Recueil des penses deM. Joubert / [publi par
Chateaubriand]
Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France
Joubert, Joseph (1754-1824). Recueil des penses de M. Joubert / [publi par Chateaubriand]. 1838.
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RECUEIL
DES .s
PENSES DE M. JOUBERT.
RECUEIL
1 DES S
PENSES DE M. JOUBERT. s
fJaris.
IMPRIMERIE LE FORMANT, RUE DE SEINE, N 8.
8'58.
Paris, 8 septembres 838.
J'ai lu ces mots dans les fragmens de
M. Joubert Le ver soie file ses coques,
et je file les miennes mais on ne les
dvidera pas.
Si; je les ai dvides j'ai spar les
sujets confondus sur des chiffons de pa-
pier toutefois je n'ai pas trop multipli
les litres, pour laisser au penseur une par-tie de la varit de ses penses. On verra
par la beaut de ces pages ce que j'ai perduet ce que le monde a perdu. On peut ne
pes tre de l'avis de Joubert mais voulez-
vous connatre la puissance de son gnie?
Jamais penses n'ont excit de plus grandsdoutes dans l'esprit n'ont soulev de plus
hautes questions et proccup davantage.La veuve de M. Joubert n'a fait imprimerles mditations de son mari que pour elle;
elle aurait craint, en les publiant, d'offenser
la gloire qui a tant recherch l'obscurit..
Mme Joubert m'a charg de rendre les der-
niers devoirs l'me de mon ami. Il y a
dj quatorze ans que j'ai accompagn le
corps de cet ami au dernier asile les
penses de M. Joubert von ^reposer dans
la vie, comme ses cendres reposent dans
la mort.
On trouve dans mes ouvrages une lettre
en date de Turin, 17 juin i8o3, adres-
se M. Joubert l'Essai sur la Littrature
anglaise renferme quelques dtails relatifs
mon ami, et j'avais crit dans le Journal
des Dbats, le 8 mai 1824? ce peu de li-
gnes au moment o le rare et excellent
homme venait de quitter la terre
JOURNAL DES DBTS, 8 mai 1824.
M. Joubert an, conseiller honoraire
de l'Universit, et le plus ancien ami de
M. d F -1- cl '1\1' M. de Fontanes, vient de mourir. St
avec des talens qui i'auraient pu rendre clbre comme son illustre ami, il a pr- fr passer une vie inconnue au milieu
d'une socit choisie elle a pu seule l'ap-
prcier. C'tait un de ces hommes qui attachent par la dlicatesse de leurs sen- timens, la bienveillance de leur me
CHATEAUBRIAND.
l'galit de leur humeur, l'originalit de
leur caractre, par un esprit vif et clair,
s'intressant tout et comprenant tout.
Personne ne s'est plus oubli et ne s'est
plus occup des autres. Celui qui dplore aujourd'hui sa perte ne peut s'empcher
de remarquer la rapidit avec laquelle
disparat le peu d'hommes qui, forms
sous les anciennes murs franaises
tiennent encore le fil des traditions d'une
socit que la rvolution a brise. M. Jou-
bert avait de vastes connaissances il a
laiss un manuscrit la manire de Pla-
ton, et des matriaux historiques. On ne
vit dans la mmoire du monde que par des travaux pour le monde mais il y a
d'autres souvenirs que l'amiti conserve
et elle ne fait ici mention des talens litt-
raires de M. Joubert, qu'afin d'avoir le
droit d'exprimer publiquement ses re-
grets,
PENSEES
DEE
M. JOUBERT.
N I.
DIEU; AME. CIEL. RELIGION. NATURE ET IDES RELI-
GIEUSES. CHOSES DIVINES. FOI. CULTE. SAINTET.
PIT. DVOTION. VRIT. THOLOGIE. TERNIT.
IMMORTALIT. BONHEUR. VIE ET MORT. PNITENCE.
PRTRES ET PHILOSOPHES. PAPAUT. MORALE. PITI.
FTES. RGIONS INTELLECTUELLES. ESPRIT, etc., etc.
Dieu! intelligence et amour qui embrassele monde; il nous paie de notre esprance,et y sourit; il ne se contente pas de voir, ilest vu. Quelqu'un le voit les anges ? et pour-quoi pas aussi les mes ? Dieu se plat treconnu.
10
Dieu a fait le monde et quand il ne l'aurait
pas fait, et qu'il n'aurait fait que nos mes ?
Ce n'est pas l'auteur de tout c'est le crateur
des esprits, le matre de nos destines que nous
sommes surtout enclins et obligs adorer.
Le monde est sorti de l'esprit de Dieu,
comme une belle statue de bronze ou de mar-
bre sort du moule ou de la tte du sculp-teur.
La justice de Dieu n'est pas de ce monde.
Les matrialistes abusent des abstractions
plus encore que les plus subtils spiritualiste, et
tout au moins avec une inconsquence qu'on ne
peut reprocher ceux-ci. Voyez, par exemple,l'ide qu'ils attachent leurs mots nature,
matire le tout 1
Nous sommes, dit l'Imitation, ce que nous
sommes devant Dieu.
Nous sommes ce que Dieu nous voit, et
toutes choses sont ce que Dieu les voit.
Rien ne peut tre beau dans la matire que
| j
par l'impression de la pense ou de l'me 7
except la lumire, belle par elle-mme, ou
plutt par l'impression de son principe imm-
diat, qui est Dieu.
Le dieu de la mtaphysique n'est qu'une
ide mais le Dieu des religions, le crateur
du ciel et de la terre, le juge souverain des
actions et des penses, est une force.
Dieu est n de Dieu, comme l'image nat de
l'objet dans un miroir.
S'il n'est pas ncessaire de croire tout ce
que les religions enseignent, il serait beau du
moins de faire tout ce qu'elles prescrivent.
L'univers obit Dieu comme le corpsobit l'me qui le remplit.
Dieu ddaigne la conduite du monde phy-sique, il l'a livr son cours et ses ressorts;mais il s'est rserv les mes.
C'est le sacerdoce, c'est--dire un tat o il
y avait beaucoup de mditation et de loisir,
12
qui donna la littrature hbraque son exis-
tence et sa perfection.
Des yeux levs au ciel sont toujours beaux,
quels qu'ils soient.
Aimer Dieu et se faire aimer de lui, aimer
nos semblables et se faire aimer d'eux, voil
la morale et la religion dans l'une et dans
l'autre, l'amour est tout fin principe et
moyen.
La foi empche l'homme de livrer son es-
prit beaucoup de soins inutiles elle le d-
tourne de tenter ce qui est impossible.
Dieu multiplie l'intelligence, qui se com-
munique comme le feu l'infini. Allumez mille
flambeaux un flambeau, allumez-en un mil-
lion, sa flamme demeure la mme.
Dieu. L'enfant le croit semblable l'homme;l'homme exerc le croit semblable la lu-
mire, ce qui est un bien petit progrs.
Aucun homme peut tre n'imagina seul
13
plusieurs dieux la fois mais chacun ayantadmis avec le sien le dieu de son voisin, le
polythisme s'tablit. Il y eut plusieurs dieux,
t parce qu'il y avait eu plusieurs peuples.
Heureux ceux qui ont une lyre dans le coeur,et dans l'esprit une musique qu'excutent leurs
actions! Leur vie entire aura t une har-
monie conforme aux noms ternels.
Il y a mille occasions o le ciel ne veut
pas que l'vidence nous arrte.
Rien que de beau et de cleste n'entrera
jamais dans le ciel.
Les prtres sont les meilleurs amis et les
meilleurs conseils qu'on puisse avoir.
Ils ont ordinairement des affections con-
formes leurs doctrines, et dans leurs doc-
trines une sagesse suprieure eux et
nous.
Dieu qui peut tout faire par un acte
simple de sa volont, a voulu cependant seservir d'agens intermdiaires, afin que les
14
hommes pussent concevoir ses oprationsd'une manire conforme la vrit.
Ces agens sont les anges; c'est par leur
ministre qu'il gouverne le monde.
La pit est un remde.
La vie et la mort, les richesses et la pau-
vret, l'lvation et l'abaissement, sont dans
les mains de Dieu.
Elles font partie de notre destine, qui ne
dpend pas de nous.
Mais le bien et le mal sont dans nos mains,
ou, comme le dit l'Ecriture dans les mains
de notre conseil, parce qu'ils font nos m-
rites ou nos dmrites.
Comme instrutnens nous avons une desti-
nation comme cratures morales, nous avons
une libert.
La vie et la mort, par lesquelles nous som-
mes ou ne sommes pas dans le monde; les
richesses et la pauvret qui nous y assi-
gnent une place; la gloire et la honte, ou
l'lvation et l'abaissement qui nous y font
jouer un rle, tiennent en effet et touchent
au train gnral des affaires humaines et
\K i o
Dieu s'en est rserv la rpartition. Il en dis-
tribue son gr une mesure chaque indi-
vidu.
Toutes les religions sont bonnes la meil-
leure pour chaque homme est celle qu'il a;mais la plus belle est incontestablement celle-
ci (la catholique).
Nous sommes construits de manire ne
concevoir aucune qualit existante qu'en re-
gard de son espce, que nous lui supposons
prexistante. Ainsi, quand nous disons queDieu est juste, nous supposons que tout en
lui est conforme une justice que nous ima-
ginons presque hors de lui.
Toujours l'ide avant la chose.
Tout ce que nous. concevons est plac parnous dans un temps et dans un lieu, comme
dans un cadre; c'est une autre condition de
notre intelligence.
La vrit Dieu seul la voit.
La religion n'est ni une thologie ni une
thosophie, elle est plus que tout cela c'est
16une discipline, une loi, un joug, une nces-
sit, un engagement qu'on s'impose, et qu'onveut qui soit indissoluble.
II faut suivre, pour alleu au ciel, le mme
chemin que ses pres, afin d'y habiter le
mme point.
Dieu a laiss engendrer les sciences physi-
ques aux temps, mais il s'est rserv les au-
tres.
Lui-mme a cr la morale, la posie, etc.
Les premiers germes rcemment produits
par ses mains furent mis par lui dans les mes
et les crits des premiers hommes de l vient
que l'antiquit, plus voisine de toutes les cra-
tions, doit nous servir de modle dans les prin-
cipes de ces choses qu'elle avait reus et
qu'elle nous a donns plus purs.Il faut, pour ne pas nous garer, mettre
nos pieds dans les traces des siens.
Croire de Dieu ce qui est contraire la rai-
son, cela se peut il s'agit d'objets suprieurs notre intelligence; mais croire de Dieu ce
qui est contraire la justice, telle que le coeur
J7
2
la conoit, peut-tre cela ne se peut ni ne se
doit, moins d'un ordre exprs de lui.
Montrez-moi donc cet ordre s'il est clair,je me soumettrai; s'il est obscur, je suspendraimes doutes j'adorerai et j'attendrai.
La meilleure mtaphysique est celle qu'ona malgr soi, c'est-sdire celle qui est fondesur des ides ou des images qui sont invita-blement et universellement en nous; par lanature de notre intelligence, ou par celle deschoses, ou par la volont de Dieu, que cettencessit nous prouve assez.
Les meilleures prires sont celles qui n'ontrien de distinct, et qui participent ainsi de lasimple adoration.
Dans tous les sens du mot le cur est leprincipe de la vie; voil pourquoi la dvotionaide vivre.
L'irrligion. Passion. Ceux qui en sontpossds ce point se font un Dieu du genrehumain; il font leur idole d'un tre abstrait et
informe, par la ncessit qui porte invitable-
|e
ment la, nature humaine aimer et honorer
sans mesure quelque chose d'immatriel et
d'infini.
On ne comprend la terre que lorsqu'on a
connu le ciel.
Il faut aimer de Dieu ses dons et ses refus
aimer ce qu?il veut et ce qu'il ne veut pas.
L'homme mu croit plus en Dieu quel'homme froid; dans la colre et dans la fu-
reur mme, la religion se fait mieux sentir.`
L'tat de manie, qui est un tat d'agitation,a naturellement beaucoup d'instans religieux.
J'aimerais assez que la religion et quel-
ques hypocrites, ses abus prouveraient du
moins qu'elle existe.
Sans le dogme, la morale n'est que maximes
et que sentences avec le dogme elle est pr-
cepte, obligation, ncessit.
Ce n'est pas de l'intelligence de Dieu que
nous devons nous occuper mais de sa volont.
19
Il nous importe peu de penser sa prsence 3
mais il nous importe beaucoup de penser ,
sa justice, a bont, sa puissance, ses
dcrets.
On craint de trop' peu croire dans tout ce
qui concerne la foi; aussi l'extrmit prvaut
ordinairement), efc.ce; qui parat le moins n
de l'esprit de l'homme est adopt. De l vient
que les hrsies ont d?abord une apparence
plus raisonnable; mais ce n'est pas le raison-
nement, c'est l'autorit qui sert de rgle.
Ce n'est pas la libert religieuse, mais la li-
bert irrligieuse qu'on demande aujourd'hui.
La Bible apprend le bien et le mal; l'van-
gile, au contraire, semble crit pour les prdes-tins c'est le livre de l'innocence.
La premire est faite pour la terre l'autresemble fait pour le ciel.
Selon que l'un ou l'autre de ces livres est
plus dans une nation, on y voit diverses mursou diverses humeurs religieuses.
Chacun suit sa raison ou sa religion car
90
il en est qui la religion, dont toutle monde
est susceptible tient lieude la raison qu'ils
n'ont pas, et qu'ils ne peuvent pasavoir. Tout
le monde est susceptible de religion, mais tout
le monde n'est pas capable de raison.
Religion. Il faut chercher partous les
moyens possibles se la persuaderet s'en
convaincre; cela importe nous, nos fa-
milles, nos voisins et au genre humain.Il
est ncessaire d'y croire, il ne l'est pas qu'elle
soit vraie.
Toute religion est toujours d'unevrit suf-
fisante pour faire mieux que sion ne l'avait
pas.
La religion est la posie du cur.
Le grand nombre des ftes rend les hommes
ingnieux pourvu qu'elles soient religieuses.
Il n'y a de vritables ftes que les ftesre-
ligieuses.
La vrit ne vient pas de nous, et ne peut
venir de nous mais de Dieu ou des esprits
amis de Dieu, auxquels sa lumire a lui dans
>i
tout ce qui est spirituel; et des choses o Dieu
l'a mise dans tout ce qui est matriel.
Il faut donc consulter Dieu, aprs les sageset son propre esprit, pour tout ce qui est spi-
rituel et fouiller dans le fond des choses
pour tout ce qui est matriel.
La religion fait au pauvre mme un devoir
d'tre libral, noble, gnreux et magnifique
par la charit.
Jsiis-Christ n'a rien crit; la divinit iris-
pire et dicte; c'est aux disciples crire.
Avec Dieu il ne faut tre ni savant ni phi
losophe mais enfant, esclave colier, et toutau plus pote.
La divinit ne trompe jamais, sans quelquencessit, les esprances innocentes des mor-
tels et comme nous croyons qu'elle habiteles lieux qui lui sont consacrs, elle y rendsa prsence plus sensible.
Il faut parler Dieu de tout, l'interrogeret tre attentif l'couter sur tout; mais quel-
22
quefoison
prendsa
proprevoix
pourcelle
de Dieu.
L'athisme, s'il est consquent peut et doit
croire un pf odige chaque minute.Dans les principes de l'athe^ un mort peut
fort bien ressusciter il en pourrait ressusciter
mille par jour, il ne faut pour cela qu'un peude fermentation.
Le disme et les religions mnent au but
par des chemins plus ou moins bons, plus ou
moins baix; et au sommet par des chelons
plus ou moins solides.
N'crivez rien dont fous ne puissiez croire
que cela est vrai devant Dieu*
Examinez toujours si ce qu'on dit et ce
qu'on pense est vrai devant Dieu.
Ne pcf urrait on pas dire et ne pourrait on
pas penser que depuis l'avnement de Jsus-
Christ Dieu a infus dans la nature plus de
lumire et plus de grce?Il semble en effet que depuis ce temps il y
a eu dans le monde une connaissance plus
gnrale de tous les devoirs," et une facilit
Jmt.tJ
plus rpandue et plus commue pratiquerles vraies vertus et toutes les grandes vertus.
Qu!est-ce qui est le plus difforme, ou d'une
religion sans vertu, ou des vertis sans religion?
Ni le monde ni l'criture ni l'glise ne
font connatre Dieu elaiFeneuit et ? parfaitement.Ce n'est pas la vrit de ce qui est l'objet
de la foi mais la ncessit de croire, qu'ilfaut dmontrer.
L foi n'est pas dans les ides, mais dans
la soumission de l'esprit.On peut croire sans ides et de confiance,
on l'prouve tous les jours mme dans les
choses humaines.
Dieu n^nous doit point If vrit, qui est
son partage il ne nous doit que la persuasion,
qui nous suffit.
La persuasion vaut mieux que la convic-
tion; la conviction enchane l'homme la per-suasion le fait agir.
En religion il faut se mettre un bandeau
sur les yeux s'appuyer fortement sur l'esp-
rance tcher d'avoir de la crainte, et ne rien
24
juger, ne rien voir, n'agir en rien qu'au am-
beau de l'amour de Dieu.
La foi doit conserver son bandeau ces gens-ci l'en dpouillent; l'tude de la religion est
pour eux un dmonstrateur.
L'amour de Dieu est un amour naturel o
du moins fait pour l'me.
Le ciel ne nous doit que ce qu'il nous
donne, et il nous donne souvent ce qu'il ne
nous doit pas.
La vie est Dieu, cela suffit.
Il n'y a que les eaux qui tombent du ciel
qui puissent subsister en gouttes et briller
comme la rose.
Dieu en les crant parle aux mes et aux
natures il leur donne des instructions dont
elles oublient le sens, mais dont l'impressionleur reste.
De bons prtres sont les meilleurs guides
&1}
que nous puissions avoir pour nous conduire
dans' le chemin et les sentiers de la vertu,
et dans ceux de la perfection; eux seuls con-
naissent, ou du moins eux seuls prescrivent
ces derniers.
L'opinion que les hommes ont des choses
divines n'est la mme ni dans tous les temps, y
ni dans tous les lieux; mais il faut que dans
tous les lieux et dans tous les temps il y en
ait une d'arrte, de fixe, de sacre et d'inat-
taquable.
Il faut attaquer la superstition par la reli-
gion, et non par la physique qui est un ter-
rain o elle n'est pas.
Que si vous l'y amenez en la faisant sortir
d'elle-mme, vous la faites sortir aussi de
toute ide du ciel et au lieu de la corriger,vous risquez de la rendre pire.
A tout ge, en tout temps, en toute occa-
sion et en toute matire, il faut s'opposer
ce qui loigne de Dieu.
Souverainet. Religion. -Le poids de ces
9fi
grandes questions crase la tte de l'homme ;
ou si elle y suffit, il en rsulte en elle une
extension dmesure, qui rend les hommes
insenss sur beaucoup de points.Il faut traiter de si hautes matires par voie
d'autorit, et non par son propre sens, si on
veut conserver sa sagesse.
Toute l'me est un il, comme le corpstout entier est un toucher; l'une aperoit
beaucoup de vrits dont elle ne peut pas
s'assurer; l'autre atteint beaucoup de choses
qu'il ne pourra jamais manier.
Le culte Dieu agrera comme vrai celui
qui aura t jug tel avec simplicit;
L'humilit est aussi convenable l'homme
devant Dieu, que la modestie l'est l'enfant
devant les hommes.
Quand on ne peut pas croire qu'il y a eu
rvlation, on ne croit rien fixement, ferme-
ment, invariablement.
La pit nous attache ce qu'il y a de plus
97
puissant et ce qul y a de plus faible;
ce qu'il y a de plus puissant qui est Dieu; ce qu'il y a de plus faible comme aux en-
fans, aux vieillards, aux pauvres, aux in-
firmes, aux malheureux et aux affligs.
La compassion est une espce de pit.
Il y a entre les ides d'me et de penseune telle connexion qu'on ne peut en aucunemanire imaginer l'une sans l'autre. Je dis
imaginer, et je dis bien, car si on se contente
d'avoir une notion obscure vague et presquenulle, de l'une et de l'autre on peut aisment
supposer que l'une peut tre sans l'autre. En
pareil cas on n'opre qrie sur des nom qu'onpeut runir ou disjoindre volont.
Etudier les sciences dans la vrit, c'est--
dire en regardant Dieu.Les sciences doivent montrer la vrit, c'est-
-dire Dieu partout.
Terrestre de naissance, mais cleste d'ori-
gine j notre corps seul est de ce monde.
L religion voir la ntre avec les yeux de
90
la foi, celle des autres avec les yeux de la
raison.
Les volutions religieuses, comme les pro-
cessions, les gnuflexions, les inclinations du
corps et de la tte, la marche et les stations,ne sont ni de peu d'effet ni de peu d'impor-tance.
Elles assouplissent le cur la pit, et
courbent l'esprit vers la foi.
Qui peut croire qu'il rend Dieu son me
meilleure qu'il ne l'a reue ?a
La dvotion embellit l'me, surtout l'me
des jeunes gens.
Notre me est toujours pleinement vivante.
Elle l'est dans l'infirme;Elle l'est dans l'vanoui;Elle l'est dans le mourantElle l'est plus encore aprs la mort.
Toutes les religions fortes sont furieuses,
jusqu' ce qu'elles aient rgn.Les vieilles religions, quelles qu'elles soient,
29
ressemblent aux vins vieux qui chauffent le
cur, mais qui n'enflamment plus la tte.
Nous ne voyons bien nos devoirs qu'en Dieu,c'est le seul fond sur lequel ils soient toujourslisibles l'esprit.
Ce n'est pas l'hrsie qui est craindre
aujourd'hui, c'est l'irrligion l'glise a changd'ennemis et de dangers; elle doit changerde sollicitudes et de combats.
La sainte criture est aise traduire danstoutes les langues, parce qu'on n'a besoin poury parvenir que de mots communs, populaires,ncessaires, et qui par consquent se trou-vent partout.
Les pieux seront tous sauvs.
L'ivresse n'te pas le sentiment du juste;la notion en demeure pure jusque dans la folie,si le fou reste capable de raisonnement.
Un homme ivre prendra facilement un in-nocent pour un coupable, mais non pas unebonne maxime pour une mauvaise. La notion
30
en subsiste en lui dans la mmoire; mais
l'ivresse politique, l'ivresse des nerfs a des
effets pires que l'ivresse du vin.
L'ivresse des liqueurs n'te pas la pit.
Aujourd'hui l'incrdulit est un prjug;car s'il en est qui viennent des hommes et du
temps, il en est d'autres qui viennent des
livrs et de la nouveaut.
Les os subsistent sans l'me mais non pasles chairs, et encore moins les humeurs, le
sang, les moelles.
La tholpgie est aussi une philosophie mais
elle cherche la vrit aij-del du monde, et
se fonde sur une autre autorit que celle des
mes et des corps.
La religion est tellement vraie, qu'il faudrait
s'y soumettre quand elle ne serait pas bonne.
Elle est tellement bonne, qu'il faudrait la
garder quand elle ne serait pas vraie.
Nous croyons toujours que Dieu est sem-
blable nous-mmes les ndulgens l'annon-
M
cent indulgent, les haineux le prchent ter-
rible.
Tous ceux qui manquent de religion sont
privs d'une vertu, et eussent-ils toutes les
autres, ils ne pourraient tre parfaits.
Plus j'y pense, plus je vois que l'esprit est
quelque chose hors de l'me comme les mains
sont hors du corps, les yeux hors de la tte,les branches hors du tronc; il aide pouvoir,
mais non pas tre plus.
On remplit ses. yeux de lumires en les le-
vant vers le ciel.
On prend des ailes pour atteindre la vrit
on la suit au milieu des airs; on descend au
fond de soi-mme, et on la trouve tlans son
cur car notre me en est le miroir.
.0
c' ",
Les psaumes; lisez- les avec l'intention de
prier,, et vous les trouverez beaux. Eh! toutelecture n'exige-t-elle pas une disposition d'es-
prit qui lui soit assortie et mme approprie? a
Les Contes Persans disent Les prires
32-
des pauvres qui souffrent patiemment leur
misre sont agrables Dieu.
Qu'importe que les opinions et les paroles
du prtre soit grossires, si proportionnes
la grossiret de l'intelligence humaine, elles
suffisent pour produire dans les mes des
hommes le plus beau et le plus dli de tous
les sentimens, je veux dire la pit? a
Nous ne sommes que de la boue, et cepen-
dant cette boue gouverne le monde; les ins-
trumens de Dieu ne doivent pas tre estims
par la matire mais par l'oeuvre; s'ilsne man-
quent jamais leur coup, qu'importe qu'ils soient
faits de fer ou de terre? c'est le charme at-
tach toutes choses qui fait leur beaut.
Ce qui rend le culte utile c'est sa publicit;
sa manifestation extrieure, aussi frappante
qu'il est possible, son bruit, sa pompe, son
fracas, et son observance universellement et
visiblement insinue dans tous les dtails de
la vie publique et de la vie intrieure; c'est
l seul ce qui fait les ftes, les temps et les
vritables varits de l'anne. Aussi faut-il dire
hardiment que les cloches, le maigre, le
gras, etc., taient des institutions profond-
33
S
ment sages et des choses utiles, importantes,
ncessaires, indispensables.
Mon fils disent les mres leurs enfans,si vous m'aimiez vous ne feriez pas cela..
L'enfant sait que, cependant, il aime sa
mre, et la mre qu'elle est aime de son fils.
L'une, en parlant ainsi, use d'adresse, et
non de fausset, et l'autre, en se laissant en-
gager par de telles paroles, agit avec une tendre
et juste condescendance, et non avec une
aveugle et imbcile stupidit.Nous sommes les enfans de la religion en
nous parlant ainsi, elle nous traite en mre 5en l'coutant, nous observons les rgles de
notre nature; nous nous tenons notre place,
nous agissons comme nous le devons.
La religion interdit toute faiblesse, mme
les faibles religieuses.
Nous cherchons tous de diverses manires
sur la terre l'ordre, la vrit et le bonheur
nous les trouverons dans le ciel.
Donner Dieu ce qui nous plat, ce qui
34
nous est cher, ce que nous aimons,voil le
sacrifice religieux.
La religion est un feu que l'exempleentre-
tient, et qui s'teint s'il n'est communiqu.
Les ides de l'ternit et de l'espace ont
quelque chose de divince que n'ont pas
celles de la pure dure et de la simpletendue.
Dieu mesure le temps comme nous, mais
ce n'est pas par ses successions,c'est par les
ntres.
Il n'y a d'heureux que les bons,les sages et
les saints; ;mais les saints plus que tous les
autres, tant la nature humaine est faite pour la
saintet.
Les saints offrent tous l'attention humaine
quelque vertu canonise, et lahaute philoso-
phie estime moins la vrit comme moyen que
comme but.
Il suffit que la religion soit religion; il n'est
pas ncessaire qu'elle soit vrit.Il y a des
O^f
choses qui ne sont bonnes que lorsqu'ellessont vraies Il y on a d'autres qui pour tre
bonnes n'ont besoin que d'tre penses*
O religion! tu donnes aux imbciles rtcmes
leurs vertus, leurs talens et leur utilit.
Il y a deux sortes d?athisme celui quitend se passer de l'ide de Dieu et celui quitend se passer de son intervention dans les
affaires humaines.
La vertu n'est pas une chose facile ) pour-
quoi la religion le serait-elle ?a
La grande affaire de l'homme ?est la vte 5et la grande afki-e dans vi6^c'ist!a Mo^t
Y aurait-il en effet quelque chose de sup-rieur la foi?
Une vue, une vision.
Mais quand cela pourrait tre, qui oserait
se flatter de l'vii4 obtenue ?
clair, ~i~~ ~c~', c'est i grand mot.
Mais qui est-ce qui est clir? c'esM*dire, qui i
36
a dans sa tte une lumire en permanence?
Qui est-ce qui est clair de cette lumire ter-
nelle qui s'attache aux parois du cerveau et
qui rend ternellement lumineux les espritso elle est entre et les objets qu'elle a tou-
chs ?a
Quand on a trouv ce qu'on cherchait, on
n'a pas le temps de le dire; il faut mourir.
L'homme de bien aime le bien et cause
du bien il aime la religion, qui donne aux
hommes tant de vertus.
Vous aurez beau faire les hommes ne
croient que Dieu, et celui-l seul les per-
suade -qui croit que Dieu lui a parl.Nul ne donne la foi, s'il n'a la foi.
Nul n'est sage et n'a connu la vrit, s'il
n'est pieux.
. Ne portez jamais votre vue au-del de
chaque journe.. Laissez tout l'avenir Dieu.
Considrez chaque jour comme une
vie passagre et spare du jour qui peut suivre, et tous vos devoirs vous deviendront
faciles.
En effet, une vertu et mme une perfectiond'un jour sont possibles et seraient faciles.
Il y a dans chaque homme une partie divine
qui nat avec lui, et une partie humaine et
mme animale qui crot avec le temps.C'est la premire qu'il faut conserver et cul-
tiver soigneusement en soi; l'autre y subsiste
d'elle-mme.
Ceux qui sont semblables iront tous dans le
mme ciel.
Connatre et aimer Dieu, facults ternelles.
Tous ne pourront pas le connatre gale-ment, mais tous pourront galement l'aimer.
On donne une ide de la Divinit par l'ado-
ration, de la puissance par la soumission, etdu mrite par le respect.
Dans le ciel personne ne sera pote, carnous ne pourrons rien imaginer au-del de ce
38
que nous verrons nous ne serons qu'intelh-
gens Cultivons donc l'intelligence,, cette ter-
nelle facult qui sera toujours exerce, et quisuffira au bonheur.
Chaque homme a deux destines l'une qu'il
s fait lui-mme, Faute qui lui mt imposeil fait: ses oeuvres et il reoit ses facults.
De mqme donc que nous sommes assujettis
t deux raowvemetts, celui de la terre et le Btre,
% -ttnae; nous sommes domaines par deux vo-
lonts, la ntre et celle de la Provideaeej au-
teurs de la premire, et instrumens de celle-ci;
matres cf haus pour mriter la rcompense
qui est assigne la vertu, et machines pourtout le reste.
Ce monde a besoin d'tre gouvern par les
ides de l'autre.
l/d pit est une sagesse sublime qui sur-
passe toutes tes autres.
Dieu a gard aux sicles. Il pardonne aux
uns leurs, grossirets,, aux autres leurs raffine-
mens. Mal connu par ceux-l, mconnu par
39
ceux-ci, il met notre dcharge, dans ses
balances quitables, les superstitions et les
incrdulits des poques o nous vivons.
Nous vivons dans un temps malade il le
voit. Notre intelligence est blesse il nous
pardonnerai, si nous lui donnons tout entier
ce qui peut nous pester de sain.
La crainte de Dieu nous est aussi ncessaire
pour nous maintenir dans le bien, que ht
crainte de la mort pour retenir dans la vie.
Dieu fit du repentir la sagesse autant quela vertu des mortels.
La rtractation est nos erreurs ce que la
confession; est nos fautes lira devoir, un re-
mde, une expiation.
On a rompu les, chemins qui menaient au
ciel, et que tout le monde suivait; il faut se
faire des chelles.
La religion chrtienne traite les hommes
comme des enfans, et ils le sont.
Sans l'ascendant de la religion, cette infi-
40
nit d'hommes libres n'auraient pu subsiste l'
enpaix.
Il faut que les hommes soient, ou les es-
claves du devoir, ou les esclaves de la force.
Nul n'est bon, ne peut tre utile et ne m.
rite d'tre aim, s'il n'a quelque chose de
cleste, soit dans l'intelligence par des pen-
ses, soit dans la volont par des affections
qui sont diriges vers le ciel.
Dieu a fait la vie pour tre pratique et
non pas pour tre connue.
Notre chair n'est que notre pulpe; nos os,nos membranes, nos nerfs, ne sont que comme
une charpente du noyau o nous sommes ren-
ferms comme en un tui. C'est par exfoliations
que l'enveloppe corporelle se dissipe, mais
l'amande qu'elle contient, l'tre invisible qu'elleenserre reste entier, est indestructible.
Le tombeau nous dvore, mais il ne nous
absorbe pas. Nous sommes consums, non
dtruits.
Que le monde ait six mille ans d'ge ou
4J
qu'il en ait cent mille, cela est gal, ds qu'il
n'y a que six mille ans de connus.
La religion est la seule mtaphysique que le
vulgaire soit capable d'entendre et d'adopter.
Une vrit qui en obscurcit d'autres ne peut
pas tre vrit.
Le monde intellectuel est toujours le mme,il est aussi facile connatre aujourd'hui qu'aucommencement, et il tait aussi cach au
commencement qu'il l'est aujourd'hui.
Le monde a t fait comme la toile de l'a-
raigne Dieu l'a tir de son sein, et sa volont
l'a fil, l'a droul et l'attendu. Ce que. noue
nommons le nant est sa plnitude invisible;sa puissance est un peloton, mais un pelotonsubstantiel contenant un tout inpuisable, quise dvide chaque, instant en demeurant tou-
jours le mme, c'est--dire toujours entier.
Pour crer tout le monde un grain de ma-tire a suffi, car tout ce que nous voyons,cette masse qui nous effraie, n'est rien qu'ungrain que l'ternel a mis en uvre. Par sa
42
ductilit, par les creux qu'il enferme et l'art de
l'ouvrier qui a fait l'ouvrage, ce grain offre
dans les dcorations qui en sont sorties une
espce d'immensit. Tout nous parat plein,tout est vide, ou pour mieux dire tout est creux.
Les lmens eux-mmes sont creux; Dieu seul
est plein. Les corps pntrables sont plus creux
que les autres; mais ce grain de matire o
tait-il ? Il tait dans le sein de Dieu comme il
y est prsentement.
Disme. Le.genre humain ne peut pas s'en
accommoder cette doctrine est proportiorane notre force, mais non pas notre faiblesse.
Ce qu'il y a de plus beau, c'est Dieu aprs
Dieu, c'est l'me et aprs l'me, c'est a pense.RieM n'est drac beau qu'autant qu'il repr-
sente Diir, ou i' me ou la pense.
Il faut, tre homme avec; les hommes, et tou-
jours enfant devant Dieu; car, en effet, nous
ne somraes tems que des enfans devant ses
yeux.
Le dogme, que nous demeurerons pendant
43
toute l'ternit tels que nous scHtt.iii.es, en mon*
rant, force l'homme tre chaque instant tel
qu'il veut demeurer toujours.
Sainte, Ccile chantait les louanges de Dieut;mais elle entendit les aages, et elle se tut.
Si nous connaissions, parfaitement ce qui se
passe dans le ciel,; nous ne serions plus; libres.
Si nops connaissions parfaitement tout ce
qui existe sur la terre, peut-tre nous ne se-
rions plus mortels.
Il faut aux femmes une pit plutt tendre
que raisonn.Il faut aux hommes une majestueuse ou
grave plutt que tendre pit.
La commodit a dtruit la religion la mo-rale et la politesse.
La sagesse humaine loigne les maux de la
vie, il faut la chercher.La sagesse divine rend seule heureux en fai-
sant trouver les vrais biens.Il faut employer le mouvement chercher
44
la sagesse humaine et le repos ou la mdita-
tion chercher la sagesse divine.
Pour arriver aux rgions de la lumire, il
faut passer par les nuages les uns s'arrtent
l, mais d'autres esprits passent outre.
Les prtres et les philosophes.Les premiers en valent mieux quand ils pra-
tiquent leur morale, et les derniers quand ils
ne pratiquent pas la leur.
La vrit et le bonheur.
Nous sommes ns pour les chercher tou-
jours mais nous ne ne les trouverons qu'enDieu.
Les plaisirs et les vraisemblances nous en
tiennent lieu ici-bas.
Je parle ainsi des plaisirs et des vraisem-
blances qui donnent la paix nos sens, notre
esprit et kos curs.
Le faux mrite aime le faux mrite, et le
vrai mrite aime le vrai.
Ce n'est pas la vrit qui nous sauve, c'est
la foi mais les thologiens, qui devraient se
45
borner nous enseigner cette foi, veulent
absolument nous dmontrer qu'ils enseignentla vrit. L'criture, disait Bossuet, la tradi-
tion et il croyait avoir tout dit, sans argu-
menter davantage.
Le pourquoi de la plupart de nos qualits,c'est qu'on est bon, c'est qu'on est homme,
c'est qu'on est l'ouvrage de Dieu.
Le prie-Dieu est un meuble indispensableau bon ordre; o il n'est pas, il n'y a point de
pnates, point de respect.
Rien dans le monde moral n'estperdu, comme
dans le monde matriel rien n'est ananti.
Toutes nos penses et tous nos sentimens ne
sont ici -bas que le commencement de senti-
mens et de penses qui seront achevs ailleurs.
Sans la pit, la vieillesse choque les yeux;les infirmits repoussent; l'imbcilit rebute;avec la pit, on ne voit dans la vieillesse quele grand ge, dans les infirmits que la souf-
france, dans l'imbcilit que le malheur; on
n'prouve que le respect, la compassion, et le
46 dsir de soulager. Tous les dgots se taisent
tellement devant la charit qu'on peut dire
que, pour les pieux, toutes les afflictions ont
de l'attrait.
Rgions intellectuelles; esprits qui en sont
les habitans.
Si je dcris un esprit, si je dcouvre un fait
de l'histoire de ce monde invisible ou un seul
trait de ce qui se passeTous les vnemens y sont une justice, les
vrits en sont les lois, la morale en est l'iti-
nraire, la mtaphysique en est la description,la pense en est le langage, l'ordre en est la
ncessit et la seule laquelle on y soit sou-
mis la flicit y est la commune et universelle
condition.
Telle est l suprme beaut de ce monde
que bien nommer ce qui s'y trouve ou. mme
le dsigner avec exactitude, suffit pour former
un beau style et pour faire un beau livre.
Pourquoi un mauvais prdicateur mme est-
il cout avec plaisir par ceux qui sont pieux? a
c'est qu'il leur parle de ce qu'ils aiment.
Mais Tous qui expliquez la religion aux
47
hommes de ce sicle, vous leur parlez de ce
qu'ils ont aim peut-tre, ou de ce qu'ils vou*
draient aimer, mais ils ne l'aiment pas encore,et il faut le leur faire aimer; ayez donc min
de bien parler*
Dieu est l'treLe monde est un lieu;La matire est une apparence;Le corps est le moule de l'me;La vie est un commencement.
Le juste, le beau, le bon, le sage, est ce
qui est conforme aux ides que Dieu a du juste,
du beau du sage et du bon.Platon avait donc raison avec ses ides ter-
nelles.
Otez Dieu de la haute philosophie, il n'y a
plus aucune clart; il, en est la lumire et le
soleil c'est lui seul qui illumine tout.
Dieu est le lieu de la vrit, non seulement
parce qu'elle est en lui, mais parce qu'elle ne
peut tre vue et juge que dans lui, par rap-
port lui et parce qu'elle est en lui.
La vrit est la ralit dans les choses intel-
48
ligibies il en est de plusieurs sortes la vrit
universelle, la vrit particulire; la vrit de
fait ou de simple existence, et la vrit de na-
ture ou d'existence ncessaire.
L'homme est un animal religieux. Voil une
vrit de nature et de ncessit.
Les hommes sont avides et intresss. Voil
une vrit de simple fait qui, pouvant tre ou
n'tre pas, peut tre ignore sans dommage
pour l'esprit.Car la connaissance de la vrit universelle,
de la vrit de nature, de la vrit proprementdite et ncessaire, est d'une grande importance
pour le bon ordre et la lumire de l'espritmais la connaissance des vrits particuliresn'est ncessaire, ou mme utile, qu' nos af-
faires.
Dieu contemple les mes et veille sur les
hommes. Il faut que les hommes contemplentDieu et toutes les choses divines, ou ce quiest divin dans les choses.
La vrit Que dirait-on et que penserait-on l-haut? c'est en cela que consiste la vrit.
La vrit consiste imaginer les choses
49
4
comme Dieu et les saints les voient, comme
on les voit au-del du monde quand on jetteles yeux dessus.
On ne voit rien au vrai, si on ne le voit de
haut; il faut qu'on puisse dire cela est vrai sur
la terre, cela est vrai dans le ciel.
Hors de la religion, il ne faut rien exprimer(le trop intime, moins que cela ne tienne au
fond du cur plus qu^ celui de l'esprit, encore
ne sais-je.
Gomme on donne un pidestal une statue,il faut en donner un un difice, et surtout
aux temples qui doivent pour ainsi dire tre
placs sur un autel.
Parler Dieu de ses souhaits, de ses affaires,cela est-il permis?
On peut dire que ceux qui s'en abstiennent
par respect, et ceux qui le pratiquent par con-
fiance et par simplicit, font bien.
La morale, cette science de se rendre heu-
reux et juste, est de toutes, peut-tre, la
moins avance on ignore ses vrais fondemens,
50
au point que quelques philosophes, qui pour-
tant croient que la vertu se prouve puisqu'ils
l'enseignent, la regardaient purement comme
un sentiment inn.
Il est bien vrai que nous avons en naissant
la conscience scrte de notre destination; il
semble, qu'il y ait en effet des ides qui ne
nous viennent pas du dehors. II y a des actions
machinales; il serait cependant utile de, cher-
cher jusque quel point elles ont de l'analogieavec ce monde intrieur si peu connu.
Dieu aime l'me, et comme il y a un attrait
qui porte l'me Dieu il y en a un si j'ose
ainsi parler, qui porte Dieu l'me.Dieu fait de l'me ses dlices.
L'arbre ne vit point sans corce la religiona la sienne, toutes les vertus ont la leur
Les quatre amours correspondant aux qua-tre ges de la vie humaine bien ordonne
sont l'amour de tout, l'amour des femmes,l'amour de l'ordre et l'amour de Dieu.
Il est cependant des mes privilgies quis'adonnant ds la jeunesse, et presque ds
51O I
l'enfance, l'amour de l'ordre et l'amour de
Dieu, s'interdisent Fatoour des femmes, et pas-sent une Idi%u Vie U n'aimer rien ^tte d'in-
nocent.
Tout ce qui est trsWpiritufil, et o 'me
a vraiment part, ramne Dieu, la pit.L'me ne peut se remuer, ouvrir ses yeux, se
rveiller sans sentir Dieu.
Cette vrit suffit, toutes les autres sont inu-
tiles au bonheur, puisque sans elles et avec
celle-l on peut tre parfaitement, entirement t
heureux.
Tout talent et tout mrite naturel est un
don du ciel; il faut viter avec soin de s'en
moquer.
Quant ceux qui des hommes et
qui sont acquis souvent aux dpens et au d-
triment des dons divins, on peut tre moins
scrupuleux.
"-a-t-il une opinion meilleure et plus propre les loigner de leurs vices, que celle qui
persuade aux hommes que lorsqu'ils font le
mal, c'est toujours par les instigations d'un
52
ennemi qui les hait et qui ne demande que
leur perte, et que leurs bonnes pensesvien-
nent d'un gnie ami de Dieu lui-mme ?a
La mme croyance unit plus les hommes
que le mme savoir; c'est sans doute parce
que les croyances viennent du cur.
L'aveu est l'instrument de l'expiation.
Aux crimes publics la pnitence publique.
Aux crimes secrets la confession.
On manifestait autrefois son repentir on
rvle aujourd'hui son dlit. On tait puni
par une exclusion publique on l'est parune
honte qui est secrte, mais intime, mais poi-
gnante.
Notre immortalit nous est rvle ( la
lettre ) d'une rvlation inne ou infuse dans
notre esprit.e
Dieu mme en le crant y dpose cette pa-
role, y grave cette vrit dont les traits et le
son y demeurent ineffaables, indestructibles.
Mais l'inattention et de mauvaises sug-%
gestions peuvent nous y rendre sourds et
aveugles l'inattention nous distrait de cette
53 's 1r"lumire et de ce bruit. En ceci, Dieu nous
parle tout bas et nous illumine en secret. Il
faut pour l'entendre du silence intrieur; il
faut pour apercevoir sa lumire fermer nos
sens et ne regarder que dans nous.
La vrit consiste imaginer les choses
comme Dieu les voit, et la modration tre
mu comme les anges.
On n'est bon que par la piti.Il faut donc qu'il y ait quelque piti dans
tous nos sentimens pour qu'ils soient bons,mme dans notre indignation, dans nos haines
pour les mohans.
Mais faut-il donc qu'il y ait aussi de la pitidans notre amour pour Dieu? Oui, de la pitipour nous, comme il y en a toujours dans la
reconnaissance.
Il faut donc qu'il y ait dans tous nos senti-mens quelque piti pour nous, ou quelquepiti pour les autres. L'amour des anges, pourles hommes, n'est qu'une piti continuelle;aucun sentiment sans piti.
Le juste ne peut tre rcompens que dans
54
l'autre vie; car il n'y a rien d'assez beau poursa justice dans celui-ci.
Dieu est le seul miroir dans lequel on puissese connatre; dans tous les autres on ne fait
que se voir.
L'me est un tre simple, mais pourtant untre vtu. Dieu seul est parfaitement simple,car rien ne peut l'envelopper.
Il y a loin de la cit de Platon la cit de
Jsus-Christ.
Tout aime Dieu, except l'homme perverti
Dieu et de l toutes les vertus, tous les
devoirs. ~f'
S'il en est une ou un o l'ide > ,4e Dieu ne
soit mle il s'y trouve toujours, quelque d-
faut ou quelque excs; il y manque toujoursou le poids, ou le nombre, ou la mesure, tou-
tes choses dont Fexactitude est divine.
Le peuple n'aime pas qu'on soit semblable
lui; il mprise l'intemprance, il hait ses
55 w
vices dans les grands; mais il aime surtout dansles rois une bont qui ressemble la sienne.
C'est que la sienne est la meilleure, commeses vices sont les pires.
Le ciel ne nous a permis de connatre quece qui est ncessaire la vie et la vertu.
Rien ne se fait de rien disent-ils mais lasouveraine puissance de Dieu n'est pas rien;elle est la source de la matire aussi bien quecelle de l'esprit.
Dieu dirige et change les mes par le moyendes corps, et quelquefois par lui-mme et sanscette intervention.
Sainte Thrse est la Sapho de la dvotion.
Le courroux de Dieu est d'un moment. Lamisricorde divine est ternelle.
Sans l'immortalit, la beaut de la vie estte. Cela suffit.
Pour enseigner la vertu, dont il est tant t
56
parl dans Platon il n'y a qu'un moyen c'est
d'enseigner la pit.
La Bible est aux; religions ce que l'Iliade est a posie.
Ce n'est qu' compter de l'an 600 que le
crucifix, tel que nous l'avons, est en usage.
La pit donne des ailes l'esprit; la pitest une espce de gnie.
Le bons sens s'accommode du monde la
sagesse tche d'tre conforme au ciel.
tre meilleurs o tre pires dpend de nous;tout le reste dpend de Dieu.
Les ftes. Le pauvre offre Dieu dans ces
saints jours, le sacrifice de son salaire, par son
repos.
La religion qui prie pour les morts fait undevoir du souvenir.
Ceux qui esprent connaissent mieux la Pro-
57
vidence, et en ont un sentiment plus sr et
plus inbranlable que ceux qui craignent.
Il n'a fallu qu'un grain de matire pourcrer le monde mais il fallait un monde en-tier pour crer une me.
Il importe beaucoup qu'il y ait en Europeuniformit de religion.
Il faut cder au ciel et rsister aux hommes.
Il faut adorer et prier selon les coutumesde son enfance; Dieu le veut, et aussi la n-cessit.
Il est une classe de la socit o les enfans
pieux ne savent pas que leurs parens sont mor-tels. Ils n'ont jamais os y penser.
Nous nous jugeons selon le jugement deshommes, au lieu de nous juger selon le juge-ment du ciel.
Il faut tre religieux avec navet, avec aban-don et bonhomie, avec simplicit, et non pas
58
avec dignit, mathmatiquement, gravementet avec bon ton.
C'est mon pcheur, disait une bonne
vieille religieuse, de' l'empereur Napolon.
Savez-vous ce qu'est dans le monde une
pense de Dieu? c'est une chose grande, im-
portante, ternelle
Dieu est tellement grand et tellement vaste,
que pour le comprendre il faut le diviser.
On sent Dieu avec l'me comme on sent
l'air avec le corps.Le sens intime est dans notre me ce que
le toucher est dans l'animal et comme le
sige de l'un est- dans tpute la chair, l'autre
a le sien dans toute la capacit de la substance
intelligente.i )
Dieu n'coute que les penses et les senti-
mens. Les paroles intrieures sont les seules
qu'il peut entendre.
Religion elle ne permet de plaisirs que
Q
ceux que l'on prend malgr soi, la nature y
ayant pourvu,
Dieu sa bont l'assujettit; son amour ppur
nos mes.
Le ciel tait autrefois moins peupl d'hom-
mes, et il descendait sur la terre pour y con-
verser avec eux.
Dieu veut-il que nous aimions ses ennemis ?a
oui.
e.
Dieu n'a pas seulement mis dans l'homme
l'amour de. soi, mais aussi l'amour des autres,
II n'y a que l'homme religieux qui soit tou-
jours le, m ,st Dieu hjours le mme. C'est que son D,ieu ne change pas.
Il n'entrera rien clans le ciel qui ne soit beau.
Les religions, il faut les embrasser voiles,
et adorer DiguJe,s yfux. ferms,.
C'est la volont de Dieu que les afffigs se
consolent et lorsqu'ils veultnt s^abandon-
ner leurs chagrins, il les console malgr ux;.
60
Dans la distinction de l'me et du corps est
toute la philosophie, comme ils l'ont dit, et
plus encore qu'ils ne l'ont pens.Toute la mtaphysique consiste assigner
leurs diffrences, toute la morale les sui-
vre.
L'oue est dans l'me, la vue est dans l'mele sens mme de l'attouchement est dans notre
me tout entier.
L'incrdulit n'est qu'une manire d'tre de
l'esprit mais l'impit est un vritable vice du
cur.
Il entre dans ce sentiment de l'horreur pource qui est divin, du ddain pour les hommes,et du mpris pour l'aimable simplicit.
Si on exclut l'ide de Dieu, il est impossibled'avoir une ide exacte de la vertu.
Il y a des temps o le pape doit tre dicta-
teur il y en a d'autres o il doit n'tre con-
sidr que comme premier prpos aux choses
de la religion comme son premier magistrat,comme roi des sacrifices.
61
Il faut rendre les hommes insatiables de Dieu.
C'est une faim dont, malheureusement ils
seront assez distraits par les passions et les
affaires.
L'ide de Dieu est une lumire, une lumire
qui guide, qui rjouit j laprire en est l'aliment.
Le hasard est une part que la Providence
s'est rserve dans les affaires de ce monde,
part sur laquelle elle a voulu que les hommes
ne pussent pas mme croire qu'ils avaient au-
cune influence.
La raison peut nous avertir de ce qu'il faut
viter; le coeur seul dit ce qu'il faut faire.
Dieu est dans notre conscience, mais non
dans nos ttonnemens quand nous raison-
nons, nous marchons seuls et sans lui.
La pudeur et la pit. La pit est une es-
pce de pudeur. L'une nous fait baisser les
yeux, et l'autre baisser la pense devant tout
ce qui est dfendu.
Il faut aller au ciel; l sont dans leurs types
62
toutes les choses, toutes les vrits, tous les
plaisirs, dont nous n'avons ici que ombres.
La pit aime les murailles, ainsi qu'elle aime
les dserts.
Un bon citoyen ne doit pas plus rvoqtiren doute la vrit de sa religion que l'hon-
ntet de sa mre et sa propre lgitimit.
L'encens et les religions nous viennent des
mmes climats.
Il est des hommes qui, lorsqu'ils tiennent
quelques discours ou forment quelque juge-
ment, regardent dans leur tte, au lieu de re-
garder dans Dieu, dans leur me, dans leur
conscience o dans le fond ds choses. On re-
connat cet acte et cette habitude de leur esprit la contenance qu'ils prennent et la direction
de leurs yeux.
L'espace est le chemin des mes sparesdes corps; elles passent par l'espace pour ar-
river l'infini.
Cette route est toujours suivie chaque
63
heure, chaque minute, chaque instant et
chaque millionime partie de chaque instant,
quelque me se dtache de quelque corps, et
va se rendre sa nouvelle destination.
Les superstitions sont la religion ce que
la fable est la posie.
Les mes pie-tf's sont toutes du genre su-
blime rarement cependant les mes sublimes
se bornent tre pieuses; les passions viennent
et dfigurent cette beaiit originelle.
On ne peut sortir de certaines erreurs que
par le haut, c'est--dire en levant son esprit
au-dessus des choses humaines. w
lii pourrait faire une atmosphre tout
entire avec une- seule bulle d'air. Eh un enfant
ne fait-il pas Iine bouteille d savon avec une
seule goutte d'eau ?a
Tout vient d'un souffle, quand ce souffleest
animateur.
Dans un corps ecclsiastique, la runion est
forme par la rgle et la participation une
64
vie singulire et commune mais dans un corps
laque, cette runion ne peut avoir lieu que par
quelque systme ou par une participation
une opinion singulire, laquelle l'attache-
ment devient lien.
Du principe des corps ecclsiastiques qui est
la rgle, se forment de vritables communauts
rgulires ou des ordres.
Du principe des autres corps, il ne peut se
former que des espces de sectes ou des partis.
Avec une lampe on peut se passer du
soleil, mais on n'est pas aussi dlicieusement
clair.
Avec de la morale on peut se passer de reli-
gion, mais on n'est pas aussi heureux dans la
vertu.
D'ailleurs, de mme que sans le soleil il
n'y aurait sur la terre aucun feu, aucune lu-
mire, ainsi sans les religions nous n'aurions
pas eu de morale.
La sparation de l'me et du corps, ou de
l'me et des sens, est sensible dans le repen-
tir, dans l'extrme respect, dans les enfans sur-
tout aussi toutes les mes sont belles alors
65
5
aussi tous les enfans dociles sont-ils beaux de
physionomie; leur me est seule en mouve-
ment.
Quand c'est l'esprit qui agit seul, la physio-nomie est moins belle.
La religion a ses dogmes, mais purement
thologiques.
Quant aux dogmes mtaphysiques et raison-
ns, elle les laisse aux disputeurs.Elle ne dit point, par exemple, que l'me
est immortelle, mais qu'elle sera ternellement
rcompense ou punie en tel et tel lieu, et de
telle ou de telle manire, du bien ou du mal
que l'homme aura fait.
La premire de ces vrits est trop vulgaire ses yeux pour qu'elle en parle sa foi a de
plus vastes certitudes, et son savoir lui vient
du ciel.
Il ne faut pas chercher aux vnemens hu-
mains des causes invisibles, quand il y en a de
visibles; ni des causes douteuses, quand il yen a de certaines et de palpables moins de
recourir aux causes suprieures par un de ces
lans qui font que notre esprit va se reposer
66
dans le ciel, quand il s'est fatigu sur la
terre.
Le sens intime nous trompe peu, ou ne nous
trompe du moins que de la jnanire dont Dieu
lui-mme veut que nous soyons tromps.Nul de nous n'est destin tout savoir et
ne se tromper jamais.
Savoir distinguer nettement l'me et le
corps, Dieu et le monde, le modle et l'ou-
vrage, l'ordonnance et la loi, les actions et la
rgle; connatre parmi les natures celle d'en
haut* celle d'en bas et celle du milieu.
Celui qui sait ces choses sait assez, et mme
beaucoup.
Les sens sont des lieux ou des points o
l'me a des plaisirs ou des douleurs.
Par la mort, par l'ge, et souvent par la
maladie, ces points et ces lieux sont dtruits.
Par le recueillement, par la prire, et parl'autorit religieuse ou philosophique l'me
en est absente.
La religion est pour l'un sa littrature et
7
sa science; elle est pour l'autre ses dlices et
son devoir.
L'esprit est pour l'me une espce d'organe,une espce d'cei
de langue d'oue et mme
de cerveau; une espce de porte-voix, de tle-
scope et de compas, et quelquefois cet organe
agit tout seul. Jamais d'esprit sans me.
Ce qui vient de l'esprit participe de notre
humeur ce qui vient du cur participe de nos
tempramens; ce qui vient de l'me participede Dieu lui-mme.
L'esprit parle l'esprit, le cur au cur,l'me i 1JAame.
Notre esprit est moul par nos opinions, ou
nos opinions sont moules par notre esprit.Notre coeur est moul par nos sentimens,
ou nos sentimens sont mouls par notre cur.
L'me reoit et met hors d'elle la vrit telle
qu'elle est. 1
Dieu se sert de tout, mme de nos illusions.
Il faut aimer la religion comme une espcede patrie et de nourrice elle a allait nos ver-
68
tus, elle nous a montr le ciel; elle nous a
appris marcher dans les sentiers de nos de-
voirs. Intelligence, essor, premiers plaisirs de
notre esprit, attachant des ailes l'me, bri-
sant les liens qui rendent libre en nous affran-
chissant du corps, elle enchane nos tyrans
(les vices).
Le monde est monde par la forme; par le
fond il n'est rien qu'un grain de matire.
En retirant son souffle lui, et en dsen-
flant son volume, le crateur peut donc le
dtruire aisment. L'univers, dans cette hypo-
thse, n'aurait ni dbris ni ruines; il devien-
drait ce qu'il tait avant le temps un grain de
mtal aplati et un atome dans le vide.
Il y a une grande diffrence entre la crdu-
lit et la foi l'une est un dfaut de l'esprit,et l'autre est une qualit, une vertu; la pre-mire vient de notre extrme faiblesse, la
deuxime a pour principe une douce et loua-
ble docilit, trs-compatible avec la force, et
qui lui est mme trs-favorable.
Platon a tort. Il y a des choses qui se com-
Vit/
muniquent et qui ne s'enseignent pas; il y en
a qu'on possde manifestement sans pouvoirles communiquer , la rigueur, peut-tre on
n'est savant que de ce qui peut tre enseignmais on peut tre dou d'un art qui ne peut
pas tre transmis. On ne peut rien enseignerde ce qui dpend du coup d'oeil, de l'instinct,du gnie; l'art de se connatre en hommes est
de ce nombre, et peut-tre la haute politiqueaussi; l'me est tout l'homme.
Il faut craindre de se tromper en posie,
quand on ne pense pas comme les potes, et
en religion, quand on ne pense pas comme les
saints.
Il est des ttes qui n'ont point de fentres,o le jour ne vient jamais d'en haut; rien n'yvient du ct du ciel.
Il est extraordinaire que dans tous les paysdu monde, la plus haute et la plus immat-rielle de toutes les sciences, celle de la religion,soit la plus aise apprendre.
Les enfans mme en sont capables et pluscapables que les hommes, tant il y a dans
70
l'homme une partie spirituelle qu'il tient du
ciel, qui n'a pas besoin de la terre et du temps,et que le temps et la terre sont plus propres
altrer qu' augmenter.
Ceux qui n'ont pas t dvots n'ont jamaiseu l'me assez tendre.
Aine. C'est une vapeur allume qui brle
sans se consumer notre corps en est le falot.
La flamme de cette vapeur n'est pas lumire
seulement, mais sentiment.
La pit n'est pas une religion, quoiqu'ellesoit l'me de toutes.
On n'a pas une religion, quand on a seule-
ment de pieuses inclinations comme on n'a
pas de patrie, quand on a seulement de la phi-
lanthropie.On n'a une patrie et l'on n'est citoyen d'un
pays que lorsqu'on se dcide observer,
dfendre certaines lois, obir certains ma-
gistrats, et adopter certaines manires d'agiret d'tre.
.Douter, dit M. de Servan, c'est sortir d'une-
71
erreur. Il aurait d ajouter que c'tait aussi
souvent sortir d'une vrit.
Dieu en vieillard, inconvenance.
La pit est au cur ce que la posie est
l'imagination ce qu'une belle mtaphysiqueest l'esprit; elle exerce toute l'tendue de
notre sensibilit.
Penser Dieu est une action.
Le ciel est pour ceux qui y pensent.
Rendons-nous agrables Dieu.
On le peut en tout temps, en tout lieu, en
tout tat de dcadence.
Il vaut mieux s'occuper de l'tre que du
nant.
Songe donc ce qui te reste, plutt qu' ce
que tu n'as plus.
Les Occidentaux n'ont pas la tte propre inventer des religions.
Il est des choses qu'il faut ignorer, quoique
JU
permises, parce qu'elles sont incertaines, et
qu'elles nous sont malfaisantes, telles l'habi.ta-'
tion des astres; si leurs globes ont quelquesrelations avec le ntre, leurs habitans n'en
peuvent avoir avec nous nous occuper d'eux,
c'est nous dsoecuper de nos devoirs.
La religion a des enchantemens utiles nos
moeurs, elle nous donne et le bonheur et la
vertu.
Expliquer toujours le monde moral par le
monde physique, n'est pas sr; car nous pre-nons souvent dans le monde physique les ap-
parences pour des ralits, nos conjectures
pour des faits. Nous risquons ainsi d'avoir deux
erreurs au lieu d'une, en appliquant un monde
les fausses dimensions que nous donnons
l'autre.
Dieu. Il ne serait pas mal de le reprsenter
par des parfums et de la lumire. La lumire
au milieu.
Cette vie est le berceau de l'autre.
.N IL
JANSNISME.
Les jansnistes font de la grce une espcede quatrime personne de la sainte Trinit;ils sont, sans le croire et sans le vouloir, qua-ternitaux.
Saint Paul et saint Augustin trop tudis, ou
tudis uniquement, ont tout perdu.
Grce, c'est--dire aide, secours, ou mieux,
influence divine, cleste rose on s'entend
alors. Ce mot est comme un talisman dont on
peut briser le prestige et le malfice; en le
traduisant, on en dissout tout le danger parl'analyse.
Personnifier les maux est un mal funeste en
thologie.Les jansnistes ont trop t au bienfait de
la cration pour donner davantage au bienfait
74
de la rdemption; ils ont trop d'horreur dela
nature qui est cependant l'uvre de Dieu.
Dieu avait mis dans la nature plus d'incor-
ruptibilit qu'ils ne le supposent; en sorte quel'infection absolue de la masse tait impos-sible.
Ils tent au pre pour donnerau fils.
Jansnisme et molinisme.
L'un est plus conforme la raison l'autre
est plus conforme la science.
Les jansnistes ont port dans la religion
plus d'esprit de rflexion et plus d'approfon-
dissement; ils se lient davantage de ses liens
sacrs; il y a dans leurs penses une austrit
qui circonscrit sans cesse la volont dans le
devoir; leur eateademeot, enfin, a des habi-
tudes plus chrtiennes.
Les jansnistes disent qu'il faut aimer Dieu,
et les jsuites le font aimer. La doctrine de
ceux-ci est remplie d'inexactitudes et d'erreurs
peut-tre; mais, chose singulire, surprenante
et cependant incontestable, ils dirigent mieux.
Les jansnistes aiment mieux la rgle que
75
le bien; les jsuites aiment mieux le bien que
la rgle. Les uns sont plus essentiellement sa-
vans les autres plus essentiellement pieux.
Aller au bien par toute voie semblait la devise
des uns| observer l rgle tout prix tait la
devise des autres. La premire de ces maximes,
il faut la dire aux hommes, elle ne peut pas
garer.La deuxime, il faut quelquefois la prati-
quer, mais ne la conseiller jamais. Les gens
de bien trs-prouvs sont les seuls quin'en
puissent pas abuser.
Pour bien prsider un corpsd'hommes m-
diocres et mobiles il faut tre mobile et m-
diocre comme eux.
Les jansnistes semblent aimer Dieusans
amour, et seulement par raison par devoir,
par justice.
Les jsuites, au contraire, semblent l'aimer
par pure inclination, par admiration, parre-
connaissance, par tendresse, enfin par plaisir.
II y a de la joie dans les livres de pitdes
jsuites, parce que la nature et la religion y
sont d'accord, Il y a dansceux des jansnistes,
76
de la tristesse et une judicieuse contrainte,
parce que la nature y est pour ainsi dire per-ptuellement mise aux fers par la religion.
Le quitiSle et le jansniste. L'un attend la
grce de Dieu, et l'autre en attend la prsence.Le premier attend avec crainte, et l'autre at-tend avec langueur. Le premier se soumet, le
second se rsigne, trs-ingalement passifs,mais galement fatalistes.
Les philosophes pardonnent au jansnisme,parce que le jansnisme est une espce de
philosophie.
Dans les Essais de Nicole, la morale de
l'vangile est peut-tre un peu trop raffine
par des raisonnemens subtils.
Il y a dans l'criture beaucoup de choses
qui, sans tre d'une clart parfaite, sont ce-
pendant toutes vraies il tait ncessaire denous entretenir par l'obscurit dans la crainte,et dans le mrite de la foi.
Il faut insister sur ce qui est clair, et glissersur ce qui est obscur claircir ce qui est in-
77
certain par ce qui est manifeste, ce qui est
trouble par ce qui est serein, ce quiest n-
buleux par ce qui est lucide, ce qui contente
la raison par ce qui la contrarie et l'em-
barrasse.
Les jansnistes ont fait tout le contraire; ils
insistent sur ce qui est incertain, nbuleux,
affligeant, embarrassant, et glissent sur le
reste; ils clipsent les vrits lumineuses par
elles-mmes, par l'interposition des vrits
opaques.
Application multi vocati voil une vrit
claire pauci electi voil une vrit obscure.
Nous sommes enfans de colre voil une
vrit sombre, nbuleuse, effrayante. Nous sommes tous enfans de Dieu qui
est venu sauver les pcheurs et non les
justes; il aime tous les hommes, il veut les
sauver tous; voil des vrits o il y a de
la clart, de la douceur, de la srnit, de
la lumire.
Rappelons et confirmons la rgle, i y a
beaucoup d'oppositions, et mme de contradic-
tions dans l'criture et dans les doctrines de
l'glise, dont cependant aucune n'est fausse;
20 Dieu les y a mises ou permises pour nous
Uteair, par l'embarras et par l'incertitude, dans
la crainte et le mrite de la foi.
Il faut temprer ce qui effraie la raison par
ce qui la rassure, ce qui est austre par ce
qui console.
Les jansnistes troublent la srnit et n'il-
luminent pas le trouble, JII ne faut cependant pas les condamner pour
ce qu'ils disent, car cela est vrai; mais pour
ce qu'ils taisent, car cela est vrai aussi, et
mme plus vrai, c'est--dire vrai d'une v-
rit plus facile saisir, et plus complte dans
son cercle et dans tous ses points.La thologie quand ils nous l'exposent, n'a
que la moiti de son disque et leur morale
ne regarde Dieu que d'un oeil.
NMII.
POLITIQUE.
La politique est l'art de connatre et de
mener la multitude ou la pluralit. La gloirede cet art est de mener cette multitude, non
pas o elle veut, ni o l'on voudrait soi-mmemais o elle doit aller.
Dans les temps qui nous ont prcds, jevois des liberts d'un jour et des sicles de
servitude.
Ces Grecs et ces Romains taient de grands
personnages en effet.
Mais en admirant leurs actions, leurs pa-
roles leurs gestes et leurs attitudes, n'envions
pas leur sort; n'aspirons pas nous faire une
histoire qui nous rende semblables eux;
80
traitons-les comme ces acteurs dont on aime
le jeu, mais dont on n'aime pas le mtier.
Savez-vous ce que vous dsirez votre insu
dans l'tablissement d'un corps lgislatif? vous
dsirez un thtre, et vous voulez vous faire
acteurs.
Changez les motifs des rvolutions, et vous
en changez la nature, la direction et les
effets.
De bonnes lois ne doivent rien abandon-
ner l'arbitraire des hommes.
Il y a donc arbitraire partout o il y a li-
bert illimite.
Demander cette libert, sur quoi que ce
soit c'est demander l'arbitraire.
Si tout doit tre rgle, rien ne doit tre
libre.
Il faut que le respect envers le prince te
seul la libert.
Il faut que les lois seules soient armes.
Libert de la presse l'accorder comme on
81
6
livre ses armes un furieux qui se tuera si
on les lui donne, et qui vous tuera si on neles lui donne pas.
Le plus grand besoin d'un peuple est d'tre
gouvern. Son plus grand bonheur est d'trebien gouvern.
Flatter le peuple dans les temptes politi-
ques, c'est comme si on disait aux flots quec'est eux de gouverner le vaisseau et au
pilote qu'il doit toujours cder aux flots.
Avec le meilleur gouvernement reprsen-tatif possible, vous n'auriez encore qu'un mau-
vais peuple et un sot public.
Un roi doit toujours tre un lgislateurarm, et ne se mettre en tutelle, comme di-
sait Henri IV, que l'pe au ct.
Donner des lois particulires un peuple,c'est lui donner des frontires morales fortifies
et impntrables.
Ceux qui veulent gouverner aiment les r-
09
publiques, ceux qui veulent tre bien gou-verns n'aiment que la monarchie.
Si vous voulez que la proprit soit sacre,
faites intervenir le ciel rien n'est sacr o
Diu n'est pas.
Ce qui rend les guerres civiles plus meur-
trires que les autres, c'est qu'on se rsout
plus aisment avoir son ennemi pour con-
temporain que pour voisin c'est qu'on ne
veut pas risquer de garder la vengeance si prsde soi.
Le despotisme sacrifie sa puissance son
pouvoir; chaque despote a un rgne qui d-
vore celui de ses successeurs et le sien propre.
Trois choses attachaient les anciens leur
sol natal
Les temples, les tombeaux et les anctres.
Les deux grands points qui les unissaient
leur gouvernement taient l'habitude et l'an-
ciennet.
Chez les modernes, l'esprance et l'amour
de la nouveaut ont tout chang les anciens
. g4
vieille nation on peut le lui imposer, mais non
le lui donner. En ce cas ce n'est plus l une
nation, mais un peuple assujetti par un autre
peuple ou par quelques hommes.
Les Franais sont de jeunes gens toute leur
vie.
On peut plaider des causes, mais il ne faut
pas plaider les lois.
Plaider publiquement les lois quelle horri-
ble profanation c'est en mettre le germe nu.
La source en doit tre sacre, et, par cette
raison, cache; et vous l'exposez au grand air,
au grand jour
Quand elles naissent de la discussion, elles
ne viennent plus d'en haut ni du secret de la
conscience elles naissent justiciables de la
chicane.
Tous les conqurans ont eu quelque chose
de commun. dans leurs vues, dans leur gnieet leur caractre.
Le droit et la force n'ont entre eux rien de
commun par leur nature. En effet, il faut met-
OK
tre le droit o la force n'est pas; la force tant
par elle-mme une puissance.
Il y a bien un droit du plus sage, mais non
pas un droit du plus fort.
En toutes choses il faut embellir les rois
pour leur bonheur, pour le ntre, et pourcelui de la socit.
Il y a loin du dvouement d'un courtisan
celui d'un citoyen et celui d'un soldat.
Temps dplorables o il ne reste plus au
genre humain d'autre ressource que de se r-
fugier dans les montagnes (le ciel) d'o il
est descendu.
Sans l'ignorance qui s'approche, nous de-
viendrions bientt un peuple absolument in-
gouvernable.
Il faut placer la Puissance o la Force n'est
pas, et la lui donner pour contre-poids c'est
le secret du monde. D'o il suit que plus il
y a dans un tat de puissance ou de force
plwW
morale on opposition avec la force relle ou
physique, plus cet \%t mX habilement cons-titu.
U n'y a point d'art point d/quilibre et de
beaut politique chez un peppfe o, la Foreet la Puissance se trouvent dans les mmes
mains, 'est^dire. 4ans le grand nombre,ctowmf dans, les dmocraties dont l'histoire
n'a de l'clat et de l'intrt que lorsque laForce se dplace rellement par l'effet de l'as-
epdant 4e quelque feomme, vertueux surles moiiv^,m^& 4e la multitude qui seule estforte par elle-mme et sans fiction.
En ,A:gle|errf 1 parkwent est roi, et ler oi est ministre; mm ministre hrditaire
perptuel, inviolable de certaines condUtiens.
C'est un nion^rqiie mwtilt; borgne, boiteux
et manchot $ mais honor/*
Il faut placer dans le temple des sages, et
non pa& siar \m ba^4^ opinais, ceux dont
l'opinion est d'y ne grande autorit. On doit
les employer dcider, mm non pas dli-
brer. Leur voix doit faire toi, et non pas
87
faire nombre. Comme ils sont hors de pair, il
faut les tenir hors des rangs.
Toute autorit lgitime doit aimer son
tendue et ses limites.
Ot er aux lois 'leur- vtust c'est les rendre
moins vnrables si on est rduit en sub*
stituer de nouvelles aux anciennes, il faut
donner celles-l un air d'antiquit.
Il faut qu'il y ait dans toute loi quelquechose qui soit liant ou obligatoire par soi. Tout
ce qui n'a pas cette qualit n'est qu'un dcret,
une ordonnance.
Les gouvernemens sont une chose qui s'-
tablit de soi-mme; ils se font, et on ne les
fait pas. On les affermit, on leur donne la
consistance, mais non pas l'tre.
Dans un tat bien ordonn, les rois com-
mandent des rois, c'est--dire *des pres de
famille, matres chez eux, et qui goufernentleur maison.
Que si quelqu'un gouverne mal la sienne,
881 ~w.c'est un grand mal, mais beaucoup moindre
que s'il ne la gouvernait point.
Point de libert, si une volont forte n'as-
sure l'ordre convenu.
Une volont forte, et par cela mme puis-
sante, donne tous les esprits une grande s-
curit du moins on n'a craindre qu'elle.
Il faut mnager le vent aux ttes franaiseset le choisir, car tous les vents les font tourner.
Hors des affections domestiques, tous les
longs sentimens sont impossibles aux Franais.
Un des plus srs moyens de tuer un arbre
est de le dchausser et d'en faire voir les racines.
Il en est de mme des institutions, celles qu'onveut conserver il ne faut pas trop en dsen-
terrer l'origine. Tout commencement est petit.
La libert est un tyran qui est gouvern
par ses caprices.
La vnalit des charges avait au moins cet
avantage que celui qui achetait une judica-
ture n'ayant aucune obligation au pouvoir qui
89
la lui vendait, il en restait indpendant dans
ses opinions et dans sa conscience.
C'est parce que les matres prposs sont
les gaux de leurs subordonns, qu'il est besoin
de les environner de pompe.
Le mme sang- froid qui nous fait dire:
l'tat est vieux, et il doit prir , serait pro-
pre nous faire dire aussi Mon pre est
g, et il doit mourir.
C'est un sang-froid qui n'est pas permis.
La faiblesse qui ramne l'ordre vaut mieux
que la force qui s'en loigne., et ce qui nous
prive de l'excs nous perfectionne.
Angleterre c'est de ce pays que sont sor-
ties, comme des brouillards, les ides m-
taphysiques et politiques qui ont tout ob-
scurci.
Le peuple sait connatre mais il ne sait paschoisir.
Ce qui vient par la guerre s'en retournera
on
par la guerre toute dpouille sera reprise,tout butin sera dispers tous les vainqueursseront vaincus, et toute ville pleine de proiesera saccage son tour.
La subordination est plus belle que l'index
pendance.L'une est l'ordre et l'arrangement l'autre
n'est qu'une suffisance unie avec l'isolement.
L'une offre un tout bien dispos; l'autre
n'offre que Y unit dans sa force et sa plnitude.L'une est l'accord, l'autre est le ton.
C'est un grand malheur quand la moiti
d'une nation est mprise par l'autre; et je neveux pas seulement parler du mpris des grandspour les petits, mais du mpris des petits pourles grands.
La puissance est une beaut.
Tout pouvoir sans partage n'est pas un pou-voir absolu.
Gouverner sa maison, c'est tre vraiment
citoyen, c'est l vritablement prendre part
91
91 1 '1.
au gouvernement gnral de la. cit, en exer-
cer les plus beaux droits, en rendre la marche
facile.
La npiltitud aime la multitude, ou la plu-
ralit dans le gouvernement. Les sages y ai-
ment l'unit.
Mais Pour plaire aux sages et pour avoir sa
perfection, il faut que l'unit ait pour limites
celles de sa juste tendue, que ses limites
viennent d'elle; ils la veulent minente et
pleine semblable un disque et non pas sem-
blable un point.
En parlant du peuple au lieu d'un peuple
esclave, dites un peuple opprim. La premire
pithte est un mot de reproches, la seconde
un titre de recommandation.
C'est la ncessit, la ncessit seule qui fait
tous les gouvernemens.
Depuis l'tablissement des parlemens, tout
le monde,, dans la plupart des causes, tait
jug par les mmes juges. Les juges hors de
l'administration de lajustice n'taient les su-*
92
prieurs, proprement dits, de personne. On
tait jug par ses pairs mais par des pairs
plus savans que soi.
Les lois mmes ne sont pas la rgle des
murs ni les usages, ni les opinions, ni
l'avenir, ni le temps prsent mme.
Le pass pourrait plutt l'tre, parce qu'il a
t prouv.
Si les peuples ont leur vieillesse, qu'au moins
cette vieillesse soit grave et sainte, et non fri-
vole et drgle.
Or, tout ce qui est sans rgle est drgl.Et quelles rgles reconnaissons-nous, je vous
prie .?
Il s'exhale de tous les cris et de toutes les
plaintes une vapeur; de cette vapeur il se
forme un nuage, et de ce nuage il sort des
foudres, des temptes, ou du moins des in-
tempries qui dtruisent tout.
Conforme-toi la nature, elle veut, que tu
sois mdiocre sois mdiocre, cde aux plus
sages, adopte leurs opinions, ne trouble pas
93
le monde, puisque tu ne sau'is pas Je gou-
verner. w
Maintenir et rparer. Belle devise; la plus
belle des devises pour un sag gouvernementau sortir des rvolutions.
Un roi populaire a presque toujours un
langage qui l'est aussi, et l'habitude de parler
ainsi maintient presque toujours l'esprit dans
le bons sens.
Il ne faut donc pas interdis cette manireade s'exprimer aux princes qui en ont la fan-
taisie il faut au contraire l'approuver et la
favoriser.
Presque tout ce que noH appelons un
abus, fut un remde dans les institutions poli-
tiques.
L'administrateur homme d'tat est un mes-
sager, un voiturier qui le temps prsent est
remis en dpt pour tre reidu tel qu'il est,
ou meilleur au temps venir.
On craint aujourd'hui l'austrit de moeurs
*J Ht
et d'opinions dans le prince, plus qu'on n'y
craindrait la rapacit, la cruaut, la tyrannie.
Ce qui m'tonne le plus chez les peuples
libres, c'est l'ordre, la raison et le bonheur.
Il faut qu'il n'y ait en rien une libert sans
mesure, dans un tat bien gouvern, mme
dans les habits et dans le vivre.
Une libert sans mesure j en quoi que ce soit,
est un mal sans mesure.
L'ordre est dans les dimensions, la dimen-
sion dans les limites.
Les rvolutions sont des temps o le pauvren'est pas sr de sa probit, o le riche n'est
pas sr de sa fortune, ni l'homme innocent
de sa vie.
N IV.
DUCATION,
Il faut rendre les enfans raisonnables) mais
non les rendre raisonneurs. La premire chose
qu'il faut leur apprendre c'est qu'il est rai-
sonnable qu'ils obissent, et drcza'sonnczble
qu'ils contestent; l'ducation, sans cela, se
passerait en argumentations, et tout serait
perdu si tous les matres n'taient pas de bons
ergoteurs.
Vous ne voyez l que des tudians, et moi
j'y vois de jeunes hommes.
Oui, soufflez sur eux cette molle indulgence,et faites fleurir les passions, ils en recueille-
ront les fruits amers.
Les enfans aiment le style enfl, les mets
t/U
plus simples. On ne peut les servir que dans
des plats d'or ou d'argent.
Aux enfans en littrature rien que de
simple.
La simplicit n'a jamais corrompu le got,elle ne fait aimer rien de mauvais; que dis-je?elle ne le souffre mme pas; tout ce qui est
potiquement dfectueux est incompatible avec
elle. C'est ainsi que la limpidit de l'eau se
dtruit par le mlange de toute matire tropterrestre.
Notre got alimentaire se corrompt par des
saveurs trop fortes, et notre got littraire
pur dans ses commencemens, par toutes les
expressions trop prononces.Ne leur donnez que des auteurs o leur me
trouve la fois un mouvement et un repos
perptuels, qui les occupent sans efforts et
dont ils se souviennent sans peine.
Il faut appliquer aux enfans ce que M. de
Bonald dit qu'il faut faire pour le peuple Peu pour ses plaisirs
Assez pour ses besoins;
Et tout pour ses vertus.
97
7
Les matres doivent tre les guides, et non
pas les amis de leurs lves.
En levant un enfant, il faut songer sa
vieillesse.
Ce qu'on regrette de l'ancienne ducationc'est ce qu'elle avait de moral et non ce qu'elleavait d'instructif. C'est le respect qu'on avait
pour les matres, et celui qu'ils avaient pour
eux-mmes; c'est le spectacle de leur vie et
l'ide qu'on s'en faisait; c'est l'innocence de ce
temps et la pit qu'on inspirait l'enfance
pour les hommes et pour le ciel bonheur
de l'homme tous les ges.
Il faut donner pour exemple aux enfans des
phrases o l'accord entre l'adjectif et le sub-
stantif soit non seulement grammatical, mais
moral; comme Le temple saint. ?
Mais si vous disiez le voleur malheureux ,l'accord ne serait pas moral, parce qu'il faut
mettre ct du dlit l'ide du chtiment et
non celle de l'infortune.
Le mme accord inoral doit se trouver entre
le nominatif et le verbe. Les soldats coura-r-.
98
geux aiment la guerre. Ce rgime n'est pasmoral. Il associe et lie insparablement l'ide
de la bravoure celle de l'attaque et de la
querelle.Mais si vous disiez Les soldats courageux
aiment la victoire et non le carnage, le r-
gime serait moral; car vous associez alors dans
la tte qui la reoit l'ide du courage celle de
la haine qu'il faut avoir pour la destruction
inutile.
Par l'association des ides, le bonheur du
premier ge en fait aimer tous les vnemensles mets dont on y fut nourri, les chants
qu'on entendit, l'ducation que l'on reut 9mme les peines qu'elle causa.
La svrit glace en quelque sorte nos d-
fauts et les fixe souvent l'indulgence les fait
mourir. Un bon approbateur est aussi nces-
saire qu'un bon correcteur.
Tout enfant qui n'aura pas prouv de
grandes craintes n'aura pas de grandes vertus;les grandes puissances de son me n'auront
pas t remues le froid trempe le fer et la
crainte trempe les mes. Ce sont les grandes
craintes de la honte qui rendent l'ducation
publique prfrable la domestique, parce
que la multitude des tmoins rend seule le
blme terrible, et que la censure publique est
parmi les censures la seule qui glace d'effroi
les belles mes.
Mon fils, ayez l'me d'un roi, et les mains
d'un sage conome.
Il suffit, pour une ducation noble et let-
tre, de savoir de la musique et de la pein-ture ce qu'en disent les livres.
L'ducation ne peut corriger les murs que
par les manires, les inclinations que par