DAVID TANGUAY
L’ARGENT DES MIGRATIONS : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS
RURALES AU CHIAPAS ?
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l’obtention du grade de maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)
DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE
UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC
2007
© David Tanguay, 2007
ii
Résumé Lorsque le 1er janvier 1994, l’EZLN prit d’assaut plusieurs villes du Chiapas au Mexique,
les conditions socio-économiques déplorables des Chiapanèques furent dévoilées au grand
jour. Depuis que le Mexique a entrepris des réformes néolibérales dans les années 1980-
1990, les Chiapanèques, incapables de s’adapter à la concurrence des produits agricoles
américains, croient n’avoir qu’une seule option : la migration vers les États-Unis. Une fois
dans ce pays d’accueil, les migrants contribuent au maintien de leur famille en leur
transférant d’importantes sommes d’argent. Toutefois, cette solution est-elle viable ? Les
résultats d’entrevues réalisées dans la forêt Lacandona démontrent que les migradollars
permettent aux familles d’investir dans la production agricole, en santé et en éducation, les
aidant ainsi à rompre le cycle de la pauvreté. De plus, en favorisant le développement
économique et humain à l’échelle locale, les migrations contribuent à contenir les luttes
sociales à l’échelle régionale. Dans ce contexte, que sont devenues les revendications
zapatistes ?
iii
Abstract On January 1st, 1994, the Zapatistas seized several cities in the Mexican state of Chiapas
and revealed to the world the deplorable socio-economic conditions of Chiapanecos. Since
the neoliberal reforms of the 1980-1990 decades, peasants have been unable to adapt their
production to competition from U.S. agricultural products. They now believe they have
only one option left: migrate to the United States. Once in the host country, the migrants
contribute to their family livelihood through the transfer of remittances. However, is this
solution viable? The results of interviews conducted in the Lacandona forest show that
remittances enable the migrant’s families to invest in agricultural production, health and
education. Thus, they build up human capital that could help them break the cycle of
poverty. Moreover, by fostering local economic and human development, migrations now
help to contain social conflict on a regional scale. In this new context, what has become of
Zapatista claims?
iv
Remerciements L’écriture d’un mémoire de maîtrise n’étant pas une tâche facile, il est nécessaire de
remercier ceux et celles qui m’ont offert aide et soutien au cours de ces deux dernières
années. Tout d’abord, je tiens à remercier ma directrice de recherche, Mme Nathalie
Gravel, pour ses judicieux conseils. Ensuite, ma copine, Anne Toussaint, ainsi que ma
famille pour leur soutien moral quotidien. Je remercie également tous mes amis du
GREDIN et du département de géographie avec qui j’ai passé de très bons moments, ainsi
que les évaluateurs de ce mémoire, Steve Déry et Jorge Virchez.
Finalement, je tiens à remercier ceux et celles qui m’ont apporté une aide inestimable sur le
terrain au Chiapas, en particulier mon ami Carlos Tejeda Cruz, professeur au Collège
d’ECOSUR. Merci aux gens de l’Université de Chapingo, campus Chiapas, dont entre
autres le coordonnateur Tim Trench. Merci aux professeurs Daniel Villafuerte Solís et
Jorge Cruz Burguete et tous les gens du collège ECOSUR. Enfin, je voudrais remercier
Mélanie, Jérôme, Nayalit, Marco et Fatima pour m’avoir offert leur soutien sur le terrain et,
bien sûr, les habitants d’El Ixcán et de Loma Bonita pour m’avoir si gentiment accueilli.
Merci !
v
Liste des acronymes
ALENA Accord de libre-échange nord-américain
BANRURAL Banque nationale du crédit rural
BID Banque Interaméricaine de Développement
CIOAC Centrale indépendante des ouvriers agricoles et paysans
CNC Confédération nationale paysanne
COCOPA Commission de Concorde et de Pacification
COESPO Conseil étatique de la population
CONAPO Conseil national de la population
CRI Coordination des relations internationales
ECOSUR Collège de la frontière sud
EZLN Armée zapatiste de libération nationale
GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
INAFED Institut national pour le fédéralisme et le développement municipal
INEGI Institut national de statistiques géographiques et informatiques
INMECAFE Institut mexicain du café
MAREZ Municipalités rebelles zapatistes
OCEZ Organisation paysanne Emiliano Zapata
PAN Parti de l’Action national
PPP Plan Puebla-Panamá
PRA Programme de réhabilitation agraire
PRI Parti révolutionnaire institutionnel
SCT Ministère des Communications et des Transports
SEDESOL Ministère de Développement social
SRA Ministère de la Réforme agraire
SRE Ministère des Relations extérieures
UNICACH Université des sciences et des arts du Chiapas
vi
Glossaire des mots espagnols utilisés
Colonias : Aire habitée par des colonos.
Colono : Petits producteurs ayant un statut juridique différent des ejidatarios et des comuneros. Fait habituellement référence à leur position périphérique à la ville et à leur récente arrivée.
Comuneros : Communautés en majeure partie autochtone qui détiennent leur droit d’accès à la terre depuis l’époque coloniale et où les terres sont cultivées collectivement.
Ejidatario : Individu ayant accès à une parcelle de terre au sein d’un ejido. L’ejidatario possède des droits, par exemple celui de participer aux décisions de la communauté en votant aux assemblées. Avant la réforme de l’article 27 de la Constitution de 1992, l’ejidatario ne pouvait vendre ou louer sa terre, mais seulement la transférer par héritage.
Ejido : Forme d’organisation des terres, issue de la Révolution mexicaine, où les terres sont gérées par la communauté. La réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine de 1992 a mis un terme à la distribution de terres sous forme d’ejidos par le gouvernement.
Haciendas : Grande exploitation agricole d’Amérique latine.
Poblador : Individu travaillant la terre dans un ejido, mais qui n’a pas le statut d’ejidatario. Habituellement, pour avoir accès à la terre, le poblador paye l’ejidatario ou lui remet une partie de ses récoltes.
Quinceñeras : Quinzième anniversaire d’une jeune fille.
Ranchos : Grande ferme d’élevage d’Amérique latine.
Tienda : Petite épicerie, équivalent du « dépanneur » au Québec.
vii
Table des matières
Résumé................................................................................................................................... ii Abstract................................................................................................................................. iii Remerciements.......................................................................................................................iv Liste des acronymes................................................................................................................v Glossaire des mots espagnols utilisés ....................................................................................vi Table des matières ............................................................................................................... vii Liste des tableaux...................................................................................................................ix Liste des figures .....................................................................................................................ix Introduction.............................................................................................................................1
Mise en contexte .................................................................................................................1 Problématique.................................................................................................................6
Hypothèse de recherche ....................................................................................................11 Méthodologie ....................................................................................................................12
Sources primaires et secondaires .................................................................................12 Territoire d’étude..........................................................................................................13 Méthode de cueillette et de traitement des données .....................................................17 Intérêt de la recherche ..................................................................................................19 Limites de la recherche.................................................................................................20
Chapitre 1. Comment évaluer le développement des communautés ? .................................23 1.1. Qu’entendons-nous par développement ?..................................................................23
1.1.1. Les cas de Jorge et María...................................................................................23 1.1.2. Une définition adaptée au contexte local ...........................................................24
1.2. Le cadre opératoire utilisé..........................................................................................27 Chapitre 2. Le contexte socio-économique chiapanèque : les migrations en tant que stratégie de survie .................................................................................................................37
2.1. La question agraire au Chiapas : historique d’un problème ......................................37 2.1.1. Les effets de la réforme agraire au Chiapas.......................................................37 2.1.2. Ralentissement économique et début d’une crise agricole .................................40 2.1.3. Migrations internes et peuplement de la forêt Lacandona .................................41 2.1.4. Remise en question du « corporatisme d’État », formation d’organisations paysannes autonomes et répression au Chiapas ..........................................................43 2.1.5. Naissance de l’EZLN ..........................................................................................44
2.2. Crise économique, crise agricole et réformes néolibérales : les migrations de masse en tant que stratégie de survie au Chiapas ........................................................................46
2.2.1. Les années de Miguel de la Madrid : le début d’une crise agricole ..................46 2.2.2. La crise du café...................................................................................................48 2.2.3. Salinas de Gortari et la réforme de l’article 27 de la Constitution....................50 2.2.4. Les effets de l’ALENA sur le milieu agricole chiapanèque : le cas du maïs ......51
2.3. Les IDE pour contrôler l’immigration .......................................................................53 2.3.1. Le Mexique et les IDE.........................................................................................53 2.3.2. L’impact de l’impasse politique sur les IDE au Chiapas ...................................55
Chapitre 3. Les résultats : Le rôle des migrations dans le développement des communautés : le cas d’El Ixcán et de Loma Bonita .....................................................................................62
viii
3.1. Les objectifs et l’importance du revenu migratoire ...................................................62 3.1.1. Les objectifs et les motivations des migrants......................................................62 3.1.2. L’influence du temps sur le lien tissant le migrant à sa communauté ................66 3.1.3. L’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux ...................71
3.2. La canalisation du revenu migratoire.........................................................................74 3.2.1. La satisfaction des besoins essentiels .................................................................74 3.2.2. Une qualité de vie améliorée à court terme ?.....................................................77
3.3. Les investissements productifs : vers un véritable développement ? ........................83 3.3.1. Les investissements agricoles et commerciaux ...................................................83 3.3.2. Investissements dans le capital humain ..............................................................89 Conclusion de cette partie ............................................................................................91
Chapitre 4. Une nouvelle ère pour le Chiapas ? ...................................................................93 4.1. Des bienfaits pour l’ensemble de la communauté ? ..................................................93
4.1.1. Les exclus des courants migratoires ..................................................................93 4.1.2. À quand les migradollars collectifs ? .................................................................96
4.2. L’intégration du Chiapas à l’économie internationale...............................................99 4.2.1. Les migrations en tant qu’agent pacificateur du Chiapas..................................99 4.2.2. Le Plan Puebla-Panamá : possible dans une zone à influence zapatiste ? ......105
Conclusion ..........................................................................................................................113 Bibliographie ......................................................................................................................119 Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain ...................................................................128 Annexe 2 : Occupation de la population active de la municipalité de Maravilla Tenejapa par secteur d’activités (2000)....................................................................................................134 Annexe 3 : Répartition de la population active de 12 ans et plus selon le salaire ..............135 Annexe 4 : Carte des régions physiographiques du Chiapas ..............................................136
ix
Liste des tableaux Tableau 1 : Indicateurs socio-économiques du Chiapas.........................................................5 Tableau 2 : Distribution des terres au Chiapas, 1920 – 1984 ...............................................39 Tableau 3 : Structure agraire au Chiapas (2002) ..................................................................45 Tableau 4 : Part du secteur social ayant accès à des moyens de production (1988).............48 Tableau 5 : Distribution des producteurs de café du Chiapas par superficie de propriété
cultivée en 1992 ............................................................................................................49 Tableau 6 : Distribution des IDE au Mexique, 1994-2006...................................................56 Tableau 7 : Profil des migrants de chaque unité domestique ...............................................63 Tableau 8 : Les raisons et les objectifs ayant motivé les migrations....................................64 Tableau 9 : Les investissements en éducation .....................................................................91 Tableau 10 : Répartition des types d’investissements accomplis (%) (2002-2006) ............97
Liste des figures Figure 1 : Le poids des migradollars en Amérique latine.......................................................3 Figure 2 : Distribution des revenus au Mexique, 2000...........................................................6 Figure 3 : Municipalités et régions socio-économiques du Chiapas ....................................13 Figure 4 : Marginalisation et zone de conflit au Chiapas .....................................................14 Figure 5 : El Ixcán et Loma Bonita au Chiapas....................................................................16 Figure 6 : Variables influençant les sommes reçues par l'unité domestique ........................30 Figure 7 : Variables influençant les sommes disponibles pour l'unité domestique ..............32 Figure 8 : Variables influençant les choix de l'utilisation des migradollars .........................35 Figure 9 : Caracol d’Oventik dans la région de Los Altos...................................................60 Figure 10 : Intention de revenir s’établir dans la communauté ............................................65 Figure 11 : Durée du séjour des migrants .............................................................................67 Figure 12 : Caricature représentant les risques des nouvelles routes pour traverser la
frontière.........................................................................................................................68 Figure 13. Fréquence des allers-retours ................................................................................69 Figure 14 : Fréquence des communications par téléphone...................................................71 Figure 15 : Part du revenu migratoire au sein du budget familial ........................................72 Figure 16 : Fréquences des envois........................................................................................72 Figure 17 : Nombre d'enfants par famille .............................................................................75 Figure 18 : Temple construit à l’aide de l’argent des migrations .........................................76 Figure 19 : Intérieur du temple construit à l’aide de l’argent des migrations.......................77 Figure 20 : Le confort matériel amélioré d’une famille d’agriculteurs de Loma Bonita
bénéficiant de l’argent des migrations ..........................................................................78 Figure 21 : Les investissements sur la résidence ..................................................................79 Figure 22 : Maison traditionnelle avec plancher de terre .....................................................81 Figure 23 : Cimentation du plancher et construction d’un deuxième étage .........................82 Figure 24 : Cimentation des murs et division de l’espace domestique.................................82 Figure 25 : Maison construite à l’aide des migradollars.......................................................83 Figure 26 : Les investissements productifs...........................................................................85 Figure 27 : Exemple de machinerie agricole ........................................................................87
x
Figure 28 : Exemple d’une tienda construite à l’aide des migradollars à El Ixcán ..............89 Figure 29 : El Ixcán en construction.....................................................................................94 Figure 30 : École à Loma Bonita ..........................................................................................95 Figure 31 : Station écotouristique à El Ixcán......................................................................103 Figure 32 : Puente Chiapas .................................................................................................105 Figure 33 : Régions incluses dans le Plan Puebla-Panamá.................................................107
Introduction
Mise en contexte Lorsque le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’ALENA, l’Armée zapatiste de
libération nationale (EZLN) prit d’assaut plusieurs villes du Chiapas au Mexique, les
conditions socio-économiques déplorables des Chiapanèques furent dévoilées au grand
jour. Malgré de grandes ressources naturelles qui pourraient faire du Chiapas un État
prospère, celui-ci est toujours considéré comme le plus pauvre du Mexique (Anzaldo et
Prado, 2006). Confrontés à une mauvaise répartition des richesses, entre autres de la
propriété terrienne, les Chiapanèques sont forcés de chercher des stratégies de survie afin
de remédier au contexte socio-économique difficile. Depuis les années 1970, de nombreux
regroupements indépendants au syndicat national des paysans (CNC) naquirent, donnant
lieu à une série d’occupations de terres qui débouchèrent souvent sur de violents conflits
qui connaîtront leur apogée avec la rébellion zapatiste de 1994. Pourtant, alors que les
luttes agraires furent, durant plusieurs années, la solution privilégiée des Chiapanèques
pour tenter de remédier aux problèmes socio-économiques, voilà qu’une nouvelle stratégie
prend de plus en plus d’importance : les migrations vers les États-Unis.
En effet, si les décennies de luttes agraires ont finalement réussi à assurer un meilleur
partage de la propriété terrienne au Chiapas, elles n’ont toutefois pas été en mesure de
développer le secteur des ejidos1 afin qu’il puisse demeurer compétitif. Pour cette raison,
depuis que le Mexique a entrepris des réformes néolibérales au début des années 1980, la
terre n’arrive plus à satisfaire les besoins de plusieurs familles chiapanèques. Depuis, de
nombreux paysans sont contraints de migrer aux États-Unis, bien souvent illégalement, afin
de trouver un emploi qui permettra à leur famille demeurée dans leur communauté de
survivre à l’aide de l’argent des migrations2.
1 Les ejidos sont des terres gérées par la communauté. Voir le glossaire pour la définition des termes espagnols utilisés et le deuxième chapitre pour obtenir plus de détails sur le secteur des ejidos. 2 L’argent des migrations est parfois mieux connu sous son terme anglais « remittance ». Le terme n’a pas d’équivalent en français, quoique certains auteurs emploient « migradollars ». L’argent des migrations se rapporte aux sommes qui sont transférées par le migrant du pays d’accueil aux communautés d’origine.
2
Les migrations sont devenues une stratégie de survie importante pour les Mexicains (figure
1). En 2003, le Mexique était le deuxième pays au monde à recevoir le plus d’argent
provenant des migrations, soit 14,6 milliards de dollars, étant seulement dépassé par
l’immense bassin démographique qu’est l’Inde (Munzele Maimbo et Ratha, 2005). Après
les revenus des combustibles, les migradollars sont la deuxième plus importante source de
financement externe du Mexique, dépassant même les revenus provenant des
investissements étrangers et de l’industrie touristique (Gravel et Patiño, 2003) ! Bien
qu’elles existent depuis fort longtemps, en particulier depuis la mise en place du
Programme Bracero (1942-1964)3, les migrations ont pris une importance particulière
depuis la crise économique de 1982.
À la suite de cette crise, le gouvernement mexicain a dû abandonner le modèle de
substitution des importations qui avait jusqu'à lors prévalu en Amérique latine pour adopter
le modèle néolibéral basé sur la libéralisation, la privatisation et la dérégulation
(Appendini, 1998 ; Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Lapointe, 1997). En agriculture, ces réformes
néolibérales ont profondément modifié la relation entre l’État et les communautés agricoles.
Ces communautés qui, depuis la Révolution mexicaine (1910-1920), avaient été habituées à
un certain paternalisme de la part de l’État, voient celui-ci se retirer peu à peu de
l’agriculture. Depuis ces réformes, le milieu agraire mexicain est affecté par une grave crise
agricole qui semble vouloir perdurer (Gravel, 2007 ; Bartra, 2005 ; Villafuerte Solís, 2005 ;
Appendini, 1998 ; Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Harvey, 1998a).
3 Conçu durant la Deuxième Guerre mondiale, le Programme Bracero permettait aux Mexicains de venir travailler temporairement dans le milieu rural aux États-Unis (Durand, 2005).
3
Figure 1 : Le poids des migradollars en Amérique latine
Source : Banque interaméricaine de développement (2004) dans Dabène (2006)
L’importance qu’ont pris les migrations en tant que stratégie de survie à la crise agricole a
fait un naître un intérêt considérable au sein de la communauté scientifique. Celle-ci s’est
interrogée sur le rôle que pouvait jouer l’argent des migrations sur le développement
économique et social des communautés rurales. Toutefois, ces études ont été surtout
concentrées sur des régions du Mexique connaissant une culture des migrations plus
4
ancienne, comme les États du Michoacán et de Zacatecas, tandis que peu d’études ont été
faites dans des États où les migrations sont plus récentes. Pourtant, depuis quelques années,
les migrations vers les États-Unis ont pris de l’importance dans des régions où elles
n’étaient autrefois que marginales (Mariscal, 2006c ; Durand et al., 2001 ; Mutersbaugh,
2002).
Le Chiapas est un parfait exemple de ces États qui ont connu une augmentation importante
des migrations. En 2005, on estimait à plus de 655 millions de dollars les sommes
provenant des migrations reçues par les familles chiapanèques, ce qui représente trois pour
cent du total de l’argent des migrations entrant au pays (Banque du Mexique, 2006).
Phénomène récent dans cet État enclavé de l’extrémité sud du pays, les effets de ces
migrations ont été jusqu’à ce jour peu étudiés. Pourtant, la situation particulière du Chiapas,
autant d’un point de vue historique que socio-économique, nous permet de nous
questionner sur le rôle que pourrait jouer l’argent des migrations dans le développement des
communautés rurales. En effet, l’État, qui compte la plus grande proportion de populations
autochtones au pays (26 pour cent), est le plus pauvre et parmi les plus marginalisés4 du
pays (tableau 1) (Anzaldo et Prado, 2006).
4 L’indice de marginalité établi par le gouvernement Mexicain tient compte de quatre variables, soit l’éducation, le logement, le salaire, ainsi que la distribution de la population , qui sont à leur tour précisées à l’aide de différents indicateurs. Avant 2005, le Chiapas occupait le premier rang des États les plus marginalisés. Depuis 2005, l’État se classe au deuxième rang, tout de suite après le Guerrero (Anzaldo et Prado, 2006). Pour cette recherche, nous nous référons à la définition du gouvernement mexicain lorsque nous parlons de marginalité.
5
Tableau 1 : Indicateurs socio-économiques du Chiapas
Indicateurs socio-économiques Pourcentage
Population active vivant avec 2 salaires minimum5 et moins 78
Population de 15 ans et plus analphabète 21
Population n’ayant pas complété l’éducation primaire 43
Population vivant dans une maison avec un plancher de terre 33
Population n’ayant pas accès à l’eau potable 26
Population vivant dans des conditions d’entassement6 60
Source : Anzaldo et Prado (2006)
Pourtant, cette pauvreté paraît paradoxale par rapport aux richesses naturelles que possède
le Chiapas. En 2005, il était le cinquième producteur de pétrole brut au pays et le sixième
de gaz naturel (PEMEX, 2005). Il est aussi un important producteur d’hydroélectricité, soit
plus de 30 pour cent de la production nationale (ministère des Finances du Chiapas, 2005).
Son climat lui permet d’avoir une agriculture prospère ; il est un important producteur de
café, bananes, cacao, maïs, canne à sucre et de mangues. Plusieurs de ces productions, dont
les bananes, le cacao et les mangues, sont exportées aux États-Unis, au Canada et dans
l’Union européenne (idem). Il est également le premier exportateur de café organique au
monde et est aussi un important producteur de bétail. Aussi, avec des sites archéologiques
tels que Bonampak et Palenque, ses villes coloniales (ex : San Cristóbal de las Casas) ainsi
que sa riche biodiversité, l’État a un fort potentiel touristique (idem). Toutefois, cette
industrie a beaucoup souffert du conflit de 1994, en raison des avertissements émis par les
gouvernements américain et européens avisant leur population de ne pas visiter le Chiapas
(Villafuerte Solís, 2005).
5 Selon CONAPO, bien que le salaire minimum devrait être suffisant pour satisfaire les nécessités de base d’une famille, il en est loin en réalité. En 2005, au Chiapas, un salaire minimum équivalait à 45 pesos/jour, ce qui correspond à un peu moins de cinq dollars américains (ministère de l’Hacienda et du Crédit public, 2007 ; Anzaldo et Prado, 2006). 6 Le gouvernement considère « condition d’entassement » lorsque plus de deux individus dorment dans une même pièce (Anzaldo et Prado, 2006).
6
Figu
re 2
: D
istr
ibut
ion
des r
even
us a
u M
exiq
ue, 2
000
R
éalis
atio
n: la
bora
toire
de
carto
grap
hie,
dép
arte
men
t de
géog
raph
ie, U
nive
rsité
Lav
al, 2
006
7
Problématique Malgré les ressources naturelles dont bénéficie le Chiapas, la richesse demeure très
polarisée. L’oligarchie en place depuis la colonisation occupe les principales sphères de
l’économie chiapanèque, dont l’exploitation du bois, les banques et les moyens de
communication (Nadal, 1994). L’industrie n’y est que peu développée et 60 pour cent de la
population vit toujours de l’agriculture (Villafuerte Solís et al., 2002). Or, une grande partie
du milieu agraire pratique une agriculture de subsistance et la terre est, elle aussi, mal
répartie (voir chapitre 2). Par exemple, à la veille de l’insurrection zapatiste, 200 000
ejidatarios7 chiapanèques se partageaient les trois millions d’hectares de terre les moins
fertiles (seulement 41 pour cent étaient classés comme étant de bonne qualité pour
l’agriculture), alors que six mille éleveurs possédaient les trois millions d’hectares les plus
fertiles (Harvey, 1998a ; Nadal, 1994).
Les problèmes relatifs à la question agraire furent au cours des trois dernières décennies
l’un des principaux problèmes du Chiapas. Alors que l’article 27 de la Constitution
mexicaine de 1917, écrite lors de la Révolution mexicaine (1910-1920), stipulait que
chaque Mexicain avait le droit d’avoir accès à la terre, entre autres sous forme d’ejidos,
l’application de cette réforme fut problématique au Chiapas. En effet, à la suite de la
révolution, plusieurs grands domaines agricoles chiapanèques ne furent pas démantelés et
l’élite en place sut contourner les lois de façon à conserver les meilleures terres (Nadal,
1994). Or, durant les années 1970-2000, le Chiapas vit sa population augmenter de 150
pour cent (Villafuerte Solís et al., 2002) en raison d’un taux de croissance démographique
supérieur à la moyenne nationale et de l’arrivée massive des Guatémaltèques fuyant la
guerre civile dans leur pays (Rus et al., 2003 ; Favre, 1997). Cette croissance
démographique a créé une forte pression sur la terre qui a mené, à partir des années 1970, à
une série d’occupations des terres par des organisations paysannes autonomes, réclamant
leurs droits à la propriété (chapitre 2) (Villafuerte Solís et al. 2002 ; Harvey, 1998b).
Malgré le fait qu’au cours de ces trois décennies, le gouvernement distribua sous la
pression populaire plusieurs titres de propriété, l’instabilité politique créée par les luttes
7 En comptant cinq membres par famille, cela représente un million de Chiapanèques.
8
agraires et le manque d’investissements publics et privés en agriculture firent en sorte que
le secteur ejidal chiapanèque demeura particulièrement sous-développé (Villafuerte Solís,
2005). Ainsi, lorsque le gouvernement de Miguel de la Madrid (1982-1988) entreprit des
réformes néolibérales à la suite de la crise économique de 1982, les ejidatarios
chiapanèques eurent beaucoup de difficultés à s’adapter au retrait de l’État de l’agriculture
(Harvey, 1998a ; Villafuerte Solís, 2005).
Ces réformes ont créé une grave crise agricole au Chiapas qui, en plus d’augmenter les
revendications paysannes, s’est traduite par un nombre toujours croissant de Chiapanèques
délaissant leur terre pour émigrer vers les États-Unis (Peña López, 2005 ; Villafuerte Solís,
2005). Ces migrations ont surtout pris leur envol en 1989 lorsque le secteur agricole fut
gravement touché par la crise internationale du café (chapitre 2). À la suite de l’échec de
l’International Coffee Organisation d’instaurer un système de quotas, une surproduction
mondiale fit chuter les prix du café de 50 pour cent (Harvey, 1998a). Pour les producteurs
mexicains, cette crise fut particulièrement sévère, puisqu’elle coïncida avec la décision du
gouvernement mexicain de privatiser l’Institut mexicain du café (INMECAFE) qui jouait
un rôle important dans l’organisation, le financement, la mise en marché, ainsi que dans
l’exportation de la production.
Ensuite, les réformes néolibérales entamées par Miguel de la Madrid furent accentuées par
son successeur, Salinas de Gortari (1988-1994). En 1992, il modifia l’article 27 de la
Constitution mexicaine, ce qui rendit possible la certification des titres de propriété des
ejidos en vue d’une possible privatisation des terres. Avec cette réforme, le gouvernement
annonça l’arrêt officiel de la redistribution des terres ayant démarré avec la Réforme agraire
dans les années 19308 sans pourtant avoir été complétée au Chiapas, enlevant ainsi tout
espoir aux sans-terres d’obtenir une parcelle à cultiver (Harvey, 1998a ; Otero et al., 1997).
En enlevant le caractère inaliénable des ejidos, la contre-réforme agraire va inciter plusieurs
agriculteurs en crise à vendre ou à louer leurs terres, accentuant le problème de la
concentration de la propriété terrienne. En 1994, la signature de l’ALENA accentua la
paupérisation des petits agriculteurs en éliminant graduellement les barrières tarifaires sur
8 Bien que la Réforme agraire soit inscrite dans la Constitution mexicaine de 1917, elle sera surtout mise en œuvre à partir des années 1930 sous la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940).
9
les produits agricoles. Avec l’élimination progressive de ces barrières, les agriculteurs
chiapanèques durent affronter une forte concurrence des produits agricoles provenant des
États-Unis. À mesure que les barrières tarifaires diminuaient, plusieurs furent contraints de
délaisser leur terre et d’opter pour la migration (Gravel, 2007 ; Peña López, 2005 ;
Villafuerte Solís, 2005 ; Bartra, 2005).
Avec ce virage néolibéral, le gouvernement souhaitait remettre le pays sur le chemin d’une
croissance économique durable en favorisant les investissements étrangers. (Appendini,
1998 ; Minda, 1997). Ainsi, en agriculture, le gouvernement ne voulait favoriser que les
grandes entreprises agricoles modernes capables d’exporter leur production. Pour ce qui est
de l’agriculture de subsistance, qui occupe la majeure partie de la population active au
Chiapas (Villafuerte Solís, 2005), elle devait être remplacée par la création d’emplois bien
rémunérés. Or, au Chiapas, l’instabilité politique qui y règne depuis l’insurrection zapatiste
a effrayé les investisseurs et les emplois tant promis ne furent jamais créés (chapitre 2).
L’absence d’emplois dans les villes chiapanèques conjuguée à une crise agricole qui semble
vouloir perdurer a donné naissance à un véritable courant migratoire de masse au cours des
dernières années. Aujourd’hui, le nombre de Chiapanèques qui émigre chaque année aux
États-Unis est estimé à 30 000 et le nombre de ceux établis aux États-Unis serait de 300
0009. Parmi ces derniers, 65 pour cent seraient agriculteurs (Balboa, 2004). Parallèlement
aux migrations, l’argent des migrations affluant au Chiapas a connu un essor phénoménal
au cours des dernières années. En 1995, le Chiapas était le 27e État à recevoir le plus
d’argent des migrations10. Aujourd’hui, l’État se trouve au 11e rang (Banque du Mexique,
2006). Ce qui est caractéristique du Chiapas, c’est la vitesse à laquelle les migrations
croissent. Les 655 millions de dollars reçus par l’État en 2005 (5,7 pour cent du PIB)
(Mariscal, 2006a) représentent une croissance de 31 pour cent par rapport à 2004, qui avec
ses 500 millions, représentaient déjà une augmentation de 40 pour cent par rapport à 2003
(Bellinghausen, 2005). Les sommes reçues par les familles chiapanèques sont aujourd’hui
douze fois plus importantes que celles rapportées par la culture du maïs, quatre fois plus
que la production de café et dix fois plus que le tourisme (idem).
9 En 2005, la population totale du Chiapas s’élevait à 4 293 459 personnes (INEGI, 2006a). 10 Le Mexique comporte 31 États et un district fédéral, qui comprend la capitale, Mexico.
10
Devant l’ampleur du phénomène migratoire vers les États-Unis, l’objectif général de cette
recherche est de vérifier si les migradollars peuvent être une solution efficace à la crise
agricole qui sévit au Chiapas en permettant aux communautés de se développer et d’être
ainsi mieux outillées à remédier au contexte socio-économique difficile. Nous nous
demandons quels sont les effets de l’argent des migrations sur le développement des
communautés rurales au Chiapas ainsi que sur la qualité de vie de ses habitants ? Deux
objectifs spécifiques ont été retenus. Tout d’abord, nous voulons 1) identifier les différentes
utilisations de l’argent des migrations par les familles bénéficiaires et 2) analyser ses effets
sur le développement des communautés et sur la qualité de vie de ses habitants.
Le rôle de l’argent des migrations dans le développement des communautés au Mexique a
déjà fait l’objet de plusieurs études (García Zamora, 2005 ; Goldring, 2005, 2004 ; Cohen
et Rodriguez, 2004 ; Zarate-Hoyos, 2004 ; Mooney, 2003 ; Conway et Cohen, 1998 ;
Durand et al., 1996a, 1996b ; Durand et Massey, 1992 ; Reichert, 1981). Par contre, la
question à savoir si ces migradollars favorisent réellement le développement des
communautés a nourri de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Certains
avancent que l’argent des migrations ne favorise pas le développement, n’étant pas assez
utilisé à des fins productives, alors que d’autres croient au contraire que son rôle dans le
développement a été largement sous-estimé.
Un des principaux arguments des détracteurs de la contribution de l’argent des migrations
au développement est que les sommes ne sont pas suffisamment investies, puisqu’elles sont
majoritairement utilisées pour satisfaire les besoins familiaux et pour l’achat de biens
matériaux (Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992). Dans ces cas-ci, bien que les migradollars
rehaussent la qualité de vie des familles bénéficiaires, ils contribuent peu au
développement, puisqu’ils ne réussissent pas à diversifier l’économie de la communauté et
à créer de nouveaux emplois. Reichert (1981) employait même l’expression « syndrome du
migrant » (migrant syndrome) en évoquant la dépendance que développaient les familles
envers les migrations. L’argent n’étant pas assez investi, les migrations demeurent l’unique
moyen d’économiser l’argent nécessaire pour satisfaire les besoins de la maisonnée et pour
se procurer les biens matériels désirés. Aussi longtemps que l’argent n’est pas investi dans
la production, le migrant devra toujours entreprendre un autre séjour. Délaissant peu à peu
11
le mode de vie agraire pour le remplacer par des emplois urbains mieux payés, le migrant et
sa famille demeurée dans la communauté deviennent dépendants des migrations pour
subvenir à leurs besoins (Cohen et Rodriguez, 2004).
Toutefois, cette vision pessimiste est de plus en plus remise en question. Au cours des
dernières années, l’idée que les bienfaits des migradollars aient été sous-estimés a pris une
place importante au sein du discours de la communauté scientifique (Conway et Cohen,
1998 ; Durand et al., 1996a, 1996b ; Durand et Massey, 1992 ; Taylor, 1999). Même s’il est
vrai qu’une grande partie de l’argent des migrations est utilisée pour satisfaire les besoins
familiaux, il allège néanmoins la pression sur le budget familial et peut permettre aux
familles d’investir dans la production. La partie de l’argent investie, même petite, peut
avoir un effet multiplicateur, car chaque dollar investi engendre d’autres sources de
revenus. Le revenu migratoire peut alors aider à remédier au problème d’accès au crédit qui
touche grandement les agriculteurs et qui constitue un solide frein aux investissements. De
plus, l’argent des migrations a un effet multiplicateur dans la communauté, puisqu’il crée
une hausse de la demande des biens et services, ne limitant plus seulement les bénéfices de
l’argent des migrations aux familles bénéficiaires (Durand et al., 1996a ; Taylor, 1999).
Quant à eux, Conway et Cohen (1998) affirmaient dans leur article intitulé Consequences
of migration and remittances for Mexican transnational communities que l’importance de
l’utilisation des migradollars pour satisfaire les besoins de base des familles, tels que
l’achat de nourriture ou de vêtements, ne doit pas être négligée. En temps de crise, l’argent
des migrations peut être d’une importance capitale pour l’achat de ces biens essentiels,
remplaçant alors le rôle de protection que devrait assumer l’État.
Hypothèse de recherche Pour cette recherche, en fonction des études qui ont déjà été faites ailleurs au Mexique et de
la crise agricole qui affecte le Chiapas depuis les années 1980, nous pouvons déjà avancer
l’hypothèse que les migradollars sont une solution efficace et viable pour les Chiapanèques
ruraux afin de remédier au contexte socio-économique difficile puisqu’ils améliorent la
12
qualité de vie des habitants en contribuant au développement économique et humain des
communautés.
Méthodologie
Sources primaires et secondaires Puisque peu d’études ont été faites sur les conséquences de l’argent des migrations sur le
développement des communautés rurales au Chiapas, l’essentiel de l’information nécessaire
à cette recherche provient de sources orales primaires recueillies à l’aide d’entrevues faites
auprès des populations locales lors d’un voyage sur le terrain aux mois de mai et juin 2006.
Ces entrevues nous ont permis d’obtenir de l’information quant à l’importance du revenu
migratoire au sein des budgets familiaux, sur la façon dont les familles utilisent l’argent et
sur les effets des migradollars sur le développement des communautés ainsi que sur la
qualité de vie de ses habitants. En ce sens, le questionnaire (annexe 1) fut construit de façon
à recueillir de l’information sur chaque variable et chaque indicateur constituant notre cadre
opératoire (chapitre 1). En plus des sources orales, des sources primaires écrites ont aussi
été essentielles. Elles proviennent surtout de documents officiels ou des sites Internet des
gouvernements mexicain et chiapanèque. Ces sources nous ont permis d’obtenir des
données statistiques sur les migrations, mais également sur la situation socio-économique
du Chiapas et de ses habitants.
En plus des sources primaires, plusieurs sources secondaires, telles que la littérature écrite,
des articles de journaux, ainsi que des articles de périodiques scientifiques, ont été
consultées. Ces sources nous ont permis mieux comprendre le contexte socio-économique
du Chiapas en plus de nous familiariser avec les différentes théories élaborées sur le rôle
que pouvait jouer l’argent des migrations dans le développement des communautés pour
ensuite voir comment ces théories peuvent s’appliquer au contexte des communautés
rurales chiapanèques de la Selva Lacandona.
13
Territoire d’étude Les entrevues avec les populations locales ont été faites dans deux communautés de la forêt
Lacandona, soit El Ixcán et Loma Bonita, durant les mois de mai et juin 2006. Ces deux
ejidos appartiennent à la nouvelle municipalité de Maravilla Tenejapa, située au sud-est du
Chiapas au sein de la région Fronteriza11, à seulement quelques kilomètres au nord de la
frontière avec le Guatemala (figure 3). À l’est, se trouve la municipalité d’Ocosingo et de
Márques de Comillas, qui font partie de la région de la Selva, et à l’ouest est située la
municipalité de Las Margaritas, qui fut sectionnée en 1999 pour la création de la nouvelle
municipalité de Maravilla Tenejapa en raison du conflit avec les Zapatistes et de leur
influence grandissante dans la région (Rodríguez Castillo, 2001).
Figure 3 : Municipalités et régions socio-économiques du Chiapas
Réalisation : David Tanguay (2006)
11 Le Chiapas est divisé en neuf régions socio-économiques.
14
En effet, après l’insurrection de 1994, l’EZLN a annoncé la création de 38 nouvelles
municipalités autonomes (MAREZ) qui venaient se superposer aux municipalités officielles
(idem). À partir de 1998, afin de contrer l’avancée zapatiste, le gouvernement créa huit
nouvelles municipalités situées dans des endroits stratégiques afin de contrecarrer
l’influence du mouvement. C’est ainsi qu’en 1999, en réponse à la création du territoire
autonome Tierra y Libertad, une partie du territoire de la municipalité de Las Margaritas,
où était présente une base importante de sympathisants du PRI, le parti au pouvoir, fut
sectionnée afin de créer la municipalité de Maravilla Tenejapa. Cette action permit au
gouvernement de s’établir en plein cœur de ce qu’il considère « zone de conflits » (figure
4).
Figure 4 : Marginalisation et zone de conflit au Chiapas
Source : SIPAZ, 2007a ; ministère des Finances du Chiapas, 2005. Réalisation : David Tanguay 2007
15
Les communautés d’El Ixcán et de Loma Bonita sont isolées géographiquement. Pour s’y
rendre à partir de San Cristóbal de las Casas, nous devions prendre la route 190 vers le sud
et rouler environ 130 kilomètres jusqu’aux lacs de Montebello pour ensuite prendre la
carretera fronteriza (route de la frontière) qui longe la frontière avec le Guatemala. À
environ 110 kilomètres des lacs se trouvait la jonction qui nous permettait de prendre une
route de terre afin d’accéder à l’ejido d’El Ixcán, situé à 5,5 kilomètres plus loin. La
jonction pour se rendre à Loma Bonita, quant à elle, n’était située que quelques kilomètres
plus à l’est sur la carretera fronteriza. Cette carretera fronteriza est récente, n’ayant été
construite qu’après le soulèvement zapatiste et inaugurée en 2000 (Présidence de la
République, 2000). Avant sa construction, les habitants des communautés nous ont
mentionné qu’il était très difficile de communiquer avec le reste de l’État. Lorsqu’un
individu devait se rendre à la ville la plus proche, Comitán de Domínguez, il devait marcher
environ huit heures pour accéder à la route qui commençait dans la communauté de Flore
de Café (entrevues avec les habitants d’El Ixcán, 2006).
16
Figure 5 : El Ixcán et Loma Bonita au Chiapas
Réalisation : David Tanguay (2006)
Les raisons justifiant le choix d’El Ixcán et de Loma Bonita pour notre étude de cas sont
multiples. Tout d’abord, encore aujourd’hui, la municipalité de Maravilla Tenejapa est
classée par les autorités gouvernementales comme ayant un degré de marginalité très élevé
(figure 4) (ministère des Finances du Chiapas, 2005). Il sera alors intéressant de voir si les
migradollars peuvent réduire la marginalité de ces communautés en favorisant leur
développement. Ensuite, nous avons pu bénéficier de l’aide d’un contact, le professeur
Carlos Tejeda Cruz, qui travaillait déjà dans ces communautés. Le fait qu’il nous y
introduise facilita grandement notre intégration auprès de la population. Finalement,
monsieur Tejeda Cruz nous avait informés que les migrations semblaient importantes dans
17
ces communautés. Celles-ci, qui cultivent en grande partie le maïs et les haricots noirs
(frijoles), sont durement touchées par la crise agricole qui affecte le Chiapas. Les
agriculteurs de ces communautés ont peine à s’adapter à la concurrence américaine et aux
réformes néolibérales entreprises depuis les années 1980 (chapitre 2) et seuls ceux ayant
plus de ressources financières sont en mesure de diversifier leur production, entre autres
avec l’élevage.
En réponse à cette crise, les migrations ont pris une ampleur importante au cours des
dernières années dans ces communautés. À El Ixcán, sur une population de 622 personnes
(centre de santé d’El Ixcán, 2006), c’est environ 110 personnes qui travaillent actuellement
aux États-Unis, soit 18 pour cent de la population de la communauté (entrevue avec le
commissaire d’El Ixcán, 2006). À Loma Bonita, qui compte 369 habitants (INAFED,
2003), les chiffres furent impossibles à obtenir. Par contre, il semblerait que les migrations,
quoique importantes, soient moins nombreuses que dans l’autre communauté.
Méthode de cueillette et de traitement des données Le séjour sur le terrain nous a permis de consulter de nombreuses sources, autant primaires
que secondaires, qui n’étaient pas disponibles au Québec. Pour ce qui est des entrevues,
elles furent réalisées à l’aide d’un questionnaire qui visait à recueillir à la fois des données
quantitatives et qualitatives. Bien que le questionnaire comportait déjà un certain nombre
de questions bien précises, une partie de l’enquête se faisait selon la forme d’entrevues
semi-dirigées. La durée de ces entrevues variait beaucoup d’un répondant à l’autre, mais
durait en moyenne entre trente et cinquante minutes. Au total, 32 entrevues ont été réalisées
auprès des habitants des communautés, mais seulement 30 ont été retenues pour l’analyse
des données quantitatives. Le rejet des deux autres entrevues s’explique par le fait que les
répondants provenaient de communautés situées à l’extérieur de la région choisie. Les deux
entrevues mises de côté nous ont tout de même fourni des informations pertinentes qui nous
ont aidé à mieux comprendre le contexte de vie des habitants du Chiapas. En plus de ces 32
entrevues, deux autres entrevues ont été faites avec des professeurs du Chiapas, soit avec
Monsieur Daniel Villafuerte Solís du Centre d’études supérieurs du Mexique de
18
l’Amérique centrale (CESMECA) de l’Université des Sciences et des Arts du Chiapas
(UNICACH), ainsi qu’avec Monsieur Jorge Luis Cruz Burguete du collège d’ECOSUR.
Pour recueillir l’information, nous avons bénéficié de l’aide d’un informateur ainsi que de
la méthode « boule de neige ». L’aide de notre informateur, Monsieur Carlos Tejeda Cruz,
professeur au Collège d’ÉCOSUR du Chiapas, fut essentielle à la cueillette de
l’information, puisque le questionnaire contenait plusieurs questions pouvant susciter une
certaine méfiance de la part des répondants, par exemple par rapport au revenu familial ou
aux migrations illégales. Or, le fait que monsieur Tejeda Cruz travaillait déjà dans ces
communautés et qu’il nous y introduise facilita grandement l’établissement d’un lien de
confiance avec les habitants.
Pour identifier les répondants, nous partions de l’hypothèse que les familles bénéficiant de
l’argent des migrations devaient probablement avoir un revenu familial plus élevé que la
moyenne des autres familles et qu’une partie de ce revenu supplémentaire pouvait avoir été
investi sur leur résidence (Quesnel et Del Rey, 2005). Ainsi, en nous basant sur
l’architecture des maisons, nous sommes allés demander aux familles résidant dans des
maisons à l’architecture plus « américaine » s’ils bénéficiaient de l’argent des migrations.
Très souvent, le lien entre l’architecture de la maison et les migrations était confirmé. Une
fois la famille interrogée, nous lui demandions si elle connaissait d’autres familles ayant
des membres travaillant aux États-Unis, utilisant ainsi la technique « boule de neige » pour
tirer profit des liens de confiance préalablement établis avec ces familles. Parmi les 30
personnes qui furent interrogées, 24 familles avaient des membres vivant aux États-Unis,
alors qu’une famille avait des membres vivant à Tijuana, mais qui avaient déjà habité aux
États-Unis. Toutes ces familles bénéficiaient ou avaient déjà bénéficié de l’argent des
migrations. En plus de ces 25 familles, cinq autres entrevues ont été faites avec des
individus ayant déjà travaillé aux États-Unis, mais qui étaient revenus dans leur
communauté. Ces cinq individus ont envoyé de l’argent à leur famille lorsqu’ils étaient là-
bas.
Puisque les décisions quant à l’utilisation de l’argent des migrations ne se prennent pas à
l’échelle de l’individu, mais à un niveau hiérarchique supérieur qui est celui du groupe
domestique, ce dernier sera notre unité d’analyse : « L’espace domestique est le lieu où
19
s’effectue le transfert de valeurs d’une génération à l’autre et où la proximité et la solidarité
qui unissent les membres peuvent affecter leurs choix et leurs décisions » (Gravel, 2003).
Pour ce qui est des méthodes de traitement de données, nous utiliserons l’analyse du
discours ainsi que l’analyse systémique. Cette dernière est importante, car comme nous
verrons dans le notre premier chapitre (figure 8), les relations entre les variables ne sont pas
que linéaires, mais s’insèrent dans un système où elles sont en interrelation. Par exemple,
bien que les investissements productifs dépendent du revenu migratoire, ils peuvent eux
aussi influencer le nombre de migrants, puisqu’en générant d’autres sources de revenus, les
migrations deviennent moins essentielles. Aussi, alors que des investissements sur la
maison peuvent à première vue sembler improductifs, ils sont parfois la première étape à
l’obtention de crédits. La maison et le terrain constituant désormais une garantie pour les
institutions financières, la famille peut alors bénéficier d’un prêt qui pourra financer
d’autres départs pour les migrations ou d’autres investissements productifs (Quesnel et Del
Rey, 2005).
Intérêt de la recherche L’intérêt de cette recherche réside surtout dans la particularité du territoire étudié. Le
Chiapas est un État conflictuel, pauvre et marginalisé, et la Selva Lacandona est une région
représentative des problèmes socio-économiques de l’État. Cette région est d’ailleurs
toujours considérée comme étant une « zone de conflits » par le gouvernement mexicain
(Rodríguez Castillo, 2001). Elle est le lieu de naissance des Zapatistes et ceux-ci ont,
encore aujourd’hui, une influence non négligeable dans la région, quoique décroissante.
Cette forte présence des Zapatistes s’explique en partie par le fait que la question de la
propriété terrienne fut à maintes reprises la source de conflits dans la Selva Lacandona.
Avec la croissance démographique importante qu’a connue le Chiapas depuis les années
1970, elle a accueilli une forte immigration de colons en quête de terres à cultiver, créant
une pression sur la terre. En 1972, le gouvernement octroya plus de 660 000 hectares de
terres à seulement 66 familles d’indigènes Lacandons, ce qui attisa les tensions (Marcos et
Le Bot, 1997).
20
Les problèmes relatifs à la propriété terrienne, conjugués aux nouvelles réformes
néolibérales qui ont affecté les principales cultures de la région, ont amené plusieurs
individus à joindre les rangs des Zapatistes. Or, les mêmes problèmes poussent aujourd’hui
une partie toujours plus grande de la population à migrer vers les États-Unis. Aujourd’hui,
le phénomène des migrations touche toutes les régions du Chiapas, y compris les régions
sous influence zapatiste (Balboa, 2004). Le fait qu’une nouvelle stratégie de survie prenne
de l’ampleur dans une zone à influence zapatiste pourrait-il diminuer à long terme
l’influence du mouvement, déjà en perte de vitesse, si cette solution s’avère être efficace ?
Cette question porte à réflexion, car un affaiblissement du pouvoir des Zapatistes pourrait
signifier une ouverture du territoire à certains projets de développement, tels que le Plan
Puebla Panama, rejetés par l’EZLN. Aujourd’hui, comme nous le verrons dans le deuxième
et le quatrième chapitre, peu de projets ont vu le jour, en raison de l’instabilité politique qui
inquiète les investisseurs (Villafuerte Solís, 2005).
Finalement, puisque les migrations sont un phénomène récent au Chiapas, il n’existe que
très peu d’études faites sur l’usage et sur l’effet de l’argent des migrations dans cet État.
Compte tenu que les communautés étudiées sont considérées comme ayant un degré de
marginalité très élevé, de telles études pourront peut-être nous éclairer sur les façons de
rendre ces flux monétaires plus rentables pour ces communautés.
Limites de la recherche Si la particularité du territoire étudié donne un intérêt certain à cette recherche, celle-ci
comporte néanmoins ses limites que nous devons préalablement exposer. Tout d’abord,
pour ce qui est du choix de la méthode de cueillette de données, l’entrevue comporte
certaines limites, puisqu’elle nous permet de nous questionner sur l’authenticité de
l’information recueillie. Puisque les communautés choisies sont isolées et que le sujet de ce
mémoire touche plusieurs thèmes délicats, tels que le revenu et les avoirs familiaux, les
migrations souvent illégales, ainsi que les relations familiales, il est possible que les
répondants aient ressenti une certaine méfiance envers un étranger venu les questionner sur
de tels sujets. Par exemple, lors d’une entrevue, une femme a refusé de nous laisser
21
photographier l’intérieur de sa maison, car elle bénéficiait de l’aide d’un programme social,
nommé Oportunidad, destiné à aider les familles dans le besoin. Elle craignait qu’une
photo de son salon, comportant plusieurs biens matériels achetés avec l’argent des
migrations, puisse remettre en cause la précarité de sa situation financière et qu’elle puisse
ainsi perdre les revenus qu’elle recevait de ce programme gouvernemental. Ce cas n’est
qu’un exemple montrant que des répondants ont pu être réticents à donner certaines
informations.
Ensuite, la question de la langue fut une barrière importante au bon déroulement des
entrevues. Bien que mes connaissances en espagnol étaient de niveau intermédiaire,
j’éprouvais parfois de la difficulté à comprendre l’entièreté du discours des répondants.
L’aide du professeur Carlos Tejeda Cruz en tant que traducteur fut à certaines occasions
essentielle, surtout en raison des accents régionaux qui amplifiaient les difficultés que
posait la langue. Monsieur Tejeda Cruz ne parlait pas le français, mais détenait un niveau
intermédiaire en anglais. Toutefois, la majorité des traductions furent souvent faites de
l’espagnol à l’espagnol, en reformulant l’information d’autres façons lorsque c’était
nécessaire. À certaines occasions, des éléments d’information ont pu être perdus à cause de
cette difficulté que représentait la langue.
Aussi, cette étude s’est concentrée sur les personnes qui bénéficiaient de l’argent des
migrations. Par conséquent, aucune famille ne bénéficiant pas de l’argent des migrations ne
fut interrogée. Pourtant, ce ne sont pas toutes les familles qui ont les capacités physiques ou
financières d’entreprendre ces migrations internationales (chapitre 4). De cet accès inégal
aux réseaux migratoires internationaux, émerge une classe de « nouveaux pauvres »,
n’ayant pas accès aux bénéfices de ces migradollars (Gravel, à paraître). Certains auteurs
(Hernández-Coss, 2005) ont d’ailleurs souligné le fait que l’argent des migrations puissent
entraîner des effets inflationnistes dans les communautés, augmentant ainsi les disparités
sociales entre ceux qui bénéficient de l’argent des migrations et ceux qui n’en bénéficient
pas.
Finalement, analyser le développement économique et humain des communautés dans le
cadre d’un projet de maîtrise comporte certaines limites en raison de la brièveté d’une telle
recherche qui ne peut tenir compte de tous les aspects que comporte le concept de
22
« développement ». Bien qu’au cours de cette recherche, nous ne limitions pas le
développement qu’à une simple croissance économique, plusieurs variables faisant partie
du développement, telles que l’intégrité culturelle, la liberté d’expression, la sécurité, le
respect de l’environnement, ainsi que le rôle des femmes dans le développement (Fry et
Martin, 1991 ; Brodhag et al., 2004) n’ont pas été, ou très peu, prises en considération,
faute d’espace et de temps.
23
Chapitre 1. Comment évaluer le développement des communautés ?
1.1. Qu’entendons-nous par développement ? Il peut être difficile d’établir des conclusions générales quant au rôle qu’exerce l’argent des
migrations sur le développement des communautés et sur la qualité de vie des familles
puisque chaque famille est unique et utilise l’argent différemment. Les cas de Jorge12 et de
Maria sont deux exemples opposés nous montrant que les effets des migrations peuvent être
fort différents d’un contexte à l’autre. Ces deux cas nous serviront d’exemple afin que nous
puissions mieux comprendre ce que nous entendons par « développement » et par « qualité
de vie ». Une fois ces concepts définis, nous justifierons le choix de nos variables et de nos
indicateurs qui nous ont servi à les évaluer.
1.1.1. Les cas de Jorge et María Il y a dix ans, Jorge, père de famille, décida d’entreprendre le voyage aux États-Unis. À El
Ixcán, le travail agricole ne payait plus suffisamment pour subvenir aux besoins de sa
famille. Son voyage fut bref, n’ayant demeuré aux États-Unis que six mois. Toutefois, ce
court séjour lui permit d’envoyer à sa famille 30 000 pesos (3000 dollars US) avec lesquels
elle acheta quatre vaches. Au fil du temps, ces vaches se sont reproduites et sont
aujourd’hui cinquante. Le revenu que leur apporte le bétail leur permet désormais d’ajouter
un revenu supplémentaire à la simple culture du maïs, qui souffre grandement de la
concurrence américaine (chapitre 2). Avec ce revenu supplémentaire, la famille a
dernièrement acheté sept hectares de terres supplémentaires, en plus de se construire une
nouvelle maison et de s’acheter plusieurs biens matériels, dont certains, tels que la machine
à laver, allègent grandement les travaux d’entretien ménager qu’accomplit quotidiennement
la femme de Jorge. Aussi, il y a deux ans, la famille dut débourser des sommes importantes
lorsque leur fille fut victime d’un accident de voiture. Les soins de santé à Comitán étant
12 Tous les noms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat.
24
dispendieux, les revenus apportés par le bétail leur permirent de mieux affronter cet
imprévu.
María, mère de huit enfants âgés entre 14 et 25 ans, habite El Ixcán depuis 18 ans. Il y a
quelques années, son mari la quitta pour une autre femme, la laissant seule avec ses enfants.
Sa communauté l’a depuis toujours supporté et aidé à subvenir aux besoins de sa famille.
Or, un jour, un de ses fils nommé Victor, a commencé à avoir de sérieux problèmes
d’arthrite, ce qui le rendit inapte au travail. L’aide de la communauté ne suffisant plus, son
autre fils, Ernesto, décida de partir travailler aux États-Unis afin d’être en mesure de payer
les soins nécessaires à la guérison de son frère. Cela fait aujourd’hui sept ans qu’Ernesto a
quitté sa communauté. Il n’est revenu voir sa famille qu’une seule fois, rapportant avec lui
une télévision, un vidéo, une mini-chaîne stéréo et autres appareils électriques en cadeau.
Toutefois, il garde contact avec sa famille, leur parlant au téléphone environ une fois par
mois. Depuis son départ, il a toujours contribué au revenu familial, payant à lui seul les
soins de santé pour son frère. C’est également lui qui a payé pour l’achat de la terre et pour
la construction de leur maison. Maintenant, bien qu’Ernesto continue d’envoyer de l’argent,
les sommes ont grandement diminué depuis les trois dernières années, puisqu’il s’est marié
aux États-Unis. Bien que la famille eut la chance de s’acheter une terre avec l’argent que
leur envoyait leur Ernesto, elle ne put s’acheter du bétail afin de diversifier ses ressources.
Aujourd’hui, la culture du maïs souffre de plus en plus de la concurrence américaine et la
famille éprouve de grandes difficultés financières. Elle a encore aujourd’hui grandement
besoin du soutien de la communauté, de l’aide gouvernementale (programme
Oportunidad), et bien sûr, de l’argent que lui envoie Ernesto.
1.1.2. Une définition adaptée au contexte local Les deux cas précédents nous montrent deux exemples opposés où, dans un cas, les
migrations se sont avérées une solution efficace à la crise agricole en améliorant la qualité
de vie et en favorisant le développement économique de la communauté, alors que dans
l’autre, elles ne furent qu’un palliatif temporaire qui, s’il a su améliorer la qualité de vie de
la famille durant un certain temps, n’a pu permettre à la famille de développer ses
25
ressources productives. Le cas de Jorge nous montre aussi que la définition du
« développement » ne doit pas se résumer qu’à une simple croissance économique, mais
doit plutôt être adaptée au contexte socio-économique du territoire étudié. Alors,
qu’entendons-nous par « développement » ? Définir ce concept est essentiel, car s’il est
fréquemment utilisé par différents auteurs, il n’en demeure pas moins flou. Dans The
Development dictionary de Wolfgang Sachs (1992), Gustavo Esteva avait même décrit le
développement de cette façon : « ces contours sont si flous qu’il ne signifie rien, même si
on le retrouve partout puisque qu’il dénote les meilleures intentions » (traduction libre de
l’auteur).
Il est vrai que ce concept, qui est surtout utilisé depuis la fin de la Deuxième Guerre
mondiale, n’a cessé d’évoluer au fil du temps. À l’origine, le terme « développement » fut
employé en réaction à l’optimisme du contexte d’après-guerre qui fut caractérisé en
Occident par une forte croissance économique et par un développement technologique
rapide (Lacoste, 2000 ; Fry et Martin, 1991). Dans cette optique, le développement était en
quelque sorte synonyme de croissance économique et d’industrialisation (Fry et Martin,
1991). Parallèlement à ce concept est né du même coup celui du « sous-développement »
pour qualifier la situation des « pays qui ne peuvent faire croître durablement leur PIB (ou
le PNB) en volume en raison des dysfonctionnements de leurs structures économiques et
sociales etc. » (D’Agostino et al., 2002). Le développement ne devenait alors possible que
si les pays suivaient une série d’étapes et d’instructions venant des pays dits « développés »
(Power, 2003).
Toutefois, cette vision occidentale du développement fut largement critiquée au cours des
dernières décennies, puisqu’on ne peut réduire le développement qu’à des indicateurs
économiques (Power, 2003). Aujourd’hui, un consensus de plus en plus large semble se
faire pour laisser une plus grande place aux dimensions sociales et culturelles pour évaluer
le niveau de développement d’un territoire (Levy et Lussault, 2003). Par exemple, l’IDH
(Indicateur de Développement Humain), ISDH (Indicateur Sexospécifique du
Développement Humain) ou encore l’IPH (Indicateur de la Pauvreté Humaine) ont peu à
peu remplacé le PIB/habitant et le PNB/habitant comme instrument de mesure du
développement (ibid). La définition s’est ainsi élargie au cours de la dernière moitié du
26
vingtième siècle, rendant nécessaire une réflexion pluridisciplinaire. En ce sens, le terme
« développement » est souvent employé avec un adjectif, par exemple le développement
économique, social, culturel, durable, local, humain, etc.
L’évolution du concept de développement était nécessaire, puisqu’on ne peut évaluer le
développement d’une communauté en ne prenant en considération que la croissance
économique (Power, 2003). De plus, le développement doit être considéré à plusieurs
échelles géographiques, c’est-à-dire non seulement à des échelles nationales et
internationales, mais également à l’échelle des ménages et des communautés (idem).
Aussi, pour l’évaluer, il importe que les approches prennent en considération la diversité
des territoires étudiés, puisqu’il n’existe pas une définition définitive du développement qui
puisse être appliquée à l’ensemble des sociétés (Power, 2003 ; Levy et Lussault, 2003 ;
Mayhew, 2004). Ainsi, pour cette recherche, il faut tenir compte de la particularité des deux
communautés choisies qui sont peu peuplées et isolées géographiquement. Les habitants
d’El Ixcán et de Loma Bonita vivent de l’agriculture et celle-ci n’est pas qu’un métier, mais
un mode de vie. Lors de notre séjour, plusieurs individus nous ont spécifié que les
migrations sont motivées par un désir d’acquérir les moyens nécessaires afin d’être en
mesure de perpétuer ce mode de vie une fois de retour dans leur communauté. Dans ce
contexte, la notion de développement ne signifie pas l’industrialisation et la modernisation
des communautés, mais se définit plutôt comme étant le « processus conduisant à
l’amélioration du bien-être des humains » (Brodhag et al., 2004).
Pour cette recherche, nous retiendrons principalement le développement économique et le
développement humain. Pour des communautés isolées telles que El Ixcán et Loma Bonita,
le développement économique doit aller au-delà de la simple croissance économique et être
plutôt défini comme étant les « stratégies conçues afin d’améliorer la qualité de vie des
habitants (…) » (traduction libre) (Mayhew, 2004). Ces stratégies peuvent se traduire, entre
autres, par le développement des infrastructures et des institutions, ainsi que par une hausse
de la productivité agricole. Toutefois, le développement du capital humain est également
essentiel au développement économique puisque l’être humain est la ressource la plus
importante dans le processus du développement. Celui-ci peut se définir par les
investissements faits sur les êtres humains destinés à augmenter sa productivité, par
27
exemple dans les domaines de la santé et de l’éducation (Fry et Martin, 1991). Nous
devrons ensuite analyser si de tels investissements peuvent contribuer à améliorer
durablement la qualité de vie du groupe domestique.
La qualité de vie, quant à elle, est un concept vague qui peut être définit comme un
« concept complexe qui concerne l’état général ou les conditions de vie d’une population
d’un territoire donné » (traduction libre) (Witherick et al., 2001). En ce sens, les indicateurs
pouvant mesurer la qualité de vie sont multiples, allant au-delà du simple pouvoir d’achat et
peuvent être à la fois économiques, sociaux, physiques et psychologiques. Les indicateurs
mesurant la qualité de vie doivent nécessairement être adaptés à chaque société (Power,
2003), ce qui ne peut se faire sans une part de subjectivité de l’auteur.
1.2. Le cadre opératoire utilisé Les exemples de Jorge et de Maria nous montrent que le rôle qu’exerce l’argent des
migrations sur le développement des communautés et sur la qualité de vie de ses habitants
dépend d’une multitude de variables que nous devons identifier et analyser, car si les
migradollars peuvent représenter des sommes considérables, ils n’impliquent pas
nécessairement le développement. En ce sens, le cas de Maria illustre bien le problème du
« syndrome du migrant » (voir problématique) qu’avait évoqué Reichert (1981) en
référence aux familles qui développaient une dépendance envers le revenu migratoire.
Maria s’était accoutumée à recevoir de telles sommes d’argent, sans avoir réussi à
diversifier les ressources familiales en investissant davantage dans la production. Pour cette
raison, avant d’analyser l’utilisation de l’argent des migrations, nous devons tout d’abord
en connaître davantage sur l’importance de ce revenu migratoire au sein des budgets
familiaux. La quantité d’argent que reçoit la famille, le nombre de personnes participant
aux envois, en plus de la part que représente le revenu migratoire au sein du budget familial
sont tous des indicateurs qui nous informeront sur l’importance que représente le revenu
migratoire au sein du budget familial. Nous devrons par la suite savoir comment la famille
utilise ce revenu, car si le revenu migratoire accapare une grande partie du budget familial
et que la famille ne parvient pas à créer de nouvelles sources de revenus en investissant
28
l’argent de façon productive, les problèmes de dépendance évoqués par Reichert (1981)
pourraient s’avérer bien réels.
Ensuite, en plus du revenu migratoire, nous devons connaître qui est le migrant qui aide
financièrement la famille. Fils célibataire ? Homme marié et père de famille ? Femme, mère
de jeunes enfants ? L’âge et le profil du migrant, les raisons qui l’ont poussé à migrer ainsi
que ses objectifs migratoires sont des indicateurs importants, car ils peuvent influencer à la
fois la durée du séjour, la quantité des envois d’argent, ainsi que l’usage de cet argent. Par
exemple, Conway et Cohen (1998) ont démontré que les priorités quant à l’utilisation de
l’argent diffèrent selon l’âge et les responsabilités du migrant. Un jeune homme célibataire
aux responsabilités familiales restreintes aura plus tendance à économiser l’argent en vue
d’un mariage, pour se divertir ou pour financer un autre séjour, alors que des individus
mariés économiseront davantage pour s’acheter une terre, se construire une maison et
investir pour l’éducation de leurs enfants. Aussi, les études de Quesnel et Del Rey (2005)
ont démontré que le migrant célibataire a plus de facilité à s’absenter pendant une longue
période, alors que la durée du séjour d’un père de famille est plutôt établie en fonction de
ses objectifs migratoires. Dans les deux cas, plus les objectifs migratoires sont ambitieux,
plus ils requerront une longue absence.
Les objectifs du migrant sont aussi un indicateur important et sont souvent liés aux raisons
qui ont motivé la migration. Pour ce qui est du Mexique, plusieurs auteurs se réfèrent à la
théorie du « New Economics of Labour Migrations » (NELM) pour expliquer à la fois les
raisons et les objectifs des migrations (Constant et Massey, 2002 ; Sana et Massey, 2005 ;
Taylor, 1999). Contrairement à l’école néoclassique, qui voit l’établissement du migrant
permanent dans le pays hôte comme son objectif principal et perçoit ainsi son retour
comme un échec, étant la preuve de son incapacité à trouver les conditions espérées dans le
pays d’accueil, la théorie du NELM voit plutôt le retour permanent du migrant comme un
but final, une réussite (Constant et Massey, 2002). Comme nous le montre l’exemple de
Jorge, qui n’a fait qu’un séjour de six mois aux États-Unis le temps d’économiser pour
acheter du bétail afin de diversifier sa production, la décision de migrer est souvent motivée
par le désir de trouver une solution visant à acquérir le capital nécessaire afin de diversifier
les ressources familiales. Une fois de retour dans sa communauté, ces investissements
29
permettront au migrant d’améliorer son statut social et d’être mieux outillé à surmonter les
faiblesses du marché de son pays d’origine.
Étant donné la crise agricole qui sévit au Chiapas et tout particulièrement dans la Selva
Lacandona depuis trois décennies (chapitre 2), nous croyons que les migrations peuvent
être motivées par un désir d’acquérir les ressources nécessaires afin d’être en mesure de
survivre à cette crise. Par conséquent, nous devrons vérifier si les migrations ne sont qu’une
solution temporaire en s’informant sur l’objectif ultime du migrant, soit celui de revenir ou
non dans sa communauté. Cette décision est importante, car elle peut avoir une influence
directe sur le revenu migratoire. En effet, des études ont démontré que le migrant ayant
l’intention de revenir dans sa communauté a tendance à remettre plus régulièrement de
l’argent que ceux établis de façon permanente dans le pays hôte (Munzele Maimbo et
Ratha, 2005 ; Durand, 2005). Notons également que, malgré le fait que la théorie du NELM
puisse expliquer un grand nombre de migrations au Mexique, d’autres auteurs, tels que
Delgado Wise et Rodríguez Ramírez (2005), ont aussi remarqué une tendance de plus en
plus fréquente vers des établissements permanents. Parallèlement à cette tendance,
l’échantillon a montré qu’un migrant sur trois finissait par diminuer ou suspendre ses
envois au fil du temps.
Cette situation nous amène à prendre en considération une troisième variable indépendante,
qui est celle de la durée. Tout d’abord, la durée du séjour peut influencer la propension du
migrant à revenir dans son pays d’origine, puisque le temps peut, dans certains cas, faire
déprécier la valeur des actifs que le migrant possède dans sa communauté (Conway et
Cohen, 1998). Aussi, certains indicateurs tels que la fréquence des communications entre le
migrant et la famille, la fréquence des allers-retours du migrant dans sa communauté, ainsi
que le nombre d’années depuis son départ nous permettrons de mieux connaître la force du
lien qui tisse le migrant à sa communauté. Si le migrant garde contact avec sa famille et ses
proches, les probabilités qu’il diminue ses envois sont grandement amenuisées (Orozco,
2005 ; Durand, 2005).
Figure 6 : Variables influençant les sommes reçues par l'unité domestique
Malgré l’importance que peu
seulement une petite partie de
En effet, il y a désormais un
que la majeure partie de l’a
familles (Conway et Cohen,
satisfaction des besoins essent
fonction du cycle de vie dome
exemple, une famille avec de
revenu pour satisfaire les beso
qu’une famille ayant des enfa
économique diminue lorsque l
génératrices de revenus (Gra
considération le nombre de
puisqu’ils modifient les somm
2003).
Variables indépendantes
Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires
Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire- Nombre de migrants/famille
Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications
Prise de dé
Unité domestique
30
vent représenter les migradollars comme source de revenus,
ceux-ci est disponible pour des investissements productifs.
consensus au sein de la communauté scientifique qui admet
rgent est utilisée pour satisfaire les besoins quotidiens des
1998). Cette part du budget familial qui est consacrée à la
iels comporte une dimension temporelle, puisqu’elle varie en
stique (Mooney, 2003 ; Mayer, 2002 ; Gravel, à paraître). Par
jeunes enfants doit consacrer une plus grande part de son
ins quotidiens, tels que l’achat de nourriture et de vêtements,
nts adultes en âge de travailler. Avec le temps, cette pression
es enfants deviennent assez âgés pour participer aux activités
vel, à paraître). C’est pourquoi nous devons prendre en
membres faisant partie de la famille ainsi que leur âge,
es disponibles pour les investissements productifs (Mooney,
cision quant à l’utilisation de l’argent des migrations
31
En plus des besoins reliés au cycle de vie, le groupe domestique devra assurément utiliser
une partie des sommes pour combler d’autres types de besoins familiaux et
communautaires, ce que nous appelons ici la canalisation des flux monétaires. Par exemple,
les migradollars s’avèrent être fort utiles lorsque vient le temps de débourser pour des
évènements culturels ou religieux parfois très dispendieux, tels que le mariage, les
funérailles et le quinceñeras13 (Cohen et Rodriguez, 2005). Aussi, il arrive parfois que
l’argent envoyé par le migrant ne bénéficie pas seulement à la famille, mais également à la
communauté. D’ailleurs, depuis le milieu des années 1990, les migrations ont donné
naissance à un nouveau type de migradollars appelés « migradollars collectifs » (collective
remittance). Ce terme est utilisé pour désigner les sommes amassées par un groupe de
migrants destinées à aider une communauté entière (chapitre 4) (Goldring, 2004, 2005).
Ces initiatives ont permis de financer plusieurs projets et ont parfois grandement favorisé le
développement des communautés. Notons que si nous avons incorporé les besoins
communautaires parmi les variables intermédiaires, c’est parce que notre unité d’analyse
est le groupe domestique et par conséquent, de tels projets peuvent accaparer une partie du
revenu migratoire de la famille. Cependant, cela ne signifie en rien qu’ils sont un frein au
développement.
13 Le quinceñera est le quinzième anniversaire d’une jeune fille.
32
Figure 7 : Variables influençant les sommes disponibles pour l'unité domestique
Une fois les besoins familiaux et communautaires comblés, la famille doit décider comment
elle utilisera ses migradollars. En nous inspirant des catégories utilisées lors des études de
Durand et al. (1996a) et de Mooney (2003), qui était la consommation, la maisonnée et la
production, nous avons regroupé les différents types d’utilisation des migradollars sous
trois nouvelles variables dépendantes, soit celle du développement économique, du
Variables indépendantes
Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires
Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire- Nombre de migrants par famille
Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications
Variable intermédiaire Cycle de vie
- Nombres de membres inclus dans la famille - Âge des membres inclus dans la famille
Variable intermédiaire Canalisation des flux monétaires
- Besoins familiaux - Besoins et demandes communautaires
Prise de décision quant à l’utilisation de l’argent des migrations
Unité domestique
33
développement humain et de la qualité de vie. Malgré le fait que le développement du
capital humain était absent des catégories élaborées par Durand et al. (1996a) et de Mooney
(2003), nous avons décidé de l’ajouter à cette recherche. En effet, pour plusieurs auteurs,
l’argent utilisé pour les soins de santé et pour l’éducation est considéré comme faisant
partie des dépenses quotidiennes et n’est donc pas considéré comme une utilisation
productive (Waller Meyers, 2000 dans Goldring, 2005 ; Delgado Wise et Rodríguez, 2001).
Or, certains auteurs ont élargi la définition du concept d’investissements productifs, ne la
limitant plus seulement aux aspects économiques, puisque l’argent utilisé pour l’éducation,
l’alimentation et la santé est nécessaire au développement (Taylor, 1999 ; Goldring, 2004).
En effet, de tels investissements peuvent à la fois contribuer à augmenter la productivité des
habitants de la communauté tout en améliorant leur qualité de vie (Fry et Martin, 1991).
Pour ce qui est du développement économique, il représente les investissements productifs
faits par la famille avec l’aide des migradollars. Ces investissements peuvent se traduire par
des investissements dans l’entreprise familiale, par l’achat de bétail, d’équipement agricole,
de parcelles de terre, ou encore d’un véhicule motorisé (Durand et al. 1996a , 1996b). Bien
que l’achat d’un véhicule motorisé pourrait dans certains cas être perçu davantage comme
un bien de consommation qu’un investissement productif, nous le considérons comme un
investissement puisque dans des communautés agricoles isolées telles que El Ixcán et Loma
Bonita, ces véhicules peuvent servir pour transporter la production et des gens. Ces
indicateurs nous permettront de voir si une partie des migradollars contribue à augmenter la
productivité des communautés et à diversifier la production pour résoudre les problèmes
reliés à la crise agricole (chapitre 2). De plus, de tels investissements sont importants, car
ils augmentent la propension du migrant à revenir dans sa communauté en renforçant le lien
qui les lie entre eux (Cohen et Rodríguez, 2005). Les investissements productifs viennent
ainsi contrecarrer les effets subversifs évoqués par Delgado Wise et Rodríguez Ramírez
(2005) de détérioration de la production agricole que peut entraîner l’exode massif
d’individus en âge de travailler. Notons également que ces investissements productifs
viennent contredire les problèmes de dépendance énoncés par Reichert (1981) et
Rubenstein (1992) qui prétendaient qu’en bénéficiant de l’argent des migrations, les
familles délaissaient peu à peu le mode de vie agraire.
34
Finalement, en plus des investissements productifs, nous avons regroupé deux catégories
établies par Durand et al. (1996a) et Mooney (2003), soit celle de la maisonnée et de la
consommation, sous une même variable qui est celle de la qualité de vie. Avec un pouvoir
d’achat maintenant plus élevé, plusieurs familles choisissent d’améliorer leur qualité de vie,
par exemple en achetant des biens matériels ou en investissant une partie de l’argent sur
leur maison (Conway et Cohen, 1998). Toutefois, si de tels choix peuvent améliorer à court
terme la qualité de vie des familles, ils ne pourront en assurer une amélioration durable s’il
y a absence d’investissements productifs. C’est pourquoi il est important de regarder la part
de l’argent des migrations qui est utilisée pour l’amélioration de la qualité de vie versus
celle utilisée pour le développement économique et humain. Toutefois, si une partie
importante des migradollars est investie de façon productive, la qualité de vie pourrait être
améliorée durablement, puisque les nouvelles sources de revenus crées pourront peu à peu
remplacer les migradollars.
35
Figure 8 : Variables influençant les choix de l'utilisation des migradollars
Variables indépendantes
Migrant - L’âge du migrant - Le profil du migrant - Raisons motivant la migration - Objectifs migratoires
Revenu migratoire - Sommes envoyées - Part du revenu migratoire - Nombre de migrants par famille
Durée - Fréquence des envois - Nombre d’années depuis le départ du migrant - Fréquence des allers-retours - Fréquence des communications
Variable intermédiaire Cycle de vie
- Nombres de membres inclus dans la famille - Âge des membres inclus dans la famille
Variable intermédiaire
Canalisation des flux monétaires - Besoins familiaux - Besoins communautaires
Variables dépendantes Développement économique
- Superficie des terres agricoles
- Matériel agricole - Nombre de bêtes
d’élevage - Investissement dans le
commerce - Véhicule motorisé
Développement du capital humain - Santé - Éducation
Qualité de vie - Investissements sur
la résidence - Pouvoir d’achat - Confort matériel
Unité domestique
Prise de décision quant à l’utilisation de l’argent des migrations
Augm
entation ou diminution de la dépendance envers les m
igradollars
Augm
entation ou diminution de la dépendance envers les m
igradollars
36
L’ensemble des indicateurs que nous venons de présenter nous permettrons de voir si les
migrations s’avèrent être une solution efficace à une grave crise agricole qui affecte les
agriculteurs chiapanèques. Au Chiapas, la crise agricole est complexe et découle d’une
multitude de facteurs qui doivent être analysés dans une perspective historique. Ainsi, avant
d’analyser les effets de l’argent des migrations en tant que solution à cette crise, nous
devons préalablement bien comprendre ce contexte socio-économique qui pousse chaque
année des dizaines de milliers de Chiapanèques à migrer aux États-Unis.
37
Chapitre 2. Le contexte socio-économique chiapanèque : les migrations en tant que stratégie de survie
2.1. La question agraire au Chiapas : historique d’un problème L’essentiel du problème du Chiapas réside dans la question agraire. Alors que la réforme
agraire suivant la Révolution mexicaine (1910-1920) ne fut complétée que difficilement au
Chiapas et que les décennies de luttes agraires ont paralysé le développement du secteur
ejidal, la grande partie des agriculteurs chiapanèques ont eu de la difficulté à s’adapter aux
réformes néolibérales entreprises à partir de la décennie 1980.
2.1.1. Les effets de la réforme agraire au Chiapas La réforme agraire est inscrite dans la Constitution mexicaine (article 27) qui fut écrite en
1917 à la fin de la Révolution mexicaine (1910-1920). Au tournant du 20e siècle, sous la
dictature de Porfirio Díaz, les terres étaient concentrées entre les mains de grands
propriétaires terriens (Harvey, 1998a). Dans ces haciendas, les ouvriers travaillaient
difficilement pour ne gagner qu’un maigre salaire. Cette exploitation a mené à la
Révolution mexicaine, dirigée entre autres par Émiliano Zapata, qui avait pour but de lutter
contre le système des haciendas et de redonner la terre à ceux qui la travaillaient. Une des
grandes victoires de la Révolution mexicaine fut l’octroi du droit accès à la terre à tous les
paysans. Avec l’article 27 de la Constitution, le gouvernement s’engageait à fournir ces
terres, entre autres sous forme d’ejidos14, et promit de démanteler les grands domaines
agricoles. De ce fait, la propriété privée ne pouvait plus excéder les limites imposées pas la
loi et les grands domaines agricoles qui dépassaient cette limite devaient être expropriés,
démantelés et redistribués à la population. Malgré qu’elle soit inscrite dans la Constitution
de 1917, la réforme agraire se réalisa plutôt dans les années 1930, lorsque Lázaro Cárdenas
14 Pour éviter un retour aux grandes propriétés, les ejidos ne pouvaient être vendus ou loués, mais seulement transférés par héritage.
38
(1934 à 1940) devint président. Sous son sextennat15, la réforme agraire s’intensifia et le
gouvernement distribua presque 18 millions d’hectares aux communautés (Nadal, 1994).
Toutefois, parallèlement à cette distribution, se développa un système de « corporatisme
d’État » (Rus et al., 2003 ; Mattiace, 2003), où tous les travailleurs et les agriculteurs
étaient organisés au sein de groupes hiérarchisés et directement liés à l’État. Le contrôle des
ressources était ainsi fortement centralisé. Par exemple, en agriculture, les paysans devaient
passer par le syndicat national des paysans, la CNC, et ainsi accepter leur dépendance
envers l’État pour espérer bénéficier des subventions agricoles ou des crédits offerts. Les
organisations indépendantes, quant à elles, étaient exclues de la distribution des ressources.
Or, à partir des années 1970, la CNC fut de plus en plus reconnue pour son incapacité à
influencer les politiques rurales du gouvernement (Harvey, 1998b). Affiliée au PRI, le parti
au pouvoir depuis la révolution, elle était davantage un instrument de contrôle qu’une
ressource ayant pour objectif de protéger les petits agriculteurs. Ce « corporatisme d’État »
donna lieu à un système où le pouvoir institutionnel opérait au sein de mécanismes non
institutionnels tels que le clientélisme et l’utilisation de moyens de coercition violente
(Harvey, 1998b).
Au Chiapas, l’influence grandissante d’une élite politique et économique constituée en
grande partie de grands propriétaires et d’éleveurs affiliés au PRI va orienter les décisions
de l’État quant à la distribution des terres et des ressources (Washbrook, 2005). Cette
oligarchie, connue sous le nom de la « famille chiapanèque », réussit à éviter d’être affectée
par la réforme agraire en utilisant des noms d’emprunt, en obtenant l’appui des gouverneurs
successifs, ou encore en ayant recours à la violence (Marcos et Le Bot, 1997 ; Nadal, 1994).
Ainsi, plusieurs grandes propriétés ne furent jamais démantelées, ce qui donna naissance à
une croyance populaire que la réforme agraire mexicaine n’eut jamais lieu au Chiapas
(Sipaz, 2007a ; Nadal, 1994). Toutefois, cette affirmation est de plus en plus nuancée par
plusieurs auteurs, qui insistent sur les disparités régionales quant aux effets de la révolution
mexicaine au Chiapas (Favre, 1997 ; Washbrook, 2005 ; Van Der Haar, 2005). Favre
(1997) rappelle que « si la Révolution s’est longtemps arrêtée aux limites de l’État, par la
15 Au Mexique, les mandats présidentiels sont de 6 ans. Toutefois, un président ne peut accomplir qu’un mandat.
39
suite d’un accord entre le président Obregón et les groupes conservateurs locaux, elle y est
finalement arrivée et y a fait son œuvre16 ». Entre 1920 et 1984, la superficie des terres
distribuées aux ejidatarios et aux petits propriétaires s’élève à 2 952 638 hectares (tableau
2)17. Les données inscrites dans le tableau 2 montrent également que la distribution des
terres ne fut pas exclusive aux années de la présidence de Cárdenas (1934-1940), mais que
cette distribution s’est même accentuée après les années 1930.
Tableau 2 : Distribution des terres au Chiapas, 1920 – 1984
Années Quantité de terres distribuées
aux paysans (hectares)
Nombre de personnes
bénéficiaires
1920-29 46 607 5 026
1930-39 290 354 20 000
1940-49 468 146 26 413
1950-59 649 631 27 365
1960-69 483 526 20 940
1970-79 569 082 20 805
1980-84 445 292 23 495
Total : 1920-1984 2 952 638 144 044 Source : (Reyes Ramos, 1992 dans Washbrook, 2005)
Par contre, les données quantitatives relatives à la distribution des terres ne pouvaient à
elles seules confirmer la présence d’une réforme agraire au Chiapas. La majorité des terres
qui ont été octroyées provint de terres nationales vierges inoccupées et non du
démantèlement des grands domaines, ce qui préserva le pouvoir économique et politique
16 Pendant la révolution, une armée de contre-révolutionnaires nommée les mapaches, supportée par les grands propriétaires terriens, luttait pour tenter de conserver leur contrôle sur les terres et sur la main d’œuvre autochtone. La victoire finit par devenir impossible et lorsque le général Obregón devint président du Mexique, les mapaches se déclarèrent loyaux au président, mais à la condition que la Réforme agraire n’affecte pas leurs intérêts et que le système des latifundia puisse persister dans l’État. Ce pacte, conjugué à la faiblesse du nouvel État mexicain, fit en sorte que les acquis de la Révolution furent plutôt absents au Chiapas jusqu’à ce que Lázaro Cárdenas (1934-1940) devienne président du Mexique (Harvey, 1998 ; Stephen, 2002). 17 Voir le tableau 3 pour connaître la répartition actuelle de la terre en fonction de ses différents statuts.
40
des grands propriétaires terriens. Lorsque la réforme agraire prit réellement son envol sous
la présidence de Cárdenas (1934-1940), le Chiapas possédait plus de terres nationales que
tous les autres États du Mexique, dont l’immense territoire couvert par la forêt inhabitée de
la Selva Lacandona (Washbrook, 2005).
Washbrook (2005) énonce plusieurs facteurs qui ont limité les impacts sociaux de la
réforme agraire au Chiapas. Tout d’abord, à partir des années 1950, les gouverneurs
obtinrent la possibilité d’octroyer des certificats d’inaliénabilité aux ranchos, les protégeant
des expropriations. Le nombre de certificats octroyés augmenta considérablement durant
les années 1970 et 1980, faisant en sorte qu’à la fin des années 1980, 70 pour cent des
propriétaires de ranchs étaient protégés des expropriations. Ensuite, plusieurs terres ayant
obtenu le statut d’ejidos dans les zones de colonisation (ex : Selva Lacandona) étaient déjà
occupées de façon non officielle par des éleveurs qui refusèrent de libérer leur possession.
Aussi, plusieurs des décrets présidentiels approuvant l’octroi de terres n’avaient tout
simplement pas d’effet ou n’étaient exécutés qu’après une période excessivement longue.
Finalement, la lourdeur et la complexité des démarches administratives concernant les
procédures de la réforme agraire étaient source de frustrations et découragèrent de
nombreux paysans, laissant l’opportunité aux bureaucrates et aux grands propriétaires de
retarder leur démarche. À titre d’exemple, selon Reyes Ramos (1992), un paysan devait
attendre en moyenne 7,4 années avant de voir sa demande de propriété être acceptée (Reyes
Ramos, 1992 dans Washbrook, 2005).
2.1.2. Ralentissement économique et début d’une crise agricole Même si plusieurs terres ont été distribuées aux paysans depuis les années de Cárdenas,
cette distribution n’a pas changé les structures économiques et politiques de l’État
(Washbrook, 2005). Ainsi, si le système du « corporatisme d’État », instauré par le PRI
dans les années 1930, réussit à préserver une certaine paix sociale jusqu’au tournant des
années 1970, il s’écroula durant les décennies 1970-1980. La relative stabilité sociale qui
régnait au Chiapas avant les années 1970 s’expliquait par le fait que les finances de l’État
permettaient à la CNC de s’assurer la loyauté des paysans en satisfaisant suffisamment
41
leurs besoins relatifs à la terre. Or, à partir du milieu de la décennie 1970, le milieu agricole
mexicain connut une crise en raison de la baisse des prix de vente des produits agricoles,
d’une hausse des coûts des fertilisants, des taux de change non favorables à l’exportation,
ainsi qu’une difficulté grandissante à se procurer du crédit (Rus et al., 2003 ; Washbrook,
2005). En raison des difficultés rencontrées, plusieurs grands propriétaires délaissèrent leur
plantation ou la convertirent en ranchos, ce qui se traduisit par des pertes d’emplois pour
des milliers d’autochtones qui, depuis la fin du 19e siècle, migraient de façon saisonnière
dans les diverses plantations de l’État à la recherche d’un emploi d’ouvrier agricole qui
pouvait leur apporter un revenu additionnel et nécessaire pour satisfaire leurs besoins que la
terre à elle seule n’arrivait plus à combler (Rus et al., 2003 ; Mattiace, 2003).
Ces pertes d’emplois accentuèrent la pression sur la terre, qui devint problématique à partir
des années 1970. Durant les trois dernières décennies du 20e siècle, la population du
Chiapas explosa, passant de 1 570 000 habitants à 3 920 515 habitants (Villafuerte Solís et
al., 2002). De plus, à partir des années 1980, les Chiapanèques durent concurrencer avec
l’arrivée massive de 200 000 Guatémaltèques fuyant la guerre civile qui sévissait dans leur
pays. Habitués à pratiquer le même type de travail agricole que leurs confrères
chiapanèques, mais réputés pour être encore « plus désespérés », ces Guatémaltèques
représentaient une main-d’œuvre de choix pour les employeurs (Rus et al., 2003).
2.1.3. Migrations internes et peuplement de la forêt Lacandona À partir des décennies 1970-1980, les autochtones chiapanèques se retrouvèrent devant une
économie agricole qui n’avait plus besoin d’eux. Même si certaines plantations
démantelées furent redistribuées en ejidos, la croissance démographique était telle que le
gouvernement ne put satisfaire aux demandes de titre de propriété. Plusieurs choisirent
alors de migrer vers la Selva Lacandona, qui était de plus en plus affectée par l’intense
colonisation qu’elle subit. Alors que la population de cette région n’était que de 10 000
habitants en 1960, elle grimpa à 150 000 habitants en 1990 (Favre, 1997). Peu à peu, la
forêt succomba au brûlis, faisant en sorte qu’en 1994, 60 % de la couverture forestière avait
été incendiée (idem). La colonisation de la Selva provoqua certains problèmes, puisque
42
dans bien des cas, elle était dépourvue de fondement légal, les individus ayant pris
possession de leur terre avant d’avoir entamé ou terminé les procédures administratives
pour obtenir le statut d’ejidos. De plus, malgré l’intense colonisation, le gouvernement
d’Echeverría (1970-1976) émit en 1972 un décret octroyant un territoire démesuré de plus
de 600 000 hectares à 66 familles d’indigènes lacandons, alors que 2000 familles tzeltales
et choles représentant 26 communautés y étaient déjà établies et qui, pour certaines, avaient
déjà obtenu leurs documents légaux (Marcos et Le Bot, 1997). En 1978, un nouveau
traumatisme toucha la Selva Lacandona, lorsque devant l’importance de la colonisation, le
gouvernement fédéral légiféra en créant la Réserve intégrale de la biosphère de Montes
Azules. Au sein de cette réserve se trouvaient plus de 5000 colons menacés d’expulsion.
Cependant, la création de cette réserve n’a eu que peu d’influence sur les flux migratoires,
mais a ralenti le processus déjà long et compliqué pour obtenir les titres de propriété
(Favre, 1997).
Outre les migrations dans la Selva Lacandona, la crise agricole des années 1970 entraîna de
nombreuses migrations dans les villes chiapanèques (Rus et al., 2003). Or, les emplois
étaient rares. S’il est vrai qu’à partir des années 1960, le gouvernement fédéral réalisa de
grands investissements, notamment dans l’infrastructure routière, dans l’aménagement
hydroélectrique et dans la prospection et l’exploitation des hydrocarbures, ces
investissements ne firent que conforter le Chiapas dans sa vocation exportatrice que lui
conféraient déjà l’élevage et la caféiculture. Ces investissements ne dynamisèrent pas
l’économie locale et n’eurent que peu d’effets sur la création d’emplois et sur le
développement du secteur industriel, qui n’occupait que six pour cent de la population
active (Favre, 1997). En plus, la crise économique de 1982 obligea le gouvernement fédéral
à couper dans ses projets d’infrastructure, ce qui eut un effet négatif sur les emplois
disponibles dans le secteur de la construction (Peña Lopez, 2005). Les villes chiapanèques
ne pouvant absorber le flux d’agriculteurs délaissant leurs terres, les distances parcourues
par les migrants pour se trouver des emplois se firent de plus en plus grandes. À partir de la
fin des années 1970, les migrations commencèrent à traverser les frontières de l’État pour
atteindre des destinations connaissant une croissance rapide et requérant de la main-
d’œuvre dans le domaine de la construction, telles que Cancún et certaines villes de la côte
43
du Golfe du Mexique. Au cours des années 1990, les migrations devinrent transnationales
en atteignant les États-Unis (Rus et al., 2003).
2.1.4. Remise en question du « corporatisme d’État », formation d’organisations paysannes autonomes et répression au Chiapas Si les migrations vers les villes et les autres États du Mexique devinrent pour plusieurs une
stratégie de survie pour remédier au contexte socio-économique difficile caractérisant la
décennie 1970, d’autres, qui virent en la terre la seule façon de survivre, refusèrent de
quitter leur communauté et remirent en question le système de « corporatisme d’État »
(Harvey, 1998b ; Rus et al., 2003). Devant l’incapacité de la CNC de satisfaire les
demandes des paysans, des organisations paysannes autonomes au syndicat national se
formèrent à partir du milieu de la décennie 1970. Les paysans qui, depuis quarante ans,
dépendaient de l’État pour ce qui avait trait à la distribution des terres, à l’octroi de crédits
et aux subventions, voulurent désormais acquérir plus d’indépendance quant aux décisions
qui les concernaient.
Bien que des mouvements se formèrent à plusieurs endroits au Mexique, ils furent
particulièrement importants au Chiapas. Durant les années 1970-1980, les demandes de
propriété non résolues dégénérèrent en une série d’occupations des terres. Plusieurs de ces
occupations étaient alors supportées par des organisations indépendantes du syndicat
national, dont entre autres la Central Independiente de Obreros Agrícolas y Campesinos
(CIOAC) et l’Organización Campesina Emilano Zapata (OCEZ). Dans les années 1980, le
gouvernement dut agir sous la pression populaire et distribua plus de 80 000 hectares à plus
de 9000 campesinos (Harvey, 1994). Malheureusement, la façon dont se fit cette
distribution augmenta les tensions au lieu de les régler. Alors qu’il était gouverneur du
Chiapas, Absalón Castellanos Domínguez (1982-1988) signa une entente avec le
gouvernement fédéral ayant pour but de résoudre les conflits agraires qui se multipliaient
dans les différentes régions de l’État. Le plan Programa de Rehabilitación Agraria (PRA)
fut mis sur pied et toucha 41 municipalités, soit environ le tiers des municipalités de l’État.
Ce plan visait à acheter aux grands propriétaires les terres occupées pour les redonner à
ceux qui les occupaient et dont les demandes n’avaient pas été résolues par le ministère de
44
la Reforme agraire (SRA). Une fois acquises, les terres devaient recevoir le statut officiel
d’ejido.
Or, voyant que le gouvernement traitait avec des organisations indépendantes, dont la
CIOAC et la OCEZ, la CNC eut peur de perdre du pouvoir auprès du gouvernement. Elle
se mit alors à envahir et à occuper les terres déjà occupées par les autres organisations et à
revendiquer les propriétés des terres visées par le PRA (Harvey, 1994). L’invasion par la
CNC des terres déjà occupées engendra de violents conflits avec les organisations
indépendantes. La CNC, étant le syndicat national, fut privilégiée lors de la distribution des
terres. Ainsi, le PRA n’a pas réglé le conflit, mais l’a plutôt réorienté d’un conflit qui était à
l’origine entre grands propriétaires terriens et paysans vers un conflit entre les organisations
indépendantes et la CNC.
Par son inefficacité, le PRA n’a pas réglé les problèmes agraires et les occupations ont
continué avec le support des organisations indépendantes. Durant le gouvernement de la
Madrid (1982-1988), le gouvernement mexicain a essayé de redonner plus d’autonomie au
niveau régional. Cette politique eut certains effets dans les États ayant la collaboration de
leur gouverneur. Par contre, au Chiapas, sous le gouvernement du général Absalón
Castellanos Domínguez, les associations autonomes étaient perçues comme menaçantes.
Sous son gouvernement, l’opposition fut victime de répression et une douzaine d’activistes
furent emprisonnés ou assassinés (Harvey, 1998b). Cette répression s’explique en partie par
la relation étroite que le gouvernement de Castellanos Domínguez entretenait avec les
grands propriétaires. Pour éviter leur expropriation, son gouvernement donna plus de 4714
certificats d’inaliénabilité, ce qui représente plus que tous les gouverneurs précédents réunis
(Harvey, 1994). Ainsi, au début des années 1990, le Chiapas comptait à lui seul plus de 25
pour cent des demandes de propriété non satisfaites (Marcos et Le Bot, 1997).
2.1.5. Naissance de l’EZLN La répression envers les organisations paysannes autonomes n’a pas pu mettre un terme à
l’instabilité sociale et politique qui affecte le milieu rural chiapanèque. Harvey (1998a)
rapporte même les propos du Sous-commandant Marcos qui mentionnait que la formation
45
de l’EZLN en 1983 fut une réponse spontanée à la répression qu’exerçait le gouvernement
envers les organisations autonomes. Dans cette optique, l’objectif de la guérilla à l’époque
n’était pas de prendre le pouvoir, mais plutôt d’organiser un réseau assurant l’autodéfense
des communautés. Aussi, Washbrook (2005) rappelle que plusieurs des leaders des
organisations paysannes des années 1970-1980 finirent par se joindre aux Zapatistes. À
partir de 1994, ce fut au tour de l’EZLN d’envahir de nombreuses terres. En particulier
pendant les années 1994-1997, ils obtinrent accès à 250 000 hectares de terres, qui
appartenaient jusqu’à alors à des propriétaires privés (Villafuerte Solís, 2005).
Il faudra attendre les années 2000 pour voir les conflits agraires s’amenuiser (quoique
plusieurs persistent toujours aujourd’hui). Lorsque nous faisons le bilan des trente années
où les conflits agraires furent les plus importants (1970-2000), nous pouvons constater que
ces conflits ont bel et bien eu certains effets sur l’application de la réforme agraire au
Chiapas. En 2002, le secteur ejidal représentait plus de la moitié de la superficie de l’État
(tableau 3).
Tableau 3 : Structure agraire au Chiapas (2002)
Statut de la terre Superficie (hectares) %
Ejidos et comuneros18 4 379 308 59
Colonias19 80 849 1
Propriétés privés 2 236 273 30
Terres nationales 377 051 5
Autres (zones urbaines, etc.) 346 594 5
Total 7 420 075 100 Source : Villafuerte Solís (2005)
18 Les comuneros sont des communautés en majeure partie autochtone qui détiennent leur droit d’accès à la terre depuis l’époque coloniale et où celle-ci est cultivée collectivement. 19 Aires habitées par des colonos, qui sont des petits producteurs ayant un statut juridique différent des ejidatarios et des comuneros. Le terme colono fait habituellement référence à leur position périphérique à la ville et à leur récente arrivée.
46
Toutefois, les conséquences économiques et sociales de cette réforme agraire qui est arrivée
beaucoup trop tard ont été désastreuses pour les ejidatarios (Villafuerte Solís, 2005). Le
Mexique a changé depuis qu’il s’est engagé dans la voie du néolibéralisme en 1982
(Lapointe, 1997). Si les conflits agraires ont réussi à assurer une meilleure redistribution
des terres sous forme d’ejidos, ils n’ont pas su développer le secteur afin qu’il puisse
demeurer compétitif, ce qui est essentiel dans un contexte néolibéral (Villafuerte Solís,
2005). Depuis les réformes des années 1980-1990, la terre n’arrive plus à satisfaire les
besoins primaires de nombreux agriculteurs qui sont alors forcés de trouver d’autres
alternatives. C’est ainsi qu’à partir de la décennie 1980, mais surtout 1990 et 2000, les
migrations, d’abord nationales puis internationales, vont prendre progressivement la place
des luttes agraires en tant que stratégie de survie économique des populations rurales
chiapanèques.
2.2. Crise économique, crise agricole et réformes néolibérales : les migrations de masse en tant que stratégie de survie au Chiapas
2.2.1. Les années de Miguel de la Madrid : le début d’une crise agricole En 1982, le Mexique, accablé d’une dette externe très élevée, sombre dans une profonde
crise économique. Le gouvernement fédéral suit les directives de la Banque mondiale et
entame des réformes néolibérales qui se traduisent par une profonde restructuration du
milieu agricole. Durant son sextennat, Miguel de la Madrid (1982-1988) a pour objectif
d’obtenir la stabilité financière du pays et de diminuer la dette en réduisant les dépenses de
l’État (Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Lapointe, 1997).
Dans ce contexte, le gouvernement veut moderniser l’agriculture de façon à la rendre plus
compétitive (Appendini, 1998). Bien que la réforme agraire de 1934 ait permis à plusieurs
agriculteurs d’obtenir gratuitement l’accès à la terre, elle a néanmoins créé une structure
agricole à deux vitesses (Gravel, 2007 ; Pastor Jr. et Wise, 1998). D’une part, figurent les
ejidos pratiquant une agriculture non irriguée sur des terres de moindre qualité et souffrant
d’un manque notable d’infrastructure. D’autre part, les propriétaires privés possèdent de
47
grandes fermes mieux équipées qui sont de 30 à 50 pour cent plus productives que celles
des ejidos (Pastor Jr. et Wise, 1998). Alors que le rendement agricole affichait un taux de
croissance de 6 pour cent entre 1940 et 1965, ce taux chute à 0,2 pour cent entre 1970 et
1974 (Nadal, 1994). L’État Providence qui prévalait durant les belles années des ejidos est
critiqué pour avoir freiné la productivité agricole. Avec le virage néolibéral, l’État ne doit
plus perdre son énergie à soutenir une agriculture non rentable, mais plutôt favoriser les
grandes entreprises concurrentielles. Dès lors, les paysans doivent composer avec une
pression démographique sur les terres, ainsi qu’une baisse de l’aide de l’État qui avait
toujours subventionné l’agriculture. De 1982 à 1989, les investissements publics en
agriculture baissent de 76 pour cent (Pastor Jr. et Wise, 1998). Les subventions furent
réduites en moyenne de 13 pour cent par année, la Banrural (Banque nationale du crédit
rural) restreignit l’accès au crédit et les garanties des coûts de production diminuèrent
considérablement jusqu’à disparaître complètement au début des années 1990 (Peña López,
2005).
Avec le retrait progressif de l’État en agriculture, plusieurs agriculteurs ne peuvent
s’adapter aux ajustements structurels et sont contraints de délaisser leurs terres et de migrer
(Gravel, 2007; Peña López, 2005). Pour les ejidatarios du Chiapas, l’adaptation aux
changements structurels est particulièrement difficile puisque le secteur social20 est sous-
développé. Les terres des ejidos sont souvent de mauvaise qualité, parfois incultivables
(Nadal, 1994). Au tournant des années 1990, 87 pour cent des ejidatarios possédaient des
terres de moins de 10 hectares (Harvey, 1998a) et peu d’entre eux avaient accès à des
moyens de production (tableau 4). Le seul qui était accessible à une grande partie du
secteur social était l’accès aux services publics, qui inclut l’accès à l’électricité, l’eau
potable et les routes pavées ou non pavées. Toutefois, ces résultats doivent être nuancés,
puisque l’accès à un seul de ces services suffisait pour que l’ejido soit considéré comme
ayant accès à des services publics. Parmi les résultats, 75 pour cent ont affirmé avoir accès
à des routes non pavées, ce qui nous permet de nous questionner sur ce que le
gouvernement considère comme étant des services publics (idem). En 1988, seulement 10
20 Le secteur social comprend les ejidos et les comuneros. Il représentait 41,4 % de la superficie des terres en 1988 (Harvey, 1998a).
48
pour cent des ejidos avaient accès à des routes pavées, 50 pour cent à l’électricité et 30 pour
cent à l’eau courante.
Tableau 4 : Part du secteur social ayant accès à des moyens de production (1988)
Moyens de production Nombre d’ejidos et de
comuneros
% des ejidos et des
comuneros
Ferme 495 28,9
Tracteurs 318 18,6
Équipements agro-industriels 206 12,0
Services publics 1390 81,1
Irrigation n.d21 4,1 Source: Harvey (1998a)
2.2.2. La crise du café Si les réformes des années 1980 obligèrent certains agriculteurs à délaisser leur terre, c’est
toutefois en 1989 que s’accentuèrent réellement les migrations au Chiapas lorsque le café,
principale culture de l’État destinée à l’exportation, connut une crise sans précédent.
Lorsque les prix du café chutèrent de 50 pour cent (introduction) (Harvey, 1998a), les
conséquences furent désastreuses au Chiapas, puisque l’État était le principal exportateur
du pays (ministère des Finances du Chiapas, 2005). En plus, la privatisation de
l’INMECAFE vint ajouter aux difficultés des producteurs. Depuis la fin des années 1950,
mais surtout depuis les années 1970, les producteurs pouvaient compter sur cet institut
national qui achetait près de la moitié de la production, tout en ayant un rôle important dans
l’organisation, le financement, la mise en marché, ainsi que dans l’exportation de la
production. Cette institution permettait aux producteurs d’éviter de devoir passer par
plusieurs intermédiaires, ce qui aurait eu comme conséquence de diminuer le prix de vente
de leur production (Martínez Torrez, 2004).
21 La superficie du secteur irrigué était de 52 316 hectares contre 1 225 831 hectares qui ne l’étaient pas (Harvey, 1998a).
49
Les petits producteurs furent les plus touchés par cette crise du café. Or, au Chiapas, 98
pour cent des producteurs de café possédaient des terres ayant une superficie ne dépassant
pas les dix hectares (tableau 5) (Peña López, 2005). Les producteurs étant confrontés à la
fois à une baisse importante de revenus, ainsi qu’à une réduction de l’accès au crédit,
nombreux ne furent plus en mesure d’investir dans leur production. Pendant les principales
années de la crise, soit de 1989 à 1993, le rendement et la productivité du secteur ejidal
chutèrent de 35 pour cent, les entraînant ainsi dans un cycle de dette et de pauvreté. Cette
crise obligea de nombreux petits producteurs chiapanèques à se joindre au processus
migratoire vers les principales villes du Chiapas, ou encore vers les États au Nord du pays
ainsi que vers les États-Unis (entrevue avec Villafuerte Solís, 2006 ; Peña Lopez, 2005).
Tableau 5 : Distribution des producteurs de café du Chiapas par superficie de propriété cultivée en 1992
Superficie des terres Producteurs du Chiapas
0-2 hectares 48 762
2-5 hectares 18 248
5-10 hectares 5102
10-20 hectares 1202
20-50 hectares 208
50-100 hectares 104
Plus de 100 hectares 116
Total 73 742
Source : Harvey (1998a)
Depuis, le prix de vente du café est demeuré instable. Depuis 1997, une autre crise touche
le secteur avec la concurrence qu’engendre l’entrée en jeu de nouveaux producteurs tels
que le Vietnam (Villafuerte Solís, 2005 ; Peña Lopez, 2005). Cette crise continue
aujourd’hui de consolider le processus migratoire entamé en 1989. De plus, les principales
régions productrices de café, telles que les régions du Soconusco et de la Sierra (figure 3),
50
sont vulnérables aux catastrophes naturelles. En 2005, l’ouragan Stan a dévasté la zone
côtière du Chiapas, entraînant des dommages évalués à plus d’un milliard de dollars en plus
de détruire de nombreuses terres agricoles (ministère des Finances du Chiapas, 2005). À la
suite du passage de l’ouragan, Catalino Hernández Vázquez, président d’une organisation
de producteurs de café, nommée La Nueva Imagen, résumait ainsi la situation des
Chiapanèques de la région : « Sans terres, sans récoltes et sans un futur immédiat sûr, les
gens croient n’avoir que deux alternatives : la délinquance ou la migration » (traduction
libre) (Mariscal, 2006b).
2.2.3. Salinas de Gortari et la réforme de l’article 27 de la Constitution Lorsque Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) prit le pouvoir en 1988, les mesures
néolibérales entamées par son prédécesseur, Miguel de la Madrid (1982-1988), furent
accentuées. Salinas élimina les garanties des coûts de production pour toutes les
productions, à l’exception du maïs et des frijoles, et diminua considérablement les
subventions agricoles (Pastor Jr. et Wise, 1998 ; Otero et al., 1997). L’accès au crédit des
agriculteurs fut restreint encore davantage, lorsque la Banrural annonça qu’elle allait limiter
ses prêts qu’aux agriculteurs ayant une entreprise jugée rentable et qu’ils allaient être
désormais octroyés selon les taux du marché.
Salinas voulait favoriser les investisseurs, autant nationaux qu’étrangers, pour accroître la
stabilité économique du pays et devenir compétitif au niveau international. C’est ainsi
qu’en 1992, le gouvernement de Salinas modifia l’article 27 de la Constitution mexicaine
en enlevant le caractère inaliénable des ejidos. Depuis, les ejidos peuvent être loués et
vendus, et ce, autant à des intérêts nationaux qu’étrangers. Les limites de superficies
imposées par la loi sont désormais 25 fois supérieures à celles qui prévalaient auparavant
(Harvey, 1998a). Pour l’administration de Salinas, cette étape était essentielle pour attirer
les investissements privés et augmenter la productivité (Appendini, 1998).
51
Toutefois, cette contre-réforme agraire (Otero et al., 1997) a engendré de sérieuses
préoccupations au sein de la société civile mexicaine, qui craint que la certification des
terres ejidales puisse favoriser un retour à la concentration des terres. Au Chiapas, cette
crainte est justifiée par la présence de puissantes associations d’éleveurs, représentant plus
de 12 000 personnes, qui pourraient convoiter les terres des autochtones (Harvey, 1998a).
Aussi, avec l’arrêt officiel de la réforme agraire, cette contre-réforme vint enlever l’espoir à
tous les sans-terres d’obtenir une parcelle à cultiver qui aurait pu assurer la subsistance de
leur famille (Marcos et Le Bot, 1997). Aujourd’hui, certains voient en la migration l’unique
moyen d’économiser l’argent nécessaire à l’achat d’une terre. De plus, avec la concurrence
des produits agricoles étrangers engendrée par l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, les
agriculteurs peuvent désormais utiliser cette nouvelle possibilité de vendre ou de louer leur
terre pour migrer aux États-Unis afin de s’assurer un revenu qui leur permettra de subvenir
aux besoins de leur famille (Peña Lopez, 2005).
2.2.4. Les effets de l’ALENA sur le milieu agricole chiapanèque : le cas du maïs Depuis 1994, l’entrée en vigueur de l’ALENA a accentué la paupérisation des agriculteurs
chiapanèques en engendrant une forte concurrence des produits agricoles étrangers. Le
traité réduit progressivement les barrières tarifaires : 57 pour cent de celles-ci furent
éliminées lors de l’entrée en vigueur du traité et 94 pour cent furent éliminées au cours des
dix années suivantes. Pour ce qui est des 6 pour cent restants, elles se rapportent aux
produits qualifiés de « hautement sensibles », tels que le maïs, les frijoles et le lait en
poudre, dont les barrières tarifaires devraient être éliminées progressivement jusqu’à leur
éventuelle disparition en 2008 (Bartra, 2005 ; Pastor Jr. et Wise, 1998).
Avec l’ALENA, les pays signataires doivent favoriser les cultures pour lesquelles ils
bénéficient d’avantages comparatifs. Pour cette raison, au Mexique, les cultures destinées à
l’exportation sont préférées aux cultures de base, telles que le maïs (Bartra, 200 ; Peña
Lopez, 2005). Or, ces politiques du gouvernement mexicain ont entraîné de lourdes
conséquences sur le milieu agricole chiapanèque, puisque 80 pour cent des agriculteurs
cultivent le maïs (ministère des finances du Chiapas, 2005). Le Chiapas est d’ailleurs l’État
52
du Mexique ayant la plus grande superficie de terre destinée à la culture du maïs, bien qu’il
ne soit que le quatrième producteur du pays, en raison de la faible productivité des terres
(Bartra, 2005). Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, les exportations de maïs américain
ont été multipliées par 15 (Gonzalez Amador, 2005). Alors qu’en 1993, le Mexique
n’importait que 0,5 tonne de maïs des États-Unis par année, ces importations ont atteint 7,5
tonnes en 2005, ce qui représente une croissance de 1400 pour cent (idem). Aux États-Unis,
avec la Loi de la sécurité agricole et d’investissement rural, les subventions agricoles ont
augmenté de près de 70 pour cent, diminuant encore plus la capacité des agriculteurs
mexicains à concurrencer les denrées agricoles américaines (Bartra, 2005). Depuis 2001, en
raison de cette concurrence, le prix de vente des grains de base, comme le maïs, a baissé de
50 pour cent alors que les coûts de production ont augmenté de 40 à 50 pour cent (Velasco
Palacio et al., 2004).
Devant cette concurrence étrangère, les agriculteurs les plus prospères, ayant accès au
crédit, à l’irrigation et aux technologies, ont réussi à s’adapter en délaissant peu à peu la
culture de maïs pour réorienter leurs productions vers des cultures à plus fortes valeurs
ajoutées, comme le café, les fruits, les légumes et l’élevage. Par contre, pour ce qui est des
petits agriculteurs, n’ayant plus accès au crédit depuis les réformes néolibérales, nombreux
n’eurent pas les capacités financières pour réorienter leurs productions, d’autant plus qu’ils
ont dû composer avec la crise de la dévaluation du peso de 1994-1995. La réaction de
plusieurs d’entre eux fut alors de produire plus de maïs pour contrecarrer la baisse du
revenu familial et pour être en mesure de nourrir leur famille. Ces agriculteurs
s’enfoncèrent de plus en plus dans la pauvreté à mesure que la concurrence s’accentuait et
que les barrières tarifaires diminuaient, jusqu’au point où plusieurs durent migrer vers les
États-Unis pour survivre à cette transition économique (Pastor Jr. et Wise, 1998 ;
Villafuerte Solís, 2005).
L’agriculture chiapanèque est aujourd’hui en crise. Cette crise se reflète par sa faible
productivité, sa mince contribution au PIB de l’État (alors qu’elle occupe 60 pour cent de la
population) et par l’exode massif de milliers de Chiapanèques partis travailler aux États-
Unis (Villafuerte Solís, 2005). En réponse aux différentes crises qui ont affecté le milieu
rural chiapanèque, les migrations ont pris une ampleur démesurée au cours des dix
53
dernières années. Alors qu’elles ont surtout commencé dans les années 1990, entre autres à
la suite de la crise du café et de l’entrée en vigueur de l’ALENA, c’est depuis 2000 qu’elles
ont connu une croissance phénoménale. Plusieurs chercheurs de l’ECOSUR et de
l’UNICACH associent cette hausse à l’arrivée de Vicente Fox et de Pablo Salazar
(gouverneur de l’État) au pouvoir qui, avec leurs politiques néolibérales, ont délaissé
complètement leur appui à l’agriculture de subsistance, alors qu’elle est le gagne-pain de la
majorité de la population de l’État (Balboa, 2004 ; entrevue avec Villafuerte Solís, 2006).
Pour les penseurs néolibéraux qui ont orienté les politiques gouvernementales mexicaines
depuis l’arrivée des technocrates au pouvoir en 1982, la solution à la crise agricole
mexicaine passe par la création d’emplois bien rémunérés dans les secteurs de l’industrie,
du commerce et des services de manière à absorber le flux d’agriculteurs délaissant la terre
(Bartra, 2005). Pour y arriver, le Mexique a fait le pari de compter sur les investissements
étrangers.
2.3. Les IDE pour contrôler l’immigration
2.3.1. Le Mexique et les IDE Les réformes néolibérales entreprises depuis 1982 s’inscrivent dans le nouveau modèle de
développement qu’a adopté le gouvernement mexicain depuis l’élection de Miguel de la
Madrid (1982-1988). La lourde dette externe et l’inflation galopante qui ont conduit à la
crise économique de 1982 avaient réduit considérablement les investissements internes, la
création d’emplois et le niveau de vie des Mexicains (Minda, 1997). Pour le gouvernement
mexicain, il était clair que la solution ne pouvait se faire par des rectifications mineures,
mais plutôt par une refonte globale des structures économiques. Miguel de la Madrid a ainsi
entamé un processus de modernisation de l’État qui s’est fait en comprimant les dépenses
publiques, en privatisant certaines entreprises publiques, en atténuant les barrières
tarifaires, entre autres avec l’adhésion du Mexique au GATT en 1986, ainsi qu’en
remplaçant le modèle de substitution des importations par celui de la promotion des
exportations (Gravel, 2004 ; Lapointe, 1997).
54
Toutefois, c’est sous la présidence de Salinas de Gortari (1988-1994) que les réformes vont
réellement s’accentuer. Salinas veut remettre le Mexique sur le chemin d’une croissance
durable en créant un climat propice aux investisseurs (Minda, 1997). En plus des
discussions avec les États-Unis et le Canada pour instaurer une zone de libre-échange, il
intensifie le processus de privatisations entamé par son prédécesseur. Notons que le nombre
d’entreprises publiques s’étaient grandement accru lors des deux présidences précédant
celle de De la Madrid, soit celle d’Echeverría (1970-1976) et de López Portillo (1976-
1982). Des 1155 entreprises publiques ou semi-publiques présentes en 1982, on n’en
compte plus que 200 en 1994 (Minda, 1997). De plus, Salinas procède en 1989 à une
réforme complète de la législation relative aux investisseurs nationaux et étrangers en
simplifiant les règles et les procédures administratives. L’ancienne législation datant de
1973 était très restrictive pour les investisseurs étrangers. Certains domaines de l’économie
mexicaine étaient exclusivement réservés à l’État, dont les hydrocarbures, la pétrochimie,
l’exploitation des mines, l’électricité, l’énergie nucléaire, les chemins de fer et les
communications téléphoniques et radiographiques. D’autres secteurs étaient réservés aux
entreprises mexicaines, tels que la radio et la télévision, l’exploitation forestière, le
transport urbain, aérien et maritime, ainsi que la distribution du gaz. Pour ce qui est des
autres secteurs qui n’étaient pas fermés au capital étranger, les entreprises étrangères
devaient limiter leur participation au pourcentage du capital social autorisé, qui ne dépassait
jamais 49 pour cent (idem).
Avec les nouvelles réglementations qu’apporte Salinas de Gortari au cadre juridique
régissant les investisseurs étrangers, les investisseurs étrangers acquièrent le droit d’être
propriétaires à 100 pour cent des entreprises appartenant à des secteurs non réglementés. De
plus, certains secteurs qui étaient autrefois protégés, par exemple l’informatique et les
produits pharmaceutiques, sont maintenant ouverts aux entreprises étrangères. En 1993,
Salinas assouplit de nouveau le cadre juridique, en permettant à l’investisseur étranger de
participer dans n’importe quelle proportion du capital social des sociétés mexicaines. Cette
déréglementation, ajoutée aux privatisations et à l’adhésion du Mexique à l’ALENA, va
faire du Mexique le pays le plus convoité par les IDE en Amérique latine durant les années
1990 (idem). Depuis, les gouvernements qui ont succédé à Salinas ont tous eu la conviction
que la croissance du pays doit passer par les investisseurs étrangers, et ce, même avec
55
l’élection du PAN de Vicente Fox en 200022. Encore tout récemment, se prononçant sur la
question migratoire, le président mexicain Felipe Calderón (PAN) mentionnait que
« l’unique solution » pour régler le problème des migrations était la création d’emplois bien
rémunérés et que cela passait inévitablement par une augmentation des investissements
étrangers (El Mundo, 2006).
2.3.2. L’impact de l’impasse politique sur les IDE au Chiapas Toutefois, même avec une hausse considérable des investissements étrangers au Mexique,
le Chiapas est négligé des investisseurs (tableau 6). Le gouvernement chiapanèque a
pourtant tenté de promouvoir son territoire comme étant un endroit idéal où investir et a
laissé aux IDE une place prépondérante au sein de sa stratégie de développement
(Villafuerte Solís, 2005). Il est vrai que l’État possède un fort potentiel de développement
avec ses nombreuses ressources naturelles et sa position stratégique. Nous n’avons qu’à
penser à l’eau, ressource de plus en plus rare à la frontière avec les États-Unis, mais qui est
nécessaire en grande quantité pour accomplir les opérations de plusieurs activités
industrielles, telles que les industries textiles et électroniques (Conroy et West, 2000).
22 L’arrivée au pouvoir du PAN a mis fin à 71 ans de règne du PRI.
56
Tableau 6 : Distribution des IDE au Mexique, 1994-2006
(en millions de dollars EU, par État)23
Source : INEGI (2005 et 2007)
Malgré un fort potentiel économique, la faible présence d’investisseurs étrangers s’explique
en grande partie par l’instabilité politique qui affecte l’État depuis le soulèvement zapatiste.
Bien qu’en 1994, un cessez-le-feu ait été décrété douze jours après le début des hostilités24,
le gouvernement fédéral et l’EZLN ne sont jamais parvenus à un accord (Benítez Manaut et
al., 2006). Pourtant, à la suite du cessez-le-feu, des négociations avaient bel et bien été
entreprises entre les deux parties, avec pour médiateur l’évêque de San Cristóbal de las
Casas, Mgr. Samuel Ruíz. Lors de la première étape des négociations qui eut lieu dans la
Cathédrale de San Cristóbal, l’EZLN déposa une liste de 34 revendications dont certaines
concernaient la population mexicaine dans son ensemble, alors que d’autres se référaient
davantage aux autochtones du Chiapas. Les principaux thèmes de ces revendications
étaient : l’accès au travail, à la terre, au logement, ainsi qu’à l’éducation et à la santé, les
droits des femmes et le droit à la liberté, la justice, la démocratie et la paix (EZLN, 1994).
Le gouvernement fédéral répondit en acceptant seulement que certaines revendications de
l’EZLN, en essayant de focaliser la discussion sur les demandes locales et de mettre de côté
les revendications à caractère national. Les Zapatistes rejetèrent la proposition du
23 Les chiffres dépassant 10 millions ont été arrondis au dixième près. 24 Les douze jours de conflit ont causé la mort d’environ 145 personnes dans les deux camps (Benítez Manaut et al., 2006).
Année Mexique D.F Chihuahua Chiapas Yucatán Campeche
1994 10 661 7618 308 0,4 48 2,1
1996 7 837 4777 534 1,0 47 0
1998 8 366 4015 620 0,4 31 0,1
2000 17 776 8750 1081 2,3 56 11
2002 19 342 12 352 633 2,3 3,3 72
2004 22 300 13 071 798 1,2 17 48
2006 14 638 6 564 1320 0,2 23 9,7
57
gouvernement fédéral et devant l’hésitation de ce dernier à reprendre les négociations, ils
répondirent en décrétant la création de 38 nouvelles municipalités rebelles autonomes
zapatistes (MAREZ) qui vinrent se juxtaposer parallèlement aux municipalités officielles,
(introduction) (Beaucage, 2007), rendant cette partie du territoire peu attrayante pour les
investisseurs. Cette première étape des négociations s’écroula complètement en février
1995, lorsque le nouveau président, Ernesto Zedillo (1994-2000) contrevint au cessez-le-
feu en lançant une campagne militaire visant à capturer les dirigeants zapatistes, dont le
Sous-commandant Marcos (Benítez Manaut et al., 2006).
Cette campagne échoua et renforça le support populaire des Zapatistes. Par la suite, sous la
pression populaire, le Congrès mexicain approuva la Loi pour le dialogue, la conciliation,
et la paix digne au Chiapas et créa la Commission de Concorde et de Pacification
(COCOPA), chargée de participer à une éventuelle seconde étape de négociations et de
garantir l’immunité des dirigeants zapatistes. Cette deuxième phase, qui débuta en octobre
1995 dans la municipalité de San Andrés Larraínzar, devait s’articuler autour de six tables
de travail, dont la première était les Droits et cultures indigènes25. En février 1996 furent
signés les Accords de San Andrés qui contenaient les résultats de cette première table de
travail.
Avec les Accords de San Andrés, les différentes organisations autochtones du Mexique
eurent enfin l’espoir de voir leurs pratiques sociales et politiques être reconnues et d’obtenir
un meilleur accès aux services et aux ressources qui leur avaient été si longtemps niés
(Beaucage, 2007 ; Benítez Manaut et al., 2006). Toutefois, entre mars 1996 et décembre
1997, le processus de paix s’écroula de nouveau. Alors que la COCOPA transforma les
Accords de San Andrés en un projet de loi, le gouvernement fédéral refusa de le soumettre
au Congrès mexicain et proposa des modifications qui en changèrent substantiellement son
contenu (SIPAZ, 2007b). Le gouvernement était alors en désaccord avec la définition du
concept des « droits indigènes » proposée par la COCOPA. Alors que les Zapatistes
voulaient (et veulent toujours) obtenir des droits collectifs sur les ressources et les
politiques publiques à l’intérieur des territoires définis comme étant autochtones, le 25 Les cinq autres tables de travail devaient être : Table 2 : Démocratie et Justice, Table 3 : Bien-être et Développement, Table 4 : Conciliation au Chiapas, Table 5 : Droits de la femme, Table 6 : Fin des hostilités (SIPAZ, 2007b). Seul la deuxième table fut entamée, mais sans se conclure par un accord.
58
gouvernement voyait plutôt les droits indigènes comme une meilleure intégration
économique et politique de ces populations au sein du cadre légal déjà existant (Benítez
Manaut et al., 2006).
Au cours de cette même période, des groupes paramilitaires, appuyés par les autorités
municipales et les grands propriétaires terriens, entamèrent une campagne de répression à
l’encontre des Zapatistes et de leurs sympathisants. Ces attaques connurent leur apogée
avec le massacre d’Acteal en décembre 1997, où 45 personnes, dont femmes et enfants,
furent assassinées par des paramilitaires qui entretenaient des liens étroits avec la police de
l’État et les dirigeants municipaux du PRI26. Parallèlement à ces attaques, le nombre de
déplacements forcés connut une hausse considérable, atteignant aujourd’hui environ 12 000
individus (SIPAZ, 2007a).
Devant ces attaques et le refus du gouvernement d’appliquer les Accords de San Andrés, les
Zapatistes rompirent les négociations et la période 1997-2000 fut caractérisée par une
impasse dans le processus de paix ponctuée d’incidents violents (Benítez Manaut et al.,
2006). L’espoir de voir une reprise des négociations arriva en 2000 avec la victoire de
Vicente Fox (2000-2006) du PAN aux élections fédérales et de Pablo Salazar Mendiguchía,
candidat d’une coalition des partis de l’opposition au Chiapas27, tous les deux mettant un
terme à plusieurs décennies de domination priiste (Benítez Manaut et al., 2006 ; Gómez
Tagle, 2005). Lors de la campagne, Vicente Fox avait prétendu être en mesure de
« résoudre le conflit du Chiapas en quinze minutes » (Benítez Manaut et al., 2006). De
plus, lors de son discours d’inauguration, il indiqua clairement vouloir trouver une solution
à la crise et ajouta qu’il allait soumettre le projet de loi de la COCOPA sur les droits et
cultures indigènes au Congrès mexicain. Les Zapatistes profitèrent alors de cette nouvelle
opportunité pour faire pression sur Fox afin qu’il approuve la loi. En 2001, ils organisèrent
en collaboration avec d’autres organisations autochtones « la marcha del color de la
tierra », mieux connue sous le nom de « Zapatour », où les Zapatistes entreprirent un
26 Bien qu’il n’y ait pas de certitude quant à l’existence de lien entre le gouvernement fédéral et les groupes paramilitaires, l’armée, qui était déployée au sein de la zone de conflits, toléra la présence de ces groupes et fit peu pour mettre un terme à leurs activités (Benítez Manaut et al., 2006). 27 Salazar réussit à rallier huit partis d’opposition, dont le PAN, le PRD, le Parti Travailleur (PT) et le Parti écologique (PVEM), qui étaient les principaux partis politiques après le PRI (Gómez Tagle, 2005). Notons que plusieurs de ces partis, par exemple le PAN et le PRD, ont des idéologies très opposées.
59
voyage de 6000 kilomètres, traversant 13 États et livrant plus de 77 entrevues, afin d’aller
rencontrer les dirigeants politiques à Mexico D.F. (Marcos, 2001).
Finalement, Fox soumit une version du projet de loi de la COCOPA au Congrès mexicain,
mais seulement après y avoir apporté des modifications importantes, surtout en ce qui a
trait au concept d’autonomie indigène (Beaucage, 2007 ; SIPAZ, 2007b). Bien que la
nouvelle loi représente une avancée réelle pour ce qui est des droits autochtones, elle ne
reconnaît pas les communautés autochtones comme des entités de droit public, elle ne leur
donne pas le droit à un territoire et ne leur permet pas de gérer de façon autonome les
ressources naturelles présentes au sein de leurs communautés (SIPAZ, 2007b). À la suite de
l’adoption de cette loi, les Zapatistes se sont sentis profondément trahis par le
gouvernement fédéral. Ils ont depuis rompu le dialogue et décidé de résister en exerçant
l’autonomie de facto dans les municipalités autonomes rebelles.
Depuis 2003, les Zapatistes ont ajouté un nouvel échelon à la construction de leur
autonomie avec la création de cinq Comités de bon gouvernement (Junta de Buen
Gobierno) et des caracoles (escargot). Alors qu’autrefois chaque communauté autonome
était gouvernée séparément, la gouvernance de ces communautés est aujourd’hui exercée
par ces Comités de bon gouvernement, formés de civiles autochtones élus par les habitants
et siégeant dans un des cinq caracoles (Benítez Manaut et al., 2006 ; Burch, 2003).
Désormais, le rôle de l’EZLN n’est plus de diriger, mais plutôt de protéger les populations
zapatistes. Ces instances coexistent aujourd’hui en parallèle avec les municipalités
constitutionnelles et décident de façon autonome des modes d’organisation de leur
gouvernement, ainsi que de leur système d’éducation, de santé et de justice, mettant ainsi
en pratique les Accords de San Andrés sans l’accord gouvernemental (SIPAZ, 2005). Quant
à lui, le gouvernement fédéral a répondu en saluant la décision de l’EZLN d’opter pour une
nouvelle organisation politique en démilitarisant sa structure. Il a par la suite mentionné
que les Conseils de bon gouvernement pourraient être compatibles avec la Constitution et a
invité les Zapatistes à reprendre « le dialogue afin d’avancer dans la construction d’une
paix juste et digne » (Burch, 2003). Pour les Zapatistes, aucun dialogue n’est possible tant
que le gouvernement ne respectera pas les Accords de San Andrés.
60
Puisque sur un même territoire co-existent des municipalités autonomes et
constitutionnelles, cette quête d’autonomie ne s’est pas faite sans générer des conflits entre
les Zapatistes et les non-Zapatistes qui partagent le même espace et qui ne reconnaissent
pas les lois et l’autorité de l’EZLN (Washbrook, 2005). Bien que les Zapatistes aient tenté
au cours des dernières années de rétablir les ponts entre leurs sympathisants et les autres
organisations, par exemple en mettant fin au barrage et au système de péage dans les
territoires sous leur contrôle, le fait que l’EZLN impose des règles aux non-Zapatistes
partageant le même territoire continue d’exacerber les tensions (SIPAZ, 2007b ;
Washbrook, 2005). Aujourd’hui, l’impasse dans le processus de paix a rendu la moitié-est
de l’État ingouvernable et de ce fait peu attrayant pour les capitaux étrangers (Collier et
Collier, 2005).
Figure 9 : Caracol d’Oventik dans la région de Los Altos
David Tanguay (2006)
61
De plus, l’idéologie de l’EZLN est farouchement anti-néolibérale, puisque ceux-ci
attribuent la dégradation des conditions de vie des ejidatarios aux réformes néolibérales
entamées en 1982 par le gouvernement de Miguel de la Madrid (Baschet, 2002). L’EZLN a
d’ailleurs fait connaître son opposition à plusieurs projets de développement construits sous
le schème néolibéral, tel que le Plan Puebla-Panamá (chapitre 4). Cette instabilité politique,
conjuguée à l’idéologie anti-néolibérale des Zapatistes, a grandement contribué à effrayer
les investisseurs (Villafuerte Solís, 2005). En raison du manque d’investissements, peu
d’emplois ont été créés, faisant sorte que les villes du Chiapas n’ont pas été en mesure
d’absorber le flux de paysans chiapanèques qui, devant la crise agricole, ont quitté leur terre
à la recherche d’un emploi dans les différentes villes de l’État (Villafuerte Solís, 2005 ;
Cruz Burguete et Robledo Hernández, 2001). Si la capitale de l’État, Tuxtla Gutiérrez, a
bénéficié de la majeure partie des investissements faits durant les dernières années (surtout
publics), les emplois créés n’offrent pas de bonnes conditions de travail et sont mal payés
(Villafuerte Solís, 2005). Pour plusieurs, la solution passe alors par l’émigration vers les
États-Unis.
62
Chapitre 3. Les résultats : Le rôle des migrations dans le développement des communautés : le cas d’El Ixcán et de
Loma Bonita
3.1. Les objectifs et l’importance du revenu migratoire
3.1.1. Les objectifs et les motivations des migrants Au cours de la dernière décennie, la crise agricole et le manque d’opportunités d’emplois
au Chiapas ont engendré une hausse importante des migrations vers les États-Unis. Cette
hausse est accompagnée d’une augmentation toujours croissante des flux monétaires
transférés aux familles demeurées dans leur communauté. Avant de se pencher sur
l’utilisation de l’argent des migrations par les familles et d’en analyser ses effets sur le
développement, nous avons préalablement voulu savoir quel est le profil des migrants à El
Ixcán et Loma Bonita (tableau 7). De plus, nous avons aussi voulu savoir quelles sont les
raisons et les objectifs qui motivent ces individus à migrer aux États-Unis (tableau 8).
Les résultats présentés dans le tableau 8 montrent qu’à El Ixcán et Loma Bonita, les
migrations sont une conséquence du contexte économique difficile, où l’agriculture est en
crise et où aucun emploi bien rémunéré n’est disponible. Dans ces communautés, en raison
de la forte concurrence des produits agricoles américains, une journée passée à travailler la
terre rapporte environ cinq dollars US, ce qui est insuffisant pour subvenir aux besoins
d’une famille. Les emplois étant rares dans les villes chiapanèques, les habitants de ces
communautés n’ont d’autres choix que de migrer en dehors du Chiapas. Pour ce qui est des
destinations, les migrants semblent préférer les États-Unis aux autres États du Mexique,
puisque les salaires y sont beaucoup plus élevés et que le taux de change y est favorable
(chaque dollar américain équivaut à environ 10 pesos au Mexique). Par exemple, sur la
population recensée à El Ixcán, 130 individus habiteraient actuellement à l’extérieur de la
communauté, dont entre 100 et 110 aux États-Unis (commissaire d’El Ixcán, 2006 ; centre
de santé d’El Ixcán, 2006).
Le profil des migrants (tableau 7) reflète également le manque d’opportunités qui s’offrent
aux jeunes adultes. Parmi les migrants, 72 pour cent sont de jeunes adultes qui résidaient
63
toujours avec leurs parents avant leur départ. Pour plusieurs d’entre eux, en plus de leur
permettre d’aider financièrement leur famille, les migrations deviennent le moyen
d’accumuler le capital nécessaire pour se construire un patrimoine familial (Gravel, à
paraître). En effet, si les revenus apportés par l’agriculture sont, bien souvent, insuffisants
pour satisfaire leurs besoins primaires, il devient alors pratiquement impossible pour de
jeunes adultes d’amasser l’argent nécessaire pour s’acheter une terre ou se construire une
maison.
Tableau 7 : Profil des migrants de chaque unité domestique28
Profil des migrants
Groupe d’âge Nombre de migrants
% des migrants
29 ans et moins 25 58 30 ans et plus 1 2
Fils
Non disponible 2 5
65
29 ans et moins 3 7
30 ans et plus 0 0
Fille
Non disponible 0 0
7
29 ans et moins 1 2 30 ans et plus 5 12
Père
Non disponible 3 7
21
29 ans et moins 3 7 30 ans et plus 0 0
Frère du père de famille
Non disponible 0 0
7
Total 43 100
28 L’échantillon utilisé dans les tableaux 7 et 8 comprend 36 individus qui travaillent actuellement aux États-Unis, deux à Tecate, dans le Nord du Mexique, et cinq qui ont travaillé aux États-Unis, mais qui sont revenus dans leur communauté. Si l’échantillon dépasse 30 individus, c’est parce qu’il y a parfois plus d’un migrant par famille.
64
Tableau 8 : Les raisons et les objectifs ayant motivé les migrations
Motivations/objectifs évoqués par le migrant
% des migrants
Survie/réponse à la crise agricole 67
Conditions de travail et rémunération avantageuses des emplois aux États-Unis
19
Volonté de se construire une maison 19
Volonté d’investir (commerce ou agriculture)
28
Aventure ou désir de voyager 17
Échantillon : 43 migrants
Le tableau 8 montre aussi qu’en plus d’être une stratégie de survie à la crise agricole, les
migrations sont parfois motivées par des objectifs bien précis. Pour plusieurs, le but de la
migration est d’acquérir les ressources nécessaires pour être éventuellement en mesure de
revenir s’établir dans leur communauté d’origine. Ce détail est important, puisque les
migrants qui ont l’intention de revenir ont moins de chance de diminuer leurs envois au fil
du temps que ceux qui s’établissent définitivement dans le pays hôte (chapitre 1)
(Chimhowu et al., 2005 ; Durand, 2005). Pour cette raison, en plus des raisons ayant
motivé les migrations, nous avons voulu savoir si l’objectif ultime du migrant était de
revenir s’établir de façon permanente dans sa communauté d’origine une fois ses objectifs
migratoires atteints (figure 10).
65
Figure 10 : Intention de revenir s’établir dans la communauté29
Échantillon : 38 migrants
64%
18%
18%
Veulent revenir définitivement
Ne savent pas
Ne veulent pas revenir s'établir
Les résultats obtenus montrent que les « migrations de retour » (Durand, 2005) occupent
une place importante à El Ixcán et Loma Bonita. Par contre, une minorité significative (18
pour cent) n’avait tout de même pas l’intention de revenir. Parmi eux, plusieurs étaient
pourtant partis aux États-Unis avec l’idée de revenir. Toutefois, une fois établis dans le
pays d’accueil, des évènements sont venus bouleverser leur plan initial. Par exemple, il y a
sept ans, Juan, qui avait alors 23 ans, partit aux États-Unis afin d’économiser l’argent
nécessaire pour se construire une maison. Étant célibataire, il rencontra une Américaine
avec qui il s’est marié. Juan, qui a aujourd’hui deux enfants, vit aux États-Unis et n’a plus
l’intention de revenir dans sa communauté. Un autre exemple, celui de Pedro, montre que
les absences prolongées peuvent briser les unités familiales. Il y a huit ans, Pedro, marié,
mais n’ayant pas encore d’enfant, partit travailler aux États-Unis pour économiser l’argent
nécessaire à la construction de sa maison. Alors qu’il travaillait aux États-Unis, son épouse
l’a quitté pour un autre homme. N’ayant plus de raison de revenir, il s’est remarié aux
États-Unis et n’est plus jamais revenu.
29 L’échantillon ne comprend pas les cinq migrants qui sont déjà revenus dans leur communauté. Trois de ces cinq migrants ont mentionné ne pas vouloir retourner aux États-Unis, alors que les deux autres aimeraient y retourner une seconde fois, mais sans s’y établir définitivement.
66
Les exemples de Pedro et de Juan nous rappellent que la possibilité que le migrant établisse
une nouvelle unité domestique dans le pays d’accueil est bien réelle, d’autant plus que, tel
que le reflète le tableau 7, la majorité des migrants sont des jeunes hommes non mariés
âgés de moins de trente ans. Dans de tels cas, comme le mentionnaient Quesnel et Del Rey
(2005), il est possible que le migrant diminue ses envois, puisque son obligation devient
double, devant contribuer financièrement au maintien de deux unités domestiques.
D’ailleurs, lorsqu’elle fut questionnée sur l’apport financier de son fils au sein du budget
familial, la mère de Juan répondit : « Ce n’est qu’une petite partie. Il participe
[financièrement], mais […] c’est difficile pour lui, car il doit faire vivre deux familles ».
3.1.2. L’influence du temps sur le lien tissant le migrant à sa communauté Les exemples de Juan et de Pedro montrent que même si l’intention originale du migrant
est de revenir dans sa communauté, il est possible que ses plans changent au fil du temps.
Pour cette raison, la deuxième étape de notre entrevue fut de mieux connaître la force du
lien qui tisse le migrant à sa communauté en nous informant sur la durée du séjour du
migrant (figure 11). Cette question est importante, car plus le séjour du migrant s’éternise,
plus les chances qu’il s’y établisse définitivement deviennent importantes (Chimhowu et
al., 2005). De plus, les envois tendent à diminuer à mesure que le séjour du migrant se
prolonge (Cohen, 2004 ; Delgado Wise et Rodríguez Ramírez, 2005).
67
Figure 11 : Durée du séjour des migrants
Échantillon: 38 migrants
8
39
13
3
32
5
05
1015202530354045
- de 1ans
1 à 2 3 à 4 5 à 6 7 à 8 9 à 10
Durée du séjour (années)
% d
es m
igra
nts
Le fait qu’une grande partie des séjours dépasse deux années semble confirmer la tendance
actuelle observée par plusieurs auteurs vers des séjours de plus en plus longs (Meza Merlos
et Márquez Covarrubias, 2005 ; Delgado Wise et Rodríguez Ramírez, 2005). Toutefois,
nous ne devons pas nécessairement conclure à une tendance vers des établissements
permanents, mais plutôt remarquer une reconfiguration des types de migrations, où les
migrations cycliques caractérisées par des séjours de courte durée et d’allers-retours
réguliers sont de moins en moins possibles. Durant la dernière décennie, le renforcement du
contrôle de la frontière a fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile de traverser la
frontière (figure 12), obligeant les migrants à trouver de nouvelles routes toujours plus
dangereuses30 (Massey, 2007).
Lors de nos entrevues, plusieurs ont mentionné les nombreuses difficultés rencontrées pour
traverser la frontière. Certains ont marché durant cinq à huit heures de jour dans le désert,
alors que d’autres ont plutôt fait le voyage en deux nuits, se cachant des patrouilleurs
30 En octobre 2006, le Congrès américain a approuvé la construction d’une « double barrière renforcée » qui couvrira 1200 des 3140 kilomètres de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Selon le Consulat mexicain, 42 Mexicains sont morts en tentant de traverser le désert entre les mois de janvier et mai 2007, soit l’équivalent de toute l’année 2006 (Lesnes, 2007).
68
américains durant le jour. Certains se sont d’ailleurs fait prendre par ces patrouilleurs,
comme ce fut le cas pour un jeune homme qui, après s’être fait battre par ces derniers, fut
renvoyé dans sa communauté avec une dette envers le coyote31, que son père a dû acquitter
en vendant une partie de sa terre.
Figure 12 : Caricature représentant les risques des nouvelles routes pour traverser la frontière32
Source : Cuarto poder (2006)
Avec la hausse du contrôle de la frontière, les coûts pour obtenir les services d’un coyote
ont considérablement augmenté, puisque ceux-ci doivent offrir de nouveaux services qu’ils
ne faisaient pas autrefois, tels que guider les migrants dans le désert (Massey, 2007). Les
familles interrogées nous ont mentionné que le migrant doit débourser entre 2000 et 3000
dollars US pour bénéficier de tels services, des montants qui se traduisent souvent par une
dette qu’ils doivent d’abord rembourser avant de commencer à économiser. Malgré les
31 Les coyotes sont des individus qui aident les migrants à traverser illégalement la frontière. 32 Traduction libre des propos du personnage de la mort : « Hé ! paysan, viens par ici. »
69
inconvénients et les dangers qu’apporte la militarisation de la frontière, les migrations n’ont
pas diminué pour autant, mais le pourcentage de migrants revenant de façon cyclique dans
leur communauté a grandement diminué (Massey, 2007). Les gens préfèrent plutôt
demeurer plus longtemps dans le pays d’accueil pour ne pas avoir à y retourner (figure 13).
Figure 13. Fréquence des allers-retours
Échantillon : 43 migrants
35%
65%
Ils sont revenus
Ils ne sont jamaisrevenus
Dans ce contexte de surveillance accrue de la frontière nord, la tendance vers des séjours
plus longs et le nombre plus restreint d’allers-retours ne reflètent pas nécessairement un
détachement du migrant à sa communauté, mais plutôt une difficulté bien réelle de traverser
la frontière. Pour les autres, seuls quatre migrants effectuent des retours de façon cyclique.
Les autres n’ont pu effectuer qu’un seul aller-retour, ce qui confirme les dangers que
représente la traversée de la frontière.
Notons que les quatre migrants qui effectuent des allers-retours de façon cyclique
bénéficient d’une situation particulière. Deux de ces migrants étaient les seuls de
l’échantillon à bénéficier d’un permis de travail légal aux États-Unis. Après avoir travaillé
illégalement pendant deux ans pour la même entreprise agricole, un père de famille,
apprécié par son patron en raison de son bon travail, s’est fait offrir un permis légal qui lui
permet de travailler en agriculture au Kentucky. Ce permis fut aussi attribué à son fils par la
70
suite. Ce contrat leur permet de revenir dans leur communauté deux mois par année, soit du
mois de décembre à février.
En plus de ces deux individus, les deux autres cas de migrations cycliques se réfèrent à
deux jeunes sœurs âgées de 23 et 25 ans qui, après avoir travaillé illégalement durant six
mois aux États-Unis, ont déménagé à Tecate, ville mexicaine de l’État de la Basse-
Californie située à la frontière Nord, pour être en mesure de visiter leur famille
régulièrement au Chiapas. Toutefois, comme nous l’avons spécifié précédemment, les
migrations internes semblent plutôt rares dans ces deux communautés, surtout en raison de
la différence de salaire qui persiste entre les emplois offerts au Mexique et ceux aux États-
Unis. Si ces deux filles ont eu la chance de se trouver un bon emploi au Mexique, c’est en
partie parce qu’elles ont une bonne scolarité, ayant toutes les deux fait des études
techniques en comptabilité, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la majorité des
habitants de la Selva Lacandona.
Pour ce qui est des autres migrants ayant un statut illégal, la majorité préfère, dans le
contexte actuel, demeurer plus longtemps aux États-Unis jusqu’à leur retour définitif, une
fois leurs objectifs migratoires atteints. Puisque la militarisation de la frontière augmente la
durée des séjours et diminue les possibilités d’effectuer des allers-retours, nous avons
également voulu savoir si le migrant gardait contact avec sa famille, par exemple en
communicant avec elle régulièrement par téléphone. Les résultats se sont avérés positifs
(figure 14), ce qui peut faciliter le retour du migrant et favoriser les investissements
productifs (Durand, 2005 ; Mooney, 2003).
71
Figure 14 : Fréquence des communications par téléphone33
Échantillon : 25 familles
56%
20%
4%
4%
8%
8% 1 fois / 2 semaines et +1 fois / 1 mois1 fois / 2 mois1 fois / 3 à 5 mois1 fois / 5 mois et +Pas répondu
À la lumière de ces résultats, il demeure difficile pour l’instant de prévoir quels migrants
reviendront un jour dans leur communauté et prédire quand ce retour s’effectuera. Dans ce
contexte, le danger d’une éventuelle baisse des envois demeure bien présent, mais pas
assuré. Pour cette raison, la prochaine étape de notre recherche est de connaître
l’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux afin d’évaluer la
vulnérabilité des familles envers une éventuelle baisse des envois.
3.1.3. L’importance du revenu migratoire au sein des budgets familiaux Pour mieux connaître l’importance du revenu migratoire dans les communautés, nous
avons posé trois questions aux familles : À quel intervalle recevez-vous de l’argent du
migrant ? Quelle est la part de ce revenu au sein de votre budget familial ? Combien
d’argent recevez-vous par année ?
33 Lorsque l’échantillon est de 25 familles au lieu de 30, c’est parce que la question ne s’appliquait pas aux cinq familles dont les migrants sont revenus dans la communauté. N.B. Les données de la figure 13 ont été arrondies à la fréquence près.
72
Bien que les sommes reçues annuellement varient beaucoup d’une famille à l’autre, allant
de 480 dollars à un peu plus de 15 000 dollars US, les résultats montrent que les
migradollars tiennent une place importante au sein des budgets familiaux (figures 15 et 16).
Dans la municipalité de Maravilla Tenejapa, 95 pour cent de la population gagne moins de
deux salaires minimums par jour (COESPO, 2002). Pour cette raison, l’argent des
migrations est d’une grande importance pour assurer la subsistance des familles.
Figure 15 : Part du revenu migratoire au sein du budget familial
Échantillon : 25 familles
36%
12%
36%
8%
8%Plus que la moitié dubudget
La moitié du budget
Moins que la moitié dubudget
Ne contribue pas ouplus
N'a pas répondu
Figure 16 : Fréquences des envois
Échantillon : 25 familles
44%
12%
36%
8%
1/mois ou +
2 à 6 mois
Irrégulièrement
N'en reçoit pas ou plus
73
De plus, les résultats d’entrevues ont démontré que même chez les familles qui ont spécifié
que le revenu migratoire ne représentait qu’une petite part de leur revenu global,
l’importance des migradollars ne doit pas être négligée. Par exemple, la famille Hernández
a mentionné ne pas dépendre des migradollars. Elle n’en reçoit qu’irrégulièrement, lorsque
la famille désire investir ou réaliser des projets importants. Toutefois, ce sont leurs deux fils
qui travaillent aux États-Unis qui ont payé environ le tiers des coûts de 35 000 dollars US
associés à la rénovation de leur maison et le tiers des 120 têtes de bétail que possède
aujourd’hui la famille. Le cas de la famille Ledezma est très similaire, celle-ci ne recevant
de l’argent de leur fils de 19 ans que lorsqu’elle désire investir, par exemple dans l’achat de
terres agricoles ou d’animaux d’élevage. Notons que, tel que nous le spécifiait le père de la
famille, le migrant profitera lui aussi de ces investissements à son retour. Ce dernier n’aime
pas vivre aux États-Unis et le but de son voyage est uniquement d’économiser pour se bâtir
un patrimoine familier dans la communauté. Le migrant étant le fils aîné de la famille, il
héritera vraisemblablement d’une grande partie des avoirs familiaux, dont ceux achetés à
l’aide des migradollars (Quesnel et Del Rey, 2005). En plus des investissements en
agriculture, celui-ci aide sa famille à payer l’éducation de ses trois sœurs, dont deux
étudient présentement à l’école secondaire et l’autre à l’université.
Lorsque le migrant ne contribue pas ou peu au revenu familial, c’est souvent parce qu’il
économise aux États-Unis afin de se bâtir son propre patrimoine familier. Parmi notre
échantillon, il n’eut qu’un seul cas de migrant qui ne contribuait aucunement au revenu
familial et qui n’économisait pas en vue de revenir dans sa communauté. Ce cas est celui de
Pedro, mentionné plus tôt, qui s’est remarié aux États-Unis. Depuis que sa première femme
l’a quitté, il n’a aidé financièrement sa famille qu’à deux reprises (100 $ US et 200 $ US)
lorsque sa mère fut malade. Depuis, il n’a plus jamais envoyé d’argent, et ce, même lorsque
son père a eu des problèmes de santé dont les soins furent très dispendieux.
En général, les migradollars sont d’une importance capitale pour la subsistance des
familles. Devant l’importance que représente cette source de revenus, les problèmes de
dépendance envers l’argent des migrations évoqués par Reichert (1981) semblent bien
présents. Pour cette raison, la façon dont les familles utilisent les migradollars est
importante, puisque seuls les investissements productifs peuvent réduire leur vulnérabilité
74
envers une éventuelle baisse des envois en créant de nouvelles sources de revenus.
Toutefois, les conditions économiques rendent difficiles ces investissements, puisqu’une
grande partie de l’argent doit d’abord être utilisée pour combler les besoins quotidiens des
familles et pour faire face aux imprévus.
3.2. La canalisation du revenu migratoire
3.2.1. La satisfaction des besoins essentiels Dans le contexte actuel de la crise agricole, investir n’est pas une tâche facile. En raison de
la concurrence engendrée par les produits agricoles étrangers, les revenus apportés par la
culture du maïs et des frijoles sont devenus insuffisants pour subvenir aux besoins des
familles d’El Ixcán et de Loma Bonita. L’agriculture servant surtout pour
l’autoconsommation, une partie importante du revenu migratoire est utilisée pour combler
les dépenses quotidiennes, comme l’achat de nourriture et de vêtements. Puisque dans les
deux communautés étudiées, les familles sont assez nombreuses (figure 17), avec une
moyenne de 4,1 enfants par famille, la partie de l’argent qui est canalisée dans les besoins
quotidiens varie d’une famille à l’autre en fonction de leur cycle de vie domestique
(chapitre 1) (Gravel, à paraître). De plus, bien que la majorité des foyers interrogés étaient
constitués de deux parents et de leurs enfants (famille nucléaire) auxquels venaient parfois
s’ajouter d’autres membres, par exemple les grands-parents (familles élargie), les absences
de longue durée qu’ont causées les migrations ont aussi entraîné des modifications
temporaires dans la composition des ménages. En effet, il était fréquent de voir s’ajouter au
foyer domestique les jeunes enfants du frère, de la sœur, ou même du voisin du répondant,
eux-aussi partis aux États-Unis. Par contre, ces nouveaux venus n’ajoutaient pas
nécessairement une pression économique sur le groupe domestique, puisque les parents
migrés aux États-Unis compensaient financièrement la famille pour ce service rendu.
75
Figure 17 : Nombre d'enfants par famille
Échantillon : 30 familles
0
1
2
3
4
5
6
7
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 etplus
Nombre d'enfants
Nom
bre
de fa
mill
es
Parmi les besoins familiaux, nous devons mentionner les soins de santé, qui peuvent
s’avérer très dispendieux. Bien que les deux communautés disposent d’une clinique
médicale, celle-ci n’offre que peu de services. Puisque le médecin n’y vient qu’une seule
fois par mois, ses fonctions se résument surtout à offrir des médicaments. Pour accéder à
des soins de santé de qualité, les habitants doivent parcourir environ 200 kilomètres pour se
rendre à Comitán de Domínguez où les coûts peuvent varier entre 100 et 200 dollars US par
jour. Sans l’aide financière du migrant, certaines familles n’auraient tout simplement pas
les moyens financiers d’accéder à de tels soins.
En plus des problèmes de santé, l’argent des migrations peut s’avérer utile pour financer
des fêtes religieuses ou culturelles, telles que les quinceñeras, les mariages et les baptêmes
(Reichert, 1981 ; Cohen et Rodriguez, 2004). À titre d’exemple, un père de famille a
mentionné avoir déboursé 800 dollars US pour le mariage de sa fille. Un autre a dû utiliser
une partie importante du 6000 dollars US qu’il avait réussi à économiser en sept mois de
travail aux États-Unis pour payer les quinceñeras. Parfois, les pratiques religieuses
accaparent une grande partie du revenu migratoire, comme ce fut le cas d’un père de
famille d’El Ixcán qui s’est construit avec l’aide financière de son fils travaillant aux États-
76
Unis et de ses frères de religion un temple sur son terrain destiné à la pratique de sa
religion, l’église évangélique « Solo cristo salva » (figures 18 et 19)34.
Figure 18 : Temple construit à l’aide de l’argent des migrations
David Tanguay (2006)
34 Durant la période 1970-2000, le Chiapas connut de nombreux changements en ce qui a trait aux pratiques religieuses (Favre, 1997, Washbrook, 2005). Au cours de cette période, la population protestante grimpa de 5 à 22 pour cent de la population, la proportion de catholiques chuta de 91 à 65 pour cent, alors que celle ne pratiquant aucune religion passa de 3,5 à 12 pour cent (Washbrook, 2005). Il faut toutefois spécifier que parmi ces nouveaux « évangélistes », plusieurs se rallièrent à des sectes d’inspiration protestante plutôt qu’à la religion proprement dite (Favre, 1997). Cette conversion de nombreux Chiapanèques catholiques au protestantisme a donné lieu à plusieurs conflits religieux au Chiapas. Dans certaines communautés autochtones, l’attitude et les pratiques des nouveaux convertis, comme de ne pas participer aux fêtes des saints et de ne pas boire de posh, la boisson traditionnelle, étaient perçues comme incompatibles avec les traditions communautaires et ethniques des autochtones catholiques. Ces différents religieux ont entraîné de nombreuses expulsions de groupes d’individus Par exemple, depuis les années 1970, il y aurait eu plus de 20000 autochtones chamulas expulsés de leur municipalité (Gutiérrez Sanchez, 2000). La plupart des individus expulsés se sont relocalisés dans les environs de San Cristóbal de las Casas ou dans la Selva Lacandona. Certaines municipalités de la Selva Lacandona ont ainsi vu leur proportion de population protestante augmenté considérablement, comme dans la municipalité d’Ocosingo où la population de confession protestante a atteint 27 pour cent dans les années 1990, alors qu’elle n’était que de 11 pour cent au début des années 1970 (idem).
77
Figure 19 : Intérieur du temple construit à l’aide de l’argent des migrations
David Tanguay (2006)
3.2.2. Une qualité de vie améliorée à court terme ? Une fois les besoins essentiels comblés, les familles peuvent utiliser l’argent des migrations
à d’autres fins. Selon certains auteurs, un des problèmes relatifs à cette utilisation est que
les familles préfèrent utiliser les migradollars pour améliorer leur qualité de vie à court
terme, par exemple en se procurant des biens matériels et en améliorant leur résidence,
plutôt que de les investir à des fins productives (Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992).
Dans les communautés étudiées, cette théorie semble être trop pessimiste. S’il est vrai
qu’une partie de l’argent est utilisée pour améliorer le confort matériel des familles, par
exemple en achetant une télévision, un vidéo, un réfrigérateur ou une machine à laver
(figure 20), une grande partie du revenu migratoire est tout de même réservée aux
investissements productifs (voir prochaine section). Il faut aussi spécifier que plusieurs
achats pouvant être qualifiés de « non productifs », comme l’achat d’une machine à laver,
allègent néanmoins les tâches reliées aux travaux domestiques, qui se trouvent souvent
amplifiés par l’absence d’un des membres de la famille. En effet, en l’absence de leur mari,
plusieurs femmes souffrent de surmenage, puisqu’elles se retrouvent avec une charge de
78
travail supplémentaire, devant à la fois s’occuper des tâches domestiques et du travail
agricole (Gravel, à paraître)35.
Figure 20 : Le confort matériel amélioré d’une famille d’agriculteurs de Loma Bonita bénéficiant de l’argent des migrations
David Tanguay (2006)
Dans la littérature, il est généralement reconnu qu’outre l’achat de biens matériaux, la
construction ou la rénovation de la maisonnée est généralement le premier investissement
fait avec l’argent du migrant (Quesnel et Del Rey, 2005 ; Gravel, à paraître). Dans les 35 Malgré cette augmentation de la charge de travail, plusieurs auteurs ont remarqué que les migrations apportent aussi certains avantages aux femmes, entre autres en contribuant à modifier les relations entre les sexes dans un Mexique toujours considéré comme patriarcale (Parrado et al., 2005). En effet, l’intégration des femmes aux courants migratoires ainsi que l’obtention d’un travail dans le pays d’accueil fait en sorte qu’elles acquièrent une autonomie financière qu’elles n’avaient, bien souvent, pas auparavant. De plus, le séjour passé aux États-Unis, où le cadre légal ne tolère guère la violence conjugale et où la division du pouvoir et du travail entre les sexes est moins prononcée, entraîne des changements de valeurs qui font en sorte que les femmes, une fois de retour dans leur communauté, sont moins enclines à tolérer l’hégémonie de l’homme, ce qui peut favoriser un plus grand égalitarisme au sein du foyer domestique (Parrado et al., 2005 ; Parrado et Flippen, 2005 ; Levitt, 1998 ). Mentionnons également qu’une partie des migradollars est souvent investie dans l’éducation des filles, ce qui, en plus de leur permettre de se trouver un emploi et ainsi plus d’autonomie financière, leur procure un savoir qui facilitera leur participation dans le processus de décision familial (Parrdo et al., 2005).
79
communautés étudiées, 70 pour cent des familles ont utilisé le revenu migratoire à cette fin
(figure 21). Pour ce qui du 30 pour cent restant, il se réfère souvent à de jeunes migrants
qui projettent de se construire une maison, mais qui n’ont pas encore eu le temps
d’économiser l’argent nécessaire pour réaliser leur projet. Notons que plusieurs d’entre eux
ont déjà économisé une partie de l’argent à la banque ou ont acheté une partie des
matériaux. Dans certains cas, les sommes envoyées par le migrant furent assez importantes
pour rénover la maison familiale en plus de construire une nouvelle maison en projection
du retour du jeune migrant36.
Figure 21 : Les investissements sur la résidence
Échantillon : 30 familles
30
3343
0
10
20
30
40
50
Construction d'une maison Rénovation de la maison Rien
Investissement sur la maison
% d
es fa
mill
es
Pour beaucoup de familles, leur revenu familial ne leur permet pas de se construire une
maison tout d’un coup. Pour cette raison, plusieurs maisons se construisent plutôt par étape,
les familles devant attendre les migradollars pour passer à une seconde étape (Gravel, à
paraître). Habituellement, la première étape aux rénovations de la maison est la cimentation
du plancher (figure 23). Ensuite, viennent soit la cimentation des murs, la construction d’un
deuxième étage ou la division de l’espace domestique (figures 23 et 24). Pour ce qui est de
36 Ceci explique pourquoi la somme des résultats exposés à la figure 21 dépasse 100 pour cent.
80
la division de l’espace domestique, elle peut être définie comme étant « la comptabilisation
du nombre d’espaces partagés par l’ensemble des membres (ex : salle de bain, cuisine salle
à dîner et salon), résultant de l’incorporation à l’espace intérieur de la résidence des
fonctions traditionnellement conduites dans le Mexique rurale à l’extérieur de la résidence,
soit dans l’espace semi-privé de la cour arrière » (Gravel, à paraître ; Tello Peón, 1992).
Ces investissements sur les maisons, signe d’une modernisation des communautés, ont
considérablement modifié le paysage d’El Ixcán et de Loma Bonita où l’architecture des
nouvelles maisons fraîchement fabriquées à l’aide des migradollars contraste avec celle des
maisons traditionnelles en bois de ceux qui ne bénéficient pas de cette source de revenus
(figures 22 et 25) (Gravel, à paraître). Au delà du simple confort matériel, les
investissements sur la maison ont un rôle non négligeable à jouer dans le développement
humain. Le gouvernement mexicain a d’ailleurs fait des conditions d’habitation une de ces
quatre variables choisies pour mesurer la marginalité des populations mexicaines
(introduction) (Anzaldo et Prado, 2006). Dans son rapport « Indices de marginalité, 2005 »
(Índices de marginación, 2005), le gouvernement mexicain justifiait le choix de cette
variable ainsi : « La maisonnée constitue un espace déterminant pour le développement des
capacités et des choix de la famille et de chacun de ses membres. […] Le logement dans
une maison digne et convenable […] favorise le processus d’intégration familiale dans un
cadre de respect, évite les conditions d’entassement, contribue à la création d’un climat
éducatif favorable pour la population en âge scolaire [et] réduit les risques pouvant affecter
la santé » (traduction libre) (Anzaldo et Prado, 2006).
En 2000, dans la municipalité de Maravilla Tenejapa, 70 pour cent des maisonnées avaient
toujours un plancher en terre et 82 pour cent de la population vivait dans des conditions
d’entassement (INAFED, 2003)37. Or, les habitants, mais surtout les enfants, qui habitent
dans une maison ayant un plancher de terre ont plus de chances de développer des maladies
gastro-intestinales et pulmonaires (Anzaldo et Prado, 2006). Aussi, le fait de vivre en
condition d’entassement compromet l’intimité de chacun des membres de la famille et
37 Ces taux de maisons ayant un plancher de terre et de conditions d’entassement de la municipalité de Maravilla Tenejapa sont pires que la moyenne du Chiapas, qui était respectivement de 50 et de 65 pour cent (INAFED, 2003). Pourtant, les résultats du Chiapas étaient déjà parmi les pires du pays (Anzaldo et Prado, 2006).
81
devient un obstacle au bon déroulement de plusieurs activités, telles que les études et la
détente, essentielles au développement des individus (idem). Pour cette raison, on ne peut
contester les bienfaits que peuvent apporter les rénovations mentionnées précédemment sur
la qualité de vie des habitants d’El Ixcán et de Loma Bonita. De plus, puisqu’elle constitue
une garantie pour les institutions bancaires, la construction d’une véritable maison peut
parfois permettre aux familles d’obtenir du crédit, dont l’accès, qui a toujours été limité,
l’est encore plus depuis les réformes néolibérales des années 1980-1990 (chapitre 2)
(Quesnel et Del Rey, 2005).
Figure 22 : Maison traditionnelle avec plancher de terre
David Tanguay (2006)
82
Figure 23 : Cimentation du plancher et construction d’un deuxième étage
David Tanguay (2006)
Figure 24 : Cimentation des murs et division de l’espace domestique
David Tanguay (2006)
83
Figure 25 : Maison construite à l’aide des migradollars
David Tanguay (2006)
Selon Quesnel et Del Rey (2005), une fois la maison rénovée ou construite, plusieurs
situations sont possibles. Certains migrants maintiennent leurs envois d’argent au même
niveau et vont investir dans l’achat de bétail ou dans l’éducation de leurs frères et sœurs,
alors que d’autres réduisent considérablement leurs envois, situation dangereuse pour les
familles qui se sont habituées à utiliser une partie de cette source de revenus pour subvenir
à leurs besoins quotidiens.
3.3. Les investissements productifs : vers un véritable développement ?
3.3.1. Les investissements agricoles et commerciaux L’étape la plus importante de cette recherche fut de vérifier si, malgré les difficultés
financières qu’elles doivent affronter, les familles sont tout de même parvenues à investir
une partie de l’argent dans la production. Ces investissements sont importants, car ils
84
peuvent réduire la dépendance des familles envers le revenu migratoire en créant de
nouvelles sources de revenus. De plus, il est clair que le migrant, habitué aux conditions de
travail prévalant aux États-Unis, ne pourra accepter les conditions de travail qui prévalaient
avant son départ (Quesnel et Del Rey, 2005). Il est alors essentiel que le migrant réussisse à
améliorer son statut social en investissant, sinon il entreprendra fort probablement un
nouveau voyage.
Dans les deux communautés étudiées, malgré des conditions socio-économiques difficiles,
les familles ont tout de même réussi à investir une partie des migradollars dans la
production, entre autres dans la production agricole (figure 26). Tout d’abord, pour 27 pour
cent des familles, l’argent a servi à acheter des terres agricoles. L’argent des migrations
s’est alors avéré très utile pour les familles sans terre qui, depuis la réforme de l’article 27
de la Constitution mexicaine en 1992, ne peuvent plus espérer obtenir une parcelle à
cultiver de la part du gouvernement (chapitre 2). En plus des familles n’ayant pas de terre,
les migradollars ont aussi permis à certaines familles d’agrandir leur propriété agricole38,
surtout pour celles voulant investir dans le bétail.
38 Avant la réforme de l’article 27 de 1992, les terres agricoles des ejidos d’El Ixcán et de Loma Bonita étaient divisées équitablement entre chaque ejidatario de la communauté, soit 20 hectares chacun. Depuis la réforme, puisque les ejidatarios peuvent vendre ou louer leur terre, la superficie des propriétés varie d’un ejidatario à l’autre.
85
Figure 26 : Les investissements productifs
Échantillon : 30 familles
27
57
2010 103
0102030405060
Acha
t de
terr
e
Acha
t de
béta
il
Entre
tien
dela
terr
e et
du b
étai
l
Acha
t de
mac
hine
rieag
ricol
e
Con
stru
ctio
nde
bât
imen
tag
ricol
e
Com
mer
ce
Type d'investissements
% d
es fa
mill
es
Si la proportion des familles ayant investi dans l’achat de terres agricoles représente moins
du tiers des répondants, c’est en partie parce que la majorité d’entre elles sont ejidatarios et
possèdent déjà une terre. Toutefois, avec l’ouverture de l’économie mexicaine (chapitre 2),
les prix de vente du maïs et des frijoles sont devenus excessivement bas. Ces cultures étant
surtout destinées à l’autoconsommation, c’est plutôt l’élevage qui assure un revenu à la
famille, ce qui explique le nombre élevé (57 pour cent) de familles ayant investi dans ce
secteur de production, sans compter celles qui projettent d’investir prochainement, mais qui
n’ont pas encore eu le temps d’économiser l’argent nécessaire.
En plus d’augmenter le revenu familial, l’investissement dans le bétail apporte d’autres
avantages, comme celui d’améliorer le régime alimentaire des familles dans des
communautés où l’achat de viande est devenu un luxe depuis les années 2000. Aussi, la
reproduction naturelle des animaux assure une progression stable de l’investissement
(Durand et al., 1996b). Le cas de Jorge, vu lors du premier chapitre, démontre l’efficacité
de tels investissements. Ce dernier, qui avait investi ses 3000 dollars US économisés en six
mois de travail aux États-Unis dans l’élevage, bénéficie aujourd’hui d’une meilleure qualité
de vie grâce à l’argent que lui rapporte aujourd’hui son bétail qui s’est reproduit au fil des
86
ans. Cet exemple montre que dans certains cas, le séjour aux États-Unis est d’abord motivé
par le désir d’investir et que ce sont les revenus tirés de ces investissements qui permettent
par la suite d’améliorer la qualité de vie des familles et d’obtenir une plus grande
indépendance face au migradollars.
La figure 26 montre également que 20 pour cent des migrants utilisent une partie de
l’argent gagné aux États-Unis pour payer des ouvriers chargés d’entretenir leur terre, de
semer le pâturage et de s’occuper de l’état de santé de leurs bêtes. Souvent, les migrants qui
utilisent une partie du revenu migratoire à de telles fins n’ont pas de membres de leur
famille ayant l’âge ou les capacités physiques pour s’acquitter de telles tâches. En plus de
créer de l’emploi, une telle utilisation de l’argent renforce la motivation du migrant à
revenir dans sa communauté, car elle empêche ses actifs de se déprécier avec le temps
(Cohen et Conway, 1998).
Pour ce qui est des investissements dans la machinerie agricole et dans la construction de
bâtiments agricoles, ils sont pour l’instant marginaux (figures 26 et 27). Sur l’échantillon,
une seule famille a utilisé une partie du revenu migratoire pour se construire une remise
pour entreposer le maïs. Quant aux investissements dans la machinerie agricole, ils sont,
eux aussi, plutôt rares. Parmi les familles interrogées, une seule possédait un tracteur. Cette
machinerie est relativement dispendieuse, puisque les paiements du tracteur échelonnés sur
cinq ans s’élevaient à 4000 dollars US par année. Pour cette raison, le coût d’une telle
machinerie peut en faire hésiter plusieurs à effectuer de tels investissements. Aussi,
plusieurs familles ont mentionné que le relief étant accidenté, la majorité des terres ne se
prêtent pas à la machinerie. Ces contraintes nous rappellent que si les conditions
nécessaires ne sont pas en place, certains investissements peuvent s’avérer imprudents et
même conduire la famille à la faillite (Durand et Massey, 1992).
Ainsi, avant de conclure que le revenu migratoire n’est pas utilisé à des fins productives,
nous devons préalablement nous demander pourquoi des investissements se produisent
dans certaines communautés et non dans d’autres (idem). Dans les communautés étudiées,
des investissements dans le bétail semblent plus rentables que l’achat de machinerie
agricole. Aussi, au lieu d’acheter de la machinerie agricole, certaines familles ont plutôt
préféré acheter une camionnette. En plus de faciliter le travail agricole en permettant de
87
transporter les récoltes et le bétail, l’achat d’une camionnette peut apporter un revenu
supplémentaire en permettant de transporter de la marchandise (ex : matériaux de
construction) ou les récoltes d’autres individus. Une famille a d’ailleurs mentionné que
l’achat d’une camionnette était le principal objectif que s’était fixé le migrant. Pour cette
famille qui travaille en apiculture, une camionnette leur permettrait de déplacer plus
facilement les ruches d’abeille et d’aller vendre le miel à Comitán de Domínguez.
Figure 27 : Exemple de machinerie agricole
David Tanguay (2006)
Les deux localités étant isolées et essentiellement agricoles, l’argent des migrations est
surtout investi en agriculture. Il n’y a que peu d’investissements dans les commerces,
puisque les opportunités y sont plutôt rares. Parmi les familles interrogées, trois familles
ont investi dans une entreprise familiale. Pour ce qui est des deux premières, elles ont
utilisé l’argent pour se construire une tienda39. La première vivait de l’agriculture, mais les
39 Les tiendas sont de petites épiceries, équivalent du « dépanneur » au Québec.
88
revenus générés par cette activité étaient devenus insuffisants pour subvenir aux besoins de
la famille. Les envois du père ont alors servi à acheter du bétail et à construire cette tienda,
qui apporte aujourd’hui une source de revenus supplémentaire à celle apportée par
l’agriculture et l’élevage. Pour ce qui est de la deuxième famille, elle ne possédait pas de
terre et vivait sur un terrain loué. Le père de la famille est alors parti économiser aux États-
Unis pour s’acheter une terre et se construire une maison. Les premiers envois ont servi à
construire une tienda (figure 28), laquelle assure une certaine indépendance financière à sa
conjointe. Pendant ce temps, le mari continue d’épargner aux États-Unis en vue de
s’acheter une terre et du bétail. La troisième famille, quant à elle, a investi une partie de
l’argent dans leur pharmacie, construite à même leur résidence. Pendant que le mari
travaille aux États-Unis dans le but d’investir sur leur terre à son retour, une autre partie des
migradollars est utilisée par sa conjointe pour acheter des médicaments à Comitán de
Domínguez qu’elle revend par la suite dans la communauté.
Dans les trois cas précédents, l’argent que la famille a investi dans leur commerce a permis
aux membres demeurés dans la communauté d’acquérir une certaine indépendance
financière envers les migradollars pendant que le migrant continue d’économiser en vue
d’investir dans la production agricole à son retour. En plus de réduire la dépendance de la
famille envers le revenu migratoire, de tels investissements permettent aux familles de
diversifier leurs sources de revenus.
89
Figure 28 : Exemple d’une tienda construite à l’aide des migradollars à El Ixcán
David Tanguay (2006)
3.3.2. Investissements dans le capital humain Au-delà des investissements dans la production agricole et dans les commerces, nous avons
voulu savoir si une partie du revenu migratoire était également utilisée dans le
développement du capital humain. En effet, comme nous le spécifiions dans notre premier
chapitre, certains auteurs ont élargi la définition du concept d’investissements productifs
bien au-delà des simples aspects économiques (Conway et Cohen, 1998 ; Taylor, 1999 ;
Goldring, 2004), puisque l’argent utilisé pour l’éducation, l’alimentation et la santé
contribue autant au développement économique qu’humain (chapitre 1). Ainsi, les sommes
importantes utilisées pour les soins de santé ne peuvent être considérées comme non
productives, surtout dans un État ayant toujours le plus haut de taux de mortalité infantile
au pays (INEGI, 2006b)40. En leur permettant de reprendre une vie normale, l’argent utilisé
pour les soins de santé améliore la qualité de vie des individus, accroît leurs capacités
40 En 2006, le taux de mortalité infantile du Chiapas était de 23,3/1000, alors que la moyenne nationale était de 18,1/1000 (INEGI, 2006b). Les chiffres de la municipalité de Maravilla Tenejapa n’étaient pas disponibles.
90
physiques et mentales et augmente leur rendement au travail (Conway et Cohen, 1998).
Rappelons-nous ici le cas de Victor, fils de María, vu lors du premier chapitre. Alors que
celui-ci ne pouvait presque plus effectuer les travaux agricoles en raison de graves
problèmes arthritiques, l’argent que lui envoyait son frère Ernesto lui a permis d’avoir
accès à des soins auparavant hors d’accès. Avec de tels soins, il peut aujourd’hui continuer
de travailler sur la terre familiale et aider les siens, en substitution du père, absent depuis
qu’il est parti vivre avec une autre femme ailleurs au Chiapas.
Pour ce qui est l’éducation, les sommes investies sont bien inférieures à celles investies
dans la production agricole. Parmi les familles interrogées ayant des enfants en âge
scolaire, seulement un faible pourcentage ont investi dans les études post-primaires (tableau
9). Par contre, bien que l’argent investi en éducation semble à première vue infime, nous
pouvons toutefois voir une tendance à l’amélioration si on compare ces résultats à ceux qui
prévalaient dans la municipalité de Maravilla Tenejapa en 2000. À cette époque, seulement
20 pour cent de la population de 15 ans et plus de la municipalité avait terminé son
éducation primaire et seulement 5 pour cent l’éducation secondaire (INAFED, 2003). De
plus, le taux d’analphabétisme atteignait les 31 pour cent, dépassant la moyenne de l’État
(23 pour cent) qui était déjà la plus élevée au pays (Anzaldo et Prado, 2006). L’argent des
migrations a tout de même permis une nette progression dans ce domaine ; progression qui
pourrait se poursuivre, puisque certaines familles ayant de jeunes enfants ont révélé en
entrevue leur intention de financer l’éducation post-primaire de leurs enfants lorsque ceux-
ci seront plus âgés.
91
Tableau 9 : Les investissements en éducation 41
Pourcentage des familles ayant des enfants d’âge scolaire et ayant investi en éducation
Primaire
Secondaire
Preparatoria
ou collège
technique
Universitaire
Aucun
74 26 9 9 9
Échantillon : 23 familles
Les raisons qui peuvent expliquer la réticence de certaines familles à investir en éducation
sont nombreuses. D’abord, l’éducation post-primaire est dispendieuse, faute d’école à
proximité des communautés. Les parents désirant envoyer leurs enfants à l’école secondaire
doivent posséder les capacités financières (environ 30 dollars US par semaine) pour payer
le transport quotidien à la communauté de Maravilla Tenejapa, chef-lieu de la municipalité
du même nom, située à environ quinze kilomètres d’El Ixcán. Quant à l’université et au
collège les plus proches, ils se trouvent à Comitán de Dominguez. Devant de tels coûts
associés à l’éducation, plusieurs familles ne voient pas l’intérêt d’y investir des sommes
importantes, surtout que les opportunités d’emplois sont plutôt rares dans la région. Dans la
municipalité de Maravilla Tenejapa, le secteur primaire occupe toujours 80 pour cent de la
population active (INAFED, 2003). L’industrie n’y est que peu développée et le secteur
secondaire n’occupe que 4 pour cent de la population active (idem). Une diversification de
l’économie locale sera ainsi nécessaire pour inciter les individus à investir en éducation.
Conclusion de cette partie À la lumière de ces résultats, nous pouvons constater que les migrations s’avèrent être une
solution efficace aux problèmes agraires. Même s’il est vrai qu’une partie de l’argent est
canalisée pour satisfaire les besoins familiaux quotidiens et pour pallier aux imprévus,
l’argent des migrations permet néanmoins aux familles d’investir des sommes importantes
41 Si le total dépasse 100 pour cent, c’est parce que certaines familles ont des enfants étudiant à des niveaux différents.
92
dans la production, ce qu’elles n’auraient pu faire sans cette source de revenus. Le revenu
migratoire vient alors remédier au problème de l’accès au crédit qui touche grandement les
petits agriculteurs et qui constitue un solide frein aux investissements. Ces investissements
productifs viennent ainsi nuancer les propos de certains auteurs qui avancent que les
migrations peuvent entraîner de sérieux problèmes de dépendance envers les migradollars
(Reichert, 1981 ; Rubenstein, 1992). La théorie voulant que les migrations entraînent une
chute de la production agricole en incitant les familles à délaisser le mode de vie agraire
pour des emplois urbains mieux payés (Reichert, 1981 ; Delgado Wise et Rodríguez
Ramírez, 2005 ; Meza Merlos et Marquez Covarrubias, 2005) ne semblent pas s’appliquer
au contexte de la Selva Lacandona. Au contraire, l’argent des migrations leur donne plutôt
l’opportunité d’investir et ainsi acquérir les ressources nécessaires, par exemple l’élevage,
pour être en mesure de continuer à vivre selon ce mode de vie, et ce, malgré la crise
agricole.
D’un autre côté, il est certain qu’avec un pourcentage élevé de la population active absent
de la communauté, les migrations apportent aussi des effets pervers non négligeables,
surtout si les migrants ne reviennent pas : « Les migrants peuvent bâtir des maisons,
construire des systèmes d’aqueducs et même financer les fiestas, mais s’ils ne reviennent
pas dans la communauté, à quoi bon ? Un système local ne peut survivre s’il est construit
autour d’enfants et de vieillards et que la majorité des adultes est partie » (traduction libre
de l’auteur) (Cohen, 2004). Toutefois, le risque que la plupart des migrants s’établisse
définitivement dans le pays hôte semble plutôt faible, puisque plusieurs ont fait part de leur
intention de revenir dans leur communauté une fois leurs objectifs migratoires atteints.
Aussi, au-delà du simple discours des migrants, rappelons qu’une grande partie d’entre eux
a déjà commencé à investir, ce qui prouve leur intention réelle de revenir un jour dans leur
communauté (Conway et Cohen, 1998).
93
Chapitre 4. Une nouvelle ère pour le Chiapas ?
4.1. Des bienfaits pour l’ensemble de la communauté ?
4.1.1. Les exclus des courants migratoires À la lumière de ce que nous avons démontré lors du précédent chapitre, la contribution des
migrations au développement est indéniable. Toutefois, nos entrevues ne s’étant limitées
qu’aux familles bénéficiant de l’argent des migrations, nous n’avons pu évaluer ce qu’il en
était pour celles qui ne bénéficient pas de cette source de revenus. Des auteurs ont déjà
évoqué les problèmes reliés à un nouveau type d’exclusion sociale, désormais non plus
basé sur l’ethnicité, mais affectant plutôt les groupes domestiques qui ne peuvent prendre
part aux nouveaux courants migratoires (Gravel, à paraître).
En effet, les migrations ne sont pas accessibles à tous, et ce, autant pour des raisons
financières que familiales et sociales. Tout d’abord, traverser la frontière est un projet
dispendieux, entre autres en raison des coûts élevés reliés au service des coyotes, et
plusieurs n’ont tout simplement pas le capital nécessaire pour entreprendre le voyage
(Gravel, à paraître ; De Haas, 2005 ; Cohen, 2004). Ensuite, d’autres familles manquent de
ressources humaines, n’ayant aucun membre de la famille ayant l’âge requis, la santé ou les
capacités physiques nécessaires pour entreprendre le voyage (idem). Finalement, puisque
les liens transnationaux semblent quasi indispensables à la réussite des migrations, les
possibilités de réussite semblent réduites pour les familles n’ayant pas accès à ces réseaux
sociaux de migration (idem).
Pour ceux qui ne peuvent prendre part au courant migratoire, les effets des migrations
semblent mitigés. D’un côté, elles pourraient accentuer les inégalités sociales dans les
communautés. Depuis la réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine de 1992,
certains ejidatarios les mieux nantis en profitent pour agrandir leur superficie de propriété
au détriment de ceux éprouvant des difficultés financières (Harvey, 1998a). D’un autre
côté, certains auteurs avancent que les migrations ne mènent pas nécessairement à un
accroissement des inégalités sociales (De Haas, 2005). En dynamisant l’économie locale,
les migradollars entraînent des effets multiplicateurs dans la communauté, puisqu’il crée
94
une hausse de la demande des biens et services, ne limitant plus seulement les bénéfices de
l’argent des migrations aux familles bénéficiaires (Durand et al., 1996a et 1996b ; Taylor,
1999 ; De Haas, 2005). Des nouveaux emplois peuvent ainsi être créés, que ce soit en
agriculture, en éducation ou dans le domaine de la construction (figure 29) (Chimhowu et
al., 2005). Il faut toutefois spécifier que certains groupes, tels que les aînés, les mères
monoparentales et les individus qui ne peuvent travailler, restent en marge de ce
développement et souffrent du manque de protection de la part de l’État (Gravel, à
paraître).
Figure 29 : El Ixcán en construction
David Tanguay (2006)
Les effets des migradollars sur la qualité de vie des habitants ne participant pas aux
migrations étant aléatoires, nous pouvons nous questionner sur les façons d’élargir les
bienfaits de l’argent des migrations à l’ensemble de la communauté. Lors de nos entrevues,
nous n’avons pas eu connaissance de projets communautaires financés par des groupes de
migrants. Bien que les communautés d’El Ixcán et de Loma Bonita aient investi au cours
95
des cinq dernières années pour améliorer les services offerts aux habitants, tels que la
construction d’une école primaire à El Ixcán (entrevue avec le commissaire, 2006) ou la
construction d’un terrain de basketball et d’une maison ejidale42 à Loma Bonita (entrevue
avec des habitants de Loma Bonita, 2006), les migrants n’ont contribué que de manière
indirecte. Les deux communautés étant des ejidos, les coûts relatifs à ces investissements
sont partagés entre le gouvernement et l’ejido, où chaque ejidatarios débourse la même
somme. Les montants déboursés ne sont pas proportionnels au revenu familial et les
familles ne bénéficiant pas de l’argent des migrations doivent débourser les mêmes sommes
que celles qui en bénéficient. Notons toutefois que la part déboursée par les pobladores
(voir glossaire) est moindre que celle des ejidatarios.
Figure 30 : École à Loma Bonita
David Tanguay (2006)
42 Bâtiment accueillant les assemblées de l’ejido.
96
4.1.2. À quand les migradollars collectifs ? Ainsi, dans les deux communautés étudiées, l’argent des migrants n’a pas servi à financer
des projets communautaires. Pourtant, la contribution des migrants dans le financement de
tels projets est un phénomène de plus en plus fréquent au Mexique. Par conséquent, serait-il
possible d’envisager une optimisation des bienfaits de l’argent des migrations et voir la
contribution des migrants s’accentuer au cours des prochaines années avec l’arrivée de
« migradollars collectifs », comme cela se produit depuis longtemps dans des États du
Centre du Mexique ayant une tradition migratoire plus ancienne, par exemple au Zacatecas,
au Jalisco, au Michoacán et au Guanajuato (García Zamora, 2005 ; Goldring, 2005) ? Le
terme migradollars collectifs (collective remittances) est apparu dans la décennie 1990 en
référence aux initiatives de groupes de migrants qui accomplissent des œuvres destinées à
apporter des bénéfices sociaux dans leur communauté d’origine, par exemple avec la
construction de routes, de ponts, d’écoles et de réseaux d’aqueducs, l’assainissement des
eaux ou par l’achat d’ordinateurs ou de véhicules utilitaires tels qu’une ambulance
(Goldring, 2005). Alors qu’avant les années 1990, les migradollars étaient plutôt absents
des discours politiques, ces initiatives ont amené le gouvernement mexicain à s’intéresser
durant la décennie 1990 au potentiel que pouvait représenter l’argent des migrations dans le
développement économique et social des communautés. Ainsi, en 1998, le gouvernement a
mis sur pied dans l’État de Zacatecas le programme Tres por Uno (3 X 1) où pour chaque
dollar investi par le migrant, les trois paliers du gouvernement (fédéral, étatique et
municipal) s’engagent à fournir le même montant (García Zamora, 2005)43.
Toutefois, c’est surtout avec l’arrivée au pouvoir de Vicente Fox en 2000 que l’intérêt du
gouvernement envers le potentiel des migradollars va connaître un véritable essor
(Goldring, 2005). L’administration de Fox, qui qualifie de « héros » les migrants, va
insister sur la nécessité que les familles investissent de façon productive l’argent des
migrations afin de mieux combattre la pauvreté (Lozano Ascensio, 2005). En 2001, pour
encourager les investissements productifs, il modifie le Programme 3 X 1, qui devient le
Programme 3 X 1 Initiative citoyenne. Pour la première fois de son histoire, celui-ci se voit
attribuer un budget fixe. Le programme donne priorité aux « personnes qui habitent des
43 Le programme est d’abord né en 1993 au Zacatecas et était nommé programme 2 X 1, n’ayant pas encore la participation du gouvernement municipal.
97
localités en condition de pauvreté et qui requièrent l’amélioration des infrastructures de
base et le développement de projets productifs sélectionnés par les migrants » (ministère du
Développement social, www.sedesol.gob.mx)44. En 2002, devant le potentiel que représentait
le programme, celui-ci s’est étendu au-delà des frontières de l’État de Zacatecas pour
finalement englober 26 États en 2006 (ministère du Développement social, 2006). Pour sa
part, le Chiapas s’y est joint en 2004.
Tableau 10 : Répartition des types d’investissements accomplis (%) 45 (2002-2006)
Infrastructures de base
Infrastructures routières
Investissements productifs
Autres
56
16
4
24
Source : ministère du Développement social (2006)
Pour l’instant, ce programme donne des résultats plutôt satisfaisants. Tout d’abord, 44 pour
cent des municipalités qui ont bénéficié du programme entre 2002 et 2004 ont réussi à
réduire leur indice de marginalité (ministère du Développement social, 2006). Ensuite, plus
de 90 pour cent des œuvres accomplies en 2004 étaient toujours fonctionnelles et en bon
état en 2006. De plus, la quasi-totalité des municipalités et des personnes ayant bénéficié du
programme se sont dites satisfaites du résultat des œuvres réalisées. Finalement, tel que
l’affirmaient Delgado Wise et al. (2006), les bienfaits de l’accomplissement de projets
communautaires appuyés par les migradollars collectifs vont bien au-delà de la simple
construction d’infrastructures puisque ces projets sociaux donne naissance à une forme de
44 En 2007, le budget alloué au programme est de 220 millions de pesos (environ 22 millions dollars US) et le montant maximal alloué par projet est de 800 000 pesos (environ 80 000 dollars US) (ministère du Développement social, www.sedesol.gob.mx). 45 Infrastructures de base : eau potable, système d’égouts, écoles, centres de santé, électrification, etc. Investissements productifs : commercialisation, appui aux activités primaires, développement de la production et de la productivité, irrigation et développement des infrastructures nécessaires à l’élevage, etc. Autres : Infrastructures sportives, sites historiques et culturels, protection d’un territoire ou d’un cours d’eau, etc. (ministère du Développement social, 2006).
98
transnationalisme46, qui permet de développer des organisations transnationales de
migrants, d’offrir des opportunités de négociations entre ces organisations et les différents
paliers du gouvernement et de renforcer la culture de la transparence et de la reddition de
compte.
Pour ce qui est du Chiapas, bien que le programme y soit disponible depuis 2004, peu de
projets y ont été réalisés jusqu’à ce jour. En 2006, le Chiapas n’a bénéficié que de 1,15
pour cent du montant total47 des investissements provenant du programme, loin derrière
d’autres États tels que le Zacatecas et le Jalisco, qui ont à eux seuls accaparé plus de la
moitié des sommes allouées, soit 27 pour cent chacun (ministère du Développement social,
2006). Pour l’instant, plusieurs problèmes nuisent à l’expansion du programme au Chiapas.
D’une part, comme le mentionnait Carlos Miranda Videgaray, expert en migrations au
gouvernement du Chiapas, les Chiapanèques semblent réticents à bénéficier de ce
programme. Videgaray nous rappelait s’être fait répondre maintes fois : « Comment puis-je
faire confiance en un gouvernement qui m’a obligé à venir dans un autre pays pour trouver
un bon emploi ? » (Mandujano, 2006).
D’autre part, pour pouvoir bénéficier du programme, l’initiative doit provenir d’un
ensemble de migrants regroupé sous forme d’organisations ou de clubs officiels établis
dans le pays d’accueil. Au Mexique, entre 2002 et 2005, le nombre de ces clubs de
migrants a connu une hausse fulgurante, passant de 20 à 738 clubs (ministère du
Développement social, 2006). Or, les migrations étant un phénomène beaucoup plus récent
au Chiapas que dans les États du Centre du Mexique, les « clubs chiapanèques » se font
rares, puisque les migrants n’ont pas eu le temps de s’organiser et que peu d’entre eux ont
obtenu leur citoyenneté américaine (Villafuerte Solís et García Aguilar, 2006 ; ministère du
Développement social, 2006). Depuis quelques années, le gouvernement chiapanèque a
tenté de promouvoir la création de clubs de migrants, dont l’utilité va bien au-delà de la
46 Le concept de transnationalisme se réfère aux activités et aux liens sociaux et économiques étroits et réguliers qu’entretiennent des individus établis dans un pays d’accueil avec leur pays d’origine (Portes et al., 1999). Le transnationalisme englobe ainsi une multitude d’acteurs, comme les migrants, les communautés, les organisations de migrants ainsi que les différents paliers du gouvernement et fait aussi référence aux liens et aux réseaux sociaux qui les unissent. Voir aussi Orozco (2005) pour obtenir plus d’informations sur le rôle que joue le transnationalisme dans le développement en Amérique latine. 47 La part du montant investie au Chiapas a tout de même connu une progression importante, puisqu’elle n’était que de 0,3 pour cent en 2004 et de 0,45 en 2005 (ministère du Développement social, 2006).
99
simple accessibilité au Programme 3 X 1, puisqu’ils ont pour fonction de protéger les
intérêts des citoyens mexicains dans le pays étrangers (coordination des relations
internationales, 2006). Pour l’instant, il n’existe que quatre clubs de migrants chiapanèques,
alors qu’on en compte 139 au Zacatecas et 164 au Jalisco (ministère du Développement
social, 2006).
En sachant que les régions privilégiées par le programme sont celles ayant un taux de
migrations élevé et étant les plus pauvres et les plus marginalisées (Goldring, 2004), on
peut s’attendre à ce que le programme prenne de l’expansion au Chiapas au cours des
prochaines années, surtout si plusieurs clubs de migrants se créent parallèlement. Si les
migradollars collectifs s’y développent et sont appuyés par le Programme 3 X 1 Initiative
citoyenne, il sera intéressant de voir quels impacts ils auront sur le développement des
communautés, car bien que les migradollars collectifs représentent des sommes moins
importantes que les « migradollars familiaux »48, leur rôle dans le développement semble
indéniable, puisqu’ils sont entièrement destinés au développement des communautés
(Goldring, 2005). De plus amples études devront toutefois être effectuées pour mieux
mesurer les impacts des migradollars collectifs au cours des prochaines années dans le
développement des communautés au Chiapas.
4.2. L’intégration du Chiapas à l’économie internationale
4.2.1. Les migrations en tant qu’agent pacificateur du Chiapas Toutefois, un des principaux problèmes à l’expansion du Programme 3 X 1 Initiative
citoyenne à l’ensemble du Chiapas demeure l’impasse dans le processus de paix entre le
gouvernement fédéral et les Zapatistes. Depuis le refus du gouvernement fédéral de
respecter les Accords de San Andrés, les Zapatistes ont rompu le dialogue avec le
gouvernement et ont décidé de résister en exerçant l’autonomie par la voie des faits dans les
municipalités autonomes rebelles (chapitre 2). L’EZLN soutient que l’autonomie indigène
doit se construire en refusant toute collaboration avec le gouvernement. Les Zapatistes ont
48 Delgado Wise et al. (2006) ont estimé à 3,24 pour cent la part des migradollars collectifs sur le total des migradollars reçus au Mexique en 2004.
100
ainsi ordonné à leurs sympathisants de ne pas accepter l’argent et les programmes sociaux
et économiques provenant du gouvernement, comme le Programme 3 X 1 Initiative
citoyenne (Benítez Manaut et al., 2006 ; SIPAZ, 2005 ; Collier et Collier, 2005).
De son côté, dans sa stratégie pour résoudre le conflit, le gouvernement fédéral a tenté de
saper les appuis zapatistes en investissant massivement au Chiapas et en offrant des
programmes sociaux et économiques à la population et aux organisations sociales. Cette
stratégie a apporté certains résultats, puisque le mouvement zapatiste semble vouloir
s’essouffler depuis le tournant des années 2000. Déjà, à la fin des années 1990, la structure
verticale du pouvoir de l’EZLN avait entraîné certains abus de pouvoir du groupe qui avait
mené à des divisions internes et des conflits entre ses bases sociales et ses dirigeants
(Washbrook, 2005). Depuis, le refus de l’EZLN d’accepter les fonds du gouvernement a
engendré une série de conflits entre ses sympathisants et d’autres organisations indigènes,
autrefois alliées, qui ont maintenant choisi de collaborer avec le gouvernement (SIPAZ,
2007b ; Washbrook, 2005).
De plus, bien que le gouvernement de Fox (2000-2006) ait échoué à sa prétention de
« régler le conflit zapatiste en quinze minutes », la défaite du PRI aux élections
présidentielles de 2000 a donné une certaine légitimité aux institutions du gouvernement
mexicain (Washbrook, 2005). Ensuite, l’adoption de la Loi indigène par le PAN en 2001 a
affaibli considérablement le support populaire de l’EZLN (Benítez Manaut, 2006 ;
Washbrook, 2005). Depuis, la présence militaire a diminué et les gouvernements fédéral et
chiapanèque tentent de trouver de nouvelles solutions au conflit, entre autres en y
investissant massivement (Washbrook, 2005).
La décision des Zapatistes de refuser l’argent provenant du gouvernement a sérieusement
accentué la paupérisation des régions sous influence zapatiste (Collier et Collier, 2005 ;
Washbrook, 2005 ; Van Der Haar, 2005). Alors qu’une partie de plus en plus grande de la
population chiapanèque a accès au crédit ainsi qu’à d’autres appuis de la part du
gouvernement, les communautés zapatistes ne peuvent accéder aux services
gouvernementaux et doivent vivre d’autosubsistance (Van Der Haar, 2005 ; Bellinghausen,
2002) :
101
Ces villages sont aussi identifiables par leur plus grande précarité. Bien que leur fermeté et leur organisation collective rendent la chose moins évidente, les rebelles du Chiapas sont des pauvres parmi les plus pauvres. […] Dans les villages zapatistes, l’alimentation est très restreinte ; en ce qui concerne la construction, les maisons sont en bois le plus souvent, le peu d’argent va dans la tôle. Même ainsi, ils arrivent à construire des écoles primaires bilingues [maya-espagnol], des bibliothèques, des lieux de réunion, de petites cliniques dans lesquelles on trouve rarement un médecin. Ils tiennent depuis dix ans voire plus dans ces conditions […], ce qui leur a coûté des morts, des exils, la prison, des champs détruits, des rivières contaminées (Bellinghausen, 2002).
Ainsi, bien que les Zapatistes aient été à l’origine source d’espoir pour une grande partie de
la population chiapanèque aspirant à une société plus juste et démocratique, ils n’ont pas
été en mesure d’améliorer substantiellement les conditions de vie des populations rurales
(Washbrook, 2005)49. Depuis, plusieurs communautés autrefois zapatistes, lasses d’un
conflit qui n’apportait que peu de résultats, ont délaissé l’option de la lutte armée pour
tenter de trouver de nouvelles alternatives50 (Real Jovel, 2006 ; Ávila, 2005 ; ESTESUR,
2004). Depuis le début des années 2000, les migrations semblent être la principale solution
choisie par les Chiapanèques, devenant ainsi un important agent pacificateur permettant de
contenir le mécontentement social (Mariscal, 2006c ; Balboa, 2004).
Aujourd’hui, environ le tiers des familles chiapanèques bénéficient de l’argent des
migrations et le phénomène migratoire s’étend désormais à toutes les régions du Chiapas, y
compris celles sous influence zapatiste (Balboa, 2004 ; Mariscal, 2006c). Dans son exposé
« Las Cañadas : diez años después » (Las Cañadas51 : dix ans plus tard) fait dans le cadre
du congrès Chiapas : diez años depués (Chiapas : dix ans plus tard), Carmen Legorra
(2004) mentionnait qu’il se produit actuellement « une migration massive de rebelles
zapatistes aux États-Unis » et que certains membres de l’EZLN organisent même des
voyages en El Norte (dans le Nord) : « Ceux qui ne veulent plus continuer avec l’EZLN,
qui n’ont pas de terres et qui n’ont aucune autre alternative sont les principaux candidats à 49 Il faut toutefois nuancer nos propos en soulignant le rôle qu’a joué l’EZLN dans le processus de démocratisation du pays, en obligeant Salinas (1988-1994) et Zedillo (1994-2000) à accélérer les réformes démocratiques, ainsi que dans l’amélioration des droits autochtones. 50 Carmen Legorra, conseillère d’organisations indigènes dans la Selva Lacandona, avançait que dans cette région, il ne reste plus que 10 pour cent des appuis originaux de l’EZLN (Ávila, 2005) 51 Las Cañadas, qui signifient « les Gorges » en français, sont une sous-région de la Selva Lacandona.
102
se joindre aux migrations vers les États-Unis » (traduction libre) (Legorra, 2004, dans
ESTESUR, 2004).
En s’avérant être une nouvelle alternative efficace, les migrations pourraient-elles
contribuer à stabiliser politiquement l’État ? Si tel est le cas, cette nouvelle stabilité
pourrait-elle favoriser les investisseurs et ainsi créer des emplois qui pourraient par la suite
ralentir les migrations ? Pour l’instant, malgré les efforts considérables des gouvernements
de Fox et de Salazar de promouvoir le Chiapas comme une « Terre d’opportunités », trois
principaux obstacles font toujours hésiter les investisseurs à venir au Chiapas : l’instabilité
politique, le manque d’infrastructures et l’absence de main-d’œuvre qualifiée (Villafuerte
Solís 2003 et 2005).
En plus de favoriser une certaine stabilité politique dans un État où l’impasse politique a
rendu le territoire peu attrayant aux investisseurs, les migrations jouent aussi un rôle non
négligeable dans l’éducation et la formation des individus. En effet, outre qu’elles
permettent aux familles d’investir dans l’éducation de leurs enfants, les migrations
apportent également d’autres types d’éducation, tels que les « technical remittances » et les
« technological remittances » qui font référence aux différents types de savoirs et
compétences acquis en travaillant à l’étranger ou encore aux différentes technologies que le
migrant peut rapporter dans son pays d’origine (Goldring 2005 ; De Haas 2005). Dans bien
des cas, avant d’arriver dans le pays d’accueil, plusieurs migrants n’ont travaillé que dans le
secteur agricole. Dans le pays d’accueil, ils ont parfois la chance de bénéficier de séances
de formation et d’expériences de travail qui pourront leur permettre de se procurer des
emplois mieux rémunérés une fois revenus dans leur pays (Chimhowu et al., 2005). En
effet, au cours des dernières années, on a assisté à une plus grande diversification des
secteurs d’emploi occupés par les migrants aux États-Unis (Meza Merlos et Márquez
Covarrubas, 2005). Comme nous avons pu le constater lors de nos entrevues à El Ixcán et à
Loma Bonita, ces derniers ne travaillent plus seulement qu’en agriculture, mais également
dans certaines industries et dans les secteurs de la construction et des services.
De plus, travailler aux États-Unis est pour plusieurs une opportunité d’apprendre l’anglais,
ce qui peut s’avérer très utile pour obtenir un emploi dans le secteur des services une fois
de retour dans leur pays (Durand, 2005). Dans la Selva Lacandona, la maîtrise d’une langue
103
seconde telle que l’anglais pourrait favoriser l’obtention d’un emploi dans le secteur
touristique, puisque la région fait partie du Mundo Maya (Monde maya) (Machuca
Ramírez, 2005), projet d’intégration touristique regroupant toute la région « maya », soit le
Sud du Mexique, le Belize, le Guatemala, le Salvador et le Honduras. La Selva Lacandona
correspond au Couloir biologique méso-américain, jugé comme ayant l’une des
biodiversités les plus riches de la planète (idem). Depuis quelques années, plusieurs projets
ont d’ailleurs été entrepris dans la Selva Lacandona pour développer l’écotourisme (figure
31).
Figure 31 : Station écotouristique à El Ixcán52
David Tanguay (2006)
52 Cette station écotouristique, située dans la forêt tropicale de la réserve de la Biosphère de Montes Azules, est accessible depuis l’ejido d’El Ixcán. De l’ejido, le voyageur doit prendre une barque et effectuer un parcours d’environ quinze minutes sur le rio Lacantún pour finalement arriver à la station écotouristique. De là, plusieurs activités s’offrent aux visiteurs, telles que le canot, la randonnée pédestre et l’observation de la faune et de la flore. Des services de restauration et de location de barques sont disponibles à partir de l’ejido.
104
En ayant un rôle non négligeable dans la formation des individus et dans la pacification de
l’État, les migrations pourraient contribuer à attirer les investisseurs. Surtout qu’au cours
des dernières années, conformément au Plan Puebla-Panamá (voir section suivant), le
gouvernement a entrepris de gros investissements afin de développer les infrastructures de
l’État : « Nous développons des projets d’infrastructures qui permettent à votre entreprise
d’être hautement compétitive dans n’importe quel marché du monde vers où vous voulez
exporter vos produits » (ministère de Développement économique, 2007). Afin de réduire
les coûts de transport et ainsi favoriser le commerce et le tourisme en assurant une
meilleure intégration du Chiapas et du Sud-Sud-Est mexicain avec le reste du pays et
l’Amérique centrale, les gouvernements de Fox et de Salazar ont considérablement
augmenté les sommes destinées à développer le réseau routier, par exemple avec
l’inauguration du Puente Chiapas53 (pont Chiapas) en 2003 (figure 32) et avec la
construction d’une nouvelle route reliant San Cristóbal de las Casas à Tuxtla Gutiérrez.
Outre les investissements dans le réseau routier, d’autres investissements destinés à attirer
les investisseurs ont été faits au cours des dernières années, tels que la construction d’un
nouvel aéroport international à Tuxtla Gutiérrez, l’implantation de parcs industriels, ainsi
que des investissements dans le port de Puerto Chiapas sur le Pacifique destinés autant à
améliorer sa compétitivité d’un point de vue commercial qu’à lui donner une vocation
touristique en lui permettant d’être un terminal pour les croisières touristiques (ministère du
Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/). Ce terminal, qui est
fonctionnel depuis 2006, offre tous les services nécessaires requis pour ce type d’industrie
et veut ainsi devenir « la porte d’entrée du monde maya par le Pacifique »
(http://www.puertochiapas.com.mx/).
53 Le Puente Chiapas, qui traverse le réservoir du barrage Nezahualcóyotl, réduit la distance entre Tuxtla Gutiérrez et México D.F. d’environ 100 kilomètres. Ce pont permet ainsi de réduire la durée du voyage de 3 heures et demie, soit de 12 heures à 8 heures et demie (ministère des Communications et des Transports, 2006). Pour ce qui est de la route reliant San Cristóbal de las Casas à Tuxtla Gutiérrez, elle réduit le temps du voyage à seulement 50 minutes, alors qu’il était d’environ une heure et demie auparavant (ministère du Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/).
105
Figure 32 : Puente Chiapas
Source : ministère du Développement économique du Chiapas, http://www.sefoechiapas.gob.mx/
L’établissement de conditions propices aux investisseurs et la réponse de ces derniers
auront un rôle important pour l’avenir de la région. En effet, la situation géographique du
Chiapas lui confère un caractère stratégique, puisqu’il constitue la porte d’entrée en
Amérique du Nord pour l’Amérique centrale (Villafuerte Solís, 2003). En raison de cette
importance géopolitique, la pacification de la région est nécessaire à l’élaboration de
projets de développement de plus grande envergure, allant au-delà des frontières étatiques
et nationales, par exemple le Plan Puebla-Panamá.
4.2.2. Le Plan Puebla-Panamá : possible dans une zone à influence zapatiste ? Parmi les plans évoqués pour développer le sud du pays et pour attirer les investisseurs,
figure le Plan Puebla-Panamá (PPP), mis sur pied par Vicente Fox (PAN) peu après son
arrivée au pouvoir en 2000. Le PPP, qui touche à la fois sept pays d’Amérique centrale,
neuf États mexicains et la Colombie (figure 33), se veut un projet de développement et
d’intégration régionale visant à apporter dans la région « i) une croissance économique
106
équitable ; ii) une gestion durable des ressources naturelles ; iii) le développement humain
et social » (http://www.iadb.org/aboutus/II/re_ppp.cfm?language=French). Le plan prévoit entre
autres la concrétisation de 99 projets, dont huit sont déjà achevés, 50 en voie d’exécution et
41 en gestion de financement (http://www.planpuebla-panama.org/). Ces projets visent entre
autres la construction de nouveaux barrages hydroélectriques, l’augmentation de la
production de pétrole et de gaz naturel, le développement de l’industrie maquiladoras, la
construction et la rénovation des infrastructures routières et ferroviaires (voir partie
précédente), ainsi que le développement d’autoroutes électroniques, du commerce
d’électricité et de l’agroexportation. Le PPP veut aussi unifier d’autres projets d’envergure,
tels que le Corridor interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec et le projet touristique
Mundo Maya (voir plus haut) (Machuca Ramírez, 2005). Le montant total de ces
investissements est évalué à un peu plus de huit milliards de dollars (http://www.planpuebla-
panama.org/). Le gouvernement mexicain résume la mission du PPP ainsi :
Le Plan Puebla-Panamá cherche à promouvoir et à consolider le développement de la région Sud et Sud-Est du Mexique en implantant de manière accélérée et coordonnée des politiques publiques, ainsi que des programmes et des projets d'investissements publics et privés orientés, entre autres, vers le développement éducatif et social de la population, l’expansion et le développement intégré des secteurs d’infrastructures de base, la promotion et le développement d’activités productives, la modernisation et le renforcement des institutions locales et le développement technologique de la région (traduction libre de l’espagnol) (ministère des Relations extérieures, 2001).
Selon le gouvernement mexicain, ce projet pourrait contribuer à réduire les grandes
disparités qui persistent entre le Sud du pays, qui affiche un important retard de
développement, et le Centre et le Nord, nettement plus développés. Dans leur article El sur
también existe : un ensayo sobre el desarollo regional de Mexico54, des conseillers du
gouvernement avancent que ce retard de développement, qui n’est pas étranger à
l’instabilité politique née de l’insurrection zapatiste, est la conséquence des mauvaises
politiques publiques envers le Sud qui ont dominé la sphère politique mexicaine au cours
54 Traduction libre : Le Sud existe aussi : essai sur le développement régional du Mexique.
107
de la dernière moitié du 20e siècle (Dávila et al., 2002)55. Selon ces auteurs, malgré des
hausses substantielles des dépenses fédérales au Chiapas depuis l’insurrection zapatiste, le
retard est tel que ces investissements s’avèrent insuffisants56. La solution réside plutôt dans
un réexamen profond des politiques de développement régional du pays afin de rendre la
région plus attrayante pour les investisseurs, d’où l’importance de plans de développement
tels que le PPP.
Figure 33 : Régions incluses dans le Plan Puebla-Panamá
Réalisation : David Tanguay (2007)
55 Voir aussi Favre (1997) pour mieux connaître le contexte socio-économique ayant mené à la révolte de 1994. 56 Entre 1994 et 2000, les dépenses fédérales au Chiapas ont augmenté en moyenne de 5,4 % par année, plus de cinq fois la moyenne nationale qui était de 1,0 %. (Dávila et al., 2002).
108
Par contre, la faisabilité de ce projet est pour l’instant douteuse, puisque le Chiapas occupe
une position centrale au territoire couvert par le PPP et que celui-ci s’est heurté à de
farouches oppositions dans cet État. Selon les opposants au projet, la concrétisation du PPP
nécessiterait le délogement des habitants qui se trouvent à l’intérieur de la Réserve intégrale
de la Biosphère de Montes Azules ainsi que sur d’autres terres convoitées par les
entreprises transnationales (Machuca Ramírez, 2005 ; Moro, 2002). Une partie importante
du développement de ce projet se ferait d’ailleurs dans la Selva Lacandona, zone sous forte
influence zapatiste. Or, les Zapatistes, farouchement opposés à l’idéologie néolibérale57, ont
eux aussi dénoncé à maintes reprises ce projet portant les empreintes du néolibéralisme :
« Le plan Puebla-Panamá doit retourner à l’abîme, puisqu’en terres rebelles, nous ne
permettrons pas un tel plan. Cela dit, les Zapatistes ont à leur disposition les moyens et
l’organisation nécessaire pour empêcher la concrétisation du PPP. Ceci n’est pas une
menace, mais bien une prophétie » (Marcos, 2003). Pour les Zapatistes, la concrétisation du
PPP irait à l’encontre des Accords de San Andrés, puisque ce plan ne permettrait pas la
disposition collective des ressources naturelles et nécessiterait la privatisation des terres
communales et ejidales afin de garantir les contrats passés aux investisseurs (Moro, 2002) :
« Nous voulons l’autonomie indigène et nous l’aurons. Nous n’admettrons plus aucun
projet ni plan qui ignore nos volontés ; ni le plan Puebla-Panamá, ni le grand projet
transocéanique, ni rien qui signifie la vente ou la destruction de la Maison des Indiens, qui,
il ne faut pas l’oublier, fait partie de la Maison de tous les Mexicains » (Marcos, 2001, dans
Moro, 2002).
Or, malgré les avertissements de Marcos au sujet du PPP, les Zapatistes ont-ils toujours les
capacités d’empêcher la concrétisation de tels projets ? Comme nous l’avons vu
précédemment, l’autonomie tant désirée et exercée par la voie des faits a appauvri
considérablement les communautés zapatistes. Aujourd’hui, plusieurs choisissent de
délaisser la lutte armée pour trouver d’autres solutions beaucoup plus lucratives, dont les
migrations aux États-Unis. Dans cette optique, est-il possible que les migrations puissent
contribuer à la concrétisation de plans de développement tels que le PPP en favorisant la
stabilisation politique du territoire chiapanèque ? De plus amples études devront être
57 Voir la Sixième déclaration de la Selva Lacandona (EZLN, 2005).
109
entreprises au cours des prochaines années pour suivre l’évolution des multiples plans de
développement incorporés dans le PPP. Toutefois, il est clair que l’accalmie actuelle
apportée par les migrations a créé un climat socio-politique beaucoup plus favorable à de
tels projets que celui qui prévalait durant la deuxième moitié de la décennie 1990. Dans ce
contexte, il est fort probable que la réponse de la société civile dépendra de la réelle bonne
volonté du gouvernement.
En théorie, ce plan devrait « favoriser l’intégration et encourager le dialogue entre les
autorités et la société civile afin de consolider une idée commune du développement social
et économique » (http://www.iadb.org/aboutus/II/re_ppp.cfm?language=French). De plus, dans le
document présentant le plan intitulé Plan Puebla-Panamá, documento base. Documento
ejecutivo, capítulo México de 2001, le gouvernement mexicain mentionnait que les
nouvelles politiques publiques auront pour objectifs de « renforcer les traditions culturelles
de la région et de respecter les droits des peuples indigènes » (traduction libre) (ministère
des Relations extérieures, 2001). Par contre, selon Moro (2002), malgré le discours
favorable au respect des traditions autochtones, il est peu probable que le PPP ait
l’approbation des populations indigènes habitant ce territoire, puisque le mode de
développement préconisé par le PPP va à l’encontre du mode de vie auquel elles aspirent :
« Elles n’entendent pas voir leurs terres occupées par de vastes monocultures d’eucalyptus
(désastreuses pour l’environnement) et de palme africaine, par des plantes transgéniques
d’exportation développées au mépris de la sécurité alimentaire du pays et refusent la
privatisation de ces terres, « nécessaire » à la construction des voies interocéaniques et
« indispensable » pour sécuriser les investisseurs ». Plusieurs autochtones craignent que
cette privatisation des terres ejidales et communales puisse fracturer les traditions
collectives de solidarité qui existent entre les communautés (Moro, 2002). En ce sens,
Montemayor (2001) expliquait que pour les communautés autochtones, la terre représente
beaucoup plus qu’une simple activité commerciale :
La terre n’est pas simplement une question de productivité et de compétitivité : c’est la base essentielle de leur connaissance de la vie ; c’est le sol qui les attache à cette vie, qui les unit au monde invisible et au monde visible, qui les unit avec la communauté ancestrale des hommes et des dieux. C’est le sol qui recèle la racine de leurs valeurs éthiques, économiques et familiales et qui est le support de leur culture. Pour la terre,
110
ils sont capables de soutenir, de protéger ou de participer à un mouvement armé qui ose affronter le gouvernement et l’armée (Montemayor, 2001).
Toutefois, se pourrait-il que les migrations apportent aussi des changements notables dans
les modes de vie et les idéologies des autochtones ? Selon le COESPO, plus de 65 pour
cent des migrants Chiapanèques sont autochtones, âgés pour la plupart entre 15 et 35 ans
(Pickard, 2006). Or, les migrations entraînent bien souvent avec elles des social
remittances, c’est-à-dire des changements dans les pratiques sociales, les idées, les valeurs,
ainsi que dans les croyances et les traditions (Levitt, 1998). Jorge Cruz Burguete, chercheur
au Collège de la Frontière Sud (ECOSUR), mentionnait que des changements dans les
modes de vie ont déjà commencé à être observés dans les communautés autochtones au
cours des dernières années, entre autres dans les habitudes alimentaires et vestimentaires
(Balboa, 2004 ; SIPAZ, 2007c). Alors qu’autrefois, les habitants des communautés
autochtones avaient bien souvent un niveau de vie similaire, ceux qui bénéficient désormais
de l’argent des migrations adoptent des nouvelles habitudes de consommation qui poussent
d’autres personnes à émigrer à leur tour, animées elles aussi par un désir d’accéder à ce
confort matériel (SIPAZ, 2007c.).
Ces changements dans les habitudes de consommation risquent de perturber les
communautés zapatistes, qui sont elles aussi touchées par les migrations, mais qui rejettent
les valeurs reliées à la société de consommation. Avec leur désir d’autonomie, les
dirigeants zapatistes veulent réduire leur dépendance envers les produits provenant de
l’extérieur et parvenir à l’autoconsommation en diversifiant leur production (SIPAZ, 2005).
Ainsi, ils aspirent éventuellement à cesser de consommer les produits provenant des
entreprises transnationales : « Nous n’avons pas encore pu l’éviter parce qu’il manque un
processus de prise de conscience de nos peuples. Ça nous donne envie à tous. Nous avons
soif et nous prenons un Coca-Cola. Nous mangeons des Sabritas. Plus tard, nous espérons
pouvoir nous organiser pour arrêter de consommer ce type de produits. Mais le faire est
quelque chose de difficile » (Comité de Bon gouvernement de Morelia dans SIPAZ, 2005).
111
Parallèlement aux changements dans les habitudes de consommation, la non-conformité
face à la vie en communauté s’accroît à mesure que les migrations prennent de
l’importance. Bien souvent, une fois de retour, les jeunes migrants s’impliquent activement
dans les décisions concernant leur communauté et remettent en question l’organisation
communautaire traditionnelle et les décisions des anciens, ce qui peut occasionner des
conflits entre ceux ayant une vision plus « moderniste » et les partisans d’une vision plus
« traditionaliste » (Balboa, 2004 ; Molina Ramírez, 2006). En réponse à ce problème,
certaines communautés autochtones ont fait un effort pour tenter de mieux réintégrer les
jeunes migrants à la vie communautaire : « on leur propose de travailler comme autorité
pour qu’ils n’oublient pas comment travailler en collectif. Tous n’acceptent pas » (SIPAZ,
2007c).
Malgré les conséquences néfastes que peuvent engendrer de tels changements de mentalité
sur les liens de solidarité qui existent entre les habitants des communautés, le nouveau désir
de modernité pourrait amener les populations rurales à être plus enclines à accepter des
projets de développement dans la région, même si ceux-ci remettent en question certains
aspects de leurs traditions. Déjà, malgré l’opposition des Zapatistes envers le PPP, le
gouvernement mexicain nie le fait que l’EZLN puisse représenter une réelle menace à la
concrétisation du PPP. Lorsqu’il fut questionné sur la question, Fox répondit : « [L]a
question zapatiste n’est plus un problème pour le Mexique. En fait il n’y a plus de conflit,
nous vivons dans une sainte paix » (La Prensa Grafíca, 2001 dans Moro, 2002). De plus,
lorsqu’il évoque dans son document Plan Puebla-Panamá, documento base. Documento
ejecutivo, capítulo México les menaces et les difficultés relatives à la concrétisation du
projet dans la région, le gouvernement mexicain ne fait aucunement mention de l’EZLN
(ministère des Relations extérieures, 2001).
Notons toutefois que, selon Hodge et Coronado (2006), malgré leur affaiblissement, les
Zapatistes représentent toujours l’obstacle le plus important à la réalisation du PPP,
puisqu’ils ont largement prouvé au cours des dernières années leur grande capacité à
mobiliser la population mexicaine contre des projets qualifiés de « néolibéraux ». Selon ces
auteurs, le gouvernement fédéral est bien conscient de cette menace, mais préfère la nier
afin de ne pas effrayer les investisseurs. Rappelons-nous qu’en tant que preuve de
112
l’incapacité du gouvernement d’instaurer un climat politique stable, la crise politique de
1994 a fait hésiter les investisseurs qui se demandent toujours si le gouvernement sera
véritablement en mesure de livrer et de respecter les politiques promises (Hodge et
Coronado, 2006). Pour l’instant, peu d’investisseurs ont pris le risque d’investir au Chiapas
et encore moins dans la Selva Lacandona. L’évolution du climat sociopolitique sera donc
déterminante pour l’avenir de la région.
113
Conclusion
Le Chiapas change. Si les trois dernières décennies ont été marquées par un climat
d’instabilité qui a connu son apogée avec le soulèvement zapatiste, le climat politique
semble vouloir se stabiliser. En effet, bien que les luttes agraires aient finalement réussi à
assurer une meilleure répartition de la terre (bien que des conflits persistent encore
aujourd’hui), l’instabilité politique a nuit au développement du secteur ejidal et a
grandement ralenti sa productivité. Pour cette raison, plusieurs agriculteurs ont eu de la
difficulté à s’adapter au retrait de l’État de l’agriculture et à la compétition des produits
agricoles étrangers qu’ont engendrés les réformes néolibérales des décennies 1980-1990.
Ainsi, lorsque les principales cultures d’État, dont entre autres le café et le maïs, ont
successivement connu des crises, plusieurs se sont retrouvés dans l’obligation de délaisser
leur terre afin de trouver d’autres alternatives, dont, entre autres, la migration (chapitre 2).
Les villes chiapanèques n’offrant que peu d’emplois, les travailleurs ont vite traversé les
frontières de l’État pour finalement atteindre les États-Unis au cours de la décennie 1990.
Le travail aux États-Unis étant très lucratif, les migrations internationales ont pris une
ampleur phénoménale depuis le tournant de 21e siècle, comme le témoigne le départ de
dizaines de milliers de Chiapanèques qui entreprennent le long voyage chaque année au
péril de leur vie.
Lors de cette recherche, notre objectif principal était de vérifier si l’argent des migrations
peut être une solution efficace à long terme à la crise agricole qui sévit au Chiapas. Bien
qu’il faille nuancer nos propos en raison d’un échantillon limité, les résultats obtenus lors
de notre étude de cas d’El Ixcán et de Loma Bonita démontrent que les migrations sont une
solution efficace puisqu’en plus d’offrir une sécurité financière aux familles se trouvant
dans une situation économique précaire, elles améliorent la qualité de vie à long terme des
habitants en favorisant le développement économique et humain des communautés. Au-
delà des problèmes de dépendance et d’exode de la population active qu’elles peuvent
engendrer, les migrations donnent l’opportunité aux habitants d’investir, entre autres dans
la santé, l’éducation, les commerces et la production agricole, et leur permettent ainsi
114
d’acquérir les ressources nécessaires afin d’être mieux outillés pour survivre dans le
contexte néolibéral.
Toutefois, il faut également spécifier que les migrations internationales ne sont pas
exemptes de conséquences néfastes. Parmi celles-ci, mentionnons les nombreuses
conséquences sociales que peuvent engendrer les absences prolongées découlant des
migrations dont nous n’avons malheureusement que trop peu parlé lors de ce mémoire,
faute d’espace. Des mères se retrouvent à élever seules leurs enfants durant de longues
périodes, tel que nous le mentionnait une d’entre elles dont le conjoint est parti depuis
maintenant huit ans. Des pères n’ont jamais vu leur enfant, étant partis avant
l’accouchement de leur femme, et plusieurs grands-parents n’ont jamais vu leurs petits
enfants, n’ayant que le téléphone pour communiquer avec eux. Aussi, les migrations
peuvent aussi engendrer de véritables tragédies, comme ce fut le cas pour des parents qui, à
la suite du départ de leur fils adoptif âgé de 18 ans, n’ont plus jamais eu de nouvelles de
celui-ci. Ils sont aujourd’hui persuadés qu’il a trouvé la mort en traversant le désert.
En raison de ces nombreuses conséquences sociales néfastes, nous croyons que, malgré
tous les effets positifs qu’apportent les migradollars sur la qualité de vie des familles, les
migrations ne peuvent demeurer l’unique solution aux problèmes socioéconomiques et ne
doivent en aucun cas venir substituer les politiques publiques destinées à favoriser le
développement économique et social (Delgado Wise et al., 2006). Au contraire, les
migrations doivent être accompagnées de politiques publiques destinées à 1) améliorer
les conditions de vie en milieu rural et diminuer les inégalités sociales ; 2) favoriser la
création d’emplois et 3) combattre le racisme envers les populations autochtones.
Dans un premier temps, puisque la majorité de la population chiapanèque vit toujours en
milieu rural, il est essentiel que le gouvernement réinvestisse en agriculture. Dans un récent
rapport sur la situation économique du Mexique, la Banque mondiale soulignait que, loin
d’avoir réduit les inégalités sociales au pays, la restructuration économique entreprise par le
gouvernement fédéral depuis 1982 a aggravé les disparités économiques et sociales entre
les régions du pays et porté préjudices aux plus démunis (Gonzalez Amador, 2007). Au
Chiapas, les mauvaises politiques publiques ainsi que les conflits agraires qui ont paralysé
le développement du secteur agricole ont rendu difficile l’adaptation aux réformes
115
entreprises lors des deux dernières décennies, comme en témoigne l’émigration massive
des Chiapanèques qui a lieu depuis le tournant des années 2000. Pour cette raison, en plus
de faciliter l’accès à la terre, un réinvestissement en agriculture, par exemple sous forme
d’appui à la production et à la commercialisation, d’octroi de crédits et de financement des
infrastructures destinées à moderniser et à industrialiser l’agriculture afin d’augmenter sa
productivité, sera nécessaire pour réussir à contrôler l’émigration au Chiapas (Villafuerte
Solís et al., 2002). De telles mesures sont importantes, car ce n’est que lorsque les
politiques publiques amélioreront les conditions en milieu rural qu’il sera de plus en plus
facile pour les familles paysannes d’utiliser les migradollars de façon productive (Goldring,
2005), puisqu’elles pourront réduire la partie des migradollars canalisée dans la satisfaction
de leurs besoins essentiels. Aussi, il est important que le gouvernement encourage les
migrants et les familles à investir de façon productive en appuyant financièrement les
initiatives des migrants et en investissant davantage dans des programmes favorisant le
développement au moyen des migradollars, tel que l’Initiative citoyenne 3 X 1, afin
d’étendre le plus possible les bienfaits à l’ensemble de la communauté.
D’un autre côté, l’importante croissance démographique qu’a connue le Chiapas au cours
des trois dernières décennies a créé une véritable pression sur la terre et cette dernière ne
peut à elle seule satisfaire l’ensemble des Chiapanèques. L’intense colonisation qu’a subie
la Selva Lacandona au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle a réduit
considérablement les terres disponibles, en plus de causer de sérieux dommages
environnementaux (Favre, 1997) (chapitre 2). Bien que le gouvernement ait tenté de
s’attaquer au problème de la déforestation en créant des aires protégées, comme la Réserve
intégrale de la biosphère de Montes Azules, ces mesures n’ont pu empêcher des dizaines de
milliers de Chiapanèques, confrontés à un système économique qui ne génère que très peu
d’emplois, de migrer en direction de la Selva Lacandona à la recherche d’une terre à
cultiver. En revanche, les menaces de délogement des populations qu’ont entraîné la
création de telles réserves et l’institution de la Communauté lacandone en 1972 (chapitre 2)
n’ont fait qu’exacerber les frustrations « d’une population à laquelle semble refusé le point
de chute qu’elle est venue trouver dans un endroit perdu » (Favre, 1997).
116
En raison de cette pression démographique sur la terre, il est fort probable que des
investissements en agriculture et qu’une modernisation du secteur agricole, quoique
essentielles, ne puissent régler à eux seuls les problèmes socio-économiques du Chiapas.
En effet, si les migrations internationales ont pris une telle importance au Chiapas au cours
des dernières années, c’est parce qu’il n’y a que peu d’alternatives autres que le travail de la
terre. Pour cette raison, nous croyons que les gouvernements étatique et fédéral doivent
parallèlement s’efforcer de créer de l’emploi, par exemple en encourageant les PME en
facilitant l’accès au crédit et en tentant d’attirer les investisseurs. Il faut admettre que, tel
que nous l’avons vu lors du quatrième chapitre, le gouvernement a fait de véritables efforts
depuis le début du nouveau millénaire pour attirer les investisseurs, notamment en
investissant massivement dans les infrastructures de l’État et en mettant sur pied des plans
d’envergure, tels que le Plan Puebla-Panamá. Puisque le Chiapas est situé dans un
emplacement géographique stratégique et qu’il bénéficie de nombreuses ressources
naturelles, ces investissements pourraient contribuer à la création d’emplois dans un avenir
prochain en rendant le Chiapas plus attrayant pour les investisseurs. Toutefois, malgré de
telles démarches de la part du gouvernement, il est clair qu’il lui sera très difficile d’attirer
les capitaux étrangers tant et aussi longtemps qu’il ne réussira pas à rétablir une paix
durable au Chiapas.
En effet, bien que la situation politique soit moins chaotique qu’elle ne l’était au cours de la
deuxième moitié de la décennie 1990, le mouvement zapatiste a certainement toujours les
capacités de s’opposer aux projets du gouvernement. Ce conflit a souligné les défis que
devra surmonter le gouvernement mexicain quant à l’intégration des populations
autochtones, dans une nation où les « pratiques politiques passées ont créé de vastes
inégalités économiques et développé une structure sociale fortement hiérarchisée d’un point
de vue ethnique » (traduction libre) (Bénitez Manaut et al., 2006). Afin de trouver une
solution durable au conflit, la nation mexicaine devra entreprendre un véritable débat quant
aux droits des populations autochtones, un sujet qui fut largement débattu à la suite de
l’insurrection zapatiste et des négociations de San Andrés, mais qui n’a jamais été résolu et
qui semble avoir été relégué aux oubliettes. Au Chiapas, cette discrimination économique
et politique envers les populations autochtones est encore plus prononcée que nulle part
ailleurs au Mexique (Bénitez Manaut et al., 2006). Pour cette raison, la résolution du conflit
117
devra passer par un dialogue proactif entre tous les acteurs concernés afin de comprendre
les causes profondes ayant menées à l’insurrection et pour tenter de trouver des solutions,
ce qui nécessitera de « l’imagination, de la persévérance et du courage politique » (idem) et
impliquera nécessairement que toutes les parties, y compris les Zapatistes, fassent des
concessions.
Ces derniers ont clairement laissé savoir qu’ils ne reprendraient pas les négociations tant et
aussi longtemps que le gouvernement ne respectera pas les Accords de San Andrés.
Pourtant, l’EZLN doit réaliser que le développement de leurs communautés implique
nécessairement de mettre un terme au conflit. D’autant plus que, pour l’instant, la stratégie
du gouvernement a été d’investir massivement afin de développer la région et d’ainsi saper
les appuis de l’EZLN. Déjà, comme nous l’avons vu lors du quatrième chapitre, plusieurs
agriculteurs, fatigués d’un conflit qui n’a su améliorer leurs conditions de vie, délaissent
l’EZLN pour tenter de trouver d’autres alternatives beaucoup plus lucratives, telles que les
migrations. Plusieurs pourraient être donc plus enclins à accepter des projets du
gouvernement. Pour sa part, le gouvernement profitera fort probablement de cette accalmie
apportée par les migrations pour mettre en place avec la collaboration d’investisseurs privés
des projets de développement, dont ceux inscrits dans le Plan Puebla-Panamá.
Toutefois, malgré cette relative pacification des dernières années, la façon dont les
gouvernements fédéral et chiapanèque mettront en œuvre leurs plans de développement
sera déterminante pour l’avenir du Chiapas. Dans son Plan Puebla-Panamá, documento
base. Documento ejecutivo, capítulo México de 2001, le gouvernement mexicain soulignait
l’importance que le développement du Chiapas se construise selon des mécanismes de
consultation continue qui intégreraient « la participation des communautés indigènes, des
peuples, des organisations civiles, des industriels et des différents paliers des
gouvernements » (traduction libre) (ministère des Relations extérieures, 2001). Le plan
mentionne même que les nouvelles politiques publiques porteront « une attention spéciale
au développement intégral des communautés et des populations autochtones » (traduction
libre) (ministère des Relations extérieures, 2001).
Or, si les communautés concernées ne sont pas consultées et que le développement de la
région se fait à l’aide d’une militarisation, d’expropriation et de délogement des
118
populations occupant la région (Machuca Ramírez, 2005), il est fort possible de voir une
recrudescence des mouvements d’opposition, par exemple l’EZLN, et par conséquent une
détérioration du climat politique. Encore récemment, le gouvernement de Calderón a
annoncé au moyen d’un décret présidentiel l’expropriation de plus de 14 096 hectares de
terres appartenant à la communauté Lacandon pour les « destiner à la création d’une
nouvelle aire de protection des ressources naturelles » (Bellinghausen, 2007). Cette
expropriation a créé l’émoi chez certaines organisations autochtones, telles que la
COMPITCH, qui ont accusé de trahison la communauté Lacandon pour avoir contribué à
légaliser une expropriation en acceptant une compensation financière alors que les
Lacandons n’occupaient même pas ce territoire (idem).
Bref, tel que le spécifiait Villafuerte Solís (2003), le Chiapas est appelé à changer au cours
des prochaines années, puisqu’il bénéficie désormais d’une importance géopolitique, étant
situé au cœur d’une région supranationale en voie de développement. Pour l’instant, en
favorisant le développement économique et humain à l’échelle locale, les migrations sont
devenues un puissant agent pacificateur permettant de contenir les luttes sociales à l’échelle
régionale. Ainsi, au-delà du développement local, les migrations contribuent actuellement à
instaurer les conditions nécessaires à un développement économique à l’échelle régionale,
étatique et voire même nationale et supranationale. De quelle façon le gouvernement
mettra-t-il en œuvre ses plans de développement ? Comment la population réagira-t-elle ?
Voilà quelques questions qui nous rappellent que de plus amples études devront être
entreprises pour suivre et analyser l’évolution du Chiapas au cours des prochaines années.
119
Bibliographie
ANTONIO ROMAN, Jose (2006) Fox propició una devaluación sin precedente de la política exterior. La Jornada, 27/11/2006. http://www.jornada.unam.mx/2006/11/27/index.php?section=politica&article=020n1pol
ANZALDO, Carlos et Minerva PRADO (2005) Índices de marginación, 2005. CONAPO, Mexico. http://www.conapo.gob.mx/publicaciones/indice2005.htm
APPENDINI, Kristen (1998) Changing Agrarian Institutions: Interpreting the Contradictions. Dans Wayne A. Cornelius et David Myhre (coord.) The Transformation of Rural Mexico : Performing the Ejido Sector. San Diego, Center for U.S.-Mexican Studies, pp. 25-38.
ÁVILA, Antonio O. (2005) La otra campaña del subcomandante, El País, 20/12/2005. http://www.elpais.com/articulo/internacional/campana/subcomandante/elpepuint/20051220elpepuint_2/Tes
BALBOA, Juan (2004) La migración de Chiapas hacia EU se agudizó con Fox y Salazar : expertos, La Jornada, 11/10/2004. http://www.jornada.unam.mx/2004/10/11/018n1pol.php?origen=politica.php&fly=1
BASCHET, Jérôme (2002) L’étincelle zapatiste : insurrection indienne et résistance planétaire. Paris, Denoël.
BARTRA, Armando (2005) Sur en la encrucijada. Dans Juan Manuel Sandoval Palacios et Raquel Álvarez de Flores (coord.) Integración latinoamericana, fronteras y migración : los casos de México y Venezuela. Mexico, D.F., Plaza y Valdés, pp. 147-165.
BEAUCAGE, Pierre (2007) De la Baie James au Kollasuyo : Les voies multiples de l’autonomie autochtones, RISAL. http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=2154
BELLINGHAUSEN, Herman (2002) Mexique : L’autonomie, une forme de patience. RISAL, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=415
BELLINGHAUSEN, Hermann (2005) La emigración de Chiapas a EU arrasa comunidades e individuos. La Jornada, 25/01/2005. http://www.jornada.unam.mx/2005/01/25/017n1pol.php
BELLINGHAUSEN, Hermann (2007) Rechazan en Ocosingo decreto que expropria terrenos en la Lacandona. La Jornada, 13/05/2007, p. 17.
BENÍTEZ MANAUT, Raúl et al. (2006) Frozen Negociations : The Peace Process in Chiapas. Mexican Studies/Estudios Mexicanos, 22 (1) : 131-151.
BRODHAG, Christian et al. (2004) Dictionnaire du développement durable. Sainte-Foy, Multimondes.
BURCH, Sally (2003) Mexique : des « Aguascalientes » aux « Caracoles », RISAL. http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=591
CENTRE DE SANTÉ EL IXCÁN (2006) Censo mes de mayo 2006. Ministère de la Santé. CHIMHOWU, Admos O. et al. (2005) The Socioeconomic Impact of Remittances on
Poverty Reduction. Dans Samuel Munzele Maimbo et Dilip Ratha (coord.) Remittances : Development Impact and Future Prospects. Washington, The
120
International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, pp. 83-102.
COESPO (2002). Maravilla Tenejapa : Diagnóstico sociodemográfico y económico. Tuxtla Gutiérrez, COESPO.
COHEN, Jeffrey (2004) The Culture of Migration in Southern Mexico. Austin, University of Texas Press.
COHEN, Jeffrey H. et Leila RODRIGUEZ (2005) Remittance Outcomes in Rural Oaxaca, Mexico : Challenges, Options, and Opportunities for Migrant Households. Population, Space and Place, 11 (1) : 49-63.
COLLIER, George A. et Jane F. COLLIER (2005) The Zapatista Rebellion in the Contexte of Globalization. The Journal of Peasant Sudies, 32 (3-4) : 461-483.
CONROY, Michael E. et Sarah Elizabeth WEST (2000) The Impact of NAFTA and the WTO on Chiapas and Southern Mexico. Dans Richard Tardanico et Mark B. Rosenberg (coord.) Poverty or Development : Global Restructuring and Regional Transformations in the U.S. South and the Mexican South. New York, Routledge, pp. 41-55.
CONSTANT, Amélie et Douglas S. MASSEY (2002) Return Migration by German Guestworkers : Neoclassical Versus New Economic Theories. International Migration, 40 (4) : 5-38.
CONWAY, Denis et Jeffrey H. COHEN (1998) Consequences of Migration and Remittances for Mexican Transnational Communities. Economic Geography, 74 (1) : 26-44.
CORNELIUS, Wayne A. (1998) Ejido Reform: Stimulus or Alternative to Migration? Dans Wayne A. Cornelius et David Myhre (coord.) The Transformation of Rural Mexico : Performing the Ejido Sector . San Diego, Center for U.S.-Mexican Studies, pp. 229-246.
CRUZ BURGUETE, Jorge Luis et Patricia ROBLEDO HERNÁNDEZ (2001) De la selva a la ciudad: la indianización de Comitán y Las Margaritas, Chiapas. Revista mexicana de ciencias políticas y sociales, 183 (44) : 133-155.
CUARTO PODER (2006) Revés a los migrantes. 22/06/2005. DABÈNE, Olivier (2006) Atlas de l’Amérique latine : Violences, démocratie participative
et promesses de développement. Paris, Éditions Autrement. D’AGOSTINO, Serge (2002) Dictionnaire des sciences économiques et sociales. Rosny-
sous-Bois, Bréal éditions. DÁVILA, Enrique et al. (2002) El Sur también existe : un ensayo sobre el desarrollo
regional de México. Ministère des Relations extérieures. http://portal.sre.gob.mx/ppp/pdf/ELSURTAMBIENEXISTE.pdf
DE HAAS, Hein (2005) International Migration, Remittances and Development: Myth and Facts. Third World Quaterly, 26 (8): 1269-1284.
DE JANVRY, Alain et al. (1997) Mexico’s Second Agrarian Reform : Household and Community Responses, San Diego, Center for U.S.-Mexican Studies.
DELGADO WISE, Raúl et Héctor RODRÍGUEZ RAMÍREZ (2001) The Emergence of Collective Migrants and their Role in Mexico’s Local and Regional Development. Canadian Journal of Development Studies, 22 (3) : 747-764.
DELGADO WISE, Raúl et Héctor RODRÍGUEZ RAMÍREZ (2005) Los dilemas de la migración y el desarrollo en Zacatecas : el caso de la región de alta migración internacional. Dans Raúl Delgado Wise et Beatrice Knerr (coord.) Contribuciones
121
al análisis de la migración internacional y el desarrollo regional en México. México D.F., Universidad Autónoma de Zacatecas, pp. 171-192.
DELGADO WISE et al. (2006) México en la órbita de la economía global del trabajo barato : dependencia crítica de las remesas. Revista THEOMAI, 14 : 110-120.
DURAND, Jorge (2005) Ensayo teórico sobre la migración de retorno : el principio del rendimiento decreciente. Dans Raúl Delgado Wise et Beatrice Knerr (coord.) Contribuciones al análisis de la migración internacional y el desarrollo regional en México. México D.F., Universidad Autónoma de Zacatecas, pp. 309-318.
DURAND, Jorge et Douglas S. Massey (1992) Mexican Migration to the United States : A Critical Review. Latin American Research Review, 27 (2): 3-42.
DURAND, Jorge et al. (1996a) International Migration and Development in Mexican Communities. Demography, 33 (2) : 249-264.
DURAND, Jorge et al., (1996b) Migradollars and Development : A Reconsideration of the Mexican Case. International Migration Review, 30 (2) : 423-444.
DURAND, Jorge et al., (2001) Mexican Immigration to the United States : Continuities and Changes. Latin American Research Review, 36 (1) : 107-127.
EL MUNDO (2006) Bush y Calderón acuerdan trabajar para frenar la inmigración ilegal de México a EEUU, 10/11/2006.
ESTESUR (2004) Chiapas sigue hacia atras, con todo y zapatismo : Carmen Legorreta, 29/08/2004. http://www.estesur.com/palabra.jsp?id=144&pagenum=14&palabraid=33
ESTEVA, Gustavo (1992) Development. Dans Wolfgang Sachs (coord.) The Development Dictionary : a Guide to Knowledge as Power. London, Zed Books, pp. 6-25.
EZLN (1994) Demands submitted by the Zapatistas during the feb. 94 dialogue. http://www.ezln.org/documentos
EZLN (2005) Sixth Declaration of the Selva Lacandona, http://www.ezln.org/documentos/2005/sexta1.en.htm
FAVRE, Henri (1997) Le révélateur chiapanèque. Dans Henri Favre et Marie Lapointe (coord.) Le Mexique de la réforme néolibérale à la contre-révolution : la Présidence de Carlos Salinas de Gortari , 1998-1994. Montréal, L’Harmattan. pp. 419-456.
FRY, Gerald W. et Galen R. MARTIN (1991) The International Development Dictionary. Santa Barbara, ABC-CLIO.
GARCÍA ZAMORA, Rodolfo (2005) Las remesas colectivas y el Programa 3x1 como proceso de aprendizaje social transnacional. Document présenté pour le séminaire La participación cívica y social de los migrantes Mexicanos en Estados Unidos, Washington D.C., 4-5 novembre. http://www.gcir.org/new/reports/pdfs/garciazamoraesp.pdf
GOLDRING, Luin (2004) Family and Collective Remittance to Mexico: A Multi-dimensional Typology. Development and Change, 35 (4) : 799-840.
GOLDRING, Luin (2005) Implicaciones sociales y políticas de las remesas familiares y colectivas. Dans Raúl Delgado Wise et Beatrice Knerr (coord.) Contribuciones al análisis de la migración internacional y el desarrollo regional en México. México D.F., Universidad autónoma de Zacatecas, pp. 67-94.
GÓMEZ TAGLE, Silvia (2005) The Impact of the Indigenous Movement on Democratisation : Election in Chiapas (1988-2004). Canadian Journal of Latin American and Caribbean Studies, 30 (60) : 183-219.
122
GRAVEL, Nathalie (2003) Géopolitique de la culture et de la production : le cas des ouvriers ruraux des maquiladoras au Yucatán, Mexique, 1995-2001. Thèse de doctorat non publiée, Université Laval.
GRAVEL, Nathalie (2004) Faire plus avec moins : comment survivre à la transition économique au Yucatán, Mexique (1982-2002). Cahiers de géographie du Québec, 48 (134) : 156-172.
GRAVEL, Nathalie (2007) Mexican Smallholders Adrift : The Urgent Need for a New Social Contract in Rural Mexico. Journal of Latin American Geography, 6 (2) : 77-98.
GRAVEL, Nathalie (à paraître) Les exclus du boom migratoire mexicain. À paraître dans les Cahiers des Amériques latines.
GRAVEL, Nathalie et Jorge PATINO HERNANDEZ (2003) The Mexican Dream : Finding a Way Out. Focal Point. Spotlight on the Americas, 2 (9) : 4-5. Article disponible en ligne à http://www.focal.ca
GONZALEZ AMADOR, Roberto (2005) La importación de maíz de EU creció 15 veces con el TLCAN, La Jornada, 16/03/2005. http://www.jornada.unam.mx/2005/03/16/029n2eco.php.
GONZALEZ AMADOR, Roberto (2007) Persiste concentración económica pese a reformas en México : BM. La Jornada, 13/05/2007, p. 25.
GUTIÉRREZ SANCHEZ, Javier (2000) La migración indígena en la frontera sur : causas y perspectivas. México, D.F., Instituto Nacional Indigenista.
HARVEY, Neil (1994) Rebellion in Chiapas : Rural Reforms, Campesino Radicalism and the Limits to Salinismo. San Diego, Center for U.S-Mexican Studies.
HARVEY, Neil (1998a) The Chiapas Rebellion: The Struggle for Land and Democracy. London, Duke University Press.
HARVEY, Neil (1998b) Rural Reforms and the Question of Autonomy in Chiapas. Dans Wayne A. Cornelius et David Myhre (coord.) The Transformation of Rural Mexico : Performing the Ejido Sector. San Diego, Center for U.S.-Mexican Studies, pp. 69-87.
HERNÁNDEZ-COSS, Raúl (2005) The U.S.-Mexico Remittance Corridor : Lessons on Shifting from Informal to Formal Transfer Systems. Washington, D.C., World Bank.
HODGE, Bob et Gabriela CORONADO (2006) Mexico Inc. ? Discourse Analysis and the Triumph of Managerialism. Organization, 13 (4) : 529-547.
LACOSTE, Yves (2003) De la géopolitique aux paysages : dictionnaire de la géographie. Paris, Colin.
LAPOINTE, Marie (1997) Antécédents: de la crise des années 1930 à celle des années 1980. Dans Henri Favre et Marie Lapointe (coord.) Le Mexique de la réforme néolibérale à la contre-révolution. La Présidence de Carlos Salinas de Gortari, 1998-1994. Montréal, L’Harmattan, pp. 11-59.
LESNES, Corine (2007) Les Américains bricolent leur mur. Le Monde, 28/07/2007. LEVITT, Peggy (1998) Social Remittances : Migration Driven Local-Level Forms of
Cultural Diffusion. International Migration Review, 32 : 926-948. LEVY, Jacques et Michel LUSSAULT (2003) Dictionnaire de la géographie. Paris, Belin. LOZANO ASCENSIO, Fernando (2005) De excluidos sociales a héroes sexenales.
Discursos oficial y remesas en México. Dans Raúl Delgado Wise et Beatrice Knerr (coord.) Contribuciones al análisis de la migración internacional y el desarrollo regional en México. México D.F., Universidad autónoma de Zacatecas, pp. 41-66.
123
MACHUCA RAMÍREZ, Jesús Antonio (2005) La reorganización territorial en la globalización (Montes Azules, Chiapas). Dans Juan Manuel Sandoval Palacios et Raquel Álvarez de Flores (coord.) Integración latinoamericana, fronteras y migración: los casos de México y Venezuela. Mexico, D.F., Plaza y Valdés.
MANDUJANO, Isaín (2006) Chiapas migrante. ESTESUR, http://www.estesur.com/migracion.jsp?id=3856&pagenum=1
MARCOS, Sous-commandant et Yvon LE BOT (1997) Le rêve zapatiste. Paris, Seuil. MARCOS, Sous-commandant (2001) Comienza la marcha de la dignidad indígena, la
marcha del color de la tierra. Revista Chiapas, 11. http://www.ezln.org/revistachiapas/No11/ch11.html
MARCOS, Sous-commandant (2003) Marcos a Derbez: "En tierras rebeldes no se va a permitir el Plan Puebla-Panamá", La Jornada, 23/07/2003. http://www.jornada.unam.mx/2003/07/23/008n1pol.php?printver=1&fly=2
MARISCAL, Angeles (2006a) Chiapas depende cada vez más de la migración. La Jornada, 10/02/2006. http://www.jornada.unam.mx/2006/02/10/047n1est.php
MARSICAL, Angeles (2006b) La crisis en la sierra de Chiapas sólo deja dos opciones : la delincuencia o emigrar a EU. La Jornada, 27/05/2006. http://www.jornada.unam.mx/2006/05/27/037n1est.php
MARISCAL, Angeles (2006c) Las remesas un paliativo para el empobrecido campo de Chiapas. La Jornada, 05/06/2006. http://www.jornada.unam.mx/2006/06/05/034n1est.php
MARTÍEZ TORRES, Elena (2004) Survival Strategies in Neoliberal Market: Peasant Organization and Organic Coffee in Chiapas. Dans Gerardo Otero (coord.) Mexico in Transition: Neoliberal Globalism, the State and Civil Society. New York, Zed Book, pp. 169-185.
MASSEY, Douglas S. (2007) Roots of the US Immigration Crisis. Conférence présentée pour le Centre d’Études interaméricaines du HEI à l’Université Laval, 19 janvier.
MATTIACE, Shannan L. (2003) To See with Two Eyes: Peasant Activism and Indian Autonomy in Chiapas, Mexico. Albuquerque, University of New Mexico Press.
MAYER, Enrique (2002) The Articulated Peasant : Household Economies in the Andes. Boulder, CO, Westview Press.
MAYHEW, Suzanne (2004) A Dictionary of Geography. Oxford, Oxford University Press. MEZA MERLOS, Claudia et Humberto MÁRQUEZ COVARRUBIAS (2005) Cambios en
el patrón migratorio y pobreza en Zacatecas. Dans Raúl Delgado Wise et Beatrice Knerr (coord.) Contribuciones al análisis de la migración internacional y el desarrollo regional en México. México D.F., Universidad autónoma de Zacatecas, pp. 309-318.
MINDA, Alexandre (1997) Le rôle des investisseurs étrangers dans le nouveau modèle de développement. Dans Henri Favre et Marie Lapointe (coord.) Le Mexique de la réforme néolibérale à la contre-révolution. La Présidence de Carlos Salinas de Gortari, 1998-1994. Montréal, L’Harmattan, pp. 89-130.
MOLINA RAMÍREZ (2006) La migración transforma los usos y costumbres. La Jornada, 15/01/2006. http://www.jornada.unam.mx/2006/01/15/mas-tania.html
MONTEMAYOR, Carlos (2001) La rébellion indigène du Mexique: violence, autonomie et humanisme. Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval.
124
MOONEY, Margarita (2003) Migrants’ Social Ties in the U.S. and Investment in Mexico. Social Forces, 81 (3) : 1147-1170.
MUNZELE MAIMBO, Samuel et Dilip RATHA (2005) Remittances : An Overview. Dans Samuel Munzele Maimbo et Dilip Ratha (coord.) Remittances : Development Impact and Future Prospects. Washington, The International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, pp. 1-16.
MUTERSBAUGH, Tad. (2002) Migration, Common Property, and Communal Labor: Cultural Politics and Agency in a Mexican Village. Political Geography, 21 (4) : 473-494.
NADAL, Marie-José (1994) À l’ombre de Zapata : Vivre et mourir dans le Chiapas. Lachine, La Pleine Lune.
OROZCO, Manuel (2005) Transnationalism and Development : Trends and Opportunities in Latin America. Dans Samuel Munzele Maimbo et Dilip Ratha (coord.) Remittances : Development Impact and Future Prospects. Washington, The International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, pp. 307-329.
OTERO, Gerardo et al. (1997) La fin de la réforme agraire et les nouvelles politiques agricoles au Mexique. Dans Henri Favre et Marie Lapointe (coord.) Le Mexique de la réforme néolibérale à la contre-révolution. La Présidence de Carlos Salinas de Gortari , 1998-1994. Montréal, L’Harmattan, pp. 89-130.
PARRADO, Emilio A. et Chenoa A. FLIPPEN (2005) Migration and Gender Among Mexican Woman. American Sociological Review, 70 (4) : 606-632.
PARRADO, Emilio A. et al. (2005) Migration and Relationship Power Among Mexican Women. Demography, 42 (2) : 347-372.
PASTOR JR., Manuel et Carol WISE (1998) Mexican-Style Neoliberalism: State Policy and Distributional Stress. Dans Carol Wise (coord.) The Post-NAFTA Political Economy : Mexico and the Western Hemisphere. Pennsylvania, The Pennsylvania State University Press.
PEÑA LOPEZ, Ana Alicia (2005) Las migraciones de trabajadores y el desarrollo capitalista en Chiapas, 1970-2000. Dans Juan Manuel Sandoval Palacios et Raquel Álvarez de Flores (coord.) Integración Latinoamericana, Fronteras y migración : Los Casos de México y Venezuela. Mexico, D.F., Plaza y Valdés, pp. 277-300.
PICKARD, Miguel (2006) La migración vista desde Chiapas, ESTESUR. http://www.estesur.com/migracion.jsp?id=3447&pagenum=1
PORTES, Alejandro et al. (1999) The Study of Transnationalism : Pitfalls and Promise of an Emergent Research Field. Ethnic and Racial Studies, 22 (2) : 217-237.
POWER, Marcus (2003) Rethingking Development Geography. New York, Routledge. QUESNEL, André et Alberto DEL REY (2005) Mobilité, absence de longue durée et
relations intergénérationnelles en milieu rural. Cahiers des Amériques Latines, 45 : 75-89.
REAL JOVEL (2006) Cansados del EZLN, los indígenas chiapanecos : Obispo Arizmendi. 06/05/2006.
REICHERT, Joshua (1981) The Migrant Syndrome : Seasonal U.S. Wage Labor and Rural Development in Central Mexico. Human Organization, 40 (1) : 56-66.
RODRÍGUEZ CASTILLO, Luis (2001) Maravilla Tenejapa un nuevo municipio en los márgenes de la « zona de conflicto » : ¿Una oportunidad política para la paz y la democracia en la selva fronteriza ? Document présenté au XXIIIe Congrès
125
international de l’Association des études latinoaméricaines, Washington, D.C., 6-8 septembre.
RUBENSTEIN, Hymie (1992) Migration, Development and Remittances in Rural Mexico. International Migration/Migraciones Internationales, 30 (2) : 127-153.
RUS, Jan et al. (2003) Mayan lives, Mayan utopias : The Indigenous Peoples of Chiapas and the Zapatista Rebellion. Lanham, Rowman et Littlefield Publishers Inc.
SACHS, Wolfgang (1992) Introduction. Dans Wolfgang Sachs (coord.) The Development Dictionary : a Guide to Knowledge as Power. London, Zed Books, pp. 1-5.
SANA, Mariano et Douglas S. MASSEY (2005) Household Composition, Family Migration, and community Context: Migrant Remittances in Four Countries. Social Science Quarterly, 86 (2) : 509-528.
STEPHEN, Lynn (2002) Zapata Lives: Histories and Cultural Politics in Southern Mexico. Los Angeles, University of California Press.
TAYLOR, Edward J. (1999) The New Economics of Labour Migration and the Role of Remittance in the Migration Process. International Migration, 37 (1) : 63-88.
TELLO PEÓN, Lucía (1992) La vivienda en Yucatán: su especialidad y esencia. Cuadernos de Arquitectura de Yucatán, 5 ; 7-15.
VAN DER HAAR, Gemma (2005) Land Reform, the State, and the Zapatista Uprising in Chiapas. The Journal of Peasant Sudies, 32 (3-4) : 484-507.
VELASCO PALACIOS, Antonio et al. (2004) Estructura socioeconómica y política de Chiapas. Tuxtla Gutiérrez, Talleres de Impresora Roma.
VILLAFUERTE SOLÍS, Daniel (2003) Chiapas y Guatemala frente al TLCAN, el PPP y al ALCA. Document présenté à la Rencontre internationale sur le développement et l’intégration régionale du Sud du Mexique et de l’Amérique centrale, San Cristóbal de Las Cass, Chiapas, 4-6 juin.
VILLAFUERTE SOLIS, Daniel (2005) Rural Chiapas Ten Years after the Armed Uprising of 1994 : An Economic Overview. The Journal of Peasant Sudies, 32 (3-4) : 461-483.
VILLAFUERTE SOLÍS, Daniel et María del Carmen GARCÍA AGUILAR (2006) Crisis rural y migraciones en Chiapas. Migración y Desarrollo, 6 (1) : 102-130.
VILLAFUERTE SOLÍS, Daniel et al. (2002) La tierra en Chiapas : viejos problemas nuevos. México D.F., Fondo de Cultura Económica.
WALLER MEYERS, Deborah (2000) Remesas de America latina: revision de la literature. Comercio Exterior , 50 (4) : 275-283.
WASHBROOK, Sarah (2005) The Chiapas Uprising of 1994: Historical Antecedents and Political Consequences. The Journal of Peasant Sudies, 32 (3-4) : 417-449.
WITHERICK, Michael et al. (2001) A Modern Dictionary of Geography. London, Arnold. ZARATE-HOYOS, German A. (2004) Consumption and Remittances in Migrant
Households : Toward a Productive Use of Remittances. Contemporary Economic Policy, 22 (4) : 555-565.
126
Références InternetBANQUE DU MEXIQUE (2006) Ingresos por remesas familiares, distribución por entidad federativa, http://www.banxico.org.mx/SieInternet/consultarDirectorioInternetAction.do?accion=consultarCuadro&idCuadro=CE100&locale=es
BANQUE INTERAMÉRICAINE DE DÉVELOPPEMENT (BID) Plan Puebla-Panamá http://www.iadb.org/aboutus/II/re_ppp.cfm?language=French
COORDINATION DES RELATIONS INTERNATIONALES DU CHIAPAS (2006) Atención a Migrantes, a un año en la defensa de los derechos de los connacionales chiapanecos.16/07/2006. http://www.cri.chiapas.gob.mx/documento.php?id=20060711081512
INAFED (2003) Enciclopedia de los municipios de México, Estado de Chiapas, Maravilla Tenejapa. http://www.e-local.gob.mx/work/templates/enciclo/chiapas/municipios/07115a.htm
INEGI (2006a) Población total por entidad federativa según sexo, 2000 y 2005. http://www.inegi.gob.mx/est/contenidos/espanol/rutinas/ept.asp?t=mpob02&c=3179
INEGI (2006b) Tasa de mortalidad infantil por entidad federativa 2000-2006. http://www.inegi.gob.mx/est/contenidos/espanol/rutinas/ept.asp?t=mpob55&c=3232
INEGI (2007) Inversión extranjera directa por entidad federativa. http://www.inegi.gob.mx/est/default.aspx?c=1830
MINISTÈRE DE L’HACIENDA ET DU CRÉDIT PUBLIC (2007) Cuadro histórico de los salario mínimos, Service de l’Administration tributaire. http://www.sat.gob.mx/sitio_internet/asistencia_contribuyente/informacion_frecuente/salarios_minimos/45_7369.html
MINISTÈRE DES FINANCES DU CHIAPAS (2005) Atlas de Chiapas 2005. http://www.finanzaschiapas.gob.mx/Contenido/Planeacion/Informacion/Geografia_y_Estadistica/productos/Atlas2005/atlas2005.html
MINISTÈRE DES COMMUNICATIONS ET DES TRANSPORT (2006) Seguridad, ahorros y rapidez en las nuevas autopistas de Chiapas. Direction des communications sociales. http://cs.sct.gob.mx/fileadmin/Boletines/06/jun/06jun098.doc
MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DU CHIAPAS http://www.sefoechiapas.gob.mx/
MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL http://www.sedesol.gob.mx MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL (2006) Evaluación externa del programa
Tres por uno para migrantes, Informe finale. http://www.sedesol.gob.mx/index/index.php?sec=30140108&len=1
MINISTÈRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES (SRE) (2001) Plan Puebla-Panamá, documento base. Documento ejecutivo, capítulo México. http://portal.sre.gob.mx/ppp/index.php?option=displaypage&Itemid=156&op=page&SubMenu
PEMEX (2005) Anuario estadístico 2005. http://www.pep.pemex.com PLAN PUEBLA-PANAMÁ (PPP) http://www.planpuebla-panama.org/ PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE (2000) Ocosingo, Chiapas, 19 de junio del año
2000 http://zedillo.presidencia.gob.mx/pages/chiapas/discursos/19jun00-1.html PUERTO CHIAPAS http://www.puertochiapas.com.mx/ SIPAZ (2005) Le chemin du caracol (escargot) vers l’autonomie. Bulletin du SIPAZ, 10
(1). http://www.sipaz.org/fini_fra.htm
127
SIPAZ (2007a) Le Chiapas en données. http://www.sipaz.org/fini_fra.htm SIPAZ (2007b) Brève histoire du conflit au Chiapas : 1994-2006.
http://www.sipaz.org/fini_fra.htm SIPAZ (2007c) Chiapas : En route vers le Nord. Bulletin du SIPAZ, 12 (1).
http://www.sipaz.org/fini_fra.htm
Entrevues Daniel Villafuerte Solís, professeur-chercheur, Centre d’études supérieures du Mexique et
de l’Amérique centrale (CESMECA) à l’Université des Sciences et des Arts du Chiapas (UNICACH), San Cristóbal de las Casas, mai 2006.
Jorge Luis Cruz Burguete, chercheur au Collège de la Frontière Sud (ECOSUR), San Cristóbal de las Casas, mai 2006.
128
Annexe 1 : Questionnaire utilisé sur le terrain Données générales58
Entrevue ________
Nom de la communauté : ______________
Depuis combien d’années vivez-vous dans cette communauté ? __________
1. Le profil du migrant
Avez-vous un membre de votre parenté qui travaille actuellement aux États-Unis ? Si oui,
combien ? Participe-t-il financièrement au budget de votre famille ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Quel est le statut du migrant ? Quel âge a-t-il ?
Père _____________ Mère _____________
Fils _____________ Fille _____________
Autre :
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Où travaille-t-il ? Dans quel État ? Quel est son emploi (ex : agriculture, manufacture,
restaurant, etc.) ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
58 Le questionnaire original était en espagnol. Le masculin et le singulier sont utilisés afin d’alléger le questionnaire.
129
Pour quelles raisons le migrant est-il allé travailler aux États-Unis ? Avait-il des objectifs
précis ? Si oui, lesquels ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
2. L’importance du revenu migratoire
À quel intervalle recevez-vous de l’argent du migrant ?
_________________________________________________________________________
Est-ce que l’argent du migrant constitue une grande partie de votre budget familial ?
_________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
Combien d’argent recevez-vous en moyenne par année ?
_________________________________________________________________________
3. La durée du séjour
Depuis combien d’années le migrant a-t-il quitté sa communauté ? _____________
Est-il déjà revenu dans sa communauté? Si oui, combien de fois ? ______________
Désire-t-il revenir s’établir définitivement dans sa communauté un jour ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
130
À quel intervalle communiquez-vous avec le migrant ? Par quel moyen (lettre, téléphone,
etc.) ?
_____________________________________________________________________
4 . Les facteurs influençant les sommes monétaires disponibles
Combien d’enfants avez-vous ? Quel âge ont-ils ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
________________________________________________________________________
Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui habitent avec vous dans votre résidence ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Quels ont été les besoins familiaux pour lesquels vous avez dû débourser des sommes
considérables depuis que vous recevez l’argent du migrant (ex : mariage, funérailles,
maladies, etc.) ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
5. L’amélioration de la qualité de vie
Avez-vous faits des investissements sur votre maison au cours des dernières années ? Si
oui, lesquels ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
131
Avez-vous fait des dépenses importantes au cours des dernières années ? Si oui, lesquelles
(voiture, télévision, etc.) ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Depuis les dix dernières années, considérez-vous que votre qualité de vie se soit améliorée
ou détériorée ? Pourquoi ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
6. Développement économique
Travaillez-vous dans le secteur agricole ? ____________
Si oui, est-ce que vous êtes :
Propriétaire de votre terre ______________
Travailler pour une terre communautaire (ex : ejidos) __________
Travailler pour un employeur privé _____________
Autres _________
Quels ont été les investissements que vous avez faits au cours des dernières années depuis
que vous recevez l’argent du migrant (ex : achat de matériel agricole, achat d’une terre,
etc.) ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
132
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Quel est le matériel agricole que vous possédez ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Possédez-vous des bêtes d’élevage ? Lesquelles ? Le migrant a-t-il contribué à l’achat ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Avez-vous une entreprise ? Si oui, avez-vous investi dans votre entreprise au cours des
dernières années ? Quelle est la contribution du migrant ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
7. Les investissements dans la communauté
Quels ont été les derniers investissements faits dans cette communauté (ex : réparation de
route, terrain sportif, etc.) ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
133
Qui a fait ces investissements ? Le gouvernement ? Les ejidatarios ? Le migrant a-t-il
contribué ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
8. Développement du capital humain
Avez-vous accès à une clinique médicale dans votre communauté ? _________
Si non, comment avez-vous accès à des soins médicaux ?
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Combien de vos enfants vont à l’école ou ont terminé leurs études ?
Primaire ________
Secondaire _______
Universitaire _________
Autres :
_________________________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Combien d’argent investissez-vous en éducation par année ? _______________________
134
Annexe 2 : Occupation de la population active de la municipalité de Maravilla Tenejapa par secteur
d’activités (2000)
Activité économique Population de 12 ans et plus Pourcentage
Total 3391 100
Agriculture, élevage, sylviculture
et pêche
2711 79,96
Mines 39 1,15
Industrie manufacturière 57 1,68
Électricité et eau 2 0,06
Construction 39 1,15
Commerce 18 0,53
Transports et communications 7 0,21
Administration publique et
défense
30 0,88
Services sociaux et
communautaires
40 1,18
Restaurants et hôtels 69 2,03
Services personnels et entretien 287 8,46
Non spécifié 92 2,71
Source : COESPO (2002)
135
Annexe 3 : Répartition de la population active de 12 ans et plus selon le salaire
Chiapas Maravilla Tenejapa
Population
active
Pourcentage Population
active
Pourcentage
Total 1 206 621 100 3391 100
Moins de 1 salaire
minimum ou sans
salaire
670 550 55,57 3087 91,03
1 à 2 salaires
minimum
245 187 20,32 144 4,25
2 à 3 salaires
minimum
79 434 6,58 32 0,94
3 à 5 salaires
minimum
85 523 7,09 41 1,21
5 à 10 salaires
minimum
50 262 4,17 4 0,12
Plus de 10 salaires
minimum
16 653 1,38 3 0,09
Non spécifié 59 012 4,89 80 2,36
Source : COESPO (2002)
13
6
Ann
exe
4 : C
arte
des
rég
ions
phy
siog
raph
ique
s du
Chi
apas
R
éalis
atio
n : D
avid
Tan
guay
(200
6)