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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MAI 2011 - N°432 // 87

Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected]

EXERCICE

Entreprise individuelle à responsabilité limitée

PrésentationLa loi du 15 juin 2010 a créé le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), ouvert aux professionnels libéraux depuis le 1er janvier 2011. Ce dispositif concerne tous les biologistes individuels qui ont désormais la faculté de déclarer les seuls biens qui seront saisissables par leurs créanciers profes-sionnels, sans création d’une personne morale nouvelle. C’est la consécration du patrimoine d’affectation et la mort du principe d’unicité du patrimoine : l’entre-preneur individuel à responsabilité limi-tée ne répond des dettes nées de son activité qu’à concurrence de la valeur du patrimoine qu’il lui a affecté.

Quels sont les avantages et les incon-vénients de ce nouveau statut, régi par les articles L.526-6 et suivants du code de commerce ? L’EIRL se caractérise par une grande simplicité de mise en œuvre : la constitution du patrimoine affecté résulte du simple dépôt d’une déclara-tion au registre de publicité légale auquel l’entrepreneur est tenu de s’immatricu-ler. « Ce patrimoine est composé de l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire », nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle (affectation obligatoire), ou utilisés pour l’exercice de cette activité (affectation facultative) (article L.526.-6 alinéa 2 du code de commerce). Les biens indivis ou com-muns peuvent également être affectés. L’affectation cesse par renonciation ou par décès. La transmission du patrimoine

affecté peut s’opérer par cession ou par succession. OSEO est entré dans le dispositif en s’engageant à garantir jusqu’à 70 % des crédits d’installation en contrepartie de quoi les banques ont pris l’engagement de ne pas exiger de garantie sur le patrimoine non affecté. L’EIRL bénéficie des dispositions rela-tives à la prévention des difficultés des entreprises : seul le patrimoine d’affec-tation est alors atteint par la procédure collective. Des sanctions sont naturelle-ment prévues : l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas d’omission de biens nécessaires à son activité professionnelle dans la déclaration d’affectation.

Le régime fiscal et comptable de l’EIRL, en l’état des textes et du projet d’ins-truction fiscale ouverts à la consulta-tion publique depuis le 22 février 2011, s’avère particulièrement contraignant.

D’un point de vue comptable, l’entrepre-neur individuel devra tenir une comptabi-lité propre au patrimoine affecté, établie selon les règles de la comptabilité com-merciale, distincte de sa comptabi-lité d’exercice. L’EIRL implique donc la tenue d’une comptabilité d’engagement par rapport à la comptabilité recettes/dépenses tenue dans le régime des bénéfices non commerciaux.

D’un point de vue fiscal, ce passage à une comptabilité d’engagement a pour corollaire la possibilité d’opter pour l’im-pôt sur les sociétés, ce qui est une inno-vation avantageuse.

Alors que l’EIRL n’est pas juridiquement une structure d’exercice avec création d’une personne morale nouvelle, l’ad-ministration fiscale la traite pourtant comme une personne fiscale distincte. L’administration fiscale considère que le choix de l’EIRL s’analyse en une ces-sation de l’entreprise individuelle suivi de la création d’une nouvelle entre-prise emportant taxation immédiate des créances acquises. Les biens figurant à l’actif du cabinet qui ne sont pas affec-tés à l’EIRL sont imposés. De même, les biens provenant du patrimoine privé et qui sont transférés dans le patri-moine professionnel peuvent entraîner la constatation d’une plus-value impo-sable. La taxation est également par-ticulièrement lourde en cas de cession de l’EIRL ou en cas de cessation d’ac-tivité. En effet, l’assimilation de l’EIRL à une EURL crée une situation défavo-rable à l’acquéreur, rendant plus difficile la cession d’une entreprise individuelle exploitée en EIRL. En l’état du projet d’instruction fiscale, le passage à l’EIRL est potentiellement risqué.

En fait, ce projet d’instruction fiscale rend ce nouveau dispositif difficilement appli-cable en l’état.

Extraits du projet d’instructionRégime juridique

L’entrepreneur individuel à responsabi-lité limitée reste propriétaire des biens qu’il a affectés à son activité profession-nelle ; ceux-ci constituent la garantie des créanciers intervenant dans le cadre pro-fessionnel et la responsabilité de l’entre-preneur est limitée à l’actif ainsi affecté. Ce régime est avant tout un régime juri-dique, qui existe et s’applique indépen-damment du régime fiscal applicable à l’entrepreneur individuel.

Le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est accessible quelle que soit la catégorie préalable d’imposition à l’impôt sur le revenu de l’entrepreneur individuel (bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux, bénéfices agricoles), qu’il soit imposé selon un régime réel d’imposition (normal ou simplifié) ou forfaitaire.

Tout entrepreneur individuel quelle que soit son activité – industrielle, commer-ciale, artisanale, libérale ou agricole – peut

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prétendre au statut d’entrepreneur indivi-duel à responsabilité limitée, qu’il débute son activité ou qu’il l’exerce déjà.

Composition du patrimoine affecté

Le patrimoine professionnel affecté à l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, ci-après « EIRL », est composé de deux catégories de biens.

Les biens, droits, obligations ou sûre-tés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont nécessaires à l’exer-cice de son activité professionnelle : l’en-semble de ces biens, droits, obligations ou sûretés font obligatoirement partie du patrimoine professionnel affecté à l’EIRL. Cette première catégorie de biens cor-respond aux biens affectés par nature à l’exercice de l’activité professionnelle, c’est-à-dire aux biens ne pouvant être utilisés que dans le cadre d’une telle acti-vité. Appartiennent notamment à cette première catégorie de biens, le fonds de commerce – qu’il soit exploité directe-ment ou donné en location-gérance – , les outils d’un artisan, le matériel agri-cole ou le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral.

Les biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle, sans pour autant y être nécessaires : l’entrepreneur indivi-duel peut les affecter, ou certains d’entre eux seulement, à son patrimoine pro-fessionnel. Cette seconde catégorie de biens correspond aux biens qui, n’étant pas affectés par nature à l’exercice de l’activité professionnelle, sont néanmoins utilisés dans le cadre de cette activité. Appartiennent notamment à cette se-conde catégorie de biens, ceux qui ont un usage mixte, professionnel et person-nel, tels qu’un véhicule personnel utilisé pour des trajets professionnels ou un im-meuble d’habitation au sein duquel a été aménagée une pièce pour l’exercice de l’activité professionnelle.

En revanche, les biens, droits, obligations ou sûretés qui ne sont ni nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle, ni utilisés pour l’exercice de celle-ci, ne peuvent être affectés au patrimoine professionnel.

Jusqu’au 31 décembre 2012, un entre-preneur individuel ne peut consti-tuer qu’un seul patrimoine affecté ; à compter du 1er janvier 2013, il peut en constituer plusieurs. Mais dans tous les

cas, un même bien, droit, obligation ou sûreté ne peut entrer dans la composi-tion que d’un seul patrimoine affecté, y compris lorsque ce bien est commun ou indivis.

Obligations déclaratives

La constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d’une déclaration effec-tuée :…pour les personnes qui ne sont pas tenues de s’immatriculer à un registre de publicité légale (principale-ment les professionnels libéraux), à un registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal.

Cette déclaration comporte un état des-criptif de la composition du patrimoine affecté (nature, qualité, quantité et valeur) et l’objet de l’activité profession-nelle exercée. En cas d’affectation de biens postérieurement à la constitu-tion du patrimoine affecté, une déclara-tion complémentaire est effectuée, sauf si ces biens sont des liquidités ou des biens meubles non communs ou indi-vis d’une valeur inférieure ou égale à un montant qui sera fixé par décret. Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une affec-tation initiale ou d’une affectation com-plémentaire, l’entrepreneur individuel attribue une valeur à chacun des biens, droits, obligations et sûretés composant le patrimoine affecté ; pour les biens autres que des liquidités, dont la valeur déclarée est supérieure à un montant fixé par décret, cette valeur est déter-minée selon une procédure particulière d’évaluation prévue, au vu d’un rapport établi par un commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité ou, pour les immeubles, un notaire désigné par l’entrepreneur individuel, qui reste néan-moins libre de déclarer une valeur diffé-rente de celle figurant dans le rapport.

Obligations comptables

Dès lors qu’il constitue un patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel doit, en application de l’article L. 526-13 du code de commerce, tenir une comp-tabilité propre à ce patrimoine affecté, établie selon les règles de la comptabi-lité commerciale. Cette comptabilité est déposée chaque année au registre où il s’est déclaré, et ce quand bien même son activité n’aurait pas relevé des règles de la comptabilité commerciale en l’absence

Cette comptabilité est propre à l’EIRL : lorsque l’entrepreneur dispose à la fois d’une EIRL et d’une entreprise indivi-duelle pour laquelle il tient également une comptabilité commerciale, il doit tenir une comptabilité distincte pour chacune de ses deux entreprises.

Régime fiscalL’article 1655 sexies du CGI pose le principe de l’assimilation, sur le plan fiscal, de l’EIRL à une entreprise uniper-sonnelle à responsabilité limitée (EURL) dont l’associé unique serait l’entrepre-neur individuel ayant constitué le patri-moine affecté.

Cette assimilation n’est pratiquée, cependant, que dans les cas où l’EIRL relève d’un régime réel d’imposition (normal ou simplifié). Il en résulte que, sur le seul plan fiscal, l’EIRL est répu-tée constituer une personne morale dis-tincte de l’entrepreneur individuel qui l’a constituée : dès lors, par assimilation, le passage d’un bien du patrimoine non affecté au patrimoine affecté doit être traité comme une cession ou un apport ; par assimilation également, le retrait de liquidités du patrimoine affecté doit être traité comme un salaire ou une distribu-tion de dividendes.

Régime d’imposition (EIRL relevant d’un régime réel d’imposition)

Du fait de son assimilation, sur le plan fiscal, à une EURL, l’EIRL soumise à un régime réel d’imposition est imposée comme une société de personnes, dans les conditions prévues à l’article 8 du CGI.

Les résultats de l’EIRL sont ainsi en prin-cipe imposés à l’impôt sur le revenu au nom de l’entrepreneur individuel qui l’a constituée, dans la catégorie des béné-fices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles suivant la nature de l’activité exercée. Le fait que l’EIRL soit soumise à une obligation de tenue de comptes est sans incidence sur la détermination de son résultat imposable : lorsque l’activité relève de la catégorie des bénéfices non commerciaux, le résul-tat imposable doit être déterminé selon les règles de la comptabilité de caisse et dans les conditions et limites posées par les articles 92 et suivants du CGI, quand bien même cette activité ferait par ailleurs l’objet d’un suivi selon les règles de la comptabilité d’engagement.

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socialDROIT I GESTION I SOCIAL I PATRIMOINE I TEXTES JURIDIQUES I ECHOS PARLEMENTAIRES

Comme pour tout entrepreneur individuel ou associé de société de personnes, les rémunérations ou appointements que l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée s’attribue ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de l’EIRL.

Dès lors qu’elle est assimilée, sur le plan fiscal, à une EURL, l’EIRL soumise à un régime réel d’imposition peut opter pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés en application de l’article 206, 3-e et f du CGI. L’option, irrévocable, est exercée dans les conditions et délais prévus à l’article 239 du CGI, en parti-culier avant la fin du troisième mois de l’exercice au titre duquel elle s’applique. Si l’option pour l’impôt sur les sociétés est effectuée avant la fin du deuxième mois qui suit celui au cours duquel a été créée l’EIRL, celle-ci est alors assujet-tie à l’impôt sur les sociétés dès le jour de sa création. En revanche, si l’option pour l’impôt sur les sociétés est réalisée postérieurement à cette période, l’EIRL ayant d’abord été redevable de l’impôt sur le revenu, ce changement de régime fiscal emporte les conséquences de la cessation fiscale prévue à l’article 202 ter du CGI, c’est-à-dire l’imposition de tous les bénéfices non encore imposés à la date de ce changement, y compris les plus-values latentes à cette date. Toutefois, l’EIRL peut échapper à cette fiscalisation immédiate en application du

mécanisme de l’atténuation condition-nelle prévu à ce même article 202 ter, à la double condition que l’EIRL n’apporte aucune modification à ses écritures comptables à l’occasion de ce change-ment de régime fiscal et que l’imposition des bénéfices en sursis d’imposition, plus-values latentes et profits non encore imposés sur les stocks demeure possible à l’impôt sur les sociétés.

Lorsque cette option est exercée, l’entre-preneur individuel à responsabilité limi-tée est alors redevable de l’impôt sur les sociétés à raison du bénéfice imposable de l’EIRL, lequel est déterminé dans les conditions de droit commun applicables en matière d’impôt sur les sociétés. Ainsi, les sommes que l’entrepreneur s’attribue en rémunération de son acti-vité professionnelle sont traitées comme des rémunérations allouées à un associé d’une EURL ayant opté pour le régime des sociétés de capitaux, soumises conformément à l’avant-dernier alinéa de l’article 62 du CGI à l’impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitements et salaires, et déductibles du bénéfice imposable de l’EIRL en applica-tion de l’article 211, I du CGI.

De la même façon, lorsque cette option est exercée, les sommes que se verse-rait l’entrepreneur individuel à d’autres titres que la rémunération de son activité

professionnelle et qui devraient dès lors être assimilées à des dividendes ne sont pas déductibles des résultats imposables de l’EIRL et sont par ailleurs imposables à l’impôt sur le revenu entre les mains de l’entrepreneur individuel dans la catégo-rie des revenus de capitaux mobiliers en application des articles 108 à 115 du CGI.

Les incidences de l’inscription des biens du patrimoine d’affectation lors de la transformation d’une entreprise individuelle préexistante en EIRL peu-vent concerner les biens de l’entreprise individuelle transférés dans le patrimoine de l’EIRL, les biens de l’entreprise indivi-duelle non transférés dans le patrimoine de l’EIRL et les biens provenant du patri-moine privé de l’entrepreneur individuel. Chacune de ces situations entraîne des conséquences fiscales complexes, pour lesquelles il est vraiment nécessaire de consulter votre spécialiste fiscal.

Nous vous renvoyons également à votre spécialiste fiscal pour la création d’une EIRL sans entreprise individuelle pré-existante, les désaffectations de biens d’une EIRL, la liquidation de l’EIRL, la transmission de l’EIRL, la contribution économique territoriale, et la taxe sur les véhicules des sociétés.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 10 décembre 2010. ■■

SOCIAL

Passage à l’e-paieL’introduction dans l’entreprise du bulle-tin de paie électronique est dans l’air du temps et peut apporter des économies. Mais elle n’est pas sans embûches. Voici quelques éléments de réflexion.

Le passage à l’e-paie pose deux types de difficultés : la remise du bulletin, d’une part, sa conservation, d’autre part.

Les technologies informatiques connais-sant une rapide obsolescence, la loi 2009-526 du 12 mai 2009 (codifiée à l’article L 3243-2 du Code du travail) prévoyant la possibilité d’une dématéria-lisation du bulletin de paie n’a pas défini ce qu’il fallait entendre par « conditions garantissant l’intégrité des données » et les débats ayant précédé son vote ne donnent que peu d’indications à cet égard. Tout au plus a-t-il été indiqué

que l’entreprise adoptant le bulletin de paie électronique doit se doter d’un « coffre-fort électronique », c’est-à-dire d’un logiciel sécurisé destiné à assurer la conservation des bulletins.

Le système est globalement le suivant. Les bulletins de salaire sont mis à la dis-position des salariés dans un coffre-fort électronique sur un site Internet sécu-risé. Ces derniers peuvent accéder au coffre-fort avec un identifiant et un mot de passe qui leur est personnel. La dis-ponibilité de leur bulletin leur est signalée via une alerte sur leur messagerie.

Dans un fascicule consacré à l’e-paie (téléchargeable sur le site www.fntc.org), la Fédération nationale des tiers de confiance précise que l’intégrité des données vise uniquement l’intégrité du

document reçu par rapport à celui émis et non pas la régularité des données conte-nues par rapport aux réglementations en vigueur. Il semblerait que le recours à une signature électronique certifiée du document telle qu’elle est employée pour la facture électronique soit considéré comme une garantie suffisante.

Une norme sur les bulletins de paye électronique (NF Z42-025), recensant les règles à observer tant en ce qui concerne la remise du e-bulletin que sa conservation est en cours d’examen au sein de l’Afnor. Il est possible d’acquérir le texte de ce projet de norme sur le site : www.boutique.afnor.org. ■■

Source : Feuillet rapide social - Éditions Francis Lefebvre.


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