le monde secret du travail social
Qui sont-ils ? Comment vivent-elles ? à quelle sauce mangent-ils les enfants ? leurs recettes exclusives pour un bon gigot. Leurs réseaux cachés, leurs plans diaboliques, leurs comptes numérotés aux bahamas, leurs nanoparticules activées par la 5G, leurs liens
avec Bill Gates et les Francs-maçons...
Le mensuel dubitatif... Quoique
NUMĂRO 13/ Janvier 2021
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editoSLe travailleur asocial Par Bob
Comment ça vous nâentendez jamais parler de nous ? Vous ne connaissez pas Pascal le grand frĂšre ou Super Nanny ? Vous nâavez pas vu les reportages nous dĂ©crivant comme maltraitants envers les enfants, voire pĂ©docriminels Ă nos heures ? Vous savez bien quâon est soit des sauveurs, soit des pervers. VoilĂ , vous pouvez sauter au Mouais suivant. Non mais je ne voudrais pas me montrer asocial, je ne vous en veux mĂȘme pas pour votre vision Ă©triquĂ©e. En fait, câest de notre faute. Nous ne savons pas communiquer sur notre boulot. Et dâailleurs, de quel boulot parle-t-on ? Il fait quoi de ses journĂ©es le travailleur social ? Bon, dĂ©jĂ nous sommes des « travailleurs », ouf, ça bosse ici mâsieur !, et dans le « social », câest une piste. Mais auprĂšs de quels publics ? Dans quelles associations, avec quelles Ă©quipes, pour quelles missions, quelles commandes sociales ? AuprĂšs de jeunes prĂ©sentant un handicap ou de familles ultra-prĂ©carisĂ©es ? Dâadolescents dĂ©linquants ou dâenfants hyperactifs? De personnes toxicomanes ou dâadolescents placĂ©s ? En SESSAD, IME, MECS, SIPFP, CAARUD, AEMO, AED... ? VoilĂ , je ne tiens pas cinq minutes sans employer des sigles, ce jargon technique que nous sommes les seuls Ă comprendre. Bah laissez tomber, câest peine perdue ! (suite en page 3)
Lutte Ă©ternelle contre des moulins Par Staferla
Cela fait quinze ans que je travaille dans le social, cela fait quinze ans que je bondis quand, systĂ©matiquement dans les fictions cinĂ©ma ou tĂ©lĂ© françaises, jâentends parler de la DDASS alors que depuis des dĂ©cennies, elle se nomme ASE. Depuis quinze ans, je bondis quand on me demande ce quâa fait cet adolescent pour se retrouver en foyer, alors que les foyers, câest pour protĂ©ger pas pour punir. Depuis des annĂ©es je bouillonne quand les mĂ©dias ne font jamais mention du dĂ©mantĂšlement national des services de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e dans les quartiers, alors que tous sâĂ©chinent Ă analyser les raisons pour lesquelles tant de jeunes sont partis faire le djihad avec Daesh. Personne pour faire le lien entre la disparition des Ă©ducateurs et la place prise par les recruteurs fondamentalistes. En mars, pour le dernier confinement je devais ĂȘtre lâune des rares Ă applaudir les Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s depuis mon balcon. Je suis aussi lâune des rares Ă savoir quâun Ă©ducateur sur deux a Ă©tĂ© victime de violences rĂ©pĂ©tĂ©es sur son lieu de travail, eh oui il nây a pas que la police qui fait un mĂ©tier dangereux. Alors Ă Mouais, on sâest dit quâil Ă©tait grand temps de parler du travail social, puisque personne ne le connaĂźt vraiment et que les rares sujets qui traitent de la question dans les mĂ©dias sont le plus souvent bĂąclĂ©s. Et ça tombe bien, parce quâon est bien placĂ©s pour en parler, les deux tiers dâentre nous travaillant dans le secteur. On avait envie de vous raconter la rĂ©alitĂ© dâun monde invisible, de tous ces gens qui sâactivent pour que le lien social nâĂ©clate pas en mille morceaux, dâune lutte Ă©ternelle contre des moulins, de protection des enfants, des adultes, des prĂ©caires, des marginaux, et des budgets de plus en plus insignifiants pour le faire. Faut ĂȘtre un peu tarĂ© pour dĂ©cider de se lancer dans le social, et Ă corps perdu pour certains. Beaucoup en ressortent lessivĂ©s, Ă©cĆurĂ©s, mais toujours marquĂ©s Ă vif par lâexpĂ©rience profondĂ©ment humaine quâils ont traversĂ©e, humaine dans sa beautĂ©, humaine dans sa violence, humaine dans ses Ă©checs, ses rĂ©ussites, humaine dans ses paradoxes. Bienvenue chez nous, enfin, chez vous aussi en vrai.
Les FantĂŽmette du social Par Tia PantaĂŻ
Quand je suis « entrĂ©e dans le social », un peu comme on entre en religion (bon dâaccord pas vraiment, mais vous comprenez lâidĂ©e), jâavais une idĂ©e magnifique de ce quâallait ĂȘtre mon rĂŽle, mon quotidien. A mille lieues des bureaux froids et austĂšres oĂč jâai pu travailler dans une autre vie, des tableaux Excel et des calculs prĂ©visionnels, jâallais aider des gens, trouver ce dont ils avaient besoin et les moyens dây rĂ©pondre. Je me voyais telle FantĂŽmette, dĂ©tective mais aussi justiciĂšre. Travaillant avec la famille, recons-tituant dâaprĂšs leur histoire et leur contexte la meilleure façon de les accompagner, avoir ce rĂŽle merveilleux dans leur vie en leur apportant ce dont ils ont besoin. Ce travail de dĂ©tective avec des humains sâopĂšre avec dâautres humains, dâautres parcours de vie, dâautres professions : on cherche ensemble, on trouve ensemble. FantĂŽmette dĂ©tective, rĂ©solvant des mystĂšres. Mais FantĂŽmette justiciĂšre aussi, dĂ©fendant le poing levĂ© leurs intĂ©rĂȘts, se battant pour eux quand ils nâen ont plus la force ou la possibilitĂ©, se tenant Ă leurs cĂŽtĂ©s dans ce bien-nommĂ© accompagnement. Et câest ce qui se passe, et câest merveilleux ; mais jâai retrouvĂ© avec stupeur les classeurs Excel et les calculs prĂ©visionnels. Jâai pu observer le social Ă lâĂ©preuve du libĂ©ralisme, la managĂ©risa-tion, la gestion toujours plus gestionnaire, les comptes Ă rendre, la bureaucratie, et des dĂ©cideurs Ă des kilomĂštres du rĂ©el de leurs salariĂ©.es. Jâai vu des mots incongrus sâinstaller comme de lâec-zĂ©ma : objectifs, attentes, projet, usagers, compĂ©tences. Jâai vu quâon traitait des humains, des histoires de vie, comme des nu-mĂ©ros, dans des cases avec des couleurs de tableau Excel. Jâai vu aussi des travailleurs sociaux en lutte, chaque jour, qui ne lĂąchent rien pour leurs « usager.es », qui cherchent et trouvent, et composent comme ils peuvent avec ces changements dysto-piques.Jâadore mon travail. Il est difficile, Ă©reintant, frustrant, surchargĂ© dâĂ©motions, mais il me fait vibrer, dans la rencontre, la surprise, le partage, les moments magiques. Parce que je crĂ©e, je mâadapte, je dĂ©couvre toujours. EspĂ©rons que les logiciels comptables ne changeront jamais ça.
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Mouais # 13 - JANVIER 2021
SOMMAIRE
le monde secret du travail social
Mouais 13 - janvier 2021
Dossier
Ni une fée ni une magicienne p.4
LâĂ©ducâ qui murmurait Ă lâoreille des familles p.5
Le Tamis / Macron, trois ans de marche arriĂšre p.6
Les oranges voyageuses p .7
Dans les maisons dâenfants p.8
Les vrais problĂšmes de Kawalight p.9
Les Ă©coles sous surveillance p.10
Travail social et libéralisme p.11
« Travailleuse sociale et burn-outée» p.12/13
Protection de lâenfance, gageure ou illusion ? p.14/15
Aides sociales : lettre Ă mon parasite p.16/17
La lutteuse du mouais p.17
Le savoir est une arme quand il est pouvoir p.18
entre les barreaux
AprĂšs la sortie p.19
Pris.e au piĂšge p.20
Lexique des sigles du travail social p.21
Autres joyeusetés p.22
Mots croisés, horoscope, etc.
4Ăšme de couvâ
Les sujets de comptoir du Mouais p.24
Edition : Association ARMA, NiceDirecteur de la publication : Jérémy DottiDirectrices de la rédaction : Ariane Kuttel, Julie Guiol et David MusCouverture : Etienne RouxArticles : Macko Drà gà n, Kawalight, Bob, Tia Pantaï, Staferla, Malsayeur le Médisant, Mahault, Estebà n, Jide, Coccinelle, Manu, F.R, SabineIllustrations : PP.P., Etienne Roux, Estebà n, KKF, MilaMaquette : Morresk, Macko, Malsayeur Catering : KawalightLogo : Eli Prix de vente : 3 ⏠Date de parution : janvier 2021 DépÎt légal : janvier 2021 Numéro ISSN : 2680-8749 Contact : [email protected]
Le travailleur asocial (suite)Vous ĂȘtes encore lĂ ? Vous nâĂȘtes pas repartis visionner les vingt Ă©pisodes de « Pause-cafĂ© » ? Par Bob
Bon, alors comment vous parler de notre mĂ©tier sans utiliser des acronymes, des formules spĂ©cifiques consacrĂ©es et autre blabla Ă©duco-thĂ©rapeutico-socialo-juridico-institutionnel ? Si je vous dis que cette annĂ©e, par exemple pour Joss qui a six ans, nos objectifs dâĂ©quipe pluridisciplinaire sont de « sĂ©curiser et contenir tout en soutenant dans lâestime de soi, favoriser lâintĂ©gration aux pairs en dĂ©veloppant les capacitĂ©s praxiques et en flexibilitĂ© mentale, favoriser les processus hypothĂ©tico-dĂ©ductifs et de repĂ©rage spatio-temporel, travailler sur le sens critique, sur les codes sociaux et soutenir dans lâexpression et les Ă©changes », ça vous Ă©claire sur mon taf ? Il vous faut un dico ? Non mais ça me saoule de devoir vous faire lâarticle, je ne suis ni vendeur ni commercial. Parce quâen plus, ce nâest pas vrai que nous ne parlons jamais de notre pratique, nous le faisons constamment, on Ă©crit, on rend compte, on justifie, par des notes, synthĂšses, rapports Ă©ducatifs, informations prĂ©occupantes, Ă lâattention dâinstitutions, juges, services administratifs, hiĂ©rarchie... on Ă©crit tout le temps ! Mais on ne sâadresse quâaux officiels, selon des procĂ©dures et protocoles prĂ©servant le secret professionnel partagĂ©. Ce nâest pas particuliĂšrement agrĂ©able Ă lire, point de passages haletants ou rĂ©cits enflammĂ©s, de pathos ou dâĂ©merveillement, de lyrisme ou de style romanesque. Du factuel, de lâanalyse, des propositions. Ăa ne vous intĂ©resserait pas beaucoup.
Nous nâavons rien de spectaculaire Ă relater, rien dâextraordinaire, de tapageur, dâĂ©clatant.
Et puis, nous ne sommes pas du genre Ă trop nous plaindre, Ă ruer pour rĂ©clamer, Ă chouiner, malgrĂ© des conditions de travail qui, partout, se rigidifient, une sociĂ©tĂ© qui explose en dix millions de pauvres, un horizon commun qui sâobscurcit et des pouvoirs publics qui dĂ©sertent nos quartiers. Comme les flics, on pourrait vous dire que plus dâun Ă©ducateur sur deux a Ă©tĂ© victime de violences physiques ou se sent en insĂ©curitĂ©; comme les hospitaliers, on devrait dĂ©noncer le nombre de fermetures de structures, de places en psychiatrie, le manque dâinstitutions ; comme dâautres encore, on pourrait Ă©voquer la prĂ©carisation du mĂ©tier, sa dĂ©prĂ©ciation, le gel des salaires, le manque de considĂ©ration, la surcharge de travail, le turn-over... Nous sommes des battants pour les autres, un peu moins pour nous.
LĂ oĂč nous pourrions innover, ce serait en vous offrant des rĂ©cits sur ces petits riens qui font sens, dĂ©tails qui font la diffĂ©rence, petites graines dont on ne sait pas comment elles germeront, nos jours difficiles et nos moments champagne.
Notre quotidien, câest travailler avec de lâhumain, des humain.e.s, de toutes tailles, toutes couleurs, tous horizons, aux difficultĂ©s passagĂšres ou permanentes, aux trajectoires singuliĂšres, aux blessures et cicatrices uniques. Câest se plonger dans leur univers pour « tirer vers », « conduire hors de », « nourrir », « Ă©lever » (tout le monde nâest pas dâaccord sur lâĂ©tymologie du mot « Ă©ducateur »). « Psychanalyse et travail social, un certain cousinage » nous dit le philosophe Louis-Georges Papon (ed. Eres, 2015). Ăduquer, câest une aventure pour laquelle nous sommes formĂ©.e.s, diplĂŽmĂ©.e.s, encadrĂ©.e.s, contrĂŽlĂ©.e.s et pour laquelle nous sommes Ă©quipĂ©.e.s de savoir-faire pour moitiĂ©, et de ce que nous sommes de lâautre. En fait, parler de notre mĂ©tier, câest aussi parler de nous.
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Oui, ça sâest mal terminĂ© pour moi, il y a quatre ans. En hĂŽpital psychiatrique, je me retrouvai face Ă un mĂ©decin. Jâattendais
dĂ©sespĂ©rĂ©ment de lâĂ©coute, jâai eu des mĂ©dicaments. « Ăa va vous calmer », il mâa dit. Effectivement, durant cinq semaines, jâai Ă©tĂ© complĂštement calme et dĂ©responsabilisĂ©e.
Jâai alors eu le temps de repenser Ă tout ce que jâavais vĂ©cu et aimĂ© dans ce mĂ©tierTout juste diplĂŽmĂ©e, jâai Ă©tĂ© recrutĂ©e par une association de soutien aux travailleurs immigrĂ©s. Et jâai accompagnĂ© un homme sĂ©ropositif, atteint de tuberculose virulente, qui vivait dans la rue depuis sa sortie dâun centre de convalescence. Sans papiers ni couverture sociale, ça a Ă©tĂ© tout une bataille pour quâil puisse finalement mourir Ă peu prĂšs dignement Ă lâhĂŽpital. Et, dĂ©jĂ , je me suis sentie seule pour affronter un systĂšme excluant Ă mes yeux.
Et puis un poste de correspondante dans une Permanence dâaccueil, dâinformation et dâorientation (PAIO), lieu dit Les Bulles qui a Ă©tĂ© dĂ©moli depuis. Six ans avec des jeunes de 16 Ă 25 ans, sorti.es du systĂšme scolaire sans diplĂŽmes, que jâorientais vers des formations rĂ©munĂ©rĂ©es.
Une implantation problĂ©matique, des publics se faisant chahuter par des jeunes du quartier estimant que Les Bulles Ă©taient chez eux, que les autres nâavaient rien Ă y faire ; des Ă©ducateurs sportifs, sans aucune compĂ©tence Ă©ducative dans ce contexte social si particulier, recrutĂ©s pour « occuper » ces mĂȘmes jeunes ; certains mineurs, majoritairement garçons, suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), faisant des demandes de stage pour pouvoir attĂ©nuer leurs peines en justice et quittant ces mĂȘmes formations pour recommencer leurs trafics divers, sitĂŽt passĂ©s en jugement ; des jeunes devenant parfois menaçants si je refusais de les rĂ©inscrire en stage, au prĂ©texte que les places Ă©taient limitĂ©es
et quâil fallait privilĂ©gier celles et ceux qui nâen avaient jamais bĂ©nĂ©ficiĂ©es. Jâavais moi-mĂȘme vĂ©cu dans une citĂ© en banlieue parisienne et je nâavais pas Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans du coton, donc jâavais du rĂ©pondant. Mais ça ne suffisait pas. Le seul de la bande qui sâen est sorti a suivi mon conseil de quitter le quartier quand il a terminĂ© sa formation, a trouvĂ© un boulot de vendeur de fringues, sâest installĂ© avec sa copine Ă Nice et mâa remerciĂ©e, plus tard, de lâavoir engueulĂ© quand il Ă©tait ado.
Ensuite une intĂ©gration au Service dĂ©veloppement Ă©conomie emploi comme conseillĂšre emploi auprĂšs des chĂŽmeur-euses de la commune. Nous partagions nos locaux avec lâANPE qui mâadressait les personnes les plus en difficultĂ©s. Contacts privilĂ©giĂ©s avec les entreprises, avec orientation des personnes quand une offre Ă©tait Ă pourvoir. Ă la diffĂ©rence de lâANPE, nous leur adressions des personnes dĂ©jĂ ciblĂ©es par rapport Ă leurs critĂšres, voire nous les aidions Ă dĂ©finir leurs besoins. Et les postes pourvus Ă©taient rĂ©cupĂ©rĂ©s par lâANPE dans son fichier : tout le monde Ă©tait content.
Mais que faire des plus en difficultĂ©s ?Jâai donc proposĂ© la crĂ©ation dâun atelier de recherche dâemploi et jâai obtenu une salle avec un tableau trois matinĂ©es par semaine. Seules six femmes sâĂ©taient inscrites sur une capacitĂ© dâaccueil de 12 Ă 15 personnes. Mon rĂŽle nâĂ©tait pas de les contrĂŽler, je nâavais pas de comptes Ă rendre Ă lâANPE, leur ai-je dit. Nos Ă©changes seraient confidentiels, bienveillants, sans jugement de valeur.
Alors on se retrouvait, on collectait les offres que jâaffichais sur le tableau, on analysait ensemble, on riait mĂȘme ! Comment se prĂ©senter Ă un entretien ? Quelles compĂ©tences pour quelles offres? Et le salaire proposĂ© ? Comment rĂ©cupĂ©rer son enfant Ă lâĂ©cole en tenant compte des contraintes horaires ? Jâintervenais peu lors de ces Ă©changes, les laissant sâexprimer librement, les regardant faire. Parfois, elles se critiquaient mutuellement sur leur tenue, leur façon de parler, leurs exigences, leur motivation Ă travailler dans des conditions difficiles etc. JâĂ©tais garante du cadre. Et ces femmes crĂ©aient des liens, sâencourageaient, ou sâaccompagnaient Ă des entretiens. En reprenant confiance en elles, elles ont trouvĂ© du travail, en CDD certes, mais câĂ©tait mieux que rien pour celles qui nâavaient plus travaillĂ© depuis longtemps. Les femmes avaient retrouvĂ© le sourire et, pendant les fĂȘtes de NoĂ«l, nous avons parlĂ© de tout, sauf dâemploi finalement, car elles Ă©taient incapables de se concentrer sur ce sujet. Les personnes vivent lâexclusion sociale encore plus durement pendant cette pĂ©riode.
Je dĂ©cidai finalement de revenir au travail social pur et dur : assistante sociale (AS) de secteur. Vous savez, celle qui enlĂšve les enfants pour les placer dans des foyers, trouve un logement social, paie le loyer et les factures en retard, donne des aides financiĂšres... Bref, celle qui est sollicitĂ©e pour toutes les situations de la vie oĂč on se retrouve dans la « merde ». ForcĂ©ment, les dĂ©ceptions sont Ă la mesure des attentes, Ă©normes. LâAS nâest ni une fĂ©e, ni une magicienne.
Câest douloureux pour moi de devoir me remĂ©morer tout ça, de ces personnes que jâai accompagnĂ©es et qui mâont marquĂ©e au cĆur. Mais pour vous, je veux bien essayer de me souvenir.(Suite p. 15 et p.21)
Ni une fée, ni une magicienne Par Sabine, photo par Estebà n
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
Des acronymes sur des gens, en veux-tu en voilĂ : on a les TISF (Techniciennes en intervention sociale et familiale),
les CESF (ConseillĂšres en Ă©conomie sociale et familiale), les AF (Assistantes familiales), et jâen oublie dĂ©libĂ©rĂ©ment parce que je ne veux pas vous endormir tout de suite, ce qui serait dommage car vous risqueriez de passer Ă cĂŽtĂ© de la dĂ©couverte du plus beau mĂ©tier du monde (avec celui de trader, bien sĂ»r) : Ă©ducatrice de jeunes enfants. Câest le mien, et je lâaime dâamour, mĂȘme si Ă chaque fois que je le prĂ©sente on me demande, presque systĂ©matiquement: « Ah tu tâoccupes dâenfants handicapĂ©s ? » ou encore : «Tu travailles en crĂšche alors? ». Et jâexplique, patiemment et passionnĂ©ment, quâon peut se retrouver dans nâimporte quel contexte oĂč sont prĂ©sents des enfants de moins de huit ans, et ça, câest quand mĂȘme la classe, parce que ça donne une galaxie extraordinaire de lieux et dâexpĂ©riences diffĂ©rentes. Je disais plus haut quâĂ travail social on rĂ©pond souvent Ă©ducâ ou assistante sociale. Comme si le travail social câĂ©tait lâaide financiĂšre ou lâaccompagnement bureaucratique. Il va de soi que ces mĂ©tiers ne se limitent pas Ă ces activitĂ©s, et loin sâen faut, mais je me rĂ©fĂšre ici Ă lâinconscient collectif. Ces mĂ©tiers sont complexes, formidablement variĂ©s, selon les contextes et le public accueilli, et demandent Ă leurs intervenants des trĂ©sors de ressources, une boĂźte Ă outils qui se construit, sâĂ©toffe chaque jour davantage, et une force psychique et dâadaptation hors du commun.
Il en est ainsi des Ă©ducâ de jeunes enfants.Et dâailleurs, câest quoi ?Le mĂ©tier a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1973, transformant les « jardiniĂšres dâenfants » en « Ă©ducatrices de jeunes enfants ». Leur rĂŽle sâĂ©toffa Ă mesure du temps et des rĂ©formes : accompagner et soutenir la famille, la parentalitĂ©, repĂ©rer et mettre en place ce dont lâenfant a besoin pour se dĂ©velopper et sâĂ©panouir, travailler en partenariat pour orienter la famille si besoin, et coordonner son action en transversalitĂ© avec les autres professions (puĂ©ricultrices, psychologues, autres travailleuses sociales...). On est susceptible de les trouver dans toutes les structures accueillant de jeunes enfants : crĂšches certes, mais aussi Ă©coles, hĂŽpitaux, foyers de lâenfance, instituts mĂ©dico-Ă©ducatifs... On peut accompagner des enfants « ordinaires », placĂ©.es, malades, en situation de handicap⊠Tous les enfants, toutes les familles. De la richesse, de la rencontre, mais aussi de lâadaptation, de la crĂ©ativitĂ©. Trouver ce qui parle Ă cette famille, ce qui va crĂ©er le lien, et pour cela lâĂ©couter, lâaccueillir, en faisant taire (ou en essayant du moins) nos reprĂ©sentations.
Trouver le plaisirOn se heurte souvent Ă un sentiment de rejet : « Tu vas me dire comment Ă©lever mon enfant ? ». Câest lĂ©gitime bien sĂ»r, et comprĂ©hensible, mais il ne sâagit Ă©videmment pas de ça. On travaille Ă partir de la famille, de son histoire, de ses envies. On chemine avec elle. Ătre parent, câest un labeur Ă©puisant, interminable, permanent, qui bouscule, qui Ă©prouve. Il sâagit tout dâabord de le comprendre, pour ensuite partir de la notion de dĂ©sir. Câest ainsi que je vois mon mĂ©tier : chercher
le plaisir, celui de la relation, de la découverte, de la création, du partage. Proposer une autre façon de voir, pour aider le parent à se décaler de cette relation dans laquelle parfois on ne voit plus clair, et trouver en elle/lui ce qui
trouvera un Ă©cho, et donnera lâenvie, et avec elle, le plaisir. Le plaisir de la relation, câest son apaisement, ça donne une autre couleur, un autre goĂ»t.
VoilĂ dĂ©jĂ pourquoi jâaime mon mĂ©tier, et pourquoi je dĂ©fends sa place essentielle Ă lâaccompagnement si nĂ©cessaire des familles ; de toutes les familles. Parce que dans ce monde rigide, la main tendue avec bienveillance est non seulement prĂ©cieuse, mais carrĂ©ment indispensable.
1. Je ne pratiquerai volontairement pas lâĂ©criture Ă©galitaire dans ce texte parce que les travailleurs sociaux sont en majoritĂ© des travailleuses sociales, dont acte. Je garantis nĂ©anmoins la conservation des membres virils des travailleurs sociaux masculins qui liront ce texte.
LâĂ©ducatrice qui murmurait Ă lâoreille des familles1
Quand on dit travail social, on pense systĂ©matiquement assistante sociale et Ă©ducâ. Mais la constellation des mĂ©tiers du social englobe bien plus que cela, et le prisme rĂ©duit est assez rĂ©vĂ©lateur du manque gĂ©nĂ©ral de connaissances concernant ce domaine, si prĂ©cieux pourtant ! Par Tia PantaĂŻ
« Ă travail social on rĂ©pond souvent Ă©ducâ ou assistante sociale. Comme si le travail social
câĂ©tait lâaide financiĂšre ou lâaccompagnement bureaucratique. Il va de soi que ces mĂ©tiers ne se
limitent pas à ces activités »
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Le Tamis, anthropologie
coopérative
Lâanthropologie, quand on ne connaĂźt pas, câest un grand mot, une pratique impressionnante. On imagine de grands chercheurs qui Ă©tudient entre eux dans des bibliothĂšques sombres et inaccessibles. Peut-ĂȘtre aussi quâon nâimagine rien du tout, ou on se dit simplement que cela ne nous concerne pas. Pourtant, il sâagit dâaller Ă la dĂ©couverte des autres, des habitants autour de chez soi, dâobserver des lieux, des pratiques, essayer de comprendre notre petit monde et les gens qui lâhabitent. A priori, dit comme ça, tout le monde peut le faire.
Le Tamis Ă Marseille se prĂ©sente comme « une association de recherche et dâaction qui conduit des activitĂ©s Ă la croisĂ©e des sciences humaines, des arts et techniques et de lâĂ©ducation populaire ». Un de leurs objectifs est « dâinitier Ă lâusage quotidien des mĂ©thodes et des outils dâanalyses scientifiques » et de « produire des Ćuvres anthropologiques coopĂ©ratives ». Ăa donne envie !
Je lance une bouteille Ă la mer. Ăa serait gĂ©nial de voir des sortes de tamis dans toutes les villes de France, de dĂ©cloisonner un peu ces sciences humaines (qui font du bien Ă tout le monde, pas quâaux chercheurs non mais oh !).
http://www.letamis.org/ Par Mahault
2017Suppression de lâImpĂŽt de solidaritĂ© sur la fortune (ISF) sans contrepartie pour que les « riches patriotes » rĂ©investissent dans lâĂ©conomie. Câest comme si tu rendais ton salaire Ă ton patron pour quâil gĂšre ton argent Ă ta place.
Ordonnances loi travail, entĂ©rinant la fin du Contrat Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e (CDI) avec la barĂ©misation des licenciements abusifs et lâinversion de la hiĂ©rarchie des normes permettant aux entreprises de choisir leur code du travail. Faciliter les licenciements pour faciliter les embauches. Câest comme si tu rompais avec ton conjoint ou conjointe pour poursuivre la relation.
RĂ©duction drastique des contrats aidĂ©s, ces emplois subventionnĂ©s par lâĂtat dont bĂ©nĂ©ficie pour une bonne partie le tissu associatif. « Le dispositif le moins efficace de toutes les politiques de lâemploi », avait mĂȘme dĂ©clarĂ© Muriel PĂ©nicaud, la ministre du Travail. CouplĂ©e Ă la suppression de lâISF, la diminution de ces contrats permet dâĂȘtre sĂ»r quâen plus de tarir les dons dĂ©fiscalisĂ©s des riches aux associations, on y rĂ©duise Ă©galement le nombre de travailleurs et travailleuses.
2018Privatisation de la SNCF, soit transfert de notre « pognon de dingue » public vers le privĂ©. La compĂ©tition sur un mĂȘme chemin de fer pour un meilleur service. On nâa encore jamais attestĂ© de la vĂ©racitĂ© de cette proposition mais pourquoi pas. Il nây a que les athĂ©es de notre espĂšce qui ne croient pas au miracle libĂ©ral.
2019Transformation du CrĂ©dit dâimpĂŽt compĂ©titivitĂ© pour les entreprises (CICE), ce cadeau fiscal de 40 milliards dâeuros allouĂ©s aux entreprises en 2019, en baisse de cotisations patronales pĂ©renne. La vieille recette libĂ©rale pour seulement 100 000 emplois crĂ©Ă©s. En voilĂ un bon dispositif pour lâemploi Madame PĂ©nicaud. Pour donner de lâargent aux gens, baissons les cotisations. En somme, moins de salaire pour avoir plus dâargent. Câest tordu, mais ça continue de prospĂ©rer visiblement.
2020RĂ©forme de lâassurance chĂŽmage avec dĂ©gressivitĂ© des allocations, refonte des calculs pour faire baisser les droits. RĂ©forme reportĂ©e Ă cause (ou « grĂące à », câest selon) du Covid. Moins de prestations sociales pour inciter au retour Ă lâemploi. On se demande sâil ne serait pas plus efficace dâexĂ©cuter directement les chĂŽmeurs pour faire baisser le chĂŽmage. Comme quoi, on nâa pas encore tout tentĂ© contre le chĂŽmage.
Trois ans et demi de marche arriĂšre
Depuis sa prise de pouvoir le 7 mai 2017, Emmanuel Macron, le « progressiste-libĂ©ral-poupon », a dĂ©truit mĂ©ticuleusement ce qui restait de lâĂtat social et des libertĂ©s publiques et individuelles avec une vigueur et une rapiditĂ© dĂ©concertantes. Morceaux choisis. Par Malsayeur le MĂ©disant
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
Et cet oranger, on le voit tous fleurir au printemps, des fleurs qui ressemblent Ă des petits lys, les boutons se transformant
en fruits, et juste avant lâhiver, une pluie dâoranges bien mĂ»res et parfumĂ©es, enfants et adultes secouant inlassablement les branches pour que les autres les attrapent au vol. Abondance de la nature, quand elle nâest pas maltraitĂ©e. On parle des saisons, dâalimentation, de protection de la nature, des abeilles, de lâindustrie du jus dâorange... vous avez compris, lâoranger devient support Ă©ducatif. Des Ă©clats de rire, nombreux, qui aident Ă la cohĂ©sion de groupe, et atelier pressage oĂč lâon expĂ©rimente les savoir-faire, la psychomotricitĂ© et le suivi des consignes. Et puis, offrir un verre Ă la secrĂ©taire ou Ă la psychiatre, foutre du jus et des pĂ©pins partout, et nettoyer, ça met le sourire aux lĂšvres.Ces oranges, les gamins en ramĂšnent chez eux, fiers de cette offrande Ă leurs parents, et elles font lien entre eux et mon Ă©quipe. Hier, quand jâai discutĂ© avec la mĂšre de Lina, elle mâa racontĂ© que sa fille avait enjoint ses frĂšres et son pĂšre Ă en presser, ce qui lâa mise en situation de devoir expliquer comment faire, elle qui reste habituellement si en retrait. Une prouesse, vous ne vous rendez pas compte. Rayan, lui, les a laissĂ©es pourrir dans la cuisine, attendant que sa mĂšre sâen charge.Ben on va en parler tout les deux, ce gamin a des idĂ©es trĂšs arrĂȘtĂ©es sur la place de la femme. Quant Ă Didier, il dĂ©teste les agrumes, mais il a eu lâidĂ©e de faire sĂ©cher des peaux dâoranges pour y dessiner Ă lâencre noire des symboles graphiques tirĂ©s de mangas, jusquâĂ prĂ©sent il prĂ©fĂ©rait peinturlurer ses mains de feutre indĂ©lĂ©bile ; je me marre Ă lâidĂ©e quâil devienne un jour tatoueur. Jâai toujours un filet en tissu sur moi, pour la cueillette, et je me retrouve souvent avec quelques kilos supplĂ©mentaires dans mon sac Ă dos.
En sortant de mon service, je croise Alex, Ă©ducateur de rue, avec des gamins autour de lui. Lâoccasion dâune distribution. Alex, il galĂšre parce que la PrĂ©vention spĂ©cialisĂ©e nâest plus sous tutelle du dĂ©partement, mais de la mairie. Du coup, il nâest plus sous la protection de la convention 66 qui lui permettait de bĂ©nĂ©ficier de jours de congĂ©s et dâun salaire presque dĂ©cent. Et dans ce quartier, il y a de moins en moins de structures publiques et associatives, de clubs de sport, de lieux pour occuper les jeunes, moins de professionnels aussi. Alors il fait du mieux quâil peut pour dĂ©tecter les enfants en difficultĂ©s et les aider, avec moins de moyens.
Je suis attendu Ă lâInstitut mĂ©dico-Ă©ducatif qui accueille un des jeunes que jâaccompagne, jây passe une heure par semaine. Ici, les enfants savent quâĂ cette heure jâarrive avec les oranges, ils sont dĂ©jĂ prĂȘts avec leur presse-agrumes, assiettes en plastique et couteaux Ă bout rond, câest lâĂ©ducatrice qui a le vrai couteau. Ce quâils aiment faire, ce nâest pas boire immĂ©diatement le jus de leur labeur, mais utiliser les oranges
pour Ă©veiller leurs sens grĂące Ă lâodeur, la texture, le liquide, et prĂ©parer des bouteilles pour lendemain matin. En Ă©change, ils mâoffrent parfois quelques cookies quâils ont cuisinĂ©s pour que je les amĂšne Ă mon service. Me voilĂ donc en train de transporter des biscuits aprĂšs mâĂȘtre dĂ©parti de mes fruits.
Je demande en passant Ă la cheffe de service si une place se libĂšre bientĂŽt : un de mes jeunes, Samir, attend depuis deux ans et demi. On parle du manque dâĂ©tablissements dans notre dĂ©partement et jâinsiste sur le fait que Samir est actuellement scolarisĂ© Ă mi-temps en CinquiĂšme, en unitĂ© dâinclusion scolaire, et que ça craque dĂ©jĂ , on va se retrouver sans solution. Pas de place avant au moins trois mois, et il y a une liste
dâattente.
En revenant avec mes biscuits, et aprĂšs ĂȘtre allĂ© chercher Tony, je me rends compte que Louis bourre dâoranges son sac
de classe, et que ça dĂ©borde. Il mâexplique que ses parents nâachĂštent que du soda au logo rouge et quasiment jamais de fruits, et puis comme il va bientĂŽt partir dans un autre centre... Je sais quoi travailler avec lui cette semaine : sucres/alimentation/dĂ©part. Jâen parlerai Ă mes collĂšgues et au psy. Comme moi, Tony ressent sa tristesse, je lâobserve alors quâil approche de Louis avec douceur : « Tu veux que jâaille chercher un sac plus grand ? »
Les oranges voyageusesMais quâil est beau cet oranger ! Il trĂŽne au milieu du petit jardin qui borde notre maison, une grande villa peuplĂ©e dâenfants trĂšs diffĂ©rents, dâĂ©ducateurs et de thĂ©rapeutes, une petite cinquantaine de personnes passe en ces lieux dans la semaine. Notre refuge, terrain de jeux et dâapprentissages. Par Bob
« Je suis attendu Ă lâInstitut mĂ©dico-Ă©ducatif qui accueille un des jeunes que jâaccompagne, jây passe une heure par semaine. Ici, les enfants savent quâĂ
cette heure jâarrive avec les oranges »
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Jâai reçu un baby-foot sur la tronche pour avoir demandĂ© Ă un ado de mettre la table, jâai essuyĂ© pas mal dâinsultes de toutes sortes, retrouvĂ© un jeune fugueur en pleine montagne avec de la neige jusquâaux cuisses, pris lâavion, le bateau, fait de lâescalade, de lâhĂ©licoptĂšre, organisĂ© un concert dans une salle alternative, fait de la plongĂ©e sous-marine, un trek au NĂ©pal, jâai retrouvĂ© un Ćil de verre, dessalĂ© en catamaran, tenu une maison dâenfants avec seulement deux autres Ă©ducatrices en poste, failli mourir en faisant du canyoning.
Jâai aussi regardĂ© Plus belle la vie tous les soirs avec des ados garçons de dix-sept ans, les ai envoyĂ©s 1 500 fois prendre leur douche, les ai aidĂ©s Ă faire leurs devoirs, Ă trouver un stage, leur ai appris Ă se faire des pĂątes, Ă gĂ©rer un budget, les ai pris dans mes bras, leur ai hurlĂ© dessus, jâai pleurĂ© des dizaines de fois, de rire aussi, jâai chantĂ©, jâai dansĂ©, jâai pris des coups, jâai attendu assise devant leur chambre quâils dĂ©cident enfin de se coucher, jâai entendu mille fois les conseils de ceux qui ne bossent pas avec eux, tout en me disant quâils ne pouvaient pas comprendre. Jâai claquĂ© des portes, ou les ai fermĂ©es avec prĂ©caution, ruĂ© dans les brancards, parlĂ© avec douceur, jâai fait dĂ©couvrir, jâai dĂ©couvert.
Une enfant Ă la poubelleEt jâai rencontrĂ©, cette petite fille abandonnĂ©e par sa mĂšre avec sa sĆur dans un fast-food. Ma premiĂšre rĂ©fĂ©rence, jâavais vingt-six ans et elle mâa marquĂ©e au fer blanc. La mĂšre a rĂ©apparu, incarcĂ©rĂ©e Ă la suite de cet abandon et parce que son dernier enfant, un nourrisson, Ă©tait encore introuvable, elle a fini par passer aux aveux. Une rĂ©union organisĂ©e avec toutes les huiles du dĂ©partement avait eu lieu. Jây apprenais lâimpensable, la mĂšre avait commis un infanticide, et jetĂ© lâenfant dans une poubelle. A 17 heures, la rĂ©union sâachevait, tout le monde rentrait chez
soi, je restais en poste. La petite fille dont jâavais la rĂ©fĂ©rence vint alors me parler : « Pourquoi tu ne mâas pas dit que ma mĂšre avait tuĂ© ma sĆur ? » Comment on rĂ©pond Ă cette question ? Comment on se reconstruit quand Ă neuf ans on apprend une telle chose ? Je nâai toujours pas de rĂ©ponse.Je travaillais alors en foyer dâaccueil dâurgence. GĂ©rĂ©es par le dĂ©partement, ces maisons ont pour vocation de prendre en charge les urgences, pour un dĂ©lai maximal de six mois, et dâorienter les enfants dans des Ă©tablissements ou des familles plus adaptĂ©es Ă de longs sĂ©jours. Dans la rĂ©alitĂ© les enfants y restent bien plus longtemps et câest peu dire Ă quel point ces foyers dysfonctionnent. Ce sont eux dont on parle dans les rares Ă©missions Ă sensation qui traitent de la protection de lâenfance.
Orpheline Ă cinq ansDans ce mĂȘme Ă©tablissement, alors que je dĂ©butais mon service Ă sept heures du matin, une autre rencontre mâa touchĂ©e Ă vie. Une petite fille de cinq ans arrivĂ©e tard le soir, amenĂ©e par un pompier. Son pĂšre est dĂ©cĂ©dĂ© la veille, crise cardiaque alors quâil Ă©tait en rendez-vous chez son mĂ©decin. La petite fille nâavait que lui. Câest la premiĂšre fois que jâai dĂ» trouver des mots pour expliquer la mort, expliquer que lâon ne revient pas, et Ă une enfant pour laquelle je nâĂ©tais quâune Ă©trangĂšre. TrĂšs touchĂ©e par la situation, la juge pour enfants confia rapidement la petite fille Ă une famille vaguement proche du pĂšre. Quelques mois aprĂšs, elle Ă©tait de retour.
Et puis plus tard, dans une MECS cette fois-ci, lâaccueil dâun grand garçon dĂ©gingandĂ©. Orphelin, il a grandi avec son frĂšre en village dâenfants, une association qui a vocation Ă accueillir les fratries dans de petites unitĂ©s, avec des couples Ă©ducatifs qui se relaient. Il y avait passĂ© toute sa vie avec les mĂȘmes Ă©ducateurs, mais voilĂ lâadolescence, et les frĂšres
deviennent « ingĂ©rables ». On les renvoie du village dâenfants. Autant dire quâune vie sâĂ©croule quand on te « renvoie » de ta maison. Ce garçon ne sâest jamais fait Ă la vie en MECS, des crises de plus en plus difficiles Ă gĂ©rer, un seul truc le tenait : la pĂȘche Ă la ligne au lac du Broc. Mais lâabandon lâa rendu de plus en plus dangereux pour lui et pour les autres. Aux derniĂšres nouvelles il Ă©tait hospitalisĂ© en psychiatrie depuis des annĂ©es, et plus personne ne lâemmenait pĂȘcher.
Des histoires joyeuses aussiMais il nây a pas que des histoires tristes, beaucoup sont joyeuses. RĂ©cemment, jâai appris que lâado qui mâavait envoyĂ© le baby-foot sâest mariĂ© et va devenir papa, il a lâair trĂšs heureux. Beaucoup retournent aussi en famille, des familles qui Ă©voluent, finissent par se poser les bonnes questions, font leur possible pour y rĂ©pondre, et ça marche souvent.
Dans les maisons dâenfants, au final, on dĂ©core les sapins, on met la table, on fĂȘte les anniversaires, on apprend Ă se laver les dents. On contient aussi les violences, les souffrances, on fait germer des trucs dont on ne verra peut-ĂȘtre jamais le rĂ©sultat, on rĂ©siste avec eux, du mieux quâon peut.
Les Ă©ducateurs font un mĂ©tier impossible, ils doivent Ă©teindre un incendie avec un verre dâeau, car câest lâinstitution qui flambe. La protection de lâenfance nâen finit pas de sâeffondrer, de moins en moins de budget, de moyens, de relais, mais toujours autant dâenfants en dĂ©tresse, de familles Ă soutenir.
Alors pourquoi on le fait ? Pourquoi on persiste ? Un brin de masochisme câest Ă©vident, et puis aussi, câest con hein, mais on reste pour les enfants, pour continuer Ă leur apprendre Ă se laver les dents, et parce quâĂ dĂ©faut dâĂ©paules assez larges, il semblerait quâon ait les bras assez grands.
DANS LES MAISONS DâENFANTS Par Staferla, photo EstebĂ n
Jâai travaillĂ© dans plusieurs maisons dâenfants que lâon appelle MECS, Maison dâenfants Ă caractĂšre social, des foyers comme on dit, oĂč sont placĂ©s les enfants dont les familles dysfonctionnent et/ou sont maltraitantes. Souvent on me demande Ă quoi ressemble le travail dâun Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© dans ce contexte. Dans mon cas ça ressemblait Ă peu prĂšs à ça :
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Kess tu veux faire toi plus tard ?Pompier, hĂŽtesse de l'air, chanteur de rock, avocate, plombier (oui ça fait pas rĂȘver mais ça rapporte d'aprĂšs mon pĂšre), docteur, prĂ©sidente, institutrice, chef.fe d'entreprise... Oui le dernier, c'est mon prĂ©fĂ©rĂ©. Parce qu'il y a des gens qui ne rĂȘvent que d'une chose, c'est d'ĂȘtre chef.fe. De quoi ? On s'en branle ! Chef.fe on t'a dit !
Le sens ! VoilĂ ce que notre systĂšme nous fait oublier, le sens...Et comment il s'y prend ? Ben, c'est tout simple, il te fait croire que tu ne sers Ă rien si tu n'es pas en haut de l'Ă©chelle. Mais bordel, de quelle Ă©chelle on parle ? Elle est oĂč cette foutue Ă©chelle ? Et puis, comment on monte ? VoilĂ les questions inutiles qu'on en vient Ă se poser.On lie le travail Ă la rĂ©ussite. LĂ oĂč il devrait ĂȘtre liĂ© au sens. On devrait se demander ce qu'on a envie de faire, ce qui nous correspond, ce qui nous rendra bon.ne, fier.e, Ă©panoui.e. Au lieu de se demander ce qu'il vaut mieux faire, ce qui rapporte le mieux et dans quel domaine il y a le plus de taf.
Personne n'a jamais voulu faire travailleur.se social.ePersonne ne veut ĂȘtre prĂ©caire. Un.e travailleur.se social.e touche environ 1 300 euros brut dans le meilleur des cas en dĂ©but de carriĂšre. AprĂšs trois ans d'Ă©tudes aprĂšs le bac. DiplĂŽme reconnu bac+2 au passage. Sans entrer dans les dĂ©tails prĂ©caires du travailleur.se social.e, le pire reste encore le manque cruel de reconnaissance. Et je ne parle pas de me faire porter sur les Ă©paules parce que « wouahou, je sais pas comment tu fais, moi je pourrais pas ». Non parce que perso, ce que je ne pourrais pas, c'est passer ma journĂ©e enfermĂ© dans un fucking bureau. Je parle de la reconnaissance de l'importance du travail social. Je parle de politique. D'un gouvernement qui tape sur le social pour nous dire que ce n'est pas essentiel, que c'est un plus, un cadeau. Alors bon, on ne va pas non plus trop investir dans un cadeau aux pauvres hein!
Moi j'étais jeune et je m'en foutaisUn peu comme l'affirmation de mon cÎté rebelle. J'ai toujours su que travailleur.se social, c'était précaire. Mais ça m'animait. Je me disais, putain mais c'est ma place dans la société !Alors je suis devenu éducateur spécialisé. Et j'ai commencé ma carriÚre dans la protection de l'enfance, comme beaucoup, en foyers. En internat, puis en foyer appartement avec des adultes de dix-huit à vingt-et-un ans. J'en ai chié. Et j'ai appris. Et j'ai kiffé.
Et on est partis au NĂ©palPendant deux ans, on a rĂ©flĂ©chi et financĂ© un projet avec des jeunes du foyer. On est allĂ© chercher des fonds et on est parti prĂšs d'un mois. On a organisĂ© des concerts et des brunchs de soutien, des expositions et des lĂ©chages de culs de soutien (oui, on a eu des subventions de la ville). Et on est partis. En mode Ă©change culturel.Au final, je ne sais plus trop ce qu'on a Ă©changĂ©. Ni mĂȘme si finalement on a Ă©changĂ©. Mais putain on Ă©tait vivant ! Et ce qu'on a vĂ©cu en valait la peine. Parce qu'aujourd'hui encore, prĂšs de dix ans plus tard, je m'en souviens comme si c'Ă©tait hier. Parce que les jeunes s'en souviennent comme si c'Ă©tait hier, je suis encore en contact avec certains d'entre eux. Parce que ce que j'ai vĂ©cu avec eux
est bien plus fort que tout ce que j'ai pu vivre professionnellement depuis. On a emmenĂ© des jeunes en difficultĂ©s Ă 8 000 bornes de chez eux. Putain, ça en jette, merde ! D'ailleurs, en y pensant, je me demande si ce n'est pas eux qui nous ont amenĂ©s lĂ -bas. Quand le sens est plus fort que l'argent et une reconnaissance de la sociĂ©tĂ©.Quand des hommes et des femmes d'affaires prennent possession du travail social, finalement on ne se sent plus Ă sa place. On se fait un peu voler sa place. Parce que jusqu'ici, beaucoup de personnes intĂšgres occupaient encore des places importantes, des places oĂč on prend des dĂ©cisions. Depuis quelques annĂ©es, les gouvernements font en sorte de rĂ©cupĂ©rer ces postes. Aujourd'hui, de nombreux.ses directeur.rice.s nous viennent tout droit de Carrefour, Manpower ou autres grandes enseignes. Ce sont les chef.fe.s du dĂ©but de mon papier. Celles et ceux qui n'ont aucun autre but que de rĂ©ussir, quitte Ă te marcher sur la gueule. Ce sont ces personnes-lĂ qui dessinent le monde du travail social aujourd'hui.
Et puis on lutte !Et puis la vie devient une lutte !Pour changer le monde, lutter dans ses moindres faits et gestes est nécessaire. Lutter pour mendier un salaire et une situation de misÚre n'est finalement pas décent. « Mais tu fais pas ça pour l'argent !! » Mouais, je l'ai entendu quelques fois celle-là . Oui parce que quand tu travailles dans le social, tu ne travailles pas en fait. Tu t'occupes, comme ça, par passion. Et sois content qu'on te paye en plus.
Aujourd'hui ?Ben aujourd'hui, je cherche Ă faire autre chose. Quelque chose qui ait du sens ! Que s'est-il passĂ© pour que, ce qui pour moi avait du sens n'en ait plus aujourd'hui ? Que s'est-il passĂ© pour que je n'aie plus cette foi qui m'a tant animĂ© ? Comment se fait-il qu'on les laisse faire ? Bon, j'arrĂȘte avec mes questions... inutiles ?En tout cas, j'espĂšre que d'autres auront plus de tĂ©nacitĂ© que moi. Parce qu'on aura l'air bien con si demain les travailleur.se.s sociaux disparaissent. On va faire quoi de ton gosse handicapĂ© ? De ta tante toxico ? De ton cousin SDF ? De ton neveu dĂ©linquant ? De ta cousine prostituĂ©e ? De ton oncle CRS ? Ah non, lĂ on ne peut rien faire, pardon.
C'était Kawalight, le vrai imposteur qui s'occupe de vos vrais problÚmes... et qui préfÚre enculer les mouches plutÎt que de suivre un systÚme qui marche à contresens !
A contresens
Par Kawalight, photo par KKF
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DĂšs lors, pour pĂ©nĂ©trer dans un Ă©tablissement, il me fallait laisser ma carte dâidentitĂ©, remplir un cahier, que mon chef ait faxĂ© lâannonce de ma venue, avec un rendez-vous pris impĂ©rativement, dâailleurs il me fallait attendre Ă la loge que la personne vienne me chercher ou quâelle me confie le gamin. Aujourdâhui, aprĂšs de nouveaux meurtres dans ma ville, et une Ă©pidĂ©mie mondiale, ben je reste dehors. Quand je vais chercher JĂ©rĂ©my Ă son collĂšge, jâattends dans la rue, tout coincĂ© entre les fusils mitrailleurs des CRS, je patiente jusquâĂ ce que la petite porte mĂ©tallique sâentrouvre afin que se faufile lâadolescent. Une petite signature sur le cahier quâon me tend, les CRS sâĂ©cartent car ils ont compris que je nâallais agresser personne, et le portillon qui se referme sur un presque inaudible « bonne journĂ©e ». «Câest bien ça JĂ©rĂ©my quâelle a dit ? Elle a dit bonne journĂ©e? ». Si peu de mots Ă©changĂ©s.
« OĂč est-ce quâil veut en venir ? », vous demandez-vous. « Pourquoi il se plaint lâĂ©ducâ ? » Oh mais je ne me plains pas, jâessaie de bosser ; pour vous aussi câest sĂ»rement plus difficile aujourdâhui, quâest-ce que jâen sais. Et justement, discuter avec les professionnels qui gravitent autour du jeune que jâaccompagne, ça fait partie de mon boulot. Mais entre eux et moi, il y a dĂ©sormais des flics sur-armĂ©s et vigiles du privĂ©, camĂ©ras et interphones (voire carrĂ©ment un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone affichĂ© pour contacter lâintĂ©rieur), des grilles rehaussĂ©es grĂące aux bons conseils de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne Lotan, des procĂ©dures,
des masques, des peurs et des psychoses.Alors, avec celles et ceux que je connais, on sâenvoie des mails et des textos ; avec ceux et celles que je nâai jamais rencontrĂ©s, il nây a quasiment plus de lien. Vous savez ces liens que lâĂ©ducâ tisse autour de lâenfant quâil ou elle accompagne, ce maillage entre les professionnels et la famille, ce qui fait quâon reste tous vigilants, attentifs aux changements de comportements, pour rĂ©pondre rapidement et avec efficacitĂ©. Dâordinaire, je transmettais et traduisais aux parents les rĂ©flexions des Ă©quipes Ă©ducatives, afin quâon bosse tous dans le mĂȘme sens et que lâenfant sente que son univers est connectĂ©. Ă prĂ©sent, ce sont les parents qui me transmettent les mails de lâĂ©cole, ou les derniĂšres indications reçues sur le groupe Facebook.
Autre Ă©cole, mĂȘmes CRS, ici il y a deux grilles dâentrĂ©e, lâune derriĂšre lâautre. Jâattends entre les deux.
Ils ont mĂȘme confectionnĂ© une sorte de guirlande avec de la rubalise blanche et rouge pour quâon reste Ă deux mĂštres de la deuxiĂšme barriĂšre. Pierre a 6 ans, en passant sous la guirlande il saute systĂ©matiquement pour lâattraper, comme Ă la foire quand on doit choper le pompon. Ăa fait marrer lâ« agente des Ă©coles », quâon appelait «tata » quand jâĂ©tais petit, et qui devrait le rĂ©primander bien sĂ»r. Elle me raconte que, cette annĂ©e, elle est devenue « porte-clĂ©s», en plus de faire le mĂ©nage, dĂ©sinfecter toute la journĂ©e et surveiller la cantine. Je vous parle dâelle parce que,
Ă lâimage des autres professionnels que je croise encore, elle a lâair Ă©puisĂ©e, dĂ©routĂ©e, elle ne voit mĂȘme plus cette guirlande aux couleurs du danger (ou espĂšre que Pierre lâarrache une bonne fois). Et ici, câest sur elle que je compte pour faire le lien avec lâinstitutrice, lâauxiliaire de vie scolaire, le directeur de lâĂ©cole et moi. Je nâai rencontrĂ© quâune seule fois lâinstitutrice, lors de la rĂ©union annuelle de lâĂquipe de suivi de la scolarisation, une rencontre (parfois en visio) pour se connaĂźtre, puisquâon bosse tous autour du mĂȘme enfant. Une seule rĂ©union. Il est peu probable que je la croise Ă nouveau cette annĂ©e.On ne se parle plus. Je ne parle plus aux profs, aux conseillers dâĂ©ducation, aux chefs dâĂ©tablissement, je pense quâils ne seraient pas contre, mais tout nous en empĂȘche. Je ne parle pas aux flics postĂ©s aux entrĂ©es des Ă©coles non plus, la derniĂšre fois jâai fini en garde Ă vue pour avoir dit : « Ăa me glace le sang toutes ces armes devant une Ă©cole ». VĂ©ridique ! LâĂ©cole sâest refermĂ©e sur elle-mĂȘme. Moi qui militais pour lâouvrir aux parents dâĂ©lĂšves, ah la blague, aujourdâhui oĂč tout intrus est considĂ©rĂ© comme un potentiel barbare sanguinaire.
Alors moi aussi jâai envie dâarracher cette guirlande de ruban de signalisation avec son rouge-qui-interdit. Trouver un passe-muraille dans un vieux coffre pour traverser ces grilles et barriĂšres. Tisser ma toile entre les humains qui Ă©duquent et enseignent, pas entre les flics et les barreaux. Je me souviens, jâĂ©tais chez moi dans toutes les Ă©coles de Nice, il nây a pas si longtemps.
Toi qui franchis les barriĂšres de cette Ă©cole... Ben en fait, reste dehors
Je me souviens, jâĂ©tais chez moi dans toutes les Ă©coles de Nice. Une pâtite blague en passant pour le ou la concierge, je toquais Ă la porte du conseiller principal dâĂ©ducation pour Ă©changer deux mots sur le gamin que jâaccompagnais, je passais vite fait par la salle des profs (parfait pour partager des infos avec les enseignants et faire le lien avec les parents), on mâoffrait un cafĂ©, je parlais des difficultĂ©s familiales de lâĂ©lĂšve avec le chef dâĂ©tablissement et on faisait le point ensemble sur les stratĂ©gies Ă©ducatives ; en trente minutes, je faisais le tour des enseignants, dĂ©livrais des informations importantes en recueillant observations et ressentis. Ouais, câĂ©tait pratique quand lâĂ©cole Ă©tait encore ouverte. Et puis, il y a eu 2016 : la tuerie de masse sur la Promâ, et une rentrĂ©e sous haute surveillance Ă Nice. Par Bob
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
DĂšs mes premiers jours dans le joyeux giron du travail social, jâai pu en faire lâexpĂ©rience, et entendre celles des collĂšgues avec davantage de bouteille, et donc de recul. Oui, depuis quelques dĂ©cennies, et avec la course ultra-libĂ©rale effrĂ©nĂ©e des gouvernements successifs, le monde du travail social a changĂ©. Et oui, « câĂ©tait mieux avant », en tous cas dans certains domaines. Et paf ! le coup de vieux de la nostalgie, y a plus de saisons, tout ça. Mais quand mĂȘme. Câest pas faux. La paperasserie, dâabord. Les comptes Ă rendre. Tu as vu quel «usager.e » ? A quelle heure ? Il en est sorti quoi ? Le fameux «rĂ©sultat». Envoyer un mail Ă six personnes, remplir le logiciel enregistrant les actions, prĂ©voir un autre rendez-vous, adapter le projet.
Le dieu projet
Pour un mĂ©tier qui se pratique majoritairement dans lâinformel, dans lâimmatĂ©riel, la rencontre, passer ses journĂ©es Ă faire des comptes-rendus peut rapidement tâenvoyer Ă la pharmacie acheter du TranxĂšne. Mais depuis un certain temps, un mot a pris une place grandissante et dĂ©sormais monstrueuse dans le quotidien des TS (travailleur.ses socia.les), un mot terrifiant, dâailleurs hurlĂ©, glapi par Macron, les bras en lâair : le projeeeeet !!! Il est maintenant au centre de lâaccompagnement social. Tu as dix-sept ans, mĂšre isolĂ©e accueillie en centre maternel ? Il te faut un projet. Tu as huit mois, placĂ© Ă la pouponniĂšre ? Hop, un projet. Tu as trente-cinq ans, mĂšre de cinq enfants, tu as fui les bombes/la misĂšre/un rĂ©seau de traite, torturĂ©e en Libye, traversĂ© la MĂ©diterranĂ©e, arrivĂ©e il y a deux semaines, hĂ©bergĂ©e (ouf) depuis trois jours ? Paf, projet. Et jâexagĂšre Ă peine. Sans projet, tu ne peux rien faire. Et un projet, on se doute bien que selon son Ăąge, son histoire, son contexte, ses ressources, ça peut ĂȘtre compliquĂ© Ă envisager. Lorsquâon accompagne des personnes en grande difficultĂ©, qui ont dĂ©jĂ du mal Ă se projeter Ă demain, on imagine mal un projet au long cours, avec bien sĂ»r des rĂ©sultats Ă la clef.
Obligation de moyens ou de résultat ?
Il paraĂźt assez Ă©vident que lâobligation du travailleur social est celle des moyens et non des rĂ©sultats, du moins en ce qui ne concerne pas des domaines concrets comme le logement, le travail, etc., et encore. Le social, par dĂ©finition, parce quâil consiste Ă travailler avec des personnes humaines, ne peut pas (ne doit pas) fixer dâattentes de rĂ©sultats. Et câest quoi, un rĂ©sultat ? Selon qui et sur quels critĂšres? Lorsquâon accompagne un enfant, par exemple, quel peut ĂȘtre ce fameux rĂ©sultat ? Bien entendu quâil est nĂ©cessaire de repĂ©rer ce qui est Ă travailler, de fixer des Ă©tapes, et de faire le point. Et il est Ă©vident que cela dĂ©pend de chaque situation.
Justement : ça dĂ©pend. De la personne, du contexte, de ce quâon identifie, de la relation, de chaque jour. Et dans un monde de cases Ă remplir, de rĂ©sultats Ă obtenir, de temporalitĂ© extĂ©rieure Ă respecter, on ne sait plus comment travailler.
Une avalanche de burn-outs
De plus en plus dâassociations sont rachetĂ©es par des entreprises, qui nâont pas la moindre idĂ©e de ce quâelles achĂštent, avec des attentes complĂštement Ă cĂŽtĂ© de la plaque. On ne peut pas gĂ©rer (toujours ce mot) une association comme on gĂšre une start-up, ça ne marche pas. Et dans ce monde de chiffres et de rentabilitĂ©, le travailleur social, qui sait bien que sa mission nâest pas « rentable », et nâa donc pas sa place dans le systĂšme, explose parfois en vol en mille morceaux, Ă©puisĂ© de colmater des brĂšches, de remplir des papiers, de voir des situations pourrir, de voir les personnes maltraitĂ©es et parfois mĂȘme de devoir les maltraiter lui/elle-mĂȘme, de ne plus pouvoir faire son travail, Ă©tranglĂ© par la multitude de partenaires, les exigences bureaucratiques, les injonctions paradoxales, et une monstrueuse dissonance cognitive, passant le plus clair de son temps Ă faire des choses qui vont Ă lâencontre de ses valeurs et de son bon sens. Tout cela avec une considĂ©ration de lâĂtat qui nâa dâĂ©gale que celle allouĂ©e aux soignant.es et aux profs.Dans un systĂšme qui prĂŽne lâinutile et Ă©touffe lâessentiel, luttons pour un mĂ©tier magnifique ĂŽ combien nĂ©cessaire, pour son exercice dans des conditions Ă sa mesure, pour notre propre Ă©panouissement et celui de celles et ceux dont on prend soin, chaque jour.
Le travail social est-il solubledans le libéralisme ?
Le travail social, câest tout dâabord du temps. Pour se rencontrer, sâĂ©prouver, se faire confiance. ConnaĂźtre les besoins de la personne quâon accompagne, expĂ©rimenter, rĂ©flĂ©chir, seul.e, avec elle ou en Ă©quipe. Vivre des moments informels, sans la frontiĂšre froide dâun bureau, durant lesquels se joue lâintangible et lâindispensable. Dans un monde ultra-libĂ©ral, oĂč la rentabilitĂ© et les comptes Ă rendre sont monnaie (ah ah) courante, ça se passe comment ? Par Tia PantaĂŻ
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Mouais (M) : Est-ce que vous pourriez rapidement situer le contexte de votre activité professionnelle de travailleuse sociale avant votre burnout ?
Diane (D) : Ăducatrice spĂ©cialisĂ©e depuis lâĂąge de vingt ans, jâai travaillĂ© pour la mĂȘme association durant 13 ans. Ces quatre derniĂšres annĂ©es, jâĂ©tais « travailleuse socio-juridique » dans le droit dâasile, au sein dâun Centre dâaccueil de demandeurs dâasile (CADA). Mon travail Ă©tait trĂšs diversifiĂ©, jâaccompagnais une dizaine de familles, environ quarante personnes, dans toutes leurs dĂ©marches sociales et juridiques afin dâaider leur installation dans leurs nouveaux lieux de vie (vallĂ©e de la Roya) ainsi que dans leurs dĂ©marches juridiques liĂ©es au droit dâasile : suivi scolaire des enfants, dĂ©marches administratives bancaires, de santĂ©, dĂ©marches juridiques, lien avec les voisins et habitants des lieux de vie... JâĂ©tais leur interlocutrice principale parlant français.
Marie (MA) : InfirmiĂšre diplĂŽmĂ©e en 2006, jâai toujours travaillĂ© en dilettante car au bout dâun moment, jâen ai marre. Je rĂ©clame un mi-temps partout oĂč je vais depuis 2009. Impossible. Câest pourquoi jâĂ©tais en intĂ©rim ou CDD, pour me crĂ©er mon mi-temps. Depuis 1 an et demi, je travaillais de nuit dans un EHPAD. En 12 heures, Ă plein temps, en CDI. Pas possible de faire autrement en montagne oĂč je vis, et jâai eu besoin de thunes. Je travaillais en binĂŽme. Câest Ă dire avec un aide-soignant. Deux pour 70 rĂ©sidents. Je savais que je nâallais pas durer trĂšs longtemps, je me connais ! De plus le travail de nuit ne me convenait pas trop. Mais impossible pour moi de retourner de jour, risque trop Ă©levĂ© dâassassiner un mĂ©decin (rires) ou peut-ĂȘtre une collĂšgueâŠ
Marine (MI) : Je suis Ă©ducatrice depuis mes vingt ans, avant cela je faisais de lâanimation. Pour moi ce mĂ©tier est une vĂ©ritable vocation. Je me considĂšre comme une Ă©ducâ « itinĂ©rante ». Ăa fait plus de dix ans : IME, hĂŽpital de jour, CMP, CAJ, CADA, AEMO... Jâai toujours dĂ©testĂ© la routine et le cĂŽtĂ© parfois « enfermant » de lâinstitution. Ă la sortie du premier confinement, ce nâest pas la joie. PrĂ©caritĂ© financiĂšre. Me voilĂ embauchĂ©e pour un remplacement dans un service dâAEMO. Un dĂ©fi ! Jâavais envie dâun job dynamique et dâapprendre. En AEMO, on est que des nanas (rire). On gĂšre 25 suivis, câest-Ă -dire 25 enfants, câest-Ă -dire une quarantaine de parents Ă voir toutes les trois semaines thĂ©oriquement, en plus des rĂ©unions dâĂ©quipe, des rapports, des audiences, etc. Et aussi apprendre
toutes les spĂ©cificitĂ©s de lâintervention Ă©ducative dans le cadre de la protection de lâenfance. Câest lĂ que la galĂšre commence...
M : On dit quâon ne se rend pas compte dâĂȘtre en burn-out jusquâĂ ce que cela soit vraiment grave. Comment vous en ĂȘtes-vous rendu compte ?
D : En effet, je me suis rendu compte que cela mâarrivait quand mon mĂ©decin traitant a posĂ© ce « diagnostic ». Ce lundi matin, je nâai pas Ă©tĂ© en mesure de me rendre sur mon lieu de travail, je me suis littĂ©ralement terrĂ©e. Juste la force de rĂ©veiller mon enfant pour sa journĂ©e dâĂ©cole. Puis jâai pu ĂȘtre seule et me cacher... en attendant que ça passe. Ă part trĂšs malade, je nâavais jamais Ă©tĂ© absente. Accepter est difficile ! Jâai Ă©tĂ© jusquâĂ me rendre malade physiquement et mĂȘme subir une opĂ©ration chirurgicale. Je pense que le travail avec les demandeurs dâasile a Ă©tĂ© la pression de trop dans une vie personnelle qui Ă©tait changeante pour moi. Tout est liĂ© bien Ă©videmment, on ne peut sĂ©parer le personnel du professionnel.
MA : Mon EHPAD a fusionnĂ© avec le CHU. On mâa enlevĂ© mon binĂŽme, changĂ© mes horaires et transfĂ©rĂ©e dans un autre service, loin de mes papis-mamies par tĂ©lĂ©phone. Jâai raccrochĂ© et ça a Ă©tĂ© comme un flash : je ne pouvais plus aller travailler. Fini. En quelques minutes, je nâĂ©tais plus infirmiĂšre. IrrĂ©vocable. Câest trĂšs curieux. Ăa a Ă©tĂ© si rapide. Et en mĂȘme temps, câest un processus qui avait dĂ©jĂ commencĂ© sans que je mâen rende compte. Je sais que câest la faute de lâinstitution et non la mienne. Mais eux ne le savent pas. Et ça, ça me rend malade. Câest vrai que le burn-out frappe de plus en plus fort. Avant, une infirmiĂšre durait sept ans, maintenant, câest trois. Câest bien dommage. Câest un si beau mĂ©tier.
MI : Oui je ne lâai pas vu venir. Je me suis adaptĂ©e pour essayer dâĂȘtre Ă la hauteur des responsabilitĂ©s. Parce que câest une sacrĂ©e responsabilitĂ© dâintervenir dans des familles en difficultĂ©, de rendre un rapport faisant Ă©tat du travail quâon a menĂ© et de la situation des familles devant un juge. On nâest pas en train de compter des petits pois lĂ , on intervient dans la vie des gens. Mes collĂšgues et ma cheffe de service Ă©taient gĂ©niales, se donnant Ă 200%. Le sens du sacrifice des travailleurs sociaux. Jâai Ă©tĂ© submergĂ©e par lâampleur de la tĂąche. Jâavais un sentiment immense de frustration; lâimpression de courir aprĂšs le temps et de ne jamais parvenir Ă aller au bout des choses malgrĂ© les heures suppâ, les insomnies ... Et puis
«Moi, trentenaire, travailleuse sociale, burn-outĂ©e »Burnout ou burn-out est un mot anglais (du verbe to burn out, littĂ©ralement « se consumer ») qui signifie saturation, Ă©puisement, syndrome dâĂ©puisement professionnel dans le cadre du travail : fatigue profonde, dĂ©sinvestissement de lâactivitĂ© professionnelle, et sentiment dâĂ©chec et dâincompĂ©tence dans le travail. Le syndrome dâĂ©puisement professionnel est considĂ©rĂ© comme le rĂ©sultat dâun stress professionnel chronique (par exemple, liĂ© Ă une surcharge de travail) : lâindividu, ne parvenant pas Ă faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son Ă©nergie, sa motivation et son estime de soi dĂ©cliner. (dâaprĂšs Wikipedia.org)
Propos recueillis par Jide, photos par EstebĂ n (rues dâAthĂšnes) Pour les sigles, se reporter au glossaire p. 21, sâil vous plait
ENTRETIEN
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
«Moi, trentenaire, travailleuse sociale, burn-outĂ©e »un jour je nâai plus pu. Cette charge mentale constante. La misĂšre humaine vous saute Ă la gueule tous les jours. Jâai commencĂ© Ă avoir des angoisses, des attaques de panique, je pleurais de nerfs mais je ne voulais pas mâarrĂȘter. Je pensais aux familles (au dĂ©triment de la mienne), Ă mon Ă©quipe⊠Heureusement, mon entourage tire la sonnette dâalarme et ma gĂ©nĂ©raliste mâoblige Ă mâarrĂȘter quinze jours. « Burn-out ! ». Grosse culpabilitĂ©. DĂ©ni. Câest lorsque jâen ai parlĂ© autour de moi, de ce que je traversais, que les tĂ©moignages des collĂšgues mâont permis de ne pas me sentir seule et dĂ©munie. Et de ne pas laisser la culpabilitĂ© prendre le dessus.
M : Un des moteurs de cette spirale est la culpabilitĂ©. Selon vous, qui serait coupable ? Avez-vous eu lâimpression dâĂȘtre un fusible du systĂšme ?
D : Oui ! Jâai pensĂ© tout de suite aux « bĂ©nĂ©ficiaires », aux rendez-vous dâavocats ou mĂ©dicaux, aux Ă©chĂ©ances Ă respecter pour leurs dossier... Je pense que cette culpabilitĂ© est Ă partager. Et lâinstitution devrait proposer pour notre accompagnement bien plus quâune sĂ©ance de yoga ou quâune sĂ©ance dâanalyse des pratiques professionnelles par mois. Jâai ma part de responsabilitĂ© Ă©galement de ne pas avoir dit « stop » avant de me rendre malade. Nous sommes, nous, travailleurs sociaux clairement des fusibles du systĂšme, pieds et poings liĂ©s Ă nos financeurs Ă©tatiques mĂȘme sâils nous accordent parfois dans leurs bonnes grĂąces le droit Ă quelques idĂ©es pour rendre notre accompagnement un peu plus humain et un peu plus digne.
MA : Ma meilleure amie qui a fait un burn-out un an avant moi mâa beaucoup aidĂ©e Ă comprendre ce qui mâarrivait. Sans elle, jâaurais Ă©tĂ© paumĂ©e. Mon mĂ©decin a Ă©tĂ© super. Et je consulte un psychiatre aussi. Ils mâont rassurĂ©e. Jâavais peur de me faire envoyer chier, genre « prenez des vitamines », un coup de pied au cul et on y retourne. Jâen faisais des cauchemars. Je rĂȘve encore de mes vieux qui mâappellent la nuit. Jâai lâimpression de les avoir abandonnĂ©s sans leur avoir dit au revoir. Câest ça le plus dur.
MI : Il nây a pas quâun seul coupable. Le travail social Ă©volue depuis toujours en miroir avec la sociĂ©tĂ©. Aujourdâhui le systĂšme est devenu schizophrĂ©nique, les associations deviennent des « entreprises sociales » et sont mises en concurrence. VoilĂ pourquoi les professionnels de terrain, qui ont les mains dans le cambouis toute la journĂ©e, ne comprennent plus leurs dirigeants et leur rentabilitĂ©. Cette incomprĂ©hension rĂ©ciproque fait violence. Comment parvenir Ă conserver une approche humaine et respectueuse des publics accompagnĂ©s dans un systĂšme global qui voit des chiffres lĂ oĂč nous soutenons avec des humains ? Ăa rend fou. Alors oui, je pense que nous sommes des fusibles du systĂšme, qui sautent et deviennent interchangeables Ă lâinfini. Trop invisibles, trop spĂ©cialisĂ©s pour parvenir Ă faire corps et câest ça qui nous empĂȘche de lutter collectivement. LâEtat achĂšte une certaine forme de paix sociale en se targuant de prendre soin des plus fragiles. Notre responsabilitĂ© est de porter la voix de ceux et celles que nous accompagnons mais quand nous-mĂȘmes sommes aux abois câest mission impossible. La rĂ©alitĂ© est beaucoup plus infĂąme et nous aurions intĂ©rĂȘt Ă faire sauter les plombs. Sinon, les consĂ©quences seront encore plus dĂ©sastreuses.
M : Et comment voyez-vous vos futurs engagements sociaux ?
D : AprĂšs une annĂ©e de pause sociale vĂ©ritable, mes engagements sociaux reprennent dâune autre maniĂšre par le biais dâune certification en « massage bien-ĂȘtre » Ă venir prochainement. Je ne peux pas lĂącher lâinstitution, je suis tombĂ©e dedans quand jâĂ©tais toute petite. Jâai besoin dâĂȘtre un maillon de cette chaĂźne-lĂ , de continuer dâapporter soutien et bien-ĂȘtre. Je suis Ă©galement trĂšs active dans la vie associative de mon village, dans la sauvegarde de nos Ă©coles et dans de nouveaux projets utopistes et humains comme je les adore...
MA : Je ne veux plus jamais faire ce taf mais faire un beau jardin, planter des fruitiers et donner des cours de Gi gong. Je fais une formation dâĂ©ducatrice en mindfulness. Je compte me marginaliser de plus en plus. Surtout vu comment ça tourne avec le Covid. Non seulement je ne crois pas Ă cette mĂ©decine, mais en plus, je refuse de cautionner ce systĂšme. Je prĂ©fĂšre galĂ©rer au RSA que redevenir infirmiĂšre. On traite les vieux comme de la merde, les mĂ©decins et les cadres sont complĂštement tarĂ©s. Lâinstitution est une machine Ă broyer lâhumain. Je suis bien triste pour mes vieux, mais pas assez forte pour leur remonter le moral.
MI : Je ne sais pas. Je nâai pas encore assez de recul sur ce que je viens de traverser. Je veux conserver ma bienveillance et mes valeurs alors je ne mâenfermerai toujours pas dans une institution. Jâai envie de mâinvestir dans des projets innovants comme le projet Bol dâAir dâEmmaĂŒs Roya et aussi du cĂŽtĂ© de la formation des intervenants du secteur social. Accompagner toujours, mais sans subir et dĂ©fendre un systĂšme auquel je ne crois pas. Le monde est Ă rĂ©inventer et le travail social aussi.
M : Quelque chose Ă ajouter ?
D : Travailleurs-ses sociaux dâici et dâailleurs prenez bien soin de vous avant de prendre soin des autres... Ăcoutez les signaux dâalerte. Et ne vous oubliez pas.
MA : Merci, jâavoue que ça fait du bien dâen parler. Contente dâavoir trouvĂ© un psy sympa, parce que jâai beaucoup Ă Ă©vacuer. Personne ne se rend compte de lâhorreur que nous devons affronter jour aprĂšs jour, nuit aprĂšs nuit. Accompagner les gens dans leur plus noire misĂšre, dans la merde, le sang, le vomi et la mort. On a besoin dâun peu plus dâĂ©coute et de considĂ©ration de la part de la hiĂ©rarchie. On travaille avec de lâhumain, pas des patates.
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ial PROTECTION DE LâENFANCE,
GAGEURE OU ILLUSION ?
Le systĂšme complexe de la protection de lâenfance est mal connu, il concerne pourtant presque 300 000 mineurs placĂ©s en France. PrĂšs de 1,2 million dâenfants de douze Ă dix-sept ans vivent sous le seuil de pauvretĂ©, toujours en France, toujours au XXIĂšme siĂšcle. En 2016, 131 enfants sont morts dans le cadre de violences exercĂ©es par un parent ou un grand-parent. On estime quâun SDF sur quatre est passĂ© par la protection de lâenfance. VoilĂ pour les chiffres.
Le systĂšme de la protection de lâenfance en France nâest pas complexe, il est carrĂ©ment kafkaĂŻen et il dysfonctionne sĂ©vĂšre. Et malheureusement, les personnes concernĂ©es (travailleur.ses du social et usager.es) en font les frais.
Pourquoi ça dysfonctionne ?Manque de moyens, de professionnels et de coordination. Le nombre dâacteurs institutionnels est immense et les traces Ă©crites, que chacun.e doit laisser pour justifier son travail selon des protocoles et procĂ©dures labellisĂ©es, est gigantesque. Formellement, tout le monde ne sâaccorde pas sur le fameux « intĂ©rĂȘt de lâenfant », indiquĂ© comme central dans lâaccompagnement depuis la loi de 2016 encadrant la protection de lâenfance. Dâautant que les dĂ©cideurs sont de moins en moins issus du social. Les associations sont devenues des « entreprises sociales », les objectifs ne sont plus de faire remonter les besoins du terrain, mais dâimposer chaque annĂ©e de nouvelles Ă©conomies.
Ces boĂźtes (nos employeurs) signent avec le dĂ©partement des « contrats pluriannuels dâobjectifs et de moyens », sur cinq ans en gĂ©nĂ©ral, prĂ©voyant des coupes budgĂ©taires annuelles. Quoi de mieux pour faire ce boulot que dâembaucher des... anciens Ă©ducs formĂ©s au management ? Ben non, les mieux placĂ©s pour ce taf sont les gestionnaires de tous poils. JusquâĂ la caricature parfois, jâai eu une chef de service Ă©ducatif qui, juste avant de dĂ©barquer, travaillait comme chef dâĂ©quipe Ă Eurodisney. Vous voyez... Des chefs gestionnaires, directeurs gestionnaires, directeurs gĂ©nĂ©raux gestionnaires, autant vous dire que les besoins du terrain, on sâen carre lâos. Par contre, faudra dorĂ©navant acheter vos propres stylos !
Jâai connu lâautogestion, je bossais dans un foyer Ă Marseille. Ăquipe de cinq Ă©ducateurs et une maĂźtresse de maison, budget de fonctionnement annuel, on demandait souvent des rallonges quâon obtenait facilement, autonomie dans le travail, respect de la hiĂ©rarchie. Tout cela nâexiste plus. Aujourdâhui, chaque euro doit ĂȘtre divisĂ© en deux, en trois, les gestionnaires chefs, qui ne
connaissent pas grand-chose aux mĂ©tiers du social, comptent, contrĂŽlent, raisonnent comme des tableurs Excel. Ils paniquent souvent, nous Ă©claboussant de leur stress, oubliant rĂ©guliĂšrement que nous ne pouvons pas tout faire rentrer dans des cases, puisque nous travaillons avec la matiĂšre humaine. Et ces gestionnaires, qui vont-ils recruter dans leur Ă©quipe ? Des professionnels Ă tĂȘte dure? Des Ă©ducs qui sont prĂȘts Ă dĂ©raciner des montagnes ? Ben non, ils prĂ©fĂšrent embaucher des gens mallĂ©ables, dâautres gestionnaires. Si bien que la Protection de lâenfance est Ă©tranglĂ©e de lâintĂ©rieur. Elle Ă©touffe, donc elle maltraite.
Paie ton burn-outAlors nous passons notre temps Ă pallier les carences institutionnelles, voire leur dĂ©mission pure et simple, Ă jongler entre les coups de stress des chefs qui sâĂ©puisent Ă se couvrir, rendre compte et remplir leurs tableurs. Jâen ai connu, anciens Ă©ducs, qui ont fini sous mĂ©docs et alcool, parce que câest un boulot de gestionnaire je vous dis. Beaucoup de souffrances, de frustrations. Du coup, on vous colle des rĂ©unions « expressions des salariĂ©.es », voilĂ iels se sont exprimĂ©.es et on peut prouver quâil y a «dialogue social ». Des rĂ©unions « qualitĂ© », nouveaux documents qui rempliront des dossiers. On vous implique dans la rĂ©daction du nouveau « projet institutionnel », en couleurs, avec graphiques en 3D siou plĂ© ! Ă force, vous ne savez plus quel est votre mĂ©tier. Et vous vous perdez en administratif et contraintes multiples. Dissonance cognitive lorsque passent devant vous les visages des personnes que vous accompagnez, ça disjoncte.
Un manque de considĂ©rationLe mĂ©pris de lâĂtat pour la protection de lâenfance a mis Ă jour ces derniĂšres annĂ©es moult scandales : personnel employĂ© parfois sans aucune qualification ni formation, maltraitances au sein des institutions, des infanticides ayant eu lieu alors que les services sociaux avaient Ă©tĂ© informĂ©s de la violence au sein de la famille... LĂ encore, dysfonctionnements en pagaille, et consĂ©quences intolĂ©rables.
Par Tia PantaĂŻ et Bob
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
Famille L.Je me souviens de la famille L. Une mĂšre qui demande de lâaide, un pĂšre maltraitant vis-Ă -vis de Samuel, son garçon de dix ans et deux sĆurs de douze et cinq ans, tĂ©moins de la violence intra-familiale. Tout de suite, je fais Ă©quipe avec un Ă©ducateur, pĂšre de trois filles. Jâai besoin dâun tiers mĂ©diateur pour une Ă©valuation de la situation familiale. Visite Ă domicile, un soir.Nous nous sommes mis dâaccord avec Rachel, la mĂšre, sur lâobjectif de notre venue : proposer un soutien Ă©ducatif auprĂšs des trois enfants.
David, le pĂšre, nous installe tous autour de la table et la parole circule, sur notre proposition, au sujet des rĂšgles Ă respecter Ă la maison et Ă lâĂ©cole. Les filles sont trĂšs participantes. Ă la fin de lâentretien, on propose Ă tous les membres de la famille dâĂ©crire sur les rĂšgles Ă la maison : celles qui conviennent, celles qui ne conviennent pas, celles qui pourraient changer et leurs propositions.Une semaine plus tard, mĂȘme configuration. Peu dâĂ©crits mais la discussion sâengage Ă lâinitiative de Sarah et Jessica. Samuel ne dit rien et semble nâavoir rien Ă©crit. Souvent on se regarde avec Christian, lâĂ©ducateur, nous sommes totalement en phase avec cette maniĂšre de procĂ©der.Câest au troisiĂšme entretien que le pĂšre nous parle de lui, de son enfance dans une famille de culture juive traditionnelle mais pas vraiment pratiquante. Ils sont dâorigine Ă©trangĂšre. David exprime ses conditions dâexilĂ© en France quand il Ă©tait enfant et son dĂ©sir de rĂ©ussite sociale. Son fils boit littĂ©ralement ses paroles. Jâen ai fait la remarque : « avez-vous racontĂ© cette histoire Ă votre fils ?» Il semble la dĂ©couvrir.
Pour David, câĂ©tait douloureux, il ne pouvait pas en parler avant. Mais il semblait prendre du plaisir Ă parler de son enfance et Rachel Ă©tait soulagĂ©e de ces Ă©changes.
Le passage de relais avec lâĂ©quipe dâAccompagnement Ă©ducatif Ă domicile (AED) sâest fait en douceur.La mesure a Ă©tĂ© renouvelĂ©e deux fois Ă la demande de la famille, qui a retrouvĂ© des repĂšres Ă©ducatifs et Ă©motionnels, en sortant du huis clos dans lequel elle sâĂ©tait enfermĂ©e. CâĂ©tait lĂ le cĆur de mon mĂ©tier : un travail dâĂ©quipe fin avec des Ă©changes de regards et une intuition commune. Soulever doucement, sans brusquerie, tous les couvercles, libĂ©rer la parole de tous, respecter les peurs de chacun, ne pas compartimenter, ne pas se substituer au rĂŽle Ă©ducatif des parents. Ils ne sont pas inutiles ou malfaisants, juste en dĂ©tresse. Il en fallait du courage pour demande de lâaide et Ă des inconnus en plus !
Tom Je me souviens de Tom, quarante ans, clouĂ© dans un fauteuil rou-lant suite Ă un Accident cardio-vasculaire (AVC) avec des troubles de lâĂ©locution et perte de mĂ©moire. TrĂšs isolĂ©, avec juste un ami qui lui fait un peu de mĂ©nage et des courses une fois par semaine, il fait face Ă une menace dâexpulsion, quâil nâaccepte pas vu son Ă©tat, pour un endettement locatif cumulĂ© sur deux ans. Sur le plan mĂ©dical, il ne semble pas bĂ©nĂ©ficier des meilleurs soins, Ă part le kinĂ© : pas de sĂ©ance dâorthophonie pour ses difficultĂ©s de langage. Jâenrage dâavoir Ă©tĂ© avertie si tard ! Que de temps perdu !
Un plan dâaction trĂšs rapide a dĂ» ĂȘtre mis en place, avec lâaide de mes collĂšgues assistants sociaux de la sĂ©cu et de lâAssociation des paralysĂ©s de France. Un an de bataille. Et il sera finalement relogĂ©, accompagnĂ© psychologiquement et pris en charge mĂ©dicalement par un service spĂ©cialisĂ©.
Il mâarrive de croiser Tom dans son fauteuil roulant aux terrasses des cafĂ©s oĂč il a travaillĂ© comme serveur avant son AVC. Mon in-tervention a permis une prise en charge globale dans la durĂ©e par des personnes compĂ©tentes. Il sâest enfin senti en sĂ©curitĂ©.
Comment un gestionnaire peut-il considĂ©rer votre travail, comment peut-il cimenter lâĂ©quipe, faire tampon parfois pour protĂ©ger et instaurer un sentiment de confiance, alors quâil panique dĂšs quâune situation sort de la norme ? Nous, câest notre quotidien, câest mĂȘme le « hors-normes » qui rythme nos journĂ©es. Comment faire pour hĂ©berger cette famille qui se retrouve Ă la rue ce soir ? ProcĂ©dure: les parents on sâen fout et on place le gamin. Et fume ton joint en rentrant pour oublier. Câest que les gestionnaires ne savent pas faire preuve de crĂ©ativitĂ©, de prise de risque, dâimagination, et souvent ils nâont pas le carnet dâadresses qui permettrait de dĂ©bloquer une situation. Jâai connu des chefs qui se dĂ©menaient, tambourinaient Ă toutes les portes, portaient des fardeaux, appelaient directement les juges pour accĂ©lĂ©rer le processus. Le cloisonnement et le manque de relais (associatifs, publics) aura eu raison de ces Ă©lans et initiatives. Par exemple, aujourdâhui Ă Nice, la SIPAD, service dâhospitalisation psychiatrique pour adolescents, a fermĂ© ses portes ; la Maison des Adolescents a elle aussi tirĂ© le rideau pour un temps indĂ©terminĂ©. Et tout rĂ©cemment, le service dâhospitalisation en pĂ©dopsychiatrie pour adolescents de Lenval a littĂ©ralement brĂ»lĂ©. Les relais Ă©taient dĂ©jĂ maigres, ils deviennent inexistants.
Ăa bougeLyes Louffok, ancien enfant placĂ© et Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, dĂ©nonce avec dâautres un systĂšme dĂ©lĂ©tĂšre, arguant de « lâurgence de transformation radicale dâun systĂšme brutal ». « En arrĂȘtant de nous battre pour la dĂ©fense de lâensemble des droits fondamentaux des personnes, le travail social sâest dĂ©gradĂ© et dĂ©politisĂ©. La France se dĂ©tache de son ancrage social et humaniste et le travail social trop souvent aussi. Câest en faisant converger les luttes quâune transformation pourra voir le jour. »
Repolitiser les professionnels, aucun gestionnaire nâacceptera quâils aient des revendications, et honnĂȘtement, je ne sens pas dâesprit de bataille et de reconquĂȘte chez mes collĂšgues, les plus combatifs sont partis. La folie gestionnaire, dĂ©connectĂ©e, ventripotente et au final inefficace, a tout contaminĂ©, sâest rĂ©pandue, a piĂ©tinĂ© notre enthousiasme et emprisonnĂ© notre empathie.
Prisonniers de ces tableurs, nous continuons pourtant Ă offrir le meilleur de nous-mĂȘmes, mĂȘme si ça craque, ça fouette, ça se sclĂ©rose et ça se vide.
(suite de Ni une fée, ni une magicienne, par Sabine)
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Si je tâĂ©cris aujourdâhui, parasite adorĂ© bien au chaud dans ton bureau, câest que tu commences Ă me devoir beaucoup dâargent, et que cet argent, jây ai droit et jâen ai fort besoin, car il ne tâa pas Ă©chappĂ© quâil se passe quelque chose comme une crise Ă©conomique. Et si je tâĂ©cris ici, câest parce quâil est presque impossible de te joindre autrement, tant, dans ce charmant monde sĂ©curisĂ© et covidĂ©, prendre contact avec une quelconque administration est devenu aussi facile que de comprendre les mesures sanitaires du gouvernement â si tant est, en lâespĂšce, quâil y ait quelque chose Ă comprendre, mais bref.
Laisse-moi te conter une scĂšne ordinaire de ma vie quotidienne, et de celle de milliers de personnes dans ce pays. Je tourne en rond dans ma chambre, fumant clope sur clope. Cela fait vingt minutes que jâĂ©coute la musique dâattente, câest mon troisiĂšme appel en une heure, jâai dĂ©jĂ essayĂ© les trois chiffres quâon me proposait de composer, « 1 », « 2 » et⊠« 9 », pourquoi pas, et par deux fois dĂ©jĂ , tout ceci sâest conclu par un laconique : « toutes nos lignes sont occupĂ©es, veuillez renouveler votre appel ». Soudain, miracle, lumiĂšre divine, petit ange tout nu descendu des cieux : une voix me rĂ©pond. Douce comme si elle me susurrait des mots
dâamour, elle prononce cette phrase que jâattendais depuis si longtemps : « MSA [Mutuelle sociale agricole] Provence Azur, bonjour ».
« Bonjour, je nâai plus de nouvelles de vous depuis longtemps, et je nâai plus de prime dâactivitĂ© depuis dix mois. Câest long. Pourtant je vous ai tout envoyĂ©. - Je vois quâon a reçu les derniers papiers trĂšs rĂ©cemment, monsieur. - Heu⊠vous me les avez demandĂ©s en juillet, je les ai envoyĂ©s tout de suite. - Nous les avons reçus en septembre. - On est en novembre. -Heu... câest les dĂ©lais de traitement... - Ah oui mais pendant ce temps-lĂ moi câest 300 euros par mois que jâai pas, je fais comment pour bouffer ? - Je note tout ça, on vous recontactera », souffle-t-elle finalement avant de me raccrocher au nez.
Et ceci dure depuis janvier dernier, depuis que la Caisse dâallocations familiales (CAF), ayant constatĂ© que je dĂ©pendais dĂ©sormais de la MSA, a eu la fameuse idĂ©e, bien sĂ»r sans me prĂ©venir, de transfĂ©rer la responsabilitĂ© du paiement de ma prime dâactivitĂ© Ă ces derniers, mâobligeant Ă refaire TOUT mon dossier. Mais ça, câest moi qui ai dĂ» mâen rendre compte tout seul comme un grand, puisquâĂ©videmment personne dans vos bureaux ne sâest dit quâil serait pertinent
de mâinformer de ces changements. Vous vous ĂȘtes juste contentĂ©s de me radier, sans courrier, sans explications, sans rien, et depuis câest 300 euros que je me mets mensuellement dans le fondement. Rien de surprenant du reste, quand on sait que le premier avis dâinternaute qui sâaffiche, quand on cherche votre numĂ©ro sur un moteur de recherche, câest, ouvrez les guillemets : « La vĂ©ritĂ© câest que dans les bureaux les dames se font les ongles et quand il y a trop de dossiers on jette la moitiĂ© Ă la poubelle». Tout un programme.
Donc, je me rĂ©pĂšte : câest la crise, nom de Dieu. Nous sommes des milliers, des millions Ă ĂȘtre tributaires de lâaide sociale, qui nâest pas une faveur mais un dĂ», pas pour faire la « bamboche », car en ce moment lâambiance est plutĂŽt au cocktail Xanax-Lexomil-vin de cubi Ă pas cher, mais pour vivre tout simplement, pour aller jusquâĂ la fin du mois, voire mĂȘme juste au milieu du mois, sans crampes dâestomac et courrier du proprio pour retard de loyer.
Si encore tu le dĂ©tournais, ce pognon, cher parasite, toi qui a priori nâes pas un nanti, pas comme tes donneurs dâordre⊠Si encore tu prenais mon argent pour toi-mĂȘme boucler tes fins de mois, je comprendrais. Mais non, le seul argent
« Si chaque homme vivant se levait et cherchait, dans les bureaux, qui est son parasite personnel ⊠», lit-on dans lâAutomne Ă PĂ©kin de Vian. Cher parasite, si je te trouvais, je te signalerais, Ă toi qui nous fais suer pour toucher les aides sociales auxquelles nous avons droit, qui dans la guerre sociale qui a lieu, te fais le complice de lâĂtat qui nous broie. Nous, succession de noms dans une pile de dossiers non traitĂ©s.Par MaÄko DrĂ gĂ n, illustration Esteban (graf dans une rue dâExarcheia, Ă AthĂšnes)
AIDES SOCIALES : LETTRE Ă MON PARASITE DANS SON BUREAU
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Mouais # 13 - JANVIER 2021
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Leymah Gbowee naĂźt en 1972 au LibĂ©ria. En 1989 Ă©clate la premiĂšre guerre civile, Ă la suite du coup dâĂtat militaire orchestrĂ© par les troupes de Charles Taylor. Leymah doit alors sâenfuir au Ghana avec sa famille, Ă 17 ans. Elle revient dans son pays en 1991 comme travailleuse sociale, avec la volontĂ© de soutenir les enfants soldats, objets dâune guerre cruelle, afin de les aider Ă se reconstruire. Elle lutte aussi pour les droits des femmes, victimes comme toujours de violences sexistes et sexuelles lors des guerres.
Leymah Gbowee est mĂšre de six enfants, son mari est alcoolique et violent, son quotidien est difficile. En 2002, elle organise des rencontres entre femmes de diffĂ©rentes religions, dans lâobjectif commun de mettre fin Ă la guerre, puis des marches pacifiques dans la ville, ainsi quâune grĂšve du sexe fortement mĂ©diatisĂ©e. En 2003, elle est Ă la tĂȘte du mouvement Women of Liberia Mass Action for Peace quand Charles Taylor les rencontre enfin. Leymah participe avec lui aux nĂ©gociations de paix au Ghana, et avec son mouvement, se dresse devant lui pour lâempĂȘcher de renoncer aux nĂ©gociations, ce qui amĂšnera les parties en guerre Ă sceller un accord de paix. Taylor quitte le pouvoir en aoĂ»t 2003 et sâexile dans la foulĂ©e.
En 2006, elle co-crĂ©e le RĂ©seau des femmes pour la sĂ©curitĂ© et la paix en Afrique, qui rassemble des femmes militantes, et qui sâĂ©tend sur plusieurs pays autour du LibĂ©ria.Leymah Gbowee reçoit le Prix Nobel de la Paix en 2011.
LEYMAH GBOWEE, Par Tia PantaĂŻ, illustration PP.P
LA LUTTEUSE DU MOUAIS
que tu dĂ©tournes, câest le salaire de ton emploi fictif dâemployĂ© au service du peuple. Et lĂ , jâavoue que franchement, je ne comprends pas, je ne comprends pas lâintĂ©rĂȘt que tu as, toi qui ne nous connais pas, si loin que tu es dans ton petit bureau, Ă te foutre de nous en nous faisant galĂ©rer pour des miettes alors que quelques coups de claviers suffiraient pour nous verser ce que lâĂtat nous doit. Je ne comprends pas, ou bien, je crains de comprendre. Je crains de comprendre que les gouvernants qui vous emploient, tout Ă leurs Ă©conomies de bouts de ficelles sur notre dos pour faire en sorte que les grands patrons puissent continuer Ă se faire du gras, et sans mĂȘme avoir Ă vous le demander, ont fait en sorte que vous cherchiez Ă ne pas verser le moindre centime dâaide sociale qui pourrait ne pas ĂȘtre versĂ©, mĂȘme sous les prĂ©textes les plus farfelus. On coupe, on coupe, on radie, on emmerde, on rend ça le plus long, le plus compliquĂ© possible, et avec un peu de chance il y en a qui lĂącheront lâaffaire.
Parce que moi, je me bats. Jâai les armes pour. Mais les daronnes cĂ©libataires, coincĂ©es entre leurs gosses et leurs petits boulots ? Les prolos usĂ©s par la chaĂźne ? Les petits jeunes qui passent leur vie en intĂ©rim ? Celles et ceux qui Ă©crivent mal, ou pas du tout, ou que ces dĂ©marchent intimident ? Eh bien, câest simple : ils et elles nâont pas le temps, pas les armes, pas les moyens de lutter contre vous, administration absurde et tentaculaire. Et lâĂtat ne leur donne donc pas lâargent auquel ils et elles ont droit. Donc : il les vole.
Et, cher parasite, toi et tes semblables, vous les aidez Ă nous voler. Vous vous faites les complices (je nâose dire : les collabos) de cette guerre sociale implacable. Dans laquelle, jâespĂšre ne pas vous lâapprendre, il y a souvent des morts, et toujours du mĂȘme cĂŽtĂ©, des morts de misĂšre Ă jamais anonymes. Succession de noms sur des fiches, dans une pile de dossiers non traitĂ©s.
Bon, aprĂšs, cher petit parasite, jâentends bien que toi, tu nâes souvent quâune petite main dans cette histoire â et, je lâai dĂ©jĂ dit, a priori, tu nâas rien Ă y gagner. Comme lâa dit Ă Mediapart (16/06/20) Yann Gaudin, le lanceur dâalerte licenciĂ© de PĂŽle emploi : « Des collĂšgues mâĂ©crivent car ils sont en souffrance. Ils ont un sentiment de clandestinitĂ© quand ils passent du temps sur le dossier dâune personne pour les informer de droits que PĂŽle emploi voudraient leur cacher. Car derriĂšre, il y a des risques de reprĂ©sailles, de pĂ©nalitĂ©s en matiĂšre de prime annuelle, et pour leur carriĂšre. » Il concluait alors : « En tant que citoyen, je veux que les usagers puissent avoir affaire Ă une administration honnĂȘte, rigoureuse, bienveillante. »
Donc, cher parasite, il faut bien le dire : toi aussi, tu as ton parasite, au-dessus de toi, te faisant rĂ©gner dans la peur de tout simplement bien faire ton travail. Donc toi, homme ou femme vivant et vivante, si tu te levais et cherchais, dans les bureaux, qui est ton parasite personnel, et si tu lui disais que tu te refuses dĂ©sormais Ă voler tes frĂšres et tes sĆurs ?
Ce ne serait peut-ĂȘtre pas le bonheur, mais au moins un dĂ©but, un grain de sable dans la machine bureaucratique. Mon chat te remerciera. Son sachet de croquettes est bientĂŽt vide.
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Par La Fourmi Ninja
Madame lâinstitution,malades les Ă©ducs.
« Tâas fait tes stages avec quels publics toi ? » Publics. Et le sketch dĂ©marre. Le concept câest quâon enferme des gens ensemble parce quâils ont une ou des problĂ©matiques communes. On les met dans des boĂźtes quâon appelle structures, avec des Ă©tiquettes dessus et puis on en colle quelques-unes sur eux pour ĂȘtre sĂ»rs quâils soient bien rangĂ©s. Ici les droguĂ©s, ici les sans-toit, ici les sans-famille, ici les exilĂ©s, ici les porteurs dâun handicap, ici les intenables, ici les vieux, ici les violents, ici les psychotiques.
Et puis on met dâautres gens dans la boĂźte avec eux, qui ont fait une formation et sont payĂ©s pour « faire du social ». Ce sont des gens qui font du social comme on fait un gĂąteau. Dâailleurs, parfois, ils font un gĂąteau pour faire du social. Ils ont appris diverses recettes faites de notions et de grands mots, et ils adaptent ça selon les allergies et les dĂ©goĂ»ts de ceux qui ont les Ă©tiquettes.
Câest ceux qui savent, et ils travaillent avec dâautres gens qui savent, les psys, les mĂ©decins, les chefs de service, dâautres Ă©tiquettes qui indiquent ce que chacun a dans ses tiroirs rangĂ©s. Puis il y a les stagiaires mais eux, ils mĂ©riteraient une page entiĂšre pour leurs conditions de travail dâapprentissage.
Ăa câest, trĂšs grossiĂšrement,le contexte
Les gens ne sont pas leurs problĂ©matiques. Ce nâest pas incroyable Ă dire, ça paraĂźt pourtant impossible Ă dĂ©construire. Cependant, quâelles soient sociales, Ă©conomiques, addictives, physiques ou psychologiques, elles les structurent, entre autres avec des codes, des repĂšres et des stratĂ©gies en place. On ne peut donc pas espĂ©rer quâune personne se dĂ©tache rĂ©ellement de sa problĂ©matique en la maintenant dans lâunivers de celle-
ci. Si je veux arrĂȘter la drogue je mâĂ©carte de lâenvironnement qui en consomme, ou du moins je vais voir autre chose, un maximum, pour mâimprĂ©gner dâautres fonctionnements, dâautres codes, dâautres repĂšres, dâautres stratĂ©gies, pour apprendre Ă faire autrement.
Câest applicable Ă toutes les problĂ©matiques pour nâimporte qui, les sans-toit, les sans-famille, les vieillissants, les handicapĂ©s, les dĂ©pressifs, les coupables, les victimes, les addicts, les enfants (jâaimerais dire ici que lâĂ©cole prend Ă©galement lâenfance comme une problĂ©matique Ă rĂ©soudre par des adultes qui savent et qui dirigent mais je ne vais pas le dire car on dĂ©boucherait sur un sujet dense qui sâĂ©tendrait sur tout le journal), bref, toute personne dite « en difficultĂ© ».
Ă faire de lâaccueil et de lâenfermement selon Ă©tiquette, les gens deviennent leur problĂ©matique. Câest ce qui les dĂ©finit avant tout dans ce systĂšme-lĂ , et ce systĂšme-lĂ , câest leur quotidien. LâĂ©ducâ ne peut se dĂ©tacher de ça, faisant partie de la machine. On ne sait pas faire avec les gens hors schĂ©ma et lâĂ©ducâ encore moins. Il est un garde-fou satisfaisant pour lâĂtat.
On dit que ces gens font partie de «lâexclusion sociale », et pour y rĂ©pondre on les enferme dâabord entre eux et on essaie de les « rĂ©intĂ©grer » (dĂ©solĂ©e pour
les gros mots mais câest le langage du milieu, on nây est pas trĂšs subtil). Me vient une question un peu naĂŻve et que lâon nous Ă©vite absolument dans notre formation dâĂ©ducâ : ne faudrait-il pas laisser ces gens tranquilles et inadaptĂ©s/inadaptables Ă cette sociĂ©tĂ© qui marche sur la tĂȘte (et qui a donc les oreilles qui puent des pieds) et inventer plutĂŽt des espaces dont le fonctionnement permettrait dâĂ©radiquer toute forme dâexclusion ?
En sophro et ailleurs, on dit que lutter contre ça renforce, que se focaliser sur une douleur ou un dĂ©faut lâamplifie. Je crois que câest ce que fait lâinstitution. Il sâagirait donc de se dĂ©focaliser de lâinconfort, du nĂ©gatif, du problĂšme, et de se concentrer sur ce qui va bien, ce qui est doux, ce qui anime, jusquâĂ crĂ©er un nouvel environnement.
Accueillir une personne dans ce sens : « Quâest-ce que tu aimes faire, avec tes mains, avec tes pensĂ©es, avec tes tortures? Dans quel domaine te sens-tu bien sâil y en a un ? Que voudrais-tu construire au sein dâun collectif ? Quâest-ce qui ne te convient pas actuellement dans ton quotidien ?». Ăventuellement rassembler les gens en difficultĂ©s/dĂ©tresse autrement, autour de leur positif plutĂŽt que leur nĂ©gatif ? Toi et moi, qui sommes hors institutions (sociales du moins), portons diverses problĂ©matiques Ă©galement.
Savoir professionnelet relation de pouvoir
On sâen sort â plus ou moins â parce que nous ne sommes pas enfermĂ©s dans celles-ci et que nous construisons des choses qui nous grandissent, entre amis, entre amochĂ©s variĂ©s et avariĂ©s. Pourquoi lâinstitution ne pourrait pas prendre cette allure-lĂ ? Des lieux dâaccueil gĂ©nĂ©ralisĂ©s et inconditionnels, Ă rĂ©flĂ©chir, ajuster, fabriquer ensemble.
Le savoir professionnel amÚne ici bien trop souvent à une relation de pouvoir, de domination. Il dépossÚde la personne de son corps, de son état, de son propre
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Mouais # 13 - JANVIER 2021
APRĂS LA SORTIE, PAR F.R. Par F.R.
Entre les barreaux chroniques de détenu.e.s
Je suis dehors depuis bientĂŽt deux ans et lâangoisse que lâon dĂ©couvre un jour mes
sĂ©jours en prison me fait toujours trembler de peur, et ce malgrĂ© moi.Pendant de longs mois, jâĂ©tais transie de peur Ă lâidĂ©e de croiser le regard de lâautre. Lorsque je rencontrais quelquâun et quâil sâarrĂȘtait pour me parler, je le regardais et lâobservais intensĂ©ment. Je cherchais alors le moment oĂč je serais dĂ©voilĂ©e. Le signe qui allait me dĂ©masquer. LâĂ©change des mots restait alors anodin, hermĂ©tique. Les promesses de se revoir, se tĂ©lĂ©phoner, de se frĂ©quenter Ă nouveau (comme par le passĂ©) Ă©tait prononcĂ©es mais rien nâĂ©tait maintenu, tout restait stĂ©rile.
La prison mâa fait perdre mes amis, quelques membres de ma famille, elle continue de toucher ma vie sociale : la solitude affective, le vide semble me signifier que « je ne suis plus frĂ©quentable », comme si je nâĂ©tais plus rien.
La punition ne prend pas fin lors de la libĂ©ration - Ă la sortie de dĂ©tention. Non, la libĂ©ration mentale ne suit malheureusement pas la libĂ©ration physique. Lâenfermement nous marque pendant des mois, parfois mĂȘme des annĂ©es. Il me poursuit, comme calquĂ© Ă ma peau. Câest un peu comme une Ă©tiquette indĂ©lĂ©bile qui serait gravĂ©e sur mon front et ne sâeffacerait pas. MĂȘme aprĂšs avoir payĂ© la note, elle me suit, et me consume. Câest comme un signe distinctif invisible, un stigmate puissant qui agit sur notre personnalitĂ© sociale. Un attribut qui dĂ©finit notre diffĂ©rence Ă partir dâun discrĂ©dit social - qui serait celui-ci : « attention, personne appartenant Ă une catĂ©gorie dâindividus ayant une identitĂ© morale Ă part, potentiel criminel ».
Nâen pouvant plus, je finis par me poser la question suivante : dois-je mâesseuler, mâenfermer dans ma maison avec mon abonnement Netflix, mon frigo, mes livres ? Ma rĂ©ponse, avec le temps, est non. Si je fais cela câest comme si je rentrais une
nouvelle fois dans ma cellule, dans un cercueil, terne, Ă©troit, angoissant, ce serait comme un cercle vicieux (adopter une habitude dont je ne pourrais jamais ressortir). Je dĂ©cide de vivre. Je prends mon courage Ă deux mains, et je me dĂ©barrasse de la crainte du jugement des autres vis-Ă -vis de moi, quâils savent ou ne savent pas, ça ne doit plus constituer mon problĂšme.
Je reprends ma vie, je veux vivre, je me motive pour le faire.
Je visite des lieux, je nâai pas besoin de gens pour apprĂ©cier de beaux moments, comme une bonne piĂšce de thĂ©Ăątre, un bon film, de beaux paysages. Les animaux, eux, ça leur passe au-dessus que la main qui les caresse ait sĂ©journĂ© en prison. Au lieu dâen faire un handicap, jâen fais une force. Jâai acceptĂ© ces sĂ©jours, dĂ©sormais ILS FONT PARTIE DE MA VIE ET JâAI FINI PAR VIVRE AVEC. Sans cette expĂ©rience, je nâaurais sans doute jamais rencontrĂ© toutes ces personnes incroyables que la dĂ©tention maintient de force. Ces personnes avec des façons de penser incroyables, cet honneur, ce respect, tous ces gens extrĂȘmement dignes qui malgrĂ© les coups tiennent bon.
Je dois leur rendre un hommage ! Et aussi aux intervenants extĂ©rieurs, ces personnes, bĂ©nĂ©voles et aumĂŽniers, qui tĂ©moignent de leur engagement en venant nous rendre visite dans ces infĂąmes maisons dâarrĂȘt. Elles nous amĂšnent des moments Ă part, de fraĂźcheur, de bonheur, prennent le temps de nous Ă©couter sans jamais nous juger. Elles nous apportent de lâair pur. Ce lien humain, qui nous manque trop dans ces lieux, câest aussi cela qui nous permet de continuer, de nous redonner du courage pour quâon puisse avoir la force de sâaccrocher dans cette expĂ©rience difficile que constitue la dĂ©tention.
Un grand merci aux visiteurs de prison, continuez Ă venir ! Les prisonniers ont besoin de vous, vous leur faites du bien, vous les valorisez, mĂȘme si câest un court moment, ce petit moment est tellement important.
savoir et de sa connaissance dâelle-mĂȘme. Il ne peut ĂȘtre efficace et entiĂšrement saisissable que dans une dĂ©marche de partage pour permettre une ouverture du savoir de lâautre sur lui-mĂȘme.
Des cĂąlins dâamour aux collĂšgues et amis, ceux Ă©ducâ et dĂ©clarĂ©s en burn-out Ă 25 ans, ceux qui ont optĂ© pour la reconversion mais se sentent lĂąches. Ceux qui arrivent Ă apporter douceur dans cette machine
maltraitante par essence. Aux gĂąteaux sociaux.
à ceux qui bataillent entre sécurité institutionnelle et liberté destructrice, qui se font manger par leur problématique et par les éducs, les médecins, les psys, le savoir, le pouvoir.
Ă ceux quâon cache et quâon contient. Ă la dĂ©construction de lâinstitution malade. Ă
toutes les initiatives de gens â non-Ă©ducs dans lâĂąme â qui se mettent en place pour remĂ©dier à ça. Parce que les bouts de papier on sâen balance, ça ne crĂ©e que des frontiĂšres.
LâamitiĂ© et le vivre-ensemble vaincront, avec les dĂ©mons et les bĂ©quilles de chacun.
Air frais et passions structurantes pour toutes et tous.
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« Fille » et « garçon » ça se passe dans la tĂȘte des gens et dans les interactions avec la sociĂ©tĂ©. Peu Ă peu, implacablement, pour nous tous, nos parents, nos enfants, depuis des siĂšcles. Bon. Comment ça se passe ? On traite tout de suite diffĂ©remment, Ă la naissance et mĂȘme avant, un individu qui a une vulve et un autre avec un pĂ©nis. Celui qui a une vulve il va falloir le « prĂ©server », on va le supposer « fragile », « sensible », plus doux. Lâautre, ce sera un homme mon fils, grrrr, viril !
Ăa attaque sur les nourrissons sans pitiĂ©, body bleu ou rose, fleurs ou super hĂ©ros, idem pour la tĂ©tine, les doudous, les jouets. On aura tendance Ă parler plus doucement Ă une « fille » quâĂ un « garçon ». On va jouer Ă des jeux plus brusques avec un « garçon » quâavec une « fille », Ă laquelle on va plutĂŽt rĂ©server les paroles, les Ă©motions.
Puis Ă lâĂ©cole...Tout ça nâa donc rien Ă voir avec un pĂ©nis ou une vulve, mais seulement avec le comportement quâon adopte. Et puis ça ne sâarrĂȘte pas lĂ . Ensuite câest la tempĂȘte du genre qui se dĂ©chaĂźne, Ă la crĂšche, oĂč apparaissent les premiers jeux genrĂ©s, des mini cuisines dâun cĂŽtĂ© et des mini garages de lâautre. Puis Ă lâĂ©cole oĂč les enfants commencent Ă interagir entre eux et oĂč ils ont dĂ©jĂ bien assimilĂ© les comportements Ă adopter selon ce quâils ont entre les jambes.
Ils baignent dans la sociĂ©tĂ©, qui les conforte dans ces rĂŽles, partout, tout le temps, magasins, affiches, dessins animĂ©s, livres, habits, les exemples, les stĂ©rĂ©otypes quoi. Bleu, costaud, viril, dominant dâun cĂŽtĂ©, rose, fragile, soumise de lâautre. Ăa dure depuis des siĂšcles, et aujourdâhui ça atteint des niveaux inĂ©dits jusque-lĂ . Les stratĂ©gies publicitaires et commerciales sont de plus en plus au point pour fabriquer des « mecs » et des « meufs » standards, « normaux », terriblement binaires. Câest fade et triste non ?
Il y a peu de place pour des individus non-binaires, et peu de changement dans les rĂŽles quâon assigne aux individus selon leur sexe. Ces rĂŽles nous poursuivent jusque dans nos rapports intimes, notre sexualitĂ©, nos couples, en famille, dominant-dominĂ©, dans la rue, au boulot, tout ça conditionnĂ© par les normes dictĂ©es par la sociĂ©tĂ©. Câest en partie de ces rĂŽles que dĂ©coulent les inĂ©galitĂ©s entre les femmes et les hommes, les tĂąches mĂ©nagĂšres pour les unes, lâaventure pour les autres.
DĂ©construireCes rĂŽles sont des prisons, car on ne les choisit pas (quel choix a le nourrisson, lâenfant ?), ils nous enferment dans des comportements, avec peu de marge de manĆuvre. Ces conditionnements nous poursuivent dans tous nos actes et nos choix. Mais on peut sây attaquer sĂ©rieusement, faire un gros travail de dĂ©construction, pour sâen libĂ©rer, ĂȘtre un peu plus libres quoi.
Car il sâagit bien de dĂ©construire ce que dâautres ont « construit », nous ont fait, nous ont appris Ă rĂ©agir, agir, se comporter, Ă avoir plus ou moins de droits selon quâon est nĂ©.e avec un pĂ©nis ou une vulve. Câest tellement fou quand on y pense non ? Toute une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur ce quâon a entre les jambes, qui fait que certains humains ont plus de droits que dâautres, plus de privilĂšges. Que certains peuvent dominer les autres juste Ă cause de ça.
Aujourdâhui les Ă©tudes de genre se rĂ©pandent Ă un nombre croissant de personnes, qui remettent en question ces « rĂŽles », ces « rĂšgles » abjectes. Le changement se fait tout doucement mais il se fait. Pour nous aider dans la dĂ©construction, femmes et hommes, non-binaires et tout le monde dâailleurs, je vous propose dâaller Ă©couter le podcast Camille1 qui traite de ce sujet avec plein de douceur. Faites pas genre ! 1. https://www.binge.audio/podcast/camille
Certains individus naissent avec un pĂ©nis, dâautres avec une vulve, mais ça ne les assigne pas Ă ĂȘtre « fille » ou « garçon ». Quand un bĂ©bĂ© sort du ventre de sa mĂšre, il ne prĂ©fĂšre ni le bleu ni le rose, nâaime pas plus les camions que les poupĂ©es, ne prĂ©fĂšre pas devenir astronaute plutĂŽt que femme au foyer. Câest juste un tout petit humain bĂ©bĂ©. Par Coccinelle, illustration Esteban (graf dans une rue dâAthĂšnes)
Pris.e au piĂšge !
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lMouais # 13 - JANVIER 2021
DerniÚre minute : Les pauvres,ça va, y a plus important !
L'Agence France Presse (AFP) s'apprĂȘte Ă dissoudre son service d'informations sociales pour rĂ©partir les journalistes spĂ©cialisĂ©s dans plusieurs services diffĂ©rents. Ces journalistes, qui ont une relation de proximitĂ© avec les syndicats, qui sont en phase avec les luttes et couvrent les conflits sociaux dans les entreprises, les manifestations... sont mutĂ©s dans le numĂ©rique, culture, politique, Ă©conomie, territoires, sociĂ©tĂ©. Pour JĂ©rĂ©my Talbot (journaliste AFP), « le social n'apparaĂźt pas comme prioritĂ© dans cette nouvelle organisation. (âŠ) Si un journaliste doit faire une dĂ©pĂȘche sur un rĂ©sultat boursier, il ne pourra pas aller parler aux chauffeurs VTC dehors.» (ArrĂȘt sur images, 18/12/20).
Le social, ce nâest pas vendeur
Le social n'est pas vendeur, les combats des petites gens pour conserver leur emploi et gagner dĂ©cemment leur croĂ»te, ça ne fait pas du clic et c'est trĂšs peu repris par les grands journaux et magazines devenus des agrĂ©gateurs de contenus au service de milliardaires et au lectorat bourgeois. Et ne comptons pas sur les pouvoirs publics pour mieux tendre l'oreille aux français d'en-bas, le gouvernement Ă supprimĂ© le 31 dĂ©cembre 2019 lâObservatoire national de la pauvretĂ© et de l'exclusion sociale (ONPES) qui diffusait depuis vingt ans, en toute indĂ©pendance, des Ă©tudes pour mieux lutter contre lâexclusion. Cachez ces dix millions de pauvres qu'on ne veut plus voir, voilĂ , pouf, ça n'existe plus.
(suite de Ni une fée, ni une magicienne, par Sabine)
Christopher
Je me souviens de Christopher, huit ans, un visage dâadulte sur un corps dâenfant, placĂ© en famille dâaccueil. TrĂšs vite, les signaux dâalerte clignotent et nous alarment ma collĂšgue Ă©ducatrice et moi-mĂȘme : enfant en souffrance, famille dâaccueil Ă bout de souffle, scolaritĂ© catastrophique, parents en crise psychiatrique. Christopher se met en danger physique constamment lorsquâil est Ă lâextĂ©rieur, traverse la route au moment oĂč une voiture arrive, grimpe sur de hauts murs ou dans des arbres dâoĂč il se jette dans le vide. A la maison, son comportement «bizarre» fait peur Ă la famille dâaccueil et suscite le rejet. Sur notre insistance, on lâhospitalise en pĂ©dopsychiatrie. La famille dâaccueil nous informe alors quâelle ne veut plus continuer la prise en charge aprĂšs son hospitalisation. Nouvelle tentative de suicide Ă lâhĂŽpital. Un aide-soignant le rĂ©cupĂšre de justesse. Nous Ă©chouons Ă trouver une autre famille avec un suivi mĂ©dical Ă domicile. Un an hospitalisĂ©, jusquâĂ ce quâune institution spĂ©cialisĂ©e le prenne en charge.
Et pendant ce temps, sa mĂšre qui arrĂȘte son traitement mĂ©dical, consomme alcool et drogues, tombe enceinte dâun autre homme, et donne naissance Ă une petite fille qui aura un retard mental et des troubles du comportement et quâon sera aussi obligĂ©es de placer. Sa famille dâaccueil a tenu bon. Et moi, pendant presque deux ans, je me suis sentie impuissante, inutile et avec lâimpression dâassister au naufrage du Titanic.
EN BRĂšVE...
(GEnEral)
EJE : Educateur.rice de jeunes enfantsES : Educateur.ice spĂ©cialisĂ©.eAS : Assistant.e de service socialME : Moniteur.ice Ă©ducateur.iceAVS : Auxiliaire de vie scolaireCADA : Centre dâaccueil pour demandeurs.ses dâasileMSD : Maison des solidaritĂ©s dĂ©partementalesPMI : Protection maternelle et infantile
(Protection_de_lâenfance)
ASE : Aide sociale Ă lâenfance (financĂ©e par le conseil dĂ©partemental)OPP : Ordonnance provisoire de placementIP : Information prĂ©occupante (signalement)ADRET : Antenne dĂ©partementale de recueil et de traitement des informations prĂ©occupantesJAF : Juge aux affaires familialesAEMO : Action Ă©ducative en milieu ouvert (judiciaire)AED : Action Ă©ducative Ă domicile (administrative) MECS : Maison dâenfants Ă caractĂšre social
(Handicap)
IME : Institut mĂ©dico-Ă©ducatifMDPH : Maison dĂ©partementale des personnes handicapĂ©esSESSAD : Service dâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e et de soins Ă domicileITEP : Institut thĂ©rapeutique Ă©ducatif et pĂ©dagogique
Petit_guide_de_survie_
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Travail socialSolidaritéFamilleTISF UsagersPartenaire
CESFPouponniÚreCaféEJESoinPréjugés
EducationProtectionAssistanceAccompagnementPublicJuge
ProjetSoutienMSDBurn-outEnfantLiberté
PréventionASEBudgetCSAPALutteSigle
LES MOTS mĂȘlĂ©s du travail social De Tia PantaĂŻ
LES SOLUTIONS DU MOUAIS numéro 12
Lâhoroscouaipe Par Tia PantaĂŻ
TravailSecouez vos petites cornes, la semaine va ĂȘtre chargĂ©e ! RĂ©union de fonctionnement lundi matin, rendez-vous avec les partenaires lâaprĂšs-midi, rĂ©union dâĂ©quipe mardi matin, sortie avec la famille lâaprĂšs-midi, ah ben non câest Covid, on va faire une visite Ă
domicile, enfin, mercredi câest rĂ©union projet, jeudi on va scolariser les gamins, vous avez confirmĂ© le rendez-vous ? Vendredi câest rĂ©union institutionnelle, il ne vous reste plus le temps de remplir vos formulaires sur le logiciel, et nâoubliez pas de payer votre coup aux collĂšgues le soir, la semaine est finie.
AmourVous avez commis lâerreur de vous mettre en couple avec quelquâun·e qui ne travaille pas dans le social, et il/elle ne supporte plus de vous voir pleurer parce quâon a foutu une famille Ă la rue, ou en colĂšre contre les institutions, ou raconter pendant des heures avec Ă©merveillement le sourire du gosse Ă
la sortie de son premier jour dâĂ©cole. Il.elle ne parle pas la langue des signes et se retrouve larguĂ© au bout de trois minutes. Vous lui plombez le moral. Il-elle vous quitte pour un.e trader.
SantĂ©Vous aurez mal au dos comme dâhabitude, vous en aurez plein le dos aussi. Mal aux yeux devant lâordinateur, mal aux oreilles quand les enfants crient, mal Ă la gorge Ă force de parler fort et de rĂ©pĂ©ter, mal Ă la tĂȘte de plaider des causes devant des « dĂ©cideurs », des cauchemars la nuit oĂč vous voyez danser des sigles, angoisses, Ă©puisement gĂ©nĂ©ralisĂ©. Vous craigniez le burn-out ? Surprise, câest un cancer.
Lâhoroscouaipe du mois vous est offert par lâAide sociale Ă lâenfance
Et en bonus un mot intrus Ă trouver !
Retrouvez des articles de ce Mouais et des inĂ©dits, en podcast, mis en ambiance par Radio Chez Moi, sur lâaudioblog dâArte Radio Chez Mouais :
https://audioblog.arteradio.com/blog/152167/radio-chez-moi
CAPRICORNE
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Mouais # 13 - JANVIER 2021
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Par Mila, 10 ans
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PARLONS-NOUS(ou le dialogue impossible -ou pas- entre la France insoumise et les anarcho-autonomes) Et si on osait participer aux Ă©lections ? Mouais... Pour les anarchistes, câest une question de principe. Ne reconnaĂźtre aucune autoritĂ© revient Ă dire que lâĂtat est le pire ennemi de la dĂ©mocratie et que, par consĂ©quent, participer Ă un processus Ă©lectoral dont les rĂšgles sont fixĂ©es par lâĂtat reviendrait Ă reconnaĂźtre sa lĂ©gitimitĂ© et ses rĂšgles. Bref, une impasse. Alors, parce quâen pratique les opinions sont plus pragmatiques, trois tendances se distinguent au sein de la galaxie libertaire.
PremiĂšrement, celles et ceux qui affirment quâil ne sert Ă rien de jouer le jeu de lâĂtat et de perdre son temps et son Ă©nergie, donc sa puissance, au travers de longs processus Ă©lectoraux dont les principes vont Ă lâencontre des oppositions radicales des anarchistes Ă toute forme de hiĂ©rarchie. Ceux-celles-lĂ affirment en dĂ©finitive que nous nâavons pas besoin de prendre le pouvoir parce que nous lâavons dĂ©jĂ , et quâil est bien plus pertinent et cohĂ©rent politiquement de faire sans. Un truc «pur», mais pas forcĂ©ment adaptĂ© aux situations rĂ©elles. « Ălections piĂšges Ă cons » pourrait ĂȘtre leur devise.
Pourtant, cela signifie se couper du dialogue avec une grande partie du monde libertaire, de la vaste galaxie « anti-autoritaire ». Câest pourquoi les tenants de lâĂ©cologie sociale, une autre tendance de lâanarchie, considĂšrent quâau contraire, il faut, au travers dâun rĂ©seau de conseils de quartiers, occuper lâespace politique officiel le plus localement possible, en participant aux Ă©lections Ă lâĂ©chelle des quartiers, des cantons ou des villes si nĂ©cessaires. On parle de municipalisme libertaire. Pour en savoir plus, lire « Mouais 2025â AprĂšs la rĂ©volution » (numĂ©ro de mai 2020).
Enfin, du cĂŽtĂ© de lâextrĂȘme gauche de pouvoir, certain.e.s militant.e.s aux affinitĂ©s libertaires, quâon peut nommer communistes libertaires ou anarcho-syndicalistes selon que leurs organisations politiques soient un parti et/ou un syndicat, quant Ă eux et elles, affirment que notre Ă©thique est suffisamment rĂ©siliente pour ne pas se retrouver corrompue par les mĂ©canismes du pouvoir, sachant quâune fois les institutions entre « nos » mains, rien ne nous empĂȘchera de les dĂ©manteler pour, petit Ă petit, dissoudre lâabsolutisme de lâĂtat dans de « nouvelles institutions » aux modes de fonctionnement horizontaux et autonomes. Une sorte de pĂ©riode de transition. Alors, les Ă©lections, on en parle, les copaines ?
les sujets de comptoir du mouais Par Jide
LA PRESSE PAS PAREILLE (Paperâs not dead) RĂȘvons⊠ce serait le mois de mai 2021 et on ne serait pas loin de Nice, sur les collines, il ferait beau, et ça sentirait bon le printemps. On ne vous parle pas de faire du miel, mais de participer Ă un super festival, un truc festif et tout et tout, mais pas que ! Un festival consacrĂ© Ă la presse pas pareille. QuĂ©sako ? On -Le Ravi- dit « pas pareille » parce quâavec le bazar de la presse « normale » (oui vous savez, le Monde, le Figaro, le Point, Valeurs actuelles, Nice-MatinâŠ) on ne sait plus trop comment se distinguer, alors « pas pareille », eh bien, ça fonctionne, en tous les cas pour le moment. Du coup, cela se passerait sur un week-end, pourquoi pas Ă la fin mai, avec des oliviers comme dĂ©cor, un beau camping, des espaces dĂ©diĂ©s Ă la parole avec des ateliers-dĂ©bats-dialogues, de belles et beaux journalistes indĂ©pendants, des dessinateurs.trices de la presse satirique en dĂ©dicace ⊠Enfin, un festival fait pour et par les passionnĂ©.e.s de la libertĂ© de la presse, du papier et des chats noirs. Sans oublier, Ă©videmment, que la « fĂȘte nâest jamais finie », ce qui signifie : buvette, cantines avec de bons produits locaux, concerts en folie et de la trĂšs trĂšs bonne humeur. Alors, impatient.e.s ? On en reparle trĂšs vite !
Les flics, prolos ou ACAB ?à lire et à débattre, ici ou ailleurs.
Câest lâhistoire dâun.e dâouvrier.e, un.e prolo, qui tombe du mauvais cĂŽtĂ© de la matrice, la pilule bleue, ou qui sâest gourĂ©.e dans le scĂ©nario et, bam, qui se met Ă porter le kĂ©pi, sâimmerge dans la propagande pro-flics de justice et de bravoure, et enfile lâuniforme (et pas les perles⊠quoique ?). Bref, un.e enfant de pauvres qui devient flic. Horreur ? ACAB* ? Pas forcĂ©ment, car lâhabit ne fait pas le moine et lâuniforme ne gomme pas le ou la prolo qui le porte. Câest sur ce sujet, fort passionnant, que notre journaliste Macko DrĂ gĂ n nous interpelle sur son blog Mediapart, « Ni Ă©gard, ni patience », dans un billet intitulĂ© « All Cats Are Beautiful ? »:
« Je vous le dis, camarades policiers : vous faites de plus en plus peur. Nâen dĂ©plaise Ă Darmanin, « divorce » il y a, et ce divorce est consommĂ©. [âŠ] Vous noterez [âŠ] que je vous appelle ici : camarades. Alors, je vous le dis, chers camarades : the times they are a-changinâ. [âŠ] Nous, notre choix est fait depuis longtemps. Ne vous reste quâĂ faire le vĂŽtre. Rester du cĂŽtĂ© de la bĂȘtise, de la laideur, de la lĂąchetĂ© et de la mort, ou nous rejoindre dans le camp de la beautĂ©, du courage et de la vie.» Alors, les flics, prolos ou ACAB ? On en parle ?*ACAB : abrĂ©viations de All Cops Are Bastards (tous les flics sont des bĂątards)