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Discours de Thierry ROLANDO
Président National du Cercle Algérianiste
Inauguration du Centre de Documentation des Français d’Algérie
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Perpignan - Dimanche 29 janvier 2012
« Vous pouvez arracher l’homme de son pays, mais vous ne pouvez arracher son
pays au cœur de l’homme »
Quelle plus belle formule que celle de l’écrivain John DOS PASSOS pourrait mieux
s’appliquer à ce peuple, creuset de toutes les racines méditerranéennes, qui avait tout
donné pour forger cette terre qui était la sienne et fût, il y a 50 ans déjà, arraché à sa terre
d’origine, ce peuple au destin brisé, à l’histoire interrompue.
Déracinés, éclatés, éparpillés dans une métropole qui bien souvent ne voulait pas
d’eux, les français d’Algérie ont dû tout recommencer, surmonter cette douleur
immarcescible qui ne disparaitra qu’avec leur dernier souffle, se forger une nouvelle
identité dans l’exil pour devenir les hommes de deux enracinements, de deux terres, sans
que jamais la terre de regret ne fasse de la seconde une terre de refus, une terre de reclus.
Oui, les Pieds Noirs, qui après avoir tout quitté, après avoir laissé là-bas, les
bonheurs d’enfance, la mémoire familiale jusqu’aux tombes des plus proches, derniers
vestiges de leur présence, ont su se redresser, se rappeler à la vie, surmonter les premiers
moments de déréliction, de colère et de désespoir sans jamais rien oublier.
Dans cette recherche d’une seconde patrie, Perpignan avec d’autres, plus que
d’autres peut-être, nous a tendu la main et son soutien, sa compassion, sa compréhension
du drame vécu, ne nous ont jamais fait défaut.
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Perpignan, où aujourd’hui bat l’âme de notre communauté toujours meurtrie, a su
trouver les mots et accomplir les gestes symboliques.
Paul ALDUY, Jean-Paul après lui et aujourd’hui Jean-Marc PUJOL, ont su donner,
pendant que d’autres voulaient nous rejeter à la mer, ont su nous tendre la main, enjamber
la norme pour nous parler de cœur à cœur.
L’inauguration du Centre de Documentation des français d’Algérie est l’illustration
emblématique de cette compréhension.
Ce centre est le témoignage concret de la reconnaissance de Perpignan pour ce
qu’ont apporté les Pieds Noirs, pour leur vitalité créative.
Il nous invite à des déclinaisons multiples adressées à tous ceux qui, loin des
emprises idéologiques, cherchent à approcher la vérité de ce qu’a été l’histoire des français
d’Algérie, de cette histoire singulière d’un peuple, qui toujours fier de ses racines, n’a plus
désormais qu’une patrie virtuelle, une patrie sans territoire.
Le Centre de Documentation rassemble des éléments de réponses qui seront
toujours à affiner, dispose de jalons qui seront toujours à enrichir et a recueilli des
témoignages qui seront toujours à approfondir.
Le champ est vaste pour tous ceux qui voudront demain contribuer par leur
recherche à déchiffrer le mystère des français d’Algérie.
Il s’adresse aussi aux jeunes générations qui voudront comprendre ce que nous
avons été et ce que nous sommes aujourd’hui.
Mais ce centre à la vocation nationale est plus que cela encore, il est pour nous un
pan retrouvé du territoire perdu, le reflet de notre triple culture, celle de l’adversité,
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d’hommes qui ne se résignent jamais, celle d’une communauté unie dans le malheur qui a
su résister ensemble, celle aussi de la créativité d’un peuple qui a su trouver en lui-même
les ressources que nul ne lui a donné par ailleurs.
Ce centre est un lieu de mémoire qui est un lieu de vie, une part de notre pays
affectif, non pour préserver un orgueil mais pour préserver le domaine du cœur.
Il répond, enfin, à une autre symbolique forte puisqu’il est érigé à proximité du
mémorial que nous avons tous voulu, le mémorial dédié à ces fils et filles de la terre
d’Algérie, ces hommes, femmes et enfants innocents qui ont croisé un jour la haine sur
leur chemin, cette haine qui allait les conduire au martyre.
Oui, parce que notre histoire est faite aussi de sang et de larmes, nous avons
souhaité que ce haut lieu de mémoire douloureuse, désormais lieu de recueillement, de
témoignage et d’espérance, nous permette de retisser le lien indéfectible avec ceux qui
vécurent, il y a cinq décennies, l’innommable.
Ce mémorial a pour vocation de rappeler à la mémoire des hommes que l’histoire
ne saurait être hémiplégique, qu’il n’y a pas de peuple victimaire plus que d’autres, que
dans la guerre d’Algérie les souffrances sont partagées, que le martyre des nôtres en dépit
des dénégations et des manipulations a bien existé
Il est la manifestation de cette volonté de dire que nous n’accepterons jamais que les
bourreaux d’hier ou leurs supplétifs deviennent aujourd’hui les arbitres du bien fondé de
notre douleur, que la repentance de la France, hydre pernicieux ne saurait s’imposer au
nom de la réconciliation des peuples, que la négation du drame Pied Noir et Harki ne peut
s’imposer comme une vérité historique.
Oui, nous refusons et serons vigilants, en particulier, en cette année du
cinquantième anniversaire de notre dramatique exode à ce que l’Etat ne passe pas sous
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silence, le drame des français d’Algérie en instaurant le 19 mars comme date officielle, en
reconnaissant à la seule Algérie le droit de s’indigner, en continuant à financer des
productions cinématographiques et télévisuelles où seuls ceux, qui ont du sang sur les
mains et se sont servis du terrorisme au nom de la libération des peuples, auraient droit de
citer au détriment des victimes.
Oui, nous n’acceptons pas et n’accepterons jamais que les souffrances des uns
s’imposent à celles des autres parce que les français d’Algérie n’ont pas à subir la double
peine, celle de l’arrachement au pays natal et celle de la condamnation historique et
médiatique, Cheval de Troie, d’une repentance qui ne veut pas dire son nom.
Alors Monsieur le Ministre, vous dont nous connaissons le parcours et la sensibilité
particulière que vous nourrissez à l’égard des français d’Algérie, nous comptons sur votre
détermination et votre conviction pour rappeler à ceux qui l’auraient oublié que la
duplicité ne saurait être le moteur de l’action politique que les français d’Algérie sauront
reconnaitre leurs amis dont vous êtes, mais qu’ils sauront aussi reconnaitre ceux dont
l’insincérité est manifeste.
Nous saisissons cette occasion, ce grand moment d’émotion en présence de tous les
responsables de notre communauté pour vous dire que celle-ci, toujours blessée, meurtrie,
qui supporte au plus profond de son âme cette souffrance indicible de la perte de la terre
natale, est toujours fière de son passé, qu’elle revendique aujourd’hui plus que jamais les
racines qui sont les siennes.
Mais qu’elle attend aussi en tournant son regard et ses pensées vers ses frères et
sœurs laissés en terre d’Algérie, ceux victimes du 26 mars et du 5 juillet, du terrorisme et
des disparitions, nos compatriotes harkis massacrés dans des conditions innommables,
que la République au plus au sommet de l’Etat accomplisse enfin, le geste symbolique que
l’on attend d’elle, celui de la reconnaissance de nos souffrances, de l’abandon et de sa
responsabilité dans le drame qui fut le nôtre.
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C’est à ce prix là seulement que notre mémoire douloureuse pourra, enfin, être
apaisée.
Oui, en cette année 2012, plus qu’à aucun autre moment, les français d’Algérie
peuvent se retrouver dans cette belle formule prononcée par Charrette, généralissime des
armées vendéennes « Combattus toujours, battus souvent, abattus jamais ».
Que vive dans nos cœurs l’Algérie qui fut la nôtre, que vive dans nos cœurs
l’Algérie française.