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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S.
pour l'édition revue et augmentée.
@ Éditions Gallimard, 1963.
© Éditions Gallimard, 1973,
AVANT-PROPOS A LA 7e ÉDITION
Bien que n'étant plus toujours d'accord avec ce quiest dit dans ce petit livre écrit il y a dix ans, j'ai pré-féré le laisser tel qu'il était, avec ses erreurs et ses
injustices. Ce qui est écrit l'est une f ois pour toutes
et les repentirs, dans ce domaine, sont tou jours unpeu ridicules. Je n'ai donc corrigé que quelques fautes
par trop voyantes que j'avais laissées se glisser dansle texte. Mais il m'a paru utile, en revanche, d'ajouter
deux chapitres qui traitent de problèmes identiques,
et notamment de rendre compte des propos tenus par
les Nouveaux romanciers et leurs critiques au cours
du colloque de Cerisy-la-Salle'. Ces écrivains parlent
tellement d'eux-mêmes qu'ils vous mâchent la beso-
gne. J'en ai profité.
1. Nouveau roman Hier, aujourd'hui. I « Problèmesgénéraux.II « Pratiques(Collection 10/18).
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Phénomène pour le moment exclusivement français,le Nouveau roman est né dans les années d'après-
guerre. Bernard Pingaud, dans l'étude qu'il a publiéepour l'édition de poche de Molloy', de Samuel Beckett,place la naissance de cette nouvelle école en 1951,
date, précisément, de la publication de Molloy. Onpourrait discuter. Comme Bernard Pingaud le note
lui-même, le premier roman de Claude Simon est de1945 et Martereau, de Nathalie Sarraute, de 1949 (sans
parler de Tropismes, du même auteur, qui est de1939). Ce qui est certain, c'est que sinon les œuvresdu moins leur succès date de ces années-là. C'est
après 1950 qu'on a commencé à parler du Nouveauroman, alors même qu'on en avait écrit auparavant.
Très vite, l'audience de cette nouvelle forme litté-raire s'est élargie. Elle s'est imposée comme la seule
avant-garde vivante en France, alors que le lettrisme,
par exemple, n'était jamais apparu que comme une
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1. Bernard Pingaud Beckett le précurseur (postface àMolloy. Ed. 10/18).
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mauvaise plaisanterie ou comme une tentative assezmaladroite pour ressusciter un scandale littéraire sem-blable à celui qu'avaient provoqué Dada et le surréa-lisme. Mais les « Nouveaux romanciers ne cherchent
ni à étonner, ni à faire scandale. D'autre part, ils neconstituent ni une chapelle, ni un groupe vraiment
cohérent. Simplement, il s'est trouvé qu'ils ont décou-vert, au même moment et peut-être au début sans seconnaître, qu'il ne leur était plus possible d'écrireselon les conventions fixées par une très longue tra-dition.
Après une dizaine d'années, les œuvres étant venuess'ajouter les unes aux autres, il est possible de portersur elles un jugement d'ensemble. Encore faut-il s'en-
tendre sur ce que peut être ce jugement.
Il n'est pas dans mes intentions de dire s'il s'agitici de « bonneou de « mauvaiselittérature. Toute
littérature est bonne dès l'instant qu'elle exprime une
intention profonde de celui qui la crée. Or il n'y a,
dans le Nouveau roman, rien qui ressemble à une
mode ou à un snobisme, même s'il est possible detrouver mode et snobisme du côté de certains lecteurs
ou de certains prosélytes, parfois inattendus. D'autre
part la critique esthétique, déjà fort hésitante quandelle s'applique aux œuvres traditionnelles, est ici évi-
demment désarmée, puisqu'elle se trouve en faced'une littérature qui refuse ce qui faisait précisémentla « beauté» de l'ancienne. Dans ces conditions il m'a
semblé que l'important était de rechercher d'abord
quels sont les traits communs à ces formes nouvelleset comment elles sont nées. L'objet des études quiconstituent ce livre est moins, par conséquent, d'ap-
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porter un jugement sur des œuvres que de découvrircomment elles s'insèrent dans notre temps, dans notrecivilisation, dans notre culture, voire dans les événe-
ments particuliers au pays le nôtre qui les a vusnaître.
C'est ce qui explique outre le fait qu'ils ont étépubliés séparément, sous une forme à peine diffé-rente, dans la revue Preuves le caractère assez dis-
parate des essais qui sont réunis ici. Il ne s'agit pasd'études méthodiques, mais de tentatives pour abor-der un phénomène littéraire sous des angles diffé-
rents. C'est ce qui explique aussi que certains de ces
essais pourront apparaitre comme paradoxaux et
d'autres comme de caractère polémique. Il y a là,j'en conviens, paradoxe parfois, et parfois aussi polé-mique. Cela provient du fait que, dans la mesure oùl'auteur de ces propos est lui-même romancier, ilappartient à la tendance la plus opposée qui soit àcelle qu'il étudie ici. On ne trouvera donc pas dansce livre une critique faite « de l'intérieur », mais au
contraire le point de vue d'un lecteur qui, si intéresséqu'il soit, et parfois passionné par elle, n'a jamaisadhéré aux canons de cette nouvelle littérature et s'yest toujours trouvé comme en pays étranger. Del'étranger ou de l'autochtone, on peut se demanderqui juge le mieux. Il est probable qu'aucun des deuxne juge mieux ou plus mal, mais autrement. Peut-
être n'était-il pas inutile de préciser tout de suite cequi est ici le « point de vuedu critique, à proposd'études où le « point de vue» de l'écrivain sera si
souvent évoqué.
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ET CULTURE DES MASSES
NOUVEAU ROMAN
1
Cette littérature dont nous allons parler, il faut dire
d'abord qu'elle est sans complaisance et qu'elle n'ap-
porte pas au lecteur le genre de satisfactions qu'il estaccoutumé de trouver dans les autres romans plus
de livres « bien écrits », plus d'histoires « passion-
nantes », plus de personnages « vivants », plus d'aven-tures « vraisemblables » Selon la tendance à laquelle
il se rattache, ce qu'offre l'auteur du Nouveau roman,
c'est soit le soliloque plein de ressassements d'un per-sonnage le plus souvent déchu et qui parle comme le
font les déments, les faibles d'esprit, les obsédés, soit
l'image glacée d'un monde tout en surfaces, peuplé
d'êtres qui ne parlent pas ou qui parlent pour ne rien
dire. Il n'empêche que cette nouvelle littérature, en
dépit de son manque de complaisance, en dépit aussi
du soin qu'elle met à se garder des facilités sentimen-tales ou formelles de la littérature traditionnelle, cor-
respond à la sensibilité d'un public assez large. L'inté-rêt qu'elle suscite, même chez ceux qui ne la lisentguère, est certain. Les jurys littéraires, si conformistesdans leurs choix, s'en sont aperçus, et les éditeurs
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aussi puisque le Nouveau roman connaît désormaisles grands tirages des éditions de poche.
Il est donc important de savoir aujourd'hui, nonseulement quelles sont les caractéristiques de cettenouvelle littérature caractéristiques bien connues,
mais qu'il faudra retracer quand ce ne serait quepour la clarté de l'exposé mais surtout dans quellemesure et pour quelles raisons profondes elle ren-
contre une adhésion, en apparence surprenante, dela part des lecteurs contemporains.
Ce qui apparaît tout d'abord, c'est que la littéra-ture, pour ne pas faire exception, traverse aujour-d'hui une crise. Ce qui la marque va bien au-delàdu caprice de quelques écrivains en mal d'originalité.En effet, la crise est grave, puisqu'elle consiste, pour
le roman notamment, à nier ce qui faisait l'essence
même de l'art romanesque, du moins tel qu'on leconcevait jusqu'à présent. S'il est certain que danstous les arts les formes se modifient de façon cons-
tante, il ne s'agit pas aujourd'hui d'une fluctuation
semblable à celles par lesquelles on est passé du Par-nasse au symbolisme ou du romantisme au natura-
lisme. Ce ne sont plus les formes qui sont rejetées,mais les éléments qui avaient toujours été constitutifsde l'œuvre littéraire. Néanmoins, cette crise n'atteint
pas tous les secteurs de la littérature. Bien des écri-
vains demeurent encore fidèles, sinon aux formes, du
moins aux éléments traditionnels de leur art. La ques-tion est de savoir s'ils sont destinés à faire devant
l'histoire la même figure que ces classiques attardésqui ne voulaient rien connaître du romantisme, etdont les œuvres sont tombées dans un juste oubli.
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Bien qu'il soit évidemment impossible de prévoirl'avenir et que rien ne soit si sot que de décideraujourd'hui pour le compte des lecteurs futurs, querien ne soit si vain que de chercher à déterminer cequi, dans la littérature de notre temps, « restera»et ce qui ne « restera» pas, il semble que la situationsoit particulière et ne puisse être comparée à cellesqui l'ont précédée. S'il existe un courant nouveaudans notre vie littéraire, l'ancien n'est certes pas
épuisé et rien ne montre, somme toute, qu'il ait ten-dance à se tarir.
Nous nous trouvons donc, peut-être pour la pre-mière fois, en présence d'une littérature double, par-tagée en deux grandes tendances également vivanteset vivaces.
Il y a d'un côté le roman traditionnel, catégorie
dans laquelle on peut ranger des écrivains aussidivers que Sartre (ni ses romans ni ses nouvellesn'ont rien de commun avec le « Nouveau roman »)
et Camus, ainsi que tous ceux qui, solitaires ou sui-
vant leurs exemples, continuent d'écrire des romans
comme on en a écrit depuis le début du siècle et
même avant et cela quelles que soient les méthodes
employées, quelle que soit la philosophie à laquellese rattachent ces écrivains. En ce qui concerne ce
dernier point, il faut remarquer que les écrivainsmarxistes, ou se disant tels, se rattachent obstinément
au roman traditionnel, toute tentative de s'en évader
leur paraissant évidemment entachée de « forma-
lisme ». Ce qui ne veut pas dire qu'ils se complaisenttoujours dans un classicisme ou un naturalisme vieil-
lots à côté de nombreuses médiocrités, il y a eu au
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moins, ces derniers temps, l'extraordinaire réussited'Aragon, avec La Semaine sainte. Il faut d'ailleurs,il me semble, insister sur le fait que les écrivains quin'ont pas rejeté les anciennes formes parviennent àdes réussites souvent plus troublantes que ceux quise réclament des nouvelles écoles il suffirait de
citer le dernier roman de Camus, La Chute, pour
apporter une preuve de la vitalité de l'art romanesquetraditionnel. Car, ainsi que nous aurons l'occasion dele montrer, La Chute appartient à un genre parfaite-ment traditionnel, si surprenante et nouvelle que
paraisse cette œuvre, dans son ton comme dans saforme.
Mais à côté du roman traditionnel qui, comme on
peut le constater, n'est ni mort ni mourant, est né cequ'on a appelé le Nouveau roman.
A vrai dire, on a pris l'habitude de grouper sous
ce vocable des œuvres écrites par des auteurs jeunesou moins jeunes, dont la plupart ont commencé leur
carrière après la guerre, mais dont il est difficile de
discerner à première vue ce qu'ils ont en commun.Car on met l'étiquette de « Nouveau romanaussi
bien sur les romans de Jean Cayrol que sur ceux deSamuel Beckett, de Nathalie Sarraute, d'Alain Robbe-
Grillet, de Michel Butor ou de Claude Simon, sans
parler d'écrivains aussi différents des précédents queClaude Ollier, Robert Pinget ou Claude Mauriac.
D'autre part, un écrivain comme Bernard Pingaud,que l'on considère généralement comme appartenant
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à la nouvelle école, n'a à vrai dire écrit que des
romans parfaitement traditionnels de forme. Il y a
donc, semble-t-il, quelque confusion, moins de la partdes théoriciens que peut-être de la critique, qui atendance à confondre des expériences purement for-
melles avec des modifications qui atteignent le fondmême et les éléments constitutifs de l'art du roman.
On pourrait ajouter que les deux écoles ne sontpas si clairement séparées qu'il le paraît d'abord,
et que certains auteurs se tiennent sur la frange,utilisant les apports de l'une et de l'autre. Mais comme
les apports sont beaucoup moins importants que lesrefus, il est juste, en même temps que commode, deconsidérer qu'en effet il existe bien, en France, deuxromans, l'ancien et le nouveau.
Il se trouve aussi que l'école a ses théoriciens,notamment Sartre, Robbe-Grillet et Butor. Il est bon,
par conséquent, de partir de ces écrits théoriques, oude s'y référer en cours de route. Le mieux est de
commencer par ceux où Robbe-Grillet a posé ce qui,selon lui, doit être la règle d'or du Nouveau roman.
Il s'agit de règles essentiellement négatives, ce quine doit pas étonner, toute tendance nouvelle dans un
art ne pouvant se situer par rapport aux autres qu'enles refusant. Or, ce que Robbe-Grillet refuse, ce sont
précisément les éléments considérés jusqu'à présentcomme essentiels à la structure du roman le roman-
cier, dit-il, doit d'abord exclure de son œuvre l'anec-
dote, l'histoire, le récit, comme on voudra l'appeler,sur quoi se construisait le roman traditionnel. Un
roman, selon lui, ne doit pas raconter une histoire.Par voie de conséquence, ce roman ne doit contenir
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aucun « personnage », ce qui signifie que les êtreshumains qui y figurent n'y sont pas traités en tantque sujets. Pour parvenir à cette objectivation del'être humain dans le roman, celui-ci doit donc refu-
ser également la psychologie. Dans ces conditions,les éléments constitutifs du roman sont désormais
de deux ordres. Il y a d'abord les objets, ce mot étantpris dans son sens le plus large, tout étant objet pourle sujet qui parle, y compris les êtres humains, etceux-ci au même titre que les choses. Il y a ensuitele roman lui-même. Un roman n'est plus l'histoire de
l'aventure parcourue par un ou plusieurs personnages,il est l'aventure même du roman qui se fait, c'est-à-
dire, pour l'auteur, du roman qui s'écrit, et, pour lelecteur, du roman qui se lit. En conséquence de cesdiverses interdictions, l'art romanesque deviendrait
donc un art du regard, la description attentive, mais
limitée, de ce que je vois, étant bien entendu qu'ilm'est interdit d'interpréter, au nom de la psychologie,fût-elle réduite au behaviourisme, les mouvements ou
les paroles de ceux que je regarde. Fidèle à son pro-
pos et conséquent dans ses conclusions, Robbe-Grilletpousse sa théorie jusque dans ses extrêmes limites
il veut que la description de l'objet soit à ce point
dénuée de signification qu'il s'interdit l'usage des
termes anthropomorphiques appliqués à des choses.
C'est ainsi que, selon lui, le soleil n'a plus le droitd'être « impitoyable », ni la nuit « paisible », pas
plus que les nuages ne peuvent être « menaçants»
ou ma table de travail « familière ». L'objet est uni-quement ce qu'il est une présence, et même une
présence que, dans un entretien public qu'il a eu avec
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