appellate Body Review: United States – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline”, JWT,
1996, vol. 30, N°6, pp. 5-29 ; PETERSMANN E.-U., The GATT/WTO Dispute Settlement System:
International Law, International Organizations and Dispute Settlement, Kluwer Law International,
London/The Hague/Boston, 1997, pp. 106-117 ; PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence
nouvelle et ancienne formules », in STERN B.et RUIZ-FABRI H. (dir.), La jurisprudence de l’OMC– The
Case-Law of the WTO (1996-1997), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2004, pp. 1-26 ; RESTANI J.A., BLOOM I.,
“The Quick Solution to Complex Problems: the Article II Judge”, Forham International Law Journal,
1994/95, vol. 18, pp. 1668-1678 ; ROBERT E., « L’affaire des normes américaines relatives à l’Essence : le
premier différend commercial environnemental à l’épreuve de la nouvelle procédure de règlement des
différends de l’O.M.C. », RGDIP, 1997, N°1, pp. 91-140 ; SCHULTZ J., “The Demise of ‘Green’
Protectionism: The WTO Decision in the US Gasoline Rule”, Denver Journal of International Law and
Policy, 1996/1, vol. 30, N°6, pp. 1-24 ; SCHENK M.D., “US – Standards for Reformulated and Conventional
Gasoline: First Ruling of WTO Appellate Body, Construing GATT 1994 Exception on Conservation of
Exhaustible Natural Resources”, AJIL, octobre 1996, vol. 90, N°4, pp. 669-674 ; STROM T.H., “Pouring
Fuel on the Fire? The WTO’s Reformuling Gasoline Case”, ACDI, 1996, pp. 249-271 ; TRACHTMAN J.,
“Decisions of the Appellate Body of the World Trade Organization”, EJIL, 2000, vol. 11, N°1, pp. ?? ;
WAINCYMER J., “Reformulated Gasoline: Under Reformulated WTO Dispute Settlement procedures:
Pulling Pandora Out of a Chapeau?”, Michigan Journal of International Law, 1996/97, vol. 18, pp. 141-181. 1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et anciennes formules
(« États-Unis - Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996, p. 33. 2 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis - Essence », p. 33.
56
expression », l’issue du différend Essence révèle d’ores et déjà la prépondérance
effective des principes du libre-échange : le Groupe spécial et l’Organe d’appel
parviennent à la même conclusion, quoique par des raisonnements différents, en
décidant que la mesure en cause entraîne une discrimination injustifiable et constitue
une restriction déguisée au commerce international.
34. Le cas d’espèce. L’affaire Essence est issue d’une plainte du Venezuela, plus tard
suivi par le Brésil, concernant la mesure d’application de la loi américaine dite « Loi
de 1990 sur la lutte contre la pollution atmosphérique » (Clean Air Act, la « CAA »).
Cette mesure, intitulée « Réglementation concernant les combustibles et les additifs
pour combustibles – Normes pour l’essence nouvelle et ancienne formules », avait été
adoptée par l’Agence pour la protection de l’environnement (APE) des États-Unis. Les
deux États contestaient la compatibilité de la mesure avec l’article III.4 de l’Accord
général, qui pose le principe de traitement non moins favorable des produits importés
par rapport aux produits nationaux. L’objectif de la mesure en cause était de réduire le
rejet de substances toxiques émises dans l’atmosphère lors de la combustion de
l’essence. Pour ce faire, la mesure prévoyait la mise en place de « niveaux de base »
de toxicité de l’essence, qui ne pouvaient être dépassés. Le litige résidait en particulier
dans le fait que la détermination de ces niveaux de base était différente selon qu’il
s’agissait des raffineurs américains ou des importateurs étrangers. Les premiers
pouvaient établir leurs niveaux de base « individuellement », quand les seconds
devaient se conformer aux niveaux de base « réglementaires » établis par l’APE.
35. Le rapport du Groupe spécial. Dans son rapport, le Groupe spécial a rejeté
l’argumentaire des États-Unis qui trouvait une justification de la mesure dans les
paragraphes b), d) et g) de l’article XX du GATT1
. Le panel concluait à
l’incompatibilité de la mesure avec l’article III.4 du GATT, au motif que l’essence
1 Paragraphes de l’article régissant les « exceptions générales », respectivement relatifs à la protection de la
santé et de la vie des personnes et des animaux (b), au respect des lois et règlements compatibles avec
l’Accord général (d) et à la conservation des ressources naturelles épuisables (g).
57
importée bénéficiait de conditions moins favorables que l’essence nationale1. Les
États-Unis ont fait appel de cette décision, en se fondant exclusivement sur l’article
XX g) du GATT.
36. Le rapport de l’Organe d’appel. L’Organe d’appel parvient à la même
conclusion que le Groupe spécial, en infirmant toutefois certaines de ses affirmations2.
Il consacre ainsi théoriquement l’exception environnementale par son interprétation de
l’article XX g) du GATT, mais en l’encadrant si strictement que la mesure américaine
sera jugée comme n’y étant pas conforme. Le rapport Essence doit être lu comme le
premier différend traité par l’Organe d’appel et l’amorce d’une politique
jurisprudentielle spécifique aux exceptions environnementales et sanitaires. L’Organe
d’appel prend une décision politique appréhendant l’exception environnementale de
manière extrêmement restrictive, tout en justifiant cette solution par un raisonnement
juridique apparemment objectif. La décision finale d’incompatibilité n’est pas
contestable sur le fond : l’imposition aux seules importations de coûts supplémentaires
ne semble effectivement pas justifiable par un motif environnemental3. Si l’Organe
d’appel fait montre de sa volonté d’ouverture aux préoccupations non commerciales,
en particulier environnementales, dans ce rapport, il pose la limite du respect des
prescriptions du GATT. Les États-Unis, en adoptant des mesures environnementales
unilatérales génératrices de discriminations à l’encontre des raffineurs étrangers, ont
dépassé cette limite. D’après certains, c’est cet unilatéralisme qui a été l’objet d’une
« condamnation feutrée »4 par l’Organe d’appel, qui n’aurait fait que remplir sa
mission de contrôle5
. Il reste néanmoins notable que la mise en place d’un
raisonnement juridique sert à légitimer la solution adoptée6
(A), ainsi qu’une
1 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Normes concernant l'Essence nouvelle et anciennes formules
(« États-Unis - Essence »), WT/DS2/R, adopté le 20 mai 1996, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS2/AB/R. 2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Normes concernant l'Essence nouvelle et anciennes formules
(« États-Unis - Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996. 3 V. en ce sens RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », JDI, 1999, N°2, p.
458. 4 Ibid.
5 PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne formules », op. cit., p. 26.
6 Dans le même sens, v. PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne
formules », op. cit., p. 26 : « il apparaît donc que l’Organe d’appel a éprouvé le besoin de développer assez
longuement son argumentation pour fonder solidement sa conclusion ».
58
interprétation restrictive de l’article XX du GATT (B), donc des exceptions générales
au libre-échange des marchandises.
L’amorce d’une juridicité du système de règlement des différends A.
37. La survenance des questions environnementales et sanitaires dans le système de
règlement des différends de l’OMC semble aller de pair avec une juridicisation des
solutions rendues, permettant de légitimer les solutions. C’est ainsi que dans son
rapport Essence, l’Organe d’appel adopte ostensiblement une démarche juridique (1),
tranchant avec l’ancien pragmatisme des panels, selon laquelle il positionne pour la
première fois l’OMC comme un droit spécifique au sein du système juridique plus
général du droit international (2).
1. L’adoption ostensible d’une démarche juridique
38. L’Organe d’appel, diseur de droit. Pour la première fois, un rapport rédigé par
un Groupe spécial est réexaminé par la seconde instance qu’est l’Organe d’appel1. Il
fait montre, dès ce rapport, de sa fonction de juge de droit. Pour autant, la conclusion
générale du rapport de l’Organe d’appel rejoint celle du Groupe spécial en ce qu’il
recommande la mise en conformité de la mesure américaine avec les dispositions du
GATT2. Mais l’Organe d’appel amène cette conclusion par un raisonnement juridique
complet et rigoureux, qui le mène à constater différentes « erreur[s] de droit » 3
commises par le Groupe spécial. Les structures argumentatives relèvent du discours
juridique et juridictionnel. En témoignent certaines règles générales explicitement
posées, telles que celle sur la charge de la preuve dans l’invocation d’une exception4.
1 L’affaire Essence étant la première soumise à l’Organe d’appel, elle démontre l’esprit de transition entre
le GATT de 1947 et l’OMC de 1995. La plainte initialement déposée sous l’égide de l’ancien GATT, en fut
retirée pour être redéposée sous le nouveau. On peut ainsi apprécier la continuité entre les deux systèmes
par cette illustration que des faits antérieurs à la nouvelle organisation peuvent être examinés par l’ORD
sous réserve que la plainte soit déposée postérieurement à l’entrée en vigueur de la Charte : v. MONNIER P.
et RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends » , op. cit., n° 28. 2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 33.
3 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », pp. 32 et 33.
4 Rapport de l’Organe d’appel «États-Unis - Essence », p. 25 : « Il incombe à la partie qui invoque
l’exception de démontrer qu’une mesure provisoirement justifiée du fait qu’elle entre dans le cadre de l’une
59
Il applique ici à la lettre l’article 3 du Mémorandum d’Accord qui voit dans le
« système de règlement des différends de l’OMC […] un élément essentiel pour
assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. Les membres
reconnaissent qu’il a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant
pour les membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces
accords conformément aux règles d’interprétation du droit international public ».
Certains observateurs ont alors souligné le poids des rapports de l’Organe d’appel, en
tant qu’organe diseur de droit1
. Cette juridicisation des litiges commerciaux
internationaux reste toutefois largement teintée de pragmatisme.
39. La nuance pragmatique. Le rapport Essence est particulièrement audacieux en
ce qu’il pose certains grands principes, qu’il s’agisse des règles d’interprétation des
textes ou d’une méthodologie d’application de l’article XX. Le compromis semble
pourtant se trouver dans le pragmatisme des décisions prises : ce rapport amorcerait
une combinaison de la démarche empirique qui prévalait sous l’empire du GATT2 et de
la démarche juridique qui tend à s’affirmer dans le cadre de l’OMC3. Ce rapport
hybride, entre juridicisation et pragmatisme, caractérise ainsi les décisions prises par
les organes de règlement des différends, concernant les mesures environnementales et
sanitaires : c’est le raisonnement juridique qui sert à légitimer la décision pragmatique.
Dans le rapport Essence, la conclusion d’incompatibilité de la mesure
des exceptions énoncées dans les différents paragraphes de l’article XX ne constitue pas, dans son
application, un abus de cette exception au regard du texte introductif. » 1 En cherchant à éclaircir le contenu des droits et obligations contenus dans les accords, le juge met
nécessairement en place une sorte de précédent fiable sur lequel les États membres chercheront à s’appuyer.
Pourtant, ce sera toujours prudemment que l’Organe d’appel édictera des règles générales, par peur de se
voir reprocher d’excéder sa mission ou de faire preuve d’« activisme judiciaire » : v. MONNIER P. et RUIZ
FABRI H., « OMC. – Règlement des différends » , op. cit., n° 90. 2 Les Groupes spéciaux établis sous l’égide de l’ancien GATT avaient avant tout le souci de rétablir les
avantages commerciaux annulés ou compromis. Ils privilégiaient dès lors la recherche d’un accord entre les
parties, quitte à s’écarter des modes classiques d’interprétation des traités. Cette pratique présentait
l’avantage de faciliter le rétablissement de l’équilibre, mais l’inconvénient de ne pas toujours s’effectuer
selon des critères objectifs. Sur ces questions, v. CANAL-FORGUES E., L’institution de la conciliation dans
le cadre du GATT, Bruylant, Bruxelles, 1993, pp. 482-504 ; PACE V., L’OMC et le renforcement de la
réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 111-128. 3 V. DUPRAT J.-C., « États-Unis – Essence », in CANAL-FORGUES E., et FLORY T., GATT/OMC – Recueil
des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 554 ; PACE V.,
L’OMC et le renforcement de la réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux, op.
cit., p. 128.
60
environnementale américaine est légitimée par le raisonnement juridique mis en place
par l’Organe d’appel.
Dans le cadre de sa démarche formelle de juridicisation de sa décision, l’Organe
d’appel positionne le droit de l’OMC dans le droit international général.
2. Le positionnement du droit de l’OMC dans le droit international général
40. L’utilisation de la Convention de Vienne pour interpréter le droit de l’OMC.
L’Organe d’appel légitime son statut et sa solution en présentant le système OMC
comme un droit s’inscrivant dans le droit international général, et ce notamment en
utilisant la Convention de Vienne pour interpréter le texte du GATT. Le rapport
Essence est effectivement avant tout connu pour l’affirmation, par l’Organe d’appel,
qu’« il ne faut pas lire l’Accord général en l’isolant cliniquement du droit
international public » 1
. Il pose alors le principe d’une interprétation du droit de
l’OMC fondée sur la Convention de Vienne sur le droit des Traités.
41. La reprise de l’article 31 de la Convention de Vienne. Le principe de
l’application de la règle générale d’interprétation prévue par l’article 31 de la
Convention de Vienne est énoncé à l’occasion de l’examen du raisonnement du
Groupe spécial dans l’application de l’article XX g). L’Organe d’appel considère que
le Groupe spécial « a négligé une règle fondamentale de l’interprétation des traités »2.
Se fondant sur l’article 3 2) du Mémorandum d’Accord, l’Organe d’appel rappelle que
l’objet du système de règlement des différends est d’interpréter les « accords visés »
conformément aux « règles coutumières d’interprétation du droit international
public » 3
.
S’il ne fait que reprendre la lettre de l’article, l’Organe d’appel innove en qualifiant
l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités de « règle du droit
1 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis - Essence », p. 19.
2 Ibid., p. 18.
3 Ibid., p. 19.
61
international coutumier ou général »1, en se référant, qui plus est, à différentes
jurisprudences internationales. Pour appuyer ses propos, l’Organe d’appel se fonde en
effet sur les décisions de la Cour internationale de Justice, de la Cour européenne des
droits de l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ainsi que sur
la doctrine2. Il illustre ici pleinement sa volonté d’inscrire formellement le droit de
l’OMC dans le système du droit international public. L’Organe d’appel applique ainsi
au cas d’espèce l’article 31 de la Convention de Vienne qui stipule qu’ « [u]n traité
doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du
traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but »3. L’esprit de cet
article est bien, pour l’interprète, d’être le plus fidèle possible à la volonté des
rédacteurs du texte. L’Organe d’appel, dans le cadre de ce différend complexe se
situant aux limites de sa compétence, cherche à légitimer sa solution en se fondant sur
la volonté des États Membres. Dans ce même esprit, l’Organe d’appel s’appuie sur
« l’historique de la rédaction de l’article XX » 4
qu’il qualifie de « précieux », et
applique, peut-être plus implicitement, la règle de l’effet utile5 en posant le principe
selon lequel « l’interprétation doit donner sens et effet à tous les termes d’un traité » 6.
Par ailleurs, poser cette règle de fond s’inscrit en plein dans la démarche officielle
d’accroissement de la prévisibilité du système de règlement des différends : le choix
est clairement fait d’une ouverture du droit de l’OMC « non seulement, en tant que
droit, vers le droit international, mais aussi en tant que droit commercial, vers les
préoccupations non exclusivement commerciales » 7
. Pour les mêmes auteurs, il s’agit
d’une tendance de « banalisation » du droit de l’OMC allant de pair avec une volonté
de l’Organe d’appel d’équilibre du système.
1 Ibid.
2 Ibid., note 34.
3 Ibid., p. 18.
4 Ibid., p. 25.
5 Règle d’interprétation non expressément visée par la Convention de Vienne, dont le caractère coutumier a
néanmoins été consacré par la jurisprudence et la doctrine. 6 Il ajoute qu’« un interprète n’est pas libre d’adopter une interprétation qui aurait pour résultat de rendre
redondants ou inutiles des clauses ou des paragraphes entiers d’un traité ». Ces mots seront d’ailleurs
largement repris pour des raisonnements juridiques ultérieurs de l’Organe d’appel, en particulier dans le
cadre de la résolution des différends agro-alimentaires. Ce principe implicite de l’effet utile tel que dégagé
dans le rapport Essence sera effectivement rappelé lors des affaires Saumons, Volailles et OGM. : Rapport
de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 26. 7 MONNIER P. et RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends » , op. cit., n° 89.
62
En faisant référence à la Convention de Vienne sur le droit des Traités, l’Organe
d’appel ébauche pour certains, avec cette affaire, ce qui va devenir une véritable
méthodologie d’interprétation1
. Cette juridicisation du règlement des différends,
assurant une plus grande légitimité de la solution rendue, se traduit en effet par la mise
en place d’une méthode juridique d’application de l’article XX du GATT. C’est en
appliquant cette méthode que l’Organe d’appel, s’il consacre théoriquement
l’exception environnementale posée par le texte, conclut cependant à l’incompatibilité
de la mesure environnementale américaine.
Une interprétation restrictive de l’article XX g) du GATT B.
42. La mise en place d’une méthode d’application de l’article XX. La juridicité
instaurée par l’Organe d’appel dans son rapport Essence se traduit par la définition
d’une méthode d’application de l’article XX g) du GATT. Celle-ci sera d’ailleurs
reprise par les rapports ultérieurs : il s’agit ainsi dans un premier temps de vérifier que
les mesures en cause entrent bien dans le cadre de l’alinéa g), avant d’examiner si ces
règles répondent également aux prescriptions du texte introductif de l’article XX :
« En d’autres termes, l’analyse est double : premièrement, justification provisoire de
la mesure au motif qu’elle relève de l’article XX g) ; deuxièmement, nouvelle
évaluation de la même mesure au regard des clauses introductives de l’article XX » 2
.
La mise en place de cette méthode d’application répondait à l’un des enjeux
principaux de cette affaire, relatif à la portée que l’Organe d’appel entendrait conférer
aux exceptions envisagées par l’article XX3. L’Organe d’appel fait le choix d’une
interprétation restrictive : si sa méthode d’application permet de justifier
provisoirement la mesure de manière extensive (1), elle réserve au chapeau introductif
de l’article un rôle de garde-fou des grands principes du commerce international (2).
Cette interprétation restrictive explique l’issue négative du différend quant à la
justification de la mesure environnementale.
1 RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », op. cit., p. 455.
2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 24.
3 RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », op. cit., p. 455.
63
1. L’interprétation extensive de la justification provisoire de la mesure
43. La justification provisoire de la mesure, premier pas de la méthode
d’application de l’article XX. Selon sa méthode d’application de l’article XX,
l’Organe d’appel préconise un examen de l’objectif de la mesure, qui lui permet d’être
provisoirement justifiée, si elle se rapporte à l’un des alinéas de l’article. L’Organe
d’appel interprète extensivement cette condition. Un des points litigieux de l’appel
réside donc dans la qualification de la mesure en cause au titre de l’alinéa g) de
l’article XX. Pour ce faire, cette mesure devrait « se [rapporter] à la conservation des
ressources naturelles épuisables […] »1. L’Organe d’appel infirme la méthode de
qualification du panel pour déduire d’un raisonnement plus ouvert, que la mesure en
cause relève bien de l’article XX g).
44. L’utilisation de l’objectif non-commercial de la mesure comme premier critère
d’examen. Initialement, le Groupe spécial avait certes estimé que l’air pur était une
« ressource naturelle épuisable » et qu’une politique visant à en réduire l’épuisement
était une politique visant la conservation d’une ressource naturelle épuisable au sens
de l’article XX g). Cependant le panel avait examiné le « traitement moins favorable »,
c'est-à-dire la facette incompatible avec l’article III.4 du GATT de la mesure, au lieu
d’examiner la mesure elle-même. L’Organe d’appel qualifie cette confusion d’
« erreur » 2
: « Le texte introductif de l’article XX indique clairement que ce sont les
‘mesures’ qui doivent être examinées au regard de l’article XX g) et non la
constatation juridique d’un ‘traitement moins favorable’ »3
. Appliquant cette
distinction et examinant la mesure, c'est-à-dire les règles d’établissement des niveaux
de base, l’Organe d’appel rend le raisonnement juridique plus cohérent : dans un
premier temps, il ne convient pas de se demander si la violation de l’Accord général
1 Article XX g) GATT.
2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 17.
3 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 18.
64
est justifiée, mais d’abord de rechercher si la mesure en question « se rapporte à la
conservation des ressources naturelles épuisables » 1
.
Dès lors, l’Organe d’appel reprend d’abord le raisonnement du Groupe spécial pour le
confirmer : une mesure doit effectivement « viser principalement à » la conservation
des ressources naturelles épuisables pour relever du champ d’application de l’article
XX g). C’est sur la « question spécifique de savoir si les règles d’établissement des
niveaux de base sont considérées à bon escient comme ‘visant principalement à’ la
conservation des ressources naturelles aux fins de l’article XX g) » 2
, que l’Organe
d’appel infirme les conclusions du Groupe spécial en répondant par l’affirmative à la
question. Pour ce faire, l’Organe d’appel établit une « relation substantielle » entre les
moyens (les règles d’établissement des niveaux de base) et les objectifs visés par la
réglementation américaine (la stabilisation du niveau de pollution de l’air). Il pose
ainsi, en outre, la règle selon laquelle c’est la mesure dans son ensemble qui doit être
examinée.
45. L’examen de l’ensemble de la mesure. L’Organe d’appel pose alors la règle,
selon laquelle l’élément à examiner est bien la réglementation dans son ensemble et
non la seule disposition litigieuse : « Il est difficile de comprendre ces dispositions si
on les examine isolément, en les séparant totalement des autres articles de la
Réglementation sur l’essence qui constituent assurément une partie du contexte
desdites dispositions »3. Ainsi, au regard de l’ensemble de la réglementation, cette
« relation substantielle » est établie et permet à l’Organe d’appel d’estimer que « […]
les règles d’établissement des niveaux de base ne peuvent pas être considérés comme
1 Ici réside le second point faisant l’objet de l’appel. L’Organe d’appel estime que le Groupe spécial « a
négligé [la] règle fondamentale de l’interprétation des traités » qu’est l’article 31 de la Convention de
Vienne. En « [ne tenant pas] compte de manière adéquate des termes effectivement utilisés dans les
différents paragraphes de l’article XX » le Groupe spécial aurait appliqué au paragraphe g) le critère erroné
de « nécessaire » au lieu de « se rapportant à ». L’Organe d’appel reprend donc la question de savoir si la
mesure en cause « se rapporte à » la conservation des ressources naturelles épuisables : Rapport de
l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », pp. 18 s. 2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 21.
3 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 21.
65
ne visant qu’incidemment ou qu’accidentellement à la conservation de l’air pur aux
États-Unis aux fins de l’article XX g) »1.
46. L’usage par l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation. L’Organe d’appel use
enfin de son pouvoir d’évocation concernant la seconde prescription de l’article XX g).
Le Groupe spécial n’avait effectivement pas examiné cette question, puisqu’il arrivait
précédemment à une conclusion négative. L’Organe d’appel se saisit de la question et
complète l’analyse du Groupe spécial afin de régler le différend. Le rapport est rédigé
d’une manière telle, qu’il sous-entend une certaine responsabilité de l’Organe d’appel
d’user de ce mécanisme : « […] nous devons maintenant examiner cette seconde
prescription de l’article XX g) » 2
.
47. Le caractère prometteur de l’interprétation. Cette interprétation inédite de
l’article XX g) apparaît bien « moins sévère » que celle de précédents groupes
spéciaux3
, et prometteuse « de meilleures perspectives quant à la prise en
considération de mesures environnementales par l’Accord général »4. Elle semble
effectivement situer sur le même plan les principes de libre circulation des
marchandises du GATT et les politiques des États membres, incarnées dans les
exceptions de l’article XX. Certains y ont d’ailleurs vu « un tournant dans l’évolution
de l’interprétation du GATT », reflétant un « souhait de l’Organe d’appel de faire
justice à certaines préoccupations d’ordre environnemental dans sa pratique de
1 Ibid.
2 Ibid.
3 Avant l’instauration de l’OMC en 1995, les Groupes spéciaux avaient adopté une pratique d’interprétation
stricte de l’article XX. Ainsi, par exemple, dans son rapport Thon I, le Groupe spécial affirmait que “Article
XX is a limited and conditional exception from obligations under other provisions of the General
Agreement, and not a positive rule establishing obligations in itself. Therefore, the practice of panels has
been to interpret Article XX narrowly” [« l’article XX est une exception limitée et conditionnée des
obligations imposées par l’Accord général, et non une règle positive établissant des obligations en soi. Dès
lors, la pratique des panels a consisté à l’interpréter restrictivement »]: Rapport du Groupe spécial États-
Unis – Restrictions à l’importation de thon, rapport adopté le 16 août 1991, § 5.22. 4 ROBERT E., « L’affaire des normes américaines relatives à l’Essence : le premier différend commercial
environnemental à l’épreuve de la nouvelle procédure de règlement des différends de l’O.M.C. », RGDIP,
1997, N°1, p. 116.
66
règlement des différends, en attendant qu’elles le soient dans le droit de l’OMC par le
biais d’un engagement conventionnel spécifique »1.
En effet, ce raisonnement novateur permet à l’Organe d’appel de conclure « que les
règles d’établissement des niveaux de base prévues dans la Réglementation sur
l’essence entrent dans le cadre de l’article XX g) »2. L’Organe d’appel interprète ici
extensivement la condition de justification provisoire de la mesure en la considérant
dans son ensemble, au regard de son objectif non commercial, et en usant de son
pouvoir d’évocation. Cette ouverture à l’exception environnementale est néanmoins
contrebalancée par son utilisation de la condition de bonne foi, contenue dans le
chapeau de l’article XX, comme garde-fou du commerce international.
2. La condition de bonne foi, garde-fou du commerce international
48. La condition de bonne foi, second pas de la méthode d’application de l’article
XX. Le rapport Essence pose la règle que le second examen de la mesure consiste à
vérifier « si ces règles répondent aussi aux prescriptions du texte introductif de
l’article XX »3
. L’Organe d’appel semble cette fois-ci considérer le chapeau
introductif comme garde-fou des règles du commerce international. On peut en effet se
demander s’il ne pose pas implicitement une présomption de mauvaise foi de l’État
invoquant une exception, d’autant plus que les termes disqualifiant les États-Unis
restent confortablement flous.
49. Une implicite présomption de mauvaise foi de l’État invoquant une exception ?
En s’appuyant sur les travaux préparatoires du texte, l’Organe d’appel déclare que
l’objet et le but du texte introductif est de prévenir « l’abus des exceptions énumérées
à [la disposition qui est ensuite devenue] l’article XX »4. Pour ce faire, il faudrait
1 DUPRAT J.-C., « États-Unis – Essence », in CANAL-FORGUES E. et FLORY T., GATT/OMC – Recueil des
contentieux, op. cit., p. 556. 2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 24.
3 Ibid.
4 EPCT/C.II/50, p.6 cité dans l’Index analytique : Guide des règles et pratiques du GATT, Volume I, p. 610
(1995), cité dans Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 25.
67
apporter la preuve que les mesures ont été « appliquées de manière raisonnable »1.
Cette impression de la mise en place implicite d’une présomption de mauvaise foi
résulte de l’attribution de la charge de cette preuve à l’État auteur de la mesure,
pourtant déjà provisoirement justifiée au regard de l’intérêt qu’elle porte. En effet,
dans ce rapport, l’Organe d’appel énonce la règle selon laquelle « il incombe à la
partie qui invoque l’exception de démontrer qu’une mesure provisoirement justifiée du
fait qu’elle entre dans le cadre de l’une des exceptions énoncées dans les différents
paragraphes de l’article XX ne constitue pas, dans son application, un abus de cette
exception au regard du texte introductif »2. Et l’Organe d’appel d’ajouter que « c’est
là nécessairement une tâche plus lourde que celle qui consistait à montrer qu’une
exception, par exemple celle de l’article XX g), est applicable à la mesure en cause » 3
.
L’Organe d’appel applique certes une règle classique, en attribuant la charge de la
preuve à celui qui allègue l’exception. C’est l’objet de la preuve lui-même qui est
discutable. En effet, la difficulté d’établir une telle preuve, d’application non abusive
de la mesure litigieuse, est bien plus grande que celle consistant à démontrer que les
conditions d’application des alinéas sont remplies4. Les observateurs ont relevé que
cette difficulté était révélatrice de la manière dont le chapeau de l’article XX a été
interprété5
: « si celui-ci avait été vu comme couvrant uniquement les abus
intentionnels dans l’application d’exceptions, la charge de la preuve aurait été moins
redoutable que celle consistant à établir que cette mise en œuvre a été raisonnable »6.
Plus avant, certains commentateurs estiment que cette deuxième preuve, nécessaire à
1 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 25.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ainsi, d’après CAMERON J. et CAMPBELL K., “the Appellate Body’s assessment has narrowed the
application of Article XX through a more rigorous application of the Chapeau. The net result is that the
burden in Article XX has shifted to reflect a greater emphasis on the Chapeau, meaning that in future
disputes, parties will have to be particularly cognizant of the requirements of the Chapeau in evaluating the
trade consistency of their environmental measures” [« L’appréciation faite par l’Organe d’appel a
restreint l’application de l’article XX par le jeu d’une application plus rigoureuse du chapeau. Il en résulte
directement un renversement de la charge dans l’article XX, redonnant une plus grande importance au
chapeau, ce qui signifie que dans les différends ultérieurs, les parties devront être particulièrement
conscientes des prescriptions du chapeau quant à l’évaluation de la cohérence commerciale de leurs
mesures environnementales »]: “Challenging the Boundaries of the DSU Through Trade and Environmental
Disputes”, in CAMERON J., CAMPBELL K. (eds.), Dispute Resolution in the World Trade Organization,
Cameron May, London, 1998, p. 211. 5 PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formules », op. cit., p. 25.
6 RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », op. cit., p. 456.
68
la justification de la mesure environnementale litigieuse sur le fondement de l’article
XX, serait en réalité impossible à rapporter1. Cette probatio diabolica, à la charge de
l’État auteur de la mesure environnementale, serait contraire au principe bien ancré en
droit de la preuve, suivant lequel la mauvaise foi ne se présume pas2. Les mêmes
observateurs soulignent, en outre, que les organes de règlement des différends se sont
d’autant plus éloignés de l’objectif de développement durable, pourtant explicitement
mentionné dans le Préambule du GATT, en n’envisageant pas la question de la charge
probatoire sur le long terme3. Nous ne pouvons que souscrire à ces observations, tant
l’attribution de la charge d’une telle preuve de bonne foi à l’État auteur de la mesure,
sans que le plaignant n’ait eu à démontrer quoi que ce soit, révèle une suspicion
extrême de protectionnisme des auteurs de mesures environnementales ou sanitaires.
Ceci revient de toute évidence à déséquilibrer les « valeurs » en jeu, en instaurant une
hiérarchie entre objectifs commerciaux et non-commerciaux au bénéfice des premiers.
Alors que l’interprétation extensive de la justification provisoire promettait un respect
de l’équilibre « principes-exceptions », instauré par l’Accord général, cette obligation
de preuve de la bonne foi bouscule cet équilibre et rend l’interprétation de l’article XX
restrictive in fine4.
En l’espèce, c’est sans surprise que l’Organe d’appel confirme la conclusion du
Groupe spécial, selon laquelle les États-Unis se sont fourvoyés dans l’application
administrative de leur Réglementation sur l’essence. Il relève effectivement « deux
omissions de la part des États-Unis : ils ont omis d’étudier de façon adéquate les
1 « Le fait qu’une mesure est nécessaire (1
ère preuve) ne suffit donc pas à prouver qu’elle n’est ni arbitraire
ni injustifiable (2nde
preuve). À partir du moment où la seconde preuve ne peut pas être seulement la
conséquence de la première, et où elle porte sur des faits négatifs, elle devient presque impossible à
rapporter » : COLLART DUTILLEUL F., « Proposition Lascaux : Les voies d’amélioration de la sécurité
alimentaire dans un contexte de mondialisation du commerce » , in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T.
(dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, op. cit., p. 223. 2 JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V., « La sécurité alimentaire dans le droit de l’OMC ; analyse critique
et prospective » », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie alimentaire –
Thinking a food democracy, Vol. 1, op. cit., p. 262. 3 « En clair, il convient de ne pas considérer comme une restriction déguisée une mesure qui nuit au
commerce à court terme afin de satisfaire des objectifs d’intérêt général à long terme. Cela pourrait passer
par l’application d’une règle de raison faisant la balance entre les différents effets (pour le commerce et
pour l’Homme) de la mesure lorsque celle-ci n’est pas restrictive par son objet même » : ibid.
4 V. également en ce sens PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne
formules », op. cit., pp. 22-26.
69
moyens, y compris en particulier la coopération avec les gouvernements vénézuélien
et brésilien, d’atténuer les problèmes administratifs avancés par les États-Unis pour
justifier leur refus des niveaux de base individuels pour les raffineurs étrangers ; et ils
ont omis de tenir compte des coûts entraînés par les niveaux de base réglementaires
pour les raffineurs étrangers »1 . De ce constat, l’Organe d’appel tire une conclusion
manquant de clarté.
50. Les qualifications confuses fondées sur le texte introductif. L’Organe d’appel
termine son raisonnement de manière peu convaincante en concluant « que les règles
d’établissement des niveaux de base que contient la Réglementation sur l’essence,
dans leur application, constituent une ‘discrimination injustifiable’ et une ‘restriction
déguisée au commerce international’ » 2. Il ne développe pas plus avant ces points,
semblant se satisfaire d’un paragraphe précédent confus suivant lequel « les
expressions ‘discrimination arbitraire’, ‘discrimination injustifiable’ et ‘restriction
déguisée’ au commerce international peuvent […] se lire parallèlement ; chacune
influe sur le sens des autres » 3
. Si une définition théorique semblait à l’Organe
d’appel trop fastidieuse, il aurait été pertinent de développer l’argumentaire in
concreto. En l’occurrence, à l’issue d’une démarche juridique pointue, le rapport
Essence déçoit en adoptant des propos conclusifs qui semblent bien hâtifs. Les
éléments sont appréciés globalement, sans aucune définition générale des termes,
laissant une grande liberté d’appréciation aux organes de règlement des différends. Ce
constat va dans le sens de la présomption de mauvaise foi, puisque sans plus
d’argument, l’Organe d’appel conclut qu’« en résumé […] les règles d’établissement
des niveaux de base, même si elles entrent dans le cadre de l’article XX g), ne peuvent
pas bénéficier de la protection, qui les justifierait, conférée par l’article XX dans son
ensemble » 4
.
51. Une condition disqualifiant la mesure environnementale. C’est ainsi au nom de
la condition de bonne foi, contenue dans le chapeau du texte introductif de l’article
1 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 32.
2 Ibid.
3 Ibid., p. 28.
4 Ibid., p. 32.
70
XX, que la mesure environnementale américaine est déclarée incompatible avec les
accords de l’OMC. Cette interprétation de la condition de bonne foi semble largement
prendre le dessus sur l’étape de justification provisoire de la mesure. La juridicisation
amorcée par l’Organe d’appel dans ce rapport Essence, semble dès lors surtout servir à
légitimer une interprétation restrictive de l’article XX du GATT. Le rapport Essence
consacre certes l’exception environnementale dans le cadre du système de règlement
des différends, mais celle-ci reste purement théorique1. Il faudra finalement attendre
l’affaire Crevettes – Tortues pour que soit mise en œuvre, pour la première et unique
fois, l’exception environnementale.
LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE PAR § 2.
L’AFFAIRE CREVETTES – TORTUES
52. Si le rapport Essence consacre théoriquement l’existence d’une exception
environnementale sur le fondement de l’article XX g) de l’Accord général, il ne la met
pas en œuvre. Il faut attendre l’épilogue de l’affaire Crevettes pour que cette exception
environnementale soit effectivement consacrée et mise en œuvre.
53. Le cas d’espèce. L’objet du contentieux Crevettes – Tortues était l’article
américain 609 b) 1) de la loi américaine sur les espèces menacées d’extinction2, posant
une interdiction d’importer les crevettes pêchées avec des techniques de pêche
commerciales susceptibles de nuire aux tortues marines. En substance, il rendait
obligatoire l’utilisation des dispositifs d’exclusion des tortues marines (« DET ») pour
les pêches de crevettes importées aux États-Unis. L’article 602 b) 2) contenait une
exception à cette obligation. Les pays certifiés, soit parce qu’ils n’utilisaient pas de
1 Pour certains, il s’agissait pour l’Organe d’appel de montrer sa conscience de l’importance des enjeux des
politiques de protection de l’environnement : “the Appellate Body had to prove that it was sensitive to the
‘policies and interests’ that underlay the environmental exceptions of the GATT. It did so admirably”
[« L’Organe d’appel devait prouver qu’il était sensible aux ‘politiques et intérêts’ qui sous-tendent les
exceptions environnementales du GATT. Il l’a fait admirablement »]: BEHBOODI R., “Legal Reasoning and
the International Law of Trade – The First Steps of the Appellate Body of the WTO”, JWT, 1998, vol. 32,
N°4, p. 74 (traduit par nos soins). Nous ne souscrivons évidemment pas à cet avis. 2
Loi générale 101-102, promulguée le 21 novembre 1989, portant modification des règlements
d’application de la Loi de 1973 sur les espèces menacées d’extinction (Loi générale n° 93-205, 16 U.S.C.
§§ 1531s).
71
technique de pêche dangereuse pour les tortues marines (par exemple la pêche
artisanale), soit parce que les zones de pêche n’abritaient pas de population de tortues
marines, étaient exemptés de cette obligation.
54. La phase initiale. L’Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande se sont plaints
d’une discrimination injustifiée de traitement entre les pays certifiés et les pays non-
certifiés. Le Groupe spécial a reconnu l’incompatibilité de la mesure américaine avec
l’article X.1 de l’Accord général, et refusé la justification de l’article XX, au motif que
leur application engendrait une discrimination injustifiable et arbitraire1. Les États-
Unis font appel de la décision du Groupe spécial, qui, selon eux, a moins cherché à
trancher le conflit de l’espèce, qu’à prévenir les dérives qu’entrainerait une
multiplication de ce type de mesure. Les États-Unis se fondent sur l’article XX g) du
GATT qui justifierait la mesure au titre de la protection des ressources naturelles
épuisables. À l’instar de sa décision Essence, l’Organe d’appel conclut que la mesure
est provisoirement justifiée au regard de l’article XX g) de l’Accord général, mais
était appliquée de manière abusive au regard du texte introductif de l’article XX du
GATT2. En effet, il considère que si l’objectif environnemental visé par la mesure est
légitime, celle-ci reste discriminatoire à plusieurs titres : la législation traiterait de
manière identique des situations différentes3, et à l’inverse, traiterait différemment des
situations identiques4
; l’Organe d’appel relève en outre que les États-Unis ne
coopèrent pas de la même manière avec les différents pays exportateurs de crevettes,
qu’il s’agisse de la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux pour la protection
des tortues marines5, des délais accordés aux différents pays pour mettre leurs
1 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes (« Crevettes - Tortues »), WT/DS58/R et Corr.1, adopté le 6 novembre 1998,
modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS58/AB/R. 2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes (« Crevettes - Tortues »), WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998. 3 L’Organe d’appel reproche à la mesure américaine d’accorder la certification sur la base d’un critère trop
strict et rigide, sans possibilité d’adaptation aux situations particulières de chaque pays : Rapport de
l'Organe d'appel « Crevettes - Tortues », § 165. 4 La mesure exclurait du marché les crevettes pêchées par des méthodes identiques à celles employées aux
États-Unis, uniquement parce qu’elles sont pêchées dans des eaux de pays qui n’ont pas été certifiées par
les États-Unis : Rapport de l'Organe d'appel « Crevettes - Tortues », § 165. 5 Rapport de l'Organe d'appel « Crevettes - Tortues », § 167.
72
installations en conformité avec les exigences américaines1, ou de la transmission de
leur technologie DET2. Les États-Unis se voient ainsi recommander de mettre leur
législation en conformité avec le droit de l’OMC à l’issue de cette affaire Crevettes –
Tortues I.
55. La phase d’exécution. C’est dans cette optique de mise en conformité que les
États-Unis ont publié des Directives révisées, énonçant les nouveaux critères en
matière de certification, qui, s’ils sont remplis par un pays, lui permettent de passer
outre la prohibition à l’importation de crevettes. Les directives initiales permettaient
aux pays demandeurs de n’obtenir une certification qu’après la démonstration par
ceux-ci qu’ils exigeaient l’utilisation de DET. Les Directives révisées permettent aux
pays demandeurs d’obtenir cette certification lorsqu’ils montrent qu’ils ont mis en
place un programme de réglementation dont l’« efficacité est comparable » aux DET
prescrits par les États-Unis. La Malaisie porte alors à nouveau plainte après cette
modification, considérant que les mesures américaines entrainent toujours une
discrimination arbitraire et injustifiable et que les États-Unis ne se sont pas conformés
aux recommandations, qui leur ont été faites à l’issue de la phase initiale. L’affaire est
une fois encore portée devant un Groupe spécial puis devant l’Organe d’appel, qui
admettent tous deux la justification de la mesure environnementale au titre de l’article
XX g). Le Groupe spécial fonde cette décision de justification au regard de l’article
XX du GATT sur la condition de la poursuite par les États-Unis d’« efforts sérieux de
bonne foi en vue de parvenir à un accord multilatéral »3. La Malaisie fait appel à deux
motifs principaux : elle considère premièrement que, dans leur politique de protection
et de conservation des tortues marines, les États-Unis pêchent par unilatéralisme et
transgressent leur devoir de coopération internationale4 ; elle estime en outre que les
Directives révisées n’offrent pas suffisamment de flexibilité aux pays exportateurs de
1 Ibid, § 174.
2 Ibid, § 175.
3 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur le
règlement des différends (« Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) »), WT/DS58/RW, adopté le 21
novembre 2001, confirmé par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS58/AB/RW, § 2.29. 4 Communication de la Malaisie en tant qu’appelant, §§ 3.10 à 3.13.
73
crevettes pour se conformer à la législation américaine1. L’Organe d’appel confirme
les raisonnements du Groupe spécial, qui concluent à la compatibilité des Directives
révisées avec l’article XX du GATT, en considérant qu’elles laissent aux autres États
une marge de manœuvre suffisante pour mettre en œuvre leur objectif
environnemental2.
56. L’importante évolution jurisprudentielle opérée lors de l’affaire Crevettes –
Tortues. L’affaire Crevettes - Tortues, tout en s’inscrivant directement dans la lignée
de l’affaire Essence, opère une importante évolution jurisprudentielle à deux titres.
Une première évolution se révèle à la lumière de l’affaire Thons-Dauphins I, qui
présentait des faits en tous points similaires : alors que le Groupe spécial posait en
1991 le principe d’une stricte interprétation de l’article XX et concluait à
l’incompatibilité de la mesure environnementale avec le GATT, l’Organe d’appel
déclare ici qu’ « il ne faut pas que le droit d'invoquer l'une de ces exceptions devienne
illusoire »3. La seconde évolution jurisprudentielle apparaît à la lumière de l’affaire
Essence : si l’affaire Crevettes – Tortues s’inscrit directement dans sa lignée en
reprenant ses principaux raisonnements, il s’agit ici d’une application, donc d’une
effectivité, des déclarations théoriques du rapport Essence. L’Organe d’appel n’est
plus ici à la recherche d’un point d’équilibre abstrait entre les préoccupations
environnementales et les droits commerciaux des États membres, mais tranche in
concreto un conflit en acceptant une restriction au commerce international des
crevettes pour motif environnemental4.
57. Une mise en œuvre étonnante. Il aura ainsi fallu que leur soit soumise une
double procédure pour que les organes de règlement des différends mettent en œuvre,
1 Communication de la Malaisie en tant qu’appelant, §§ 3.17 à 3.25.
2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur le
règlement des différends (« Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) »), WT/DS58/AB/RW, adopté le
21 novembre 2001. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Crevettes - Tortues », p. 65.
4 Il est d’ailleurs à noter que si le différend en soi est à dominante environnementale, ce sont bien des
denrées agro-alimentaires qui sont l’objet du litige. Le lien entre réglementations agro-alimentaire et
environnementale apparaît ici clairement, révélant l’interdépendance des évolutions jurisprudentielles des
deux secteurs.
74
pour la première et dernière fois, l’exception environnementale. Cette décision a
partagé les observateurs, les premiers se félicitant de l’évolution jurisprudentielle
environnementale, les seconds y voyant une légitimation de l’unilatéralisme
américain1
. Cette mise en œuvre de l’exception environnementale semble
effectivement avoir été rendue possible au prix d’une incohérence entre le
raisonnement juridique et la solution de l’espèce. Les rapports de la phase initiale du
différend semblent cohérents en disqualifiant la mesure au titre du chapeau de l’article
XX, appliquant par là même la politique jurisprudentielle restrictive amorcée par
l’affaire Essence. L’issue de la phase d’exécution est plus surprenante au regard du
caractère minimal des modifications de la mesure américaine en cause. Cette
consécration formelle de l’exception environnementale apparaît comme un coup
d’éclat qui ne fait pas l’unanimité. D’un côté, cette affaire s’inscrit en plein dans la
ligne jurisprudentielle, amorcée par l’affaire Essence, d’interprétation extensive de la
justification provisoire de la mesure, en utilisant des règles interprétatives
apparemment favorables à la mise en œuvre de l’exception. D’un autre côté, cette
affaire trahit une émancipation des organes de règlement des différends par rapport à
la jurisprudence antérieure, en n’utilisant pas la condition de bonne foi comme garde-
fou du commerce international. La mise en œuvre de l’exception environnementale
par les organes de règlement des différends apparaît ainsi presque comme un accident
de parcours : si la justification provisoire de la mesure au regard de son objectif
environnemental était attendue (A), sa justification effective au regard de ses modalités
d’application est plus surprenante (B).
La justification provisoire attendue de la mesure au regard de son objectif A.
environnemental
58. Afin de pouvoir conclure dès la procédure initiale à la justification provisoire de
la mesure au regard de son objectif environnemental, appliquant par là même la
jurisprudence Essence, l’Organe d’appel use de manière extensive de son pouvoir
1Concernant les critiques adressées à cette décisions, v. infra n° 71.
75
d’évocation pour ensuite appliquer des règles d’interprétation favorables à cette
justification.
59. L’usage extensif par l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation. L’Organe
d’appel a tenu à fonder ses raisonnements et sa solution sur la méthode d’application
de l’article XX du GATT dégagée dans son rapport Essence. Celui-ci préconisait une
démarche en deux temps : il s’agissait d’abord de vérifier que la mesure en cause
poursuivait bien un des objectifs compris par les alinéas a) à j) de l’article XX, pour
ensuite contrôler l’application de bonne foi de la mesure1. Or, lors de la procédure
initiale, le Groupe spécial inverse les deux étapes du raisonnement et disqualifie la
mesure dès la première, c'est-à-dire au motif qu’elle est appliquée de mauvaise foi. Il
n’examine dès lors pas la justification provisoire de la mesure au titre du paragraphe
XX g) ou b). L’Organe d’appel se saisit de la question en arguant qu’il a « le devoir et
la responsabilité d’achever l’analyse juridique »2 . Pour pouvoir examiner cette
condition de poursuite d’un des objectifs mentionnés par l’article XX en faisant usage
de son pouvoir d’évocation, il s’appuie sur de précédents rapports3. Malgré cette
tendance jurisprudentielle antérieure, il se livre pourtant pour la première fois à sa
propre évaluation des faits :
“Although the Appellate Body noted that there were facts in the record that permitted
it to complete the analysis, facts in the record do not constitute the factual findings of
the Panel. Furthermore, the Appellate Body did not identify the facts in the record to
which it referred, choosing instead to rely on factual statements made at the appellate
hearing when ruling upon chapeau issues not reached by the Panel”4.
1 V. supra.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 49.
3 Il s’appuie notamment sur le rapport Communautés européennes – Mesures affectant l’importation de
certains produits provenant de volailles dans lequel il indiquait : « Dans certains appels […], l’infirmation
de la constatation d’un groupe spécial concernant une question de droit peut nous amener à formuler une
constatation sur une question de droit qui n’a pas été traitée par le groupe spécial » : Rapport adopté le 23
juillet 1998, WT/DS69/AB/R, § 156, cité par le Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 49. 4
« Bien que l’Organe d’appel ait noté qu’il disposait d’éléments de faits dans le dossier qui lui
permettaient de compléter l’analyse, les faits du dossier ne constituent pas leur appréciation par le Groupe
spécial. Plus avant, l’Organe d’appel n’a pas identifié les faits dans le dossier auquel il se réfère,
choisissant plutôt de s’appuyer sur les déclarations faites lors de l’audience d’appel relatives aux questions
76
Pour certains, cette audace est salutaire : “In fact, lacking the power of remand, the
Appellate Body heroically made its own findings”1. Elle permet effectivement à
l’Organe d’appel d’amorcer une tendance favorable à la mesure en adoptant une
interprétation toujours plus extensive des conditions de justification provisoire de la
mesure au regard de son objectif environnemental. L’Organe d’appel, après avoir
légitimé son usage, certes extensif, de son pouvoir d’évocation, applique les règles
d’interprétation posées par le rapport Essence2.
60. L’application des règles d’interprétation posées par le rapport Essence. Lors de
l’affaire Crevettes – Tortues, l’Organe d’appel applique le principe posé par le rapport
Essence, et confirmé dans le rapport Japon – Boissons alcooliques, selon lequel le
droit de l’OMC doit être interprété conformément aux articles 31 et 32 de la
Convention de Vienne3. Il reste ainsi fidèle à sa méthode en commençant son analyse
par une interprétation textuelle4, en utilisant la règle de l’effet utile
5, en ayant recours
du chapeau auxquelles le Groupe spécial n’était pas parvenu » : APPLETON A., “Shrimp/Turtle : Entangling
the Nets”, JIEL, 1999, p. 480 (citation traduite par nos soins). 1
« En fait, dépourvu de pouvoir de renvoi, l’Organe d’appel a héroïquement mené ses propres
constatations » : TRACHTMAN J.P., “WTO Appelate Body Report: United States – Import Prohibition of
Certain Shrimp and Shrimp Products”, EJIL, Current Developments, 6 November 1998, para. 4a (citation
traduite par nos soins). 2 Nous verrons par la suite que l’Organe d’appel semble faire un usage sélectif de son pouvoir d’évocation,
rarement en faveur de la validation d’une mesure environnementale litigieuse (v. infra n° 184 à 189) : il
s’agit dans cette affaire Crevettes, de son seul usage favorable à la justification de la mesure. 3
Lors de la procédure initiale, l’Organe d’appel rappelle la règle générale ainsi que sa méthode
d’application, reprenant le raisonnement erroné du Groupe spécial auquel il reproche de ne pas avoir suivi
les différentes étapes nécessaires : « Ainsi que nous l’avons souligné à de nombreuse reprises, ces règles
appellent un examen du sens ordinaire des termes d’un traité, lus dans leur contexte et à la lumière de
l’objet et du but du traité considéré. Celui qui interprète un traité doit commencer par fixer son attention
sur le texte de la disposition particulière à interpréter. C'est dans les termes qui constituent cette
disposition, lus dans leur contexte, que l'objet et le but des États parties au traité doit d'abord être cherché.
Lorsque le sens imparti par le texte lui-même est ambigu et n'est pas concluant, ou lorsque l'on veut avoir
la confirmation que l'interprétation du texte lui-même est correcte, il peut être utile de faire appel à l'objet
et au but du traité dans son ensemble » : Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 45. 4 « Nous commençons la deuxième partie de notre analyse par un examen du sens ordinaire des termes
utilisés dans le texte introductif » : Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 61. 5 L’Organe d’appel utilise la règle de l’effet utile dans différentes phases de son raisonnement. Ainsi
déclare-t-il notamment que « conformément à la règle de l’effet utile dans l’interprétation des traités, les
mesures visant à conserver les ressources naturelles épuisables, qu’elles soient biologiques ou non
biologiques peuvent relever de l’article XX g) » (p. 54 du Rapport). Cette règle est également sous-jacente
pour rejeter l’analyse du groupe spécial selon laquelle les mesures américaines étaient intrinsèquement
incompatibles avec le droit de l’OMC car elles comportaient des restrictions au commerce international.
L’Organe d’appel déclare qu’« une telle interprétation rend inutile la plupart des exceptions spécifiques
prévues à l’article XX, sinon toutes, résultat qui est incompatible avec les principes d’interprétation que
nous sommes tenus d’appliquer » (p. 48 du Rapport). La règle de l’effet utile va alors dans le sens du
77
aux travaux préparatoires de l’article XX1 ou en mentionnant la possibilité qu’il a de
recourir aux principes généraux du droit international2. L’application de ces règles
d’interprétation mène à la formulation de deux éléments décisifs dans le raisonnement.
L’interprétation évolutive de la notion de « ressources naturelles épuisables » (1), puis
la mention des objectifs de développement durable et de protection de
l’environnement (2), permettent à l’Organe d’appel de conclure à la justification de la
mesure environnementale au regard de l’article XX g).
1. L’interprétation évolutive de la notion de « ressources naturelles épuisables »
61. L’Organe d’appel applique la politique jurisprudentielle amorcée par le rapport
Essence, en adoptant une interprétation évolutive de la notion de « ressources
naturelles épuisables », lui permettant dès la phase initiale de conclure à la
justification provisoire de la mesure au titre de l’article XX g) 3
.
62. L’interprétation discutée de la notion de « ressources naturelles épuisables ».
Les États-Unis, appelants lors de la phase initiale, défendent le fait que la mesure en
cause poursuivait un objectif environnemental de protection des ressources naturelles
et relevait de l’article XX g) de l’Accord général. Les intimés soutiennent, au contraire,
que les ressources vivantes ou biologiques ne peuvent pas être considérées comme
« épuisables » car elles sont renouvelables par leur nature. Ainsi, l’Inde, le Pakistan et
la Thaïlande défendent une interprétation stricte du terme « épuisable », puisque
désignant « les ressources finies, telles que les minéraux, et les ressources biologiques
« droit d’invoquer une des exceptions » qu’ont les États membres, et donc de l’effectivité possible de
l’article XX g) : Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes ». 1 Ces travaux préparatoires, mentionnés comme outils d’interprétation par l’article 32 de la Convention de
Vienne, sont utilisés par l’Organe d’appel pour confirmer son interprétation relative au texte introductif. À
la fin de son raisonnement, il précise que « [c]ette interprétation du texte introductif est confirmée par
l’histoire de la négociation de celui-ci » : Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 65. 2 Il précise ainsi que conformément à l’article 31 3) c) de la Convention de Vienne sa « tâche consiste[…] à
interpréter le libellé du texte introductif, en cherchant d’autres indications à cet effet, s’il y a lieu, dans les
principes généraux du droit international » : Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 67. 3 Il commence d’ailleurs par préciser que le Groupe spécial ayant inversé les deux étapes du raisonnement,
et disqualifié la mesure lors de son examen de la compatibilité avec le texte introductif, il ne s’est pas
prononcé sur la question.
78
ou renouvelables »1. La Malaisie quant à elle ajoute que l’article XX g) ne s’applique
qu’aux « ressources naturelles épuisables non vivantes »2.
63. L’interprétation évolutive adoptée par l’Organe d’appel. Pour réfuter leurs
allégations l’Organe d’appel adopte une interprétation évolutive de la notion de
« ressources naturelles épuisables ». D’après lui, « l’expression ‘ressources naturelles
épuisables’ figurant à l’article XX g) a en fait été façonnée il y a plus de 50 ans. Elle
doit être analysée par un interprète à la lumière des préoccupations actuelles de la
communauté des nations en matière de protection et de conservation de
l’environnement »3. Est prise à partie, pour cerner le contenu de ces « préoccupations
actuelles », la modification opérée en 1995 dans le préambule de l’Accord sur l’OMC,
qui a ajouté au texte la protection de l’environnement et le développement durable en
tant qu’objectifs politiques. L’Organe d’appel se concentre tout d’abord sur le terme
« ressources naturelles », pour préciser qu’en se plaçant dans la perspective du
préambule de l’Accord sur l’OMC, il observe que le contenu ou la référence de
l’expression générique « ressources naturelles » employée dans l’article XX g) « ne
sont pas ‘statiques’ mais plutôt ‘par définition évolutifs’ »4. Il s’appuie alors sur l’avis
consultatif de la C.I.J. relatif à la Namibie5
, puis sur diverses conventions et
déclarations internationales : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer6,
la Convention sur la diversité biologique7, le Programme Action 21
8 et la Convention
sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage9
.
S’appuyant enfin sur l’ancienne jurisprudence du GATT, ainsi que sur l’historique de
la rédaction de l’article, l’Organe d’appel conclut que « les mesures visant à conserver
1 Rapport du Groupe spécial, § 3.237., cité par Rapport de l’Organe d’appel, « Tortues – Crevettes », p. 50.
2 Rapport du Groupe spécial, § 3.240., cité par Rapport de l’Organe d’appel, « Tortues – Crevettes »,
WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, p. 51. 3 Rapport de l’Organe d’appel, « Tortues – Crevettes », WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, p. 51.
4 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 52.
5 Namibie (Conséquences juridiques) avis consultatif (1971) Rec. de la C.I.J., p. 31.
6 Faite à Montego Bay le 10 décembre 1982, document de l’ONU A/CONF.62/122 ; 21 International Legal
Materials 1261. 7 Faite à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, UNEP/Bio.Div./N7-INC5/4; 31 International Legal Materials 818.
8 Adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, 14 juin 1992,
document de l’ONU A/CONF.151/26.Rev.1. 9 Final Act of the Conference to Conclude a Convention on the Conservation of Migratory Species of Wild
Animals,Bonn, 23 juin 1979, 19 International Legal Materials 11.
79
les ressources naturelles épuisables, qu’elles soient biologiques ou non biologiques
peuvent relever de l’article XX g) » 1
. L’Organe d’appel interprète le terme
« épuisable » de manière analogue. Pour ce faire, il s’appuie sur la Convention sur le
commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction (« CITES »). L’Organe d’appel s’inscrit pleinement dans la jurisprudence
Essence, ayant posé le principe de l’interprétation extensive de la justification
provisoire de la mesure. Il va même plus loin en adoptant cette
« interprétation évolutive » originale, le poussant, entre autres, à se référer à des
instruments juridiques extérieurs au système OMC. Il en conclut que les tortues
marines font bien partie des « ressources naturelles épuisables » et que la mesure en
cause est provisoirement justifiée par le paragraphe g) de l’article XX.
L’interprétation évolutive adoptée par l’Organe d’appel de la notion de « ressources
naturelles épuisables » est ainsi une règle interprétative largement favorable à la mise
en œuvre de l’exception environnementale, à l’instar de la mention des objectifs de
développement durable et de protection de l’environnement.
2. La mention des objectifs de développement durable et de protection de
l’environnement
Les objectifs de développement durable et de protection de l’environnement sont
mentionnés dans l’ensemble de la procédure, participant pleinement à la justification
provisoire de la mesure.
64. La prise en compte de l’objectif de développement durable dans la phase
initiale. Lors de la phase initiale, c’est à plusieurs reprises que l’Organe d’appel
s’appuie sur la mention dans le préambule de l’objectif de développement durable
pour étayer ses propos. Il le fait, comme nous l’avons vu, pour soutenir que les tortues
marines peuvent bien être qualifiées de « ressources naturelles épuisables » au titre de
l’article XX g). En outre, le préambule de l’Accord sur l’OMC est à nouveau cité pour
interpréter le texte introductif de l’article XX : « Nous notons encore une fois que ce
1 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 54.
80
texte démontre que les négociateurs de l’OMC ont reconnu que l’utilisation optimale
des ressources mondiales devait se réaliser conformément à l’objectif de
développement durable. Étant donné que ce préambule dénote les intentions des
négociateurs de l’Accord sur l’OMC, il doit, selon nous éclairer, ordonner et nuancer
notre interprétation des accords annexés à l’Accord sur l’OMC, le GATT de 1994 en
l’espèce »1. L’Organe d’appel mentionne ainsi l’objectif de développement durable à
plusieurs reprises, dans une optique d’interprétation d’une exception environnementale
au principe du libre commerce des marchandises.
65. La prise en compte de l’objectif de développement durable dans la phase
d’exécution. Le Groupe spécial reprend d’ailleurs dans la phase d’exécution les
termes de l’Organe d’appel pour appliquer sa méthodologie : « Cela étant, lorsque
nous examinons pour commencer l’objet et le but de l’accord sur l’OMC, nous notons
que la notion de ‘développement durable’ est évoquée dans le préambule de cet
accord […] Cela signifie que lorsque nous interprétons les termes du texte introductif,
nous ne devons pas oublier que le développement durable est l’un des objectifs de
l’accord sur l’OMC »2. Le Groupe spécial invoque ainsi l’objectif de développement
durable pour interpréter le chapeau de l’article XX. Alors qu’il avait une fois de plus
servi de garde-fou aux principes du libre-échange dans la procédure initiale,
l’application de la mesure est jugée non abusive à ce titre lors de cette phase
d’exécution. Si le développement durable n’apparaît pas comme le vecteur décisif
d’une lecture moins restrictive de ce texte introductif, cette évocation reste notable en
1 Ibid., p. 63.
2 Rapport du Groupe spécial, para. 5.54 ; il est à noter que l’Australie, en tant que tierce partie à la
procédure d’exécution, a également pu invoquer le développement durable devant le Groupe spécial :
« L’Australie souligne que le Préambule de l’Accord sur l’OMC reconnaît qu’il faut que les relations
commerciales des Membres de l’OMC se déroulent conformément à l’objectif de développement durable.
Par la voie des travaux du Comité du commerce et de l’environnement, les Membres de l’OMC se sont
particulièrement efforcés de faire en sorte que les politiques relatives au commerce et à l’environnement
s’appuient mutuellement pour promouvoir le développement durable. Ils ont reconnu que des mesures
commerciales peuvent être nécessaires dans certaines circonstances pour atteindre des objectifs
environnementaux, et la portée des dispositions de l’Accord sur l’OMC, y compris l’article XX du GATT de
1994, pour tenir compte des mesures de ce type. En particulier, les Membres de l’OMC ont reconnu la
complémentarité des travaux de l’OMC et des accords environnementaux multilatéraux » : Rapport du
Groupe spécial II, para. 4.3.
81
ce qu’il s’agit ici de l’unique mise en œuvre de l’exception environnementale devant
les organes de règlement des différends.
Pourtant, en définitive, la référence à l’objectif de développement durable reste
maladroite. Celui-ci est invoqué comme un éclairage général du texte introductif sans
que l’Organe d’appel ou le Groupe spécial ne sachent en tirer de conclusion précise1.
Il semble simplement venir à l’appui de la tolérance de certaines réglementations
environnementales restreignant le libre commerce et nourrir la réflexion sur la
recherche de l’équilibre entre commerce et environnement. Les observateurs ont ainsi
pu parler d’« évocation incantatoire »2 de la notion de développement durable, sans
aller jusqu’à vérifier qu’il était érigé en véritable outil d’interprétation. Cette évocation
reste néanmoins révélatrice d’une intention favorable des organes de règlement des
différends à la mise en œuvre de l’exception environnementale.
66. L’évocation explicite de la problématique de l’articulation du commerce et de
l’environnement. L’Organe d’appel pose clairement la question théorique du « lien
entre commerce et environnement »3 lors de la procédure initiale. Il rappelle la
Décision sur le commerce et l’environnement prise par les Ministres qui stipule
« qu’il ne devrait pas y avoir de contradiction au plan des politiques entre la
préservation et la sauvegarde d’un système commercial multilatéral ouvert, non
discriminatoire et équitable d’une part et les actions visant à protéger
l’environnement et à promouvoir le développement durable d’autre part »4.
1 L’incertitude juridique semble d’ailleurs constituer une problématique inhérente à la notion-même de
développement durable, comme en témoigne ici son usage par l’Organe d’appel. Pour une analyse de la
réalité juridique de cette notion, v. BOUILLOT P.-E., Les évolutions du droit rural et le développement
durable, thèse, Nantes, 2014, 407 p. ; pour une présentation plus synthétique de la notion, v. BOUILLOT P.-
E., « Développement durable », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire
juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 251-253. 2 STERN B., « États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base
de crevettes, Recours de la Malaisie à l’article 21 :5 », in STERN B. et RUIZ-FABRI H. (éd.), La
jurisprudence de l’OMC – The Case-Law of the WTO (1998-2), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2006, p. 146. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 63.
4 Préambule de la Décision sur le commerce et l’environnement, cité par le Rapport de l’Organe d’appel
« Tortues – Crevettes », p. 63.
82
Il traduit les questions d’articulation entre les deux types de valeurs par la recherche
d’« un équilibre [qui] doit être établi entre le droit qu’a un Membre d’invoquer une
exception prévue à l’article XX et le devoir qu’a ce Membre de respecter les droits
conventionnels des autres Membres » 1
. Pourtant, la recherche de ce point d’équilibre
paraît pour le moins biaisée au regard de certains développements : « S’agissant du
texte introductif de l’article XX, nous considérons que les Membres de l’OMC y
reconnaissent la nécessité de maintenir l’équilibre des droits et des obligations entre
le droit qu’a un Membre d’invoquer l’une ou l’autre des exceptions spécifiées aux
paragraphes a) à jj) de l’article XX, d’une part, et les droits fondamentaux que les
autres Membres tiennent du GATT de 1994, d’autre part »2 . Il n’est plus tant question
d’équilibre que de conciliation hiérarchisée quand l’Organe d’appel met en balance les
« droits-exceptions » des Membres et leurs « droits fondamentaux » commerciaux3.
L’Organe d’appel réitère cette distinction asymétrique à plusieurs reprises, en
précisant par exemple que « si un Membre exerce de façon abusive ou impropre son
droit d’invoquer une exception telle que celles de l’article XX g), il va par là même
éroder ou réduire à néant les droits conventionnels fondamentaux que les autres
Membres tiennent, par exemple, de l’article XI.1 » 4
. Malgré le maintien évident d’une
hiérarchie de valeurs entre commerce et environnement, certains observateurs ont
relevé que dans ce rapport l’Organe d’appel faisait montre de sa volonté de « se situer
dans une logique non pas seulement de conciliation mais de complémentarité, en
insistant notamment sur le fait que les préoccupations environnementales sont
intégrées par l’OMC »5.
67. La prudence de l’Organe d’appel. Malgré l’évocation explicite de la
problématique de l’articulation entre le commerce et la protection de l’environnement,
l’Organe d’appel se montre prudent en cantonnant la portée de sa solution au cas
1 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 65.
2 Ibid., p. 64.
3 V. dans le même sens STERN B., « États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de
certains produits à base de crevettes », op. cit., p. 105. 4 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 64.
5 RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », JDI, 1999, N°2, note 36, p. 500 ; v.
également dans le même sens MONNIER P., « L’environnement dans la jurisprudence de l’OMC », Les notes
bleues de Bercy, N°186, 1-15 juillet 2000, p.2 : « l’Organe d’appel a fait preuve d’une très grande
sensibilité aux problèmes d’environnement ».
83
d’espèce. Il précise ainsi que « [l]a localisation du point d’équilibre […] n’est ni fixe
ni immuable ; ce point se déplace dès lors que le type et la forme des mesures en
cause varient et que les faits qui sous-tendent les affaires considérées diffèrent »1. Si
l’affirmation n’est en rien contestable, le souci de sa précision semble tout de même
prévenir les arguments avançant un précédent jurisprudentiel, et confirmer l’analyse
d’une consécration formelle de l’exception environnementale, n’empêchant pas son
ineffectivité substantielle.
L’utilisation de moyens d’interprétation favorables à la mise en œuvre de l’exception,
si elle est accentuée, relève de la dynamique jurisprudentielle amorcée par le rapport
Essence dans l’optique d’une justification provisoire de la mesure au regard des
objectifs qu’elle poursuit. L’affaire Crevettes – Tortues est en revanche singulière
puisqu’elle admet, pour la seule et unique fois, la justification effective d’une mesure
discriminatoire au nom de la protection de l’environnement. Les organes de règlement
des différends ont ainsi fait passer à la mesure américaine le test de bonne foi avec
succès. Cette justification effective de la mesure au regard de l’exigence de bonne foi
était plus surprenante.
La justification effective surprenante de la mesure au regard de ses modalités B.
d’application
68. Lors de cette affaire Crevettes, l’Organe d’appel semble s’émanciper de la
jurisprudence Essence en n’utilisant pas le chapeau de l’article XX comme garde-fou
du commerce international. C’est probablement en raison de la sensibilité politique de
cette solution que l’Organe d’appel prend soin de la cantonner au cas d’espèce et reste
prudent quant à l’édiction de règles générales. Il conclut ainsi à l’application de bonne
foi de la mesure environnementale, en vérifiant les efforts américains de coopération
internationale pour protéger et conserver les tortues marines (1), ainsi que la flexibilité
offerte par les Directives révisées (2).
1 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », p. 67.
84
1. La vérification des efforts de coopération internationale
69. Obligation de moyens ou de résultat. La mesure environnementale américaine
avait été condamnée lors de la procédure initiale pour « discrimination arbitraire et
injustifiable ». La Malaisie prétendait ainsi pour fonder son recours dans la procédure
d’exécution que les États-Unis avaient l’obligation de conclure un accord multilatéral
relatif à la conservation des tortues marines avant d’imposer une politique unilatérale
sur la question1. Les États-Unis répondent à cette allégation en prétendant que leurs
efforts de bonne foi pour négocier, dans l’optique de conclure, un accord multilatéral
sur la conservation des tortues marines, englobant notamment la Malaisie, sont
suffisants pour répondre aux exigences du chapeau de l’article XX.
Le Groupe spécial adhère à l’argumentation américaine, et s’appuyant sur le rapport
initial de l’Organe d’appel, accepte que des négociations soient suffisantes, y compris
si elles n’aboutissent pas à la conclusion d’un accord2. Le Groupe spécial pose ainsi
l’obligation de coopération internationale en matière environnementale comme une
obligation de moyens et non de résultat3. Pour apprécier cette obligation de moyens, il
se réfère au processus de négociation engagé par les États-Unis avec la région d’Asie
du Sud-Est4. Il conclut à la vérification d’efforts de bonne foi des États-Unis pour
négocier un accord international5.
À la Malaisie qui reprenait son argumentation d’obligation de conclusion effective
d’un accord multilatéral, l’Organe d’appel répond qu’il s’agit d’une simple incitation à
la conclusion d’un tel accord. Il précise que son rapport initial ne préconisait pas la
conclusion d’un accord multilatéral comme « condition nécessaire » au respect du
1 Rapport du Groupe spécial « Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie), § 5.1.
2 Ibid., § 5.63.
3 Il reconnait en passant le « caractère subjectif » d’une telle appréciation ainsi que la « difficulté qu’il peut
y avoir à appliquer ce critère en réalité » : Ibid., § 5.76. 4 Utilisant la Convention interaméricaine comme élément de comparaison, en tant qu’accord multilatéral sur
la conservation des tortues marines, il se réfère à divers instruments tels que des colloques et conférences
préconisant des négociations sur la question, ou une série de négociations relative à l’adoption d’un
« Accord de l’Asie du Sud-Est » : Ibid., § 5.71 à 5.84. 5 Ibid., § 5.137.
85
principe de bonne foi contenu dans le chapeau de l’article XX1. Il confirme ainsi le
raisonnement et la conclusion du Groupe spécial en le citant : « l’article 609 n’est plus
appliqué de façon à constituer un moyen de discrimination arbitraire ou
injustifiable »2.
Lors de cette phase d’exécution de l’affaire Crevettes, les organes de règlement des
différends se prononcent explicitement pour le développement du droit international
de l’environnement. Ils acceptent de prendre en compte de tels instruments de
coopération, qui leur permettraient de ne pas avoir à statuer sur les valeurs non
commerciales. Cette condition de coopération internationale vérifiée, les organes de
règlement des différends ont pu conclure à l’application non abusive de la mesure
américaine après avoir décidé qu’elle offrait une flexibilité suffisante aux autres États
membres dans la poursuite de son objectif environnemental.
2. La vérification d’une flexibilité suffisante dans la poursuite de l’objectif
environnemental
70. La flexibilité, alibi de l’unilatéralisme. Le second argument phare de la Malaisie
motivant son recours lançant la procédure d’exécution de l’affaire Crevettes résidait
dans le caractère abusivement unilatéral de la politique environnementale américaine.
D’après elle, les États-Unis imposent unilatéralement des normes internes aux
exportateurs de crevettes, et opèrent par là même une discrimination arbitraire et
injustifiable. Cet argument reprend en substance un des motifs de condamnation de la
mesure en cause lors de la procédure initiale, selon lequel les Membres exportateurs
sont contraints par « une prescription unique, rigide et stricte » d’adopter
1 « Toutefois, c’est une chose de préférer une approche multilatérale dans l’application d’une mesure qui
est provisoirement justifiée au titre d’un des alinéas de l’article XX du GATT de 1994 et c’en est une autre
de prescrire la conclusion d’un accord multilatéral comme condition nécessaire pour éviter une
‘discrimination arbitraire ou injustifiable’ conformément au texte introductif de l’article XX. Nous ne
voyons en l’espèce aucune prescription en ce sens » : Rapport de l’Organe d’appel « Crevettes – Tortues
(article 21:5 – Malaisie) », § 124. 2 Ibid., § 134, citant le Rapport du Groupe spécial « Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) », § 5.137.
86
« essentiellement les mêmes » politiques de mise en application que celles qui sont
appliquées et imposées aux crevettiers des États-Unis (les fameux DET)1.
Le Groupe spécial réfute cet argument pour conclure que les Directives révisées
proposent une flexibilité suffisante dans l’application de la politique environnementale.
Pour ce faire, il compare les formulations des anciennes et des nouvelles directives.
Les anciennes directives permettaient aux États d’obtenir la certification nécessaire à
l’importation de crevettes si leurs réglementations s’avéraient « essentiellement les
mêmes » que les réglementations américaines. Les Directives révisées autorisent
l’importation provenant de pays disposant d’un programme de réglementation « dont
l’efficacité est comparable » à celle du programme des États-Unis. Même si cette
nuance est minime, elle permet pourtant au Groupe spécial de conclure que les
Directives révisées offrent une latitude et une flexibilité suffisantes pour être
conformes au texte introductif de l’article XX2.
L’Organe d’appel approuve une fois de plus le raisonnement et la conclusion du
Groupe spécial. Il commence par préciser que l’unilatéralisme, s’il est condamné par
les principes du libre-échange, est toléré au titre des exceptions générales comprises
dans les alinéas de l’article XX du GATT3. Il souscrit ensuite à la conclusion du
groupe spécial au motif que la nouvelle exigence d’« efficacité comparable » permet
au Membre exportateur d’adopter un programme de réglementation adapté aux
« conditions spécifiques existant sur son territoire »4. Il est peu de dire que le
revirement de solution, entre la phase initiale et la phase d’exécution, contraste avec le
caractère minime des modifications opérées dans les Directives américaines. Cette
incohérence a fait l’objet de virulentes critiques.
71. Une décision critiquée. À l’issue de la procédure initiale, les décisions Essence et
Crevettes semblaient toutes deux cohérentes, en reflétant la tension entre un souci
formel des organes de règlement des différends de prendre en compte la protection de
1 Rapport de l'Organe d'appel « Crevettes – Tortues », § 177.
2 Rapport du Groupe spécial « Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) », § 5.93.
3 Rapport de l’Organe d’appel « Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) », § 138.
4 Ibid., § 144.
87
l’environnement et une condamnation ferme de l’unilatéralisme environnemental
américain. Se réjouissant du respect de cette limite, un observateur signalait ainsi que
“unilateral ‘green protectionism’ and ‘green imperialism’ are real threats to the
multilateral trading system” et qu’ainsi “the GATT dispute settlement procedures offer
effective means of containing these threats without limiting the national sovereignty of
countries to decide on their own environmental policy objectives and employ effective
instruments of environmental policy”1. D’autres en avaient conclu que le droit de
l’environnement ne serait en définitive pris en considération que lorsqu’il irait dans le
sens de la libéralisation2. La décision d’admission des mesures environnementales
américaines à l’issue de la phase d’exécution a soulevé de plus vives critiques. Celles-
ci provenaient de la comparaison entre les anciennes et les nouvelles Directives
américaines, qui révélait des « modifications infinitésimales »3. Certains observateurs
ont ainsi pu partager l’approche de la Malaisie selon laquelle « l’analyse des directives
révisées révèle qu’elles sont encore très nettement infléchies dans le sens d’un
alignement sur la politique des États-Unis en matière de conditions de pêche »4.
Partant, en termes d’« impérialisme vert »5, la question se pose de savoir s’il faut
tolérer des mesures qui limitent la souveraineté d’autres États au nom de la protection
1 « Le ‘protectionnisme vert’ unilatéral et l’’impérialisme vert’ constituent de réelles menaces à l’encontre
du système commercial multilatéral » et « les procédures de règlement des différends du GATT offrent des
moyens effectifs permettant de contenir ces menaces sans entraver la souveraineté nationale des États
relative à leurs propres objectifs politiques environnementaux et moyens effectifs de mise en œuvre de ces
politiques environnementales » : PETERSMANN E.-U., The GATT/WTO Dispute Settlement System:
International Law, International Organizations and Dispute Settlement, Kluwer Law International,
London/The Hague/Boston, 1997, p. 117 (citation traduite par nos soins). 2 Parole d’un intervenant au cours des débats du colloque annuel de l’ASIL en 1999, cité par STERN B.,
« États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes »,
op. cit., p. 102. 3 STERN B., « États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base
de crevettes, Recours de la Malaisie à l’article 21 :5 », op. cit., p. 144. 4 Rapport du Groupe spécial « Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) », § 3.122, cité par STERN B.,
« États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes,
Recours de la Malaisie à l’article 21 :5 », op. cit., p. 144 ; le scepticisme sur la flexibilité laissée par les
Directives révisées a également fait dire à un observateur qu’« il reste à savoir si le nouveau système
américain est et sera effectivement plus favorable aux exportateurs de crevettes, s’il ne constitue pas un
filet aux mailles encore serrées attrapant tous les exportateurs de crevettes quand bien même leurs zones de
pêche seraient très différentes en termes de présence de tortues marines. Il serait également utile de savoir
s’il existe beaucoup de systèmes susceptibles d’être considérés comme étant d’efficacité comparable au
système américain. Il est permis d’en douter » : RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends
2001 », JDI, 2002, N°2, pp. 885-886. 5 Traduction du “green imperialism” évoqué par PETERSMANN E.U., The GATT/WTO Dispute Settlement
System: International Law, International Organizations and Dispute Settlement, op. cit., p. 117.
88
de l’environnement. L’équilibre recherché risque d’être condamné à l’instabilité :
“When a country imposes environmental standards on domestic industry, that industry
become vulnerable to import competition for countries that do not enforce such
standards. Typically, the domestic industry, for its own protection, calls for national
restrictions against imports not produced according to comparable environmental
standards […]. There is little justification for such restraints of trade when the
environmental standard is used solely to enhance the welfare of the regulatory
industry, but growing support exists when the primary intent of import restriction is to
increase environmental standards […]”1. Cette solution finale peut notamment être
considérée comme très défavorable par les pays en développement2. L’Inde par
exemple, tout comme les autres plaignants, a dénoncé à plusieurs reprises une
« ingérence inacceptable »3 de la part des États-Unis dans leurs politiques nationales.
L’affaire Crevettes, en consacrant l’effectivité de l’exception environnementale, a
ainsi amené les organes de règlement des différends, et ses commentateurs, à se poser
la question fondamentale contemporaine du protectionnisme environnemental. La
réflexion n’ira, au sein de l’OMC du moins, jamais plus loin, puisqu’aucune autre
mesure restreignant le commerce international pour des motifs environnementaux ne
sera jamais tolérée.
72. La protection de l’environnement est ainsi la première valeur non-commerciale
formellement prise en compte par les organes de règlement des différends de l’OMC.
Elle n’a d’abord fait l’objet que d’une consécration théorique dans le cadre de l’affaire
Essence. S’émancipant du pragmatisme prégnant sous l’égide de l’ancien GATT,
l’Organe d’appel a alors amorcé une « juridicisation » inédite du système de
1 « Quand un pays impose des standards environnementaux sur son industrie nationale, il affaiblit la
concurrence internationale pour les pays qui ne connaissent pas de tels standards. Typiquement, l’industrie
nationale, pour sa propre protection, appelle à des restrictions nationales contre les importations produites
en dehors de ces standards environnementaux […]. Il n’y a pas de bonne justification à de telles
restrictions au commerce quand le standard environnemental n’est utilisé que pour améliorer la prospérité
du secteur réglementaire, mais le soutien croissant existe lorsque le but premier de la restriction est
d’élever les standards environnementaux » : CHAMBERS, P. et KOHN, R.E., “Environmental Barriers to
Trade: The Case of Endangered Sea Turtles”, Review of International Economics, 2001, vol. 9, n°1, p. 130
(citation traduite par nos soins). 2 RUIZ-FABRI H., « Organisation mondiale du commerce. Chronique de règlement des différends 2001 »,
JDI, 2002, p. 883. 3 Rapport du Groupe spécial « Crevettes – Tortues », § 3.6.
89
règlement des différends, donnant à ses solutions une légitimité nouvelle. En termes
d’exception environnementale, cette « juridicisation » s’est traduite par la mise en
place d’une méthode d’application de l’article XX de l’Accord général. Celle-ci
traduit une interprétation restrictive de ces dispositions, puisque l’Organe d’appel
utilise la condition de bonne foi posée par le chapeau de l’article comme garde-fou des
grands principes du libre-échange. Malgré cette interprétation juridique restrictive, les
organes de règlement des différends ont effectivement mis en œuvre l’exception
environnementale sur le fondement de l’article XX g) du GATT lors de la seconde
procédure de l’affaire Crevettes. Si l’on peut se féliciter d’une telle évolution
jurisprudentielle, ce dénouement apparaît comme une solution de pure espèce, peu
cohérente avec l’interprétation juridique restrictive mise en place auparavant.
L’inconvénient d’un tel décalage entre l’espèce et l’approche habituelle de cette
question apparaît à l’examen de la jurisprudence ultérieure, qui ne mettra plus jamais
en œuvre l’exception environnementale, y compris pour des affaires présentant de
grandes similitudes1.
Les affaires Crevettes et Essence apparaissent aujourd’hui comme les vitrines d’une
application limitée de l’exception environnementale par les organes de règlement des
différends de l’OMC, pourtant jamais confirmée par une jurisprudence ultérieure.
L’exception sanitaire semble obéir à la même loi, au regard de son application à
l’occasion de l’affaire Amiante.
SECTION 2. L’APPLICATION LIMITÉE DE L’EXCEPTION SANITAIRE PAR
LE RAPPORT AMIANTE
73. Le cas d’espèce. Le Canada, producteur d’un type d’amiante particulier, demande
l’établissement d’un Groupe spécial afin d’examiner la compatibilité du Décret
1 Nous faisons ici référence en particulier à l’affaire Thons II qui, bien que présentant des faits d’espèce
similaires à l’affaire Crevettes – Tortues, n’a pas connu la même issue favorable : v. nos développements
infra n° 117 pour une présentation générale de l’affaire Thons II ; n° 206 et 207 concernant l’interprétation
extensive par les organes de règlement des différends de la qualification de règlement technique de la
mesure, entraînant l’application de l’Accord OTC ; et n° 231relatif à l’incompatibilité de la mesure, bien
qu’elle soit considérée comme contribuant à la poursuite d’un « objectif légitime ».
90
français relatif à l’interdiction de l’amiante1 avec le droit de l’OMC. Il allègue en
particulier l’incompatibilité de la mesure française avec l’article 2 de l’Accord OTC et
l’article III.4 de l’Accord général, en ce que la France, en réservant une interdiction
particulière à l’amiante, viole le principe de non-discrimination.
74. Le rapport du Groupe spécial. Le Groupe spécial conclut dans un premier temps
à l’inapplicabilité de l’Accord OTC, et n’examine donc la mesure qu’à l’aune de
l’Accord général. Il déclare la mesure incompatible avec son article III.4 en ce qu’elle
instaure une discrimination entre les produits à base d’amiante et les produits de
substitution, que le panel considère comme similaires. Le Groupe spécial admet en
revanche la justification de la mesure au regard de son objectif sanitaire sur le
fondement de l’article XX b) de l’Accord général2. Le Canada fait appel de cette
décision en se fondant sur le fait que, d’après lui, la mesure française pouvait être
qualifiée de règlement technique et ainsi être soumise à l’Accord OTC. Il soutenait en
outre que la mesure n’était pas justifiée au regard de l’article XX b) du GATT, en ce
qu’elle n’était pas nécessaire à la protection de la santé. Parallèlement, les
Communautés européennes, représentant la France dans cette affaire, soutenaient que
le Groupe spécial avait fait erreur en considérant les fibres d’amiante « similaires »
aux produits de substitution.
75. Le rapport de l’Organe d’appel. L’Organe d’appel commence par préciser que
selon lui, le conflit aurait dû être tranché sur le fondement de l’Accord OTC. Il ne
poursuit néanmoins pas plus avant le raisonnement, faute d’éléments de fait suffisants3.
Interprétant ensuite l’article III.4 de l’Accord général, il modifie le raisonnement du
Groupe spécial en considérant que l’amiante n’est pas un produit similaire aux
produits de substitution, et que la mesure française ne viole dès lors pas le principe de
non-discrimination, puisqu’elle applique deux régimes différents à deux produits
1 Décret français n°96-1133 relatif à l’interdiction de l’amiante, pris en application du code du travail et du
code de la consommation, JO, 26 décembre 1996, entré en vigueur le 1er
janvier 1997 : ce décret interdit
d’une manière générale l’usage en France de l’amiante et des produits contenant des fibres d’amiante. 2 Pour une analyse du rapport du Groupe spécial, v. NOIVILLE C., « La conformité aux textes de l’O.M.C. de
l’interdiction de l’amiante par la France (O.M.C., groupe spécial, 18 septembre 2000) », Petites affiches,
N°51, 13 mars 2001, pp. 12-18. 3 L’Organe d’appel refuse en effet d’user de son pouvoir d’évocation, en arguant que le Groupe spécial n’a
pas traité ces allégations et que la portée de l’Accord OTC est incertaine.
91
distincts. Il complète cette conclusion par la vérification que la mesure d’interdiction
de l’amiante est bien justifiée par l’article XX du GATT, au regard de son objectif de
protection de la santé tel qu’entendu au paragraphe b)1.
76. Entre intégration substantielle et exception formelle. Avec leurs rapports
Amiante, les organes de règlement des différends ont consacré l’existence d’une
exception sanitaire au sein du droit de l’OMC. Certains ont même pu déduire de cette
affaire une véritable intégration de la protection sanitaire au droit de l’OMC2. Il est
indéniable que les organes de règlement des différends ont accepté d’infléchir les
règles du libre-échange au nom de la protection sanitaire. Mais, au regard du risque
sanitaire élevé et avéré présenté par l’amiante, les organes de règlement des différends
avaient-ils réellement le choix de ne pas appliquer l’exception sanitaire prévue par les
textes ? Les textes des accords OMC d’une part, et les données du cas d’espèce d’autre
part, n’impliquaient-ils pas la compatibilité évidente de la mesure sanitaire française
avec le droit de l’OMC ? Plus avant, cette affaire ne révèle-t-elle pas une consécration
a minima de l’exception sanitaire ? Il nous semble effectivement que l’affaire Amiante
opère plus une consécration formelle de l’exception sanitaire, qu’une intégration
substantielle de la protection sanitaire au droit de l’OMC.
77. Un cas d’école au dénouement ambigu. En réalité, l’affaire Amiante présentait
toutes les caractéristiques du cas d’école : la France avait adopté une mesure dont
l’objectif était réellement la protection de la santé. Le risque que présentaient les fibres
d’amiante en général, et d’amiante chrysotile en particulier3, était non seulement avéré,
mais en outre d’une extrême gravité4. Les motivations de l’adoption de la mesure
1 Pour une analyse du rapport de l’Organe d’appel, v. MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie
commerce et santé: la nouvelle jurisprudence de l’organe d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU,
Vol. 12, pp. 49-70. 2 JOURDAIN-FORTIER C., « Le règlement des différends de l’OMC et la protection des valeurs non-
marchandes », in Blin O. (dir.), Regards croisés sur le règlement des différends de l’OMC, pp. 83-110 :
l’auteure entend alors la notion d’intégration comme l’introduction d’« un élément dans un ensemble afin
que, s’y incorporant, il forme un tout cohérent ». 3 Le Canada produit un type d’amiante particulier, l’amiante blanc ou chrysotile, qu’il prétend être moins
dangereux pour la santé que les autres types d’amiante. 4 Le Groupe spécial précise ainsi par exemple « que la carcinogénicité des fibres de chrysotile a été
reconnue depuis un certain temps par des instances internationales. Cette carcinogénicité a été confirmée
par les experts consultés par le Groupe spécial, tant en ce qui concerne les cancers du poumon qu'en ce qui
92
étaient très clairement sanitaires, plus que protectionnistes ou discriminatoires. Dans
cette optique, l’affaire Amiante devenait un « test » : « une remise en cause de la
mesure française n’aurait pas été acceptée et aurait considérablement aggravé la
crise de légitimité d’une organisation au sein de laquelle le rapport du groupe spécial
puis de l’Organe d’appel ont dû entraîner un certain soulagement »1. Cette affaire
représentait ainsi une opportunité unique pour les organes de règlement des différends
de faire preuve, à peu de frais, de mansuétude à l’égard d’une mesure restrictive du
commerce pour des motifs sanitaires. En définitive, cette décision tant acclamée
dissimule une importante ambiguïté. L’Organe d’appel adapte certes le test de
similarité de l’article III.4 aux particularités de l’amiante, mais sans laisser l’objectif
sanitaire prendre le dessus sur l’approche économique (§1). En outre, la confirmation
de sa décision par l’examen de la mesure au regard de l’article XX semble tellement
redondante et peu opportune qu’elle en devient suspecte (§2).
UNE ADAPTATION AMBIGUË DU TEST DE SIMILARITÉ AUX § 1.
PARTICULARITÉS DE L’AMIANTE
78. Un litige interrogeant la notion de similarité. Le Canada alléguait que le Décret
français opérait un traitement défavorable entre des produits similaires au sens de
l’article III.4 de l’Accord général2. Le Groupe spécial avait donné raison au Canada en
concerne les mésothéliomes, même si les experts semblent reconnaître que la capacité du chrysotile à
causer des mésothéliomes est moins grande que celle des amphiboles. Nous notons en outre que les experts
ont confirmé que les types de cancers concernés présentaient un pourcentage de mortalité proche de 100%.
Nous estimons donc que nous avons devant nous suffisamment de preuves qu'un risque carcinogène sérieux
existe effectivement en relation avec l'inhalation de fibres de chrysotile. En outre, au vu des commentaires
d'un des experts, les doutes soulevés par le Canada en ce qui concerne les effets directs du chrysotile sur
les mésothéliomes et les cancers du poumon ne sont pas suffisants pour estimer qu'un responsable chargé
de définir une politique de santé publique conclurait qu'il n'existe pas suffisamment d'éléments établissant
l'existence d'un risque pour la santé publique » : Rapport du Groupe spécial Communautés européennes –
Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant (« Amiante »), WT/DS135/R et Add.1, adopté le 5
avril 2001, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS135/AB/R, § 8.188. 1 VOGEL L., « L’enjeu du différend sur l’amiante à l’O.M.C.: la santé au travail sous la tutelle de la police
du commerce? », L’année sociale, 1999, pp. 341-356, cité par MALJEAN-DUBOIS S., « La conformité aux
textes de l’O.M.C. de l’interdiction de l’amiante par la France (OMC, Organe d’appel, WT/DS135/1B/R, 12
mars 2001) », Petites affiches, N°86, 2002, pp. 6 s. 2 Article III.4 du GATT : « Les produits du territoire de toute partie contractante importés sur le territoire
de toute autre partie contractante ne seront pas soumis à un traitement moins favorable que le traitement
accordé aux produits similaires d'origine nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlements ou
93
parvenant à la conclusion que les fibres d’amiante chrysotiles et les fibres de
substitution1 étaient similaires, et que, par conséquent, le Décret limitant l’importation
des premières était incompatible avec l’article III.42. Les Communautés européennes
alléguaient une erreur du Groupe spécial « dans son examen de la similarité » en
arguant qu’il avait adopté « une approche exclusivement commerciale ou axée sur
l’accès au marché » n’incluant pas « l’examen des facteurs de ‘dangerosité’ que
l’amiante présente pour la santé » 3
. Selon elles, ces produits ne pouvaient être
appréciés comme similaires, sauf à ce que le Décret « ‘entraîne un transfert des
possibilités de concurrence’ en faveur des produits nationaux » 4. L’Organe d’appel
était dès lors amené à s’interroger sur la notion de similarité au sens de l’article III.4
de l’Accord général. S’il intègre le caractère dangereux des fibres d’amiante au test de
similarité de manière inédite (A), cette adaptation du test de similarité demeure
ambiguë en ce qu’il adopte une appréciation économique de la dangerosité (B).
Une intégration inédite de la dangerosité au test de similarité A.
79. Dans son rapport Amiante, l’Organe d’appel reprend une figure posée
précédemment par la jurisprudence, celle de l’accordéon de la similarité (1). Il utilise
la malléabilité de la notion pour l’adapter au cas d’espèce, et y intégrer le critère de
dangerosité (2). Cette intégration semble ainsi de prime abord inverser le paradigme
santé-commerce (3).
toutes prescriptions affectant la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution et l'utilisation
de ces produits sur le marché intérieur. Les dispositions du présent paragraphe n'interdiront pas
l'application de tarifs différents pour les transports intérieurs, fondés exclusivement sur l'utilisation
économique des moyens de transport et non sur l'origine du produit ». 1 Fibres d’alcool polyvinylique, de cellulose et de verre, dites fibres d’ACV.
2 En menant l’examen de similarité entre les produits à base de ciment contenant des fibres d’amiante
chrysotile et les produits à base de ciment contenant une des fibres d’ACV, il parvenait à la même
conclusion de traitement défavorable entre deux produits similaires. 3 Communication des Communautés européennes en tant qu'appelant, § 33, cité par le Rapport de l’Organe
d’appel « Amiante », p. 45. 4 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 36. Cette allégation fait écho à la jurisprudence européenne :
la Cour de justice a ainsi pu décider, dans l’affaire des Déchets wallons, que « pour apprécier le caractère
discriminatoire ou non de l’entrave en cause, il faut tenir compte de la particularité des déchets ». Elle a
ainsi admis la justification d’une interdiction d’importer des déchets, en dépit de son caractère
discriminatoire, parce qu’elle satisfaisait à l’exigence impérative de protection de l’environnement (CJCE, 9
juillet 1992, Commission c. Belgique, C-2/90, Rec., p. I-4431, point 34).
94
1. La reprise de la figure de l’accordéon de la similarité
80. La similarité, une notion malléable. Répondant aux allégations européennes,
l’Organe d’appel cherche à définir l’expression « produits similaires » telle qu’elle
doit être entendue dans le contexte de l’article III.4. Il liste alors les différents articles
et accords de l’OMC dans lesquels apparaît le terme en indiquant qu’il ne saurait y
avoir une définition stricte et identique dans chacun des cas. Au contraire, il précise
que la notion « doit être interprétée à la lumière du contexte, ainsi que de l’objet et du
but, de la disposition en question, et à la lumière de l’objet et du but de l’accord visé
dans lequel figure cette disposition » 1. Il avait déjà tenu à souligner la malléabilité de
cette notion dans son rapport Japon – Boissons alcooliques, en interprétant un autre
article2, et développé cette idée d’un « accordéon de la similarité » :
« […] il ne peut exister de définition précise et absolue de ce qui est ‘similaire’. Le
concept de ‘similarité’ a un caractère relatif qui évoque l’image d’un accordéon.
L’accordéon de la ‘similarité’ s’étire et se resserre en des points différents au gré des
différentes dispositions de l’Accord sur l’OMC qui sont appliquées. L’étirement de
l’accordéon en l’un quelconque de ces points doit être déterminé par la disposition
particulière dans laquelle le terme ‘similaire’ se trouve, ainsi que par le contexte et
les circonstances propres à un cas donné auxquels cette disposition peut être
applicable »3.
Reprenant sa jurisprudence antérieure, l’Organe d’appel rappelle ainsi l’absence d’une
définition précise et absolue : la notion n’est qu’incertitude, variant selon les textes et
les cas d’espèce. Se posait dès lors la question du sens que prend la notion de
« produits similaires » telle qu’inscrite au sein de l’article III.4 de l’Accord général.
81. La détermination de la similarité sur le rapport de concurrence. L’Organe
d’appel rappelle en premier lieu que « l’objectif fondamental de l’article III est
1 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 38.
2 L’article III.2 de l’Accord général.
3 Rapport de l’Organe d’appel Japon – Boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R, adopté le 1er
novembre 1996, pp. 132-133, cité par Rapport de l’Organe d’appel,
«Amiante », p. 38.
95
d’éviter le protectionnisme » 1
, donc d’éviter que les Membres faussent le « rapport de
concurrence » entre produits importés et nationaux, de manière à protéger la
production nationale2. Il conclut ainsi à une appréciation de la similarité au sens de
l’article III.4 de l’Accord général « essentiellement [déterminée] sur la nature et
l’importance d’un rapport de concurrence entre et parmi les produits »3. Cette
précision de la prépondérance du rapport de concurrence entre les produits pour
apprécier leur similarité sera l’objet de l’« opinion particulière » d’un des membres de
l’Organe d’appel4. La question centrale était de déterminer si la toxicité de l’amiante
pouvait être prise en compte pour apprécier sa similarité avec les produits de
substitution5. La malléabilité de la notion, et sa détermination occurrente selon le
rapport de concurrence entre les produits, lui permet d’intégrer le critère de
dangerosité de l’amiante pour déterminer sa non-similarité avec les produits de
substitution.
2. L’intégration du critère de dangerosité dans l’appréciation de la similarité
82. La reprise des critères de la similarité. Rappelant une fois encore que l’examen
de la similarité ne peut se faire qu’au cas par cas6, l’Organe d’appel reprend les
critères généraux dégagés par la jurisprudence antérieure7. Il s’agit de « quatre
catégories de ‘caractéristiques’ qui peuvent être communes aux produits visés :
i) les propriétés physiques des produits ;
1 Rapport de l’Organe d’appel, « Amiante », § 98.
2 Ibid., § 93.
3 Ibid., § 99.
4 Concernant cette « opinion particulière » ou « déclaration concordante » critiquant l’appréciation
économique de la similarité, v. nos développements infra n° 87 à 89. 5 V. dans le même sens MALJEAN-DUBOIS S., « La conformité aux textes de l’O.M.C. de l’interdiction de
l’amiante par la France (OMC, Organe d’appel, WT/DS135/1B/R, 12 mars 2001) », Petites affiches, N°86,
2002, pp. 6. 6 Rapport de l’Organe d’appel, « Amiante », p. 43.
7 Celle-ci s’est construite sur la base du raisonnement adopté par le Groupe de travail dans son rapport
Ajustements fiscaux à la frontière, puis a été confirmée par les rapports Essence (v. notamment le Rapport
du Groupe spécial « États-Unis – Essence », § 6.8, ce point n’ayant pas fait l’objet d’un appel) et Japon –
Boissons alcooliques (Rapport de l’Organe d’appel Japon – Boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R,
WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R, adopté le 1er
novembre 1996, p. 132, et en particulier la note 46).
96
ii) la mesure dans laquelle les produits peuvent avoir les mêmes utilisations
finales ou des utilisations finales semblables ;
iii) la mesure dans laquelle les consommateurs perçoivent et considèrent les
produits comme d’autres moyens de remplir des fonctions particulières pour
satisfaire à un désir ou à une demande spécifique ; et
iv) la classification internationale des produits à des fins tarifaires » 1
.
L’Organe d’appel s’attache alors à examiner les constatations et conclusions du
Groupe spécial, critère par critère, pour finalement les réfuter.
83. Le refus par le Groupe spécial d’intégrer la dangerosité de l’amiante. Lors de
son examen des caractéristiques des produits en cause, le Groupe spécial estimait que
les différences de structures et de composition des produits n’étaient pas déterminantes.
Il s’était concentré sur leur accès au marché et la question de savoir s’ils se
remplaçaient l’un l’autre pour certaines utilisations industrielles. Il en déduisait que les
fibres d’amiante étaient similaires aux fibres d’APV au sens de l’article III.4 du GATT
de 19942. Le Groupe spécial s’était effectivement refusé à « introduire un critère de
dangerosité du produit » 3
dans l’examen des caractéristiques physiques des produits
en cause. Il arguait qu’introduire un critère de dangerosité du produit « reviendrait
largement à vider l’article XX b) de son utilité » 4
. L’Organe d’appel réfute l’argument
de l’effet utile, en appréhendant les articles III.4 et XX b) comme des dispositions
autonomes de l’Accord général5, et inclut le critère de dangerosité à son appréciation
de la similarité des produits en cause.
1 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 44. L’Organe d’appel précise en outre que ces critères ne
servent que de « cadre à l’analyse de la ‘similarité’ », qui n’ont pour but que de mieux classer et apprécier
les éléments de preuve pertinents. Il ajoute pour finir que ces critères sont interdépendants. 2 Rapport du Groupe spécial, § 8.126., cité par Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 45.
3 Rapport du Groupe spécial, § 8.130., cité par Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 45.
4 Rapport du Groupe spécial, § 8.132, cité par Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », p. 48.
5 Certains auteurs y ont vu la suggestion d’un « double niveau de protection alternative de la santé des
personnes et des animaux » : MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie commerce et santé: la
nouvelle jurisprudence de l’organe d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU, Vol. 12, p. 56.
97
84. L’inclusion du critère de la dangerosité par l’Organe d’appel. Il est intéressant
de présenter in extenso la manière dont l’Organe d’appel appréhende cette inclusion de
la dangerosité dans l’appréciation de la similarité des produits :
« Nous sommes très nettement d’avis que les éléments de preuve relatifs aux risques
qu’un produit présente pour la santé peuvent être pertinents dans un examen de la
‘similarité’ au titre de l’article III.4 du GATT de 1994. Nous ne considérons
cependant pas que les éléments de preuve relatifs aux risques que les fibres d’amiante
chrysotile présentent pour la santé doivent être examinés au titre d’un critère séparé,
car nous estimons que cet élément de preuve peut être évalué au titre des critères
existants relatifs aux propriétés physiques [premier critère] et aux goûts et habitudes
des consommateurs [troisième critère] »1.
L’Organe d’appel accepte ainsi d’inclure le caractère nocif de l’amiante à l’examen de
sa similarité avec les produits de substitution, sans toutefois faire de la dangerosité un
critère autonome. Autrement dit, il prend en compte la toxicité de l’amiante pour
étudier le rapport de concurrence qu’elle entretient avec les produits de substitution
sains. Il reprend ainsi par le menu les critères de similarité posés par la jurisprudence,
en prenant en compte la caractéristique de dangerosité de l’amiante. Celle-ci se révèle
déterminante dès l’examen du premier critère de similarité, relatif aux caractéristiques
physiques du produit.
85. La toxicité de l’amiante, une propriété physique déterminante. L’Organe
d’appel relève ainsi que le caractère cancérogène de l’amiante, sa toxicité, constitue un
aspect définissant ses propriétés physiques. Il relève qu’à l’inverse, les produits de
substitution n’en présentent pas, et que cette différence physique est « très
importante »2. L’importance de cette différence est telle, d’après l’Organe d’appel,
qu’elle remet en cause l’existence d’une similarité quelconque, et donc d’un rapport de
concurrence, entre ces deux types de produits3. Cette conclusion de non-similarité
1 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 113.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 114.
3 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », §§ 117-118. En outre, et bien qu’il n’examine pas en
profondeur les autres critères d’examen de la similarité, l’Organe d’appel envisage l’importance qu’y aurait
la caractéristique de toxicité de l’amiante. Ainsi, au regard du troisième critère, il considère que même si les
98
permet à l’Organe d’appel de transférer la charge de la preuve d’un rapport de
concurrence entre les deux types de produits, au plaignant.
Cette inclusion du caractère dangereux d’un produit dans l’examen de la similarité
constitue une importante évolution1 . L’idée de prendre en compte la dangerosité du
produit par le biais de son influence sur le rapport de concurrence avec d’autres
produits présentant moins de risque est particulièrement séduisante . Cette précision
permet à l’Organe d’appel de faire apparaître la dialectique entre santé et commerce,
moins comme un affrontement de valeurs que comme deux éléments qui s’articulent
l’un à l’autre. Processuellement parlant, l’Organe d’appel présente cette évolution de
fond comme inversant le paradigme santé-commerce.
3. L’inversement apparent du paradigme santé-commerce
86. La mise en place d’une fausse présomption de non-similarité. L’Organe d’appel,
en faisant de la toxicité de l’amiante une propriété physique déterminante, admet sa
non-similarité avec les produits de substitution, et renverse apparemment le paradigme
santé-commerce. Il précise alors que pour surmonter cette indication selon laquelle les
produits ne sont pas « similaires », « le Membre plaignant a la lourde charge d'établir
que, malgré des différences physiques prononcées, il y a entre les produits un rapport
de concurrence tel que tous les éléments de preuve, pris ensemble, démontrent que les
produits sont ‘similaires’ au sens de l'article III.4 du GATT de 1994 » 2
. Il présente
ainsi cette conclusion de non-similarité, entre l’amiante et les produits de substitution,
comme la mise en place d’une présomption réfragable de non-similarité. Autrement
dit, l’Organe d’appel prétend renverser la charge de la preuve de la similarité en la
deux types de produit étaient interchangeables, le caractère cancérogène de l’un d’eux aurait très
probablement une influence sur les goûts et habitudes des consommateurs relatifs à ce produit (§ 130). 1 Dans son rapport des Produits pharmaceutiques, l’Organe d’appel refusait par exemple que la santé
constitue un motif général justifiant une atteinte au droit des brevets. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 118.
99
faisant peser sur les épaules du plaignant. En l’occurrence, le Canada n’avait pas
apporté les éléments attestant de cette similarité1.
La lecture du rapport semble ainsi suggérer qu’il s’agirait d’une situation d’incertitude
factuelle, qui bénéficierait largement au défendeur. Autrement dit, au nom de la
protection de la santé, et dans un cas d’insuffisance de preuve, la précaution primerait
sur les règles garantissant le libre commerce des marchandises. Il n’en est pourtant
rien. En l’espèce, les Communautés européennes avaient prouvé, expertises
scientifiques à l’appui, que le risque mortel de l’amiante était avéré. La charge de la
preuve incombait bien à la partie qui avait adopté la mesure sanitaire. L’inversion du
paradigme santé-commerce n’est qu’apparent, puisqu’il résulte de la preuve de
l’existence d’un risque sanitaire. De la même manière, l’Organe d’appel a pu se
targuer d’intégrer de manière inédite la dangerosité d’un produit au test de similarité.
Il faut néanmoins préciser, qu’au-delà de cette démarche inédite, la valeur non-
commerciale reste largement tributaire d’une appréhension commerciale, puisque la
dangerosité est finalement appréciée par un biais économique.
Une appréciation économique de la dangerosité B.
87. Un rapport comprenant une « déclaration concordante ». Malgré l’intégration
inédite de la dangerosité au test de similarité permettant de conclure à l’absence de
discrimination de la mesure interdisant l’utilisation de l’amiante en France, la toxicité
du produit est appréciée au regard de son rapport de concurrence avec les produits de
substitution, donc par référence à un critère de nature économique. Un membre de
l’Organe d’appel a dénoncé ce biais et les doutes qu’il suscitait, en exprimant une
« déclaration concordante »2
. Celle-ci s’ouvre sur le constat que « les preuves
1 Ibid., § 141.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », §§ 149-154 : c’est la première fois qu’une telle déclaration est
exprimée dans un rapport de l’Organe d’appel. Certains auteurs ont pu souligner que le terme « opinion
dissidente » n’a pas été utilisé : MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie commerce et santé: la
nouvelle jurisprudence de l’organe d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU, Vol. 12, p. 70.
L’hypothèse a en outre été émise que cette réserve viendrait du juge américain dans la mesure où les deux
autres membres de la section allaient quitter l’Organe d’appel en fin d’année. L’auteure de cette hypothèse
100
scientifiques versées au dossier pour cette constatation établissant la carcinogénicité
des fibres d’amiante chrysotile sont claires, volumineuses et ont été confirmées à
plusieurs reprises par diverses organisations internationales, au point d’être
pratiquement accablantes »1. Partant du constat d’un danger grave et certain pour la
santé, cette déclaration concordante porte sur deux points principaux : son désaccord
quant à l’absence de qualification définitive de la non-similarité des produits, et ses
doutes relatifs à une interprétation « fondamentalement » économique de la similarité.
88. L’absence de qualification définitive de non-similarité. Il est significatif que la
majorité de l’Organe d’appel n’ait pas conclu de façon définitive à la non-similarité
des produits, mais se soit limitée à statuer sur le fait que le Canada ne s’était pas
acquitté de la preuve qui lui incombait2. Juridiquement parlant, la mesure française
n’est pas déclarée compatible avec l’article III.4 du GATT : il est retenu que le Canada
ne s’est pas acquitté de sa charge de prouver que malgré des différences physiques, les
deux produits sont en rapport de concurrence.
La « déclaration concordante » s’inscrit en faux par rapport à ce raisonnement, pour
estimer au contraire « qu'il y a d'amples raisons de qualifier définitivement, une fois
complétée l'analyse juridique, ces fibres de non ‘similaires’ aux fibres d'ACV »,
compte tenu de la nature et de la quantité des preuves scientifiques établissant la
carcinogénicité de l’amiante3. Plus avant, ce membre estime que cette qualification
définitive « peut et devrait être établie même en l'absence d'éléments de preuve relatifs
aux deux autres critères »4. Il ne voit effectivement pas quels éléments de preuve
relatifs aux rapports de concurrence économiques, tels qu'ils ressortent des utilisations
finales et des goûts et habitudes des consommateurs, pourraient l'emporter sur « le
caractère incontestablement mortel des fibres d'amiante chrysotile […] et réduire à
qualifie néanmoins cette extrapolation d’hasardeuse puisque l’anonymat est de règle : RUIZ-FABRI H. (dir.),
« Chronique du règlement des différends 2000-2001 », JDI, 2001/3, p. 952. 1 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 151.
2 MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie commerce et santé: la nouvelle jurisprudence de l’organe
d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU, Vol. 12, p. 59. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 152.
4 Ibid.
101
néant ce caractère »1. Il estime qu’en tout état de cause, conclure à une qualification
définitive de non-similarité n’aurait constitué « qu'un petit pas modeste de plus » 2
, a
fortiori au regard de l’absence de preuve contraire du Canada. Il impute cette absence
de volonté des autres membres de franchir ce petit pas de plus à leur « conception du
rôle ‘fondamental’, peut-être déterminant, des rapports de concurrence économique
dans la détermination de la ‘similarité’ de produits au titre de l'article III.4 »3. Il
exprime ainsi également ses doutes relatifs à une interprétation « fondamentalement »
économique de la similarité.
89. Une interprétation « fondamentalement » économique de la similarité. La
« déclaration concordante » impute cette frilosité des autres membres de l’Organe
d’appel à leur interprétation « fondamentalement » économique de la similarité. Il fait
ainsi référence à la préférence des membres de l’Organe d’appel d’appréhender la
dangerosité de l’amiante à travers les critères économiques et concurrentiels, plutôt
que comme un critère supplémentaire. Si ce raisonnement ne montre pas ses failles
directement dans le cas de l’amiante, il relève d’un état d’esprit particulier, qui risque
de dresser un obstacle pour les différends ultérieurs. Il extrapole cet état d’esprit pour
souligner que la limite, entre une conception « fondamentalement » et une conception
« exclusivement » économique de la similarité, « pourrait bien se révéler très difficile
à déterminer dans la pratique »4. Cette opinion fait sens au regard de ce cas d’école,
dont l’issue était toute tracée par le fait que le danger sanitaire que représente l’usage
de l’amiante était avéré. Ainsi, il nous semble que cette consécration, pour facile
qu’elle était, s’est faite a minima. Le membre dissident achève philosophiquement son
exposé « concordant » en concluant qu’il lui « semble donc plus judicieux de réserver
son opinion sur une question aussi importante et même philosophique, qui peut avoir
des conséquences imprévisibles, et de le laisser pour un autre appel et un autre jour,
voire pour d'autres appels et d'autres jours » 5.
1 Ibid.
2 Ibid., § 153.
3 Ibid.
4Ibid., § 154.
5 Ibid.
102
Certains observateurs, à la lecture de cette opinion, ont estimé que si elle soulevait un
point regrettable sur le plan des principes, la solution paraissait acceptable et
relativement équilibrée quant à la prise en compte des considérations sanitaires dans le
GATT de 19941. Il nous semble au contraire que celui-ci soulève un point crucial : les
organes de règlement des différends prétendent ici pouvoir prendre en compte une
valeur non-commerciale par le biais d’une appréhension commerciale. Si cette
démarche fonctionne au regard de la simplicité des faits de l’espèce, elle explique
l’échec d’une réelle effectivité des exceptions environnementales et sanitaires devant
les organes de règlement des différends, et révèle le formalisme de cette décision
Amiante2. Le besoin de l’Organe d’appel de confirmer cette décision par l’application
de l’exception issue de l’article XX b) du GATT conforte ce sentiment.
LA CONFIRMATION DE LA DÉCISION PAR L’APPLICATION DE § 2.
L’EXCEPTION
90. Malgré le refus de la majorité des membres de l‘Organe d’appel de conclure
définitivement à la non-similarité des fibres d’amiante avec leurs produits de
substitution, la violation de l’article III.4 de l’Accord général n’est pas établie. Ainsi, à
ce stade de la procédure, le Décret français d’interdiction de l’usage de l’amiante n’est
pas incompatible avec les obligations du GATT, et la plainte du Canada ne peut
connaître de suite. L’Organe d’appel décide néanmoins de confirmer sa décision en
examinant l’allégation du Canada, selon laquelle le Groupe spécial avait commis une
erreur de droit, en concluant à la nécessité de la mesure française au regard des risques
sanitaires encourus. Cette confirmation inutile de sa décision (A) présente l’unique
intérêt pour l’Organe d’appel d’une commode consécration de l’exception sanitaire sur
le fondement de l’article XX b) de l’Accord général (B).
1 MALJEAN-DUBOIS S., « La conformité aux textes de l’O.M.C. de l’interdiction de l’amiante par la France
(OMC, Organe d’appel, WT/DS135/1B/R, 12 mars 2001) », Petites affiches, N°86, 2002, pp. 6 s. 2 Concernant l’incidence de cette appréhension avant tout commerciale de la similarité, au détriment des
considérations sanitaires spécifiques au produit, sur les différends ultérieurs (en particulier tranchés sur le
fondement de l’Accord OTC, notamment dans le cas de l’affaire des Cigarettes aux clous de girofle), v.
infra n° 167.
103
L’inutilité de la confirmation A.
91. L’article XX du GATT, en tant que « moyen de défense »1, ne sert en principe à
justifier une réglementation que dans la mesure où celle-ci a été déclarée incompatible
avec une autre disposition de l’Accord général2. Partant, confirmer la compatibilité de
la mesure française avec l’Accord général est redondant et inutile, en particulier au
regard du principe d’économie jurisprudentielle. L’Organe d’appel semble admettre
cette inutilité en passant ses motivations de confirmation sous silence.
92. L’ignorance du principe d’économie jurisprudentielle. L’Organe d’appel, par
application du principe d’économie jurisprudentielle, eut pu conclure ici à la
compatibilité du Décret avec l’Accord général. Pourtant, il examine les allégations
canadiennes contestant le fait que la mesure était « nécessaire » à la protection de la
vie et de la santé des personnes. Il ignore ainsi un principe qu’il a fait valoir de
manière constante pour les Groupes spéciaux et pour lui-même3. Se référant aux
objectifs et fonctions assignés au système de règlement des différends, notamment sur
le fondement de l’article 3 du Mémorandum d’Accord, il a déjà pu affirmer que le fait
de répondre à des moyens de façon non nécessaire à la résolution du litige reviendrait
à « légiférer »4. Il a ainsi pris l’habitude de limiter le contenu des rapports aux seuls
arguments utiles à la solution du litige. Cette confirmation inutile ne relèverait-elle pas
de la démagogie5 ? Les motivations poussant l’Organe d’appel à ignorer le principe
d’économie jurisprudentielle dans son rapport Amiante restent, en effet, très obscures.
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, p. 16. 2 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis – Essence », pp. 14-15. Ce qui a pu faire dire à certains que
« cette approche n’est pas sans reproche » : MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie commerce et
santé: la nouvelle jurisprudence de l’organe d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU, Vol. 12, p.
60. 3 Pour de plus amples développements sur le principe d’économie jurisprudentielle, v. infra n° 160 ; v.
également RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze
rapports plus tard... », RGDIP, 1999/1, pp. 114-116. 4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, p. 22. 5 La définition de cette notion par le dictionnaire Larousse appuie d’autant mieux ce propos : « Action de
flatter les aspirations à la facilité et les passions des masses populaires pour obtenir ou conserver le
pouvoir ou pour accroître sa popularité ».
104
93. L’obscurité des motivations de l’Organe d’appel. L’Organe d’appel ne donne
aucune explication sur les motifs le poussant à confirmer la compatibilité de la mesure
française avec l’Accord général. Cet écart au pragmatisme n’est soutenu par aucun
raisonnement. Plus avant, certains ont déjà pu relever que l’« opinion concordante »
émise par l’un de ses membres venait aisément masquer l’absence de transition entre
les deux étapes du raisonnement1
. Les observateurs de l’affaire ont ainsi émis
différentes hypothèses expliquant cette redondance inutile. Pour les plus indulgents, il
se serait agi de prévenir l’éventualité où le Canada tenterait d’initier une nouvelle
procédure dans laquelle il entendrait effectuer cette démonstration de similarité
initialement mal complétée2. Une telle supposition admettrait la « faiblesse » d’une
conclusion acquise sur un motif procédural3. Il est plus envisageable que l’Organe
d’appel ait tenu à conclure l’affaire Amiante sur le terrain de l’article XX pour des
raisons de politique judiciaire4. Il se serait saisi de l’occasion offerte par cette affaire
emblématique pour envoyer un « signal », répondant aux doutes relatifs à sa capacité à
prendre en compte les considérations sanitaires, notamment après certains règlements
contentieux comme celui des hormones5. Il semble que cette affaire ait effectivement
permis à l’Organe d’appel de ménager les différentes susceptibilités en présence : en
replaçant le débat sur le terrain de l’exception, l’Organe d’appel évite d’un côté une
intégration réelle des considérations non-commerciales aux principes libre-échangistes,
tout en s’octroyant d’un autre côté le luxe de consacrer commodément l’exception
sanitaire par le biais d’une affaire consensuelle.
1 RUIZ-FABRI H. (dir.), « Chronique du règlement des différends 2000-2001 », JDI, 2001/3, p. 952.
2 MARCEAU G. et DIOUF A., « L’OMC réconcilie commerce et santé: la nouvelle jurisprudence de l’organe
d‘appel dans l’affaire ‘CE – amiante’ », Obs. NU, Vol. 12, p. 60. 3 Ce motif procédural serait constitué par le « renversement » de la charge de prouver que les produits
étaient similaires, malgré leurs différentes propriétés physiques, incombant in fine au Canada : RUIZ-FABRI
H. (dir.), « Chronique du règlement des différends 2000-2001 », JDI, 2001/3, p. 952. 4 Ibid.
5 MALJEAN-DUBOIS S., « La conformité aux textes de l’O.M.C. de l’interdiction de l’amiante par la France
(OMC, Organe d’appel, WT/DS135/1B/R, 12 mars 2001) », LPA, N°86, 2002, pp. 6 s.
105
Une consécration commode B.
94. L’Organe d’appel conclut pour la première fois à la justification d’une mesure sur
le fondement de l’article XX b) de l’Accord général. Il utilise ainsi les allégations du
Canada relatives à la nécessité de la mesure sanitaire pour consacrer formellement
l’exception sanitaire. Retraçant le raisonnement déjà mené par le Groupe spécial1,
l’Organe d’appel réitère explicitement le droit des États Membres de fixer le niveau de
protection sanitaire qu’ils jugent approprié et confirme la nécessité de la mesure
française.
95. Le droit des États Membres de « fixer le niveau de protection qu’ils jugent
approprié ». L’Organe d’appel énonce explicitement l’absence d’incompatibilité de
principe d’une mesure visant un niveau de protection zéro contre la survenance d’un
dommage sanitaire. Il note ainsi
« qu'il n'est pas contesté que les Membres de l'OMC ont le droit de fixer le niveau de
protection de la santé qu'ils jugent approprié dans une situation donnée. La France a
décidé, et le Groupe spécial a admis, que le niveau de protection de la santé choisi
par la France ‘arrêtait’ la propagation des risques pour la santé liés à l'amiante. La
mesure en cause, qui interdit toutes les formes d'amiante d'amphibole, et qui limite
strictement l'utilisation du chrysotile, est manifestement conçue pour atteindre ce
niveau de protection de la santé et adaptée à cette fin »2.
Par là même l’Organe d’appel se défend de poser un quelconque obstacle aux États
membres souhaitant protéger la santé de leurs ressortissants, en refusant de leur faire
courir un risque sanitaire avéré. Il souligne son autorisation de l’interdiction absolue
d’importation de l’amiante au titre des exceptions générales puisqu’elle met en œuvre
le niveau de protection recherché. Il répond en outre à l’allégation canadienne en
confirmant la nécessité de la mesure au regard de ce niveau de protection choisi.
1 L’Organe d’appel rappelle entre autre le « pouvoir discrétionnaire dont disposent les groupes spéciaux
pour juger les faits » et apprécier les éléments de preuve relatifs à l’existence d’un risque sanitaire encouru
par l’utilisation de l’amiante. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 168.
106
96. La confirmation de la nécessité de la mesure. L’Organe d’appel rappelle sa
jurisprudence Corée – Viande de bœuf, selon laquelle l’examen de la possibilité d’une
mesure de rechange se mène au regard de sa capacité à « favorise[r] la réalisation de
l’objectif poursuivi »1. Et l’Organe d’appel de rappeler et reprendre le critère de
proportionnalité entre la mesure et la valeur défendue : « ‘[p]lus [l']intérêt commun ou
[l]es valeurs communes [poursuivis] sont vitaux ou importants’, plus il sera facile
d'admettre la ‘nécessité’ de mesures conçues pour atteindre ces objectifs »2. Il s’agit
ici, conformément au paragraphe b) de l’article XX du GATT, de la protection de la
vie et de la santé des personnes. L’objectif poursuivi consiste à supprimer
complètement le risque sanitaire intrinsèque à l’utilisation de l’amiante. « La valeur
poursuivie [étant] à la fois vitale et importante au plus haut point » 3, et les mesures
alternatives ne permettant pas d’atteindre le même objectif4, l’Organe d’appel conclut
à la nécessité du Décret français.
En admettant la nécessité de la mesure française pour atteindre son objectif de
protection sanitaire, l’Organe d’appel ne fait que consacrer la compatibilité de
l’interdiction de l’amiante avec l’Accord général. Ce raisonnement lui permet de
replacer la protection de la santé sur le terrain de l’exception, de faire quelques
déclarations percutantes et de consacrer de manière ostentatoire l’effectivité de cette
exception sanitaire sur le fondement de l’article XX b).
97. Une affaire consensuelle au profit de la légitimité de l’organisation. Les faits
de l’espèce de l’affaire Amiante présentaient l’avantage de l’évidence. Le risque que
présentent ces produits est si bien établi scientifiquement, que l’interdiction de leur
usage pour motif sanitaire ne pouvait qu’être déclarée compatible avec les textes de
l’OMC. L’Organe d’appel a saisi l’occasion de cette affaire consensuelle pour
entretenir le mythe, selon lequel une appréhension commerciale de l’affaire permet de
1 Rapport de l’Organe d’appel Corée – Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche,
réfrigérée ou congelée (« Corée – Viande de bœuf »), WT/DS161/AB/R, WT/DS169/AB/R, adopté le 10
janvier 2001, §§ 166 et 163, cité par Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 172. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Amiante », § 172.
3 Ibid.
4 Le Canada prônait l’adoption d’une mesure autorisant l’amiante chrysotile dans le cadre d’une
« utilisation contrôlée ».
107
prendre en compte ses aspects non-commerciaux, tout en cantonnant juridiquement la
santé au statut d’exception. Il consacre ainsi l’effectivité de l’exception sanitaire dans
le cadre du système de règlement des différends sur le fondement de l’article XX b),
mais dans une optique qui paraît avant tout formaliste. Les failles et limites de ce
raisonnement apparaîtront finalement de manière plus évidente dans les affaires
ultérieures1.
1 Nous faisons ici en particulier référence à l’affaire Cigarettes aux clous de girofle : pour une présentation
de cette affaire v. infra n° 116 ; concernant l’application de l’appréciation finalement avant tout
économique de la similarité au cas d’espèce de l’affaire Cigarettes aux clous de girofle, v. infra n° 167 et
230.
108
109
98. Conclusion du Chapitre 1. En vingt ans, les affaires Amiante et Crevettes ont été
les seules occasions pour les organes de règlement des différends d’appliquer les
exceptions environnementales et sanitaires. Ces affaires sont dès lors devenues
emblématiques, puisqu’incarnant la prise en compte de valeurs non-commerciales par
l’OMC dans le cadre de son règlement des différends. Ces applications ne paraissent
pourtant pas impliquer de réelle mutation du droit de l’OMC. Le raisonnement de
l’Organe d’appel dans son rapport Crevettes, pour admettre la compatibilité de la
mesure environnementale américaine, s’écarte de la méthode juridique mise en place
par l’affaire Essence, en particulier de son interprétation restrictive de l’article XX.
Cette décision a été très critiquée, notamment au regard du caractère minimal des
modifications de la mesure américaine entre les deux procédures, ne connaissant
pourtant pas la même issue. L’application de l’exception environnementale sur le
fondement de l’article XX g) de l’Accord général semble ainsi plus relever d’une
maladresse d’espèce que d’une décision juridiquement fondée. D’une autre manière,
l’application de l’exception sanitaire par l’affaire Amiante apparaît comme une
évidente commodité, au regard des faits de l’espèce. L’Organe d’appel adopte un
raisonnement juridiquement surprenant, pour mieux asseoir sa légitimité à l’occasion
de cette affaire consensuelle. On notera que ces deux décisions « exceptionnelles » ont
été prises en 2001 à quelques mois d’écart. La composition de l’Organe d’appel de
l’époque explique ainsi, peut-être en partie, ce progressisme ponctuel. Toujours est-il
que le caractère exceptionnel et « situé » de ces décisions confirme bien le formalisme
dont elles sont empreintes. Outre le fait qu’aucune autre mesure environnementale ou
sanitaire ne trouvera grâce aux yeux des organes de règlement des différends, il faudra
comparer ces décisions avec les issues plus malheureuses d’affaires présentant
pourtant des espèces sinon similaires, du moins comparables.
Cause ou conséquence, la jurisprudence environnementale et sanitaire semble s’être
progressivement détachée de l’article XX de l’Accord général pour se déplacer vers
les textes plus spécifiques que sont les Accords SPS et OTC. Persévérant dans leur
formalisme, mais creusant l’écart entre le discours et l’issue effective des litiges, les
organes de règlement des différends prétendent de la même manière consacrer des
droits environnementaux et sanitaires sur le fondement de ces deux accords.
110
111
CHAPITRE 2.
UNE CONSÉCRATION FORMELLE DE DROITS
ENVIRONNEMENTAUX ET SANITAIRES SUR LE FONDEMENT DES
ACCORDS SPS ET OTC
99. Un glissement des exceptions générales vers les exceptions spécifiques. Les
organes de règlement des différends se sont vus soumettre une quinzaine d’affaires,
soulevant le jeu des exceptions environnementales et sanitaires dans le commerce
international des marchandises, depuis la création de l’OMC en 1995. Les litiges
étaient initialement centrés sur l’article XX du GATT. C’est d’ailleurs sur le
fondement de cet article que les deux seules mesures restreignant la libre-circulation
de marchandises ont été admises, pour motifs environnementaux ou sanitaires1. Il s’est
progressivement opéré un glissement des fondements du jeu des exceptions
environnementales et sanitaires vers les textes plus spécifiques des Accord SPS et
OTC2
. C’est ainsi que les conflits soulevant la question des exceptions
environnementales et sanitaires ont par la suite été tranché sur le fondement de
l’Accord SPS dans un premier temps3, puis de l’Accord OTC plus récemment
4. Les
affaires SPS constituent ainsi aujourd’hui le plus important corpus dans le cadre du
système de règlement des différends dans ce domaine, tandis que les affaires OTC
apparaissent d’une importance croissante, mais encore incertaine. Dans ces affaires,
les organes de règlement des différends ont multiplié les déclarations de principe
audacieuses, consacrant apparemment des droits environnementaux et sanitaires sur le
fondement des Accords SPS et OTC.
1
L’affaire Amiante légitimant une mesure sanitaire, et l’affaire Crevettes finissant par admette la
compatibilité d’une mesure environnementale. V. nos développements supra : n° 52 à 72 concernant
l’affaire Crevettes et 73 à 97 concernant l’affaire Amiante. 2 Si ce glissement partant des exceptions générales pour aller vers les exceptions spécifique est avéré, il
s’agit d’une tendance, qui n’est pas absolue : il faut ainsi préciser que les affaires « Matières premières »,
« Terres rares » et « Phoques », également sous-tendues par des enjeux environnementaux ou sanitaires,
ont récemment été tranchées sur le fondement de l’article XX du GATT. 3 V. infra n° 106 s.
4 V. infra n° 114 s.
112
100. Des déclarations de principe audacieuses. L’ensemble des affaires SPS et OTC
témoigne d’une continuité dans les raisonnements et solutions des organes de
règlement des différends, qui révèle un véritable mouvement jurisprudentiel1. La
première caractéristique de cette jurisprudence tient aux déclarations de principe
audacieuses des organes de règlement des différends. Ceux-ci posent les Accords SPS
et OTC comme des exceptii speciales, sur le fondement desquels ils consacrent
formellement des droits environnementaux et sanitaires, s’inscrivant par là même dans
la même dynamique jurisprudentielle, apparemment progressiste, relative à l’article
XX du GATT. Une présentation succincte du cadre général des affaires SPS et OTC
auquel les développements ultérieurs se réfèrent (SECTION 1), permettra ensuite
d’aborder de manière plus analytique et transversale l’artifice de la transformation
formelle de certaines exceptions en droits autonomes : les organes de règlement des
différends ont ainsi formellement consacré le droit des États membres de choisir leur
propre niveau de protection (SECTION 2), ainsi que le droit dérivé d’adopter des
mesures provisoires en cas d’insuffisance de preuves scientifiques (SECTION 3).
SECTION 1. LE CADRE GÉNÉRAL DES AFFAIRES SPS ET OTC
101. Une présentation du cadre général des affaires SPS et OTC présente l’avantage
d’offrir à l’observateur une première vue d’ensemble des textes et décisions, que nous
analyserons ultérieurement. Cet exposé du cadre textuel offert par les Accords SPS et
OTC (§1), puis des affaires tranchées au regard de ces accords (§2), permettra de
mieux mettre en lumière la consécration apparente de droits environnementaux et
sanitaires par les organes de règlement des différends sur le fondement des Accords
SPS et OTC.
1 Les formules adoptées par les organes de règlement des différends trahissent pourtant une volonté de
cantonner les solutions à des cas d’espèce. On peut tout de même observer qu’après tout, c’est aussi la
mission du juge que de ne statuer que sur le cas d’espèce qui lui est soumis. La cohérence du régime mis en
place est avant tout revendiquée au regard de la rigueur des organes de règlement des différends dans leur
méthode interprétative. On lira ainsi ces rapports à la lumière de la dialectique de l’Organe d’appel, entre sa
prudence et sa volonté de prévisibilité du système.
113
LE CADRE TEXTUEL DES ACCORD SPS ET OTC § 1.
102. Le droit des États membres d’adopter des mesures environnementales et
sanitaires. Les Accords SPS et OTC s’appliquent tous deux aux mesures visant à
protéger l’environnement et la santé1. Ils posent en ce sens un cadre commercial à
l’adoption de telles politiques non commerciales, et octroient formellement un droit
aux États membres de mener de telles politiques de protection sanitaire ou
environnementale.
103. Le droit d’adopter des mesures SPS en présence d’un risque avéré. L’article 2.1
de l’Accord SPS pose ainsi le « droit »2 pour les États membres de « prendre les
mesures sanitaires et phytosanitaires qui sont nécessaires à la protection de la santé
et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » à
condition que ces mesures « ne soient pas incompatibles avec les dispositions » de
l’accord. La principale condition à l’exercice de ce droit consiste à fonder cette mesure
sur des « principes scientifiques »3. En ce sens, l’Accord SPS pose une présomption de
compatibilité des mesures SPS avec le droit de l’OMC lorsque celles-ci sont fondées
sur les « normes, directives ou recommandations internationales »4
existantes.
Autrement dit, l’Accord SPS pose le droit pour les États membres d’adopter des
mesures protégeant la santé et l’environnement lorsqu’elles sont directement issues
des standards techniques élaborés dans l’enceinte d’organisations internationales telles
1 Article 2.1 et 1
er paragraphe du préambule de l’Accord SPS ; Article 2.2 et 6
e paragraphe du préambule de
l’Accord OTC. L’objet de l’Accord SPS est d’encadrer les mesures des États membres visant à prévenir les
risques pour les personnes causés par des maladies ou des parasites véhiculés par des animaux ou des
plantes ; ou à cause d’additifs, de contaminants, de toxines ou d’organismes pathogènes contenus dans les
produits alimentaires, boissons ou animaux. L’Accord OTC, quant à lui, a pour objet de réglementer
l’élaboration, l’adoption et l’application de tous les règlements techniques et normes des offices de
normalisation. Il met également en place des procédures d’évaluation et de conformité des produits. Les
normes sanitaires et phytosanitaires visées par l’Accord SPS sont exclues de son champ d’application. Ainsi,
dans le domaine agro-alimentaire, l’Accord OTC s’applique aux normes non-couvertes par l’Accord SPS, et
pouvant être qualifiées de règlements techniques, telles que les prescriptions en matière d’emballage, de
marquage et d’étiquetage. Pour une présentation succincte des Accords SPS et OTC, en particulier de leurs
interactions avec la problématique de la sécurité alimentaire, v. CHARLIER C., « Accord OTC », « Accord
SPS », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité
alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 26-30. 2 Concernant la consécration formelle de ce droit, v. les développements infra n° 119 s.
3 Article 2.2 de l’Accord SPS.
4 Articles 3.1 et 3.2 de l’Accord SPS.
114
que la Commission du Codex alimentarius, l’Office internationale des épizooties
(OIE1) et les organisations internationales et régionales opérant dans le cadre de la
Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV)2. À défaut, les États
membres devront fonder leur mesure protectrice sur une évaluation des risques pour la
santé ou l’environnement3. L’idée de cet accord est ainsi d’autoriser l’adoption d’une
mesure SPS lorsqu’un risque est avéré, la preuve de l’existence de ce risque résidant
soit dans sa reconnaissance par une organisation internationale compétente, soit dans
une évaluation scientifique du risque. L’Accord prévoit en outre la possibilité
d’adopter des mesures provisoires lorsque les preuves scientifiques sont insuffisantes
pour établir l’existence d’un risque environnemental ou sanitaire4. Si l’Accord OTC
concerne les règlements techniques, et non les mesures sanitaires ou phytosanitaires, il
pose néanmoins un cadre sensiblement identique à la marge réglementaire des États
membres en la matière.
104. Le droit d’adopter des règlements techniques poursuivant un « objectif
légitime ». L’Accord OTC prévoit dans son préambule que « rien ne saurait empêcher
un pays de prendre les mesures nécessaires […] à la protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux [et] à la protection de
l’environnement »5. C’est dans cette optique qu’il autorise les États membres à adopter
des règlements techniques poursuivant des « objectifs légitimes ». Il liste certains
d’entre eux dans son article 2.2, en citant une fois encore explicitement « la protection
de la santé ou de la sécurité des personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la
préservation des végétaux ou la protection de l’environnement ». De la même manière
que l’Accord SPS, l’Accord OTC pose une présomption de compatibilité des
règlements techniques fondés sur les « normes internationales pertinentes » édictées
par des organismes internationaux6. Les États membres se voient ainsi octroyer la
possibilité d’adopter des règlements techniques, conformes aux standards élaborés par
1 Devenue l’Organisation mondiale de la santé animale depuis 2003, mais conservant son acronyme
historique OIE. 2 Organisations auxquelles l’article 3.4 de l’Accord SPS fait explicitement référence.
3 Article 3.3 de l’Accord SPS.
4 Article 5.7 de l’Accord SPS.
5 6
e considérant du Préambule de l’Accord OTC.
6 Article 2.5 de l’Accord OTC.
115
les organismes internationaux pertinents, dans une optique de protection sanitaire et
environnementale. Ils peuvent néanmoins s’écarter de ces standards, si ces derniers
s’avèrent inefficaces ou inappropriés1. L’Organe d’appel a interprété ces textes comme
donnant aux États membres un « droit d’utiliser les règlements techniques dans la
quête de leurs objectifs légitimes », à la condition qu’ils le fassent d’une manière
impartiale et conforme aux dispositions de l’accord2. Les conditions posées par
l’Accord OTC, à l’exercice de ce droit, résident dans les interdictions d’instaurer une
discrimination entre des produits similaires3 ou une restriction non-nécessaire au
commerce international4.
Les Accords SPS et OTC prévoient ainsi un cadre spécifique à l’adoption par les États
membres de l’OMC de mesures environnementales et sanitaires. Les organes de
règlement des différends ont livré leur interprétation, d’abord de l’Accord SPS, puis de
l’Accord OTC, dans le cadre d’un corpus d’affaires, aujourd’hui conséquent.
APERÇU DES AFFAIRES SPS ET OTC § 2.
105. La présentation succincte de ces affaires permet à l’observateur d’apprécier la
cohérence d’un mouvement jurisprudentiel d’ensemble, qui ne met pas en œuvre les
exceptions environnementales et sanitaires, malgré la consécration apparente de droits
dans ces domaines. Dans une dynamique de glissement des exceptions générales vers
les exceptions spécifiques5, les organes de règlement des différends ont ainsi de moins
en moins tranché les litiges soulevant la question du jeu des exceptions
environnementales et sanitaires sur le fondement de l’article XX du GATT : c’est ainsi
que les affaires SPS constituent la deuxième et principale vague de différends
environnementaux et sanitaires (A), tandis que les affaires OTC, émergées plus
tardivement, en représentent la dernière vague (B).
1 Article 2.4 de l’Accord OTC.
2 Concernant la consécration formelle de ce droit, v. les développements infra n° 125.
3 Article 2.1 de l’Accord OTC.
4 Article 2.2 de l’Accord OTC.
5 V. supra.
116
Les affaires SPS A.
106. Deuxième et principale vague de différends environnementaux et sanitaires. La
deuxième vague de différends environnementaux et sanitaires a soulevé le jeu de ces
exceptions sur le fondement plus spécifique de l’Accord SPS. Ceux-ci mettent en
cause des mesures visant à prévenir les risques sanitaires ou environnementaux
qu’entraine le commerce international de produits agro-alimentaires. L’affaire
Hormones dans sa procédure initiale1, ainsi que sa procédure de mise en conformité
2,
met en jeu une question générale de santé humaine par le biais de la sécurité
alimentaire. Cette affaire dans son ensemble3, est la plus emblématique du contentieux
SPS, en ce qu’elle en pose les jalons juridiques4. Les affaires Australie – Saumons et
États-Unis – Volailles (Chine) concernent des réglementations relatives aux contrôles
des maladies animales. Les affaires Japon - Produits agricoles II, Japon – Pommes et
Australie – Pommes ont trait à des réglementations protectrices des végétaux. Enfin,
l’affaire OGM recoupe les questions de santé humaine et d’environnement.
107. L’affaire Hormones5. L’affaire Hormones opposait le Canada et les États-Unis
aux Communautés européennes et concernait l’interdiction sur le territoire européen
de l’utilisation d’hormones de croissance dans l’élevage du bétail, l’importation et la
mise sur le marché de viandes traitées aux hormones6. Cette mesure, clairement
1 Affaire dite Hormones I, v. infra n° 107.
2 Affaire dite Hormones II, v. infra n° 107.
3 C’est-à-dire en ce qu’elle comprend une procédure initiale (Hormones I) puis de mise en conformité
(Hormones II), v. infra n° 107. 4 En témoigne la bibliographie impressionnante qu’elle a suscitée. S’il serait malaisé de la retranscrire ici
dans son intégralité, certains ont déjà pu la recenser de manière quasiment exhaustive : v. GRADONI L.,
« Communautés européennes – Mesure concernant la viande et les produits carnés (Hormones) », in STERN
B. et RUIZ-FABRI H., La jurisprudence de l’OMC– The Case-Law of the WTO (1998-1), Leiden, Boston, M.
Nijhoff, 2005, pp. 4-8 ; v. son commentaire de l’affaire dans son ensemble, pp. 1-110 ; v. également
ABDELGAWAD W. et al., « Chronique du règlement des différends de l’OMC (2006-2008) », RIDE, 2008/3,
t. XXII, 3, pp. 378-385 ; ABDELGAWAD W. et al., « Chronique commentée du règlement des différends de
l’OMC (début juillet 2008 à début juillet 2009) », RIDE, 2009, pp. 468-491. 5 Pour des commentaires sur cette affaire, v. supra n° 106.
6 Cette interdiction courant depuis les années 80, était consacrée par une série de directives européennes : la
Directive 96/22/CE du Conseil, du 29 avril 1996, concernant l’interdiction d’utilisation de certaines
substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations animales
et abrogeant les directives 81/602/CEE, 88/146/CEE et 88/299/CEE, JOCE, L 125, 23 mai 1996, p.3. La
directive posait plus précisément l’interdiction d’administrer aux animaux d’exploitation des substances
ayant un effet hormonal ou thyréostatique ; l’interdiction de mise sur le marché et d’importation de viande
117
restrictive pour le commerce, affichait un objectif de protection sanitaire au regard des
risques potentiels pour la santé humaine liés à la présence de résidus d’hormones dans
la viande. Les États-Unis et le Canada, exportateurs d’animaux et produits carnés
nourris aux hormones, ont demandé l’établissement de Groupes spéciaux pour atteinte
à leurs intérêts commerciaux1. Le Groupe spécial avait conclu à l’incompatibilité de la
mesure en cause avec l’Accord SPS, car celle-ci s’écartait des standards internationaux
pertinents, sans justification scientifique satisfaisante2. L’Organe d’appel, s’il a certes
modifié certains raisonnements du Groupe spécial, est cependant parvenu à la même
conclusion d’incompatibilité de la mesure avec l’Accord SPS3. À l’issue du délai de
mise en conformité4, les Communautés européennes ont maintenu leur interdiction, en
se fondant sur l’existence de nouvelles preuves scientifiques5. Suite à un arbitrage
estimant la valeur de leur préjudice commercial6, les États-Unis et le Canada se sont
ou de produits carnés provenant d’animaux auxquels ces hormones et substances avaient été administrées ;
certaines possibilités de mise sur le marché et d’importation de viande et de produits carnés auxquels ces
substances avaient été administrées à des fins thérapeutiques ou zootechniques. 1 Deux procédures différentes ont eu lieu, à l’issue desquelles les Groupes spéciaux, composés des mêmes
membres, ont simultanément délivré deux rapports très similaires, le 30 juin 1997 : Rapport du Groupe
spécial Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones), plainte déposée
par le Canada (« Hormones I, plainte du Canada »), WT/DS48/R/CAN, adopté le 13 février 1998, modifié
par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R ; et Rapport du Groupe spécial
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones), plainte déposée par les
États-Unis (« Hormones I, plainte des États-Unis »), WT/DS26/R/USA, adopté le 13 février 1998, modifié
par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R. 2 Le Groupe spécial condamnait dans ses deux rapports la mesure à trois titres différents : il concluait à
l’incompatibilité de la mesure avec l’article 5.1 en raison d’absence d’évaluation des risques satisfaisante ;
la mesure était en outre incompatible avec l’article 5.5 en raison des distinctions jugées arbitraires ou
injustifiables dans le niveau de protection sanitaire que les autorités européennes jugeaient approprié dans
des situations différentes, entrainant une discrimination ou une restriction déguisée au commerce
international ; enfin, la mesure était incompatible avec l’article 3.1 en ce qu’elle n’était pas fondée sur des
normes internationales existante, sans justification au sens de l’article 3.3 : Rapports des Groupes spéciaux
« Hormones I, plainte du Canada » et « Hormones I, plainte des États-Unis », § 9.1. 3 Rapport de l'Organe d'appel Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés
(« Hormones I »), WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998, § 253 (Contrairement au
dédoublement des procédures devant le Groupe spécial, les plaintes des États-Unis et du Canada ont été
traitées ensembles devant l’Organe d’appel). 4 Un arbitrage avait octroyé aux Communautés européennes, qui demandaient initialement un délai de 39
mois, un délai moindre de quinze mois : Décision de l'arbitre Mesures communautaires concernant les
viandes et les produits carnés (hormones) – Arbitrage au titre de l'article 21:3 c) du Mémorandum d'accord
sur le règlement des différends, WT/DS26/15, WT/DS48/13, 29 mai 1998. 5 Cette décision est notamment prise au regard de l’avis du Comité scientifique des mesures vétérinaires en
rapport avec la santé publique (CSMVSP) du 30 avril 1999 attestant de la carcinogité complète de
l’œstradiol 17β, et des incertitudes scientifiques relatives aux cinq autres hormones. 6 Décision des arbitres Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones),
plainte initiale du Canada – Recours des Communautés européennes à l'arbitrage au titre de l'article 22:6
118
vus accorder l’autorisation par l’ORD d’adopter des contre-mesures à l’encontre des
Communautés européennes le 26 juillet 19991. En 2003, les Communautés ont adopté
néanmoins, sur la base d’une batterie d’expertises scientifiques nouvelles2
, une
directive maintenant l’interdiction3. Les Communautés ont notifié cette nouvelle
mesure, mettant d’après elles leur réglementation en conformité avec l’Accord SPS, et
ont demandé la levée des sanctions. Les États-Unis et le Canada contestant cette mise
en conformité, ont maintenu la suspension de leurs concessions, poussant ainsi les
Communautés européennes à demander l’établissement de deux nouveaux Groupes
spéciaux. Les deux Groupes spéciaux commencèrent par constater le fait que la
nouvelle Directive européenne ne constituait pas une mise en conformité avec les
recommandations faites à l’issue de la phase initiale de l’affaire Hormones, car ils
estimèrent que l’interdiction n’était pas fondée sur une évaluation des risques, telle
qu’exigée par l’Accord SPS. Ils conclurent ainsi à l’absence de violation, par les
contre-mesures américaines et canadiennes, des dispositions du Mémorandum
d’Accord4. Les Communautés européennes ont alors interjeté une fois encore appel,
relevant de nombreuses erreurs d’interprétation de l’Accord SPS et du Mémorandum
d’Accord, et contestant l’appréciation des éléments de preuve ainsi que la régularité du
choix des experts. L’Organe d’appel rendit deux rapports particulièrement
du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, WT/DS48/ARB, 12 juillet 1999 et Décision des
arbitres Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones), plainte initiale
des États-Unis – Recours des Communautés européennes à l'arbitrage au titre de l'article 22:6 du
Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, WT/DS26/ARB, 12 juillet 1999 : les arbitres
estiment que le niveau d’annulation et de réduction des avantages s’élève à respectivement 116,8 millions
de dollars américains et 11,3 millions de dollars canadiens par ans. 1 Les États-Unis et le Canada auront ainsi appliqué pendant plus de 10 ans des droits de douane de 100%
sur une série de produits agricoles et manufacturés provenant de l’Union européenne, dont le roquefort, le
chocolat, les truffes et la moutarde. 2 Les Communautés s’appuient sur une vingtaine d’études et projets de recherches scientifiques en vue de
procéder à cette évaluation des risques, dont trois avis du CSMVSP publiés en 1999, 2000 et 2002. 3 Cette interdiction est posée de manière permanente pour l’œstradiol au regard de ses effets cancérogènes
et génotoxiques, et provisoire pour les cinq autres hormones (la testostérone, la progestérone, l’acétate de
trenbolone, le zéranol et l’acétate de mélengestrone) : Directive 2003/7/4 du Parlement européen et du
Conseil du 22 septembre 2003 modifiant la directive 96/22/CE du Conseil concernant l’interdiction
d’utilisation de certaines substances à effet hormonal et thyréostatique et des substances β-agonistes dans
les spéculations animales, JOCE, 14 octobre 2003, L262, p. 17. 4 Rapport du Groupe spécial Canada – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE –
Hormones (« Canada - Hormones II »), WT/DS321/R, adopté le 14 novembre 2008, modifié par le rapport
de l'Organe d'appel WT/DS321/AB/R et Rapport du Groupe spécial États-Unis – Maintien de la suspension
d'obligations dans le différend CE – Hormones (« États-Unis - Hormones II »),WT/DS320/R, adopté le 14
novembre 2008, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS320/AB/R.
119
ambivalents1 : il infirmait certes les raisonnements principaux du Groupe spécial (en
particulier concernant les exigences relatives à l’évaluation des risques, et celles
concernant l’adoption de mesures provisoires dans les cas d’insuffisance de preuve
scientifique), mais n’admettait ni la mise en conformité européenne, ni la violation du
Mémorandum d’Accord par les États-Unis et le Canada. C’est finalement au moyen
d’un accord mutuellement convenu entre les parties au litige adopté le 14 mars 2012
par le Parlement européen, donc à la marge du système de règlement des différends,
que l’affaire, de bientôt 25 ans, sera close2.
108. L’affaire Saumons3. Le Canada alléguait l’incompatibilité avec l’Accord SPS
d’une mesure de restriction mise en place par l’Australie à l’égard des importations de
saumons4. La règlementation australienne aboutissait à l’interdiction des importations
de saumons non cuits, et à la mise en place d’un système de quarantaine pour le
saumon fumé, sous réserve de certaines conditions. Le Groupe spécial rendit un
rapport concluant à l’absence de justification scientifique de la mesure de quarantaine,
à son caractère discriminatoire, et disproportionnellement restrictif pour le commerce
international5. L’Organe d’appel confirma cette incompatibilité
6, mais en replaçant le
1 Rapport de l'Organe d'appel Canada – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE –
Hormones (« Canada - Hormones II »), WT/DS321/AB/R, adopté le 14 novembre 2008 et Rapport de
l'Organe d'appel États-Unis – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE – Hormones
(« États-Unis - Hormones II »),WT/DS320/AB/R, adopté le 14 novembre 2008. 2 Ce règlement confirme deux précédents protocoles d’accord avec les États-Unis et le Canada : il consacre
la possibilité pour l’Union européenne de maintenir l’interdiction de bœuf aux hormones, contre
l’augmentation d’importation de viande bovine, américaine et canadienne, sans hormones. 3 Sur cette affaire, v. FLORY T., « Mesures visant les importations de saumons », in CANAL-FORGUES E., et
FLORY T., GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant,
Bruxelles, 2001, pp. 1012-1018 ; TOMKIEWICZ V., « Australie – Mesures visant les importations de
saumons », in STERN B. et RUIZ FABRI H. (dir.), La jurisprudence de l’OMC, The Case-Law of the WTO
(1998-2), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2006, pp. 152-184. 4 Prohibition imposée par l'Australie à l'importation de saumons frais, réfrigérés ou congelés en provenance
du Canada, au titre de la Proclamation n° 86A relative à la quarantaine, datée du 19 février 1975, dans sa
forme modifiée (Proclamation n° 86A relative à la quarantaine, Australian Government Gazette, n° S33, 21
février 1975). Cette mesure s’appuyait sur un rapport d’« Analyse des risques liés à l’importation de
saumons en Australie », concluant à la possibilité de présence de vingt agents pathogènes exotiques
différends, dans les produits à base de saumons du Pacifique, et à l’impossibilité d’éliminer ces maladies
une fois qu’elles seraient établies sur le territoire australien. 5 Rapport du Groupe spécial Australie – Mesures visant les importations de saumons (« Australie –
Saumons »), WT/DS18/R, adopté le 6 novembre 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS18/AB/R. 6 Rapport de l’Organe d’appel Australie – Mesures visant les importations de saumons (« Australie –
Saumons »), WT/DS18/AB/R, adopté le 6 novembre 1998.
120
débat sur la mesure de prohibition des saumons non-cuits, plutôt que sur la mesure de
quarantaine des saumons fumés1.
109. L’affaire Produits agricoles II2. Les États-Unis initièrent une procédure, devant
les organes de règlement des différends, à l’encontre du Japon, sur le chef d’une
incompatibilité d’une Loi japonaise sur la protection des végétaux3 avec le droit de
l’OMC. Son but consistait à assurer la « stabilisation et le développement de la
production agricole en inspectant les végétaux d’importation et de production locale,
en luttant contre les animaux et les plantes nuisibles, et en empêchant leur apparition
et leur dissémination »4. Le Japon avait interdit en vertu de cette loi l’importation de
huit produits agricoles5, notamment en provenance des États-Unis, au motif qu’ils
étaient susceptibles d’être porteurs d’un insecte ravageur, le carpocapse des pommes.
Cette prohibition à l’importation peut être levée si le pays exportateur propose un
traitement phytosanitaire de remplacement, permettant d’atteindre un niveau de
protection équivalent à celui qui résulte de l’importation. La prescription litigieuse,
dite relative aux essais par variété, exigeait que soit testée et démontrée l’efficacité du
traitement phytosanitaire pour chaque variété d’un produit susceptible d’être porteur
1 L’Organe d’appel a estimé que le Groupe spécial n’avait pas correctement déterminé la mesure incriminée
par le Canada. Selon lui, il aurait dû examiner la mesure australienne qui prohibait l’importation de saumon
cru, et non la prescription relative au traitement thermique s’appliquant au saumon fumé. Il infirme donc
certaines de ses constatations. L’Organe d’appel, contrairement au raisonnement du Groupe spécial qui se
contentait de supposer que le Rapport de 1996 constituait une évaluation des risques, décide de réexaminer
la question pour conclure qu’il ne constitue pas une évaluation des risques valable au sens de l’article 5.1. Il
conclut ainsi à l’incompatibilité de la mesure avec l’article 2.2, au motif qu’elle est maintenue sans preuve
scientifique suffisante. Il confirme le caractère discriminatoire de la mesure, donc son incompatibilité avec
les articles 5.5 et 2.3. Il infirme les autres constatations du Groupe spécial relatives à l’article 5.6, mais ne
complète pas l’analyse pour manque d’éléments factuels. Sur le plan procédural, il refuse de censurer le
groupe spécial pour abus de son pouvoir d’appréciation des faits, au titre de l’article 11 du Mémorandum
d’accord, mais considère que le Groupe spécial a commis une erreur dans son application du principe
d’économie jurisprudentielle. 2 Sur cette affaire, v. FLORY T., « Japon – Mesures visant les produits agricoles », in CANAL-FORGUES E., et
FLORY T., GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant,
Bruxelles, 2001, pp. 1082-1085 ; TOMKIEWICZ V., « Japon – Mesures visant les produits agricoles », in
STERN B. et RUIZ FABRI H. (dir.), La jurisprudence de l’OMC, The Case-Law of the WTO (1999-1), Leiden,
Boston, M. Nijhoff, 2007, pp. 39-68. 3 Loi sur la protection des végétaux, promulguée le 4 mai 1950, et modifiée en 1996.
4 Article 1 de la Loi sur la protection des végétaux.
5 Les produits prohibés sont les pommes, les cerises, les pêches, les noix, les abricots, les poires, les prunes
et les coings.
121
du carpocapse1. Les États-Unis alléguaient que cette prescription, relative aux essais
par variété, était incompatible avec les obligations du Japon au titre de l’Accord SPS.
Le Groupe spécial a considéré que la mesure japonaise en cause était maintenue sans
preuve scientifiques suffisantes - sans pour autant être provisoirement justifiable pour
insuffisance de données scientifiques, et qu’elle était plus restrictive pour le commerce
que nécessaire2. L’Organe d’appel confirma en substance les conclusions du Groupe
spécial, même s’il introduisait une nuance en infirmant sa conclusion concernant le
caractère plus restrictif pour le commerce que nécessaire de la mesure japonaise3.
110. L’affaire Japon - Pommes4. Était en cause une mesure de quarantaine imposée
par le Japon aux pommes provenant des États-Unis, pour se prémunir contre le risque
de contamination du feu bactérien5. Cette dernière imposait des contrôles et des
limitations extrêmement stricts à l’égard des pommes ne présentant aucun symptôme
de la maladie. Le Groupe spécial a estimé que la mesure japonaise n’était pas fondée
sur une évaluation des risques, était dès lors maintenue sans preuves scientifiques
suffisantes : il a considéré dans le même temps qu’elle ne remplissait pas les critères
permettant d’être provisoirement justifiée pour insuffisance de preuves scientifiques6.
L’Organe d’appel, s’il a modifié quelques points des raisonnements du Groupe spécial,
a confirmé ces conclusions en substance7.
1 Le Ministère japonais de l’agriculture, des forêts et des pêches a adopté deux directives en 1987 élaborant
un modèle de procédure d’essai de ce traitement phytosanitaire de remplacement : la Directive
expérimentale pour la levée de l'interdiction à l'importation – Fumigation, qui décrit la prescription en
matière d'essai applicable pour la levée initiale de la prohibition à l'importation d'un produit, et le Guide
expérimental pour l'essai de comparaison des cultivars concernant la mortalité des insectes – Fumigation
(le « Guide expérimental »), qui énonce la prescription en matière d'essai pour l'homologation de variétés
additionnelles dudit produit. C’est cette dernière prescription, relative aux essais par variété, qui est en
cause dans le présent Produits-agricoles II. 2 Rapport du Groupe spécial Japon – Mesures visant les produits agricoles (« Japon – Produits agricoles
II »), WT/DS76/R, adopté le 19 mars 1999, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS76/AB/R. 3 Rapport de l’Organe d’appel Japon – Mesures visant les produits agricoles (« Japon – Produits agricoles
II »), WT/DS76/AB/R, adopté le 19 mars 1999. 4 Sur cette affaire, v. RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de
l’Organisation mondiale du commerce (2005-2006) », JDI, 2006/3, pp. 1022-1027. 5 Le feu bactérien est une maladie causée à certains végétaux, en particulier aux arbres fruitiers, et pouvant
mener à leur destruction. 6 Rapport du Groupe spécial Japon – Mesures visant l'importation de pommes (« Japon – Pommes »),
WT/DS245/R, adopté le 10 décembre 2003, confirmé par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS245/AB/R. 7 Rapport de l'Organe d'appel Japon – Mesures visant l'importation de pommes (« Japon – Pommes »),
WT/DS245/AB/R, adopté le 10 décembre 2003.
122
111. L’affaire OGM1. Les États-Unis, le Canada et l’Argentine, les trois plus grands
producteurs d’OGM d’alors, ont demandé l’établissement d’un Groupe spécial, pour
examiner la compatibilité avec le droit de l’OMC, de mesures prises par la
Communauté européenne et leurs États membres sur les produits biotechnologiques. Il
s’agissait d’un moratoire communautaire sur les produits biotechnologiques2, et de
certaines clauses de sauvegardes prises au niveau national par certains États membres3.
Ces mesures avaient été adoptées sur la base de deux directives et d’un règlement
communautaires, donnant aux Membres la possibilité d’adopter une mesure de
sauvegarde, dans le but d’interdire ou limiter temporairement sur leur territoire
l’utilisation ou la vente d’un produit approuvé au niveau communautaire4. Le Groupe
spécial aura mis un temps exceptionnellement long à rendre ce rapport5 (plus de trois
ans), et la procédure aura été particulièrement lourde, par exemple en termes
d’expertises. La décision rendue a partagé les observateurs, car si elle condamne le
moratoire et les mesures de sauvegarde, elle n’a pas retenu la majorité des prétentions
des plaignants. Le Groupe spécial livre une solution nuancée concernant le moratoire
européen, en ne le considérant pas comme une mesure SPS per se, et ne conclut qu’au
caractère injustifié des retards dans les procédures d’approbation des produits
biotechnologiques. Le Groupe spécial refuse, par ailleurs, de valider les évaluations
des risques présentées par les États membres pour justifier leurs mesures de
1 Sur cette affaire, v. DUFOUR G., Les OGM et l’OMC, Analyse des accords SPS, OTC et du GATT,
Bruylant, Bruxelles, 2011, 585 p. ; DUFOUR G., « Les OGM à l’OMC : résumé critique du rapport du
Groupe spécial dans l’affaire CE – Produits biotechnologiques », RQDI (Hors-série), 2007, pp. 281-312 ;
ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I., « Chronique du règlement des différends de
l’OMC (2006-2008) », RIDE, 2008/3, t. XXII, 3, pp. 361-378. 2 Les plaignants avançaient que le processus d’approbation des produits biotechnologiques aurait été ralenti
au point qu’aucune demande n’aurait atteint la phase finale entre octobre 1998 et mai 2003. 3 Étaient ainsi en cause neuf mesures de sauvegarde prises par l’Autriche (sur le maïs T25, le maïs BT-176
et le maïs MON810), la France (sur le colza MS1/RF1 (EC-161 et le colza Topas), l’Allemagne (sur le maïs
BT-176), la Grèce (sur le colza Topas), l’Italie (sur le maïs BT-11 (EC-163), le maïs MON810, le maïs
MON809 et le maïs T25) et le Luxembourg (sur le maïs BT-176). 4 CE, Directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d’organismes
génétiquement modifiés dans l’environnement, [1990] J.O. L. 117/15, art. 16; CE, Directive 2001/18/CE du
Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans
l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, [2001] J.O. L. 106/1, art. 23 et CE,
Règlement 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et
aux nouveaux ingrédients alimentaires, [1997] J.O. L. 43/1, art. 12. 5
Rapport du Groupe spécial Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la
commercialisation des produits biotechnologiques (« OGM »), WT/DS291/R, WT/DS292/R, WT/DS293/R,
Add. 1 à 9 et Corr. 1, adopté le 21 novembre 2006.
123
sauvegarde. Il conclut, dès lors, à la violation de l’obligation d’évaluation des risques
par les États auteurs des mesures de sauvegarde, et refuse leur justification provisoire
pour cause d’insuffisance de preuves scientifiques. Il est étonnant, et décevant, que les
Communautés européennes ne se soient pas pourvues en appel1.
112. L’affaire Australie – Pommes2
. Était en cause l’interdiction australienne
d’importer des pommes maories sur son territoire, pour se prémunir contre le risque de
propagation d’une bactérie, dite feu bactérien3, détruisant certains végétaux, dont les
pommiers. La Nouvelle-Zélande émit une énième demande d’accès au marché
australien en 1999. L’Australie demanda ainsi à son agence de biosécurité, une
évaluation des risques liée à l’importation de pommes, qui conclut à l’existence de
risques de contamination par trois parasites4. Au nom de la préservation des végétaux,
l’Australie adopta une série de mesures de gestion des risques de contamination par
ces trois bactéries. Le Groupe spécial conclut que la mesure australienne n’était pas
justifiée scientifiquement, et était plus restrictive pour le commerce que nécessaire5.
Malgré l’infirmation de quelques éléments de raisonnement du Groupe spécial,
l’Organe d’appel confirme la conclusion générale d’incompatibilité des mesures
australiennes, qui ne seraient pas justifiées par une évaluation des risques6.
1 Pour un aperçu de l’ensemble des problématiques juridiques autour de la question des OGM, v. BODIGUEL
L., « Organismes génétiquement modifiés (OGM) », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.),
Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 487-493 ;
v. également NGO M.-A., « Les OGM, illustration des obstacles et des potentialités offertes par le droit
pour une meilleure démocratie alimentaire », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une
démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 2, INIDA, San José (Costa Rica), 2014, pp. 243-
250. 2 Sur cette affaire, v. BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée du règlement des différends de l’OMC
(août 2009 à novembre 2010) », RIDE, 2010/4, pp. 479-493 ; BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée
des décisions de l’Organe de règlement des différends (juin 2010-novembre 2011) », RIDE, 2012, pp. 191-
195. 3 Le feu bactérien est une maladie causée à certains végétaux, en particulier aux arbres fruitiers, et pouvant
mener à leur destruction. 4 Il s’agissait alors du feu bactérien, du chancre européen (maladie causée par un champignon) et de la
cécidomyie des feuilles de pommiers (mouche ralentissant la croissance des arbres). 5 Rapport du Groupe spécial Australie – Mesures affectant l'importation de pommes en provenance de
Nouvelle-Zélande (« Australie – Pommes »), WT/DS367/R, adopté le 17 décembre 2010, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS367/AB/R. 6 Rapport de l'Organe d'appel Australie – Mesures affectant l'importation de pommes en provenance de
Nouvelle-Zélande (« Australie – Pommes »), WT/DS367/AB/R, adopté le 17 décembre 2010.
124
113. L’affaire États-Unis - Volaille1. Suite à une alerte de l’OMS début 2009 sur une
situation épizootique touchant les élevages de volailles familiaux en Chine (grippe
aviaire), les États-Unis adoptent une loi budgétaire, dont l’article 727 dispose que « les
crédits ouverts par la présent loi ne pourront servir à établir ou mettre en œuvre une
règle permettant que des produits à base de volaille en provenance de la République
populaire de Chine soient importés aux États-Unis »2. De cette manière, les États-Unis
suppriment les crédits pour interrompre, provisoirement, l’activité d’importation de
volaille chinoise qui en dépend3. Ils mettent ainsi en place une sorte de moratoire de
fait, voire de droit, dans le but d’examiner les questions de sécurité sanitaire des
poulets chinois. La Chine se plaint, dès lors, d’être le seul importateur soumis à ce
moratoire. Si la mesure litigieuse disparait en cours de procédure, le Groupe spécial
rend tout de même un rapport appréhendant le moratoire comme une mesure SPS à
part entière4, non conforme avec l’obligation de la fonder sur une évaluation des
risques, et violant les principes de nécessité et de cohérence5.
Cet ensemble hétéroclite d’affaires a ainsi permis de découvrir l’interprétation
juridique faite par les organes de règlement des différends de l’Accord SPS, tout en
correspondant in fine à l’invalidation de la totalité des mesures SPS litigieuses. Par
leur nombre et leur caractère particulièrement sensible, ces litiges constituent
aujourd’hui le noyau dur de la jurisprudence environnementale et sanitaire à l’OMC.
Ils ne doivent néanmoins pas occulter les différends tranchés au regard de l’Accord
OTC, qui constituent une dernière vague.
1 Sur cette affaire, v. BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée du règlement des différends de l’OMC
(août 2009 à novembre 2010) », RIDE, 2010/4, pp. 494-504. 2 Loi sur l’inspection des produits à base de volaille (PPIA), 2009.
3 Ces crédits servent normalement à financer l’inspection menée par les services d’inspection de la sécurité
alimentaire américains, sur le respect des pratiques vétérinaires, exigée des établissements d’abattage et de
traitement de la volaille (cette procédure est nécessaire pour importer de la volaille aux États-Unis). 4 Les États-Unis fondaient une partie de leur argumentaire sur une justification de leur mesure au titre de
l’article XX b) du GATT, en particulier au regard de rapports rendus par les organismes internationaux,
faisant état de problèmes de sécurité sanitaire des produits alimentaires chinois. Le Groupe spécial élude
toutefois cette question en concluant, de manière peu convaincante, à l’impossibilité de justifier une mesure
incompatible avec l’Accord SPS sur la base de l’article XX du GATT. 5 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Certaines mesures visant les importations de volaille en
provenance de Chine (« États-Unis - Volaille »), WT/DS392/R, adopté le 25 octobre 2010.
125
Les affaires OTC B.
114. Dernière vague de différends environnementaux et sanitaires. L’Accord OTC a
également vocation à fonder les solutions données aux litiges environnementaux et
sanitaires, quand les mesures en cause ne rentrent pas dans le champ d’application de
l’Accord SPS, mais sont qualifiables de « règlements techniques »1. La protection de
l’environnement et de la santé font effectivement partie des « objectifs légitimes »
justifiant l’adoption de tels « règlements techniques ». Ce n’est que tardivement qu’ont
été tranchés des conflits sur le fondement de l’Accord OTC2. L’affaire Sardines, qui ne
poursuivait d’ailleurs pas directement un objectif de protection de l’environnement ou
de la santé, mais soulevait plus un problème d’appellation et d’étiquetage, a ouvert le
contentieux OTC. L’Accord n’a connu son année faste qu’en 2012, avec trois affaires
soulevant ces exceptions : l’affaire des Cigarettes aux clous de girofle interrogeait la
compatibilité d’une mesure américaine de lutte contre le tabagisme avec cet accord ;
l’affaire Thons II, qui s’apparentait grandement à l’affaire Crevettes, mettait en cause
une mesure américaine visant à informer les consommateurs sur la protection des
dauphins et restreignant le commerce des produits du thon ; enfin, l’affaire EPO était
relative à des prescriptions en matière d’étiquetage, indiquant le pays d’origine de
certains produits carnés.
115. L’affaire Sardines3. L’affaire Sardines représente la première occasion pour les
organes de règlement des différends de trancher un litige au regard de l’Accord OTC.
Il avait déjà été question de son application dans de précédentes affaires, mais il avait
été écarté au profit d’autres dispositions. La plainte ayant initié l’affaire Sardines était
déposée par le Pérou, qui contestait la compatibilité avec l’Accord OTC d’un
1 Concernant les modalités de qualification des « règlements techniques », v. infra n° 202 s.
2 Hélène RUIZ-FABRI explique ce décalage entre le large champ d’application de l’accord et l’absence de
contentieux OTC antérieur à l’affaire Sardines en partie par des « erreurs d’analyse »( v. l’affaire Essence,
où le Groupe spécial avait considéré devoir appliquer en premier lieu le GATT, au lieu de donner la priorité
à l’Accord OTC) ou d’erreur de « qualification de la mesure en cause » (v. l’affaire Amiante, où le Groupe
spécial avait considéré, à tort selon l’Organe d’appel que la mesure en cause n’était pas un règlement
technique au sens de l’Accord OTC) : V. Ruiz Fabri H., « Chronique du règlement des différends de
l’Organisation mondiale du commerce 2011-2012 », JDI, 2012/4, Chron. 7, p. 48. 3 Sur cette affaire, v. RUIZ-FABRI H. et MONNIER P., « Chroniques du règlement des différends de l’O.M.C.
(2002-2003) », JDI, 2003/3, pp. 895-960.
126
règlement communautaire, intitulé « Règlement CEE n°2136/89 du Conseil, du 21 juin
1989, portant fixation de normes communes de commercialisation pour les conserves
de Sardines ». Le Pérou, producteur de Sardinops sagax, se plaignait plus précisément
de l’article 2 du Règlement, qui stipulait que seuls les produits préparés exclusivement
à partir de poissons de l’espèce « Sardina pilchardus Walbaum », dont les
Communautés européennes sont productrices, pouvaient être commercialisés en tant
que « conserves de sardines ». Le Pérou obtint gain de cause devant les deux organes
de règlement des différends. Le Groupe spécial, qualifiant la mesure en cause de
règlement technique1, constata l’absence de conformité de la mesure européenne avec
la norme internationale pertinente2. Si l’Organe d’appel a infirmé quelques points du
raisonnement du Groupe spécial, en particulier concernant le statut du droit d’adopter
des règlements techniques, il a confirmé sa conclusion générale d’incompatibilité de la
mesure européenne avec l’Accord OTC. Cette affaire, ne portant pas directement sur la
protection environnementale ou sanitaire, était moins sensible que d’autres. Son
principal intérêt était de poser les jalons de l’interprétation des dispositions de
l’Accord OTC3.
116. L’affaire Cigarettes aux clous de girofle4. Le litige de l’affaire Cigarettes aux
clous de girofle portait sur une mesure américaine de règlementation des produits du
tabac « afin de protéger la santé publique et de réduire le nombre de personne de
moins de 18 ans qui font usage de produits du tabac »5 en prohibant « certains
1 L’Accord OTC s’appliquant aux règlements techniques tels qu’entendus par son Annexe 1.1 : v. infra
n° 202 s. 2 Norme de la Commission du Codex alimentarius pour les sardines et les produits du type sardines en
conserve (Codex Stan 94-1981, Rev. 1-1995). 3 Les organes de règlement des différends y ont avant tout établi un large champ d’application de l’Accord,
et confirmé le rôle et le pouvoir des standards élaborés par les organismes internationaux, et la difficulté
pour les États membres de ne pas s’aligner dessus : v. infra n° 202 s. et n° 338 s. 4 Sur cette affaire, v. BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement
des différends (juin 2010-novembre 2011) », RIDE, 2012, pp. 178-191 ; BUSSEUIL G. et al., « Chronique
commentée des décisions de l’Organe de règlement des différends (novembre 2011 – août 2013) », RIDE,
2013/3 (t. XXVII), pp. 352-366 ; et MARCEAU G., “The New TBT Jurisprudence in US – Clove Cigarettes,
WTO US – Tuna II, and US – Cool”, AJWH, Vol. 8:1, 2013, pp. 1-39. 5 Rapport de la Chambre des représentants relatif à l’article 907 a) 1) A) de la Loi fédérale sur les produits
alimentaires, les médicaments et les cosmétiques de États-Unis (codifié dans Code des États-Unis, titre 21,
chapitre 9, article 387g a) 1) A).), tel que modifié par la Loi sur le contrôle du tabac et la prévention du
tabagisme familial (United States Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act, Public Law No.
111-31, 123 Stat. 1776 (22 juin 2009)) : H.R. Rep. No. 111-58, Pt. 1 (2009), pp. 14 et 37.
127
‘arômes caractérisants’ qui présentent un attrait pour les jeunes » 1
. Ces « arômes
caractérisants » comprenaient, outre le clou de girofle, la fraise, le raisin, l'orange, la
cannelle, l'ananas, la vanille, la noix de coco, la réglisse, le cacao, le chocolat, la cerise
ou le café, mais pas le menthol. Or, il se trouve que l’industrie des cigarettes
mentholées est très importante aux États-Unis. L’Indonésie, grande productrice des
cigarettes aux clous de girofle, a attaqué les États-Unis pour incompatibilité de la
mesure avec l’article III.4 du GATT et plusieurs articles de l’Accord OTC. Le Groupe
spécial a conclu à la similarité des cigarettes mentholées et des cigarettes aux clous de
girofle, et au traitement moins favorable de la mesure américaine à l’égard des
cigarettes indonésiennes par rapport aux cigarettes américaines2. L’Organe d’appel
confirme les conclusions du Groupe spécial, tout en opérant d’importantes
modifications dans son raisonnement3, en particulier concernant l’appréciation de la
similarité4.
117. L’affaire Thons II5. L’affaire Thons II s’inscrit dans une suite de litiges à
dimension environnementale6
. C’est à l’encontre d’un ensemble d’instruments
1 H.R. Rep. No. 111-58, Pt. 1 (2009), p. 37.
2 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Mesures affectant la production et la vente de cigarettes aux clous
de girofle (« États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle »), WT/DS406/R, adopté le 24 avril 2012, modifié
par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS406/AB/R. 3 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesures affectant la production et la vente de cigarettes aux
clous de girofle (« États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle »), WT/DS406/AB/R, adopté le 24 avril
2012. 4 Sur les modifications opérées par l’Organe d’appel concernant l’appréciation de la similarité entre les
produits, v. infra n° 167. 5 Sur cette affaire, v. BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement
des différends (novembre 2011 – août 2013) », RIDE, 2013/3 (t. XXVII), pp. 366-378 ; et MARCEAU G.,
“The New TBT Jurisprudence in US – Clove Cigarettes, WTO US – Tuna II, and US – Cool”, AJWH, Vol.
8:1, 2013, pp. 1-39. 6 L’affaire Thons II fait suite à un premier litige ayant été traité sous l’égide de l’ancien GATT et soulevant
déjà des questions environnementales (États-Unis, Restrictions à l’importation de thon, DS21/R (non
adopté), 3 sept. 1991, 39S/155). Elle s’inscrit également dans la même veine que l’affaire Crevettes-Tortues
(v. supra n° 52 s.). Dans ces trois affaires, il s’agit de mesures (américaines) visant à protéger des espèces
animales menacées par la pêche d’autres espèces : protection des tortues dans la pêche aux crevettes ;
protection des dauphins dans la pêche aux thons. Les deux affaires précédentes avaient néanmoins été
tranchées au regard des dispositions du GATT, en particulier de son article XX. Les organes de règlement
des différends fondent ici leur rapport sur l’Accord OTC, en voyant dans le label américain Dolphin Safe,
un règlement technique (un des membres du Groupe spécial émettra cependant une « opinion séparée » à ce
propos. Cf. infra n° 207). On notera en outre, que l’affaire soulevant une question environnementale
sensible, elle voit de nombreuses tierces parties et amici curiae intervenir dans la procédure : sur ce point, v.
infra n° 373 s.
128
juridiques américain1, réglementant les conditions d’accès à un label Dolphin Safe,
que le Mexique initie une procédure devant les organes de règlement des différends.
Étaient plus précisément en cause, les conditions d’accès à ce label, qui atteste que le
thon a été pêché dans des conditions respectueuses des dauphins : ces conditions
excluaient notamment l’encerclement des dauphins dans des filets pour capturer les
thons nageant en dessous d’eux. Si le Groupe spécial réfute les allégations de violation
des obligations de non-discrimination et d’harmonisation du plaignant, il conclut
néanmoins à l’incompatibilité du label américain avec l’Accord OTC, au motif qu’il
est plus restrictif pour le commerce que nécessaire2. L’Organe d’appel confirme la
conclusion générale d’incompatibilité de la mesure américaine, mais en infirmant
certains des raisonnements du Groupe spécial : il considère, à l’inverse du Groupe
spécial, que le Mexique n’a pas démontré qu’une mesure de rechange moins restrictive
pour le commerce est possible, et que la certification Dolphin Safe d’un organisme
international3 ne constitue pas une « norme internationale pertinente » ; il estime, en
revanche, que le label américain entraîne un « traitement moins favorable » des
produits mexicains par rapport aux produits similaires américains, et est par là même
discriminatoire4.
118. L’affaire EPO5. Le Canada et le Mexique se plaignaient d’un régime mis en
place par différents instruments juridiques américains1, prévoyant une obligation
1
Il s’agissait de l’article 1385 du Titre 16 du United States Code (« Loi visant à informer les
consommateurs sur la protection des dauphins ») ; l’article 216.91 (« Règles en matière d’étiquetage
Dolphin Safe ») ; l’article 216.92 (« Prescriptions en matière d’étiquetage Dolphin Safe pour le thon
capturé dans les eaux tropicales du Pacifique Est par de grands navires équipés de sennes coulissantes »)
du Titre 50 du Code of federal regulations ; et de la décision rendue dans l’affaire Earth Island Institute c.
Hogarth, 494 F. 3d 757 (9th Cir. 2007). Les deux organes de règlement des différends avaient considéré
qu’ils pouvaient appréhender cet ensemble comme étant la « mesure en cause ». 2 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la
vente de thon et de produits du thon (« Thon II »), WT/DS381/R, adopté le 13 juin 2012, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS381/AB/R. 3 Il s’agissait d’un autre label Dolphin Safe, issu de l’Accord relatif au Programme international pour la
conservation des dauphins (AIDCP). Celui-ci, à la différence du règlement technique en cause, ne
s’applique que dans la zone des eaux tropicales du Pacifique Est (le label américain vaut également dans
l’océan pacifique occidental) et admet la technique d’encerclement (interdite par le label américain car
considérée comme dangereuse pour les dauphins). 4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la
vente de thon et de produits du thon (« Thon II »), WT/DS381/AB/R, adopté le 13 juin 2012. 5 Sur cette affaire, v. RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de
l’Organisation mondiale du commerce (2011-2012) », JDI, 2012/4, pp. ?. ; BUSSEUIL G. et al., « Chronique
129
d’informer les consommateurs du pays d’origine des produits visés, en particulier de la
viande de bœuf et de porc, qui faisait l’objet de la plainte. Il résultait de cette
règlementation que la viande de bœuf ou de porc exportée vers les États-Unis ne
pouvait être désignée comme exclusivement originaire des États-Unis : de tels produits
devaient provenir d’animaux nés, élevés et abattus aux États-Unis. Les plaignants
invoquèrent ainsi la violation de certaines dispositions du GATT et de l’Accord OTC,
en arguant que la réglementation américaine soumettait la viande importée à un
régime moins favorable que celui accordé aux produits similaires, qu’elle était
inutilement restrictive pour le commerce, et qu’elle devrait s’aligner sur des standards
internationaux pertinents. Le Groupe spécial conclut à l’incompatibilité de ce
« règlement technique » américain, aux motifs, premièrement de son caractère
discriminatoire à l’égard de la viande importée, et deuxièmement de sa non-
contribution à la poursuite de l’« objectif légitime » d’information des consommateurs
sur la provenance des produits2. L’Organe d’appel confirme la conclusion générale
d’incompatibilité de la mesure américaine, en infirmant toutefois certains
raisonnements du Groupe spécial : il confirme son caractère discriminatoire et partial,
commentée des décisions de l’Organe de règlement des différends (novembre 2011 – août 2013) », RIDE,
2013/3 (t. XXVII), pp. 379-394 ; CONWAY E., « Étiquetage obligatoire des produits au bénéfice des
consommateurs : portée et limites », RQDI, 2011, volume 24.2, [disponible en ligne :
http://rs.sqdi.org/volumes/24-2_1_Conway.pdf, consulté le 17/05/2015]. 1 Le Canada et le Mexique mettaient plusieurs instruments juridiques américains en cause : la Loi sur la
commercialisation des produits agricoles de 1946, modifiée par la « Loi sur l'agriculture de 2002 » et la
« Loi sur l'agriculture de 2008 » (la « loi EPO ») ; la règle finale relative à l'étiquetage obligatoire indiquant
le pays d'origine des viandes de bœuf, de porc, d'agneau, de poulet et de chèvre, des denrées agricoles
périssables, des arachides, des noix de pécan, du ginseng et des noix de macadamia (la « règle finale de
2009 (AMS) ») ; une lettre datée du 20 février 2009 et adressée par le Secrétaire à l'agriculture des États-
Unis, Thomas J. Vilsack, au(x) « représentant[s] de la branche de production » (la « lettre Vilsack ») ; et la
règle finale provisoire relative à l'étiquetage obligatoire indiquant le pays d'origine des viandes de bœuf, de
porc, d'agneau, de poulet et de chèvre, des denrées agricoles périssables, des arachides, des noix de pécan,
du ginseng et des noix de macadamia (la « règle finale provisoire (AMS) »). Le Mexique contestait en outre
la règle finale provisoire relative à l'étiquetage obligatoire indiquant le pays d'origine des morceaux de chair
musculaire de bœuf (y compris de veau), d'agneau, de poulet, de chèvre et de porc; et de la viande hachée
de bœuf, d'agneau, de poulet, de chèvre et de porc (la « règle finale provisoire (FSIS) »). 2 Rapports du Groupe spécial États-Unis – Certaines prescriptions en matière d'étiquetage indiquant le pays
d'origine (« EPO »), WT/DS384/R / WT/DS386/R, adoptés le 23 juillet 2012, modifiés par les rapports de
l'Organe d'appel WT/DS384/AB/R / WT/DS386/AB/R.
130
mais infirme le fait qu’elle ne contribue pas à la réalisation de l’objectif visé,
d’information des consommateurs1.
Ces affaires, si elles n’éclaircissent pas toutes les zones d’ombre quant à l’application de
l’Accord OTC, en dévoilent quelques-unes, et témoignent de l’importance croissante de
ce contentieux. Les régimes SPS et OTC affichent ainsi de grandes similitudes, d’ailleurs
reconnues par les organes de règlement des différends2 : la question centrale est ainsi la
marge règlementaire accordée aux États membres de l’organisation en termes de
politiques publiques, relatives à la protection de la santé et de l’environnement. Malgré la
conclusion d’incompatibilité de la totalité des mesures litigieuses avec les régimes de ces
accords, les organes de règlement des différends ont cultivé un discours consacrant
apparemment des droits environnementaux et sanitaires, tels que le droit des États
membres de choisir leur propre niveau de protection.
SECTION 2. LA CONSÉCRATION DU DROIT DES ÉTATS MEMBRES DE
CHOISIR LEUR PROPRE NIVEAU DE PROTECTION
119. La marge réglementaire des États membres. Les articles 3.3 de l’Accord SPS3 et
2.4 de l’Accord OTC4
posent les conditions permettant aux États membres de
s’émanciper des standards internationaux dans l’adoption de mesures protectrices de la
santé et de l’environnement. Cette alternative représente en fait la réelle marge de
1 Rapports de l'Organe d'appel États-Unis – Certaines prescriptions en matière d'étiquetage indiquant le pays
d'origine (« EPO »), WT/DS384/AB/R / WT/DS386/AB/R, adoptés le 23 juillet 2012. 2 L’Organe d’appel va souligner les « fortes similitudes conceptuelles » entre les deux dispositifs SPS et
OTC pour étendre la consécration du droit d’adopter des mesures protectrices à la marge des standards
internationaux aux règlements techniques de l’Accord OTC : Rapport de l'Organe d'appel Communautés
européennes – Désignation commerciale des sardines (« Sardines »), WT/DS231/AB/R, adopté le 23
octobre 2002, § 274. V. développements infra n° 127. 3 L’article 3.3 de l’Accord SPS énonce la possibilité de s’émanciper de ces standards « s'il y a une
justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire
qu'un Membre juge approprié conformément aux dispositions pertinentes des paragraphes 1 à 8 de l'article
5.2 Nonobstant ce qui précède, aucune mesure qui entraîne un niveau de protection sanitaire ou
phytosanitaire différent de celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou
recommandations internationales ne sera incompatible avec une autre disposition du présent accord ». 4 L’article 2.4 de l’Accord OTC pose l’obligation d’aligner les règlements techniques des États membres sur
les standards internationaux existants « sauf lorsque ces normes internationales ou ces éléments seraient
inefficaces ou inappropriés pour réaliser les objectifs légitimes recherchés, par exemple en raison de
facteurs climatiques ou géographiques fondamentaux ou de problèmes technologiques fondamentaux ».
131
manœuvre accordée aux États en matière de réglementation environnementale et
sanitaire, puisqu’ils ne se voient alors pas imposer les seuils fixés au sein des
organisations internationales, mais peuvent choisir ceux qu’ils jugent appropriés pour
mener leur politique publique. Les organes de règlement des différends ont formalisé
ce droit des États membres de choisir leur propre niveau de protection en consacrant
son autonomie (§1) et en assouplissant ses conditions d’exercice (§2).
LA CONSÉCRATION DE L’AUTONOMIE DU DROIT DES ÉTATS § 1.
MEMBRES DE CHOISIR LEUR PROPRE NIVEAU DE PROTECTION
120. L’Organe d’appel fait grand cas, dans différentes affaires SPS et OTC, d’infirmer
le raisonnement du Groupe spécial appréhendant cette possibilité pour les États
membres de choisir leur propre niveau de protection comme un « moyen de défense »,
pour la requalifier en « droit autonome ». Il présente l’enjeu d’une telle qualification
comme résidant avant tout dans l’attribution de la charge de la preuve. A priori, il
s’agit effectivement d’une consécration importante, puisque l’objet de la preuve
concerne souvent des incertitudes scientifiques sur l’innocuité ou la dangerosité des
produits. Le caractère formaliste de cette consécration, de l’autonomie du droit des
États membres de choisir leur propre niveau de protection, apparaît à l’issue des
raisonnements de l’Organe d’appel qui parvient finalement aux même conclusions
d’absence de preuve satisfaisante. Il affiche pourtant cette consécration comme un
effort de prise en compte de la protection environnementale et sanitaire. Il initie cette
consécration de l’autonomie du droit dans son rapport Hormones I (A), et la poursuit
en reprenant sa jurisprudence SPS lors des affaires OTC (B).
132
La consécration d’un droit autonome dans le rapport Hormones I A.
121. La qualification d’exception par le Groupe spécial. Dans le cadre de l’affaire
Hormones I1, le Groupe spécial avait conclu à l’incompatibilité de la mesure en cause
avec l’Accord SPS, car celle-ci s’écartait des standards internationaux pertinents, sans
justification scientifique satisfaisante2. Pour ce faire, le Groupe spécial interprétait
l’article 3.33 de l’Accord SPS comme une exception conditionnée de l’article 3.1
4 :
autrement dit, d’après lui, les Membres ont l’obligation de s’aligner sur les standards
internationaux, à l’exception des cas où ceux-ci se révèlent inadéquats. En
l’occurrence, la Commission du Codex alimentarius venait d’adopter des standards
relatifs aux hormones en cause dans ce litige5
. Le décalage entre les mesures
communautaires et les standards internationaux du Codex résidait bien dans les
différences de taux d’hormones tolérés : les standards techniques fixaient des limites
maximales de résidus de ces hormones dans les produits carnés, quand les
1 L’affaire Hormones I opposait le Canada et les États-Unis aux Communautés européennes, concernant les
directives communautaires interdisant l’importation de viande bovine nourrie aux hormones de croissance .
Pour un exposé complet des faits de l’espèce, v. supra n° 107. 2 Le Groupe spécial condamnait dans ses deux rapports la mesure à trois titres différents : il concluait à
l’incompatibilité de la mesure avec l’article 5.1 en raison d’absence d’évaluation des risques satisfaisante ;
la mesure était en outre incompatible avec l’article 5.5 en raison des distinctions jugées arbitraires ou
injustifiables dans le niveau de protection sanitaire que les autorités européennes jugeaient approprié dans
des situations différentes, entrainant une discrimination ou une restriction déguisée au commerce
international ; enfin, la mesure était incompatible avec l’article 3.1 en ce qu’elle n’était pas fondée sur des
normes internationales existante, sans justification au sens de l’article 3.3 : Rapports des Groupes spéciaux
« Hormones I, plainte du Canada » et « Hormones I, plainte des États-Unis », § 9.1. 3 Article 3.3 de l’Accord SPS : « Les Membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou
phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui
serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales
pertinentes s'il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection
sanitaire ou phytosanitaire qu'un Membre juge approprié conformément aux dispositions pertinentes des
paragraphes 1 à 8 de l'article 5.2 Nonobstant ce qui précède, aucune mesure qui entraîne un niveau de
protection sanitaire ou phytosanitaire différent de celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les
normes, directives ou recommandations internationales ne sera incompatible avec une autre disposition du
présent accord ». 4 Article 3.1 de l’Accord SPS : « Afin d'harmoniser le plus largement possible les mesures sanitaires et
phytosanitaires, les Membres établiront leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base de normes,
directives ou recommandations internationales, dans les cas où il en existe, sauf disposition contraire du
présent accord, et en particulier les dispositions du paragraphe 3 ». 5 La demande de consultations demandée par les États-Unis est datée du 26 janvier 1996. Elle semble
directement faire suite à la 21e session de la Commission du Codex s’étant tenue du 3 au 8 juillet 1995 à
Rome, ayant adopté les standards techniques de référence dans l’affaire Hormones : ALINORM 91/31,
Appendice IV et ALINORM 93/31, Appendice II. Il s’agissait en l’occurrence de normes sur cinq des six
hormones en cause : l'oestradiol-17, la testostérone, la progestérone, le zéranol et la trenbolone. La dernière
hormone n’était à l’époque l’objet d’aucune norme internationale.
133
Communautés européennes, s’appuyant sur un objectif de « risque zéro », interdisaient
totalement la présence de ces résidus. Partant de ce rapport principe/exception entre
les deux articles, le Groupe spécial a estimé qu’il incombait à la partie invoquant
l’exception, de prouver l’inadéquation de la norme internationale pour adopter une
mesure s’en écartant1
. Le Groupe spécial en conclut qu’il incombait aux
Communautés européennes d’apporter des preuves scientifiques établissant qu’un
risque sanitaire existait, que les standards internationaux ne prévenaient pas.
Autrement dit, c’est en présentant une évaluation des risques conformes à l’article 5.1
de l’Accord SPS que les Communautés européennes s’acquitteraient de la charge de la
preuve de l’inadéquation du standard existant, et pourraient se placer sur le terrain de
l’exception de ne pas s’aligner sur ce standard. Le Groupe spécial estimera finalement
que les Communautés n’étaient pas parvenues à établir une telle preuve scientifique.
122. La requalification en « droit autonome » par l’Organe d’appel. L’Organe
d’appel infirme les raisonnements du Groupe spécial, qui établit une relation « règle
générale – exception » entre l’article 3.1 (l’obligation générale) et l’article 3.3
(l’exception)2, pour consacrer l’autonomie du droit des États membres de choisir leur
propre niveau de protection, en s’écartant s’ils le souhaitent des standards
internationaux. L’Organe d’appel qualifie, au contraire, le droit des États Membres
d’autodéterminer leur propre niveau de protection sanitaire de « droit important » 3, en
précisant que, d’après lui, les dispositions de l’Accord SPS « reconnaissent
explicitement le droit des membres d’établir leur propre niveau approprié de
protection sanitaire, lequel peut être plus élevé (c'est-à-dire plus prudent) que celui
qu’impliquent les normes, directives et recommandations internationales existantes » 4
.
Il requalifie ainsi l’article 3.3 de « droit autonome », dont tous les Membres disposent,
d’établir pareil niveau plus élevé de protection5. Il appuie ses propos sur le sixième
paragraphe du préambule de l’Accord SPS qui précise que l’Accord SPS ne saurait
1 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.86 : le Groupe spécial pose cette
règle notamment par le biais d’une analogie entre l’article 3.3 de l’Accord SPS en tant qu’exception, et
l’article XX du GATT (v. le § 8.87 du même rapport et sa note 288). 2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 104.
3 Ibid., § 172.
4 Ibid., § 124.
5 Ibid., § 104.
134
« exiger d’aucun Membre qu’il modifie le niveau de protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux qu’il juge approprié »1.
L’Organe d’appel en conclut que ce droit, qu’a un Membre d’établir son propre niveau
de protection au titre de l’article 3.3 de l’Accord SPS, est un « droit autonome », et
non une « exception » à une « obligation générale » au titre de l’article 3.12. La
jurisprudence ultérieure confirme cette qualification en considérant, par exemple, le
droit pour un Membre de déterminer le niveau de protection qu’il juge approprié,
comme une « prérogative »3
. L’Organe d’appel accompagne ce changement de
qualification, d’un renversement formel de la charge de la preuve.
123. Une qualification entrainant un renversement formel de la charge de la preuve.
L’Organe d’appel présente ce changement de qualification comme entrainant un
renversement de la charge de la preuve. Celui-ci apparaît pourtant plus formel que
substantiel. Le Groupe spécial avait en effet considéré que, puisqu’il s’agissait d’une
exception, il incombait aux Communautés européennes d’apporter la preuve de
l’inadéquation du standard international, donc d’apporter les preuves scientifiques de
l’existence d’un risque pour la santé. Ces dernières avaient alors échoué au regard des
exigences de l’article 5.1. Le raisonnement de l’Organe d’appel permettait, à l’inverse,
d’envisager d’attribuer aux plaignants (en l’occurrence, les États-Unis et le Canada) la
charge de prouver l’innocuité des résidus d’hormones dans la viande. Certes, l’Organe
d’appel qualifie le régime probatoire appliqué par le Groupe spécial de « pénalité »,
pour le Membre qui choisit de s’écarter de la norme internationale4. Il prétend alors
inverser la dynamique, en attribuant au plaignant la charge d’apporter un
commencement de preuve suffisant pour établir l’incompatibilité des mesures
communautaires avec leurs obligations : les États-Unis et le Canada devraient
présenter un commencement de preuve, que ces mesures n'étaient pas établies sur la
base d'une évaluation des risques, ce qu’il considère discrètement acquis dans une note
1 Ibid., § 172.
2 Ibid., § 172.
3 Rapport de l’Organe d’appel « Australie - Saumons », § 199.
4 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 102.
135
de bas de page1. Partant du principe que cette charge est remplie par les plaignants, il
considère dès lors que la charge de la preuve est transférée aux Communautés
européennes, d’établir scientifiquement l’existence d’un risque pour la santé justifiant
leur écart avec la norme internationale2. Autrement dit, le changement, apparemment
radical, de qualification du droit de choisir son propre niveau de protection sanitaire,
n’emporte substantiellement aucune réelle conséquence sur le terrain probatoire, le
risque de la preuve scientifique pesant toujours sur le Membre ayant adopté une
mesure protectrice3. Ce formalisme de la qualification, n’entrainant substantiellement
aucune conséquence avantageuse pour les mesures sanitaires ou environnementale, est
confirmé par les réserves assortissant ce droit.
124. Un droit assorti de réserves. L’Organe d’appel précise, effectivement, que ce
droit « n’est pas un droit absolu qui ne comporterait aucune réserve » 4
. Il répond en
cela aux allégations des Communautés européennes, selon lesquelles une mesure
fondée sur l’article 3.3 n’est pas soumise à l’évaluation des risques de l’article 5.1 :
d’après elles, la possibilité de choisir son propre niveau de protection sanitaire, même
au-delà de celle posée par les standards internationaux, étant un droit, elle n’est pas
soumise à l’obligation d’évaluation des risques. Mais l’Organe d’appel finit par
confirmer la constatation du Groupe spécial, en estimant que cette obligation
d’évaluation des risques, posée par l’article 5.1 de l’Accord SPS, est essentielle pour
« maintenir l’équilibre fragile qui a été soigneusement négocié dans l’Accord SPS
entre les intérêts partagés quoique parfois divergents qui consistent à promouvoir le
commerce international et à protéger la vie et la santé des êtres humains » 5
. Les
réserves assorties au « droit autonome » de choisir son propre niveau de protection ne
viendraient-elles pas tuer ce dernier dans l’œuf ? Si l’Organe d’appel a formellement
1 « Après avoir examiné soigneusement le dossier du Groupe spécial, nous sommes convaincus que les
États-Unis et le Canada ont effectivement présenté un commencement de preuve que les mesures SPS
concernant les hormones incriminées en l'espèce, à l'exception du MGA, n'étaient pas établies sur la base
d'une évaluation des risques, bien que le Groupe spécial ne leur ait pas demandé de le faire » : Rapport de
l’Organe d’appel « Hormones I », note 180. 2 Ibid., §§ 97 à 109.
3 Concernant la lourdeur de la charge probatoire pesant sur les épaules des États membres ayant adopté une
mesure SPS, v. infra n° 260 s. 4 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 173.
5 Ibid., § 177.
136
semblé assouplir ces conditions d’exercice1, nous verrons qu’elles invalident in fine
systématiquement les mesures SPS2.
L’Organe d’appel reprend cette jurisprudence SPS pour trancher les litiges au regard
de l’Accord OTC.
La reprise de la jurisprudence SPS dans les affaires OTC B.
125. Le texte de l’Accord OTC se présente d’une manière analogue à celui de l’Accord
SPS, en ce qu’il pose une incitation aux États membres à se conformer aux standards
internationaux3, tout en leur ménageant la possibilité de ne pas s’aligner dessus
4.
L’affaire Sardines a été la première occasion pour les organes de règlement des
différends d’interpréter ces dispositions. Dans une dynamique en tout point similaire à
l’affaire Hormones I, le Groupe spécial interprète en premier lieu cette possibilité
comme un « moyen de défense », avant de voir son raisonnement infirmé par l’Organe
d’appel, qui y voit également un « droit autonome » des États membres de choisir leur
propre niveau de protection.
126. Un ancien « moyen de défense ». Dans l’affaire Sardines, le Groupe spécial avait
appréhendé l’article 2.45 comme consacrant un « moyen de défense », et imposait par
conséquent la charge de la preuve au défendeur, c’est-à-dire aux Communautés
européennes ayant adopté le règlement technique en cause. Celles-ci devaient alors
1 V. infra n° 129 s.
2 V. infra n° 210 s.
3 Article 2.5 de l’Accord OTC : « Lorsqu'il élaborera, adoptera ou appliquera un règlement technique
pouvant avoir un effet notable sur le commerce d'autres Membres, un Membre justifiera, si un autre
Membre lui en fait la demande, ce règlement technique au regard des dispositions des paragraphes 2 à 4.
Chaque fois qu'un règlement technique sera élaboré, adopté ou appliqué en vue d'atteindre l'un des
objectifs légitimes expressément mentionnés au paragraphe 2, et qu'il sera conforme aux normes
internationales pertinentes, il sera présumé – cette présomption étant réfutable - ne pas créer un obstacle
non nécessaire au commerce international ». 4 Article 2.4 de l’Accord OTC : « Dans les cas où des règlements techniques sont requis et où des normes
internationales pertinentes existent ou sont sur le point d'être mises en forme finale, les Membres utiliseront
ces normes internationales ou leurs éléments pertinents comme base de leurs règlements techniques, sauf
lorsque ces normes internationales ou ces éléments seraient inefficaces ou inappropriés pour réaliser les
objectifs légitimes recherchés, par exemple en raison de facteurs climatiques ou géographiques
fondamentaux ou de problèmes technologiques fondamentaux ». 5 Ibid.
137
prouver que le standard international pertinent1 était inefficace ou inapproprié pour
réaliser l’objectif d’information des consommateurs2. Les Communautés européennes
n’avançaient en réalité aucun argument solide dans cette affaire teintée de
protectionnisme3 et ne parvinrent pas à s’acquitter de ce fardeau. L’Organe d’appel
confirma la conclusion finale du Groupe spécial, mais en infirmant son raisonnement
au regard de sa jurisprudence SPS.
127. L’infirmation au regard de la jurisprudence SPS. L’Organe d’appel va
souligner les « fortes similitudes conceptuelles » entre les deux dispositifs SPS et OTC,
pour étendre la consécration de l’autonomie du droit d’adopter des mesures
protectrices à la marge des standards internationaux aux règlements techniques de
l’Accord OTC4
. Faisant l’analogie avec sa jurisprudence SPS, l’Organe d’appel
considère ainsi que « l’Accord OTC reconnaît le droit de chaque Membre de l’OMC
d’établir pour lui-même les objectifs de ses règlements techniques »5. L’Organe
d’appel infirme ainsi le rapport « règle générale - exception » appliqué par le Groupe
spécial, et consacre l’autonomie du droit des États membres de s’écarter des normes
internationales pertinentes dans le cadre de l’application de l’Accord OTC.
128. Le renversement formel de la charge de la preuve. L’Organe d’appel tire une
fois encore les conséquences de ce changement de qualification sur le terrain
probatoire, en opérant un renversement formel de la charge de la preuve. Il estime
ainsi que c’est au Pérou, en tant que plaignant, qu’incombe la charge de prouver son
allégation : il doit ainsi établir que le standard technique Codex Stan 94 est efficace et
approprié pour réaliser les objectifs légitimes des Communautés européennes, et que
ces dernières en s’y sont pas conformées6. Une fois encore, ce renversement de la
charge de la preuve, présenté de manière assez spectaculaire par l’Organe d’appel,
1 Norme de la Commission du Codex alimentarius pour les sardines et les produits du type sardines en
conserve (Codex Stan 94-1981, Rev. 1-1995). 2 Rapport du Groupe spécial « Sardines », §§ 7.50 et 7.51.
3 En substance, les Communautés européennes acceptaient d’étiqueter en tant que « sardines » les animaux
pêchés dans les eaux européennes, et pas ceux provenant d’Amérique latine. 4 « Notre raisonnement dans l'affaire CE – Hormones est tout aussi applicable dans la présente affaire » :
Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 274. 5 Ibid., § 274.
6 Ibid., § 275.
138
s’avère plus formel que substantiel : il vérifie discrètement que le Pérou s’est déjà
acquitté de sa charge devant le Groupe spécial, qui consiste en un simple
commencement de preuve du bien-fondé de son allégation1. Presque automatiquement,
la charge de la preuve est alors transférée à l’État membre ayant adopté la mesure
litigieuse, les Communautés européennes2. Le formalisme de la qualification se vérifie
ainsi notamment dans le fait que finalement, il n’exige aucune nouvelle preuve que le
Groupe spécial n’ait déjà requis, et parvient à la même conclusion. Ainsi, si l’Organe
d’appel prend grand soin de réaffirmer l’autonomie réglementaire des États membres,
en consacrant formellement l’autonomie du droit de ne pas s’aligner sur les standards
internationaux3, il ne semble pas en tirer les conséquences permettant de rendre ce
droit effectif4.
Les affaires Hormones I et Sardines présentent ainsi le même cas de figure, d’un
Organe d’appel, qui infirme ostensiblement le raisonnement du Groupe spécial
appréhendant le droit de s’écarter des standards internationaux comme une exception,
pour consacrer l’autonomie de ce droit. Il présente le renversement de la charge de la
preuve au bénéfice du défendeur comme principal enjeu de ce changement de
qualification. Celui-ci apparaît pourtant déjà plus formel que substantiel. L’Organe
d’appel va également prétendre assouplir certaines conditions d’exercice de ce droit
pour témoigner de son autonomie.
1 Ibid., §§ 284-291.
2 Pour une systématisation de l’analyse du régime probatoire instauré par les organes de règlement des
différends, v. infra n° 239 s. 3 L’Organe d’appel a repris cette démarche de consécration formelle dans sa jurisprudence ultérieure pour
des dispositions plus générales. Par exemple, il a tenu à préciser dans son rapport Cigarettes que l’Accord
OTC confère aux États membres un « droit d’utiliser les règlements techniques dans la quête de leurs
objectifs légitimes ». Il assorti toutefois toujours ce droit de réserves, telles que les conditions d’impartialité,
de non-discrimination, et de nécessité de la mesure : Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis – Cigarettes
aux clous de girofle », § 95. 4 V. dans le même sens RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 2002 », JDI, 2003/3,
p. 938.
139
L’ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS D’EXERCICE DU DROIT DES § 2.
ÉTATS MEMBRES DE CHOISIR LEUR PROPRE NIVEAU DE
PROTECTION
129. Tout en consacrant l’autonomie du droit des États membre de choisir leur propre
niveau de protection environnemental et sanitaire, les organes de règlement des
différends ont assorti ce droit de réserves. Ils entretiennent à l’égard de ces réserves un
discours de flexibilité juridique, qui concourt également à renforcer le sentiment que la
consécration du droit des États membres de choisir leur propre niveau de protection
n’est qu’apparente. Les affaires SPS et OTC ont ainsi été l’occasion de nombreuses
déclarations de principe, présentant une interprétation apparemment souples des
conditions d’exercice de ce droit. Cette apparente souplesse est particulièrement
patente dans les discours relatifs à la condition d’évaluation des risques justifiant
l’adoption de mesures SPS1.
130. L’exemple de la condition d’évaluation des risques. Le droit des États Membres,
de choisir le niveau de protection qu’ils jugent approprié, est effectivement
conditionné par l’obligation d’adopter leurs mesures SPS sur la base d’une évaluation
scientifique des risques conforme aux articles 2.22 et 5.1
3 de l’Accord SPS
1. L’Organe
1 L’Organe d’appel a pu témoigner de la même tendance dans ses rapports OTC. Par exemple, concernant
l’interdiction d’un traitement moins favorable par les règlements techniques, des produits similaires
étrangers par rapport aux produits nationaux (article 2.1 de l’Accord OTC), il a pu préciser qu’il n’excluait
pas par autant toutes les distinctions règlementaires : « l'article 2.1 ne devrait pas être lu comme signifiant
que toute distinction, en particulier celles qui sont fondées exclusivement sur les caractéristiques
particulières d'un produit ou les procédés et méthodes de production s'y rapportant, accorderait en soi à un
traitement moins favorable au sens de l'article 2.1 » (Rapport de l’Organe d’appel « Cigarettes aux clous de
girofle », § 169) ; de la même manière, il a pu déclarer que ce même article 2.1 « ne devrait pas être
interprété comme interdisant tout effet préjudiciable sur les possibilités de concurrence pour les
importations dans les cas où cet effet préjudiciable sur les importations découle exclusivement de
distinctions réglementaires légitimes » (Ibid. , § 174). 2 Article 2.2 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne
soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux
ou préserver les végétaux, qu'elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu'elle ne soit pas maintenue
sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe 7 de l'article 5 ». 3
Article 5.1 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou
phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des
circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des
végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations
internationales compétentes ».
140
d’appel a explicitement refusé d’apprécier l’évaluation des risques de manière
restrictive, assouplissant la condition principale d’exercice du droit de choisir son
propre niveau de protection environnemental et sanitaire. Cet assouplissement se
révèlera pourtant également plus formel que substantiel, la condition d’évaluation des
risques étant la première cause d’incompatibilité des mesures SPS2. C’est dans son
rapport Hormones I que l’Organe d’appel a posé le plus explicitement cet
assouplissement de la condition d’évaluation des risques, premièrement en infirmant la
dichotomie entre évaluation et gestion des risques (A), deuxièmement en déclarant
prendre en compte les opinions scientifiques minoritaires (B).
L’infirmation de la dichotomie entre évaluation et gestion des risques A.
131. L’élargissement des facteurs pertinents pour l’évaluation des risques. Pour
exercer son droit de choisir son propre niveau de protection environnemental ou
sanitaire, il incombe bien à l’État membre, qui adopte une mesure SPS s’écartant des
standards internationaux, une obligation de procéder à une évaluation du risque.
L’Organe d’appel a affiché une démarche d’infléchissement des conditions de validité
de l’évaluation des risques, en infirmant la dichotomie, posée par le Groupe spécial
dans son rapport Hormones I, entre évaluation et gestion des risques. La mise à mal de
cette dichotomie apparaît comme un élargissement formel des éléments pris en compte
pour l’évaluation des risques, et la volonté apparente de l’Organe d’appel de prendre
en compte la réalité des risques.
L’Organe d’appel a, en effet, pu infirmer le raisonnement du Groupe spécial dans
l’affaire Hormones I, en considérant qu’il adoptait une approche trop restrictive de la
condition d’évaluation des risques. Était en cause un des éléments avancés par les
1 Les organes de règlement des différends ont précisé cette relation de conditionnement de l’exercice du
droit de choisir son propre niveau de protection environnemental et sanitaire dans leurs rapports Hormones
I : reprenant le principe posé par le Groupe spécial selon lequel « l’article 5.1 [peut] être considéré comme
une application spécifique des obligations fondamentales énoncées à l’article 2 :2 de l’Accord SPS»,
l’Organe d’appel souligne que ces deux articles « devraient toujours être lus ensembles » : Rapport du
Groupe spécial « Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.93 ; rapport du Groupe spécial « Hormones I,
plainte du Canada », § 8.96 ; cités dans le Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 180. 2 V. nos développements infra n° 211 s.
141
Communautés européennes dans leur évaluation des risques, justifiant l’interdiction de
viande aux hormones : il s’agissait des difficultés, pratiques et techniques, à détecter
les abus potentiels d’hormones utilisées comme activateur de croissance. Le Groupe
spécial avait refusé de prendre en compte cet argument, qui relevait, d’après lui, plus
de la « gestion » que de l’« évaluation » des risques à proprement parler. Il opposait
ainsi « un examen scientifique des données et des études factuelles » à « une démarche
politique faisant appel à des jugements de valeur à caractère social qui seraient posés
par des organes politiques »1. D’après le Groupe spécial, le problème du contrôle
vétérinaire relatif aux bonnes pratiques dépendrait de « facteurs non scientifiques »,
étrangers au concept d’évaluation des risques, qu’il entend plus strictement comme
« un processus scientifique visant à établir la base scientifique de la mesure sanitaire
qu’un Membre envisage de prendre »2. Les Communautés européennes faisaient donc
appel de cette interprétation étroite de l’évaluation des risques, en arguant que les
difficultés vétérinaires pratiques justifiaient également, en sus des analyses
quantitatives menées en laboratoire, l’interdiction frappant la viande nourrie aux
hormones. L’Organe d’appel va effectivement rejeter la « notion restrictive
d’évaluation des risques » 3
du Groupe spécial. Il va interpréter la liste d’éléments à
prendre en compte dans l’évaluation des risques, posée par l’article 5.2 de l’Accord
SPS, de manière extensive. Celle-ci prévoit que les Membres puissent tenir compte
dans leur évaluation des risques « des preuves scientifiques disponibles ; des procédés
et méthodes de production pertinents ; des méthodes d'inspection, d'échantillonnage et
d'essai pertinentes; de la prévalence de maladies ou de parasites spécifiques ; de
l'existence de zones exemptes de parasites ou de maladies ; des conditions écologiques
et environnementales pertinentes; et des régimes de quarantaine ou autres ».
L’Organe d’appel considère en premier lieu que certains de ces facteurs, tels que les
méthodes d’inspection, d’échantillonnage et d’essai pertinentes « ne se prêtent pas
nécessairement ni entièrement à une investigation faisant appel à des méthodes de
1 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.94 ; rapport du Groupe spécial
« Hormones I, plainte du Canada », § 8.97. 2 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du Canada », § 8.110 ; et Rapport du Groupe spécial
« Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.107. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 181.
142
laboratoire comme celles qui sont utilisées, par exemple, en biochimie ou en
pharmacologie ». Il interprète ainsi les facteurs énumérés dans la liste indicative de
manière plus souple que le Groupe spécial, en considérant qu’elle admet qu’une
évaluation des risques comprenne des éléments plus pratiques et techniques que les
seuls résultats de laboratoire. En outre, l’Organe d’appel précise que pour lui « rien
n’indique que l’énumération d’éléments qui peuvent être pris en considération dans
l’évaluation des risques prévue à l’article 5.2 se voulait exhaustive » 1
. Il fait par là
même montre d’une certaine flexibilité, a priori favorable à la mise en œuvre du droit
des États membres de choisir leur propre niveau de protection sanitaire et
environnemental. Il clôt le même paragraphe par une phrase, dont le lyrisme témoigne
du caractère spectaculaire, voire artificiel, de ses déclarations de principe relatives à
l’assouplissement des conditions d’exercice du droit des États membre de choisir leur
propre niveau de protection :
« Il est essentiel de ne pas perdre de vue que le risque qui doit être évalué dans le
cadre d'une évaluation des risques aux termes de l'article 5.1 n'est pas uniquement le
risque qui est vérifiable dans un laboratoire scientifique fonctionnant dans des
conditions rigoureusement maîtrisées, mais aussi le risque pour les sociétés humaines
telles qu'elles existent en réalité, autrement dit, les effets négatifs qu'il pourrait
effectivement y avoir sur la santé des personnes dans le monde réel où les gens vivent,
travaillent et meurent »2 .
L’Organe d’appel semble par là même vouloir prendre en compte la réalité des risques
sanitaires et environnementaux, et ne pas être trop rigide en exigeant des démarches
scientifiques de laboratoire. Il prétend ainsi prendre en compte les difficultés
vétérinaires pratiques dans l’évaluation des risques présentée par les Communautés
européennes pour justifier leur mesure d’interdiction. Le formalisme de cette évolution
apparait dans le décalage entre l’infirmation du raisonnement des Groupes spéciaux
pour leur « erreur de droit fondamentale »3, et la confirmation de leur conclusion :
l’Organe d’appel a effectivement confirmé les conclusions des Groupes spéciaux
1 Ibid., § 187.
2 Ibid., § 187.
3 Ibid., § 206.
143
invalidant l’évaluation des risques, donc la justification de la mesure SPS, au motif
que l’évaluation des risques produite par les Communautés européennes sur les risques
liés au contrôle des pratiques abusives représentait, « au mieux […] le début d’une
évaluation de ces risques »1. L’Organe d’appel renouvèlera ce refus apparent de
dichotomie entre gestion et évaluation des risques pour adopter formellement une
appréciation plus souple de l’évaluation des risques dans les affaires ultérieures2.
Dans ce rapport Hormones, l’Organe d’appel affiche ainsi un assouplissement formel
de la condition d’évaluation des risques, en refusant la dichotomie entre évaluation et
gestion des risques, mais également en déclarant prendre en compte les avis
scientifiques minoritaires.
La prise en compte des avis scientifiques minoritaires B.
132. Une déclaration audacieuse. S’inquiétant de l’interprétation restrictive, adoptée
par le Groupe spécial, de la notion d’évaluation des risques au sens de l’article 5.1 de
l’Accord SPS, les Communautés européennes l’avaient critiquée en appel. Elles
arguaient qu’une telle interprétation risquait d’introduire une conception majoritaire de
la science, n’incluant pas les opinions scientifiques divergentes. L’Organe d’appel a
tenu à répondre aux Communautés sur ce point, bien que le Groupe spécial n’ait pas
écarté de preuves scientifique au motif explicite qu’elles émanaient d’avis minoritaires.
L’Organe d’appel a néanmoins saisi cette occasion pour témoigner d’un
assouplissement formel de la condition d’évaluation des risques, permettant à l’État
membre de choisir le niveau de protection sanitaire et environnemental qui lui semble
approprié, en déclarant prendre en compte les avis scientifiques minoritaires. Il a ainsi
fait une déclaration audacieuse qui mérite d’être citée in extenso :
1 Ibid., § 207.
2 Par exemple, dans son rapport Hormones II, l’Organe d’appel précise en outre que « [l]’évaluation des
risques ne peut pas être entièrement dissociée du niveau approprié de protection. Il peut y avoir des
circonstances dans lesquelles le niveau approprié de protection choisi par un Membre affecte la portée ou
la méthode de l’évaluation des risques ». Ici, une évaluation des risques « appropriée » signifie qu’elle doit
également être appréciée en fonction des circonstances, donc que l’Organe d’appel prend en compte la
gravité et la nature du risque, ce qui va également dans le sens de l’inflexion de la condition d’exercice du
droit des États membres de choisir leur propre niveau de protection : v. Rapports de l'Organe d'appel
« Canada – Hormones II » et « États-Unis – Hormones II », §§ 534-535.
144
« Nous ne sommes pas d’avis que l’évaluation des risques doit déboucher sur une
conclusion monolithique qui coïncide avec la conclusion ou l’opinion scientifique qui
sous-tend implicitement la mesure SPS. L’évaluation des risques pourrait faire
ressortir à la fois l’opinion la plus répandue qui représente le courant scientifique
‘dominant’ ainsi que les opinions de scientifiques qui ont un point de vue divergent.
L’article 5.1 ne requiert pas que l’évaluation des risques fasse état nécessairement du
seul point de vue de la majorité de la communauté scientifique intéressée. Parfois,
l’existence même d’opinions dissidentes exposées par des scientifiques compétents qui
ont mené des recherches sur la question à l’examen peut être révélatrice d’une
certaine incertitude dans la communauté scientifique. Parfois, les divergences peuvent
indiquer que les opinions scientifiques sont à peu près également partagées, ce qui
peut dénoter une forme d’incertitude scientifique. Dans la plupart des cas, les
gouvernements responsables et représentatifs ont tendance à fonder leurs mesures
législatives et administratives sur l’opinion scientifique ‘dominante’. Dans d’autres
cas, des gouvernements tout aussi responsables et représentatifs peuvent agir de
bonne foi sur la base de ce qui peut être, à un moment donné, une opinion divergente
provenant de sources compétentes et respectées. En soi, cela ne témoigne pas
nécessairement de l’absence d’une relation raisonnable entre la mesure SPS et
l’évaluation des risques, notamment lorsque le risque en question peut être mortel et
qu’il est perçu comme posant une menace évidente pour la santé et la sécurité
publiques. L’existence ou l’absence de cette relation ne peut être déterminée qu’au
cas par cas, après avoir tenu compte de toutes les considérations qui influent
logiquement sur la question des effets négatifs potentiels sur la santé » 1.
Ce passage contient nombre de précisions, élargissant apparemment la marge de
manœuvre octroyée aux États membres en matière de protection. Tout d’abord,
l’Organe d’appel déclare que, tant que l’évaluation des risques est scientifiquement
rigoureuse, elle permet aux États de mettre en lumière des avis scientifiques
minoritaires. Cette déclaration dénote une importante émancipation de l’Organe
d’appel avec l’objectif d’« harmonisation » posé par l’article 3 de l’Accord SPS : les
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 194.
145
États membres pourraient ainsi adopter une mesure plus protectrice que celle proposée
par les organismes internationaux, y compris s’ils la justifient par des preuves
scientifiques divergentes. L’Organe d’appel paraît par là même admettre une
multiplicité de niveaux de protection différents, variables selon les États et leur culture.
Par ailleurs, l’Organe d’appel semble ici inclure un critère de proportionnalité entre
une mesure SPS, s’appuyant sur un avis scientifique minoritaire, et la nature et la
gravité du risque encouru : l’établissement de l’existence d’un risque grave par des
avis scientifiques divergents favoriserait la reconnaissance du lien entre l’évaluation et
la mesure, donc la conclusion de compatibilité de la mesure avec l’article 5.1. Enfin,
l’Organe d’appel précise que la justification d’une mesure SPS sur de tels avis
scientifiques minoritaires ne remet pas en question le lien nécessaire entre l’évaluation
et la mesure adoptée.
133. L’affirmation d’un lien flexible entre la mesure SPS et l’évaluation des risques.
L’Organe d’appel précise également que le fait pour un État membre de justifier sa
mesure protectrice sur des avis scientifiques minoritaires ou dissidents n’affecte pas le
lien nécessaire entre la mesure et l’évaluation des risques. Il ne va d’ailleurs cesser
d’afficher un assouplissement de la rigueur du lien exigé entre l’évaluation des risques
et la mesure. Ainsi, si la mesure SPS en cause doit ensuite être prise « sur la base de »
l’évaluation des risques, l’Organe d’appel déclare que la mesure n’a pas à être
« conforme » à cette évaluation. Selon l’Organe d’appel « l’article 5.1 […] exige que
les résultats de l’évaluation des risques justifient suffisamment – c’est-à-dire qu’ils
étayent raisonnablement – la mesure SPS en jeu »1. Autrement dit, il suffit d’« une
relation logique entre la mesure et l’évaluation des risques »2. Cette même idée, de la
suffisance d’« un lien rationnel entre une mesure SPS et les preuves scientifiques »3,
est reprise et pérennisée dans les rapports SPS ultérieurs.
Cette déclaration audacieuse de l’Organe d’appel, acceptant de prendre en compte les
avis scientifiques minoritaires dans l’évaluation des risques, ainsi que son affirmation
1 Ibid., § 193.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 193.
3 Cette citation est par exemple tirée du Rapport de l’Organe d’appel « Produits agricoles II », § 84.
146
d’un lien flexible entre l’évaluation des risques et la mesure SPS, ont ceci de formel
qu’elles ne présentaient pas de véritable enjeu pratique dans cette affaire, ou du moins
à cette étape de la procédure. L’Organe d’appel se contente ainsi de déclarations,
témoignant d’une volonté d’assouplissement des conditions d’exercice du droit des
États membres de choisir leur propre niveau de protection, qui n’entraînent pas de
conséquence effective sur le fond de l’affaire. L’Organe d’appel a ainsi apparemment
consacré le droit des États membres de choisir leur propre niveau de protection
sanitaire et environnemental, tout comme il consacre apparemment son droit dérivé,
d’adopter des mesures provisoires en cas d’insuffisance de preuves scientifiques,
tendant ainsi formellement vers la prise en compte du principe de précaution.
SECTION 3. LA CONSÉCRATION DU DROIT D’ADOPTER DES MESURES
PROVISOIRES EN CAS D’INSUFFISANCE DE PREUVES
SCIENTIFIQUES
134. Un droit fondé sur l’article 5.7 de l’Accord SPS. Dans l’optique de consécration
apparente de droits environnementaux et sanitaires sur le fondement des Accords SPS
et OTC, l’Organe d’appel est allé plus loin que la seule consécration du droit d’adopter
des mesures protectrices de la santé et de l’environnement. En effet, s’appuyant sur les
dispositions de l’Accord SPS, il a rendu des rapports précisant, voire favorisant, en
théorie, la possibilité d’adopter des mesures protectrices, lorsque les preuves
scientifiques disponibles ne sont pas à même d’établir l’existence d’un risque. La
jurisprudence laisse ainsi, de prime abord, transparaître la consécration du droit
d’adopter des mesures provisoires sans évaluation des risques. Celle-ci est faite sur la
base des articles 2.2 et 5.7 de l’Accord SPS : le premier dispose que « les Membres
feront en sorte qu’une mesure sanitaire ou phytosanitaire […] ne soit pas maintenue
sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au
paragraphe 7 de l’article 5 » ; et le second précise alors que
« Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un
Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur
la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des
organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures
147
sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d'autres Membres. Dans de telles
circonstances, les Membres s'efforceront d'obtenir les renseignements additionnels
nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en
conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable ».
Les différends environnementaux et sanitaires, se situant souvent aux confins des
connaissances scientifiques, ont mis en jeu l’article 5.7 de l’Accord SPS, en particulier
dans les cas où les organes de règlement des différends considéraient que l’évaluation
des risques ne remplissait pas les conditions nécessaires. L’article 5.7, sous l’influence
de cette jurisprudence, a connu une évolution formelle (§1.), permettant aux organes
de règlement des différends de formellement insérer le principe de précaution dans le
droit de l’OMC (§2.).
L'ÉVOLUTION FORMELLE DE L'ARTICLE 5.7 DE L'ACCORD SPS § 1.
135. L’article 5.7 de l’Accord SPS, prévoyant la possibilité pour les États membres
d’adopter une mesure provisoire en cas d’insuffisance de preuves scientifiques,
incarne en quelque sorte un droit dérivé du droit des États membres de choisir leur
propre niveau de protection sanitaire ou environnemental. Il envisage effectivement
l’hypothèse dans laquelle la condition d’évaluation des risques ne peut être remplie,
pour manque de données scientifiques. L’évolution de l’article 5.7 de l’Accord SPS a
ainsi suivi la ligne jurisprudentielle tracée par le droit général des États membres de
choisir leur propre niveau de protection : la possibilité pour les États membres
d’adopter de telles mesures provisoires est formellement autonomisée en droit, et ses
conditions d’exercice apparemment assouplies. C’est ainsi qu’il ressort des quatre
affaires, lors desquelles l’article 5.7 de l’Accord SPS a été allégué1, une évolution
formelle de son statut (A), ainsi que de sa première (et décisive) condition
d’application, l’insuffisance de preuves scientifiques (B).
1 L’article 5.7 de l’Accord SPS a été allégué dans les affaires Japon – Produits agricoles, Japon – Pommes,
OGM et Hormones II.
148
L’évolution formelle du statut de l’article 5.7 de l’Accord SPS A.
136. Une évolution purement formelle. Au fur et à mesure des rapports à l’occasion
desquels il a été discuté, le statut de l’article 5.7 de l’Accord SPS a formellement
évolué, laissant transparaitre une autonomisation du droit d’adopter des mesures
provisoires en cas d’insuffisance de preuves scientifiques. Il ressort pourtant de cette
évolution un résultat incertain, peu sécurisant juridiquement, et n’ayant, sur le fond
des affaires, jamais permis de justifier une mesure environnementale ou sanitaire. Les
organes de règlement des différends ont pourtant entretenu le débat relatif au statut de
la disposition, initialement envisagée comme une « exemption assortie de réserve », et
finalement devenue un « droit assorti de réserve ». Une fois encore, les organes de
règlement des différends affichent la charge de la preuve comme enjeu principal du
statut de l’article. A priori susceptible d’être invoquée dans les cas de connaissances
scientifiques incertaines, le statut de la disposition, et ses conséquences probatoires,
devrait revêtir une grande importance : ce serait alors à la partie plaignante de prouver
qu’il y a suffisamment de preuves scientifiques pour établir une évaluation des risques.
La mise en cause de l’article 5.7 devant les organes de règlement des différends
n’entraine néanmoins pas cette conséquence, révélant le pur formalisme de l’évolution
du statut de la disposition.
137. Une « exemption assortie de réserves » dans le rapport Produits agricoles. Le
premier rapport se prononçant sur la mise en œuvre de l'article 5.7, lors de l'affaire
Japon – Produits agricoles II, appréhende la question sous l'angle de la relation entre
les articles 2.2 et 5.7. L’Organe d’appel affirme alors que « l’article 5.7 fonctionne
comme une exemption assortie de réserves de l’obligation énoncée à l’article 2.2 de ne
pas maintenir de mesure SPS sans preuves scientifiques suffisantes » 1
. L'enjeu de
l'interrogation dans l'affaire Japon – Produits agricoles II résidait en réalité dans
l'interprétation de l'article 2.2. L'Organe d’appel concluait qu'« une interprétation trop
large et trop souple de [l']obligation [de ne pas maintenir une mesure SPS sans
1 Rapport de l’Organe d’appel « Japon –Produits agricoles II », § 80. (Souligné dans l’original).
149
preuves scientifiques suffisantes] priverait de sens l’article 5.7 » 1
. L’Organe d’appel
fait preuve, avec cette affirmation, d’une interprétation restrictive du droit d’adopter
une mesure protectrice de la santé ou de l’environnement dans les cas d’insuffisance
de preuves scientifiques. Dans cette affaire, l’interprétation des articles 2.2 et 5.7 est
doublement restrictive : premièrement, l’Organe d’appel applique strictement l’article
2.2 (sous-entendu pour conserver l’utilité de l’article 5.7), et considère que la mesure
japonaise est maintenue sans preuve scientifique suffisante ; deuxièmement, il met en
place des conditions d’application de l’article 5.7 qui ne permettent pas au Japon de
justifier provisoirement leur mesure par l’insuffisance de preuve scientifique2. Partant
de ce statut restrictif de l’article 5.7, les organes de règlement des différends vont le
faire formellement évoluer. Si le statut de l’article 5.7 n’est pas discuté en soi dans le
rapport Japon – Pomme, il devient un « droit assorti de réserves » dans le rapport
OGM.
138. Un « droit assorti de réserves » dans le rapport OGM. Dans le rapport OGM, le
Groupe spécial examine la question du statut de l'article 5.7 aux fins de déterminer si
les mesures de sauvegarde nationales doivent être évaluées au titre de l'article 5.1 : il
s'agit ainsi de savoir si en cas d'insuffisance de preuves scientifiques et d'adoption
d'une mesure provisoire fondée sur l'article 5.7, cette dernière doit ou non être justifiée
par une évaluation des risques. Le Groupe spécial examine pour ce faire l'argument
des Communautés européennes selon lequel les articles 5.7 et 5.1 sont dans une
relation d'exclusion et non d'exception. D’après elles, les mesures provisoirement
justifiées sur le fondement de l’article 5.7 pour insuffisance de preuves scientifiques
ne devraient pas être soumises à l’obligation d’évaluation des risques. S’appuyant sur
la jurisprudence antérieure, le Groupe spécial utilise un raisonnement analogue à celui
lui ayant permis de consacrer le droit des États membres de choisir leur propre niveau
de protection environnemental ou sanitaire3. Il en conclut que
1 Ibid., § 80.
2 V. infra n° 139 s.
3 Le Groupe spécial s'appuie sur les rapports antérieurs de l'Organe d’appel. Il reprend le raisonnement
adopté dans l'affaire Hormones I lui ayant permis de qualifier la « disposition contenant l'autorisation » de
droit et non d'exception. Il s'agissait en l'occurrence de la relation entre les articles 3.1 et 3.3 (v. supra
150
« l'article 5.7 devrait être qualifié de droit également par rapport à l'article 5.1, et
non d'exception à une 'obligation générale' énoncée à l'article 5.1. À notre avis,
l'article 5.7 fonctionne comme une exemption assortie de réserves de l'obligation
énoncée à l'article 5.1 d'établir les mesures SPS sur la base d'une évaluation des
risques » 1
.
Le Groupe spécial précise enfin les conséquences qu'entraine une telle qualification de
l'article 5.7 de « droit assorti de réserves » 2
, et non d'exception. Premièrement, il en
déduit que l'obligation d'évaluation des risques de l'article 5.1 n'est pas applicable à la
mesure contestée, si celle-ci est compatible avec les quatre conditions cumulatives de
l'article 5.7. Deuxièmement, l'attribution de la charge de la preuve est modifiée : il
incombera au plaignant alléguant une violation au titre de l'article 5.1 d'établir prima
facie que la mesure litigieuse est incompatible avec les articles 5.1 et 5.73. Ce
raisonnement semble extrêmement favorable aux mesures protectrices de la santé et de
l’environnement. En effet, même en cas d'insuffisance de preuves scientifiques, un
Membre pourrait adopter des mesures SPS provisoires, sans que ces dernières soient
justifiées par une évaluation des risques au sens de l'article 5.1. Il incomberait alors au
plaignant de démontrer que les conditions d'application de l'article 5.7 ne sont pas
remplies. Pourtant, dans cette affaire OGM, le Groupe spécial inverse l'ordre des
étapes de son analyse, considérant que « la question juridique fondamentale » 4
réside
dans la compatibilité des mesures nationales avec l'article 5.1. Ce n'est qu'après avoir
vérifié l'incompatibilité de la mesure avec l'article 5.1 qu'il examine sa compatibilité
avec l'article 5.7. Une fois encore, le discours théorique est aussi séduisant que son
n° 122). Le Groupe spécial pour mener un raisonnement analogue, utilise les critères posés par le rapport
CE – Préférences tarifaires : pour pouvoir qualifier l'article 5.7 de droit par rapport à l'article 5.1, il faudrait
pouvoir vérifier que le premier « autorise, dans certaines circonstances, un comportement qui serait sinon
incompatible avec une obligation établie dans une autre disposition, et où l'une des deux dispositions fait
référence à l'autre disposition ». L'Organe d’appel en avait conclu que « la partie plaignante avait la
charge d'établir qu'une mesure contestée était incompatible avec la disposition autorisant un comportement
particulier seulement dans les cas où l'une des dispositions donnait à entendre que l'obligation n'était pas
applicable à la mesure en question ». Le Groupe spécial vérifie point par point que l'article 5.7 autorise
bien ce que l'article 5.1 interdit, qu'il opère des renvois implicites à l'article 5.1, et que l'obligation posée par
l'article 5:1 n'est pas applicable aux mesures relevant de l'article 5.7 : Rapport du Groupe spécial « OGM »,
§§ 7.2963 et 7.2985. 1 Rapport du Groupe spécial « OGM », §7.2997
2 Ibid., §7.2998.
3Ibid., §7.3000.
4 Ibid., §7.3006.
151
application pratique est retorse : le Groupe spécial rejette les évaluations des risques,
proposées par les États ayant adopté une mesure de sauvegarde, mais retient celle
utilisée par la Communauté européenne pour approuver la commercialisation de
certains produits biotechnologiques. Il estime ainsi dans un premier temps qu’il existe
bien une évaluation des risques au sens de l’article 5.1 de l’Accord SPS (celle ayant
motivé l’approbation au niveau communautaire), et que les mesures de sauvegarde ne
se sont pas fondées dessus. Il lui est aisé dans un second temps de vérifier que la
première condition d’application de l’article 5.7, d’insuffisance de preuves
scientifiques, n’est pas remplie, étant donné qu’il existe une évaluation des risques. Le
raisonnement frise le sophisme, puisqu’en ne retenant que les études ne concluant pas
à l’existence d’un risque, l’Organe d’appel considère qu’il existe suffisamment de
preuves scientifiques pour établir une évaluation des risques, donc que la première
condition de l’article 5.7, d’insuffisance de preuves scientifiques, n’est pas remplie1.
La consécration du droit d’adopter des mesures provisoires pour insuffisance de
preuves scientifique apparaît une fois encore plus formelle que substantielle, tendance
qui est confirmée par la jurisprudence ultérieure2. Cette évolution purement formelle
du statut de l’article 5.7 de l’Accord SPS s’accompagne d’une évolution, tout aussi
formelle, de sa principale condition d’application, l’insuffisance de preuves
scientifiques.
1 Sur ce point technique de substitution d’une absence de preuves scientifiques suffisantes en une évaluation
des risques ne concluant pas à la dangerosité d’un produit, notamment dans cette affaire OGM, v. infra
n° 216. 2 Dans l’affaire Hormones II, les Communautés européennes alléguaient le statut autonome de l’article 5.7
de l’Accord SPS pour justifier leur interdiction d’importation de viande nourrie aux hormones. Elles
avançaient en particulier cette qualification au regard de son incidence sur la charge de la preuve. Elles
soutenaient en effet que la preuve de l'incompatibilité de la directive communautaire avec l'article 5.7
incombait aux plaignants. L'Organe d’appel reconnait que le Groupe spécial a commis une erreur dans
l'attribution de la charge de la preuve, mais ne complète pas l'analyse, invoquant les failles dans le
raisonnement du Groupe spécial et la nature trop controversée des faits. Ainsi, une fois encore le discours
apparaît en décalage avec son application : Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 735.
Pour de plus amples développement sur cet usage extensif par l’Organe d’appel de ses libertés procédurales
dans cette affaire, v. infra n° 184.
152
L’évolution de la condition d’insuffisance de preuves scientifiques B.
139. Pour adopter une mesure sanitaire ou environnementale provisoirement au titre
de l’article 5.7 de l’Accord SPS, les États membres doivent justifier de l’insuffisance
de preuves scientifiques permettant d’établir l’existence d’un risque environnemental
ou sanitaire. Cette première condition d’exercice du droit d’adopter une mesure
protectrice provisoire, posée par le rapport Produits agricoles II, est d’abord apparue
restrictive dans le rapport OGM, pour être finalement formellement infléchie par
l’Organe d’appel dans son rapport Hormones II.
140. La mise en place des conditions d’application de l’article 5.7 par le rapport
Produits agricoles II. C’est dans son rapport Japon – Produits agricoles II, que
l’Organe d’appel pose pour la première fois les conditions de compatibilité d'une
mesure avec l'article 5.7 :
« un Membre peut provisoirement adopter une mesure SPS si cette mesure est
1) imposée relativement à une situation dans laquelle les informations scientifiques
pertinentes sont insuffisantes
2) adoptée ‘sur la base des renseignements pertinents disponibles’.
Conformément à la seconde phrase de l'article 5.7, une telle mesure provisoire ne peut
être maintenue que si le Membre qui a adopté la mesure
1) s'efforce d'obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une
évaluation plus objective du risque
2) examine en conséquence la mesure […] dans un délai raisonnable » 1 .
La mise en place de ces conditions paraît a priori tout à fait cohérente2. Ainsi, un État
membre qui soupçonne l’existence d’un risque pour la santé ou l’environnement, sans
pouvoir l’établir scientifiquement, peut adopter une mesure provisoire, tout en
1 Rapport de l'Organe d'appel « Japon –Produits agricoles II », § 89.
2 L’Organe d’appel a en outre précisé que « ces quatre prescription [étaient] de toute évidence cumulatives
par nature et […] d'importance égale aux fins de déterminer la compatibilité avec cette disposition » :
Rapport de l'Organe d'appel « Japon –Produits agricoles II », § 89.
153
poursuivant les études scientifiques adéquates et en réexaminant la pertinence de la
mesure. De prime abord, ce régime semble complémentaire avec le droit des États
membres de choisir leur propre niveau de protection sanitaire sur la base d’une
évaluation des risques, lorsque celui-ci est scientifiquement avéré. Pourtant, la
première de ces conditions relatives à l’insuffisance de preuves scientifiques, s’est
révélée disqualifiante dès le rapport OGM.
141. Une première condition disqualifiante dans le rapport OGM. Les mesures
candidates à la justification de l'article 5.7 ont été disqualifiées, au regard de sa
première condition, par le Groupe spécial dans son rapport OGM : les neuf mesures
nationales interdisant l'importation de certains produits génétiquement modifiés ont
été considérées comme ne remplissant pas la condition d'« insuffisance des preuves
scientifiques » 1
. Le raisonnement est d'une logique imparable, au regard de la
constatation antérieure du Groupe spécial d'une évaluation des risques (n’établissant
pas la dangerosité des produits) ayant le même objet que les mesures en cause. Il
s'agissait de l'évaluation initiale communautaire ayant fondé l'approbation
(communautaire) de l'importation des produits en cause. Le Groupe spécial avait alors
conclu à l'incompatibilité des mesures de sauvegarde nationales avec l'article 5.1, car
ces mesures n'étaient pas « basées sur » l'évaluation des risques2. La question qui se
pose est celle de la possibilité pour un Membre de prouver une insuffisance de preuve
quand une autre évaluation des risques existe qui ne le convainc pas. Pour certains,
« ce raisonnement mène à conclure à l’inapplicabilité de l’article 5.7 de l’Accord SPS
dès lors qu’il existe des évaluations des risques démontrant l’innocuité et la sécurité
de leur utilisation » 3. Si, en l'absence de risque avéré, un État ne saurait remettre en
cause une première évaluation des risques, « il n'existerait dès lors que deux situations
possibles : la complétude des savoirs ou l'absence des savoirs » 4
. Cette application
stricte faite par le Groupe spécial dans son rapport OGM est formellement infléchie
par l’Organe d’appel lors de l’affaire Hormones II.
1Rapport du Groupe spécial « OGM », §§ 7.3215 à 7.3371.
2 Ibid., §§ 7.3035 à 7.3214.
3 DUFOUR G., « Les OGM à l'OMC: résumé critique du rapport du Groupe spécial dans l'affaire CE –
Produits biotechnologiques », RQDI (Hors-série), 2007, p. 297. 4 Ibid, p. 298.
154
142. L’infléchissement formel de la condition par le rapport Hormones II. Dans son
rapport Hormones II, l’Organe d’appel infirme l’appréhension faite par le Groupe
spécial de cette condition d’« insuffisance de preuves scientifiques ». Les
Communautés européennes faisaient appel de la déclaration du Groupe spécial, selon
laquelle « il doit y avoir une masse critique de nouvelles preuves et/ou de nouveaux
renseignements qui mettent en doute les préceptes fondamentaux découlant des
connaissances et des preuves antérieures de telle sorte que les preuves pertinentes,
auparavant suffisantes, sont maintenant insuffisantes» 1
. Selon les Communautés, ce
critère imposait un « seuil quantitatif et qualitatif [excessivement] élevé »2, concernant
les nouvelles preuves requises pour rendre les anciennes « insuffisantes ». L'Organe
d’appel donne raison aux Communautés européennes, et infirme ce critère restrictif de
« masse critique de nouvelles preuves » pour infléchir la rigueur de la condition
d’insuffisance de preuves scientifiques. Il s'appuie dans un premier temps sur une de
ses déclarations antérieures posant le principe que « les 'preuves scientifiques
pertinentes' ser[aient] 'insuffisantes' au sens de l'article 5.7 si l'ensemble des preuves
scientifiques disponibles ne permet[tait] pas, sur le plan quantitatif ou qualitatif, de
procéder à une évaluation adéquate des risques telle qu'elle [était] exigée à l'article
5.1 et définie dans l'Annexe A de l'Accord SPS » 3
. Il en déduit que le critère du
Groupe spécial, de « changement de paradigme », est trop rigide : « Les Membres de
l'OMC devraient être autorisés à prendre une mesure provisoire dans les cas où de
nouvelles preuves provenant d'une source compétente et respectée mettent en question
la relation entre l'ensemble des preuves scientifiques préexistantes et les conclusions
concernant les risques » 4
. L'Organe d’appel dégage ici un nouveau critère permettant
l'application de l'article 5.7 dans les cas où il existe déjà une évaluation des risques,
celui de « circonstances où de nouvelles preuves scientifiques [qui] peuvent amener à
se demander si l'ensemble des preuves scientifiques existant précédemment permet
1 Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Hormones II », § 7.648 ; Rapport du Groupe spécial « Canada
– Hormones II », § 7.626. 2 Communication des Communautés européennes en tant qu’appelant, § 412, citée par Rapport de l'Organe
d'appel « Canada – Hormones II », § 699. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 179, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Canada
– Hormones II », § 702. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 703.
155
encore une évaluation suffisamment objective des risques »1. L’Organe d’appel semble
ici apporter une nuance sensée, en donnant la possibilité à l’État membre se méfiant
d’une étude scientifique qui n’établit pas la dangerosité d’un produit, d’adopter une
mesure provisoire sur la base d’indices suffisants. En infléchissant de la sorte
l’appréhension restrictive que le Groupe spécial affichait de la condition
d’insuffisance de preuves scientifiques, l’Organe d’appel va dans le sens de la
consécration du droit d’adopter des mesures provisoires, y compris quand les preuves
scientifiques permettant d’établir l’existence de ce risque font défaut. Pourtant, une
fois encore, cette déclaration n'est pas mise en œuvre par l'Organe qui refuse de
terminer son analyse juridique pour motifs procéduraux2. L’évolution de la condition
d’insuffisance des risques s’avère tout aussi formelle que celle concernant le statut de
l’article 5.73
. Cette évolution formelle de l’article 5.7 de l’Accord SPS s’est
accompagnée, fort logiquement, de l’insertion formelle de la notion de principe de
précaution dans le droit de l’OMC.
L'INSERTION FORMELLE DE LA NOTION DE PRINCIPE DE § 2.
PRÉCAUTION DANS LE DROIT DE L'OMC
143. Un texte reflétant la philosophie de précaution. Le texte de l’article 5.7 pose des
conditions apparemment en phase avec la philosophie de précaution4 : les membres
1 Ibid.
2 V. infra n° 189.
3 Ainsi, la règle déchargeant l’État, remplissant les conditions d’application de l’article 5.7, de l’obligation
d’évaluation des risques n’a que peu de valeur aujourd’hui. La véritable question reste relative à la
possibilité réelle pour un Membre de remplir la première condition d’« insuffisance de preuves » dans les
cas où (qui semblent être l’hypothèse systématique) une évaluation déjà existante conclut à l’absence de
risque. 4 Christine NOIVILLE a pu fort justement introduire un de ses articles en rappelant que « du principe de
précaution, tout, jusqu’au galvaudage, paraît avoir été dit sur tous les tons ». Elle n’en précise pas moins
utilement « ses racines allemandes, mêlant Vorsorgeprinzip et philosophie de Hans Jonas ; son extension
progressive du droit international aux droits communautaire et interne ; sa diffusion spectaculaire du
champ de l'environnement à celui de la santé ; sa valeur juridique, désormais acquise, au moins en droit
interne et communautaire, après que le principe eut été cantonné par ses détracteurs au rang de simple
standard politique ; sa récente inscription au fronton de la Constitution française, enfin, parfois présentée
comme l'ultime étape d'un cheminement des plus chaotiques » : « La lente maturation jurisprudentielle du
principe de précaution », in NOIVILLE C. (coord.), « Dossier sur le principe de précaution », Rec. D., 2007,
n°22, p. 1515. Pour une présentation de l’émergence de la notion de précaution en droit, v. les articles de
156
pourraient adopter des mesures provisoires dans l’optique de se prémunir contre un
risque suspecté, tout en poursuivant leurs recherches, afin d’adapter les mesures en
cause aux découvertes scientifiques. On trouve ainsi dans l’Accord SPS les principaux
ingrédients du principe de précaution : il s’agirait d’offrir aux États membres la
possibilité d’agir, en adoptant une mesure, le plus souvent restrictive pour le
commerce, lorsque la circulation d’un produit est potentiellement porteuse d’un risque
pour la santé ou l’environnement1 ; en outre, on retrouve le caractère provisoire des
mesures en cause, qui sont intrinsèquement vouées à être réadaptées2
, qu’elles
répondent à une situation d’urgence, ou à une incertitude durable3. Malgré la présence
de ces ingrédients de précaution dans le texte de l’article 5.7, les organes de règlement
des différends ont interprété cet article de manière extrêmement restrictive, jusqu’à le
vider de son essence, semblerait-il.
Le principe de précaution n'est pas expressément mentionné dans les textes des
accords de l'OMC. Les parties aux différends, mettant en cause l'article 5.7 de l'Accord
SPS, l'ont néanmoins rapidement intégré dans les discussions. La jurisprudence
environnementale et sanitaire a ainsi permis l'émergence de la notion en droit de
l'OMC4. Les organes de règlement des différends ont formellement admis que le
Gilles J. MARTIN : « Précaution et évolution du droit », Rec. D., 1995, pp. 299-306 ; et « Apparition et
définition du principe de précaution », Petites Affiches, 30 novembre 2000, pp. 7-12. 1 Selon Gilles J. MARTIN, « le principe de précaution est un principe d’action méthodologique dont le
déclenchement est soumis au constat de l’existence d’un doute légitime sur l’existence des risques » : cité
par KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution, Rapport au Premier ministre, La Documentation
française, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 145, note 224. 2 En ce sens, François OST a très tôt écrit que le principe de précaution rendait compte du « réaménagement
fondamental de notre rapport au temps », dans sa contribution « Les multiples temps du droit », in AUTRUY
J.J. et al. (dir.), Le droit et le futur, PUF, Paris, 1985, p. 122. 3 Pour ne prendre que cet exemple européen, la crise dite « de la vache folle » a tout d’abord motivé
l’adoption de mesures communautaires d’urgence afin d’enrayer l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme
bovine (embargo sur la viande provenant de Grande-Bretagne), pour les transformer en mesures de gestion
d’incertitudes sanitaires (acceptation d’importation de la viande sous certaines conditions). 4 S’il n’est pas lieu, ici, d’épuiser toutes les questions posées par le principe de précaution, il faut
néanmoins souligner que le formalisme de son émergence en droit de l’OMC se vérifie rapidement, au
regard de la pauvreté de son contenu en comparaison avec sa réalité juridique en droit de l’Union
européenne. La définition posée par l’article 7 du Règlement n°178/2002 (du Parlement européen et du
Conseil du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation
alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la
sécurité des denrées alimentaires) est suffisamment aboutie pour cerner la notion, au regard des
développements qui suivent : « 1. Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles
révèle la possibilité d'effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures
157
principe de précaution était pris en compte par le droit de l'OMC, par le biais de
l'article 5.7 de l'Accord SPS (A). Cette prise en compte reste cependant fort limitée, et
débouche finalement sur une neutralisation substantielle du principe de précaution par
le droit prétorien de l'OMC (B).
Une prise en compte formelle du principe de précaution A.
144. L’apparition de la notion de précaution dans l’affaire Hormones I. Le rapport
Hormones est le premier à mentionner le principe de précaution. Il consacre d'ailleurs
un de ses titres à la réflexion sur la pertinence de la notion dans l'interprétation de
l'Accord SPS1. Initialement, les Communautés européennes se fondaient sur l'idée
selon laquelle le principe de précaution est, sinon « une règle coutumière générale du
droit international », du moins « un principe général de droit »2. L'objectif de cette
revendication résidait dans l'interprétation des différentes dispositions de l'Accord SPS
relatives à l'évaluation des risques. L'Organe d’appel commence par réfuter ces
qualifications du principe de précaution, en s'appuyant notamment sur l'idée qu'il
faudrait que tous les Membres de l'OMC les admettent3. Il développe ensuite très
longuement un discours, signifiant la mesure dans laquelle le principe de précaution
est pris en compte par l'Accord SPS, dans un paragraphe construit en quatre étapes.
provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi
par la Communauté, peuvent être adoptées dans l'attente d'autres informations scientifiques en vue d'une
évaluation plus complète du risque. 2. Les mesures adoptées en application du paragraphe 1 sont
proportionnées et n'imposent pas plus de restrictions au commerce qu'il n'est nécessaire pour obtenir le
niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités
techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question.
Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour
la vie ou la santé et du type d'informations scientifiques nécessaires pour lever l'incertitude scientifique et
réaliser une évaluation plus complète du risque ». Pour une présentation synthétique de la notion de
principe de précaution, au regard des enjeux environnementaux, sanitaires et de sécurité alimentaire, v.
BUGNICOURT J.-P., « Principe de précaution », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.),
Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 529-533.
Pour une présentation plus générale et détaillée, v. KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution,
Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, Odile Jacob, 2000, 405 p. ; v. également
LEBEN C. et VERHOEVEN M. (dir.), Le principe de précaution. Aspects de droit international et
communautaire, Paris, éditions Panthéon-Assas, 2002. 1 « IV. La pertinence du principe de précaution dans l’interprétation de l’Accord SPS » : Rapport de
l'Organe d'appel « Hormones I », §§ 120-125. 2 Communication des CE en tant qu'appelant, § 91, cité par Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », §
121. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 123.
158
L'Organe d’appel commence par y déclarer explicitement que « le principe n'a pas été
incorporé dans l'Accord SPS comme motif justifiant des mesures SPS par ailleurs
incompatibles avec les obligations des Membres » 1
. Cette première précision éclaire
quant au refus catégorique de laisser rentrer un principe de précaution autonome dans
le droit de l'OMC2. Ceci étant posé, l'Organe d’appel admet pourtant que « le principe
de précaution est effectivement pris en compte à l'article 5.7 de l'Accord SPS » 3
.
D'après l'Organe d’appel, la prise en compte du principe de précaution ne se cantonne
pas à cette disposition et il « n'est pas nécessaire de poser en principe que l'article 5.7
est exhaustif en ce qui concerne la pertinence du principe de précaution » 4
. Au
contraire, au sein de l'Accord SPS, « [c]e principe est également pris en compte dans
le sixième alinéa du préambule et à l'article 3.3 » 5
. Le principe de précaution
transparaitrait donc dans les parties du texte, consacrant le droit des Membres d'établir
leur propre niveau approprié de protection, en dérogeant notamment aux normes
internationales préexistantes. Les deux derniers points consistent en des
recommandations aux Groupes spéciaux. Ces derniers devraient « garder à l'esprit
que les gouvernements représentatifs et conscients de leurs responsabilités agissent en
général avec prudence et précaution en ce qui concerne les risques de dommage
irréversibles, voire mortels, pour la santé des personnes ». Une telle déclaration
pourrait laisser penser que la nature des risques suspectés influe sur la question de
savoir si les preuves sont suffisantes ou non. Il n'en est pourtant rien : soit les preuves
sont suffisantes et l'évaluation des risques est obligatoire au sens de l'article 5.1, soit
elles sont insuffisantes et l'article 5.7 est susceptible de s'appliquer. « Enfin, le principe
de précaution ne dispense pas, toutefois, en soi et sans une directive explicite et claire
dans ce sens, le groupe spécial de l'obligation d'appliquer les principes normaux
(c'est-à-dire de droit international coutumier) de l'interprétation des traités pour
interpréter les dispositions de l'Accord SPS » 6
. La boucle est bouclée. Certes, on
1 Ibid., § 124.
2 Pour de plus amples développements sur le refus d’autonomie du principe de précaution en droit de
l’OMC, v. infra n° 369 s. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 124.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Ibid.
159
retrouve ici et là des éléments du principe de précaution. Pour autant, celui-ci
n'influera pas sur l'interprétation des dispositions de l'Accord SPS. Si principe de
précaution il y a, ce ne peut être que dans la mesure des limites déjà posées par les
textes, et les organes de règlement des différends ne sauraient les repousser. Dans
quelle mesure vérifie-t-on une quelconque incidence du principe de précaution sur
l'article 5.7, et notamment sur l'interprétation de ses conditions d'application, dont la
réunion n’a, jusqu’alors, jamais été possible ?
145. Une prise en compte substantielle ? L’Organe d’appel, avec une telle déclaration,
prétend que le droit de l’OMC peut admettre l’adoption de mesures de précaution par
ses Membres, même sans le reconnaître comme un principe autonome de droit
international. C’est dans ce même esprit qu’il annoncera plus tard qu'« [i]l faut
toutefois interpréter ces quatre conditions énoncées à l’article 5.7 SPS en gardant à
l’esprit que le principe de précaution transparait dans cette disposition »1. Certains
observateurs adhèrent ainsi à cette idée, selon laquelle, en reconnaissant l’importance
du droit des États membres d’autodéterminer leur propre niveau de protection, les
organes de règlement des différends reconnaissent également le droit d’adopter des
mesures de précaution2. Notant que les organes de règlement des différends ne
sauraient définir ce qu’est, ou devrait être, le principe de précaution en droit
international général, ils estiment néanmoins que la pratique des États membres et la
jurisprudence de l’OMC peuvent participer à l’émergence, pratique et théorique, d’un
principe de précaution3. Si ces perspectives sont certes souhaitables, elles nous
paraissent peut-être trop optimistes. Et si les organes de règlement des différends
n’avaient laissé émerger la notion, qu’aux fins de mieux la neutraliser ?
1 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 680.
2 GRADONI L. et RUIZ-FABRI H., « Droit de l’OMC et précaution à la lumière de l’affaire des ‘OGM’ », Rec.
D., 2007, p. 1532. 3 MARCEAU G., « Le principe de précaution dans la jurisprudence de l'OMC - Leçon inaugurale »,
Université de Genève, Faculté de droit, EcoLomic Policy and Law, 2005, n° 3, p. 1-20.
160
Une neutralisation substantielle du principe de précaution ? B.
146. La prise en compte formelle du principe de précaution ne doit pas occulter le
refus des organes de règlement des différends de lui accorder une autonomie dans le
droit de l’OMC. Certes, ce refus eut pu n’être qu’accessoire, si le droit d’adopter des
mesures de précaution s’était déduit du droit qu’ont les États membres d’adopter des
mesures provisoires dans les cas d’insuffisance de preuves scientifiques1. Tel n’est
néanmoins pas le cas, d’après nous, au regard du refus des organes de règlement des
différends de prendre en compte l’incertitude scientifique dans leur interprétation de
l’article 5.7. Dès lors, les organes de règlement des différends ont réduit cette
disposition à la simple faculté pour les États membres d’adopter des mesures de
prévention, si bien qu’on est en droit de se demander s’ils n’ont pas substantiellement
neutralisé le principe de précaution.
147. Le refus d’autonomie du principe de précaution. Dans l'affaire Hormones, tout
en reconnaissant une certaine prise en compte du principe de précaution par certaines
dispositions de l'Accord SPS, l'Organe d’appel se refuse à reconnaître un quelconque
statut à ce principe au niveau international, qui serait susceptible de transcender le
droit de l'OMC. Il estime alors « qu'il est superflu, et probablement imprudent, que
l'Organe d'appel prenne position dans le présent appel au sujet de cette question
importante, mais abstraite » 2
. Afin d'asseoir la légitimité de son silence, il souligne
l'incertitude du statut du principe en précisant que selon lui « le principe de précaution,
du moins en dehors du droit international de l'environnement, n’a pas encore fait
l’objet d’une formulation faisant autorité »3. Le Groupe spécial, dans son rapport
OGM, reprend ces constatations mots pour mots pour refuser de se prononcer sur
l'existence d'un principe de précaution autonome4. Ce refus d’autonomie ne peut que
s’analyser comme le refus de laisser le droit de l’OMC être influencé par un tel
élément exogène, qui viendrait perturber la mainmise du droit du commerce
1 V. en ce sens GRADONI L. et RUIZ-FABRI H., « Droit de l’OMC et précaution à la lumière de l’affaire des
‘OGM’ », op. cit., p. 1532. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 123.
3 Ibid.
4Rapport du Groupe spécial « OGM », § 7.3220.
161
international sur certaines mesures environnementales et sanitaires1
. Refuser
l’autonomie du principe en droit international, mais affirmer qu’il transpire des
dispositions des accords OMC, ne revient-il pas à le neutraliser substantiellement ? Il
semblerait qu’il faille répondre par la positive à cette question, puisque les organes de
règlement des différends refusent de prendre en compte l’incertitude scientifique, qui
se situe pourtant au cœur du principe de précaution.
148. Le refus de prendre en compte l’incertitude scientifique. Malgré les évolutions
jurisprudentielles apparentes, tendant à faire de l’article 5.7 un droit autonome et
assouplissant ses conditions d’application, les organes de règlement des différends
neutralisent en réalité le principe de précaution en refusant de prendre en compte
l’incertitude scientifique. L’Organe d’appel a en effet tenu à souligner la dichotomie
qu’il fait entre les deux notions d’« insuffisance de preuves scientifiques » et
d’« incertitude scientifique »2
: d’après lui, ces deux notions « ne sont pas
interchangeables »3. Il a dès lors refusé d’interpréter l’article 5.7 « à travers le prisme
de l’incertitude scientifique »4. Bien que le contenu et la valeur du principe de
précaution restent mouvants dans les différents ordres juridiques dans lesquels il
s’inscrit, du moins son essence première subsiste : son introduction dans le droit
positif traduit « la prise en compte par le droit de l’incertitude scientifique »5. En
refusant de prendre en compte l’incertitude scientifique, les organes de règlement des
différends éludent le défi majeur que pose le principe de précaution, la gestion du
doute. Alors que le principe de précaution utilise les données scientifiques pour mieux
1 Contra v. NOIVILLE C., « Principe de précaution et OMC. Le cas du commerce alimentaire », JDI, 2000,
p. 263 ; RUIZ FABRI H., « La prise en compte du principe de précaution par l'OMC », Rev. jur. envir., 2000,
n° spécial, p. 55 ; MARCEAU G., « Le principe de précaution et les règles de l'OMC », in LEBEN C. et
VERHOEVEN J. (dir.), Le principe de précaution. Aspects de droit international et communautaire, Ed.
Panthéon-Assas, 2002, pp. 131-149 ; GRADONI L. et RUIZ-FABRI H., « Droit de l’OMC et précaution à la
lumière de l’affaire des ‘OGM’ », Rec. D., 2007, p. 1532. Concernant la prise en compte par les organes de
règlement des différends des instruments juridiques internationaux consacrant le principe de précaution, v.
infra n° 369 s. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 184.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 BOY L., « La référence au principe de précaution et l’émergence de nouveaux modes de régulation »,
Petites affiches, n° 4, 1997, p. 4. C’est cette même idée selon laquelle « l’absence de certitude […] ne doit
pas retarder l’adoption de mesures […] visant à prévenir un risque de dommage graves et irréversibles »
qu’on retrouve en droit interne : Extraits de l’article 1er
de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au
renforcement de la protection de l’environnement (JO 3 février, p. 1840 ; D. et ALD 1995).
162
mettre le doute en lumière, les organes de règlement des différends stagnent dans un
raisonnement binaire : si la science ne sait établir la dangerosité d’un produit, ils en
déduisent son innocuité1 ! Quand le droit utilise de la sorte la science comme vérité
absolue, il en fait « une puissance entièrement dépourvue de modestie », prétendant
incarner « la voix incolore de la réalité »2. Dans de tels cas de figure, le droit devient
alors l’« impossible greffier » de la vérité scientifique3. Pourtant, aujourd’hui, le défi
consiste au contraire à reconnaître le caractère contestable de la vérité scientifique. La
consécration du principe de précaution dans certains ordres juridiques, européen et
internes notamment, traduit en droit la révolution de la pensée scientifique admettant
l’incertitude de certains risques4. Il s’agit ainsi désormais de rendre au droit, et
notamment à la procédure, son rôle régulateur, « dans la pesée des intérêts et des
points de vue concurrents »5. Là encore, le droit de l’OMC paraît avoir pris bien du
retard sur son temps, en considérant que le risque est toujours avéré et probabilisable,
et en refusant de prendre en compte l’incertitude scientifique6. L’interprétation par les
organes de règlement des différends de l’article 5.7 cantonne ainsi les mesures SPS à
1 Pour être plus exact, précisons que les organes de règlement des différends semblent reconnaître la
faillibilité de la science, mais sans accepter qu’elle légitime une mesure restrictive pour le commerce. Au
contraire, ils n’invoquent cette incertitude que pour souligner que « la science ne peut jamais fournir de
certitude absolue en ce qui concerne l'innocuité d'une substance donnée ». L’incertitude scientifique n’est
prise en compte que pour souligner qu’elle ne doit pas empêcher les États d’établir des évaluations des
risques, non pour admettre des restrictions provisoires au commerce international. L’intégralité du
paragraphe est ainsi rédigée : « l'existence d'une incertitude scientifique n'équivaut pas automatiquement à
une situation d'insuffisance des preuves scientifiques pertinentes. En d'autres termes, le fait qu'un certain
nombre d'aspects d'une question scientifique donnée demeurent incertains ne peut pas empêcher qu'une
évaluation des risques soit effectuée. Tout d'abord, nous devrions exclure l'incertitude théorique, à savoir
l'incertitude qui subsiste toujours, du fait que la science ne peut jamais fournir de certitude absolue en ce
qui concerne l'innocuité d'une substance donnée. Dans l'affaire CE – Hormones, le Groupe spécial et
l'Organe d'appel sont tous deux convenus que l'incertitude théorique n'était pas le genre de risque qui
devait être évalué dans le cadre de l'article 5.1. De l'avis du Groupe spécial, l'incertitude théorique ne
devrait donc pas non plus déterminer l'applicabilité de l'article 5.7 » : Rapport du Groupe spécial
« États-Unis –Hormones II », § 7.631. 2 GUTWIRTH S., « Sciences et Droit de l’environnement : quel dialogue ? », in GUTWIRTH S. et OST F., Quel
avenir pour le Droit de l’environnement ?, Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1996, p. 23. 3 MARTIN G. J., « La ‘vérité’ scientifique à l’épreuve du droit », in SUEUR J.-J. (dir.), Le faux, le droit et le
juste, Bruylant, 2009, pp. 15-25. 4 En droit français, le principe de précaution est consacré dans l’article L.110-1 du Code de l’environnement,
et également visé à l’article 5 de la Charte de l’environnement. V. notamment MARTIN G. J., « Apparition
et définition du principe de précaution », Petites Affiches, 30 novembre 2000, pp. 7-12. 5 MARTIN G. J., « La ‘vérité’ scientifique à l’épreuve du droit », op. cit., p. 25.
6 Concernant l’incidence sur la charge probatoire incombant à un État auteur de mesures environnementales
ou sanitaires du refus de prendre en compte l’incertitude scientifique, v. infra n° 264 s.
163
une approche de prévention, qui ne présente aucune plus-value par rapport au régime
général.
149. Une interprétation cantonnant les mesures SPS à une approche de prévention.
La distinction entre risqué potentiel et risqué avéré fonde la distinction parallèle entre
précaution et prévention : « la prévention est relative à des risques potentiels et la
prévention à des risques avérés »1. En refusant de prendre en compte l’incertitude
scientifique, de lui faire produire des effets juridiques en droit de l’OMC, les organes
de règlement des différends cantonnent les mesures SPS à une pure approche de
prévention. Cette régression est fâcheuse, car le principe de précaution est notamment
issu des failles de l’approche de prévention2. Les juges prétendent ainsi prendre
formellement en compte le principe de précaution, mais pour le neutraliser en le
réduisant à un simple principe de prévention dans le droit de l’OMC. L’article 5.7 ne
représente dès lors aucunement une alternative au régime général des mesures SPS : le
risque doit être scientifiquement avéré. Si l’incertitude subsiste, les organes de
règlement des différends concluront à l’innocuité du produit. L’établissement de la
certitude d’un risque sanitaire reste en réalité le seul arbitre du libre-échange3. L'article
5.7 se réapproprie le principe de précaution et tend à harmoniser au niveau
international le contenu qu'il autorise4. L’établissement de ce lien entre le principe de
précaution et l’article 5.7 semble en fait relever de la neutralisation, en ce que les
organes de règlement des différends se réapproprient ce principe, et en diffusent une
1 KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution, Rapport au Premier ministre, La Documentation
française, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 18. 2« Faute de considérer que les risques sont bien maîtrisés dans le processus normal de la prévention – ce
que les affaires de la vache folle et du poulet à la dioxine ont récemment accrédité – l’opinion réclame
donc qu’ils soient évités plus en amont de la décision » : ibid., p. 23. 3 Christine NOIVILLE met notamment en lumière la place qu’occupent les « autres facteurs légitimes »
(modèle culturel, préférence des consommateurs, considérations éthiques, etc.) dans une approche de
précaution. L’auteure est, selon nous, trop optimiste concernant les perspectives de prise en compte de ces
« autres facteurs légitimes » par les organes de règlement des différends : v. son article, « Principe de
précaution et Organisation mondiale du commerce : le cas de commerce alimentaire », JDI, 2002/2, spéc.
pp. 286-297. 4 BOY L. et al., « La mise en œuvre du principe de précaution dans l'Accord SPS de l'OMC- Les
enseignements des différends commerciaux », Revue économique, 2003/6 Vol. 54, p. 1298.
164
version « taillée sur mesure » pour répondre aux intérêts du commerce international et
aux besoins des marchés internationaux1.
150. Un point d’interrogation. Comme le montre le décalage récurrent entre le
discours et la pratique des organes de règlement des différends, une consécration
formelle peut dissimuler une neutralisation substantielle : les indices évoqués laissent
penser que le principe de précaution, tel qu’il est cantonné, ne permettra pas
d’infléchir si peu que ce soit le fonctionnement du commerce international.
L'hypothèse, d’une telle neutralisation substantielle du principe de précaution, ne peut
être posée à ce stade de l’analyse qu’avec un point d’interrogation. Pour la transformer
en affirmation, il faudra tout d’abord vérifier que les exceptions environnementales et
sanitaires ne sont pas effectivement mises en œuvre2, que les règles probatoires
traduisent le refus d’une approche de précaution3, et que le refus d’autonomie du
principe de précaution n’est que le reflet du refus de l’effectivité du droit international
permettant de protéger la santé et l’environnement dans le droit de l’OMC4. L’enjeu
est pourtant de taille, au regard des liens qu’entretiennent principe de précaution et
intérêt général5, et des capacités de régulation qu’ils induisent
6. Une neutralisation
substantielle du principe de précaution correspondrait dès lors au refus des organes de
règlement des différends de se faire les gardiens réels de l’équilibre entre valeurs
commerciales et non-commerciales.
1 V. l’analyse de l’affaire OGM, dans ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I.,
« Chronique du règlement des différends de l'OMC (2006-2008) », RIDE, 2008/3, t. XXII, 3, p. 376. 2 V. infra n° 153 s.
3 V. infra n° 264 et 265.
4 V. infra n° 369 à 371.
5 « En effet, le principe de précaution peut être de nature à nourrir le concept d’intérêt général qui servira
à fonder en droit une autorisation ou un refus d’autorisation » : MARTIN G.J., « Précaution et évolution du
droit », op. cit., p. 302. 6 Sur ce point particulier, v. BOY L., « La référence au principe de précaution et l’émergence de nouveaux
modes de régulation », op. cit., pp. 4-8.
165
151. Conclusion du Chapitre 2. En opérant un glissement jurisprudentiel des
questions environnementales et sanitaires de l’Accord général vers les Accords SPS et
OTC, les organes de règlement des différends ont accentué leur apparente prise en
compte de la protection de la santé et de l’environnement. Formellement, leurs
rapports SPS et OTC affichent la consécration, non pas d’exceptions à la marge, mais
de droits autonomes intégrés au droit de l’OMC. Leurs rapports présentent ainsi une
consécration formelle du droit des États membres de choisir leur propre niveau de
protection sanitaire et environnemental, et de son droit dérivé d’adopter des mesures
provisoires en cas d’insuffisance de preuves scientifiques. Les organes de règlement
des différends ont ainsi formellement consacré l’autonomie du droit des États
membres de choisir leur propre niveau de protection environnementale et sanitaire, sur
le fondement de l’Accord SPS, dès son rapport Hormones I. Ils ont ensuite adopté des
raisonnements analogues pour consacrer le droit des États membres d’adopter des
règlements techniques, poursuivant un objectif légitime, sur le fondement de l’Accord
OTC. L’autonomie de ces droits a alors été présentée comme particulièrement
avantageuse, en ce qui concerne la charge de la preuve, pour les États auteurs de
mesures protectrices de la santé et de l’environnement. Les organes de règlement des
différends ont poursuivi la consécration formelle de ces « droits autonomes », en
prétendant assouplir leurs conditions d’exercice. Les aménagements apparents
concernant la condition d’évaluation des risques pour adopter une mesure SPS,
témoignent de cette volonté d’afficher une plus grande flexibilité de ces conditions. En
outre, les organes de règlement des différends ont complété ce droit des États
membres d’autodéterminer leur propre niveau de protection, en consacrant leur droit
d’adopter des mesures environnementales et sanitaires provisoires en cas
d’insuffisance de preuves scientifiques. Faisant évoluer à la fois le statut et les
conditions d’application de l’article 5.7 de l’Accord SPS, sur le fondement duquel de
telles mesures provisoires peuvent être adoptées, ils ont formellement inséré la notion
de principe de précaution dans le droit de l’OMC. Ces évolutions formelles sont
indéniables, mais font naître des interrogations sur la réalité substantielle de leur mise
en œuvre. Car si les organes de règlement des différends ont multiplié les déclarations
de principe audacieuses, ils n’ont en pratique légitimé aucune des mesures
environnementales et sanitaires litigieuses.
166
167
152. Conclusion du Titre I. Formellement, les organes de règlement des différends de
l’OMC semblent faires leurs la protection de l’environnement et de la santé. Ils ont
effectivement consacré les exceptions environnementales et sanitaires dans deux
affaires principales, en légitimant les mesures en cause sur le fondement des
exceptions générales du GATT. Ces décisions Amiante et Crevettes, si elles mettent
indéniablement en œuvre les exceptions environnementales et sanitaires au titre de
l’article XX du GATT, ne sont néanmoins pas dénuées d’ambiguïté. Les faits d’espèce
de l’affaire Amiante ont tout du cas d’école, facilement justifiable, y compris par un
droit commercial peu flexible. La consécration de l’exception sanitaire semble par là
même avoir été faite à peu de frais. La décision Crevettes semble, quant à elle,
essentiellement motivée par la volonté de clore une affaire longue et politiquement
sensible : pour faire jouer, au bout du compte, l’exception environnementale, les
organes de règlement des différends ont dû s’écarter de l’interprétation restrictive
qu’ils avaient posée dans l’affaire Essence. L’analyse de ces affaires semble bien
révéler que les très rares mises en œuvre effectives des exceptions environnementales
et sanitaires résultent moins d’une ouverture et d’une flexibilité qu’aurait acquise le
droit commercial traditionnel, que de la volonté ponctuelle d’organes enclins, dans
certains cas d’espèces, à légitimer ces mesures. Dans le même temps cependant, les
organes de règlement des différends ont semblé confirmer leur volonté d’intégrer les
préoccupations environnementales et sanitaires au jeu du commerce international en
consacrant, non de simples exceptions, mais des « droits autonomes » relatifs à la
marge de manœuvre règlementaire des États membres, sur le fondement des Accords
OTC et SPS. Ils ont ainsi multiplié les déclarations de principe audacieuses, en
consacrant formellement le droit des États membres de choisir leur propre niveau de
protection sanitaire et environnemental, et ce, notamment en cas d’insuffisance de
preuve scientifique. Cette consécration est présentée dans les rapports de telle manière
que la notion même de principe de précaution semble trouver sa place à côté des
principes de libre-échange du droit du commerce international. Pourtant, cette
consécration apparente apparaît en décalage avec l’application pratique aux cas
d’espèce. Il ne semble ainsi pas anodin qu’aucune mesure environnementale ou
sanitaire, tranchée au regard des Accords SPS et OTC, n’ait trouvé grâce aux yeux des
organes de règlement des différends. La consécration formelle de ces exceptions
n’aurait-elle comme pendant que son ineffectivité substantielle ?
168
169
TITRE II
L’INEFFECTIVITÉ SUBSTANTIELLE DES EXCEPTIONS DANS
LA JURISPRUDENCE DE L’OMC
153. Le constat d’un décalage. Les conclusions d’incompatibilité de la totalité des
mesures environnementales et sanitaires, en dehors des affaires Crevettes et Amiante1,
conduisent nécessairement à interroger la substance de la jurisprudence, apparemment
régulatrice2, rendue par les organes de règlement des différends. Bien que ces derniers
consacrent formellement les exceptions environnementales et sanitaires, celles-ci
semblent bel et bien substantiellement ineffectives. Il s’agit dès lors de cerner les
raisonnements qui marquent le point de rupture entre la déclaration théorique et leur
absence de mise en œuvre effective, de mettre en lumière ce décalage, voire ce
malaise, en admettant dans un premier temps que celui-ci n’est que conjoncturel3. Les
développements qui suivent permettent ainsi de dégager, point encore les causes, mais
plutôt les symptômes, de l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires
devant les organes de règlement des différends. Comment les organes de règlement
des différends parviennent-ils à conclure à l’incompatibilité des mesures
environnementales et sanitaires, malgré la consécration formelle de ces exceptions ?
154. Une ineffectivité entre le fait et le droit. L’ineffectivité des exceptions, loin
d’être proclamée, semble plus insidieuse. Au gré des rapports et des faits d’espèce, les
organes de règlement des différends invoquent un ensemble d’éléments hétérogènes
pour conclure à l’incompatibilité des mesures litigieuses. Ainsi, l’étude des raisons
affichées de l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires permet de
dégager des éléments de deux ordres : d’espèce et de droit. Les organes de règlement
des différends présentent l’ineffectivité des exceptions comme étant avant tout fondée
1 V. supra n° 29 s.
2 V. supra n° 27 s.
3 La démonstration d’une ineffectivité en réalité systémique des exceptions environnementales et sanitaires
devant les organes de règlement des différends de l’OMC est l’objet de la Seconde Partie de la thèse. V.
infra n° 236 s.
170
sur les faits d’espèce des différends (CHAPITRE 1). En droit, cette ineffectivité
conjoncturelle semble pourtant généralisée sur le fondement des Accords SPS et OTC
(CHAPITRE 2).
171
CHAPITRE 1.
UNE INEFFECTIVITÉ FONDÉE SUR LES FAITS DES ESPÈCES DES
DIFFÉRENDS
155. Le maintien d’incertitudes matérielles et procédurales. L’ineffectivité empirique
du jeu des exceptions environnementales et sanitaire étant avérée et non contestable,
elle est néanmoins l’objet d’un discours la présentant comme le résultat du hasard de
la conjoncture. Autrement dit, les organes de règlement des différends utilisent les
circonstances particulières de chaque espèce pour justifier l’ineffectivité casuistique
des exceptions. Les faits semblent dans ces rapports servir d’écran au droit. La mise en
lumière de l’entretien d’un dogme casuistique permet de rendre compte du maintien de
zones d’ombre, s’apparentant à autant de zones de non-droit1. L’incertitude semble
effectivement entretenue pour laisser primer les principes de libre échange. Qu’elle
soit matérielle ou procédurale, l’incertitude apparaît comme une faille permettant
d’échapper à l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
156. L’intérêt commercial à entretenir l’incertitude. Les rapports se présentent ainsi
souvent de telle manière, qu’à une déclaration de principe audacieuse consacrant
formellement les exceptions environnementales et sanitaires, succède l’exposition
d’une incertitude, de fait ou de droit, qui motive le refus de mettre en œuvre
l’exception. Ainsi, les juges adoptent un discours apparemment irréprochables en droit,
et opposent à sa mise en œuvre une donnée conjoncturelle, qui paraît bien utile.
1 Le Doyen CARBONNIER écrivait ainsi que « le non-droit, s’il faut en donner une première approximation,
est l’absence du droit dans un certain nombre de rapports humains où le droit aurait eu vocation théorique
à être présente » : CARBONNIER J., Flexible droit, 10e éd., LGDJ, Paris, pp. 25-26. « Mais entendons-nous
bien sur le non-droit : ce n'est pas le néant, pas même le chaos. L'hypothèse est que, si le droit est écarté, le
terrain sera occupé, est peut-être même déjà occupé d'avance, par d'autres systèmes de régulation sociale,
la religion, la morale, les mœurs, l'amitié, l'habitude. Mais ce n'est plus du droit » : CARBONNIER J., Essais
sur les Lois, Defrénois, 1995, p. 320. En l’occurrence, l’hypothèse est qu’en maintenant des incertitudes
juridiques, les organes de règlement des différends ont le loisir de se laisser guider par les seules valeurs
commerciales. Contra l’hypothèse du non-droit, v. SÉRIAUX A., « Question controversée : la théorie du
non-droit », RRJ, 1995, p. 13 , et DOUCHY M., « La notion de non-droit », RRJ, 1992, p. 433. Plus
récemment, cette hypothèse a été reprise pour l’appliquer au phénomène contemporain des systèmes
d’échanges locaux : LIBCHABER R., « Actualité du non-droit : les systèmes d'échanges locaux », RTD civ.,
1998, pp. 800 s ; v. également HO DINH A.-M., « Le ‘vide juridique’ et le ‘besoin de loi’. pour un recours à
l'hypothèse du non-droit. », L'Année sociologique, 2/2007, (Vol. 57) , p. 419-453.
172
L’entretien d’un mythe conjoncturel de l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires endosse deux fonctions dans les rapports : il permet
d’abord de nier le caractère systémique de l’ineffectivité, et en outre d’entretenir une
large marge de manœuvre, de laquelle les organes de règlement des différends peuvent
librement disposer. Cette dernière ne serait-elle pas au service d’une politique
jurisprudentielle de prépondérance des principes du libre-échange, au détriment des
exceptions environnementales et sanitaires ?
S’observe ainsi un rapport dialectique, entre les apparentes incertitudes juridiques et
leur incidence conjoncturelle, menant à une ineffectivité substantielle des exceptions
environnementales et sanitaires. Les organes de règlement des différends peuvent ainsi
adopter le discours du hasard conjoncturel, en entretenant des incertitudes tant
matérielles (SECTION 1) que procédurales (SECTION 2).
SECTION 1. LES INCERTITUDES MATÉRIELLES ENTRAINANT UNE
INEFFECTIVITÉ CONJONCTURELLE
157. Le décalage entre le pragmatisme affiché et la portée effective des solutions.
Les organes de règlement des différends éludent la question de la mise en place d’une
jurisprudence, autrement dit de leur habitude de juger dans un sens et de l’autorité
d’une telle habitude. Ils entretiennent au contraire un dogme casuistique en rendant
des rapports aux décisions prudentes et pragmatiques (§1). Ce dogme casuistique
entretient un certain nombre d’incertitudes matérielles1, concourant par exemple à la
mise en place implicite de présomptions d’incompatibilité des mesures litigieuses avec
le droit de l’OMC, qui apparaissent comme les derniers garde-fous d’un système, dont
l’objet est avant tout de préserver le libre-échange (§2).
1
Nous entendons ces termes d’« incertitudes matérielles » en opposition à celui d’« incertitudes
procédurales » développées infra, c’est-à-dire qui touchent au droit substantiel.
173
L’ENTRETIEN D’UN DOGME CASUISTIQUE § 1.
158. La vulnérabilité des cas d’espèce face au flou des énoncés juridiques. Le
contenu des règles de droit applicables aux réglementations environnementales et
sanitaires reste flou dans bien des cas. En particulier, l’interprétation des dispositions
des textes de l’OMC, aménageant des possibilités de protection environnementale ou
sanitaire, est rarement tranchée. Les organes de règlement des différends restent
prudents, en prenant garde à ne pas énoncer de règles générales, qui risqueraient de
trop les engager. Par là même, le système de règlement des différends pâtit de la
faiblesse des raisonnements et des conclusions rendues, desservant son objectif de
sécurité et de prévisibilité juridique1
. Les organes de règlement des différends
cultivent pourtant ce dogme casuistique, en limitant formellement la portée juridique
des solutions rendues (A), entretenant par là même des incertitudes matérielles
variables selon les cas d’espèce (B).
La limitation de la portée juridique des solutions A.
159. L’objectif pragmatique du système de règlement des différends. L’objectif du
système de règlement des différends n’est pas tant de dire le droit, que de régler
effectivement les litiges pour lesquels il est saisi. L’Organe d’appel a ainsi déclaré
dans son rapport États-Unis – Chemisiers, que le « but fondamental » du règlement
des différends dans le cadre de l'OMC est de « régler les différends » 2
. Il cite en
1 Le système de règlement des différends poursuit pourtant cet objectif de sécurité et de prévisibilité
juridique. Celui-ci est par exemple explicitement mentionné à l’article 3.2 du Mémorandum d’accord : « Le
système de règlement des différends de l'OMC est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la
prévisibilité du système commercial multilatéral. Les Membres reconnaissent qu'il a pour objet de
préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des accords visés, et de clarifier les
dispositions existantes de ces accords conformément aux règles coutumières d'interprétation du droit
international public. Les recommandations et décisions de l'ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les
droits et obligations énoncés dans les accords visés ». 2 Rapport de l’Organe d’appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d’Inde (« États-Unis – Chemises »), WT/DS33/AB/R, adopté le 3
mai 1997, p. 22.
174
premier lieu l’article 3.4 du Mémorandum d’Accord1
, indiquant que les
recommandations formulées par les organes de règlement des différends visent à
régler le litige conformément aux droits et obligations des accords visés. Il reprend
ensuite l’article 3.2 du Mémorandum d’Accord2
, qui ne saurait, d’après lui,
« encourager ni les groupes spéciaux ni l'Organe d'appel à ‘légiférer’ en clarifiant les
dispositions existantes de l'Accord sur l'OMC hors du contexte du règlement d'un
différend particulier » 3
. Il nie par là même endosser une quelconque fonction
normative. L’Organe d’appel affermit son souci pragmatique en rappelant le principe
d’économie jurisprudentielle.
160. Le principe d’économie jurisprudentielle. L’Organe d’appel ajoute en outre
qu’« un groupe spécial ne doit traiter que les allégations qui doivent l'être pour
résoudre la question en cause dans le différend » 4
. Outre la remise en question de la
possibilité de constructions de réelles lignes jurisprudentielles, l’Organe d’appel
souligne le rôle, voire l’importance, du principe d’économie jurisprudentielle. Ce
principe illustre bien le pragmatisme officiel du système de règlement des différends :
le but n’est pas de dire le droit gratuitement par pure pédagogie, mais de trancher un
litige particulier. L’Organe d’appel souligne néanmoins l’importance d’arriver à une
réelle résolution du différend en cause, en préconisant un usage raisonné du principe
d’économie jurisprudentiel. Il ne s’agit ainsi pas d’éluder des questions nécessaires à
la résolution du litige. Par exemple, dans son rapport Australie – Saumons, l’Organe
d’appel infirme l’application que fait le Groupe spécial du principe d’économie
jurisprudentielle, en rappelant que le but du système de règlement des différends est de
régler la question en cause et « d’arriver à une solution positive du différend » 5
. Il
1 Article 3.4 du Mémorandum d’accord : « En formulant ses recommandations ou en statuant sur la
question, l'ORD visera à la régler de manière satisfaisante conformément aux droits et obligations
résultant du présent mémorandum d'accord et des accords visés ». 2 Article 3.2 du Mémorandum d’accord : « Le système de règlement des différends de l'OMC est un élément
essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. Les Membres
reconnaissent qu'il a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des
accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles
coutumières d'interprétation du droit international public. Les recommandations et décisions de l'ORD ne
peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés ». 3 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis – Chemises », p. 22.
4 Ibid., p. 22.
5 Article 3.7 du Mémorandum d’accord.
175
met en garde contre l’écueil de ne finalement régler que partiellement la question en
cause. Il préconise ainsi un examen de toutes les allégations, au sujet desquelles il est
nécessaire d’établir une constatation, pour pouvoir faire des recommandations et
prendre des décisions suffisamment précises, « pour que les différends soient résolus
efficacement dans l’intérêt de tous les Membres »1. L’Organe d’appel esquisse ici un
schéma d’équilibre pragmatique, entre le strict règlement du seul litige en cause, et la
résolution de l’ensemble des questions nécessaires à la résolution de ce litige. Ce
faisant, il nie la véritable action normative des organes de règlement des différends.
161. Le déni par les organes de règlement des différends de leur action normative.
Certes, l’article 3.2 du Mémorandum d’Accord indique que « les recommandations et
décisions de l’ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations
énoncés dans les accords visés ». Pourtant les observateurs s’accordent à dénoncer la
fiction du mythe du juge comme (simple) bouche de la loi, en ce qui concerne les
décisions prises par les organes de règlement des différends de l’OMC2. Au contraire,
c’est bien une véritable action normative qu’assurent les organes de règlement des
différends en clarifiant les accords visés3. De cette action normative se dégage
d’ailleurs une véritable tendance jurisprudentielle. Formellement, le principe
d’autorité de la chose jugée est exclu, et l’effet précédentiel limité4. En effet, la
décision rendue par les organes de règlement des différends ne vaut en principe que
pour le litige pour lequel ils sont saisis. La portée des solutions va pourtant au-delà en
pratique5, les organes de règlement des différends se référant systématiquement aux
décisions antérieures. Clôturant un ancien débat, les observateurs de ce système
n’hésitent plus à qualifier l’ensemble des décisions des organes de règlement des
1 Rapport de l’Organe d’appel « Australie - Saumons », § 223, citant l’article 21.1 du Mémorandum
d’accord. 2 CULOT H., «Soft Law et droit de l’OMC», RIDE, 2005/3 t. XIX, 3, p. 258, se référant à DAS B.L., The
WTO and the Multilateral Trading System – Past, Present and Future, Penang, Third World Network,
Londres, Zed Books, 2003, pp. 97 s. 3 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit », in KAHN P. (Mélanges en l’honneur de), Paris, Litec, 2000, pp. 303-334. 4 V. CHUA A., “The precedential effect of the WTO Panel and Appelate Body Reports”, Leiden Journal of
International Law, 1998, pp. 45-61 5 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit », op. cit., p. 323.
176
différends de jurisprudence1. Concernant les différends environnementaux et sanitaires,
qu’il s’agisse de la consécration formelle des exceptions, ou de leur ineffectivité
substantielle, l’ensemble des décisions forme bien un tout homogène s’apparentant à
une véritable jurisprudence. Le déni, par les organes de règlement des différends, de
leur fonction normative, leur permet d’entretenir certaines incertitudes matérielles,
donc de se ménager une marge de manœuvre confortable dans les affaires
environnementales et sanitaires. Ils entretiennent ainsi nombre d’incertitudes
matérielles qui rendent les différents cas d’espèce vulnérables.
L’entretien d’incertitudes matérielles variables selon les circonstances de B.
l’espèce
162. Une approche casuistique entre flexibilité et insécurité. Les organes de
règlement des différends cultivent une approche casuistique des règles relatives aux
exceptions environnementales et sanitaires. S’agit-il d’une flexibilité théorique,
permettant a priori de prendre en compte les circonstances particulières de chaque cas
d’espèce ? Ou cette marge de manœuvre ne profite-t-elle pas surtout à l’autonomie des
organes de règlement des différends, qui adopteraient une politique jurisprudentielle
portée par la seule valeur commerciale ? C’est ainsi que le contenu de nombreuses
règles décisives dans les litiges environnementaux et sanitaires reste incertain. On
relèvera les incertitudes matérielles2 résultant de l’interprétation de l’Accord SPS (1) et
de l’Accord OTC (2).
1. Les incertitudes matérielles résultant de l’interprétation de l’Accord SPS
163. Dans leurs rapports, les organes de règlement des différends interprètent l’Accord
SPS, en entretenant d’importantes incertitudes matérielles, concernant des règles
décisives quant à l’issue du litige. On relèvera ainsi les incertitudes relatives au lien
1 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 54, en particulier la note de bas de page 33 ; et RUIZ FABRI H., « La
juridictionnalisation du règlement des litiges économiques entre États », Rev. arb., 2003/3, pp. 881-947. 2 Il faut ici rappeler que nous entendons ces termes d’« incertitudes matérielles » en opposition aux
incertitudes procédurales (développées infra n° 174 s.), c’est-à-dire qui touchent au droit substantiel.
177
entre l’évaluation des risques et les mesures SPS, aux délais de réexamen des mesures
provisoires, ainsi qu’à l’approche dite « de précaution ».
164. L’incertitude relative au lien entre l’évaluation des risques et les mesures SPS.
Par exemple, dans son rapport Hormones I, les développements de l’Organe d’appel
relatifs à l’admission d’avis scientifiques minoritaires et les examens minutieux qu’ils
supposent laissent perplexe1. Certes, l’Organe d’appel paraît consacrer une prise en
compte de la protection de la santé avec une telle déclaration, mais reste bien trop flou
sur ses exigences concernant le lien entre la mesure SPS et l’évaluation des risques. En
l’occurrence, il ne présente pas de conditions d’acceptation précises de telles mesures,
et finit sur une affirmation vague : « L’existence ou l’absence de cette relation [entre
la mesure SPS et l’évaluation des risques] ne peut être déterminée qu’au cas par cas,
après avoir tenu compte de toutes les considérations qui influent logiquement sur la
question des effets négatifs potentiels sur la santé » 2
. L’Organe d’appel pose certes la
possibilité théorique de fonder une mesure SPS sur des avis scientifiques minoritaires,
mais conclut, en l’occurrence, à l’absence de justification de la mesure communautaire
par une évaluation des risques, sans préciser les conditions qu’elle ne remplit pas3. La
flexibilité des paramètres semble ici plus au service des principes du libre-échange que
de l’exception sanitaire4
. La jurisprudence ultérieure maintient cette incertitude
relative au lien entre l’évaluation des risques et la mesure SPS5
, en concluant
1 Pour rappel, nous avons vu supra (n° 132 et 133), que l’Organe d’appel a pu déclarer solennellement qu’il
acceptait de prendre en compte les avis scientifiques minoritaires dans les évaluations des risques
présentées par les États membres afin de justifier leur mesure SPS. V. en particulier le paragraphe 194 de
son Rapport Hormones I : « L’évaluation des risques pourrait faire ressortir à la fois l’opinion la plus
répandue qui représente le courant scientifique ‘dominant’ ainsi que les opinions de scientifiques qui ont
un point de vue divergent ». 2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 194.
3 Il infirme le raisonnement du Groupe spécial qui avait écarté les éléments pratiques de l’évaluation des
risques (tels que les questions de contrôle vétérinaire), mais confirme sa conclusion d’absence d’évaluation
des risques au sens de l’article 5.1 de l’Accord SPS : v. supra n° 131. 4 V. en ce sens GRADONI L., « Communautés européennes – Mesure concernant la viande et les produits
carnés (Hormones) », in STERN B. et RUIZ-FABRI H., La jurisprudence de l’OMC– The Case-Law of the
WTO (1998-1), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2005, p. 53. 5 Pour illustrer le maintien de cette incertitude relative au lien entre la mesure SPS et l’évaluation des
risques, on citera le rapport « Japon – Produits agricoles II », qui exige« un lien rationnel entre une mesure
SPS et les preuves scientifiques », mais précise qu’il ne pourra être caractérisé qu’ « au cas par cas et
dépendra des circonstances particulières de l'espèce, y compris les caractéristiques de la mesure en cause
et la qualité et la quantité des preuves scientifiques » : Rapport de l’Organe « Japon – Produits agricoles
II », § 84. Cette approche sera d’ailleurs reprise mot pour mot par le panel et l’Organe d’appel dans l’affaire
178
systématiquement, et d’une manière laconique, au maintien de la mesure « sans
preuves scientifiques suffisantes ». L’incertitude de cette règle est problématique au
regard de son importance dans l’issue des litiges, en particulier de son rôle
disqualifiant les mesures SPS en cause1.
165. L’incertitude relative au délai de réexamen des mesures provisoires. Dans le
rapport Japon – Produits agricoles II, l’Organe d’appel donne une réponse similaire
concernant l’interprétation de la seconde partie de la seconde phrase de l’article 5.7,
qui dispose que le Membre adoptant une mesure SPS provisoire « examiner[a] en
conséquence la mesure […] dans un délai raisonnable ». Selon l’Organe d’appel, ce
qui constitue un « délai raisonnable » doit être établi « au cas par cas » et « dépend
des circonstances propres à chaque cas d’espèce, y compris la difficulté d’obtenir les
renseignements additionnels nécessaires pour l’examen et les caractéristiques de la
mesure SPS provisoire »2. La prise en compte des éléments particuliers du cas
d’espèce pousse une fois encore l’Organe d’appel à confirmer la constatation du
Groupe spécial, selon laquelle le Japon n’a pas procédé à un réexamen de sa mesure
dans un délai raisonnable. Certains auteurs analysent cette approche casuistique
comme un nécessaire équilibre, entre une visibilité réduite de l’interprétation des
organes de règlement des différends, et un encadrement par une méthode interprétative
clairement définie, garantissant la visibilité, sinon la lisibilité et la prévisibilité du droit
de l’OMC3. En ce sens, il s’agirait même d’une marge de manœuvre salutaire,
essentielle à la résolution du litige4. On peut soit déplorer l'absence de repère temporel
fiable, soit saluer la démarche d'une adaptation de la règle aux circonstances factuelles
du cas d'espèce, allant dans le sens d'une approche de précaution5. Pourtant, derrière la
« Japon – Pommes » : Rapport du Groupe spécial Japon – Mesures visant l’importation de pommes,
WT/DS/245/R, § 8.103, et Rapport de l’Organe d’appel « Japon –Pommes », § 162. 1 V. infra n° 211 s.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Japon –Produits agricoles II », § 93.
3 TOMKIEWICZ V., « Japon – Mesures visant les produits agricoles », in STERN B. et RUIZ FABRI H. (dir.),
La jurisprudence de l’OMC, The Case-Law of the WTO (1999-1), Martinus Nijhoff Publishers,
Leiden/Boston, p. 60. 4 Ibid.
5 BOY L. et al., « La mise en œuvre du principe de précaution dans l'Accord SPS de l'OMC - Les
enseignements des différends commerciaux », Revue économique, 2003/6 Vol. 54, p. 1297.
179
flexibilité de jure semble toujours se profiler une rigueur de facto : l’incertitude
matérielle est une fois encore l’occasion de disqualifier la mesure SPS en cause1.
166. L’incertitude relative à l’approche de précaution. De manière analogue, les
Communautés européennes sont condamnées, dans l’affaire OGM, par une solution
ambigüe du panel, qui offre une flexibilité théorique mais dont la mise en œuvre se
révèle délicate. Le Groupe spécial ne conclut qu’à une seule incompatibilité, du
moratoire de facto des Communautés européenne, avec l’Accord SPS, son article 8 et
son Annexe C 1) a) : il interprète ces articles comme posant une obligation de décision
administrative quant aux demandes d’approbation de commercialisation des produits
OGM. Les Communautés européennes sont ainsi condamnées pour ne pas avoir
répondu aux demandes d’homologation entre juin 1999 et août 2003 : « l’obligation
fondamentale qu’implique la première clause de l’Annexe C 1) a) est l’obligation faite
aux Membres d’arriver à une décision de fond »2. Par ailleurs il précise que cette
obligation n’est pas incompatible avec une approche de précaution, qui peut, par
exemple, se manifester par la demande de renseignements complémentaires. Une fois
de plus, « le point de savoir si une demande particulière est l’expression d’une
circonspection et d’une prudence véritables ou si elle est un prétexte pour retarder
l’achèvement d’une procédure d’approbation devrait être déterminé à la lumière de
tous les faits et circonstances pertinents »3. Et d’ajouter, que « [n]éanmoins, il est
clair que l’application d’une approche de prudence et de précaution est, et doit être,
soumise à des limites raisonnables, de crainte que l’approche de précaution
n’absorbe la discipline imposée par la première clause de l’Annexe C 1) a) »4. Le
panel ne développe pas plus avant ce qu’il entend par « limites raisonnables », laissant
ainsi planer le doute pour les différends à venir. Cette décision autorise une grande
flexibilité dans la prise en compte, par les règles du commerce international, de la
1 L‘exigence de « délais raisonnables » n’est pas la seule règle incertaine de l’article 5.7. Par exemple, en
ce qui concerne l’obligation de s’efforcer d’obtenir des renseignements additionnels, l'Organe d’appel
précise que « l’article 5.7 ne précise pas quels résultats effectifs doivent être obtenus ». La question se pose
de savoir s'il s'agit d'une simple obligation de moyens, moins contraignante qu'une véritable obligation de
résultat : v. le Rapport de l’Organe d’appel « Japon –Produits agricoles II », § 92. 2 Rapport du Groupe spécial « OGM », § 7.1527.
3 Ibid., § 7.1522.
4 Ibid., § 7.1523.
180
protection de la santé et de l’environnement. Le contenu précis de la règle demeure
néanmoins incertain. Il en résulte finalement un grand flou des règles matérielles
évoquées par le panel, qui conclue pourtant de manière systématique à
l’incompatibilité de la mesure communautaire. Une fois encore, l’incertitude
matérielle semble ne mener qu’à la prépondérance des principes du libre-échange : la
consécration théorique des exceptions environnementales et sanitaires, cache les
difficultés de leur mise en œuvre1. L’interprétation de l’Accord OTC, par les organes
de règlement des différends, présente les mêmes travers d’incertitudes matérielles,
devant lesquelles les États auteurs de mesures environnementales ou sanitaires
apparaissent vulnérables.
2. Les incertitudes matérielles résultant de l’interprétation de l’Accord OTC
167. La figure de l’accordéon de la similarité dans l’Accord OTC. L’appréciation de
la similarité a joué un rôle important dans les différends OTC2, mais reste incertaine,
laissant les États auteurs de règlements techniques face à une grande insécurité
juridique : « Véritable marronnier du droit de l’OMC, la similarité est une de ces
notions qui cristallisent un contentieux abondant en raison de son caractère flou et de
sa récurrence dans les nombreux accords de l’OMC » 3
. Si la notion se trouve dans
différents accords de l’OMC4, elle n’a pas la même signification dans chacun. Les
observateurs s’accordent sur la relativité de la notion, forgée au cas par cas par les
1 V. en ce sens ABDELGAWAD W. et al., « Chronique de jurisprudence. Chronique du règlement des
différends de l’OMC (2006-2008) », RIDE, 2008/3, t. XXII, 3, p. 362. 2 Les organes de règlement des différends apprécient la similarité entre certains produits en application de
l’article 2.1 de l’Accord OTC : « Les Membres feront en sorte, pour ce qui concerne les règlements
techniques, qu'il soit accordé aux produits importés en provenance du territoire de tout Membre un
traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires d'origine nationale et aux
produits similaires originaires de tout autre pays ». 3 À propos de la figure de l’accordéon de la similarité dans le rapport Cigarettes aux clous de girofle du
Groupe spécial, BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des
différends (juin 2010-novembre 2011) », RIDE, 2012, p. 181 ; sur le caractère flou de la notion, v.
LANFRANCHI M.-P., « L’intégration des considérations environnementales dans les principes de l’OMC –
Le principe de non-discrimination entre produits similaires », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de
l’OMC et protection de l’environnement, Bruylant, LGDJ, Bruxelles, 2003, pp. 75-107, spéc. p. 77. 4 La notion de similarité entre deux produits est nécessaire pour vérifier le respect du principe de non-
discrimination. Elle occupe ainsi une place importante au sein de l’Accord général, notamment dans
l’application de son article III.4.
181
Groupes spéciaux1. Dans son rapport Boissons alcooliques II, le Groupe spécial avait
élaboré une métaphore particulière pour définir la notion : « l’accordéon de la
similarité s’étire et se resserre en des points différents au gré des différentes
dispositions de l’accord sur l’OMC qui sont appliquées. L’étirement de l’accordéon
en l’un quelconque de ces points doit être déterminé par la disposition particulière
dans laquelle le terme ‘similaire’ se trouve’, ainsi que par le contexte et les
circonstances propres à un cas donné auquel cette disposition est applicable » 2
. Il
s’entend certes parfaitement qu’une telle question de pur fait relève de l’appréciation
souveraine des panels faisant office de juges du fond3, et soit nécessairement tributaire
des circonstances particulières du cas d’espèce. Pour autant, les organes de règlement
des différends n’ont eu de cesse de modifier leur appréhension de la notion, au sein
d’un même accord, ou relativement aux mêmes questions d’exceptions
environnementales et sanitaires.
Les incertitudes relatives à la notion de similarité concernent la place que peut y jouer
l’« objectif légitime » au nom duquel le règlement technique en cause est adopté, par
exemple la protection de la santé. Ainsi, dans son rapport Amiante, l’Organe d’appel
adoptait une approche originale de la similarité au sens de l’article III.4 du GATT4 :
pour apprécier la similarité entre les fibres d’amiante et les matériaux de substitution,
il intégrait partiellement le critère sanitaire à l’appréciation du rapport de concurrence,
principal outil d’appréciation de la similarité5. S’appuyant sur cette jurisprudence, le
1 BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des différends (juin
2010-novembre 2011) », RIDE, 2012, p. 182 ; LUFF D., Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce
– Analyse critique, Bruylant, L.G.D.J., Bruxelles (Belgique), 2004, p. 45 ; CARREAU D. et JUILLARD P.,
Droit international économique, 4e éd., Paris, Dalloz, 2010, n° 540.
2 Rapport de l'Organe d'appel Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R, adopté le 1er novembre 1996, §§ 25-26.
3 Pour un exposé critique de la répartition des compétences entre les organes de règlement des différends en
matière d’appréciation des éléments de preuve, et en particulier du pouvoir souverain des Groupes spéciaux,
v. infra n° 275 s. 4 Article III.4 du GATT : « Les produits du territoire de toute partie contractante importés sur le territoire
de toute autre partie contractante ne seront pas soumis à un traitement moins favorable que le traitement
accordé aux produits similaires d'origine nationale en ce qui concerne toutes lois, tous règlements ou
toutes prescriptions affectant la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution et l'utilisation
de ces produits sur le marché intérieur. Les dispositions du présent paragraphe n'interdiront pas
l'application de tarifs différents pour les transports intérieurs, fondés exclusivement sur l'utilisation
économique des moyens de transport et non sur l’origine du produit ». 5 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 115 ; v. supra n° 79 s.
182
rapport Cigarettes aux clous de girofle du Groupe spécial prenait principalement appui
sur les objectifs légitimes du règlement technique en cause, à savoir la santé publique1.
La mesure américaine visait formellement un objectif de lutte contre le tabagisme chez
les jeunes. Le Groupe spécial concluait à la similarité des deux types de cigarettes, non
pas en établissant leur rapport de concurrence, mais en constatant qu’ils présentaient
l’un et l’autre le même problème d’attractivité chez les jeunes fumeurs. Selon le
Groupe spécial, la différence de traitement, entre les cigarettes au menthol et celles
aux clous de girofle, n’était pas liée à un objectif de santé publique, donc pas
pertinente pour l’analyse du produit similaire en cause. L’Organe d’appel infirmera
cette conclusion, au motif que selon lui, l’objet et le but de l’Accord OTC ne
permettent pas d’ancrer l’interprétation du concept de « produits similaires » en
dehors d’un rapport de concurrence entre les produits2. L’Organe d’appel évince ainsi
le critère sanitaire dans son appréciation de la similarité, pour ne retenir que le rapport
économique. Certains observateurs se sont montrés compréhensifs face à cette
modification, considérant qu’il s’agissait de revenir à la logique d’équilibre posée par
l’affaire Amiante, entre la poursuite de libéralisation des échanges, et le droit des
Membres de protéger la santé de leurs ressortissants3. Il nous semble au contraire, a
fortiori peut-être parce que la solution sur le fond ne s’en trouve pas affectée, que ce
refus de prendre en compte l’« objectif légitime » ayant motivé l’adoption du
règlement technique par les États-Unis n’est pas défendable. Premièrement, l’Organe
d’appel semble, de ce fait, mettre à mal sa consécration de l’autonomie du droit
d’adopter des règlements techniques pour motifs légitimes4. Deuxièmement, il instaure
une incertitude matérielle trop importante pour les États auteurs de mesures
poursuivant des objectifs environnementaux ou sanitaires, la conclusion de similarité
ou de non-similarité entre produits étant décisive dans l’issue du litige5.
À l’évidence, la flexibilité de jure présentée par les organes de règlement des
différends ne s’est jamais montrée favorable à la mise en œuvre des exceptions
1 Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle », §7.70.
2 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle », § 108.
3 BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des différends
(novembre 2011 – août 2013) », RIDE, 2013/3 (t. XXVII), p. 355. 4 V. supra n° 125 s.
5 V. infra n° 229 à 232.
183
environnementales et sanitaires. Bien au contraire, leur habitude d’entretenir des
incertitudes matérielles concernant des règles-clefs semble directement participer à
l’ineffectivité substantielle de ces exceptions. Les organes de règlement des différends
se permettent des déclarations de principe audacieuses, qui restent officiellement
tributaires des circonstances de l’espèce. Ils attribuent ainsi l’ineffectivité des
exceptions aux faits particuliers de chaque cas d’espèce, entretenant un dogme
casuistique permettant de ne pas remettre en question le droit positif appliqué. C’est
ainsi que ce dogme permet aux organes de règlement des différends de mettre
implicitement en place des présomptions de restrictions déguisées au commerce
international.
UN DOGME PERMETTANT LA MISE EN PLACE IMPLICITE DE § 2.
PRÉSOMPTIONS D’INCOMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT DE L’OMC
168. Sans que les textes soient explicites sur ces points, l’Organe d’appel semble
mettre en place des présomptions implicites d’incompatibilité avec le droit de l’OMC,
des mesures environnementales et sanitaires. Ces présomptions se présentent alors
comme les derniers garde-fous d’un système, accordant une place prépondérante aux
principes du libre-échange. De telles présomptions de restriction déguisée au
commerce international se situent aux antipodes de la consécration formelle des
exceptions environnementales et sanitaires, et révèlent leur ineffectivité substantielle.
Se manifestant implicitement au gré des cas d’espèce, elles usent de l’incertitude
matérielle, pour participer à l’ineffectivité substantielle des exceptions
environnementales et sanitaires. Les examens de mesures environnementales et
sanitaires au regard de l’obligation d’évaluation des risques d’une part (A), et dans le
cadre d’une procédure de mise en conformité d’autre part (B), révèlent la mise en
place implicite de telles présomptions d’incompatibilité avec le droit de l’OMC.
Les présomptions issues de l’obligation d’évaluation des risques A.
169. L’évaluation des risques présentée par l’État auteur d’une mesure
environnementale ou sanitaire pour la justifier, semble ne pas être seulement examinée
en tant que telle. Son invalidation, au regard des conditions de l’article 5.1 de l’Accord
184
SPS1, a déjà pu entraîner une présomption de restriction déguisée au commerce
international.
170. Une présomption de restriction déguisée au commerce international. Les
organes de règlement des différends ont, par exemple, mis en place une présomption
implicite de restriction déguisée au commerce international dans leur rapport Saumons.
Ils ont considéré que la constatation d’incompatibilité avec l’article 5.1, autrement dit
une évaluation des risques invalidée2, était un « signal d’alarme approprié » pour
déceler une « restriction déguisée au commerce international »3. La constatation
d’incompatibilité d’une mesure avec l’article 5.1 entraîne ici une présomption
d’incompatibilité avec l’article 5.5 de l’Accord SPS4 : ainsi, une évaluation des risques
invalidée, pour des motifs techniques ou scientifiques5, semble aller de pair, pour
1
Article 5.1 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou
phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des
circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des
végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations
internationales compétentes ». 2 Dans cette affaire Saumons, l’Organe d’appel conclut à l’absence d’une véritable évaluation des risques, à
l’issue d’un examen approfondi de l’évaluation elle-même, pour des motifs techniques et scientifiques : il
considère que l’évaluation de la probabilité de l’entrée de la maladie n’est pas suffisamment spécifique. Il
faut rappeler que la mesure australienne, imposant des restrictions à l’importation de saumons en
provenance du Canada, s’appuyait sur un rapport d’« Analyse des risques liés à l’importation de saumons
en Australie », concluant à la possibilité de présence de vingt agents pathogènes exotiques différends, dans
les produits à base de saumons du Pacifique, et à l’impossibilité d’éliminer ces maladies une fois qu’elles
seraient établies sur le territoire australien. 3 Pour être plus exact, il faut préciser que les organes de règlement des différends se sont formellement
fondés sur trois « signaux d’alarme » : le caractère « arbitraire ou injustifiable » de la différence de niveau
de protection sanitaire entre les saumons et les harengs, la « différence substantielle » dans ces niveaux de
protection (prohibition et admission), et enfin seulement, l’incompatibilité avec les articles 5.1 et 2.2 de
l’Accord SPS. Nous nous permettons de réduire le discours à cette dernière condition, les deux premières
relevant des éléments nécessaire à la conclusion d’incompatibilité de la mesure avec l’article 5.5, et ayant
fait l’objet d’un examen antérieur dans le rapport (ces trois conditions d’incompatibilité étant : l’adoption
de niveaux de protection différends ; les caractères « arbitraires ou injustifiables » de ces différences ; les
conséquences discriminatoires ou restrictives pour le commerce international de la mesure). V. le Rapport
de l’Organe d’appel « Australie - Saumons », §§ 139-178. 4 Article 5.5 de l’Accord SPS : « En vue d'assurer la cohérence dans l'application du concept du niveau
approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire contre les risques pour la santé ou la vie des personnes,
pour celles des animaux ou pour la préservation des végétaux, chaque Membre évitera de faire des
distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux qu'il considère appropriés dans des situations
différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce
international. Les Membres coopéreront au Comité, conformément aux paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 12,
pour élaborer des directives visant à favoriser la mise en œuvre de cette disposition dans la pratique. Pour
élaborer ces directives, le Comité tiendra compte de tous les facteurs pertinents, y compris le caractère
exceptionnel des risques pour leur santé auxquels les personnes s'exposent volontairement ». 5 V. infra n° 212 s.
185
l’Organe d’appel, avec une intention de protectionnisme déguisé de l’État auteur d’une
mesure environnementale ou sanitaire. Il s’agit pourtant de deux obligations distinctes.
Considérer que l’incompatibilité de l’évaluation des risques entraîne une restriction
déguisée au commerce international, revient pour les organes de règlement des
différends à instaurer une présomption inédite, allant totalement à l’encontre de la
consécration des exceptions environnementales et sanitaires. L’État auteur de la
mesure doit, en présence d’une telle présomption, démontrer que la mesure n’est pas
une restriction déguisée pour le commerce international, ce qui, comme toute preuve
négative, est particulièrement difficile à établir. Les organes de règlement des
différends ont saisi d’autres occasions de mettre implicitement en place des
présomptions d’incompatibilité des mesures environnementales ou sanitaires avec le
droit de l’OMC, en soupçonnant par exemple la mauvaise foi de l’auteur de la mesure
en cause.
171. Une présomption de mauvaise foi. D’une manière analogue, dans le rapport
Hormones I, l’État auteur d’une mesure protectrice se fondant sur des avis
scientifiques minoritaires semble automatiquement être soupçonné de mauvaise foi.
Cette idée se dégage de la formulation alambiquée de l’Organe d’appel, lorsqu’il
consacre le droit des États de fonder leur mesure environnementale ou sanitaire sur la
base d’avis scientifiques minoritaires. En effet, au sein de l’audacieuse déclaration
d’admission de mesures prises sur la base de tels avis1, l’Organe d’appel se doit de
préciser que les « gouvernements […] peuvent agir de bonne foi sur la base […]
[d’]une opinion divergente » 2
: il est édifiant de noter que cette référence à la bonne
foi est absente des raisonnements de l’Organe d’appel lorsqu’il s’agit de fonder sa
mesure sur l’orthodoxie scientifique. Est-ce à dire qu’il adopte une « attitude
suspicieuse envers les gouvernements qui accordent leur confiance à des rapports
scientifiques hétérodoxes ; comme si ce dernier choix pouvait dissimuler, plus que
1 V. supra n° 132 et 133.
2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 194.
186
d’autres, des intentions protectionnistes » 1
? Il semble bien s’agir d’une invitation
implicite faite aux Groupes spéciaux d’attention particulière à des mesures ne
s’appuyant pas sur les avis scientifiques majoritaires, d’autant plus lorsque le risque ne
paraît ni grave, ni imminent2
. Celle-ci serait motivée par une « présomption
behaviouriste » 3
des Membres s’appuyant sur de tels avis divergents pour dissimuler
des politiques protectionnistes. Dans cet arrêt, l’Organe d’appel n’a d’ailleurs pas posé
la règle de principe, selon laquelle un avis scientifique minoritaire suffirait à légitimer
une mesure protectrice de la santé. Son affirmation est négative : une telle mesure ne
peut pas être jugée d’emblée incompatible avec l’article 5.1 de l’Accord SPS. Il n’a
d’ailleurs pas non plus posé les conditions claires de compatibilité avec cet article en
se référant à la règle du cas par cas. Le pas en avant opéré par l’Organe d’appel, vers
l’admission de réglementations sanitaires fondées sur des opinions scientifiques
divergentes, est ici contrebalancé par l’annonce de contrôles rigoureux quant au
caractère protectionniste de ces mesures. Certes, un avis scientifique minoritaire
n’aura pas le même poids qu’un avis dominant, et un contrôle plus étroit du premier
n’est pas absurde en soi. Pourtant, compte tenu du refus des organes de règlement des
différends à prendre en compte l’incertitude scientifique4, la mise en place d’une
présomption d’incompatibilité des mesures fondées sur de tels avis devient irréfutable :
une telle présomption impliquerait dès lors, pour être renversée, l’obligation pour
l’État auteur de la mesure d’établir avec certitude l’existence d’un risque, alors que les
opinions sont justement minoritaires lorsque le risque n’est pas avéré avec certitude5.
Autrement dit, cette présomption semble neutraliser l’effectivité de la déclaration de
principe, selon laquelle les mesures SPS peuvent être fondées sur des avis scientifiques
minoritaires.
1
GRADONI L., « Communautés européennes – Mesure concernant la viande et les produits carnés
(Hormones) », in STERN B. et RUIZ-FABRI H., La jurisprudence de l’OMC– The Case-Law of the WTO
(1998-1), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2005, p. 72. 2 Ibid.
3 Ibid.
4 Concernant le refus des organes de règlement des différends de prendre en compte l’incertitude
scientifique, v. supra n° 148. 5 Concernant les conséquences probatoires du refus par les organes de règlement des différends de prendre
en compte l’incertitude scientifique, v. infra n° 264 et 265.
187
Ainsi, l’incertitude matérielle entretenue par les organes de règlement des différends,
concernant l’évaluation des risques, les conduit à présumer la mauvaise foi de l’État
auteur de la mesure sanitaire ou environnementale. Le même renversement de
paradigme, illustrant le passage de la consécration formelle à l’ineffectivité
substantielle des exceptions, se retrouve dans l’implicite mise en place d’une
présomption de non mise en conformité de l’État auteur d’une mesure protectrice.
Une présomption de non mise en conformité B.
172. Les enjeux particuliers de la procédure de mise en conformité. L’enjeu d’une
telle présomption d’incompatibilité avec le droit de l’OMC n’est pas le même dans le
cadre d’une procédure de mise en conformité. Il s’agit ici d’une modification
réglementaire opérée par un État Membre, afin de mettre en œuvre les
recommandations des organes de règlement des différends, émises lors de la procédure
initiale. Or, les parties victorieuses à l’issue de cette première procédure sont
autorisées à appliquer des mesures de rétorsion à l’égard de la partie perdante, qui
subit dès lors d’importants dommages économiques. C’est dans ce cas de figure que se
sont retrouvées les Communautés européennes, lors de l’affaire Hormones II : à l’issue
de l’affaire Hormones I, les États-Unis et le Canada avaient reçu l’autorisation
d’adopter d’importantes contre-mesures économiques1
. Les Communautés
européennes abrogent finalement la directive litigieuse pour la remplacer par une
nouvelle, qui maintient néanmoins l’interdiction d’importation de viande nourrie aux
hormones2 . Les Communautés notifient cette nouvelle mesure, mettant d’après elles
leur réglementation en conformité avec l’Accord SPS, et demandent la levée des
1 Les États-Unis et le Canada auront ainsi appliqué pendant plus de 10 ans des droits de douane de 100%
sur une série de produits agricoles et manufacturés provenant de l’Union européenne, dont le roquefort, le
chocolat, les truffes et la moutarde. 2 Directive 2003/7/4 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant la directive
96/22/CE du Conseil concernant l’interdiction d’utilisation de certaines substances à effet hormonal et
thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations animales, JOCE, 14 octobre 2003, L262,
p. 17. Pour maintenir cette interdiction, les Communautés s’appuient sur une vingtaine d’études et projets
de recherches scientifiques en vue de procéder à cette évaluation des risques, dont trois avis du CSMVSP
publiés en 1999, 2000 et 2002 : l’interdiction est posée de manière permanente pour l’œstradiol au regard
de ses effets cancérogènes et génotoxiques, et provisoire pour les cinq autres hormones (la testostérone, la
progestérone, l’acétate de trenbolone, le zéranol et l’acétate de mélengestrone).
188
sanctions. Les États-Unis et le Canada contestant cette mise en conformité,
maintiennent la suspension de leurs concessions, poussant ainsi les Communautés
européennes à initier une nouvelle procédure, relative à leur mise en conformité,
devant les organes de règlement des différends.
173. L’obligation de prouver la mise en conformité. Dans cette affaire Hormones II
émerge ainsi le problème de l’appréciation de la nouvelle mesure mise en place par le
défendeur, pour se mettre en conformité avec les recommandations issues de la
procédure initiale. Les Communautés européennes arguaient que le remplacement de
l’ancienne directive, jugée incompatible, par une nouvelle devait entrainer l’obligation
de suspendre les mesures de rétorsion. L’Organe d’appel déclare cependant qu’une
suppression formelle de la mesure condamnée ne suffit pas : « Il est difficile
d'envisager comment un différend pourrait être définitivement réglé simplement parce
que la mesure incompatible est formellement éliminée, indépendamment du point de
savoir si la mise en conformité sur le fond a été réalisée ou non » 1. Se fondant sur
l’article 22.8 du Mémorandum d’Accord2, l’Organe d’appel n’accepte pas la levée
systématique des sanctions, dès réception de la notification d’une mesure de mise en
œuvre par la partie perdante. En cas de désaccord entre les parties au différend sur la
mise en conformité, une nouvelle procédure doit être engagée : l’Organe d’appel
considère que les plaignants ont « l'obligation » d'engager une procédure au titre de
l'article 21.53
pour « obtenir qu'il soit déterminé objectivement si une mise en
conformité sur le fond a été réalisée en l'espèce »4. Ce n’est qu’à l’issue de cette
nouvelle procédure que seront levées les mesures de rétorsion le cas échéant. Par cette
décision, l’Organe d’appel a certes donné un vade mecum pour sortir des contre-
1 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 309.
2 Article 22.8 du Mémorandum d’accord : « La suspension de concessions ou d'autres obligations sera
temporaire et ne durera que jusqu'à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été
éliminée, ou que le Membre devant mettre en œuvre les recommandations ou les décisions ait trouvé une
solution à l'annulation ou à la réduction d'avantages, ou qu'une solution mutuellement satisfaisante soit
intervenue ». 3 Article 21.5 du Mémorandum d’accord : «Dans les cas où il y aura désaccord au sujet de l'existence ou
de la compatibilité avec un accord visé de mesures prises pour se conformer aux recommandations et
décisions, ce différend sera réglé suivant les présentes procédures de règlement des différends, y compris,
dans tous les cas où cela sera possible, avec recours au groupe spécial initial ». 4 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 409.
189
mesures par le biais de l’article 21.5, sans pour autant répondre à toutes les questions
relatives à l’application de ces contre-mesures1. Dans le cadre de cette procédure
régulière, attribuer la charge de la preuve de la mise en conformité de la mesure en
cause pour obliger la levée des contre-mesures, ne revient-il pas à présumer la
mauvaise foi de l’État auteur des mesures protectrices de la santé et de
l’environnement ? L’autorisation de maintien des mesures de rétorsion jusqu’au terme
de la seconde procédure implique un laps de temps d’une durée incertaine dont pâtit
l’État auteur de la modification réglementaire. Mais au nom de l’encouragement de la
« mise en conformité intégrale [et de] la sécurité et la prévisibilité du système
commercial multilatéral » 2
, l’Organe d’appel a ici préféré que le doute desserve l’État
adoptant des mesures protectrices de la santé. La solution finale donnée par l’Organe
d’appel au litige renforce cette impression. En effet, malgré son infirmation de la
conclusion du Groupe spécial, selon laquelle la nouvelle directive européenne était
incompatible avec l’Accord SPS, il refuse de compléter l’analyse et donc de conclure
positivement à la mise en conformité de l’Union européenne avec les
recommandations antérieures. Ne reconnaissant pas la mise en conformité européenne,
il ne conclut pas non plus à la violation, par le maintien des contre-mesures
américaines et canadiennes, du Mémorandum d’Accord. L’Organe d’appel semble par
là même se cacher derrière sa recommandation aux parties, d’initier une nouvelle
procédure sur le plan de l’article 21.5 du Mémorandum. Ainsi, la victoire sur le fond
de l’Union européenne, mais sa défaite sur le plan procédural, ne fait que souligner
plus évidemment, que la présomption de non mise en conformité empêche la mise en
œuvre de l’exception sanitaire, dans le cas d’une mesure qui n’a pas pu être déclarée
incompatible avec le droit de l’OMC.
Les différentes présomptions d’incompatibilité des mesures environnementales et
sanitaires jouent incontestablement un rôle majeur dans le décalage entre, la
consécration formelle des exceptions environnementales et sanitaires d’une part, et
leur ineffectivité substantielle d’autre part. La mise en place implicite de ces
1 V. en ce sens RUIZ-FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends 2008-2009 », JDI,
2009/3, pp. 923-998. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 309.
190
présomptions est entre autre rendue possible par l’entretien d’un dogme casuistique.
Outre l’ineffectivité de règles matérielles, le discours conjoncturel permet de justifier
un usage extensif des libertés procédurales, qui va toujours faire pencher la balance du
côté des principes du libre-échange.
SECTION 2. LES INCERTITUDES PROCÉDURALES ENTRAINANT UNE
INEFFECTIVITÉ CONJONCTURELLE
174. À l’instar de l’entretien d’incertitudes matérielles, et toujours sous couvert d’un
pragmatisme au service d’une résolution efficace des litiges, les organes de règlement
des différends maintiennent une flexibilité importante dans les règles procédurales. Est
particulièrement en cause l’étendue du champ d’examen auquel procède l’Organe
d’appel. Il semble le restreindre en droit, pour en faire un usage extensif en pratique,
ce qui lui garantit une certaine marge de manœuvre quant à l’issue de ces litiges.
L’Organe d’appel ne semble pas user de cette flexibilité pour mettre en œuvre les
exceptions environnementales ou sanitaires. Au contraire, cette incertitude semble
également participer à l’ineffectivité substantielle des exceptions environnementales et
sanitaires. Ainsi, tant dans le contrôle par l’Organe d’appel du respect de son mandat
par le Groupe spécial (§1), que dans l’étendue de son pouvoir d’évocation (§2),
l’incertitude semble entrainer une ineffectivité conjoncturelle des exceptions
environnementales et sanitaires.
L’INCERTAIN CONTRÔLE PAR L’ORGANE D’APPEL DU RESPECT DE § 1.
SON MANDAT PAR LE GROUPE SPÉCIAL
175. Selon l’article 11 du Mémorandum d’Accord1
, les Groupes spéciaux ont
l’obligation de mener une « évaluation objective des faits » de l’espèce. Les parties au
1 Article 11 du Mémorandum d’accord : « […] un groupe spécial devrait procéder à une évaluation
objective de la question dont il est saisi, y compris une évaluation objective des faits de la cause, de
l'applicabilité des dispositions des accords visés pertinents et de la conformité des faits avec ces
dispositions, et formuler d'autres constatations propres à aider l'ORD à faire des recommandations ou à
statuer ainsi qu'il est prévu dans les accords visés ».
191
litige ont donc la possibilité d’alléguer un manquement à cette obligation dans leur
communication en tant qu’appelant, et donc de pousser l’Organe d’appel à contrôler la
méthode d’évaluation des faits des Groupes spéciaux. L’Organe d’appel appréhende
pourtant ces allégations de violation de l’article 11 du Mémorandum d’Accord comme
un moyen de mettre en cause l’évaluation des faits sous l’angle juridique, et adopte
dès lors une approche très restrictive de sa violation. En effet, les parties peuvent
chercher à mettre en cause sous un angle juridique l’évaluation des faits à laquelle a
procédé le Groupe spécial. Dès lors que les constatations factuelles ne peuvent pas être
directement mises en cause, le seul biais est la mise en cause des actes de procédure, à
l’aide desquels le Groupe spécial a traité les faits1. L’incertitude entretenue autour du
contenu de cette obligation, et son interprétation restrictive, semblent des plus
confortables pour ne pas remettre en cause les constatations du Groupe spécial,
concluant à une incompatibilité des mesures environnementales et sanitaires, y
compris en cas de mauvaise appréciation des faits. Cette tendance de l’Organe d’appel,
à refuser de contrôler le respect de son mandat par le Groupe spécial, consacre de
manière assez dogmatique la distinction entre le fait et le droit et rend possible le
décalage entre la consécration formelle et l’ineffectivité substantielle des exceptions
environnementales et sanitaires. En effet, l’Organe d’appel a initialement mis en place
un seuil de censure inatteignable (A), qu’il a par la suite fait évoluer, mais de manière
incertaine (B).
Un seuil de censure initialement inatteignable A.
176. Confronté à la difficulté de définir le contenu de l’obligation d’évaluation
objective des faits incombant au Groupe spécial, l’Organe d’appel a initialement opté
pour la fixation d’un seuil de censure inatteignable. Il exigeait une erreur
fondamentale des panels, consistant notamment en une intention délibérée de violer
son obligation.
1 V. en ce sens RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (1996-1998) », JDI, 1999/2, p. 501.
192
177. L’exigence d’une intention délibérée du Groupe spécial de violer son obligation.
Cette allégation de manquement du Groupe spécial à son obligation d’évaluation
objective des faits, au sens de l’article 11 du Mémorandum d’Accord, a été examinée
pour la première fois par l’Organe d’appel dans son rapport Hormones I. L’Organe
d’appel accepte de traiter l’allégation des Communautés européennes, car il s’agit
d’une « question de droit »1 entrant dans le « champ d’examen de l’appel »
2. Pour
constater la violation de l’article 11, l’Organe d’appel pose deux conditions : le
Membre doit prouver que le Groupe spécial a commis « une erreur fondamentale qui
met en doute la bonne foi » de ce dernier 3
, et que celle-ci découle de l’ignorance
« délibérée [d]es éléments de preuve » 4
ou du fait de « fausser ou déformer
intentionnellement les éléments de preuve »5. Ces conditions ont été critiquées par la
doctrine, notamment en raison de la nature subjective des critères d’appréciation6.
L’interprétation faite par l’Organe d’appel, de cette obligation d’évaluation objective
des faits, paraît effectivement restrictive, puisque pour vérifier son manquement, il
exige une intention délibérée des Groupes spéciaux de violer leur obligation. Il semble
pourtant que l’esprit du texte réside plutôt dans un encadrement, par l’Organe d’appel,
de l’appréciation, par les Groupes spéciaux, des éléments factuels, afin que les
solutions données au litige ne soient pas fondées sur des faits erronés. Sans s’attarder
dès à présent sur l’ensemble des tenants et aboutissants des incertitudes liées à la
teneur de ce contrôle7, il convient en revanche de relever le décalage entre la
vérification par l’Organe d’appel d’erreurs commises par le Groupe spécial dans son
évaluation des faits, et son refus de censurer ses constatations.
178. Le refus conséquent de censurer les constatations du Groupe spécial. Dans
l’affaire Hormones I, l’examen du cas d’espèce mené par l’Organe d’appel révèle un
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 132.
2 Ibid.
3 Ibid., § 133.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 V. LUGARD M., “Scope of Appellate Body Review: Objective Assessment of the Facts and Issues of Law”,
JIEL, 1998, pp. 323-327; BRONCKERS M., MCNELIS N., “Fact and Law in Pleadings before the WTO
Appellate Body”, in WEISS F. (ed.), Improving WTO Dispute Settlement Procedures: Issues and Lessons
from the Practice of Other International Courts & Tribunals, London, Cameron May, 2000, pp. 321-333. 7 V. infra n° 299 s.
193
décalage entre son constat d’erreurs commises par le Groupe spécial, et son refus de
censurer ses constatations. En effet, l’Organe d’appel vérifie entre autres que le
Groupe spécial n’a pas mentionné les déclarations de deux experts selon lesquels le
MGA, une des hormones en cause, présentait un « risque réel »1 ; qu’il a mal
interprété l’avis d’un expert individuel, qui pourrait confirmer les avis scientifiques
exprimés par les scientifiques des Communautés européennes2 ; qu’il a commis une
erreur de droit en affirmant que les preuves relatives aux risques liés au problème
général du contrôle n’étaient pas pertinentes3 ; qu’il n’a pas su rendre compte du
caractère spéculatif et des vigoureuses réserves des avis exprimés par ses experts4 .
Malgré ce constat d’importantes et nombreuses erreurs d’appréciation des faits,
l’Organe d’appel refuse à chaque fois d’admettre que le panel a manqué à son
obligation d’évaluation objective des faits, au motif qu’il n’a pas délibérément ignoré
ou faussé des éléments de preuve. Avec ce rapport Hormones I, l’Organe d’appel pose
un standard de censure très élevé, qu’il justifie par le caractère discrétionnaire du
pouvoir dont dispose un Groupe spécial dans l’appréciation des différents éléments de
preuve qui lui sont soumis 5
. Ce « degré de gravité requis » pour conclure à la
violation de l’obligation d’évaluation objective des faits semble en réalité impossible à
atteindre, notamment au vu de l’absence de précision le concernant6.
179. L’exigence d’une erreur fondamentale dans l’affaire Japon – Produits
agricoles II. L’Organe d’appel adopte un raisonnement similaire dans son rapport
Japon – Produits agricoles II, pour répondre à l’allégation japonaise. Le Japon
avançait que le Groupe spécial n’avait pas procédé à un examen approprié des preuves,
qu’il avait cité les avis des experts de manière arbitraire, et que son évaluation des
preuves était contradictoire. L’Organe d’appel avance comme une règle générale, que
les défauts d’appréciation du Groupe spécial concernant les preuves qui lui sont
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 135.
2 Ibid., § 139.
3 Ibid., § 143.
4 Ibid., § 144.
5 V. en ce sens RUIZ FABRI H., « Chronique de règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (1999-2000) », JDI , 2000/2, p. 389. 6 RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (1996-
1998) », JDI, 1999/2, p. 495.
194
soumises ne peuvent pas être systématiquement regardés comme une violation de
l’article 11 du Mémorandum d’Accord. L’Organe d’appel conclut, en posant le
principe que « seules les erreurs fondamentales constituent un manquement à
l’obligation de procéder à une évaluation objective des faits énoncée à l’article 11 du
Mémorandum d’Accord »1. Sans plus développer une argumentation pour le moins
laconique2, l’Organe d’appel se contente d’indiquer que « le Japon n’a pas démontré
que le Groupe spécial […] avait commis des erreurs ayant la gravité requise pour
constater une violation de l’article 11 du Mémorandum d’Accord » 3
. Peut-être cette
affaire amorce-t-elle, malgré tout, une évolution du seuil de censure, en ne reprenant
pas explicitement l’exigence d’intention délibérée de mauvaise foi du Groupe spécial.
Entre intention délibérée de violation de son obligation et erreur fondamentale des
panels, l’Organe d’appel fixait initialement un seuil de censure inatteignable, sauf à ce
que les Groupes spéciaux admettent ouvertement avoir été de mauvaise foi dans leur
résolution du litige. Ce seuil de censure a évolué, mais reste incertain, en particulier
dans le cadre des affaires environnementales et sanitaires.
Une évolution incertaine du seuil de censure B.
180. L’Organe d’appel a cherché à faire évoluer ce seuil de censure trop élevé. Cette
évolution semble pourtant cantonnée à quelques différends marginaux, dont ne font
pas partie les litiges environnementaux et sanitaires.
181. Une évolution du seuil de censure. Ce mystérieux et obscur « seuil de gravité
requise » sera néanmoins éclairci dans le rapport États-Unis – Gluten de froment, qui
abaisse et clarifie ce seuil de censure4. L’Organe d’appel y préconise un protocole
rendant la possibilité d’alléguer un manquement du Groupe spécial à son obligation
1 Rapport de l’Organe d’appel « Japon – Produits agricoles II », § 141.
2 L’Organe d’appel prétend résoudre cette question en trois paragraphes, dans lesquels il n’examine
aucunement en détail l’allégation japonaise : Ibid., §§ 140-142. 3 Ibid.,§ 142.
4 Pour une présentation plus détaillée de cette évolution générale, v. TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de
l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 284-289.
195
d’évaluation objective des faits plus facilement envisageable1. Suite à l’énonciation de
ce protocole, l’Organe d’appel a pu considérer que le Groupe spécial avait outrepassé
les limites de son pouvoir discrétionnaire dans ses rapports États-Unis – Fils de coton2
et États-Unis – Viande d’agneau3. On aurait pu s’attendre à une banalisation du
contrôle de l’exercice du pouvoir du Groupe spécial par l’Organe d’appel. Pourtant,
ces censures semblent se cantonner au domaine particulier des sauvegardes, et ne pas
se généraliser à l’ensemble des différends. De manière générale, l’Organe d’appel se
contenterait d’appeler les Groupes spéciaux à une plus grande vigilance dans l’examen
et l’évaluation des éléments de preuve. Les panels, pour échapper à ce contrôle,
n’auraient qu’à se montrer suffisamment explicites et précis au sujet de la portée de
leurs analyses factuelles4. En particulier, cette évolution du seuil de censure semble
rester étrangère à la jurisprudence environnementale et sanitaire.
182. L’absence d’évolution du seuil de censure dans les rapports environnementaux
et sanitaires. Les rapports environnementaux et sanitaires semblent rester étrangers à
cette évolution apparente du seuil de censure. L’appréciation des éléments de preuve
est particulièrement sensible dans les différends environnementaux et sanitaires,
puisqu’il s’agit presque systématiquement d’examiner si les preuves scientifiques
établissent l’existence d’un risque pour la santé ou l’environnement, auquel cas elles
justifient l’adoption d’une mesure restrictive pour le commerce. C’est peut-être
d’ailleurs cette sensibilité particulière des éléments de preuves scientifiques dans les
différends environnementaux et sanitaires, qui motive l’Organe d’appel à ne contrôler
1 D’après ce rapport, le Membre alléguant une violation de l’article 11 du Mémorandum d’accord par le
Groupe spécial devra « identifier les faits figurant dans le dossier à partir desquels le groupe spécial aurait
dû tirer des déductions ; indiquer les déductions factuelles ou juridiques que le groupe spécial aurait dû
tirer de ces faits ; et, enfin, expliquer pourquoi le fait que le groupe spécial n’a pas exercé son pouvoir
discrétionnaire en tirant ces déductions constitue une erreur de droit au titre de l’article 11 du
Mémorandum d’accord » : Rapport de l’Organe d’appel États-Unis – Mesures de sauvegarde définitives à
l’importation de gluten de froment en provenance des Communautés européennes, WT/DS166/AB/R,
adopté le 19 janvier 2001, § 175. 2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure de sauvegarde transitoire appliquée aux fils de coton
peignés en provenance du Pakistan, WT/DS192/AB/R, adopté le 5 novembre 2001, § 78. 3 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesures de sauvegarde à l'importation de viande d'agneau
fraîche, réfrigérée ou congelée en provenance de Nouvelle-Zélande et d'Australie, WT/DS177/AB/R,
WT/DS178/AB/R, adopté le 16 mai 2001, §148. 4 TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université Panthéon-
Sorbonne, Paris, 2004, p. 288.
196
les appréciations factuelles des Groupes spéciaux qu’a minima1. Il a par exemple
refusé de censurer un Groupe spécial qui aurait manqué de précision concernant
certaines constatations factuelles ou de répartition de la charge de la preuve2. Il motive
sa décision par le fait qu’il ne constate « aucune absence de lien entre l’ensemble des
preuves que le Groupe spécial a examinées et les constatations qu’il a formulées »3.
Dans l’affaire Australie – Pommes, il refuse également de censurer les conclusions du
Groupe spécial, tout en reconnaissant que ce dernier n’a ni reproduit, ni examiné
certaines déclarations des experts, appuyant pourtant la thèse de l’Australie de
justification de la mesure de protection contre un risque phytosanitaire4. Dans l’affaire
Thons II, l’Organe d’appel n’a pas davantage censuré le Groupe spécial, considérant
qu’il avait respecté sa marge de manœuvre discrétionnaire en accordant plus
d’importance à certains éléments de preuve qu’à d’autres5. Une seule affaire, mettant
en cause une mesure protectrice de la santé, a été l’occasion pour l’Organe d’appel de
censurer le Groupe spécial.
183. L’exceptionnelle censure du Groupe spécial dans l’affaire Hormones II. Le
rapport Hormones II fait figure d’exception dans ce domaine, puisque c’est la seule
occasion que saisira l’Organe d’appel pour relever un manquement du Groupe spécial
à son obligation d’évaluation objective des faits. Il reproche au Groupe spécial d’avoir
été au-delà de son mandat en substituant son propre jugement scientifique à celui des
responsables de l’évaluation des risques, au lieu de se contenter d’apprécier les
1 Pour une présentation systémique de la répartition des compétences entre les Groupes spéciaux et
l’Organe d’appel, v. infra n° 273 s. 2 « Ayant dit que le Groupe spécial aurait pu être plus clair sur ces deux aspects de son raisonnement, nous
ne sommes néanmoins pas d'accord avec le Japon lorsqu'il dit que le Groupe spécial a agi d'une manière
incompatible avec ses obligations au titre de l'article 11 du Mémorandum d’accord en faisant une
constatation qui visait l'aboutissement de la filière de transmission du feu bactérien par les pommes
‘infectées’, même si les preuves portées à la connaissance du Groupe spécial ‘étaient centrées autour’ de la
filière relative aux pommes mûres asymptomatiques » : Rapport de l'Organe d'appel « Japon –Pommes », §
229. 3 Ibid., § 231.
4 V. les développements de l’Organe d’appel dans son rapport « Australie – Pommes », §§ 263-327.
5 Les États-Unis alléguaient un manquement à l’article 11 du Mémorandum d’accord au regard des
constatations du Groupe spécial relatives aux différents dommages causés par les différentes méthodes de
pêche, ainsi que celles concernant la soupesée des éléments de preuves afférents aux effets nuisibles de la
pêche au thon sur les dauphins. V. le Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », §§ 253-281.
197
éléments de preuves scientifiques qui lui sont soumis1. Il en conclut que l’approche du
Groupe spécial est « viciée » 2
et incompatible avec le critère d’examen d’évaluation
objective des risques. L’Organe d’appel reproche ici au Groupe spécial de s’ériger en
expert réalisant une nouvelle évaluation des risques, au lieu de s’en tenir à son mandat
de trancher un différend3. Il donne ainsi raison aux Communautés européennes, qui se
plaignaient du fait que le Groupe spécial avait outrepassé son mandat et s’était fait
« juge de ce qui constituait les données scientifiques correctes […] en faisant
soigneusement son choix, d’une manière arbitraire, parmi les opinions divergentes et
contradictoires des experts » 4
. Il se prononce ainsi pour la première et unique fois
contre une investigation intrusive dans l’appréciation de l’évaluation des risques, et
pose une limite à un contrôle juridictionnel trop élevé. Il faut saluer cette mise en
œuvre du contrôle, par l’Organe d’appel, du mandat des Groupes spéciaux au titre de
l’article 11 du Mémorandum d’Accord. Celui-ci aura pourtant une incidence très
limitée sur le fond de la décision : l’Organe d’appel concluant qu’il ne peut vérifier la
mise en conformité de la mesure communautaire avec les recommandations issues de
l’affaire Hormones I5, il ne déclare pas le maintien des contre-mesures américaines et
canadiennes incompatibles avec le droit de l’OMC. On peut alors se demander, si cette
censure n’était pas plus aisée à appliquer à une telle situation, dans laquelle elle ne
portait pas à conséquence. L’Organe d’appel a pu, avec ce rapport, à la fois rassurer
les États auteurs de mesures environnementales et sanitaires sur l’existence d’un
contrôle, et faire œuvre de pédagogie à l’égard des Groupes spéciaux concernant leur
examen de l’évaluation des risques, sans craindre les foudres des États-Unis et du
Canada.
1 « Dans les cas où un groupe spécial va au-delà de [son] mandat limité et agit en tant que responsable de
l’évaluation des risques, il substituerait son propre jugement scientifique à celui du responsable de
l’évaluation des risques et ferait un examen de novo et, par conséquent, outrepasserait ses fonctions au titre
de l’article 11 du Mémorandum d’accord » : Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 592. 2 Ibid., § 599.
3 V. en ce sens ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I., « Chronique commentée du
règlement des différends de l’OMC (début juillet 2008 à début juillet 2009) », RIDE, 2009, p.480. 4 Communication des CE en tant qu’appelant, § 240, citée par le Rapport de l'Organe d'appel « Canada –
Hormones II », § 585. 5 C’est ici l’usage d’une autre liberté procédurale qui sera sujet à la critique : le refus de faire usage de son
pouvoir d’évocation : v. infra n° 189.
198
Il ressort de cette évolution une teneur incertaine du contrôle proposé par l’Organe
d’appel du respect par les Groupes spéciaux de leur mandat1. Si le seuil de censure a
théoriquement évolué, il n’a jamais permis de remettre en cause une mauvaise
appréciation des faits (par exemple de l’évaluation de risques) menée par le Groupe
spécial, permettant de mettre en œuvre les exceptions environnementales et sanitaires.
D’une manière analogue, l’Organe d’appel cultive l’incertitude concernant l’étendue
de son pouvoir d’évocation, ce qui semble également participer à l’ineffectivité des
exceptions environnementales et sanitaires.
L’INCERTAINE ÉTENDUE DU POUVOIR D’ÉVOCATION DE L’ORGANE § 2.
D’APPEL
184. Dans certains appels, se pose la question du champ d’examen de l’Organe
d’appel : celui-ci est en principe limité aux seules questions de droit soulevées par
l’appelant. Pourtant, il s’octroie parfois la possibilité de s’emparer de questions non
alléguées par les parties, au motif d’une résolution effective du différend. C’est ce que
certains observateurs ont appelé le « problème du pouvoir d’évocation »2
.
L’incertitude de l’étendue de ce pouvoir d’évocation permet à l’Organe d’appel de
conserver une marge de manœuvre, qui semble lui servir à éluder certaines questions
sur lesquelles l’Organe d’appel ne veut pas se prononcer, ou se déclarer inapte à
appliquer une déclaration de principe pour manque d’informations de pur fait. Tout en
paraissant juridiquement limiter ce pouvoir, l’Organe d’appel en fait un usage extensif
en pratique (A). L’incertitude de l’étendue de ce pouvoir lui permet néanmoins de
1 Si nos exemples sont tirés du contentieux SPS, précisons que la même tendance se retrouve dans le
contentieux OTC. Certains observateurs ont ainsi déjà pu relever le refus de l’Organe d’appel de censurer le
Groupe spécial dans l’affaire Thons II, en se fondant sur la réitération du pouvoir discrétionnaire des
Groupes spéciaux, concernant le traitement des éléments de preuve. Ces observateurs font, en outre, le lien
entre le refus de censure, et l’ineffectivité de l’exception environnementale, en déclarant que « cette
manière répétitive de répondre témoigne d’une déférence étonnante à l’égard du traitement des éléments de
preuve par le Groupe spécial, alors qu’en l’espèce, on pouvait avoir l’impression d’une réticence de celui-
ci aux arguments environnementaux » : RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des
différends de l’Organisation mondiale du commerce (2011-2012) », JDI, 2012/4, p. 60. 2 V. notamment RUIZ-FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après,
quinze rapports plus tard... », RGDIP, 1999/1, pp. 110-114.
199
refuser de l’exercer suivant les cas d’espèce, ce refus semblant participer à
l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires (B).
Une pratique confirmée de l’usage extensif par l’Organe d’appel de son A.
pouvoir d’évocation
185. L’amorce d’une pratique d’évocation de l’Organe d’appel. Les textes de l’OMC
sont loin de suggérer explicitement un quelconque pouvoir d’évocation de l’Organe
d’appel, en tant que possibilité de se saisir de questions non soulevées par les
appelants. Celui-ci l’a pourtant implicitement utilisé dès la première affaire qu’il a eue
à traiter dans son rapport Essence1, puis de manière plus assumée dans son rapport
Canada – Périodiques2. Il confirme explicitement cette pratique de l’évocation à
l’occasion de son rapport CE - Volailles. Pour ce faire, l’Organe d’appel commence
par se fonder sur l’article 17 du Mémorandum d’Accord, en particulier sur ses
paragraphes 6 et 13, lesquels spécifient son domaine de compétence et son mandat. Le
premier dispose que « [l]'appel sera limité aux questions de droit couvertes par le
rapport du groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci » quand
le second ajoute que « [l]'Organe d'appel pourra confirmer, modifier ou infirmer les
constatations et les conclusions juridiques du groupe spécial ». L’Organe d’appel
explicite l’application d’un tel mandat en soulignant que « [d]ans certains appels
toutefois, l'infirmation de la constatation d'un groupe spécial concernant une question
de droit peut nous amener à formuler une constatation sur une question de droit qui
n'a pas été traitée par le groupe spécial » 3
. Appliquant cette théorie à l’affaire
1 En effet, dès son rapport Essence, l’Organe d’appel use de son pouvoir d’évocation en effleurant les faits,
ou en traitant de questions mixtes droit – faits. Il examine en effet la compatibilité de la mesure américaine
avec le chapeau de l’article XX du GATT, sur lequel le Groupe spécial ne s’était pas prononcé. Sur les
détails de ce point précis, v. RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », JDI,
1999, N°2, p. 457. 2 « Nous estimons que l'Organe d'appel peut, et devrait, en l'espèce, compléter l'analyse de l'article III:2 du
GATT de 1994 en examinant la mesure du point de vue de sa compatibilité avec les dispositions de la
deuxième phrase de l'article III:2, à condition qu'il y ait dans le rapport du Groupe spécial une base
suffisante nous permettant de le faire » : Rapport de l'Organe d'appel Canada – Certaines mesures
concernant les périodiques, WT/DS31/AB/R, adopté le 30 juillet 1997, p. 26. 3 Rapport de l’Organe d’appel Communautés européennes – Mesures affectant l'importation de certains
produits provenant de volailles (« Communautés européennes – Volailles »), WT/DS69/AB/R, adopté le 23
juillet 1998, § 156.
200
occurrente, il en conclut que son infirmation de la constatation du Groupe spécial le
pousse à « achever [son] analyse » 1
, en examinant la compatibilité de la mesure
communautaire en cause avec le droit de l’OMC. Il est évident qu’en appréciant cette
compatibilité, il mène certaines constatations de fait, activité se situant a priori en
dehors du champ d’examen de l’appel. Pour certains, ce pouvoir d’évocation se
justifie lorsqu’il se limite de la sorte à ne pas laisser une analyse, commencée par le
Groupe spécial, en suspens2. Suite à cette amorce, l’Organe d’appel a adopté une
pratique confirmant l’usage généralisé de son pouvoir d’évocation.
186. La confirmation de la pratique du pouvoir d’évocation. L’Organe d’appel a dès
lors fait un usage extensif de son pouvoir d’évocation. Il l’a ainsi explicitement
revendiqué dans son rapport Crevettes, en identifiant comme nouveau fondement à
cette pratique l’article 3.7 du Mémorandum d’Accord, selon lequel « le but du
mécanisme de règlement des différends est d’arriver à une solution positive des
différends ». L’Organe d’appel justifie cet usage en déclarant qu’« heureusement dans
la présente affaire, comme dans les affaires antérieures […], nous pensons que les
faits versés au dossier du Groupe spécial nous permettent d’achever l’analyse requise
pour régler ce différend » 3
. Le pouvoir d’évocation est ainsi explicitement
revendiqué4
, et généralisé. On citera entre autres litiges, l’usage du pouvoir
d’évocation de l’Organe d’appel dans les affaires Australie – Saumons5, Corée –
produits laitiers6, Canada – Automobile
7, Corée – Viande de bœuf
8, États-Unis –
1 « […] dans le présent appel, comme nous avons infirmé la constatation du Groupe spécial concernant
l'article 5:1 b), nous pensons que nous devrions achever notre analyse du prix à l'importation c.a.f. en
formulant une constatation au sujet de la compatibilité du règlement communautaire avec l'article 5:5,
laquelle n'a pas été traitée par le Groupe spécial pour des raisons d'économie jurisprudentielle » :Ibid. 2 RUIZ-FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 113. 3 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », § 124.
4 RUIZ-FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 113. 5 Rapport de l’Organe d’appel « Australie - Saumons », §§ 209, 212, 241 et 255.
6 Rapport de l’Organe d’appel Corée – Mesure de sauvegarde définitive appliquée aux importations de
certains produits laitiers, WT/DS98/AB/R, adopté le 14 décembre 1999, § 102. 7
Rapport de l’Organe d’appel Canada – Certaines mesures affectant l’industrie automobile,
WT/DS139/AB/R et WT/DS142/AB/R, adopté le 31 mai 2000, §§ 131 et 144. 8 Rapport de l’Organe d’appel Corée – Diverses mesures affectant la viande de bœuf, WT/DS161/AB/R et
WT/DS169/AB/R, adopté le 11 décembre 2000, § 128.
201
réduction à zéro1. Cette pratique est d’ailleurs légitimée par les États Membres,
certains n’hésitant pas à appeler l’Organe d’appel à user de son pouvoir d’évocation
dans leurs communications. C’est ainsi que dans l’affaire Japon – produits agricoles II,
les États-Unis saisissent l’Organe d’appel pour qu’il « achève l’analyse juridique » 2
.
La confirmation de la pratique du pouvoir d’évocation est peut-être d’autant plus
tangible qu’elle semble évidente dans certaines affaires. Par exemple, dans son rapport
Thons II, l’Organe d’appel a naturellement, et sans se justifier sur cette démarche,
apprécié lui-même la compatibilité de la mesure américaine avec l’article 2.1 de
l’Accord OTC, après avoir infirmé l’approche du Groupe spécial. C’est ainsi que
certains ont pu parler de « banalisation » du pouvoir d’évocation de l’Organe d’appel3,
tant la pratique jurisprudentielle le rend évident dans l’optique de règlement rapide et
efficace des litiges. Malgré cette banalisation pratique du pouvoir d’évocation de
l’Organe d’appel, ce dernier entretient l’incertitude en se réservant le droit de refuser
d’en faire usage. Ces cas de refus par l’Organe d’appel de faire usage de son pouvoir
d’évocation semblent pourtant participer à l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires.
Les cas de refus d’usage par l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation B.
187. Malgré la banalisation de l’usage par l’Organe d’appel de son pouvoir
d’évocation, il lui arrive de refuser de l’exercer, au motif formel d’un manque
d’éléments de faits. Cette limite incertaine, posée à l’étendue de son pouvoir, fait
naître le risque de ne pas résoudre positivement le litige, ou pire encore, de conclure à
l’incompatibilité d’une mesure qu’il refuse d’examiner. De ce fait, l’incertitude de
l’étendue du pouvoir d’évocation de l’Organe d’appel participe à l’ineffectivité
conjoncturelle des exceptions environnementales et sanitaires.
1 Rapport de l’Organe d’appel États-Unis – Maintien en existence et en application de la méthode de
réduction à zéro, WT/DS350/AB/R, adopté le 4 février 2009, § 189. 2 Communication des États-Unis en tant qu’appelant, § 62.
3 V. TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université
Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 367 et s.
202
188. Le danger du non-lieu. Le premier danger présenté par le refus par l’Organe
d’appel de faire usage de son pouvoir d’évocation, est d’aboutir à un non-lieu, en ne
résolvant pas positivement le différend. L’affaire Australie – Saumons illustre ce
phénomène, d’un Organe d’appel, infirmant explicitement les conclusions du Groupe
spécial, mais se refusant à appliquer son raisonnement pour résoudre le différend,
laissant le litige irrésolu sur le fond. Dans cette affaire, l’Organe d’appel infirme les
constatations du Groupe spécial sur deux plans. Premièrement, il considère que le
Groupe spécial n’a pas examiné si la mesure en cause était fondée sur une évaluation
des risques, au sens de l’article 5.1 de l’Accord SPS, et use de son pouvoir d’évocation
« afin de compléter l’analyse juridique et de régler le différend entre les parties » 1. Il
procède ainsi lui-même à cet examen, pour conclure que, selon lui, la mesure
phytosanitaire australienne n’est pas fondée sur une évaluation des risques. Il use une
seconde fois de son pouvoir d’évocation, pour examiner la compatibilité de la mesure
avec l’article 5.6 de l’Accord SPS : il cherche ainsi à se prononcer sur la question de
savoir, si la mesure en cause est « plus restrictive pour le commerce qu’il n’est
requis » pour obtenir le niveau de protection sanitaire jugé approprié par l’Australie2.
Il refuse pourtant de terminer son analyse juridique « en raison du caractère
insuffisant des constatations de fait du Groupe spécial et des faits ne relevant pas du
différend entre les parties » 3
. Limitant ainsi l’étendue de son pouvoir d’évocation par
le manque d’éléments factuels, l’Organe d’appel conclut qu’« en infirmant la
constatation du Groupe spécial concernant l’article 5.6, nous ne concluons toutefois
pas que l’Australie a ou non enfreint les dispositions de l’article 5 .6. Il se peut fort
bien qu’il y ait violation de l’article 5.6, et également de l’article 2.2, mais nous ne
sommes pas en mesure de parvenir à une conclusion sur ces deux questions »4. Ainsi,
malgré son infirmation de la constatation du groupe spécial, l’Organe d’appel ne
conclut pas à la compatibilité ou non de la mesure australienne avec l’article 5.6. Le
malaise provoqué par un tel statu quo, ne réglant en rien le différend a déjà été relevé
1 Rapport de l’Organe d’appel « Australie - Saumons », § 117.
2 Ibid., § 193.
3 Ibid., § 213.
4 Ibid.
203
par les observateurs1. D’un côté, le différend est réglé entre les parties, en ce que la
mesure est déclarée incompatible avec le droit de l’OMC, au regard de son absence de
justification par une évaluation des risques en bonne et due forme. En revanche, dans
une optique de mise en conformité, l’Australie ne peut savoir, si réussissant à justifier
sa mesure par des preuves scientifiques valides, celle-ci sera considérée, ou non, plus
restrictive pour le commerce que nécessaire. Cette espèce de non-lieu résulte du
constat, posé par l’Organe d’appel à l’étendue de son pouvoir d’évocation, de manque
d’éléments factuels établis par le Groupe spécial. Elle incarne pour certains une
contrepartie, nécessairement rigoureuse, à la banalisation de cette pratique
d’évocation2. Si l’Organe d’appel invoque cette limite factuelle pour refuser d’user de
son pouvoir d’évocation, l’incertitude subsiste au regard des nombreuses occurrences
où il s’est permis de se faire juge des faits. Plus avant, cette incertitude, et la marge de
manœuvre qui la caractérise, semble participer à l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires, en ce qu’elle paraît, par défaut, conclure à
l’incompatibilité des mesures en cause.
189. Une conclusion d’incompatibilité par défaut ? Certains observateurs ont déjà
souligné qu’en usant de son pouvoir d’évocation, il s’est agi, pour l’Organe d’appel,
de se contenter de maintenir une conclusion d’incompatibilité, en en modifiant
seulement le fondement juridique3. C’est peut-être justement cette limite qui pose
question au regard de son incidence sur l’effectivité des exceptions environnementales
et sanitaires, puisque l’Organe d’appel est plus frileux quand il s’agit d’infirmer les
conclusions générales du Groupe spécial : il accepte de modifier son raisonnement
juridique, mais refuse de conclure à une compatibilité des mesures environnementales
et sanitaires, si cela n’a pas été le cas en première instance. L’affaire Hormones II
révèle l’écueil de ce refus de pousser le pouvoir d’évocation jusqu’à remettre en
question la conclusion générale d’incompatibilité de la mesure. L’issue effective du
1 TOMKIEWICZ V., « Australie – Mesures visant les importations de saumons », in STERN B. et RUIZ-FABRI
H. (éd.), La jurisprudence de l’OMC – The Case-Law of the WTO (1998-2), Leiden, Boston, M. Nijhoff,
2006, p. 180. 2 RUIZ-FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 114. 3 Ibid., p. 113.
204
litige y apparaît totalement contradictoire avec le contenu des raisonnements menés
par l’Organe d’appel. En effet, l’Organe d’appel sanctionne les raisonnements du
Groupe spécial sur de nombreux points, concernant à la fois son examen de
l’évaluation des risques conformément à l’article 5.1 de l’Accord SPS1, ainsi que son
appréciation en tant que mesure provisoire au sens de l’article 5.72. L’Organe d’appel
infirme donc la constatation du Groupe spécial concluant à une mauvaise évaluation
des risques, incompatible avec l’article 5.1, ainsi que celle concluant à
l’incompatibilité de la mesure avec l’article 5.7. La pratique confirmée de l’usage
extensif par l’Organe d’appel pouvait laisser penser qu’il complèterait l’analyse pour
arriver à une résolution effective du différend. Il refuse pourtant, en invoquant les
« nombreuses failles […] constatées dans l’analyse du Groupe spécial, et la […]
nature très controversée des faits » 3
. Plus avant il ne formule aucune obligation de
levée des sanctions des États-Unis et du Canada, alors que son propos suggère que la
mesure communautaire n’est pas incompatible avec l’Accord SPS4. Les Communautés
européennes ont par là même dû subir les contre-mesures américaines et canadiennes
ainsi validées, alors que le rapport concluait à la « non-incompatibilité » avec le droit
de l’OMC de la mesure communautaire relative aux « hormones ». Le refus par
l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation semble ainsi entraîner une solution
d’incompatibilité par défaut, ce qui semble encore plus alarmant qu’un non-lieu.
Certains observateurs ont également estimé les raisons invoquées par l’Organe d’appel
1 L’Organe d’appel considère que le Groupe spécial a adopté une approche trop restrictive de l’évaluation
des risques, ainsi qu’une appréhension trop rigoureuse du lien de causalité entre cette évaluation et la
mesure. Surtout, il estime que le Groupe spécial a outrepassé son mandat en se livrant à sa propre
évaluation des risques au lieu de se contenter d’apprécier celle que les Communautés européennes lui
proposaient : v. infra n° 307. 2 L’Organe d’appel a infirmé le critère de « masse critique de nouvelles preuves » utilisé par le Groupe
spécial, pour apprécier l’insuffisance de preuves scientifiques quand il existe déjà une évaluation des
risques disponible : v. supra n° 142. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », §§ 620 et 735.
4 « Puisque nous n'avons pas été en mesure de compléter l'analyse sur le point de savoir si la Directive
2003/74/CE avait mis les Communautés européennes en conformité sur le fond au sens de l'article 22:8 du
Mémorandum d’accord, les recommandations et décisions adoptées par l'ORD dans l'affaire CE –
Hormones restent exécutoires. Compte tenu des obligations découlant de l'article 22:8 du Mémorandum
d’accord, nous recommandons que l'Organe de règlement des différends demande au Canada et aux
Communautés européennes d'engager une procédure au titre de l'article 21:5 sans retard afin de régler
leur désaccord sur le point de savoir si les Communautés européennes ont éliminé la mesure jugée
incompatible dans l'affaire CE – Hormones et si l'application de la suspension de concessions par le
Canada reste juridiquement valable » : Ibid.,§ 737.
205
peu convaincantes, et, exprimant un sentiment mitigé à la lecture des conclusions du
rapport, ont fait part de leurs interrogations sur les raisons profondes justifiant qu’il
soit ainsi « botté en touche »1. Nous partageons ce sentiment de malaise, en constatant
que les limites incertaines posées par l’Organe d’appel à l’étendue de son pouvoir
d’évocation, participent à l’ineffectivité conjoncturelle de l’exception sanitaire. On ne
peut que regretter ces limites au pouvoir d’évocation de l’Organe d’appel, ainsi que
l’impossibilité de renvoi de l’affaire devant le panel. Des propositions de modification
du Mémorandum d’Accord ont déjà été faites2, qui prévoyaient entre autres choses la
possibilité de renvoyer l’affaire au Groupe spécial initial en cas d’insuffisance de faits3,
ainsi que des procédures spécifiques intervenant lors de telles occurrences4.
1 ABDELGAWAD W. et al., « Chronique commentée du règlement des différends de l’OMC (début juillet
2008 à début juillet 2009) », RIDE, 2009, p. 482. 2 Organe de règlement des différends, Session extraordinaire, TN/DS/9, 6 juin 2003, proposant des
amendements au Mémorandum d’accord. 3 V. Article 17.12 de la proposition : « Dans les cas où, du fait que les constatations de fait figurant dans le
rapport du groupe spécial ou que les faits non contestés figurant dans le dossier de la procédure du groupe
spécial sont insuffisants, l'Organe d'appel ne sera pas en mesure de traiter pleinement une question, il
l'indiquera dans son rapport et expliquera en détail les insuffisances spécifiques des constatations de fait et
des faits non contestés figurant au dossier. En pareil cas, dans un délai de 30 jours à compter de l'adoption
du rapport de l'Organe d'appel par l'ORD, la partie plaignante pourra demander à l'ORD de renvoyer cette
question au groupe spécial initial, conformément aux dispositions de l'article 17bis. […] ». 4 V. Article 17 bis de la proposition : « Lorsque, conformément au paragraphe 12 de l'article 17, une partie
au différend demande un renvoi, l'ORD établira un groupe spécial du renvoi à la réunion à laquelle la
demande de renvoi sera inscrite à l'ordre du jour de l'ORD, à moins que l'ORD ne décide par consensus de
ne pas établir de groupe spécial. Le groupe spécial du renvoi sera composé des membres du groupe spécial
initial […] ».
206
207
190. Conclusion du Chapitre 1. Les incertitudes matérielles et procédurales, cultivées
par les organes de règlement des différends, se révèlent des terrains propices à
l’ineffectivité des exceptions environnementales et matérielles. L’apparente flexibilité
juridique, correspondant à ces incertitudes, semble chaque fois desservir les mesures
environnementales et sanitaires. L’incertitude matérielle est incarnée par un dogme
casuistique, qui présente des règles au contenu peu précis, chaque fois dépendantes
des « circonstances particulières de l’espèce » et de leur appréciation au « cas par
cas ». L’incertitude procédurale relève plutôt du mythe de la répartition de
compétences cloisonnées entre l’appréciation des faits et le jugement en droit,
incombant respectivement aux Groupes spéciaux et à l’Organe d’appel. Devant ces
incertitudes, les États auteurs de mesures environnementales ou sanitaires se
retrouvent dans une posture extrêmement vulnérable, d’importante insécurité juridique,
et n’en sortent jamais victorieux. La rigueur pratique se cachant derrière la flexibilité
théorique, n’étant par définition pas posée juridiquement, elle ne peut se manifester
qu’au gré des cas d’espèce, de manière apparemment conjoncturelle. Les organes de
règlement des différends paraissent ainsi user de la marge de manœuvre jalousement
ménagée, pour adopter une politique jurisprudentielle accordant effectivement une
primauté au libre-échange, en dépit de leurs déclarations de principe audacieuses
concernant la protection de la santé et de l’environnement. L’ineffectivité
conjoncturelle constatée semble ainsi s’expliquer, en partie, par l’entretien de ces
incertitudes. Avant d’avancer l’hypothèse d’une ineffectivité systémique, et d’infirmer
définitivement son caractère conjoncturel, on peut d’ores et déjà apprécier sa
généralisation, qui semble directement liée à l’application et à l’interprétation des
Accords SPS et OTC.
208
209
CHAPITRE 2.
UNE INEFFECTIVITÉ FONDÉE SUR LES ACCORDS SPS ET OTC
191. Une ineffectivité généralisée. En dépit du discours conjoncturel tenu par les
organes de règlement des différends pour expliquer l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires, vingt ans de pratique permettent à l’observateur de
prendre suffisamment de hauteur pour constater le caractère généralisé de cette
ineffectivité. L’appréhension des rapports, soulevant la question du jeu des exceptions
environnementales et sanitaires, en tant qu’ensemble, permet de relever les écueils
communs auxquels se heurtent les différentes mesures en cause. Le recul permet
d’associer la généralisation de l’ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires à l’application de certains textes. Cela revient à dire que les mesures
environnementales et sanitaires font l’objet d’une qualification particulière, les
soumettant à un régime garantissant l’ineffectivité substantielle des exceptions. Cette
ineffectivité serait ainsi généralisée par certains fondements textuels.
192. Les fondements textuels de l’ineffectivité. Dans les faits, seules les mesures en
cause dans les affaires Amiante et Crevettes ont été admises au titre des exceptions
environnementales et sanitaires. Pour ce faire, les organes de règlement des différends
s’étaient alors fondés sur les exceptions générales de l’article XX du GATT. Pourtant,
les mêmes organes de règlement des différends semblent avoir étendu le champ
d’application des Accords SPS et OTC, réduisant par là même celui de l’article XX du
GATT1
. Cette politique jurisprudentielle de qualification extensive des mesures
relevant des exceptions spéciales semble aller de pair avec un régime verrouillant la
possibilité de justifier l’adoption de mesures restrictives pour le commerce par la
poursuite d’un objectif de protection sanitaire ou environnementale. Autrement dit, le
glissement de la jurisprudence environnementale et sanitaire, du GATT vers les
1 Si les exceptions n’ont été mises en œuvre que lors de litige résolus sur le fondement de l’article XX du
GATT, toutes les affaires ayant été tranchées sur ce fondement n’ont pas conclu à la justification des
mesures environnementales ou sanitaires. C’est ainsi que lors de récentes affaires, telles que celles relatives
aux Matières premières, aux Terres rares et aux Phoques, les organes de règlement des différends ont
conclu à l’incompatibilité des mesures protectrices en cause au regard de l’article XX du GATT.
210
Accords SPS et OTC, paraît correspondre à une neutralisation de l’effectivité des
exceptions. De la même manière, le constat du décalage entre la consécration formelle
de ces exceptions et leur ineffectivité substantielle semble directement s’ancrer dans
leur réassignation aux Accords SPS et OTC.
193. Des régimes stricts appliqués à un large champ de mesures. L’ineffectivité des
exceptions environnementales et sanitaires semble découler d’une double logique de
l’application de régimes juridiques stricts à un large champ de mesures. Autrement dit,
c’est l’articulation entre l’interprétation extensive du champ d’application des Accord
SPS et OTC (SECTION 1), et l’interprétation restrictive des régimes juridiques
correspondant (SECTION 2), qui généralise l’ineffectivité substantielle des exceptions
environnementales et sanitaires.
SECTION 1. UNE INEFFECTIVITÉ PERMISE PAR L’INTERPRÉTATION
EXTENSIVE DU CHAMP D’APPLICATION DES ACCORDS SPS
ET OTC
194. Les organes de règlement des différends ont donné aux Accords SPS et OTC des
champs d’application extrêmement étendus. Cette tendance s’entend au regard de
l’objectif affiché de ces accords d’encadrer l’adoption des mesures « nécessaires à la
protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux [ou] à la préservation
des végétaux » 1
, afin qu’elles ne constituent pas des entraves déguisées au commerce
international. Dans une telle optique commerciale, plus le champ d’application des
Accords SPS et OTC est étendu, plus les mesures susceptibles d’entraves au libre-
échange pour de prétendus motifs environnementaux ou sanitaires, sont encadrées par
le juge de l’OMC. Un des principaux enjeux de cet encadrement est la forte incitation
à l’harmonisation2 des normes sanitaires et environnementales entre les États membres,
1 Alinéa 6 du Préambule de l’Accord OTC, et premier alinéa du Préambule de l’Accord SPS.
2 Articles 2.6, 5.5 et Annexe 3 G. de l’Accord OTC ; Alinéa 6 du Préambule, Articles 3, 12.1 et 12.4,
Annexe A 2) de l’Accord SPS. Pour plus de détails sur l’incidence du large champ d’application des
Accords SPS et OTC sur l’obligation d’harmonisation des États membres, v. infra n° 324 s.
211
qui, par leur uniformité faciliteraient le commerce international des marchandises1. À
l’inverse, dans une optique non-commerciale, de protection de la santé et de
l’environnement, ce large champ d’application vient neutraliser d’autant plus de
mesures, en les soumettant à un strict régime juridique. Dans la mesure où en
découlent des régimes tellement stricts qu’ils invalident toutes les mesures litigieuses,
la qualification extensive des mesures SPS d’une part (§1), et des règlements
techniques d’autre part (§2), généralise l’ineffectivité substantielle des exceptions
environnementales et sanitaires.
LA QUALIFICATION EXTENSIVE DES MESURES SPS § 1.
195. Les mesures SPS, objets de l’Accord SPS. L’Accord SPS s’applique à toutes les
mesures sanitaires et phytosanitaires (mesures SPS) qui peuvent, directement ou
indirectement, affecter le commerce international2. Les organes de règlement des
différends ont adopté une qualification extensive des mesures SPS, délimitant un
champ d’application extrêmement large de l’Accord SPS. Leur interprétation extensive
de l’Annexe A 1) leur permet de qualifier de mesure SPS presque tous les actes
nationaux visant à protéger la santé ou l’environnement. Le premier paragraphe de
l’Annexe A de l’Accord SPS permet de qualifier de mesure SPS « toute mesure
appliquée :
a) pour protéger, sur le territoire du Membre, la santé et la vie des animaux ou
préserver les végétaux des risques découlant de l'entrée, de l'établissement ou de la
dissémination de parasites, maladies, organismes porteurs de maladies ou organismes
pathogènes ;
b) pour protéger, sur le territoire du Membre, la santé et la vie des personnes et des
animaux des risques découlant des additifs, contaminants, toxines ou organismes
pathogènes présents dans les produits alimentaires, les boissons ou les aliments pour
animaux ;
1 Alinéas 3 et 4 du Préambule de l’Accord OTC ; Alinéas 4 et 5 de l’Accord SPS.
2 Article 1.1 de l’Accord SPS : « Le présent accord s'applique à toutes les mesures sanitaires et
phytosanitaires qui peuvent, directement ou indirectement, affecter le commerce international ».
212
c) pour protéger, sur le territoire du Membre, la santé et la vie des personnes des
risques découlant de maladies véhiculées par des animaux, des plantes ou leurs
produits, ou de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination de parasites ; ou
d) pour empêcher ou limiter, sur le territoire du Membre, d'autres dommages
découlant de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination de parasites.
Les mesures sanitaires ou phytosanitaires comprennent toutes lois, tous décrets, toutes
réglementations, toutes prescriptions et toutes procédures pertinents, y compris, entre
autres choses, les critères relatifs au produit final ; les procédés et méthodes de
production; les procédures d'essai, d'inspection, de certification et d'homologation ;
les régimes de quarantaine, y compris les prescriptions pertinentes liées au transport
d'animaux ou de végétaux ou aux matières nécessaires à leur survie pendant le
transport ; les dispositions relatives aux méthodes statistiques, procédures
d'échantillonnage et méthodes d'évaluation des risques pertinentes ; et les
prescriptions en matière d'emballage et d'étiquetage directement liées à l'innocuité
des produits alimentaires ».
Cette disposition comprend donc deux éléments essentiels : premièrement la mesure
doit viser la protection d’un des objectifs listés dans les points a) à d) ; deuxièmement
elle peut revêtir différents statuts formels. L’Organe d’appel a interprété ces deux
critères, formel (A) et matériel (B), de manière extensive.
L’interprétation extensive du critère formel A.
196. Une liste exemplative. Formellement, se pose la question de savoir quels types
d’actes étatiques peuvent être qualifiés de mesures au sens de l’Accord SPS. Le terme
de « mesure » à proprement parler n’est pas défini dans l’accord. Le second corps du
texte de l’Annexe A 1) de l’Accord SPS contient néanmoins une liste d’instruments
juridiques, susceptibles d’être qualifiés de mesure SPS, allant des lois aux formalités
administratives, en passant par les décrets, réglementations et prescriptions1. Cette
1 Pour rappel : « Les mesures sanitaires ou phytosanitaires comprennent toutes lois, tous décrets, toutes
réglementations, toutes prescriptions et toutes procédures pertinents, y compris, entre autres choses, les
213
liste, couvrant d’ores et déjà une large palette de supports juridiques, est en outre
appréhendée par l’Organe d’appel comme étant « à la fois exemplative et non
exhaustive » 1
. L’Organe d’appel fonde cette affirmation sur la présence du verbe
« comprennent ». Il est pourtant tout à fait envisageable que les négociateurs aient
entendu par l’emploi d’un tel verbe qu’au contraire, ne pouvaient être qualifiés de
mesures SPS que des lois, décrets, réglementations, prescriptions ou procédures
pertinents. Il faut concéder à l’Organe d’appel que la fin de cette seconde phrase
énumère « un large éventail de mesures » 2
, introduit par l’expression « y compris,
entre autres choses », qui est explicitement posée comme « indicative » 3
. En revanche,
l’introduction de cette phrase n’implique pas que la liste soit seulement indicative. En
l’interprétant de manière extensive, les organes de règlement des différends ont
considérablement élargi le champ d’application de l’Accord SPS. Le rapport OGM
pose néanmoins une limite, en refusant de qualifier le moratoire communautaire de
mesure SPS à proprement parler.
197. La limite posée par le rapport OGM. L’objet du différend OGM était double :
étaient en cause, d’un côté le moratoire communautaire, et d’un autre côté les mesures
de sauvegardes nationales. Il s’agissait, dans un premier temps, de savoir si le
moratoire appliqué par les Communautés européennes à l’approbation des produits
biotechnologiques était une mesure contestable devant les organes de règlement des
différends. Les Communautés européennes arguaient qu’il s’agissait d’une pratique, et
non d’une mesure, ne pouvant être contestée au titre de l’Accord sur l’OMC.
Admettant qu’il s’agissait d’un moratoire de facto et non de jure, le Groupe spécial
s’appuie sur la référence faite par l’Organe d’appel dans une décision antérieure à
critères relatifs au produit final; les procédés et méthodes de production; les procédures d'essai,
d'inspection, de certification et d'homologation; les régimes de quarantaine, y compris les prescriptions
pertinentes liées au transport d'animaux ou de végétaux ou aux matières nécessaires à leur survie pendant
le transport; les dispositions relatives aux méthodes statistiques, procédures d'échantillonnage et méthodes
d'évaluation des risques pertinentes; et les prescriptions en matière d'emballage et d'étiquetage directement
liées à l'innocuité des produits alimentaires ». 1 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Pommes », § 175.
2 Ibid., § 176.
3 Ibid..
214
« tout acte ou omission imputable à un Membre de l'OMC » 1
. Il rend néanmoins une
décision nuancée sur ce point : tout en reconnaissant l’existence d’un moratoire
communautaire de facto, le Groupe spécial se rend à l’argument communautaire, en
considérant que le moratoire est moins une mesure SPS, qu’une application d’une
mesure SPS2. Si le moratoire avait entrainé le retardement du processus d’approbation
des produits biotechnologiques, les Communautés européennes défendaient le fait que
c’était le système d’approbation des produits lui-même qui constituait la mesure SPS,
et que le moratoire n’en était qu’une application. Le Groupe spécial a ainsi appréhendé
ce moratoire, comme un agent modulatoire de la mesure SPS d’approbation des
produits biotechnologiques. Cette qualification a entrainé l’examen, par le Groupe
spécial, de la compatibilité de ce moratoire avec les obligations procédurales énoncées
par l’Accord SPS, mais pas avec les obligations encadrant l’adoption des mesures SPS.
Il n’a ainsi pas donné suite à la majorité des allégations des plaignants (concernant le
moratoire uniquement), et s’est contenté de conclure à son incompatibilité avec
l’article 83 et l’Annexe C1)a)
4 de l’Accord SPS, en estimant que les procédures
communautaires d’approbation pour commercialiser les produits biotechnologiques
témoignaient de retards injustifiés. Ce refus par le Groupe spécial d’examiner la
1 La question se posait alors à propos d’une mesure antidumping. L’Organe d’appel avait alors considéré
qu’au regard de l’article 3.3 du Mémorandum d’accord, « en principe, tout acte ou omission imputable à un
Membre de l'OMC peut être une mesure de ce Membre aux fins d'une procédure de règlement des
différends. Les actes ou omissions qui sont ainsi imputables sont habituellement les actes ou omissions des
organes de l'État, y compris ceux du pouvoir exécutif » : Rapport de l'Organe d'appel États-Unis –
Réexamen à l'extinction des droits antidumping appliqués aux produits plats en acier au carbone traité
contre la corrosion en provenance du Japon, WT/DS244/AB/R, adopté le 9 janvier 2004, § 81, cité par
Rapport du Groupe spécial « OGM », § 7.1291. 2 « La décision d’appliquer un moratoire général n’était pas une décision de fond de rejeter toutes le
demandes. […] En conséquence, la décision d’appliquer un moratoire général sur les approbations ne peut
être considérée comme ayant prédéterminé des décisions finales négatives au sujet de toutes les demandes
en souffrance et futures » : Ibid., §§ 7.1329, 7.1341 et 7.1343. 3 Article 8 de l’Accord SPS (« Procédures de contrôle, d'inspection et d'homologation ») : « Les Membres
se conformeront aux dispositions de l'Annexe C dans l'application des procédures de contrôle, d'inspection
et d'homologation, y compris les systèmes nationaux d'homologation de l'usage d'additifs ou
d'établissement de tolérances pour les contaminants dans les produits alimentaires, les boissons ou les
aliments pour animaux, et par ailleurs feront en sorte que leurs procédures ne soient pas incompatibles
avec les dispositions du présent accord ». 4 Annexe C1)a) de l’Accord SPS (« Procédures de contrôle, d’inspection et d’homologation ») : « En ce qui
concerne toutes procédures visant à vérifier et à assurer le respect des mesures sanitaires ou
phytosanitaires, les Membres feront en sorte : […] que ces procédures soient engagées et achevées sans
retard injustifié et d'une manière non moins favorable pour les produits importés que pour les produits
similaires d'origine nationale […] ».
215
conformité du moratoire avec la plupart des dispositions de l’Accord SPS1 constitue
pour certains une « grande victoire » pour les Européens2. Il nous semble néanmoins
que cette limite posée par le rapport OGM à la qualification de mesure SPS est bien
pauvre, et n’empêche pas de parler d’inconsistance du critère formel, garantissant un
trop large champ d’application à l’Accord SPS.
198. L’inconsistance du critère formel. Si le rapport OGM pose une limite, en ne
qualifiant pas le moratoire communautaire de mesure SPS, celle-ci est infime. Il reste
que les organes de règlement des différends n’accordent aucune importance à la forme
ou à la dénomination des mesures SPS. Certains commentateurs justifient cette
interprétation extensive du critère formel de qualification des mesures SPS, en arguant
que l’Accord SPS perdrait tout son sens si un État pouvait échapper à ses obligations
en jouant avec la forme de la mesure3. Effectivement, cette inconsistance du critère
formel va de pair avec le caractère offensif de l’Accord SPS4 : celui-ci n’a en réalité
pas le rôle d’une exception spéciale, mais de neutralisation des exceptions
environnementales et sanitaires, justifiables par le biais de l’article XX du GATT5.
C’est dans la même optique, que les organes de règlement des différends ont interprété
extensivement le critère matériel de qualification des mesures SPS.
L’interprétation extensive du critère matériel B.
199. Un critère matériel déterminant. Les organes de règlement des différends font
du critère matériel de la définition de l’Annexe A 1), l’élément déterminant de la
qualification des mesures SPS : « Une mesure est une mesure SPS si elle est appliquée
‘pour protéger’ la vie ou la santé d'un certain nombre de risques énumérés ou si elle
1 Le Groupe spécial n’a donc pas examiné la compatibilité du moratoire avec les articles 5.1, 5.5, 5.6, 2.2,
2.3 et 8 (annexe B1) de l’Accord SPS. 2 DUFOUR G., « Les OGM à l’OMC : résumé critique du rapport du Groupe spécial dans l’affaire CE –
Produits biotechnologiques », RQDI (Hors-série), 2007, p. 289. 3
IYNEDJIAN M., L’accord de l’Organisation Mondiale du Commerce sur l’application des mesures
sanitaires et phytosanitaires, une analyse juridique, LGDJ, Paris, 2002, p. 48. 4 Sur l’inconsistance du critère formel, v. également NGO M.-A., La qualité et la sécurité des produits
agro-alimentaires, Approche juridique, L’Harmattan, Paris 2006, pp. 49-55. 5 Julia BUTAULT parle ainsi de l’Accord SPS, comme d’un « instrument d’attaque » dans sa thèse : Le
règlement par l’OMC des différends liés à la sécurité sanitaire dans le commerce international des
aliments, thèse, Nantes, 2008, pp. 55 s.
216
est appliquée ‘pour empêcher ou limiter’ certains autres dommages » 1
. Le critère
matériel, de qualification d’une mesure SPS, réside ainsi dans le constat d’un objectif
de protection sanitaire ou environnementale de la mesure en cause. L’Organe d’appel
dans son rapport Australie – Pommes, voyant dans les instruments juridiques présentés
une liste non-exhaustive, déclare que l’« élément clef de cette phrase »
est le
qualificatif « pertinents » 2
. Cela revient à dire, d’après lui, que le critère déterminant
la qualification de mesure SPS est celui du « but qui correspond à l’un de ceux qui
sont énumérés aux alinéas a) à d) » 3
. Ce faisant, les organes de règlement des
différends tiennent à examiner « objectivement » l’objectif matériel des mesures en
cause, sans déférence pour l’objectif déclaré par les États auteurs des mesures SPS.
200. La recherche d’un lien « objectif », ou le refus de déférence. Afin de déterminer
l’objectif de la mesure en cause, les organes de règlement des différends font une
distinction entre d’une part l’objectif de protection, et d’autre part la mesure SPS
incarnant l’instrument choisi pour réaliser cet objectif4. La poursuite de cet objectif, de
protection de la santé ou de l’environnement, « doit être manifeste dans la mesure
elle-même ou bien ressortir clairement des circonstances relatives à l’application de
la mesure » 5
. Les organes de règlement des différends entendent par là, vérifier eux-
mêmes l’existence du lien entre la mesure et l’objectif poursuivi, « sur la base de
considérations objectives » 6
. Il s’agit une fois encore de ne pas se limiter à l’examen
de « l’intention subjective des législateurs », mais d’examiner « s’il existe un lien
objectif entre les buts déclarés et le texte et les caractéristiques structurelles de la
mesure pertinente » 7
. De cette manière, les organes de règlement des différends
montrent une certaine défiance à l’égard des déclarations de leurs Membres, et
1 Il faut noter, que le Groupe spécial préfère utiliser le verbe « appliquer » plutôt que « adopter », rappelant
ainsi l’inconsistance du critère formel de qualification des mesures SPS. Rapports du Groupe spécial
« OGM », § 7.2555. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Pommes », § 175.
3 Ibid., § 175.
4 Rapport de l'Organe d'appel « Australie –saumons », § 200 : « Il convient d'établir une distinction nette
entre le "niveau de protection approprié" établi par un Membre et la "mesure SPS". Il ne s'agit pas d'une
seule et même chose. Le premier est un objectif et le deuxième, un instrument choisi pour atteindre ou
réaliser cet objectif ». 5 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Pommes », § 172.
6 Ibid.
7 Rapports du Groupe spécial « OGM », § 7.2558.
217
préfèrent mener eux-mêmes l’examen de l’objectif poursuivi. L’Organe d’appel se
réfère à la méthode adoptée dans son rapport Japon – Boissons alcooliques II pour
établir le but d’une mesure : il conseille de le déterminer à partir de la conception, de
l’architecture et de la structure de la mesure1. En cherchant eux-mêmes le but
« objectif » de la mesure en cause, sans égard à l’intention affichée de l’État auteur, les
organes de règlement des différends s’inscrivent déjà dans une logique de défiance des
mesures SPS, plutôt que d’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
Les organes de règlement des différends ont par exemple confirmé leur interprétation
extensive du critère matériel de la qualification de mesure SPS, en refusant de
distinguer les mesures principales des mesures auxiliaires.
201. L’absence de distinction entre les mesures principales, et les mesures
auxiliaires. La qualification extensive des mesures SPS se vérifie dans leur application
aux cas d’espèce. Par exemple, l’Organe d’appel n’a aucun mal, dans son rapport
Australie – Pommes, à vérifier que l’instrument (qui peut être juridique ou non, peu
important son habit formel) poursuit un objectif de protection sanitaire ou
environnementale. Il s’agissait en l’occurrence de la Loi australienne de 1908 sur la
quarantaine dont l’objet était « la prévention ou le contrôle de l’introduction, de
l’établissement et de la dissémination de maladies ou de parasites qui causer[aient]
ou pourraient causer des dommages importants aux êtres humains, aux animaux, aux
végétaux, à d’autres aspects de l’environnement ou aux activité économiques »2.
L’Australie admettait que les seize mesures en cause constituaient des mesures SPS
1 Rapport de l'Organe d'appel Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R, adopté le 1er
novembre 1996, pp. 32-33, cité par le Rapport de l'Organe d'appel
« Australie – Pommes », § 173. Il est à noter que dans l’affaire Japon – Boissons alcooliques II il s’agissait
d’une méthodologie d’application de l’article III:1 du GATT. Cet article dispose que « les parties
contractantes reconnaissent que les taxes et autres impositions intérieures, ainsi que les lois, règlements et
prescriptions affectant la vente, la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution ou l'utilisation de
produits sur le marché intérieur et les réglementations quantitatives intérieures prescrivant le mélange, la
transformation ou l'utilisation en quantités ou en proportions déterminées de certains produits ne devront
pas être appliqués aux produits importés ou nationaux de manière à protéger la production nationale ».
Cette analogie méthodologique proposée entre l’application du principe de traitement national, pilier du
libre-échange, et la qualification d’une mesure SPS, semble témoigner de la coloration commerciale de
l’Accord SPS. 2 § 4 1) de la Loi de 1908 sur la quarantaine cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Pommes »,
§ 178.
218
lorsqu’elles étaient prises conjointement ou « regroupées de manière appropriée » 1
.
Elle soutenait en revanche que, prises individuellement, seules quatre d’entre elles
constituaient des mesures SPS. Selon elle, les autres mesures n’étaient que des
mesures auxiliaires, d’application, découlant des premières. Elle appuyait cet
argument sur la reconnaissance explicite, par un organisme de normalisation
concernant la protection des végétaux, de la distinction entre les mesures et les
méthodes phytosanitaires2. Il faut entendre l’argument australien comme une demande
de conserver un minimum de sa souveraineté sur les modalités d’application pratique
de sa politique phytosanitaire : tout en admettant un contrôle au titre de l’Accord SPS
sur les mesures principales de gestion des risques, l’Australie voudrait garder une
marge de manœuvre sur les mesures d’application de la gestion des risques choisis.
L’Organe d’appel refuse ces arguments au motif que l’Accord SPS ne prévoit aucune
distinction de ce genre3. Il considère ainsi que des mesures pratiques, de procédures
administratives par exemple, prévoyant les modalités d’application d’une mesure plus
générale, sont des mesures SPS au même titre que la mesure principale poursuivant un
objectif phytosanitaire. C’est donc l’ensemble d’un processus que les organes de
règlement des différends entendent contrôler, sans laisser à l’État auteur de la mesure
une quelconque liberté quant aux modalités pratiques.
En interprétant extensivement les critères formel et matériel, les organes de règlement
des différends permettent de qualifier de mesure SPS presque tous les actes, de jure ou
de facto, poursuivant, d’après eux, un objectif de protection de la santé ou de
l’environnement, ainsi que les procédures et pratiques afférentes. En adoptant une telle
interprétation extensive de l’Annexe A 1), relative à la qualification de mesure SPS,
1 Communication de l’Australie en tant qu’appelant, § 60, cité par le Rapport de l'Organe d'appel
« Australie – Pommes », § 166. 2 D’après la CIPV, constituerait une mesure phytosanitaire « [t]oute législation, réglementation ou méthode
officielle ayant pour objet de prévenir l'introduction et/ou la dissémination d'organismes de quarantaine ou
de limiter l'incidence économique d'organismes réglementés non de quarantaine », alors que les méthodes
phytosanitaire désigneraient « [t]oute méthode officielle prescrite pour appliquer des mesures
phytosanitaires, notamment la réalisation d'inspections, d'analyses, de surveillances ou de traitements
relatifs aux organismes nuisibles réglementés » : Glossaire des termes phytosanitaires, 2008 (NIMP n° 5,
FAO, Rome (pièce AUS-164 présentée au Groupe spécial)), cité dans le Rapport de l'Organe d'appel
« Australie – Pommes », § 14. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Pommes », § 182.
219
les organes de règlement des différends attribuent un champ d’application
extrêmement vaste à l’Accord SPS. Ils appliquent la même politique à l’Accord OTC,
en posant des critères de qualification extensifs des règlements techniques.
LA QUALIFICATION EXTENSIVE DES RÈGLEMENTS TECHNIQUES § 2.
202. Une interprétation amorcée par l’affaire Amiante. L’Accord OTC s’applique
aux « règlements techniques », à l’exception de ceux qui sont qualifiés de mesures
SPS1. Le champ d’application de l’Accord OTC dépend ainsi des conditions de
qualification des règlements techniques. C’est initialement dans son rapport Amiante,
que l’Organe d’appel avait précisé, que la question de savoir si une mesure est un
« règlement technique » est une question liminaire, car déterminant le point de savoir
si l’Accord OTC est applicable2. Il s’agissait alors d’interpréter l’annexe 1.1 de
l’Accord OTC définissant le règlement technique comme un « document qui énonce
les caractéristiques d'un produit ou les procédés et méthodes de production s'y
rapportant, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont le
respect est obligatoire. Il peut aussi traiter en partie ou en totalité de terminologie, de
symboles, de prescriptions en matière d'emballage, de marquage ou d'étiquetage, pour
un produit, un procédé ou une méthode de production donnés ». L’Organe d’appel a
ainsi mis en place trois critères cumulatifs de qualification des règlements techniques :
le premier consiste à vérifier que le document s’applique à un produit, ou groupe de
produits, identifiable ; le second réside dans le constat que le document énonce une ou
plusieurs caractéristiques de ce produit ; enfin, le troisième a trait au caractère
contraignant du document.
Si les jalons de la qualification de règlement technique ont été posés dans l’affaire
Amiante, c’est dans le cadre de l’affaire Sardines que les organes de règlement des
1 Article 1.5 de l’Accord OTC : « Les dispositions du présent accord ne s'appliquent pas aux mesures
sanitaires et phytosanitaires telles qu'elles sont définies à l'Annexe A de l'Accord sur l'application des
mesures sanitaires et phytosanitaires ». 2 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 59, par exemple cité par le Rapport de l'Organe d'appel «
sardines », § 175.
220
différends ont pour la première fois tranché un litige au regard de l’Accord OTC1. Il
avait déjà été question de son application dans de précédentes affaires, mais il avait été
écarté au profit d’autres dispositions2. L’affaire Sardines révèle une interprétation
cohérente des deux premiers critères de qualification des règlements techniques (A).
C’est finalement dans l’affaire Thons II, que se révèle le caractère extensif de la
qualification de règlement technique, au regard d’une application discutable de son
troisième critère de qualification (B).
L’application cohérente des deux premiers critères de qualification dans A.
l’affaire Sardines
203. L’affaire Sardines, un débat sur les deux premiers critères de qualification.
Nous rappellerons que la plainte ayant initié l’affaire Sardines est déposée par le Pérou,
qui conteste la compatibilité avec l’Accord OTC, d’un Règlement communautaire
« portant fixation de normes communes de commercialisation pour les conserves de
Sardines »3. Le Pérou, producteur de Sardinops sagax, se plaint plus précisément de
l’article 2 du Règlement communautaire, qui stipule que seuls les produits préparés
exclusivement à partir de poissons de l’espèce « Sardina pilchardus Walbaum », dont
les Communautés européennes sont productrices, peuvent être commercialisés en tant
que « conserves de sardines ». Le Groupe spécial vérifie que le règlement
1 Dans l’affaire Amiante, l’Organe d’appel avait infirmé la constatation du Groupe spécial qui concluait que
le règlement communautaire ne pouvait être qualifié de règlement technique à partir du moment où il
consistait en une interdiction pure et simple. Adoptant un examen d’ensemble de la mesure communautaire,
il considérait qu’elle n’était pas « une interdiction totale des fibres d’amiante car elle inclu[ait] aussi des
dispositions qui autoris[aient], pour une durée limitée, l’utilisation de l’amiante dans certaines
conditions » (Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 64). Mais l’Organe d’appel n’avait pas estimé
disposer de suffisamment d’éléments factuels pour achever l’analyse au regard de l’Accord OTC, et avait
finalement conclu à la compatibilité de la mesure européenne d’interdiction de l’amiante sur le fondement
des articles III.4 et XX b) du GATT : v. supra n° 73 s. 2 Hélène RUIZ-FABRI explique ce décalage entre le large champ d’application de l’Accord OTC et l’absence
de contentieux OTC antérieur à l’affaire Sardines, en partie par des « erreurs d’analyse »( v. l’affaire
Essence, où le Groupe spécial avait considéré devoir appliquer en premier lieu le GATT, au lieu de donner
la priorité à l’Accord OTC) ou de « qualification de la mesure en cause » (v. l’affaire Amiante, où le
Groupe spécial avait considéré, à tort selon l’Organe d’appel, que la mesure en cause n’était pas un
règlement technique au sens de l’Accord OTC) : V. RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des
différends de l’Organisation mondiale du commerce 2011-2012 », JDI, 2012/4, Chron. 7, p. 48. 3 « Règlement CEE n°2136/89 du Conseil, du 21 juin 1989, portant fixation de normes communes de
commercialisation pour les conserves de Sardines ».
221
communautaire est bien un règlement technique, étant donné qu’il s’applique à un
produit identifiable (les sardines en conserve), en énonce une caractéristique (un
moyen d’identification) et est contraignant1. Les Communautés européennes avancent
en appel que le règlement ne remplit pas les deux premiers critères de qualification de
règlement technique, et ne peut être soumis au régime de l’Accord OTC. L’Organe
d’appel confirme les constatations du Groupe spécial, aux motifs que l’identification
du produit peut être implicite, et que l’obligation de dénomination est une
caractéristique de ce produit.
204. Première condition : l’identification du produit peut être implicite. Les
Communautés européennes fondent leur défense et leur appel sur deux arguments
principaux. Elles soutiennent dans un premier temps que le règlement européen n’est
un règlement technique qu’au titre des Sardina pilchardus, et non des Sardinops sagax.
D’après elles, le Règlement européen ne permet pas d’identifier les Sardinops sagax
en tant que produit, puisqu’il ne les mentionne pas. Se référant une fois de plus à son
rapport Amiante2, l’Organe d’appel écarte l’argument, au motif qu’il n’était pas
nécessaire qu’un produit soit mentionné « explicitement »3 dans un document pour
qu’il soit « identifiable » 4.
205. Seconde condition : l’interprétation de la notion de « caractéristiques ». Les
Communautés européennes soutiennent également que le règlement communautaire
ne répond pas au second critère de qualification d’un règlement technique, c’est-à-dire
qu’il n’impose pas de caractéristique aux produits en cause, les sardines. D’après elles,
l’article 2 du Règlement, disposition contestée par le Pérou, pose une règle de
dénomination, qui ne doit pas être assimilée à une règle d’étiquetage. Son
raisonnement consiste à défendre que, n’étant pas une règle d’étiquetage, la règle de
dénomination imposée ne constitue pas une caractéristique du produit et n’entre pas
1 Rapport du Groupe spécial « Sardines », § 7.35.
2 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 70, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 180.
3 Rapport de l'Organe « Sardines », § 180.
4 Ibid., § 180.
222
dans le champ d’application de l’Accord OTC1. Ni le Groupe spécial, ni l’Organe
d’appel, ne voient de raison de retenir la distinction proposée entre dénomination et
étiquetage, les deux méthodes constituant des « moyens d’identification » 2
. L’Organe
d’appel reprend l’interprétation exposée dans le rapport Amiante selon laquelle un
moyen d’identification est une caractéristique d’un produit3. Il refuse de ce fait de
cantonner la qualification des caractéristiques aux particularités et qualités
intrinsèques du produit, pour l’étendre à celles qui lui sont auxiliaires, telles que les
moyens d’identification.
Bien qu’elle ait été un des points discutés en appel par les Communautés européennes,
l’application des deux premiers critères de qualification par les organes de règlement
des différends dans l’affaire Sardines, semble cohérente. Le règlement était d’ailleurs
probablement teinté de protectionnisme, et la conclusion de son incompatibilité avec
le droit de l’OMC inévitable. Si la mesure était de toute évidence contraignante dans
l’affaire Sardines et n’avait pas fait l’objet de débat, l’application de ce troisième
critère de qualification dans l’affaire Thons II est largement discutable, en particulier
parce qu’elle étend démesurément le champ d’application de l’Accord OTC.
L’application discutable du troisième critère de qualification dans l’affaire B.
Thons II
206. Troisième condition : le caractère obligatoire de la mesure, ou l’illustration
d’une interprétation extensive par l’affaire Thons II. Le troisième et ultime critère de
qualification d’un règlement technique concernant son caractère obligatoire, n’avait
pas posé question lors des affaires Amiante et Sardines. Il est en revanche au cœur de
l’affaire Thons II.
1 Déclaration des Communautés européennes à l’audience, citée par le Rapport de l'Organe d'appel
« Sardines », § 174. 2 Ibid., § 191.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 67, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 191.
223
L’affaire Thons II fait suite à un premier litige ayant été traité sous l’égide de l’ancien
GATT et qui soulevait déjà des questions environnementales1. Elle s’inscrit également
dans la même veine que l’affaire Crevettes-Tortues2. Dans ces trois affaires, il s’agit
de mesures (américaines) visant à protéger des espèces animales menacées par la
pêche d’autres espèces : protection des tortues dans la pêche aux crevettes ; protection
des dauphins dans la pêche aux thons. Les deux affaires précédentes avaient
néanmoins été tranchées au regard des dispositions du GATT, en particulier de son
article XX. L’Organe d’appel rend ici un rapport se fondant sur l’Accord OTC. Se
posait ainsi la question de la qualification de règlement technique d’un ensemble
d’instruments juridiques3, réglementant les conditions d’accès au label Dolphin Safe.
Les États-Unis contestaient le fait que leur mesure répondait au troisième critère de
qualification, relatif au caractère nécessairement obligatoire du règlement technique.
Selon eux, la réglementation n’imposait pas d’obtenir ce label Dolphin Safe pour
commercialiser des produits à base de thons sur le marché américain. Se posait ainsi la
question de savoir si un label juridiquement contraignant, mais n’empêchant pas la
commercialisation des produits ne répondant pas à son cahier des charges, était un
règlement technique soumis au régime de l’Accord OTC. L’Organe d’appel rejette
l’argument américain, au motif que « tout producteur, importateur, exportateur,
distributeur ou vendeur de produits du thon doit respecter la mesure en cause pour
pouvoir formuler une quelconque allégation relative au caractère Dolphin Safe » 4
. Il
retient par là même le caractère juridiquement contraignant du label, sans égard pour
la possibilité de commercialiser le thon sans ce label. Il s’appuie pour ce faire sur sa
jurisprudence Sardines, dans laquelle ce troisième critère d’obligatoriété de la mesure,
1 États-Unis, Restrictions à l’importation de thon, DS21/R (non adopté), 3 sept. 1991, 39S/155.
2 V. supra n° 52 s.
3 Il s’agissait de l’article 1385 du Titre 16 du United States Code (« Loi visant à informer les
consommateurs sur la protection des dauphins ») ; l’article 216.91 (« Règles en matière d’étiquetage
Dolphin Safe ») ; l’article 216.92 (« Prescriptions en matière d’étiquetage Dolphin Safe pour le thon capturé
dans les eaux tropicales du Pacifique Est par de grands navires équipés de sennes coulissantes ») du Titre 50
du Code of federal regulations ; et de la décision rendue dans l’affaire Earth Island Institute c. Hogarth,
494 F. 3d 757 (9th Cir. 2007). Les deux organes de règlement des différends avaient considéré qu’ils
pouvaient appréhender cet ensemble comme étant la « mesure en cause ». 4 Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », § 196.
224
n’avait pourtant pas été discuté1. Pourtant dans le rapport Thons II, un des membres du
Groupe spécial exprime une « opinion séparée » 2
révélant l’application discutable de
ce critère d’obligatoriété du règlement technique.
207. L’opinion séparée relative au caractère contraignant du label américain. Selon
ce membre émettant une « opinion séparée », les mesures américaines n’imposent pas
d’obligation générale d’étiqueter ou ne pas étiqueter les produits du thon par le label
Dolphin Safe3. Cette absence d’obligation d’étiquetage est selon lui le critère pertinent
pour différencier les deux qualifications juridiques que propose l’Accord OTC de
règlement technique ou de norme4. Ainsi, il soutient qu’ « une distinction devrait être
établie dans ce contexte entre, d’une part, le caractère juridiquement contraignant
d’un document énonçant des prescriptions en matière d’étiquetage et, d’autre part, le
respect obligatoire des conditions signalées par l’utilisation du label »5. À défaut
d’une telle distinction, l’interprétation des organes de règlement des différends
rendrait caduques les dispositions, moins contraignantes, relatives aux normes
volontaires de l’Accord OTC6. Cette « opinion séparée » met à mal les arguments sur
lesquels s’appuient les autres membres du Groupe spécial pour justifier la qualification
des mesures en cause de règlement technique7. Ce membre dissident conclut ainsi que
le troisième critère relatif au caractère contraignant du règlement technique n’est pas
1 La commercialisation des produits ne correspondant pas au règlement communautaire n’était pas interdite
tant que ces derniers n’étaient pas désignés comme des « conserves de sardines ». V. supra n° 115. 2 Rapport du Groupe spécial « Thons II », §§ 7.146-7.188.
3 Ibid., § 7.153.
4 Ibid., § 7.149. L’argument semble cohérent au regard de la note explicative de l’Annexe 1.2 de l’Accord
OTC disposant qu’ « aux fins du présent accord, on entend par normes les documents dont le respect est
volontaire et par règlements techniques les documents dont le respect est obligatoire ». 5 Ibid., § 7.154.
6 Ibid., § 7.151.
7 Le membre émettant une « opinion séparée » rappelle que la mesure en cause dans l’affaire Amiante ne
comportait aucun aspect volontaire et ne posait par là même aucun problème similaire. Par ailleurs, il
précise que le caractère obligatoire des mesures n’avait pas fait l’objet de contestation de la part des parties
au différend Sardines. Le dernier développement de son opinion séparée est consacré à l’argument
mexicain, selon lequel le système d’étiquetage établi par la réglementation américaine est de facto
obligatoire « parce que les conditions en vigueur sur le marché des États-Unis sont telles qu’il est
impossible de commercialiser et de vendre efficacement des produits du thon sans la désignation Dolphin
Safe ». Il admet que la question exige un débat juridique, qui n’a pas encore eu lieu dans le cadre de
l’application de l’Accord OTC. Par ailleurs, il souligne que le Mexique n’apporte pas les éléments de
preuve établissant l’existence de prescriptions obligatoires en matière d’étiquetage soit de jure soit de facto :
Ibid., §§ 7.163. à 7.166.
225
vérifié d’après lui ; qu’en conséquence les dispositions de l’article 2 de l’Accord OTC,
y compris ses paragraphes 1, 2 et 4 ne devraient pas être applicables à la mesure en
cause1. Ainsi, d’après ce raisonnement, le label Dolphin Safe ne devrait pas être
soumis au régime, donc aux obligations, de l’Accord OTC. Les arguments présentés
dans cette « opinion séparée » font sens, au regard de la possibilité de continuer à
commercialiser des produits à base de thon sur le territoire américain qui ne
porteraient pas ce label Dolphin Safe. Les observateurs se sont ainsi étonnés de cette
interprétation extensive des organes de règlement des différends en parlant
d’« engrenage dangereux »2. En effet, il paraît démesuré de soumettre ce label
environnemental, très peu restrictif pour le commerce, au régime déterminant
l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires imposé par l’Accord
OTC3.
Les organes de règlement des différends ont ainsi adopté, en particulier par le biais de
l’application de ce dernier critère d’obligatoriété du règlement, une interprétation
extensive de la qualification de règlement technique et conféré à l’Accord OTC un
champ d’application extrêmement large, au regard du régime strict qu’il met en place4.
L’interprétation prétorienne de la qualification de mesure SPS relève de la même
1 Ibid., § 7.186.
2 RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 2011-2012 », JDI, 2012, N°4, p. 58.
3 L’interprétation extensive de la qualification de règlement technique, en particulier de son troisième
critère d’obligatoriété, semble s’expliquer par une politique de l’Organe d’appel de réserver la possibilité
d’émettre des normes aux entités non étatiques (au sens de la note explicative de l’Annexe 1.2 de l’Accord
OTC disposant qu’« aux fins du présent accord, on entend par normes les documents dont le respect est
volontaire et par règlements techniques les documents dont le respect est obligatoire »). Il leur applique
ensuite un régime bien moins rigoureux qu’aux règlements technique. Cette tendance jurisprudentielle
semble témoigner d’un choix en faveur des standards issus de la coopération internationale, peu lui
important que les États y aient un rôle moindre au profit des lobbies privés, au détriment des « normes »
même volontaires, et donc non contraignantes, mais promulguées à plus petite échelle (nationale ou
régionale). Il s’agirait donc d’une politique de réduction de la marge réglementaire des membres, en faveur
de l’harmonisation, qui n’est pas sans incidence sur la souveraineté des États, qui se retrouvent soumis à des
normes auxquelles ils n’ont pas adhéré. 4 L’Accord OTC sera également appliqué dans les affaires Cigarettes aux clous de girofle et EPO. Les
mesures en cause seront qualifiées de règlements techniques au regard des mêmes conditions dégagées par
la jurisprudence, sans que la question soit contestée en appel. Dans son rapport Phoques, l’Organe d’appel a
néanmoins quelques peu nuancé le caractère extensif du champ d’application de l’Accord OTC : il a
effectivement infirmé la constatation du Groupe spécial, selon laquelle la règlementation européenne
constituait un règlement technique, au motif qu’elle n’énonçait pas les caractéristiques d’un produit en
établissant des conditions de mise sur le marché des produits dérivés du phoque. L’Organe d’appel a ainsi
examiné la mesure au regard de l’Accord général, et conclut à son incompatibilité avec le chapeau de
l’article XX du GATT.
226
logique, puisqu’elle conduit à appliquer l’Accord SPS à toutes les « mesures »
litigieuses poursuivant un objectif de protection contre les maladies ou les parasites
véhiculés par les animaux, les végétaux ou les produits alimentaires1. Si l’étendue des
champs d’application des Accords SPS et OTC n’est pas incohérente en soi, elle prend
une dimension offensive au regard des régimes auxquels ces accords soumettent les
mesures litigieuses. Un tel champ d’application permet aux organes de règlement des
différends de soumettre un large éventail de mesures aux régimes de ces accords,
déterminant l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
SECTION 2. UNE INEFFECTIVITÉ RÉVÉLÉE PAR L’INCOMPATIBILITÉ
DES MESURES LITIGIEUSES AVEC LES RÉGIMES SPS ET
OTC
208. Des régimes neutralisants. Les Accords SPS et OTC s’appliquent de manière
extensive à presque tous les actes étatiques mettant en œuvre des politiques publiques
de protection de la santé et de l’environnement, dans la mesure où ils ont une
incidence sur le commerce international des marchandises2. Ainsi, si l’article XX du
GATT comprend les « exceptions générales » aux règles de libre-échange des
marchandises, les Accords SPS et OTC en sont les exceptions spéciales relatives à la
protection environnementale et sanitaire3. Plus avant, les consécrations apparentes de
droits environnementaux et sanitaires semblent, a priori, renforcer le statut de la
protection de la santé et de l’environnement, en leur conférant une certaine autonomie
au sein des principes du libre-échange4. Pourtant, l’application de ces régimes SPS et
OTC se révèle moins un renforcement qu’une neutralisation des exceptions
environnementales et sanitaires.
1 Annexe A de l’Accord SPS.
2 V. supra n° 194 s.
3 À l’appui d’une telle approche de ces accords en tant qu’exceptions spéciales, on rappellera également la
présomption de compatibilité avec l’article XX du GATT, des mesures compatibles avec l’Accord SPS. 4 V. supra n° 99 s.
227
209. Les raisons de la rigueur. Cette neutralisation résulte probablement d’une
maladresse, et des rédacteurs des accords, et de leurs interprètes1. Il faut en effet
rappeler que l’optique de suppression des barrières tarifaires a accru le risque de voir
apparaître des barrières non tarifaires2. En ce sens, les organes de règlement des
différends de l’OMC adoptent une interprétation restrictive des Accord SPS et OTC
dans une posture défensive contre une éventuelle instrumentalisation des domaines
environnementaux et sanitaires : ils soupçonnent ainsi, outre mesure nous semble-t-il,
la tentation des États d’adopter des politiques de protectionnismes « verts » ou
sanitaires. La complexité des domaines environnementaux et sanitaires en général, et
l’émergence croissante d’incertitudes scientifiques en particulier, ont été appréhendés
comme autant d’opportunités de protectionnisme déguisé. Les Accords SPS et OTC
ont ainsi été pensés pour encadrer l’adoption des mesures environnementales et
sanitaires, dans l’optique de neutraliser les mesures incarnant un « néo-
protectionnisme »3. Peut-être les organes de règlement des différends ont-ils fait
preuve d’un excès de zèle dans leur interprétation de ces accords. Les « droits
autonomes » apparents sont aujourd’hui effectivement conditionnés par un ensemble
d’obligations strictes, qu’aucune mesure mise en cause n’a été réputée remplir
jusqu’alors. Quelles sont ces obligations ? Plus exactement, quels sont les écueils que
les mesures environnementales et sanitaires litigieuses ont rencontrés pour être
réputées incompatibles avec le droit de l’OMC ?
Ce sont bien ces régimes, comprenant des obligations si difficiles à atteindre qu’elles
en deviennent impossibles, qui, alliés à la définition très large du champ d’application
1 Certains observateurs rappellent par exemple que les différents accords ont été rédigés séparément par
groupes, et n’ont pas nécessairement fait l’objet d’une harmonisation suffisamment soignée avant de
composer les Accords de Marrakech en tant qu’engagement unique. Ceci expliquerait certaines
incohérences entre les différents régimes, en particulier entre le GATT, l’Accord SPS et l’Accord OTC. V.
MARCEAU G. et TRACHTMAN J. P., “A Map of the World Trade Organization Law of Domestic regulation
of Goods: The Technical Barriers to Trade Agreement, the Sanitary and Phytosanitary Measures Agreement,
and the General Agreement on Tariffs and Trade”, JWT 48, n°2, 2014, pp. 352-353. 2 GAMERDINGER D., Les formes nouvelles ou renouvelées du protectionnisme étatique. Aspects juridiques,
thèse, Nice, 1989, pp. 405-412. 3 V. NGO M.-A., « La conciliation entre les impératifs de sécurité alimentaire et la liberté du commerce
dans l’Accord SPS », RIDE, 2007/1 – t. XXI, 1, pp. 27-42, spéc. pp. 28-29 ; V. également IYNEDJIAN M.,
L’accord de l’Organisation Mondiale du Commerce sur l’application des mesures sanitaires et
phytosanitaires, une analyse juridique, LGDJ, Paris, 2002, pp. 17-19.
228
des Accords SPS et OTC, conduisent à une généralisation de l’ineffectivité
substantielle des exceptions environnementales et sanitaires. Loin d’incarner les relais
des exceptions générales du GATT, les régimes des Accords SPS et OTC se révèlent au
contraire des facteurs de neutralisation des mesures environnementales et sanitaires. Il
s’agit ainsi d’exposer les régimes SPS (§1) et OTC (§2), pour démontrer l’ineffectivité
substantielle des exceptions environnementales et sanitaires.
L’INCOMPATIBILITÉ DES MESURES SPS AVEC LE RÉGIME SPS § 1.
210. Si les organes de règlement des différends ont formellement consacré le droit des
États membres de choisir leur propre niveau de protection, ainsi que leur droit
d’adopter des mesures provisoires, ils les ont soumis au respect de conditions très
strictes. Effectivement, l’examen de la jurisprudence actuelle confirme la sévérité de
ces conditions, puisqu’aucune mesure environnementale ou sanitaire mise en cause
dans le cadre du système de règlement des différends n’a été déclarée compatible avec
l’Accord SPS1. Quelles sont donc ces conditions, auxquelles se sont heurtés les États
auteurs de mesures SPS ? Elles sont diverses et nombreuses, dans la mesure où les
règlementations litigieuses ne sont pas seulement invalidées sur le chef d’une
condition particulière, mais déclarées incompatibles avec l’ensemble du régime SPS.
Les mesures SPS sont ainsi déclarées incompatibles non seulement avec la condition
d’évaluation des risques (A), mais également avec les principes complémentaires de
l’Accord SPS (B).
L’incompatibilité des mesures SPS avec la condition d’évaluation des risques A.
211. Les preuves scientifiques, « épine dorsale » du régime SPS. Pour exercer leur
droit de choisir leur propre niveau de protection, les États auteurs de mesures SPS
doivent les justifier scientifiquement. C’est ainsi que pour de nombreux observateurs,
1 Certains en sont déjà venus à se demander si l’autorisation d’adopter des mesures SPS ne relevait pas de la
pure hypothèse d’école, tant les mesures prises à des fins non-commerciales semblent difficilement trouver
grâce aux yeux des organes de règlement des différends : BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée du
règlement des différends de l’OMC (août 2009 à novembre 2010) », RIDE, 2010/4, p. 479.
229
la justification scientifique s’impose comme l’épine dorsale du texte1. Les preuves
scientifiques sont l’essence même de l’Accord SPS, en ce qu’elles permettent
l’adoption de mesures restrictives pour le commerce, au nom de l’existence d’un
risque pour la santé ou l’environnement2. C’est ainsi que le droit de choisir son propre
niveau de protection est conditionné par une obligation d’évaluation des risques, et le
droit d’adopter une mesure provisoire par la condition d’insuffisance des preuves
scientifiques3. En réalité, derrière ces deux conditions se trouve la même condition
générale d’évaluation des risques : une mesure SPS doit être justifiée par une
évaluation scientifique concluant à l’existence de risques environnementaux ou
sanitaires ; une mesure provisoire doit être justifiée par l’impossibilité d’établir une
telle évaluation des risques, pour cause de manque de données scientifiques. Pourtant,
à l’examen, les organes de règlement des différends ont systématiquement conclu à
l’incompatibilité de la mesure SPS litigieuse avec cette condition d’évaluation des
risques, en constatant deux situations alternatives : ils ont soit conclu que l’évaluation
établissant l’existence d’un risque n’était pas conforme en soi (1.), soit qu’il existait
1 V. en ce sens NOIVILLE C., « Principe de précaution et Organisation mondiale du commerce – Le cas du
commerce alimentaire », JDI, 2000/2, spéc. pp. 271-272 ; MARUYAMA W.-H., « A New Pillar of the WTO :
Sound Science », The International Lawer, 1998, vol. 32, n°3, pp. 651 s. ; WIRTH D., « The Role of Science
in the Uruguay Round and NAFTA Trade Disciplines », CILJ, 27, 1994, pp. 817-860 ; NGO M.-A., « La
conciliation entre les impératifs de sécurité alimentaire et la liberté du commerce dans l’Accord SPS »,
RIDE, 2007/1 – t. XXI, 1, pp. 27-42, spéc. p. 30 ; Geneviève DUFOUR a ainsi pu écrire « qu’au sein des
instances de l’OMC, aussi bien que parmi les organisations de normalisation spécialisées, une croyance en
la science, discipline apte à produire la vérité et incapable d’erreur, prédomine » : DUFOUR G., « Les OGM
à l’OMC : résumé critique du rapport du Groupe spécial dans l’affaire CE – Produits biotechnologiques »,
RQDI (Hors-série), 2007, p. 303. 2 De manière générale, la science a tendance à jouer un rôle important dans les différents systèmes
juridiques permettant de se prémunir contre la réalisation de risques environnementaux et sanitaires. C’est
ainsi qu’au niveau européen, les politiques de protection de la santé ou de l’environnement sont également
conditionnées par une analyse des risques. Pour une présentation de la place de l’analyse des risques dans le
droit de l’Union européenne, v. AUBRY-CAILLAUD F., « Analyse des risques », in COLLART DUTILLEUL F.
et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier,
Bruxelles, 2013, pp. 83-86. 3 On rappellera qu’il est tout à fait cohérent d’encadrer l’exercice de ces droits, afin que les États membres
n’en abusent pas à des fins protectionnistes. On ne peut, en ce sens, que se ranger derrière la déclaration de
l’Organe d’appel, selon laquelle « L’obligation de procéder à une évaluation des risques, qui est faite à
l’article 5.1, et la prescription relative aux ‘preuves scientifiques suffisantes’ énoncée à l’article 2.2, sont
essentielles pour maintenir l’équilibre fragile qui a été soigneusement négocié dans l’Accord SPS entre les
intérêts partagés quoique parfois divergents qui consistent à promouvoir le commerce international et à
protéger la vie et la santé des êtres humains » (Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 177). Ce qui
nous apparaît critiquable, c’est l’utilisation de ces conditions pour déclarer l’incompatibilité des mesures
SPS.
230
une évaluation n’établissant pas l’existence d’un risque, à laquelle la mesure SPS
n’était pas conforme (2.).
1. La non-conformité des évaluations concluant à l’existence d’un risque
212. Un examen scientifique et technique. Pour être compatible avec l’Accord, les
mesures SPS doivent être fondées sur des preuves scientifiques1, qui doivent être
formalisées dans une évaluation des risques2
. Cette évaluation des risques est
strictement encadrée par l’Accord SPS : elle doit offrir le fondement scientifique de la
nécessité de la mesure. Les organes de règlement des différends ont ainsi pris
l’habitude d’examiner, non pas seulement le lien entre l’évaluation des risques et la
mesure SPS, mais aussi la conformité de l’évaluation des risques per se avec les
exigences du régime SPS. C’est ainsi que certaines mesures SPS ont été déclarées
incompatibles avec l’article 5.1, au motif que les documents présentés, attestant de
l’existence d’un risque sanitaire ou environnemental, ne constituaient pas une véritable
évaluation des risques. Les mesures SPS sont dès lors réputées incompatibles pour des
motifs scientifiques et techniques complexes, qui interrogent le mandat des organes de
règlement des différends : s’érigeraient-ils en scientifiques3 ?
213. Un examen implicitement mené dès l’affaire Hormones I. Dès la première
affaire SPS, les organes de règlement des différends se livrent à un tel examen interne
1 Article 2.2 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne
soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux
ou préserver les végétaux, qu'elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu'elle ne soit pas maintenue
sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe 7 de l'article 5 ». 2
Article 5.1 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou
phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des
circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des
végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations
internationales compétentes ». 3 Cet examen scientifique de l’évaluation des risques doit être comparé avec l’approche européenne. Ainsi,
le juge européen a, à l’inverse, rapidement limité son contrôle de légalité des actes de droit communautaire :
il a certes développé un contrôle de légalité externe rigoureux, en examinant attentivement le respect des
procédures d’évaluation des risques, mais a autolimité son contrôle de légalité interne, en refusant d’étendre
son contrôle à l’analyse des risques faite par l’autorité compétente, et en se contentant de sanctionner
l’erreur manifeste d’appréciation, voire l’arbitraire et le détournement de pouvoir (v. TPICE, 11 septembre
2002, aff. T13/99, Pfizer Animal Health/Conseil). Sur l’appréciation scientifique de l’évaluation des risques,
v. infra n° 275 s.
231
de l’évaluation des risques, en appréciant le fond des éléments de preuves scientifiques
et techniques qui leur sont soumis. Tout en modifiant l’approche des Groupes spéciaux
qu’il considère excessivement stricte concernant l’évaluation des risques, l’Organe
d’appel écarte à son tour les éléments de preuves étayant la thèse des Communautés
européennes, selon lesquels l’ingestion de viande nourrie aux hormones présenterait
des risques sanitaires. L’Organe d’appel écarte notamment une opinion scientifique
divergente1, une étude du Centre International de Recherche sur le Cancer et un
certain nombre d’articles scientifiques individuels établissant un risque de cancer2,
ainsi que les preuves concernant la nocivité de certaines hormones3
. Ce n’est
cependant que dans l’affaire Saumons que l’Organe d’appel admettra explicitement
mener un tel examen du fond scientifique de l’évaluation des risques.
214. Un examen explicitement mis en place par le rapport Saumons. C’est dans son
rapport Saumons que l’Organe d’appel s’est pour la première fois explicitement livré à
un tel examen du fond de l’évaluation des risques présentée par l’État auteur de la
mesure SPS. L’Australie s’appuyait sur un Rapport4, établissant l’existence d’un
risque de transmission de maladie animale5, pour limiter l’importation de saumons
non-cuits6. Alors que l’analyse du Groupe spécial, consistant à comparer la conclusion
1 L’Organe d’appel écarte l’opinion divergente émise par un des experts conseillant les Groupes spéciaux,
tout en déclarant formellement accepter les opinions scientifiques minoritaires (v. supra n° 132 s.), au motif
qu’il ne prétendait pas que son avis était « le résultat d’études effectuées par […] lui-même ou sous sa
supervision et portant expressément sur les résidus d’hormones présents dans la viande provenant de
bovins engraissés avec des hormones » (Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 198). 2 Malgré le fait que ces études « attestent effectivement l’existence d’un risque général de cancer »,
l’Organe d’appel les écarte au motif qu’ « elles ne mettent pas en évidence et n’étudient pas le type
particulier de risque dont il s’agit en l’occurrence » (Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 200). 3 L’Organe d’appel confirme le rejet par les Groupes spéciaux des preuves concernant la nocivité des
progestines en général, servant à illustrer les effets défavorables du mélengestrol (une des hormones en
cause dans l’affaire, qui reproduit les effets de la progestérone), au motif d’absence de preuve scientifique
démontrant « combien le MGA [ndlr le mélengestrol] est étroitement lié sur le plan chimique et
pharmacologique aux autres progestatifs » (Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 201). 4 Département des industries primaires et de l'énergie, Analyse des risques liés à l'importation de saumons -
Évaluation par le gouvernement australien des contrôles de quarantaine des produits non cuits à base de
salmonidés du Pacifique adultes, sauvages, pêchés en mer, en provenance des États-Unis d'Amérique ou du
Canada, Rapport final, décembre 1996. 5 Le Rapport concluait : « il est recommandé que les mesures de quarantaine actuellement appliquées aux
produits à base de saumons non cuits restent en vigueur » (Rapport final, p. 70). 6 Se fondant sur le Rapport final de 1996, le Directeur des services de quarantaine a décidé ce qui suit, le 13
décembre 1996 : « eu égard à la politique du gouvernement australien relative à la quarantaine et en
tenant compte des obligations internationales de l'Australie, l'importation de produits non cuits à base de
232
de l’évaluation des risques avec la mesure mise en place, paraissait suffisante pour
conclure à l’incompatibilité de la mesure SPS 1, la vérification opérée par l’Organe
d’appel que le Rapport final de 1996 constituait bien une « véritable évaluation des
risques » semble excessive. L’Organe d’appel se réfère ainsi à la définition textuelle
de l’évaluation des risques2
, pour mettre en place un protocole d’examen de
l’évaluation des risques comprenant une appréciation complexe du fond scientifique et
technique du document3. Il finit par conclure que le Rapport final en question n’est pas
une « véritable évaluation des risques »4 et que la mesure australienne n’est pas
justifiée scientifiquement, donc incompatible avec l’article 5.15.
215. Un examen habituel motivant l’incompatibilité des mesures SPS. Il est
maintenant devenu habituel pour les organes de règlement des différends de s’adonner
à un tel examen sur le fond des évaluations établissant l’existence d’un risque sanitaire
ou environnemental, pour finalement conclure à l’absence d’évaluation des risques
conforme à l’Accord SPS. On citera l’affaire Japon – Pommes, à l’occasion de laquelle
le Groupe spécial avait écarté l’évaluation des risques japonaise. Il estimait, ce qui fut
confirmé par l’Organe d’appel, qu’établissant trop généralement le risque de
salmonidés du Pacifique adultes, sauvages, pêchés en mer, en provenance des pays d'Amérique du Nord
riverains du Pacifique ne sera pas autorisée pour des motifs sanitaires » (AQIS, Note de Paul Hickey,
Directeur exécutif, 13 décembre 1996, (la « Décision de 1996 »). 1 D’après le Rapport final, une mesure de quarantaine suffisait à prévenir la réalisation du risque de
contamination, quand le gouvernement australien prohibait tout bonnement l’importation du saumon non-
cuit. 2 L’évaluation des risques est définie par l’Annexe A de l’Accord SPS comme l’« évaluation de la
probabilité de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination d'un parasite ou d'une maladie sur le
territoire d'un Membre importateur en fonction des mesures sanitaires et phytosanitaires qui pourraient
être appliquées, et des conséquences biologiques et économiques qui pourraient en résulter; ou
[l’]évaluation des effets négatifs que pourrait avoir sur la santé des personnes et des animaux la présence
d'additifs, de contaminants, de toxines ou d'organismes pathogènes dans les produits alimentaires, les
boissons ou les aliments pour animaux ». 3 « Compte tenu de cette définition, nous estimons en l'occurrence qu'une évaluation des risques au sens de
l'article 5:1 doit permettre : 1) d'identifier la ou les maladies dont un Membre veut empêcher l'entrée,
l'établissement ou la dissémination sur son territoire ainsi que les conséquences biologiques et
économiques qui pourraient en résulter ; 2) d'évaluer la probabilité de l'entrée, de l'établissement ou de la
dissémination de ces maladies ainsi que des conséquences biologiques et économiques qui pourraient en
résulter ; et 3) d'évaluer la probabilité de l'entrée, de l'établissement ou de la dissémination de ces
maladies en fonction des mesures SPS qui pourraient être appliquées » : Rapport de l'Organe d'appel
« Australie – Saumons », § 121. 4 Les motifs de l’Organe d’appel pour conclure à l’absence d’une véritable évaluation des risques sont tout
aussi techniques et scientifiques, puisqu’il considère que l’évaluation de la probabilité de l’entrée de la
maladie n’est pas suffisamment spécifique, 5 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Saumons », § 136.
233
transmission du feu bactérien1, elle n’examinait pas suffisamment spécifiquement le
risque lié aux pommes2. À cette occasion, certains observateurs avaient déjà pu relever
le « caractère ambigu » de ce contrôle sur les preuves scientifiques3 . Il en fut de
même dans l’affaire Australie – Pommes : le Groupe spécial, ensuite relayé par
l’Organe d’appel, a écarté l’évaluation menée par l’agence de biosécurité australienne,
qui établissait que l’importation de pommes risquait de provoquer la dissémination de
trois parasites4. Au cours de son examen de l’évaluation des risques, le Groupe spécial
relève de manière répétitive que la probabilité du risque « n’est pas suffisamment
étayée par les preuves scientifiques […] et, en conséquence, n’est pas cohérente ni
objective »5. Pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres
6, le Groupe spécial a
ainsi pu écarter l’évaluation australienne selon laquelle des fruits intacts peuvent être
contaminés pendant la période de conditionnement : car à ses yeux, bien que cette
évaluation contienne « des preuves suffisantes provenant de sources respectées et
compétentes », rien n’indique comment les résultats de ces études scientifiques ont été
pris en compte pour calculer la probabilité7. L’extrême rigueur dont font montre les
organes de règlement des différends semble moins au service d’un quelconque souci
d’équité que des valeurs commerciales qu’ils ne sauraient infléchir à aucun titre.
La non-conformité des évaluations des risques, présentées par les États auteurs de
mesures SPS, est ainsi la première cause de leur incompatibilité avec le régime SPS. Il
semble que les organes de règlement des différends ne retiennent comme « véritables
évaluations des risques » que celles n’établissant pas l’existence d’un risque, et leur
1 Le feu bactérien est une maladie causée à certains végétaux, en particulier aux arbres fruitiers, et pouvant
mener à leur destruction. 2 Le Groupe spécial a ainsi reproché à l'évaluation des risques faite par le Japon qu’elle ait été « effectuée
sur la base d'une évaluation générale des possibilités d'introduction du feu bactérien au Japon par
différents hôtes, y compris - mais pas exclusivement - les pommes » : Rapport du Groupe spécial « Japon –
Pommes », § 8.270. 3 RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (2005-2006) », JID, 2006/3, pp. 1024. 4 Il s’agissait alors du feu bactérien, du chancre européen (maladie causée par un champignon) et de la
cécidomyie des feuilles de pommiers (mouche ralentissant la croissance des arbres). 5 V. notamment les §§ 7.259, 7.448, 7.471, 7.472, 7.545, 7.606 du Rapport du Groupe spécial « Australie –
Pommes ». 6 Pour une présentation plus détaillée de l’examen de l’évaluation des risques australienne, v. BUSSEUIL G.
et al., « Chronique commentée du règlement des différends de l’OMC (août 2009 à novembre 2010) »,
RIDE, 2010/4, pp. 481-488. 7 Rapport du Groupe spécial « Australie – Pommes », § 7.320.
234
permettant de déclarer la mesure litigieuse incompatible avec l’article 5.1 car elle n’est
pas « basée sur » cette évaluation des risques.
2. La non-conformité des mesures SPS avec les évaluations concluant à l’absence de
risque
216. Un exercice de substitution. Il arrive que les organes de règlement des différends
reconnaissent certaines évaluations des risques en bonne et due forme. Cependant, ce
n’est jamais l’évaluation établissant l’existence d’un risque qui est retenue : au
contraire, ils requalifient leur invalidation de l’évaluation initiale, établissant
l’existence d’un risque, en nouvelle évaluation, établissant qu’il n’existe pas de risque.
Ce faisant, ils s’appuie sur la nouvelle « évaluation », n’établissant pas l’existence
d’un risque, pour avancer qu’il n’existe pas de justification permettant d’adopter une
mesure protectrice de la santé ou de l’environnement. Illustrons cet obscur exercice de
substitution par deux exemples. Dans l’affaire Japon – Pommes tout d’abord, le Japon
avait présenté une évaluation des risques de transmission du feu bactérien par le
commerce international des pommes comme justification de sa mesure SPS, au sens de
l’article 5.1. Il alléguait, à titre subsidiaire, donc dans l’hypothèse où les organes de
règlement des différends ne valideraient pas son évaluation des risques en tant que
telle, que sa mesure pouvait être justifiée au titre de l’article 5.7 : il s’agirait alors
d’une mesure SPS adoptée provisoirement dans un cas d’insuffisance de preuves
scientifiques. C’est ainsi également que lors de l’affaire OGM, les Communautés
européennes prétendaient que les mesures de sauvegarde devaient être évaluées en tant
que mesures provisoires dans un cas d’insuffisance de preuves scientifiques, au titre de
l’article 5.7 de l’Accord SPS. Cette logique se tient : soit les organes de règlement des
différends admettent les preuves scientifiques établissant l’existence d’un risque au
sens de l’article 5.1, soit ces preuves sont insuffisantes et la mesure SPS est
provisoirement justifiée au titre de l’article 5.7 pour insuffisance de preuves
scientifiques établissant l’existence de tels risques. Les organes de règlement des
différends mettent néanmoins systématiquement cette logique à mal, en retenant que
lorsque les preuves scientifiques ne permettent pas d’établir l’existence d’un risque,
c’est qu’elles dessinent une évaluation scientifique prouvant l’innocuité des produits
en cause : ils procèdent ainsi à un exercice de substitution, en disqualifiant
l’évaluation établissant l’existence d’un risque, mais en déduisant de là l’existence
235
d’une évaluation prouvant l’innocuité des produits en cause. C’est ainsi que dans les
deux affaires présentées, les organes de règlement des différends ont conclu, par le
biais de cet exercice de substitution, à l’incompatibilité des mesures litigieuses avec
les articles 5.1 et 5.7 de l’Accord SPS.
217. L’incompatibilité des mesures SPS avec l’article 5.1. Statuant sur le premier
moyen japonais, en examinant son évaluation établissant l’existence d’un risque de
transmission du feu bactérien permis par le commerce des pommes, le Groupe spécial
n’en retenait qu’un « risque négligeable », face auquel il estimait que la mesure
japonaise de quarantaine était « manifestement disproportionnée »1. Il concluait ainsi
dans un premier temps à l’existence d’une évaluation, mais n’établissant pas
l’existence d’un risque réel, et donc à l’incompatibilité de la mesure japonaise avec
l’obligation de se fonder sur une évaluation concluant à l’existence de « risques
négligeables »2. Dans l’affaire OGM, le Groupe spécial refuse de voir dans les études
présentées par les États membres, des évaluations des risques justifiant les mesures de
sauvegarde3. Il considère, en revanche, que l’évaluation initiale effectuée au niveau
communautaire, pour justifier l’approbation des produits biotechnologiques, est
conforme à l’article 5.1, et que les mesures de sauvegarde ne la prennent pas pour
base4. Ainsi, les études nationales établissant des risques sanitaires présentés par les
produits biotechnologiques justifiant les mesures de sauvegarde nationales sont
écartées, pour ne retenir que l’évaluation communautaire n’établissant pas l’existence
de tels risques. Par cet exercice de substitution, le Groupe spécial conclut ainsi que les
mesures de sauvegarde ne sont pas fondées sur l’évaluation communautaire, qui
n’établit pas l’existence de risques sanitaires. En outre, la substitution des évaluations
des risques permet aux organes de règlement des différends de conclure à
l’incompatibilité des mesures SPS en cause avec l’article 5.7.
1 Rapport du Groupe spécial « Japon – Pommes », § 8.181.
2 « Compte tenu de notre constatation ci-dessus, selon laquelle l'ARP du Japon ne constitue pas une
évaluation des risques au sens de l'article 5.1, nous devons aussi conclure, en conséquence, que les mesures
du Japon ne sont pas ‘établies sur la base’ d'une évaluation des risques » : Ibid., § 8.291. 3 Il les disqualifie pour des motifs scientifiques et techniques divers : v. supra n° 212 s.
4 Rapport du Groupe spécial « OGM », §§7.3035-7.3214.
236
218. L’incompatibilité des mesures SPS avec l’article 5.7. Dans les deux affaires, les
organes de règlement des différends concluent en outre à l’incompatibilité des mesures
SPS litigieuses avec l’article 5.7. Dans l’affaire Japon – Pommes, les deux organes de
règlement des différends réfutent l’allégation japonaise subsidiaire de justification
provisoire de la mesure au titre de l’article 5.7, en estimant que la condition
d’insuffisance de preuves scientifiques n’est pas satisfaite, au regard de l’évaluation
des risques qu’ils ont retenue : « les ‘preuves scientifiques pertinentes’ seront
‘insuffisantes’ au sens de l’article 5.7 si l’ensemble des preuves scientifiques
disponibles ne permet pas, sur le plan quantitatif ou qualitatif, de procéder à une
évaluation adéquate des risques telle qu’elle est exigée à l’article 5.1 et définie dans
l’Annexe A de l’Accord SPS »1. Cela revient à dire que la validation d’une évaluation
n’établissant pas l’existence d’un risque empêche l’État auteur de la mesure SPS de la
justifier pour insuffisance de preuves scientifiques. Dans l’affaire OGM, le Groupe
spécial considère de manière analogue que la première condition d’application de
l’article 5.7, d’insuffisance des preuves scientifiques, n’est pas remplie, puisqu’il
constate qu’elles étaient suffisantes pour établir l’évaluation des risques
communautaire, ne concluant pas à la dangerosité des produits biotechnologiques. Le
fait de qualifier d’évaluation des risques, conforme à l’article 5.1, les études
n’établissant pas la certitude d’un risque, permet ainsi aux organes de règlement des
différends de conclure à l’incompatibilité des mesures SPS avec l’article 5.7, qui
conditionne l’adoption de mesures provisoires à l’insuffisance de preuves scientifiques.
En fait, les organes de règlement des différends transforment l’insuffisance de preuves
scientifiques pour établir l’existence d’un risque (principale condition d’adoption
d’une mesure provisoire au sens de l’article 5.7 de l’Accord SPS), en évaluation des
risques n’établissant pas la dangerosité des produits en cause (correspondant presque à
une conclusion d’innocuité des produits en langage OMC). Par cet exercice de
substitution des évaluations des risques, les organes de règlement des différends
mettent les cas d’incertitude scientifique dans une impasse.
1 V. le Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 179.
237
219. L’impasse de l’incertitude scientifique. Ainsi, le second élément de l’article 5.1,
résidant dans l’obligation de « baser » les mesures SPS « sur » une évaluation des
risques, bien que théoriquement parfaitement cohérent, est en pratique le second
principal motif d’incompatibilité des mesures SPS avec le régime SPS. Ce second
élément de l’obligation posée par l’article 5.1 semble, en fait, avant tout utilisé par les
organes de règlement des différends pour neutraliser le droit des États membres
d’adopter des mesures provisoires au titre de l’article 5.7. Cela revient à dire que
l’incertitude scientifique n’existe pas dans le système OMC, ce que ses organes de
règlement des différends ont d’ailleurs réaffirmé à plusieurs reprises1.
C’est ainsi que les mesures SPS, discutées dans le cadre du système de règlement des
différends, ont toutes, sans exception, été déclarées incompatibles avec l’article 5.1 de
l’Accord SPS. Les organes de règlement des différends ont soit estimé, par le biais
d’un examen scientifique de fond, que l’évaluation établissant un risque n’en était pas
une, soit qu’il existait bien une évaluation des risques mais qu’elle concluait à
l’absence de risque, et que son existence écartait l’application de l’article 5.7 qui exige
pour sa part une insuffisance de preuves scientifiques. Bref, la condition d’évaluation
des risques a systématiquement été un motif d’incompatibilité des mesures SPS avec
l’Accord. Outre cette condition centrale d’évaluation des risques, les mesures SPS
litigieuses ont également été déclarées incompatibles avec les principes
complémentaires du régime SPS.
L’incompatibilité des mesures SPS avec les principes complémentaires B.
220. La multiplicité des chefs d’incompatibilité. Outre la condition centrale
d’évaluation des risques, les mesures SPS sont également considérées incompatibles
avec les principes complémentaires de l’Accord SPS. Au regard de la multiplicité des
1 V. par exemple, la déclaration de l’Organe d’appel dans son rapport « Japon – Pommes » : « Nous ne
partageons pas l'opinion du Japon. L'application de l'article 5.7 est déclenchée non par l'existence d'une
incertitude scientifique mais plutôt par l'insuffisance des preuves scientifiques. Le texte de l'article 5.7 est
clair: il fait référence aux ‘cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes’ et non à
l'’incertitude scientifique’. Ces deux notions ne sont pas interchangeables. Par conséquent, nous ne
pouvons pas accepter l'approche du Japon consistant à interpréter l'article 5.7 à travers le prisme de
l'’incertitude scientifique’ » : Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes » , § 184.
238
obligations, que doit respecter une mesure SPS, certains observateurs ont ainsi parlé de
« démembrement » du droit général de fixer un niveau de protection sanitaire1. Et pour
cause, les mesures SPS litigieuses ont pu, en outre, être déclarées incompatibles avec
les principes de nécessité, de cohérence, et de proportionnalité2.
221. L’incompatibilité des mesures SPS avec le principe de nécessité. La plupart des
mesures SPS litigieuses ont été déclarées incompatibles avec le principe de nécessité
posé par l’article 2.2 de l’Accord SPS. Celui-ci prévoit que les mesures SPS ne doivent
être appliquées que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé ou
l’environnement3
. En réalité, cette exigence est étroitement liée à l’obligation
d’évaluation des risques posée par l’article 5.1, et les organes de règlement des
différends ont souvent pu déduire la non-nécessité de la mesure SPS de son absence de
justification par une évaluation des risques4. Ils considèrent dans ces cas-là que le
risque n’est pas établi scientifiquement, donc que la mesure SPS est maintenue sans
preuves scientifiques suffisantes et, dès lors, plus protectrice que nécessaire pour la
1 BUTAULT J., Le règlement par l’OMC des différends liés à la sécurité sanitaire dans le commerce
international des aliments, thèse, Nantes, 2008, v. spéc. pp. 120-128. 2 Cette problématique d’une mise en œuvre limitée des déclarations de principe, par le jeu de certains
principes complémentaires de contrôle, se retrouve également en droit de l’Union européenne. Les
déclarations de principes du juge européen sont largement nuancées par l’application par les juges des
principes de proportionnalité et de nécessité. Dès l’arrêt Cassis de Dijon, les obstacles à la libre circulation
n’ont été réputés acceptables, que dans la mesure où ils sont reconnus « comme étant nécessaires pour
satisfaire à des exigences impératives » (CJCE, arrêt du 20 février 1979, Rewe Zentral, « Cassis de Dijon »,
120/78, Rec., p. 649). En outre, la Cour de justice a par exemple appliqué le principe de proportionnalité, au
détriment de la règlementation nationale en cause, dans l’affaire Bouteilles danoises, en censurant
l’agrément préalable obligatoire des types d’emballage, l’objectif de protection de l’environnement étant
disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi (CJCE, arrêt du 20 septembre 1988, Commission c.
Danemark, 302/86, Rec., point 20). Sur cette question sur le plan européen, v. MALET-VIGNEAUX J. et
MARTIN G. J., « L’intégration substantielle des préoccupations environnementales dans le système
juridique », in BOY L., RACINE J.-B., SUEUR J.-J. (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du droit
économique, Larcier, Bruxelles, 2011, pp. 245-273, spéc. pp. 262-267. 3 Article 2.2 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne
soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux
ou préserver les végétaux, qu'elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu'elle ne soit pas maintenue
sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe 7 de l'article 5 ». 4 C’est ainsi, par exemple, que l’Organe d’appel a conclu à l’incompatibilité de la mesure australienne de
prohibition d’importation de saumons non-cuits avec l’article 2.2 au motif qu’elle était maintenue sans
preuve scientifique suffisante, constatation émanant de l’examen de la même mesure au regard de l’article
5.1 de l’Accord SPS. Il en a été de même dans les affaires Japon – Produits agricoles II, Japon – Pommes
et OGM.
239
protection de la santé ou de l’environnement1. Ainsi, les organes de règlement des
différends ont appliqué ce principe en considérant qu’il était « complémentaire » à
l’obligation d’évaluation des risques2. Le principe de nécessité est donc un chef
d’incompatibilité supplémentaire des mesures SPS, examiné à l’aune de l’article 5.1.
222. L’incompatibilité des mesures SPS avec le principe de cohérence. Les articles
2.33 et 5.5
4 de l’Accord SPS posent un principe général de non-discrimination en
interdisant les « distinctions arbitraires ou injustifiables » entre « situations différentes,
si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au
commerce international ». Dans cette optique, les organes de règlement des différends
font passer un test de cohérence aux mesures SPS5. Celui-ci est d’ailleurs à rapprocher
du chapeau de l’article XX de l’Accord général6. Si ce principe de cohérence est
1 Dans l'affaire Japon – Produits agricoles II, l'Organe d'appel a affirmé que « l'obligation énoncée à
l'article 2.2 selon laquelle une mesure SPS ne [devait] pas être maintenue sans preuves scientifiques
suffisantes exige[ait] qu'il y ait un lien rationnel ou objectif entre la mesure SPS et les preuves
scientifiques » : Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Produits agricoles II », § 84 ; v. aussi le rapport de
l'Organe d'appel « Japon –Pommes », §§ 162 et 163. 2 Le Groupe spécial a explicitement parlé d’une telle « complémentarité » entre les articles 5.1 et 2.2 dans
son rapport Australie – Pommes, pour répondre aux arguments de la Nouvelle-Zélande, qui voyait dans ces
dispositions des prescriptions « séparées et autonomes ». Dans l'affaire Hormones I, l'Organe d'appel a
précisé que l'article 5.1 était une « application spécifique des obligations fondamentales énoncées à l'article
2:2 de l'Accord SPS » et que « les articles 2:2 et 5:1 devraient toujours être lus ensemble » : Rapport de
l'Organe d'appel « Hormones I », § 180. 3
Article 2.3 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires et
phytosanitaires n'établissent pas de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Membres où existent
des conditions identiques ou similaires, y compris entre leur propre territoire et celui des autres Membres.
Les mesures sanitaires et phytosanitaires ne seront pas appliquées de façon à constituer une restriction
déguisée au commerce international ». 4 Article 5.5 de l’Accord SPS : « En vue d'assurer la cohérence dans l'application du concept du niveau
approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire contre les risques pour la santé ou la vie des personnes,
pour celles des animaux ou pour la préservation des végétaux, chaque Membre évitera de faire des
distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux qu'il considère appropriés dans des situations
différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce
international ». 5 Certains voient dans le test de cohérence mis en place par les organes de règlement des différends, un
parallèle avec le principe anglo-américain de l’estoppel (une interdiction de se contredire au détriment
d’autrui) : v. DEL CONT C. et PIRONON V., « Cohérence », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P.
(dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp.
170-171. 6 Le parallèle se tient, puisque le chapeau de l’article XX préconise que les mesures litigieuses « ne soient
pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les
pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international ». Il est à
noter cependant, que l’interprétation du principe de cohérence dans le cadre de l’Accord SPS semble avoir
été élargi, puisqu’il s’imposerait à la fois entre les produits similaires, mais également différents (Rapport
du Groupe spécial Australie – Mesures visant les importations de saumons – Recours du Canada à l'article
240
affiché comme un simple objectif, et non comme un impératif contraignant1, il est
néanmoins un chef d’incompatibilité des mesures SPS avec l’Accord SPS. C’est ainsi,
par exemple, que les organes de règlement des différends ont déclaré la mesure
australienne restreignant les importations de saumons incompatible avec ce principe
de cohérence. Ils estimaient que l’Australie avait établi, de manière arbitraire et
injustifiable, des niveaux de protection sanitaire distincts dans des situations
comparables, en interdisant d’une part les importations de saumons non cuits, et en
autorisant d’autre part, les importations d’autres poissons, qui présentaient, d’après les
organes de règlement des différends, des risques sanitaires similaires2. De la même
manière, le Groupe spécial a considéré dans son rapport Volaille, que la mesure
américaine empêchant l’importation de volailles chinoises sur son territoire était
incohérente, car elle ne s’appliquait pas au commerce des mêmes produits provenant
d’autres États3. L’argument américain justifiant cette discrimination par le risque
particulier présenté par l’épidémie de grippe aviaire en Chine, n’a pas été retenu par le
Groupe spécial qui avait invalidé leur évaluation des risques. Le Groupe spécial a pu
21:5 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, WT/DS18/RW, adopté le 20 mars 2000,
§ 7.112 : « Pour autant que les situations comportent des risques soit d'entrée, d'établissement ou de
discrimination de maladies identiques ou similaires, soit de conséquences biologiques et économiques
pouvant en résulter qui sont identiques ou similaires, des produits différents peuvent être comparés au titre
de l'article 5.5 »). Ce n’est donc pas le même principe de non-discrimination que dans le GATT ou l’Accord
OTC, puisque l’Accord SPS ne prévoit pas d’examen de similarité entre produits : il s’agit d’empêcher les
discriminations par rapport à la mesure SPS elle-même. V. MARCEAU G. et TRACHTMAN J. P., “A Map of
the World Trade Organization Law of Domestic regulation of Goods: The Technical Barriers to Trade
Agreement, the Sanitary and Phytosanitary Measures Agreement, and the General Agreement on Tariffs
and Trade”, JWT 48, n°2, 2014, pp. 367-368. 1 « L'objectif de l'article 5.5 consiste à ‘assurer la cohérence dans l'application du concept du niveau
approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire’. De toute évidence, la cohérence souhaitée est définie
comme un but à atteindre dans l’avenir […] L'énoncé de ce but n'établit pas une obligation juridique
d'assurer la cohérence des niveaux appropriés de protection. Nous pensons également que le but fixé n'est
pas une cohérence absolue ou parfaite, étant donné que les gouvernements établissent souvent leurs
niveaux appropriés de protection en fonction des circonstances et quand il y a lieu, des risques différents se
présentant à des moments différents. Ce sont uniquement les incohérences arbitraires ou injustifiables qui
doivent être évitées » : Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 213 ; confirmant formellement sa
portée, cette déclaration a notamment été reprise par le Rapport du Groupe spécial « Australie – Pommes »,
paragraphe7.1045. 2 Le Groupe spécial considérait que les harengs, les morues, les anguilles et les poissons d’ornement, qui ne
faisaient pas l’objet des mêmes restrictions commerciales, présentaient les mêmes risques sanitaires
(concernant l’agent pathogène aéromonas salmonicida, le virus de la « septicémie hémorragique virale » et
des nécroses « pancréatique infectieuse », « érythrocytaire », et « hématopoïétique infectieuse ») : v. le
Rapport du Groupe spécial « Australie – Saumons », §§ 8.113 s, et annexes 1, 2, 3 et 4, et Rapport de
l'Organe d'appel « Australie – Saumons », §§ 143 et 227. 3 Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Volailles », § 7.244.
241
rappeler, en outre, que la violation par la mesure litigieuse du principe de cohérence,
au sens de l’article 5.5, entrainait l’incompatibilité de la même mesure avec l’article
2.3, en raison des liens entre les deux articles1. Le principe de cohérence, malgré les
déclarations formelles ne l’imposant pas comme une stricte obligation juridique, se
révèle néanmoins un chef d’incompatibilité supplémentaire des mesures SPS avec
l’Accord SPS.
223. L’incompatibilité des mesures SPS avec le principe de proportionnalité. Enfin,
les mesures SPS litigieuses ont pu être déclarées incompatibles avec le principe de
proportionnalité, tel qu’il est posé à l’article 5.6 de l’Accord SPS2. Cette obligation de
ne pas adopter des mesures « plus restrictives pour le commerce qu’il n’est requis
pour obtenir le niveau de protection approprié » est appréciée en vérifiant qu’il n’est
pas possible d’adopter une autre mesure, qui permette d’obtenir le même niveau de
protection sanitaire tout en étant « sensiblement moins restrictive pour le commerce »3.
Les Groupes spéciaux ont déclaré la quasi-totalité des mesures SPS litigieuses
incompatibles avec ce principe de proportionnalité, mais leurs raisonnements ont
systématiquement été infirmés par l’Organe d’appel sur ce point. Autrement dit,
formellement, le plus souvent pour motif procédural, aucune mesure SPS n’a été
1 « Nous rappelons aussi que le Groupe spécial Australie – Saumons a estimé, et l'Organe d'appel a
confirmé, que parce que l'article 2.3 énonçait l'’obligation fondamentale’ et que l'article 5 était une
expression plus spécifique de cette obligation, une constatation de violation de l'article 5.5 impliquerait
nécessairement une violation de l'article 2.3. Nous souscrivons au raisonnement fait par le Groupe spécial
et l'Organe d'appel dans l'affaire Australie – Saumons et concluons que parce que l'article 727 est
incompatible avec l'article 5.5 de l'Accord SPS, en vertu d'une distinction dans les niveaux appropriés de
protection qui entraîne une discrimination entre les Membres, il est aussi incompatible avec la première
phrase de l'article 2.3 de l'Accord SPS. […] 7.319 Le Groupe spécial constate que l'incompatibilité de
l'article 727 avec l'article 5.5 de l'Accord SPS implique nécessairement que l'article 727 est aussi
incompatible avec l'article 2.3 de l'Accord SPS. Par conséquent, le Groupe spécial constate que l'article
727 est incompatible avec la première phrase de l'article 2.3 de l'Accord SPS » : Rapport du Groupe spécial
« États-Unis – Volailles », §§ 7.318-7.319. 2 Article 5.6 de l’Accord SPS : « Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3, lorsqu'ils
établiront ou maintiendront des mesures sanitaires ou phytosanitaires pour obtenir le niveau approprié de
protection sanitaire ou phytosanitaire, les Membres feront en sorte que ces mesures ne soient pas plus
restrictives pour le commerce qu'il n'est requis pour obtenir le niveau de protection sanitaire ou
phytosanitaire qu'ils jugent approprié, compte tenu de la faisabilité technique et économique ». 3 Cet éclaircissement est posé dans une note de bas de page présente à la fin de l’article 5.6 de l’Accord
SPS : « Aux fins du paragraphe 6 de l'article 5, une mesure n'est pas plus restrictive pour le commerce qu'il
n'est requis à moins qu'il n'existe une autre mesure raisonnablement applicable compte tenu de la
faisabilité technique et économique qui permette d'obtenir le niveau de protection sanitaire ou
phytosanitaire approprié et soit sensiblement moins restrictive pour le commerce ».
242
invalidée pour son incompatibilité avec l’article 5.6. Il n’en reste pas moins que sur le
fond, le respect de ce principe est contraignant et strictement examiné. C’est ainsi que
le Groupe spécial a considéré que la mesure australienne restreignant le commerce
international des saumons était plus restrictive pour le commerce que nécessaire, au
regard des mesures alternatives présentées par le Canada1 ; bien qu’infirmant les
constatations du Groupe spécial sur ce point, en considérant qu’il avait examiné la
mauvaise mesure, l’Organe d’appel n’a pas complété l’analyse pour manque
d’éléments factuels2. Le même schéma, d’absence de conclusion d’incompatibilité de
la mesure SPS litigieuse avec l’article 5.6 pour motif procédural, se retrouve dans les
affaires ultérieures3. Le principe de proportionnalité apparaît ainsi comme un motif
supplémentaire d’incompatibilité des mesures SPS avec l’Accord SPS, bien que
formellement il ne soit pas présenté comme le chef principal d’invalidation des
mesures litigieuses.
224. Le régime SPS, une forteresse imprenable. Au regard de la multiplicité et de la
rigidité des obligations, scientifiques et complémentaires, il n’est pas étonnant
qu’aucune mesure SPS n’ait trouvé grâce aux yeux des organes de règlement des
différends. Pour être compatible avec le régime SPS, la mesure SPS devrait prévenir
un risque avéré scientifiquement4, être nécessaire, proportionnelle et cohérente. Une
fois encore, ces conditions et principes semblent a priori parfaitement légitimes dans
1
En lieu et place d’une procédure de quarantaine pour les saumons cuits, et d’une prohibition à
l’importation des saumons non cuits, le Canada proposait quatre mesures alternatives allant des
prescriptions en matière de certification, à la simple exigence d’éviscération des saumons : Rapport du
Groupe spécial « Australie – Saumons », §§ 8.162-8.164. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Saumons », §§ 241-242.
3 Dans l’affaire Produits agricoles II, l’Organe d’appel infirme la constatation du Groupe spécial,
considérant qu’il existe une mesure moins restrictive pour le commerce que la mesure japonaise litigieuse,
pour un motif d’ordre procédural, en particulier relatif à la charge de la preuve : Rapport de l'Organe d'appel
« Japon – Produits agricoles II », §§ 130-131. Dans d’autres affaires, telles que celle relative aux OGM ou
à la Volaille, le Groupe spécial lui-même n’ira pas jusqu’à examiner cette compatibilité, par souci
d’économie jurisprudentielle : Rapports du Groupe spécial « OGM », §§ 7.3372-7.3378, parce qu’il avait
préalablement conclu à une incompatibilité des mesures de sauvegarde avec l’obligation d’évaluation des
risques au sens de l’article 5.1 ; Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Volaille », §§ 7.320-7.338, parce
qu’il avait préalablement conclu à l’incompatibilité de la mesure américaine avec le principe de cohérence
au titre de l’article 5.5. 4 Il semble, en effet, que seul le risqué avéré (et encore, en théorie seulement) soit envisageable, puisque
l’adoption de mesures provisoires sur le fondement de l’article 5.7 reste plus qu’hypothétique, au regard de
l’approche restrictive de sa première condition d’application d’insuffisance des preuves scientifiques : v.
supra n° 139 s.
243
l’optique d’endiguer l’adoption de mesures protectionnistes pour de prétendus
objectifs environnementaux ou sanitaires. Ils apparaissent pourtant, dans les faits,
comme les remparts d’une forteresse imprenable, empêchant en réalité l’adoption de
toutes les mesures environnementales et sanitaires. Ainsi, nous ne soutenons pas que
la cause même de l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires réside
dans ces conditions et principes, mais plutôt que ces derniers sont l’expression de cette
ineffectivité : l’incompatibilité des mesures SPS litigieuses avec ces conditions et
principes ne représente que la partie émergée d’un iceberg, que nous tenterons de
dessiner plus tard1
. Les mesures qualifiées de règlements techniques semblent
maintenues dans la même impasse, puisqu’elles ont toutes été déclarées incompatibles
avec le régime OTC.
L’INCOMPATIBILITÉ DES RÈGLEMENTS TECHNIQUES AVEC LE § 2.
RÉGIME OTC
225. Les affaires OTC apparaissent historiquement comme la dernière vague de
différends environnementaux et sanitaires. Si l’interprétation de l’Accord OTC s’est
faite sur le tard, celui-ci prend aujourd’hui une importance croissante2. À l’instar de
l’Accord SPS, il semble mettre en place un régime révélant l’ineffectivité des
exceptions environnementales et sanitaires. Ce régime applicable aux règlements
techniques, ne répond néanmoins pas exactement à la même logique que le régime
applicable aux mesures SPS3. En effet, l’Accord SPS prévoit, en théorie du moins, la
possibilité pour les mesures litigieuses de relever d’un régime d’exception, donc de ne
pas être soumises aux principes du libre-échange. L’Accord OTC, lui, semble mettre
en place un régime encore plus restrictif, puisqu’il impose en substance les mêmes
1 C’est effectivement l’objet de la seconde partie, de proposer une analyse systémique des obstacles à
l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires. 2 V. en ce sens MARCEAU G., “The New TBT Jurisprudence in US – Clove Cigarettes, WTO US – Tuna II,
and US – Cool”, AJWH, Vol. 8:1, 2013, p. 3; RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des
différends de l’Organisation mondiale du commerce (2011-2012) », JDI, 2012/4, p. 1503 ; BUSSEUIL G. et
al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des différends (novembre 2011 – août
2013) », RIDE, 2013/3 (t. XXVII), p. 366. 3 Sur le champ d’application des régimes SPS et OTC, v. supra n° 194 s.
244
obligations que le GATT, sans comprendre d’exception équivalente à l’article XX1.
Les deux régimes, GATT et OTC, présentent de fortes similitudes : premièrement,
l’article 2.1 de l’Accord OTC peut être rapproché de l’article III.4 du GATT, en ce que
tous deux interdisent les traitements moins favorables entre produits
similaires ; deuxièmement, l’article 2.2 de l’Accord OTC apparaît comme le pendant
de l’article XX du GATT, qui comporte les exceptions générales autorisant des
mesures « nécessaires » à la poursuite d’objectifs publics. Mais en réalité, l’article 2.2
ne remplit pas sa promesse d’aménager un régime d’exception aux règlements
poursuivant des « objectifs légitimes ». Ainsi, en posant les mêmes obligations que le
GATT, sans prévoir ses exceptions générales, le régime OTC apparaît bien plus sévère
à l’égard des règlements techniques, auxquels il s’applique, que le GATT de 19942.
L’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires apparaît ainsi également
à l’examen des modalités d’application du régime OTC : la reconnaissance du fait que
les règlements techniques contribuent à atteindre des « objectifs légitimes » (A)
n’empêche pas les organes de règlement des différends de les déclarer incompatibles
avec le droit de l’OMC au nom du principe général de non-discrimination (B).
Des règlements techniques contribuant à atteindre des « objectifs légitimes » A.
226. Un article aménageant apparemment une exception. L’article 2.2 de l’Accord
OTC dispose que
« Les Membres feront en sorte que l'élaboration, l'adoption ou l'application des
règlements techniques n'aient ni pour objet ni pour effet de créer des obstacles non
nécessaires au commerce international. À cette fin, les règlements techniques ne
seront pas plus restrictifs pour le commerce qu'il n'est nécessaire pour réaliser un
objectif légitime, compte tenu des risques que la non-réalisation entraînerait. Ces
1 V. en ce sens les deux articles de Gabrielle MARCEAU : “The New TBT Jurisprudence in US – Clove
Cigarettes, WTO US – Tuna II, and US – Cool”, AJWH, Vol. 8:1, 2013, pp. 1-39 ; et (en collaboration avec
TRACHTMAN J. P.) “A Map of the World Trade Organization Law of Domestic regulation of Goods: The
Technical Barriers to Trade Agreement, the Sanitary and Phytosanitary Measures Agreement, and the
General Agreement on Tariffs and Trade”, JWT 48, n°2, 2014, pp. 351-432. 2 MARCEAU G., “The New TBT Jurisprudence in US – Clove Cigarettes, WTO US – Tuna II, and US –
Cool”, op. cit., p. 4.
245
objectifs légitimes sont, entre autres, la sécurité nationale, la prévention de pratiques
de nature à induire en erreur, la protection de la santé ou de la sécurité des personnes,
de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de
l'environnement. Pour évaluer ces risques, les éléments pertinents à prendre en
considération sont, entre autres, les données scientifiques et techniques disponibles,
les techniques de transformation connexes ou les utilisations finales prévues pour les
produits ».
Cet article paraît de prime abord aménager un régime d’exception aux règlements
techniques poursuivant un objectif légitime, encadré par des principes
complémentaires similaires à ceux posés par l’Accord SPS, de nécessité, de cohérence
et de proportionnalité. À l’instar de l’équilibre recherché dans le GATT, les règlements
techniques seraient ainsi exemptés du respect du principe général de non-
discrimination, quand ils sont considérés poursuivre un objectif légitime. Il n’en est
pourtant rien : les récentes affaires tranchées sur le terrain de l’Accord OTC révèlent
que cet article 2.2 neutralise les exceptions environnementales et sanitaires. En effet,
la reconnaissance par les organes de règlement des différends que les règlements
techniques litigieux contribuent à atteindre des « objectifs légitimes » ne les empêche
pas de les considérer incompatibles au regard de leur caractère discriminatoire.
227. La reconnaissance de la légitimité des objectifs affichés. Les organes de
règlement des différends ont effectivement reconnu le caractère légitime des objectifs
affichés par leurs États auteurs pour justifier les règlements techniques, qu’ils ont
pourtant invalidé au nom du principe de non-discrimination. Cette reconnaissance de
la légitimité des objectifs poursuivis par les règlements techniques semble aller de pair
avec un certain degré de déférence des organes de règlement des différends à l’égard
de la qualification d’objectifs légitimes des États1. Un objectif légitime se rapporterait
ainsi à « la protection d’intérêts […] ‘justifiables’ » dans le sens où ils seraient
« étayés par des politiques générales publiques pertinentes ou d’autres normes
1 V. en ce sens MARCEAU G., “The New TBT Jurisprudence in US – Clove Cigarettes, WTO US – Tuna II,
and US – Cool”, op. cit., p. 15; cette déférence semble néanmoins logique, puisque la qualification de
règlement technique poursuivant des objectifs légitimes semble, dans les faits, n’accorder aucun droit à
leurs États auteurs.
246
sociales »1. Cette large appréhension des objectifs légitimes semble ainsi, de prime
abord, aller dans le sens de l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
Elle a effectivement permis de reconnaitre la légitimité des objectifs poursuivis par
tous les règlements techniques litigieux. Pourtant, l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires n’en est dès lors que plus visible au regard de la
conclusion d’incompatibilité de ces mêmes règlements avec les principes généraux du
libre-échange, auxquels ils ne devraient logiquement pas être soumis. C’est ainsi que
dans l’affaire Cigarettes aux clous de girofles, la légitimité de l’objectif de protection
de la santé par le biais d’une politique de réduction du tabagisme chez les jeunes était
à ce point évidente qu’elle n’a même pas fait l’objet de débat2. De la même manière,
dans l’affaire Thons II, les deux objectifs, de protection des dauphins d’une part et
d’information des consommateurs d’autre part ont été reconnus comme légitimes3.
Cette reconnaissance est d’autant plus appréciable concernant le second objectif
d’information des consommateurs, puisqu’il ne figure pas explicitement parmi la liste
exemplative de l’article 2.24. Enfin, les organes de règlement des différends ont
également reconnu la légitimité de l’objectif d’information des consommateurs de
viande poursuivi par le règlement technique américain dans l’affaire EPO5. Les
organes de règlement des différends ont, en outre, fini par admettre que ces règlements
techniques contribuent à atteindre les objectifs légitimes affichés.
1 Rapport du Groupe spécial « Sardines », § 7.121, faisant référence au rapport du Groupe spécial Canada –
Brevets pour les produits pharmaceutiques, § 7.69. Le Groupe spécial fait également référence à la
déclaration du Groupe spécial « États-Unis – Article 110 5), Loi sur le droit d'auteur » selon laquelle le
terme a « la connotation de légitimité d'un point de vue plus normatif, s'agissant de ce que requiert la
protection d'intérêts qui sont justifiables au regard des objectifs qui sous-tendent la protection de droits
exclusifs » (§ 6.224). 2 Rapport du Groupe spécial « Cigarettes aux clous de girofle », § 7.347.
3 Rapport du Groupe spécial « Thons II », § 7.437 ; confirmé par le Rapport de l'Organe d'appel « Thons II »,
§ 337. 4 L’article 2.2 de l’Accord OTC prévoit explicitement certains objectifs considérés comme légitimes, cette
liste demeurant donc non-exhaustive : « Ces objectifs légitimes sont, entre autres, la sécurité nationale, la
prévention de pratiques de nature à induire en erreur, la protection de la santé ou de la sécurité des
personnes, de la vie ou de la santé des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de
l'environnement ». 5 « Il nous semble, sur la base des éléments de preuve dont nous disposons, que le fait de fournir aux
consommateurs des renseignements sur l'origine des produits qu'ils achètent est conforme aux exigences
des normes sociales courantes dans une grande partie des Membres de l'OMC. […] Compte tenu de ce qui
précède, nous concluons que fournir aux consommateurs des renseignements sur l'origine est un objectif
légitime au sens de l'article 2.2. » : Rapports du Groupe spécial « EPO », §§ 7.650 et 7.651 ; confirmé par les
Rapports de l'Organe d'appel « EPO », § 453.
247
228. La reconnaissance du fait que les règlements techniques contribuent à
atteindre les « objectifs légitimes ». Dans les deux affaires à l’occasion desquelles la
question s’est posée, les règlements techniques litigieux ont finalement été considérés
comme contribuant à atteindre les objectifs légitimes. Ces deux affaires présentaient le
même cas de figure : les Groupe spéciaux considéraient que les règlements techniques
ne contribuaient pas suffisamment à la poursuite de ces objectifs, et leurs conclusions
se sont vues infirmées par l’Organe d’appel. Dans l’affaire Thons II, le Groupe spécial
avait par exemple accepté la mesure alternative défendue par les plaignants1. Il
considérait dès lors que le règlement technique n’était pas nécessaire au sens de
l’article 2.2 de l’Accord OTC. L’Organe d’appel infirme cette conclusion en relevant
que la mesure alternative ne permet pas d’atteindre le même degré de contribution à
l’objectif légitime2. Le label Dolphin Safe est ainsi explicitement reconnu comme
constituant un règlement technique poursuivant un objectif légitime conformément à
l’article 2.2 de l’Accord OTC. Il est pourtant invalidé au nom du principe général de
non-discrimination posé par l’article 2.1 : sa compatibilité avec l’article 2.2 en tant que
règlement technique poursuivant un objectif légitime ne lui permet pas de déroger à
cette obligation de non-discrimination3. L’affaire EPO présente le même cas de figure.
Le Groupe spécial considérait que le règlement technique ne permettait pas d’atteindre
l’objectif visé4, et était par là même incompatible avec l’article 2.2 de l’Accord OTC.
L’Organe d’appel infirme sa constatation en considérant que le règlement technique y
1 Le Mexique avançait que la norme internationale AIDCP était moins restrictive pour le commerce
international du thon que le label américain Dolphin Safe, tout en poursuivant les mêmes objectifs légitimes
de protection des dauphins et d’information des consommateurs. 2 L’Organe d’appel relève que la mesure alternative ne permet pas d’informer les consommateurs sur la
pêche par encerclement des dauphins, ce qui est pourtant le principal objet du label Dolphin Safe. Il infirme
ainsi les constatations du Groupe spécial « selon lesquelles la mesure de rechange proposée accomplirait
les objectifs des États-Unis ‘dans la même mesure’ que les dispositions existantes des États-Unis en matière
d'étiquetage Dolphin Safe, et selon laquelle la mesure dans laquelle les consommateurs seraient trompés
quant aux conséquences de la manière dont le thon a été capturé ‘ne serait pas plus grande’ dans le cadre
de la mesure de rechange proposée par le Mexique » : Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », §§ 329-330. 3 V. infra n° 229 s.
4 Selon le Groupe spécial, « la mesure EPO ne permet[tait] pas de réaliser l'objectif identifié au sens de
l'article 2.2 parce qu'elle n'apport[ait] pas aux consommateurs de renseignements utiles sur l'origine », et
était dès lors incompatible avec l’article 2.2 de l’Accord OTC : Rapports du Groupe spécial « EPO »,
§ 7.719-7.720.
248
participe1. Ainsi, ces règlements techniques, bien que reconnus comme poursuivant
des objectifs légitimes, sont déclarés incompatibles avec le régime OTC qui les soumet
à un principe de non-discrimination plus strict encore que ne le fait le régime du GATT.
L’incompatibilité des règlements techniques avec le principe général de non-B.
discrimination
229. L’application du principe général de non-discrimination. Malgré la
reconnaissance que les règlements techniques litigieux contribuent à atteindre des
« objectifs légitimes », les organes de règlement des différends les ont déclarés
incompatibles avec le principe général de non-discrimination posé par l’article 2.1 de
l’Accord OTC2. Les conclusions d’incompatibilité des règlements techniques avec le
principe général de non-discrimination révèlent ainsi la rupture de l’équilibre entre
intérêts commerciaux et non-commerciaux. Pour déclarer les règlements techniques
litigieux incompatibles avec le principe général de non-discrimination, les organes de
règlement des différends ont mis en place une appréciation économique de la
similarité.
230. Une appréciation économique de la similarité. Pour conclure à l’incompatibilité
des règlements techniques avec le principe de non-discrimination, les organes de
règlement des différends déterminent en premier lieu que les deux produits en cause
sont similaires. La question s’est pour la première fois posée lors de l’affaire
Cigarettes aux clous de girofle. L’Organe d’appel a infirmé l’interprétation du Groupe
spécial axée sur les objectifs légitimes du règlement technique3 pour lui préférer une
1
L’Organe d’appel recommande aux Groupes spéciaux de « s'attacher à déterminer le degré de
contribution accompli par la mesure, et non à répondre aux questions de savoir si la mesure réalise
complètement l'objectif ou satisfait à un niveau minimal de réalisation de cet objectif ». Il considère en
l’occurrence que « la mesure EPO contribuaient effectivement à l'objectif consistant à fournir aux
consommateurs des renseignements sur l'origine », mais ne termine pas son analyse par manque d’éléments
factuels : Rapports de l'Organe d'appel « EPO », § 468. 2 Article 2.1 de l’Accord OTC : « Les Membres feront en sorte, pour ce qui concerne les règlements
techniques, qu'il soit accordé aux produits importés en provenance du territoire de tout Membre un
traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires d'origine nationale et aux
produits similaires originaires de tout autre pays ». 3 Le Groupe spécial avait effectivement précisé que son examen était mené « en gardant à l’esprit le fait
que la mesure en cause était un règlement technique qui avait pour but immédiat de réglementer les
249
interprétation fondée sur le rapport de concurrence1. L’Organe d’appel confirme ici
l’ambigüité laissée par le rapport Amiante2, à savoir que c’est bien l’approche
économique qui domine l’appréciation de la similarité. Si ce biais n’est pas surprenant
de la part de l’organisation commerciale, il révèle néanmoins l’absence effective de
place accordée aux intérêts environnementaux et sanitaires. Cette notion de similarité
n’a pas fait l’objet de débat dans les affaires OTC ultérieures, les défendeurs ne
contestant pas que la viande et le thon américain sont « similaires » aux thons et
produits carnés étrangers3. Le constat de similarité entre deux produits a ainsi permis
aux organes de règlement des différends de conclure à l’incompatibilité des
règlements techniques avec le principe de non-discrimination, en vérifiant ensuite
qu’ils entrainaient un traitement moins favorable des produits étrangers.
cigarettes ayant un arôme caractérisant en vue d’atteindre l’objectif légitime consistant à réduire le
tabagisme chez les jeunes » (Rapport de l’Organe d’appel « Cigarettes aux clous de girofle », § 104). Le
Groupe spécial avait ainsi refusé de transposer directement la méthode d’appréciation de la similarité
construite au regard de l’article III.4 lors de l’affaire Amiante. Il estimait qu’en se référant à la figure de
l’accordéon de la similarité, il se devait d’adopter une interprétation différente de la notion telle qu’inscrite
dans l’article 2.1 de l’Accord OTC. Il refusait cette analogie en outre car la similarité était alors définie au
regard du principe de non-discrimination posé par l’article III.1 du GATT qui n’a pas d’équivalent dans
l’Accord OTC. Pour lui, la réelle différence était qu’il s’agissait dans l’affaire Cigarettes aux clous de
girofle d’un règlement technique poursuivant un objectif légitime, lequel revêtait « une certaine importance,
et peut-être une grande importance » dans la détermination de la similarité (Rapport du Groupe spécial,
§ 7.109). Le Groupe spécial avait ainsi mené son examen de la similarité entre les deux produits en se
fondant sur l’objectif réglementaire de protection sanitaire. Il concluait à la similarité des deux types de
cigarettes, non pas en établissant leur concurrence, mais en constatant qu’ils présentaient l’un et l’autre le
même problème d’attractivité chez les jeunes fumeurs. La différence de traitement entre les cigarettes au
menthol et celles aux clous de girofle n’était pas liée à un objectif de santé publique, donc pas pertinente
pour l’analyse du produit similaire en cause. 1 D’après l’Organe d’appel, la mention de « traitement non moins favorable » au sein de l’article 2.1 « relie
les produits au marché, parce que c’est seulement sur le marché qu’il peut être déterminé comment la
mesure traite les produits importés et nationaux similaires » (Rapport de l’Organe d’appel « Cigarettes aux
clous de girofle », § 111). L’Organe d’appel conclut ainsi son interprétation de la notion de similarité dans
l’article 2.1 : « […] nous estimons que les préoccupations en matière de réglementation qui sont à l’origine
d’une mesure, telles que les risques pour la santé que présente un produit donné, peuvent être pertinentes
pour une analyse des critère de ‘similarité’ dans le cadre de l’article III :4 du GATT de 1994 ainsi que de
l’article 2.1 de l’Accord OTC, dans la mesure où elles ont une incidence sur le rapport de concurrence
entre et parmi les produits considérés » (§ 119 du rapport de l’Organe d’appel). Finalement, c’est au regard
de leur rapport de concurrence sur le marché que les cigarettes mentholées et les cigarettes aux clous de
girofle sont qualifiées de « produits similaires ». 2 V. supra n° 73
3 Pourtant, cette évidence serait plus discutable si l’objectif légitime poursuivi par le règlement technique en
question était pris en compte pour apprécier la similarité des produits : le thon pêché dans le respect de la
vie des dauphins ne serait pas similaire au thon pêché en les blessant ; la viande locale ne serait pas
similaire à la viande importée des points de vue de sa traçabilité, de son impact écologique ou social, etc.
250
231. Des traitements moins favorables des produits « similaires » étrangers. Pour
que le règlement technique litigieux soit discriminatoire, les organes de règlement des
différends vérifient alors qu’il accorde un traitement moins favorable aux produits
« similaires » étrangers qu’aux produits nationaux. C’est ainsi que dans l’affaire
Cigarettes, le Groupe spécial considérait qu’en interdisant les cigarettes aux clous de
girofle, tout en autorisant les cigarettes mentholées, le règlement technique américain
accordait aux cigarettes étrangères un traitement « moins favorable » qu’aux cigarettes
nationales1. Sans surprise, cette conclusion est confirmée par l’Organe d’appel, au
motif que les faits de l’espèce démontrent « l’existence d’une discrimination à l’égard
du groupe de produits similaires importés d’Indonésie »2.
Dans l’affaire EPO, le Groupe spécial a également considéré que le règlement
technique américain était discriminatoire de facto, car il poussait les opérateurs
économiques à traiter séparément les produits nationaux et les produits importés, au
détriment de la viande provenant de l’étranger3. Cette conclusion est confirmée par
l’Organe d’appel, qui considère le règlement technique arbitraire, injustifiable et
partial4.
C’est probablement dans l’affaire Thons II qu’apparaît le plus évidemment le décalage
entre l’application purement commerciale du principe de non-discrimination et l’objet
non-commercial du règlement technique. Le label Dolphin Safe en cause dans l’affaire
Thons II est déclaré incompatible avec l’article 2.1 de l’Accord OTC, car considéré par
les organes de règlement des différends comme entrainant un traitement moins
favorable à l’égard des thons étrangers. Pourtant, le Groupe spécial avait considéré
1 Rapport du Groupe spécial « Cigarettes aux clous de girofle », § 7.292. L’étude du marché américain
montre en effet que les produits interdits (cigarettes aromatisées) sont principalement constitués des
cigarettes aux clous de girofle, lesquelles proviennent quasi-exclusivement d’Indonésie, tandis que les
produits similaires autorisés sont les cigarettes au menthol fabriquées quasiment exclusivement sur le
territoire américain : v. BUSSEUIL G. et al., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement
des différends (novembre 2011 – août 2013) », RIDE, 2013/3 (t. XXVII), p. 364. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Cigarettes aux clous de girofle », § 224.
3 Le Groupe spécial a conclu que « la mesure EPO cré[ait] une incitation à utiliser le bétail national – et
une désincitation à traiter le bétail importé – en imposant des coûts de séparation plus élevés pour le bétail
importé que pour le bétail national », ce qui « modifi[ait] les conditions de concurrence sur le marché des
États-Unis au détriment du bétail importé » : Rapports du Groupe spécial « EPO », § 7.372. V. également
les §§ 7.381, 7.420 et 7.548. 4 Rapports de l'Organe d'appel « EPO », § 349.
251
dans un premier temps que la distinction règlementaire opérée par le label américain
était fondée sur des facteurs autres que l’origine des produits (les pratiques de pêche,
telles que l’encerclement des dauphins). Ce raisonnement a néanmoins été infirmé par
l’Organe d’appel qui voit dans cette règlementation une discrimination de facto1 : une
fois encore, l’Organe d’appel fait primer une approche fondée sur le rapport de
concurrence plutôt que sur l’objectif légitime poursuivi par l’État auteur du règlement
technique2. Admettant néanmoins qu’il peut s’agir d’une « distinction règlementaire
légitime » qui ne constituerait pas une discrimination3, l’Organe d’appel conclut à la
partialité, et donc au caractère discriminatoire de la mesure, car elle ne remédiait
qu’aux risques présentés par un seul type de pêche dans certaines zones de pêche4.
Cette conclusion de règlement technique discriminatoire a été critiqué par la doctrine,
qui, tout en reconnaissant la difficulté du point d’équilibre entre commercial et non
commercial, relève que cette solution ignore à court terme, au nom de la non-
discrimination conçue en termes exclusivement économiques, les préoccupations
sanitaires et environnementales5. Cette affaire doit en outre être appréhendée en
1 « Dans une analyse du ‘traitement moins favorable’ au sens de l’article 2.1, toute incidence défavorable
sur les possibilités de concurrence pour les produits importés par rapport aux produits nationaux
similaires qui est causée par une mesure particulière est potentiellement pertinente » : Rapport de l'Organe
d'appel « Thons II », § 225. 2 L’Organe d’appel considère que les « constatations de fait formulées par le Groupe spécial établissent
clairement que l’absence d’accès au label Dolphin Safe pour les produits du thon contenant du thon
capturé par encerclement des dauphins a un effet préjudiciable sur les possibilités de concurrence pour les
produits du thon mexicains sur le marchés des États-Unis » : Rapport de l'Organe d'appel « Thons II »,
§ 235. 3D’après l’Organe d’appel, il était question de « savoir si les États-Unis ont démontré que cette différence
dans les conditions d’étiquetage était une distinction règlementaire légitime et, par conséquent, si l’effet
préjudiciable de la mesure résulte exclusivement de cette distinction au lieu de dénoter une
discrimination » : Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », § 284. 4 D’après l’Organe d’appel, la mesure ne serait pas « ‘adaptée’ en fonction des risques présentés pour les
dauphins par différentes méthodes de pêche dans différentes zones de l’océan », donc pas « impartiale dans
la manière dont elle remédiait aux risques présentés pour les dauphins par différentes techniques de pêche
dans différentes zones de l’océan ». Elle serait finalement discriminatoire car son effet préjudiciable sur les
produits du thon mexicains ne découlerait pas « exclusivement d’une distinction réglementaire légitime » :
Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », §§ 297 et 298. 5 RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (2011-2012) », JDI, 2012/4, pp. 60-61. Nous abondons dans le sens de cette critique, au regard
du raisonnement implicite de l’Organe d’appel : celui-ci reconnait le risque environnemental représenté par
la pratique de pêche, mais estime que le label établit une distinction réglementaire illégitime parce qu’il
n’est pas assorti d’autres labels relatifs à toutes les techniques dangereuses dans toutes les régions
océaniques. En poussant ce raisonnement relatif au principe de cohérence un peu plus loin, l’Organe
d’appel aurait presque pu exiger que les États-Unis adoptent des mesures protectrices de tous les animaux
en voie de disparition…
252
gardant à l’esprit qu’elle présente des faits analogues à l’espèce de l’affaire Crevettes
– Tortues, ayant donné lieu, in fine, à une conclusion de compatibilité de la mesure
environnementale sur le fondement de l’article XX g) du GATT. L’analogie des faits
des deux espèces, et le décalage entre les solutions rendues témoigne une fois encore
du rôle de l’accord spécifique qu’est l’Accord OTC dans l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires. En effet, ce n’est pas la constatation per se de la
violation du principe de non-discrimination par les règlements techniques qui révèle
cette ineffectivité, mais le fait que les organes de règlement des différends
n’exemptent pas de cette obligation les règlements techniques reconnus comme
poursuivant des « objectifs légitimes ».
232. Le régime OTC, un GATT restrictif. Les règlements techniques sont ainsi
soumis à un régime faisant la part belle au principe phare du libre-échange, le principe
de non-discrimination. Il n’équilibre pas cette obligation par une exception
s’appliquant aux règlements techniques poursuivant des « objectifs légitimes ».
Autrement dit, l’accord s’appliquant en particulier à certaines mesures
environnementales et sanitaires, et s’apparentant à une exceptio specialis, prévoit un
régime bien plus restrictif que le GATT, et neutralise ses exceptions générales prévues
à l’article XX. Certains observateurs suggèrent d’ailleurs de réintroduire un minimum
de flexibilité dans l’Accord OTC en donnant la possibilité aux auteurs de règlements
techniques d’invoquer l’article XX du GATT pour justifier leur caractère
discriminatoire le cas échéant1. Cela reviendrait à admettre l’existence de règlements
techniques violant les obligations posées par l’Accord OTC, en particulier son principe
général de non-discrimination, en réintroduisant des exceptions générales. D’autres
encore proposent des interprétations moins restrictives de ces obligations de
1 YA QIN J., “Reforming WTO Discipline in Export Duties: Sovereignty over Natural Resources, Economic
Development and Environmental Protection”, JWT, vol. 46, Issue 5, 2012, pp. 1147-1190. Il faut néanmoins
préciser que l’Organe d’appel a d’ores et déjà explicitement refusé cette option dans son rapport Chine –
Mesures relatives à l'exportation de diverses matières premières, WT/DS394/AB/R / WT/DS395/AB/R /
WT/DS398/AB/R, adoptés le 22 février 2012, §§ 303-306.
253
« similarité » et de « traitement non moins favorable »1. Peu importe l’option choisie,
ce régime OTC ne saurait rester en l’état, tellement il apparaît contraire au bon sens.
Les organes de règlement des différends ont considéré que les mesures
environnementales et sanitaires qui leur étaient soumises étaient incompatibles, selon
les cas, soit avec le régime SPS, soit avec le régime OTC. Ces régimes spéciaux, se
substituant au régime général de l’article XX du GATT, révèlent ainsi avec acuité
l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
1 Ces propositions sont notamment reprises dans le Rapport sur le commerce mondial 2012, « Commerce et
politiques publiques : gros plan sur les mesures non tarifaires au XXIe siècle », Publications de l’OMC, p.
189. Elles sont présentées et commentées par Gabrielle MARCEAU dans son article, “The New TBT
Jurisprudence in US – Clove Cigarettes, WTO US – Tuna II, and US – Cool”, AJWH, Vol. 8:1, 2013, p. 9.
254
255
233. Conclusion du Chapitre 2. L’ineffectivité des exceptions apparaît intimement
liée à la soumission des mesures environnementales et sanitaires aux Accords SPS et
OTC. En premier lieu, les organes de règlement des différends ont attribué un champ
d’application particulièrement large à ces accords spécifiques. À de rares exceptions
près, les mesures environnementales et sanitaires sont qualifiées soit de mesures SPS,
soit de règlement techniques, et tombent sous le coup d’un de ces accords. Ce large
champ d’application donne ainsi un important pouvoir aux régimes qu’ils imposent.
Or, ces régimes se révèlent draconiens, les organes de règlement des différends ayant
déclaré toutes les mesures litigieuses incompatibles avec eux. Les mesures SPS sont en
premier lieu conditionnées par la nécessaire évaluation des risques. Cette condition a
été interprétée et appliquée de telle manière qu’elle condamne les mesures
correspondant à des situations d’incertitude scientifique. Outre cette condition
d’évaluation des risques, les mesures SPS sont déclarées incompatibles avec les
principes complémentaires de nécessité, cohérence, et proportionnalité.
L’interprétation de l’Accord par les organes de règlement des différends a ainsi fait du
régime SPS une forteresse imprenable. D’une autre manière, l’Accord OTC aboutit au
même résultat, c’est-à-dire à la conclusion d’incompatibilité des règlements
techniques qui lui sont soumis avec son régime. Le régime OTC ne prévoit pas de
condition « impossible », telle que l’évaluation des risques du régime SPS, pour faire
jouer l’exception environnementale ou sanitaire. Les organes de règlement des
différends l’ont, cependant, interprété de telle manière, qu’ils ont purement et
simplement supprimé l’existence effective de cette exception. Ainsi, bien qu’ils
admettent que les règlements techniques litigieux contribuent à atteindre des
« objectifs légitimes », ils les invalident au nom du principe général de non-
discrimination s’appliquant aux mesures commerciales standard. L’Accord OTC
apparaît dès lors comme une variante bien plus restrictive du GATT, puisqu’il ne
comprend aucune exception. Par là même, l’incompatibilité des mesures litigieuses
avec les régimes SPS et OTC révèle l’ineffectivité généralisée des exceptions
environnementales et sanitaires dans le cadre du système de règlement des différends
de l’OMC. L’interprétation extrêmement restrictive de ces accords ne permet pas, in
fine, de séparer le bon grain de l’ivraie : si l’on peut naturellement admettre que les
organes de règlement des différends aient à cœur d’invalider les mesures incarnant un
protectionnisme déguisé, leur interprétation ne semble laisser aux États aucune marge
de manœuvre leur permettant d’adopter de bonne foi une quelconque politique
256
environnementale ou sanitaire entravant les objectifs commerciaux que porte
l’Organisation1.
1 Concernant les raisons de la rigueur interprétative des Accords SPS et OTC, v. supra n° 209.
257
234. Conclusion du Titre II. Malgré la consécration formelle des exceptions
environnementales et sanitaires par les organes de règlement des différends, celles-ci
se révèlent condamnées à une ineffectivité substantielle. Cette ineffectivité se constate
avant tout au regard des conclusions d’incompatibilité des mesures litigieuses avec le
droit de l’OMC. Les organes de règlement des différends ont développé un discours
justifiant ces conclusions d’incompatibilité par le hasard conjoncturel de chaque cas
d’espèce. Les États se sont en effet retrouvés face à de multiples et importantes
incertitudes juridiques, tant en ce qui concerne les règles matérielles que processuelles.
Ces incertitudes, correspondant à autant d’insécurité juridique, ont rendu les mesures
environnementales et sanitaires vulnérables dans le cadre du système de règlement des
différends. Autrement dit, les organes de règlement des différends ont posé les règles
du jeu au fur et à mesure des affaires qui leur étaient soumises : ils ont assorti la
flexibilité juridique, résultant de leurs déclarations de principes audacieuses, d’une
grande rigidité pratique. Cette ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires, présentée comme le résultat d’un hasard conjoncturel, semble pourtant bel
et bien être généralisée du point de vue des accords sur la base desquels les litiges sont
tranchés. Aujourd’hui, les mesures environnementales et sanitaires relèvent presque
systématiquement des champs d’application, interprétés très extensivement, des
Accords SPS et OTC. Or, ces accords sont appliqués de telle manière qu’ils semblent
bien soumettre les mesures litigieuses à des régimes draconiens. C’est ainsi qu’aucune
mesure n’a jamais été déclarée compatible avec un des deux régimes, SPS ou OTC,
dans le cadre du système de règlement des différends. Bien au contraire, elles sont
systématiquement déclarées incompatibles avec ces derniers, sur un, sinon plusieurs
chefs. La condition d’évaluation des risques posée par le régime SPS d’une part, et le
principe général de non-discrimination du régime OTC d’autre part, apparaissent
comme les deux motifs principaux d’incompatibilité. L’analyse des solutions données
par les organes de règlement des différends aux litiges environnementaux et sanitaires
qui leur sont soumis, par le biais des fondements juridiques de ces décisions, révèle
ainsi que loin d’être conjoncturelle, l’ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires est généralisée.
258
259
235. Conclusion de la première partie. Les exceptions environnementales et sanitaires
sont l’objet d’une politique jurisprudentielle paradoxale, dans le cadre du système de
règlement des différends de l’OMC : tout en entretenant l’illusion formelle de leur
effectivité, les organes de règlement des différends les condamnent en réalité à une
ineffectivité substantielle. 2001 semble avoir été l’année faste pour les mesures
environnementale et sanitaire, puisque les organes de règlement des différends y ont
admis la compatibilité avec le droit de l’OMC de la mesure environnementale
américaine en cause dans l’affaire Crevettes, ainsi que de la mesure sanitaire
européenne lors de l’affaire Amiante. Cette mise en œuvre des exceptions
environnementales et sanitaires sur le fondement de l’article XX du GATT aurait pu
laisser croire à l’amorce d’une politique jurisprudentielle, trouvant un équilibre entre
intérêts commerciaux et non-commerciaux, dans l’application du droit de l’OMC.
Pourtant, les raisonnements et motivations de ces décisions annonçaient déjà les
limites de cette consécration, en laissant la part encore trop belle à l’appréhension
strictement économique des litiges. Formellement, les organes de règlement des
différends ont néanmoins cultivé une image, celle de leur volonté d’inscrire les
préoccupations environnementales et sanitaires dans le système commercial
multilatéral. Ils ont ainsi multiplié les déclarations de principe audacieuses, consacrant
apparemment des droits environnementaux et sanitaires, sur le fondement des accords
SPS et OTC. C’est ainsi qu’ils ont pu formellement consacrer le droit des États
membres de choisir leur propre niveau de protection environnementale et sanitaire, et
ses dérivés, dans chacun de ces deux accords. Ces grandes déclarations de principe
sont toutefois restées lettre morte, comme en témoigne l’absence totale de mise en
œuvre des exceptions environnementales et sanitaires. C’est ainsi qu’à l’artifice de la
consécration formelle de ces exceptions semble correspondre leur absolue ineffectivité
substantielle. Cette ineffectivité substantielle, qui se vérifie dans tous les différends
environnementaux et sanitaires, hormis les affaires Crevettes et Amiante
précédemment citées, est affichée comme résultant d’un hasard conjoncturel propre à
chaque cas d’espèce par les organes de règlement des différends. Or, l’analyse de cette
série de décisions révèle avant tout les incertitudes, et donc les insécurités, juridiques
entretenues par les organes de règlement des différends, qui ont su se ménager une
large et confortable marge de manœuvre. Le discours casuistique ainsi entretenu par
les organes de règlement des différends cache en réalité la généralisation de
l’ineffectivité, révélée par leur interprétation des Accords SPS et OTC. Ils leur ont
260
effectivement octroyé un très large champ d’application, assorti de régimes juridiques
draconiens, conduisant à invalider systématiquement les mesures environnementales et
sanitaires litigieuses. Ces régimes SPS et OTC révèlent ainsi l’ineffectivité généralisée
des exceptions environnementales et sanitaires systématiquement invalidées par les
organes de règlement des différends. Ces organes refusent ainsi d’infléchir les grands
principes du libre-échange au nom de valeurs non–commerciales, pourtant prévues par
les textes des accords OMC. Ces décisions trahissent ainsi une politique
jurisprudentielle, refusant de ménager aux États membres un minimum de
souveraineté étatique concernant des objectifs supérieurs tels que la santé,
l’environnement et la sécurité alimentaire. Autrement dit, les organes de règlement des
différends se font les gardiens de l’uniformisation commerciale, affichant une
intolérance absolue à toute règlementation différente. Ils font ainsi du droit de l’OMC
un système d’universalisme commercial, incapable d’accepter le relativisme des
valeurs de ses États membres. Ce premier constat ne clôt pourtant pas la question. Il ne
pousse qu’à sonder plus profondément les causes de l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires. En effet, interroger le sort de préoccupations non
commerciales dans un ordre juridique commercial, implique, d’après nous, une
analyse transversale et systémique des valeurs qu’il porte, y compris par ses outils de
technique juridique, apparemment neutres. Une telle analyse démontrera que les
raisons de l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires sont beaucoup
plus fondamentales qu’il n’y parait et qu’elles tiennent aux règles probatoires ainsi
qu’à la reconnaissance sélective des normes externes au droit de l’OMC.
261
DEUXIÈME PARTIE
LES CAUSES DE L’INEFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
236. L’envers du décor. La consécration formelle des exceptions environnementales
et sanitaires cache leur ineffectivité substantielle. Les organes de règlement des
différends cultivent ainsi l’apparence d’une activité régulatrice, tout en poursuivant
une politique jurisprudentielle au service d’intérêts exclusivement commerciaux, sans
égard envers les valeurs environnementales et sanitaires. Cette ineffectivité
substantielle se manifeste avant tout dans l’interprétation et l’application des textes
spécifiques que sont l’article XX du GATT et les Accords SPS et OTC. Une approche
transversale permet d’approfondir plus avant l’envers du décor, pour mieux révéler le
caractère systémique de cette ineffectivité.
237. Une ineffectivité systémique. L’ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires n’est pas seulement due à l’interprétation restrictive de certains textes
particuliers. Elle témoigne plus généralement de l’incapacité des organes de règlement
des différends à concilier les objectifs commerciaux initiaux de l’OMC avec des
valeurs non commerciales. Il est ainsi nécessaire d’interroger le droit de l’OMC de
manière plus transversale, sans s’arrêter aux interprétations des exceptions
environnementales et sanitaires stricto sensu. Une analyse de l’interprétation du droit
de l’OMC par les organes de règlement des différends permettra de révéler les valeurs
que ce système juridique se donne à lui-même1. Le juriste est peut-être bien ce
linguiste, qui, en repérant l’usage de telle syntaxe, de telle règle de grammaire, de
l’existence de tel vocabulaire et non de tel autre, révèlera les valeurs que le langage
d’un droit est à même de porter. Il pourra dès lors le faire évoluer, en modifiant ou en
1 Nous paraphrasons ici François COLLART DUTILLEUL, qui pour interroger le rôle du droit dans les
situations d’insécurité alimentaire écrivait que « le droit est ce langage politique, au sens premier, qui porte
les valeurs qu’une société se donne à elle-même » : « Préface », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T.
(dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa
Rica), 2013, p. 1.
262
insérant des éléments, pour que le langage véhicule de nouvelles valeurs1. Constater le
caractère systémique de l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires,
donc l’incapacité des organes de règlement des différends à parler non commercial,
revient ainsi à repérer les instruments procéduraux potentiels de régulation
environnementale et sanitaires à l’OMC. Ces derniers constitueraient aujourd’hui les
verrous d’une régulation équilibrée, verrous susceptibles d’en devenir les clefs2.
238. Clefs et verrous de l’activité régulatrice des organes de règlement des
différends. Il ne convient certes pas d’interroger l’ensemble du droit de l’OMC3. Tout
au plus nous contenterons-nous de sonder les principaux points de droit
particulièrement décisifs dans l’issue des affaires environnementales et sanitaires. Ces
instruments procéduraux potentiels de régulation sont intimement liés aux
caractéristiques particulières des différends environnementaux et sanitaires.
1Henri MOTULSKY a ainsi pu rendre compte des valeurs nécessairement portées par ce qui peut s’apparenter
à une pure technicité juridique, en affirmant « l’impossibilité inhérente à la nature de l’homme et à la
nature des choses, de s’en tenir, fût-ce dans les solutions les moins chargées de philosophie en apparence,
à une pure technicité et de faire abstraction des exigences supérieures de l’idéal de justice », dans son
article : « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en procédure
civile », in MOTULSKY H., Ecrits, t. 1 : Études et notes de procédure civile, Dalloz 1973, p. 84. 2 Ces mécanismes de régulation seront ainsi étudiés comme les causes profondes de l’ineffectivité des
exceptions environnementales et sanitaires, mais également comme les outils potentiels de leur effectivité.
Nous rappellerons à cet égard que les notions d’effectivité et d’ineffectivité, la seconde étant construite a
contrario de la première, ont fait l’objet de nombreux écrits doctrinaux, en droit et en sociologie du droit.
L’effectivité a ainsi pu être définie d’une manière générale comme « le caractère d’une règle de droit qui
produit l’effet voulu, qui est appliqué réellement » (CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9e édition mise
à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, v° « effectivité »), ou comme « le degré de réalisation, dans les pratiques
sociales, des règles énoncées par le droit » (LASCOUMES P., « Effectivité », in ARNAUD A.J. et al.,
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ et Story-scientia, 1988 ). C’est une
définition plus précise, proposée par François RANGEON que nous retenons pour la présente étude : conçue
de manière normative, dans le cadre des rapports droit/application du droit, « l’effectivité traduit une
application correcte du droit, conforme à sa lettre ou du moins à son esprit, c’est-à-dire à l’intention de son
auteur, l’ineffectivité exprimant au contraire un échec, une lacune, un défaut du droit » : pour une analyse
approfondie de cette notion v. l’ensemble de l’article de François RANGEON, « Réflexions sur l’effectivité
du droit », in CURAPP, Les usages sociaux du droit, PUF, Paris, 1989, pp. 126-149. Cette notion a
également pu faire écrire au Doyen CARBONNIER que « l’effectivité est un faux réalisme » dans le sens où
l’exigence d’effectivité est « excessive ». Nuançant la distinction entre effectivité et ineffectivité, il avançait
que « c’est la grisaille de l’ineffectivité partielle qui domine » : Jean CARBONNIER, « Effectivité et
ineffectivité de la règle de droit », L'Année sociologique, 1957-1958, repris dans Flexible droit, 10e éd.,
L.G.D.J., Paris, 2014, pp. 136-148, spéc. p. 146. Qu’il nous soit dès lors permis dans la présente étude de
faire le vœux que l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires ne soit plus totale, mais
simplement partielle devant les organes de règlement des différends de l’OMC. 3 Certains se sont déjà attelés à cette tâche titanesque : LUFF D., Le droit de l’Organisation Mondiale du
Commerce – Analyse critique, Bruylant, L.G.D.J., Bruxelles (Belgique), 2004, 1277 p.
263
Les litiges environnementaux et sanitaires présentent deux caractéristiques principales.
Premièrement ils sont d’une technicité scientifique toute particulière, les mesures en
cause visant à prévenir la survenance de risques environnementaux ou sanitaires. Cette
complexité est démultipliée par le fait que ces affaires interrogent souvent des domaines
scientifiques incertains, ou du moins faisant l’objet de débats dans la communauté
scientifique. Dans le procès, cette rencontre entre le droit et la science se fait sur le terrain
de la preuve. Le régime probatoire acquiert ainsi une dimension de toute première
importance dans les différends environnementaux et sanitaires.
Deuxièmement, la complexité juridique vient s’ajouter à la complexité scientifique : pour
trancher de tels litiges environnementaux et sanitaires, le juge doit faire appel à des
règlementations spécifiques, qui n’existent pas dans les règles écrites de l’OMC. Les
parties aux litiges, tout comme les organes de règlement des différends, sont ainsi amenés
à discuter de l’effectivité de différentes normes de soft law et de droit international
général, normes appartenant à des systèmes juridiques extérieurs au droit de l’OMC.
Or, les juges de l’OMC semblent avoir utilisé ces instruments procéduraux pour
neutraliser l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires : l’interprétation
prétorienne des règles probatoires d’une part (TITRE I), et la reconnaissance sélective des
normes externes au droit de l’OMC d’autre part (TITRE II), constituent aujourd’hui les
principales causes de l’ineffectivité de ces exceptions.
TITRE I LA NEUTRALISATION DES EXCEPTIONS PAR L’INTERPRÉTATION PRÉTORIENNE
DES RÈGLES PROBATOIRES
TITRE II LA NEUTRALISATION DES EXCEPTIONS PAR LA RECONNAISSANCE SÉLECTIVE
DES NORMES EXTERNES AU DROIT DE L’OMC
264
265
TITRE I
LA NEUTRALISATION DES EXCEPTIONS PAR
L’INTERPRÉTATION PRÉTORIENNE DES RÈGLES
PROBATOIRES
239. Le rôle primordial de la preuve dans le procès. Pour certains, la preuve
représente dans la procédure un « terrain charnière », parce qu’elle se situe au double
carrefour entre le fait et le droit, et entre le droit substantiel et le droit procédural1.
Idem est non esse probari : ne pas être, ou ne pas être prouvé, c’est tout un2. La preuve
endosse ainsi deux fonctions principales dans le procès : établir la « vérité »,
nécessairement subjective et relative, de certains faits ; et une fonction sociale, visant à
légitimer la solution rendue in fine3. Son influence sur l’issue effective du litige en fait
un « élément essentiel du procès » 4
. Or, la preuve est un élément d’autant plus
sensible dans les différends environnementaux et sanitaires, qu’elle est avant tout
scientifique.
240. Le caractère scientifique de la preuve dans les différends environnementaux et
sanitaires. De façon générale, les différends environnementaux et sanitaires se
cristallisent presque systématiquement autour des preuves scientifiques5. Le règlement
des différends au sein de l’OMC illustre parfaitement ce rôle primordial de la science :
1 PARODI C., cité par HÉRON J., in Le rôle du juge et des parties dans l’administration de la preuve, Trav.
XVII° colloque des IEJ, Université de Grenoble II, 1991, p. 10. 2 « En toute matière, il ne suffit pas d’avoir raison, d’être titulaire d’un droit ou de se trouver dans une
certaine situation juridique ; il faut le prouver. A défaut de preuves, tout se passe comme si le droit ou la
situation invoquée n’existait pas ou comme si l’on avait tort » : BERGEL J.-L., Théorie générale du droit, 5e
éd., Dalloz, Paris, 2012, pp. 329-330. 3 CADIET L., NORMAND J. et AMRANI MEKKI S., Théorie générale du procès, Puf, Paris, 2010, pp. 838-845.
4 TRUILHÉ E., « Les règles relatives à la preuve : quelle place pour l’incertitude scientifique ? », in
MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de
l’environnement, p.443. 5 Serge GUTWIRTH a ainsi pu avancer que « le droit de l'environnement est un des lieux privilégiés de
rencontre entre le droit et la science » et que « ce sont les sciences, qui interviennent fréquemment de façon
décisive au sein de procédures judiciaires en matière environnementale », dans son article « Sciences et
Droit de l’environnement : quel dialogue ? », in GUTWIRTH S. et OST F., Quel avenir pour le Droit de
l’environnement ?, Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1996, p. 34.
266
la condition d’évaluation scientifique des risques constitue le principal motif
d’incompatibilité des mesures environnementales et sanitaires avec le droit de l’OMC1.
Dans l’Accord SPS, par exemple, la science sert à établir l’existence d’un risque,
environnemental ou sanitaire, justifiant l’adoption d’une mesure visant à prévenir la
réalisation de ce risque2. En outre, les organes de règlement des différends ont
interprété les textes de telle manière qu’ils refusent de prendre en compte l’incertitude
scientifique3. Ils adoptent ainsi une conception absolutiste de la science
4, se situant
aux antipodes des défis contemporains de régulation environnementale et sanitaire5.
La preuve scientifique de l’existence d’un risque pour la santé ou l’environnement,
représenté par la circulation des produits agro-alimentaires en particulier, en devient
une preuve presque impossible à apporter6. On dira de cette preuve scientifique,
qu’elle est « risquée ». La question se pose dès lors de savoir sur quelle partie reposera
le risque de cette preuve7 : autrement dit, quelle partie succombera dans les cas
d’incertitude scientifique ? En outre, le caractère risqué de la preuve dans les
différends environnementaux et sanitaires interroge particulièrement les modalités de
son appréciation par les juges : quelles procédures régissent l’évaluation que mènent
les organes de règlement des différends des éléments de preuve qui leur sont soumis ?
C’est à ces questions primordiales que répondent les règles probatoires.
241. Un régime probatoire mis en place par les organes de règlement des différends.
Malgré son rôle primordial dans le règlement des différends, la notion de preuve est
pourtant à peine présente dans le texte du Mémorandum d’Accord. On ne la trouve
1 V. supra n° 211 s.
2 Ibid.
3 Concernant le refus par les organes de règlement des différends de prendre en compte l’incertitude
scientifique, v. supra n° 146 s. ; concernant l’incidence en matière probatoire de ce refus, v. infra n° 264 s. 4 Ibid. Nous avons ainsi montré supra que les organes de règlement des différends, par un raisonnement
binaire, estiment que lorsque la science ne sait avérer l’existence d’un risque pour la santé ou
l’environnement, elle estime qu’elle en a établi l’innocuité. 5 Gilles J. MARTIN a ainsi mis en lumière que l’avènement du principe de précaution en droit correspondait
à une révolution de la pensée scientifique, admettant l’existence de risques incertains. Dans une optique de
meilleure gestion du doute scientifique, il en appelle à « un droit régulateur veillant au respect du
pluralisme et à la tenue des débats contradictoires » : MARTIN G. J., « La ‘vérité’ scientifique à l’épreuve
du droit », in SUEUR J.-J. (dir.), Le faux, le droit et le juste, Bruylant, 2009, pp. 15-25, spéc. p. 25. 6 Du moins les États auteurs de mesures environnementales ou sanitaires n’ont-ils pour l’heure jamais réussi
à remplir cette condition scientifique, v. supra n° 211 s. 7 Sur cette notion de risque de la preuve, v. infra n° 244.
267
explicitement mentionnée que dans son article 3.8 qui dispose qu’« il y a normalement
présomption qu'une infraction aux règles a une incidence défavorable pour d'autres
Membres parties à l'accord visé, et [qu’]il appartiendra alors au Membre mis en
cause d'apporter la preuve du contraire ». Cette notion de preuve est ainsi totalement
absente de l’article 12 relatif aux règles de procédure du règlement des différends à
l’OMC. L’Accord SPS, en revanche, fait référence à plusieurs reprises à la notion de
« preuves scientifiques », mais sans préciser de procédure probatoire particulière1. Les
organes de règlement des différends ont ainsi eu la responsabilité de mettre en place
un régime probatoire de l’OMC. Cette activité normative des organes de règlement des
différends en matière probatoire a permis l’émergence d’un véritable « corps de
principes », faisant qu’aujourd’hui la situation paraît « relativement bien balisée »2.
Traditionnellement, les règles de preuves sont présentées selon un triptyque objet,
charge et mode de preuve : que prouver, qui doit prouver, comment prouver3 ? Ce prêt
à penser la preuve ne sera pourtant pas repris dans la présente étude. Afin de mieux
mettre en lumière la neutralisation des exceptions environnementales et sanitaires,
nous préfèrerons appréhender le régime probatoire appliqué aux différends
environnementaux et sanitaires par un autre biais : la charge probatoire et
l’appréciation de la preuve. Bien que d’apparence technique, le droit de la preuve n’en
est pas moins un révélateur des valeurs qu’un système juridique porte4. L’approche
choisie permet justement de révéler que les organes de règlement des différends ont
neutralisé les exceptions environnementales et sanitaires au regard de la répartition de
1 Articles 2.2, 5.2 et 5.7 de l’Accord SPS. Précisons néanmoins que l’Appendice 2 du Mémorandum
d’accord (« Règles et procédures spéciales ou additionnelles contenues dans les accords visés ») fait
notamment référence aux procédures particulières de consultation de groupes d’experts techniques posées
par l’article 11 de l’Accord SPS, ainsi que par l’article 14 et l’Annexe 2 de l’Accord OTC. Sur ces questions,
v. infra n° 286 s. 2 GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation mondiale du
commerce », in RUIZ FABRI H. ET SOREL J.-M. (dir.), La preuve devant les juridictions internationales,
Éditions A. Pedone, Paris, 2007, p. 73. 3 CADIET L., NORMAND J. et AMRANI MEKKI S., Théorie générale du procès, Puf, Paris, 2010, p. 835.
4Emmanuelle JOUANNET a ainsi mis en lumière que « la preuve est un instrument subordonné, un objet
construit et modelé par les juristes suivant les rationalités successives de chaque époque, suivant la façon
dont chaque époque répond, en fonction des valeurs privilégiées par le groupe, à la question du rôle du
juge dans la recherche de la vérité, et à la question de la relation du droit et du fait […] si bien que la
façon dont on prouve en droit international est le meilleur reflet de l’évolution de la société
internationale » : dans sa contribution, « Remarques théoriques », in RUIZ FABRI H. ET SOREL J.-M. (dir.),
La preuve devant les juridictions internationales, op. cit., p. 239-240.
268
la charge probatoire (CHAPITRE 1) ainsi que de la répartition de leurs compétences en
matière d’appréciation des éléments de preuve (CHAPITRE 2).
269
CHAPITRE 1.
UNE NEUTRALISATION AU REGARD DE LA RÉPARTITION DE LA
CHARGE PROBATOIRE
242. L’importance de la question de la charge de la preuve dans les différends
environnementaux et sanitaires. La doctrine a déjà fait état du rôle primordial que
jouent les règles relatives à la charge de la preuve dans l’issue des différends à
l’OMC1 : bien qu’elle apparaisse comme un outil apparemment neutre, la charge de la
preuve favorise pourtant largement une des parties au litige2. En effet, la substance des
règles procédurales en matière de charge de la preuve a une incidence directe sur le
fond de l’affaire puisqu’est alors déterminée la partie sur laquelle pèsera le risque de la
preuve. Ce risque est particulièrement élevé dans les différends environnementaux et
sanitaires, notamment parce qu’ils soulèvent des questions de fait complexes et que la
preuve est le plus souvent scientifique. Les organes de règlement des différends
admettent eux-mêmes que l’attribution de la charge probatoire y « revêt une
importance particulière » 3
. Si la charge de la preuve constitue la réponse du droit face
1 V. notamment CAMERON J. et ORAVA S.J., “GATT/WTO Panels between recording and finding fact…”, in
WEISS F. (éd.), Improving WTO dispute procedures: Issues and lessons from the practice of other
international courts and tribunals, London, Cameron May, 2001, p. 231; SALMON J., Le fait dans
l’application du droit international, RC ADI, 1982, vol. II, T. 175, p. 306 ; ANDERSEN S., “Administration
of Evidence in WTO Dispute Settlement Proceedings”, in YERXA R., WILSON B. (éd.), Key Issues in WTO
Dispute Settlement. The First Ten Years, Cambridge, Cambridge University Oress, 2005, p. 178. 2 “Determination on who bears the burden of proof in a World Trade Organization (WTO) dispute
settlement case gain prominence. To such extent that they sometimes offer dispute settlement panels a
welcome tool in deciding in favour of one or the other party. A tool which is particularly attractive to
adjudicators: clouded in an air of procedural neutrality but, by the same token, falling to a considerable
extent within the quasi-discretionary powers of the panel” [« La question de savoir qui supporte la charge
de la preuve dans une affaire devant l’Organe de règlement des différends gagne de l’importance. À un tel
point qu’elle offre parfois aux panels un outil rêvé pour favoriser l’une ou l’autre partie. Un outil qui est
particulièrement attractif aux yeux des arbitres : caché derrière une neutralité procédurale, et par là même
tombant largement sous la coupe du pouvoir quasi-discrétionnaire du panel »] : PAUWELYN J., « Evidence,
proof and Persuasion in WTO Dispute Settlement – Who Bears the Burden? », JIEL 1, 1998, p. 227 (traduit
par nos soins). 3 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 97. Cette idée est énoncée à plusieurs reprises dans les
différends agro-alimentaires, notamment dans l’affaire Japon – Produits agricoles : Rapport de l’Organe
d’appel « Japon – Produits agricoles », § 122.
270
à l’ignorance1, sur qui et sur quoi pèse le risque de la preuve scientifique dans les
différends environnementaux et sanitaires ? Malgré l’importance de cette question
dans le système de règlement des différends, elle n’est pas réellement abordée par le
Mémorandum d’Accord. On aurait pourtant attendu que cet accord lui consacre une
disposition particulière, à l’image par exemple des règlements de procédure des
instances arbitrales2, qui comportent de nombreuses dispositions détaillant le régime
probatoire. Cette tâche normative est ainsi revenue aux organes de règlement des
différends de l’OMC, qui ont instauré un régime probatoire sui generis, par le biais de
la règle du prima facie case.
243. Le prima facie case ou l’instauration d’un régime probatoire sui generis.
L’Organe d’appel a posé la règle générale de la charge de la preuve à l’OMC pour la
première fois dans son rapport États-Unis – Chemises. Il a alors précisé les « bases
fondamentales du droit de la preuve » dans le cadre de l’OMC3, en fondant le régime à
la fois sur la pratique des autres tribunaux internationaux, et sur les traditions
juridiques civiliste et de common law : la règle générale consiste à attribuer la charge
probatoire à la partie, qu’elle soit demanderesse ou défenderesse, qui établit une
allégation ou un moyen de défense particulier4. Cette règle générale a été appliquée
1 GASKIN R. H., Burden of proof in modern Discourse, 4, Yale, 1992, cité par TRUILHÉ E., « Les règles
relatives à la preuve : quelle place pour l’incertitude scientifique ? », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de
l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de l’environnement, op. cit., p.444. 2Le règlement de procédure des instances arbitrales du CIRDI contient de nombreuses dispositions
règlementant les questions probatoires : son article 33 réglemente le rassemblement des preuves, l’article 34
les principes généraux de la preuve, les articles 35 et 36 les interrogations des témoins et experts, l’article
37 les enquêtes, etc. De la même manière, les articles 24, 27 et 29 du Règlement d’arbitrage CNUDCI
posent les fondements de son régime probatoire. 3Selon l’expression d’Hélène RUIZ-FABRI, dans sa « Chronique du règlement des différends », JDI, 1999,
p. 467. 4
« […] divers tribunaux internationaux, y compris la Cour internationale de Justice, [ont]
systématiquement accepté et appliqué la règle selon laquelle il appartient à la partie qui affirme un fait,
que ce soit le demandeur ou le défendeur, d'en apporter la preuve. Par ailleurs, un critère de la preuve
généralement admis en régime ‘code civil’, en régime ‘common law’ et, en fait, dans la plupart des
systèmes juridiques, est que la charge de la preuve incombe à la partie, qu'elle soit demanderesse ou
défenderesse, qui établit, par voie d'affirmation, une allégation ou un moyen de défense particulier. Si
ladite partie fournit des éléments de preuve suffisants pour établir une présomption que ce qui est allégué
est vrai, alors la charge de la preuve se déplace et incombe à l'autre partie, qui n'aura pas gain de cause si
elle ne fournit pas des preuves suffisantes pour réfuter la présomption » : Rapport de l'Organe d'appel
États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et blouses, de laine, tissés en
provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, note 18, pp. 15-16. Le Groupe
spécial reformule ainsi la règle énoncée par l’Organe d’appel dans son rapport Argentine – Chaussures :« il
271
aux différends soulevant le jeu des exceptions environnementales et sanitaires1 . En
apparence, le régime probatoire de l’OMC ne fait que reprendre le principe classique,
selon lequel onus probandi actori incumbit, notamment en vigueur en droit interne2 :
la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait. Ce principe s’inscrit
également dans la continuité des règles dégagées sous l’égide du GATT de 19473. En
réalité, ce qui fait toute l’originalité du régime probatoire réside dans une règle
originale, également mise en place par les organes de règlement des différends, dite du
prima facie case. Cette règle du prima facie case consiste à attribuer au plaignant la
charge d’une sorte de commencement de preuve, établissant que la mesure en cause a
violé un des accords de l’OMC4. L’établissement de ce commencement de preuve fait
alors naître une présomption d’incompatibilité de la mesure litigieuse avec le droit de
l’OMC. Il transfère par là même la charge probatoire, consistant à réfuter cette
présomption, au défendeur. Cette règle du prima facie case, loin d’incarner un simple
détail technique, bouleverse le principe général de l’attribution classique de la charge
de la preuve à la partie qui allègue un fait. La notion particulière de « charge
appartient à la partie plaignante de prouver la violation qu’elle allègue ; il appartient à la partie qui
invoque une exception ou un moyen de défense affirmatif de prouver que les conditions qu’elle ou qu’il
comporte ont été remplies ; il appartient à la partie qui affirme un fait de prouver ce fait » : Rapport du
Groupe spécial Argentine – Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres
articles, WT/DS56/R, adopté le 22 avril 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS56/AB/R
et Corr.1, § 6.35. 1 « La charge de la preuve incombe initialement à la partie plaignante, qui doit fournir un commencement
de preuve d’incompatibilité avec une disposition particulière de l’Accord SPS en ce qui concerne la partie
défenderesse, ou plus exactement, sa (ses) mesure(s) SPS faisant l’objet de la plainte. Une fois que ce
commencement de preuve a été apporté, la charge de la preuve passe à la partie défenderesse, qui doit à
son tour repousser ou réfuter l’incompatibilité alléguée. Cela semble assez clair et conforme à notre
décision dans l’affaire États-Unis – Chemises, chemisiers et blouses, que le Groupe spécial invoque et qui
comporte une règle applicable à toute procédure relative à un différend » : Rapport de l’Organe d’appel
« Hormones I », § 98. 2
Article 1315 du Code civil : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de
son obligation ». Ce principe classique est en outre repris par de nombreuses juridictions internationales,
notamment celles tranchant les litiges économiques. C’est ainsi que l’article 24 du Règlement d’arbitrage
de la CNUDCI dispose que « chaque partie doit apporter la preuve des faits sur lesquels elle fonde sa
requête ou sa réponse ». 3 Régime des importations de sardines en Allemagne (1952) ; Mesures appliquées par la CEE aux protéines
destinées à l’alimentation des animaux (1978) ; Canada – Importation, distribution et vente de certaines
boissons alcooliques par les organismes provinciaux de commercialisation (1992) ; États-Unis – Mesures
affectant l’importation, la vente et l’utilisation du tabac sur le marché intérieur (1994) 4 Il ne s’agit là que de présenter grossièrement le prima facie case. Pour une discussion plus poussée sur
cette notion, v. nos développements infra n° 242 s.
272
probatoire » permet de révéler le rôle du prima facie case dans la neutralisation des
exceptions environnementales et sanitaires.
244. La notion particulière de charge probatoire. Le terme de charge probatoire sera
préféré à celui de charge de la preuve : cette terminologie originale1 renvoie, outre aux
notions de charge de la preuve (qui doit prouver ?) et d’objet de la preuve (que doit-on
prouver ?), à celle de risque de la preuve, ou risque du doute : « à qui le juge devra-t-il
donner satisfaction lorsque la lumière ne sera pas faite ? » 2
. La notion de charge
probatoire, puisqu’elle associe les notions de charge, d’objet et de risque de la preuve,
doit être appréhendée comme une technique au service d’une politique3. Certains
auteurs ont d’ailleurs pu parler d’« autorégulation du risque de la preuve », mettant en
valeur la qualité régulatrice des règles probatoires4. Cette approche par le biais de la
notion de charge probatoire est tout indiquée pour disséquer la règle du prima facie
case, qui relève également à la fois de la charge, de l’objet et finalement du risque de
la preuve. On vérifiera ainsi que la charge probatoire est inégalement répartie entre les
parties aux litiges : le plaignant n’a à sa charge qu’une preuve légère dite prima facie
(SECTION 1), et c’est in fine sur les épaules du défendeur, en général l’État auteur
d’une mesure protectrice, que pèse la lourde réfutation de la présomption
d’incompatibilité de la mesure litigieuse (SECTION 2).
SECTION 1. LA LÉGÈRETÉ DE LA PREUVE PRIMA FACIE À LA CHARGE
DU PLAIGNANT
245. Selon la règle probatoire mise en place par les organes de règlement des
différends, il incombe au plaignant d’établir un prima facie case. La nature de cette
condition, entre charge et objet de la preuve, reste relativement floue, instaurant par la
1 La notion de charge probatoire a ainsi été conceptualisée par Mustapha MEKKI dans sa contribution,
« Regard substantiel sur le ‘risque de la preuve’. Essai sur la notion de charge probatoire », in MEKKI M.,
CADIET L. et GRIMALDI C., La preuve : regards croisés, Dalloz, Paris, 2015, pp. 7-26. 2 LEGEAIS R., Les règles de preuve en droit civil. Permanences et transformations, LGDJ, 1955, p. 101.
3 GÉNY F., Méthodes d’interprétation et sources en droit positif. Essai critique., t.2, LGDJ, 1919, p. 127.
4 HAUTEREAU-BOUTONNET M., « Quelle place pour le ‘risque de la preuve’ en droit de l’environnement ? »,
in MEKKI M., CADIET L. et GRIMALDI C., La preuve : regards croisés, Dalloz, Paris, 2015, p. 87.
273
même d’importantes incertitudes pratiques et juridiques (§1). Cette confusion,
entretenue par les organes de règlement des différends, occulte le fait que le prima
facie case ne représente aucune charge probatoire réelle (§2).
L’INCERTAINE NATURE DU PRIMA FACIE CASE : § 1.
ENTRE CHARGE ET OBJET DE LA PREUVE
246. Les organes de règlement des différends présentent la règle du prima facie case
comme une question de répartition de la charge de la preuve. Pourtant cette règle
influe également sur l’objet de la preuve, en fixant un seuil relativement bas de niveau
de preuve1. La doctrine a pu proposer différentes analyses du prima facie case devant
les flous juridiques et pratiques que laissent planer les organes de règlement des
différends.
247. Les termes de la confusion autour du prima facie case. Il est à noter que les
rapports rendus sont dans la quasi-totalité des cas initialement rédigés en anglais. Ce
détail pratique implique une première difficulté purement sémantique de traduction
des termes techniques. Ainsi, le rapport États-Unis – Chemises mentionnait-il dans sa
version anglaise originale l’obligation pour le plaignant d’établir un « prima facie
case ». Le terme a alors été traduit par la notion de « présomption » 2
, sachant que dans
d’autres rapports la traduction française a préféré mentionner un « commencement de
preuve » 3
. Ces deux traductions trahissent deux acceptions différentes du prima facie
1 “[…] the Appellate Body has embraced the presumption technique, but tends to characterize it as the
basic rule on who bears the burden of proof in a WTO dispute settlement. It thus seemingly confused the
determination of who bears the burden of proof with the process of evaluating evidence in order to check
whether the burden of proof has been discharged”. [« L’Organe d’appel a adopté la technique de la
présomption, mais tend à la transformer en règle élémentaire, déterminant la partie à laquelle incombe la
charge de la preuve dans le règlement des différends de l’OMC. Cela pousse à confondre la détermination
de la charge de la preuve avec le processus d’appréciation des éléments de preuve, permettant de vérifier si
une partie s’est acquittée de la preuve qui lui incombe ».] : PAUWELYN J., « Evidence, proof and Persuasion
in WTO Dispute Settlement – Who Bears the Burden? », JIEL 1, 1998, p. 235 (traduit par nos soins). 2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, note 18,
pp. 15-16. 3 Par exemple dans le rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 104.
274
case. Il faut également ajouter à cette complexité la nature hybride du droit de l’OMC,
à cheval sur les deux principales traditions juridiques, civiliste et de common law.
L’acception du prima facie case en tant que « commencement de preuve » pourrait
désigner « le fait d’apporter, de manière préliminaire, certains éléments de nature à
convaincre le juge qu’une affaire mérite un examen au fond, sans préjuger de son
résultat » 1
. Dans une optique de « présomption », en revanche, le prima facie case
désignerait « l’établissement de l’ensemble des faits nécessaires au succès de sa
prétention, de sorte qu’une présomption serait formée »2. Selon certains, la pratique
des organes de règlement des différends reflèterait la seconde hypothèse, selon
laquelle le prima facie case fonctionnerait comme une présomption, car elle
consisterait à « établir l’ensemble des éléments suffisants à établir le fait allégué » 3
.
En ce sens, le prima facie case consisterait à établir une sorte de « vérité provisoire »4,
qui pourrait être confortée par l’absence de preuve contraire, ou anéantie par
l’administration d’une preuve opposée suffisante5. En abordant l’énigme posée par la
notion de prima facie case par un biais différents, d’autres ont considéré que sa
pratique relevait plus de l’appréciation des éléments de preuve que de l’attribution de
la charge de la preuve à l’une ou l’autre des parties au différend6. Il nous semble qu’à
1 CANAL-FORGUES E., Le règlement des différends à l’OMC, Bruxelles, Bruylant, 2004, 2
e édition, p. 74.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 « Le commencement de preuve, ou preuve prima facie, résulte de l’établissement de la raisonnable
vraisemblance de ce qui est prétendu » : SANTULLI C., Droit du contentieux international, Montchrestien,
Paris, 2005, p. 518. 5 GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation mondiale du
commerce », in RUIZ FABRI H. ET SOREL J.-M. (dir.), La preuve devant les juridictions internationales, op.
cit., p. 82. 6 “This presumption technique is only an optional technique used in the evaluation of evidence, once the
determination of who bears the burden of proof has been made. […] It is this author’s view that the
presumption technique does not say anything about the substantive question of who bears the burden of
proof. […] It is simply not correct […] to deduce from this statement that the burden of proof always rests
on the complaining party’”. [« Cette technique de présomption n’est qu’une technique optionnelle utilisée
dans le cadre de l’appréciation des éléments de preuve, une fois qu’a été réglée la question de la charge de
la preuve. L’auteur est d’avis que la technique de la présomption ne résout en rien la question substantielle
de savoir qui supporte la charge de la preuve. Ce n’est tout simplement pas correct de déduire de cette
déclaration que la charge de la preuve repose toujours sur la partie plaignante ».] : PAUWELYN J.,
« Evidence, proof and Persuasion in WTO Dispute Settlement – Who Bears the Burden? », JIEL 1, 1998, p.
252 (traduit par nos soins).
275
l’examen du prima facie case tel qu’utilisé dans les différends environnementaux et
sanitaires, il incarne un principe probatoire hybride.
248. Le prima facie case, un principe probatoire hybride. L’approche
jurisprudentielle tend effectivement à nuancer les positions doctrinales précédemment
exposées : le prima facie case semble se situer sur le terrain de la charge probatoire, au
carrefour de la charge, de l’objet et du risque de la preuve. En réalité, la partie
plaignante n’a pas à apporter l’entière preuve du fait allégué pour établir une
présomption de compromission de ses avantages commerciaux. L’Organe d’appel a
ainsi tenu à préciser qu’en admettant que la charge du prima facie case incombe à la
partie avançant une allégation, celle-ci n’a pas à établir l’incompatibilité totale de la
mesure litigieuse, mais bien un simple commencement de preuve : en d’autres termes,
la partie plaignante peut se contenter de dénoncer les conséquences restrictives pour le
commerce international de certains produits d’une mesure environnementale ou
sanitaire, sans avoir à montrer que son évaluation des risques n’est pas conforme aux
exigences textuelles1
. L’Organe d’appel établit en fait une distinction entre les
différents éléments de preuve suivant la partie à la charge de laquelle ils incombent.
Cet ensemble de preuves factuelles est dès lors divisé. Le degré de preuve requis a de
toute évidence une forte incidence sur la partie défenderesse à laquelle incombent
finalement les éléments de preuve desquels la partie plaignante s’est trouvée
déchargée. L’objet de la preuve conditionne ici directement la charge probatoire.
Le Groupe spécial a d’ailleurs déjà admis ce caractère hybride du prima facie case :
« lorsque l’Organe d’appel parle de l’obligation pour la partie plaignante de présenter
des éléments de preuve suffisants pour établir une ‘présomption’, il évoque deux
aspects : l’aspect procédural, c’est-à-dire l’obligation pour la partie plaignante de
présenter ses éléments de preuve en premier, mais aussi la nature de la preuve requise.
En l’espèce, nous estimons qu’il appartenait aux États-Unis d’établir la présomption
1 C’est ainsi que l’Organe d’appel a pu préciser que « […] la déclaration de l’Organe d’appel dans l’affaire
CE – Hormones […] ne donne pas à entendre que la partie plaignante doive fournir la preuve de tous les
faits mentionnés à propos de la question de la détermination de savoir si une mesure est compatible avec
une disposition donnée d’un accord. En d’autres termes, bien que la partie plaignante ait la charge de
prouver sa thèse, la partie défenderesse doit prouver la thèse qu’elle cherche à établir en réponse […] » :
Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 154.
276
que l’Argentine avait violé les dispositions de l’article II du GATT » 1
. L’obligation
d’établir un prima facie case ne relève donc pas uniquement d’un problème de charge
de la preuve, mais influe également sur sa nature et son objet. Il détermine ainsi
également la partie sur laquelle pèse le risque et in fine la charge probatoire.
Cette confusion entre objet et standard de la preuve, entretenue par les organes de
règlement des différends, éclipse la politique jurisprudentielle qu’ils adoptent.
L’examen de la règle du prima facie case par le biais de chacune de ces entrées permet
de révéler la légèreté de la preuve prima facie, qui est à la charge du plaignant. Certes,
du point de vue de la charge de la preuve (qui doit prouver ?), celle-ci incombe bien au
plaignant en premier lieu. Une telle vision théorique de la règle du prima facie case
semble alors s’appuyer sur une sorte de présomption de conformité des mesures
nationales en général, et des mesures environnementales et sanitaires en particulier (A).
Pourtant, à l’examen du point de vue de l’objet de la preuve (que prouver ?), la règle
du prima facie case paraît en réalité instaurer un standard de preuve peu élevé,
conduisant par là même à un renversement substantiel de la charge probatoire (B).
Une présomption théorique de compatibilité des mesures nationales A.
249. Présomptions de bonne foi et de conformité des actes des États Membres. Le
principe probatoire voulant que la charge de la preuve incombe à la partie alléguant un
fait se fonde sur un équivalent de présomption de conformité des mesures nationales
avec le droit de l’OMC2. Les États Membres, bénéficiant en ce sens d’une sorte de
« présomption d’innocence », sont réputés agir de bonne foi : « en conséquence, une
partie alléguant qu’il y a eu violation d’une disposition de l’Accord sur l’OMC par un
autre Membre doit soutenir et prouver son allégation » 3
. Cette idée théorique est
1 Rapport du Groupe spécial Argentine – Mesures affectant les importations de chaussures, textiles,
vêtements et autres articles, WT/DS56/R, adopté le 22 avril 1998, modifié par le rapport de l'Organe
d'appel WT/DS56/AB/R, § 6.37. 2 V. en ce sens GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation
mondiale du commerce », op. cit., p. 76 3 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, p. 19. Il
est à noter que l’Organe d’appel a motivé cette première énonciation du principe de présomption de
compatibilité sur le fait que la simple allégation d’un fait ne vaut pas preuve (p. 18).
277
réitérée dans différents rapports afin d’assurer de l’importance de la preuve de
l’incompatibilité de la mesure dans le déroulement de la procédure. L’Organe d’appel
mentionne par exemple explicitement cette présomption de bonne foi des États
Membres dans son rapport Sardines en se fondant sur le principe de pacta sunt
servanda énoncé à l’article 26 de la Convention de Vienne1 : « Nous devons supposer
que les Membres de l'OMC se conformeront à leurs obligations conventionnelles de
bonne foi » 2
. Il précise en outre que dans le cadre des procédures de règlement des
différends « chaque Membre de l'OMC doit supposer la bonne foi de tous les autres
Membres » 3
. De cette présomption de comportement de bonne foi découle la
présomption de compatibilité des mesures nationales avec le droit de l’OMC. En ce
sens, l’Organe d’appel a pu affirmer que « la législation d’un Membre défendeur sera
considérée comme compatible avec les règles de l’OMC jusqu’à preuve évidente du
contraire » 4
. Cette présomption de bonne foi des États membres correspond, en
théorie du moins, à une attribution de la charge de la preuve à la partie qui conteste la
compatibilité d’une mesure nationale avec le droit de l’OMC : celle-ci doit dès lors
prouver la violation qu’elle allègue5. C’est dans cette optique que la partie plaignante
doit établir un prima facie case, permettant de transformer la présomption de bonne
foi de l’État en cause en présomption de compromission des avantages commerciaux
de la partie plaignante. L’Organe d’appel a ainsi tenu à rappeler qu’il appliquait la
règle classique d’attribution de la charge de la preuve à la partie qui allègue un fait :
« Nous n’allons pas constater aisément que les règles habituelles concernant la
charge de la preuve ne s’appliquent pas, puisqu’elles constituent un ‘critère de la
preuve’ admis et appliqué dans les procédures internationales » 6. L’Organe d’appel
1 Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Pacta sunt servanda) : « Tout traité en
vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». 2 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 278.
3 Ibid., § 278.
4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Droits compensateurs sur certains produits plats en acier au
carbone traité contre la corrosion en provenance d'Allemagne, WT/DS213/AB/R, adopté le 19 décembre
2002, § 157. 5 « Il incombe à la partie affirmant que la législation nationale d’une autre partie […] est incompatible
avec les obligations conventionnelles pertinentes d’apporter les éléments de preuve quant à la portée et au
sens de cette législation pour étayer cette affirmation » : ibid. 6 Rapport de l'Organe d'appel Canada – Mesures visant l'importation de lait et l'exportation de produits
laitiers – Deuxième recours des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande à l'article 21:5 du Mémorandum
278
cultive ainsi l’image d’une application classique des règles de preuve, fondées sur une
présomption de bonne foi des États membres. Concernant les litiges qui nous
intéressent, ce principe signifierait que les mesures environnementales et sanitaires ne
sont pas systématiquement soupçonnées de servir un objectif protectionniste.
250. L’application de la règle du prima facie case aux différends environnementaux
et sanitaires. L’Organe d’appel a appliqué la règle du prima facie case aux différends
environnementaux et sanitaires. Il a alors souligné qu’en termes de charge de la preuve,
cela revenait à présumer la bonne foi des États auteurs de mesures protectrices de la
santé et de l’environnement.
La question de l’application des règles probatoires à l’Accord SPS s’est posée pour la
première fois dans l’affaire Hormones I. Les Communautés européennes posaient une
interdiction d’importation sur leur territoire de viande nourrie aux hormones de
croissance, contre laquelle se prévalaient les États-Unis et le Canada. En effet, cette
interdiction européenne se démarquait des standards techniques afférents du Codex
alimentarius, qui autorisaient l’utilisation d’hormones dans les limites de certains
seuils1
. Le Groupe spécial s’était alors fondé sur cet écart entre la mesure
d’interdiction européenne et les standards techniques du Codex, pour attribuer la
charge de prouver qu’il existait une évaluation des risques légitimant la mesure
sanitaire litigieuse sur les épaules des Communautés européennes2. Ce raisonnement
d'accord sur le règlement des différends, WT/DS103/AB/RW2, WT/DS113/AB/RW2, adopté le 17 janvier
2003, § 66. 1 Standards techniques de référence émis par la Commission du Codex alimentarius : ALINORM 91/31,
Appendice IV et ALINORM 93/31, Appendice II. 2 « Nous rappelons les conclusions que nous avons formulées plus haut au sujet de la charge de la preuve,
en particulier celle d'après laquelle les Communautés européennes ont l'obligation, s'agissant des mesures
communautaires qui s'écartent des normes internationales, de prouver qu'il existe une évaluation des
risques (et, à la suite de celle -ci, un risque identifiable) sur la base de laquelle les mesures
communautaires incriminées ont été établies. Il n'appartient pas aux États-Unis, dans le cadre de ce
différend, de prouver qu'il n'y a aucun risque » : (Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte des
États-Unis », § 8.151; rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du Canada », § 8.154) ; « Nous
rappelons enfin les constatations que nous avons formulées plus haut au sujet de la charge spécifique de la
preuve prévue à l'article 3:3. En particulier, nous avons constaté que l'obligation de prouver que les
prescriptions énoncées à l'article 3:3 (notamment la conformité avec l'article 5) ont été respectées, afin de
justifier une mesure sanitaire qui s'écarte d'une norme internationale, incombait aux Membres imposant
ladite mesure. Étant donné que les mesures communautaires examinées dans la présente section (qui
concernent toutes les hormones en cause autres que l'acétate de mélengestrol) ne sont pas fondées sur des
normes internationales existantes et qu'elles doivent être justifiées en vertu des exceptions prévues à
279
fut censuré par l’Organe d’appel qui rappela la règle probatoire générale consistant à
attribuer la charge du prima facie case à la partie plaignante, afin d’établir une
présomption d’incompatibilité des mesures litigieuses avec les dispositions visées :
« Ce n’est qu’une fois établie cette présomption par le Groupe spécial que la charge
d’apporter des éléments de preuve et des arguments pour réfuter l’allégation de la
partie plaignante peut être attribuée aux Communautés européennes » 1
. La question
se posait en particulier au regard de la présomption de validité des mesures établies
conformément aux normes internationales posée par l’article 3 de l’Accord SPS.
L’Organe d’appel a pourtant considéré, contrairement au Groupe spécial, que si cette
présomption constitue une « incitation » pour les Membres à rendre leurs mesures SPS
conformes à ces normes, « il est évident, toutefois, que la décision d'un Membre de ne
pas rendre une mesure particulière conforme à une norme internationale n'autorise
pas l'imposition à ce Membre de la charge générale ou spéciale de la preuve, qui peut
représenter le plus souvent une pénalité » 2
. En rappelant cette « évidence », l’Organe
d’appel entretient surtout l’idée théorique que toutes les mesures litigieuses, y compris
environnementales et sanitaires, seront présumées de bonne foi tant que la partie
plaignante ne s’est pas acquittée de sa charge du commencement de preuve.
Dans ce même esprit d’entretenir l’idée qu’il présume la bonne foi des États auteurs de
mesures environnementales ou sanitaires, l’Organe d’appel a pu faire montre
d’autorité dans son rapport Japon – Produits agricoles II. Il a en effet infirmé les
conclusions du panel en donnant suite à l’argument japonais selon lequel « les groupes
spéciaux ne peuvent pas constater des faits qui n’ont été ni invoqués ni prouvés par les
parties » 3. Le Japon affirmait que le Groupe spécial avait « dispens[é] de manière tout
à fait injuste les États-Unis de s’acquitter de la charge de la preuve qui leur a été
attribuée »4. Le Groupe spécial avait effectivement proposé de son propre chef une
l'article 3:3, il appartient aux Communautés européennes de prouver que la détermination et la mise en
œuvre de son niveau de protection sont conformes à l'article 5:4 à 6 » : (Rapport du Groupe spécial
« Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.165; rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du
Canada », § 8.168). 1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 109.
2 Ibid., § 102.
3 Communication du Japon en tant qu'appelant, § 90, cité par le Rapport de l’Organe d’appel « Japon –
Produits agricoles II », § 120. 4 Ibid.
280
mesure alternative à la mesure sanitaire japonaise, remettant en question la
proportionnalité de la mesure avec le niveau de protection visé1. L’Organe d’appel a
censuré ce raisonnement et la conclusion de non-proportionnalité de la mesure
nippone, en rappelant que le plaignant devait lui-même apporter la preuve renversant
la présomption de compatibilité. Ainsi, le Groupe spécial ne pouvait pas utiliser son
pouvoir d’investigation « pour trancher en faveur d’une partie plaignante qui n’a pas
fourni un commencement de preuve d’incompatibilité sur la base d’allégations
juridiques qu’elle a formulé »2. L’Organe d’appel semble être d’autant plus strict qu’il
ne s’agit d’apporter qu’une simple présomption : comme nous le verrons, l’objet de la
preuve du prima facie case est à ce point réduit, qu’il n’est pas difficile pour le
plaignant de s’en acquitter. En l’occurrence, les États-Unis « n’[avaient] même pas
fait valoir » 3
cet argument, si bien que l’Organe d’appel a infirmé la méthode du
Groupe spécial « parce que cette constatation a été établie d’une manière
incompatible avec les règles concernant la charge de la preuve » 4
.
Dans ses rapports, l’Organe d’appel entretient ainsi l’idée d’une présomption de
compatibilité des mesures environnementales et sanitaires. Le prima facie case ne
bouscule pas cette règle probatoire fondamentale de présomption de bonne foi, en
termes de charge de la preuve. En revanche, en termes d’objet de la preuve, la réalité
d’un standard de preuve prima facie peu élevé remet en question cette présomption de
compatibilité des mesures litigieuses et de bonne foi des États qui en sont les auteurs.
La réalité d’un standard de preuve prima facie peu élevé B.
251. L’obscurité des rapports sur la question de l’objet du prima facie case. Le
prima facie case peut également être analysé sous l’angle de l’objet de la preuve
comme la mise en place d’un niveau moindre de preuve requis. Les rapports rendus
1 Le Groupe spécial avait proposé une mesure de remplacement de la mesure japonaise au titre de l’article
5.6 de l’Accord SPS : il s’agissait de remplacer l’obligation du pays importateur de produits agricoles de
procéder à des essais par produits afin de vérifier qu’ils n’étaient pas porteurs d’insectes ravageurs, par une
méthode de détermination des « niveaux de sorption » permettant d’établir un rapport de mortalité des
insectes ravageurs avec une intensité et un temps d’exposition à certains gaz. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Japon – Produits agricoles II », § 129.
3 Ibid., § 130.
4 Ibid., § 131.
281
manquent néanmoins de précision à cet égard : le Groupe spécial, en particulier, ne
précise jamais quels sont les éléments de preuves que la partie plaignante a pu amener,
pour qu’il accepte de transférer la charge la preuve à la partie défenderesse1. Ce simple
fait témoigne déjà d’une politique jurisprudentielle, qui, en allégeant l’objet du prima
facie case, accepte facilement de mettre en cause les mesures litigieuses dans le cadre
du système de règlement des différends, afin de les contrôler. Il est néanmoins
cohérent que l’établissement de la preuve s’inscrive dans un processus non pas
statique, mais au contraire dynamique, obéissant à une logique de répartition
alternative de la charge de la preuve, et de contribution de l’ensemble des parties à la
manifestation de la vérité judiciaire2. La question précise de l’objet du prima facie
case a néanmoins pu se poser dans quelques affaires, offrant à l’observateur un aperçu
de cette obligation peu exigeante, pour mettre en cause une mesure devant les organes
de règlement des différends en général, dans le cadre de litiges environnementaux et
sanitaires en particulier.
252. Le standard minimal de l’objet du prima facie case. En termes d’objet de la
preuve, l’Organe d’appel a posé le principe selon lequel le plaignant doit « apporter
des éléments de preuve quant à la portée et au sens de [la législation présumée
incompatible avec les obligations conventionnelles pertinentes] pour étayer cette
affirmation » 3. Il s’agit ainsi de cerner la mesure litigieuse et de mettre en lumière ce
qui dans son application peut constituer une infraction à une ou plusieurs dispositions
d’un des accords de l’OMC : « De tels éléments de preuve seront habituellement
constitués par le texte de la législation ou des instruments juridiques pertinents, qui
pourra être étayé, selon que de besoin, par des éléments de preuve de l’application
constante de cette législation, les arrêts des tribunaux nationaux concernant le sens de
1 Ces silences sur l’objet du prima facie case ne font pas exception par rapport aux autres juridictions
internationales, qui n’évoquent que très rarement le standard de preuve requis ou attendu des parties pour
emporter la conviction des juges ou des arbitres. Sur ce point, v. CAZALA J., « Principe de précaution et
procédure devant le juge international », in LEBEN C., VERHOEVEN J., (dir.), Le principe de précaution :
aspects de droit international et communautaire, éd. Panthéon-Assas, Paris, 2002, pp. 151-192, spéc. p. 175. 2 GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation mondiale du
commerce », op. cit., p. 80. 3 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Droits compensateurs sur certains produits plats en acier au
carbone traité contre la corrosion en provenance d'Allemagne, WT/DS213/AB/R, adopté le 19 décembre
2002, § 157.
282
cette législation, les opinions des experts juridiques et les écrits de spécialistes
reconnus » 1
. Ainsi, la simple mention d’une mesure nationale, éventuellement
confortée par ses conditions d’application suffirait à la partie plaignante pour
s’acquitter de la charge du prima facie case qui lui incombe ? L’Organe d’appel a
effectivement pu paraître laxiste dans certains de ses rapports en concluant qu’« on
peut dans certains cas s’acquitter de l’obligation d’établir des éléments prima facie
simplement en présentant le texte de la mesure ou, en particulier lorsque le texte est
peut-être peu clair, en y joignant des documents à l’appui »2. Dans un premier temps,
aucun seuil n’était fixé, si ce n’est une exigence incertaine d’« éléments de preuve
suffisants »3 pour établir une présomption en faveur de l’allégation du plaignant.
Reconnaissons toutefois que par la suite, l’Organe d’appel a précisé qu’il ne suffisait
pas de « déposer simplement le texte intégral d'un instrument législatif et d'attendre du
Groupe spécial qu'il découvre, par lui-même, quelle pertinence les diverses
dispositions peuvent avoir ou ne pas avoir pour la position juridique d'une partie »4. Il
a ainsi exigé que la partie plaignante indique dans ses communications les raisons pour
lesquelles les dispositions législatives présentées comme « éléments de
1 Ibid.
2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis — Réexamens à l'extinction des mesures antidumping visant les
produits tubulaires destinés à des pays pétroliers en provenance d'Argentine, WT/DS268/AB/R, adopté le
17 décembre 2004, § 263. 3 Rapport de l'Organe d'appel Canada – Mesures visant l'importation de lait et l'exportation de produits
laitiers – Deuxième recours des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande à l'article 21:5 du Mémorandum
d'accord sur le règlement des différends, WT/DS103/AB/RW2, WT/DS113/AB/RW2, adopté le 17 janvier
2003, § 66. 4 Rapport de l'Organe d'appel Canada – Mesures Concernant les exportations de blé et le traitement des
grains importés, WT/DS276/AB/R, adopté le 27 septembre 2004, § 191. V. dans le même sens la
déclaration de l’Organe d’appel précisant que « [l]a présentation d’éléments prima facie doit reposer sur
‘les éléments de preuve et les arguments juridiques’ avancés par la partie plaignante relativement à chacun
des éléments de l’allégation. Une partie plaignante ne peut pas tout simplement présenter des éléments de
preuve et escompter que le groupe spécial devine, au regard de ces éléments, une allégation
d’incompatibilité avec les règles de l’OMC. Une partie plaignante ne peut pas non plus simplement
alléguer des faits sans les rapporter à ses arguments juridiques […] [l]a présentation d’éléments prima
facie doit reposer sur ‘les éléments de preuve et les arguments juridiques’ avancés par la partie plaignante
relativement à chacun des éléments de l’allégation. Une partie plaignante ne peut pas tout simplement
présenter des éléments de preuve et escompter que le groupe spécial devine, au regard de ces éléments, une
allégation d’incompatibilité avec les règles de l’OMC. Une partie plaignante ne peut pas non plus
simplement alléguer des faits sans les rapporter à ses arguments juridiques » La partie plaignante doit dès
lors « établir explicitement un lien entre la ou les mesure(s) contestée(s) et la ou les disposition(s) des
accords visés dont il est allégué qu’elles ont été enfreintes, afin que la partie défenderesse soit informée du
fondement concernant l’annulation ou la réduction alléguée d’avantages de la partie plaignante » :
Rapport de l'Organe d'appel États-Unis — Mesures visant la fourniture transfrontières de services de jeux
et paris, WT/DS285/AB/R, adopté le 20 avril 2005, §§ 140-141.
283
preuve » étayent ses arguments. Ces exigences concernant l’établissement d’un prima
facie case par la partie plaignante demeurent toutefois relativement peu élevées. Pour
soutenir son allégation, l’État doit faire l’effort de mettre en lumière les termes
litigieux des mesures nationales qu’il met en cause. La preuve est ici très peu, voire
pas du tout risquée. Les organes de règlement des différends ont néanmoins dû donner
quelques précisions sur l’objet du prima facie case dans les différends soulevant le jeu
des exceptions environnementales et sanitaires.
253. L’objet du prima facie case dans les différends environnementaux et sanitaires.
À l’instar des autres procédures, l’objet du prima facie case dans les différends
environnementaux et sanitaires consiste avant tout à présenter la mesure litigieuse et
son incompatibilité avec les principes généraux du droit de l’OMC, par exemple
l’obligation de non-discrimination. Cette preuve est des plus aisées, tant il est évident
qu’une mesure interdisant l’importation sur un territoire d’un produit (la viande
nourrie aux hormones, ou les OGM) pour des motifs sanitaires et environnementaux
représente nécessairement une discrimination. La question est alors de savoir si cette
discrimination est justifiée, notamment par le biais des exceptions environnementales
et sanitaires contenues dans l’article XX du GATT ou les Accords SPS et OTC. Les
États plaignants auront ainsi tendance à devancer les arguments de l’État auteur de la
mesure litigieuse, en mettant en doute la fiabilité des évaluations scientifiques
établissant l’existence d’un risque, ou le respect des principes de nécessité, de
cohérence ou de proportionnalité de la mesure. L’essentiel est que la partie alléguant
une incompatibilité n’a pas à établir l’innocuité du produit en cause1. Dès lors, l’objet
de la preuve qu’elle a à apporter n’est en rien risqué, et on peut avancer que ne pèse
pas sur elle une réelle charge probatoire. Les débats autour du prima facie case dans le
cadre de l’affaire Japon – Pommes illustrent parfaitement le caractère moindre de
l’objet de cette preuve.
1 Le Groupe spécial l’a affirmé dès l’affaire Hormones I, en réponse à l’allégation communautaire, selon
laquelle les États-Unis devaient en premier lieu établir l’innocuité de la viande qu’ils souhaitaient importer
sur le territoire européen : « il n’appartient pas aux États-Unis, dans le cadre de ce différend, de prouver
qu’il n’y a aucun risque » : Rapport du Groupe spécial, « Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.151.
284
254. Les débats autour du prima facie case dans l’affaire Japon – Pommes. Cet
objet du prima facie case a ponctuellement été discuté à l’occasion de l’affaire Japon
– Pommes : le Groupe spécial avait considéré dans cette affaire que les preuves
scientifiques indiquaient un risque négligeable de transmission du feu bactérien par les
pommes n’en présentant pas encore les symptômes. Il avait ainsi conclu au caractère
disproportionné de la mesure de quarantaine imposée par le Japon aux pommes
provenant des États-Unis. Le Japon avait soutenu en appel que les États-Unis
n’avaient pas établi prima facie que des pommes infectées, se retrouvant, à la suite
d’erreurs humaines ou techniques, parmi les pommes ne présentant pas de symptômes,
ne représentaient pas un risque de transmission du feu bactérien1. Le Japon considérait
dès lors que le Groupe spécial n’aurait pas dû poursuivre son analyse, ni transférer la
charge de la preuve consistant à réfuter la présomption d’incompatibilité de sa mesure
protectrice sur ses épaules2. L’Organe d’appel va pourtant confirmer le raisonnement
du Groupe spécial en arguant que « bien que la partie plaignante ait la charge de
prouver sa thèse, la partie défenderesse doit prouver la thèse qu’elle cherche à établir
en réponse »3. Avec une telle affirmation, l’Organe d’appel accepte d’accueillir les
arguments américains contestant la mesure de protection des végétaux, sans qu’ils
aient envisagé tous les risques que la mesure cherche à conjurer4. Il a justifié son
propos en posant une distinction entre « d’une part, le principe selon lequel le
plaignant doit établir prima facie l’incompatibilité avec une disposition d’un accord
visé et, d’autre part, le principe selon lequel il incombe à la partie qui affirme un fait
d’en apporter la preuve »5. Ainsi, le prima facie case consisterait simplement à
naïvement, sinon hypocritement, mettre en cause une mesure protectrice en éludant
totalement les risques qui ont motivés son adoption. L’Organe d’appel conclut ce point
en confirmant que d’après lui, « il appartenait donc au Japon d’étayer ces
allégations ; ce n’était pas aux États-Unis d’apporter la preuve des faits affirmés par
1 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », §§ 17-28.
2 Ibid.
3 Ibid., § 154.
4 RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce (2005-2006) », JDI, 2006/3, p. 1024. 5 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 157.
285
le Japon »1. Cette distinction hasardeuse entre la répartition de la charge de la preuve
et le principe mouvant du prima facie case semble finalement révéler dans son
application qu’une telle scission des différents éléments de preuve vide le principe de
répartition de la charge de la preuve de sa substance. C’est bien la partie auteure d’une
mesure environnementale ou sanitaire qui supporte la charge probatoire, étant entendu
que le fait d’établir qu’une mesure protectrice entraine une discrimination est une
évidence qui ne pose aucune difficulté. L’Organe d’appel instaure ainsi une scission
de l’objet de la preuve, le prima facie case n’en représentant qu’un partie infime : non
seulement la partie plaignante n’a pas à établir l’innocuité des produits en cause (les
pommes infectées par le feu bactérien), mais en outre la satisfaction de son allégation
n’est même pas conditionnée à la remise en cause de l’évaluation scientifique fondant
la mesure protectrice. Il a ici suffi aux États-Unis d’avancer l’argument selon lequel ils
n’exportent aucune pomme porteuse du feu bactérien, en éludant totalement la
possibilité d’erreurs de manipulation. C’est pourtant l’éventualité de ces erreurs
pratiques qui représentait justement le danger contre lequel se prévalait le Japon. Il est
à noter qu’une fois encore, l’Organe d’appel reste constant sur une approche
casuistique des éléments nécessaires à l’établissement d’un prima facie case : la
quantité, la nature et la portée des éléments de preuve nécessaires varieront d’une
mesure à l’autre, d’une disposition à l’autre et d’une affaire à l’autre2, entrainant une
importante insécurité juridique.
Une fois établi ce prima facie case à l’objet fortement restreint, la présomption
entraine le transfert de la charge de la preuve à la partie défenderesse, qui doit alors la
réfuter. Ce décalage entre l’attribution de la charge de prouver un prima facie case au
plaignant, sans qu’il lui incombe une réelle charge probatoire ne traduirait-il pas un
refus procédural d’une approche de précaution ?
1 Ibid.
2 V. Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, p. 16 ;
Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Droits compensateurs sur certains produits plats en acier au
carbone traité contre la corrosion en provenance d'Allemagne, WT/DS213/AB/R, adopté le 19 décembre
2002, § 157 ; Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 159.
286
LE PRIMA FACIE CASE, OU L’ABSENCE DE RÉELLE CHARGE § 2.
PROBATOIRE
255. Malgré le fait que les organes de règlement des différends aient attribué, en
apparence, la charge de la preuve au plaignant, l’objet minime du prima facie case
conduit à conclure à l’absence de réelle charge probatoire pesant sur ses épaules.
L’historique de l’émergence de la règle du prima facie case révélant son origine
pragmatique (A) permet de mieux mettre en lumière le fait qu’opérant un transfert de
la charge probatoire sur les épaules du défendeur, elle incarne un refus procédural de
l’approche de précaution (B).
L’origine pragmatique de la règle du prima facie case A.
256. Un régime suggéré par les États-Unis. Historiquement, ce sont les États-Unis
qui ont impulsé l’adoption de la règle du prima facie case par les organes de règlement
des différends. Dans un premier temps, c’est en tant que plaignants qu’ils avaient
proposé une application originale de la règle du prima facie case : ils prétendaient
alors n’avoir à fournir qu’un simple commencement de preuve de l’effet
protectionniste de la mesure qu’ils souhaitaient mettre en cause dans le cadre du
système de règlement des différends. Ce commencement de preuve conduirait à
présumer l’incompatibilité de la mesure litigieuse, que la partie défenderesse aurait à
charge de réfuter1. Les États-Unis, en tant que plaignants à l’affaire, avaient alors tout
intérêt à abaisser le seuil de preuve requis pour établir la violation des accords de
l’OMC. L’impulsion de cette règle du prima facie case résulte bien d’une approche
1 Il s’agissait de l’affaire Japon – Boissons alcooliques dans laquelle les États-Unis faisaient valoir qu’ « en
ce qui concerne la charge de la preuve […] il incombait à la partie plaignante de fournir un
commencement de preuve montrant qu'une mesure neutre quant à l'origine avait à la fois pour but et pour
effet de protéger une production nationale. Une fois que la partie plaignante avait démontré que c'était le
cas, il appartiendrait à la partie défenderesse de présenter des éléments de preuve pour réfuter la
présomption. Le Groupe spécial établirait alors s'il était probable que la mesure était appliquée de manière
à assurer une protection. Comme dans toute procédure de groupe spécial ordinaire, seule la partie
défenderesse aurait un intérêt à démontrer que l'une de ses mesures intérieures (neutres quant à l'origine)
n'avait pas un but ni un effet protecteur » : Rapport du Groupe spécial Japon – Taxes sur les boissons
alcooliques, WT/DS8/R, WT/DS10/R, WT/DS11/R, adopté le 1er novembre 1996, modifié par le rapport
de l'Organe d'appel WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R, § 4.32.
287
pragmatique, visant à mettre en cause à peu de frais probatoires la compatibilité d’une
mesure d’un État membre avec le droit de l’OMC. Dans un deuxième temps, c’est plus
étonnamment en tant que défendeurs que les États-Unis ont soutenu une application
pragmatique du prima facie case : il s’agissait de mesures américaines que les États-
Unis tentaient de justifier sur le fondement d’exceptions1. Or, il est généralement
admis que lorsqu’il allègue une exception, le défendeur devient demandeur
relativement à l’exception qu’il soulève, et c’est à lui de prouver que les conditions
d’application de cette exception sont remplies2. Souhaitant probablement se départir
d’une partie de la charge probatoire qui leur aurait incombée normalement, les États-
Unis avançaient une fois encore une application inédite du prima facie case : d’après
eux, les parties plaignantes devaient d’abord présenter un commencement de preuve à
l’appui de leurs prétentions, afin de transférer la charge de prouver que les conditions
des clauses d’exception étaient remplies aux États-Unis, défendeurs à l’instance3.
Dans les deux cas de figure, qu’ils soient plaignants ou défendeurs se fondant sur une
clause d’exception, les États-Unis ont impulsé l’adoption de la règle du prima facie
case pour des motifs pragmatiques, puisqu’il s’agissait de réduire l’objet de la preuve
leur incombant. Cet historique illustre également le fait que cette application du prima
facie case attribue au plaignant une charge probatoire peu élevée, même lorsque le
défendeur se fonde sur une exception : l’enjeu de qualification de droit autonome ou
d’exception des dispositions sur lesquelles se fondent les parties en est dès lors
amoindri. Ce qui prime, c’est le fait que les mesures adoptées par les États membres
1 Il s’agissait des affaires États-Unis – Vêtements de dessous et États-Unis – Chemises, dans lesquelles les
États-Unis se fondaient sur des clauses de sauvegarde ou des règles dont la qualification d’exception était
en cause, et cherchaient malgré tout à faire peser sur les plaignants le poids de la preuve initiale de la
violation des accords. 2 En vertu de l’adage reus in excipiendo fit actor : v. infra n° 266 s.
3 Selon les États-Unis, dans la première affaire, « le Groupe spécial devrait d'abord déterminer si le Costa
Rica avait vraiment produit des renseignements factuels et des arguments juridiques à l'appui de ses
prétentions, ce qu'à leur avis il n'avait pas fait ». De la même manière, dans la seconde affaire, d’après les
États-Unis, « c'était au départ à l'Inde qu'il appartenait de démontrer qu[‘ils]ne s'étaient pas acquittés de
leurs obligations au titre de l'ATV, charge qu'à leurs yeux l'Inde n'avait pas assumée » (Rapport du Groupe
spécial États Unis – Restrictions à l'importation de vêtements de dessous de coton et de fibres synthétiques
ou artificielles, WT/DS24/R, adopté le 25 février 1997, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS24/AB/R, § 5.67) ; de la même manière, dans la seconde affaire, d’après les États-Unis, « c'était au
départ à l'Inde qu'il appartenait de démontrer qu[‘ils]ne s'étaient pas acquittés de leurs obligations au titre
de l'ATV, charge qu'à leurs yeux l'Inde n'avait pas assumée » (Rapport du Groupe spécial États Unis –
Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde,
WT/DS33/R, adopté le 23 mai 1997, confirmé par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS33/AB/R, § 5.4).
288
de l’OMC sont facilement remises en cause devant les organes de règlement des
différends. La règle du prima facie case est pourtant juridiquement largement
critiquable.
257. Un pragmatisme critiquable. Joost PAUWELYN, étudiant cet historique, examine
les arguments justifiant potentiellement une telle règle, pour les rejeter en bloc1. En
premier lieu, le prima facie case aurait pu correspondre à l’obligation de la partie
plaignante de présenter ses allégations preuves à l’appui. Celle-ci n’a cependant rien à
voir avec les règles de répartition de la charge de la preuve, puisqu’elle influe à un tel
point sur l’objet et le risque de la preuve, qu’elle semble décharger la partie plaignante
de toute réelle charge probatoire2. En second lieu, le prima facie case pourrait être
analysé comme une sorte de devoir de convaincre le juge que l’affaire est recevable
pour que celui-ci accepte de l’examiner (“duty of passing the judge”), issu de la
tradition juridique de common law. Cette procédure reste néanmoins étrangère aux
juridictions internationales, et sans aucun fondement textuel devant les organes de
règlement des différends. Joost PAUWELYN précise en outre que cette procédure de
recevabilité en vigueur en common law ne permet pas de s’affranchir d’ultérieures
charges de la preuve, quand bien même la partie adverse ne réfuterait pas ces
allégations3. Enfin, l’article 3.8 du Mémorandum d’Accord est régulièrement avancé
comme fondement textuel du prima facie case, en ce qu’il mettrait en place la
présomption d’une atteinte aux intérêts commerciaux des Membres dès que
l’incompatibilité avec les accords OMC d’une mesure est établie4
. Les deux
mécanismes ont effectivement souvent été confondus5, et l’Organe d’appel a déjà pu
souligner la distinction: l’article 3.8 du Mémorandum d’Accord met en place un
1 PAUWELYN J., “Evidence, proof and Persuasion in WTO Dispute Settlement – Who Bears the Burden?”,
JIEL 1, 1998, pp. 224 s. 2 V. nos développements supra.
3 Ibid., p. 229.
4 Article 3.8 du Mémorandum d’accord : « Dans les cas où il y a infraction aux obligations souscrites au
titre d'un accord visé, la mesure en cause est présumée annuler ou compromettre un avantage. En d'autres
termes, il y a normalement présomption qu'une infraction aux règles a une incidence défavorable pour
d'autres Membres parties à l'accord visé, et il appartiendra alors au Membre mis en cause d'apporter la
preuve du contraire ». 5 V. par exemple l’allégation canadienne dans le différend Hormones I, selon laquelle la charge la preuve
incombait aux Communautés européennes au titre de l’article 3.8 du mémorandum d’accord : Rapport du
Groupe spécial « Hormones I », § 8.52.
289
système de présomption une fois que la violation est établie, il ne permet pas
d’attribuer la charge de la preuve à telle ou telle autre partie au différend1 . Il ne fonde
dès lors en rien la règle du prima facie case. D’après le même auteur, la règle du
prima facie case n’a de sens qu’en tant que standard de preuve requis. Cela implique
que la charge de la preuve incombe au plaignant, et que pour la remplir, il n’a pas
besoin de fournir une preuve complète, mais d’établir une présomption qui n’est pas
réfutée par le défendeur. Il vaudrait alors mieux parler de « présenter des éléments de
preuve et des arguments suffisants pour établir une présomption »2 que de l’obligation
d’établir un prima facie case. On ne peut que souscrire à cette analyse. La règle du
prima facie case ne règle pas véritablement la question de l’attribution de la charge de
la preuve, mais remodèle son objet et s’apparente par là même à un mécanisme de
présomption légale tel qu’on le connaît en droit interne3.
Il est dès lors erroné d’affirmer que le droit de l’OMC applique le principe commun
actori incumbit probatio au motif que le plaignant doit établir un prima facie case. Ce
dernier ne recouvrant qu’un objet de preuve extrêmement limité, occulte le fait que la
1 « L'article 3:8 du Mémorandum d'accord prévoit que dans les cas où il y a infraction aux obligations
souscrites au titre d'un accord visé - c'est-à-dire dans les cas où une violation est établie - il y a
présomption qu'un avantage est annulé ou compromis. L'article 3:8 indique en outre que le "Membre mis
en cause" doit réfuter cette présomption. Toutefois, la question en l'espèce n'est pas de savoir ce qui se
passe après qu'une violation est établie; elle est de savoir quelle partie doit en premier démontrer qu'il y a,
ou qu'il n'y a pas, violation. Plus précisément, la question en l'espèce est de savoir à quelle partie il
incombe de démontrer qu'il y a eu, ou qu'il n'y a pas eu, infraction aux obligations souscrites au titre de
l'article 6 de l'ATV » : Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de
chemises, chemisiers et blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai
1997, et Corr.1, p. 15. 2 Ibid., p. 14.
3 En droit civil, la mise en place d’une présomption est fondée sur la probabilité du fait, le plerumque fit.
Cette expression latine faisant référence à « ce qui se produit le plus souvent » pour désigner le rapport de
fréquence, source de vraisemblance, sur lequel s’appuie la présomption pour admettre la preuve d’un fait
inconnu à partir de celle d’un fait connu, observation faite que, le plus souvent, les deux faits sont liés
(Définition de CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9e édition mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, v°
« plerumque fit »). Est-ce à dire par analogie qu’il existe une probabilité importante que les mesures
environnementales et sanitaires ne relèvent que d’un protectionnisme déguisé ? Quid de la présomption
théorique de compatibilité des mesures nationales avec les accords de l’OMC en général, et l’Accord SPS
en particulier? V. supra n° 249 s. Plus avant, certains auteurs considèrent que la charge de la preuve
constitue « un moyen de faire peser sur les justiciables les faiblesses de l’institution judiciaire, et ce moyen
est d’autant plus efficace qu’il autorise un renversement de perspective, les insuffisances étant finalement
imputées aux parties elles-mêmes » (v. LAGARDE X., Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ,
Paris, 1992, p. 272) : de ce point de vue, les juges de l’OMC font bien le choix de faire peser sur l’État
auteur de mesures environnementales et sanitaires, le poids de son refus de prendre en compte l’incertitude
scientifique.
290
charge probatoire revient en réalité à la partie défenderesse, en l’occurrence celle
ayant adopté une mesure protectrice de la santé ou de l’environnement. Le prima facie
case permet aux organes de règlement des différends de cultiver le mythe d’une
présomption de conformité au droit de l’OMC des mesures litigieuses, mais pose en
réalité, par son objet, une sorte de présomption d’incompatibilité des mesures
environnementales et sanitaires : tout l’inconvénient de cette règle du prima facie case
réside dans le fait qu’en substance, elle ne prend pas en compte le risque de la preuve
lié aux incertitudes scientifiques1, mais le transfère sur les épaules de la partie
défenderesse. Le prima facie case incarnerait dès lors un refus procédural d’une
approche de précaution dans les différends environnementaux et sanitaires.
Le prima facie case, refus procédural d’une approche de précaution B.
258. L’absence de charge probatoire du prima facie case. « Le renversement de la
preuve est en soi une question de procédure juridique, qui peut avoir des
conséquences importantes en matière de précaution » 2
. Certes. Mais les mêmes
commentateurs ont pu déduire de la règle du prima facie case, que « [l]a séquence des
rôles est ainsi clairement posée et va dans le sens du renversement de la charge de la
preuve, puisque c’est à la partie (plaignante) qui utilise la technique de production
suspectée dangereuse qu’incombe la charge de la preuve »3. S’il incombe bien, en
théorie, à la partie plaignante de s’acquitter d’un prima facie case, son objet est
tellement pauvre, qu’il ne recouvre aucune réelle charge probatoire. La légèreté de son
objet entraîne la mise en place d’une présomption d’incompatibilité des mesures
litigieuses, qui ne sera réfutable qu’au prix de connaissances scientifiques établissant
avec certitude l’existence d’un risque. C’est donc la partie défenderesse, chargée de
1Notons, qu’effectivement, l’Organe d’appel a explicitement refusé de prendre en compte le degré de
difficulté de l’administration de la preuve pour en répartir la charge : « Il n'y a rien dans le système de
règlement des différends de l'OMC qui étaye l'idée que l'attribution de la charge de la preuve devrait être
déterminée sur la base d'une comparaison entre les difficultés respectives que le plaignant et le défendeur
peuvent éventuellement rencontrer au moment de recueillir des renseignements pour prouver le bien-fondé
d'une argumentation » : Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 281. 2 BOY L. et al., « La mise en œuvre du principe de précaution dans l’Accord SPS de l’OMC – Les
enseignements des différends commerciaux », Revue économique, 2003/6 Vol. 54, p. 1301. 3 Ibid.
291
réfuter la présomption d’incompatibilité de la mesure qu’elle a adopté, qui supporte
l’intégralité de la charge probatoire. Or, dans les différends environnementaux et
sanitaires, l’objet de cette seconde preuve (de réfutation de la présomption) est
scientifique et particulièrement risqué1. Le formalisme de la répartition de la charge de
la preuve à l’OMC occulte la réalité de l’absence de charge probatoire représentée par
le prima facie case. Nous ne partageons dès lors pas l’analyse selon laquelle le prima
facie case représenterait une « solution médiane » garante d’une approche de
précaution2. Bien au contraire, l’obligation de prouver l’existence incontestable de ce
risque revient à nier l’existence même du principe de précaution, et à revenir à une
logique de simple prévention3.
259. Le prima facie case au regard du principe de précaution. La doctrine s’est
progressivement intéressée aux aspects procéduraux du principe de précaution4 : elle
s’est ainsi attachée à examiner les règles probatoires au regard de ce principe5, en
particulier les questions de degré de preuve et de répartition de la charge de
l’administrer6. L’enjeu politique et juridique résiderait dès lors dans « la combinaison
entre la répartition de la charge de la preuve et le niveau de certitude exigé »7.
L’équilibre se situerait entre deux alternatives : soit la charge de la preuve incombe à
celui qui profite du risque, en commercialisant des produits susceptibles de représenter
un danger, et correspondrait alors à un niveau de certitude scientifique très élevé
(tendant à établir l’innocuité du produit litigieux) ; soit la partie ayant adopté une
mesure de précaution assumerait la charge d’une preuve, dont le niveau de preuve
1 V. supra n° 211 s.
2 CAZALA J., « Principe de précaution et procédure devant le juge international », in LEBEN C., VERHOEVEN
J., (dir.), Le principe de précaution : aspects de droit international et communautaire, éd. Panthéon-Assas,
Paris, 2002, pp. 151-192, spéc. 175-179. 3 Ibid., p. 176. V. également nos développements supra n° 146 s.
4 En droit international, v. par exemple CAZALA J., « Principe de précaution et procédure devant le juge
international », in LEBEN C., VERHOEVEN J., (dir.), Le principe de précaution : aspects de droit
international et communautaire, éd. Panthéon-Assas, Paris, 2002, pp. 151-192. 5 V. notamment MEKKI M., « Le droit privé de la preuve… à l’épreuve du principe de précaution », Rec. D.,
2014, pp. 1391 s. 6 FLÜCKIGER A., « La preuve juridique à l’épreuve du principe de précaution », RESS, tome XLI, 2003,
n°128, pp. 107-127. 7 Ibid., p. 118.
292
serait très bas (le juge accepterait de prendre en compte l’incertitude)1. Le prima facie
case se situe aux antipodes d’une telle démarche : en faisant facilement naître une
présomption d’incompatibilité des mesures environnementales et sanitaires, et en
refusant de prendre en compte l’incertitude scientifique, il transfère sur les épaules de
l’État auteur de la mesure protectrice la charge d’une preuve, dont le niveau est
excessivement élevé2. Il est dès lors impératif que le juge du commerce international
prenne enfin en compte l’incertitude scientifique, afin que la preuve incombant aux
États auteurs de mesures environnementales et sanitaires ne soit pas diabolique. S’il ne
le fait pas, il devrait alors renverser la vapeur, en faisant bénéficier les États auteurs
des mesures litigieuses du mécanisme du prima facie case : les États auteurs de
mesures environnementales ou sanitaires n’auraient qu’à prouver qu’il existe un doute
scientifique, pour justifier leur politique de protection. Si ce prima facie case
incombait de la sorte au défendeur, plutôt qu’au plaignant, ces derniers pourraient
réfuter la présomption de compatibilité des mesures en établissant l’innocuité des
produits. Sans tomber dans une application « intégriste » du principe de précaution3,
puisque cette obligation de prouver l’innocuité du produit serait conditionnée par la
preuve de l’État auteur de la mesure de la vraisemblance d’un risque4, une telle
1 Ibid.
2 On mentionnera le fait qu’au sein du Codex Alimentarius, l’Union européenne défend la prise en compte
d’« autres facteurs légitimes » que les données scientifiques pour adopter des normes sanitaires, quand les
États-Unis en combattent la reconnaissance (v. NOIVILLE C., « Principe de précaution et Organisation
mondiale du commerce – Le cas du commerce alimentaire », JDI, 2000/2, p. 292 ; V. COMMISSION DU
CODEX ALIMENTARIUS, Manuel de procédure, Quinzième édition, Rome, 2005, 171 p., [en ligne :
http://www.fao.org/docrep/009/a0247f/a0247f00.htm#Contents, consulté le 24/04/2014]). Est-ce un hasard
si la règle du prima facie case a été impulsée en premier lieu par ces derniers ? Au regard de leur refus
d’une approche de précaution, la pratique du prima facie case par les organes de règlement des différends
semble en effet correspondre à leur conception absolutiste de la science. 3 FAVRET J.-M., Le principe de précaution ou la prise en compte par le droit de l’incertitude scientifique et
du risque virtuel, Rec. D., 2001, § 2. 4 À l’inverse du droit de l’OMC, le Protocole de Carthagène offre en ce sens un bel exemple d’approche de
précaution. La combinaison de ses articles 11.8 (« L'absence de certitude scientifique due à l'insuffisance
des informations et connaissances scientifiques pertinentes concernant l'étendue des effets défavorables
potentiels d'un organisme vivant modifié sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité
biologique dans la Partie importatrice, compte tenu également des risques pour la santé humaine,
n'empêche pas cette Partie de prendre comme il convient une décision concernant l'importation de cet
organisme vivant modifié s'il est destiné à être utilisé directement pour l'alimentation humaine ou animale
ou à être transformé, pour éviter ou réduire au minimum ces effets défavorables potentiels ») et 15.2 (« La
Partie importatrice veille à ce que soit effectuée une évaluation des risques pour prendre une décision au
titre de l'article 10. Elle peut exiger que l'exportateur procède à l'évaluation des risques ») permet à
293
utilisation du prima facie case marquerait enfin une réelle acceptation des organes de
règlement des différends d’adopter une approche de précaution.
Le prima facie case, règle sui generis propre au droit de l’OMC, en déchargeant le
plaignant de la quasi-totalité de sa charge probatoire, traduit processuellement le refus
d’une approche de précaution. Cette légèreté de la preuve du prima facie case,
incombant au plaignant, correspond naturellement à une charge particulièrement
lourde pesant sur les épaules de l’État défendeur, consistant à réfuter la présomption
d’incompatibilité des mesures environnementales ou sanitaires.
SECTION 2. LA LOURDEUR DE LA RÉFUTATION DE LA PRÉSOMPTION À
LA CHARGE DU DÉFENDEUR
260. L’établissement par le demandeur d’un prima facie case transfère la charge de la
preuve au défendeur, l’État auteur d’une mesure environnementale ou sanitaire. Celui-
ci doit dès lors réfuter la présomption de non compatibilité de sa mesure. À défaut, la
mesure environnementale ou sanitaire est déclarée incompatible avec le droit de
l’OMC, et l’État auteur doit la modifier, afin de se mettre en conformité avec les
recommandations des organes de règlement des différends1. Or, à ce jour, les juges de
l’OMC ont presque systématiquement tranché les litiges environnementaux et
sanitaires en faveur de la partie plaignante, la partie défenderesse n’ayant jusqu’alors
jamais réussi à réfuter les présomptions d’incompatibilité des mesures2
. Si la
présomption instaurée par le prima facie case est présentée comme réfutable3, ne
s’agirait-il pas d’une présomption absolue tant la preuve nécessaire à la réfutation est
l’importateur de contraindre l’exportateur de produits OGM à établir leur innocuité par des évaluations
scientifiques. 1 « Un commencement de preuve en l’absence de réfutation effective par la partie défenderesse, fait
obligation au groupe spécial, en droit, de statuer en faveur de la partie plaignante fournissant le
commencement de preuve » : Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 104 ; et Rapport de l'Organe
d'appel « Japon – Pommes », § 159. 2 Hormis, comme nous l’avons vu, dans les affaires Crevettes et Amiante. V. supra n° 52 s. et n° 73 s.
3 V. par exemple la formulation de l’article 3.8 du Mémorandum d’Accord : « […]il appartiendra alors au
Membre mis en cause d’apporter la preuve du contraire »
294
lourde 1? La répartition substantielle des différents éléments de preuve résultant du
régime du prima facie case met à mal la répartition apparente de la charge de la
preuve. La comparaison des éléments de preuve revenant à l’État auteur de mesures
environnementales ou sanitaires, selon que celui-ci les justifie en usant d’un de ses
droits autonomes ou d’une exception met en lumière le caractère superflu de ces
qualifications. En réalité, c’est une présomption quasi-absolue de non-compatibilité
des mesures environnementales et sanitaires avec le droit de l’OMC qui prime dans les
différents cas de figure : ainsi, que le défendeur se fonde sur un droit autonome (§1),
ou sur une exception (§2), lui incombera toujours un fardeau probatoire
particulièrement lourd.
LA RÉFUTATION FONDÉE SUR UN DROIT AUTONOME § 1.
261. Le régime probatoire mis en place par les organes de règlement des différends a
ceci d’édifiant, que même dans le cadre de l’exercice d’un de ses droits autonomes,
l’État défendeur ayant adopté une mesure protectrice se verra attribuer la charge des
éléments de preuve les plus risqués. C’est ainsi qu’une fois qu’un État Membre a
établi le prima facie case entrainant une présomption d’incompatibilité de la mesure
sanitaire ou environnementale litigieuse, il appartient au défendeur d’apporter les
éléments de preuve nécessaires à la réfutation de cette présomption. Celui-ci peut alors
fonder sa défense sur un droit autonome tel que l’article 3.3 de l’Accord SPS, lui
accordant le droit d’autodéterminer son propre niveau de protection, en marge des
recommandations internationales. Les éléments de preuve qui lui incombent alors sont
particulièrement périlleux, car ils consistent le plus souvent à établir scientifiquement
la certitude de l’existence d’un risque pour la santé ou l’environnement. La répartition
des éléments de preuve est telle qu’elle conduit en substance à inverser la charge
probatoire : c’est au défendeur qui exerce un de ses droits autonomes de prouver le
1 « Car, une fois la violation prouvée, il n’y a pas moyen pour le défendeur d’éviter une issue défavorable,
en montrant que le plaignant n’a pas subi de dommage. [...] Il ne s’agit plus d’un contentieux subjectif de
pleine juridiction, mais d‘un contentieux objectif de légalité. Ce qui explique également le rôle important et
grandissant des tierces parties dans la procédure, et qui n’est pas sans incidence sur le processus
d’administration des preuves »: ABI-SAAB G., « Commentaire », in RUIZ FABRI H. et SOREL J.-M. (dir.), La
preuve devant les juridictions internationales, Éditions A. Pedone, Paris, 2007, p. 99.
295
bien-fondé de sa mesure. In fine, contrairement à l’adage actori incumbit probatio, les
éléments de preuve les plus délicats, à la fois scientifiquement et juridiquement,
incombent au défendeur. Ainsi, même si son autonomie a été consacrée par les
organes de règlement des différends, le droit de choisir son propre niveau de
protection est impossible à exercer (A) : la charge probatoire constituée par l’exigence
de certitude scientifique se révèle une impasse pour les États membres auxquels elle
incombe (B).
L’impossible exercice du droit de choisir son propre niveau de protection A.
262. L’indifférence de la qualification dans l’application du prima facie case. La
consécration formelle par les organes de règlement des différends du caractère
autonome du droit de choisir le niveau de protection environnemental ou sanitaire que
les États auteurs de mesures protectrices jugent approprié1 n’allège aucunement la
charge probatoire qui leur incombe. L’Organe d’appel, qui avait pourtant consacré
avec fracas l’autonomie de ce droit et de ses dérivés, en censurant expressément les
Groupes spéciaux qui les appréhendaient comme de simples exceptions2, ne tire de
cette reconversion aucune conséquence substantielle en termes de charge probatoire.
De cette manière, le régime probatoire caractérisé par la règle du prima facie case met
à mal la consécration de principe de l’autonomie du droit qu’ont les États membres de
choisir leur propre niveau de protection. Autrement dit, les règles de preuve mises en
place par les organes de règlement des différends font directement obstacle à
l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires dans le droit de l’OMC. Ce
propos peut être illustré par l’affaire Hormones¸ lors de laquelle les Communautés
européennes se fondaient sur l’article 3.3 de l’Accord SPS3
pour justifier leur
1 V. supra n° 99 s.
2 Ibid.
3 Article 3.3 de l’Accord SPS : « Les Membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou
phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui
serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales
pertinentes s'il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection
sanitaire ou phytosanitaire qu'un Membre juge approprié conformément aux dispositions pertinentes des
paragraphes 1 à 8 de l'article 5. Nonobstant ce qui précède, aucune mesure qui entraîne un niveau de
protection sanitaire ou phytosanitaire différent de celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les
296
interdiction d’importation et de commercialisation de viande nourrie aux hormones.
Les différends qui nous intéressent ont pour objet des mesures plus protectrices pour la
santé et l’environnement que ce que recommandent les standards édictés au sein des
organismes internationaux reconnus1. Il incombera in fine au défendeur d’apporter les
éléments de preuve constituant la justification scientifique de la mesure.
263. L’exemple de l’affaire Hormones. Le rapport Hormones consacre justement le
statut autonome du droit de choisir son propre niveau de protection environnemental
ou sanitaire posé par l’article 3.3 de l’Accord SPS. Les conséquences que l’Organe
d’appel en tire s’agissant de la répartition de la charge de la preuve sont décevantes et
témoignent du caractère superficiel des retombées de la qualification. L’Organe
d’appel infirme en effet le postulat du Groupe spécial qui considérait l’article 3.3
comme une exception2. Partant, le Groupe spécial avait attribué la charge de prouver
que leur mesure d’interdiction de viande nourrie aux hormones était justifiée
scientifiquement aux Communautés européennes3
. L’Organe d’appel censure ce
normes, directives ou recommandations internationales ne sera incompatible avec une autre disposition du
présent accord ». 1 En effet, l’article 3.1 de l’Accord SPS posant une présomption, selon laquelle les mesures de protection
sanitaire ou phytosanitaires conformes aux normes ou directives des organisations internationales référentes
sont compatibles avec les Accords de l’OMC, n’a jamais été au cœur des litiges. Ce cas de figure a peu
d’intérêt ici dans la mesure où il ne pousse aucun État à initier une procédure devant les organes de
règlement des différends. Soit que la charge de la preuve joue ici un rôle dissuasif à l’égard de tout
plaignant éventuel, soit que les normes et recommandations internationales ne représentent finalement
qu’un infléchissement minime aux règles du libre-échange, cette hypothèse ne s’est présentée dans aucun
litige agro-alimentaire à ce jour. 2 V. supra n° 121 s.
3 « Nous rappelons les conclusions que nous avons formulées plus haut au sujet de la charge de la preuve,
en particulier celle d'après laquelle les Communautés européennes ont l'obligation, s'agissant des mesures
communautaires qui s'écartent des normes internationales, de prouver qu'il existe une évaluation des
risques (et, à la suite de celle -ci, un risque identifiable) sur la base de laquelle les mesures
communautaires incriminées ont été établies. Il n'appartient pas aux États-Unis, dans le cadre de ce
différend, de prouver qu'il n'y a aucun risque » : Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte des
États-Unis », § 8.151; rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du Canada », § 8.154 ; « Nous
rappelons enfin les constatations que nous avons formulées plus haut au sujet de la charge spécifique de la
preuve prévue à l'article 3:3. En particulier, nous avons constaté que l'obligation de prouver que les
prescriptions énoncées à l'article 3:3 (notamment la conformité avec l'article 5) ont été respectées, afin de
justifier une mesure sanitaire qui s'écarte d'une norme internationale, incombait aux Membres imposant
ladite mesure. Étant donné que les mesures communautaires examinées dans la présente section (qui
concernent toutes les hormones en cause autres que l'acétate de mélengestrol) ne sont pas fondées sur des
normes internationales existantes et qu'elles doivent être justifiées en vertu des exceptions prévues à
l'article 3:3, il appartient aux Communautés européennes de prouver que la détermination et la mise en
œuvre de son niveau de protection sont conformes à l'article 5:4 à 6 » : Rapport du Groupe spécial
297
raisonnement, au motif que l’article 3.3 de l’Accord SPS pose un droit autonome, et
non une exception. Il affirme alors que la charge de la preuve revient aux plaignants,
qui doivent présenter un commencement de preuve remettant en cause l’évaluation des
risques communautaire :
« le Groupe spécial aurait dû commencer l'analyse de chaque disposition en
examinant la question de savoir si les États-Unis et le Canada avaient présenté des
éléments de preuve et des arguments juridiques suffisants pour prouver que les
mesures communautaires étaient incompatibles avec les obligations assumées par les
Communautés européennes au titre de chaque article de l'Accord SPS examiné par le
Groupe spécial, à savoir les articles 3.1 et 3, et 5.1 et 5. Ce n'est qu'une fois établie
cette présomption par le Groupe spécial que la charge d'apporter des éléments de
preuve et des arguments pour réfuter l'allégation de la partie plaignante peut être
attribuée aux Communautés européennes » 1
.
Ce faisant, l’Organe d’appel semble accorder toute son importance à la règle
probatoire générale selon laquelle la charge de la preuve incombe à celui qui établit
une allégation. Témoignant une fois encore de la légèreté de l’objet du prima facie
case, l’Organe d’appel vérifie pourtant sommairement que les États-Unis et le Canada
ont apporté les éléments de preuve nécessaires à l’établissement du prima facie case,
dans une note de bas de page2. Notons qu’il s’affranchit, pour apprécier le caractère
suffisant du commencement de preuve apporté par les plaignants, des règles de
répartition des compétences en matière d’appréciation des éléments de preuve3.
Malgré la censure formelle du raisonnement du Groupe spécial, l’Organe d’appel
revient rapidement sur le même terrain, en exigeant pareillement des Communautés
« Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.165; rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du
Canada », § 8.168. 1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 109.
2 « Après avoir examiné soigneusement le dossier du Groupe spécial, nous sommes convaincus que les
États-Unis et le Canada ont effectivement présenté un commencement de preuve que les mesures SPS
concernant les hormones incriminées en l’espèce, à l’exception du MGA, n’étaient pas établies sur la base
d’une évaluation des risques, bien que le Groupe spécial ne leur ai pas demandé de le faire » : Ibid., § 197,
note 180. 3 Cette émancipation des règles de répartition des compétences en matière d’appréciation des éléments de
preuve va une fois encore dans le sens de la promotion des valeurs commerciales, puisqu’elle permet à
l’Organe d’appel d’invalider la mesure communautaire de protection sanitaire. V. infra n° 273 s.
298
européennes qu’elles apportent les preuves scientifiques établissant le risque pour la
santé qu’entraîne la consommation des viandes en cause1. Cette apparente infirmation
du rapport du Groupe spécial revient finalement à la même conclusion en substance,
puisqu’il « il n’appartient pas aux [plaignants] de prouver qu’il n’y a aucun risque »2.
Cette censure formelle du raisonnement du Groupe spécial, ne mène qu’à appliquer la
règle du prima facie case aux cas d’allégation, par l’État auteur de la mesure, de son
droit d’autodéterminer son propre niveau de protection environnementale ou sanitaire.
Le changement de qualification de l’article 3.3, passant alors du statut d’exception à
celui de droit autonome, n’entraine pas de changement substantiel en termes de charge
probatoire. Il n’est pourtant pas absurde de conditionner l’exercice de ce droit de
déterminer son propre niveau de protection environnemental ou sanitaire par une
obligation d’évaluer les risques provoqués par la circulation des produits en cause.
Une fois encore, c’est l’objet de la preuve à proprement parler qui est en cause, car
c’est plus précisément l’exigence d’une certitude scientifique qui représente une
charge probatoire démesurée.
L’impasse d’une charge probatoire constituée par l’exigence de certitude B.
scientifique
264. La certitude scientifique, condition de l’exercice du droit de choisir son propre
niveau de protection. Le droit, dont sont titulaires les États membres de l’OMC, de
choisir leur propre niveau de protection environnemental et sanitaire, est conditionné
par l’exigence d’une certitude scientifique. L’État auteur d’une mesure
environnementale ou sanitaire devra ainsi justifier, soit d’une évaluation scientifique
1 « Tout bien considéré, nous ne contestons pas la constatation du Groupe spécial selon laquelle les
Communautés européennes étaient tenues de satisfaire aux exigences de l'article 5:1 même si elles avaient
établi pour elles-mêmes un niveau de protection plus élevé, ou plus astreignant, que celui prévu dans les
normes, directives ou recommandations pertinentes du Codex. Nous sommes conscients que cette
constatation semble indiquer que la distinction faite à l'article 3.3 entre deux situations peut avoir une
portée très limitée et être, pour cette raison, plus apparente que réelle. De fait, son libellé contourné et
couché par strates ne nous laisse guère d'autre choix » : Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I »,
§ 176. 2 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte des États-Unis », § 8.151 ; rapport du groupe spécial
« Hormones I, plainte du Canada », § 8.154.
299
établissant avec certitude l’existence d’un risque1, soit d’une insuffisance de preuves
scientifiques2. Comme exposé précédemment, les organes de règlement des différends
refusent dans le cadre de ces conditions de prendre en compte l’incertitude
scientifique3. Or, c’est précisément cette exigence d’une certitude scientifique qui
constitue le fardeau probatoire dans les différends environnementaux et sanitaires.
L’environnement et la santé sont justement les domaines de prédilection de
l’incertitude scientifique. Autrement dit, le plus souvent, la certitude scientifique est
extrêmement difficile, voire impossible à rapporter4. Le fait que les États auteurs de
mesures SPS se soient systématiquement heurtés à cette condition d’évaluation des
risques témoigne du caractère risqué de l’objet scientifique de la preuve5. Ainsi, la
charge probatoire représentée par l’exigence de certitude scientifique quant à
l’existence d’un risque sanitaire ou environnemental est démesurément lourde. On ne
peut pourtant exiger des organes de règlement des différends qu’ils transfèrent la
charge de cette preuve aux parties plaignantes : celles-ci seraient confrontées à la
même impossibilité d’établir avec certitude l’innocuité des produits en cause. La prise
en compte par le droit, par exemple par le biais d’une approche de précaution, de
l’incertitude scientifique semble bien représenter le principal, voire le seul, mécanisme
de régulation équilibrée entre les différentes valeurs commerciales, environnementales
1
Article 5.1 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou
phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des
circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des
végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations
internationales compétente ». 2 Article 5.7 de l’Accord SPS : « Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes,
un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des
renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales
compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d'autres
Membres. Dans de telles circonstances, les Membres s'efforceront d'obtenir les renseignements
additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en
conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable ». 3 Pour rappel, l’Organe d’appel a ainsi explicitement déclaré que « l'application de l'article 5:7 est
déclenchée non par l'existence d'une incertitude scientifique mais plutôt par l'insuffisance des preuves
scientifiques. Le texte de l'article 5.7 est clair: il fait référence aux ‘cas où les preuves scientifiques
pertinentes seront insuffisantes’ et non à l'’incertitude scientifique’. Ces deux notions ne sont pas
interchangeables. Par conséquent, nous ne pouvons pas accepter l'approche du Japon consistant à
interpréter l'article 5:7 à travers le prisme de l'’incertitude scientifique’ » : Rapport de l'Organe d'appel
« Japon – Pommes », § 184. V. à ce propos nos développements supra n° 146 s. 4 En témoignent les débats scientifiques autour des OGM ou des hormones par exemple.
5 V. supra n° 211 s.
300
et sanitaires. Ainsi, en droit de l’Union européenne, l’État auteur d’une telle mesure
restrictive a également à sa charge d’apporter une preuve scientifique qui étaye la
possibilité d’un risque provoqué par un produit particulier. La grande différence avec
le droit de l’OMC réside dans le fait que cette charge probatoire est plus équilibrée en
droit de l’Union européenne, car elle comprend les situations d’incertitude scientifique.
265. La prise en compte juridique de l’incertain comme outil de régulation. Il
semble qu’aujourd’hui, si les organes de règlement des différends sont réellement
prêts à assumer un rôle régulateur, et à assurer une effectivité substantielle aux
exceptions environnementales et sanitaires, ils doivent admettre l’incertitude
scientifique, tout comme le caractère nécessairement relatif de la preuve judiciaire.
Cette double relativité, de la science et du droit, est une fois encore avant tout révélée
et incarnée par l’émergence du principe de précaution1. C’est ainsi par le biais du
principe de précaution que les instances judiciaires de l’Union européenne assurent la
régulation environnementale et sanitaire. La Cour de justice de l’Union européenne a
ainsi accepté que l’incertitude scientifique, qui est à la base du principe de précaution2,
justifie une approche prudente des États membres, consistant par exemple à interdire
la mise sur le marché de certains produits potentiellement dangereux3, dans les
domaines environnementaux et sanitaires4. Pour autant, les juridictions européennes
n’excluent pas l’approche scientifique, bien au contraire : elles se prononcent
1 FLÜCKIGER A., « La preuve juridique à l’épreuve du principe de précaution », RESS, tome XLI, 2003,
n°128, p. 125. 2 Palliant les lacunes textuelles du TFUE concernant le principe de précaution, la Cour de justice l’a défini
ainsi : « lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée des risques pour la santé des
personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité
de ces risques soient pleinement démontrées » : CJCE, 5 mai 1998, National Farmer’sUnion, aff. C-157/96,
Rec., p. I-2211, point 63 ; CJCE, Royaume-Uni c. Commission, C-180/96, Rec., p. I-2265, point 99 ; CJCE,
9 septembre 2013, Monsanto Agricoltura Italia, aff. C-236/01, Rec., p. I-8105, point 111. 3 V. par exemple la décision Toolex de la CJCE, du 11 Juillet 2000, C-473/98, Rec., p. I-5681.
4 Le principe de précaution est expressément consacré dans le domaine environnemental à l’article 191.2
TFUE. Il a étendu par le juge au domaine sanitaire, notamment par le biais de l’article 168 TFU requérant
« un niveau élevé de protection de la santé humaine » et ayant pour effet d’accroître le poids de la
protection de la santé « dans les définitions et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la
Communauté » : TPICE, Artegodan, aff. T-74/00, Rec., p. II-4945, point 183. Avec cet arrêt, le tribunal a en
outre qualifié le principe de précaution de principe général de droit, offrant la possibilité d’appliquer le
principe dans des affaires où le droit communautaire dérivé ne le consacrait pas de manière expresse. Pour
de plus amples développements sur le principe de précaution en droit de l’Union européenne, v. DE
SADELEER N., « Le principe de précaution dans le monde. Le principe de précaution en droit international et
en droit de l'Union européenne», Fondapol, La précaution par principe ?, Paris, 2011, pp. 7-33.
301
explicitement contre la prise en compte de risques purement hypothétiques qui ne
seraient étayés par aucune preuve scientifique1. Sans demander aux États de justifier
les restrictions à la libre-circulation des marchandises par la certitude scientifique de
l’existence d’un risque2, elles exigent des « données nouvelles suscitant des doutes
sérieux quant à la sécurité » du produit en cause3.
Revenir sur leur exigence de certitude scientifique permettrait aux organes de
règlement des différends de réellement adopter une approche de précaution, ne se
cantonnant pas aux déclarations de principe formelles. Le régime probatoire, y
compris celui du prima facie case¸ serait de ce fait moins partisan des seules valeurs
commerciales, et tendrait vers sa fonction régulatrice équilibrant les différents intérêts
en présence. Aujourd’hui, le système de règlement des différends de l’OMC a fait de
la conception absolutiste de la science le meilleur garant du libre-échange. Pourrait-il,
demain, admettre les incertitudes scientifiques et judiciaires pour assumer sa fonction
régulatrice ? En prenant en compte l’incertitude scientifique, à la manière des
instances judiciaires de l’Union européenne, les organes de règlement des différends
allègeraient l’enjeu de la charge de la preuve : amoindrir le standard de la preuve
permettrait d’attribuer aux États auteurs de mesures environnementales et sanitaires
une charge probatoire enfin possible. Rien ne garantit que les organes de règlement
des différends de l’OMC acceptent de sauter le pas de « retirer aux sciences le pouvoir
de dire le dernier mot qu’on leur avait confié par erreur ou par lâcheté »4. Adopter
1 Le Tribunal de l’Union européenne a par exemple déclaré qu’« une mesure préventive ne saurait
valablement être motivée par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples
suppositions scientifiquement non encore vérifiées », excluant par là même du champ d’application du
principe de précaution les risques fondés sur des considérations purement spéculatives, sans fondement
scientifique : TPICE, 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health, aff. T-13/99, Rec., p. II-3305, point 143.
Sur cette question, v. notamment DE SADELEER N., Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de
précaution : essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes du droit de l'environnement,
Bruylant, Bruxelles, 1999, spéc. p. 176. 2 Le Tribunal estime ainsi qu’« une mesure préventive ne saurait être prise que si le risque, sans que son
existence ait été démontrée ‘pleinement’ par des données scientifiques concluantes, apparaît néanmoins
suffisamment documenté sur la base des données scientifiques disponibles au moment de la prise de cette
mesure ». Et de conclure que « le principe de précaution ne peut donc être appliqué que dans les situations
de risque, notamment pour la santé humaine, qui, sans être fondé sur des simples hypothèses
scientifiquement non vérifiées, n’a pas encore pu être pleinement démontré » : TPICE, 11 septembre 2002,
Pfizer Animal Health, aff. T-13/99, Rec., p. II-3305, points 144 et 146. 3 TPICE, Artegodan, aff. T-74/00, Rec., p. II-4945, point 192.
4 LATOUR B., La fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d’État, Paris, 2002, p. 254.
302
une réelle approche de précaution correspondrait à un acte de volonté de « retour en
force de la décision politique », signifiant que les régulateurs ne pourraient plus
« trouver refuge derrière le paravent des pseudo-certitudes scientifiques que lui offre
son expert »1.
LA RÉFUTATION FONDÉE SUR UNE EXCEPTION § 2.
266. Attribuer la charge probatoire à la partie se prévalant d’une exception correspond
aux principes probatoires standards. L’Organe d’appel s’en est prévalu pour écarter la
règle du prima facie case dans les cas de réfutation par des États auteurs de mesures
environnementales ou sanitaires sur le fondement d’exceptions. La stricte logique du
prima facie case aurait pu conduire, en vertu de l’adage reus in excipiendo fit actor, au
fait qu’en devenant demandeur relativement à l’exception qu’il soulève, l’État auteur
d’une mesure protectrice n’ait qu’à établir un commencement de preuve que ses
conditions sont bien remplies. En inversant ainsi les rôles, toujours au regard de la
règle originale du prima facie case, la charge probatoire principale, résidant dans les
éléments de preuves scientifiques particulièrement risqués, serait revenue sur les
épaules de l’État contestant la compatibilité de ces mesures avec le droit de l’OMC.
De manière peu surprenante, au regard des valeurs commerciales sous-tendues par le
droit de l’OMC, il n’en est rien : il n’est en effet pas étonnant que les organes de
règlement des différends ne fassent pas bénéficier les États se fondant sur des
exceptions de règles probatoires moins strictes que celles qu’il impose quand ils
allèguent des droits autonomes. En réalité, il faut surtout retenir que les évolutions de
qualification de certaines exceptions en droit autonomes s’avèrent vides de sens,
puisque dans les deux cas la charge probatoire substantielle revient pareillement à
l’État auteur de la mesure protectrice, qui semble alors victime d’une présomption de
mauvaise foi. Nous allons ainsi voir qu’en se fondant sur l’article XX du GATT,
comprenant les exceptions générales au libre-commerce des marchandises, les États
qui se voient attribuer une charge probatoire diabolique (A). Celle-ci ne semble en
1 DE SADELEER N., Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution : essai sur la genèse et
la portée juridique de quelques principes du droit de l'environnement, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 196.
303
réalité être le lot commun de tout État auteur d’une mesure sanitaire ou
environnementale, qui sera toujours confronté à la même présomption irréfutable de
protectionnisme, ce que nous illustrerons avec l’exemple de l’article 5.7 de l’Accord
SPS (B).
La charge probatoire diabolique de l’article XX du GATT A.
267. Reus in excipiendo fit actor. Selon l’adage commun, reus in excipiendo fit actor,
le défendeur devient demandeur relativement à l’exception qu’il soulève1. D’après le
droit commun de la preuve, il lui incombe dès lors de prouver les faits à l’appui de son
allégation2. L’application de ce principe, selon lequel la charge de la preuve incombe à
la partie qui se prévaut d’une exception, dans le cadre du système de règlement des
différends est posée pour la première fois par l’Organe d’appel dans son rapport
Essence :
« Il incombe à la partie qui invoque l’exception de démontrer qu’une mesure
provisoirement justifiée du fait qu’elle entre dans le cadre de l’une des exceptions
énoncées dans les différents paragraphes de l’article XX ne constitue pas, dans son
application, un abus de cette exception au regard du texte introductif »3.
L’Organe d’appel qui a consacré d’importants développements à la question de la
charge de la preuve dans son rapport États-Unis – Chemises précise à propos de
l’article XX du GATT qu’il fait partie « des exceptions limitées aux obligations
découlant de certaines autres dispositions du GATT de 1994 et non des règles
positives imposant des obligations en soi »4. L’Organe d’appel désigne ces exceptions
également sous le vocable de « moyens de défense affirmatifs ». Il estime que
lorsqu’une partie réfute la présomption d’incompatibilité des mesures en cause,
1 Traduction de l’adage latin Reus in excipiendo fit actor, CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9
e édition
mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, v° « Reus in excipiendo fit actor » - Maximes et adages de droit
français) 2 En droit français, la même règle est posée par l’article 9 du NCPC : « Il incombe à chaque partie de
prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». 3 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 25.
4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et
blouses, de laine, tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1, p. 18.
304
instaurée par l’établissement d’un prima facie case, « [i]l est tout simplement normal
qu’il incombe d’établir ce moyen de défense à la partie qui s’en prévaut »1. Si la règle
est théoriquement classique, son application dans le cadre de l’article XX du GATT
est plus contestable.
268. L’application discutable de la règle probatoire à l’article XX du GATT.
L’application à l’article XX du GATT de la règle générale d’attribution de la charge de
la preuve à la partie alléguant une exception est largement discutable. En effet, il pèse
sur celui qui invoque l’exception ce que certains ont appelé une double charge de la
preuve : l’État auteur de la mesure litigieuse doit non seulement établir la nécessité de
la mesure (preuve positive) mais également le fait que son application ne constitue ni
une discrimination arbitraire et injustifiable, ni une restriction déguisée au commerce
(preuve négative)2. Pour certains, cette deuxième preuve, d’application de bonne foi
de la mesure litigieuse, est une véritable preuve diabolique3. Selon ces mêmes auteurs,
cette probatio diabolica ne devrait pas peser sur l’État défendeur, en particulier parce
qu’elle est contraire au principe selon lequel la mauvaise foi ne se présume pas4. Ces
auteurs ont en particulier mis en évidence le fait que cette exigence de preuve de
bonne foi imposée à l’État auteur d’une mesure protectrice de la santé ou de
l’environnement ne tenait pas compte de l’objectif de développement durable, pourtant
inscrit dans le Préambule de l’Accord instituant l’OMC, et n’envisageait pas la
question de la preuve sur le long terme5. Se pose dès lors la question de savoir si ce
système permet réellement de faire prévaloir des politiques nationales destinées à
promouvoir des valeurs non commerciales sur les intérêts à court terme du
commerce, notamment du fait qu’une politique de prévention ne peut s’analyser
1 Ibid.
2 V. supra n° 42 s. ; V. également NGAMBI J., La preuve dans le règlement des différends de
l’Organisation Mondiale du Commerce, Bruylant, Bruxelles, 2010, pp. 182 s. 3 V. en ce sens JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V., « La sécurité alimentaire dans le droit de l’OMC ;
analyse critique et prospective », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie
alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa Rica), 2013, p. 261. 4 Ibid.
5 « En clair, il convient de ne pas considérer comme une restriction déguisée une mesure qui nuit au
commerce à court terme afin de satisfaire des objectifs d’intérêt général à long terme. Cela pourrait passer
par l’application d’une règle de raison faisant la balance entre les différents effets (pour le commerce et
pour l’Homme) de la mesure lorsque celle-ci n’est pas restrictive par son objet même » : Ibid.
305
comme une entrave légitime, quel que soit l’objectif à long terme par ailleurs
poursuivi 1. On rappellera une fois encore que la mise en place d’une telle présomption
de mauvaise foi s’explique par la crainte des organes de règlement des différends que
les États utilisent les motifs environnementaux et sanitaires pour mettre en place des
politiques en réalité protectionnistes2. Pourtant, cette présomption de mauvaise foi
étant pratiquement impossible à réfuter, le souci de neutraliser de fausses mesures
environnementales ou sanitaires se transforme en fait en obstacle probatoire
infranchissable, y compris pour les États de bonne foi. Ainsi, une fois encore, si la
répartition formellement classique de la charge de la preuve est tout à fait défendable,
l’objet de cette preuve impose à l’État auteur d’une mesure environnementale ou
sanitaire une charge probatoire fort discutable, parce qu’impossible.
La persistance de la présomption de protectionnisme : exemple de l’article 5.7 B.
de l’Accord SPS
269. L’exemple d’une disposition mouvante. L’examen de l’application des règles
probatoires à l’article 5.7, disposition mouvante, tour à tour qualifiée d’exception ou
de droit autonome3, permet avant tout de mettre en lumière le fait que ces qualificatifs
ne recouvrent aucune réalité substantielle : l’État tentant de justifier les mesures
environnementales ou sanitaires sur le fondement de cet article 5.7 se verra
constamment attribuer la charge probatoire principale de l’insuffisance des preuves
scientifiques disponibles, condition nécessaire à l’application de l’article4. In fine,
l’application confuse des règles probatoires à l’article 5.7 occulte le fait que les
mesures environnementales et sanitaires sont en fait systématiquement victimes d’une
présomption de protectionnisme qui les condamne.
270. Une évolution de qualification sans modification probatoire dans le rapport
OGM. Dans son rapport OGM, le Groupe spécial opère un revirement jurisprudentiel
1 DEL CONT C. et PIRONON V., « Cohérence », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.),
Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 170-171. 2 Concernant les raisons de la rigueur interprétative des Accords SPS et OTC, v. supra n° 209.
3 V. supra n° 136 s.
4 V. supra n° 139 s.
306
en considérant l’article 5.7 comme un droit assorti de réserve, et non plus une
exception. Il en tire les conséquences concernant l’attribution de la charge de la
preuve : « À notre avis, il en découle que dans les cas où une partie plaignante allègue
qu’une mesure SPS est incompatible avec l’article 5.1, il incombe à la partie
plaignante, et non à la partie défenderesse, de démontrer que la mesure contestée est
incompatible avec au moins l’une des quatre prescriptions énoncées à l’article 5.7 » 1
.
Le Groupe spécial semble appliquer la règle du prima facie case à l’article 5.7
considéré ici comme un droit autonome, attribuant la charge initiale d’un
commencement de preuve au plaignant. En réalité, il est difficile de faire la part des
choses dans le rapport du Groupe spécial, sur l’application de cette répartition de la
charge de la preuve. Ce dernier indique que, contrairement à la première et principale
condition d’application de l’article 5.7, les preuves scientifiques ne sont pas
insuffisantes, sans préciser qui s’est acquitté, ou aurait dû s’acquitter d’établir une
preuve2. Cette application confuse des règles probatoires à l’article 5.7 par le Groupe
spécial dans l’affaire OGM, se retrouve dans le rapport Hormones II de l’Organe
d’appel.
271. La confusion ajoutée par le rapport Hormones II. L’Organe d’appel n’a su être
plus clair dans le rapport suivant mettant en question la charge de la preuve dans
l’invocation de l’article 5.7 lors de l’affaire Hormones II. Alors que la question de
savoir à qui incombait la charge de prouver l’insuffisance des preuves scientifiques
était explicitement soulevée en appel, il l’élude par une pirouette en limitant ses
développements à la question de la charge de la preuve dans une situation d’après-
suspension du différend, lors de laquelle les parties ne sont pas d’accord sur le point
de savoir si une mesure de mise en œuvre entraîne automatiquement une présomption
de mise en conformité sur le fond. En l’occurrence, il estime que les Communautés
européennes, plaignantes dans cette procédure, devaient donner une description claire
1 Rapport du Groupe spécial « OGM », § 7.3000.
2 À cet imbroglio faut-il ajouter que le Groupe spécial n’a pas nécessairement à rendre compte du détail des
preuves apportées par chacune des parties, ni de leur recevabilité. Les organes de règlement des différends
semblent entretenir un mythe de la formulation de constatations au regard de l’ensemble des éléments de
preuve pris comme un tout, rendant ainsi les défauts de procédure inattaquables en matière probatoire.
Concernant les détails de la disqualification de la mesure litigieuse au regard de l’article 5.7, v. supra
n° 218 s.
307
de leur mesure de mise en œuvre et une explication appropriée concernant la manière
dont cette mesure remédiait aux incompatibilités constatées dans la procédure initiale1 .
L’Organe d’appel infirme le raisonnement adopté par le Groupe spécial qui s’était
fondé sur une présomption de bonne foi de la mise en conformité :
« Les Communautés européennes peuvent être présumées avoir agi de bonne foi en
adoptant la Directive 2003/74/CE, mais cela n'est pas une réponse à la question de
savoir si la Directive 2003/74/CE assurait la mise en conformité sur le fond. Ainsi, il
était incorrect que le Groupe spécial se soit fondé sur une présomption de mise en
conformité de bonne foi pour déterminer l'attribution de la charge de la preuve et
constater que les Communautés européennes avaient fourni des éléments prima
facie » 2
.
L’Organe d’appel finit par en déduire que les Communautés européennes devaient
fournir une explication adéquate de la façon dont l’interdiction provisoire établie au
titre de l’article 5.7 remédiait aux incompatibilités constatées dans l’affaire CE –
Hormones. Autrement dit, les Communautés européennes, auteurs de mesures
sanitaires, devaient une fois encore prouver leur bonne foi, alors même qu’elles étaient
plaignantes à l’instance, et qu’elles mettaient en cause les contre-mesures américaines
et canadiennes. Soit la qualification de droit autonome ou d’exception ne revêt aucun
enjeu, soit l’Accord SPS doit être vu comme une exceptio specialis3, ce qui revient au
même : les déclarations de principe des organes de règlement des différends,
consacrant l’autonomie des droits de choisir son propre niveau de protection, ou
d’adopter des mesures provisoire en situation d’incertitude scientifique, restent lettre
morte. La protection de la santé et de l’environnement n’a aujourd’hui à l’OMC qu’un
1 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 580.
2 Ibid., § 581.
3 V. en ce sens RUIZ FABRI H., « La prise en compte du principe de précaution par l’OMC », RJE, n° spécial
2000, p. 56 : « Cet accord fonctionne selon la même logique que le régime des exceptions. Il a en effet été
négocié en raison de la crainte que les États n’abusent de l’article XX en matière agricole. Et il a
notamment eu pour but de développer des critères pour faciliter l’évaluation de la nécessité d’une mesure
d’un point de vue sanitaire. Les obligations de procédure et de fond pesant sur les États se trouvent de ce
fait accrues ». V. dans le même sens TRUILHÉ-MARENGO E., « Contentieux sanitaires et environnementaux
à l’OMC. La gouvernance confiée aux experts ? », VertigO – La revue électronique en sciences de
l’environnement [En ligne], Hors-série 6, novembre 2009, mis en ligne le 12 novembre 2009, consulté le 3
décembre 2013, p. 2, note 4.
308
simple statut d’exception ; cet état de fait ne serait pas absurde si ces exceptions
étaient réellement effectives. Les règles de preuve mises en place par les organes de
règlement des différends participent au contraire à l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires, notamment parce que la charge probatoire est
constamment attribuée à la partie adoptant une mesure environnementale ou sanitaire.
À l’instar de l’application des règles de preuve à l’article XX du GATT, la charge
probatoire incombant aux États auteurs de mesures protectrices de la santé et de
l’environnement, se fondant sur l’Accord SPS, reflète insidieusement une présomption
de mauvaise foi de ces derniers. Si cette présomption de mauvaise foi est toujours
justifiée par le souci des organes de règlement des différends de neutraliser les
mesures instrumentalisant l’environnement et la santé pour adopter des mesures
protectionnistes1, elle n’entraîne pas moins une neutralisation de l’ensemble des
mesures environnementales et sanitaires, que les États ne sont jamais en mesure de
justifier.
1 Concernant les raisons de la rigueur interprétative des Accords SPS et OTC, v. supra n° 209.
309
272. Conclusion du Chapitre 1. La question de la charge probatoire revêt une grande
importance dans le déroulé et l’issue d’un procès. Or cette importance est décuplée
dans le cadre de litiges environnementaux et sanitaires, la preuve y étant avant tout
scientifique et d’une particulière sensibilité. Au regard du potentiel régulateur des
mécanismes probatoires, l’examen des règles de preuve que se choisit un système
juridique permet de révéler les valeurs qu’il adopte. L’application du régime sui
generis du prima facie case permet ainsi de mettre en lumière le refus des organes de
règlement des différends de garantir un juste équilibre entre les valeurs exclusivement
commerciales et les valeurs environnementales et sanitaires.
Pour certains, cette pratique de partage du fardeau de la preuve, d’alternance
successive de présomption et de réfutation, s’analyse comme une position médiane1.
Pour d’autres, il est possible de reprocher à cette conception classique d’avoir un
aspect trop théorique et de ne pas tenir compte des pouvoirs relativement étendus dont
dispose le Groupe spécial dans l’établissement des faits, en particulier dans les
situations d’incertitude scientifiques2. Il semble, en effet, que cette règle du prima
facie case, en paraissant attribuer classiquement la charge de la preuve à la partie
plaignante, occulte le fait que l’État auteur d’une mesure environnementale ou
sanitaire soit systématiquement présumé agir de mauvaise foi, dans une optique
protectionniste. Il lui incombe ainsi en pratique un fardeau probatoire excessivement
lourd, avant tout constitué par l’obligation d’établir scientifiquement la certitude d’un
risque sanitaire ou environnemental. L’enjeu probatoire des qualifications de droit
autonome (du droit de choisir son propre niveau de protection) ou d’exception
(d’adopter une mesure provisoire en cas d’insuffisance de preuves) est à ce titre
anéanti. L’État auteur d’une mesure environnementale et sanitaire se voit dans tous les
cas attribuer le fatidique risque de la preuve d’une certitude scientifique. Ces règles
1 RUIZ FABRI H, « Chronique du règlement des différends », JDI, 1999, 2, p. 485. Entretenant cette
interprétation, le Groupe spécial dans son rapport Argentine – Chaussures parle de « collaboration » entre
les parties. 2TRUILHÉ E., « Les règles relatives à la preuve : quelle place pour l’incertitude scientifique ? », in
MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’Organisation Mondiale du Commerce et protection de
l’environnement, op. cit., p. 454.
310
procédurales semblent empêcher intrinsèquement toute éventualité de conclusion de
compatibilité des mesures environnementales et sanitaires avec le droit de l’OMC.
Pourtant, certains États membres ont d’ores et déjà amorcé des débats relatifs à
l’attribution de la charge de la preuve dans un esprit de précaution. Les Communautés
européennes ont par exemple proposé de renverser la charge de la preuve quand la
mesure est adoptée en vertu d’un Accord environnemental multilatéral (AEM)1 dans le
cadre du Comité du Commerce et de l’Environnement de l’OMC. Dans le même esprit,
la Suisse a pu envisager la mise en place d’une présomption de conformité aux
accords des mesures commerciales prises en application d’un AEM2. Ces projets
paraissent aujourd’hui totalement irréalisables au vu de l’état actuel des règles
procédurales. L’équilibre de la charge probatoire, entre commerce, santé et
environnement, semble in fine se trouver, non pas dans la question formelle de la
charge de la preuve, mais dans l’objet de la preuve : à l’instar de l’Union européenne,
les organes de règlement des différends devraient enfin accepter de prendre en compte
l’incertitude scientifique, intrinsèquement caractéristique des domaines
environnementaux et sanitaires, plutôt que de faire de leur conception absolutiste de la
science le meilleur alibi du libre-échange.
Les réflexions relatives à la charge probatoire renvoyant de fait à l’objet de la preuve,
elles poussent dès lors à s’interroger plus avant sur les modalités d’appréciation des
éléments de preuve dans le cadre du système de règlement des différends. En effet, le
régime probatoire n’est pas le seul instrument procédural favorisant la mise en cause
des mesures protectrices : un autre obstacle majeur à l’effectivité des exceptions
environnementales et sanitaires semble résider dans l’instauration par les organes de
règlement des différends d’un clivage discutable de leurs compétences en matière
d’appréciation des éléments de preuve.
1
Communication du 19 octobre 2000, WT/CTE/W/170, disponible sur le site internet de l’OMC :
www.wto.org. 2 Communication du 19 octobre 2000, WT/CTE/W/168.
311
CHAPITRE 2.
UNE NEUTRALISATION AU REGARD DE LA RÉPARTITION DES
COMPÉTENCES EN MATIÈRE D’APPRÉCIATION DES ÉLÉMENTS DE
PREUVE
273. La répartition traditionnelle des compétences en matière d’appréciation des
éléments de preuve. Au regard de la sensibilité des éléments de preuve, avant tout
scientifiques, dans les litiges environnementaux et sanitaires, leur appréciation par le
juge est décisive dans l’issue du procès. L’appréciation des éléments de preuves
consiste pour le juge à les examiner minutieusement afin de pouvoir se déclarer
convaincu ou non de l’existence des faits allégués par les parties1. L’appréciation des
preuves par le juge est dès lors un « élément fondamental de la fonction
juridictionnelle »2. Cette fonction d’appréciation est décisive, par exemple quant à la
recevabilité de l’évaluation des risques présentée par un État membre pour justifier
son adoption d’une mesure environnementale ou sanitaire litigieuse. En droit interne,
l’appréciation des preuves proprement dite relève du pouvoir souverain des juges du
fond ; cependant, la Cour de cassation assure un contrôle, non pas de l’interprétation
elle-même, mais de la légitimité de l’opération d’interprétation en cassant les
décisions portant dénaturation des pièces produites à titre de preuve3. Les organes de
règlement des différends de l’OMC obéissent, de prime abord du moins, à la même
logique, en répartissant leurs compétences entre les deux degrés de juridiction : les
Groupes spéciaux sont souverains dans leur appréciation des éléments factuels, et
l’appel est limité aux seules questions de droit, comme dans le cadre d’un pourvoi en
cassation4. Toutefois, pour remplir son rôle de « contrôle de l’exactitude des décisions
judicaires »5, la Cour de cassation appréhende largement la notion de droit et opère
1 MOURALIS J.-L., « La Preuve. (2° règles de preuve) », Rép. Droit civil, Dalloz, Janv. 2011, n° 597.
2 Ibid., n° 619.
3 Ibid., n° 605 et 610 à 625.
4 V. en ce sens GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation
mondiale du commerce », op. cit., p. 91. 5
MOTULSKY H., Principes d'une réalisation méthodique du droit privé - La théorie des éléments
générateurs des droits subjectifs, 1948, réimpression Dalloz, 1991, n° 140.
312
parfois un contrôle factuel1. À l’inverse, le clivage des compétences entretenu par les
organes de règlement des différends est discutable au regard de son application
manichéenne.
274. Une application manichéenne de la répartition des compétences. Les organes
de règlement des différends se fondent sur l’article 17.6 du Mémorandum d’Accord
pour justifier la répartition de leurs compétences respectives. Celui-ci dispose que
« l’appel sera limité aux questions de droit couvertes par le rapport du groupe spécial
et aux interprétations du droit données par celui-ci » 2
. L’Organe d’appel en a ainsi
déduit que l’examen et la pondération des éléments de preuves « sont liés à
[l’]appréciation des faits [du groupe spécial] et n’entrent donc pas dans le champ de
l’appel » 3
. Les questions d’appréciation des éléments de preuve relèveraient ainsi
exclusivement de la compétence des Groupes spéciaux, dont le mandat est régi par
l’article 7.1 du Mémorandum d’Accord4.
S’appuyant sur ces textes, l’Organe d’appel a refusé de se livrer à un véritable contrôle
de l’appréciation des éléments de preuve faite par les Groupes spéciaux. Ceux-ci ont
dès lors acquis une autonomie telle qu’ils ont la responsabilité quasi-exclusive de la
constatation des faits, alors que l’issue des litiges environnementaux et sanitaires est
largement tributaire de l’appréciation des éléments de preuve. Or, le point
d’achoppement de ces différends réside justement le plus souvent dans l’appréciation
par les Groupes spéciaux de l’évaluation des risques scientifiques présentée par les
États5. En effet, pour être valides, les mesures environnementales et sanitaires doivent
être « basées sur » une évaluation scientifique attestant de l’existence d’un risque6.
1 AUBERT J-P., « La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile », Dalloz,
2005, pp. 1115-1121. 2 L’Organe d’appel a par exemple cité l’article dans son rapport « Hormones I », § 132.
3 Rapport de l’Organe d’appel « Australie – Saumons », § 261.
4 Article 7.1 du Mémorandum d’accord (« Mandat des Groupes spéciaux ») : « Examiner, à la lumière des
dispositions pertinentes de (nom de l'(des) accord(s) visé(s) cité(s) par les parties au différend), la question
portée devant l'ORD par (nom de la partie) dans le document ...; faire des constatations propres à aider
l'ORD à formuler des recommandations ou à statuer sur la question, ainsi qu'il est prévu dans ledit (lesdits)
accord(s) ». 5 V. supra n° 211 s.
6 Article 5.1 de l’Accord SPS : « Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou
phytosanitaires soient établies sur la base d'une évaluation, selon qu'il sera approprié en fonction des
313
Une mauvaise appréciation de cette évaluation fausse fondamentalement l’issue du
différend. C’est donc d’un enjeu d’exactitude et d’équité qu’il s’agit ici : si la mesure
est confortée par une évaluation des risques conforme aux textes, elle sera réputée
justifiée au nom de la protection de la santé ou de l’environnement et déclarée
compatible avec le droit de l’OMC ; si au contraire l’évaluation des risques est jugée
non conforme aux prescriptions textuelles et jurisprudentielles, la mesure sera réputée
avoir été adoptée sans justification, et déclarée incompatible avec le droit de l’OMC,
parce qu’assimilée à un protectionnisme déguisé. L’enjeu étant de taille, les principes
et modalités d’appréciation de ces évaluations scientifiques devraient être
extrêmement rigoureux. Or, les incertitudes récurrentes concernant le mandat des
Groupes spéciaux en la matière et les limites du contrôle assuré par l’Organe d’appel
constituent des obstacles au bon déroulement de ces délicates et cruciales
appréciations. Les organes de règlement des différends instituant un cloisonnement
rigide de leurs compétences respectives, les Groupes spéciaux ont dès lors acquis un
pouvoir souverain en matière d’appréciation des éléments de preuve (SECTION 1), que
l’Organe d’appel ne consent contrôler qu’a minima (SECTION 2).
SECTION 1. DES ÉLÉMENTS DE PREUVE APPRÉCIÉS SOUVERAINEMENT
PAR LES GROUPES SPÉCIAUX
275. Les aspects processuels de l’appréciation des éléments de preuve. À l’instar des
juges du fond en droit interne1, les Groupes spéciaux sont dotés d’un pouvoir
souverain en matière d’appréciation des faits. L’obstacle à l’effectivité des exceptions
sanitaires et environnementales réside alors dans l’usage que font les Groupes
spéciaux de ce pouvoir. La doctrine a déjà pu dénoncer les verrous relatifs à
l’appréciation des éléments de preuve se situant sur un plan matériel. Ceux-ci résident
circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des
végétaux, compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations
internationales compétentes ». 1 En droit interne, l'étendue du pouvoir d'appréciation du juge du fond est variable : quand la loi ne fixe pas
elle-même la force probante de certaines preuves, le juge du fond bénéficie d'une liberté d'appréciation très
large, sous réserve de ne pas se rendre coupable de dénaturation : v. FERRAND F., « Preuve », Répertoire de
Procédure Civile, Dalloz, 2013, n° 540 et s.
314
notamment dans les exigences de plausibilité du risque, et dans les obligations de
cohérence et de proportionnalité des mesures litigieuses1
. Toutefois, c’est plus
généralement sur le plan processuel que semble résider le principal obstacle à
l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaire : « le contrôle auquel [les
conditions de compatibilité] donnent lieu, soigneux, souvent intrusif, pourrait bien
permettre aux institutions souvent chargées de trancher les conflits, de s’immiscer
dans l’appréciation nationale du ‘risque acceptable’, voire de la réinterpréter »2. En
guise de faits et de preuves, ce sont avant tout les évaluations des risques justifiant les
mesures environnementales et sanitaires qui sont discutées. Celles-ci sont laissées à
l’entière disposition des panels, au nom de la répartition des compétences factuelles et
juridiques entre les deux degrés de règlement des différends. Se pose dès lors la
question des moyens dont disposent les Groupes spéciaux pour mesurer la portée à
attribuer aux éléments de preuve soumis par les parties3. Or, l’Organe d’appel a
accordé des moyens tellement étendus aux Groupes spéciaux , que ces derniers ont
aujourd’hui mis en place une pratique extrêmement rigoureuse de contrôle, non
seulement de la forme, mais surtout du fond scientifique de ces évaluations des
risques4. C’est ainsi que toutes les évaluations des risques soumises aux organes de
règlement des différends pour justifier l’adoption de mesures SPS ont été disqualifiées,
le plus souvent pour des motifs scientifiques et techniques de fond5. Les Groupes
spéciaux semblent dès lors user de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments
de preuve pour s’ériger en scientifiques, plutôt qu’en juristes, se contentant de statuer
sur la rigueur formelle des procédures ayant permis l’établissement des évaluations
des risques qui leur sont soumises6. L’étendue du pouvoir des Groupes spéciaux dans
1 V. notamment NOIVILLE C., Du bon gouvernement des risques, PUF, Les voies du droit, Paris, 2003, pp.
149-163 ; RUIZ FABRI H., « La prise en compte du principe de précaution par l’OMC », RJE, n° spécial
2000, pp. 64-65. Pour de plus amples développements sur l’appréciation matérielle des éléments de preuve,
v. supra n° 210 s. 2 NOIVILLE C., Du bon gouvernement des risques, op. cit., p. 156.
3 GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation mondiale du
commerce », op. cit., p. 88. 4 Sur cette pratique des Groupes spéciaux de contrôle scientifique et technique des évaluations des risques
soumises par les parties au titre de l’article 5.1 de l’Accord SPS, v. supra n° 212 s. 5 Ibid.
6 Ibid.
315
l’appréciation et la recherche des éléments de preuve amène ainsi l’observateur à
interroger la nature même de la procédure.
276. Une procédure de nature inquisitoire. Ne tendrait-on pas vers un système
judiciaire inquisitoire1
? Les Groupes spéciaux seraient-ils devenus les juges
d’instruction des litiges environnementaux et sanitaires ? Or, cette figure du juge
d’instruction, caractéristique du droit pénal français, est loin de faire l’unanimité et
soulève de nombreuses questions : comment concilier les deux fonctions, de
juridiction et d’investigation2 ? Daniel SOULEZ LARIVIÈRE appréhende ce cumul de
fonctions comme une « contradiction », allant à l’encontre du dicton populaire, selon
lequel nul ne doit être juge et partie3. Partant de l’idée que cette recherche d’une vérité
entraine nécessairement l’adhésion de la conscience, il appelle à supprimer cette
fonction, pour revenir à un système accusatoire plus respectueux du principe du
contradictoire4. En droit interne, le système procédural n’a jamais été accusatoire à
proprement parler, en octroyant au juge un rôle purement passif, dont la conviction ne
s’établirait que sur les apports des parties5. On observe même un glissement assez net
de notre système procédural vers un système de type inquisitoire, cherchant à faciliter
la recherche des preuves afin que le plus rusé ne l’emporte pas sur celui dont la cause
est la plus juste6. Si le droit positif reconnaît désormais expressément au juge le
pouvoir de contribuer d’office à la recherche de la vérité7, il existe des restrictions à la
1 « Inquisitoire » peut être défini comme le « caractère d’une procédure dans laquelle tout initiative vient
du juge » et plus étroitement comme le « caractère d’un système de preuve dont le juge a la maîtrise »
(CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9e édition mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, V°
« Inquisitoire »). Le qualificatif d’« inquisitoire » est traditionnellement opposé à celui d’« accusatoire »,
lui-même défini comme le « caractère d’une procédure dans laquelle les parties ont, à titre exclusif ou au
moins principal, l’initiative de l’instance, de son déroulement et de son instruction ; se dit aussi du principe,
qui dans un type de procédure, confère aux parties un tel rôle » (CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 9e
édition mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, V° « Accusatoire »). 2 SOULEZ LARIVIÈRE D., Justice pour la justice, Seuil, Paris, 1990, p. 243.
3 Ibid.
4 Ibid., pp. 240-254.
5 V. sur cette question v. NORMAND J., Le juge et le litige, LGDJ, 1965, n° 353. Précisons d’ailleurs que les
différentes procédures existantes peuvent rarement être qualifiées de purement accusatoires ou inquisitoires,
mais se contentent de s’inscrire dans une tendance. Ainsi, « cette distinction n’est pas sans vertu
pédagogique, mais il est douteux qu’elle rende compte de la réalité des procédures » : CADIET L.,
NORMAND J. et AMRANI MEKKI S., Théorie générale du procès, Puf, Paris, 2010, p. 380. 6 MOURALIS J.-L., « La Preuve. (2° règles de preuve) », Rép. Droit civil, Dalloz, Janv. 2011, n° 557.
7 V. notamment l’article 10 du Code de procédure civile disposant que « le juge a le pouvoir d’ordonner
d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles », ou l’article 143 du même code énonçant
316
libre recherche des preuves, constituant en quelque sorte, une « morale de la preuve »1.
Ces limites résident dans l’exigence d’une possibilité de discussion des preuves par les
parties, justifiant le respect du principe du contradictoire, et dans des principes
généraux plutôt relatifs au fond du droit, tels que le respect de la vie privée, ou de
l’intégrité physique2. Le droit positif de l’OMC ne comprend pas de telles limites.
Alors que l’Organe d’appel accorde aux Groupes spéciaux un pouvoir d’instruction
étendu, en particulier en matière scientifique, il ne pose que peu de limites. Dans une
logique régulatrice, cette tendance inquisitoire devrait être infléchie3 : un système plus
équilibré, accordant par exemple une plus grande déférence aux preuves présentées
par les parties, relèverait davantage d’une approche de précaution, notamment parce
qu’il permettrait une fois encore d’admettre la relativité scientifique et judiciaire,
intrinsèque aux domaines environnementaux et sanitaires4.
Témoignant une fois encore de son refus de privilégier une telle approche de
précaution, l’Organe d’appel a, au contraire, instauré le principe d’une toute-puissance
des panels dans l’appréciation des éléments de preuve (§1), dont ces derniers usent
immodérément en adoptant des politiques d’investigation de plus en plus
intrusives (§2).
que « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de
toute mesure d’instruction légalement admissible ». 1 DENIS J.-B., « Quelques aspects de l’évolution récente du système des preuves en droit civil », RTD Civ.,
1977, p. 671 2 V. MOURALIS J.-L., « La Preuve. (2° règles de preuve) », Rép. Droit civil, Dalloz, Janv. 2011, n° 558 à
595. 3 V. dans le même sens TRUILHÉ-MARENGO E., « Contentieux sanitaires et environnementaux à l’OMC. La
gouvernance confiée aux experts ? », VertigO – La revue électronique en sciences de l’environnement [En
ligne], Hors série 6, novembre 2009, mis en ligne le 12 novembre 2009, consulté le 3 décembre 2013, p. 2. 4V. par exemple, la discussion menée par Raphaël ENCINAS DE MUNAGORRI concernant l’expertise. Il
souligne que les systèmes inquisitoires inclinent à une conception trop unitaire et opaque de l’expertise, et
qu’en comparaison, les procédures à caractère accusatoires sont plus favorables à la mise en place d’une
expertise contradictoire, plus appropriée à une approche de précaution : ENCINAS DE MUNAGORRI R.,
Expertise scientifique et décision de précaution, R.J.E., 2000, n° spécial, p. 73.
317
LA TOUTE-PUISSANCE DES PANELS DANS L’APPRÉCIATION DES § 1.
ÉLÉMENTS DE PREUVE
277. Semblant par là même renoncer à sa fonction de contrôle des solutions rendues en
première instance, et bouleversant l’équilibre existant par exemple en droit interne
entre les différents degrés de juridictions, l’Organe d’appel a conféré aux Groupes
spéciaux une compétence non seulement exclusive (A), mais également
particulièrement étendue (B) en matière d’appréciation des éléments de preuve.
L’exclusivité des panels dans l’appréciation des preuves A.
278. L’attribution de la compétence exclusive d’appréciation des preuves. L’Organe
d’appel a rappelé à maintes reprises son interprétation stricte de la règle de répartition
des compétences posée par l’article 17.6 du Mémorandum d’Accord selon laquelle les
Groupes spéciaux sont seuls compétents pour établir des constatations de fait : il
estime que s’il est compétent pour statuer sur des conclusions ou des interprétations
juridiques, les « constatations de fait » relèvent en principe de la compétence
exclusive des Groupes spéciaux1. Il comprend notamment dans ces questions de fait
« la question de savoir si un certain évènement a effectivement eu lieu dans le temps et
dans l’espace » ou « la question de savoir si le Codex a adopté ou non une norme, une
directive ou une recommandation internationale »2. De manière générale, il rappelle
ainsi que « la question de la crédibilité d’un élément de preuve donné et de
l’importance à lui accorder fait partie intégrante du processus d’établissement des
faits et est laissée, en principe, à la discrétion d’un groupe spécial » 3
. L’Organe
d’appel reconnait ainsi aux Groupes spéciaux le pouvoir souverain d’appréciation des
éléments factuels, excluant sa propre compétence. Il parle alors de « marge
d’appréciation » ou de « pouvoir discrétionnaire »4 du Groupe spécial. Il présente ce
« pouvoir, et son étendue » comme « nécessaires pour permettre à un groupe spécial
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 132.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Par exemple dans son Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 161.
318
de s’acquitter de la tâche que lui impose l’article 11 du Mémorandum d’Accord –
‘procéder à une évaluation objective de la question dont il est saisi, y compris une
évaluation objective des faits de la cause, de l’applicabilité des dispositions des
accords visés pertinents et de la conformité des faits avec des dispositions »1
.
L’Organe d’appel institue l’article 11 du Mémorandum d’Accord comme mandat du
Groupe spécial, ou du moins l’assimile à un critère lui permettant de contrôler que le
Groupe spécial a bien respecté son mandat2. Ce mandat d’évaluation objective des
faits impliquerait non seulement la compétence des Groupes spéciaux en matière
d’appréciation des éléments de preuve, mais surtout le caractère exclusif de ce pouvoir
au détriment d’un contrôle par l’Organe d’appel. En effet, tout en affirmant le
caractère exclusif de la compétence des Groupes spéciaux en matière d’appréciation
des éléments de preuve, l’Organe d’appel refuse explicitement d’empiéter dessus.
279. Le refus de l’Organe d’appel d’empiéter sur la compétence des Groupes
spéciaux. En déclarant l’exclusivité du Groupe spécial en matière d’appréciation des
éléments de preuve, l’Organe d’appel a pu préciser son refus d’« empiéter à la
légère » 3 sur l’appréciation par le Groupe spécial des éléments de preuve : il refuse
ainsi d’intervenir « simplement » parce qu’il aurait pu parvenir à « une constatation
factuelle différente de celle à laquelle le Groupe spécial est parvenu » ; plus avant,
seule « la conviction que le Groupe spécial a outrepassé les limites du pouvoir
discrétionnaire dont il dispose pour juger les faits, dans son appréciation des éléments
de preuve » est susceptible de le faire intervenir dans le processus d’appréciation des
éléments de preuve 4
. L’Organe d’appel admet ainsi explicitement que les litiges soient
tranchés sur la base d’appréciations erronées des éléments de preuve, sauf à ce que la
partie qui s’estime lésée prouve la mauvaise foi ou l’intention délibérée du Groupe
spécial d’écarter des éléments de preuve pour que l’Organe d’appel accepte d’infirmer
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur le
règlement des différends, WT/DS58/AB/RW, adopté le 21 novembre 2001, § 106. 2 Cette idée sera plus amplement développée infra n° 301 s.
3 V. le Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis – Gluten de froment », note 225, § 151., notamment cité
par Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 299. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 229.
319
les constatations factuelles de ce dernier1. Le caractère extrême de cette application du
partage des compétences entre le fait et le droit apparaît à la lumière de la pratique
plus subtile et nuancée de la Cour de cassation en droit interne : cette dernière n’hésite
pas à empiéter sur le pouvoir souverain des juges du fond dans le cadre du contrôle de
la dénaturation de certains éléments de preuve, dans l’optique d’ « assurer le respect
de la vérité des actes »2. La Cour de cassation a ainsi transcendé son rôle premier
d’« organe d’interprétation de la loi », en l’étendant à celui d’« application de la loi »,
lui permettant de devenir véritablement un « juge des jugements »3. En comparaison,
le pragmatisme de l’Organe d’appel prend le pas sur son souci d’équité de la solution
rendue.
Non seulement l’Organe d’appel consacre une exclusivité totale des Groupes spéciaux
en matière d’appréciation des éléments de preuve, mais il admet que, conséquemment,
les erreurs factuelles survenues en première instance ne sauront être systématiquement
corrigées en appel. La logique d’exclusivité des panels en matière probatoire est
poussée à un tel degré que l’Organe d’appel préfère tolérer des constatations factuelles
erronées plutôt que d’assouplir la frontière de leurs compétences respectives.
L’Organe d’appel verrouille ainsi les constatations de faits établies par le Groupe
spécial en rappelant le seuil très élevé de violation de leur mandat par les Groupes
spéciaux. Cette compétence des panels en matière d’appréciation des éléments de
preuve, est non seulement exclusive, mais également très étendue.
1 Pour de plus amples développements sur ce point, v. supra n° 175 s. L’Organe d’appel a réitéré la même
idée dans son rapport Japon – Pommes : « Conformément à cette marge discrétionnaire, l’Organe d’appel
a reconnu que ‘les erreurs d’appréciation des éléments de preuve ne [pouvaient] pas toutes (encore que ce
point puisse poser une question de droit) être considérées comme un manquement à l’obligation de
procéder à une évaluation objective des faits’. Lorsqu’il examine des allégations au titre de l’article 11 du
Mémorandum d’accord, l’Organe d’appel ne ‘détermine[ ] pas à nouveau, après le Groupe spécial, la
valeur de preuve [d’]études ni les conséquences, le cas échéant, des défauts allégués [que] présentent [les
éléments de preuve]’.[ …] Dans les cas où les parties contestant l’établissement des faits par un groupe
spécial au titre de l’article 11 n’ont pas établi qu’un groupe spécial outrepassait les limites du pouvoir
discrétionnaire dont il disposait pour juger les faits, l’Organe d’appel n’a pas ‘empiét[é]’ sur les
constatations du groupe spécial » : Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 222. 2 AUBERT J-P., « La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile », Dalloz,
2005, pp. 1115-1121. 3 Ibid.
320
L’étendue du pouvoir des panels dans l’appréciation des preuves B.
280. La libre disposition des éléments de preuve. De manière générale, la marge
discrétionnaire des Groupes spéciaux consiste en une libre disposition des preuves qui
leur sont soumises par les parties au différend. L’Organe d’appel a posé explicitement
la règle de compétence du Groupe spécial pour ce qui est de « [l]a question de la
crédibilité d'un élément de preuve donné et de l'importance à lui accorder », c'est-à-
dire « l'appréciation dudit élément de preuve » en tant que partie intégrante du
« processus d'établissement des faits »1. Le Groupe spécial est notamment libre « de
décider quelles preuves il choisit d’utiliser pour faire ses constatations »2. Cette
« marge discrétionnaire » pour juger les faits est reconnue aux Groupes spéciaux de
manière constante dans les rapports ultérieurs, en particulier dans le cadre des affaires
environnementales et sanitaires3. Ceux-ci sont donc libres de ne pas attribuer aux
éléments factuels probants des parties les mêmes sens et poids que celles-ci leur
donnent4, et peuvent décider que certains éléments de preuve sont plus importants que
d’autres5. En outre, cette pondération des éléments de preuve n’a pas à être détaillée
par le Groupe spécial qui peut tirer des constatations de fait du tout qu’elles forment
« ensemble »6. Il bénéficie ainsi d’une plus grande marge de manœuvre, notamment en
ce que les parties ne peuvent lire l’appréciation détaillée qu’il a pu faire de chacun des
différents éléments de preuve. En réalité, le pouvoir des Groupes spéciaux, qualifié par
l’Organe d’appel d’« ample et étendu » à la lecture conjointe des articles 12 et 13 du
1 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 132.
2 Ibid., § 135.
3 V. en particulier les déclarations dans les Rapports de l'Organe d'appel « Amiante », § 161 ; « Sardines »,
§ 299 ; « Japon - Produits agricoles II », §§ 141 et 142; « Australie – Saumons », § 266 ; « Japon –
Pommes », § 221. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Saumons », § 267.
5 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », § 161.
6 Rapport de l'Organe d'appel Corée – Mesure de sauvegarde définitive appliquée aux importations de
certains produits laitiers, WT/DS98/AB/R, adopté le 12 janvier 2000, § 137. Sur cette approche globale par
les Groupes spéciaux de l’ensemble des éléments de preuve, certains ont avancé que « le fonctionnement de
tout le système de preuve confirme cette approche [non contentieuse du règlement des différends]. Il y a un
refus très net d’une approche qui transformerait charge et séquence de la preuve en partie de ping-pong
dont chaque étape ne pourrait être franchie que si les éléments nécessaires ont été à chaque fois fournis.
C’est au contraire une approche globale qui a été choisie au nom d’une conception finaliste et pragmatique
qui privilégie la solution effective des différends » : RUIZ FABRI H., Le règlement des différends de
l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation d’un droit , in Mélanges en l’honneur de Philippe
KAHN, Paris, Litec, 2000, p. 308.
321
Mémorandum d’Accord, est interprété de manière extensive puisqu’il consiste à
« engager et […]contrôler le processus par lequel il s’informe aussi bien des faits
pertinents de la cause que des normes et principes juridiques applicables à ces faits »
1. Les Groupes spéciaux disposent ainsi librement des éléments de preuve qui leur sont
soumis, de manière analogue aux juges du fond en droit interne2. Leur pouvoir paraît
pourtant encore plus étendu, au regard du refus de l’Organe d’appel de le contrôler de
manière approfondi3. L’Organe d’appel justifie l’autonomie des Groupes spéciaux par
des motifs pragmatiques d’efficacité du procès, lesquels laissent alors entrevoir la
toute-puissance des panels dans l’appréciation des éléments de preuve.
281. Une étendue du pouvoir justifiée par la recherche d’efficacité du procès. Le
pouvoir discrétionnaire des Groupes spéciaux en matière d’établissement des faits et
d’appréciation des éléments de preuve est d’autant plus étendu que l’Organe d’appel
en souligne la flexibilité, pour des motifs d’efficacité du système de règlement des
différends. Dans cette optique, il a précisé que « les erreurs d’appréciation des
éléments de preuve ne [pouvaient] pas toutes […] être considérées comme un
manquement à l’obligation de procéder à une évaluation objective des faits » 4
.
Poussant plus loin le cloisonnement des compétences entre les deux instances,
l’Organe d’appel ajoute qu’y compris en cas d’examen d’allégation de violation de
l’article 11 du Mémorandum d’Accord, il ne peut pas « déterminer à nouveau, après le
groupe spécial, la valeur de preuve [d’]études ni les conséquences, le cas échéant, des
défauts allégués [que] présentent [les éléments de preuve] »5
. Il y a lieu de
s’interroger sur l’incidence de telles erreurs ou différences d’appréciation des éléments
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, § 106. 2 Certains auteurs considère ainsi qu’« il est aisé [en droit interne] de constater que la liberté du juge est la
règle en matière d’appréciation des preuves », et que les limitations posées par la loi à la souveraineté des
juges sont l’exception. Le juge du fond doit néanmoins respecter certaines règles pour éviter l’arbitraire,
telles que l’obligation de motiver ses décisions de façon logique et suffisante, ou de répondre aux
conclusions qui leur sont présentées : v. MOURALIS J.-L., « La Preuve. (2° règles de preuve) », Rép. Droit
civil, Dalloz, Janv. 2011, n° 615 s. 3 V. infra n° 299 s.
4 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 133 ; repris également dans le Rapport de l'Organe d'appel
« Japon – Pommes », § 222. 5 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Pommes », § 222, citant le Rapport de l'Organe d'appel « Amiante »,
§ 177, citant le rapport de l'Organe d'appel « Corée – Boissons alcooliques », § 161.
322
de preuve dans des affaires environnementales et sanitaires, où l’évaluation des
risques constitue le noyau dur des éléments factuels et conditionne directement l’issue
du litige1. Avec de telles déclarations, l’Organe d’appel admet ainsi le fait qu’il peut
rendre des solutions en droit (la mesure environnementale ou sanitaire litigieuse est
incompatible avec le droit de l’OMC car elle n’est pas justifiée par une évaluation des
risques en bonne et due forme), fondées sur une mauvaise appréciation des éléments
factuels (l’établissement ou non de l’existence d’un risque sanitaire ou
environnemental). Plus avant, l’Organe d’appel a pu, à l’occasion, répondre à des
allégations d’irrégularité de la procédure pour mauvaise appréciation des éléments de
preuve par un Groupe spécial, en arguant que « la procédure des Groupes spéciaux
devrait offrir une flexibilité suffisante pour que [leurs rapports] soient de haute
qualité sans toutefois retarder indûment les travaux des groupes »2. La limite à
l’étendue du pouvoir discrétionnaire des Groupes spéciaux qu’est la régularité de la
procédure serait-elle remise en cause au nom de l’efficacité et de la rapidité du
règlement des différends 3?
L’Organe d’appel a ainsi accordé aux Groupes spéciaux un pouvoir exclusif et étendu
en matière d’appréciation des éléments de preuve. Ceux-ci en ont fait un usage
extensif en adoptant une politique générale d’investigation, en particulier en ce qui
concerne les évaluations des risques menées par les États adoptant des mesures
protectrices.
L’USAGE EXTENSIF PAR LES PANELS DE LEUR LIBERTÉ § 2.
D’INVESTIGATION
282. Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’appréciation des éléments de
preuve, les panels ont adopté une politique d’investigation des faits poussée dans les
1 V. supra n° 211 s.
2 Il s’agissait par exemple de l’Australie qui, dans l’affaire Saumons, contestait la régularité de la procédure,
au motif que le Groupe spécial avait accepté d’examiner des éléments de preuve présentés par le Canada
après la date limite fixée par le Groupe spécial. La réponse de l’Organe d’appel, relative à la « flexibilité
suffisante » de la procédure des Groupes spéciaux, se fonde sur l’article 12.2 du Mémorandum d’accord : v.
Rapport de l’Organe d’appel « Australie – Saumons », § 272. 3 V. infra n° 313 s.
323
différends environnementaux et sanitaires. Celle-ci est particulièrement prégnante en
ce qui concerne l’appréciation par les Groupes spéciaux des évaluations des risques -
présentées par les États pour justifier l’adoption d’une mesure sanitaire ou
environnementale. La souveraineté des Groupes spéciaux en matière probatoire est
telle qu’elle rapproche la procédure mise en œuvre des systèmes de type inquisitoires,
lesquels semblent moins enclins aux approches de précaution que les procédures à
caractère accusatoire1. Ils paraissent maîtriser totalement le système de preuve et se
rapprocher dangereusement de la figure du juge d’instruction2
. Le système de
règlement des différends semble par là même déposséder les parties des faits et
preuves qu’elles présentent dans une attitude de défiance. Se distinguant de la
tendance du juge européen à restreindre son contrôle en matière d’évaluation des
risques3, les Groupes spéciaux ont poursuivi une politique d’investigation croissante
(A), qui s’illustre de manière particulièrement frappante dans sa pratique de l’expertise,
devenue son mode privilégié d’appréciation des éléments de preuve (B).
Une politique d’investigation croissante A.
283. L’absence d’équilibre entre contrôle de fond et de forme des données
scientifiques. Les Groupes spéciaux contrôlent étroitement les preuves que les États
présentent pour justifier leur adoption de mesures environnementales ou sanitaires.
Cette tendance présente le risque que les Groupes spéciaux empiètent sur le droit des
États membres d’autodéterminer leur niveau de protection. Les droits internes et
1 Sur la tendance inquisitoire du système de règlement des différends, et la correspondance entre système
accusatoire et approche de précaution, v. supra n° 276. 2 Ibid.
3 À l’inverse, le juge européen a fortement limité son contrôle. Il pratique certes un contrôle de légalité
externe rigoureux, en appréciant strictement la compétence et le respect des règles de forme et la procédure
(V. notamment TPICE, 11 septembre 2002, aff. T13/99, Pfizer Animal Health/Conseil et TPICE, 11
septembre 2002, aff. T-70/99, Apharma/Conseil.). Il a en revanche tendance à s’autolimiter dans le cadre
d’un contrôle de légalité interne timide, en se refusant à étendre son contrôle à l’analyse du risque faite par
l’autorité compétente. Il cantonne son contrôle du bien-fondé des mesures de précaution à celui de
l’« erreur manifeste d’appréciation », voire de l’arbitraire et du détournement de pouvoir. Il exerce au plus
un contrôle de proportionnalité visant à vérifier que les mesures sont proportionnées au but recherché
(CJCE, 14 juillet 1983, aff. 174/82, Sandoz/Commission et 12 mars 1987, aff. 178/84,
Commission/Allemagne, dite « Réglementation allemande sur la pureté de la bière »). Pour un avis
contraire, v. NOIVILLE C., « Principe de précaution et Organisation mondiale du commerce – Le cas du
commerce alimentaire », JDI, 2000/2, p. 280.
324
européen ont par exemple fait le choix d’un contrôle limité du bien-fondé des
décisions1, équilibré par un contrôle rigoureux du respect de la procédure
2. La
régulation environnementale et sanitaire s’opère ainsi entre une certaine indulgence
concernant le bien fondé du dispositif de précaution, tel que les conclusions
scientifiques de fond établissant la possibilité d’un risque pour la santé ou
l’environnement, et une rigueur sur les procédures que la loi a prévues, tel que le
formalisme exigé pour établir une évaluation des risques3. Les organes de règlement
des différends de l’OMC n’ont pas fait ce choix, en contrôlant rigoureusement, outre
le respect des procédures, le fond scientifique et technique des évaluations des risques
présentées comme preuves par les États membres, contrôle qui a systématiquement
conduit à déclarer les mesures litigieuses incompatibles avec l’Accord SPS4. Cette
politique d’investigation, en particulier scientifique, a été croissante : alors que la
pratique antérieure des Groupes spéciaux témoignait d’une réticence à mener des
examens scientifiques, ils estiment aujourd’hui devoir remplir une obligation
d’analyse des risques.
1 Contrôle également dit « de la légalité interne » en droit administratif. Le Conseil d’État a ainsi affirmé
que seule une « erreur manifeste d’appréciation » commise par l’administration pouvait justifier
l’annulation d’une décision (Arrêts Barbier, 21 avril 1997, Pro-Nat, 24 février 1999 et Germain, 30 juin
1999). De manière analogue, la CJCE a rapidement précisé que l’annulation de la décision de précaution
litigieuse ne pouvait intervenir que si le demandeur prouvait « une erreur manifeste, un détournement de
pouvoir ou un dépassement manifeste des limites du pouvoir d’appréciation » de l’autorité ayant pris la
décision (v. par exemple l’affaire des filets maillants dérivants, 24 novembre 1993, JOCE 1993, p. 6177, 1er
al. et p. 6180, 2e al.).
2 Contrôle également dit « de la légalité externe » en droit administratif. C’est ainsi que le Conseil d’État a
retenu un vice de forme apparemment insignifiant (caractère incomplet du dossier au vu duquel l’avis avait
été rendu, pourtant par la commission compétente), pour constituer un motif sérieux d’annulation dans
l’affaire Greenpeace France (JCP, 1998, II, 10216, note J. de Malafosse). 3 C’est ainsi que c’est justement la nécessité de laisser à l’Administration une marge de manœuvre par
rapport au juge qui est invoquée en faveur d’un contrôle par le juge du bien-fondé des mesures de
précaution réduit à « l’erreur manifeste ». De la même manière, l’incertitude sur l’existence ou la portée
d’un risque, caractéristique des situations de précaution, appelle logiquement un formalisme processuel
rigoureux, permettant un examen aussi minutieux que possible du risque afin d’amener cette incertitude au
niveau minimal. Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY considèrent ainsi « tout à fait normal que les
juges se montrent extrêmement rigoureux et même pointilleux dans la vérification du respect de ces
procédures et qu’ils n’hésitent pas à prononcer la nullité des décisions prises au mépris de l’une d’elles » :
KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution, Rapport au Premier ministre, La Documentation
française, Odile Jacob, Paris, 2000, p. 158. V. également FAVRET J.-M., « Le principe de précaution ou la
prise en compte par le droit de l’incertitude scientifique et du risque virtuel », Rec. D., 2001, pp. 3462 s. 4 V. supra n° 211 s.
325
284. Une politique d’investigation scientifique croissante. Les Groupes spéciaux ont
adopté une nouvelle politique d’investigation scientifique dès les premières affaires
SPS. Dans son rapport OGM, le panel s’était par exemple permis d’écarter un certain
nombre d’études scientifiques réalisées par les États en cause et les autorités
communautaires1. De la même manière, lors des deux affaires Hormones I et II, il
avait procédé à un contrôle extrêmement poussé des éléments scientifiques en
appréciant au cas par cas, le caractère spécifique, la méthode et l’objet des différentes
études2. Cette politique d’investigation poussée semble alors transformer les membres
des panels en experts scientifiques avertis. Plus avant, dans son rapport Japon –
Produits agricoles, le Groupe spécial s’était permis d’utiliser certaines données
scientifiques, fournies par des experts qu’il avait consultés en cours de procédure, pour
alimenter l’argumentation de la partie plaignante3. C’est une première chose d’adopter
une attitude de défiance vis-à-vis des États auteurs de mesures environnementales et
sanitaires en contrôlant le fond scientifique de leur évaluation des risques ; c’en est
encore une autre de déposséder à ce point les parties du procès en allant chercher de
nouvelles preuves scientifiques pour proposer de nouveaux arguments juridiques !
Cette affaire reflète bien une tendance inquisitoire des Groupes spéciaux. Or, comme
nous l’avons déjà vu, une telle coloration inquisitoire pose question à plus d’un titre :
la recherche d’une vérité absolue, scientifique et judiciaire, se situe aux antipodes
d’une approche de précaution, et semble finalement toujours utilisée dans le sens du
1 Rapport du Groupe spécial « OGM », § 7.3120 : le Groupe spécial considère que l’évaluation de la
probabilité d’entrée concerne toutes les variétés de colza tolérantes aux herbicides, au lieu de n’étudier que
les variétés génétiquement modifiées ; § 7.3098 : il écarte également une étude sur les effets d’une toxine
du maïs BT sur certains insectes, en s’appuyant sur le fait que l’expérience a consisté à donner des aliments
contenant des toxines BT aux insectes, et non le maïs BT lui-même. 2 Pour de plus amples détails sur l’appréciation du fond des évaluations scientifiques des risques, v. supra
n° 211 s. 3 Plus exactement, le Groupe spécial avait utilisé des données scientifiques pour proposer aux États-Unis,
plaignants à l’instance, une mesure de remplacement, remettant en question la nécessité de la mesure
japonaise. Il faut néanmoins noter qu’en l’occurrence, l’Organe d’appel a posé une limite à l’étendue du
pouvoir d’investigation des Groupes spéciaux en précisant que celui-ci ne pouvait pas « être utilisé par un
groupe spécial pour trancher en faveur d’une partie plaignante qui n’a pas fourni un commencement de
preuve d’incompatibilité sur la base d’allégations juridiques spécifiques qu’elle a formulées. Un groupe
spécial est habilité à demander des renseignements et des avis à des experts et à toute autre source
pertinente qu’il choisit, conformément à l’article 13 du Mémorandum d’accord et, dans une affaire SPS, à
l’article 11.2 de l’Accord SPS, pour l’aider à comprendre et à évaluer les preuves présentées et les
arguments avancés par les parties, mais pas pour plaider la cause d’une partie plaignante » : Rapport de
l'Organe d'appel « Japon – Produits agricoles II », § 129. Cette limite paraît pourtant bien ténue face à la
pratique intrusive des Groupes spéciaux.
326
libre-échange1. L’ampleur de cette évolution procédurale est particulièrement patente
dans le rapport Amiante. Alors qu’une affaire similaire, traitée sous l’égide de l’ancien
GATT, témoignait de la réticence des panels de l’époque à examiner les preuves
scientifiques2, le Groupe spécial ayant traité l’affaire Amiante a tenu à prendre position
sur le fond scientifique de l’affaire :
« Le Groupe spécial estime donc qu'il devra fonder ses conclusions quant à
l'existence d'un risque pour la santé publique sur les preuves scientifiques avancées
par les parties et les commentaires des experts consultés dans le cadre de la présente
affaire. Les opinions exprimées par les experts que nous avons consultés nous
aideront à comprendre et évaluer les preuves présentées et les arguments avancés par
les parties »3 .
Le Groupe spécial justifie la différence de méthode avec le rapport Thaïlande –
Cigarettes par le fait qu’alors, les parties s’étaient « mises d’accord sur l’existence et
l’étendue du problème de santé » 4
, quand il aurait été sujet à controverse en ce qui
concerne l’amiante5. Si pour certains le règlement de ce différend révélait une
évolution attendue de la jurisprudence, pour d’autres il consistait plutôt en un
« changement de paradigme judicaire », par lequel l’évaluation du fondement
scientifique d’une mesure aux effets restrictifs sur le commerce dépend moins des
1 V. supra n° 264 s.
2 L’affaire Thaïlande – Cigarettes, traitée sous l’égide de l’ancien GATT posait la question de savoir si
certains additifs contenus dans les cigarettes américaines étaient plus dangereux pour la santé que ceux
contenus dans les cigarettes thaïlandaises. Le Groupe spécial finit par conclure à l’incompatibilité des
mesures thaïlandaises restreignant les importations de cigarettes américaines. Il se fonde sur l’existence
d’une mesure alternative moins restrictive pour le commerce consistant à une plus grande transparence sur
la composition des cigarettes, en particulier les additifs présents dans chacune. Pour arriver à cette
conclusion, il part du postulat selon lequel la nocivité des additifs a été prouvée, passant notamment outre
l’avis d’un expert de l’OMS qui avait conclu à l’absence de preuve scientifique étayant cette hypothèse. V.
le Rapport du groupe spécial Thaïlande – restrictions à l’importation et taxes intérieures touchant les
cigarettes, DR/10R, 7 novembre 1990, §§ 53 à 77. 3 Rapport du Groupe spécial « Amiante », § 8.182.
4 Ibid., §§ 8.170 à 8.174, cité par GRADONI L., « Communautés européennes – Mesures communautaires
concernant la viande et les produits carnés (Hormones) », in RUIZ FABRI H. et STERN B. (dir.), La
jurisprudence de l’OMC, 1998-1, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden/Boston, p. 68. 5 En réalité, si l’affaire Amiante est une des rares à avoir vu admettre la compatibilité d’une mesure sanitaire
avec le droit de l’OMC, c’est justement parce que le risque pour la santé humaine était avéré.
327
déterminations des Membres qui l’imposent1
. Cette évolution jurisprudentielle
témoigne effectivement d’un glissement du système accusatoire vers une procédure
inquisitoire, en particulier en ce qui concerne l’évaluation des risques justifiant la
mesure protectrice. Ces investigations scientifiques poussées se traduisent également
par la mise en place d’expertises judiciaires.
285. La mise en place d’expertises judiciaires. Le recours à l’avis d’experts
scientifiques est également significatif de la politique d’investigation poussée des
Groupes spéciaux. Dès les affaires Australie – Saumons et Japon – Produits agricoles
II, les Groupes spéciaux estiment le recours aux avis d’experts nécessaire dans la
mesure où ces différends soulèvent « des questions scientifiques ou techniques » 2
.
C’est donc pour interroger le bien-fondé de la mesure que sont mises en place des
expertises. Cette politique de contrôle par le biais de l’expertise est poursuivie dans les
différentes affaires SPS3. Les parties semblent tenter de se réapproprier cette tendance,
par exemple en remettant en question les modalités d’appréciation des preuves en
appel4, ou en posant des exigences relatives à la sélection des experts
5. Ces limites
représentent pourtant un bien faible rempart1.
1 GRADONI L., « Communautés européennes – Mesures communautaires concernant la viande et les
produits carnés (Hormones) », op. cit., p. 68. 2 Pour ce faire, les Groupes spéciaux se fondent sur la première phrase des paragraphes 1 et 2 de l’article 13
du Mémorandum d’accord (« Chaque groupe spécial aura le droit de demander à toute personne ou à tout
organisme qu’il jugera approprié des renseignements et des avis techniques. […] Les groupes spéciaux
pourront demander des renseignements à toute source qu’ils jugeront appropriée et consulter des experts
pour obtenir leur avis sur certains aspects de la question ») ainsi que sur la première phrase du § 2 de
l’article 11 (« Dans un différend relevant du présent accord et qui soulève des questions scientifiques ou
techniques, un groupe spécial devrait demander l’avis d’experts choisis par lui en consultation avec les
parties au différend ») de l’Accord SPS. Les rapports précisent que les Groupes spéciaux ont bien consulté
les parties pour prendre cette décision et qu’aucune d’entre elle n’y a vu d’objection. V. les Rapports des
Groupes spéciaux « Australie – Saumons », § 6.1 ; « Japon – Produits agricoles II », § 6.2 ; « OGM »,
§ 7.16 ; « Hormones II – Canada », § 7.57 ; « Australie – Pommes », § 1.21. 3 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du Canada », § 8.7 ; Rapport du Groupe spécial « Japon
– Pommes », § 6.2 ; 4 Les Communautés européennes ont par exemple fait appel de la décision Hormones I du Groupe spécial
en demandant une plus grande déférence à l’égard des conclusions que les autorités communautaires
avaient déduites des preuves scientifiques disponibles : v. GRADONI L., « Communautés européennes –
Mesures communautaires concernant la viande et les produits carnés (Hormones) », op. cit., p. 68, note 196 ;
v. DESMEDT G.A., « Hormones : ‘Objective Assesment’ and (or as) Standard of Review », JIEL, 1998, pp.
695-598. 5 Dans l’affaire Australie – Pommes la Nouvelle-Zélande avait certes estimé que des avis d’experts
pourraient aider le Groupe spécial à se prononcer sur la validité de la mesure SPS, mais avait demandé à ce
328
Le caractère inquisitoire de ces procédures présente alors le risque de priver de toute
effectivité le droit des États membres d’autodéterminer leur propre niveau de
protection sanitaire et environnementale2
: cette recherche d’office de preuves
scientifiques s’apparente à la quête d’une vérité absolue, niant, une fois encore, la
relativité scientifique et judiciaire pourtant nécessaire à une approche de précaution, et,
semblerait-il, à l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires. Ces
investigations apparaissent en ce sens au service des grands principes du libre-échange
et très éloignées du souci d’équilibre avec d’autres préoccupations que celles de nature
commerciale, pourtant présentes dans le discours de l’Organe d’appel3. Certains
auteurs, pour se prémunir contre tout « abus de la science », préconisent une
interprétation des dispositions OMC guidée par le principe de précaution, « c’est-à-
dire en conformité avec le droit des Membres d’autodéterminer leur niveau de
protection sanitaire » 4. En ce qui concerne les aspects processuels de l’appréciation
des éléments de preuve, il semble effectivement, que précaution et effectivité des
exceptions environnementales et sanitaires soient interdépendantes : l’examen trop
rigoureux du bien-fondé des mesures protectrices permet leur condamnation
systématique, au nom d’une vérité scientifique absolue, alors que le contrôle du
formalisme des évaluations des risques, tel que pratiqué en Europe, semble incarner un
moyen de régulation environnemental et sanitaire équilibré. C’est pourtant dans ce
même esprit d’usage extensif de leur liberté d’investigation que les Groupes spéciaux
ont fait de l’expertise scientifique leur mode privilégié, sinon systématique,
d’administration des preuves.
que ceux-ci ne soient pas les mêmes que lors de l’affaire Japon – Pommes, et qu’ils soient nommés en tant
qu’experts individuels et non en tant que groupe d’experts : v. le Rapport du Groupe spécial « Australie –
Pommes », § 1.21. 1 V. infra n° 299 s.
2 V. dans le même sens GRADONI L., « Communautés européennes – Mesures communautaires concernant
la viande et les produits carnés (Hormones) », op. cit., p. 68. 3 V. nos développements supra en Première Partie de manière générale, et plus spécifiquement n° 119 s.
4 GRADONI L., « Communautés européennes – Mesures communautaires concernant la viande et les
produits carnés (Hormones) », op. cit., p. 69.
329
L’expertise, mode privilégié d’administration de la preuve B.
286. Expertises décisionnaires et judiciaires. Les Groupes spéciaux, pour apprécier
les éléments de preuve scientifiques et techniques que les parties leur soumettent dans
le cadre des différends environnementaux et sanitaires, privilégient l’expertise. Celle-
ci incarne pour les partisans du principe de précaution « la clef de voûte qui donne
toute sa solidité à la prise de décision et qui permettra de trancher, de façon équitable,
les litiges que celle-ci peut, à plus ou moins longue échéance, provoquer » 1
. En effet,
l’expertise entretient d’étroits rapports avec le principe de précaution, qui frisent le
paradoxe puisque « l’avis des experts est d’autant plus précieux que les connaissances
font défaut et qu’il faut agir sans connaissance de cause » 2
. Il faut dès lors distinguer
l’expertise dite « décisionnaire » de l’expertise judiciaire. Les États membres ont
recours à une expertise décisionnaire qui constitue le plus souvent l’évaluation des
risques, nécessaire à l’adoption d’une mesure SPS. Cette expertise décisionnaire
endosse une fonction justificatrice de la mesure visant à protéger la santé ou
l’environnement et venant entraver le libre-échange de denrées agro-alimentaires3.
Elle incarne en général le noyau dur des éléments de preuve présentés par la partie
défenderesse ayant adopté une mesure SPS. L’expertise judiciaire, quant à elle, est un
mode d’administration de la preuve. Il s’agit dans ce second cas de figure d’une
mesure d’instruction au service du juge. L’expertise décisionnaire viendrait attester de
la probabilité de réalisation d’un risque, quand l’expertise judiciaire éclairerait le juge
sur la fiabilité de la première.
287. L’expertise judiciaire. L’expertise judiciaire se situe au carrefour d’une
multitude de problématiques juridiques qu’il serait impossible de traiter ici. Elle
interroge le lien entre le fait et le droit, la répartition des compétences entre le juge et
l’expert, l’autorité de l’avis et la marge de manœuvre du magistrat, l’équilibre
1 KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution, Rapport au Premier ministre, La Documentation
française, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 213. 2 ENCINAS DE MUNAGORRI R., « Expertise scientifique et décision de précaution », R.J.E., 2000, n° spécial,
p. 67. 3 Sur les évolutions du recours à l’expertise au sein de l’administration, v. ENCINAS DE MUNAGORRI R.,
« Quel statut pour l’expert? », Revue française d’administration publique, 2002/3 n°103, p. 330.
330
recherché entre la recherche de vérité et celle de légitimité de la décision. L’ampleur
croissante que connait l’expertise dans les différends à coloration environnementale et
sanitaire laisse entrevoir « l’émergence d’une gouvernance confiée aux experts [qui]
ravive le spectre d’une technocratie internationale peu compatible avec les exigences
démocratiques qui sont les nôtres » 1
. Se pose alors la question générale de la place
des éléments non juridiques dans l’élaboration du jugement et du monopole du droit
dans la définition du juste2. Les Groupes spéciaux ont, dans le cadre du règlement des
différends environnementaux et sanitaires, accordé une place prépondérante à
l’expertise judiciaire.
288. La place importante faite à l’expertise judiciaire. A l’inverse du juge européen3,
les Groupes spéciaux ont maintenant recours à l’expertise scientifique de manière
systématique pour motiver leurs décisions relatives aux litiges sanitaires et
environnementaux4. Ils invoquent les difficultés scientifiques et techniques soulevées
par ces différends, attribuant aux experts un rôle d’appréciation neutre et éclairée des
éléments de preuve les dépassant5. Pourtant, les Groupes spéciaux se sont affranchis
des quelques dispositions encadrant le recours à l’expertise, si bien que leur pratique
1 ENCINAS DE MUNAGORRI R. ET LECLERC O., « Théorie du droit et expertise : conclusion prospective sur
les apports de l’analyse juridique », in ENCINAS DE MUNAGORRI R. (dir.), Expertise et gouvernance du
changement climatique, LGDJ, Paris, 2009, p. 199. 2 V. DUMOULIN L., « L’expertise judiciaire dans la construction du jugement : de la ressource à la
contrainte », Dr. et société, 2000, pp. 199-223. 3 Le juge européen fait montre d’une réticence importante à recourir à l’expertise, y compris quand
l’expertise est demandée par les parties (TPICE, 5 juillet 2005, Luigi Marcuccio c. Commission, aff. T-9/04,
Rec. Fonction publique 2005 ; TPICE, 6 septembre 2006, Bayer CropScience AG E.A. c/ Commission, aff.
T-34/05 ; CJCE, 12 décembre 2006, Autosalone Ispra Snc c. CEEA, aff. C-129/06 P.). Pour autant la
doctrine actuelle n’est pas convaincue par l’explication de l’absence de recours aux experts par l’existence
d’un contrôle restreint (V. en ce sens BROSSET E., « L’expert, L’expertise et le juge de l’Union
européenne », in TRUILHÉ-MARENGO E., La relation juge-expert dans les contentieux sanitaires et
environnementaux, La documentation Française, Paris, 2010, p. 261). Il s’agirait plutôt de ne pas déléguer
sa compétence aux experts. Preuve en serait, que dans les rares cas où il accepte de recourir à l’expertise
scientifique, le juge européen s’aventure largement sur le terrain de la technique en délimitant la substance
de certaines notions scientifique, tranchant en faveur de l’une ou l’autre thèse scientifique, ou encore en
s’affranchissant de lui-même des expertises (BROSSET E., « L’expert, L’expertise et le juge de l’Union
européenne », op. cit., pp. 271 s.). 4 La place acquise par les experts dans le système de règlement des différends a ainsi fait dire à certains,
que les membres des Groupes spéciaux n’étaient plus que les arbitres de l’expertise scientifique : v. DEL
CONT C. et PIRONON V., « Contentieux de l’OMC », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.),
Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 197-201. 5 Sur la mise en place d’expertises judiciaire pour apprécier les éléments de preuve scientifiques, v. supra
n° 285.
331
paraît dénuée de tout garde-fou procédural : c’est ainsi, par exemple, que bien que les
textes prévoient expressément la possibilité de consulter les avis de groupes d’experts,
les Groupes spéciaux ont pris l’habitude de ne recourir qu’à des experts individuels (1).
Cette pratique est d’autant plus critiquable qu’elle correspond à un usage intrusif de
l’expertise, qui tend à mener une nouvelle évaluation des risques, plutôt que de se
contenter d’apprécier celle proposée par l’État défendeur (2).
1. Le recours à des experts individuels
289. Des textes lacunaires. À l’instar de leur pouvoir général d’appréciation des
éléments de preuve, les Groupes spéciaux jouissent d’une très large liberté dans le
principe et les modalités du recours à l’expertise. Une fois encore, les textes encadrant
cette pratique ne sont pas un exemple de précision et laissent une importante marge de
manœuvre à l’interprétation des organes de règlement des différends. Le premier
paragraphe de l’article 13 du Mémorandum d’Accord1 autorise les Groupes spéciaux à
demander « des renseignements et des avis techniques » à « toute personne ou à tout
organisme qu’il jugera approprié ». Son second paragraphe précise qu’ « à propos
d’un point de fait concernant une question scientifique ou une autre question
technique soulevée par une partie à un différend, les groupes spéciaux pourront
demander un rapport consultatif écrit à un groupe consultatif d’experts ». Le second
paragraphe de l’article 11 de l’Accord SPS reprend cette même règle en substance en
1 « 1. Chaque groupe spécial aura le droit de demander à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera
approprié des renseignements et des avis techniques. Toutefois, avant de demander de tels renseignements
ou avis à toute personne ou à tout organisme relevant de la juridiction d'un Membre, il en informera les
autorités de ce Membre. Les Membres devraient répondre dans les moindres délais et de manière complète
à toute demande de renseignements présentée par un groupe spécial qui jugerait ces renseignements
nécessaires et appropriés. Les renseignements confidentiels ne seront pas divulgués sans l'autorisation
formelle de la personne, de l'organisme ou des autorités du Membre qui les aura fournis. 2. Les groupes
spéciaux pourront demander des renseignements à toute source qu'ils jugeront appropriée et consulter des
experts pour obtenir leur avis sur certains aspects de la question. À propos d'un point de fait concernant
une question scientifique ou une autre question technique soulevée par une partie à un différend, les
groupes spéciaux pourront demander un rapport consultatif écrit à un groupe consultatif d'experts. Les
règles régissant l'établissement d'un tel groupe et les procédures de celui-ci sont énoncées dans l'Appendice
4 ». Il convient de préciser que la substance de ces dispositions existait déjà dans le système du GATT de
1947. Il s’agissait alors d’une conciliation du 5 avril 1966 sur la Procédure d’application de l’article XXIII
du GATT, modifiée et codifiée par un accord relatif à la notification, la consultation, le règlement des
différends et la surveillance de 1979.
332
prévoyant la possibilité d’établissement d’un groupe consultatif d’experts dans les
différends soulevant des questions scientifiques ou techniques1.
290. Une interprétation extensive par l’Organe d’appel. L’Organe d’appel a
interprété ces textes peu précis comme conférant aux Groupes spéciaux une grande
liberté dans la possibilité et dans les modalités du recours à l’expertise scientifique.
Dans son rapport Crevettes l’Organe d’appel « insist[e] sur le caractère global » 2 de
ce pouvoir. Selon lui ce pouvoir ne se cantonne pas au seul choix de la source de ces
renseignements ou avis et à leur appréciation. L’acception qu’a l’Organe d’appel de ce
pouvoir de demander des renseignements et avis techniques est extrêmement large
puisqu’elle comprend tout à la fois « la possibilité de décider de ne pas demander de
tels renseignements ou avis du tout » 3
; « le pouvoir d’accepter ou de rejeter tout
renseignement ou avis qu’il pourrait avoir demandé et reçu, ou d’en disposer d’une
autre façon appropriée » 4
. Le Groupe spécial dispose donc de manière totalement libre
des produits de l’expertise. Il est seul juge de sa nécessité, de l’admissibilité et de la
pertinence des renseignements obtenus, de l’importance à leur accorder, pouvant
notamment décider qu’ils n’ont aucune importance dans le règlement du différend5.
Partant, l’Organe d’appel interprète de manière très extensive les quelques dispositions
relatives au recours à l’expertise, la privant de tout garde-fou procédural. Cette liberté
se manifeste de manière notable dans la pratique qu’ont adoptée les Groupes spéciaux
de recourir à des experts individuels.
291. Une pratique de recours à des experts individuels. La liberté que s’octroient les
panels dans le recours à l’expertise s’illustre particulièrement par la pratique de
1 « Dans un différend relevant du présent accord et qui soulève des questions scientifiques ou techniques,
un groupe spécial devrait demander l'avis d'experts choisis par lui en consultation avec les parties au
différend. A cette fin, le groupe spécial pourra, lorsqu'il le jugera approprié, établir un groupe consultatif
d'experts techniques, ou consulter les organisations internationales compétentes, à la demande de l'une ou
l'autre des parties au différend ou de sa propre initiative ». L’Accord OTC contient également des
dispositions similaires dans les paragraphes 2 et 3 de son article 14. Le texte de l’Annexe 2 de l’Accord
OTC est quasiment identique à celui de l’Annexe 4 de l’Accord SPS encadrant les modalités de recours à
des groupes consultatifs d’experts. 2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, § 104. 3 Ibid. (Souligné dans l’original)
4 Ibid. (Souligné dans l’original)
5 Ibid.
333
l’expertise individuelle. Alors que les textes prévoient expressément les modalités du
recours à des groupes consultatifs d’experts1, et que les parties ont à plusieurs reprises
explicitement notifié leur préférence pour les groupes d’experts lors des différends
SPS2, les Groupes spéciaux ont toujours choisi de consulter des experts à titre
individuel :
« Pour l'examen du présent différend, nous avons jugé plus utile d'avoir la possibilité
d'obtenir toute une série d'avis donnés par des experts individuels sur des questions
scientifiques et techniques spécifiques, plutôt que de créer un groupe consultatif
d'experts qui auraient dû formuler une opinion consensuelle sur la base d'un mandat
général donné par le Groupe spécial » 3
.
L’Organe d’appel a totalement cautionné cette pratique en considérant que les
Groupes spéciaux étaient habilités « à demander des renseignements et des avis
comme ils le jugent approprié pour une affaire donnée » 4
. La marge d’appréciation
des éléments de preuve transparait jusque dans les modalités du recours à l’expertise.
Les textes n’envisageant pas l’hypothèse du recours à des experts individuels, une telle
pratique pose de nombreuses questions procédurales et matérielles. La plus prégnante
réside dans la source choisie pour l’établissement de la liste d’experts : le Groupe
spécial a ainsi tendance à choisir des experts recommandés par la Commission du
1 Appendice 4 du Mémorandum d’accord : « Groupes consultatifs d’experts »
2 Par exemple, lors de l’affaire Hormones, les Communautés européennes demandaient l’établissement d’un
groupe d’experts, et les États-Unis estimant que la consultation d’experts était inutile, demandaient pourtant
que le cas échéant le Groupe spécial consulte des experts conformément aux procédures prévues par
l’annexe 4 du Mémorandum d’accord relative aux groupes consultatifs d’experts. Dans l’affaire Amiante,
les Communautés européennes arguaient que les groupes d’experts sont les seuls prévus par le
Mémorandum d’accord. Dans l’affaire OGM, toutefois, les Communautés européennes étaient les seules
parties à demander la consultation d’experts, et n’ont pas cherché à imposer le mode collectif. 3 Le Groupe spécial conclut en se fondant sur les textes suivants : « Nous avons estimé que ni l'article 11.2
de l'Accord SPS, ni l'article 13.2 du Mémorandum d'accord ne limitaient notre droit de demander des
renseignements à des experts individuels, conformément à l'article 11.2, première phrase, de l'Accord SPS
et à l'article 13.1 et 2, première phrase, du Mémorandum d'accord » : Rapport du Groupe spécial
« Hormones I, plainte déposée par le Canada », § 8.7. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 147. On retrouve peu ou prou le même schéma dans
l’ensemble des différends SPS. Par exemple, lors de l’affaire Japon – produits agricoles, l’Organe d’appel
interprète explicitement l’article 13 du Mémorandum d’accord comme donnant au Groupe spécial le choix
de solliciter soit des experts individuels soit des groupes d’experts : v. Rapport de l'Organe d'appel « Japon
– Produits agricoles II », § 127.
334
Codex alimentarius, dont l’indépendance peut être discutée1. C’est avant tout le fait de
recourir à des experts individuels, et non à des groupes d’experts, qui est critiquable.
292. Une pratique critiquable. Si certains juges se font une haute idée de l’usage par
les panels de l’expertise2, cette pratique de recours à des experts individuels est
largement critiquable. En effet, la consultation d’un groupe d’experts semble être plus
objective, plus claire, moins conflictuelle et par conséquent, plus utile à la résolution
d’un conflit commercial que la consultation d’experts à titre individuel 3
. Pour certains,
le choix très net effectué par les Groupes spéciaux de l’OMC, et entériné par l’Organe
d’appel, en faveur de la consultation d’experts à titre individuel, semble être lié au
souci d’éviter de se retrouver pris au piège d’une opinion dominante 4
. Pourtant, il
semble surtout que le recours à des expertises individuelles aille de pair avec une
conception trop unitaire de la science ; parallèlement, le recours à un groupe d’experts
paraît plus propice à une approche de précaution. Un groupe d’experts semble en effet
bien plus apte à rendre compte des incertitudes de la science, notamment parce qu’il
présente plus de garanties de pluridisciplinarité et de contradictoire5 : « chaque expert
1 Par exemple, à l’occasion de l’affaire Hormones I, le Groupe spécial avait sélectionné deux experts
recommandés par le Codex alimentarius. Les Communautés européennes avaient émis une objection quant
à cette sélection, de laquelle le panel n’a pas voulu tenir compte. Ce différend survenant peu de temps après
l’adoption par cette même Commission du Codex alimentarius d’une norme relative au taux d’hormones
autorisé dans la viande destinée à l’alimentation humaine, de laquelle les Communautés européennes
souhaitaient justement s’émanciper, on ne peut que comprendre leur réticence. V. pour de plus amples
développement CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international :
analyses et perspectives », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement,
Bruylant, Bruxelles, 2003, pp. 466 ss ; v. également nos développements infra n° 324 s. 2 “it is perhaps the World Trade Organization, however, which has most contributed to the development of
a best practice of readily consulting outside sources in order better to evaluate the evidence submitted to it”
[« C’est peut-être l’Organisation mondiale du Commerce, pourtant, qui a le plus contribué au
développement de la meilleure pratique de consultation spontanée de sources extérieures afin de mieux
évaluer les preuves qui lui sont soumises »] : CIJ, Arrêt du 20 avril 2010, Affaire relative à des usines de
pâte à papier sur le fleuve Uruguay, Argentine c. Uruguay, non encore publié, disponible sur le site Internet
de la CIJ (http://www.icj-cij.org/docket/files/135/15878.pdf). Opinion dissidente des juges Simma et Al
Khasawneh, jointe à l’arrêt, §16 (traduit par nos soins). 3
CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses et
perspectives », op. cit., p. 475. 4 TRUILHÉ-MARENGO E., « Contentieux sanitaires et environnementaux à l’OMC – La gouvernance confiée
aux experts ? », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Hors série 6,
novembre 2009, mis en ligne le 12 novembre 2009, consulté le 3 décembre 2013. URL :
http://vertigo.revues.org/8994, § 9. 5 Sur l’expertise dans une optique de précaution, v. KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de précaution,
Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, Odile Jacob, 2000, pp. 61 s.
335
ne contient qu’un segment de ce qui doit être reconstruit comme un tout »1. Une fois
encore, pour laisser toute sa place à la relativité de la vérité scientifique et aux
incertitudes, la rigueur méthodologique doit être la valeur dominante dans l’expertise2.
Il nous semble que la pluralité des regards et des voix scientifiques et techniques
devrait être exigée pour apprécier les évaluations des risques proposées par les parties3.
Autrement dit, si les Groupes spéciaux tiennent à consulter des experts pour contrôler
les évaluations des risques, ils devraient s’assurer de récolter différents points de vue,
capables de dialoguer, pour éventuellement conclure à une incertitude scientifique4.
Une expertise pluraliste témoignerait du respect, par les Groupes spéciaux, de la
« complexité des ordres de vérité »5 et du « pluralisme de vérités scientifiques »
6. Ils
pourraient ainsi s’émanciper d’une vérité scientifique absolue, pour ne pas en rester les
« impossibles greffiers » et faire du droit de l’OMC un droit régulateur veillant au
respect du pluralisme et à la tenue de débats contradictoires7.
293. L’absence générale de garde-fous. De manière générale, les panels ont eux-
mêmes mis en place les modalités procédurales du recours à l’expertise individuelle, et
en tirent les ficelles du début à la fin8. Ils en sont totalement maîtres. À eux la décision
d’avoir recours à l’expertise ou non, que les parties le demandent ou pas, voire
1 Ibid., p. 61.
2 Ibid.
3 LECLERC O., Le juge et l’expert. Contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, LGDJ,
Paris, 2005, p. 312 : « soumettre les opérations d’expertise au principe du contradictoire revient non
seulement à leur conférer une plus grande légitimité, mais aussi à prendre acte du fait que l’expertise
contribue, non pas à découvrir un fait brut, mais à construire un jugement du fait ». 4 On pense ici naturellement à la prise en compte des avis minoritaires et divergents, qui trouveraient plus
facilement leur place dans un groupe consultatif d’experts. Concernant les déclarations de principe de
l’Organe d’appel relatifs à ces avis minoritaires, v. supra n° 132 et 133. 5 C’est ainsi que Paul RICOEUR rappelle que même si « nous voulons que la vérité soit au singulier, l’esprit
de vérité est de respecter la complexité des ordres de vérité ; c’est l’aveu du pluriel » : Histoire et vérité,
Paris, Seuil, 1955, pp. 156 et 175, cité par VAN DE KERCHOVE M. « La vérité judiciaire: quelle vérité, rien
que la vérité, toute la vérité ? », Déviance et société, 2000, Vol. 24, N°1, p. 95. 6 GUTWIRTH S. et NAIM GESBERT E., « Science et droit de l’environnement, réflexions pour le cadre
conceptuel du pluralisme de vérités », in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1995, n°34, pp. 33-
98 ; GÉRARD P., OST F. et VAN DE KERCHOVE M. (dir.), Images et usages de la nature en droit, Bruxelles,
Publications des Facultés universitaires Saint Louis, 1993. 7 MARTIN G. J., « La ‘vérité’ scientifique à l’épreuve du droit », in SUEUR J.-J. (dir.), Le faux, le droit et le
juste, Bruylant, 2009, pp. 15-25, spéc. p. 25. 8 Les Groupes spéciaux ont ainsi tenté de « normaliser » la procédure de recours à des experts individuels :
v. le Rapport du Groupe spécial « Japon – Produits agricoles II », § 6.2.
336
qu’elles s’y opposent1
; ils choisissent eux-mêmes le nombre, la qualité et la
nationalité des experts consultés, ainsi que les questions qu’ils leur soumettent. Les
parties sont consultées tout au long de la procédure mais leur accord n’est requis à
aucun stade2. En outre, la quantité de preuves soumises aux panels et de questions
posées aux experts, confrontée aux courts délais impartis, ont pu bousculer le bon
déroulement de l’audition réunissant le panel, les parties et les experts3. Ces multiples
détails pratiques procéduraux poussent à envisager « le risque […] que les méthodes
utilisées par les panels lors de la consultation d’experts scientifiques ne respectent pas
les principes fondamentaux du procès équitable et des droits de la défense » 4
.
L’absence de garde-fous procéduraux les plus élémentaires dans le recours à
l’expertise amène logiquement à des pratiques abusives, lesquelles se caractérisent
avant tout par l’usage intrusif que les Groupes spéciaux font de l’expertise scientifique.
2. Un usage intrusif de l’expertise
294. L’expertise scientifique judiciaire est utilisée par les Groupes spéciaux de
manière extrêmement intrusive5. Ceux-ci semblent en effet davantage l’utiliser pour
refaire leurs propres expertises sur la question de l’existence ou non de risques
sanitaires ou environnementaux, que pour vérifier si les États justifient leur mesure par
une évaluation scientifiquement rigoureuse. Loin d’admettre leur incompétence et
d’accorder une certaine déférence aux avis émis, les Groupes spéciaux disposent des
conclusions des experts de manière arbitraire. S’autorisant des déductions
scientifiques hasardeuses ou écartant des avis éclairés, leurs constatations semblent ne
1 Dans les affaires Crevettes, Australie – Saumons et Japon – Produits agricoles II, le panel a seul décidé de
consulter des experts scientifiques, sans qu’aucune partie n’en voit la nécessité. 2 Pour de plus amples développements sur ces points, v. CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au
service du commerce international : analyses et perspectives », op. cit., pp. 469 s. 3 Dans l’affaire Hormones par exemple, les parties n’ont pu poser qu’un nombre limité de questions.
4 CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses et
perspectives », op. cit., p. 469. 5 Nous nous permettons ici de reprendre la formule de Christine NOIVILLE qui a fort justement affirmé que
« le contrôle auquel [les conditions de compatibilité d’une mesure] donnent lieu, soigneux, souvent intrusif,
pourrait bien permettre aux institutions souvent chargées de trancher les conflits, de s’immiscer dans
l’appréciation nationale du ‘risque acceptable’, voire de la réinterpréter » dans son ouvrage, Du bon
gouvernement des risques, PUF, Les voies du droit, Paris, 2003, p. 156.
337
résulter d’aucune autre logique que celle d’une politique d’intolérance absolue envers
les mesures SPS. L’expertise semble moins influencer la décision par un discours de
vérité que de lui conférer une certaine légitimité1, problématique d’ailleurs inhérente
au droit de la preuve2. Les panels risquent dès lors de tomber dans la brèche de
l’arbitraire ouverte par l’étendue de leur pouvoir discrétionnaire. En effet, « la
tentation est grande alors de puiser dans les rapports d’expertise les éléments
permettant de justifier une décision prise en amont et donc de sombrer dans l’un des
écueils majeurs du recours à l’expertise » 3
. La censure d’un avis divergent dans
l’affaire Hormones témoigne du caractère inquisitoire de l’appréciation des éléments
de preuve par l’usage que font les Groupes spéciaux de l’expertise judiciaire.
295. La censure d’un avis divergent dans l’affaire Hormones. Le Groupe spécial fait
montre de cette volonté d’investigation intrusive dans sa pratique du recours à
l’expertise scientifique dans l’affaire Hormones, avec la bénédiction de l’Organe
d’appel. Il utilise ainsi l’expertise judiciaire pour écarter certaines études et avis
scientifiques attestant de la plausibilité d’un risque de cancer provoqué par
l’introduction d’hormones dans certains produits carnés. Il se fonde sur les motifs
scientifiques et techniques que ces études « n'évaluent pas le potentiel cancérogène de
ces hormones lorsqu'elles sont expressément utilisées à des fins anabolisantes » 4 ni
« les effets cancérogènes que pourrait expressément avoir la présence dans ‘les
produits alimentaires’, plus précisément les ‘viandes ou produits carnés’ de résidus
des hormones en cause » 5. Le Groupe spécial comme l’Organe d’appel concluent que
ces avis « ne suffisent pas pour étayer les mesures communautaires incriminées en
l'espèce » 6
. L’enjeu est une fois encore de taille. La prise en compte de tels avis aurait
conduit au mieux à considérer que le risque sanitaire était effectivement avéré et justifiait
1 V. en ce sens CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international :
analyses et perspectives », op. cit., p. 478. 2 V. en ce sens ENCINAS DE MUNAGORRI R., « Expertise scientifique et décision de précaution », R.J.E.,
2000, n° spécial, p. 70 ; LAGARDE X., Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, Paris, 1992,
ensemble de la thèse. 3 TRUILHÉ-MARENGO E., « Contentieux sanitaires et environnementaux à l’OMC – La gouvernance confiée
aux experts ? », op. cit., § 9. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 199.
5 Ibid.
6 Ibid.
338
une mesure de protection de la santé. Au pire, le Groupe spécial aurait pu estimer que les
preuves scientifiques étaient insuffisantes à mener à bien une évaluation des risques et que
des mesures provisoires étaient compatibles avec l’Accord SPS au sens de son article 5.7.
L’instruction dans l’affaire Japon – Produits agricoles II offre un exemple encore plus
frappant d’usage intrusif de l’expertise judiciaire.
296. L’instruction dans l’affaire Japon – Produits agricoles II. Dans son rapport
Japon – Produits agricoles II, le Groupe spécial pose explicitement la méthodologie
d’administration des éléments de preuve qu’il adopte : « pour décider si un fait ou une
allégation peut ainsi être accepté, nous considérons que nous sommes appelés à
examiner et à peser toutes les preuves qui nous ont été valablement présentées, y
compris les avis des experts que nous avons consultés conformément à l’article 13 du
Mémorandum d’Accord » 1
. Il déduit ainsi de son pouvoir discrétionnaire sa capacité et
sa compétence à examiner les preuves scientifiques, non pas seulement dans la forme,
mais dans le fond. Il se considère alors apte à vérifier la base des opinions
scientifiques émises et prendre position sur la substance même de la preuve présentée2.
Le panel va plus loin encore dans cette affaire en se basant sur l’un des avis des
experts consultés pour suggérer une mesure de remplacement, remettant en question la
nécessité de la mesure japonaise, que les États-Unis, plaignants à l’instance, n’avaient
aucunement alléguée. Le Groupe spécial admet qu’il a « déduit ces possibilités [des]
réponses écrites [des experts] à [ses] questions et, plus particulièrement, de leurs
déclarations à la réunion avec les experts » 3
. L’Organe d’appel infirmera finalement
cette conclusion qui contrevient aux règles procédurales primaires, puisque les parties
elles-mêmes n’avaient jamais amené cet argument dans le débat4. L’instruction menée
par le Groupe spécial dans cette affaire Japon – Produits agricoles II témoigne de
manière patente de l’usage intrusif de l’expertise judiciaire, et de la coloration
1 Rapport du Groupe spécial « Japon – Produits agricoles II », § 7.10.
2 CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses et
perspectives », op. cit., p. 479. 3 Rapport du Groupe spécial « Japon – Produits agricoles II », § 8.74.
4 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Produits agricoles II », § 129 : « ce pouvoir [d’investigation] ne
peut pas être utilisé par un Groupe spécial pour trancher en faveur d’une partie plaignante qui n’a pas
fourni un commencement de preuve d’incompatibilité sur la base d’allégations juridiques spécifiques
qu’elle a formulées ».
339
inquisitoire de la procédure. L’Organe d’appel y a tout de même posé une limite
indiquant aux Groupes spéciaux qu’ils ne sont pas des « sortes de juges d’instruction »
qui pourraient chercher à établir une vérité indépendamment des éléments de preuve
rapportés par les parties 1
. Le Groupe spécial a pu, par la suite, paraître plus pondéré
dans son appréciation des preuves scientifiques, notamment dans son rapport Amiante.
297. La pondération de l’investigation par le rapport Amiante. Le Groupe spécial a
pu paraître plus pondéré dans son rapport Amiante en déclarant qu’il n’était pas
« censé trancher un débat scientifique, n’étant pas composé d’experts dans le domaine
des risques que l’amiante pourrait faire courir à la santé des personnes. Par
conséquent, le Groupe spécial n’entend pas s’ériger en arbitre des opinions exprimées
par la communauté scientifique » 2. Cette affirmation paraît un peu facile au regard du
fait que cette affaire ne posait pas de réel débat scientifique, puisqu’en l’occurrence le
risque sanitaire était avéré scientifiquement. Il faudrait d’autant plus souligner le fait
que le Groupe spécial a tenu à consulter des experts en l’absence d’incertitude
scientifique, usant une fois de plus de son pouvoir d’investigation sans que ce geste
paraisse pertinent au regard des faits de l’espèce.
298. La nécessité de rétablir un équilibre entre inquisitoire et accusatoire. Malgré
l’infirmation exceptionnelle par l’Organe d’appel des constatations factuelles dans
l’affaire Japon – Produits agricoles II, les panels disposent d’un pouvoir
discrétionnaire très étendu en matière d’expertise, qui donne à la procédure une
coloration inquisitoire3. L’idée est particulièrement préoccupante dans le cadre de
litiges sous-tendus par des enjeux sanitaires et environnementaux et soulevant des
questions scientifiques. Un tel usage intrusif de l’expertise a nécessairement pour
pendant le « risque de rendre des rapports épistémologiquement non fondés et
arbitraires », ce qui, à long terme, « risque d’affaiblir fortement le système
commercial multilatéral, en réduisant la légitimité et l’acceptabilité de son système de
1 RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce 1999-
2000 », JDI 2000/2, p. 395. 2 Rapport du Groupe spécial « Amiante », § 8.181.
3 Pour un avis différent, v. TRUILHÉ E., « Les règles relatives à la preuve : quelle place pour l’incertitude
scientifique ? », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement, Bruylant,
LGDJ, Bruxelles, 2003, p.457.
340
règlement des différends » 1
. Un retour aux textes et à la volonté des signataires des
accords OMC paraît souhaitable. Il s’agirait alors de privilégier le recours à des
groupes consultatifs d’experts et de soulager les panels dans l’appréciation des
éléments scientifiques à laquelle ils ne sauraient être habilités. « Au contraire, leur
rôle se limiterait à déterminer si la mesure contestée est basée sur des principes
scientifiques, s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’elle est
basée sur une évaluation plausible des données scientifiques disponibles et, enfin, si
cette mesure est en conformité avec les autres dispositions pertinentes de l’OMC» 2
.
Afin d’équilibrer les rôles respectifs joués par les parties et les membres des panels
dans l’exercice probatoire, un contrôle de la rigueur scientifique des évaluations des
risques est plus souhaitable que la pérennisation du contrôle du fond scientifique de
ces évaluations. Ces derniers tendent effectivement à se prononcer sur le niveau de
protection que les États choisissent, remettant en cause leur droit d’autodéterminer
leur propre niveau de protection, et surtout l’effectivité des exceptions
environnementales et sanitaires.
Un tel constat de souveraineté démesurée des panels dans l’examen des faits serait
moins dramatique si l’Organe d’appel acceptait de le modérer. Pourtant, jusqu’alors,
l’Organe d’appel a limité son contrôle des décisions des panels a minima.
SECTION 2. UNE APPRÉCIATION CONTRÔLÉE A MINIMA PAR
L’ORGANE D’APPEL
299. Le cantonnement de l’Organe d’appel aux questions de droit. Dans le jeu de la
répartition des compétences, si l’Organe d’appel a attribué aux Groupes spéciaux un
pouvoir souverain en matière d’appréciation des faits, il a pour sa part strictement
interprété son rôle de juge de droit. L’article 17.6 du Mémorandum d’Accord stipule
en effet que « l’appel sera limité aux questions de droit couvertes par le rapport du
1
CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses et
perspectives », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement, op. cit.,
p. 483. 2 Ibid. (souligné dans l’original).
341
groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci ». La première
question réside alors dans l’établissement de la frontière entre le fait et le droit. Or,
cette frontière est poreuse, comme en témoignent les affaires Essence et Crevettes1. En
matière probatoire, cette distinction est particulièrement délicate. Dans son rapport
Hormones, l’Organe d’appel tente de présenter simplement le découpage entre les
facettes factuelles et juridiques du régime probatoire2. Il rappelle ainsi qu’il ne saurait
effectuer de constatation de fait et que les questions d’appréciation des éléments de
preuve sont à l’entière discrétion du groupe spécial. En revanche, « la compatibilité ou
l’incompatibilité d’un fait ou d’un ensemble de faits donné avec les prescriptions
d’une disposition conventionnelle donnée est, toutefois, une question de qualification
juridique. C’est une question de droit. La question de savoir si un groupe spécial a
procédé ou non à une évaluation objective des faits dont il était saisi, comme le
prescrit l'article 11 du Mémorandum d'accord, est également une question de droit qui,
si elle est soulevée correctement en appel, entre dans le champ de l'examen en appel »
3. Ainsi, l’Organe d’appel admet sa compétence pour vérifier ou modifier les
qualifications juridiques des faits établis par les Groupes spéciaux. Mais surtout, ses
attributions lui permettent de contrôler que les Groupes spéciaux ont bien respecté leur
mandat d’évaluation objective des faits. Voilà qui limiterait la toute-puissance des
panels dans leur appréciation des éléments de preuve et éviterait les investigations
abusives. Pourtant, une difficulté de taille se dessine, résidant dans l’impossibilité a
priori de contrôler la bonne évaluation des faits par le Groupe spécial si l’Organe
d’appel se déclare incompétent pour examiner les faits lui-même : « comment peut-on
contrôler l’application correcte du droit aux faits, sans prendre connaissance des
faits ? »4.
1 V. supra n° 33 s. et n° 52 s. ; V. également en ce sens RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des
différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 108. 2 Dans son rapport Saumons, l’Organe d’appel précise également sa compétence concernant l’attribution de
la charge de la preuve en tant que question de droit. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 132.
4 ABI-SAAB G., « Commentaire », in RUIZ FABRI H. et SOREL J.-M. (dir.), La preuve devant les juridictions
internationales, Éditions A. Pedone, Paris, 2007, p. 103.
342
300. Conséquences sur le droit de l’OMC. Certains considèrent ainsi que l’appel est
limité à la manière d’un pourvoi en cassation1. Pourtant, l’Organe d’appel ne montre
pas le même souci que la Cour de cassation à « contrôle[r] l’exactitude des décisions
judicaires »2
, et donc non plus la même flexibilité lui permettant malgré tout
d’appréhender directement certains faits, nécessaire à l’application du droit3. Pour
Hélène RUIZ FABRI, cette limitation stricte aux questions de droit montre que l’Organe
d’appel a pris au sérieux son rôle de « cour suprême de l’ordre commercial
international » 4. Cette conception étroite de l’appel, ainsi que les nombreuses saisines,
auraient en ce sens participé aux pouvoirs d’interprétation et d’unification du droit de
l’OMC par l’Organe d’appel. Et si le but initial de l’instauration d’un tel Organe
d’appel relevait d’une certaine défiance vis-à-vis du juge et d’un garde-fou contre
l’adoption automatique des rapports par l’ORD, la créature se serait affranchie de la
volonté de ses créateurs en se dessinant une fonction principalement axée sur
l’unification du droit de l’OMC. Ce rôle correspond en effet au texte du Mémorandum
d’Accord qui précise que « le système de règlement des différends de l’OMC est un
élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial
multilatéral ». Autrement dit, l’Organe d’appel préfère remplir une fonction purement
juridique, qui tend parfois à l’abstraction, que revêtir un rôle de contrôleur
pragmatique des solutions rendues au cas par cas, au détriment de la véracité des faits
et de l’équité du règlement des différends. La prévisibilité du système aurait donc pris
le dessus sur la rigueur procédurale : « L’unification correspond à une compréhension
téléologique de la mission du juge d’appel par rapport à cet objectif de sécurité et de
prévisibilité, qui suppose cohérence et continuité » 5
.
1 GHÉRARI H., « La preuve devant le mécanisme de règlement des différends de l’organisation mondiale du
commerce », in RUIZ FABRI H. ET SOREL J.-M. (dir.), La preuve devant les juridictions internationales, op.
cit., p. 91. 2
MOTULSKY H., Principes d'une réalisation méthodique du droit privé - La théorie des éléments
générateurs des droits subjectifs, 1948, réimpression Dalloz, 1991, n° 140. 3 AUBERT J-P., « La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile », Dalloz,
2005, pp. 1115-1121. 4 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », RGDIP,
2006-1, p. 50. 5 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », op. cit., p.
53 ; L’auteur précise par la suite que selon elle « les juges ont clairement conscience du système dans lequel
le Mécanisme de règlement des différends fonctionne. L’existence d’une telle perspective systémique, qui
343
Le cantonnement de l’Organe d’appel à une compétence strictement, voire
restrictivement juridique s’avère d’autant plus incohérent qu’il est privé de tout
pouvoir de renvoi, à l’inverse de la Cour de cassation en droit interne1. Il semble dès
lors qu’il lui soit techniquement impossible de remplir sa mission de contrôle de
l’obligation incombant aux Groupes spéciaux d’évaluation objective des faits (§1) et
qu’il ne puisse poser que de bien faibles limites à l’appréciation des éléments de
preuve menée par les Groupes spéciaux (§2).
LE PARADOXE DU CONTRÔLE DE L’OBLIGATION D’ÉVALUATION § 1.
OBJECTIVE DES FAITS
301. L’incertitude du mandat du Groupe spécial. À l’occasion de la remise en cause
par une des parties du respect par le Groupe spécial de son mandat, l’Organe d’appel a
finalement éclairci le fait que l’article 11 du Mémorandum d’Accord s’applique en tant
que critère d’examen des faits et questions qui sont soumis au Groupe spécial2. Ainsi,
pour déterminer si une mesure est compatible avec les accords de l’OMC, « un
Groupe spécial devrait procéder à une évaluation objective de la question dont il est
saisi, y compris une évaluation objective des faits de la cause, de l’applicabilité des
dispositions des accords visés pertinents ». L’Organe d’appel a d’ailleurs déclaré que
cet article « énon[çait] d’une manière très succincte mais suffisamment claire le
critère d’examen approprié pour les groupes spéciaux en ce qui concerne à la fois
l’établissement des faits et la qualification juridique de ces faits en vertu des accords
apparaît parfois explicitement, éclaire nombre des hypothèses où les juges ont semblé prendre des
décisions de type politique. En d'autres termes, le juge de l’OMC paraît bien avoir une téléologie qu’on
peut résumer sous le terme d’équilibre du système. Cette vision du système inclut d’ailleurs une vision du
rôle du juge dans le système et doit être reliée au souci de renforcer les garanties structurelles d’équilibre
qui accompagnent normalement le règlement juridictionnel des différends et à l’attention corrélative portée
aux questions de procédure. Les idées directrices de cette vision de l’équilibre sont l’unité, la stabilité et
l’effectivité du système ». 1 Le « renvoi après cassation » consiste, en droit interne, en une « décision par laquelle la Cour de
cassation, après annulation de la décision attaquée, désigne la juridiction appelée à connaître de l’affaire,
si la cassation implique qu’il soit à nouveau statué sur le fond (NCPC, a. 626) et si la Cour suprême n’use
pas de la faculté de casser sans renvoi en mettant elle-même fin au litige (NCPC, a. 627) » : CORNU G.
(dir.), Vocabulaire juridique, 9e édition mise à jour, Quadrige, Puf, Paris, 2011, V° « Renvoi »).
2 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 118.
344
pertinents » 1
. Pourtant, le critère d’examen probatoire incombant aux Groupes
spéciaux que pose l’article 11 du Mémorandum d’Accord, consistant en cette
« obligation d’évaluation objective des faits », paraît pour le moins confus. En
témoignent les différents développements que l’Organe d’appel a pu lui consacrer sans
jamais réussir à dégager l’essence de cette obligation.
302. L’incertitude du contrôle par l’Organe d’appel du mandat du Groupe spécial.
Soucieux de ne pas « empiéter sur les constatations du groupe spécial » 2
, donc de ne
pas déterminer « à nouveau, après le Groupe spécial, la valeur de preuve d’études » 3
,
l’Organe d’appel tient à tout prix à conserver la marge discrétionnaire des Groupes
spéciaux pour juger les faits, au prix du contrôle de l’évaluation objective des faits.
Certes l’Organe d’appel se déclare compétent pour contrôler le critère d’examen de
compatibilité des mesures environnementales et sanitaires utilisé par le Groupe spécial
en première instance. Mais s‘autolimitant strictement à une compétence juridique, il ne
parvient pas à s’approprier l’article 11 du Mémorandum d’Accord. Ni examen de
novo, ni déférence raisonnable (A), l’Organe d’appel ne sait dégager de contenu clair à
l’obligation d’évaluation objective des risques (B).
Entre examen de novo et déférence raisonnable A.
303. L’enjeu de la détermination du critère d’examen imposé aux Groupes spéciaux
est double. Premièrement, il interroge « le degré de contrôle juridictionnel tolérable
dans le système » 4
. En décidant où placer le curseur du critère d’examen des mesures
protectrices, l’Organe d’appel se prononce sur le niveau d’ingérence du droit de
l’OMC dans les politiques publiques nationales en matière de santé et
d’environnement. Deuxièmement, l’Organe d’appel précise le degré de contrôle qu’il
exerce sur les conclusions du Groupe spécial. L’alternative entre l’examen de novo et
la déférence a été présentée pour la première fois par les Communautés européennes
1 Ibid., § 116.
2 Ibid., § 222.
3 Ibid.
4 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », op. cit., p.
67.
345
dans l’affaire Hormones comme les deux principales possibilités d’aborder le
problème du « critère d’examen approprié »1. L’Organe d’appel a fait montre de
constance en affirmant dans les différents rapports que « le critère applicable n’est ni
l’examen de novo proprement dit, ni la ‘déférence totale’, mais ‘l’évaluation objective
des faits’ » 2
. Il refuse ainsi la déférence défendue par les parties ayant adopté des
mesures environnementales et sanitaires (1), et finit par infirmer une appréciation
d’évaluation des risques menée par un Groupe spécial pour examen de novo (2).
1. Le refus de la déférence
304. Les Communautés européennes, partisanes de la déférence. Dans l’affaire
Hormones I, les Communautés européennes défendaient une acception déférente de
l’examen des mesures SPS par les Groupes spéciaux3
. Elles définissaient cette
déférence comme mandatant le Groupe spécial pour « examiner si la ‘procédure’
requise par les règles pertinentes de l’OMC a bien été suivie » 4
. Elles lui reprochaient
alors d’avoir outrepassé ce critère en menant lui-même l’enquête effectuée par
l’autorité interne compétente. Elles soutenaient qu’ « un critère de déférence
raisonnable » 5 s’appliquait au titre de l’Accord SPS à « toutes les situations de fait
très complexes, y compris l’évaluation des risques pour la santé des personnes
résultant de toxines et de contaminants » 6
. L’idée sous-jacente à cette acception
déférente de l’examen de la mesure litigieuse réside dans les conditions de son
1 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 111.
2 V. entre autres le Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 117 ; et le Rapport de l'Organe d'appel
« Canada – Hormones II », § 589. 3 Le fait que les Communautés européennes soutiennent une telle position sur le critère d’examen n’a rien
d’étonnant. Le juge européen a depuis longtemps retenu le critère de la déférence raisonnable en matière de
précaution dans les secteurs environnementaux et sanitaires (v. les affaires Artegodan, Pfizer ou Servier).
Une attitude déférente étant contrebalancée par un contrôle de légalité externe rigoureux, il y a lieu de
s’interroger sur les rapports qu’entretiennent le caractère intrusif du critère d’examen de la mesure en cause
et l’importance accordée au contrôle du respect de la procédure. Pour poser la question autrement, il s’agit
de se demander si une attitude déférente implique une meilleure garantie des droits de la défense (v. infra
n° 311). 4 Communication des CE en tant qu’appelant, § 123, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I »,
§ 111. 5 Communication des CE en tant qu’appelant, § 128, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I »,
§ 113. 6 Communication des CE en tant qu’appelant, § 127, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I »,
§ 113.
346
adoption, impliquant de lourdes procédures pour l’État auteur de la mesure. Elles
arguaient en outre que le critère de déférence existait en substance dans les textes de
l’OMC et figurait à l’article 17.6 i) de l’Accord Antidumping qui dispose que « dans
son évaluation des faits de la cause, le groupe spécial déterminera si l’établissement
des faits par les autorités était correct et si leur évaluation de ces faits était impartiale
et objective. Si l’établissement des faits était correct et que l’évaluation était
impartiale et objective, même si le groupe spécial est arrivé à une conclusion
différente, l’évaluation ne sera pas infirmée ». L’idée défendue par les Communautés
européennes reprend le schéma adopté par le juge européen en matière sanitaire et
environnementale. Elles demandent que la valeur probante de l’évaluation des risques
soit appréciée en fonction de sa fiabilité procédurale, et non de ses conclusions
scientifiques. Dans des domaines aussi incertains que ceux des OGM ou des hormones,
la logique est alors de ne répondre qu’à des exigences de forme et non de fond1. C’est
pourquoi dans l’affaire Hormones II, les Communautés européennes défendant
toujours le critère de la déférence alléguaient que le critère d’examen approprié était
« celui qui limite le mandat d’un Groupe spécial à la détermination du point de savoir
si la mesure SPS a un ‘fondement scientifique raisonnable’ » 2
. L’Organe d’appel
refuse néanmoins cette interprétation déférente du mandat incombant aux Groupes
spéciaux.
305. Le refus de l’Organe d’appel de valider une attitude déférente des Groupes
spéciaux. L’Organe d’appel rejette l’interprétation déférente défendue par les
Communautés européennes en arguant que le critère d’examen approprié pour les
procédures au titre de l’Accord SPS doit « tenir compte de l’équilibre établi dans cet
accord entre les sphères de compétence cédées par les Membres à l’OMC et les
sphères que les Membres se sont réservées » 3
. Il refuse ainsi d’appliquer le critère
d’examen de l’article 17.6 i) de l’Accord Antidumping par analogie aux questions
relevant de l’Accord SPS, et replace le débat sur le terrain de l’article 11 du
1 Concernant la pratique des Groupes spéciaux, qui mènent au contraire d’importantes investigations sur le
fond scientifique de l’évaluation des risques, v. supra n° 283 à 285. 2 Communication des CE en tant qu’appelant, § 243, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Canada –
Hormones II », § 587. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 115.
347
Mémorandum d’Accord1
. Or, selon lui, « s’en remettre totalement […] aux
constatations des autorités nationales ne saurait garantir l’’évaluation objective’
prévue par l’article 11 du Mémorandum d’Accord » 2
. De la même manière, l’Organe
d’appel a rejeté l’allégation de l’Australie dans l’affaire Saumons de la « déférence
voulue ». Elle soutenait que le Groupe spécial « [avait] fait abstraction complètement
ou en partie d’éléments de preuve pertinents qui lui avaient été communiqués, ou qu’il
[avait] dénaturé les éléments de preuve d’une manière qui allait au-delà de la seule
question du poids qu’il leur avait attribué, et qui constituait une erreur flagrante
assimilable à une erreur de droit »3. L’Organe d’appel confirme pourtant la méthode
du Groupe spécial qu’il n’estimait pas tenu « d’attribuer aux éléments probants
factuels des parties le même sens et le même poids que ce qu’elles leur donnent » 4
.
En refusant le critère de la déférence pour apprécier les évaluations scientifiques des
risques menées par les États auteurs de mesures protectrices, l’Organe d’appel instaure
un contrôle juridictionnel élevé des politiques nationales environnementales et
sanitaires. Il est intéressant de noter que dans un rapport intitulé « L’avenir de
l’OMC », le conseil consultatif de l’OMC a consacré des développements n’allant pas
nécessairement dans le sens de l’Organe d’appel sur le critère d’examen requis5. Le
point de vue est original en ce qu’il avance l’idée que certains articles du
Mémorandum d’Accord6 ainsi que certains développements de l’Organe d’appel dans
ses rapports7 impliquent une telle idée de déférence. Peut-être de tels débats ont-ils
1 Ibid., §§ 115 et 116.
2 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Vêtements de dessous, adopté le 25 février 1997, WT/DS24/R,
§ 7.10., cité par Rapport de l'Organe d'appel Mesures communautaires concernant les viandes et les
produits carnés (hormones), WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998, § 117. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Australie – Saumons », § 262.
4 Ibid., § 267.
5 SUTHERLAND P. (Prés.), L’avenir de l’OMC – Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire,
Rapport du Conseil consultatif à M. Supachai Panitchpakdi, Directeur général, Organisation mondiale du
commerce, Genève (Suisse), 2004, §§ 227-230. [en ligne : www.ipu.org/splz-f/wto-
symp05/future_WTO.pdf, consulté le 27/06/2014]. 6 L’exemple est avancé de l’article 3 du Mémorandum d’accord stipulant que « les recommandations et
décisions de l’ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords
visés ». Il reprend également l’exemple plus explicite et déjà mentionné de l’article 17.6 i) de l’Accord
Antidumping. 7 Il donne les exemples des affaires Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DE8, 10 et 11/AB/R, 4
octobre 1996, p. 36 : « Les règles ne sont pas rigides ou inflexibles au point d’interdire tout jugement
motivé face au flux et reflux incessants et toujours changeants de faits réels concernant des affaires réelles
348
permis à l’Organe d’appel de finir par infirmer les constatations factuelles d’un
Groupe spécial en qualifiant son appréciation d’examen de novo.
2. La condamnation des examens de novo
306. La condamnation théorique des examens de novo. Les Communautés
européennes définissaient l’examen de novo comme un critère d’examen laissant toute
latitude au Groupe spécial de parvenir à un avis différent de celui de l’autorité
compétente du membre dont l’acte ou la détermination font l’objet de l’examen. Il
serait ainsi amené à « vérifier si la détermination de l’autorité nationale était ‘correcte’
aussi bien du point de vue factuel que du point de vue de la procédure » 1
. L’Organe
d’appel ne contredisait pas le refus des Communautés européennes des examens de
novo. Dès le rapport Hormones I, il saluait la retenue des Groupes spéciaux qui
d’après lui avaient « refusé par le passé de se livrer à un réexamen complet, à raison
étant donné que dans le cadre des pratiques et des systèmes actuels ils ne sont guère à
même d’effectuer pareil réexamen » 2
.
307. La condamnation pratique des examens de novo. Il faudra attendre le rapport
Hormones II pour que l’Organe d’appel infirme pour la première fois une appréciation
des faits d’un Groupe spécial pour examen de novo. Il précise alors que « dans les cas
où un groupe spécial va au-delà de [son] mandat limité et agit en tant que
responsable de l’évaluation des risques, il substituerait son propre jugement
scientifique à celui du responsable de l’évaluation des risques et ferait un examen de
novo et, par conséquent, outrepasserait ses fonctions au titre de l’article 11 du
Mémorandum d’Accord »3. C’est dans cet écueil que tombe un Groupe spécial
dans le monde réel » ; et Hormones I, § 165 : « Nous ne pouvons pas supposer à la légère que des États
souverains ont eu l’intention de s’imposer à eux-mêmes une obligation plus lourde les forçant à se
conformer à ces normes, directives et recommandations ou à les respecter, plutôt qu’une obligation moins
contraignante. Pour étayer une telle hypothèse et justifier une interprétation aussi large, il faudrait que le
libellé du traité soit beaucoup plus précis et contraignant que celui que l’on trouve à l’article 3 de l’Accord
SPS ». 1 Communication des CE en tant qu’appelant, § 122, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I »,
§ 111. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 117.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 590.
349
lorsqu’il cherche à déterminer si l’évaluation des risques effectuée par un Membre est
correcte, au lieu de déterminer si elle est étayée par un raisonnement cohérent et des
preuves scientifiques respectables. L’Organe d’appel étudie les modalités d’usage de
l’expertise scientifique faite par le Groupe spécial pour infirmer sa méthode
d’appréciation de l’évaluation scientifique des risques. Il précise qu’« un groupe
spécial ne consulte pas des experts dans le but de procéder à sa propre évaluation des
risques »1 et que « l’assistance des experts est limitée par le type d’examen que le
groupe spécial est tenu d’effectuer »2
. Il constate que le panel a effectué un
recensement des avis et fondé sa décision « sur le point de savoir si la majorité des
experts, ou l’opinion qui était la plus minutieusement motivée ou qui se rapportait le
plus spécifiquement à la question en cause concordait avec la conclusion établie dans
l’évaluation des risques faite par les Communautés européennes »3. Il en conclut que
l’approche du Groupe spécial est « viciée »4 et incompatible avec le critère d’examen
d’évaluation objective des risques. L’Organe d’appel reproche ici au Groupe spécial
de s’ériger en expert réalisant une nouvelle évaluation des risques au lieu de s’en tenir
à son mandat de trancher un différend5. Il donne ainsi raison aux Communautés
européennes qui se plaignaient du fait que le groupe spécial avait outrepassé son
mandat et s’était fait « juge de ce qui constituait les données scientifiques correctes
[…] en faisant soigneusement son choix, d’une manière arbitraire, parmi les opinions
divergentes et contradictoires des experts »6. Il se prononce ainsi pour la première et
unique fois contre une investigation intrusive dans l’appréciation par des Groupes
spéciaux de l’évaluation des risques proposée par un État pour justifier l’adoption
d’une mesure SPS et pose une limite à un contrôle juridictionnel trop élevé.
En commençant par refuser le critère de la déférence, puis en condamnant un examen
de novo, l’Organe d’appel a commencé par délimiter le contenu du mandat du Groupe
1 Ibid., § 592.
2 Ibid., § 592.
3 Ibid., § 598.
4 Ibid., § 599.
5 V. en ce sens ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I., « Chronique commentée du
règlement des différends de l’OMC (début juillet 2008 à début juillet 2009) », RIDE, 2009, p.480. 6 Communication des CE en tant qu’appelant, § 240, citée par le Rapport de l'Organe d'appel « Canada –
Hormones II », § 585.
350
spécial par la négative. Il estime que la déférence des panels à l’égard des évaluations
des risques menées par les États est un examen insuffisant de la justification d’une
mesure SPS. À l’inverse, l’Organe d’appel parle d’examen de novo lorsque le Groupe
spécial outrepasse son mandat en menant des investigations trop intrusives. Il place
ainsi le curseur du critère d’examen approprié entre les deux acceptions sans parvenir
à définir positivement le contenu de l’obligation d’évaluation objective des faits.
L’incertain contenu de l’obligation d’évaluation objective des faits B.
308. Le non-respect par les Groupes spéciaux de leur mandat a fait l’objet d’appel
dans la quasi-totalité des différends environnementaux et sanitaires, et donc
d’importants développements dans les rapports de l’Organe d’appel. Malgré tout,
l’Organe d’appel n’a su définir ni le mandat des Groupes spéciaux, ni le contrôle qu’il
peut exercer sur leur examen des mesures protectrices. Son interprétation positive de
l’article 11 du Mémorandum d’Accord en tant que critère d’examen semble avant tout
justifier l’étendue des pouvoirs des Groupes spéciaux dans l’appréciation des éléments
de preuve (1). Son interprétation négative pose une obligation pour la partie se
plaignant de l’irrespect de son mandat de prouver une intention du Groupe spécial,
rendant le contrôle exceptionnel (2). Finalement, l’article 11 du Mémorandum
d’Accord ne présente aucune valeur ajoutée comparé à des critères de contrôle plus
traditionnels et moins exigeants, puisque le seul contrôle effectif qu’accepte de mener
l’Organe d’appel consiste à censurer l’erreur fondamentale d’appréciation des Groupes
spéciaux (3).
1. L’interprétation positive : l’extension du pouvoir des panels
309. L’Organe d’appel pose dès son rapport Hormones I explicitement la question
relative au contrôle qu’il peut exercer sur l’appréciation menée par le Groupe spécial
des éléments de preuve : « Quand un groupe spécial peut-il être considéré comme
ayant failli à son obligation en vertu de l'article 11 du Mémorandum d'accord de
351
procéder à une évaluation objective des faits dont il est saisi ? »
1. Mais il tergiverse
en consacrant de longs développements à ce qui est ou n’est pas un manquement à
l’obligation d’évaluation objective des faits. En guise d’interprétation positive de
l’obligation, l’Organe d’appel se contente d’une phrase générique, la définissant
comme « notamment une obligation d’examiner les éléments de preuve fournis à un
groupe spécial et d’établir des constatations factuelles sur la base de ces éléments de
preuve » 2
.
Tentant de définir le mandat des Groupes spéciaux, l’Organe d’appel semble utiliser le
fondement de l’article 11 du Mémorandum d’Accord bien plus pour justifier l’étendue de
leur pouvoir que pour le limiter et le contrôler. Dans les rapports Crevettes et Produits
agricoles II, il souligne le « caractère global » 3
du pouvoir souverain des Groupes
spéciaux dans l’appréciation des éléments de preuve. En l’occurrence, il s’agissait de
souligner la liberté du Groupe spécial dans les modalités de l’expertise en tant que mode
d’administration de la preuve. Il présente alors ce pouvoir comme « tout à fait
nécessaire » 4
pour permettre au Groupe spécial de s’acquitter de son obligation
d’évaluation des risques imposée par l’article 11. L’obligation posée par l’article 11
semble dès lors octroyer plus de liberté que de cadre aux Groupes spéciaux dans leur
appréciation de l’évaluation des risques. L’interprétation négative que fait l’Organe
d’appel de l’obligation d’évaluation objective des risques incombant aux Groupes
spéciaux témoigne également du caractère minimal de son contrôle, puisqu’il exige que la
partie se prévalant d’un manquement à l’article 11 du Mémorandum d’Accord prouve
l’intention du Groupe spécial d’outrepasser son mandat.
2. L’interprétation négative : l’exigence d’une preuve intentionnelle
310. L’interprétation négative par l’Organe d’appel de l’article 11 du Mémorandum
d’Accord consiste à énoncer les critères à remplir pour conclure à une violation de son
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 133.
2 Ibid.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Crevettes – Tortues », § 106 ; et Rapport de l'Organe d'appel « Japon –
Produits agricoles II », § 127. 4 Ibid.
352
obligation par le Groupe spécial. Dans l’affaire Hormones I, l’Organe d’appel
développe particulièrement ce point :
« Ignorer de propos délibéré ou refuser d'examiner les éléments de preuve fournis à un
groupe spécial est incompatible avec l'obligation de ce dernier de procéder à une
évaluation objective des faits. De même, fausser ou déformer intentionnellement les
éléments de preuve fournis à un groupe spécial est incompatible avec une évaluation
objective des faits. ‘Ignorer’, ‘fausser’ et ‘déformer’ les éléments de preuve, au sens
ordinaire que ces termes ont dans les procédures judiciaires et quasi judiciaires implique
non pas une simple erreur de jugement dans l'appréciation des éléments de preuve mais
une erreur fondamentale qui met en doute la bonne foi d'un groupe spécial »1.
L’Organe d’appel reprend ici les termes utilisés par les Communautés européennes dans
leur communication en tant qu’appelant. Il souligne son propos en précisant en note de
bas de page qu’il se demande si elles n’ont pas confondus les termes « ‘ignorer’ et
‘fausser’ comme des synonymes particulièrement forts de ‘se méprendre’ ou
‘mésestimer’ ». L’Organe d’appel affirme ainsi qu’il ne considère pas que son rôle
consiste à vérifier l’appréciation-même des éléments de preuve menée par le Groupe
spécial, mais à contrôler la bonne foi de celui-ci. Il conditionne ce contrôle par l’apport
par la partie faisant appel sur ce chef d’une preuve de l’intention du Groupe spécial
d’outrepasser son mandat. Certains auteurs ont déjà fort justement critiqué cette exigence
d’une preuve intentionnelle, pour deux raisons principales : premièrement, tout en étant
de bonne foi les panels peuvent commettre de sérieuses erreurs dans l’évaluation des faits
et des preuves fournies, erreurs qui faussent la solution rendue ; en outre, la preuve d’une
déformation délibérée des faits est tout à fait impossible à établir en pratique2. Et pour
cause, la preuve établissant l’intention des Groupes spéciaux d’outrepasser leur mandat
n’a jamais été apportée. La Cour de l’Union européenne ne recherche pas, quant à elle, les
1 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 133.
2 CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses et
perspectives », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement, Bruylant,
Bruxelles, 2003, p. 481.
353
motifs ou l’intention du Tribunal pour contrôler son appréciation des faits1. Il semble
effectivement beaucoup plus cohérent, dans l’optique d’un contrôle en droit, de censurer
la dénaturation des éléments de preuve par la juridiction inférieure sans chercher à
connaître son intention. Cette recherche des motifs ou de l’intention du juge de fait
semble d’autant moins pertinente que l’article 11 du Mémorandum d’Accord y perd toute
utilité : requérir une telle « erreur fondamentale » de la part du Groupe spécial pour
remettre en cause son appréciation des éléments de preuve ne revient-il pas à cantonner le
contrôle par l’Organe d’appel au respect d’une procédure équitable ?
3. Le seul contrôle possible : l’erreur fondamentale
311. L’Organe d’appel lui-même admet explicitement qu’il ne consentira à une remise
en question du respect de son mandat par le Groupe spécial que si l’équité de la
procédure est en péril :
« Alléguer qu'un groupe spécial a ignoré ou faussé les éléments de preuve qui lui ont
été fournis revient à alléguer que le groupe spécial, dans une mesure plus ou moins
grande, a refusé à la partie ayant fourni les éléments de preuve l'équité élémentaire,
ou ce qui est connu dans nombre de systèmes juridiques comme les droits de la
défense ou la justice naturelle »2.
L’explication d’une telle exigence se trouve une fois encore dans le cloisonnement
strict des compétences respectives des Groupes spéciaux et de l’Organe d’appel.
Contrôler réellement l’appréciation des éléments de preuve par les Groupes spéciaux
reviendrait, d’après l’Organe d’appel, à trop s’immiscer dans le factuel. Ainsi, « pour
évaluer l’appréciation des éléments de preuve faite par le groupe spécial, nous ne
1 La Cour a ainsi jugé que « le tribunal est seule compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le
cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été
soumises, et d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la
Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 168 A du Traité, un contrôle sur la qualification
juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en sont tirées par le Tribunal. Cette appréciation ne
constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise,
comme telle, au contrôle de la Cour »: aff. C-7/95P, John Deere c. Commission, [1998] Rec. I-3111, motifs
21-22 ; Pour plus de détails v. CHRISTOFOROU T., « L’expertise scientifique au service du commerce
international : analyses et perspectives », op. cit., pp. 481-482. 2 Rapport de l’Organe d’appel « Hormones I », § 133.
354
pouvons pas fonder une constatation d’incompatibilité au titre de l’article 11
simplement sur la conclusion que nous aurions pu aboutir à une constatation de fait
différente de celle à laquelle le groupe spécial est arrivé. Nous devons plutôt avoir la
conviction que le groupe spécial a outrepassé les limites du pouvoir discrétionnaire
dont il dispose pour juger les faits, dans son appréciation des éléments de preuve.
Comme il ressort clairement d’appels antérieurs, nous n’allons pas empiéter à la
légère sur la prérogative du groupe spécial dans l’exercice de son pouvoir
discrétionnaire » 1
. L’Organe d’appel conçoit ainsi que des décisions puissent être
rendues sur la base de constatations factuelles erronées. La légitimité d’un système
articulant une juridiction de fait avec une autre de droit prend le pas sur la vérité et
l’équité de la solution.
Le contenu de l’obligation d’évaluation objective des risques paraît dès lors bien
pauvre, sinon totalement vidé de sa substance, puisque « seules les erreurs
fondamentales [en] constituent un manquement »2
. Les erreurs fondamentales
évoquées ressemblent malheureusement à de faibles résidus d’équité procédurale qui
témoignent d’un contrôle juridique des faits pour le moins archaïque.
LA FAIBLESSE DES LIMITES POSÉES PAR L’ORGANE D’APPEL § 2.
312. Refusant de s’engager trop avant dans les dédales juridico-factuels que représente
le contrôle de l’appréciation des éléments de preuve, l’Organe d’appel pose des limites
extrêmement faibles à l’appréciation des éléments de preuve menée par les Groupes
spéciaux. S’il a certes théoriquement élaboré un principe de régularité de la procédure,
l’effectivité de ce dernier reste aujourd’hui incertaine (A). L’Organe d’appel semble
finalement avant tout compter sur ses talents pédagogiques, qui apparaissent comme
de biens faibles remparts, pour faire évoluer la jurisprudence des Groupes spéciaux (B).
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesures de sauvegarde définitives à l'importation de gluten de
froment en provenance des Communautés européennes, WT/DS166/AB/R, adopté le 19 janvier 2001, § 151. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Japon – Produits agricoles II », § 141.
355
L’élaboration d’un principe de régularité de la procédure à l’effectivité A.
incertaine
313. L’Organe d’appel a progressivement découvert et consolidé un principe de
régularité de la procédure. L’affirmation de l’existence d’un tel principe doit toutefois
être nuancée, car il a toujours ménagé aux Groupes spéciaux le maintien d’une
« flexibilité nécessaire » à la résolution du litige.
314. L’affirmation d’un principe de régularité de la procédure. L’Organe d’appel a
ainsi posé certaines limites à la liberté des Groupes spéciaux dans le recours aux
experts. Dans l’affaire Hormones II, les Communautés européennes mettaient en
question l’impartialité et l’indépendance des experts sur la controverse scientifique.
Deux des principaux experts auxquels avait eu recours le Groupe spécial pour
apprécier les évaluations scientifiques présentées par les Communautés européennes,
remettant en cause l’innocuité de ces hormones pour la santé, étaient liés au Comité
d’experts scientifiques ayant établi le rapport sur lequel s’était fondé la Commission
du Codex alimentarius pour établir les normes internationales pertinentes présumées
compatibles avec les accords de l’OMC1.
L’Organe d’appel a ainsi pu rappeler les différents rapports antérieurs dans lesquels il
avait déjà souligné l’importance de la régularité de la procédure2. Il avait souligné que
c’était une obligation qui faisait « partie intégrante du système de règlement des
différends de l'OMC »3 et qu’elle était « fondamentale pour assurer un déroulement
équitable et harmonieux des procédures de règlement des différends »4. Il avait
également déjà pu faire le lien entre l’obligation d’évaluation objective des risques et
1 « Bien qu'il ne soit pas officiellement inclus dans la structure de la Commission du Codex Alimentarius, le
Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires transmet les avis d'experts scientifiques
indépendants à la Commission et aux comités spécialisés y afférents » : En ligne sur le site du Codex
alimentarius : http://www.codexalimentarius.org/base-scientifique-pour-le-codex/jecfa/fr/, consulté le
27/06/2014. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 435.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Chili – Système de fourchettes de prix », § 176. V. également le rapport de
l'Organe d'appel « Mexique – Sirop de maïs (article 21:5 – États-Unis) », § 107. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Thaïlande – Poutres en H », § 88.
356
le respect des droits des parties au différend en matière de régularité de la procédure1.
Il rappelle également que ces considérations relatives à la régularité de la procédure
apparaissent dans la section II (Principes directeurs) des Règles de conduite qui
dispose que toutes les personnes visées, telles que les membres des Groupes spéciaux
et les experts leur donnant des avis « ser[ont] indépendante[s] et impartiale[s],
éviter[ont] les conflits d'intérêts directs ou indirects et respecter[ont] la
confidentialité des procédures des organes conformément au mécanisme de règlement
des différends, de façon que, grâce à l'observation de ces normes de conduite,
l'intégrité et l'impartialité de ce mécanisme soient préservées ». L’Organe d’appel a
finalement reconnu que « l’équité et l’impartialité dans le processus de prise de
décision sont des garanties fondamentales d’une procédure régulière »2. Il admet que
ces exigences s’appliquent au choix des experts, et condamne le choix du panel au titre
de l’article 11 du Mémorandum d’Accord en considérant leur indépendance
compromise3.
315. La faiblesse du principe de régularité de la procédure. Pourtant, une fois encore,
subsiste un décalage entre le discours et l’effet. L’Organe d’appel commence par
souligner dans d’importants développements que l’identité des experts a « un rôle
décisif dans une affaire »4, en particulier quand elle met en jeu des « questions
scientifiques très complexes »5 et qu’elle peut « fortement influer sur le processus de
prise de décisions »6 ; qu’il est primordial de veiller à leur indépendance et leur
impartialité afin de ne pas « compromettre l'équité de la procédure et l'impartialité de
la prise de décisions »7 et de respecter « les droits des parties en matière de régularité
de la procédure »8. Mais l’Organe d’appel conclut ces développements en signifiant
1 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis – Jeux », § 273 : « [L]orsqu'ils s'acquittent de leur devoir, en
vertu de l'article 11 du Mémorandum d'accord, de ‘procéder à une évaluation objective de la question’
dont ils sont saisis, les groupes spéciaux doivent veiller au respect des droits des parties au différend en
matière de régularité de la procédure ». 2 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 436.
3 Ibid., § 482.
4 Ibid., § 480.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Ibid.
8Ibid.
357
qu’il ne souhaite pas que ces entorses à la régularité de la procédure n’entravent trop le
système de règlement des différends. Notant que l’indépendance compromise des
experts « soulève de graves questions sur le point de savoir si les constatations du
Groupe spécial peuvent être confirmées », et qu’elle pourrait « en elle-même, conduire
à invalider les constatations du Groupe spécial », il tient à continuer le raisonnement
en examinant les différents points de l’appel. Se pose in fine la question du poids réel
de ce principe de régularité de la procédure.
Ainsi, l’Organe d’appel adopte un discours consolidant le principe de régularité de la
procédure, qui se rapproche incontestablement des standards du procès équitable
reconnus en droits nationaux et européens1. En outre, sur le plan du recours à
l’expertise, l’Organe d’appel fait preuve de maturité en cherchant son rôle sur le
terrain charnière du fait et du droit2. L’ambigüité subsiste pourtant, puisque « cette
affirmation s’articule avec un objectif d’efficacité dans le règlement des différends et
leur point de rencontre se situe notamment dans le développement de l’autonomie
fonctionnelle des organes de règlement des différends »3. Entre principe permettant
d’asseoir une certaine légitimité, et flexibilité nécessaire à la continuité du système de
règlement des différends4, tant dans la forme que dans le fond, le principe de régularité
de la procédure reste peu sécurisant pour les parties s’en prévalant. L’Organe d’appel
1 V. en ce sens ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I., « Chronique commentée du
règlement des différends de l’OMC (début juillet 2008 à début juillet 2009) », RIDE, 2009, p. 473 ; RUIZ
FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation d’un
droit » , in KAHN P. (Mélanges en l’honneur de), Paris, Litec, 2000, p. 314. 2 LECLERC O., Le juge et l’expert. Contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, LGDJ,
Paris, 2005, p. 312 : « soumettre les opérations d’expertise au principe du contradictoire revient non
seulement à leur conférer une plus grande légitimité, mais aussi à prendre acte du fait que l’expertise
contribue, non pas à découvrir un fait brut, mais à construire un jugement du fait ». 3 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit » , op. cit., p. 314-315 : « En attendant, si tant est que cela doive venir [l’adoption de règles de
procédure communes pour la première instance], la jurisprudence est toute entière orientée vers la
recherche d’un équilibre entre la nécessité d’offrir des garanties de procédure et la nécessité d’éviter une
dérive procédurière qui compromettrait l’efficacité du mécanisme, les objections de procédure devenant un
moyen d’échapper au règlement du litige au fond ». 4 L’Organe d’appel a pu à l’occasion poser clairement son problème de recherche d’équilibre entre
régularité et flexibilité : « Nous notons que l’article 12:2 du Mémorandum d’accord dispose que ‘[l]a
procédure des groupes spéciaux devrait offrir une flexibilité suffisante pour que les rapports des groupes
spéciaux soient de haute qualité, sans toutefois retarder indûment les travaux des groupes’. Cependant, un
groupe spécial doit veiller à respecter la régularité de la procédure, ce qui suppose qu’il doit ménager aux
parties la possibilité de réfuter les éléments de preuve présentés », Rapport de l'Organe d'appel « Australie
– Saumons », § 272.
358
semble considérer qu’il peut compenser la pauvreté de ce principe de régularité de la
procédure en faisant montre d’une volonté pédagogique de « contrainte
jurisprudentielle ».
Une volonté pédagogique de « contrainte jurisprudentielle » B.
316. L’Organe d’appel ne consent in fine jamais à infirmer les constatations ou
conclusions des Groupes spéciaux, et se contente de faire œuvre de pédagogie dans ses
développements pour influer sur les rapports ultérieurs des Groupes spéciaux.
Refusant de s’immiscer dans des considérations factuelles, il utilise un ton parfois
sévère pour émettre des recommandations à l’adresse des Groupe spéciaux sur les
méthodes d’appréciation des éléments de preuve à adopter1. Le ton adopté par
l’Organe d’appel pour faire ces déclarations ne doit pas occulter le fait qu’il refuse en
réalité de censurer les Groupes spéciaux, y compris lorsqu’il constate des erreurs dans
leur appréciation des éléments de preuve.
317. L’impact limité des déclarations de l’Organe d’appel. Ainsi, dans son rapport
Hormones II, l’Organe d’appel commence par énoncer une définition générique,
portant peu à conséquence, selon laquelle « le pouvoir en matière d’examen d’un
groupe spécial […] est de déterminer si cette évaluation des risques est étayée par un
raisonnement cohérent et des preuves scientifiques respectables et est, en ce sens,
objectivement justifiable » 2
. Il poursuit en exposant une méthodologie d’examen
détaillée d’évaluation des risques menée par les Communautés européennes. Le ton est
des plus pédagogues : « un groupe spécial doit, tout d’abord, identifier le fondement
scientifique sur la base duquel la mesure SPS a été adoptée […] le groupe spécial doit
ensuite vérifier que ce fondement provient d’une source respectée et compétente
[…]Un groupe spécial devrait aussi évaluer si le raisonnement énoncé sur la base des
preuves scientifiques est objectif et cohérent […] Enfin, le groupe spécial doit
déterminer si les résultats de l’évaluation des risques ‘justifient suffisamment’ la
1 V. en ce sens RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après,
quinze rapports plus tard... », RGDIP, 1999/1, pp. 117-118. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Canada – Hormones II », § 590.
359
mesure SPS en cause »1. Et de développer les différentes hypothèses propres à chaque
critère, qui font penser à une véritable leçon d’analyse de preuves scientifiques.
L’Organe d’appel adopte ensuite le même procédé concernant le recours des Groupes
spéciaux aux experts scientifiques2.
L’infirmation des conclusions du Groupe spécial de l’affaire Hormones II ne porte
finalement pas à conséquence puisque l’Organe d’appel n’achève pas l’analyse
juridique pour cause d’éléments factuels trop controversés. En revanche, il semble
transférer toute l’importance de son intervention dans ces indications méthodologiques
que les Groupes spéciaux reprendront dans les affaires ultérieures. Le contrôle des
rapports des groupes spéciaux par l’Organe d’appel semble n’avoir aucun effet
escompté en aval, mais recherchant les vertus de la jurisprudence pour prévenir les
affaires ultérieures. « La volonté d’unification, considérée comme un gage de
prévisibilité est donc évidente »3.
318. La nécessité d’une possibilité de renvoi. Peut-on dire que l’Organe d’appel
exerce un véritable contrôle sur les constatations factuelles des Groupes spéciaux? À
l’échelle du droit de l’OMC, la réponse affirmative est éventuellement possible, car la
substance des rapports obéit aux lois de la jurisprudence. En revanche, à l’échelle
d’une affaire donnée, l’autonomie du système de règlement des différends prend
largement le dessus sur l’équité de la solution rendue. Les failles sont nombreuses, et
il semblerait qu’il faille revoir l’articulation des compétences entre les Groupes
spéciaux et l’Organe d’appel, entre le fait et le droit. Une solution se dégage d’elle-
même, et a déjà fait l’objet de débats à l’OMC4 : il s’agirait de mettre en place la
possibilité d’un renvoi vers la première instance en cas d’infirmation de ses
constatations en appel. Il semble aujourd’hui nécessaire d’attribuer un tel pouvoir de
renvoi à l’Organe d’appel, qui acquerrait alors un réel pouvoir de contrôle de
1 Ibid., § 591.
2 Ibid., § 598.
3 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », op. cit., p. 117. 4 « Le principe consistant à autoriser l’Organe d’appel à renvoyer une affaire au groupe spécial de premier
niveau devrait être étudié et clarifié, surtout s’il peut y avoir renvoi sans que le processus soit prolongé » :
SUTHERLAND P. (Prés.), L’avenir de l’OMC – Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire,
Rapport du Conseil consultatif à M. Supachai Panitchpakdi, op. cit., p. 97, proposition n°18.
360
l’appréciation faite par les Groupes spéciaux des éléments de preuve1. Si les solutions
des organes de règlement des différends continuent à pouvoir être rendues sur la base
d’erreurs factuelles, les exceptions environnementales et sanitaires resteront
ineffectives. Aujourd’hui, la seule alternative en l’état actuel du système de règlement
des différends reste « la possibilité, certes peu satisfaisante mais existante, d’une
nouvelle plainte sur le même thème » 2
. Pour l’heure, la priorité reste la sécurité et à la
prévisibilité du droit de l’OMC dans les solutions rendues. Elle supplante dès lors le
souci de vérité, voire d’équité, du système de règlement des différends. Le
cantonnement strict de l’Organe d’appel à un contrôle en droit laisse les constatations
factuelles élaborées par les Groupes spéciaux sans garde-fous dans le cadre de litiges
sous-tendus par des faits particulièrement complexes et lourds de conséquences sur
leur issue. Les décisions d’incompatibilité des mesures protectrices ont une incidence
directe sur les politiques publiques menées par les États membres en matière
environnementale et sanitaire, et interroge l’effectivité de leur droit d’autodéterminer
leur propre niveau de protection. Est-il besoin de rappeler que l’article 3.2 du
Mémorandum d’Accord stipule que « les recommandations et décisions de l'ORD ne
peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords
visés »3 ? Peut-être la limite est-elle aujourd’hui atteinte : maintenant que le droit de
l’OMC et son système de règlement des différends ont assis une autorité et une
légitimité suffisantes, il serait temps d’accorder sa juste place à l’équité des solutions
1 “This power to remand could be explicitly granted in a DSU review or found by the Appellate Body itself
as part of its implicit appellate powers […] Remand would avoid the dismissal of cases simply because the
panel did not do its ‘factual job’ and preserve the right to appeal, ie to see one’s case decided by two
different judges. Crucially for present purposes, it would clarify and streamline the division of powers
between panels (…) and the Appellate Body(…)”[« Ce pouvoir de renvoi pourrait être accordé
explicitement dans une révision du Mémorandum d’accord ou découvert par l’Organe d’appel lui-même
comme un de ses attributs implicites […] Le renvoi éviterait les non-lieux simplement dus à la défaillance
des panels dans leur ‘travail factuel’ et préserverait le droit d’appel, par exemple en donnant la possibilité
à une affaire d’être soumise à deux juges différents […]Primordial dans le contexte actuel, le renvoi
clarifierait et rationaliserait la division des pouvoirs entre les Groupes spéciaux […] et l’Organe d’appel
[…] »] : PAUWELYN J., “The use of experts in WTO Dispute Settlement”, ICLQ, vol. 51, April 2002, p. 336
(traduit par nos soins). 2 RUIZ FABRI H., « Le règlement des différends de l’O.M.C. : naissance d’une juridiction, consolidation
d’un droit », op. cit., p. 321. 3 D’aucuns relativisent ce cadre en arguant que “if you are told that what you thought was WTO-consistent
is not, then you feel that your obligations have changed”[« si l’on vous annonce que ce que vous croyiez
conforme au droit de l’OMC ne l’est pas, vous avez alors la sensation que vos obligations ont changé »] :
MCRAE, “Comments on Claus-Dieter Ehlermann’s presentation on “the role and record of Dispute
Settlement Panels and the Appellate Body of the WTO”, JIEL 6 (3), 2003, p. 716 (traduit par nos soins).
361
rendues. L’impossible contrôle de l’évaluation objective des faits et les quelques
faibles limites que l’Organe d’appel pose conduisent à un vrai constat d’échec. La
pérennité du système de règlement des différends, et donc du droit de l’OMC, est
également fonction de la vérité des solutions rendues.
362
363
319. Conclusion du Chapitre 2. L’appréciation des éléments de preuve, en particulier
des évaluations des risques, présentés par les parties est loin d’être satisfaisante. Elle
obéit à une logique paradoxale : l’Organe d’appel a attribué aux Groupes spéciaux un
pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve, qui semble avoir fait d’eux
les juges d’instruction scientifiques des litiges environnementaux et sanitaires ;
parallèlement, l’Organe d’appel a interprété l’exclusivité de la compétence des
Groupes spéciaux en matière factuelle de manière tellement extensive, qu’il ne
consent à en contrôler l’exercice qu’a minima. Ce décalage entre d’une part un
pouvoir factuel étendu, au point que la procédure en première instance s’apparente à
un système inquisitoire, et d’autre part un pouvoir de contrôle en appel extrêmement
restreint, participe directement à l’ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires : les éléments de preuve, servant avant tout à déterminer l’existence ou non
d’un risque sanitaire ou environnemental permettant par exemple à un État de se
prémunir contre en adoptant une mesure SPS, peuvent être dénaturés par les Groupes
spéciaux, qui concluront alors à l’incompatibilité des mesures litigieuses, sans être
censurés par l’Organe d’appel.
Se voyant confier un pouvoir exclusif et très étendu, les Groupes spéciaux se sont dès
lors retrouvés tout-puissants en matière d’appréciation des éléments de preuve. Ils
usent de ce pouvoir de manière extensive en menant des investigations scientifiques
poussées dans l’appréciation des évaluations scientifiques menées par les États
adoptant des mesures environnementales ou sanitaires. Leur politique d’investigation a
été croissante, notamment par le biais d’un recours immodéré à l’expertise scientifique.
Cette souveraineté extensive des panels dans l’appréciation des évaluations des risques
n’est contrebalancée que par un timide contrôle de l’Organe d’appel. Ne parvenant pas
à définir le mandat des Groupes spéciaux, l’Organe d’appel ne sait non plus l’encadrer.
Le critère d’examen qu’il choisit, à savoir l’obligation d’évaluation objective des faits
incombant aux panels, semble vide de sens et rend pratiquement tout contrôle
inenvisageable. Les seules limites qui semblent aujourd’hui réellement exister sont
d’une faiblesse telle qu’elles ne permettent pas d’assurer un véritable contrôle des
solutions rendues : ne subsistent qu’un timide principe de régularité de la procédure et
une volonté pédagogique de contrainte jurisprudentielle qui ne garantissent pas
l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires.
364
Par conséquent, les évaluations des risques sur lesquelles les États fondent leurs
mesures sanitaires et environnementales ne sont appréciées qu’en première instance.
Le refus de l’Organe d’appel de les examiner dans un second temps et l’absence de
possibilité de renvoi laissent place à l’adoption de rapports soit fondés sur des
constatations factuelles erronées, soit bloqués dans l’impasse d’un non-lieu.
365
320. Conclusion du Titre I. Le régime probatoire mis en place par les organes de
règlement des différends apparaît comme le premier obstacle à l’effectivité des
exceptions sanitaires et environnementales. Ces litiges portant sur des mesures
environnementales ou sanitaires sont sous-tendus par des faits techniques et
scientifiques particulièrement complexes, dont l’établissement et l’appréciation
conditionnent directement les solutions rendues. La plupart de ces grandes affaires ont
généré des conflits justement en raison des incertitudes scientifiques qu’elles
soulevaient. La preuve est dès lors particulièrement délicate, et le régime afférent ne
peut qu’y démontrer ses failles.
En termes de charge de la preuve tout d’abord, les organes de règlement des différends
ont mis en place un régime sui generis. L’Organe d’appel a partagé le fardeau de la
preuve entre les deux parties par un mécanisme de présomptions en chaîne particulier.
Le plaignant a ainsi classiquement la charge de la preuve du fait qu’il allègue. Cette
preuve, dite prima facie, présente toutefois la particularité d’avoir un objet restreint.
Le standard de preuve requis, d’incompatibilité d’une mesure avec le droit de l’OMC,
est particulièrement léger, et présente par là même une charge moindre.
L’établissement de ce prima facie case fait en revanche naître une présomption de
compromission des avantages commerciaux qu’il est malaisé de réfuter dans le cadre
de litiges environnementaux ou sanitaires. L’État ayant adopté une mesure protectrice
est alors chargé de prouver le bien-fondé de la restriction au commerce qu’il impose.
Cette preuve est particulièrement risquée dans les cas d’incertitude scientifique
puisqu’il s’agit d’établir scientifiquement l’existence d’un risque certain pour la santé
ou l’environnement. La règle originale du prima facie case apparaît dès lors comme la
traduction procédurale du refus par l’Organe d’appel d’adopter une approche de
précaution dans les cas d’incertitude scientifique. Le régime probatoire semble
directement au service des principes libre-échangistes, au détriment d’une répartition
équitable de la charge de la preuve entre plaignant et défendeur : il permet de mettre
très facilement en cause les mesures des États membres, en établissant une
présomption d’incompatibilité qu’il est presque impossible de réfuter dans les
domaines environnementaux et sanitaires, où la vérité scientifique ne peut plus être
absolue.
En termes d’appréciation des éléments de preuve ensuite, l’évaluation des risques est
mise à mal par un cloisonnement des compétences entre les organes de règlement des
366
différends. Cette stricte interprétation de la répartition du fait et du droit entre les deux
degrés de jugement empêche la mise en place d’une jurisprudence cohérente. Les
évaluations des risques au cœur des débats factuels des litiges sanitaires et
environnementaux ne sont appréciées qu’en première instance, sans bénéficier d’un
véritable contrôle en appel : plus avant, l’examen scientifique en premier instance est
aussi poussé que le contrôle de cet examen en appel est ténu. Dès lors, les rapports
rendus par les organes de règlement des différends livrent des solutions juridiques
potentiellement fondées sur des faits erronés. Parallèlement, l’Organe d’appel a pris
position quant au mandat des Groupes spéciaux, optant pour un contrôle juridictionnel
des mesures protectrices relativement élevé. Les Groupes spéciaux ont ainsi un
pouvoir important sur les politiques publiques adoptées par les États membre dans les
domaines sensibles que sont l’environnement et la santé. Ces investigations intrusives
ne sont compensées par aucun contrôle réel de la part de l’Organe d’appel. Celui-ci se
contente de garantir un principe minimal de régularité de la procédure et de se montrer
pédagogue à l’adresse des Groupes spéciaux ultérieurs en développant des outils
méthodologiques d’appréciation des évaluations scientifiques des risques.
Ces régimes excessivement stricts, motivés par une suspicion démesurée de
protectionnisme déguisé, ne sauraient perdurer. Les enjeux actuels appellent au
contraire le droit à tolérer les restrictions au libre-échange au nom de la santé et de
l’environnement, quitte, en vertu de l’aléa judiciaire, à valider des mesures en réalité
protectionnistes plutôt que de faire primer le libre-échange qui concourt à
l’accèlération des périls environnementaux, sanitaires et alimentaires. Si à travers les
règles probatoires qu’il met en place le juge international révèle les valeurs qu’il
privilégie1, les organes de règlement des différends de l’OMC ne sauraient plus
longtemps se prévaloir d’incarner des régulateurs environnementaux et sanitaires
multilatéraux : pour répondre aux enjeux actuels, environnementaux, sanitaires et
agro-alimentaires, ils doivent opérer un changement profond en acceptant avant tout
1 V. JOUANNET E., « Remarques théoriques », in RUIZ FABRI H. ET SOREL J.-M. (dir.), La preuve devant les
juridictions internationales, Éditions A. Pedone, Paris, 2007, pp. 252-253. L’auteure énonce entre autre le
fait que « la preuve devant les juridictions internationales est en mouvement elle aussi, soumise à des
révisions, modifications ou changement insensibles mais constants, afin de l’adapter sans cesse aux
mutations des contentieux internationaux, aux valeurs de cette société et aux attentes qu’elle suscite ».
367
de prendre en compte l’incertitude scientifique. S’ils font aujourd’hui de leur
conception absolutiste de la science le meilleur alibi du libre-échange, sauront-ils
demain admettre la relativité scientifique et judiciaire intrinsèque à toute approche de
précaution et nécessaire à l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires ?
Cette évolution matérielle devrait correspondre à une évolution procédurale : il
s’agirait, dans une optique de régulation environnementale et sanitaire, d’infléchir le
caractère inquisitoire du règlement des différends en première instance (notamment en
recadrant les modalités de l’expertise scientifique), et de garantir un réel contrôle de
ces décisions en appel, qui implique notamment la possibilité de renvoyer l’affaire en
première instance en cas de censure.
368
369
TITRE II
LA NEUTRALISATION DES EXCEPTIONS PAR LA
RECONNAISSANCE SÉLECTIVE DES NORMES EXTERNES AU
DROIT DE L’OMC
321. La nécessité d’une ouverture du système de règlement des différends aux
ordres juridiques externes. La question du corpus juris de l’OMC est primordiale, en
particulier dans une optique de régulation environnementale et sanitaire1. Le droit de
l’OMC ne comprend pas de disposition réglementant matériellement l’environnement
ou la santé. Du moins, pas directement. Il serait même dangereux de déduire la
référence à un droit de l’environnement ou de la santé d’obligations telles que celle de
fonder les mesures protectrices sur des évaluations scientifiques des risques. Il est
primordial de n’envisager ces dispositions que comme appartenant au droit du
commerce international. La protection environnementale ou sanitaire n’est
effectivement évoquée qu’en tant qu’objectif légitimant des mesures nationales
dérogeant aux principes du libre-échange. Ainsi, les organes de règlement des
différends ne sont amenés à appréhender ces questions que dans la mesure où elles ont
une incidence sur les intérêts commerciaux des États membres. Les différends
environnementaux et sanitaires témoignent du dénuement matériel de ces organes face
aux questions sur lesquelles ils sont amenés à se prononcer. Le droit de l’OMC stricto
sensu ne leur permet pas de trancher des litiges de manière aussi approfondie qu’ils
ont l’habitude de le faire. Comment examiner un arsenal de mesures aussi complexe
que les normes européennes relatives aux taux acceptables d’hormones présents dans
l’alimentation animale quand on dispose d’un corpus de texte détaillant des
obligations relatives aux barrières tarifaires ou non tarifaires aux échanges ? Quels
outils mobiliser pour décider si les restrictions européennes aux importations de
produits génétiquement modifiés sont justifiées par l’existence d’un risque pour la
1 V. en ce sens BOY L., « L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un concept », in PIROVANO A.,
(Mélanges en l’honneur de), L’ordre concurrentiel, éd. Frison-Roche, Paris, 2004, p. 48.
370
santé ou l’environnement ? Alors même que leur légitimité à arbitrer des conflits de
normes est a priori discutable1, les organes de règlement des différends sont allés
chercher ces réponses dans d’autres systèmes juridiques.
322. Les difficultés de l’interaction normative externe. L’Organe d’appel a ainsi pu
afficher ostensiblement son souci de ne pas « isoler cliniquement » le droit de l’OMC
du Droit international général2. Les rapports relatifs aux litiges environnementaux et
sanitaires témoignent d’une réelle articulation normative externe entre le droit de
l’OMC et d’autres conventions internationales, des directives posant des standards
techniques, voire d’autres sujets de droit que les États membres de l’organisation. Les
organes de règlement des différends sont dès lors confrontés à des difficultés
inhérentes au phénomène d’interaction entre différents ordres juridiques3. Ceux-ci
n’ont pas les mêmes statuts, ne connaissent pas les mêmes sujets de droit, ne sont pas
sous-tendus par les mêmes valeurs. La conciliation entre ces normes et ces valeurs
peut s’appréhender sous l’angle du pluralisme juridique. Conçu comme un phénomène
à la fois systémique, normatif, judiciaire, axiologique et praxéologique4
,
particulièrement prégnant en droit international, le pluralisme juridique a déjà fait
couler beaucoup d’encre : « Ordonner le multiple sans le réduire à l'identique,
admettre le pluralisme sans renoncer à un droit commun, à une commune mesure du
juste et de l'injuste, peut dès lors sembler un objectif inaccessible et même
contradictoire : le pluralisme renvoie à la dispersion, au libre mouvement, donc à la
séparation de systèmes autonomes et fermés, alors que le terme d'ordre invite à penser
1 V. en ce sens JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V., « La sécurité alimentaire dans le droit de l’OMC ;
analyse critique et prospective » », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie
alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa Rica), 2013, p. 259. 2 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules
(« États-Unis – Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996, p. 19. 3 Sur la relation entre les différents ordres juridiques, v. ROMANO S., L’ordre juridique, 2
e édition, Dalloz,
Paris, 2002, pp. 101 s. Concernant plus spécifiquement la question de l’articulation de l’OMC avec son
environnement, v. PAUWELYN J., Conflicts of Norms in Public International Law : How WTO Law Relates
to Other Rules of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 554 p. ; TARILLO D.K.,
“The Relationship of WTO obligations to Other International Agreements”, in BRONCKERS M. & QUICK R.
(ed.), New Directions in International Economic Law – Essays in Honour of John H. Kackson, La Haye,
Londres, Boston, Kluwer Law International, 2000, pp. 155-173 ; TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de
l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 430-439. 4 V. en particulier l’introduction de François OST, « Le pluralisme, facteur d’effectivité ou d’ineffectivité du
droit », à l’ouvrage dirigé par Laurence BOY, Jean-Baptiste RACINE et Jean-Jacques SUEUR, Pluralisme
juridique et effectivité du droit économique, Larcier, Bruxelles, 2011, pp. 13-38.
371
en termes de structuration, voire de contrainte ». C’est ainsi que Mireille DELMAS-
MARTY a pu préconiser un « pluralisme ordonné », qui ne dépasserait la contradiction
qu’en réussissant « à respecter la diversité tout en permettant une harmonie
d'ensemble »1. S’il n’est pas certain que le pluralisme garantisse l’effectivité de
certains droits2, du moins peut-on avancer que l’effectivité de certains droits serait
garante de pluralisme juridique : en permettant la coexistence de différents systèmes
de valeurs, le pluralisme ordonné assurerait une fonction régulatrice. Pour ce faire, il
faudrait que les différents ordres juridiques établissent entre eux, non pas des relations
d’indifférence ou de subordination, mais de collaboration3
. Or, les organes de
règlement des différends semblent n’avoir concédé reconnaitre des normes externes au
droit de l’OMC que dans la mesure où elles n’en infléchissent pas les grands principes
et ne contrarient pas ses valeurs commerciales. Les différends environnementaux et
sanitaires révèlent ces choix qui posent leur propre réalité normative s’émancipant
parfois de la volonté des États Membres de l’OMC.
323. Les choix relatifs à l’interaction normative externe. Les organes de règlement
des différends ont adopté une position d’ouverture inégale face aux réglementations
matérielles disponibles dans les domaines sanitaires et environnementaux. Leur
neutralisation des exceptions environnementales et sanitaires résulte ainsi notamment
de cette reconnaissance sélective des normes externes au droit de l’OMC4 : alors
même qu’ils reconnaissent les standards techniques internationaux qu’ils utilisent aux
1 DELMAS-MARTY M., « Le pluralisme ordonné et les interactions entre ensembles juridiques », Rec. D.,
2006, pp. 951 s. 2 V. François OST, « Le pluralisme, facteur d’effectivité ou d’ineffectivité du droit », op. cit., pp. 13-38.
3 Il s’agit des trois types de relations différentes susceptibles de s’établir entre les différents « objets » -
systèmes, normes, valeurs, modes de résolution des conflits, pratiques individuelles et collectives – dont
François OST a envisagé la coexistence dans le cadre du pluralisme juridique : V. François OST, « Le
pluralisme, facteur d’effectivité ou d’ineffectivité du droit », op. cit., p. 30. V. les classifications peu ou
prou similaires proposées par ROMANO S., L’ordre juridique, 2e édition, Dalloz, Paris, 2002, 174 p. et
DELMAS-MARTY M., Les forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné, Paris, Seuil, 2006, 303 p. 4 La notion de reconnaissance, d’une grande richesse théorique, a pu être abordée sous différents angles
sociologiques, politiques, philosophiques et juridiques. S’il n’y a pas lieu ici de la discuter plus avant,
mentionnons néanmoins l’hypothèse formulée par Emmanuelle TOURME-JOUANNET d’un « droit de la
reconnaissance », qui constituerait une tentative d’instaurer les premiers jalons de ce que pourrait être « une
société internationale plus juste qui soit à la fois équitable (réponse aux injustices socio-économiques) et
décente (réponse aux injustices culturelles) » : v. son ouvrage, Qu’est-ce qu’une société internationale
juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Pédone, Paris, 2011, 306 p. V.
également MUIR WATT H. et TOURME JOUANNET E. (dir), Droit international et reconnaissance, Paris, SLC,
à paraître.
372
fins du libre-échange (CHAPITRE 1), ils refusent de reconnaitre les règles
internationales externes au droit de l’OMC porteuses de valeurs environnementales et
sanitaires (CHAPITRE 2).
373
CHAPITRE 1.
LA RECONNAISSANCE DES STANDARDS TECHNIQUES
INTERNATIONAUX
324. La difficulté des Membres de l’OMC à faire valoir leur propre niveau de
protection sanitaire et environnemental devant les organes de règlement des différends
est largement tributaire de la force normative reconnue par ces derniers aux standards
techniques internationaux1.
325. Les standards internationaux, réponse opportune aux besoins de
réglementation matérielle dans les différends environnementaux et sanitaires. Les
différends environnementaux et sanitaires posent aux organes chargés de les trancher
des questions techniques pointues, auxquelles les standards internationaux répondent
facilement. C’est ainsi que le fond de l’affaire Hormones I est finalement tranché au
regard des standards techniques de référence Alinorm 91/31 et 93/312, ou celui de
l’affaire Sardines au regard du standard Codex Stan 943, tous deux adoptés par la
Commission du Codex alimentarius. Outre ces règles de fond, les organes de
règlement des différends n’hésitent pas à avoir recours aux méthodes d’évaluation des
risques proposées par ces organismes de normalisation. C’est ainsi que l’Organe
d’appel se réfère aux techniques d’évaluation des risques élaborée sous les auspices de
la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) afin d’examiner
les justifications scientifiques de l’Australie dans l’affaire Australie – Pommes. Cette
opportunité des standards techniques internationaux, en tant qu’outils à la disposition
des organes de règlement des différends environnementaux et sanitaires, est née des
1 Afin d’éviter tout quiproquo, les choix sémantiques sont ici opérés de parler de standards techniques,
parmi lesquels il faut compter les « normes, directives et recommandations », puisque le droit de l’OMC les
envisage de la même manière ; d’harmonisation par ces standards, dans laquelle est compris le terme de
« normalisation » ; et de force normative de ces standards, qui correspond également aux effets en droit que
produit cette « incitation » à l’harmonisation. 2 Rapports ALINORM 91/31, Appendice IV et ALINORM 93/31, Appendice II, adoptées par la 21e session
de la Commission du Codex, relatifs aux Limites maximales de résidus pour les médicaments vétérinaires
suivants: Estradiol 17-β, Progestérone, Testostérone, Zéranol, Acétate de trenbolone, Sulfadimidine,
Flubendazole, Thiabendazole, Isométamidium. 3 Norme de la Commission du Codex alimentarius pour les sardines et les produits du type sardines en
conserve (Codex Stan 94-1981, Rev. 1-1995).
374
références textuelles dans les Accord SPS1 et OTC
2 à ces standards et organisations de
normalisation3.
326. Sur le plan européen, la normalisation était auparavant envisagée comme une
entrave potentielle au commerce intérieur4. C’est une résolution du Conseil du 7 mai
19855 adoptant le principe d’une « nouvelle approche », qui envisage la normalisation
comme une des voies d’harmonisation dans le marché intérieur. La normalisation
devient ainsi un moyen d’harmonisation européenne dans le domaine environnemental
en 19936. Ce système de corégulation, considéré comme une réussite au niveau
européen7
, a été parfait par l’adoption récente d’un règlement européen ayant
notamment pour objectif d’élaborer plus rapidement les normes techniques et
d’assurer une meilleure représentativité de toutes les parties prenantes8. D’ailleurs, les
principes de référence explicite aux standards techniques et de présomption de
1Article 3.1 : « Afin d'harmoniser le plus largement possible les mesures sanitaires et phytosanitaires, les
Membres établiront leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base de normes, directives ou
recommandations internationales, dans les cas où il en existe, sauf disposition contraire du présent accord,
et en particulier les dispositions du paragraphe 3. » 2Article 2.4 : « Dans les cas où des règlements techniques sont requis et où des normes internationales
pertinentes existent ou sont sur le point d'être mises en forme finale, les Membres utiliseront ces normes
internationales ou leurs éléments pertinents comme base de leurs règlements techniques, sauf lorsque ces
normes internationales ou ces éléments seraient inefficaces ou inappropriés pour réaliser les objectifs
légitimes recherchés, par exemple en raison de facteurs climatiques ou géographiques fondamentaux ou de
problèmes technologiques fondamentaux. » 3 Pour une présentation synthétique du phénomène de la normalisation, en particulier de ses interactions
avec les enjeux de la sécurité alimentaire, v. BOY L., « Normalisation », in COLLART DUTILLEUL F. et
BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier,
Bruxelles, 2013, pp. 453-455. 4 Article 28 TCE.
5 Résolution du Conseil du 7 mai 1985 concernant une nouvelle approche en matière d’harmonisation
technique et de normalisation, JOCE C 136/1 du 4 juin 1985. 6
Règlement 1836/93/CEE du Conseil du 29 juin 1993 permettant la participation à un système
communautaire de management environnemental et d’audit, JOCE L 168 et s. du 10 juillet 1993, p. 1. 7 BORRAZ O., Les normes, instruments dépolitisés de l’action publique, in LASCOUMES P. et LE GALÈS P.,
Gouverner par les instruments, éd. Sciences-Po, 2004, p. 145. 8 Règlement (UE) n°1025/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relatif à la
normalisation européenne, modifiant les directives 89/686/CEE et 93/15/CEE du Conseil ainsi que les
directives 94/9/CE, 94/25/CE, 95/16/CE, 97/23/CE, 98/34/CE, 2004/22/CE, 2007/23/CE, 2009/23/CE et
2009/105/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la décision 87/95/CEE du Conseil et la
décision no 1673/2006/CE du Parlement européen et du Conseil.
375
compatibilité en cas de recours à ces standards auraient été « transfusés » du droit
communautaire au droit de l’OMC1.
327. Une force normative reconnue par les organes de règlement des différends de
l’OMC. Les organes de règlement des différends de l’OMC semblent bien avoir
reproduit l’exemple européen en matière de normalisation2. Ils ont finalement reconnu
une normativité aux standards internationaux qui appert participer largement à
l’ineffectivité des exceptions sanitaires et environnementales : la délimitation
jurisprudentielle des champs d’application des accords SPS et OTC soumet
aujourd’hui la quasi-totalité des mesures assurant une quelconque protection de
l’environnement ou de la santé à l’obligation d’harmonisation3 ; dès lors, le laxisme
des conditions de qualification des « standards techniques internationaux »
(SECTION 1), et leur caractère effectivement obligatoire (SECTION 2) réduisent
sensiblement la marge de manœuvre des États membres de l’OMC au point de
remettre totalement en question leur droit formel d’autodéterminer leur propre niveau
de protection.
SECTION 1. LE LAXISME DES CONDITIONS DE QUALIFICATION DES
« STANDARDS TECHNIQUES INTERNATIONAUX ».
328. L’étendue des mesures soumises à l’obligation d‘harmonisation4 a pour pendant
l’étendue des standards internationaux sur lesquels les États doivent s’aligner : ceux-ci
sont potentiellement très nombreux au regard du laxisme de leurs conditions de
qualification. La référence à ces standards diffère entre les deux accords : tandis que
l’Accord SPS fait expressément référence aux trois organisations, dites « sœurs »,
multilatérales de normalisation, l’Accord OTC se réfère à une notion plus générique de
1 BROSSET E., « Articulation entre la norme technique européenne et internationale – Une relation donneur-
receveur… », in BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique
internationale – Entre environnement, santé et commerce international, La documentation française, Paris,
2006, pp. 283-313. 2
Sur le rôle du juge dans la reconnaissance du caractère contraignant des standards techniques
internationaux, v. infra n° 339. 3 V. supra n° 194 s.
4 Ibid.
376
« norme internationale pertinente ». L’incitation à l’harmonisation, et l’application
qui en est faite par les organes de règlement des différends, relèvent néanmoins de la
même tendance à adopter une acception extensive des standards techniques
internationaux pertinents dans les différends environnementaux et sanitaires. Les
marges de manœuvre des entités « publiques » sont ainsi réduites par ces standards,
qui ne sont pas soumis à de strictes conditions de qualification. Les organes de
règlement des différends ont effectivement adopté une acception extensive des entités
susceptibles de les édicter (§1) ; ceci sans poser de condition de qualification relative à
leurs modalités d’élaboration (§2).
LA LARGE ACCEPTION DES ENTITÉS ÉDICTRICES DE STANDARDS § 1.
TECHNIQUES INTERNATIONAUX PERTINENTS
329. La question de la qualification des entités édictrices de standards internationaux
sur lesquels les États Membres sont incités à s’aligner ne se pose pas de la même
manière dans les deux accords. L’Accord SPS fait directement référence à trois
organisations spécifiques, si bien que leur statut ne pose pas de problème dans le cadre
du règlement des différends (A). L’Accord OTC fait, en revanche, référence au terme
générique de « normes internationales pertinentes », laissant place à une interprétation
extensive de l’Organe d’appel (B).
La référence aux « trois sœurs » dans l’Accord SPS A.
330. Une désignation explicite. Le texte de l’article 3 de l’Accord SPS relatif à
l’« harmonisation » pose la présomption de conformité des mesures SPS adoptées
« sur la base de normes, directives ou recommandations internationales ». Le
paragraphe 4 du même article incite les États membres à participer aux activités des
« organisations internationales compétentes ». Il mentionne comme exemples
particuliers la Commission du Codex alimentarius, l’Office internationale des
377
épizooties (OIE1) et les organisations internationales et régionales opérant dans le
cadre de la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV).
L’Annexe A de l’Accord SPS pose les définitions des termes clefs de l’accord. Son
troisième paragraphe est consacré à ces « normes, directives et recommandations
internationales ». Les Membres ont ainsi reconnu que seraient pertinentes
« a) pour l'innocuité des produits alimentaires, les normes, directives et
recommandations établies par la Commission du Codex Alimentarius en ce qui
concerne les additifs alimentaires, les résidus de médicaments vétérinaires et de
pesticides, les contaminants, les méthodes d'analyse et d'échantillonnage, ainsi que les
codes et les directives en matière d'hygiène;
b) pour la santé des animaux et les zoonoses, les normes, directives et
recommandations élaborées sous les auspices de l'Office international des épizooties;
c) pour la préservation des végétaux, les normes, directives et recommandations
internationales élaborées sous les auspices du Secrétariat de la Convention
internationale pour la protection des végétaux en coopération avec les organisations
régionales opérant dans le cadre de ladite Convention; et
d) pour les questions qui ne relèvent pas des organisations susmentionnées, les
normes, directives et recommandations appropriées promulguées par d'autres
organisations internationales compétentes ouvertes à tous les Membres et identifiées
par le Comité ».
Le fait que les organisations compétentes en matière de normalisation soient
explicitement désignées par les textes a permis de clarifier ce point dans le domaine
d’application de l’Accord SPS. Par exemple, dans le différend Hormones, les normes
internationales pertinentes ne faisaient pas débat. Il est d’ailleurs symptomatique que
le Canada et les États-Unis aient demandé l’établissement d’un Groupe spécial peu de
temps après l’adoption par la Commission du Codex de normes relatives aux
1 Devenue l’Organisation mondiale de la santé animale depuis 2003, mais conservant son acronyme
historique OIE.
378
hormones en question dans le différend1. Il s’agissait en l’occurrence de normes sur
cinq des six hormones en cause : l'oestradiol-17, la testostérone, la progestérone, le
zéranol et la trenbolone. La dernière hormone n’était à l’époque l’objet d’aucune
norme internationale. Si les Communautés européennes ont pu fonder leur défense sur
le niveau de protection qu’elles recherchaient pour leur territoire ou le degré de
proximité requis entre la mesure et la norme technique, elles n’ont pas dénié aux
standards élaborés par le Codex leur qualité de norme internationale pertinente. De la
même manière, les standards édictés par l’OIE dans l’affaire Saumons ou par la CIPV
dans l’affaire Australie-Pommes n’ont pas été contestés en tant que standards de
référence. La référence expresse faite aux organisations internationales compétentes
est donc efficace et ne pose pas de problème devant les organes de règlement des
différends. Il en va autrement en ce qui concerne l’Accord OTC.
L’interprétation extensive des « normes internationales pertinentes » de B.
l’Accord OTC
331. L’article 2.4 de l’Accord OTC ne désigne pas d’organisation particulière, mais
fait obligation aux Membres adoptant un règlement technique de le fonder sur les
« normes internationales pertinentes » existantes ou étant sur le point d’être mises en
forme finale. Il revenait ainsi au juge d’interpréter cette notion. C’est dans l’affaire
Thons II que les conditions de qualification d’une « norme internationale pertinente »
ont été le plus discutées.
332. L’examen d’une norme internationale dans l’affaire Thons II. Dans l’affaire
Thons II, le Mexique soutient que les États-Unis disposent d’une mesure de rechange
lui permettant d’informer les consommateurs de produits de thon de pratiques
préservant les dauphins. Il s’agit d’un autre label Dolphin Safe, issu de l’Accord relatif
au Programme international pour la conservation des dauphins (AIDCP). Celui-ci, à la
1 La demande de consultations demandée par les États-Unis est datée du 26 janvier 1996. Elle semble
directement faire suite à la 21e session de la Commission du Codex s’étant tenue du 3 au 8 juillet 1995 à
Rome, ayant adopté les standards techniques de référence dans l’affaire Hormones : ALINORM 91/31,
Appendice IV et ALINORM 93/31, Appendice II.
379
différence du règlement technique en cause, ne s’applique que dans la zone des eaux
tropicales du Pacifique Est (le label américain vaut également dans l’océan pacifique
occidental) et admet la technique d’encerclement (interdite par le label américain car
considérée comme dangereuse pour les dauphins). L’argument du Mexique se fonde
sur le fait que cette norme a été élaborée par une organisation internationale à activités
normatives et a été mise à la disposition du public. Le Groupe spécial réfute
l’allégation au motif que le Mexique n’a pas démontré que la norme est efficace et
appropriée pour atteindre le niveau de protection choisi par les États-Unis. L’Organe
d’appel n’admet pas non plus que le label AIDCP soit qualifié de « norme
internationale pertinente » au sens de l’article 2.4, mais pour des raisons tout à fait
différentes.
Pour parvenir à la conclusion que la norme AIDCP est une « norme internationale
pertinente » le Groupe spécial constate que la certification Dolphin Safe de l’AIDCP
constitue une norme1, que l’AIDCP est une « organisation internationale à activité
normative »2 et que la norme en question a été mise à disposition du public
3.
L’Organe d’appel part du principe que « ce sont principalement les caractéristiques de
l’entité approuvant une norme qui confèrent à la norme son caractère international »4.
Ainsi, pour déterminer si la norme AIDCP est une « norme internationale pertinente »,
l’Organe d’appel pose les critères que doit remplir l’entité les édictant. Le caractère
laxiste des conditions posées par l’Organe d’appel en la matière témoigne de la large
acception des entités édictrices de ces standards internationaux, et par là même de
l’étendue de l’obligation d’harmonisation imposée aux Membres de l’OMC. La
question se pose de savoir si ces entités doivent être des « organisations » ou si elles
n’ont qu’à appartenir à la catégorie plus large des « organismes »5. L’enjeu d’une telle
qualification réside dans l’exigence ou non « de statuts bien établis et de sa propre
1 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la
vente de thon et de produits du thon (« Thons II »), WT/DS381/R, adopté le 13 juin 2012, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS381/AB/R, § 7.677. 2 Ibid., § 7.693.
3 Ibid., § 7.695.
4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la
vente de thon et de produits du thon (« Thons II »), WT/DS381/AB/R, adopté le 13 juin 2012, § 353. 5 Ibid., § 355.
380
administration »1, donc du caractère institutionnel de l’entité
2. L’Organe d’appel opte
pour le second choix en s’appuyant sur le fait que d’autres dispositions de l’Accord
OTC mentionnent les « organismes » 3
. Par là même, il adopte une interprétation plus
extensive de la notion de norme internationale pertinente que le panel4.
Dans le cas d’espèce, l’Organe d’appel refuse toutefois la qualification de « norme
internationale pertinente » à l’AIDCP au regard des conditions que l’« organisme »
les édictant doit remplir. Il dégage effectivement deux critères principaux pour
qualifier une entité d’« organisme international à activité normative »5. Elle doit être
« active »6 dans le domaine de la normalisation ; cette activité doit, en outre, être
« reconnue »7 par les Membres de l’OMC ; enfin, la participation à cet organisme doit
être « ouverte »8 à au moins tous les Membres de l’OMC.
C’est sur cet ultime critère d’ouverture que l’Organe d’appel disqualifie l’AIDCP
d’« organisation internationale à activité normative »9. Il retient l’argument des États-
Unis mettant en lumière le fait que ne pouvaient participer à l’élaboration des normes
AIDCP que les Membres y ayant été invités. Au regard du manque d’automaticité de
ces invitations, l’Organe d’appel réfute le moyen de défense mexicain qualifiant ces
invitations de simples « formalités ».
Malgré cette exigence de l’Organe d’appel, l’interprétation extensive des entités
susceptibles d’élaborer des standards ayant un statut de « norme internationales
1 Ibid.
2 PIRONON V., in BUSSEUIL G. et AL., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des
différends (novembre 2011 – août 2013) », RIDE, 2013/3 (t. XXVII), p. 375. 3 Annexe 1.2 de l’Accord OTC : « document approuvé par un organisme reconnu, qui fournit, pour des
usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour des produits ou
des procédés et des méthodes de production connexes, dont le respect n’est pas obligatoire. Il peut aussi
traiter en parie ou en totalité de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d’emballage, de
marquage ou d’étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production donnés « , cité par le
Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », § 350 ; et Annexe 1.4 de l’Accord OTC : « Organisme ou système
ouvert aux organismes compétents d’au moins tous les Membres », cité par le Rapport de l'Organe d'appel
« Thons II », § 351. 4 V. en ce sens PIRONON V., in BUSSEUIL G. et AL., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de
règlement des différends (novembre 2011 – août 2013) », op. cit., p. 375. 5 Expression employée dans les articles 2.6, 10.1.4, 11.2, 12.5 et 12.6, ainsi que les annexes 3.G et 3.H de
l’Accord OTC, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », § 356. 6 Rapport de l'Organe d'appel « Thons II », § 360.
7 Ibid., § 357.
8 Ibid., § 358.
9 Ibid., § 398.
381
pertinentes » au sens de l’Accord OTC se vérifie dans les conditions à remplir pour le
critère d’« activité » de l’organisme. S’appuyant sur le Guide ISO/CEI 2 : 1991,
l’Organe d’appel n’exige pas que la normalisation soit sa fonction principale ou une de
ses fonctions principales1
. En outre, il réfute l’argument américain soulignant
l’utilisation du pluriel, en concluant à la simple exigence que l’organisme participe à
l’élaboration de plus d’une norme2.
Selon lui, le critère de reconnaissance n’exige que la conscience des Membres de
l’OMC que l’organisme international en question mène des activités de normalisation3.
S’il estime que la large utilisation des normes d’un organisme est « un élément de
preuve très pertinent », il précise que pourront prétendre au statut d’« organismes
internationaux à activités normatives » des entités dont les normes ne sont pas
utilisées4.
L’Organe d’appel a certes dénié la qualité d’entité susceptible d’édicter des standards
techniques internationaux à l’AIDCP dans son rapport Thons II sur la base de son
manque d’ouverture aux Membres de l’OMC ; il a pourtant mis en place des critères
laxistes qui permettent à un grand nombre d’« organismes » de remplir les conditions
de reconnaissance et d’activité.
L’Organe d’appel semble ainsi s’être ménagé une large liberté d’interprétation pour
l’avenir en ne se fermant aucune porte5
. La conception retenue des « normes
internationales pertinentes » au sens de l’article 2.4 de l’Accord OTC, étant fondée sur
une interprétation extensive des « organismes internationaux à activités normatives »,
témoigne de l’obstacle auquel sont confrontés les Membres souhaitant s’écarter des
standards techniques internationaux. Cet obstacle apparaît d’autant plus clairement au
regard de l’absence de condition de qualification relative aux modalités d’élaboration
du standard.
1 Ibid., § 362.
2 Ibid., §§ 393-394.
3 Ibid., § 362.
4 Ibid., § 392.
5 PIRONON V., in BUSSEUIL G. et AL., « Chronique commentée des décisions de l’Organe de règlement des
différends (novembre 2011 – août 2013) », op. cit., p. 376.
382
L’ABSENCE DE CONDITION DE QUALIFICATION RELATIVE AUX § 2.
MODALITÉS D’ÉLABORATION DU STANDARD
333. L’étendue des standards internationaux auxquels sont soumis les États Membres
dans le cadre de la politique d’harmonisation de l’OMC découle également de
l’indifférence des organes de règlement des différends à l’égard des modalités
d’élaboration de ces standards. Une fois encore, ceux-ci adoptent une politique
analogue dans le cadre de l’application des deux accords OTC (A) et SPS (B).
L’indifférence des modalités d’élaboration des standards dans le cadre de A.
l’Accord OTC
334. L’Accord OTC contient pourtant une annexe fixant certaines règles pour
l’élaboration des normes internationales1. Celles-ci sont entre autres choses soumises à
des critères de non-discrimination et de nécessité qui ne font que reprendre les grands
principes commerciaux des Accords de l’OMC, mais n’offrent aucune garantie
particulière aux États qui s’y retrouvent soumis. C’est à l’occasion de l’affaire
Sardines que les organes de règlement des différends ont traité de l’élaboration des
standards internationaux dans le cadre de l’application de l’Accord OTC.
335. Le traitement des modalités d’élaboration des standards dans l’affaire Sardines.
Il s’agit de savoir si le standard élaboré par le Codex, dit Codex Stan 942, norme pour
les sardines et produits du type sardines en conserve, peut être qualifié de « norme
internationale pertinente » au sens de l’article 2.4 de l’Accord OTC. Les
Communautés européennes refusent d’admettre une telle qualification en arguant que
la norme en cause n’a pas été adoptée par consensus. Dès lors, il revient aux organes
de règlement des différends d’interpréter la note explicative de l’annexe 1.2 relative à
1 Annexe 3 de l’Accord OTC, intitulée « Code de pratique pour l’élaboration, l’adoption et l’application
des normes ». 2
Adopté par la Commission du Codex alimentarius en 1981, disponible en ligne :
http://www.codexalimentarius.org/normes-officielles/liste-des-
normes/fr/?no_cache=1&provide=standards&orderField=fullReference&sort=asc&num1=CODEX,
consulté le 24/08/2014.
383
la notion de norme, disposant que « les normes élaborées par la communauté
internationale à activité normative sont fondées sur un consensus. Le présent accord
vise également des documents qui ne sont pas fondés sur un consensus » 1
.
Le Groupe spécial interprète cette disposition comme « confirm[ant] que même si elle
n’a pas été adoptée par consensus, une norme internationale peut constituer une
norme internationale pertinente »2. Il précise dans une note de bas de page que « le
compte rendu des débats ne démontre pas que Codex Stan 94 n’a pas été adoptée par
consensus »3
. Il considére néanmoins que cette question « n’aurait eu aucune
incidence sur [sa] détermination »4, compte tenu de la note explicative.
L’Organe d’appel souscrit à l’interprétation du Groupe spécial en concluant à
l’absence de condition de consensus5. Plus avant, il admet que la définition dans le
Guide ISO/CEI pose une condition de consensus pour qualifier un document de norme.
Loin de remettre en cause sa propre interprétation, il en conclut que « l’omission d’une
obligation de consensus » dans la définition d’une norme donnée à l’Annexe 1.2 de
l’Accord OTC était « un choix délibéré » de la part des rédacteurs de l’Accord, et que
« les deux dernières phrases de la Note explicative ont été incluses pour donner effet à
ce choix »6.
L’interprétation alternative constituait l’argument des Communautés européennes.
Celles-ci soutenaient que la note explicative établissait une différence entre les
« normes élaborées par la Communauté internationale à activité normative » qui
étaient soumises à une obligation de consensus, et les autres « documents qui ne sont
1 Annexe 1.2 de l’Accord OTC, citée par le Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes –
Désignation commerciale des sardines (« Sardines »), WT/DS231/AB/R, adopté le 23 octobre 2002, § 220. 2
Rapport du Groupe spécial Communautés européennes – Désignation commerciale des sardines
(« Sardines »), WT/DS231/R et Corr.1, adopté le 23 octobre 2002, modifié par le rapport de l'Organe
d'appel WT/DS231/AB/R, § 7.90. 3 Rapport du Groupe spécial « Sardines », § 7.90, note 86.
4 Ibid.
5 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 222.
6 Ibid., § 225.
384
pas fondés sur un consensus »1. Une telle interprétation corroborerait également
l’opinion séparée d’un des membres du Groupe spécial de l’affaire Thon II 2.
L’Organe d’appel rappelle de manière prosaïque qu’en tout état de cause, les
Communautés européennes « n’avaient pas prouvé que Codex Stan 94 n’avait pas été
adoptée par consensus » 3
. Le caractère prosaïque de cette remarque apparaît à la
lecture de la reconnaissance expresse en note de bas de page que la preuve qu’il y
avait ou non consensus était impossible à rapporter, puisque : « Le rapport de la
réunion de la Commission du Codex à laquelle Codex Stan 94 a été adoptée, que le
Pérou a présenté au Groupe spécial, ne fait pas mention d'un recours au vote avant
l'approbation de cette norme » 4
. Les propos de l’Organe d’appel concluent à
l’absence d’obligation de consensus, tout en précisant mystérieusement que cette règle
« ne devrait pas être interprété[e] comme signifiant qu’à [son] avis un organisme
international à activité normative ne devrait pas exiger que les normes qu’il établit
soient adoptées par consensus »5. et de conclure : « Il ne nous appartient pas d’en
décider »6. À l’image d’un Ponce Pilate qui s’en lave les mains, l’Organe d’appel se
donne bonne conscience en paraissant suggérer de manière subliminale qu’il serait bon
que le Codex mette en place une telle règle de consensus, tout en lui déléguant cette
exigence.
Cette absence d’obligation de consensus témoigne fidèlement du choix des organes de
règlement des différends d’accorder une force normative à un droit extérieur au
système de l’OMC, sans poser d’exigence procédurale.
1 Réponse des Communautés européennes aux questions posées à l’audience, citée par le Rapport de
l'Organe d'appel « Sardines », § 222. 2 Concernant l’« opinion séparée » relative au caractère contraignant du label américain, v. supra n° 207.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 226.
4 Rapport de la douzième session de la Commission mixte FAO/OMS du Codex Alimentarius (ALINORM
78/41), présenté au Groupe spécial par le Pérou en tant que pièce n° 14 du Pérou. 5 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 227.
6 Ibid.
385
L’indifférence des modalités d’élaboration des standards dans le cadre de B.
l’Accord SPS
336. L’absence de condition d’élaborations des normes édictées par les trois
« sœurs ». L’Accord SPS ne semble pas amener les organes de règlement des
différends à être plus regardants sur les modalités d’élaboration des standards
techniques internationaux. Le Groupe spécial répond aux arguments australiens que
« le fait que le Code de l'OIE est sujet à révision ou la manière dont il a été adopté ne
change pas, à notre avis, sa validité pour nos fins »1. L’Australie indiquait en effet
qu’étant sujet à une révision substantielle, le Code de l’OIE ne pouvait constituer de
« directives internationales adéquates ». Le Groupe spécial s’appuie sur le fait que le
paragraphe 3b) de l’Annexe A) de l’Accord SPS renvoie explicitement à l’OIE et aux
« normes, lignes directrices et recommandations qu’il élabore ». La référence
explicite de l’Accord SPS aux trois organisations sœurs semble être interprétée comme
l’acceptation d’une normativité absolue de leurs productions, sans regard pour les
procédures de leur élaboration. Il est à noter que les normes, lignes directrices et
recommandations, qui ne sont pas soumises aux mêmes procédures et n’entraînent pas
le même type d’obligations au sein des instances de normalisation semblent toutes être
qualifiées de normes internationales par les organes de règlement des différends qui
leur appliquent sans distinction la même présomption de compatibilité.
337. La confiance en les experts des organisations de normalisation. La prise en
compte des avis d’experts par le Groupe spécial dans son rapport Saumons témoigne
également de cette confiance aveugle en l’activité des organisations explicitement
désignées par l’Accord SPS. Le Groupe spécial y a recours à l’avis d’un des experts de
l’OIE sur le standard élaboré par l’OIE. Ce standard recommande l’éviscération
comme mesure sanitaire dans le cadre du commerce international de saumons. Il est en
l’occurrence peu étonnant que l’expert de la même organisation estime que
« l’éviscération assurait un très haut degré de sécurité contre la transmission de
1 Rapport du Groupe spécial Australie – Mesures visant les importations de saumons (« Australie –
Saumons »), WT/DS18/R, adopté le 6 novembre 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS18/AB/R, § 7.10.
386
maladies »1. Le Groupe spécial estime alors « qu'il faudrait donner une importance
appropriée à cette opinion »2 en motivant sa déclaration par la mention de l’OIE dans
l’Accord SPS et par l’objectif répété d’harmonisation. Le conflit d’intérêt que présente
le fait de recourir à un expert de l’entité ayant édicté la norme pertinente ne semble
poser aucun problème au Groupe spécial.
Il résulte de la pratique des organes de règlement des différends la soumission d’un
large éventail de mesures sanitaires et environnementales des Membres à une kyrielle
de standards internationaux qu’ils refusent de filtrer en fonction de leurs modalités
d’élaboration. La marge réglementaire des Membres de l’OMC en matière
environnementale et sanitaire semble ainsi sous la coupe d’entités motivées par divers
intérêts, publics, mais surtout privés3. En effet, en réduisant la marge de manœuvre
étatique, ou publique, les organes de règlement des différends accordent une large
place à la défense d’intérêts commerciaux, dans lesquels les associations de
consommateurs sont très largement minoritaires. La large acception des standards
techniques internationaux pertinents prend toute son importance au regard de leur
obligatoriété de fait, malgré le discours théorique les présentant comme incitatives.
SECTION 2. LE CARACTÈRE EFFECTIVEMENT OBLIGATOIRE DES
STANDARDS TECHNIQUES INTERNATIONAUX
338. Une incitation forcée à l’harmonisation internationale. Les deux couples que
forment les articles 3.1 et 3.2 de l’Accord SPS d’une part, et 2.4 et 2.5 de l’Accord
OTC d’autre part, présentent la même absence de précision du degré de proximité
1 Réponse de M. WINTON à la question n° 24 du Groupe spécial, réponses de M. WINTON, p. 3, cité par le
Rapport du Groupe spécial « Australie – Saumons », § 8.180. 2 Rapport du Groupe spécial « Australie – Saumons », § 8.180.
3 LECOURT R., « Quelques observations sur la participation des États aux travaux de la Commission du
Codex alimentarius », in BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique
internationale – Entre environnement, santé et commerce international, La documentation française, Paris,
2006, p. 155 : « Aux yeux de l’auteur de ces lignes, le point faible réside dans le déséquilibre entre la
représentation des intérêts professionnels/commerciaux et ceux des consommateurs. Si les OING de défense
des consommateurs compensent en partie leur faiblesse numérique par le professionnalisme et la grande
qualité de leurs interventions, il n’en demeure pas moins qu’elles représentent moins de 10% des
observateurs ».
387
requis entre les mesures soumises à l’obligation d’harmonisation et les standards
internationaux1. Les premiers articles incitent les États membres à l’harmonisation via
l’obligation de fonder leurs mesures environnementales et sanitaires sur les standards
existants, quand les seconds mettent en place une présomption de compatibilité des
mesures ou règlements « conformes » à ces standards. Les organes de règlement des
différends ont ainsi dû donner sens à cette volonté des négociateurs d’harmoniser leurs
mesures environnementales et sanitaires, et endosser, à l’instar d’autres juges, un rôle
primordial dans la reconnaissance du caractère contraignant des standards techniques
internationaux (§1). Il résulte de leur interprétation, tant de l’Accord SPS que de
l’Accord OTC, une obligatoriété de facto des standards internationaux, réduisant à
néant la marge des États membres en matière de politiques environnementales et
sanitaires. L’Organe d’appel a effectivement posé une exigence de « conformité »
absolue des mesures SPS aux standards internationaux dans son rapport Hormones I
(§2) et, refusant de préciser trop avant la nature de la relation devant être établie entre
un règlement technique et un standard international, simplement déclaré incompatible
avec le droit de l’OMC un règlement technique « contradictoire » avec le standard de
référence dans son rapport Sardines (§3).
LE RÔLE DU JUGE DANS LA RECONNAISSANCE DU CARACTÈRE § 1.
CONTRAIGNANT DES STANDARDS TECHNIQUES INTERNATIONAUX
339. À l’instar du rôle générique des juges dans la juridicité de certaines normes de
soft law2, les organes de règlement des différends revêtent, dans les différends
environnementaux et sanitaires, une fonction primordiale dans la reconnaissance du
caractère contraignant des standards de référence. Ceux-ci tiennent un discours
théorique d’adhésion volontaire des Membres de l’OMC aux standards internationaux.
1 V. en ce sens, TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, thèse,
Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 434-435. 2 V. en ce sens CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », RIDE, 2005/3 t. XIX, 3, pp. 286-288 ; BOY L.,
« Liens entre la norme technique et la norme juridique en droits communautaire et international », in
BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique internationale – Entre
environnement, santé et commerce international, op. cit., p. 60 ; OUEDRAOGO A., « Standard et
standardization: la normativité variable en droit international », RQDI, 26.1 (2013), pp. 179-185.
388
La présomption de compatibilité avec le droit de l’OMC des mesures conformes à ces
standards techniques est interprétée comme une « recommandation »1, laquelle ne
confère à ces standards ni caractère contraignant, ni « une force et un effet
exécutoires » 2
. Théoriquement, donc, l’Organe d’appel n’interprète la référence faite à
ces standards que comme une pure incitation, dont le respect ne serait pas obligatoire.
Pourtant, par le truchement de la présomption de compatibilité des mesures nationales
conformes à ces standards techniques, telle qu’interprétée par les organes de règlement
des différends, il semble qu’ils aient acquis une force normative de facto3. Les entités
édictrices de ces standards auraient par là même été muées en véritables « organe[s]
législatif[s] »4
de la protection environnementale et sanitaire. C’est bien la
jurisprudence environnementale et sanitaire qui déplace les enjeux d’un forum à
l’autre5, dans un mouvement de juridicisation de la technicité
6, entraînant une
radicalisation des négociations au sein des entités édictrices de standards telles que le
Codex7, qui deviendraient autant de forums de discussion de principes juridiques
8.
Partant, une partie de la doctrine se prononce pour que l’OMC ne s’engage pas plus
avant dans un modèle « régulatoire » à l’image de l’Union européenne : le droit de
l’OMC devrait en ce sens se contenter d’interdire les discriminations, notamment par
le biais d’obligations procédurales, mais laisser aux États membres leur liberté dans la
1 Rapport de l'Organe d'appel Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés
(hormones) (« Hormones I »), WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998, § 165. 2 Ibid (Souligné dans l’original).
3 V. en ce sens CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », op. cit., p. 285 ; WIRTH D.A., “Compliance with
Non-Binding Norms of Trade and Finance”, in SHELTON D. (ed.), Commitment and Compliance – The Role
of Non-Binding Norms in the International Legal System, Oxford, O.U.P., 2000, p. 339; CAZALA J., « La
force normative des instruments du Codex alimentarius dans le cadre de l’Organisation mondiale du
commerce », in THIBIERGE C. (dir.), La force normative – Naissance d’un concept, Bruylant – LGDJ, 2009,
Bruxelles – Paris, pp. 335-343. 4 BROSSET E., « Articulation entre la norme technique européenne et internationale – Une relation donneur-
receveur… », op. cit., p. 313. 5 LANFRANCHI M.-P., « Les obligations de recourir à la norme technique dans le droit de l’OMC », in
BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique internationale – Entre
environnement, santé et commerce international, op. cit., pp. 187-198. 6OUEDRAOGO A., « Standard et standardization: la normativité variable en droit international », op. cit.,
pp. 155-186. 7 Pour une présentation succincte du Codex alimentarius, en particulier de ses interactions avec la
problématique de la sécurité alimentaire, v. MUNOZ URENA H.A. et BUGNICOURT J.-P., « Codex
alimentarius », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité
alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 164-166. 8 ROMI R., « Codex alimentarius : de l’ambivalence à l’ambiguïté », RJE, 2001/2, pp. 201-213.
389
définition des règles techniques et substantielles propres à leurs cultures1. Le caractère
contraignant des standards techniques internationaux ne paraît effectivement pas
souhaitable au regard des enjeux qui les sous-tendent2.
Premièrement, l’« incitation » à l’harmonisation des standards techniques dans les
domaines sanitaires et environnementaux a clairement pour objectif de faciliter le
commerce international des marchandises. Le préambule de l’Accord SPS est explicite
en ce sens quand il énonce qu’un cadre normatif multilatéral permettra de « réduire au
minimum[les]effets négatifs sur le commerce » 3
des mesures sanitaires et
phytosanitaires et que les « normes, directives et recommandations internationales »
peuvent y apporter une « contribution importante »4. Cet objectif commercial annonce
l’usage que les membres du système de règlement des différends de l’OMC font de
tels standards : ils auront, dans le droit de l’OMC, nécessairement une fonction de
normes maximales, d’atteintes tolérées aux principes du libre-échange. Rendre ces
standards contraignants risquerait donc de les niveler vers le bas, ce qui irait à
l’encontre de la protection de l’environnement ou de la santé telle qu’envisagée en tant
que politique publique nationale5.
Deuxièmement, il paraît incohérent d’interpréter cette référence comme contraignant
les Membres à adopter des mesures environnementales et sanitaires calquées sur les
standards techniques, dans la mesure où ceux-ci sont élaborés en dehors de l’enceinte
de négociation de l’OMC. Cette « délocalisation » de la réglementation matérielle
dans les domaines environnementaux et sanitaires vient justement du fait que les
négociations afférentes dans l’enceinte de l’OMC sont condamnées à l’échec pour
1 MCGINNIS J.O. et MOVSESIAN M.L., “The World Trade Constitution”, Harvard Law Review, 2000, p.
512-605; SYKES A.O., “The (Limited) Role of Regulatory Harmonization in International Goods and
Services Markets”, J.I.E.L., 1999, p. 49-70. 2 « Il faut comprendre qu’au-delà des règles générales de libre échange, le commerce international des
aliments fait l’objet d’une réglementation spéciale par le biais de la normalisation technique édictée au
Codex Alimentarius, organisation internationale qui apparaît en quelque sorte comme la cheville ouvrière
du libre-échange des produits alimentaires » : NOIVILLE C., « Principe de précaution et Organisation
mondiale du commerce – Le cas du commerce alimentaire », JDI, 2000/2, p. 283 ; v. également DOBBERT
J.-P., « Le Codex Alimentarius. Vers une nouvelle méthode de réglementation internationale », AFDI, 1969,
pp. 677-717. 3 Alinéa 4 du Préambule de l’Accord SPS.
4 Alinéa 5 du Préambule de l’Accord SPS.
5 V. en ce sens CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », op. cit., p. 277.
390
cause de clivages politiques trop importants entre les Membres. Ces derniers, en se
voyant opposer le caractère obligatoire de standards élaborés en dehors du droit de
l’OMC se verraient dépossédés de leur pouvoir souverain de négociation concernant
les enjeux les plus sensibles, justement parce que porteurs de valeurs culturelles. Le
processus d’élaboration n’est pas le même d’une entité édictrice de standards
techniques internationaux à une autre, et a été critiqué par la doctrine qui dénonce le
décalage entre des modalités laxistes et variables d’élaboration de tels standards et leur
caractère obligatoire1. Le déséquilibre des représentations des intérêts commerciaux et
non-commerciaux (desquels dépendent la protection de la santé et de l’environnement)
a d’ailleurs déjà été dénoncé par la doctrine2. Enfin, si l’harmonisation internationale y
est progressive sur les questions très techniques et consensuelles, elle reste en panne
sur les questions politiques non consensuelles interrogeant les valeurs portées3. Bien
que les standards techniques soient opportuns dans la résolution des différends
environnementaux et sanitaires4, leur force normative ne semble pas résoudre le fond
du problème, davantage lié à des clivages culturels et politiques. Les organes de
règlement des différends ont instauré ce caractère effectivement obligatoire des
1 Pour une critique du mécanisme de décisions majoritaires, v. STEWART T.P. et JOHANSON D.S., “The SPS
Agreement of the World Trade Organization and International Organizations : The Roles of the Codex
Alimentarius Commission, the International Plant Protection Convention, and the International Office of
Epizootics”, Syracuse Journal of International Law and Commerce, 1998, p. 42 ; pour une critique de la
pratique du consensus dans l’enceinte du Codex v. TRUILHÉ-MARENGO E., « Consensus comme modalité
d’adoption des normes au sein du Codex », in BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la
normalisation technique internationale – Entre environnement, santé et commerce international, op. cit., pp.
105-119 ; pour une critique du système d’expertise, v. KOURILSKY P. et VINEY G., Le principe de
précaution, Rapport au Premier ministre, La Documentation française, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 226 ;
ETCHELAR E., « Expertise scientifique et normalisation – Le cas du Codex alimentarius », in BROSSET E. et
TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique internationale – Entre environnement,
santé et commerce international, op. cit., pp. 159-174. 2 LECOURT R., « Quelques observations sur la participation des États aux travaux de la Commission du
Codex alimentarius », in BROSSET E. et TRUILHÉ-MARENGO E., Les enjeux de la normalisation technique
internationale – Entre environnement, santé et commerce international, op. cit., p. 155 : « Aux yeux de
l’auteur de ces lignes, le point faible réside dans le déséquilibre entre la représentation des intérêts
professionnels/commerciaux et ceux des consommateurs. Si les OING de défense des consommateurs
compensent en partie leur faiblesse numérique par le professionnalisme et la grande qualité de leurs
interventions, il n’en demeure pas moins qu’elles représentent moins de 10% des observateurs ». 3 MALJEAN-DUBOIS S., « Relations entre normes techniques et normes juridiques : illustrations à partir de
l’exemple du commerce international des produits biotechnologiques », in BROSSET E. et TRUILHÉ-
MARENGO E. (dir.), Les enjeux de la normalisation internationale. Entre environnement, santé et commerce
international, op. cit., pp. 199-231. 4
Sur le caractère opportun des standards internationaux, en tant que réponses aux besoins de
règlementations environnementales et sanitaires, v. supra n° 325.
391
standards techniques internationaux dans le cadre de l’Accord SPS à l’occasion de
l’affaire Hormones I.
L’AFFAIRE HORMONES I : L’EXIGENCE DE « CONFORMITÉ » DES § 2.
MESURES SPS AUX STANDARDS TECHNIQUES INTERNATIONAUX
340. Dans leurs rapports Hormones I, le Groupe spécial aussi bien que l’Organe
d’appel constatent que la mesure communautaire en cause n’est pas « basée sur » la
norme internationale pertinente. Celle-ci ne peut dès lors être justifiée que par une
évaluation des risques. Les preuves scientifiques alors présentées par les
Communautés européennes ne persuadent pas les organes de règlement des différends,
lesquels concluent à l’incompatibilité avec le droit de l’OMC de la mesure restreignant
les taux d’hormones dans les produits carnés. Cependant les deux organes ne
parviennent pas à cette conclusion par le biais du même raisonnement : le Groupe
spécial propose une assimilation des mesures « basées sur » et « conformes » aux
standards internationaux (A), proposition que l’Organe d’appel infirme pour les
distinguer et rendre d’autant plus contraignante l’exigence de conformité (B).
L’assimilation par le Groupe spécial des mesures « basées sur » et A.
« conformes à »
341. L’application de la présomption de compatibilité avec le droit de l’OMC aux
mesures « basées sur » les standards techniques internationaux. Le Groupe spécial
commence par reprendre le texte de l’article 3.2 de l’Accord SPS pour poser la règle
fondamentale de présomption de compatibilité au droit de l’OMC des mesures
« conformes » aux normes, directives et recommandations internationales1. Selon lui,
la difficulté réside dans l’interprétation du premier paragraphe de l’article 3, qui dans
l’objectif d’« harmonisation » des mesures SPS, pose l’obligation pour les membres
1 Article 3.2 de l’Accord SPS : « Les mesures sanitaires ou phytosanitaires qui sont conformes aux normes,
directives ou recommandations internationales seront réputées être nécessaires à la protection de la vie et
de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, et présumées être compatibles
avec les dispositions pertinentes du présent accord et du GATT de 1994 ».
392
d’établir ces mesures « sur la base de normes, directives ou recommandations
internationales »1. Tentant de lier les interprétations de ces deux paragraphes, il
considère que ces dispositions assimilent les mesures établies « sur la base de » aux
mesures « conformes à » ces standards internationaux. Enfin, il mène son
interprétation à la lumière du troisième paragraphe, qui pose l’obligation de justifier
scientifiquement les mesures entrainant un niveau de protection sanitaire ou
phytosanitaire supérieur à celui obtenu avec les standards internationaux2. Il en
conclut qu’un des « éléments déterminants », dans l’examen du degré de proximité
entre la mesure et la norme internationale, est « le niveau de protection que cette
mesure permet d’obtenir »3. Cette interprétation paraît cohérente. Le Groupe spécial
explicite pour finir une simple méthode de comparaison des niveaux de protection
obtenus entre les normes internationales et les mesures communautaires afin d’établir
si celles-ci ont bien été établies « sur [cette] base ». Le cas échéant, le Groupe spécial
ayant interprété les textes comme les assimilant à des mesures « conformes » aux
standards internationaux, la mesure offrant le même niveau de protection que la norme
internationale bénéficiera de la présomption de compatibilité au droit de l’OMC. En
l’espèce, le Groupe spécial constate que les mesures communautaires offrent un
niveau de protection plus élevé que celui posé par les normes internationales, et ne
peuvent bénéficier de la présomption de compatibilité. Les Communautés européennes
ne peuvent dès lors justifier leur mesure que scientifiquement, ce en quoi elles
échouent.
1 Article 3.1 de l’Accord SPS : « Afin d'harmoniser le plus largement possible les mesures sanitaires et
phytosanitaires, les Membres établiront leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base de normes,
directives ou recommandations internationales, dans les cas où il en existe, sauf disposition contraire du
présent accord, et en particulier les dispositions du paragraphe 3 ». 2 Article 3.3 de l’Accord SPS : « Les Membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou
phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui
serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales
pertinentes s'il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection
sanitaire ou phytosanitaire qu'un Membre juge approprié conformément aux dispositions pertinentes des
paragraphes 1 à 8 de l'article 5.2 Nonobstant ce qui précède, aucune mesure qui entraîne un niveau de
protection sanitaire ou phytosanitaire différent de celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les
normes, directives ou recommandations internationales ne sera incompatible avec une autre disposition du
présent accord ». 3 Rapport du Groupe spécial « Hormones I, plainte du Canada », §§ 8.75 et 8.76 ; Rapport du Groupe
spécial « Hormones I, plainte des États-Unis », §§ 8.72 et 8.73.
393
Bien que l’interprétation menée par le Groupe spécial l’ait conduit à conclure à
l’incompatibilité de la mesure européenne avec le droit de l’OMC, son raisonnement
lui permettait d’appliquer aux mesures offrant le même niveau de protection que les
standards techniques internationaux, sans exiger qu’elles y soient complètement
conformes. L’Organe d’appel va pourtant censurer cette assimilation pour poser une
règle d’interprétation plus restrictive, donc d’autant moins favorable à l’effectivité des
exceptions environnementales et sanitaires.
La distinction de l’Organe d’appel entre les mesures « basées sur » et B.
« conformes à »
342. Le refus d’appliquer la présomption de compatibilité avec le droit de l’OMC
aux mesures « basées sur » les standards techniques internationaux. L’Organe
d’appel infirme les constatations posées par le Groupe spécial dans son rapport
Hormones au motif qu’en adoptant un tel raisonnement1
, il rend ces normes
internationales contraignantes, quand une interprétation littérale des textes donne à
penser que les négociateurs ont eu l’« intention » qu’elles ne soient que volontaires :
« Nous ne pouvons pas supposer à la légère que des États souverains ont eu
l’intention de s’imposer à eux-mêmes une obligation plus lourde les forçant à se
conformer à ces normes, directives et recommandations ou à les respecter, plutôt
qu’une obligation moins contraignante »2. Ce caractère contraignant résulte, selon
l’Organe d’appel, de l’assimilation erronée des mesures « basées sur » aux mesures
« conformes » aux standards internationaux. Son raisonnement consiste dès lors à
établir une distinction entre ces deux degré de proximité. D’après l’Organe d’appel, la
conformité d’une mesure à un standard international résulte de son incorporation
complète : « Cette mesure incorporerait complètement la norme internationale et la
transformerait en pratique en une norme nationale »3. Il applique la présomption de
compatibilité à ce degré de proximité entre la mesure et le standard conformément à
1 Nous faisons référence au raisonnement exposé dans le point précédent, d’assimilation des mesures
« basées sur » et « conformes » aux standards internationaux : v. supra n° 341. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 165.
3 Ibid., § 170.
394
l’article 3.2 de l’Accord SPS. À l’inverse, le fait de ne pas incorporer complètement la
norme internationale à la réglementation nationale en en faisant une mesure SPS et de
n’en retenir que « quelques-uns des éléments […] sans nécessairement les incorporer
tous » consiste alors à « baser la mesure sur » le standard international. Selon
l’interprétation de l’Organe d’appel, un tel cas de figure ne fait pas bénéficier la
mesure litigieuse de la présomption de compatibilité. Il précise néanmoins que le
Membre ayant « basé » une mesure SPS « sur » un standard international, « n’est pas
pénalisé [par l’absence de présomption de compatibilité] parce qu’un Membre
plaignant n’est pas exempté de l’obligation normale de présenter un commencement
de preuve d’incompatibilité avec le paragraphe 1 de l’article 3 »1. En distinguant les
deux degrés de proximité, l’Organe d’appel assimile le fait de fonder une mesure SPS
sur un standard international à la non-conformité de la mesure au standard.
L’obligation de justification scientifique de la mesure qui en découle est d’une telle
difficulté2 qu’il semble bien que l’Organe d’appel rende ces standards internationaux
encore plus contraignants que le Groupe spécial. Son raisonnement binaire ne laisse
aux Membres qu’un choix restreint entre une incorporation complète du standard ou
une preuve scientifique impossible, là où le Groupe spécial leur laissait une marge de
manœuvre, certes limitée, en examinant avant tout le critère du niveau de protection
environnemental ou sanitaire effectif.
343. Une distinction participant à l’ineffectivité des exceptions environnementales et
sanitaires. Le régime contraignant appliqué aux standards internationaux se vérifie
dans la suite du rapport Hormones I de l’Organe d’appel, quand celui-ci conclut que
« tout bien considéré », il adhère à la constatation du Groupe spécial selon laquelle les
Communautés européennes doivent justifier leur mesure par une évaluation des
risques au sens de l’article 5.1 de l’Accord SPS3. Les développements conséquents
défendant le « droit important » des Membres « de déterminer le niveau de protection
1 Ibid., § 171.
2 La réalité de la répartition de la charge de la preuve dans l’application de la règle du prima facie case
pousse à conclure à une pénalité effective du Membre adoptant une mesure SPS n’étant pas conforme aux
standards internationaux. Jusqu’alors, aucun Membre, ayant adopté une mesure protectrice de la santé ou de
l’environnement, n’a obtenu gain de cause en fournissant les preuves scientifiques la justifiant au regard des
organes de règlement des différends. V. en ce sens supra n° 211 s. 3 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 176.
395
sanitaire qui est approprié »1
et la nécessité de ne pas rendre les standards
internationaux contraignants afin de respecter l’intention des négociateurs sont mis à
mal par ces quelques paragraphes interprétant les conditions de justification d’une
mesure SPS non conforme aux standards internationaux, et rendant en pratique ces
standards obligatoires. En l’espèce, le décalage entre les mesures communautaires et
les standards internationaux du Codex résidait bien dans les différences de taux
d’hormones tolérés ; ce que le Groupe spécial dénommait « un niveau différent de
protection sanitaire ou phytosanitaire ». Pour ajouter à la défense du raisonnement du
Groupe spécial, il est à noter que ce critère de niveau de protection aurait donné
l’opportunité aux organes de règlement des différends d’invalider les mesures SPS
offrant un niveau moindre de protection environnemental ou sanitaire que celui
proposé par les standards internationaux. L’exigence de « conformité » posée par les
organes de règlement des différends ne s’applique effectivement qu’a maxima. Il est
évident que l’utilisation de ces mêmes standards techniques par un système porteur de
valeurs non-commerciales telles que la protection de l’environnement ou de la santé
aurait posé une exigence a minima. Dans l’optique de recherche d’équilibre affichée
par l’Organe d’appel, l’exigence de conformité aurait pu être posée de manière
absolue afin de proposer un compromis entre les valeurs commerciales et les valeurs
non-commerciales.
L’AFFAIRE SARDINES : L’INCOMPATIBILITÉ DES RÈGLEMENTS § 3.
« CONTRADICTOIRES »
344. L’Organe d’appel n’a pas abordé la question dans les mêmes termes concernant
l’application de l’Accord OTC dans le cadre de l’affaire Sardines. Pourtant, le corps
du texte de l’Accord emploie alternativement les deux expressions : l’article 2.4 incite
les Membres à utiliser les standards internationaux comme « base » de leurs
règlements techniques ; quand l’article 2.5 pose une présomption de compatibilité
avec l’Accord des règlements « conformes » aux standards internationaux. Le Groupe
spécial et l’Organe d’appel concluent tous deux par le constat que le règlement
1 Ibid., § 172.
396
technique communautaire n’est pas « basé sur » le standard international pertinent,
Codex Stan 94. Mais alors que le Groupe spécial tentait de définir la notion de
« base » (A), l’Organe d’appel infirme son raisonnement en refusant de consacrer une
définition (B), qui risquerait de restreindre sa marge de manœuvre dans les affaires
ultérieures.
La tentative de définition d’une « base » par le Groupe spécial A.
345. Une tentative de précision. Le Groupe spécial considère qu’une « base » réside
dans « le principal élément constitutif de quelque chose, la théorie ou le principe
fondamental, s’entendant d’un système de connaissance »1. Il souligne ensuite le
« contraste » entre le standard et la mesure : dans le standard vingt espèces, dont
Sardinops sagax, peuvent être appelées sardines et s’accompagner de qualificatifs tels
que le nom du pays de provenance, le nom de la zone géographique, le nom de
l’espèce ou le nom commun conformément aux usages du pays où le produit est
vendu ; dans la mesure, Sardinops sagax ne peut pas être vendu sous l’appellation
sardines. Ce constat d’un décalage entre le standard et la mesure lui permet de
conclure que Codex Stan 94 n’a pas été utilisé « comme base du » règlement
communautaire. Il ajoute toutefois que « l’application judicieuse des obligations
énoncées à l’article 2.4 constitue une assurance contre le risque d’excès redouté par
les Communautés européennes »2. Cette « application judicieuse » étant directement
tributaire de la politique jurisprudentielle des organes de règlement des différends, elle
s’avère peu rassurante ainsi présentée comme un garde-fou3.
Les Communautés européennes soutiennent en appel que le règlement est bien fondé
sur Codex Stan 94 « parce qu’il a utilisé comme base le paragraphe 6.1.1.i) de la
norme codex »4, qui réserve le terme sardines à l’espèce Sardina pilchardus. En
d’autres termes, les Communautés européennes préfèrent au critère d’« élément
constitutif » du Groupe spécial, celui de « relation rationnelle » entre la norme et le
1 Rapport du Groupe spécial « Sardines », § 7.110, citant le Webster’s New World Dictionnary.
2 Ibid., § 7.78.
3 CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », RIDE, 2005/3 t. XIX, 3, p. 284.
4 Communication des Communautés européennes en tant qu’appelant, § 150.
397
règlement technique quant aux aspects de fond de la norme en question1. L’Organe
d’appel tranche ce débat en refusant d’adopter une définition générique de la notion de
« base », conservant par là même une marge de manœuvre confortable pour les
différends ultérieurs.
Le refus de définition de l’Organe d’appel B.
346. Un refus de définition s’apparentant à un refus de précisions. Face à ces deux
argumentaires, l’Organe d’appel commence par préciser son approbation du
raisonnement du groupe spécial, en affirmant qu’il s’inscrit dans la droite ligne de sa
méthode dégagée lors de l’affaire Hormones I. Il conclut pourtant qu’« il ne [lui]
paraît pas nécessaire ici de définir en général la nature de la relation qui doit exister
pour qu'une norme internationale serve ‘de base à’ un règlement technique »2. Il se
refuse à édicter une interprétation générale de l’article 2.4 et se contente de trancher le
cas d’espèce. Pour ce faire, il choisit effectivement un critère analogue à celui du
Groupe spécial : celui de savoir si les deux choses sont « contradictoires »3, donc de
déterminer si le règlement technique et la norme internationale se « contredisent »4
mutuellement.
Il examine alors l’« effet »5 du règlement communautaire, qui est selon lui d'interdire
que les conserves de produits à base de poissons préparés à partir des 20 espèces de
poissons autres que Sardina pilchardus visées par Codex Stan 94 – y compris
Sardinops sagax – soient identifiées et commercialisées sous l'appellation « sardines »,
même avec l'un des quatre qualificatifs énoncés dans la norme. À l’inverse, l’Organe
d’appel considère que Codex Stan 94 autorise l'emploi du terme « sardines »
accompagné de l'un quelconque des quatre qualificatifs pour l'identification et la
commercialisation des conserves de produits à base de poissons préparés à partir de 20
1 Communication des Communautés européennes en tant qu’appelant, § 155, citée par le Rapport de
l'Organe d'appel « Sardines », § 241. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 248.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid., § 257.
398
espèces de poissons autres que Sardina pilchardus. Il conclut au caractère
contradictoire du règlement et du standard international, et en déduit par là même la
confirmation que Codex Stan 94 n'a pas été utilisée « comme base du » Règlement
CE1. Un commentateur a pu s’interroger à juste titre sur la possibilité pour les
Communautés européennes de « se limiter à ‘baser’ son règlement sur le Codex »2 :
l’absence de discussion sur la distinction à faire entre le fait d’utiliser le standard
comme base ou de s’y conformer totalement semble effectivement induire qu’il n’en
existe pas, et que les Membres doivent se conformer totalement au standard pertinent.
Une des différences entre l’Accord SPS et l’Accord OTC, est que ce dernier autorise
les États à s’écarter des normes internationales lorsqu’elles « seraient inefficaces ou
inappropriées pour réaliser les objectifs légitimes recherchés ». L’Organe d’appel
considère qu’il incombe au plaignant, le Pérou, de prouver que Codex Stan 94 est à la
fois efficace et approprié3. Il souscrit à l’analyse du Groupe spécial ayant considéré
que le Pérou avait présenté des éléments de preuve et des arguments juridiques
suffisants, que les Communautés européennes n’ont pas su réfuter efficacement4.
Ces interprétations des organes de règlement des différends ont pu faire dire à certains
commentateurs que « dans la balance délicate qu’ils avaient à opérer entre
l’autonomie réglementaire des États et l’accès au marché, il semble que le Groupe
spécial et l’Organe d’appel aient, tout en réaffirmant la première, favorisé le
second »5. Une fois encore, les organes de règlement des différends semblent avant
tout se ménager une large marge de manœuvre dans l’interprétation de l’article 2.4,
leur permettant de ne pas être liés par une jurisprudence trop explicite pour les cas
d’espèce ultérieurs. Le degré de proximité requis avec les standards internationaux
pour l’application de la présomption de compatibilité des mesures SPS et des
règlements techniques reste incertain. Les États n’ont l’assurance de leur compatibilité
1 Ibid.
2 CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », op. cit., p. 278 ; et de conclure p. 279 que « l’ironie de ce
différends veut que, pour cette question particulière, se baser sur le Codex équivalait pratiquement à s’y
conformer ». 3 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », § 289.
4 Rapport de l'Organe d'appel « Sardines », §§ 292 s.
5 RUIZ FABRI H. et MONNIER P., « Chronique du règlement des différends de l’Organisation mondiale du
commerce 2002 », JDI, 2003/3, p. 938.
399
que s’ils adoptent des normes intégralement conformes aux standards élaborés dans les
fora internationaux.
400
401
347. Conclusion du Chapitre 1. Les textes des Accords OTC et SPS incitant à
l’harmonisation des mesures environnementales et sanitaires adoptées par les
Membres ont été interprétés de telle manière que les standards internationaux sont en
réalité devenus totalement contraignants. Ayant adopté des acceptions très extensives,
à la fois des mesures soumises à l’harmonisation et des standards internationaux
s’appliquant dans ce cadre, les organes de règlement des différends ont donné un coup
de grâce à la marge de manœuvre environnementale et sanitaire des États membres en
exigeant une conformité absolue des mesures aux standards pour pouvoir bénéficier de
la présomption de leur compatibilité avec le droit de l’OMC. Ainsi, les États membres
font face à un choix cornélien en matière de politique environnementale et sanitaire :
soit ils abandonnent leurs spécificités culturelles et se calquent totalement aux
standards peu protecteurs ; soit ils se fondent sur leur droit de déterminer le niveau de
protection qu’ils jugent approprié, en prenant l’immense risque que la justification
scientifique sur laquelle ils se fondent ne persuade pas les organes de règlement des
différends, risque qui s’est systématiquement réalisé et s’explique par un régime
probatoire défavorable à celui qui adopte une mesure de protection1.
La force normative des standards techniques internationaux permise par les organes de
règlement des différends n’était pourtant pas le seul moyen d’accéder à un droit
matériel en matière environnementale et sanitaire. Le droit international général, et
notamment le droit conventionnel, offre un corpus important de règles dans ces
domaines, qui présente l’intérêt de refléter la volonté des États membres de l’OMC.
Pourtant, l’effectivité du droit international général dans les différends
environnementaux et sanitaires est bien plus ambigüe.
1 V. supra n° 239 s.
402
403
CHAPITRE 2.
LE REFUS DE RECONNAISSANCE DES RÈGLES
INTERNATIONALES EXTERNES AU DROIT DE L’OMC
348. La richesse en règlementations environnementales et sanitaires du droit
international. Si les organes de règlement des différends ont accordé une réelle force
normative aux standards techniques internationaux dans leur résolution des litiges
environnementaux et sanitaires, ils semblent refuser une effectivité réelle du droit
international en la matière. Le droit international est pourtant riche de règles
matérielles dans les domaines environnementaux et sanitaires. Qu’il s’agisse de
normes consacrées par des Accords Environnementaux Multilatéraux (AEM) en
général, ou de principes juridiques plus spécifiques tels que le principe de précaution,
le droit international offre une large palette normative dans ces domaines. L’avantage
évident du droit international public réside dans sa caractéristique intrinsèque de
représentation de l’expression de la volonté des États. Ces règles paraissent
théoriquement légitimes pour participer au règlement d’un conflit entre États Membres
à la fois de l’OMC et d’un AEM pertinent par exemple. Contrairement aux standards
techniques, leur processus d’élaboration obéit au droit des traités et ne voit participer
que les États, donc les mêmes sujets de droit que dans le système OMC. Pourtant, la
jurisprudence environnementale et sanitaire fait montre d’un refus de reconnaissance
de ces règles internationales.
349. Le droit international, porteur de valeurs environnementales et sanitaires. La
différence de force normative entre les deux types de règles réside nécessairement
dans les valeurs qu’elles véhiculent : les standards techniques internationaux sont
appliqués au service des principes du libre-échange, quand la reconnaissance des
règles internationales viendrait à l’encontre de ces principes, donc risquerait de
modifier les droits et obligations consacrés par les accords OMC1
. Le Droit
1 On pense en particulier à l’affrontement entre les valeurs du commerce international et la sécurité
alimentaire : v. sur ce point JOURDAIN-FORTIER C. et PIRONON V., « La sécurité alimentaire dans le droit de
l’OMC ; analyse critique et prospective » », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une
404
international ne pourra ainsi s’appliquer que « dans la mesure où il n’y a pas de conflit
ni d’incompatibilité »1. La pratique arbitrale semble aux prises avec les mêmes
difficultés2. Plusieurs sentences arbitrales posent certes une articulation de principe
entre les différents systèmes de valeurs3. Pourtant la protection des droits de l’homme
par exemple, paraît bien plus aisée quand elle appuie les revendications de
l’investisseur4, que quand elle vient au service d’intérêts non commerciaux
5. Ce
constat est largement insatisfaisant dans une optique régulatrice, puisqu’il souligne
une fois encore l’incapacité de l’organisation commerciale à absorber d’autres types
de valeurs6.
démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa Rica), 2013, pp. 255-
271. 1 Rapport du Groupe spécial Corée – Mesures affectant les marchés publics, WT/DS163/R, adopté le 19
juin 2000, § 7.96. 2V. CAZALA J., « Protection des droits de l’homme et contentieux international de l’investissement », Les
Cahiers de l’Arbitrage, 2012/4, pp. 899-806 : l’auteur compare ainsi cette déclaration du Groupe spécial
dans l’affaire Corée – Marchés publics avec celle des arbitres de l’affaire Pinson : « Toute convention
internationale doit être réputée s’en référer tacitement au droit international commun, pour toutes les
questions qu’elle ne résout pas elle-même en termes exprès et d’une façon différente » (Georges Pinson
(France) c. United Mexican States, French-Mexican Claims Commission, Decision no 1, 19 October 1928,
RSA, p. 422). 3 “The ICSID Convention’s jurisdictional requirements – as well as those of the BIT – cannot be read and
interpreted in isolation from public international law, and its general principles. To take an extreme
example, nobody would suggest that ICSID protection should be granted to investments made in violation
of the most fundamental rules of protection of human rights, like investments made in pursuance of torture
or genocide or in support of slavery or trafficking of human organs” [« Les exigences juridicitionnelles
posées par la Convention CIRDI - tout comme celles posées par les TBI – ne doivent pas être lues isolément
du droit international public et de ses principes généraux. Pour prendre un exemple extrême, personne ne
peut prétendre que les droits CIRDI sont accordés en violation des règles les plus fondamentales en matière
de protection des droits de l’homme, ou des actes de torture ou de génocide ou en soutien à l’esclavage ou
au trafic d’organes » ]: Phoenix Action Ltd c. The Czech Republic, ICSID/ARB/06/5, Award, 15 April 2009,
§ 78 (traduit par nos soins). 4 V. les affaires Spyridon Roussalis c. Romania, ICSID/ARB/06/1, Award, 7 December 2011 ; Tecnicas
Medio ambientales Tecmed S.A. c. The United Mexican States, ICSID/ARB (AF)/00/2, Award, 29 May
2003, § 116 ; Azurix corp. c. The Argentine Republic, ICSID/ARB/01/12, Award, 14 July 2006, § 311. 5
V. l’affaire Grand River Enterprises Six Nation, Ltd., et al. c. United States of America,
NAFTA/UNCITRAL arbitration, Award, 12 January 2011. Sur la confrontation entre le droit de l’homme à
l’alimentation et les traités allant à son encontre, v. MARTIN LOPEZ M. A.., « Le droit à l’alimentation
comme norme impérative générale et la nullité des clauses des traités le transgressant » , in COLLART
DUTILLEUL F., RIEM F. (dir.), Droits fondamentaux, ordres publics et libertés économiques, Institut
Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Vichy, 2013, pp. 239-243 ; et MARTIN LOPEZ M. A..,
« Propuesta para conseguir que el derecho a la alimentacion sea considerado como norma imperativa de
derecho internacional general » », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T. (dir.), Penser une démocratie
alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 1, INIDA, San José (Costa Rica), 2013, pp. 409-412. 6 « Qu’on ne s’y trompe pas. Derrière la question du corpus juris de l’OMC se profile celle de l’effectivité
du droit de la concurrence et celle toute nouvelle des acteurs ou des sujets de ce droit international ou
transnational en formation » : BOY L., « L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un concept », in
405
Le refus de reconnaissance, par les organes de règlement des différends de l’OMC, des
éléments juridiques externes porteurs de valeurs non commerciales, peut s’appréhender
par deux biais principaux : rationae materiae, le droit international susceptible de fonder
la protection environnementale ou sanitaire est en réalité cantonné à une fonction
purement interprétative (SECTION 1) ; rationae personae, les acteurs les plus à même de
représenter et défendre les valeurs non-commerciales sont, dans les faits, exclus du
système de règlement des différends (SECTION 2).
SECTION 1. LE CANTONNEMENT DU DROIT INTERNATIONAL À UNE
FONCTION INTERPRÉTATIVE
350. La mention du Droit international dans les rapports rendus. Le Droit
international est loin d’être absent des rapports rendus par les organes de règlement
des différends, en particulier dans le cadre des litiges environnementaux et sanitaires.
Le refus affirmé par l’Organe d’appel de « lire l'Accord général en l'isolant
cliniquement du droit international public »1 dans son rapport Essence en témoigne.
L’Organe d’appel, pour appréhender cette question du droit applicable dans le système
de règlement des différends de l’OMC, s’appuyait alors sur l’article 3.2 du
Mémorandum d’Accord, qui dispose que :
« Le système de règlement des différends de l'OMC est un élément essentiel pour
assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. Les
Membres reconnaissent qu'il a pour objet de préserver les droits et les obligations
résultant pour les Membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes
de ces accords conformément aux règles coutumières d'interprétation du droit
international public. Les recommandations et décisions de l'ORD ne peuvent pas
accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés ».
PIROVANO A., (Mélanges en l’honneur de), L’ordre concurrentiel, éd. Frison-Roche, Paris, 2004, p. 48. V.
également HERMITTE M.-A., et NOIVILLE C., « Marrakech et Carthagène comme figures opposées du
commerce international », in BOURRINET J., MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Le commerce international des
organismes génétiquement modifiés, La Documentation française, Paris, 2002, pp. 317–349. 1 Rapport de l’Organe d’appel États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules
("États-Unis – Essence"), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996, RRD 1996:I, 3, p. 19.
406
La jurisprudence atteste d’une interprétation littérale de cette disposition, qui semble
réserver un sort paradoxal au Droit international général. Celui-ci peut, voire doit,
guider l’interprète des règles des accords OMC, mais ne saurait modifier les droits et
obligations des États membres tels que négociés dans les accords. Le paradoxe réside
dans l’idée que si le Droit international, de l’environnement par exemple, a une réelle
incidence sur l’interprétation d’une disposition de l’OMC, son effectivité risque par là
même de contrevenir à la prescription de l’article 3.2 du Mémorandum d’Accord qui
prétend garantir une stabilité des droits et obligations des accords OMC. Le Droit
international semble ne pouvoir être effectif au sein du droit de l’OMC que tant qu’il
ne prend pas de réelle consistance. À l’instar de ce texte, l’Organe d’appel n’a
appliqué le droit international que dans la mesure où il n’infléchit pas réellement les
règles du libre-échange.
351. Une application inconsistante du droit international. Il résulte de manière assez
évidente de l’interprétation par l’Organe d’appel du Mémorandum d’Accord que le
Droit international ne peut en lui-même fonder une action dans le cadre du système de
règlement des différends lorsqu’il n’est pas incorporé dans les accords de l’OMC,
mais qu’il n’en constitue pas moins une source interprétative obligatoire1
.
L’application du droit international ne peut ainsi qu’être médiate, et non directe2. Pour
certains, les références présentes dans différents rapports de l’Organe d’appel à
d’autres sources du droit international attestent de l’insertion, voire de l’intégration, du
droit de l’OMC dans l’environnement plus général du droit international public3. Pour
d’autres, ces références relèvent avant tout d’une instrumentalisation du droit
international par le droit de l’OMC4
. Il semble pourtant que dans les litiges
environnementaux et sanitaires les organes de règlement des différends aient opéré un
choix d’ineffectivité du droit international en le cantonnant à une simple fonction
1 LUFF D., Le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruylant, L.G.D.J.,
Bruxelles (Belgique), 2004, p. 36. 2 RUIZ FABRI H., « La prise en compte du principe de précaution par l’OMC », RJE, n° spécial 2000, p. 56.
3 V. TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université
Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 439 s. ; v. également en ce sens PAUWELYN J., « The Role of Public
International Law in the WTO : How Far Can We Go ? », AJIL, 2001, p. 539. 4 V. BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « Le rôle des organes de règlement des différends de
l’OMC dans le développement du droit : à propos des OGM », in BOURRINET J., MALJEAN-DUBOIS S. (Ed.),
Le commerce international des organismes génétiquement modifiés, op. cit., pp. 177-212.
407
d’interprétation du droit de l’OMC. Les organes de règlement des différends refusent
ainsi l’autonomie de tout système juridique extérieur susceptible d’aller à l’encontre
du droit de l’OMC (§2), mais se targuent d’une perméabilité du droit de l’OMC au
droit international en lui accordant une fonction interprétative (§1).
LA FONCTION INTERPRÉTATIVE DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC § 1.
352. Si le droit international ne paraît pas revêtir une effectivité réelle devant les
organes de règlement des différends, sa fonction interprétative n’en est pas moins
vraie. L’Organe d’appel exprime de manière constante le souci de s’acquitter
rigoureusement de sa mission d’interprète des dispositions des accords OMC. Ce
faisant, il souligne le caractère « stratégique »1 de ces questions d’interprétation dans
ses rapports. Ces références au droit international public dans la démarche
interprétative des organes de règlement des différends semblent effectivement plus au
service d’une certaine légitimité de ses rapports et décisions, que d’une interaction
réelle entre le droit de l’OMC et le droit international2.
L’Organe d’appel fonde ses interprétations sur différents éléments du droit
international : il s’agit aussi bien d’accords, de jurisprudence, de la doctrine3 ou de
principes fondamentaux tels que le principe de bonne foi4 ou celui de l’effet utile
5. Le
droit international à fonction interprétative se présente toutefois avant tout sous les
traits de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Les organes de règlement des
différends s’y réfèrent constamment pour fonder leurs méthodes d’interprétation (A).
1 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 76. 2 Ibid., p. 77 : « De rapport en rapport, l’Organe d’appel dresse le portrait du parfait interprète, celui qui
utilise la Convention de Vienne, qui devient la référence cardinale, et celui qui ne modifie pas l’acquis
négocié, qui devient la considération axiale […]. Ce cadrage précis a bien sûr pour objectif d’assurer la
légitimité de la démarche ». 3 L’Organe d’appel a entre autre fait référence à certains articles de périodiques dans son rapport Hormones
I pour traiter de la question du principe de précaution au droit de l’OMC : v. Rapport de l’Organe d’appel
« Hormones I », § 123, note 92. 4 Pour un aperçu général de l’utilisation de ces différentes sources de droit international dans son
interprétation du droit de l’OMC, v. TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du
commerce, thèse, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2004, pp. 439-454. 5 Par exemple, dans le rapport du Groupe spécial « Sardines », § 7.76, confirmé par le Rapport de l’Organe
d’appel « Sardines », § 212.
408
C’est d’ailleurs, dans le cadre de l’application de la Convention de Vienne, dont
l’article 31 :3c) dispose que l’interprète doit tenir compte « de toute règle pertinente
de droit international applicable dans les relations entre les parties », que les organes
de règlement des différends consentent à interpréter certaines dispositions
problématiques des accords OMC à la lumière de certaines règles substantielles de
droit international (B).
Des méthodes interprétatives fondées sur les principes codifiés par la A.
Convention de Vienne
353. L’Organe d’appel s’est constamment référé aux règles d’interprétation codifiées
par la Convention de Vienne. Il a rapidement admis qu’elles étaient l’expression du
droit international coutumier1, ou édictaient des « principes normaux »
2 à respecter
dans le cadre de son interprétation des textes de l’OMC. Si ces déclarations ont pu être
saluées par la doctrine, elles paraissent in fine banales, dans le sens où ces règles
d’interprétation sont effectivement admises par l’ensemble de la Communauté
internationale, et ne présentent que peu de contraintes à la liberté de l’interprète.
Certains ont d’ailleurs avancé l’idée que ces règles auraient dans tous les cas été
utilisées par les organes chargés de résoudre les différends commerciaux afin de
guider leur interprétation, y compris en l’absence de la référence de l’article 3.2 du
Mémorandum d’Accord3.
354. La Convention de Vienne comme outil de légitimation de l’interprétation. Dès
son rapport Essence, l’Organe d’appel a justifié son interprétation de l’article XX g)
du GATT en se fondant sur l’article 31 de la Convention de Vienne4 qui stipule qu’« un
traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes
1 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Régime applicable à l'importation, à la vente et
à la distribution des bananes, WT/DS27/AB/R, adopté le 25 septembre 1997, p. 77. 2 A contrario en l’espèce du principe de précaution : Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 124.
3 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », op. cit., p. 76 ; WAINCYMER J., « Reformulated Gasoline under Reformulated WTO Dispute
Settlement Procedures : Pulling Pandora out of a Chapeau ? », Michigan Journal of International Law 1996,
vol. 18, n°1, pp. 141-181, spéc. 166. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Essence », p. 18.
409
du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Il a confirmé
ce choix méthodologique dans son rapport Japon – Boissons alcooliques en y ajoutant
une référence à l’article 32 de la même Convention, relatif aux moyens
complémentaires d’interprétation1
. En décidant ainsi d’ancrer sa méthode
d’interprétation dans les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités, il a utilisé un « code » reconnu et compréhensible2, faisant bénéficier ses
interprétations des dispositions des accords OMC d’une certaine légitimité à peu de
frais. Pour Hélène RUIZ-FABRI, il s’agirait d’une « banalisation »3 du droit de l’OMC,
qui rendrait compte d’un double processus : d’une part, l’Organe d’appel chercherait à
rendre commun et à rapprocher par les modes de raisonnement et d’interprétation le
droit de l’OMC du reste du droit international ; d’autre part, il refuse, formellement du
moins à « l’isolement clinique »4 du droit de l’OMC en l’inscrivant dans le droit
international général, ce qui entretient notamment l’idée de sa prise en compte des
préoccupations non commerciales.
En effet, le décalage existant entre sa volonté ostensible de systématisation de sa
démarche d’interprétation (1) et la marge de manœuvre qu’il se ménage toutefois (2)
révèle que l’Organe d’appel cherche par là même avant tout à légitimer les solutions
qu’il adopte.
La volonté ostensible de systématisation de la démarche d’interprétation 1.
355. La mise en place d’une méthode interprétative rigoureuse. Les rapports de
l’Organe d’appel témoignent d’une volonté ostensible de systématisation de la
démarche d’interprétation fondée sur les principes et méthodes de la Convention de
Vienne. Il fait ainsi preuve d’une grande pédagogie dans son rapport Japon – Boissons
1
Article 32 de la Convention de Vienne : « Il peut être fait appel à des moyens complémentaires
d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a
été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le
sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou b)
conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. » 2 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », RGDIP,
2006/1, p.52. 3 Ibid., p. 60.
4 Rapport de l’Organe d’appel « Essence », p. 19.
410
alcooliques en citant l’intégralité des articles 31 et 32 de la Convention de Vienne1,
ainsi qu’en se livrant à une réelle explication de ces textes nourrie de nombreuses
références à la doctrine ou à la jurisprudence de la CIJ par exemple2.
Les rapports ultérieurs de l’Organe d’appel font suite à cette pédagogie en mettant en
place une méthode systématique. Il n’hésite par exemple pas à critiquer ouvertement le
Groupe spécial dans son rapport Crevettes qui « n’a[urait] pas suivi toutes les étapes
de l’application des règles coutumières d’interprétation du droit international public
comme l’exige l’article 3.2 du Mémorandum »3. Et de reprendre par le menu les
différents moyens d’interprétation disponibles, hiérarchisés par ordre de priorité :
« Celui qui interprète un traité doit commencer par fixer son attention sur le texte de
la disposition particulière à interpréter. C'est dans les termes qui constituent cette
disposition, lus dans leur contexte, que l'objet et le but des États parties au traité doit
d'abord être cherché. Lorsque le sens imparti par le texte lui-même est ambigu et n'est
pas concluant, ou lorsque l'on veut avoir la confirmation que l'interprétation du texte
lui-même est correcte, il peut être utile de faire appel à l'objet et au but du traité dans
son ensemble »4.
L’expression d’une telle hiérarchie révèle la mise en place d’une méthode
d’interprétation précise, et par là même une « volonté ordonnatrice et systématique »5
de l’Organe d’appel. L’Organe d’appel n’aura de cesse de revenir sur le détail de ces
méthodes lorsqu’il les applique ; qu’il s’agisse d’une interprétation littérale6, au regard
du contexte de la disposition7, au regard du but et de l’objet
8, de l’historique des
1 Rapport de l'Organe d'appel Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R, adopté le 1er novembre 1996, p. 19.
2 Ibid., pp. 12-13.
3 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, § 114. 4 Ibid., § 114.
5 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », op. cit., p. 79. 6 L’Organe d’appel reprend par exemple la définition d’un dictionnaire : Rapport de l'Organe d'appel
« Hormones I », § 163. 7Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Mesures affectant l'importation de certains
produits provenant de volailles, WT/DS69/AB/R, adopté le 23 juillet 1998, §§ 146 s. ; Rapport de l'Organe
d'appel « Hormones I », § 172. 8 Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », §§ 144 s.
411
négociations1, des travaux préparatoires ou historiques du projet de texte, dans le but
de cerner l’intention des parties2.
356. Une rigueur favorable à l’effectivité des exceptions environnementales et
sanitaires. Avancer que cette systématisation est avant tout au service de la légitimité
des interprétations effectuées par les organes de règlement des différends ne doit pas
occulter le fait qu’elle a pu dans différentes affaires aller dans le sens d’une effectivité
de la protection environnementale et sanitaire. Dans son rapport Japon – Boissons
alcooliques, le principe de l’effet utile dégagé par l’Organe d’appel3 de l’article 31 de
la Convention de Vienne, offre plusieurs exemples dans ce sens, de tolérance de
mesures restrictives pour le commerce international fondées sur la protection de
l’environnement. Ce principe de l’effet utile a ainsi été utilisé par l’Organe d’appel
dans son rapport Crevettes pour infirmer la conclusion du Groupe spécial, qui
considérait les mesures portant atteinte au système commercial multilatéral de l’OMC
comme ne faisant pas partie des mesures autorisées au titre du texte introductif de
l’article XX. L’Organe d’appel a réfuté cette affirmation en montrant qu’une telle
interprétation reviendrait à « rendre inutile la plupart des exceptions spécifiques
prévues à l’article XX, sinon toutes, résultat incompatible avec les principes
d’interprétation que nous sommes tenus d’appliquer » 4
. Un second usage du principe
de l’effet utile dans ce même rapport lui a ensuite permis d’adopter une interprétation
évolutive de la notion de ressource naturelle épuisable, le conduisant à admettre la
1 Ibid., § 157.
2 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Mesures affectant l'importation de certains
produits provenant de volailles, WT/DS69/AB/R, adopté le 23 juillet 1998, § 100. 3 Rapport de l’Organe d’appel Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, p. 13 : « un interprète n’est pas
libre d’adopter une interprétation qui aurait pour résultat de rendre redondants ou inutiles des clauses ou
des paragraphes entiers d’un traité ». V. le commentaire proposé par DUPRAT J.-C., « Japon – Taxes sur les
boissons alcooliques », in CANAL-FORGUES E., et FLORY T., GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 581 ; v. également CHUA A., « The
Precedential Effect of WTO Panel and Appelate Body Reports », Leiden Journal of International Law,
1998, pp. 58-60 ; MARTHA R.S., « Precedent in World Trade Law », Netherlands International Law Review,
vol. 44, 1997, pp. 349-350. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », § 116.
412
mesure environnementale américaine dans la catégorie des exceptions de l’Accord
général1.
L’ensemble des rapports témoigne de cette systématisation des méthodes
interprétatives des dispositions des accords de l’OMC. L’Organe d’appel a ainsi pu
noter dans son rapport Hormones que l’exploration exhaustive des articles 2 et 3 de
l’Accord SPS « laisse supposer que le choix et l’utilisation de mots différents en
différents endroits de l’Accord SPS sont délibérés et qu’on a voulu utiliser des mots
différents parce que leur sens est différent »2. Il affiche ici une stricte application de
l’interprétation littérale du texte en accordant toute leur importance à chaque choix
sémantique. Il fait ensuite le lien entre une telle interprétation du sens ordinaire des
termes et le respect de la volonté des États membres négociateurs des accords :
« l’interprète d’un traité ne peut supposer que les Membres qui ont négocié et rédigé
l’Accord ont procédé ainsi par simple inadvertance »3. Cette logique de rigueur
interprétative au service de la volonté des États est pourtant contrastée par la marge de
manœuvre que se réserve l’Organe d’appel dans de nombreuses affaires
environnementales et sanitaires.
La marge de manœuvre interprétative conservée par l’Organe d’appel 2.
357. Dès son rapport Japon – Boissons alcooliques, l’Organe d’appel explicite la
rigueur de sa démarche interprétative « [en conformité…] avec les ‘règles coutumières
d’interprétation du droit international public’ », qui vise à « [instaurer] la ‘sécurité et
la prévisibilité’ que les Membres de l’OMC souhaitaient donner au système
commercial multilatéral en établissant le système de règlement des différends »4. Il
affiche ainsi son respect de la volonté des États membres. En mettant en place de telles
1 Ibid., § 133.
2 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 164.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 164. Un exemple illustratif de cet effort formel de respect
de la volonté des rédacteurs figure dans le même rapport, § 181 : « en matière d’interprétation des traités,
la règle fondamentale veut que l’interprète du traité lise et interprète les mots qui ont effectivement été
utilisés dans l’accord à l’examen et non les mots qui auraient dû être utilisés à son avis ». 4 Rapport de l'Organe d'appel Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R, adopté le 1er novembre 1996, p. 35.
413
méthodes d’interprétation, l’Organe d’appel prétend assurer une sécurité juridique aux
États membres qui peuvent compter sur la prévisibilité du système de règlement des
différends. Dans cette logique, la prévisibilité du système est mise en péril quand les
organes de règlement des différends s’écartent de cette méthodologie interprétative.
358. Une rigueur interprétative infléchie en pratique. Or, l’Organe d’appel a déjà
remis en cause la rigidité, sinon la solidité, de cette méthodologie. Il déclare ainsi dans
son rapport Poulets congelés que « l’interprétation selon les règles coutumières
codifiées à l’article 31 de la Convention de Vienne est en dernière analyse un exercice
global qui ne devrait pas être mécaniquement scindé en parties rigides »1. Et de fait,
le rapport présente un certain nombre de confusions dans la prise en compte du
« contexte factuel »2 dans l’opération d’interprétation ou sur ce qu’il faut entendre par
but et objet du traité3. Cette nuance dans la rigueur méthodologique de l’Organe
d’appel interroge la prévisibilité du système. Si pour certains, la systématisation de la
démarche présente un intérêt avant tout doctrinal4, il semble surtout que ce soient les
États membres eux-mêmes qui pâtissent d’un tel revers de rigueur, malmenant la
prévisibilité du système de règlement des différends. Les commentateurs s’accordent
de manière générale sur l’intérêt de l’interprète lui-même à entretenir un flou
méthodologique, lui permettant de conserver une latitude confortable5.
359. Un manque de rigueur interprétative dans l’affaire Hormones. Les
Communautés européennes ont ainsi pu pâtir d’un décalage évident entre la théorie
rigoureuse et l’interprétation pratique plus hasardeuse d’une disposition OMC lors de
l’affaire Hormones. Dans son rapport l’Organe d’appel affiche une stricte
interprétation littérale de certains articles en accordant toute leur importance à chaque
choix sémantique. Il interprète ainsi les deux premiers paragraphes de l’article 3 de
l’Accord SPS en « suppos[ant] que le choix et l’utilisation de mots différents en
1 Rapport de l’Organe d’appel, Communautés européennes – Classification douanière des morceaux de
poulet désossés et congelés, WT/DS269/AB/R, WT/DS286/AB/R, adopté le 27 septembre 2005, et Corr.1,
§ 176. 2 Ibid., §§ 174-176.
3 Ibid., §§ 238-239.
4 RUIZ FABRI H., « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », op. cit., p.
77. 5 Ibid.
414
différents endroits de l’Accord SPS sont délibérés et qu’on a voulu utiliser des mots
différents parce que leur sens est différent »1. Il justifie son interprétation de la
distinction des termes « sur la base de » et « conforme à » en arguant que
« l’interprète d’un traité ne peut supposer que les Membres qui ont négocié et rédigé
l’Accord ont procédé ainsi par simple inadvertance »2. Cette logique de rigueur
interprétative au service de la volonté des États est pourtant contrastée par la marge de
manœuvre que se réserve l’Organe d’appel dans l’interprétation ultérieure du
troisième paragraphe de ce même article 3 de l’Accord SPS.
Interprétant la règle selon laquelle les Membres peuvent émettre des mesures SPS
entraînant un niveau de protection environnementale ou sanitaire plus élevé que celui
correspondant aux standards techniques internationaux « s’il y a une justification
scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection sanitaire ou
phytosanitaire qu’un Membre juge approprié »3
, l’Organe d’appel fait fi de la
conjonction alternative « ou » en confirmant la conclusion du Groupe spécial exigeant
une évaluation scientifique du risque pour justifier la mesure, quand bien même il
serait avéré que celle-ci découle du niveau de protection que les Communautés
européennes jugent approprié. Cette interprétation est la cause directe de la conclusion
d’incompatibilité de la mesure sanitaire européenne, et indirecte de mesures
environnementales et sanitaires ultérieures. Conscient qu’une interprétation littérale du
texte l’aurait conduit à ne pas exiger de justification scientifique de la mesure en cause,
l’Organe d’appel semble s’excuser en concédant : « nous sommes conscients que cette
constatation semble indiquer que la distinction faite à l’article 3.3 entre deux
situations peut avoir une portée limitée et être, pour cette raison, plus apparente que
réelle. De fait, son libellé contourné et couché par strates ne nous laisse guère
d’autres choix »4
. Ce manque de rigueur méthodologique, écartant la règle
d’interprétation selon le sens ordinaire des termes du traité, correspond ici à la
1 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 164.
2 Ibid. Un exemple illustratif de cet effort formel de respect de la volonté des rédacteurs dans le même
rapport, § 181 : « en matière d’interprétation des traités, la règle fondamentale veut que l’interprète du
traité lise et interprète les mots qui ont effectivement été utilisés dans l’accord à l’examen et non les mots
qui auraient dû être utilisés à son avis ». 3 Article 3.3 de l’Accord SPS (non souligné dans l’original).
4 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 176.
415
prévalence d’une logique d’intolérance d’une mesure sanitaire et de prévalence des
principes du libre-échange. Il justifie ensuite cette interprétation par la prise en
considération de l’objet et du but de l’article 3 de l’Accord SPS, et de l’intention
supposée des négociateurs : selon l’Organe d’appel, l’obligation d’évaluation
scientifique de la mesure et les règles attenantes sont « essentielles pour maintenir
l’équilibre fragile […]soigneusement négocié dans l’Accord SPS entre les intérêts
partagés quoique parfois divergents qui consistent à promouvoir le commerce
international et à protéger la vie et la santé des êtres humains »1.
En réalité, toutes ces références méthodologiques ne semblent que très peu encadrer le
pouvoir d’interprétation des organes de règlement des différends. La référence à la
Convention de Vienne ne paraît effectivement pas limiter la marge de manœuvre de
l’interprète2. In fine l’interprétation reste subjective et relative. La démarche de
systématisation semble cultiver un mythe d’objectivité, ayant vocation à fonder et
légitimer les décisions rendues. De la même manière, le rappel systématique par
l’Organe d’appel de son souci de respecter la volonté des États membres tend à
entretenir ce dogme de la sécurité et de la prévisibilité juridiques, qui se présentent
rarement sous un jour protecteur de l’environnement ou de la santé.
Cette volonté ostensible de systématisation de la démarche d’interprétation, conjuguée
à la conservation par l’Organe d’appel d’une importante marge de manœuvre
interprétative, témoignent de la recherche d’une légitimité des décisions rendues au
regard des principes codifiés par la Convention de Vienne. Cette légitimité est
également nourrie par les interprétations faites par les organes de règlement des
différends du droit de l’OMC à la lumière de règles substantielles du droit
international public.
1 Ibid., § 177.
2 Hormis un processus d’identification de la démarche : v. RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des
différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports plus tard... », op. cit., p. 84.
416
L’interprétation du droit de l’OMC à la lumière de règles substantielles du B.
droit international public
360. Outre les principes et méthodes d’interprétation codifiés par la Convention de
Vienne, les organes de règlement des différends ont pu interpréter les dispositions des
Accords OMC à la lumière de certaines règles substantielles du droit international
public. Le procédé n’est pas particulièrement novateur, en ce qu’il fait suite à la
pratique des Groupes spéciaux, qui s’étaient déjà fondés sur certains AEM pour
interpréter l’ancien Accord GATT de 19471. Il ne s’agit ici toujours pas d’application
directe du droit international dans le cadre du système de règlement des différends de
l’OMC, mais d’un report à des règles substantielles extérieures pour déterminer le sens
à attribuer à des dispositions ou parties de disposition du droit de l’OMC. Sont les plus
parlantes à cet égard l’affaire Bananes à l’occasion de laquelle l’Organe d’appel a
interprété la portée d’une dérogation au GATT à la lumière de la Convention de Lomé
(1), et l’affaire Crevettes pour laquelle l’Organe d’appel a interprété l’article XX du
GATT au regard du droit international de l’environnement (2).
L’affaire Bananes : l’interprétation de la dérogation au regard de la Convention de 1.
Lomé
361. Le Guatemala, le Honduras, le Mexique et les États-Unis avaient attaqué les
Communautés européennes pour la discrimination qu’entrainait son Organisation
Commune du Marché de la Banane (OCMB) avec les pays ACP. Il était évident
qu’une telle organisation allait à l’encontre de la règle du traitement de la nation la
plus favorisée consacrée par l’article I du GATT2. Toutefois, les Communautés
européennes se fondaient sur une dérogation particulière accordée par les parties
1 V. PETERSMANN E.U., The GATT/WTO Dispute Settlement System: International Law, International
Organizations and Dispute Settlement, London, The Hague, Boston, Kluwer, 1997, pp. 121-128. 2 Pour un exposé plus complet de l’affaire, v. MOREY B., « Communautés européennes – régime applicable
à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes », in CANAL-FORGUES E., et FLORY T.,
GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant, Bruxelles,
2001, pp. 717-739.
417
contractantes au GATT, les autorisant à faire bénéficier les pays ACP d’un traitement
préférentiel :
« Sous réserve des modalités et conditions énoncées dans la présente Décision, il sera
dérogé aux dispositions du paragraphe 1 de l'article premier de l'Accord général,
jusqu'au 29 février 2000, dans la mesure nécessaire pour permettre aux Communautés
européennes d'accorder le traitement préférentiel pour les produits originaires des
États ACP qu'exigent les dispositions pertinentes de la Quatrième Convention de
Lomé, sans qu'elles soient tenues d'étendre le même traitement préférentiel aux
produits similaires de toute autre partie contractante »1.
Se posait dès lors la question de savoir si l’interprétation de la Convention de Lomé
était nécessaire pour résoudre ce différend, et surtout si cette interprétation relevait de
la mission des organes de règlement des différends. Les Communautés européennes
avançaient que les organes de règlement des différends devaient se référer à
l’interprétation des parties à la Convention, et non s’atteler eux-mêmes à
l’interprétation2. Le Groupe spécial et l’Organe d’appel ont tous deux considéré que
« puisque les parties contractantes du GATT ont inclus une référence à la Convention
de Lomé dans la dérogation, la signification de cette Convention est devenue une
question relevant du GATT ou de l'OMC, tout au moins dans cette mesure. Ainsi, nous
n'avons pas d'autre solution que d'examiner nous-mêmes les dispositions de la
Convention de Lomé dans la mesure où cela est nécessaire pour interpréter la
dérogation »3.
C’est ici l’inclusion d’une référence à une Convention extérieure au droit de l’OMC
qui motive sa prise en compte par les organes de règlement des différends. Ce faisant,
l’Organe d’appel affirme son pouvoir d’interprétation autonome d’un dispositif
1Quatrième Convention ACP-CEE de Lomé, décision du 9 décembre 1994 des parties contractantes, L/7604,
19 décembre 1994. 2 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Régime applicable à l'importation, à la vente et
à la distribution des bananes, WT/DS27/AB/R, adopté le 25 septembre 1997, §§ 27-29. 3 Rapport du Groupe spécial, § 7.98, cité par le Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes –
Régime applicable à l'importation, à la vente et à la distribution des bananes, WT/DS27/AB/R, adopté le
25 septembre 1997, § 167.
418
juridique extérieur au droit de l’OMC1, en ce qu’il refuse de confier l’interprétation
aux parties à la Convention pour la mener lui-même. Sa prudence semble
effectivement « à la mesure »2
de son souci de voir inclus dans son champ
d’interprétation des textes autres que ceux négociés entre tous les Membres de l’OMC.
In fine, l’interprétation retenue est plus restrictive que celle admise par les parties à la
Convention3, et amène l’Organe d’appel à conclure à l’incompatibilité de l’OCMB
avec le droit de l’OMC, y compris au regard de la dérogation. Il s’agit bien ici d’une
réelle inscription du droit de l’OMC dans son environnement qu’est le droit
international dans le cadre de son système de règlement des différends. Pour autant,
l’Organe d’appel ne reconnait pas l’autonomie de la Convention4, et en garde la
maîtrise pour déterminer sa signification, et interpréter la disposition en cause selon
les principes du libre-échange.
L’affaire Crevettes : une interprétation évolutive de l’article XX g) au regard du 2.
droit international de l’environnement
362. L’affaire Crevettes est un bel exemple de l’interprétation du droit de l’OMC à la
lumière de règles substantielles du droit international. L’Organe d’appel a
effectivement pris en compte le droit international de l’environnement pour arrêter son
interprétation de l’article XX g) du GATT. Cet article pose une exception aux
principes de libre-échange en présence de mesures se rapportant à la conservation des
ressources naturelles épuisables. La prise en compte du droit international de
l’environnement a alors permis de classer les tortues marines dans cette catégorie des
ressources naturelles épuisables et donc de tolérer l’infléchissement des règles du
commerce international au nom de la protection de l’environnement.
1 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », RGDIP, 1999/1, p. 90. 2 MOREY B., « Communautés européennes – régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution
des bananes », op. cit., p. 722. 3 V. infra n° 368.
4 Ibid.
419
Les plaignants défendent une interprétation stricte de la notion de ressources naturelles
épuisables, et arguent que les tortues marines étant aptes à se reproduire ne rentrent
pas dans cette catégorie. L’Organe d’appel s’attelle donc à la question de savoir si les
tortues marines, en tant que ressources biologiques, pouvaient néanmoins être
comprises dans cette catégorie. Il fait alors le choix d’adopter une interprétation
dynamique de la notion, prenant en compte les éléments pertinents extérieurs au
système juridique de l’OMC stricto sensu :
« L’expression ‘ressources naturelles épuisables’ figurant à l’article XX g) a en fait
été façonnée il y a plus de 50 ans. Elle doit être analysée par un interprète à la
lumière des préoccupations actuelles de la communauté des nations en matière de
protection et de conservation de l’environnement. […] Si nous nous plaçons dans la
perspective du préambule de l’Accord sur l’OMC, nous observons que le contenu ou
la référence de l’expression générique ‘ressources naturelles’ employée dans l’article
XX g) ne sont pas ‘statiques’ mais plutôt ‘par définition évolutifs’ »1.
C’est donc sous ce terme de « préoccupations actuelles » qu’il recherche dans le droit
international de l’environnement les éléments permettant de donner une signification à
la notion. L’Organe d’appel ne se contente pas de prendre en compte des éléments
internes au droit de l’OMC, tels que la modification opérée en 1995 dans le Préambule
de l’Accord sur l’OMC, consistant à l’ajout de la protection de l’environnement et du
développement durable comme objectifs politiques. Il interprète surtout la notion à la
lumière d’instruments juridiques extérieurs, tels que la Décision sur le commerce et
l’environnement, le Principe 12 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement, le paragraphe 2.22 i) d’Action 21, l’Article 5 de la Convention sur la
diversité biologique, l’Annexe I de la Convention sur la conservation des espèces
migratrices appartenant à la faune sauvage, ainsi que le rapport du Comité Commerce
et environnement de l’OMC (CCE). L’Organe d’appel cite notamment ce dernier, dans
lequel les Membres expriment leur volonté d’interaction des différents instruments
juridiques internationaux :
1 Rapport de l’Organe d’appel « Tortues – Crevettes », §§ 129 et 130.
420
« Les Accords de l'OMC et les accords environnementaux multilatéraux traduisent les
efforts déployés par la communauté internationale pour réaliser des objectifs
communs et il faut tenir dûment compte des uns et des autres en établissant entre eux
des relations qui s'étayent mutuellement »1.
L’Organe d’appel applique effectivement cette directive en vérifiant la présence des
cinq espèces de tortues marines en cause dans l’affaire dans l’Annexe I de la
Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages
menacées d’extinction (« CITES »), qui dresse une liste de « toutes les espèces
menacées d’extinction qui sont ou pourraient être affectées par le commerce »2. Et de
conclure qu’il constate « que les tortues marines visées en l’espèce constituent des
‘ressources naturelles épuisables’ aux fins de l’article XXg) du GATT de 1994 »3.
La frontière est fine entre la reconnaissance d’une autonomie d’instruments juridiques
extérieurs au système OMC ou leur utilisation cantonnée à une fonction interprétative
des dispositions des accords OMC. S’il s’agissait en l’occurrence bien de
l’interprétation de l’article XXg) du GATT, il semble que la prise en compte du droit
international de l’environnement soit réelle dans l’affaire Crevettes. L’effectivité de sa
substance se vérifie dans l’issue du litige qui admet la justification d’une mesure
restrictive au commerce des crevettes sur le fondement de la protection de
l’environnement. La question se pose de savoir si l’on peut alors parler de soutien
mutuel4 ou d’effectivité de ces éléments de droit international de l’environnement dans
le règlement de ce différend commercial. Il semble que se vérifie une réelle ouverture
de l’Organe d’appel au droit international de l’environnement au regard des critiques
que son rapport a pu susciter. Le Pakistan a ainsi réagi en avançant que « l’Organe
d’appel mettait en cause la prévisibilité du système de règlement des différends »5.
L’Inde, quant à elle, a remis en cause la fidélité de l’Organe d’appel à la volonté des
États Membres : « Faire références à des ‘préoccupations actuelles’ pour justifier un
1 Cité dans le Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », § 168.
2 Article II.1 de la CITES, cité par le Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », § 132.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », § 134.
4 BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M., « A propos du principe de soutien mutuel – Les relations
entre le Protocole de Cartagena et les Accords de l’OMC », RGDIP, n°4, 2007, pp. 829-862. 5 ORGANE DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS, Compte rendu de la réunion tenue au Centre William Rappard
le 6 novembre 1998, WT/DSB/M/50, 14 décembre 1998, p. 6.
421
changement d’interprétation de l’expression ‘ressources naturelles épuisables’
revenait soit à modifier, soit à interpréter de manière discrétionnaire l’accord existant,
ce que seuls les membres avaient la faculté de faire »1. Ces critiques relatives à
l’audace de l’Organe d’appel en matière de protection environnementale expliquent
peut-être en partie sa frilosité dans d’autres affaires. Mais en réalité, les
commentateurs ont à l’inverse pu exprimer leur déception concernant les silences du
rapport Crevettes, à l’image de cette déclaration du représentant de Hong-Kong :
« L’Organe d’appel n’avait pas répondu à la question cruciale de savoir dans quelles
circonstances et au regard de quels critères on pouvait considérer que l’application
de mesures commerciales au titre d’accords environnementaux multilatéraux était
pleinement compatible avec les règles de l’OMC »2. Si dans son rapport Crevettes
l’Organe d’appel tranche réellement le cas d’espèce au regard du droit international de
l’environnement, il ne formule effectivement pas de règle générale d’articulation entre
les deux systèmes juridiques. L’interprétation du droit de l’OMC à la lumière de règles
substantielles du droit international public reste ainsi casuistique et peu prévisible.
C’est avant tout l’application des règles d’interprétation codifiées par la Convention de
Vienne qui confère au droit international public sa fonction interprétative. Cette
démarche est avant tout au service de la légitimité des décisions rendues, sans lier
véritablement le juge à des règles extérieures au droit de l’OMC. Cette superficialité
du rôle du droit international public dans le règlement des différends de l’OMC se
vérifie au regard du refus de l’Organe d’appel d’accorder une réelle autonomie au
droit international.
LE REFUS D’AUTONOMIE DU DROIT INTERNATIONAL AU SEIN DU § 2.
DROIT DE L’OMC
363. L’hypothèse d’un conflit de droit. Le cantonnement du droit international à une
fonction interprétative se vérifie dans le refus de son autonomie au sein du droit de
l’OMC dans le cadre du règlement des différends. Ce problème relève de la question
1 Ibid., p. 11.
2 Ibid., p. 17.
422
plus générale de l’articulation normative externe opérée par les Organes de règlement
des différends. Autant la Convention de Vienne est aisément applicable en matière
d’interprétation, autant elle ne semble pas à même d’offrir de réelle solution à un
conflit de droit frontal entre le droit de l’OMC et d’autres normes du droit
international. Les règles classiques telles que lex posterior et lex specialis ne
permettent pas de résoudre systématiquement l’hypothèse d’obligations divergentes
entre le droit de l’OMC et le droit de l’environnement ou de la santé. Les géométries
sont variables d’un instrument juridique à l’autre, qui ne visent pas les mêmes sujets
de droit, les mêmes objets, ou ne défendent pas les mêmes valeurs. Ces hypothèses de
conflits de droit dépassent les schémas classiques du droit international public1.
L’Organe d’appel a pourtant déjà pu se référer à d’autres accords internationaux par le
biais de l’article 31§3 c) de la Convention de Vienne qui invite à tenir compte « en
même temps que du contexte […] de toute règle pertinente de droit international
applicable entre les parties »2. La difficulté tient alors à la portée de la référence.
364. Les stratégies d’évitement de la question l’affrontement de systèmes. En réalité,
l’Organe d’appel n’a encore jamais pris position sur l’effet et la valeur juridique d’un
accord multilatéral relatif à la protection de l’environnement dans un différend OMC.
Pourtant, parallèlement, il exhorte les États membres à négocier dans le domaine
environnemental3. Les États membres, quant à eux, ont maintes fois manifesté leur
volonté de répondre à ces questions d’articulation normative externe, particulièrement
1 V. en ce sens BOY L., « La place de l’environnement dans le règlement des conflits à l’organisation
mondiale du commerce », in PRIEUR M. (Mélanges en l’honneur de), Pour un droit commun de
l’environnement, Dalloz, Paris, 2007, p. 66. 2 Rapport de l'Organe d'appel « Essence », p. 19 ; Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes »,
§§ 130 s. 3 L’Organe d’appel a clairement exprimé une incitation au multilatéralisme en matière environnementale
dans son rapport Crevettes : « Pour éviter une ‘discrimination arbitraire ou injustifiable’ les États-Unis
devaient donner à tous les pays exportateurs ‘des possibilités similaires de négocier’ un accord
international. Compte de nu […] de la préférence marquée pour des approches multilatérales exprimée par
les Membres de l’OMC et autres acteurs de la communauté internationale dans divers accords
internationaux pour la protection et la conservation des tortues marines menacées d’extinction […] les
États-Unis, à notre avis, seraient censés faire des efforts de bonne foi pour parvenir à des accords
internationaux qui soient comparables d’une enceinte de négociation à l’autre » : Rapport de l'Organe
d'appel « Tortues – Crevettes », §§ 122-124 ; v. BOISSON DE CHAZOURNES L., « Le rôle des organes de
règlement des différends de l’OMC dans le développement du droit international de l’environnement : entre
le marteau et l’enclume », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement,
Bruylant, Bruxelles, 2003, pp. 379-400, spéc. p. 387.
423
prégnantes dans les domaines environnemental et sanitaire1. Pourtant, un tel conflit de
droit entre obligations contradictoires issues d’un AEM d’une part, des accords OMC
d’autre part, reste hypothétique, les négociations en la matière n’ayant toujours pas
abouti, et les organes de règlement des différends n’ayant toujours pas formellement
pris position.
L’affaire Chili-Espadon2
montre d’ailleurs que les États Membres parties à un
différend éludent également cette question. Celle-ci est issue d’une controverse d’une
dizaine d’années entre les Communautés européennes et le Chili concernant la pêche à
l’espadon dans le Pacifique Sud. Chacune des parties invoquait un régime juridique
international différent à l’appui de ses positions. Les Communautés européennes ont
porté l’affaire devant l’OMC en avril 2000, tandis que le Chili saisissait le Tribunal
international du droit de la mer en décembre 2000. Finalement, les deux procédures
ont été suspendues, les parties étant parvenues à un arrangement provisoire qui a,
depuis été renouvelé. Pour certains, cette affaire est révélatrice de l’étanchéité existant
entre les accords OMC et les AEM3 . Pour d’autres, elle illustre le fait que les États
eux-mêmes ne cherchent pas à provoquer une telle situation de concurrence entre les
interprétations données par les organes de règlement des différends de l’OMC et ceux
d’autres instances4. L’affaire en cause pouvait effectivement également être portée
devant un tribunal arbitral conformément à la Convention de Montego Bay. Les parties
se sont pourtant arrangées à l’amiable, ne menant pas le conflit à son terme « sans
doute […] parce que tout le monde a compris qu’il n’y avait pas intérêt à pousser trop
1« Afin de renforcer le soutien mutuel du commerce et de l’environnement, nous convenons de négociations,
sans préjuger de leur résultat, concernant : i) la relation entre les règles de l’OMC existantes et les
obligations commerciales spécifiques énoncées dans les accords environnementaux multilatéraux (AEM).
La portée des négociations sera limitée à l’applicabilité de ces règles de l’OMC existantes entre les parties
à l’AEM en question. Les négociations seront sans préjudice des droits dans le cadre de l’OMC de tout
Membre qui n’est pas partie à l’AEM en question » : Déclaration ministérielle, Conférence Ministérielle,
Quatrième Session, Doha, 9-14 novembre 2001, WT/MIN(01)/DEC/1, 20 novembre 2001, § 31. 2 Affaire Chili – Mesures concernant le transport en transit et l’importation des espadons, DS193,
demande de consultation reçue le 19 avril 2000. 3 BOY L., « La place de l’environnement dans le règlement des conflits à l’organisation mondiale du
commerce », op. cit., p. 63. 4 TOMKIEWICZ V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, thèse, Université Panthéon-
Sorbonne, Paris, 2004, 545-XXXVI p. 438.
424
loin et à concrétiser trop précisément la perspective de décisions potentiellement
contradictoires, même si le conflit restait formellement indirect »1.
La frilosité générale entourant cette question de l’articulation normative externe dans
le cadre du système de règlement des différends laisse beaucoup de place à
l’imagination, et trop peu à l’analyse fondée. Le commentateur ne dispose aujourd’hui
que de solutions casuistiques éparses, à l’occasion desquelles les organes de règlement
des différends ont refusé d’accorder à différents éléments de droit international leur
autonomie en droit de l’OMC. Cette tendance à écarter les normes extérieures est
avant tout motivée par le souci de ne pas porter atteinte aux droits et obligations
contenues dans les accords OMC. Elle remet toutefois largement en cause la prétendue
ouverture du système de règlement des différends au droit international général. À ce
jour, la jurisprudence témoigne du refus des organes de règlement des différends
d’accorder une quelconque autonomie aux conventions internationales extérieures au
système OMC (A), ainsi qu’au principe central de droit international de
l’environnement et de la santé qu’est le principe de précaution (B).
Le refus d’autonomie des conventions internationales extérieures au système A.
OMC
365. Les organes de règlement des différends ont constamment refusé toute autonomie
aux conventions internationales extérieures au droit de l’OMC. Ce refus a été exprimé
à l’égard d’un accord entre un État membre et une autre organisation internationale
dans l’affaire Textiles (1) ; d’un accord bilatéral dans l’affaire Volailles (2) ; et d’un
accord plurilatéral dans l’affaire Banane (3).
1 RUIZ FABRI H., « Concurrence ou complémentarité entre les mécanismes de règlement des différends du
Protocole de Carthagène et ceux de l’OMC », in BOURRINET J. et MALJEAN-DUBOIS S. (Ed.), Le commerce
international des organismes génétiquement modifiés, La Documentation française, Paris, 2002, p. 170.
425
L’affaire Textiles : Le refus d’autonomie d’un accord entre un État membre et une 1.
autre organisation internationale
366. Les États-Unis avaient initié une demande de consultations concernant
l’imposition par l’Argentine de droits de douane spécifiques minimaux sur les
importations de textiles, de vêtements et de chaussures, au lieu du taux consolidé fixé
auparavant dans sa liste de concessions. L’affaire relevait principalement de l’article II
du GATT relatif aux « Listes de concessions ».
C’est toutefois dans le cadre du débat relatif à une taxe spécifique représentant selon
les plaignants une violation de l’article VIII du GATT (« Redevances et formalités se
rapportant à l’importation et à l’exportation ») que l’Argentine a invoqué un accord
extérieur au droit de l’OMC. Cette taxe servait à la collecte de données statistiques sur
les importations et exportations par le service de douane1. L’Argentine avançait que
cette mesure était perçue à des fins fiscales dans le cadre de ses engagements envers le
FMI.
Elle invoquait ainsi un de ses engagements auprès du FMI pour justifier son non-
respect de l’article VIII du GATT. Elle s’appuyait en outre sur les accords entre
l’OMC et le FMI pour avancer qu’il fallait éviter « d’imposer aux gouvernements une
conditionnalité croisée ou des conditions additionnelles »2. Le Groupe spécial et
l’Organe d’appel réfutent tous deux les arguments argentins au motif que l’Argentine
n’a pas démontré l’existence d’un accord contraignant avec le FMI. Pour ce faire, ils
analysent différents instruments régissant les rapports de l’OMC avec le FMI, à savoir
l’Accord entre le FMI et l’OMC3, la Déclaration sur la relation de l’OMC avec le
FMI, ainsi que la Déclaration sur la contribution de l’OMC à une plus grande
1 Pour un exposé plus complet de l’ensemble de l’affaire, v. notamment CANAL-FORGUES E., « Argentine –
Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres articles », in CANAL-
FORGUES E., et FLORY T., GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre
1999), Bruylant, Bruxelles, 2001, pp. 832-835 ; TOMKIEWICZ V., « Commentaire de l’affaire Argentine –
Certaines mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres articles », in STERN
B. et RUIZ-FABRI H. (éd.), La jurisprudence de l’OMC – The Case-Law of the WTO (1998-1), Leiden,
Boston, M. Nijhoff, 2005, pp. 111-133. 2 Communication de l’Argentine en tant qu’appelant, §§ 95 et 96.
3 Accord avec le FMI, Annexe I du document WT/L/195
426
cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Aucun
de ces textes ne prévoit un quelconque principe de prévalence ou de règlement des
conflits ; au mieux un régime de consultations. L’Organe d’appel déduit de ces
silences que « rien […] [ne] justifie une conclusion selon laquelle les engagements
d’un membre envers le FMI l’emportent sur ses obligations au titre de l’article VIII du
GATT de 1994 »1. Il ajoute que l’Accord entre le FMI et l’OMC « ne modifie pas, ni
n’accroît ni ne réduit les droits et obligations des Membres au titre de l’Accord sur
l’OMC, ni ne modifie les engagements des États à l’égard du FMI »2.
Si certains commentateurs ont pu préciser que la question se serait posée différemment
s’il s’était agi d’un traité multilatéral3, l’Organe d’appel exprime bel et bien dans son
rapport un refus net d’admettre la dérogation à une obligation issue des accords OMC
au titre d’un engagement externe4, en l’occurrence, d’un accord passé entre un État
membre et une autre organisation internationale.
L’affaire Volailles : Le refus d’autonomie d’un accord bilatéral extérieur au droit de 2.
l’OMC
367. L’affaire Communautés européennes – Volailles témoigne d’une autre manière de
la réticence de l’Organe d’appel à accepter l’autonomie juridique de systèmes
juridiques extérieurs.
Cette affaire Volaille fait en réalité suite à une première, dite CEE – Oléagineux5. À
l’issue de cette dernière, les Communautés, le Brésil et neuf autres parties
1 Rapport de l'Organe d'appel Argentine – Mesures affectant les importations de chaussures, textiles,
vêtements et autres articles, WT/DS56/AB/R et Corr.1, adopté le 22 avril 1998, § 70. 2 Ibid., § 72.
3 TRACHTMAN J.P., « Commentaire de décisions de l’Organe d’appel », EJIL, 1998, vol. 9, n°3, pp. 551-552.
4 RUIZ FABRI H., « L’appel dans le règlement des différends de l’O.M.C., trois ans après, quinze rapports
plus tard... », op. cit., p. 104. 5 V. Rapports du Groupe spécial Communauté économique européenne — Primes et subventions versées
aux transformateurs et aux producteurs d'oléagineux et de protéines apparentées destinées à l'alimentation
des animaux, adopté le 25 janvier 1990, IBDD, S37/91 ; et Rapport du Groupe spécial Communauté
économique européenne — Suite donnée au rapport du Groupe spécial sur les primes et subventions
versées aux transformateurs et aux producteurs d'oléagineux et de protéines apparentées destinées à
l'alimentation des animaux, 31 mars 1992, IBDD, S39/101.
427
contractantes du GATT, avaient négocié un Accord sur les Oléagineux1. Cet accord
prévoyait, entre autres choses, un contingent tarifaire annuel pour certaines viandes de
volaille congelée. Négocié sous l’égide de l’ancien GATT, il a par la suite été
incorporé dans la liste LXXX2. Dans cette liste, les Communautés européennes se
réservaient le droit d'imposer un droit additionnel sur les importations de viande de
volaille visée effectuées en sus du contingent si les conditions établies à l'article 5 de
l'Accord sur l'agriculture pour l'imposition d'une mesure de « sauvegarde spéciale »
étaient remplies3. La question se posait ainsi du rapport entre la Liste LXXX et
l’Accord sur les oléagineux.
Le Groupe spécial, dans un premier temps, admet qu’« il y a un lien étroit entre les
deux »4 et accepte de « procéder à l’examen de l’Accord sur les oléagineux dans la
mesure nécessaire pour déterminer les obligations des CE à l’égard du Brésil en vertu
des Accords de l’OMC »5. Il conclut son rapport par l’affirmation que le Brésil n’a su
démontrer la violation par les Communautés européennes de leurs obligations au titre
des accords OMC.
Les Communautés européennes rappellent toutefois au cours de la procédure d’appel
leur argument selon lequel la Liste LXXX remplaçait et annulait l’Accord sur les
oléagineux6. Selon elles, l’articulation entre les deux accords doit être appréhendée
selon les règles de la Convention de Vienne, et notamment les principes lex posterior
et lex specialis.
L’Organe d’appel refuse d’adopter une telle approche, qui impliquerait une posture
objective déterminant le rapport entre deux traités égaux :
1 Signé le 31 décembre 1994.
2 Liste LXXX des Communautés européennes, Acte final reprenant les résultats des négociations
commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay, fait à Marrakech, le 15 avril 1994. 3 Pour un exposé plus complet de l’ensemble de l’affaire, v. notamment FLORY T., « Communautés
européennes – Mesures affectant l’importation de certains produits provenant de volailles », in CANAL-
FORGUES E., et FLORY T., GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre
1999), op. cit., pp. 892-897 ; TOMKIEWICZ V., « Communautés européennes – Mesures affectant
l’importation de certains produits provenant de volailles», in STERN B. et RUIZ-FABRI H. (éd.), La
jurisprudence de l’OMC – The Case-Law of the WTO (1998-2), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2005, pp. 34-
63. 4 Rapport du groupe spécial « CEE – Oléagineux », § 201.
5 Ibid., § 202.
6 Communication des CE en tant qu’appelant, § 33.
428
« À notre avis, il n’est pas nécessaire de recourir ni à l’article 59 :1, ni à l’article
30 :3 de la Convention de Vienne. Parce que le texte de l’Accord sur l’OMC et les
dispositions juridiques régissant la transition du GATT de 1947 à l’OMC résolvent la
question du rapport entre la Liste LXXX et l’Accord sur les oléagineux en l’espèce. La
Liste LXXX […] fait partie intégrante du GATT de 1994. À ce titre, elle fait partie des
obligations multilatérales découlant de l’Accord sur l’OMC. L’Accord sur les
oléagineux, par contre, est un accord bilatéral négocié par les Communautés
européennes et le Brésil au titre de l’article XXVIII du GATT de 1947, dans le cadre
du règlement du différend CEE - Oléagineux. De ce fait, l’Accord sur les oléagineux
n’est pas un ‘accord visé’ au sens des articles premier et 2 du Mémorandum d’Accord.
L’Accord sur les oléagineux ne fait pas non plus partie des obligations multilatérales
acceptées par le Brésil et les Communautés européennes conformément à l’Accord sur
l’OMC, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1995. L’Accord sur les oléagineux n’est
cité dans aucune annexe de l’Accord sur l’OMC. Les dispositions de certains
instruments juridiques qui sont entrés en vigueur au titre du GATT de 1947 ont été
intégrées au GATT 1994 conformément au texte de l’Annexe 1A incorporant le GATT
de 1994 dans l’Accord sur l’OMC, mais l’Accord sur les oléagineux n’est pas un de
ces instruments juridiques »1.
Une telle déclaration consiste pour l’Organe d’appel avant tout à délimiter les
frontières du système juridique de l’OMC. Il en exclut complètement l’Accord sur les
oléagineux. Cette exclusion ne semble pas porter à conséquence dans le présent
différend. Il convient en effet tout comme le Groupe spécial que « l’Accord sur les
oléagineux peut servir de moyen complémentaire d’interprétation de la Liste LXXX
conformément à l’article 32 de la Convention de Vienne, car il fait partie du contexte
historique des concessions accordées par les Communautés européennes pour la
viande de volaille congelée 2». En revanche, l’Organe d’appel est d’avis que, « c’est la
Liste LXXX, et non l’Accord sur les oléagineux, qui constitue le fondement juridique
1 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Mesures affectant l'importation de certains
produits provenant de volailles, WT/DS69/AB/R, adopté le 23 juillet 1998, § 79. 2 Ibid., § 83 (souligné dans l’original).
429
du présent différend »1. Ainsi, si l’Organe d’appel accepte de prendre en compte
l’Accord sur les oléagineux, ce n’est qu’en tant que moyen d’interprétation de la Liste
faisant partie intégrante du droit de l’OMC. La qualification répétée d’accord bilatéral
semble appuyer la non-intégration de l’accord au droit de l’OMC, qui avait pourtant
été négocié dans son cadre. L’Organe d’appel adopte par son raisonnement une
acception stricte des « accords visés » par le Mémorandum d’Accord. Son refus
corrélatif de l’hypothèse de l’utilisation de l’Accord sur les oléagineux comme
fondement juridique des parties au litige montre que cette délimitation des « accords
visés » correspond au droit qu’il considère comme autonome et applicable dans le
cadre du système de règlement des différends. En refusant l’autonomie de l’Accord
sur les oléagineux dans son rapport Volailles, l’Organe d’appel montre une fois encore
sa volonté de cantonner le droit international à une simple fonction interprétative.
L’affaire Bananes : le refus d’autonomie d’un accord plurilatéral extérieur au droit 3.
de l’OMC
368. Dans son rapport Bananes, l’Organe d’appel fait une fois encore preuve de son
refus de reconnaître l’autonomie d’un instrument juridique extérieur au système OMC
stricto sensu en adoptant une approche restrictive de la Convention de Lomé.
Les plaignants contestaient l’Organisation Commune du Marché de la Banane
(OCMB) instituée par le Règlement communautaire n° 404/932. Les Communautés
européennes fondaient leur défense sur la Convention de Lomé de 1989, dite « Lomé
IV », aménageant une préférence aux importations de bananes en provenance des pays
ACP. Cette préférence était autorisée dans le cadre d’une dérogation à l’article I.1 du
GATT de 1947 accordée par le Conseil du GATT3. Les organes de règlement des
différends étaient ainsi amenés à se prononcer sur cette convention dans le cadre de
leur appréciation de la compatibilité des mesures communautaires en cause.
1 Ibid., § 81.
2 OCMB, Règlement du Conseil n°404/93 du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés
dans le secteur de la banane. 3 Décision des parties contractantes, L/7604 du 19 décembre 1994.
430
L’absence d’autonomie accordée par l’Organe d’appel à la Convention de Lomé en
tant qu’instrument juridique extérieur au système OMC se vérifie en premier lieu dans
son refus de déférer à la volonté des parties contractantes. Passant outre la demande
des Communautés européennes de « s’en remettre aux vues ‘communes’ des CE et des
États ACP concernant l’interprétation appropriée de la Convention », l’Organe
d’appel donne raison au Groupe spécial qui a tenu à examiner lui-même les
dispositions de la Convention de Lomé1. L’Organe d’appel ne se borne donc pas à
interpréter la dérogation au regard de la Convention, mais interprète la Convention lui-
même2.
L’interprétation par l’Organe d’appel des règles substantielles de la Convention de
Lomé témoigne de sa réticence à l’autonomie d’instruments juridiques extérieurs
représentant avant tout une dérogation possible aux principes posés par les Accords
OMC. Sans surprise, l’interprétation de cette dérogation par l’Organe d’appel est
restrictive : il réfute l’allégation communautaire selon laquelle la volonté initiale des
parties à l’accord doit primer. Celle-ci consistait en une dérogation permettant aux
Communautés d’accorder un traitement préférentiel « tel qu’il est prévu dans » les
dispositions pertinentes3. Le Conseil du GATT avait remplacé cette expression par le
terme « qu’exigent »4 que l’Organe d’appel considère plus stricte
5. En termes de
valeurs non-commerciales, c’est ici l’objectif principal de la Convention de Lomé
d’aide au développement, en particulier de promotion des droits de l’homme, qui est
mis à mal. L’Organe d’appel fait ainsi passer ce test d’« exigence » aux différentes
mesures communautaires en cause, pour n’en valider que la moitié, les autres étant
considérées comme non-nécessaires6.
1 V. supra n° 361.
2 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Régime applicable à l'importation, à la vente et
à la distribution des bananes, WT/DS27/AB/R, adopté le 25 septembre 1997, §§ 164-178. 3 Pays ACP – Communautés européennes, Quatrième Convention de Lomé, demande de dérogation, L/7539,
10 octobre 1994. 4 PARTIES CONTRACTANTES, Cinquantième session, procès-verbal de la première séance, 8 décembre 1994,
SR.50/1, 8 février 1995, p. 13. 5 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Régime applicable à l'importation, à la vente et
à la distribution des bananes (« CE – Bananes »), WT/DS27/AB/R, adopté le 25 septembre 1997, § 168. 6 Ibid., §§ 169-178.
431
Enfin, à l’examen de la portée de la dérogation, l’Organe d’appel infirme la
constatation du Groupe spécial consistant à l’appliquer aussi bien à l’article I.11 qu’à
l’article XIII2 du GATT. À la volonté du Groupe spécial de répondre à la nécessité de
donner « réellement effet »3
à la dérogation de Lomé et de prendre en compte
l’« interdépendance étroite » 4
entre les deux articles, l’Organe d’appel préfère
l’interprétation stricte de la dérogation concluant à une application cantonnée aux
articles explicitement mentionnés, à savoir l’article I.1 du GATT5.
Ces trois affaires témoignent de différentes manières du refus de l’Organe d’appel
d’accorder une autonomie juridique à des conventions extérieures au droit de l’OMC,
qui représentent des risques de dérogations aux règles du libre-échange. Il en va de
même concernant le principe de précaution, principe juridique phare du droit
international environnemental et sanitaire.
Le refus d’autonomie du principe de précaution en droit de l’OMC B.
369. Outre certaines conventions internationales extérieures au système OMC, les
organes de règlement des différends se sont prononcés sur l’autonomie qu’ils refusent
d’accorder au principe de précaution. Principe juridique phare dans les domaines
environnemental, alimentaire et sanitaire, son sort au sein du système de règlement des
différends reflète celui réservé aux valeurs non-commerciales à travers l’ineffectivité
du droit international au sein du système OMC. C’est ainsi que l’effectivité du
principe de précaution en droit de l’Union européenne est notamment passée par le
biais de la reconnaissance de son autonomie par le juge6. Certains auteurs considèrent
1 « Traitement général de la nation la plus favorisée ».
2 « Application non-discriminatoire des restrictions quantitatives ».
3 Rapports du Groupe spécial « CE – Bananes », § 7.106.
4 Ibid., § 7.107.
5 Rapport de l'Organe d'appel « CE – Bananes », §§ 182-188.
6 Le principe de précaution est expressément consacré dans le domaine environnemental à l’article 191.2
TFUE. Il a étendu par le juge au domaine sanitaire, notamment par le biais de l’article 168 TFU requérant
« un niveau élevé de protection de la santé humaine » et ayant pour effet d’accroître le poids de la
protection de la santé « dans les définitions et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la
Communauté » : TPICE, Artegodan, aff. T-74/00, Rec., p. II-4945, point 183. Avec cet arrêt, le tribunal a en
outre qualifié le principe de précaution de principe général de droit, offrant la possibilité d’appliquer le
principe dans des affaires où le droit communautaire dérivé ne le consacrait pas de manière expresse. Pour
432
certes que l’invocation d’un principe de précaution exogène est inutile au regard de
l’autonomie dont bénéficient les membres de l’OMC dans la définition de leurs
propres niveaux de protection sanitaire et environnementale1
; il nous semble
néanmoins que le constat d’ineffectivité des exceptions environnementale et sanitaires
nous conduit à appeler de nos vœux la consécration de l’autonomie du principe de
précaution en droit de l’OMC, dans une optique de régulation environnementale et
sanitaire des échanges internationaux. Or, le Groupe spécial a, dans son rapport OGM,
explicitement dénié toute autonomie au principe de précaution tel que consacré par
certaines conventions internationales (1), tout en admettant que le droit international
général lui accorde un statut ambigu et constitue une impasse pour les États qui
souhaiteraient s’en prévaloir (2).
Une interprétation isolationniste refusant la prise en compte du droit international 1.
conventionnel
370. Dans le cadre de l’affaire OGM, les Communautés européennes faisaient valoir
que les accords de l’OMC, et notamment l’Accord SPS, doivent être interprétés à la
lumière des autres instruments du droit international, en vertu de l’article 31§3c) de la
Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit en matière d’interprétation,
qu’il sera tenu compte « de toute règle pertinente de droit international applicable
dans les relations entre les parties ». En guise de règles pertinentes, les Communautés
européennes avançaient la prise en compte de la Convention de Rio de 1992 sur la
diversité biologique ainsi que du Protocole de Cartagena de 2000 sur la prévention
de plus amples développements sur le principe de précaution en droit de l’Union européenne, v. DE
SADELEER N., « Le principe de précaution dans le monde. Le principe de précaution en droit international et
en droit de l'Union européenne», FONDAPOL, La précaution par principe ?, Paris, 2011, pp. 7-33. 1V. en ce sens NOIVILLE C., « Principe de précaution et OMC. Le cas du commerce alimentaire », JDI,
2000, p. 263 ; RUIZ FABRI H., « La prise en compte du principe de précaution par l'OMC », Rev. jur. envir.
2000, n° spécial, p. 55 ; MARCEAU G., « Le principe de précaution et les règles de l'OMC », in LEBEN C. et
VERHOEVEN J. (dir.), Le principe de précaution. Aspects de droit international et communautaire, Ed.
Panthéon-Assas, 2002, p. 131-149.
433
des risques biotechnologiques1, qui consacrent tous deux l’autonomie du principe de
précaution2.
Le Groupe spécial a refusé de prendre en compte ces conventions en donnant un sens
particulier au terme de « parties » utilisé dans l’article 31§3c) de la Convention de
Vienne : alors que les Communautés défendaient la prise en compte du droit applicable
entre les parties au conflit, le Groupe spécial y entend l’« État qui a consenti à être lié
par le traité et à l’égard duquel le traité est en vigueur »3. Il faut comprendre d’une
telle affirmation que ne sont applicables dans le cadre du système de règlement des
différends que les traités auxquels tous les États Membres de l’OMC sont parties, et
non seulement les États parties au litige. Le Groupe spécial refuse ainsi de prendre en
compte la consécration conventionnelle du principe de précaution au motif que les
États-Unis ne sont pas partie à la Convention sur la biodiversité et n’ont pas ratifié la
Convention sur la prévention des risques biotechnologiques.
Cette interprétation du terme « parties » a été qualifiée d’« isolationniste »4, en ce
qu’elle tendrait à cristalliser les contradictions entre les différentes conventions dans
un contexte de fragmentation du droit international : cette interprétation rendrait les
références et prises en compte entre traités multilatéraux quasiment impossibles. La
Commission du droit international a pu relever que « curieusement, cela aurait pour
effet que plus le nombre des parties à un traité multilatéral comme les accords visés
par l’OMC s’accroît, plus ces traités seraient retranchés du reste du droit
international. Dans la pratique, il s’ensuivrait que les accords multilatéraux se
trouveraient isolés comme autant d’’îles’ n’autorisant aucune référence inter se dans
leur application […]. Pareille conséquence semblerait aller à l’encontre de l’éthique
1 Rapports du Groupe spécial « OGM », §§ 7.52 à 7.55.
2 Le Protocole de Carthagène énonce dès son premier article que « conformément à l’approche de
précaution » l’objectif de l’accord est d’assurer « un degré adéquat de protection pour le transfert, la
manipulation et l’utilisation sans danger des OVM ». Ses articles 10.6 et 11.8 prennent en compte le risque
potentiel, au-delà du risque avéré. Sur ces questions, v. LANFRANCHI M.-P. et TRUILHÉ E., « La portée du
principe de précaution », in BOURRINET J., MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Le commerce international des
organismes génétiquement modifiés, La Documentation française, Paris, 2002, pp. 71-96. 3 Rapports du Groupe spécial « OGM », § 7.68.
4 ABDELGAWAD W., JOURDAIN-FORTIER C. et MOINE-DUPUIS I., « Chronique du règlement des différends
de l’OMC (2006-2008) », RIDE, 2008/3, t. XXII, 3, p. 372.
434
législative qui préside à l’élaboration de la plupart des traités internationaux et, on
peut le supposer, à l’intention de la plupart des auteurs de traités »1.
Ce refus du Groupe spécial de prendre en compte la consécration conventionnelle du
principe de précaution dans l’affaire OGM s’inscrit dans la logique adoptée par
l’Organe d’appel dans son rapport Hormones. Les États ne peuvent dès lors alléguer
une interprétation des accords à la lumière du principe de précaution qu’en se fondant
sur son statut, très incertain, en droit international général.
L’impasse du droit international général 2.
371. Les Communautés européennes s’étaient déjà aventurées sur le terrain du droit
international général pour demander la prise en compte du principe de précaution par
l’Organe d’appel lors de l’affaire Hormones. Elles arguaient alors qu’il était devenu
« une règle coutumière générale du droit international » ou du moins « un principe
général de droit »2. Considérant que les mesures en cause avaient été adoptées dans un
esprit de précaution, elles alléguaient leur compatibilité avec l’Accord SPS qui selon
elles devait être interprété à la lumière de ce principe3.
L’Organe d’appel avait pourtant refusé cette interprétation au motif que le principe de
précaution ne faisait l’objet que de débats non aboutis quant à son statut. Il constatait
l’absence de formulation faisant autorité du principe, en dehors du droit international
de l’environnement, sans omettre de préciser qu’il estimait, toutefois, « qu'il [était]
superflu, et probablement imprudent, que l'Organe d'appel prenne position […] au
sujet de cette question importante, mais abstraite »4. Loin d’être superflu, l’enjeu de la
reconnaissance de l’autonomie du principe de précaution apparaît bien au contraire
primordial : les organes de règlement des différends accepteraient par là même le
relativisme scientifique, nécessaire à l’effectivité des exceptions environnementales et
1 NATIONS UNIES, Assemblée générale, Commission du droit international, 58
e session, « Fragmentation du
droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international »,
Rapport du groupe d’étude de la CDI, établi par Martti Koskenniemi (A/CN.4/L.682), 13 avril 2006, p. 259,
§ 471. 2 Communication des CE en tant qu'appelant, § 91.
3 Communication des CE en tant qu'appelant, § 98.
4 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 123.
435
sanitaires1, justement susceptible de permettre la compatibilité de la mesure Hormones
avec le droit de l’OMC. L’Organe d’appel se contente d’admettre que l’Accord SPS le
prend en compte dans son article 5.7, ce qui lui permet de garder une maîtrise totale
sur le contenu du principe, voire de le neutraliser2. In fine, l’Organe d’appel n’hésite
pas à exclure le principe de précaution des « principes normaux (c’est-à-dire du droit
international coutumier) »3, qu’il considère seuls outils extérieurs d’interprétation. En
refusant l’autonomie du principe de précaution par rapport à l’Accord SPS, l’Organe
d’appel lui ôte sa capacité à l’emporter sur les obligations consacrées par l’Accord4.
Les Communautés européennes présentent à nouveau cet argumentaire devant le
Groupe spécial de l’affaire OGM. Le Groupe spécial, statuant pourtant huit ans après
l’adoption par l’Organe de règlement des différends du rapport Hormones, ne fait
qu’appliquer la règle alors posée par l’Organe d’appel en constatant que « le statut
juridique du principe de précaution reste incertain »5. Il préfère garder une attitude de
« prudence » qui lui suggère « de ne pas essayer de régler cette question complexe »6
et conclut de la même manière qu’il n’a « pas à prendre position sur le point de savoir
si le principe de précaution est ou non un principe reconnu de droit international ou
coutumier » 7
.
Ainsi, à l’instar du sort qu’ils réservent aux Conventions internationales extérieures au
système OMC, les organes de règlement des différends refusent d’accorder une
quelconque autonomie au principe de précaution. Ils admettent certes l’existence de
ces instruments juridiques, qu’ils prennent en compte à l’envi pour interpréter
certaines dispositions des accords OMC, lorsqu’elles en sont explicitement et
directement tributaires ; mais jamais au point de leur accorder une portée leur
permettant d’infléchir les grands principes du libre-échange. Les instruments
juridiques de droit international public extérieurs au système OMC sont ainsi
cantonnés à une fonction purement interprétative : si les règles et méthodes
1 V. supra n° 265.
2 V. supra n° 146 s.
3 Rapport de l'Organe d'appel « Hormones I », § 124.
4 Ibid., § 125.
5Rapports du Groupe spécial « OGM », § 7.89.
6 Ibid.
7 Ibid.
436
d’interprétation codifiées par la Convention de Vienne sur le droit des traités sont
effectivement citées et appliquées, elles n’assurent pas à elles seules l’effectivité du
droit international. Les règles et principes de droit international de l’environnement ou
de la santé, pourtant nombreux et utiles, ne sont aujourd’hui toujours pas applicables
dans le cadre du système de règlement des différends. Le refus catégorique des
organes de règlement des différends d’accorder son autonomie au principe de
précaution révèle l’ampleur du fossé creusé entre le droit international substantiel et le
droit de l’OMC dans les domaines environnementaux et sanitaires. Plus avant, le sort
réservé au principe de précaution interroge non seulement celui promis à la protection
sanitaire et environnementale, mais également aux valeurs non-commerciales, et par là
même à l’intérêt général dans son ensemble1. L’ineffectivité rationae materiae du
droit international visant la protection environnementale et sanitaire a pour pendant
l’ineffectivité rationae personae de la participation de la société civile au système de
règlement des différends.
SECTION 2. L’INEFFECTIVE PARTICIPATION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE AU
SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
372. La question de l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires peut
également se poser rationae personae : devant l’échec des États Membres à défendre
les mesures protectrices de la santé et de l’environnement dans le cadre du système de
règlement des différends, il s’agit de trouver d’autres représentants pertinents de ces
valeurs non-commerciales. La société civile est susceptible d’endosser un tel rôle dans
l’optique d’une démocratisation de l’organisation internationale qu’est l’OMC2. Les
personnes privées ne sont toutefois pas sujets du droit de l’OMC, du moins pas
1 FAVRET J.-M., « Le principe de précaution ou la prise en compte par le droit de l’incertitude scientifique et
du risque virtuel », Rec. D., 2001, p. 3462 : « Précaution et intérêt général ont évidemment partie liée ».
Puis, citant le Rapport 1998 du Conseil d’État, EDCE, n°49, selon lequel le principe de précaution
« pourrait apparaître comme une facette nouvelle de la notion d’intérêt général en tant qu’il implique un
arbitrage entre les préoccupations d’aujourd’hui et le souci de l’intérêt des générations futures ». 2 V. en ce sens BOY L., « Le déficit démocratique de la mondialisation du droit économique et le rôle de la
société civile », RIDE, 3/2003 (t. XVII), pp. 471-493.
437
directement. Il s’agit alors de s’intéresser à des procédures et mécanismes particuliers
permettant une participation indirecte de personnes privées incarnant la société civile
au système de règlement des différends.
Les organes de règlement des différends ont admis cette participation indirecte des
personnes privées, et par là même implicitement reconnu la nécessité de prendre en
compte les arguments de la société civile dans la résolution des litiges. Cette
reconnaissance s’est faite par l’admission de deux pratiques principales : l’admission
de principe des mémoires d’amicus curiae et la décision de compatibilité des
mécanismes nationaux de traitement des plaintes privées avec le droit de l’OMC.
Pourtant, ces procédures ne permettent pas à la société civile porteuse de valeurs
environnementales et sanitaires de participer effectivement au système de règlement
des différends. La nature de l’OMC conduit inéluctablement à l’ouverture de ces
procédures aux personnes privées mues par des intérêts commerciaux : seuls ces
derniers peuvent fonder une demande, les intérêts environnementaux et sanitaires ne
pouvant intervenir qu’à titre défensif. Or, cette posture défensive ne permet pas non
plus aux personnes privées de soutenir ces intérêts environnementaux et sanitaires. En
effet, la participation de la société civile au règlement des différends
environnementaux et sanitaires semble impossible au regard de l’impact limité des
mémoires d’amicus curiae (§1) et de l’inaccessibilité des mécanismes internes de
plaintes privées à des intérêts autres que commerciaux (§2).
L’IMPACT EFFECTIVEMENT LIMITÉ DES MÉMOIRES D’AMICUS § 1.
CURIAE
373. Définition de l’amicus curiae. Institution issue du droit romain, élaborée en
Common Law, et finalement apparue récemment dans les ordres juridiques
continentaux, notamment français, il est difficile de définir l’amicus curiae au regard
de la diversité des pratiques que le terme désigne. Les organes de règlement des
différends n’en ont par ailleurs jamais précisé l’acception particulière qu’ils peuvent
faire de l’expression. Une auteure a néanmoins pu proposer une définition générique
de ces termes :
438
« L'amicus curiae, littéralement ‘l'ami de la cour’, est un mécanisme procédural par
lequel un tribunal invite ou autorise une personne ou une entité à participer à une
instance existante entre des parties afin qu'elle lui fournisse des informations
susceptibles d'éclairer son raisonnement »1.
Une telle définition semble satisfaisante au regard de la pratique des organes de
règlement des différends, et permet de qualifier d’amicus curiae les mémoires soumis
par différents tiers au litige (personnes physiques ou morales privées, mais également
publiques) et acceptés comme tels par les Groupes spéciaux ou l’Organe d’appel.
374. L’amicus curiae, un mécanisme lié à l’interaction entre systèmes juridiques.
L’amicus curiae, consistant en une ouverture procédurale à d’autres personnes que les
sujets de droit d’un système juridique stricto sensu, est révélateur d’une certaine
capacité régulatrice dudit système, au sens d’ouverture à des valeurs qui lui sont
initialement étrangères. Brigitte STERN a par exemple souligné à quel point
l’internationalisation de l'amicus curiae illustre les multiples interactions dues à la
mondialisation :
« interactions entre les ordres internes et l'ordre international ; interactions entre les
différentes institutions au sein desquelles se règlent des différends économiques
internationaux - OMC, ALENA, CIRDI ; interactions entre les sentences arbitrales
rendues, la doctrine, et la réglementation internationale, celle-ci ayant clairement,
pour ce qui est de l'acceptation des amicus curiae, codifié ce que les arbitres avaient
antérieurement décidé »2.
Faut-il dès lors déduire de l’échec effectif de la pratique de l’amicus curiae dans le
cadre du règlement des différends à l’OMC une absence de volonté institutionnelle
d’interagir avec d’autres systèmes juridiques, d’autres sujets de droit ? Il semble en
fait que l’acceptation de principe de l’amicus curiae par les organes de règlement des
1 MENÉTREY S., L’amicus curiae, vers un principe commun de droit procédural ?, Dalloz, Paris, 2010, p. 4.
V. également sa présentation de l’amicus curiae, au regard de la problématique de la sécurité alimentaire :
MÉNÉTREY S., « Amicus curiae », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire
juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 82-83. 2 STERN B., « Un petit pas de plus: l'installation de la société civile dans l'arbitrage CIRDI entre État et
investisseur», in Rev. Arb., 2007/ 1, p. 42.
439
différends soit une fois encore motivée par une recherche de légitimité des solutions
rendues, et de l’ensemble du système de manière générale, auprès de la société civile.
À l’instar du décalage entre consécration apparente et ineffectivité substantielle des
exceptions environnementales et sanitaires, il n’est pas étonnant que cette procédure
ait en réalité un impact fort limité : les organes de règlement des différends
apparaissent ici aussi plus à la recherche d’une apparence régulatrice, que d’une
régulation environnementale et sanitaire substantielle. L’impact limité de ces
mémoires remet nécessairement en question l’autorité des organes de règlement des
différends, en particulier pour trancher des litiges sous-tendus par de tels enjeux non-
commerciaux.
375. L’amicus curiae, un mécanisme lié à la présence d’enjeux non-commerciaux
dans les différends commerciaux. Le recours à l’amicus curiae dans le cadre d’un
différend commercial correspond la plupart du temps à la présence d’enjeux non-
commerciaux. La jurisprudence arbitrale en témoigne. C’est bien le fait que l’affaire
Aguas argentinas implique des questions de protection des droits de l’homme1 et
l’affaire Methanex Corporation mette en jeu une « question d’intérêt général »2 qui
motive l’acceptation par les arbitres de mémoires d’amicus curiae. Parallèlement, les
arbitres rejettent les demandes d’amicus curiae dans le cadre de l’affaire Bernhard von
Pezold et Borders Timbers en arguant que les questions de droit de l’homme et des
populations indigènes n’intéressent pas directement le contentieux. Comme le juge
WEERAMANTRY le notait dans son opinion individuelle lors de l’affaire Gacikovo
Nagymaros, « pour examiner de tels problèmes [les intérêts majeurs de la planète] …
le droit international devra voir plus loin que les règles de procédure élaborées aux
seules fins du contentieux interpartes ». Ainsi le mécanisme de l’amicus curiae se
1 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A.
c. The Argentine Republic, ICSID/ARB/03/19, Order in response to a petition for transparency and
participation as amicus curiae, 19 May 2005, §§ 19-20; sur cette affaire v. COLLART DUTILLEUL F., « Aguas
Argentinas », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité
alimentaire dans le monde, éd. Larcier, Bruxelles, 2013, pp. 60-61 ; BACCOUCHE T., « L’affaire Aguas
argentinas et al. v./ Republica Argentina : l’apport processuel », in COLLART DUTILLEUL F. et BRÉGER T.
(dir.), Penser une démocratie alimentaire – Thinking a food democracy, Vol. 2, INIDA, San José (Costa
Rica), 2014, pp. 299-306 ; CAZALA J., « Protection des droits de l’homme et contentieux international de
l’investissement », Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012/4, pp. 899-806. 2 V. CLAY T., « Arbitrage et environnement », Gaz. Pal., 29 mai 2003, n° 149, pp. 10-16.
440
situerait à la croisée des chemins de l’internormativité et de l’intersubjectivité1. Il
représenterait en ce sens une voie processuelle détournée d’un grand intérêt pour les
acteurs privés ne jouissant d’aucun accès formel auprès d’une juridiction
internationale2.
Le mécanisme procédural de l’amicus curiae n’est pas prévu dans les textes des
accords de l’OMC3, et n’était pas pratiqué sous l’égide de l’ancien GATT. Les organes
de règlement des différends, opérant un véritable revirement jurisprudentiel, ont
accepté le principe de prise en compte des mémoires d’amicus curiae (A). Cette
audacieuse prise en compte a toutefois été mal perçue par la quasi-totalité des États
Membres de l’OMC, rappelant les organes de règlement des différends à plus de
prudence. La prise en compte des mémoires d’amicus curiae est ainsi restée théorique
sans jamais être effective (B), limitant l’impact réel de ce mécanisme de participation
indirecte de la société civile.
L’acceptation de principe des mémoires d’Amicus curiae A.
376. Le refus traditionnel de prendre en compte les mémoires d’amicus curiae. Sous
l’égide du GATT de 1947, la pratique était consacrée de refuser les mémoires d’amicus
curiae4. C’est dans cette ligne que se sont inscrits les organes de règlement des
différends dans les affaires Essence et Hormones. De même, se fondant sur l’étendue
de son pouvoir discrétionnaire conférée par l’article 13 du Mémorandum d’Accord, le
1 BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « L’amicus curiae devant l’Organe de Règlement des
Différends de l’OMC », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement,
Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 405. 2
CÔTÉ C.-E., « La participation des personnes privées au règlement des différends internationaux
économiques : l’élargissement du droit de porter plainte à l’OMC », coll. « Mondialisation et droit
international », n°10, Bruylant, Bruxelles, 2007, pp. 400-401. 3 Le Mémorandum d’accord se contente de se référer aux « avis » et « renseignements » que le Groupe
spécial peut solliciter, ou aux « consultations », « avis », et « rapports consultatifs » d’experts sur certains
aspects techniques et scientifiques. 4 V. le Rapport du Groupe spécial États-Unis – restrictions à l’importation de thon (Plainte du Mexique),
GATT DS21/R, 3 septembre 1991, non adopté ; Rapport du Groupe spécial États-Unis – restrictions à
l’importation de thon (Plainte de la Communauté économique européenne), GATT DS29/R, 16 juin 1994,
non adopté ; Sauf si les communications des parties tierces étaient adoptées par une des parties au différend :
v. LIGNEUL N., « Japon – Commerce des semi-conducteurs », in CANAL-FORGUES E., et FLORY T.,
GATT/OMC – Recueil des contentieux (du 1er
janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant, Bruxelles,
2001, pp. 256-271.
441
Groupe spécial refuse d’examiner les demandes de soumissions de mémoire d’amicus
curiae lors de l’affaire Crevettes car elles ne sont pas intégrées à la communication
d’une des parties1.
L’Organe d’appel a opéré un revirement jurisprudentiel lors de cette affaire Crevettes
en amorçant l’acceptation de principe des mémoires d’amicus curiae pour ensuite
mettre en place une procédure additionnelle d’acceptation de ces mémoires interprétée
par certains comme une véritable incitation aux personnes privées de la société civile
de participer aux litiges.
377. L’amorce de l’acceptation de principe des mémoires d’amicus curiae. L’Organe
d’appel considère que l’interprétation faite par le Groupe spécial de l’article 13 du
Mémorandum d’Accord2 est trop restrictive ; insistant sur la nécessaire flexibilité de la
procédure, l’Organe d’appel infirme le raisonnement du Groupe spécial qui interprétait
cette disposition comme une interdiction d’accepter les mémoires d’amicus curiae3.
L’Organe d’appel en infirmant l’interprétation du Groupe spécial, ouvre la porte à
l’émergence d’une règle d’acceptation des mémoires d’amicus curiae. Il accepte les
communications des ONG, dans la mesure où un des États partie les prend en compte,
en l’intégrant à sa communication4. Il ne donne en revanche aucune précision sur leur
admissibilité directe, laissant penser qu’il n’a pris en compte les avis des ONG
1 Rapport du Groupe spécial « Tortues – Crevettes », § 7.8.
2 Article 13 du Mémorandum d’accord (« Droit de demander des renseignements ») : « 1. Chaque groupe
spécial aura le droit de demander à toute personne ou à tout organisme qu'il jugera approprié des
renseignements et des avis techniques. Toutefois, avant de demander de tels renseignements ou avis à toute
personne ou à tout organisme relevant de la juridiction d'un Membre, il en informera les autorités de ce
Membre. Les Membres devraient répondre dans les moindres délais et de manière complète à toute
demande de renseignements présentée par un groupe spécial qui jugerait ces renseignements nécessaires et
appropriés. Les renseignements confidentiels ne seront pas divulgués sans l'autorisation formelle de la
personne, de l'organisme ou des autorités du Membre qui les aura fournis. 2. Les groupes spéciaux
pourront demander des renseignements à toute source qu'ils jugeront appropriée et consulter des experts
pour obtenir leur avis sur certains aspects de la question. A propos d'un point de fait concernant une
question scientifique ou une autre question technique soulevée par une partie à un différend, les groupes
spéciaux pourront demander un rapport consultatif écrit à un groupe consultatif d'experts. Les règles
régissant l'établissement d'un tel groupe et les procédures de celui-ci sont énoncées dans l'Appendice 4 ». 3 Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », §§ 104-110.
4 « Nous considérons que le fait de joindre une intervention ou d’autres documents à la communication de
l’appelant ou de l’intimé, quelle que soit leur source ou la manière dont ils ont été communiqués, fait que
ces documents sont du moins à première vue partie intégrante de la communication du participant » :
Rapport de l'Organe d'appel « Tortues – Crevettes », § 89.
442
qu’autant que l’État les faisait siennes1
. L’écran étatique semble effectivement
maintenu, si bien que dans cette affaire la position finale de l’Organe d’appel revient à
neutraliser le problème2. À l’issue de cette affaire, il semble que les mémoires
d’amicus curiae soient acceptables s’ils sont intégrés et subordonnés aux
communications des parties au différend3.
L’Organe d’appel consacre dans les affaires ultérieures expressément la possibilité
d’accepter de mémoires4, y compris lorsqu’ils ne sont pas annexés à la communication
d’une partie, en se fondant sur l’article 17.9 du Mémorandum d’Accord5. Amorçant
l’acceptation de principe des mémoires d’amicus curiae, l’Organe d’appel en pose les
limites, sinon les faiblesses : il donne aux organes de règlement des différends le droit,
mais non l’obligation, de les accepter. Il précise en effet qu’il se considère « habilit[é]
en droit […] à accepter et à examiner des mémoires d’amicus curiae s[‘il juge] qu’il
est pertinent et utile de le faire dans le cadre d’une procédure d’appel »6, mais que
pour autant « les particuliers et les organisations, qui ne sont pas Membres de l’OMC,
ne sont pas fondés en droit à présenter des communications ni à être entendus par
l’Organe d’appel »7. Il s’agit donc d’une prérogative, et non d’une obligation, des
organes de règlement des différends. Pour certains, l’Organe d’appel s’est ainsi
octroyé une marge de manœuvre illimitée8 : le seul critère qu’il retient pour orienter sa
1 STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », RGDIP, 2003-2, p. 265.
2 RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des différends de l’O.M.C. , 1996-1998 », RGDIP, 1999/2, p.
497. 3 STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », op. cit., p. 266.
4 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Imposition de droits compensateurs sur certains produits en
acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R,
adopté le 7 juin 2000, § 42. 5 « L’Organe d’appel, en consultation avec le Président de l’ORD et le Directeur général, élaborera des
procédures de travail qui seront communiquées aux Membres pour leur information ». 6 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Imposition de droits compensateurs sur certains produits en
acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R,
adopté le 7 juin 2000, § 42. 7 Ibid., § 41.
8 STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », op. cit., p. 268.
443
politique d’acceptation de ces mémoires consistant en l’expression « si nous jugeons
qu’il est pertinent et utile de le faire »1.
378. La mise en place d’une procédure additionnelle d’acceptation des mémoires
d’amicus curiae. Après avoir posé l’acceptation de principe des mémoires d’amicus
curiae, l’Organe d’appel a encadré la pratique en mettant en place une procédure
additionnelle. C’est à l’occasion de l’affaire Amiante qu’il a ainsi posé les conditions
de fond et de forme à la soumission de mémoires d’amicus curiae2. La procédure pose
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Imposition de droits compensateurs sur certains produits en
acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R,
adopté le 7 juin 2000, § 42. 2 Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Mesures affectant l'amiante et les produits en
contenant, WT/DS135/AB/R et Add.1, adopté le 5 avril 2001, § 52 :
« 1. Pour assurer l'équité et le bon déroulement de la procédure dans le présent appel, la section
connaissant dudit appel a décidé d'adopter, conformément à la Règle 16 1) des Procédures de travail pour
l'examen en appel, et après avoir consulté les parties et tierces parties au présent différend, la procédure
additionnelle ci-après aux fins de cet appel uniquement.
2. Toute personne, physique ou morale, autre qu'une partie ou tierce partie au présent différend, qui
souhaite déposer un mémoire écrit auprès de l'Organe d'appel devra demander l'autorisation de déposer un
tel mémoire à l'Organe d'appel d'ici au jeudi 16 novembre 2000 à midi.
3. Une demande d'autorisation de déposer un tel mémoire écrit:
a) sera présentée par écrit, sera datée et signée par le requérant et inclura l'adresse et les autres
coordonnées du requérant;
b) ne comprendra pas plus de trois pages dactylographiées;
c) contiendra une description du requérant, y compris une déclaration sur la composition et le statut
juridique du requérant, les objectifs généraux qu'il poursuit, la nature de ses activités et ses sources de
financement;
d) spécifiera la nature de l'intérêt que le requérant a dans le présent appel;
e) identifiera les questions de droit spécifiques couvertes par le rapport du Groupe spécial et les
interprétations du droit données par celui-ci qui font l'objet du présent appel, telles qu'elles sont indiquées
dans la déclaration d'appel (WT/DS135/8) datée du 23 octobre 2000, que le requérant entend traiter dans
son mémoire écrit;
f) indiquera pourquoi il serait souhaitable, dans le but d'arriver à un règlement satisfaisant de la question
en cause, conformément aux droits et obligations des Membres de l'OMC en vertu du Mémorandum
d'accord sur le règlement des différends et des autres accords visés, que l'Organe d'appel accorde au
requérant l'autorisation de déposer un mémoire écrit dans le présent appel; et indiquera en particulier en
quoi le requérant apportera au règlement du présent différend une contribution qui ne fera
vraisemblablement pas double emploi avec ce qui a déjà été présenté par une partie ou tierce partie au
présent différend; et
g) contiendra une déclaration indiquant si le requérant a un lien, direct ou indirect, avec toute partie ou
tierce partie au présent différend, et s'il a reçu ou recevra une assistance, financière ou autre, d'une partie
ou tierce partie au présent différend pour établir sa demande d'autorisation ou son mémoire écrit.
4. L'Organe d'appel examinera chaque demande d'autorisation de déposer un mémoire écrit et rendra sans
retard une décision sur le point de savoir s'il accorde ou refuse une telle autorisation.
5. L'autorisation de déposer un mémoire donnée par l'Organe d'appel ne signifie pas que l'Organe d'appel
traitera dans son rapport les arguments juridiques présentés dans ledit mémoire.
444
les conditions que doivent remplir à la fois les demandes de dépôt de mémoire, et
celles que doivent remplir les mémoires dont le dépôt est autorisé. Certains ont déjà pu
noter que cette procédure s’inspirait largement des propositions doctrinales en la
matière1. Dans la forme, cette procédure pose des exigences de concision qui semblent
logiques dans une optique d’ouverture du système de règlement des différends à un
grand nombre de personnes privées. Les exigences de délais paraissent également
nécessaires, en particulier pour un système qui se veut rapide et efficace. Il est difficile
de se prononcer sur les conditions de fond posées par la procédure additionnelle, tant
les critères dégagés restent généraux et la pratique inexistante2.
Pour certains, la publication de cette procédure additionnelle relève d’une « véritable
incitation à présenter des mémoires d’amicus curiae », d’autant plus que le Secrétariat
de l’Organe d’appel a assuré une large diffusion de la procédure additionnelle sur le
site web de l’OMC et l’a adressée par courriel à toutes les ONG sur la liste de
diffusion de l’OMC le jour même de son adoption3. Les demandes de dépôt de
mémoire ont dès lors été croissantes. Elles provenaient dans l’affaire Crevettes
6. Toute personne, autre qu'une partie ou tierce partie au présent différend, qui s'est vu accorder
l'autorisation de déposer un mémoire écrit auprès de l'Organe d'appel, doit déposer son mémoire auprès du
secrétariat de l'Organe d'appel pour le lundi 27 novembre 2000 à midi.
7. Un mémoire écrit déposé auprès de l'Organe d'appel par un requérant qui a obtenu l'autorisation de
déposer un tel mémoire:
a) sera daté et signé par la personne déposant le mémoire;
b) sera concis et ne comportera en aucun cas plus de 20 pages dactylographiées, y compris tout
appendice; et
c) comprendra un exposé précis, strictement limité aux arguments juridiques, à l'appui de la position
juridique du requérant sur les questions de droit ou interprétations du droit figurant dans le rapport du
Groupe spécial au sujet desquelles le requérant s'est vu accorder l'autorisation de déposer un mémoire
écrit.
8. Un requérant auquel l'autorisation a été accordée, outre qu'il déposera son mémoire écrit auprès du
secrétariat de l'Organe d'appel servira une copie de son mémoire à toutes les parties et tierces parties au
différend pour le lundi 27 novembre 2000 à midi.
9. Les parties et tierces parties au présent différend se verront ménager par l'Organe d'appel toutes
possibilités adéquates de faire des observations sur tout mémoire écrit déposé auprès de l'Organe d'appel
par un requérant qui a obtenu une autorisation au titre de la présente procédure et d'y répondre ». 1 Ces modalités semblent s’appuyer directement sur les travaux de MARCEAU G. et STILWELL M., dans leur
article « Practical Suggestions for Amicus Curiae Briefs Before WTO Adjucating Bodies », JIEL, 2001, pp.
155-187, comme l’a relevé STERN B., dans son article « L’intervention des tiers dans le contentieux de
l’OMC », op. cit., p. 269. 2 V. en ce sens BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « L’amicus curiae devant l’Organe de
Règlement des Différends de l’OMC », op. cit., p. 421. 3 STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », op. cit., p. 270.
445
exclusivement d’ONG environnementales1. Les acteurs privés souhaitant participer à
la procédure se sont diversifiés à l’occasion de l’affaire Amiante, émanant à la fois
d’organisations syndicales, d’associations industrielles, d’ONG, ou de professeurs et
centres universitaires2. Cette diversité s’est retrouvée dans les affaires suivantes
mettant en jeu des intérêts non commerciaux, qu’il s’agisse de l’affaire Australie –
Saumons3, Crevettes II
4, Sardines
5, OGM
6, Thons II
7. Cette diversification des acteurs
recourant au mécanisme de l’amicus curiae relève pour certains d’une mutation, voire
d’une perversion8
: ouverte en réponse aux demandes récurrentes d’ONG non-
1 Dans l’affaire Crevettes ont souhaité intervenir des ONG environnementales : Centre pour la protection du
milieu marin (Center for Marine Conservation, « CMC »), Centre pour le droit environnemental
international (Center for International Environmental Law, « CIEL ») et Fonds mondial pour la nature
(« WWF ») devant le Groupe spécial ; Earth Island Institute, Humane Society des États-Unis, Sierra Club,
Centre pour le droit environnemental international (Center for International Environmental Law, « CIEL »),
Centre pour la protection du milieu marin (Center for Marine Conservation, « CMC »), Environmental
Fundation Ltd, Mangrove Action Project, Philippine Ecological Network, Red Nacional de Accion
Ecologica, Sobrevivencia, Fonds mondial pour la nature et Fundation for international Environnemental
Law and Development devant l’Organe d’appel. 2 Collegium Ramazinni, Ban Asbestos Network, Instituto Mexicano de Fibro-Industrias AC, American
federation of Labor and Congress of Industrial Organization, Only Nature Endures (ONE) devant le
Groupe special; Association of Personal Injury Lawyers, All India A.C. Pressure Pipe Manufacturer’s
Association, Confédération international des syndicats libres/ Confédération européenne des syndicats,
Maharashtra Asbestos Cement Pipe Manufacturers’ Association, Roofit Industries Ltd., Society for
Occupational and Environmental Health, Professeur Robert LLOYD HOWSE, Occupational and
Environmental Diseases Association, American Public Health Association, Centro de estudios
Comunitarios de la Universidad Nacional de Rosario, Only Nature endures, Korea Asbestos Association,
International Council on Metals and the Environment, American Chemistry Council, Conseil européen de
l’industrie chimique, Australian Center for Environmental Law at the Australian National University,
Professeurs associés Jan MCDONALD et M. DON ANTON, Foundation for Environmental Law and
Development, Center for Inetrnational Environmental Law, International Ban Asbestos Secretariat, Ban
Asbestos International and Virtual Network, Greenpeace International, Fonds mondial pour la nature
(International), Fédération luthérienne mondiale devant l’Organe d’appel. 3 Le groupe spécial établi pour la procédure de mise en œuvre de l’article 21.5 du Mémorandum d’accord
dans l’affaire Australie – Saumons a reçu une lettre d’un Groupe de pêcheurs et de transformateurs de
poisson d’Australie du Sud. 4 Communications de l’Earthjustice Fund et de la National Wildlife Federation.
5 Communications déposées par un particulier, et surtout pour la première fois, par un État Membre de
l’OMC, le Royaume du Maroc. 6 Le Groupe spécial établi dans le cadre de l’affaire OGM a reçu des demandes de dépôt de mémoires
d’amicus curiae de la part d'un groupe de professeurs (Lawrence BUSCH , Robin GROVE-WHITE, Sheila
JASANOFF , David WINICKOFF et Brian WYNNE) ; d'un groupe d'organisations non gouvernementales
représenté par la Fondation pour le droit environnemental international et le développement (FIELD) et
d'un groupe d'organisations non gouvernementales représenté par le Center for International Environmental
Law (CIEL). 7 Humane Society International et le Washington College of Law de l'American University proposent une
communication au Groupe spécial établi dans le cadre de l’affaire Thons II. 8 CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des intérêts non
commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », Les cahiers de droit, vol. 50, n°1, 2009, p. 225.
446
commerciales1, les opérateurs économiques privés semblent détourner l’institution en
l’investissant à leur tour. Si la procédure de l’amicus curiae est une opportunité pour
la société civile de faire entendre sa voix, permettant par exemple d’argumenter dans
le sens de l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires, il n’est pas non
plus étonnant que les personnes privées commerciales, telles que des groupements
économiques, s’engouffrent dans la même brèche afin d’énoncer leurs arguments
commerciaux. Ce nouveau mécanisme procédural permet de manière générale, peu
important les valeurs qu’ils défendent, d’ouvrir le système de règlement des différends
à d’autres personnes que les seuls États membres de l’OMC. L’instauration de ce
mécanisme dans le système de règlement des différends a par ailleurs inspiré d’autres
types de juridictions, comme certains tribunaux arbitraux, à l’image de celui statuant
dans l’affaire Methanex Corporation vs. United States dans le cadre de l’ALENA2.
Cette possibilité théorique de prise en compte des mémoires d’amicus curiae n’a
toutefois pas été suivie par une pratique effective des organes de règlement des
différends.
La non-prise en compte des mémoires d’amicus curiae B.
379. L’Organe d’appel a fini par dégager une règle selon laquelle les organes de
règlement des différends ont le droit, mais pas l’obligation, d’examiner les mémoires
d’amicus curiae répondant aux conditions énoncées par la procédure additionnelle.
Malgré l’audacieuse acceptation de principe, l’impact des amicii curiae sur les
solutions rendues reste fort limité, sinon inexistant. La formule est devenue presque
1 « A vrai dire, ce n’est pas tant que les juridictions internationales aient souhaité recevoir de nombreux
avis amicaux ; ce sont bien plutôt les personnes avisées qui se sont soudainement bousculées à leur porte.
Le droit international n’est plus un monde clos, suspendu au-dessus des individus et des entreprises dans la
pureté des rapports entre puissances souveraines. Le mouvement d’ouverture des juridictions
internationales, encore incomplet, a correspondu à l’irruption des personnes privées dans le contentieux
interétatique et au développement d’un contentieux international non exclusivement interétatique. L’amicus
curiae est la brèche procédurale par laquelle peuvent s’engouffrer individus, sociétés et associations
lorsque la qualité de partie est réservée aux États » : ASCENCIO H., « L’amicus curiae devant les
juridictions internationales », RGDIP, t. 105, 2001, n°4, p. 900. 2 V. STERN B., « L’entrée de la société civile dans l’arbitrage entre État et investisseur », Rev. arb., 2002,
n°2, pp. 329-345 ; BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « L’amicus curiae devant l’Organe de
Règlement des Différends de l’OMC », op. cit., pp. 408-410.
447
systématique dans les différents rapports : « en l’espèce, nous n’avons pas jugé qu’il
était nécessaire, pour rendre notre décision, de prendre en considération les mémoires
d’amicus curiae qui ont été déposés ». Il semblerait que la controverse provoquée par
l’acceptation de principe de ces mémoires ait dissuadé les organes de règlement des
différends de lui donner une quelconque effectivité pratique.
380. La controverse autour de l’amicus curiae. La controverse autour de l’amicus
curiae se réitère à l’occasion de l’adoption par l’Organe d’appel de différents rapports
particulièrement sensibles. Elle commence dès la réunion au cours de laquelle
l’Organe de règlement des différends adopte le rapport Crevettes – Tortues de
l’Organe d’appel. Il lui y est reproché de manière générale son excès de pouvoir1. La
Thaïlande dénonce par exemple le fait que l’Organe d’appel semble s’être servi de
cette affaire pour « étendre ses compétence au-delà des limites qui lui étaient fixées
par l’Accord sur l’OMC ». Elle considère que sa conclusion remet « en cause les
droits et obligations des Membres ainsi que le but fondamental du Mémorandum
d’Accord » en ce qu’elle risque « d’accroître ou de diminuer les droits et obligations
des Membres » 2
. Plusieurs États avançaient des arguments allant dans le même sens :
ils reprochaient à l’Organe d’appel une autonomie outrepassant ses compétences, et
estimaient que la décision de permettre à des personnes privées de participer au
règlement des différends revenait aux États Membres dans le cadre des négociations,
et non à l’Organe d’appel. Les mêmes inquiétudes de la part des États Membres se
trouvent dans le rapport de la réunion au cours de laquelle l’Organe de règlement des
différends adopte le rapport États-Unis – Plomb et Bismuth II de l’Organe d’appel3.
Certains ont alors pu qualifier le comportement de l’Organe d’appel
d’interventionnisme ou d’activisme judiciaire4. Enfin, l’Égypte fait une demande de
convocation d’une réunion extraordinaire du Conseil général à la suite de l’adoption
1 Réunion du 6 novembre 1998, WT/DSB/M/50, 14 décembre 1998.
2 Ibid., pp. 2-4.
3 Compte rendu de la réunion portant sur l’adoption des rapports de l’Organe d’appel et du Groupe spécial
dans l’affaire États-Unis – Imposition de droits compensateurs sur certains produits en acier au carbone,
plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DSB/M/83, 7 juillet 2000. 4 Ibid., § 15.
448
du rapport Amiante1, qui représente pour certains la plus grave crise institutionnelle de
l’histoire de l’institution2. L’Uruguay considère par exemple que cette procédure
d’amicus curiae a pour effet d’accorder à des personnes et à des institutions
extérieures à l’OMC un droit que les Membres eux-mêmes ne possèdent pas. Il trouve
cette procédure inappropriée, car modifiant un accord négocié et adopté au niveau
multilatéral. Il note en outre que la question de l’amicus curiae faisait partie de ces
négociations pour finalement ne pas figurer dans le Mémorandum d’Accord, reflétant
l’absence de volonté des États Membres de mettre en place une telle procédure3. Les
questions relatives à l’amicus curiae dévoilent en ce sens les tensions existantes dans
la relation entre le politique et le juridictionnel au sein du système de règlement des
différends de l’OMC4.
En réponse à cette controverse, les Communautés européennes ont proposé d’insérer
un nouvel article 13 bis dans le Mémorandum d’Accord5. Le contenu de l’article
proposé reprend en substance la procédure additionnelle détaillée par l’Organe d’appel
dans son rapport Amiante. Il s’agirait en réalité d’une réappropriation par les États
membres d’une liberté prise par l’Organe d’appel : en soumettant cette procédure à des
négociations multilatérales, elle acquerrait une légitimité auprès des Membres de
l’OMC. Encore faudrait-il que ces négociations aboutissent à l’adoption de la
procédure d’amicus curiae, ce qui est loin d’être acquis, au regard des tensions
politiques autour de cette question.
1 Communication adressée par l’Organe d’appel au Président de l’Organe de règlement des différends sur la
question CE - Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant, Réunion du Conseil général, 22
novembre 2000, WT/GC/M/60. 2 CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des intérêts non
commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », Les cahiers de droit, vol. 50, n°1, 2009, p. 223. 3Ibid., §§ 4-9.
4 BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « L’amicus curiae devant l’Organe de Règlement des
Différends de l’OMC », op. cit., p. 423, citant CHARNOVITZ S., Trade Law and Global Governance,
Cameron May, London, 2002, pp. 495-532 ; et BOISSON DE CHAZOURNES L. , « Le rôle des organes de
règlement des différends de l’OMC dans le développement du droit international de l’environnement : entre
le marteau et l’enclume », in MALJEAN-DUBOIS S. (dir.), Droit de l’OMC et protection de l’environnement,
Bruylant, Bruxelles, 2003, pp. 379-400. 5 Communication des Communautés européennes, Contribution des Communautés européennes et de leurs
États membres à l’amélioration du mémorandum d’accord de l’OMC sur le règlement des différends, 13
mars 2002, TN/DS/W/1, § 10.
449
Outre les questionnements relatifs aux fondements juridiques des organes de
règlement des différends, les États membres soulèvent certains problèmes juridiques
non résolus dans la procédure additionnelle, tels que le respect des droits et garanties
procédurales accordés aux États 1
: le mécanisme de l’amicus curiae remet
effectivement en question les modalités de transparence, de confidentialité ou encore
de droit de la preuve. Ce mécanisme révèle ainsi d’importantes tensions politiques.
L’ordre juridique de l’OMC en général, et son système de règlement des différends en
particulier a été pensé en termes interétatiques. Un tel changement, pour certains
quasi-philosophique2
, ne pouvait pas laisser ses États membres indifférents.
Effectivement, certaines questions délicates telles que l’identité des personnes privées
usant de la procédure additionnelle méritent d’être abordées et traitées avec délicatesse.
Toutes les personnes composant l’ensemble hétéroclite qu’est la société civile ne
représentent pas nécessairement l’intérêt général. Certaines sont motivées par des
intérêts particuliers, commerciaux, voire étatiques. Ces tensions expliquent
probablement l’impact effectif limité des mémoires d’amicus curiae.
381. L’impact effectif limité des mémoires d’amicus curiae. Cette importante
controverse autour de la question du principe et des modalités du mécanisme de
l’amicus curiae explique aisément la pratique prudente, voire frileuse, adoptée par
l’Organe d’appel dès l’affaire Amiante. Ce rapport Amiante, alors qu’il propose la
procédure additionnelle incitant au dépôt de mémoires d’amicus curiae, marque dans
le même temps ce que certains ont qualifié de « repli »3
. L’Organe d’appel a
effectivement fini par refuser les onze demandes d’autorisation de déposer un
mémoire d’amicus curiae reçues à l’occasion de l’affaire Amiante, sans réelle
explication4. Dans la phase de contrôle de mise en œuvre de la décision Crevettes,
l’Organe d’appel refuse également les demandes d’autorisation de dépôt de mémoires
d’amicus curiae. Il précise toutefois accepter de prendre en compte celui déposé par
l’American Humane Society and Humane Society International, mais uniquement dans
1 V. STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », op. cit., pp. 289-293.
2 Ibid., p. 293.
3 BOISSON DE CHAZOURNES L. et MBENGUE M.M., « L’amicus curiae devant l’Organe de Règlement des
Différends de l’OMC », op. cit., p. 422. 4 Rapport de l'Organe d'appel « Amiante », §§ 56-57.
450
la mesure où le mémoire va dans le sens des arguments juridiques figurant dans la
communication des États-Unis à laquelle il est joint1. Pour dire les choses autrement,
l’Organe d’appel déclare ici prendre en compte un mémoire d’amicus curiae, qui fait
déjà partie intégrante de la communication des États-Unis en tant qu’intimés à l’appel.
Il semble ainsi ne pas vouloir revenir sur son acceptation de principe des mémoires
d’amicus curiae, tout en rassurant les États Membres critiques à l’égard de cette
procédure en ne leur accordant aucun impact dans les faits. L’affaire Sardines est
l’occasion du même refus de l’Organe d’appel, malgré le rappel de son pouvoir
d’accepter la demande de dépôt de mémoire2. Le seul mémoire d’amicus curiae, non
incorporé à la communication d’un État partie au litige, admis par un organe de
règlement des différends l’aura été dans le cadre de la procédure de mise en œuvre de
la décision Australie – Saumons. Ce mémoire n’était d’ailleurs pas celui d’une ONG
défendant des intérêts environnementaux ou sanitaires, mais des renseignements
fournis pas des acteurs économiques privés que le Groupe spécial a considérés
pertinents3. Ce détail confirme le constat, s’il en était besoin, de l’échec total de la
procédure d’amicus curiae comme ouverture du système de règlement des différends à
la société civile porteuse des valeurs environnementales et sanitaires.
L’ensemble des différends dans le cadre desquels sont déposés des mémoires d’amicus
curiae présente le même schéma, d’un Groupe spécial ou d’un Organe d’appel
reconnaissant avoir reçu ces mémoires, sans toutefois juger nécessaire de les prendre
en compte pour rendre sa décision. Si l’acceptation de principe de ce mécanisme
relevait d’une opération de charme auprès de la société civile transnationale méfiante à
1 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains
produits à base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur le
règlement des différends, WT/DS58/AB/RW, adopté le 21 novembre 2001, §§ 75-78. 2
Rapport de l'Organe d'appel Communautés européennes – Désignation commerciale des sardines,
WT/DS231/AB/R, adopté le 23 octobre 2002, § 160. 3 Rapport du Groupe spécial Australie – Mesures visant les importations de saumons – Recours du Canada
à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, WT/DS18/RW, adopté le 20
mars 2000, §§ 7.8-7.9.
451
l’égard de l’OMC1, la légitimité recherchée des décisions se heurte à l’ineffectivité
réelle de la prise en compte des mémoires d’amicus curiae.
L’impact effectivement limité des mémoires d’amicus curiae clôt une porte d’accès au
système de règlement des différends pour la société civile. L’inaccessibilité des
mécanismes nationaux de traitement des plaintes privées aux acteurs porteurs
d’intérêts environnementaux et sanitaires renouvelle cet échec.
L’INACCESSIBILITÉ DES MÉCANISMES INTERNES DE TRAITEMENT § 2.
DES PLAINTES PRIVÉES AUX ACTEURS PORTEURS D’INTÉRÊTS
ENVIRONNEMENTAUX ET SANITAIRES
382. Relevant d’une approche diamétralement opposée aux principes multilatéraux
régissant l’OMC, existent des procédures originales permettant à des acteurs privés de
dénoncer au niveau national ou régional la déloyauté commerciale d’États étrangers. Il
s’agit alors d’interpeller un État sur le fait qu’il subit un dommage commercial du fait
d’un autre État membre ; à l’issue de cette procédure, nationale ou régionale, l’État
alerté sera alors susceptible de porter une plainte devant le système de règlement des
différends de l’OMC. Les États-Unis ont été les premiers à mettre formellement en
place un mécanisme national de ce type en adoptant la « Section 301 » de la loi
commerciale de 19742. La Communauté européenne a adopté en 1984 un règlement
instituant un Nouvel Instrument de Politique Commerciale (NIPC)3, remplacé en 1994
1 V. en ce sens CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des
intérêts non commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », Les cahiers de droit, vol. 50, n°1,
2009, p. 227 ; et STERN B., « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », RGDIP, 2003-2, p.
299. 2 La Section 301 du Trade Act of 1974 donne au représentant pour le commerce extérieur des États-Unis le
pouvoir de prendre toutes les mesures possibles et appropriées pour mettre fin aux barrières commerciales
qui gênent les exportations américaines vers des pays tiers. Elle a été renforcée par la Section « Super 301 »
de l’Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988, qui a pour but de combattre des pratiques génériques
ou systémiques qui restreignent l’accès des produits américains dans un pays : V. pour une présentation
synthétique de la législation sur le commerce extérieur des États-Unis RAINELLI M., L’Organisation
mondiale du commerce, Collection Repères, La Découverte, 9e éd., Paris, 2011, pp. 40-42.
3 CEE, Règlement (CEE) 2641/84 du Conseil du 17 septembre 1984 relatif au renforcement de la politique
commerciale commune, notamment en matière de défense contre les pratiques commerciales illicites, [1984]
J.O. L 252/1.
452
par le Règlement sur les Obstacles au Commerce (ROC)1. Cet instrument juridique
donne le droit aux entreprises européennes de déposer une plainte auprès de la
Commission pour violation des règles du commerce international. Ces deux
institutions sont en lien direct avec le droit de l’OMC, en ce qu’elles ont pour objectif
de provoquer une contestation des mesures dénoncées de la part de l’État interpelé sur
le plan multilatéral. Elles ont toutefois été fort critiquées, incarnant une sorte
d’« unilatéralisme agressif », a priori contraire aux engagements multilatéraux pris
dans le cadre de l’OMC2. Ces mécanismes internes ont pourtant également été perçus
comme une opportunité pour la société civile de participer au règlement des différends
commerciaux3. Effectivement, ceux-ci rendent la justice de l’OMC plus accessible aux
acteurs privés4. Néanmoins, ces mécanismes témoignent de la difficulté d’utiliser les
mécanismes commerciaux à des fins non-commerciales, dans une optique régulatrice.
Un Groupe spécial saisi de la question a légitimé l’existence de tels mécanismes
internes au regard du droit de l’OMC, offrant aux États Membres une réelle
opportunité d’entendre les différents intérêts, y compris environnementaux et
sanitaires, de leur société civile (A). Pourtant, ces procédures sont utilisées de manière
exclusivement commerciale, car ces régimes excluent la prise en compte des intérêts
1 CE, Règlement (CE) 3286/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, arrêtant des procédures communautaires
en matière de politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice par la Communauté des droits
qui lui sont conférés par les règles du commerce international, en particulier celles instituées sous l’égide
de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), [1994] J.O. L 349/71 (ci-après « Règlement sur les
obstacles au commerce » ou « ROC »). 2 Le mécanisme américain vise ainsi, entre autres, à forcer la libéralisation commerciale à l’égard de pays
ou dans des secteurs qui ne sont pas couverts par les accords de l’OMC, sous la menace de sanctions
commerciales ; il permet en outre au gouvernement américain d’ignorer les règles et les délais du système
de règlement des différends de l’OMC. C’est à ces titres que la Section 301 est à bien des égards l’archétype
de l’ « unilatéralisme agressif » dans les relations commerciales internationales : « Il donne une idée de ce
que seraient les relations commerciales internationales sans l’OMC : une société primitive soumise à la loi
du plus fort » : v. CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des
intérêts non commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », Les cahiers de droit, vol. 50, n°1,
2009, p. 229. 3 CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des intérêts non
commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », op. cit., pp. 207-244. 4 V. RUCHAT E., « Le rôle des opérateurs privés dans les différends relatifs aux règles de l’OMC », LPA
n°25, 4 février 2000, pp. 9-14 ; PRESLES E., « Le Règlement sur les obstacles au commerce », Notes Bleues
de Bercy, n°203, 16 mars 2001, pp. 1-12 ; LESGUILLONS H., « Origines et développements du règlement sur
les obstacles au commerce (ROC) », Revue de Droit des Affaires Internationales –International business
Law Journal, n°8, 1er
décembre 2000, pp. 959-997 ; GABDIN D. et HERVÉ A., « Règlement sur les Obstacles
techniques au Commerce (ROC) », JurisClasseur, Fasc. 2330, 22 août 2012, pp. ?; BOUDANT J., « Politique
commerciale », Répertoire de droit européen, Ed. Dalloz, Janvier 2011, §§ 285-320.
453
non-commerciaux. Pour amorcer une dynamique vertueuse, ce type de mécanisme de
régulation est tributaire du volontarisme des juges (B).
L’affaire États-Unis – Article 301, Loi sur le commerce extérieur : la A.
légitimation des mécanismes internes de traitement des plaintes privées
383. L’affaire États-Unis – Article 301, en posant la question de la validité de la
relation établie indirectement entre les personnes privées et le système de règlement
des différends, interroge la place de l’unilatéralisme dans le système multilatéral
qu’est l’OMC. Le Groupe spécial conclut à une compatibilité conditionnelle de la loi
américaine, tout en soulignant l’intérêt que présente un tel mécanisme pour la prise en
compte des intérêts privés.
384. Une affaire interrogeant l’articulation entre l’unilatéralisme américain et les
principes multilatéraux de l’OMC. Les Communautés européennes demandent la
constitution d’un Groupe spécial en remettant en question la compatibilité de la
Section 301 des États-Unis avec les accords OMC. Elles allèguent une incompatibilité
de la loi américaine1 avec plusieurs dispositions du Mémorandum d’Accord, de
l’Accord de Marrakech, ainsi que du GATT de 19942. Elles interrogent en particulier
la possibilité qu’offre la loi américaine d’une détermination unilatérale par
l’administration américaine de sanctions commerciales ou de mesures de rétorsion
prises indépendamment du système de règlement des différends. Elles arguent que ces
mesures de rétorsion ne peuvent être adoptées que suite à une détermination de non-
conformité établie conformément aux règles du Mémorandum d’Accord3. Autrement
dit, la menace d’une sanction commerciale4, adressée à un partenaire considéré par les
1 Plus exactement, du titre III, chapitre 1 (articles 301 à 310) de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur,
telle qu'elle a été modifiée, et en particulier des articles 306 et 305 de cette loi. 2 Plus précisément des articles 3, 21, 22 et 23 du Mémorandum d'accord, de l’article XVI:4 de l'Accord de
Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce et des articles Ier, II, III, VIII et XI du GATT
de 1994. 3 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur
(« États-Unis – Article 301 »), WT/DS152/R, adopté le 27 janvier 2000, § 1.4. 4 Car il a été noté à juste titre que « Section 301 was intended to be effective as a scare tactic »[la Section
301 était prévue pour avoir un effet menaçant »] : EIZENSTAT J., « The impact of the World Trade
Organization on Unilateral United States Trade Sanctions under Section 301 of the Trade Act of 1974: A
454
États-Unis comme déloyal en vertu de la Section 301, se situerait à la limite de la
compatibilité des règles de l’OMC : mettre cette menace à exécution sans soumettre la
mesure litigieuse à l’examen des organes de règlement des différends ne respecterait
pas la procédure prévue par le Mémorandum d’Accord. La question qui se pose dans
cette affaire est celle de l’articulation entre le multilatéralisme prévu par le droit de
l’OMC et l’unilatéralisme des États Membres1.
Le Groupe spécial commence son rapport en notant qu’« il est évident que la présente
affaire est délicate sur le plan politique. Dans leurs communications, les États-Unis
eux-mêmes ont admis que les articles 301 à 310 étaient impopulaires »2. Il tranche
finalement le litige de manière originale en concluant à la compatibilité de la Section
301, sous réserve du respect par l’administration américaine de sa déclaration
antérieure, dans laquelle elle s’engage à ne pas utiliser cette loi d’une manière qui
contreviendrait aux principes de l’OMC3. Cette étrange conclusion de compatibilité
sous condition a été largement commentée4.
385. La reconnaissance explicite d’un « principe de l’effet indirect » du droit de
l’OMC sur les personnes privées. Tout en traitant l’épineuse question de l’articulation
entre l’unilatéralisme des États-Unis et les principes multilatéraux de l’OMC, le
Groupe spécial rappelle à plusieurs reprises l’intérêt que présente un tel mécanisme de
traitement interne des plaintes privées. Il indique ainsi à propos de la Section 301
qu’« il peut exister de très bonnes raisons liées aux normes de transparence, à la
démocratie et à la primauté du droit qui expliquent pourquoi les Membres peuvent
Case Study of the Japanese Auto Dispute and the Fuji-Kodak Dispute”, Emory Int’l L. R., 1997, vol. 11, n°1,
p.7 de la version internet, cité par STERN B., « États-Unis – Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le
commerce extérieur », in STERN B. et RUIZ-FABRI H. (éd.), La jurisprudence de l’OMC – The Case-Law of
the WTO (1999-2), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2008, p. 211. 1 Sur cette affaire, v. également KLEBES-PELISSIER A., « L’Organisation mondiale du commerce confrontée
à la législation commerciale américaine. À propos de l’affaire Section 301 du Trade Act de 1974
(Communauté européenne c. États-Unis, WT/DS152R, 30 novembre 1998) », RTD Eur., 2002, pp. 183 s. 2 Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Article 301 », § 7.11.
3 Message from the President of the United States Transmitting the Uruguay Round Trade Agreements, HR
Doc. N° 316, 103d Cong., 2d Sess. 1, pp. 1035-1036. 4 V. RUIZ FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1999-2000 », JDI, 2000/2, p. 423 ; STERN B.,
« États-Unis – Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur », op. cit., pp. 209-222.
455
souhaiter se doter de telles lois »1. Le Groupe spécial exprime ici sa conscience des
réalités nationales qui ne permettent pas de cantonner la pratique du commerce
international au droit de l’OMC. Il rappelle néanmoins que le droit mis en place par
les accords OMC ne peut être appréhendé « comme un ordre juridique déployant des
effets directs » ni « un nouvel ordre juridique dont les sujets seraient à la fois les
parties contractantes ou les Membres et leurs ressortissants »2. Sa reconnaissance des
mécanismes internes de traitement des plaintes privées est ainsi liée à la stricte
appréhension des sujets du droit de l’OMC. Seuls les États Membres sont titulaires de
droits et d’obligations au regard des accords de l’OMC. Cette stricte interprétation ne
l’empêche pas de poser ouvertement la question de savoir « s’il existe des
circonstances dans lesquelles les obligations faites aux Membres dans l’un ou l’autre
des accords de l’OMC créent pour les particuliers des droits que les tribunaux
nationaux doivent protéger »3. Les limites et les questions étant posées, le Groupe
spécial affirme ensuite qu’« on aurait tout à fait tort de penser que la situation des
particuliers ne présente aucun intérêt en ce qui concerne le cadre juridique du GATT/
de l’OMC »4
. Cet intérêt vient pour le Groupe spécial du fait que le système
commercial multilatéral est avant tout composé d’agents économiques privés5, et que
les allégations de violation sont la plupart du temps motivées par leur incidences sur
ces agents économiques privés6
. Le Groupe spécial finit alors par parler d’un
« principe de l’effet indirect »7 de l’ordre juridique de l’OMC sur les particuliers. Il
précise qu’il appréhende la Section 301 comme une mesure consacrant ce lien entre les
personnes privées et le droit de l’OMC, ce qui semble directement motiver sa
conclusion de compatibilité de la loi américaine avec le droit de l’OMC. Le Groupe
spécial finit par préciser que cette expression correspond à l’orthodoxie de l’OMC et
n’est en rien révolutionnaire8. Cette reconnaissance explicite d’un « principe de l’effet
1 Rapport du Groupe spécial « États-Unis – Article 301 », § 7.63.
2 Ibid., § 7.72.
3 Ibid., § 7.72, note 661.
4 Ibid., § 7.73.
5 Ibid., § 7.76.
6 Ibid., § 7.77.
7 Ibid., § 7.78.
8 Ibid., § 7.79.
456
indirect » permet pourtant une légitimation des mécanismes internes de traitement des
plaintes privées.
Cette légitimation par le Groupe spécial des mécanismes internes de traitement des
plaintes privées représente une nouvelle brèche processuelle dans laquelle eurent pu,
dans une optique régulatrice, s’engouffrer les acteurs de la société civile. Il semble
toutefois que ces mécanismes aient exclusivement été utilisés pour défendre des
intérêts commerciaux. Le potentiel régulateur d’un tel mécanisme juridique est
tributaire du volontarisme des juges.
Des mécanismes de régulation tributaires du volontarisme des juges B.
386. Une action conditionnée par un intérêt commercial. Le potentiel de défense
d’intérêts non commerciaux par des acteurs privés que représentent les mécanismes
internes est jusqu’alors resté inexploré1. Ceux-ci ont effectivement vocation à être
utilisés par les agents économiques ayant subi un préjudice commercial2.
Pourtant, pour reprendre la formule du Groupe spécial, le « principe de l’effet
indirect » du droit de l’OMC va bien au-delà des intérêts commerciaux des particuliers.
Les règles et principes libre-échangistes influent directement sur les conditions
sanitaires et environnementales des ressortissants des États membres : de la production
de denrées agro-alimentaires (OGM, hormones), à leur consommation (étiquetage), la
société civile semble tout aussi concernée que les agents économiques par les accords
OMC et les comportements réglementaires de ses États Membres. Celle-ci ne semble
pourtant pas pouvoir saisir ces mécanismes internes de traitement des plaintes privées.
Il faut à cet égard relever les conditions que pose le règlement ROC à l’utilisation du
mécanisme qu’il met en place. La procédure est déterminée par la présence d’un
« intérêt de l’Union ». Bien qu’omniprésente dans le règlement ROC, la notion n’est
pas définie. Elle semble sous-entendre une idée d’intérêt général et supérieur à la
1 CÔTÉ C.-E., « Obstacles et ouvertures processuelles pour les acteurs privés défendant des intérêts non
commerciaux dans l’interprétation des accords de l’OMC », Les cahiers de droit, vol. 50, n°1, 2009, pp.
242-244. 2 Ibid., pp. 236-241.
457
somme des intérêts privés et individuels et la nécessité de défendre l’ensemble d’une
collectivité1. Pourtant, seules des industries ou des entreprises peuvent utiliser cette
voie de recours. Les syndicats et les ONG semblent exclus de ce mécanisme2 : la
plainte, pour être recevable, doit prouver l’existence d’un obstacle au commerce ou
d’un préjudice commercial. La formalisation européenne du « principe de l’effet
indirect » du droit de l’OMC sur les ressortissants de l’Union ne prend pas les intérêts
non-commerciaux en compte. L’« intérêt de l’Union », loin d’être général, est en fait
exclusivement commercial, laissant les intérêts tels que la protection de la santé ou de
l’environnement à la marge. Le caractère commercial du système juridique qu’est
l’OMC rendrait vaine toute action de la société civile visant à défendre les intérêts non
commerciaux au niveau multilatéral. Aujourd’hui, ces mécanismes internes de
traitement des plaintes privées ne sont pas à même de relayer les valeurs
environnementales et sanitaires, car ils sont conditionnés par un intérêt commercial à
agir. D’autres points de régulation existent néanmoins, tels que le refus d’invocabilité
directe des décisions de l’OMC sur le plan européen.
387. Le refus d’invocabilité directe des décisions de l’OMC sur le plan européen.
Sur le plan européen, il semble que le principal outil de régulation qui existe
aujourd’hui réside dans le refus par le juge européen que les décisions des organes de
règlement des différends de l’OMC soient directement invocables. Le Tribunal, puis la
Cour ont notamment pu le réaffirmer clairement à l’occasion de l’affaire Biret. Il
s’agissait d’une entreprise française faisant dans le commerce de produits agro-
alimentaires, notamment de la viande. Elle invoquait la condamnation Hormones I de la
Communauté européenne, qui aurait été constitutive d’une faute extracontractuelle
appelant à une indemnisation3. Donnant suite à une jurisprudence allant déjà dans ce
sens4, le Tribunal
1, puis la Cour
2 rejettent les arguments de Biret. Malgré ce rejet en
1 GABDIN D. et HERVÉ A., « Règlement sur les Obstacles techniques au Commerce (ROC) », Jurisclasseur,
Fasc. 2330, 22 août 2012, n° 40. 2 À l’inverse de la section 301 de la loi américaine de 1974.
3 CJCE, 30 septembre 2003, Biret International, C-93/02 et CJCE, 30 septembre 2003, Établissements Biret
et Cie, C-94/02. 4 La Cour avait en effet déjà pu se prononcer contre l’invocabilité directe du droit de l’OMC, en affirmant
que les États membres et les particuliers ne peuvent se prévaloir en justice du droit de l’OMC pour obtenir
l’annulation ou l a non-application d’un acte communautaire : CJCE, 23 novembre 1999, Portugal c.
458
l’espèce, la doctrine a pu relever qu’aucune des deux juridictions ne donne de réponse
claire à la question de savoir si une décision rendue par les organes de règlement des
différends de l’OMC peut être invoquée par un particulier3. Il faut pourtant mentionner
en ce sens l’existence du Règlement n° 1515/2001 du 23 juillet 20014, qui permet au
Conseil de modifier ou d’abroger une mesure ayant fait l’objet d’une décision de
l’ORD, et d’« adopter toute autre mesure particulière jugée appropriée en l’espèce »5.
Autrement dit, « lorsqu’elle le juge approprié » la Communauté peut, sans y être
obligée, rendre une mesure antidumping ou antisubventions conforme aux
recommandations et décisions de l’ORD6. Soulignons néanmoins que ce Règlement
s’applique aux domaines limités du dumping et des subventions, et n’a encore jamais
été explicitement au domaine du commerce international des marchandises. Ce
Règlement, ainsi que la jurisprudence des juridictions européennes témoigne de la
méfiance des institutions européennes à l’égard de l’OMC en ce qui concerne la
sauvegarde des intérêts essentiels : elle se réserve ainsi le droit de violer certains
Accords, ou du moins certaines décisions7
. Cette méfiance permet à l’Union
européenne de préserver une certaine marge de manœuvre, notamment dans les
domaines environnementaux et sanitaires. Le juge de l’Union européenne fait ainsi
œuvre de régulation sur son propre territoire, et pallie les lacunes du multilatéralisme
Conseil, C-149/96, Rec., 1999, p. I-8395 ; CJCE, 9 octobre 2001, Pays-Bas c. Parlement et Conseil, C-
377/98, Rec., 2001, p. I-7079. 1 « Cette décision est nécessairement et directement liée au moyen tiré de la violation de l’Accord SPS, et
elle ne saurait donc être prise en considération que dans l’hypothèse où l’effet direct de cet accord aurait
été consacré par le juge communautaire dans le cadre d’un moyen tiré de l’invalidité des directives en
cause. » : T.C.E., 11 janvier 2002, Biret International c. Conseil, T-174/00, Rec., p. II-17, 67. 2
« Dans ces conditions et sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur les éventuelles conséquences
indemnitaires que pourrait avoir pour des particuliers l’inexécution par la Communauté d’une décision de
l’ORD constatant l’incompatibilité d’un acte communautaire avec les règles de l’OMC, il convient de
constater que, en l’espèce, en l’absence de dommage allégué après le 13 mai 1999, la responsabilité de la
Communauté ne saurait, en tout état de cause, être engagée. » : CJCE, 30 septembre 2003, Biret
International, C-93/02, 64. 3 CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », RIDE, 2005/3 t. XIX, 3, pp. 264-269 ; WIERS J., « One Day,
You’re Gonna Pay : The European Court of Justice in Biret », L.I.E.I., 2004, p. 143-151 ; ZONNEKEYN G., «
EC Liability for Non-Implementation of WTO Dispute Settlement Decisions – Are the Dice Cast ? »,
J.I.E.L., 2004, pp. 483-490. 4 Règlement (CE) n° 1515/2001 du Conseil du 23 juillet 2001 relatif aux mesures que la Communauté peut
prendre à la suite d’un rapport adopté par l’organe de règlement des différends de l’OMC concernant des
mesures antidumping ou antisubventions, J.O.C.E., 26 juillet 2001, L 201, p. 10. 5 Article 1 du Règlement (CE) n° 1515/2001.
6 Considérant 4 du Règlement (CE) n° 1515/2001.
7 CULOT H., « Soft Law et droit de l’OMC », op. cit., p. 267.
459
en la matière. Le droit international privé témoigne également du rôle régulateur des
juges externes au système commercial multilatéral.
388. La régulation sur le terrain du droit international privé. Devant l’échec des
organes de règlement des différends à assurer une régulation environnementale ou
sanitaire des échanges internationaux sur le plan multilatéral, le juriste aura
naturellement tendance à se tourner vers le droit international privé. Certains auteurs
ont ainsi déjà mis en lumière les possibilités qu’offrent certaines procédures, certains
droits, certaines juridictions, en matière de défense de certains intérêts non-
commerciaux1. L’Alien Tort Statute (ATS), par exemple, offre une telle possibilité de
régulation sur le terrain du droit international privé : ce texte, rédigé en 1789, prévoit
la compétence des juridictions fédérales pour connaître des cas de responsabilité
délictuelle impliquant des demandeurs étrangers et fondées sur la violation du droit
des nations. L’affaire Filartiga c. Pena-Irala avait été l’occasion pour une cour
fédérale de décider que cette loi dotait le juge d’une compétence universelle : il était
dès lors possible pour un étranger d’engager une action contre un défendeur étranger,
pour des actes commis en dehors du pays, à condition que ces actes aient violé une
norme relevant du droit international coutumier ou d’une convention internationale
dont les États-Unis sont signataires2. Cette solution fut confirmée par la Cour suprême
des États-Unis dans une affaire Sosa c. Alvarez-Machain, en limitant la compétence du
juge aux seules normes de droit international coutumier « spécifique, universelles et
obligatoires »3. La Cour opère cependant un revirement de jurisprudence en 2013 à
l’occasion de l’affaire Kiobel, en décidant que l’ATS n’habilite plus les tribunaux
1 On se réfère notamment ici aux « O.J.N.I » (« objets normatifs non ou mal identifiés […] qui produisent
en pratique ou tentent de produire des effets de régulation ») exposés par Benoît FRYDMAN, dans son article
« Comment penser le droit global ? », in CHÉROT J.-Y. et FRYDMAN B. (dir.), La science du droit dans la
globalisation, Bruylant, Coll. Penser le droit, Bruxelles (Belgique), 2012, p. 20. On se réfère également à la
démonstration faite par Horatia MUIR WATT de la possibilité d’utiliser un lien d’investissement pour fonder
l’invocation de droits de l’homme dans les rapports entre acteurs privés, à travers par exemple l’utilisation
du Alien Tort Statute américain : « Politique du droit international privé : réflexion critique », in COLLART
DUTILLEUL F., RIEM F. (dir.), Droits fondamentaux, ordres publics et libertés économiques, Institut
Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Vichy, 2013, pp. 245-251. 2
V. GROSSWALD CURRAN V., « La jurisprudence récente de la Cour suprême des États-Unis sur
l’extraterritorialité et d’autres questions d’importance internationale », Rec. D., 11 décembre 2014, pp. 2473
s. 3 Ibid.
460
américains à exercer une compétence universelle, et en exigeant désormais que les
actes litigieux aient un lien « suffisant » avec les États-Unis. Cette affaire concrétise
un refus de compétence extra-territoriale, qui laisse penser que l’ATS devient dès lors
moins propice comme moyen de revendication des droits de l’homme1. En effet, la
défense de valeurs non-commerciales face à des firmes commerciales semble se
heurter de manière récurrente à la question de la territorialité en droit international
privé. Pourtant, la récente affaire Doe c. Nestlé USA, Inc.2, présente un intérêt
particulier : elle impliquait l’esclavage d’enfants dans une ferme de cacao en Côte
d’Ivoire ; pour se déclarer compétente, une Cour fédérale américaine s’est référée à
l’influence économique exercée par une marque particulière sur les structures et le
fonctionnement du marché mondial. Il est remarquable que ni le territoire, ni la
souveraineté, ni les exigences de politique étrangère n’aient guidé le raisonnement de
cette juridiction selon Horatia MUIR WATT3. Pourtant, les solutions sont loin d’y être
évidentes, comme le montre une autre affaire Chevron/Texaco, ayant été l’occasion de
condamner une firme pétrolière pour des dommages environnementaux considérables
liés à son activité extractive en Équateur, verdict que les victimes peinent à faire
respecter4
. On mentionnera également l’exemple du CIRDI, la Convention de
Washington de 1965 ayant été dénoncée par trois États d’Amérique latine5 dans la
dernière décennie. Or, les arguments de ces États, pour dénoncer la Convention CIRDI,
reposent sur l’idée que le Centre serait au service des États les plus aisés : c’est ainsi
que le Président bolivien a pu avancer « qu’aucun gouvernement en Amérique Latine
n’a gagné un arbitrage devant le CIRDI et que le système favorise exclusivement les
entreprises multinationales »6. La boucle est bouclée : les différents ordres juridiques
1 Ibid. V. également MUIR WATT H., « L’Alien Tort Statute devant la Cour suprême des États-Unis.
Territorialité, diplomatie judiciaire, ou économie politique ? », Revue critique de droit international privé,
2013, pp. 595 s. 2 filed September 4, 2014.
3 V. l’intervention d’Horatia MUIR WATT lors du cycle de conférences « Droit comparé et territorialité du
droit ». 4 Sur cette affaire v. MUIR WATT H., « Chevron, l’enchevêtrement des fors. Un combat sans issue ? »,
Revue critique de droit international privé, 2011, pp. 339 s. 5 La Bolivie, l’Équateur et le Vénézuela ayant déjà officiellement notifié leur retrait respectivement en Mai
2007, Juillet 2009 et Janvier 2012. Un projet de loi argentin est actuellement en discussion au sein du
Congrès depuis Mars 2012 qui pose la question d’une telle dénonciation. 6 Sommet de l’A.L.B.A. (Alternativa Bolivariana para las Americas) du 29 Avril 2007. Sur ce point, v.
PROUST J., L’arbitrage CIRDI face aux droits de l’homme, Thèse, Paris I, 2013, pp. 36-64. V. également
461
sont aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, confrontés à cette question de la
régulation entre valeurs commerciales et non-commerciales, et peinent à y répondre.
Ainsi, nombreux sont les mécanismes potentiellement régulateurs à la portée des États
et de la société civile, qu’il s’agisse de la piste multilatérale de l’amicus curiae,
régionale des mécanismes internes de traitement des plaintes privées ou transnationale
de l’ATS. Pourtant, ceux-ci sont tributaires du volontarisme des juges. Pour relever le
défi du « pluralisme ordonné » proposé par Mireille DELMAS-MARTY, les juges, à
l’intérieur comme à l’extérieur du système commercial multilatéral, doivent ainsi
accepter d’amorcer une dynamique d’ouverture et de mise en mouvement1, tant
rationae personae que rationae materiae.
sur cette question CAZALA J., « La dénonciation de la Convention de Washington établissant le CIRDI »,
AFDI LVIII, 2012, CNRS Éditions, Paris, pp. 551-565. 1 « Il reste à savoir si cette dynamique réussira à limiter le double risque d'un ordre mondial imposé par le
pays le plus puissant (ordre hégémonique de type impérial) ou autorégulé par le marché (ordre spontané
dont rêvent les partisans de l'ultra-libéralisme) pour construire un ordre mondial véritablement pluraliste.
La réponse ne relève pas des seuls juristes, mais ils ont un rôle essentiel à jouer pour rendre visibles les
dynamiques qui se mettent en place. En aidant les responsables politiques à poser les bonnes questions, ils
devraient contribuer à trouver les bonnes réponses » : DELMAS-MARTY M., « Le pluralisme ordonné et les
interactions entre ensembles juridiques », Rec. D., 2006, pp. 951 s.
462
463
389. Conclusion du Chapitre 2. Les organes de règlement des différends ont procédé
à certaines ouvertures du droit de l’OMC à d’autres systèmes juridiques permettant
alors d’envisager la prise en compte par cet ordre commercial de valeurs non-
commerciales telles que la protection de la santé ou de l’environnement. Ces
ouvertures, avant tout motivées par une recherche de légitimité des solutions rendues,
sont toutefois restées substantiellement superficielles.
Le droit international, conventionnel ou général, n’a jamais acquis une quelconque
autonomie lui permettant d’exister au sein du droit de l’OMC. Au mieux endosse-t-il
une fonction interprétative des accords de l’OMC, dans la mesure où il n’infléchit pas
outre mesure les principes libre-échangistes. Cette limite est particulièrement patente à
l’examen du sort réservé au principe de précaution, qui se voit refuser son autonomie
en tant que principe du droit international, et n’a en réalité aucune influence sur
l’interprétation que font les organes de règlement des différends du droit de l’OMC.
Parallèlement, les acteurs susceptibles de porter les intérêts environnementaux et
sanitaires se voient offrir la possibilité formelle de participer indirectement au système
de règlement des différends, sans que celle-ci ne soit jamais effectivement réalisée : si
le mécanisme de l’amicus curiae est en principe consacré, ces mémoires ne sont
effectivement jamais pris en compte par les organes de règlement des différends pour
rendre leurs solutions. Par ailleurs, les mécanismes nationaux de traitement des
plaintes privées semblent présenter les mêmes limites que l’OMC : étant par nature
commerciaux, ils ne permettent pas d’engager une procédure sur un fondement autre
que commercial, et restent inaccessibles aux acteurs porteurs des intérêts
environnementaux et sanitaires.
Résultat d’un manque de volontés conjuguées des organes de règlement des différends
et des États Membres de l’OMC, cet ordre juridique fonctionne en réalité en vase clos,
rationae materiae et personae, afin qu’aucun intérêt autre que commercial ne vienne
mettre à mal son système de valeurs. C’est ainsi qu’en termes de régulation
environnementale et sanitaire, le droit commercial multilatéral se révèle bien trop
rigide pour être à l’écoute d’autres voix que purement commerciales.
464
465
390. Conclusion du Titre II. Le système de règlement des différends exerçant un fort
pouvoir d’attraction sur tous les litiges mettant en cause un intérêt commercial, ses
organes sont amenés à trancher des différends hybrides sous-tendus par des enjeux
environnementaux et sanitaires. Les accords de l’OMC ne contiennent pas de réelle
réglementation matérielle dans ces domaines, ce qui a poussé les organes de règlement
des différends à ouvrir ce droit à d’autres systèmes juridiques leur fournissant des
outils à même de trancher ces litiges.
Dans cette optique, les organes de règlement des différends ont rapidement choisi
d’accorder une réelle force normative aux standards techniques émis par des
organismes internationaux tels que le Codex alimentarius. Ces standards, relevant
initialement d’une soft law et résultant de rapports de force privés, sont appliqués pour
relayer et servir les règles et principes libre-échangistes des accords OMC.
À l’inverse, le droit international, présentant des règles matérielles relatives à la
protection de la santé et de l’environnement, est apparu avant tout comme offrant des
opportunités de dérogation aux principes de libre commerce, et n’a jamais acquis de
réelle effectivité dans le cadre du règlement des différends. La société civile
susceptible de défendre la protection environnementale ou sanitaire n’a en outre pas de
réel accès aux procédures alternatives lui permettant de participer indirectement au
règlement des différends.
Cette inégalité de l’articulation normative externe du droit de l’OMC apparaît comme
un des obstacles majeurs à l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires
dans le système commercial multilatéral.
466
467
391. Conclusion de la deuxième partie. L’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires se révèle bien plus profonde qu’elle n’y paraît. Sans
amoindrir l’importance des questions d’interprétation des textes qui les consacrent
stricto sensu, elle semble en fait relever du langage même de l’OMC, qui privilégie à
tous les niveaux les valeurs commerciales, au détriment d’une véritable régulation.
Le droit de la preuve, primordial dans les domaines environnementaux et sanitaires,
s’impose comme le premier obstacle à l’effectivité de ces exceptions. En refusant de
prendre juridiquement en compte l’incertitude scientifique, et en attribuant la charge
probatoire de l’existence d’un risque à l’État auteur d’une mesure environnementale
ou sanitaire, les organes de règlement des différends ont en réalité fait peser sur leurs
épaules une probatio diabolica de laquelle il est impossible de s’acquitter. Dans cette
même optique d’une vérité scientifique absolue, permettant une solution judiciaire
rigide, les Groupes spéciaux se sont improvisés, avec la bénédiction de l’Organe
d’appel, juges d’instruction scientifiques des litiges environnementaux et sanitaires.
Leur usage intrusif de l’expertise, cherchant à contrôler le bien-fondé scientifique des
mesures litigieuses, plutôt que de se contenter d’examiner la rigueur de la
méthodologie scientifique adoptée, témoigne de la forte tendance inquisitoire de la
procédure en première instance. Celle-ci devrait en ce cas être soumise à un contrôle
tout aussi conséquent et approfondi en appel ; il n’en est pourtant rien. L’Organe
d’appel adopte au contraire une conception aussi large des faits qu’étroite du droit,
pour ne se considérer compétent que dans une posture abstraite d’interprète unificateur
du droit de l’OMC, sans égard aux erreurs de dénaturation des faits de chaque espèce
faites par les Groupes spéciaux. N’étant en outre l’objet d’aucun renvoi possible, les
solutions rendues ne sont soumises à aucun contrôle garantissant l’équité de la
procédure. Les règles probatoires, outils privilégiés de régulation en droit de l’Union
européenne par exemple, restent archaïques en droit de l’OMC, et se présentent
comme le meilleur prétexte procédural des valeurs du libre-échange.
Les choix opérés par les organes de règlement des différends en termes d’ouverture à
des éléments extérieurs au droit de l’OMC participent également grandement à
l’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires. Ils réservent une place
de choix aux standards techniques internationaux, en transformant l’incitation
textuelle à l’harmonisation internationale, en contrainte presque absolue à s’y
conformer totalement. Les États membres de l’OMC se voient ainsi opposer des
468
standards élaborés dans des enceintes extérieures au droit de l’OMC, sans que les
organes de règlement des différends ne contrôlent les principes et modalités
d’élaboration par exemple. En outre, par le truchement de la présomption de
compatibilité inscrite dans les Accords SPS et OTC, ces standards ne s’imposent qu’a
minima : les États ne seront inquiétés du décalage existant entre leur réglementation et
ces standards que s’ils imposent une protection environnementale ou sanitaire plus
élevée. La convergence entre les deux dynamiques de normalisation et de commerce
multilatéral participe ainsi directement à l’ineffectivité des exceptions
environnementales et sanitaires. Parallèlement, le droit international porteur de valeurs
environnementales et sanitaires n’est reconnu qu’à titre interprétatif par les organes de
règlement des différends, qui refusent de lui attribuer une quelconque effectivité. Les
Conventions internationales porteuses de ces valeurs, ou les règles communes qu’elles
comprennent, telles que le principe de précaution, ne se voient reconnaître aucune
autonomie, ni aucune réelle consistance permettant d’infléchir réellement les règles
fondamentales du libre-échange. Enfin, la société civile a formellement eu
indirectement accès au système de règlement des différends, par le biais de l’amicus
curiae ou des mécanismes régionaux de traitement des plaintes privées. Cependant, les
acteurs porteurs des intérêts environnementaux et sanitaires ne parviennent à participer
effectivement à ces procédures, et à faire entendre leurs voix.
Au regard de cette analyse transversale, il appert que les organes de règlement des
différends n’incarnent en rien les régulateurs environnementaux et sanitaires qu’ils
prétendent être. Ceux-ci ont fait de multiples choix, procéduraux et matériels, tendant
à défendre exclusivement les valeurs commerciales, qu’ils ne savent infléchir un
minimum pour permettre l’effectivité ponctuelle des exceptions environnementales et
sanitaires. Les espoirs d’une régulation multilatérale ne rencontrent qu’un cuisant
échec.
469
CONCLUSION GÉNÉRALE
392. De l’échec d’une régulation multilatérale. Le droit de l’OMC apparaît comme
un ordre purement commercial, au regard de la politique jurisprudentielle de ses
organes de règlement des différends endiguant toute effectivité réelle des exceptions
environnementales et sanitaires. Ce constat ne peut que décevoir les observateurs de ce
système novateur, qui leur laissait espérer l’éclosion d’un véritable système régulateur.
L’étude du sort des valeurs non commerciales que sont l’environnement et la santé
dans le droit de l’OMC ne laisse pas entrevoir de véritable régulation. Bien au
contraire l’OMC ne semble mue que par et pour les intérêts commerciaux, sans réelle
volonté de prendre en compte des intérêts hybrides.
La validation de réglementations environnementales et sanitaires dans le cadre du
système de règlement des différends semble systématiquement vouée à l’échec. À cet
égard, le droit de l’OMC apparaît comme un trou noir qui attire irrésistiblement à lui
les réglementations environnementales et sanitaires, expression de la souveraineté et
des spécificités culturelles de ses États membres. Celles-ci sont systématiquement
invalidées, sur les fondements de différentes dispositions. Les rapports pouvaient alors
dans un premier temps donner une impression de complexité de ces régimes
techniques. L’étude du droit de l’OMC semble finalement révéler qu’en fait de
complexité, les organes de règlement des différends ont surtout élaboré une technique
juridique à même de neutraliser toutes les normes porteuses de valeurs non
commerciales. L’ineffectivité des exceptions environnementales et sanitaires n’est pas
uniquement causée par l’interprétation restrictive qu’en font les organes de règlement
des différends stricto sensu, mais par la logique entière lato sensu d’un droit porteur
de la seule valeur commerciale et incapable d’en absorber de nouvelles. Les règles
procédurales, notamment, loin d’être neutres, trahissent un parti pris exclusivement
libéral. Le démantèlement des obstacles au libre-échange de marchandises, en
particulier des barrières non-tarifaires, équivaut en fait à un démantèlement normatif,
et in fine à une dérégulation totale. Protégés par des raisonnements fastidieux et
apparemment complexes, les organes de règlement des différends ont interprété les
textes de manière à les faire obéir à une logique dont la simplicité tend à la caricature :
le commerce est garanti par l’interdépendance et l’uniformisation des réglementations,
lesquelles ne peuvent trahir de préférence sous peine d’être assimilées à
470
d’injustifiables discriminations. À l’inverse, le fait d’émettre une norme porteuse de
valeur semble nécessairement relever d’un choix, processus portant en lui une
discrimination, une préférence ; la diversité des choix opérés par les différents
systèmes juridiques en matière environnementale et sanitaire se traduit ainsi par un
large éventail de diversité, qui représente une entrave au commerce international.
L’achoppement de ces deux logiques, et la puissance de l’OMC, laissent entrevoir la
vocation de toutes les réglementations non commerciales à être progressivement
vidées de leur substance au fur et à mesure de leur mise en cause devant les organes de
règlement des différends.
Cet échec des organes de règlement des différends à assurer une fonction régulatrice,
promet soit une mort, soit une mutation prochaine du droit commercial multilatéral.
Les enjeux actuels de sécurité alimentaire, de santé et d’environnement appellent le
juriste à concilier les différents intérêts en présence, sans laisser l’économique prendre
le pas sur les autres. Afin de répondre à ces enjeux sociétaux, et également d’un point
de vue de viabilité juridique, les organes de règlement des différends devraient faire
preuve de volontarisme en adoptant une nouvelle politique jurisprudentielle,
permettant l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires. Un tel
revirement de jurisprudence ne manquerait naturellement pas d’être l’objet de vives
critiques de la part de certains États membres, en particulier de pays émergents, qui
sont les plus fervents défenseurs du libre commerce. Ils pourraient de cette manière
renouveler les critiques qu’ils avaient formulées à l’issue de l’affaire Crevettes –
Tortues, en taxant les décisions d’« activisme judiciaire ». Loin de révéler un faux pas
du juge, il semble que cette formule ne fasse que reconnaître la mission qui lui
incombe de se positionner au carrefour d’intérêts divergents. La présente étude a mis
en lumière les principaux obstacles à l’effectivité des exceptions environnementales et
sanitaires. Les clefs de leur effectivité doivent dès lors être façonnées à partir de
l’empreinte de ces verrous.
393. Propositions. On a pu mettre en lumière les principaux mécanismes de régulation,
résidant dans des règles procédurales et matérielles, à même de garantir un juste
équilibre entre les intérêts purement commerciaux et d’autres intérêts, tels
qu’environnementaux et sanitaires. Les organes de règlement des différends ne
manqueront pas, au jour de leur prise de conscience de la nécessité d’une régulation
équilibrée, de modifier ces quelques règles décisives.
471
La première clef d’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires réside
dans une refonte profonde du régime probatoire dans le cadre du système de règlement
des différends. Il s’agirait avant tout d’admettre une certaine relativité scientifique, qui
s’accompagnerait naturellement d’une remise en cause de la vérité judiciaire.
Régulation environnementale et sanitaire et précaution sont évidemment parties liées,
et s’articulent autour de la possibilité de donner des effets juridiques à l’incertitude
scientifique. La prise en compte d’une telle incertitude dans le régime probatoire
permettrait d’alléger l’enjeu de la charge de la preuve, qui condamne aujourd’hui
l’État auteur d’une mesure environnementale ou sanitaire de manière systémique.
Dans une telle optique, les organes de règlement des différends accepteraient que les
États adoptent des mesures leur permettant de se prémunir contre la réalisation de
risques que la science permet de déceler, sans toutefois parvenir à les établir avec
certitude. Ils seraient dès lors amenés à infléchir le caractère inquisitoire de la
procédure des panels, pour rétablir un équilibre avec ses éléments accusatoires :
l’examen du fond scientifique des évaluations des risques justifiant les mesures serait
remplacé par un contrôle plus formel de la rigueur scientifique de ces études. Enfin, ce
recul pris par les Groupes spéciaux en première instance devrait s’accompagner d’un
réel contrôle en appel, qui censurerait toute dénaturation des éléments de preuve.
L’Organe d’appel devrait en outre être doté d’un pouvoir de renvoi dans un tel cas de
censure, afin que l’appréciation des éléments de preuve soit revue et éviter le danger
du non-lieu.
La seconde principale clef d’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires
est relative aux rapports qu’entretient le droit de l’OMC avec les systèmes juridiques
extérieurs. Si les standards techniques internationaux peuvent être pertinents en tant
que réglementation environnementale et sanitaire, palliant les lacunes du droit matériel
de l’OMC dans le domaine, leur normativité devrait être conditionnée à certains
critères d’élaboration. Les États désireux de protéger la santé de leurs ressortissants ou
l’environnement sur leur territoire ne devraient pas pouvoir se voir opposer des
standards techniques adoptés en dehors d’une procédure d’adoption à laquelle ils ont
consenti. En sus, les seuils déterminés par ces standards techniques devraient, s’ils
s’appliquent a maxima, également s’appliquer a minima. Une telle hypothèse aurait
peut-être pu permettre à l’Union européenne de mettre en cause la règlementation
américaine dans l’affaire des Hormones pour se défendre de la plainte initiée par les
472
États-Unis. Ces nuances relatives à la normativité des standards techniques
internationaux devraient s’accompagner d’une réelle effectivité du droit international
environnemental et sanitaire dans le système de règlement des différends. Les organes
de règlement des différends devraient appliquer leur audacieuse déclaration de
principe selon laquelle le droit de l’OMC ne saurait être « cliniquement isolé » du droit
international général. Dans l’optique d’une activité réellement régulatrice, ils devraient
amorcer une articulation avec les systèmes juridiques voisins, tels que les AEM,
porteurs de valeurs environnementales et sanitaires. Les organes de règlement des
différends devraient également enfin prendre le risque d’accorder une certaine
autonomie au principe de précaution, afin de lui permettre de produire de réels effets
dans l’interprétation et l’application du droit de l’OMC. Outre cette ouverture rationae
materiae, le droit de l’OMC gagnerait en flexibilité et en légitimité en ouvrant la
procédure judiciaire à de nouveaux acteurs non étatiques, porteurs d’intérêts
commerciaux. L’application de la procédure d’amicus curiae, par exemple, est loin
d’être satisfaisante : les organes de règlement des différends devraient réellement
prendre en compte ces mémoires pour les laisser influer sur les solutions qu’ils rendent.
Enfin, les États membres eux-mêmes peuvent élaborer et améliorer certains
mécanismes internes et régionaux de plaintes privées afin de participer directement à
la mise en place de procédures croisant les différentes valeurs commerciales,
environnementales et sanitaires.
Ces propositions de modifications techniques devraient naturellement s’accompagner
d’une politique jurisprudentielle généralement plus souple vis-à-vis des exceptions
environnementales et sanitaires. Les organes de règlement des différends devraient
ainsi revoir leur interprétation de l’article XX du GATT, ainsi que des Accords SPS et
OTC. Les différentes présomptions de mauvaise foi à l’endroit des États auteurs de
mesures environnementales et sanitaires devraient être évidemment proscrites. De
manière générale, les organes de règlement des différends devraient être plus déférents
vis-à-vis des États auteurs des mesures litigieuses, en préférant par exemple une
vérification du respect de la forme de l’évaluation des risques que ces derniers
proposent, à l’examen intrusif de fond actuellement pratiqué.
D’aucuns argueront que de tels changements amèneraient les organes de règlement des
différends à légitimer un trop grand nombre de mesures environnementales et
sanitaires, et risqueraient de vider le droit de l’OMC de sa substance libre-échangiste.
473
Il nous semble que si l’effectivité des exceptions environnementales et sanitaires
revenait à amoindrir le principe de libre-circulation des marchandises, cela ne
reviendrait qu’à amender le modèle économique duquel ce principe juridique est issu,
pour trouver un modèle plus mesuré et régulateur. Il est par ailleurs évident qu’aucun
modèle, ni économique, ni juridique, ne sera jamais parfait. La question qui se pose est
alors celle de savoir sur quel plan situer l’imperfection : préfèrera-t-on restreindre les
exceptions pour éviter tout protectionnisme déguisé, ou les garantir pleinement, quitte
à prendre le risque de laisser passer de fausses préoccupations environnementales ou
sanitaires ? Au regard des enjeux sociétaux qui nous préoccupent, il semblerait
préférable que cette imperfection lèse les avantages commerciaux, plutôt que de
stagner dans la situation actuelle participant, notamment, à l’insécurité alimentaire,
environnementale et sanitaire.
Ces aménagements s’avèrent nécessaires à l’effectivité réelle des exceptions
environnementales et sanitaires. Cette effectivité permettrait de rétablir l’équilibre
entre les intérêts commerciaux et non commerciaux au sein du droit de l’OMC, et de
ramener cette dernière à sa vocation régulatrice, tant espérée par ses observateurs.
Ainsi, commerce, santé et environnement pourraient tenter de coexister, et
l’Organisation commerciale retrouver sa pertinence et sa vitalité.
394. Perspectives. Un juriste particulièrement optimiste affirmait
que « périodiquement ressurgit dans le système juridique l’idée que le droit ne peut
pas être exclusivement construit en fonction d’un unique bénéficiaire, mais aussi en
considération de la convivance sociale, et c’est alors que s’installe un fragile
compromis entre un matérialisme dominant et des tempéraments plus ou moins
durables : le droit moderne tend à instaurer une conciliation plus qu’une
subordination, ou une hiérarchisation, entre les intérêts du commerce international et
les intérêts non économiques, entre les valeurs utilitaristes et les valeurs non
patrimoniales » 1.
1
OPPETIT B., « Droit du commerce international et valeurs non marchandes », in Études de droit
international en l’honneur de Pierre Lalive, Ed. Helbing & Lichtenhahn, Bâle, 1993, p. 319.
474
La Seconde Guerre mondiale a motivé les grandes puissances d’alors à instaurer un
système mondial coopératif en vue d’une pacification des rapports interétatiques.
Partant, les crises alimentaires, environnementales et sanitaires qui promettent de se
multiplier, devraient permettre de prendre en compte les risques aujourd’hui niés, afin
de les neutraliser. La question qui se pose aujourd’hui n’est pas tant de savoir si ce
jour arrivera, mais quand est-ce qu’il surviendra enfin ; l’incertitude réside donc dans
la teneur du seuil nécessaire à la prise de conscience, et par là même dans la question
de savoir à quel point l’humanité se sera déjà autodétruite.
En regardant par-dessus notre épaule, gardons à l’esprit que nos ancêtres ont déjà fait
preuve de sagesse suite à des chocs climatiques. Les australopithèques du rift africain,
berceau de l’humanité, ont dû faire face à un défi il y a cinq millions d’années, lorsque
l’ancienne forêt luxuriante devint une savane aride, rendant hostile leur milieu de vie.
Leur seule réponse de survie fut de se mettre debout, ce qui leur offrit deux
avantages pour faire face à ce défi : ils purent ainsi prendre de la hauteur et avoir une
vision à plus long terme ; ils se retrouvèrent en outre les mains libérées, leur
permettant d’enfin les utiliser à bon escient. Il nous resterait dès lors à répéter cette
révolution, afin que nos sociétés fassent montre de la même grandeur que les peintres
des grottes Lascaux.
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I. Organisation Mondiale du Commerce
Rapports des Groupes spéciaux
Argentine – Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres
articles, WT/DS56/R, adopté le 22 avril 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS56/AB/R.
Australie – Mesures affectant l'importation de pommes en provenance de Nouvelle-
Zélande (« Australie – Pommes »), WT/DS367/R, adopté le 17 décembre 2010, modifié par
le rapport de l'Organe d'appel WT/DS367/AB/R
Australie – Mesures visant les importations de saumons (« Australie – Saumons »),
WT/DS18/R, adopté le 6 novembre 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS18/AB/R.
Australie – Mesures visant les importations de saumons – Recours du Canada à l'article
21:5 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, WT/DS18/RW, adopté le
20 mars 2000.
Canada – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE – Hormones
(« Canada – Hormones II »), WT/DS321/R, adopté le 14 novembre 2008, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS321/AB/R
Chine – Mesures relatives à l'exportation de diverses matières premières, WT/DS394/R /
WT/DS395/R / WT/DS398/R / et Corr.1, adoptés le 22 février 2012, modifiés par les
rapports de l'Organe d'appel WT/DS394/AB/R / WT/DS395/AB/R / WT/DS398/AB/R
Chine – Mesures relatives à l'exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène,
WT/DS431/R et Add.1 / WT/DS432/R et Add.1 / WT/DS433/R et Add.1, adoptés le 29 août
2014, confirmés par les rapports de l'Organe d'appel WT/DS431/AB/R / WT/DS432/AB/R /
WT/DS433/AB/R
Communautés européennes – Désignation commerciale des sardines, WT/DS231/R et
Corr.1, adopté le 23 octobre 2002, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS231/AB/R.
Communautés européennes – Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant («
Amiante »), WT/DS135/R et Add.1, adopté le 5 avril 2001, modifié par le rapport de
l'Organe d'appel WT/DS135/AB/R.
Communautés européennes – Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des
produits biotechnologiques (« OGM »), WT/DS291/R, WT/DS292/R, WT/DS293/R, Add.
1 à 9 et Corr. 1, adopté le 21 novembre 2006.
510
Communautés Européennes – Mesures prohibant l'importation et la commercialisation de
produits dérivés du phoque, WT/DS400/R et Add.1 / WT/DS401/R et Add.1, adoptés le 18
juin 2014, modifiés par les rapports de l'Organe d'appel WT/DS400/AB/R /
WT/DS401/AB/R
États-Unis – Certaines mesures visant les importations de volaille en provenance de Chine,
WT/DS392/R, adopté le 25 octobre 2010.
Corée – Mesures affectant les marchés publics, WT/DS163/R, adopté le 19 juin 2000.
États-Unis – Articles 301 à 310 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur (« États-Unis
– Article 301 »), WT/DS152/R, adopté le 27 janvier 2000.
États-Unis – Certaines mesures visant les importations de volaille en provenance de Chine
(« États-Unis - Volaille »), WT/DS392/R, adopté le 25 octobre 2010.
États-Unis – Certaines prescriptions en matière d'étiquetage indiquant le pays d'origine
(« EPO »), WT/DS384/R / WT/DS386/R, adoptés le 23 juillet 2012, modifiés par les
rapports de l'Organe d'appel WT/DS384/AB/R / WT/DS386/AB/R.
États-Unis – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE – Hormones
(« États-Unis - Hormones II »), WT/DS320/R, adopté le 14 novembre 2008, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS320/AB/R.
États-Unis – Mesures affectant la production et la vente de cigarettes aux clous de girofle
(« États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle »), WT/DS406/R, adopté le 24 avril 2012,
modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS406/AB/R.
États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et blouses, de laine,
tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/R, adopté le 23 mai 1997, confirmé par le rapport
de l'Organe d'appel WT/DS33/AB/R.
États-Unis – Mesures de sauvegarde à l'importation de viande d'agneau fraîche,
réfrigérée ou congelée en provenance de Nouvelle-Zélande et d'Australie,
WT/DS177/AB/R, WT/DS178/AB/R, adopté le 16 mai 2001.
États-Unis – Mesures de sauvegarde définitives à l’importation de gluten de froment en
provenance des Communautés européennes, WT/DS166/AB/R, adopté le 19 janvier 2001.
États-Unis – Mesure de sauvegarde transitoire appliquée aux fils de coton peignés en
provenance du Pakistan, WT/DS192/AB/R, adopté le 5 novembre 2001.
États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et anciennes formules (« États-Unis -
Essence »), WT/DS2/R, adopté le 20 mai 1996, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS2/AB/R.
États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la vente de thon et
de produits du thon (« Thon II »), WT/DS381/R, adopté le 13 juin 2012, modifié par le
rapport de l'Organe d'appel WT/DS381/AB/R.
511
États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à
base de crevettes (« Crevettes - Tortues »), WT/DS58/R et Corr.1, adopté le 6 novembre
1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS58/AB/R.
États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à
base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur
le règlement des différends (« Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) »),
WT/DS58/RW, adopté le 21 novembre 2001, confirmé par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS58/AB/RW.
États Unis – Restrictions à l'importation de vêtements de dessous de coton et de fibres
synthétiques ou artificielles, WT/DS24/R, adopté le 25 février 1997, modifié par le rapport
de l'Organe d'appel WT/DS24/AB/R
Japon – Mesures visant les produits agricoles (« Japon – Produits agricoles II »),
WT/DS76/R, adopté le 19 mars 1999, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS76/AB/R
Japon – Mesures visant l'importation de pommes (« Japon – Pommes »), WT/DS245/R,
adopté le 10 décembre 2003, confirmé par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS245/AB/R
Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/R, WT/DS10/R, WT/DS11/R,
adopté le 1er novembre 1996, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS8/AB/R,
WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R.
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones),
plainte déposée par le Canada (« Hormones I, plainte du Canada »), WT/DS48/R/CAN,
adopté le 13 février 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel WT/DS26/AB/R,
WT/DS48/AB/R.
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones),
plainte déposée par les États-Unis (« Hormones I, plainte des États-Unis »),
WT/DS26/R/USA, adopté le 13 février 1998, modifié par le rapport de l'Organe d'appel
WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R.
Rapports de l’Organe d’appel
Argentine – Mesures affectant les importations de chaussures, textiles, vêtements et autres
articles, WT/DS56/AB/R et Corr.1, adopté le 22 avril 1998.
Australie – Mesures affectant l'importation de pommes en provenance de Nouvelle-
Zélande (« Australie – Pommes »), WT/DS367/AB/R, adopté le 17 décembre 2010.
Australie – Mesures visant les importations de saumons (« Australie – Saumons »),
WT/DS18/AB/R, adopté le 6 novembre 1998.
Canada – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE – Hormones
(« Canada – Hormones II »), WT/DS321/AB/R, adopté le 14 novembre 2008.
512
Canada – Mesures Concernant les exportations de blé et le traitement des grains importés,
WT/DS276/AB/R, adopté le 27 septembre 2004.
Canada – Mesures visant l'importation de lait et l'exportation de produits laitiers –
Deuxième recours des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande à l'article 21:5 du
Mémorandum d'accord sur le règlement des différends,
WT/DS103/AB/RW2,WT/DS113/AB/RW2, adopté le 17 janvier 2003.
Chine – Mesures relatives à l'exportation de diverses matières premières,
WT/DS394/AB/R / WT/DS395/AB/R / WT/DS398/AB/R, adoptés le 22 février 2012.
Chine – Mesures relatives à l'exportation de terres rares, de tungstène et de molybdène,
WT/DS431/AB/R / WT/DS432/AB/R / WT/DS433/AB/R, adoptés le 29 août 2014.
Communautés européennes – Classification douanière des morceaux de poulet désossés et
congelés, WT/DS269/AB/R, WT/DS286/AB/R, adopté le 27 septembre 2005, et Corr.1
Communautés européennes – Désignation commerciale des sardines (« Sardines »),
WT/DS231/AB/R, adopté le 23 octobre 2002.
Communautés européennes – Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant
(« Amiante »), WT/DS135/AB/R, adopté le 5 avril 2001.
Communautés européennes – Mesures affectant l'importation de certains produits
provenant de volailles, WT/DS69/AB/R, adopté le 23 juillet 1998.
Communautés Européennes – Mesures prohibant l'importation et la commercialisation de
produits dérivés du phoque, WT/DS400/AB/R / WT/DS401/AB/R, adoptés le 18 juin 2014.
Communautés européennes – Régime applicable à l'importation, à la vente et à la
distribution des bananes (« CE – Bananes »), WT/DS27/AB/R, adopté le 25 septembre
1997.
Corée – Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche, réfrigérée ou
congelée (« Corée – Viande de bœuf »), WT/DS161/AB/R, WT/DS169/AB/R, adopté le 10
janvier 2001.
Corée – Mesure de sauvegarde définitive appliquée aux importations de certains produits
laitiers, WT/DS98/AB/R, adopté le 12 janvier 2000.
États-Unis – Certaines prescriptions en matière d'étiquetage indiquant le pays d'origine
(« EPO »), WT/DS384/AB/R / WT/DS386/AB/R, adoptés le 23 juillet 2012.
États-Unis – Droits compensateurs sur certains produits plats en acier au carbone traité
contre la corrosion en provenance d'Allemagne, WT/DS213/AB/R, adopté le 19 décembre
2002.
États-Unis – Imposition de droits compensateurs sur certains produits en acier au carbone,
plomb et bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R, adopté
le 7 juin 2000.
États-Unis – Maintien de la suspension d'obligations dans le différend CE – Hormones
(« États-Unis - Hormones II »), WT/DS320/AB/R, adopté le 14 novembre 2008.
513
États-Unis – Mesures affectant la production et la vente de cigarettes aux clous de girofle
(« États-Unis – Cigarettes aux clous de girofle »), WT/DS406/AB/R, adopté le 24 avril
2012.
États-Unis – Mesure affectant les importations de chemises, chemisiers et blouses, de laine,
tissés en provenance d'Inde, WT/DS33/AB/R, adopté le 23 mai 1997, et Corr.1.
États-Unis – Mesures concernant l'importation, la commercialisation et la vente de thon et
de produits du thon (« Thon II »), WT/DS381/AB/R, adopté le 13 juin 2012.
États-Unis — Mesures visant la fourniture transfrontières de services de jeux et paris,
WT/DS285/AB/R, adopté le 20 avril 2005.
États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et anciennes formules (« États-Unis -
Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996.
États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à
base de crevettes (« Crevettes - Tortues »), WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998.
États-Unis – Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à
base de crevettes – Recours de la Malaisie à l'article 21:5 du Mémorandum d'accord sur
le règlement des différends (« Crevettes – Tortues (article 21:5 – Malaisie) »),
WT/DS58/AB/RW, adopté le 21 novembre 2001.
États-Unis — Réexamens à l'extinction des mesures antidumping visant les produits
tubulaires destinés à des pays pétroliers en provenance d'Argentine, WT/DS268/AB/R,
adopté le 17 décembre 2004.
États-Unis – Traitement fiscal des "sociétés de ventes à l'étranger, WT/DS108/AB/R,
adopté le 20 mars 2000
Japon – Mesures visant les produits agricoles (« Japon – Produits agricoles II »),,
WT/DS76/AB/R, adopté le 19 mars 1999.
Japon – Mesures visant l'importation de pommes (« Japon – Pommes »),
WT/DS245/AB/R, adopté le 10 décembre 2003.
Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R. adopté le 1er novembre 1996.
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones)
(« Hormones I »), WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998.
Décisions des arbitres
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones),
plainte initiale du Canada – Recours des Communautés européennes à l'arbitrage au titre
de l'article 22:6 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends,
WT/DS48/ARB, 12 juillet 1999.
Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones),
plainte initiale des États-Unis – Recours des Communautés européennes à l'arbitrage au
514
titre de l'article 22:6 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends,
WT/DS26/ARB, 12 juillet 1999.
Rapports des Groupes spéciaux sous l’égide du GATT de 1947
États-Unis – restrictions à l’importation de thon (Plainte du Mexique), GATT DS21/R,
distribué le 3 septembre 1991.
États-Unis – restrictions à l’importation de thon (Plainte de la Communauté économique
européenne), GATT DS29/R, distribué le 16 juin 1994.
Canada—Mesures affectant l'exportation de harengs et de saumons non préparés,
L/6268 — 35S/106, adopté le 22 mars 1988.
Thaïlande — Restrictions à l'importation et taxes intérieures touchant les cigarettes,
DS10/R, adopté le 7 novembre 1990.
II. Union européenne
Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE), devenu
Tribunal de première instance de l’Union européenne (TPIUE)
TPICE, 11 janvier 2002, Biret International c. Conseil, aff. T-174/00, Rec., p. II-17.
TPICE, 26 novembre 2002, Artegodan, aff. T-74/00, T-76/00, T-83/00 à T-85/00, T-
132/00, T-137/00, T-141/00, Rec., p. II-4945.
TPICE, 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health, aff. T-13/99, Rec., p. II-3305.
TPICE, 11 septembre 2002, Apharma Inc./Conseil, aff. T-70/99, Rec., p. II-3495.
TPICE, 5 juillet 2005, Luigi Marcuccio c. Commission, aff. T-9/04, Rec. Fonction
publique 2005, p. I-A-195 ; p. II-881.
TPICE, 6 septembre 2006, Bayer CropScience AG E.A. c/ Commission, aff. T-34/05 R.
Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), devenue Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE)
CJCE, 14 juillet 1983, Sandoz/Commission, aff. 174/82, Rec., p. 2445.
CJCE, 7 février 1985, Procureur c. association de défense des brûleurs d’huiles usagées,
aff. 240/83, Rec., p. 531.
CJCE, 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit « Réglementation allemande sur la
pureté de la bière », aff. 178/84, Rec., p. 1227.
CJCE, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, dit « bouteilles danoises », aff.
302/86 Rec., p. 4607.
515
CJCE, 13 mai 1990, Fedesa e.a., aff. C-331/88, Rec., p. I-4023.
CJCE, 9 juillet 1992, Commission c. Belgique, dit « déchets Wallons », aff. C-2/90, Rec., p.
I-4431.
CJCE, 24 novembre 1993, Établissements Mondiet c. Armements Islais, aff. C-405/92,
Rec., p. I-6133.
CJCE, 2 avril 1998, Stichting Greenpeace Council c. Commission, aff C-321/95, Rec. 1998,
p. I-1651.
CJCE, 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Commission, dit « ESB », aff. C-180/96, Rec., p. I-
2265.
CJCE, 5 mai 1998, National Farmer’sUnion, aff. C-157/96, Rec., p. I-2211.
CJCE, 28 mai 1998, John Deere c. Commission, aff. C-7/95P, Rec., p. I-3111.
CJCE, 23 novembre 1999, Portugal c. Conseil, aff. C-149/96, Rec., p. I-8395.
CJCE, 21 mars 2000, Association Greenpeace France, aff. C-6/99, Rec., p. I-1651.
CJCE, 11 Juillet 2000, Toolex, aff. C-473/98, Rec., p. I-5681.
CJCE, 9 octobre 2001, Pays-Bas c. Parlement et Conseil, aff. C-377/98, Rec., p. I-7079.
CJCE, 30 septembre 2003, Biret International c. Conseil, aff. C-93/02, Rec., p. I-10497.
CJCE, 12 décembre 2006, Autosalone Ispra Snc c/ CEEA, aff. C-129/06 P, Rec., p. I-131.
CJCE, 9 septembre 2013, Monsanto Agricoltura Italia, aff. C-236/01, Rec., p. I-8105.
III. Arbitrages internationaux
Georges Pinson (France) c. United Mexican States, French-Mexican Claims Commission,
Decision no 1, 19 October 1928, RSA, p. 422.
Tecnicas Medio ambientales Tecmed S.A. c. The United Mexican States, ICSID/ARB
(AF)/00/2, Award, 29 May 2003.
Azurix corp. c. The Argentine Republic, ICSID/ARB/01/12, Award, 14 July 2006.
Phoenix Action Ltd c. The Czech Republic, ICSID/ARB/06/5, Award, 15 April 2009.
Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi
Universal, S.A. c. The Argentine Republic, ICSID/ARB/03/19, 30 July 2010.
Spyridon Roussalis c. Romania, ICSID/ARB/06/1, Award, 7 December 2011.
Grand River Enterprises Six Nation, Ltd., et al. c. United States of America,
NAFTA/UNCITRAL arbitration, Award, 12 January 2011.
516
517
INDEX ALPHABÉTIQUE
(les nombres renvoient aux numéros de paragraphe pertinents)
A
Accord général : (v. GATT)
Accords de Marrakech : 4, 7.
Accord OTC :
- Champ d’application : 10, 202 s.
- Régime OTC : 225 s, 104.
- Art. 2.1 : 225 s, 129.
- Art. 2.2 : 225-228, 104.
- Art. 2.4 : 331 s, 344 s, 126.
- Annexe 1 : 202 s, 332 s.
Accord SPS :
- Champ d’application : 195 s.
- Régime SPS : 210 s.
- Art. 2.1 : 103.
- Art. 2.2 : 221.
- Art. 2.3 : 222-223.
- Art. 3 : 121-124.
- Art. 5.1 : 121-124, 130-133, 138, 169-
171, 212-221.
- Art. 5.6 : 223.
- Art. 5.7 : 134-0, 165, 216-219, 269-
271.
- Art. 8 : 166, 197.
- Annexe A : 195-196, 199, 201, 214,
218, 330, 336.
- Annexe C : 166, 197.
Accords de libre-échange : 17.
Accord économique et commercial
(CETA) : (v. Accords de libre-échange)
Accord sur le Commerce des Services
(ACS) : (v. Accords de libre-échange)
Accordéon de la similarité : (v. Similarité)
Action normative : 14, 161.
Aguas Argentinas : 375.
Alien Tort Statut : 388.
Apharma : 282.
Amiante : 73-0, 202-204, 284, 297, 378,
380-381.
Amicus curiae : 372-381.
Australie – Saumons : (v. Saumons)
Australie – Pommes : (v. Pommes)
Arbitrage : (v. CIRDI/ICSID)
Artegodan : 265, 304, 369.
Autosalone : 288.
Avis scientifiques minoritaires : 132-133,
164, 171.
Azévédo (Roberto) : 16.
Azurix : 349.
B
Bananes : 361, 368.
Bayer CropScience : 288.
Biotechnologies : (v. OGM)
Biret : 387.
Bouteilles danoises : 31, 220.
C
Canada – Hormones II : (v. Hormones II)
Censure (des Groupes spéciaux) : (v.
Organe d’appel)
Cigarettes aux clous de girofle : 116, 167,
227, 230-231.
Champs d’application : (v. GATT,
Accord SPS, Accord OTC)
Charte de la Havane : 2,6.
Chine – Matières premières : (v.
Matières premières)
Chine – Terres rares : (v. Terres rares)
CIRDI/ICSID : (v. Pinson, Tecmed,
Azurix, Phoenix, Aguas Argentinas,
Roussalis, Grand River Enterprises)
CJCE/CJUE : (v. Biret, Artegodan, Pfizer,
Apharma, Bayer CropScience, Luigi
Marcuccio, Huiles usagées,
Réglementation allemande sur la pureté de
la bière, Bouteilles danoises, Déchets
Wallons, Greenpeace, National Farmer’s
Union, John Deere, Greenpeace, Toolex,
Monsanto, Autosalone)
CE – Hormones I : (v. Hormones I)
CE – Hormones II : (v. Hormones II)
CE – Sardines : (v. Sardines)
CE – OGM : (v. OGM)
Codex alimentarius : 121, 126, 250, 259,
291, 314, 325, 330, 337, 339.
- Alinorm 91/31 et 93/31 : 121, 250,
325, 331, 335.
- Codex Stan 94 : 128, 325, 335, 344 s.
Cohérence (principe de) : 222.
Conciliation : 31, 66, 322.
Convention de Lomé : (v. Bananes)
Convention de Vienne : 40-41, 60, 352-
359, 370-371.
Convention internationale pour la
protection des végétaux (CIPV) : 103,
325, 330.
Crevettes : 52-72.
518
Cycle de l’Uruguay : 3-4.
Cycle de Doha : 16.
D
Déchets Wallons : 78.
Déclaration concordante : 87-89.
(v. aussi opinion séparée)
Développement durable : 7, 21, 49, 64-
66, 362.
De Schutter (Olivier) : 7.
Droits autonomes : 120-124, 261-262,
269-0.
Droit de choisir son propre niveau de
protection : 94-95, 119 s, 210-211, 223,
261-264, 285, 341-343, 359.
Droit d’adopter des mesures
provisoires : 134 s, 165, 210, 216, 218-
219.
E
États-Unis – Cigarettes aux clous de
girofle : (v. Cigarettes aux clous de girofle)
États-Unis – Crevettes : (v. Crevettes)
États-Unis – EPO : (v. EPO)
États-Unis – Essence : (v. Essence)
États-Unis – Hormones II : (v. Hormones
II)
États-Unis – Section 301 : (v. Section 301)
États-Unis – Thons II : (v. Thons II)
États-Unis – Volaille : (v. Volaille)
Évaluation des risques : 107-113, 123-
124, 273-274.
- Examen de l’ – : 183, 188-189, 211-
219, 220-222, 282-284. (v. aussi
Groupes spéciaux)
- Impossible : 134-142. (v. aussi Preuve)
- Lien avec la mesure SPS : 164.
- Obligation d’ – : 130-134.
- Présomptions attachées à l’ – : 170-
171.
Économie jurisprudentielle (principe
d’) : 91-92, 160.
EPO : 118, 227-228, 231.
Essence : 31-51, 185, 202, 267, 299, 350,
354, 376.
Évocation (pouvoir d’) : (v. Organe
d’appel)
Exceptions générales : (v. GATT Art. XX)
Exceptions spéciales : (v. Accord SPS,
Accord OTC)
Expertise :
- Scientifique : 288-290, 294-295, 307.
- Judiciaire : 286-288, 294-296.
- Individuelle : 291, 293.
- Pluraliste : 292.
G
GATT : - Art. III : 34-35, 44, 73-75, 77-89, 116,
167, 225, 230-231.
- Art. XX b) : 9, 74, 83, 94-97.
- Art. XX g) : 31-32, 35-36, 42-72, 362.
- de 1947 : 3, 243, 289, 360, 376.
Greenpeace : 283, 378.
Grand River Enterprises : 349.
Groupes spéciaux (mandat des)
- Pouvoir souverain d’appréciation :
274-281. (v. aussi preuves)
- Obligation d’évaluation objective des
faits : 176-183, 301-0.
H
Harmonisation : 132, 194, 324-0.
Hormones I : 107, 121-124, 125-131,
144-147, 164, 177-178, 213, 222, 250,
284-285, 291, 304, 306, 309-311, 325,
340-343, 359, 371, 387.
Hormones II : 107, 135-142, 148, 173,
183, 189, 271, 284-285, 304, 307, 314,
317.
Huiles usagées : 31.
I
Incertitude :
- Judiciaire : 265.
- Matérielle : 157-173.
- Procédurale : 174-189.
- Scientifique : 132, 146-149, 219, 240,
259, 264-265, 292, 297. (v. aussi
Principe de précaution)
Insuffisance de preuves (v. preuve)
Intégration : 76, 351, 19.
Interprétation :
- Évolutive : 61-63, 356, 362.
- Extensive : 43-47, 63, 194-207, 290,
331-332.
- Méthode d’ – : 353-359.
- Restrictive : 42, 49, 51, 72, 131-132,
137, 139, 143, 175-177, 209, 232, 237,
361, 368.
Isolation clinique : 40, 322, 350, 354.
519
J
Japon – Produits agricoles II : (v.
Produits agricoles II)
Japon – Pommes : (v. Pommes)
John Deere : 310.
Jurisprudence : 14-15, 41.
Justification scientifique : (v. évaluation
des risques)
L
Lascaux (Programme) : 2, 6, 19, 49.
Lamy (Pascal) : 7.
Luigi Marcuccio : 288.
M
Matières premières : 99, 192, 232.
Mémorandum d’accord :
- Art. 3.2 : 14, 159, 161, 318, 350, 353,
355.
- Art. 11 : 175-183, 278-279, 281, 285,
301-311, 314.
Mesures provisoires : 134-0, 216-219.
Mesures SPS :
- Conditions de qualification : 195-201.
Mise en conformité : 55, 107, 172-173,
183, 271.
Monsanto : 265.
N
National Farmer’sUnion : 265.
Nécessité (principe de) : 221.
Non-discrimination (principe de) : 6,
227-232.
Non-lieu : (v. Organe d’appel)
Non-similarité : (v. similarité)
Normativité : 327 s.
O
Objectif légitime : 104, 118, 167, 225-
232.
Office internationale des épizooties
(OIE) : 103, 330, 336-337.
OGM : 111, 135-142, 147-150, 166, 197,
216-218, 253, 270, 284, 369-371, 378.
Opinion séparée : 207.
(v. aussi Déclaration concordante)
Organe d’appel :
- Censure (des Groupes spéciaux) :
176-183, 308-311.
- Évocation (pouvoir d’) : 46-47, 59,
184-189.
- Non-lieu : 188-189, 318-0.
- Régularité de la procédure (principe
de) : 313 s.
- Renvoi (pouvoir de) : 300, 318.
Organisation Internationale du Comme
(OIC) : (v. Charte de La Havane)
Organisation mondiale de la santé
animale : (v. Office internationale des
épizooties)
OTC : (v. Accord OTC, Règlement
technique)
P
Pfizer : 212, 265, 282, 304.
Phoenix : 349.
Pinson : 349.
Phoques : 99, 192, 207.
Pommes (Japon) : 110, 215-219, 221,
254.
Pommes (Australie) : 112, 182, 199, 201,
215, 222, 285, 325.
Pouvoir d’évocation : (v. Organe d’appel)
Pouvoir de renvoi : (v. Organe d’appel)
Pragmatisme : 38-39, 157-161, 255-257,
279.
Précaution (principe de) :
- Autonomie (refus d’) : 348, 369-371.
- Expertise et – : 286.
- Modalités procédurales : 259, 265.
- Neutralisation : 146-150.
- Reconnaissance de la notion : 143-
145.
(v. aussi Incertitudes)
Présomption :
- De bonne foi : 249, 271.
- De mauvaise foi : 49-50, 169-173,
266-271.
Preuve
- Administration de la – : 286 s.
- Appréciation des éléments de – : 273s.
- Charge de la – : 242 s.
- Renversement de la – : 86, 123, 128,
258.
- Diabolique : 268.
- Insuffisance de – (scientifique) : 134 s,
spéc. 139-142, 146, 216, 264
- Objet de la – : 49, 120, 244, 246 s,
263.
- Prima facie : 242 s.
- Risque de la – : 242 s.
Principe d’économie jurisprudentielle :
(v. Économie jurisprudentielle)
520
Principe de cohérence : (v. Cohérence)
Principe de nécessité : (v. Nécessité)
Principe de non-discrimination : (v.
Non-discrimination)
Principe de proportionnalité : (v.
Proportionnalité)
Principe de régularité de la procédure :
(v. Organe d’appel)
Procédure (nature de la) : 276, 282, 284-
285, 294, 296, 298.
Produits agricoles II : 109, 137, 140, 165,
179, 186, 221, 250, 284-285, 296-298, 309.
Produits similaires : (v. Similarité)
Programme Lascaux : (v. Lascaux)
Proportionnalité (principe de) : 223.
Protectionnisme (déguisé) : 71, 209.
R
Reconnaissance (de normes externes) :
321s.
Règlements techniques :
- conditions de qualification : 202 s.
(v. aussi Accord OTC)
Régularité de la procédure (principe
de) : (v. Organe d’appel)
Règlement ROC : 382 s.
Réglementation allemande sur la pureté
de la bière : 282.
Renvoi (pouvoir de) : (v. Organe d’appel)
Ressources naturelles épuisables : 32 s.,
61-63, 362.
Roussalis : 349.
Risque :
- Avéré : 103, 141, 224, 370.
- Incertain : (v. Incertitude)
- Zéro : 121.
S
Sardines : 115, 125 s, 202 s, 249, 325 s,
344 s, 378, 381.
Saumons : 108, 160, 170, 186, 188, 214,
222-223, 285, 305, 330, 337, 378, 381.
Sécurité alimentaire : 2, 6, 7, 11, 19, 106,
0, 392-393.
Section 301 : 382 s.
Similarité : 77 s.
- Accordéon de la – :167.
- Appréciation économique de la – : 81
s, 229 s.
Sœurs : (v. Codex alimentarius,
Convention internationale pour la
protection des végétaux, Office
internationale des épizooties)
Soft Law : (v. standards techniques
internationaux)
Société civile :
- Mécanismes internes de traitement
des plaintes privées : 382 s.
- (v. Amicus curiae)
SPS : (v. Accord SPS, Mesures SPS)
Standards techniques internationaux :
324s.
- Caractère obligatoire : 338 s.
- Conditions de qualification : 328 s.
- Entités édictrices : 329 s.
- Modalités d’élaboration : 333 s.
- Normes internationales pertinentes :
331 s.
T
Tecmed : 349.
Terres rares : 99, 192.
Thons II : 117, 182, 186, 206-207, 227,
231, 332, 378.
Trade in Services Agreement (TiSA) : (v.
Accords de libre-échange)
Traité de libre-échange Transatlantique
(TAFTA) : (v. Accords de libre-échange)
Toolex : 265.
U
Unilatéralisme : 36, 55, 57, 70-71, 382-
385.
Union européenne : (v. CJCE/CJUE)
V
Vérité : (v. Incertitude)
Volaille : 113, 185, 222-223, 367.
521
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements ........................................................................................................................... 1
Sommaire ................................................................................................................................... 3
Principales abréviations .............................................................................................................. 5
Introduction .............................................................................................................................. 11
PREMIÈRE PARTIE. L’APPARENTE EFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES ................................................................... 45
TITRE I L’effectivité formelle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC ............. 49
CHAPITRE 1. Une application limitée des exceptions environnementales et sanitaires sur le
fondement de l’article XX du GATT .............................................................................................. 51
SECTION 1. L’application limitée de l’exception environnementale ....................................................... 53
La consécration théorique d’une exception environnementale par le rapport Essence ............. 54 § 1.
L’amorce d’une juridicité du système de règlement des différends ......................................... 58 A.
1. L’adoption ostensible d’une démarche juridique ................................................................ 58
2. Le positionnement du droit de l’OMC dans le droit international général ......................... 60
Une interprétation restrictive de l’article XX g) du GATT ...................................................... 62 B.
1. L’interprétation extensive de la justification provisoire de la mesure ................................ 63
2. La condition de bonne foi, garde-fou du commerce international ..................................... 66
La mise en œuvre de l’exception environnementale par l’affaire Crevettes – Tortues ............. 70 § 2.
La justification provisoire attendue de la mesure au regard de son objectif environnemental . 74 A.
1. L’interprétation évolutive de la notion de « ressources naturelles épuisables » ................ 77
2. La mention des objectifs de développement durable et de protection de l’environnement .
............................................................................................................................................. 79
La justification effective surprenante de la mesure au regard de ses modalités d’application.. 83 B.
1. La vérification des efforts de coopération internationale ................................................... 84
2. La vérification d’une flexibilité suffisante dans la poursuite de l’objectif environnemental85
SECTION 2. L’application limitée de l’exception sanitaire par le rapport Amiante ................................. 89
Une adaptation ambiguë du test de similarité aux particularités de l’amiante .......................... 92 § 1.
Une intégration inédite de la dangerosité au test de similarité ................................................. 93 A.
1. La reprise de la figure de l’accordéon de la similarité ......................................................... 94
2. L’intégration du critère de dangerosité dans l’appréciation de la similarité ....................... 95
3. L’inversement apparent du paradigme santé-commerce ................................................... 98
Une appréciation économique de la dangerosité ...................................................................... 99 B.
La confirmation de la décision par l’application de l’exception ............................................. 102 § 2.
L’inutilité de la confirmation .................................................................................................. 103 A.
522
Une consécration commode .................................................................................................... 105 B.
CHAPITRE 2. Une consécration formelle de droits environnementaux et sanitaires sur le
fondement des Accords SPS et OTC ............................................................................................. 111
SECTION 1. Le cadre général des affaires SPS et OTC ......................................................................... 112
Le cadre textuel des Accord SPS et OTC ............................................................................... 113 § 1.
Aperçu des affaires SPS et OTC ............................................................................................. 115 § 2.
Les affaires SPS ...................................................................................................................... 116 A.
Les affaires OTC .................................................................................................................... 125 B.
SECTION 2. La consécration du droit des États Membres de choisir leur propre niveau de protection .......
........................................................................................................................................... 130
La consécration de l’autonomie du droit des États membres de choisir leur propre niveau de § 1.
protection .............................................................................................................................................. 131
La consécration d’un droit autonome dans le rapport Hormones I ......................................... 132 A.
La reprise de la jurisprudence SPS dans les affaires OTC ...................................................... 136 B.
L’assouplissement des conditions d’exercice du droit des États membres de choisir leur propre § 2.
niveau de protection .............................................................................................................................. 139
L’infirmation de la dichotomie entre évaluation et gestion des risques .................................. 140 A.
La prise en compte des avis scientifiques minoritaires ........................................................... 143 B.
SECTION 3. La consécration du droit d’adopter des mesures provisoires en cas d’insuffisance de preuves
scientifiques ........................................................................................................................................... 146
L'évolution formelle de l'article 5.7 de l'Accord SPS ............................................................. 147 § 1.
L’évolution formelle du statut de l’article 5.7 de l’Accord SPS ............................................. 148 A.
L’évolution de la condition d’insuffisance de preuves scientifiques ...................................... 152 B.
L'insertion formelle de la notion de principe de précaution dans le droit de l'OMC .............. 155 § 2.
Une prise en compte formelle du principe de précaution ....................................................... 157 A.
Une neutralisation substantielle du principe de précaution ? .................................................. 160 B.
TITRE II L’ineffectivité substantielle des exceptions dans la jurisprudence de l’OMC 169
CHAPITRE 1. Une ineffectivité fondée sur les faits des espèces des différends ..................... 171
SECTION 1. Les incertitudes matérielles entrainant une ineffectivité conjoncturelle ............................ 172
L’entretien d’un dogme casuistique........................................................................................ 173 § 1.
La limitation de la portée juridique des solutions ................................................................... 173 A.
L’entretien d’incertitudes matérielles variables selon les circonstances de l’espèce .............. 176 B.
1. Les incertitudes matérielles résultant de l’interprétation de l’Accord SPS ....................... 176
2. Les incertitudes matérielles résultant de l’interprétation de l’Accord OTC ...................... 180
Un dogme permettant la mise en place implicite de présomptions d’incompatibilité avec le § 2.
droit de l’OMC ....................................................................................................................... 183
Les présomptions issues de l’obligation d’évaluation des risques .......................................... 183 A.
Une présomption de non mise en conformité ......................................................................... 187 B.
SECTION 2. Les incertitudes procédurales entrainant une ineffectivité conjoncturelle ......................... 190
523
L’incertain contrôle par l’Organe d’appel du respect de son mandat par le Groupe spécial .. 190 § 1.
Un seuil de censure initialement inatteignable ....................................................................... 191 A.
Une évolution incertaine du seuil de censure ......................................................................... 194 B.
L’incertaine étendue du pouvoir d’évocation de l’Organe d’appel ........................................ 198 § 2.
Une pratique confirmée de l’usage extensif par l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation ... A.
................................................................................................................................................ 199
Les cas de refus d’usage par l’Organe d’appel de son pouvoir d’évocation ........................... 201 B.
CHAPITRE 2. Une ineffectivité fondée sur les Accords SPS et OTC ....................................... 209
SECTION 1. Une ineffectivité permise par l’interprétation extensive du champ d’application des Accords
SPS et OTC ........................................................................................................................................... 210
La qualification extensive des mesures SPS ........................................................................... 211 § 1.
L’interprétation extensive du critère formel ........................................................................... 212 A.
L’interprétation extensive du critère matériel ......................................................................... 215 B.
La qualification extensive des règlements techniques ............................................................ 219 § 2.
L’application cohérente des deux premiers critères de qualification dans l’affaire Sardines . 220 A.
L’application discutable du troisième critère de qualification dans l’affaire Thons II ........... 222 B.
SECTION 2. Une ineffectivité révélée par l’incompatibilité des mesures litigieuses avec les régimes SPS
et OTC ........................................................................................................................................... 226
L’incompatibilité des mesures SPS avec le régime SPS ........................................................ 228 § 1.
L’incompatibilité des mesures SPS avec la condition d’évaluation des risques ..................... 228 A.
1. La non-conformité des évaluations concluant à l’existence d’un risque ........................... 230
2. La non-conformité des mesures SPS avec les évaluations concluant à l’absence de risque ...
........................................................................................................................................... 234
L’incompatibilité des mesures SPS avec les principes complémentaires ............................... 237 B.
L’incompatibilité des règlements techniques avec le régime OTC ........................................ 243 § 2.
Des règlements techniques contribuant à atteindre des « objectifs légitimes » ...................... 244 A.
L’incompatibilité des règlements techniques avec le principe général de non-discrimination ..... B.
................................................................................................................................................ 248
524
DEUXIÈME PARTIE. LES CAUSES DE L’INEFFECTIVITÉ DES EXCEPTIONS
ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES ................................................................. 261
TITRE I La neutralisation des exceptions par l’interprétation prétorienne des règles
probatoires ............................................................................................................................ 265
CHAPITRE 1. Une neutralisation au regard de la répartition de la charge probatoire ........ 269
SECTION 1. La légèreté de la preuve prima facie à la charge du plaignant ........................................... 272
L’incertaine nature du prima facie case : entre charge et objet de la preuve ......................... 273 § 1.
Une présomption théorique de compatibilité des mesures nationales .................................... 276 A.
La réalité d’un standard de preuve prima facie peu élevé....................................................... 280 B.
Le prima facie case, ou l’absence de réelle charge probatoire ................................................ 286 § 2.
L’origine pragmatique de la règle du prima facie case ........................................................... 286 A.
Le prima facie case, refus procédural d’une approche de précaution ..................................... 290 B.
SECTION 2. La lourdeur de la réfutation de la présomption à la charge du défendeur .......................... 293
La réfutation fondée sur un droit autonome ............................................................................ 294 § 1.
L’impossible exercice du droit de choisir son propre niveau de protection ........................... 295 A.
L’impasse d’une charge probatoire constituée par l’exigence de certitude scientifique ......... 298 B.
La réfutation fondée sur une exception .................................................................................. 302 § 2.
La charge probatoire diabolique de l’article XX du GATT .................................................... 303 A.
La persistance de la présomption de protectionnisme : exemple de l’article 5.7 de l’Accord B.
SPS ................................................................................................................................................ 305
CHAPITRE 2. Une neutralisation au regard de la répartition des compétences en matière
d’appréciation des éléments de preuve ............................................................. 311
SECTION 1. Des éléments de preuve appréciés souverainement par les Groupes spéciaux .................. 313
La toute-puissance des panels dans l’appréciation des éléments de preuve ........................... 317 § 1.
L’exclusivité des panels dans l’appréciation des preuves ....................................................... 317 A.
L’étendue du pouvoir des panels dans l’appréciation des preuves ......................................... 320 B.
L’usage extensif par les panels de leur liberté d’investigation ............................................... 322 § 2.
Une politique d’investigation croissante ................................................................................ 323 A.
L’expertise, mode privilégié d’administration de la preuve ................................................... 329 B.
1. Le recours à des experts individuels .................................................................................. 331
2. Un usage intrusif de l’expertise ......................................................................................... 336
SECTION 2. Une appréciation contrôlée a minima par l’Organe d’appel .............................................. 340
Le paradoxe du contrôle de l’obligation d’évaluation objective des faits .............................. 343 § 1.
Entre examen de novo et déférence raisonnable ..................................................................... 344 A.
1. Le refus de la déférence .................................................................................................... 345
2. La condamnation des examens de novo............................................................................ 348
L’incertain contenu de l’obligation d’évaluation objective des faits ...................................... 350 B.
1. L’interprétation positive : l’extension du pouvoir des panels ........................................... 350
525
2. L’interprétation négative : l’exigence d’une preuve intentionnelle .................................. 351
3. Le seul contrôle possible : l’erreur fondamentale ............................................................. 353
La faiblesse des limites posées par l’Organe d’appel ............................................................. 354 § 2.
L’élaboration d’un principe de régularité de la procédure à l’effectivité incertaine ............... 355 A.
Une volonté pédagogique de « contrainte jurisprudentielle »................................................. 358 B.
TITRE II La neutralisation des exceptions par la reconnaissance sélective des normes
externes au droit de l’OMC ............................................................................... 369
CHAPITRE 1. La reconnaissance des standards techniques internationaux ......................... 373
SECTION 1. Le laxisme des conditions de qualification des « standards techniques internationaux ». . 375
La large acception des entités édictrices de standards techniques internationaux pertinents ....... § 1.
................................................................................................................................................ 376
La référence aux « trois sœurs » dans l’Accord SPS .............................................................. 376 A.
L’interprétation extensive des « normes internationales pertinentes » de l’Accord OTC ...... 378 B.
L’absence de condition de qualification relative aux modalités d’élaboration du standard ... 382 § 2.
L’indifférence des modalités d’élaboration des standards dans le cadre de l’Accord OTC ... 382 A.
L’indifférence des modalités d’élaboration des standards dans le cadre de l’Accord SPS ..... 385 B.
SECTION 2. Le caractère effectivement obligatoire des standards techniques internationaux .............. 386
Le rôle du juge dans la reconnaissance du caractère contraignant des standards techniques§ 1.
internationaux ......................................................................................................................... 387
L’affaire Hormones I : l’exigence de « conformité » des mesures SPS aux standards techniques § 2.
internationaux ....................................................................................................................................... 391
L’assimilation par le Groupe spécial des mesures « basées sur » et « conformes à » ............ 391 A.
La distinction de l’Organe d’appel entre les mesures « basées sur » et « conformes à » ....... 393 B.
L’affaire Sardines : l’incompatibilité des règlements « contradictoires » .............................. 395 § 3.
La tentative de définition d’une « base » par le Groupe spécial ............................................. 396 A.
Le refus de définition de l’Organe d’appel ............................................................................. 397 B.
CHAPITRE 2. Le refus de reconnaissance des règles internationales externes au droit de
l’OMC .............................................................................................................................. 403
SECTION 1. Le cantonnement du Droit international à une fonction interprétative .............................. 405
La fonction interprétative du droit international public .......................................................... 407 § 1.
Des méthodes interprétatives fondées sur les principes codifiés par la Convention de Vienne.... A.
................................................................................................................................................ 408
La volonté ostensible de systématisation de la démarche d’interprétation ..................... 409 1.
La marge de manœuvre interprétative conservée par l’Organe d’appel .......................... 412 2.
L’interprétation du droit de l’OMC à la lumière de règles substantielles du droit international B.
public ...................................................................................................................................... 416
L’affaire Bananes : l’interprétation de la dérogation au regard de la Convention de Lomé ... 1.
........................................................................................................................................... 416
526
L’affaire Crevettes : une interprétation évolutive de l’article XX g) au regard du droit2.
international de l’environnement...................................................................................... 418
Le refus d’autonomie du droit international au sein du droit de l’OMC ................................ 421 § 2.
Le refus d’autonomie des conventions internationales extérieures au système OMC ............ 424 A.
L’affaire Textiles : Le refus d’autonomie d’un accord entre un État membre et une autre1.
organisation internationale ............................................................................................... 425
L’affaire Volailles : Le refus d’autonomie d’un accord bilatéral extérieur au droit de l’OMC . 2.
........................................................................................................................................... 426
L’affaire Bananes : le refus d’autonomie d’un accord plurilatéral extérieur au droit de3.
l’OMC ................................................................................................................................. 429
Le refus d’autonomie du principe de précaution en droit de l’OMC ...................................... 431 B.
Une interprétation isolationniste refusant la prise en compte du droit international1.
conventionnel .................................................................................................................... 432
L’impasse du droit international général ........................................................................... 434 2.
SECTION 2. L’ineffective participation de la société civile au système de règlement des différends ... 436
L’impact effectivement limité des mémoires d’Amicus curiae .............................................. 437 § 1.
L’acceptation de principe des mémoires d’Amicus curiae ..................................................... 440 A.
La non-prise en compte des mémoires d’amicus curiae ......................................................... 446 B.
L’inaccessibilité des mécanismes internes de traitement des plaintes privées aux acteurs§ 2.
porteurs d’intérêts environnementaux et sanitaires ................................................................ 451
L’affaire États-Unis – Article 301, Loi sur le commerce extérieur : la légitimation desA.
mécanismes internes de traitement des plaintes privées ......................................................... 453
Des mécanismes de régulation tributaires du volontarisme des juges .................................... 456 B.
Conclusion générale ............................................................................................................... 469
Bibliographie .......................................................................................................................... 475
Principales décisions .............................................................................................................. 509
Index alphabétique ................................................................................................................. 517
Table des matières .................................................................................................................. 521