Les politiques de réforme de l’Etat et le gouvernement par la performance. Evolutions, enjeux, enseignements
Intervenant : Philippe Bezes (chercheur au CNRS, CERSA, Centre d’Etudes et de Recherches de Sciences administratives et politiques)
Introduction – l’essor des politiques de réformes administratives depuis les années 1970
Des Etats administratifs en pleine mutation depuis les années 1970 dans la plupart des pays européens
« Succès » des idées de nouvelle gestion publique et très large diffusion de recettes « néo-managériales » dans les administrations publiques Gouvernement par la performance Incitations de type marché (mise en concurrence, PPP, etc.), Contractualisation Etat-stratège, agencification Rémunération à la performance, etc.
Multiplications des vagues de réformes de l’administration en France comme dans les pays étrangers (Grande-Bretagne, Suède, Etats-Unis, etc.) depuis les années 1970
Des politiques de réforme de l’appareil d’Etat de plus en plus « équipées », « spécialisées » et autonomes : organisations ad hoc, consultants, etc.
Introduction – l’essor des politiques de réformes administratives depuis les années 1970
Deux dynamiques à l’œuvre dans les transformations des Etats
Complémentaires, contradictoires ou déconnectées?
• Dynamique de délégation Décentralisation (délégation politique) Agences (délégation organisationnelle) Déconcentration (délégation gestionnaire) Partenariat Public-Privé (délégation marchande)
• Enjeux variés Distribuer du pouvoir Améliorer l’offre des services publics en la mettant à distance du
politique La fragmenter pour localiser les critiques Eviter le blâme en déléguant les responsabilités ?
• Dynamique de renforcement du contrôle par le centre Renforcement des capacités de direction et de contrôle détenues
par les exécutifs politiques Réactivation de mécanismes de politisation Usage croissant des instruments de gouvernement par la
performance• Enjeux variés
Renforcer les moyens de pilotage et de contrôle « à distance » Renforcer les capacités de direction pour revendiquer du crédit Afficher symboliquement le contrôle
Deux dynamiques à l’œuvre dans les transformations des Etats
Complémentaires, contradictoires ou déconnectées?
A. Le gouvernement par la performance: définition, historique,
réformes
Définition du gouvernement par la performance
Un systèmequi génère de l’information sur la performance des
administrations publiques à travers des dispositifs de planification stratégique
et de mesure des activités administratives et de leurs effets
et qui connecte ces informations à des circuits de décision et aux fonctionnements démocratiques
Le modèle du gouvernement par la performance
2. Les instruments du gouvernement par la performance
Les formes de comptes-rendus (reporting) sur la performance (Rapports annuels de performance)
Les objectifs, cibles et indicateursLes budgets de performance
L’autonomie des metteurs en œuvre et des gestionnaires
La contractualisationLe « benchmarking » (comparer)
Les classements et palmarès (League Tables, rankings)
3. Un développement historique de longue durée, illustré par des réformes multiples
FranceLa rationalisation des choix budgétaires (RCB) – 1969Renouveau du service public (Centres de responsabilité et projets de service) – 1989Contrats de service -1995 – Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) (2001)Politique d’audit interne de l’Etat (2010, RGPP) ; intégrer les opérateurs de l’Etat dans les cadres de la LOLF
Grande-BretagneFinancial Management Initiative (FMI, 1982)Next Steps Programme 1988 (agences et objectifs)Public Service Agreement – 1998Modernising Public Services - 2000
Etats-UnisPPBS aux Etats-Unis - années 1960Government Performance and Results Act (GPRA) -1993 (Congrès)PART (Program Assessment Rating Tool) -2002 (Office of Management and Budget).
B. Les grandes dynamiques au cœur du gouvernement par la performance
Connaître et mesurer pour rationaliser– Idéal du gouvernement rationnel et de l’administration
efficace– Une nouvelle étape dans le processus de
rationalisation : produire une efficacité administrative qui a été critiquée et n’est plus perçue comme allant de soi
– Le « souci de soi de l’Etat » : de nouveaux instruments et savoirs pour connaître et mesurer les fonctionnements administratifs
Diriger et contrôler– Idéal de l’administration, instrument du politique– L’influence des théories économiques des organisations
publiques (public choice, théorie de l’agence, etc.) et la question de l’asymétrie de pouvoir
– Une opposition entre élus/encadrement/managers versus groupes professionnels dans l’Etat: le pouvoir discrétionnaire des «fonctionnaires de terrain et des « bureaucraties professionnelles »
– Une contre-partie de l’autonomie accordée aux gestionnaires et des processus de délégation
– Dynamique de renforcement du centre dans les Etats
Maîtriser la dépense publique– Une focalisation sur les moyens, les coûts et l’efficience– Idéal de l’administration économe– L’introduction de mécanismes de marché dans les
administrations publiques – La place cardinale des ministères financiers dans les
réformes de gouvernement par la performance– Les dilemmes de leur action entre normes classiques
assurant la régularité et nouvelles techniques de performance
Rendre des comptes– L’idéal de la transparence administrative– De nouvelles formes de redevabilité démocratique– L’engagement des Parlements– Gouverner et se légitimer par les résultats pour les
exécutifs politiques
Des objectifs multiples mais différents et peut-être contradictoires
Evaluer Contrôler Allouer les ressources plus efficacement Motiver Promouvoir Apprendre Améliorer les fonctionnements
C. Tensions, paradoxes et disjonctions dans le gouvernement par la
performance
Retour sur le modèle du gouvernement par la performance
1. Les enjeux de construction et d’interprétation des informations produites par les dispositifs de
gouvernement par la performance
Les indicateurs de performance sont des construits sociaux : le problème de ce qu’ils mesurent…
Les problèmes classiques de construction des indicateurs
Effets cliquet Des inégalités sociales dans les groupes et les activités « mesurés » Beaucoup ou peu d’indicateurs – décrire ou donner des objectifs
politiques Comment comparer quand les indicateurs changent ?
1. Les enjeux de construction et d’interprétation des informations produites par les dispositifs de
gouvernement par la performance
Les problèmes classiques d’interprétation des indicateurs
L’action d’une organisation publique dépend de beaucoup d’autres acteurs et de nombreux facteurs
2. Paradoxes et disjonctions dans les usages des instruments de performance
Les effets des cibles et indicateurs sur les pratiques de travail
Indicateurs prégnants/indicateurs inertesStratégies adaptativesInfluence inégale sur les pratiques
Prédominance des enjeux d’évitement du blâme « Jeux » et « tricheries » (the blame game) Effets de seuil Distorsion de résultats Effet réverbère
Quelles utilisations dans les circuits de décision et d’allocation des ressources?
La production d’informations n’implique pas qu’elles soient utiliséesDes usages différenciés selon les niveaux hiérarchiquesDes exemples d’usages utiles (interministériels, enjeu d’un dialogue)Une utilisation assez faible dans les processus d’allocation
L’autonomie des gestionnaires : principe idéal ou réalité ?
3. Quatre tensions dans les usages politiques du gouvernement par la performance
Gouverner par les résultats: nouvelle légitimité politique ou stratégies d’évitement et engagement symbolique ? Contrôle : Renforcement des pouvoirs d’amendement et de contrôle du Parlement ou capacités insuffisantes ? Responsabilisation : Clarification ou opacification des responsabilités pour les ministres et les responsables de programmes ?Démocratie : Quels effets sur les citoyens et quels perceptions des informations fournies ? Transparence ou dépolitisation via le gouvernement par les indicateurs?
Réflexions pour un meilleur usage• L’information doit être l’objet de discussions – donner toute sa place à
l’évaluation des politiques publiques• Mettre les agents publics au cœur du système et associer toutes les parties
prenantes• Tenir compte des multiples facteurs qui jouent sur la « performance »• Introduire des objectifs et des indicateurs de réalisation portant sur
d’autres valeurs que l’efficacité et l’efficience (équité, citoyenneté, droits des usagers, impartialité des procédures, etc.)
• La séparation entre fonctions politiques et fonctions de mise en œuvre est un mythe
Conclusion
Le paradoxe du gouvernement par la performance : l’explosion des régulations internes à l’Etat
L’explosion des administrations de l’audit: la croissance des services de régulation intra-gouvernementale
Un processus paradoxal de re-bureaucratisation dans l’Etat?
Une question : qui régule les régulateurs ?
Des tensions au cœur du gouvernement par la performance
Contrôle versus autonomie: plus de contrôle sur l’administration versus plus d’autonomie pour les gestionnairesRenforcer la verticalisation des organisations versus penser l’intégration et l’interministérielLa multiplication des redevabilités : l’administration et les injonctions contradictoires? (the problem of many eyes)
Au-delà des enjeux de gouvernement par la performance…les dynamiques au cœur des réformes de l’Etat
Contrôle Elaboration de mécanismes de contrôle politique (Parlement, exécutif politique,
citoyens) et organisationnel
DémocratieMécanismes de renforcement des droits
des citoyens face aux administrations (transparence, accessibilité, motivation
des décisions, consultation)
Efficacité et efficienceDébats sur la meilleure forme
organisationnelle (distribution des tâches et des compétences, autonomie
des niveaux, PPP, mesure des résultats, économies budgétaires, formation et
compétences des agents recrutés)
Représentativité/AttractivitéEnjeux d’accès dans et d’attractivité
des fonctions publiquesDébats portant sur le rapport entre la
composition d’une société (genre, classes sociales, minorités) et la composition de l’administration
Merci pour votre attention !