A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
FAIRE L’EXPERIENCE CORPORELLE DE LA PLURALITE : LE CAS DE L’ENSEIGNANT D’EPS.
Matthieu QUIDU.
Professeur agrégé d’EPS à l’Ecole normale supérieure de Lyon.
Chercheur associé au Centre de recherche et d’innovation sur le sport (EA 647, Lyon) et au
Laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie (UMR 7117, CNRS-Nancy Université).
REMERCIEMENTS : Je tiens à remercier chaleureusement Michel RECOPE et Jérôme
VISIOLI, pour leur lecture critique du manuscrit. Je remercie également Richard NEMETH,
mon collègue à l’ENS de Lyon, pour nos riches discussions pédagogiques.
RESUME : L’enseignant d’EPS fait quotidiennement l’expérience de la pluralité, manifeste à
trois niveaux : pluralité des préoccupations concurrentes qui émergent simultanément de la
dynamique de l’action ; pluralité des dispositions stabilisées à l’occasion d’expériences
diverses de socialisation professionnelle ; pluralité interindividuelle des sensibilités. Sont
étudiés les modes de composition du professeur vis-à-vis de ces trois formes de pluralité et les
vécus qui y sont associés. Classiquement, la littérature souligne que l’expérience de la
pluralité génère des affects négatifs, mêlant angoisse, inconfort et frustration. Spontanément,
les intervenants réduisent la pluralité en la rabattant sur une option exclusive. Nous
démontrons, en contrepoint, que d’autres stratégies adaptatives face à la pluralité peuvent être
déployées et débouchent sur un vécu moins désagréable producteur d’efficacité pédagogique.
MOTS-CLES : dilemme, conflit intrapsychique, sensibilité, disposition théorique.
INTRODUCTION
Vivre dans et avec la pluralité est devenu notre quotidien voire notre condition. Si l’on
définit la pluralité comme une situation où coexistent, de manière plus ou moins conflictuelle,
deux (ou plusieurs) entités, options ou alternatives, de nature comparable, censées s’appliquer
à un même ordre de phénomènes, mais non directement superposables ou compatibles et a
priori irréductibles, force est de reconnaître la multiplicité des sources et des formes de
pluralité.
Les sciences sociales n’ont pas manqué de formaliser ce constat ordinaire. Ainsi
Boltanski et Thevenot (1991) ont-ils décrit la coexistence d’une pluralité des principes de
justice à la base de l’évaluation des individus et de la justification de leurs actions ; cette
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pluralité serait génératrice de « disputes » quant à la définition de ce que recouvre le bien
commun (Nachi, 2006). Dans le prolongement de ces travaux, Thévenot (2006) dégage une
« diversité de modes d’engagement dans le monde » au regard de leur inégale capacité de
mise en commun. La pluralité semble donc pouvoir affecter l’action (plurielle dans ses
logiques) ou l’interaction1, mais aussi l’acteur
2 (pluriel dans ses identités, ses rôles, ses
dispositions) et les « systèmes de connaissance ». Ainsi pour De Léséleuc (2006), l’hyper-
modernité marque la disparition d’une référence à un système unique de savoirs légitimes
supposé atteindre la réalité, la vérité au profit de l’émergence d’une multi-référentialité.
Coexistent désormais des références plurielles, potentiellement antagonistes à partir
desquelles chacun est sommé de se constituer sa propre vision. A l’opposé de l’unicité
moderne, il convient aujourd’hui d’effectuer « des choix dans la diversité des possibles » et de
les assumer, ce qui peut provoquer une « fatigue d’être soi » (Erhenberg, 2000).
La pluralité prolifère donc à de multiples niveaux3 mais, paradoxalement, et alors
même qu’elle tend à être érigée en valeur sociétale4, rares sont les travaux visant à
documenter empiriquement les stratégies mises en œuvre in actu par les acteurs pour gérer
cette pluralité et les expériences corporelles, intimes, teintées d’affects, associées au vécu de
cette pluralité5. Ce déficit scientifique d’attention est d’autant plus regrettable que c’est de « la
capacité de l’acteur à composer avec cette pluralité que dépendent l’intégrité de sa personne
aussi bien que son intégration dans une communauté » (Thévenot, 2006). La présente
contribution se propose d’étudier la pluralité depuis le point de vue du sujet qui en fait
l’expérience. Dans la dynamique de son action, à quels types de pluralité le sujet est-il
1 Voir Duret (2010) sur la pluralité des valeurs dans le couple. 2 Voir Lahire (1998) ou encore Kaufmann (2004). La psychologie clinique n’est pas en reste avec la thèse
lacanienne du « sujet clivé » : en effet, « le sujet de la psychanalyse est d’abord divisé par son inconscient, pris
en tension entre ses différentes instances » (Carnus & Terrisse, 2013). Il s’agit d’une « division constituante »
(Lacan, 1971). 3 Une interrogation subsiste : est-ce notre monde qui devient effectivement davantage pluriel ? Ou bien est-ce
notre sensibilité, scientifique, au repérage de cette pluralité qui s’aiguise ? Dans le premier cas, un ensemble de
conditions objectives (mondialisation de l’économie et des échanges culturels, accroissement de la mobilité au
travail, appartenances multiples…) fait proliférer des situations plurielles (Morin, 1991). Dans le second cas, la
pluralité tend à se constituer en « thêmata » (Holton, 1981), c'est-à-dire en principe ontologique fondateur,
auquel le savant est intimement lié et qui structure sa grille d’analyse du réel. 4 Voir Maffesoli (2007) pour une illustration typique et Hazan (2006) pour une lecture critique : « comment ne pas se laisser séduire par l’idée de pluralité culturelle ? Le multiculturalisme, c’est dire le partage mais faire
l’apartheid. Se féliciter de la diversité alors que l’uniformisation et l’inégalité progressent partout, telle est la
ruse de la Lingua Quintae Reipublicae ». Nous parlerons de « pluralisme » lorsque la pluralité est érigée en
valeur, promesse d’ouverture et d’émancipation. A l’opposé de l’incantation morale ou du discours politique,
nous conserverons le terme de « pluralité » pour décrire une situation concrète où coexistent, sur un même ordre
de phénomènes, des alternatives non directement superposables. 5 Lahire (1998) ébauche trois figures d’articulation de la pluralité des dispositions incorporées par l’acteur : le
clivage, le mélange, la séparation. De son côté, Nachi (2006) envisage trois modes de résolution des tensions
entre principes de grandeur : le compromis, l’arrangement, la relativisation.
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confronté ? Comment la vit-il affectivement ? Comment s’y prend-il pour y répondre, s’y
adapter voire la résoudre ? L’intuition de Thévenot suivant laquelle « toute situation de
pluralité occasionne des tensions et nécessite une composition » se vérifie-t-elle ? L’individu
confronté à une pluralité (la sienne propre, comme celle de la situation ou de l’interaction)
est-il condamné à l’« implosion subjective » (Kaufmann, 2004) ?
Nous proposons une étude de cas dans le domaine de l’enseignement de l’Education
physique et sportive. A quels types de pluralité le professeur d’EPS est-il quotidiennement
confronté dans sa situation de travail ? Quelle tonalité revêt son expérience vécue de ces
situations plurielles ? Quelles stratégies cet acteur déploie-t-il pour y faire face ? Pareilles
interrogations résultent, chez nous, d’un triple faisceau d’intérêts : intérêt du philosophe des
sciences ayant formalisé les stratégies d’articulation de la pluralité des paradigmes sur la
scène académique (Quidu, 2011b) et désireux de vérifier si celles-ci se retrouvent dans le
champ de l’intervention professionnelle ; intérêt de l’épistémologue attentif à l’expérience
corporelle de l’acteur et aux connaissances qu’elle produit, qu’il s’agisse du savant (Quidu,
2011a) ou de l’ingénieur comme ici ; intérêt du praticien réflexif (Schön, 1994), professeur
d’EPS de terrain6, non totalement débutant mais loin d’être expert
7, fréquemment confronté à
la pluralité dans le cadre de son action pédagogique.
QUELLES PLURALITES DANS L’ENSEIGNEMENT QUOTIDIEN DE L’EPS ?
La pluralité n’est pas une propriété évanescente, mais bien un substantif qui appelle un
complément du nom : toute pluralité l’est de quelque chose. Nous focaliserons notre attention
sur trois niveaux de pluralité caractéristiques du quotidien de l’enseignant d’EPS.
UNE PLURALITE DES PREOCCUPATIONS
Luc Ria (2001) s’intéresse, dans le cadre du programme du cours d’action et de
l’hypothèse de la pensée signe (Peirce, 1931), aux « préoccupations » des enseignants
débutants. Celles-ci sont définies comme les « modes d’engagement de l’acteur dans la
situation ». Les préoccupations constituent l’une des composantes du signe hexadique
(Theureau, 2009) ; elles correspondent aux « intérêts de l’acteur, saillants à l’instant t en
6 Nous occupons depuis septembre 2010 le poste de professeur agrégé d’EPS à l’Ecole normale supérieure de
Lyon. Notre service complet est consacré à des enseignements pratiques. 7 Visioli et Ria (2010), s’inspirant de Tochon (1991), synthétisent les critères délimitant l’expertise enseignante :
« l’expérience, approchée par le nombre d’années de pratique ; la connaissance didactique, approchée par le
niveau académique dans la discipline ; la connaissance pédagogique, approchée par le niveau du concours de
recrutement ; la pratique réflexive, approchée par la participation à des recherches action ou des innovations
pédagogiques ; la reconnaissance sociale de l’expertise, approchée par des critères de notoriété et de désignation
par les pairs ».
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fonction de ce qui fait signe pour lui ». Régulièrement, dans la dynamique de l’action de
l’enseignant d’EPS, vont émerger, de manière simultanée, des préoccupations plurielles et
concurrentielles. Ces attentes contradictoires sont potentiellement réalisables
indépendamment, mais ne le sont pas simultanément ; elles sont mutuellement exclusives.
Une telle incompatibilité de préoccupations a priori irréductibles va générer un « dilemme ».
Pour Ria, le dilemme fondamental de l’enseignant réside dans la tension : enseigner
des savoirs scolaires versus contrôler l’ordre en classe. Les missions d’instruction (transmettre
des contenus) et d’éducation (inculquer des valeurs) apparaissent souvent inconciliables pour
les professionnels de l’intervention. Plusieurs incompatibilités en découlent : « au niveau
relationnel, s’adresser à un individu singulier versus à un collectif hétérogène ; au niveau
organisationnel, occuper la classe versus procéder à l’installation pédagogique ; au niveau
curriculaire, matérialiser en exercices concrets les programmes disciplinaires versus
composer avec le temps scolaire disponible ».
Prêter attention aux préoccupations dans le moment même de leurs émergences
suppose de pénétrer le « monde propre » (au sens de Von Uexküll, 1984) d’un enseignant
singulier, c'est-à-dire « ce qui l’organise lorsqu’il agit », le « couplage subjectif qui le lie à
son environnement de travail ». Par ses focalisations, interprétations et cognitions, l’acteur
« construit, à partir d’un environnement objectif, une situation sensible et signifiante » ; celle-
ci délimite son champ de perceptions et d’actions, soit sa réalité propre.
UNE PLURALITE DES DISPOSITIONS
Dans le cadre d’une sociologie des dispositions à l’échelle intra-individuelle (Lahire,
2005), nous avons montré que les enseignants d’EPS ont stabilisé, sur la base de diverses
expériences de socialisation professionnelle, des « dispositions cognitives et pratiques »
plurielles (Quidu, 2013). Celles-ci constituent un ensemble hybride de références théoriques
(comprenant, entre autres, des savoirs scientifiques8 et technologiques), de croyances, de
valeurs et de démarches pédagogiques. Acquis en formations initiale et continue, ces modèles
peuvent remplir quatre fonctions dans l’intervention éducative9 (Terral & Collinet, 2007) :
description (l’enseignant formule des interprétations sur les processus sous-tendant les
comportements d’élèves) ; justification (il donne sens à ses choix) ; prescription (les savoirs
8 Il s’agit plus précisément de « savoirs scientifisés » (Collinet, 2006). 9 Sans remettre en cause l’efficacité des savoirs d’action, nous envisageons le « statut qu’ont les savoirs
d’origine scientifique comme ressources possibles pour l’intervention » (Terral & Collinet, 2007).
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fournissent des principes pour l’action) ; métacognition (ils structurent une démarche de
pensée).
A l’échelle intra-individuelle, les professeurs d’EPS sont partagés entre des
dispositions relevant respectivement des modèles de la « commande » versus de
« l’autonomie » (Durand & Arzel, 2002). Véritables « épistémologies pratiques », ces
modèles délimitent des conceptions contrastées de la connaissance, de l’action et de
l’apprentissage ; ils possèdent en outre des références paradigmatiques divergentes.
Schématiquement, le modèle de la commande s’appuie sur les approches
computationnelles du comportement. Cette vision prescriptive et hiérarchique conçoit l’action
comme l’exécution d’un programme préexistant, stocké sous forme de symboles. L’opérateur
construit une représentation du monde et agit à partir de celle-ci. L’apprentissage consiste à
acquérir des connaissances nouvelles en mémoire et à les organiser efficacement. De son côté,
l’enseignement est vu comme la procéduralisation et la spécification de connaissances
déclaratives et décontextualisées acquises en formation. Une place prépondérante est accordée
à la planification du professeur, minorant l’interaction ; les élèves n’apparaissent que comme
des exécutants secondaires des plans enseignants. Les enseignants d’EPS entretiennent un
rapport applicationniste aux modèles scientifiques qui prescrivent leur action. Cela se traduit
par exemple, à la suite de Famose (1991), par une manipulation progressive de la complexité
des situations pédagogiques. Plusieurs dispositifs au sein du champ STAPS-EPS concourent à
l’intériorisation de telles dispositions : prévalence du programme cognitiviste dans la
formation initiale, réalisation des stages en situation en fin de scolarité comme lieux de
procéduralisation des savoirs déclaratifs…
A l’inverse, le modèle de l'autonomie, qui puise son inspiration dans l’anthropologie
cognitive et l’énaction, reconnaît à l’agir des propriétés d’auto-organisation et de créativité.
L’action est première et fait émerger des connaissances. Les savoirs ne préexistent pas à
l’action mais en procèdent ; ils sont fortement incorporés et contextualisés. L’enseignement
est une interaction émergente n’excluant pas l’improvisation. Tout applicationnisme strict est
congédié au profit d’une reconnaissance de la spécificité, de la diversité et de la complexité
des situations comme des élèves. L’adaptabilité prévaut. L’acquisition de ce nouveau jeu de
dispositions est à rapporter aux renouvellements paradigmatiques (action située, psycho-
phénoménologie, approche écologique de la perception, théorie dynamique des
coordinations…) qui intègrent progressivement les maquettes de formation initiale et les
programmes des concours de recrutement.
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Au final, la socialisation professionnelle, de par sa diversité, a contribué à la
stabilisation, chez chaque enseignant, de deux systèmes de dispositions référés respectivement
aux modèles de la commande (applicationnisme) versus de l’autonomie (contextualisme).
Parce qu’elles recèlent des descriptions contrastées de l’acte moteur et débouchent sur des
stratégies d’enseignement divergentes, ces dispositions théorico-pratiques peuvent être
considérées comme irréductibles voire antinomiques.
UNE PLURALITE DES SENSIBILITES
Michel Récopé (2006), s’inspirant de la philosophie des normes de Canguilhem
(1966), soutient, à partir d’une approche d’éthologie phénoménologique, que l’action des
sportifs est mue par des « sensibilités » contrastées. Dans le cadre du volley-ball, il démontre
que certains pratiquants s’avèrent particulièrement sensibles à la « rupture de l’échange » ; ils
manifestent un engagement corporel total afin d’éviter que le ballon ne touche le sol :
orientation constante vers le ballon, attitude de garde préparatoire, engagement énergétique
intense, occupation d’un espace élargi. La rupture de l’échange constitue une menace pour
leur bien-être et oriente de manière globale leur activité. En cas de perte de l’échange, ils
manifestent une profonde frustration. D’autres pratiquants ne partagent pas cette sensibilité à
la rupture10
; ils se montrent, dans la même situation objective, indifférents à la chute du
ballon au sol ; cet évènement n’est pas considéré comme pertinent dans leur monde
phénoménal, il n’y existe pas (Rix, Récopé & Lièvre, 2005). Ils adoptent une attitude de
repos, attentistes ; leur zone d’intervention est restreinte.
D’un point de vue conceptuel, Récopé définit la sensibilité, en référence à Ribot
(1896), comme « une faculté de désirer ou tendre vers un objet », et par la suite d’éprouver du
plaisir ou de la douleur en fonction de l’atteinte ou non de la cible convoitée. Cette faculté de
tendre vers renvoie à un système de normes individuées et pose la référence personnelle du
bien-être. Ces valeurs propres instaurent la relation au monde, à ce qui y apparaît d’emblée
comme pertinent ou à l’inverse indifférent. Au final, tout pratiquant est appréhendé en tant
qu’organisme, unitaire et total, caractérisé par une sensibilité à propre, c’est-à-dire par un
« sens sensible qui mobilise son activité, aux plans qualitatif et intensif, et qui assure la
production de son milieu de pratique ».
La sensibilité de l’enseignant, pour rester dans le cas du volley-ball, peut différer de
celle de ses élèves : ce premier peut s’avérer sensible à l’enjeu de la rupture quand ses élèves,
10 Ils peuvent par exemple être mobilisés par la « qualité technique d’intervention sur le ballon » lorsque celui-ci
arrive à proximité de leur zone (Récopé, Fache, Boyer & Rix-Lièvre, 2013).
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ou tout du moins certains d’entre eux, s’y montreront indifférents. Intervient ici une pluralité
de type interindividuel : confrontés à une même tâche objective, deux acteurs adopteront,
suivant l’objet de leur sensibilité, des comportements distincts. Ils ne vivent pas la même
situation, ne perçoivent pas les mêmes choses car ils n’ont pas la même sensibilité ; autrement
dit, ils évoluent dans des mondes phénoménaux, d’action et de perception (ou umwelts),
disjoints, non superposables voire incommensurables11
.
VISIONS CLASSIQUES DE L’EXPERIENCE DE LA PLURALITE EN EPS
Soit ces trois niveaux de pluralité avec lesquels l’enseignant d’EPS doit composer
quotidiennement : pluralité des préoccupations, concurrentes et antagonistes, qui émergent
simultanément de la dynamique de l’action ; pluralité interne des dispositions à l’action
pédagogique stabilisées à l’occasion d’expériences diverses de socialisation ; pluralité
interindividuelle des objets de sensibilité entre enseignant et élèves. Quelles expériences
corporelles12
, quels vécus intimes (affectifs comme sensoriels) y sont associés ? Quelles
stratégies adaptatives ou modalités de traitement sont déployées, in actu, pour y faire face ?
Nous montrons que, classiquement dans la littérature, l’expérience de la pluralité est corrélée
à des ressentis désagréables, d’inconfort, de clivage ou de frustration. L’acteur y apparaît
comme précipité dans un milieu pluriel dont il se sent prisonnier.
FAIRE-FACE A LA PLURALITE DES PREOCCUPATIONS OU L’EXPERIENCE INCONFORTABLE DU
DILEMME
L’émergence simultanée, dans le cours d’action des enseignants débutants, de
préoccupations plurielles qui, de leur point de vue même, apparaissent comme concurrentes,
contradictoires et irréductibles, va générer un « dilemme ». Ria, Saury, Sève et Durand (2001)
démontrent que l’expérience qui y est associée s’avère particulièrement inconfortable et
désagréable. Le malaise vécu par l’enseignant tend à se résoudre par la suppression de l’une
des attentes incompatibles.
11 La référence à Canguilhem est explicite : « dans ce qui apparaît à l’homme comme un milieu unique, plusieurs vivants prélèvent de façon incomparable leur milieu spécifique et singulier (…). Le milieu propre de l’homme
c’est le monde de sa perception, c’est-à-dire le champ de son expérience pragmatique où ses actions, orientées et
réglées par des valeurs immanentes aux tendances, découpent des objets qualifiés, les situent les uns par rapport
aux autres et tous par rapport à lui ». 12 Andrieu et Richard (2012) considèrent que « nous sommes corporellement en contact direct avec le monde ».
Dans la suite du texte, nous adopterons une attitude phénoménologique (sans toutefois endosser les exigences
théoriques et méthodologiques d’un programme phénoménologique), c'est-à-dire ouverte sur le vécu incarné du
sujet, sa manière d’être relié au monde par le corps, de l’habiter et d’agir à travers lui. En attestent entre autres
nos références à l’anthropologie cognitive située de Ria ou à l’anthropologie phénoménologique de Récopé.
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Revenons tout d’abord sur ce que Ria qualifie de dilemme. Les préoccupations
plurielles qui émergent chez l’enseignant ne sont pas sui generis, en elles-mêmes,
objectivement contradictoires et mutuellement exclusives. Elles ne le deviennent que dans le
« monde significatif » pour l’acteur. Ce sont bien les sujets eux-mêmes qui produisent leur
propre enfermement dans cette aporie du dilemme insoluble13
. Pire, ils transforment, par leur
activité sémiotique, un dilemme initial en une « injonction paradoxale » (ou double bind).
D’un point de vue logique, un dilemme consiste en un choix difficile, problématique (les
alternatives en présence semblent également désirables) mais possible14
. L’injonction
paradoxale (Bateson, Jackson, Haley & Weakland, 1956) contient, à l’inverse, deux
contraintes qui s’opposent, l’obligation de chacune contenant une interdiction de l'autre, ce
qui rend la situation insoluble15
. L’acteur ne peut satisfaire un ordre qu’en violant l’autre.
S’ensuit un effet ressenti d’oppression. C’est donc par leur activité endogène et subjective de
construction de significations que les enseignants d’EPS vont précipiter une situation
originelle de dilemme (laquelle est logiquement soluble même si affectivement difficile) vers
une situation de double contrainte (qui, elle, ne peut l’être objectivement). Dit autrement,
l’acteur s’auto-enferme, s’accule de lui-même dans une situation sans issue possible16
. Il
creuse son propre piège et n’y retirera qu’inconfort17
.
Ainsi l’expérience d’une pluralité de préoccupations incompatibles est-elle vécue de
manière désagréable. Surgit une crise aigue emplie de déstabilisation, d'insatisfaction, voire
de désarroi. Insolubilité du dilemme et malaise intense s’alimentent mutuellement dans une
spirale infernale. Au moyen d’une utilisation combinée de l’« échelle d’estimation des états
affectifs »18
et de l’entretien d’auto-confrontation, Ria (2001) rapporte par exemple le malaise
ressenti par une enseignante confrontée à la tension « s’adresser à un élève singulier versus
gérer le groupe-classe » : « je vis dans cette classe un mal-être permanent, partagée entre les
13 La référence à Watzlawick (1996) et à l’école de Palo Alto est explicite. 14 Le dilemme est classiquement illustré par l’âne de Buridan qui doit choisir entre un sac d'avoine et un baquet
d'eau. 15 Dans le cas de Buridan, pour arriver à une situation de double contrainte, il faudrait que l'âne sache qu'il est
contraint à boire et à manger, mais qu'il sache aussi qu’il sera battu quand il boit parce qu’il ne mange pas, et
qu’il sera battu quand il mange parce qu’il ne boit pas. 16 Ria parle d’un « cercle vicieux », d’une « situation tragique et inéluctable », « sans solution possible ». Ces qualificatifs renvoient davantage à une configuration d’injonction paradoxale que de dilemme. 17 Bateson voit dans la double bind la cause première de la schizophrénie ; le clivage apparaît comme un
mécanisme de défense contre une situation impossible. 18 L’échelle EEA documente la dynamique fluctuante des affects vécus par les enseignants. Elle est constituée de
sept points, allant de +3 (très agréable et confortable) à -3 (très désagréable et inconfortable). Il s’agit d’une
estimation synthétique du caractère positif ou négatif de l’expérience en classe, immédiatement après la leçon,
durant le visionnage vidéo. D’un point de vue conceptuel, les états affectifs, proches des « émotions d’arrière-
plan » (Damasio, 2002), constituent le flux émotionnel continu et syncrétique lié à l'adaptation de l'acteur à son
environnement physique et social.
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filles qui ne veulent rien faire et les garçons au comportement anarchique ». Ici, « tourner le
dos quelques instants à la classe pour aider une élève en difficulté est vécu comme une
situation professionnelle des plus inconfortables ». La conscience de l’incapacité à concrétiser
simultanément deux attentes crée le malaise.
Plusieurs facteurs peuvent renforcer ce vécu négatif. A mesure que les enseignants se
heurtent à l’impossibilité répétée de trouver une porte de sortie à leur dilemme, se forge
l’impression de « perdre du temps ». Or, le débutant est engagé dans une « course poursuite
permanente contre la montre » ; le « chronos » devient « maître ». De par une focalisation
exclusive sur un futur anticipé, le sujet « s’abstrait du présent » ; il « se coupe de ses
sensations ici et maintenant », instaure une « lutte contre soi-même » et finit par « se
dédoubler » (Gaillard, 2000). La projection compulsive vers un « à-venir » doit être rapportée
à une obsession du plan. Dans le cadre d’une expérience globalement « indéterminée », le
plan de séance remplit une fonction de réassurance pour des professionnels en manque de
repères stables. Ceux-ci se convainquent que la « réussite de leur leçon dépend du
déroulement conforme et exhaustif de leur plan de séance ». La persistance du dilemme est
perçue comme une entrave au déroulement prévu de la leçon ; elle produit de l’incertitude là
où il se serait agi de créer du prévisible. Au final, alors que le plan est censé réduire l’anxiété,
il la décuple dès qu’on s’en écarte.
L’anxiété sera, pour l’enseignant, d’autant plus pesante qu’il s’efforce de la dissimuler
aux yeux des élèves : l’enjeu est d’interdire à leur trouble intérieur de les trahir
publiquement19
. Il s’agit de faire « bonne figure », de donner à voir une image de soi
consistante en « trompe l’œil », pour ne pas « perdre la face » (Goffman, 1973), pour sauver
sa crédibilité. Ce faisant, les enseignants se condamnent à vivre leur malaise intérieurement et
de façon solitaire. Ils ressentent que la situation leur échappe mais doivent en donner,
impassibles, une illusion de maîtrise. Par cette activité de simulacre, les débutants se
rapprochent de l’expérience vécue par ceux qui « dissimulent un stigmate »20
. Les travaux
sociologiques (Goffman, 1975 ; Marcellini, 2005) ou psychologiques (Smart & Wegner,
2000) ont mis en lumière le « coût affectif et cognitif » de la dissimulation d’un « attribut
discréditable » et du repli dans un « enfer privé » : à un premier niveau, le contrôle constant
de l’information sociale est éprouvant voire épuisant21
. L’angoisse de voir son stigmate
19 Le mutisme est une réponse classique à une situation de double contrainte, qui a pour caractéristique de
bloquer la communication. 20 Nous sommes conscients du fait que l’inconfort constitue un stigmate bien minime, circonscrit, temporaire. 21 Goffman parle du « syndrome de Cendrillon ». Le « discréditable » peut être découvert à tout moment, ce qui
ne manquera pas de le déstabiliser.
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dévoilé croît d’autant plus que s’y ajoute un haut degré de mensonge à soi-même difficile à
assumer. Les sujets « expérimentent des problèmes d’identité » (Lacaze, 2006) ; cette lutte
interne (rendre visible versus invisible) renforce l’angoisse en même temps que l’intrusion de
pensées indésirables.
Comment se résout finalement ce dilemme ? Dans un premier temps, les enseignants
éprouvant des attentes concurrentielles vont tenter, en vain, de les concrétiser simultanément.
S’installe ainsi une spirale d’affects désagréables (inconfort, frustration, agacement,
déception, sentiment d’incompétence) qui somme l’acteur de réagir. Ce dernier se verra
contraint d’abandonner l’une de ses préoccupations en ne se focalisant désormais que sur celle
jugée prioritaire. La pluralité sera dite « réduite », ramenée à l’unicité par centration exclusive
sur un pôle de l’alternative. Il ne s’agit pas ici de produire une « réponse idéale » mais bien
d’atteindre une solution suffisamment viable, de « moindre mal » au regard des connaissances
et des interprétations mobilisées ; interviennent notamment les critères de dangerosité de la
situation et de maintien du plan de séance. Cette stratégie adaptative est vécue comme une
forme de sacrifice, de renoncement, générant remords et scrupules. Résoudre un dilemme est
un choix possible, qui intervient majoritairement à un niveau préréflexif, mais dans tous les
cas coûteux, forcé et imparfait22
. Même s’il irrite sur le moment, il produira un soulagement
relatif ; l’expérience redevient progressivement23
plus confortable, enfin supportable.
LA PLURALITE DES DISPOSITIONS SOURCE DE CLIVAGE DU MOI ET DE CONFLIT INTRAPSYCHIQUE
A l’échelle intra-individuelle, les enseignants d’EPS sont partagés entre des
dispositions - théoriques et pratiques - plurielles, relevant respectivement des modèles de la
commande (applicationnisme) versus de l’autonomie (contextualisme). Ces dispositions,
stabilisées à l’occasion d’expériences diverses de socialisation professionnelle, peuvent être
considérées comme irréductibles dans la mesure où, dans une même tâche, elles conduisent
l’intervenant à décrire, interpréter et agir sur le réel de façon divergente. A cet égard, Bonnet
et Bonnet (2008) ont démontré que les théories concurrentes de l’apprentissage moteur se
22 Pour compenser le caractère intrinsèquement insatisfaisant du choix forcé, l’acteur tend, littéralement, à « faire
disparaître », du moins temporairement, l’option abandonnée du « champ de sa conscience » (Ria, 2001) ou de sa « fenêtre attentionnelle » (Gouju, 2002). L’acteur se construit, pour suivre la théorie des émotions de Sartre
(1938), une sorte de « monde magique » annulant la pluralité et permettant de modifier sa conscience pour
résoudre un conflit intrapsychique. Pour Sartre, « l’émotion, produit de la conscience face à la difficulté qu’elle
perçoit du monde, transforme, grâce aux lois de la magie, la perception qu’a la conscience du monde pour
permettre à l’homme de poursuivre son action » (Javeau, 2010). L’émotion apparaît ici comme une « fuite du
monde rationnel », « une conduite d’évasion ». Certains objets sont anéantis, la structure du monde est
uniformisée. 23 Il convient d’insister sur cette dimension progressive. Le retour au confort n’est pas instantané ; intervient un
phénomène d’« hystérésis affective ».
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
différencient quant à leurs prescriptions pratiques souvent antagonistes. Dès lors, comment
l’enseignant compose-t-il, in actu, avec cette pluralité interne des dispositions ? A quelles
expériences s’associent ces stratégies adaptatives ? Nous montrons que ces vécus sont
majoritairement présentés dans la littérature comme désagréables et inconfortables.
Chez Bourdieu (1994), la pluralité des dispositions est pensée sur le mode
schizophrénique du clivage, de la duplicité et de la haine de soi. Lorsqu’il évoque les habitus
pluriels, Bourdieu décrit des agents déchirés, « portant sous la forme de tensions et de
contradictions la trace des conditions de formation contradictoires dont ils sont le produit »
(Lahire, 1998). Plus précisément, la « traversée de l’espace social »24
produirait des « conflits
intrapsychiques » sous la forme de « clivage du moi ». Prévalent les images de « souffrances
identitaires », de tiraillements, de dédoublement voire de duplicité. L’illusion, chez l’acteur,
de l’unicité de soi est rompue. Sa cohérence psychique s’en trouve compromise. Les divers
habitudes et schèmes d’action ne sont décrits qu’en conflit : « lorsque chaque situation sociale
est perçue et appréciée à partir de deux points de vue opposés et concurrents, l’ambivalence
crée la souffrance » (Lahire, 1998). Du fait de ses habitudes discordantes, l’acteur vivrait
« constamment en décalage et dans la mauvaise conscience ». En définitive, Bourdieu érige ce
type de « pluralité douloureuse » en modèle général de la pluralité interne25
.
Dans le domaine de l’EPS, nous avons démontré que les enseignants pouvaient
éprouver un certain inconfort face à la pluralité de leurs dispositions cognitives (Quidu, 2013).
Constatant que leurs différentes références théoriques prescrivaient des interventions
pédagogiques contradictoires, certains professionnels, déçus voire résignés, ont préféré
renoncer à ancrer scientifiquement leurs actions (Sarremejane, 2004). En effet, si deux
théories contrastées débouchent sur des prescriptions antagonistes26
, à qui/quoi se fier ? Les
injonctions contraires seraient une source de paralysie pour la pratique. Or, le praticien,
orienté vers l’action, aurait besoin d’appuis solides et consistants, de repères stables pour
intervenir. L’équivocité des théories apparaît comme antinomique à l’exigence d’action, ce
24 Dans le cas des transfuges de classe notamment dont le trouble peut aller jusqu’à la névrose (De Gaulejac,
1987). 25 Ce que nous contesterons ci-après, en nous appuyant notamment sur Lahire (1998). Ce dernier considère que le modèle de la « pluralité douloureuse » ne constitue qu’un cas particulier d’acteur multiple : « l’acteur pluriel
n’est pas forcément un agent double ». La généralisation par Bourdieu du modèle de la pluralité douloureuse est
due à sa minimisation de « la logique des situations », Or, pour Lahire, « toute disposition désigne une propriété
relationnelle liée à la rencontre entre une socialisation passée et une situation présente dans laquelle le passé
incorporé s’actualise ou s’inhibe ». 26 Pour illustration, Delignières, Teulier et Nourrit (2006) écrivent : « on peut noter que, dans le cadre spécifique
des tâches de convergence, c’est paradoxalement en rendant la tâche plus exigeante que l’on facilite
l'apprentissage. Cette proposition nous semble particulièrement intéressante, en ce qu'elle contredit les principes
généralement retenus dans le cadre des approches cognitivistes de l'apprentissage ».
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
qui conduirait à un détournement vis-à-vis des savoirs scientifiques27
. Ces cas d’indifférence
se retrouvent notamment chez les enseignants évoluant dans des environnements sensibles : la
résolution des problèmes d’animation, d’indiscipline et de gestion du groupe (Durand, 1996)
les accapare au point de reléguer au second plan les activités d’instruction. Dans ce contexte,
les ressources scientifiques sont considérées comme étant très faiblement opérationnelles ;
leurs dispositions cognitives plurielles s’en trouvent toutes inhibées.
Dans le cadre d’une anthropologie cognitive située, Bertone, Méard, Euzet, Gal-
Petitfaux et Durand (2002) ont étudié le déploiement de conflits de dispositions, qualifiés
d’« intrapsychiques » (Clot, 1999), dans la dynamique de l’action en classe d’EPS. Ils
rapportent l’expérience d’une enseignante chez qui émerge une concurrence d’actions
possibles au sein d’une même situation d’apprentissage : « le souhait de questionner les élèves
pour leur poser un problème versus le souhait de faire apprendre une solution par la
reproduction et la répétition ». Ces deux types d’intervention renvoient à des démarches
pédagogiques antagonistes, sous-tendues par des référents scientifiques contrastés. Elles
peuvent être rapprochées de l’opposition ci-avant explicitée des modèles de l’autonomie (où
domine la créativité de l’action) versus de la commande (où domine la prescription des
comportements). Bertone et al réfèrent ces diverses possibilités d’action éducative aux
multiples « expériences de formation28
constituant l’histoire du développement professionnel
de l’enseignant ». La difficulté affleure lorsque « ces diverses expériences débouchent sur des
moyens d’action possibles hétérogènes, qui sont concurrents voire incompatibles entre eux ».
Dans la situation concrète considérée, l’enseignante oscille constamment entre deux
stratégies : tantôt elle demande à ses élèves de rechercher des réponses originales au problème
posé29
; tantôt elle leur communique d’emblée la solution, formelle, préconçue, préexistant à
l’activité des élèves, considérée comme optimale et leur demande de la reproduire. Rejetant
systématiquement les réponses inédites proposées par les élèves30
, l’enseignante glisse
progressivement vers la seconde stratégie ; elle dévoile explicitement la solution technico-
27 Un autre phénomène provoque un détournement d’attention vis-à-vis des savoirs scientifiques : parfois, deux théories rivales débouchent sur des prescriptions pratiques identiques. Dès lors, quel peut être l’intérêt d’entrer
dans le débat théorique ? La posture est ici radicalement pragmatique : pour Delalandre (2012), étudiant James,
« adopter une posture pragmatique revient à se demander ce qui change, en pratique, si l’on adopte telle ou telle
idée. Si rien ne change, c’est que le débat est stérile, ne mérite pas d’être posé ». 28 « Cours théoriques, observations ou conduites de leçons lors des stages en établissement, entretiens de conseil
pédagogique, visites de supervision et d’évaluation… ». 29 On parlera d’une « pédagogie de la médiation », favorisant, par le questionnement, l’émergence de solutions
originales chez les élèves dont on valorise les trouvailles singulières (Gaillard, 2001). 30 Y compris lorsque ces réponses s’avéraient efficaces du point de vue de la tâche à réaliser.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
tactique jugée efficace et la prescrit à tous, indépendamment de leurs spécificités et de leurs
réussites individuelles.
Au final, l’émergence concomitante chez l’enseignant d’actions concurremment
possibles, en lien avec des dispositions contrastées, s’est avérée problématique. Le processus
décisionnel est apparu comme hésitant voire conflictuel. Sommée de réagir, l’intervenante a
résolu la tension intrapsychique, en accordant progressivement le primat à une stratégie
prescriptive, évacuant la démarche alternative basée sur l’émergence et la résolution de
problèmes. L’inconfort originel causé par la pluralité des dispositions à agir se résout une
nouvelle fois par la réduction. Celle-ci a privilégié la démarche « commandée », notamment
car elle a été jugée plus à même de satisfaire simultanément une autre préoccupation saillante,
à savoir « le contrôle de l’ordre et de la participation des élèves dans la classe ».31
LA PLURALITE DES SENSIBILITES COMME CAUSE DE FRUSTRATION ET D’INCOMPREHENSION
Comment l’enseignant d’EPS compose-t-il avec le fait que sa propre sensibilité de
pratiquant (ou d’ancien pratiquant) dans une activité sportive puisse ne pas correspondre à
celle de ses élèves (ou tout du moins d’une partie de ses élèves) ? D’après Récopé (2006), les
divergences interindividuelles de sensibilité suscitent frustrations et incompréhensions.
Celles-ci affectent tout d’abord deux joueurs au sein d’une même équipe : en effet, un
volleyeur sensible à l’enjeu de la rupture de l’échange manifeste un profond agacement
« lorsqu’un partenaire, indifférent à la perte du point, s’avère régulièrement coupable
d’inactivité défensive ». Interrogé lors d’un entretien d’inspiration psycho-
phénoménologique, un pratiquant sensible reconnaît « éviter de jouer avec ceux qui ne
bougent pas ou qui ne font rien, parce que sinon je m’énerve » ; et de poursuivre : « c’est un
désavantage d’avoir quelqu’un qui ne bouge pas ». Il ne conçoit pas qu’on puisse ne pas être
mobile sur le terrain : « si toi tu te donnes à fond et que l’autre ne fait rien, ça ne va pas ; il
faut qu’il se donne aussi, sinon ça ne sert à rien de jouer » ». En affirmant sa désapprobation
au regard de l’indifférence du partenaire, il signifie en même temps ses normes et valeurs
propres : « ce qui m’énerve c’est que je ne comprends pas pourquoi les autres ne sont pas
comme moi ». Fondamentalement, ces deux pratiquants, sur la base de leur sensibilité
divergente, évoluent dans des mondes, de perceptions et d’actions, disjoints. Ils éprouvent une
incapacité à saisir la signification d’un comportement alternatif qui leur apparaît
complètement étranger.
31 Entre autres causes de son abandon, la pédagogie de la médiation est rapidement apparue chez cette
enseignante comme moyennement intégrée, d’une façon toute formelle.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
Une telle incompréhension existe également entre un enseignant sensible à la rupture
et ses élèves qui ne le sont pas forcément. En tant qu’ancien professeur d’EPS, pratiquant du
volley-ball, devenu chercheur en STAPS, Récopé justifie fréquemment ses propres travaux
académiques par une incompréhension originelle : « ce sont des insatisfactions persistantes
liées à l’intervention, issues d’observations empiriques, qui sont à l’origine du programme de
recherche » (Récopé, Rix, Fache & Lièvre, 2006). Plus précisément, « beaucoup de jeunes
joueurs, pratiquant volontairement dans le cadre fédéral, présentent tous les critères d’une
forte motivation à la pratique du volley-ball, mais s’avèrent peu mobilisés en situation de
pratique effective. Durant le cours du jeu, ils présentent une attitude de repos (immobiles, bras
ballants), ne se préparent jamais à intervenir, et réagissent tardivement lorsque le ballon arrive
à leur proximité immédiate. En outre, ils ne progressent pas de manière significative lors des
séquences d’enseignement ». A partir de ce « constat robuste d’une dissociation entre
motivation hors situation et mobilisation en situation », l’auteur va tenter de comprendre les
processus à l’origine d’une divergence des sensibilités. Dit autrement, pour un ancien
pratiquant particulièrement sensible à l’enjeu de la rupture32
, il s’agit de saisir comment un
pratiquant peut ne pas être sensible au même objet. Ainsi se justifie la tentative de
compréhension, par Récopé, de la « grande variété interindividuelle des sensibilités ».
Récopé considère la rupture de l’échange comme l’enjeu fondamental, voire l’essence,
du volley-ball. Les pratiquants y étant sensibles apparaissent comme les plus performants
dans l’action défensive33
et comme ceux progressant le plus au cours d’une séquence
d’apprentissage. Pour eux, les acquisitions techniques revêtent une importance cruciale, la
perte du point étant vécue comme une menace pour le bien-être et l’intégrité personnels. En
effet, « quand cet événement se produit, il est douloureusement vécu ». Ils développent alors
une intense activité réflexive « sur ce qu’il aurait fallu faire et ce qu’il faudrait faire pour s’en
prémunir ».
L’objectif pour le pédagogue consistera à insuffler, chez tous les pratiquants du volley-
ball, notamment chez ceux pour qui elle n’est pas spontanée, cette sensibilité à l’enjeu de la
rupture de l’échange : « une formation efficace devrait s’attacher à la fois à comprendre la
cohérence globale actuelle des pratiquant et à saisir les conditions permettant de favoriser
l’émergence de la cohérence globale de type sensibilité à la rupture de l’échange ». Tous les
élèves doivent intérioriser le volley-ball comme un « sport saturé par l’enjeu culturel
32 Discussion informelle. 33 Notamment de par leurs conduites d’anticipation : « anticiper, c’est pré-parer le risque d’être surpris, d’être
mal placé, d’être en retard, en difficulté dans le futur immédiat des situations » ; cette conduite, globale,
d’anticipation répond à une « urgente et inquiète nécessité ».
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
d’opposition ». Au final, le pédagogue déploie, une nouvelle fois, une stratégie par réduction :
il rabat la pluralité interindividuelle des sensibilités sur une sensibilité unique, considérée
comme seule légitime et qui devrait être uniformément partagée par tous.
QUELLES EXPERIENCES ALTERNATIVES DE LA PLURALITE EN EPS ?
L’analyse qui précède tend à montrer que l’expérience de la pluralité est massivement
associée à des vécus négatifs et désagréables : inconfort découlant de préoccupations
plurielles dans le cours de l’action ; sentiments de clivage et de souffrance identitaire
inhérents à la pluralité des dispositions ; réactions de frustration et d’incompréhension face à
la divergence des sensibilités. Face à cette pluralité anxiogène, la stratégie adaptative la plus
répandue consiste à la réduire, c'est-à-dire à la rabattre vers l’unicité en se focalisant sur une
option exclusive. L’enseignant est-il condamné à vivre la pluralité dans le malaise ? Ne peut-il
faire l’expérience d’autres saveurs, nuances ou tonalités et inventer des stratégies plus
originales ?
VIVRE DES PREOCCUPATIONS PLURIELLES SANS INCONFORT ?
Réfléchir à la possibilité d’une autre expérience de la pluralité des préoccupations
suppose de reconnaître trois processus qui, combinés, amplifient l’inconfort et l’anxiété des
enseignants débutants : tout d’abord, nous avons vu que c’est l’activité sémiotique de l’acteur
qui précipite la bascule du dilemme initial (où la pluralité peut être gérée) à l’injonction
paradoxale (qui est, elle, logiquement insoluble). Cette dérive n’a rien de nécessaire et
d’irréversible ; un détour réflexif permet de s’extraire de cet enfer privé, en acceptant la
succession temporelle des préoccupations ou en les intégrant. Le malaise de l’enseignant est
ensuite renforcé par son obsession de concrétiser son plan de leçon et l’impression,
désagréable, de s’en écarter. Parce qu’il bascule du statut de ressource à celui de contrainte
(Suchman, 1990), le plan emprisonne ; tout ce qui l’entrave (notamment l’émergence
d’attentes concurrentes) sera vécu comme un obstacle à supprimer. L’acteur s’abstrait alors de
l’ici-et-maintenant par une focalisation exclusive sur le futur anticipé qui l’angoisse. Jugeant
inopportun de laisser transparaître ce malaise, l’enseignant va chercher à le dissimuler. Afin
de rester crédible aux yeux de son public scolaire, il se condamne à vivre de façon solitaire
son désagrément et à assumer la charge tant cognitive qu’affective du simulacre.
Qu’en est-il désormais des possibilités concrètes de modifier ce vécu négatif ? A
quelles conditions, au travers de quels gestes professionnels l’acteur peut-il faire une
expérience plus agréable de la pluralité des attentes ? Nous rapportons ici une situation, vécue
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
en première personne, dans le cadre de notre emploi d’enseignant d’EPS à l’Ecole normale
supérieure de Lyon. Mentionnons quelques traits spécifiques de cet environnement éducatif :
au sein de cet établissement d’enseignement supérieur, les élèves ne sont soumis à aucune
obligation d’investissement sportif34
; les pratiquants sont systématiquement volontaires ; ils
ne sont évalués d’aucune façon et s’engagent de manière réversible dans l’activité sportive de
leur choix, sur un mode loisir ou compétitif35
; contrairement au second degré, notre action
n’est encadrée par aucun programme officiel. Dans ce contexte d’intervention, nous avons été
fréquemment confrontés au dilemme suivant : maintenir le plaisir des élèves versus préserver
des objectifs de progrès et de performance. Comment concilier recherche de plaisir et visée
d’apprentissage tout en fidélisant les étudiants ? Peut-on y parvenir sans malaise ou
inconfort ?
En premier lieu, une réflexion (semi-)théorique36
révèle, au-delà de son apparente
irréductibilité, le caractère non contradictoire de cette double préoccupation. Les travaux de
Delignières et Garsault (2004) nous permettent d’intégrer les deux visées dans une stratégie
pédagogique inclusive. Le raisonnement est le suivant : « si l'entrée en pratique peut être
motivée par des raisons diverses (effet de mode, souci de santé…), l'adhésion à long terme est
essentiellement liée à la satisfaction, au plaisir que les individus tirent de leur pratique (Perrin,
1993) ». Traditionnellement, « on considère que le plaisir est associé au jeu, à l'expérience de
sensations fortes ou à la satisfaction de besoins d'affiliation ». Or, « plusieurs travaux récents
(Deci & Ryan, 1985 ; Goudas & Biddle, 1994) ont montré que le plaisir éprouvé dans la
pratique sportive est essentiellement lié d'une part au sentiment d’auto-détermination37
et
d'autre part à l'accroissement du sentiment de compétence »38
. Ces résultats « bouleversent
complètement les représentations classiques du plaisir, notamment en montrant qu’un
déterminant central du plaisir renvoie aux progrès réalisés dans l'activité, c’est-à-dire à
l'apprentissage ». Il était courant en EPS d'opposer le jeu et le travail, c’est-à-dire le plaisir
d’un côté et l’apprentissage de l’autre. Alors que le plaisir n’était toléré que comme « support
motivationnel pour permettre l’apprentissage », ces propositions théoriques le font apparaître
34 Ils suivent par ailleurs une formation académique d’excellence et ce dans des disciplines totalement étrangères
aux STAPS ou Sciences du sport. La pratique sportive répond chez beaucoup à un souci d’équilibre voire de
décompression face à la pression académique subie. 35 Des équipes sont engagées dans les compétitions universitaires académiques. 36 Sa vocation est moins la validité scientifique que l’efficacité pragmatique. 37 C’est-à-dire le fait de pratiquer une activité de son propre gré. L’auto-détermination des étudiants de l’ENS de
Lyon dans la pratique sportive semble atteinte par le fait que leur choix de s’engager dans une activité ne relève
d’aucune obligation administrative ; elle est de leur propre ressort et s’avère à tout moment réversible. 38 Lié à la maîtrise des tâches.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
comme une « conséquence directe de cet apprentissage ». Le plaisir ainsi défini39
se démarque
donc du simple amusement, du défoulement ponctuel ; il s'agit d'une « satisfaction plus
profonde, à l’égard de soi-même et de son activité, avec des retentissements plus durables,
notamment sur l’estime de soi ». Au final, un pratiquant aura tendance à persévérer dans une
activité sportive s’il éprouve le sentiment d’être compétent. De ce sentiment, naîtra la
satisfaction, qui relève d’un plaisir éprouvé à long terme. En s’engageant dans une telle
perspective pédagogique, nos intentions éducatives d’apparence contradictoire cessent de
l’être effectivement : « une didactique du plaisir » doit « favoriser l’apprentissage » en
autorisant « l’accès de chacun à un niveau significatif de compétence dans l’activité
sportive ». Toutefois, pour Delignières et Garsault, deux obstacles sont susceptibles de
contrarier cette didactique du plaisir par l’apprentissage : d’une part la « pluriactivité » qui
s’associe, notamment dans le second degré, à des cycles courts ; d’autre part le manque de
compétences des enseignants dans des disciplines qu’ils ne maîtrisent que superficiellement.
Ces entraves potentielles ne se retrouvent pas dans le contexte de l’ENS de Lyon : en effet,
l’enseignement de chaque activité sportive40
est étalé sur l’année entière (vingt-huit semaines
à raison d’un entraînement hebdomadaire) et pris en charge par un spécialiste de l’activité
(chaque enseignant d’EPS n’encadre, au maximum, que trois activités41
, dans lesquelles il a
un vécu de pratiquant et de praticien). Ces conditions doivent permettre à chaque pratiquant
de devenir, en fonction de son niveau de départ, un « expert » d’une activité sportive ou tout
du moins (ce qui est probablement plus déterminant) de développer le sentiment d’y avoir
atteint « un niveau significatif de compétence ». L’incompatibilité initialement perçue dans la
dynamique de notre action pédagogique entre objectifs de plaisir et d’apprentissage semble se
résoudre, à un niveau cognitif, par l’adoption d’une stratégie éducative qui intègre42
ces deux
finalités dans une démarche commune et unitaire. La stabilisation d’apprentissages techniques
et tactiques (mais aussi de progrès physiologiques) développe un sentiment de compétence43
39 Ce plaisir différé et à long-terme, basé sur la compétence, se rapproche de la « joie » chez Snyders (2008). 40 De façon ultra-majoritaire, un étudiant de l’ENS de Lyon ne s’engage que dans une activité sportive à l’année. 41 Nous enseignons pour notre part le handball, le football et la boxe pieds-poings. 42 Durand (1996) identifie trois stratégies développées par les enseignants pour faire-face à leurs dilemmes : 1) la
conservation du dilemme dans le temps, dans les limites des normes de tolérance et d'acceptabilité de chaque enseignant ; 2) l’abandon d'une des alternatives contradictoires du dilemme, les enseignants se résignant à
renoncer momentanément ou à plus long terme, à l’une de leurs exigences ; ici, il s'agit de supprimer la ligne de
tension en supprimant le dilemme ; 3) la recherche d’un compromis qui permet de négocier une solution
transitoire, certainement pas optimale mais provisoirement viable et relativement satisfaisante. Ria (2001)
démontre que les enseignants débutants, après être restés prisonniers un temps du dilemme (stratégie 1) en
viennent à le résoudre par focalisation exclusive sur une seule de ses alternatives (stratégie 2). La stratégie
intégrative que nous suggérons, en appui sur les travaux de Delignières, coïncide avec la solution 3) même s’il
s’agit davantage d’une inclusion que d’un compromis. 43 La compétence peut être associée à des buts d’accomplissement liés à la maîtrise et/ou à la performance.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
lequel génère de la satisfaction. Celle-ci entraîne une poursuite de l’activité qui favorise elle-
même les apprentissages44
.
Bien qu’incorporée et mise en œuvre, cette démarche ne fait pas disparaître de façon
magique la concurrence persistante des préoccupations de plaisir et d’apprentissage. Elle
n’aborde par exemple la question des plaisirs d’affiliation et des plaisirs sensoriels (Haye,
2007). D’autres référents théoriques devront alors être mobilisés. Par exemple, le plaisir
d’affiliation peut être poursuivi au moyen d’un engagement dans une équipe de sports
collectifs inscrite dans un championnat universitaire ou dans la constitution d’un groupe
d’entraînement de boxe préparant les championnats nationaux. Quant aux plaisirs sensoriels,
liés à l’expérience de sensations agréables, nouvelles et/ou intenses, nous pouvons également
les relier aux perspectives d’apprentissage en mobilisant la « théorie de la dissonance
cognitive » de Berlyne (1960). Plusieurs facteurs, comme la nouveauté, la surprise, la
complexité ou l’incertitude45
, sont susceptibles de créer un décalage entre le vécu du
pratiquant et ses attentes habituelles. S’ensuit l’expérience de sensations inédites qui
augmentent l’activation et a fortiori la motivation intrinsèque (Gouju, 1993).
Il n’est pas ici question de prolonger la dissertation théorique mais simplement de
souligner que, par un effort cognitif, l’acteur confronté à une pluralité d’attentes a priori
contradictoires possède des outils, entre autres scientifiques, pour révéler après-coup des
articulations possibles. D’une certaine façon, par un raisonnement théoriquement ancré,
l’enseignant se donne la possibilité de déconstruire l’invention d’une réalité contradictoire
qu’il avait lui-même bâtie. Son cadre théorique lui fournit une décentration, un « méta-point
de vue » (Morin, 1991) permettant de s’émanciper de sa propre perception du monde46
.
Malgré tout, le détour théorique ne constitue ni la panacée ni le remède miracle ; il doit être
complété par d’autres solutions adaptatives.
En effet, en dépit de notre stratégie pédagogique globale, certaines séances seront
marquées par un ressenti aigu et déstabilisant de nos visées contradictoires : par exemple,
dans une période d’examens, les étudiants se montreront récalcitrants à s’impliquer dans un
44 Lesquels dépendent sans conteste d’un volume important de pratique et de répétition. Sur la réévaluation des
temps nécessaires à l’acquisition d’habiletés motrices complexes, voir (Delignières et al, 1998 ; Nourrit, Lauriot, Deschamps, Caillou & Delignières, 2000 ; Zanone & Kelso, 1997). 45 Evoquons quelques situations pédagogiques susceptibles d’illustrer ces dimensions : en handball, réaliser une
série de shoots par-dessus un tapis vertical : le gardien est masqué et découvre la trajectoire de la balle au dernier
moment ; le tireur doit s’élever au dessus d’un obstacle massif ; en judo, combattre les yeux fermés sur des
randoris souples ; en boxe pieds-poings, réaliser une opposition contrainte où l’un des protagonistes ne peut
utiliser, pour la frappe, que ses poings et l’autre que ses jambes… Au-delà de l’afflux de sensations nouvelles,
l’enseignant poursuit à travers ces situations spécifiques des objectifs d’apprentissage identifiables. 46 Pour Watzlawick (1996), on ne sort d’une double contrainte que « par un recadrage, permettant une lecture de
la situation à un niveau nouveau ».
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
travail technico-tactique fastidieux ou dans une séquence lourde de préparation physique.
Pourtant, la séance est prête, préparée de longue date, mais l’ambiance de classe47
y semble
peu propice. Le dilemme apparaît critique. Mais condamne-t-il pour autant à l’inconfort ? De
notre capacité à développer un rapport souple et ouvert au plan dépendra la saveur de notre
vécu. Parviendra-t-on à nous rendre disponibles à ce qui advient, dans l’ici-et-maintenant, à
accueillir ce qui émerge de l’interaction présente ? L’enseignant « tolèrera » d’autant plus le
manque, provisoire et réversible, d’entrain de ses élèves vis-à-vis des tâches fastidieuses, qu’il
saura identifier et contextualiser leurs envies48
. Il s’agira parfois d’accepter de différer
légèrement ses plans et de reconnaître qu’une séance peut être réussie même si elle s’écarte du
programme initial49
. Le fait de différer dans le temps certaines préoccupations ne doit être
perçu ni comme une résignation ni comme de la procrastination50
mais comme une faculté à
accueillir ce qui émerge, à s’y ouvrir lorsque cela émerge : que peut-on faire avec ce que vous
êtes disposés à faire ? Plutôt que de regretter l’absent, il s’agit ici de reconnaître l’existant tout
en ménageant la possibilité que du différent advienne. Ce geste mental, loin d’être anodin,
suppose de « suspendre », de « faire taire en soi » nos habitudes naturelles, notre obsession de
l’efficacité immédiate (Gaillard, 2008). Nombre de tensions que l’individu s’inflige résultent
d’une croyance en une hypothétique perfection. Cette croyance produit habituellement un
volontarisme forcené qui a pour conséquence néfaste de se couper de l’émergent. Au lieu
d’accueillir ce qui advient, le sujet s’entête à chercher à conquérir un idéal inaccessible. Ce
faisant, il se condamne fatalement à l’échec. Tout renoncement (même temporaire) à la
réalisation d’une préoccupation sera alors vécu comme un sacrifice inconcevable. La solution
que nous suggérons est loin d’être parfaite, mais elle peut s’avérer viable, suffisamment
bonne. En matière pédagogique aussi, « le mieux est parfois l’ennemi du bien » (Voltaire,
1772).
Enfin, l’enseignant vivra d’autant mieux sa concurrence des préoccupations qu’il
refusera de s’isoler dans un vécu solitaire du malaise. Là où les débutants cherchent à
dissimuler leur frustration, des professeurs plus expérimentés n’hésiteront pas à jouer avec
leurs affects négatifs, à prendre appui sur eux, à les « théâtraliser »51
(Visioli, Ria & Trohel,
47 L’enseignant y a accès par des indices ténus (comportements hors-tâches, lenteur d’installation…) forgés à
partir de « l’histoire affective de la classe » 48 Par exemple de décompression, de sensations ludiques suscitées par le jeu libre. 49 Cette possibilité doit être rapportée aux particularités du contexte d’enseignement à l’ENS de Lyon : l’activité
est enseignée sur vingt-huit séances, non soumise à programme officiel ni à évaluation… 50 « Tant pis pour aujourd’hui, on le fera plus tard ». 51 Visioli identifie plusieurs cas de figure quant aux rapports entre l’émotion ressentie et son expression,
notamment non verbale : le corps de l’enseignant le trahit en dévoilant son ressenti aux yeux des élèves ; le corps
masque le ressenti de l’enseignant par une attitude neutre ; le corps « théâtralisé » exprime une émotion ne
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
2011), jusqu’à en faire des « artéfacts pédagogiques » (Visioli & Ria, 2007). Il s’agit ici de
rechercher un « impact émotionnel à des fins éducatives », de s’appuyer sur la dimension
expressive des affects pour « faire évoluer les valeurs et préférences des élèves ».
L’enseignant ne s’empêche pas ici de verbaliser52
ou d’exprimer corporellement53
sa
déception, son agacement, son insatisfaction, quitte à en forcer le trait. Ce faisant, il
responsabilise ses étudiants (en les mettant face à leurs comportements et leurs conséquences)
en même temps qu’il procède à un « dévoilement » de son propre « stigmate » (ici, un vécu
d’inconfort) ; ce qui ne manquera pas de l’« alléger » (Lacaze, 2006). D’une certaine façon, il
« distribue » sur l’ensemble du « système-classe » la charge affective qu’il aurait dû assumer
seul sans cette communication émotionnelle.
LA PLURALITE DES DISPOSITIONS COMME FACTEUR D’APPROFONDISSEMENT PEDAGOGIQUE ?
Les enseignants d’EPS, travaillés par une pluralité de dispositions théoriques et
pratiques relevant concurremment des modèles de la commande versus de l’autonomie,
peuvent-ils la vivre autrement que sur le mode du clivage, du conflit intrapsychique ou de
l’indifférence à toute théorie ? Au travers de quels gestes professionnels des dispositions
plurielles peuvent-elles se convertir en richesse éducative, en levier d’efficacité
pédagogique ?
A un niveau fondamental, Lahire (1998) trace une voie alternative possible : « tout
individu pluriel (i.e. du point de vue des dispositions) n’est pas un individu clivé ». Le type de
pluralité douloureuse, décrit par Bourdieu, ne constitue qu’un cas particulier d’acteur pluriel.
Ce dernier n’est pas voué à l’image de l’agent double. Il a certes incorporé plusieurs
répertoires de schèmes d’actions et d’habitudes, mais ceux-ci ne sont pas forcément
producteurs de souffrances. Ils peuvent coexister pacifiquement (voir ci-après). L’expérience
douloureuse du dédoublement n’intervient que pour celui dont « la pluralité des schèmes
d’action a fini par rendre impossible l’illusion identitaire de l’unicité de soi ». Seulement dans
ce cas, se pose à l’acteur un problème de cohérence psychique. Lahire met à jour deux
stratégies « non douloureuses » de composition avec la pluralité des dispositions, compatibles
avec le sentiment d’identité à soi-même : dans le code mixing, la réponse apportée par l’acteur
mêle, fait tenir ensemble, des éléments issus de ses divers répertoires d’habitudes ; dans le
correspondant pas au ressenti de l’enseignant ; le corps traduit de manière « sincère » l’expérience de
l’enseignant. 52 L’enseignant s’autorise, par exemple, à ironiser sur des conduites qui peuvent apparaître stupides. L’absurde,
et plus généralement l’humour et la spontanéité, constituent des remèdes pertinents aux injonctions paradoxales à
l’endroit même où, spontanément, on tendrait à se terrer dans le mutisme. 53 Par les gestes, les mimiques, les postures, la voix, traduisant les états affectifs du sujet.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
code switching, les schèmes d’action opposés s’expriment dans des contextes sociaux
distincts et cloisonnés. Ici, la logique de la situation joue un rôle central dans la réactivation
d’une partie des expériences passées incorporées (et l’inhibition des autres) : « la situation
présente réveille ou laisse en veille les habitudes incorporées par les acteurs ». L’enjeu
consiste alors à identifier, dans la situation, l’indicateur pertinent pour l’activation du schème
approprié.
Nous avons mené, dans le domaine de l’EPS, une étude des stratégies déployées in
actu par les enseignants pour composer avec la pluralité de leurs dispositions, notamment
théoriques (Quidu, 2013). Une première stratégie consiste à « spatialiser » ou
« territorialiser » la pluralité des dispositions : les champs de pertinence de chaque disposition
sont délimités de manière pragmatique ; chacune d’entre elles peut aboutir à des actions
efficaces mais dans des conditions différentes et disjointes. L’efficacité des diverses
dispositions fluctue notamment en fonction de l’activité sportive enseignée, du type d’habileté
motrice considéré, de l’étape d’apprentissage.54
Un enseignant interrogé déclare ainsi : « un
savoir n’est utile que dans certaines situations, moins dans d’autres. En sport collectif, il s’agit
d’identifier des alternatives décisionnelles (le cognitivisme nous aide et incite à une démarche
analytique) ; en activité artistique, j’utilise beaucoup la démonstration parce que certains
élèves fonctionnent bien dans cet apprentissage sociocognitif. Selon les moyens différents
d’apprendre des élèves, j’adapte mes propositions ». L’argumentaire est homologue chez deux
autres collègues : « je ne me sens engagé dans aucun champ théorique. Pour les activités ayant
une dimension tactique, je suis un professeur cognitiviste cherchant à faire réfléchir ses
élèves. Dans d’autres, je suis un professeur phénoménologique comme en natation où les
sensations sont importantes. Mais ça dépend aussi des caractéristiques des élèves, du moment
du cycle, de leur niveau. Dans la réalité, les modèles théoriques s’articulent d’eux-mêmes. La
réalité est trop complexe pour la compartimenter comme le font les chercheurs ». Quant au
second, « les cognitivistes sont intéressants lorsque l’on s’intéresse à l’étape fonctionnelle de
l’apprentissage ou dans les activités à dimension stratégique ; les perspectives écologiques et
dynamiques sont intéressantes quand on s’intéresse à la construction d’habiletés fines ».55
Dit
54 Nous rejoignons ici les résultats de Brière-Guenoun, Perez et Durey (2007) ou d’Altet (1994) : cette dernière
constate des changements de styles pédagogiques chez un même enseignant en fonction des tâches, des élèves ou
des contextes. La variabilité comportementale intra-individuelle serait même supérieure à la variabilité
interindividuelle. L’existence d’une telle démarche inclusive est corroborée par Bonnet et Bonnet (2012) : « dans
la pratique, sur le terrain, aucun enseignant ne possède les caractéristiques d’un seul courant. L'enseignement est
rarement monolithique ; se côtoient dans une séance différents types de situations éducatives mettant en jeu des
conceptions parfois très hétérogènes entre elles ». 55 Cette stratégie par territorialisation rejoint le code switching (Lahire, 1998) et la pédagogie conative de Bui-
Xuân (1993). Pour ce dernier, à chaque étape conative, correspond une démarche pédagogique appropriée (jeux
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
autrement, ces enseignants « relativisent56
la portée des savoirs scientifiques selon les
contextes »57
. Suivant Fleurance et Cotteaux (1999), pareille flexibilité des démarches
pédagogiques se développerait avec l’accroissement de la maturité professionnelle.
Une seconde stratégie consiste à manipuler successivement les diverses dispositions
(et les référents théoriques qui les structurent) afin d’interpréter des conduites complexes
irréductibles à un cadre d’analyse simple : lorsqu’un premier paradigme s’avère inopérant
pour décrire, interpréter et résoudre les difficultés rencontrées par les élèves, il s’agit de
mobiliser une seconde grille de lecture. Ce sujet incarne cette stratégie articulatoire : « en
sport collectif, lorsqu’un élève ne fait pas les bons choix et perd souvent la balle en contre-
attaque, je me demande : s’agit-il d’un problème de prise d’information (cognitivisme)? De
préoccupations non fonctionnelles (action située) ? De problèmes sensori-moteurs (approche
dynamique)? ». La logique est identique chez un second sujet : « les sciences me servent à
remettre en cause certaines de mes pratiques. Parfois, je n’arrive pas à comprendre tel
phénomène via la théorie A, mais si je regarde avec la théorie B, ça va mieux ». Pour un
troisième, « la mobilisation de théories variées permet de rester ouvert, en recherchant
d’autres causes pour une même conséquence lorsque les interprétations précédentes étaient
infructueuses ». Au final, ces divers enseignants ont su transformer des théories qui leur
avaient été présentées comme incommensurables en autant de ressources complémentaires
pour interpréter finement un comportement. Leur démarche rejoint la proposition
technologique de Derrider (2006) qui suggère « d’utiliser des modèles pour l’intervention…
et d’en changer » : un problème pratique (un élève qui n’apprend pas) est progressivement
résolu en expérimentant diverses alternatives d’explication et d’intervention. L’enseignant
éprouve un certain plaisir, voire une impression de maîtrise, à mener cette activité stimulante
d’enquête à partir d’indices comportementaux ténus. Derrider parle d’un « jeu interprétatif ».
Au final, que les enseignants mobilisent leurs diverses dispositions successivement ou
dans des espaces différents, ils utilisent des concurrents paradigmatiques de façon
pragmatique et contextuelle. Cela leur permet d’affronter la diversité, la complexité et la
pour l’étape émotionnelle ; situations-problèmes pour l’étape fonctionnelle…). Cette différenciation des méthodes en fonction des étapes permet d’atteindre une consonance socio-conative et suscite le plaisir, du
professeur comme des élèves. 56 Les raisonnements développés par les enseignants sur le terrain sont « empiriques ». Ils rejoignent cependant
les efforts théoriques de chercheurs sur l’intervention, soucieux de délimiter expérimentalement les conditions
respectives d’efficacité des diverses méthodes pédagogiques. Ainsi, Laffont (2002) évalue-t-elle l’efficacité
différentielle de plusieurs modalités sociales d’acquisition suivant la nature des savoirs à acquérir, l’âge des
élèves, leur niveau de compétence... L’idée est d’aboutir à une « EPS pluri-procédures » pour répondre à des
« apprentissages pluri-processus ». 57 Ce qui témoigne d’une disposition métacognitive contextualiste (liée au modèle de l’autonomie).
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
singularité des conduites motrices comme des environnements58
. La pluralité des dispositions
apparaît ici, non pas comme une source de tensions et de clivages conduisant à la paralysie,
mais comme une condition d’efficacité pédagogique, une ressource pour faire face à la
complexité des conditions d’enseignement ou une ouverture à la diversité des élèves. S’ensuit
une expérience de plaisir chez l’enseignant, liée à un sentiment de compétence et d’auto-
détermination.
S’OUVRIR A LA PLURALITE DES SENSIBILITES POUR GAGNER EN EFFICACITE ?
Récopé considère, dans le domaine de l’enseignement du volley-ball, qu’une seule
sensibilité (en l’occurrence à l’enjeu de la rupture de l’échange) s’avère fonctionnelle,
permettant tout à la fois des performances et des apprentissages maximaux. Tout doit être mis
en œuvre pédagogiquement afin que les élèves soient mobilisés par cette seule sensibilité (ils
vivront alors dans un monde homologue d’actions et de perceptions), laquelle correspond en
outre à celle de l’enseignant. Peut-on envisager un modèle pédagogique alternatif, sans
sacrifier l’ambition de performances sportives ? L’enseignant peut-il s’ouvrir à des
sensibilités plurielles et en retirer de la satisfaction, et non de l’incompréhension, de
l’agacement ou de la frustration comme décrits précédemment ? Nous démontrons, à partir
d’une expérience personnellement vécue dans l’enseignement du handball et tout en
demeurant dans le cadre de la démarche pédagogique proposée par Récopé (c'est-à-dire
attentive aux mobiles sensibles des pratiquants)59
qu’une ouverture à la pluralité des
sensibilités peut constituer pour le professeur une opportunité de transformation de ses
conceptions du jeu et d’optimisation de son efficacité pédagogique.
Récopé incite les professionnels de l’EPS à « identifier, dans chaque activité sportive,
l’objet de sensibilité qui doit prévaloir pour agir efficacement »60
. Dans le domaine du
handball, nous avons considéré que l’enjeu fondamental résidait, tant offensivement que
défensivement, dans la sensibilité à l’intervalle : sensibilité à la prise d’intervalle pour
l’attaque ; sensibilité à la fermeture d’intervalle en défense. Initialement convaincu, après
58 Ce souci de contextualisation des savoirs semble inhérent à toute pratique d’intervention : ainsi, pour Abraham
et Collins (1998), les entraîneurs spécifient, ajustent et paramétrisent les connaissances scientifiques générales en fonction des caractéristiques de leur contexte d’entraînement. Une telle tendance semble toutefois prendre de
l’ampleur avec la diffusion dans les cursus de formation initiale du paradigme de l’action située et des modèles
de la complexité. 59 Récopé préconise d’ancrer l’intervention sur le développement des raisons d’agir plutôt que sur l’acquisition
des savoir-faire. Sans contester que l’« agir » et le « faire » sont tous deux nécessaires à l’efficacité, l’auteur
suggère une entrée par les mobiles d’agir. Nous faisons nôtre cette entrée mais nous éloignerons de Récopé
quant au traitement suggéré des sensibilités plurielles. 60 Cette « sensibilité prévalente » rejoint l’idée d’« essence de l’activité » proposée par les technologues des
activités sportives.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
Récopé, que « l’enjeu premier de toute perspective de formation consiste à favoriser chez tous
les pratiquants l’avènement d’une sensibilité à l’essence », nous avons pédagogiquement
entrepris de développer chez l’ensemble de nos étudiants une sensibilité à la prise d’intervalle
en attaque. Précisons ici qu’en tant que joueur de handball, nous étions particulièrement
sensibles à la prise d’intervalle et au duel, cette thématique ayant notamment fait l’objet de
notre exposé lors de l’épreuve n°3 d’admission à l’agrégation externe d’EPS61
. Il s’agissait
donc de rabattre la diversité des sensibilités des joueurs en handball sur une seule sensibilité,
jugée la plus déterminante pour la performance et la progression, sensibilité qui
« accessoirement » se trouvait être celle qui nous structurait.
Le constat d’un décalage de sensibilité entre notre propre vécu et celui de plusieurs
élèves indifférents à la prise d’intervalle a tout d’abord suscité chez nous frustration et
incompréhension : comment pouvait-on pratiquer le handball sans être obsédé par la prise
d’intervalle ? Notre réflexe pédagogique a consisté à mettre en place plusieurs stratégies
convergeant vers l’ambition d’installer, uniformément chez tous les pratiquants, une telle
sensibilité jugée seule efficiente. Nous avons ainsi mis en place des situations pédagogiques
stimulant cette prise d’intervalle (deux fronts de joueurs se font face avec l’ambition de
perforer la ligne adverse), aménagé les contraintes réglementaires (possibilité de marcher
balle en main), proposé des échauffements de type rugby, abusé de métaphores suggestives
pour inciter à la « pénétration », à la « perforation », au « déchirement » de la ligne adverse…
Au niveau individuel, les résultats ont été probants : les pratiquants sont devenus, en
quelques mois, plus menaçants pour la ligne défensive adverse ; ils jouaient davantage de
duels ; leurs actions cessaient d’être stériles, passives, exclusivement horizontales. A un
niveau collectif, le jeu est devenu plus vertical. Constatant une certaine emprise pédagogique,
nous avons éprouvé de la satisfaction, celle d’avoir réduit la pluralité des sensibilités à
l’unicité de la seule jugée légitime. L’enseignant se sent alors confirmé dans ses convictions
sensibles par l’intermédiaire de l’évolution de ses élèves. Une telle valorisation narcissique,
plaisante à court-terme, ne nous a toutefois pas empêchés de faire très vite un nouveau
constat, moins agréable, sur l’évolution du jeu collectif de notre équipe : chaque joueur
évoluant désormais dans une obsession outrancière de la pénétration et de la prise d’intervalle,
la circulation du ballon a rapidement perdu en fluidité et en vitesse. Le ballon était moins
vivant, souvent enterré par les neutralisations adverses, l’espace de jeu effectif s’était restreint
61 La tendance à considérer sa propre sensibilité comme l’essence de l’activité implique des phénomènes
affectifs de réassurance narcissique et de projection. Comme le soulignent Andrieu et Richard (2012), « en EPS,
le corps à corps dans la classe engage l’éducation physique de l’enseignant et de l’enseigné » dont la
« compréhension nécessite une autoréflexivité et une modélisation de la pratique relationnelle ».
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
à la zone directement adjacente au porteur de balle. Nos attaques ont perdu en effet de
surprise, l’enchaînement des prises d’intervalle par chacun de nos joueurs devenant
systématique. Nous avons été contraints de reconnaître que notre effort compulsif pour faire
intégrer à chaque joueur, individuellement, la sensibilité à la prise d’intervalle s’était soldé par
une détérioration de la circulation collective du ballon.
Notre conception du jeu (et a fortiori de l’action pédagogique) a été contrainte
d’évoluer, notamment quant au traitement de la pluralité des sensibilités : nous sommes peu à
peu devenus convaincus que l’organisation collective de l’attaque en handball nécessitait la
combinaison d’actions animées par la sensibilité à la prise d’intervalle et par une sensibilité
alternative, en l’occurrence à la « circulation fluide du ballon », à sa transmission rapide, à
l’élargissement de la zone d’attaque. Une bonne séquence d’attaque doit combiner ces deux
propriétés, la perforation et la circulation. Nous aurions pu être tentés de figer chaque joueur
dans un rôle immuable, conformément à sa sensibilité originelle : nous aurions alors eu des
pratiquants qui auraient été des « perforateurs systématiques » quand d’autres auraient été des
« relayeurs systématiques ». Nous avons opté pour une autre conception : développer chez
chaque joueur une double sensibilité, à la prise d’intervalle et à la circulation fluide de la
balle. Suivant les séquences offensives annoncées, chaque joueur devra être capable
d’occuper, temporairement, un rôle de relayeur ou de perforateur. Dès lors, chaque
enclenchement débouchera sur une répartition équilibrée des tâches : le danger sera apporté
par les fonctions de perforation et la vitesse de circulation par les fonctions de relai. Il serait
naïf de notre part de penser que chaque joueur puisse être, de façon absolument équilibrée,
aussi efficace dans les deux rôles. Plus modestement, nous nous efforçons de faire en sorte
qu’ils puissent être capables d’y évoluer alternativement, même si dans des proportions
différentes. Cette possibilité d’évoluer dans les deux rôles, conformément à une double
sensibilité, crée à l’échelle du match et de l’enchaînement des différents enclenchements une
incertitude maximale chez l’adversaire et préviendra l’effet d’habituation, lequel aurait été
probable si les joueurs relayeurs et les joueurs performateurs avaient pu être rapidement
identifiés et canalisés.
Au final, ce récit d’expérience personnelle témoigne d’une évolution possible quant au
traitement de la pluralité interindividuelle des sensibilités. D’une posture réductrice originelle
(où il convenait de rabattre tous les joueurs sur une sensibilité unique), nous nous sommes
progressivement ouverts à la diversité des sensibilités et à l’efficacité de leur combinaison au
service de la dynamique collective de l’équipe. Cette reconnaissance a permis, à notre sens,
d’enrichir notre conception du jeu dans le sens d’un plus grand équilibre collectif entre jeux
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
vertical et horizontal, entre menace et continuité. Un sentiment d’efficacité pédagogique peut
ainsi naître de l’ouverture à la pluralité des sensibilités.
CONCLUSION
Après avoir caractérisé trois niveaux de pluralité auxquels pouvait être
quotidiennement confronté l’enseignant d’EPS, nous avons présenté les expériences
corporelles qui y étaient classiquement associées et les stratégies adaptatives mises en œuvre
pour y faire face. Les vécus corrélés aux situations de pluralité des préoccupations, des
dispositions cognitives et des sensibilités sont fréquemment présentés dans la littérature
comme désagréables, inconfortables, frustrants et anxiogènes. Emprisonné par ses affects
négatifs, l’acteur est sommé de résorber la pluralité et y procède majoritairement par
focalisation exclusive sur un pôle du dilemme et mise en sourdine de l’alternative. A cette
vision négative de l’expérience de la pluralité, vouée à être réduite, nous avons voulu ajouter
un visage inédit : d’autres modalités de composition avec la pluralité peuvent émerger des
affects positifs, une ouverture des perspectives et un gain d’efficacité dans l’action
pédagogique. Dit autrement, agir dans la pluralité ne condamne pas mécaniquement à la
souffrance. Il nous faut élargir le modèle de l’acteur pluriel au-delà de la vision d’une
pluralité douloureuse.
Cette voie ouverte mérite d’être approfondie, tout à la fois par des analyses empiriques
en troisième personne et des récits d’expérience éducative en première personne. Cette
confrontation devrait permettre de révéler de nouveaux vécus de la pluralité, de nouvelles
solutions adaptatives. D’éventuelles régularités inter comme intra-individuelles dans la
gestion de la pluralité pourront être mises à jour. Dans ce second cas, un acteur donné
manifeste-t-il des tendances régulières quant à sa façon spécifique de composer avec divers
ordres de pluralité ?
Nous émettons l’hypothèse suivant laquelle la pluralité représente une arme à double
tranchant, et ce dans une gamme potentiellement étendue de niveaux de pluralité62
. La
question devient : à quelles conditions une expérience de la pluralité peut-elle être associée à
un vécu positif ? En découle une seconde interrogation : peut-on faire l’apprentissage de la
pluralité, de son traitement ? Cette possibilité interroge d’autant plus que les situations de
pluralité, quels que soient les niveaux considérés, prolifèrent dans les situations de travail
62 Il peut en aller par exemple dans le domaine des conduites décisionnelles. La pluralité des sources d’influence
dans l’acte décisionnel peut générer aussi bien de l’inconfort voire une paralysie (Renault & Hauw, 2007) que de
l’efficacité et de la robustesse (Mouchet, 2005).
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
comme dans la vie quotidienne. Se résigner à n’en retirer que des affects négatifs ne peut
satisfaire dans l’optique d’une « psychologie positive » attentive à la qualité de vie et au bien-
être au travail (Csikszentmihalyi, 2006) mais également dans le but d’une optimisation de
l’efficacité tant individuelle que collective.
Ria (2001) discute cette possibilité dans la perspective du développement des
compétences professionnelles : l’enseignant débutant peut-il apprendre à mieux gérer ses
dilemmes ? L’auteur suggère qu’il est possible d’aider le praticien à sortir de son « enfer
privé », de sa « prison phénoménale » par l’entremise de plusieurs dispositifs : d’une part la
réalisation d’entretiens d’auto-confrontation permettant la conscientisation de ses
préoccupations et de ses dynamiques affectives et autorisant a fortiori « l’élargissement du
champ de la conscience » ; d’autre part l’instauration d’une réflexion collégiale sur les
conditions d’émergence des préoccupations concurrentes, leur résolution mais également leur
prévention. Le dilemme est déconstruit, collectivement et a posteriori : un regard extrinsèque
peut permettre de « relativiser leur dilemme », de « mettre à plat les lignes de tension vécues
de façon conflictuelle » et de « faire prendre conscience aux enseignants que leur perception
de la situation peut constituer pour eux-mêmes un piège ou un cercle vicieux ». En instaurant
un rapport d’extériorité vis-à-vis de sa propre pratique, l’acteur s’autorise une « sortie de soi »
qui l’incitera à reconstruire une « nouvelle réalité ». Il découvre également l’inadaptation de
certains dispositifs pédagogiques, de certaines organisations spatio-temporelles des
apprentissages. Il s’enrichit « d’autres repères, d’autres points de vue ». Ainsi réfléchie et
partagée, l’expérience de la pluralité des préoccupations apparaît comme une source de
connaissances et de compétences professionnelles. L’enjeu n’est pas la disparition de tous les
dilemmes, mais bien la suppression de ceux qui apparaissent comme évitables et la réduction
de l’inconfort occasionné par ceux qui le sont moins.
Quid toutefois de la possibilité pour l’enseignant solitaire, ayant achevé sa formation
initiale et ne disposant plus de ressources comme le conseil pédagogique, l’inspection ou la
formation continue, de progresser suivant cette même logique ? A un premier niveau,
l’enseignant isolé n’est pas totalement seul ; la collectivisation des expériences peut s’opérer
de façon indirecte, par exemple lorsque l’enseignant esseulé prend connaissance des travaux
de Ria et des expériences relatées vécues par les pairs. A un second niveau, l’enseignant peut
mener une activité réflexive qui, sans revêtir la portée réflechissante permise par l’auto-
confrontation médiée, par un tiers, peut autoriser certaines prises de conscience et remises en
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
question critiques63
. Cette activité réflexive basée sur les allers-retours entre problématiques
issues du terrain, détours théoriques, expérimentations pédagogiques, évaluations et
identification de nouveaux dysfonctionnements nous a, à titre individuel, permis une
ouverture sur la fécondité de la pluralité des sensibilités en dépassant une vision réductrice de
l’efficacité sportive centrée sur la projection de notre propre sensibilité.
Finalement, apprendre à gérer la pluralité, inter comme intra-individuelle64
apparaît,
non seulement comme un gage de qualité de vie et d’efficacité, mais comme un enjeu sociétal
majeur dans un monde où le pluriel prolifère sans que ne soient parallèlement acquis les
moyens de l’affronter. Il en va ainsi des relations entre cultures (Audet, 2011), entre religions
(Pothin, Sous presse), entre valeurs (Duret, 2010) ou entre langues (Saint-Pierre, 1976), mais
aussi entre paradigmes dans l’espace académique (Quidu, 2011b ; Quidu, 2012).
L’apprentissage de la pluralité devient un impératif voire un défi éthique. Nul ne peut se
contenter des formules vides de contenus, que représentent les incantations politiques au
pluralisme, faisant la preuve de leur échec dans la massification des communautarismes. Dans
une société mondialisée, apprendre à gérer la pluralité devient une condition indispensable du
vivre-ensemble et le meilleur rempart contre le clivage ou le repli. Notre interrogation sur la
pluralité, à partir de l’expérience vécue de l’enseignant d’EPS, n’a donc rien à voir avec un
prosélytisme fasciné mais traduit plutôt l’inquiétant constat du développement des situations
plurielles sans outils pour y faire face. Si la pluralité n’est pas nécessairement une contrainte,
elle n’est pas, symétriquement, forcément une richesse65
. Elle est avant tout un possible. Si
l’on ne peut s’y enfermer comme contrainte, on doit s’y ouvrir comme ressource ; mais ce
processus de renversement s’acquiert, s’exerce, se réfléchit.
Au final, nous ne pouvons que rejoindre Berthelot (2008) pour qui la pluralité est
triplement un fait, une énigme et un danger : un fait que l’on constate car, de façon toute
descriptive, elle est permanente et prolifère ; une énigme car son irréductibilité perdure et
questionne ; son traitement est non aisé, non fluide ; pourquoi est-il si ardu de composer avec
63 Sans garantie pour autant de recul suffisant sur la pertinence des transformations opérées. 64 Morin (1994) fournit dans son autobiographie une illustration d’un cheminement vers l’acceptation de sa
pluralité interne : « j’ai à la fois le sens de l’irréductibilité des contradictions et de la complémentarité des
contraires ; c’est une singularité que j’ai vécue d’abord, subie puis assumée et enfin intégrée dans le concept de dialogique ». 65 Dans le domaine académique, nous avons questionné : « la pluralité théorique est-elle nécessaire au progrès
scientifique ? » (Quidu, 2011). Les positions de Kuhn (1983) et de Feyerabend (1979) s’opposent fortement
quant aux réponses fournies : le premier considère que le conformisme mono-théorique s’est montré
particulièrement efficace et que la nouveauté n’émerge qu’après-coup comme conséquence de cette focalisation
paradigmatique originelle ; le second considère la prolifération d’alternatives paradigmatiques comme une
nécessité, seule garantie des progrès empiriques ; chaque paradigme permet, par contraste et effet de
décentration, de mettre à jour les failles de l’alternative, ce qui n’aurait pu avoir lieu dans un contexte mono-
théorique.
A paraître dans Movement & Sport sciences – Science & Motricité.
la pluralité ? ; un danger car une pluralité traitée de façon aveugle peut déboucher sur le
relativisme, c'est-à-dire la négation même de la recherche du bien, du vrai, du juste.
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