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Le tourisme islamique peut-il être durable ?

Camal Gallouj

Professeur des Universités

Université de Paris 13, Sorbonne Paris Cité

Khalissa Semaoune

Enseignant chercheur

Université d’Oran

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Le tourisme islamique peut-il être durable ?

Résumé et abstract

L’objectif de cette communication est de faire le point sur le rapport Islam-tourisme. Nous

revenons sur la notion de tourisme islamique en insistant sur ses caractéristiques et frontières.

Nous montrons en quoi il est un tourisme durable et responsable puis nous analysons ses

perspectives de développement et les contraintes sous-jacentes.

The aim of this paper is to make a point on the links between Islam and tourism. We go

through the islamic tourism concept trying to define its specificities and boundaries. We try

and demonstrate that this form of tourism is both a sustainable and responsible way of

practicing tourism. We then analyse its developement prospect and the underlying limits and

drawbacks

Mots clés Tourisme, Islam, RSE

Tourism, Islam, social responsibility

Depuis le début des années 2000, on assiste, principalement en Europe (mais également plus

largement), à l’émergence d’un débat particulièrement animé sur la question du halal et sur les

potentialités réelles ou supposées du marché halal. Ce débat suit selon nous deux trajectoires

distinctes :

- une trajectoire alimentaire, qui se focalise sur la viande et plus récemment sur l’alimentation

halal ;

- une trajectoire que nous qualifierons de « servicielle » et qui est centrée sur la finance ;

autrement dit les banques, et dans une moindre mesure les assurances.

Ces deux trajectoires regroupent l’essentiel des travaux existants à ce jour sur l’économie et le

management halal. Pour autant, le marché du halal a une portée nettement plus large en

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particulier dans les services. Ainsi par exemple, un espace important de l’extension du

domaine du halal réside dans le champ du tourisme ; en effet, la notion de tourisme halal

apparaît comme très largement porteuse d’avenir.

On peut considérer que le tourisme en tant que secteur de services constitue sans doute, après

la banque et l’assurance, un des secteurs privilégiés de développement et d’expérimentation

de pratiques halal. Depuis le début des années 2000, on assiste ainsi à un intérêt renouvelé des

chercheurs et praticiens pour la question du tourisme islamique.

Néanmoins, l’essentiel des travaux sur la question relève de la littérature grise (contribution à

des conférences, actes de colloque, etc.) et les articles académiques publiés, à la notable

exception du papier fondateur commis par Din en 1989, restent relativement rares et pour

l’essentiel pas à la hauteur des enjeux économiques du secteur. Dans tous les cas, on peut

affirmer, à la suite de Henderson (2003) que le tourisme, dans sa dimension islamique reste

un champ encore très largement sous-investigué : « tourism and Islam has, however, been

relatively neglected which is surprising in view of the resurgence of the latter » (2003, p. 448)

L’objectif de cette communication est de faire le point sur le rapport islam-tourisme et de

revenir ainsi sur la notion de tourisme islamique, ses frontières, dynamiques et facteurs de

développement. Dans une première section nous tenterons effectivement de définir la notion

de tourisme islamique, d’en préciser les contours possibles et de resituer cette notion dans un

cadre plus large comprenant un certain nombre de nouvelles formes de tourisme et en

particulier le tourisme durable et responsable. Dans une deuxième section, nous abordons les

dynamiques et facteurs de développement du tourisme islamique. Enfin dans une dernière

section nous traitons la question des gaps ; autrement dit des manques dans les travaux

existants sur la question. Nous évoquons ainsi des pistes de recherche futures qu’il nous

semble nécessaire sinon envisageable de mener.

1. Tourisme islamique, tourismes islamiques : quelles définitions

La notion de tourisme islamique est une notion multidimentionnelle et donc difficile à cerner.

On trouve dans la littérature spécialisée, qu’elle soit académique ou journalistique, un certain

nombre de définitions ou tentatives de définition. Nous proposons, dans un premier temps de

revenir sur ces définitions ainsi que sur les dimensions et orientations qu’elles mettent en

avant et valorisent. Dans une second temps, nous tenterons de reconsidérer le tourisme

islamique dans une perspective plus large intégrant, au delà du tourisme religieux, un certain

nombre de nouvelles formes de tourisme ou encore de tourisme autrement.

1.1. Définir le tourisme islamique

De très nombreux auteurs ont en effet cherché à définir la notion de tourisme islamique. Les

définitions que nous recensons couvrent un large spectre qui reste également révélateur de la

richesse renouvelée des réflexions et débats en cours. Ces définitions, que nous reprenons

pour l’essentiel dans l’encadré 1, embrassent un vaste spectre qui va d’une conception

conservatrice restrictive comme celle proposée par Duman (2011) : « islamic tourism can be

defined as tourism activities by muslims that originated from islamic motivations and are

realized according to Shariah principles » … à une approche plus large et ouverte comme

celle proposée par Shakiry (2006) : « the concept of islamic tourism is not limited to religious

tourism, but it extends to all forms of tourism except those that goes against islamic values ».

Encadré 1 : Définitions du tourisme islamique

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Ala-Hamarrneh (2011) : The economic concept for Islamic tourism is an extension and expansion

oriented concept which focuses on the importance of intra-muslim and intra-arab tourism in terms of

inclusion of new markets and tourist destinations

The cultural concept for islamic tourism includes visions and ideas that outline the inclusion of islamic

religious-cultural sites in tourism programs with « pedagogical » and self-confidence-building

elements

The religious-conservative concept of islamic tourism has not yet been theoretically articulated. But

various opinions and remarks in the discussions on the future of tourim on the Arab and islamic

worlds as well as some practices of hotel’s management indicates that articulations and

implementations are just a matter of time.

Dogan (2010) : Islamic tourism covers tourism activities by muslims in seaside destinations for the

purpose of relaxation and entertainement in hospitality enterprises that apply islamic principles

Henderson (2009) : tourism mainly by muslims, although it can extend to unbelievers motivated to

travel by islam, which takes place in the muslim world

Henderson (2010) : All product development and marketing efforts designed for and directed at

muslims. Motivations are not always or entirely religious. Participants could be pursuing similar

leisure experiences to non-muslims, albeit within parameters set by Islam, and destinations are not

necessarily locations where Shariah or full Islamic law is enacted

ITC 2009) : A sphere of interest or activity that is related to travel to explore islamic history, arts,

culture and heritage and/or to experience the islamic way of life, in conformity with the islamic faith

(cité par Binti Kamarudin, 2012)

OIC (2008) : Muslim tourists travelling to destinations where islam is an official or a dominant faith,

often for reasons connected to religion » (cité par Henderson, 2010)

Nursanty E. (2012) : Halal (islamic) tourism is a subcategory of religious tourism which is geared

towards muslim families who abide by Sharia rules

La multiplicité des définitions proposées est, pour une part, révélatrice de la diversité des

conceptions, approches et trajectoires possibles du tourisme islamique. Pour autant, si l’on

cherche à y voir plus clair et à proposer une synthèse, on pourra à la suite de Dogan (2011)

considérer que les définitions du tourisme islamique s’appuient ou peuvent s’appuyer sur

quatre dimensions principales : les produits ou prestations composant l’offre touristique

(produits et services halal ?) ; les acteurs et leurs spécificités (les musulmans ?) ; les

destinations et localisations (les pays musulmans ?) ; les objectifs et motivations de ce

tourisme particulier (loisirs, plaisir, perfectionnement…).

Si la première dimension (offre de produits et services halal) peut apparaître relativement

consensuelle ; il en va différemment des autres dimensions qui sont sujettes à discussions et

critiques.

1.1.1. Les produits et prestations composant l’offre touristique

Cette première dimension (offre de produits et services halal) ne pose en effet et à notre sens

pas (trop) de problèmes intrinsèques. Le tourisme est un service architectural (composé d’une

multitude de bien et services (cf. Gallouj et al., 2010), dont on attend que toutes les

composantes soient halal, c’est-à-dire licites (cf. figure 1).

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Figure 1 : Les dimensions halal du tourisme halal

Source : Wan Sahida et al. (2011a)

Le tourisme islamique (ou halal) serait ainsi un tourisme dont les composantes et les services

élémentaires seraient respectueux des normes halal.

Les travaux sur les contours d’une offre touristique islamique se sont cependant rarement

intéressés au tourisme dans son ensemble. Plus modestement, c’est sur la seule dimension

d’hébergement qu’ils se sont focalisés. On dénombre ainsi un certain nombre de réflexions

sur les composantes halal de l’hôtellerie.

Wan Sahida et al. (2011b), dans le cadre d’une recherche menée en Malaisie proposent une

représentation détaillée d’un package halal en matière d’hôtellerie. Pour ces auteurs, une offre

hôtelière halal ou encore Sharia compatible devrait intégrer l’ensemble des dimensions

suivantes : restaurant proposant des menus halal, absence de représentation humaine dans la

décoration, indication systématique de la direction de la Mecque, tapis de prière et copies du

Coran dans les chambres, salle de prière, interdiction de l’alcool, programme télévisés

respectant les valeurs de l’islam, prédominance d’un personnel musulman, etc. (cf. figure 2).

Figure 2 : Les attributs d’un hôtel halal

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Néanmoins, cette représentation reste incomplète. En effet, on pourrait y ajouter les éléments

suivants : un code vestimentaire strict (tant pour les touristes que pour les employés) ; une

charte publicitaire qui ne s’appuie pas systématiquement sur des modèles féminins ; une

sensibilité aux questions écologiques et au développement durable ; une intégration claire de

la RSE, vis-à-vis des employés en particulier (nous y reviendrons). Par ailleurs d’autres

éléments situés en amont et en aval de l’offre peuvent permettre de caractériser le tourisme

islamique : un design et une architecture adéquate (localisation des sanitaires par exemple) ;

un financement (de l’hôtel) conforme aux préceptes islamiques ou encore une pratique

affichée de la Zakat.

Bien entendu les différentes dimensions que nous venons de proposer ne sont pas figées ni

même obligatoires. Ainsi, certains travaux proposent des degrés de licéité ; autrement dit des

niveaux ou des grades dans l’offre touristique islamique.

Depuis quelques années, à l’initiative de pays comme la Turquie et l’Iran, mais également et

surtout la Malaisie et l’Indonésie, on voit se développer une véritable offre d’hôtellerie

halal… et plus généralement des chaînes ad hoc. Ainsi par exemple, on peut observer qu’en

Turquie, le nombre d’établissements proposant une offre halal a été multiplié par 10 depuis le

début des années 2000, et l’on estime que l’hôtellerie halal représente aujourd’hui plus de 6 %

de l’offre.

1.1.2. Les acteurs et leurs spécificités

Selon certains auteurs (Duman, 2011), le tourisme islamique serait un tourisme pratiqué par

les touristes de confession musulmane. Or, cette vision nous semble restrictive. Tout comme

la viande halal dispose d’un très large marché auprès des non musulmans, on peut penser que

le tourisme islamique (en particulier dans sa dimension culturelle) est également largement

ouvert aux touristes non musulmans). Le tourisme islamique ne se réduit donc pas à un

tourisme de musulmans. C’est d’ailleurs la vision adoptée par Al Hamarneh (2008) lorsqu’il

écrit : « Islamic tourism refers to tourism mainly by muslims, although it can extend to non

muslims motivated to travel in the muslim world ».

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Kelesar (2010 : 130) envisage lui aussi le tourisme islamique dans une vision plus ouverte à

l’altérité : « in fact, most of the new touristic destinations labeled as « arab » or « islamic » in

nature do not exclusively target muslims but also welcome foreigners as long as they respect

local cultural codes. For example, islamic hotels appear to be increasingly popular among non

muslim as well « for their quiet family-friendly approach »… in the same way, women-only

hotels also attract a lots of non arab, non muslim female travelers who feel more comfortable

and more secure without the presence of men (WTM, 2007) ».

1.1.3. Les destinations et localisations

Le tourisme islamique serait également un tourisme spécifiquement localisé. Il concernerait

les pays musulmans exclusivement. Là encore, cette vision est selon nous fortement

restrictive. En effet, le tourisme (culturel) islamique déborde très largement les « frontières de

l’Islam » et peut concerner nombre de pays non musulmans (Espagne par exemple, Inde, etc.)

On constate par ailleurs bien souvent que « l’adaptation islamique » est parfois plus prégnante

dans les pays non musulmans que dans nombre de pays musulmans. Ainsi, dans les pays

occidentaux ou plus généralement dans certains pays non musulmans, les opérateurs

concernés tentent de s’adapter et d’offrir des prestations sur mesure aux consommateurs

musulmans ou de culture musulmane. La presse professionnelle relate de multiples exemples

et expérimentations en ce sens (cf. encadré 2).

Encadré 2 : Exemple d’offres « Muslim friendly » dans des pays non majoritairement

musulmans

Gold Coast, station balnéaire réputée de la côte orientale australienne tente d’attirer le touriste

musulman en communiquant sur son site autour du ramadan « et pourquoi ne pas essayer Gold Coast

pour un ramadan plus frais cette année ? »

Crescentrating a décerné à l’aéroport international de Bangkok le titre de plateforme la plus

respectueuse des pratiques islamiques dans un pays non musulman

Le célèbre Sacher Hôtel de Vienne dispose d’une salle de prière et propose durant le ramadan des

services repas spéciaux avant le lever du soleil et au moment de la rupture …

Source : divers presse

L’analyse de cette même presse professionnelle permet également de montrer que dans

nombre de pays de culture et tradition musulmane, on peut parfois observer des pratiques

inverses qui visent cette fois plutôt à exclure une pratique islamique trop visible. BBC News

(2010) constate ainsi : « Expensive hotels in some arab countries actually ban veiled women

from thier pool so that western guests feel at home »…

1.1.4. Les objectifs et motivations du tourisme islamique

Les critères d’objectifs et de motivation semblent être particulièrement pertinents pour définir

la notion de tourisme islamique et en particulier les spécificités de cette notion. En effet, en

partant de l’idée que, dans la tradition islamique, tous les actes humains sont jugés d’abord et

avant tout par leur intension (SAB, 2011), il vient que c’est par « l’intention » que l’on peut le

mieux cerner le tourisme islamique

Ainsi, Din (1989) met en avant la notion de « purposeful tourism ». Selon lui, l’Islam

valorise la notion de tourisme d’objectif ; autrement dit une forme utilitariste de tourisme qui

se distingue très nettement du tourisme traditionnel de masse orienté principalement vers la

recherche du plaisir et la satisfaction de besoins hédoniques : « the category of travel enjoined

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in islam may be described as « purposeful » tourism which differs from the common practice

of mass trourism which is motivated mainly by pleasure and hedonic pursuits » (Din, 1989, p.

552).

1.2. Tourisme islamique, tourisme religieux, tourismes autrement

Au final, on peut dire qu’il existe bien deux acceptions ou deux perceptions du tourisme

islamique : une acception stricte que l’on peut qualifier de religieuse conservatrice et une

conception beaucoup plus large et sans doute moins dogmatique qui renvoie plutôt à une

dimension de culture et de mode de vie islamique (« Islamic way of life », « Islamic

behaviour »). C’est à cette distinction que nous nous attachons dans les paragraphes qui

suivent.

1.2.1. Tourisme islamique versus tourisme religieux

Le tourisme islamique est souvent confondu avec le tourisme religieux et plus largement avec

les pratiques de pèlerinage. Le pèlerinage est en effet une des plus vieilles formes de

migration touristique. Il est particulièrement développé dans le monde islamique au travers en

particulier des pratiques de Haj et de Omra (petit pèlerinage). Le pèlerinage à la Mecque attire

chaque année plus de 1,5 million de personnes, ce qui en fait un des plus grandss centre

religieux de la planète.

Cette notion de tourisme religieux reste cependant très restrictive. Nous pensons que

contrairement à une opinion très répandue, le tourisme religieux est une dimension du

tourisme islamique et non l’inverse. Par ailleurs, on trouve dans la tradition islamique une

approche très particulière de la notion de tourisme religieux. Ainsi, certains écrits

traditionnels (conservateurs) considèrent que le tourisme religieux, au sens strict, reste limité

à certains espaces bien identifiés. Dans le guide « Travel and tourism in islam : rulings and

types », on peut lire : « it was narrated from Abu Hurairah that the prophet said : no journey

should be undertaken to visit any mosque but three : Al-masjid Al-Haraam, the mosque of the

Messenger and the mosque of Al Aqsa. Narrated by Al Bukhari (1132) and Muslim (1397).

This hadith indicates that it is haraam to undertake religious journeys, as they are called, to

any mosque other these three, such as those who call for travelling to visit graves or masshads

(shrines) or tombs or mausoleums, especially those tombs that are venerated by people and

from which they seek blessing, and they commit all kind of shirk and haraam actions there.

There is nothing in sharee’ah to suggest that places are sacred ad the acts of worship should

be done in them apart these three mosques » Salih Al Munajjed, (2009, p. 5).

Pour notre part, nous considérons que la dimension religieuse traditionnelle renvoie à une

perception biaisée et restrictive du tourisme islamique, qui bien au contraire déborde très

largement du strict champ religieux

1.2.2. Le tourisme islamique : un tourisme culturel

Le tourisme culturel se définit comme un tourisme qui a pour objectif de découvrir le

patrimoine (autrement dit le patrimoine bâti) mais également le patrimoine définit comme :

les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoirs faire - ainsi que les

instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les

communautés, les groupes et le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie

de leur patrimoine » (UNESCO, 2003). Plus largement, le tourisme culturel englobe

également les modes de vie des habitants concernés. Ainsi, l‘Organisation Mondiale du

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Tourisme définit le tourisme culturel comme « les mouvements de personnes obéissant à des

motivations essentiellement culturelles telles que les voyages d’études, les tournées artistiques

et les voyages culturels, les déplacements effectués pour assister à des festivals ou autres

manifestations culturelles, la visite de sites et monuments, les voyages ayant pour objet la

découverte de la nature, l’étude du folklore ou de l’art et les pèlerinages ».

Ce tourisme culturel est très largement valorisé dans la tradition islamique. Ainsi, on peut à la

suite de Din (1989) considérer que le tourisme islamique est un tourisme d’objectif et que

l’un des objectifs essentiel de ce tourisme est l’apprentissage culturel. En effet, on l’a vu, le

Coran enjoint les musulmans à voyager : « muslims are encouraged to travel through the earth

so that they can appreciate the greatness of God through observing the « signs » of beauty and

bounty of his creations which can be seen everywhere, both in the realms of past and present

(see for example the Holy Coran 3 :137 ; 6 :11 ;12 :109 ; 16 :36 ; 27 :69 ; 30 :42 ; 47 :10)

Plus spécifiquement, comme le précise Salih Al Munajjid (2009, p. 3) « in the islamic world

view syahah is also connected to knowledge and learning. The greatest journeys were

undertaken at the begining of islam in the aim of seeking and spreading knowledge ». Pour

Baker (2011 : 8), le tourisme islamique serait un tourisme cognitif (knowledge tourisme ou k-

tourisme) : « one major feature of islamic tourism is that it is a k-tourism (knowledge

tourism) ; including the pursuit of spiritual knowledge ». C’est d’ailleurs dans un tel cadre que

l’on doit resituer la longue tradition des grands voyageurs arabe (cf. Charles Dominique,

1995) de Ibn Wahb Al-Qorashi (870 AD) à Ibn Battuta (1304 AD). Par ailleurs, ce n’est pas

moins ce qu’affirme Al Khateeb Al Baghdadi dans son célèbre ouvrage « voyage à la

recherche du hadith ».

1.2.3. Le tourisme islamique : un tourisme responsable ?

Contrairement à une vision erronée, l’Islam ne se limite pas à une simple pratique religieuse,

mais englobe tous les aspects de la vie sociale et en société : « Islam is a complete code of life

and is not merely a religion (Bon et Hussain, 2010 ; Laderlah et al., 2011). Comme le précise

Hassan (2007), le tourisme islamique au sens large est un tourisme qui respecte les valeurs de

l’Islam ; autrement dit, des valeurs qui sont communes à d’autres croyances qu’elles relèvent

ou non de la religion. Ainsi, selon lui le tourisme islamique « appelle au respect des sociétés,

de l’environnement local et des bonnes moeurs ». Il veut aussi encourager la connaissance

entre peuples et cultures avec un bénéfice pour les populations locales. On notera d’ailleurs

qu’un certain nombre de définitions font explicitement référence à ces dimensions éthiques,

de responsabilité sociales et de développement durable :

In its wide sense, it may mean it is the type of tourism that adheres to the values of islam. Most of

these values are shared with other religious and non-religious beliefs (for exmple the ethical code

promoted by World Tourism Organization). It calls for respect for local communities and the local

environment, benefiting the locals, decency and learning about other cultures (Hassan, 2004).

Islamic tourism means a new ethical dimension in tourism. It stands for values generally accepted as

high standards of morality and decency. It also stands for the respect of local beliefs and traditions, as

well as care for the environment. It represents a new outlouk on life and society. It brings back value

to the centre stage in an age where consumerism is rife and everything is available for use and abuse in

the most selfish way. It also encourages understanding and dialogue between different nations and

civilizations and attemps to find out about the background of different societies and heritages (Hassan,

2007).

La nature et l’environnement sont des notions centrales en Islam. Comme le montre Kamla et

al. (2006), l’essentiel des principes et concepts contenus dans le Coran et dans la tradition

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prophétique (mots et actions du prophète) renvoient à des enjeux et implications directes

concernant la relation entre l’humanité et son environnement naturel.

Al Qaradawi (2000) fait le constat que le concernement pour l’écologie et la protection de

l’environnement peuvent être considérés comme une préoccupation récente dans les pays

occidentaux. Or, et selon lui, ces préoccupations environnementales sont fortement

enracinées dans toutes les dimensions de l’enseignement et de la culture islamique (cf. Sardar,

1984 ; Khalid and O’Brian, 1992). En effet, selon la tradition islamique l’être humain est le

gardien ou le gérant des ressources terrestres. Néanmoins, cette gérance ne doit pas le mener à

abuser des bienfaits de la terre pour ses intérêts strictement personnels. Bien au contraire, ce

dernier est tenu de gérer les ressources terrestres et de les préserver : « as a trustee for the

environment, the muslim must safeguard the environment but also cultivate it - consistant

with maintening the balance (Kamla et al. 2006, p. 251).

L’Islam tolère voire même valorise le profit ainsi que la propriété privée. Néanmoins, il est

stipulé que le profit ne doit pas être excessif. Par ailleurs, dans la réalisation du profit en

question il est nécessaire de veiller à réduire au maximum les impacts économiques et sociaux

(en particulier les impacts négatifs sur l’environnement et les conditions de travail). La

perturbation des modes de vies locaux doit également être prise en compte et être réduite au

maximum.

« host-guest relations can be congenital when both are sensitive to one another ‘s feelings and

needs. It well-established in the literature that tourim also tends to bring in its wake certain

undesirable socioeconomic consequences. One of these is the dispay of tourist affluence

which give rise to unwarranted demonstation effects caused by the desire of the host

membres, especially youths, to emulate the appearance of the richer tourists (de Kats, 1979, p.

65). Further more, extravagant behavior can also lead to profiteering and inflationary increase

in local prices. In Islam, both the guest and the host are prohibited against excessive display

of expensive dress, jewelry, and other personal items (SAB 7 : 337). Similarly, sexual

persmissiveness, voyeurism, and consumtion of alcohol which are the roots of some

misdemeanor in tourism, are not tolerated (Din, 1989, p. 553).

La solidarité entre les générations est également centrale dans la tradition islamique. Un

hadith reprend : « ne laissez pas à ceux qui vendrons après vous une charge (trop lourde) issue

de vos actions ». Autrement dit, un des éléments centraux parmi les concepts islamiques est

celui de solidarité entre les générations (Taieb, 2002). Qaradawi (2000) constate ainsi qu’il

n’est pas permis à une génération de confisquer les conditions et éléments de prospérité aux

dépends des générations futures. Kamla et al., (2006 : 255) montrent que selon les principes

islamiques, la dimension environnementale ne se résume pas à la simple question de la

préservation : « caring and solidarity with the future generation are not limited to the

prohibition of waste and harm to the earth and natural resources, but extended to working

towards improving and progressing the environment for future generation »…

L’islam valorise par ailleurs le principe d’équité et de réciprocité. On retrouve en partie ces

principes dans les propos de Din (1989, 554) : « Islam deemphasizes profligate consumption

characteristics of modern tourism and enjoins genuine humane, equitable and reciprocal

cross-culturel communication ». Ce principe se retrouve y compris dans le traitement et la

gestion des touristes

« The act of profiteering from traveler is an old art mentioned in the Quran (34 :19). It led to

the decline of the booming tourist trade on the Syria-Yemen route which, according to Yusof

Ali owes to the departure of the locals from higher standards of rightouness (SAB 3 :374)/

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Such exploitive tendancy towards tourists may be averted by earnest efforts to eliminate

profiteering, which breeds other inhospitable attributes such as hustling, touting, and cheating

in many third world destinations.. . »

L’islam est la « religion du milieu ». Elle valorise le principe d’équilibre et de balance.

Autrement dit l’Islam refuse le gaspillage et les modèles de consommation ostentatoire : « as

in the case of the various inunctions pertaining to the conduct of the hajj, the stress is on

ascetic abstinence and humility (Din 1982). Profligate consumption and all forms of excessive

indulgence are prohibited » (Din, 1989). Or dans les conditions de pratique actuelle, une

partie de l’offre de tourisme islamique est encore très largement concentrée sur le très haut de

gamme (5*, voire 7*) autrement dit une logique de sur-qualité. Ainsi, ce type d’offre en

question se heurte directement aux principes de bonne gestion des ressources et aux principes

écologiques et de développement durable

Le caractère encastré ou embeded du souci écologique, de la préservation de l’environnement

et de la responsabilité sociale dans la tradition islamique a conduit au lancement d’un certain

nombre d’expérimentations visant à s’appuyer sur l’Islam pour préserver l’environnement.

Ainsi, Cara Wolinsky (2007) montre comment l’utilisation de la croyance islamique dans la

protection de l’ile de Misali (Zanzibar) est un exemple intéressant de la manière dont les

principes moraux inhérents à l’islam peuvent être utilisés pour faire de meilleurs choix en

matière de protection de l’environnement.

Encadré 3 : Ecologie, éthique islamique : le cas de Misali à Zanzibar

Misali est une île de l’océan indien (entre Zanzibar et la Tanzanie) qui abrite plus de 350 espèces de

poissons, 40 types de coraux durs ainsi qu’une large variété d’espèces animales. Ces dernières années,

les ressources naturelles et la biodiversité unique de l’ile ont être mises à rude épreuve, en large partie

du fait du développement d’une pêche non réglementée (dynamique, filets finement engrainés).

Le gouvernent a établit un secteur officiel de conservation en 1998 mais les règlements conventionnels

ont eu peu d’effet sur l’exploitation des ressources. C’est à partir de là que l’organisation « Care

international » a mis au point un programme original de conservation des ressources naturelles de l’île

qui garantit l’avantage du tourisme et s’inspire de l’énergie des autochtones émanant de leur foi en

l’Islam.

« Care » s’est rendue compte que les narrations spirituelles de l’ile et l’engagement des pêcheurs

envers l’Islam pourraient être orientés pour protéger les ressources naturelles de l’île et améliorer la

qualité de vie des pêcheurs. Elle a ainsi développé le projet éthique de Misali pour élever les

consciences et populariser l’éthique islamique de conservation ; ce qui en fait la première organisation

en Tanzanie à favoriser la protection de l’environnement suivant des principes islamiques. « Care »

édite des affiches, des brochures des vidéos des mémoires d’expériences et d’autres matériaux pour

aider les chefs religieux, les professeurs d’école et les fonctionnaires à créer une protection islamique

de l’environnement au niveau local. Le projet se fonde sur des passages du Coran que des disciples ont

interprété comme des enseignements fondamentaux au sujet de la protection environnementale et

comme principes islamiques de base tels que l’unité (Tawheed), la responsabilité et la tendance de la

nature (Khalifat). Etant donné que 99% des zanzibarites sont musulmans, l’approche islamique de

« care » a prouvé son efficacité bien plus que les règlements extérieurs imposés. Un pêcheur a

récemment déclaré à la BBC : « il est facile d’ignorer le gouvernement, mais personne ne peut défier

la loi de Dieu ». Pour améliorer le revenu et la sécurité alimentaire des villages de pêche de Pemba,

« care » dispense une formation aux pêcheurs pour qu’ils deviennent des guides de l’île de Misali afin

de les faire profiter d’une redistribution des revenus du tourisme, de l’utilisation de l’épargne et du

crédit, de développer un système de gestion de la communauté des pêcheurs, ainsi qu’un

enseignement des techniques pour une pêche durable. Ces stratégies encouragent l’utilisation durable

des ressources par les pêcheurs et leur offre une source alternative de revenu par les avantages

économiques de l’écotourisme »

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Source : Wolinsky (2007)

II. Les dynamiques et facteurs de développement du tourisme islamique

L’expansion actuelle (mais également à venir) du tourisme islamique est liée à un certain

nombre d’évolutions et de facteurs. Ces derniers sont de nature démographique, économique,

politique, religieuse, sociale et sociétale.

2.1. Des facteurs démographiques

Avec plus de 1,8 milliard de fidèles, l’islam constitue sans doute aujourd’hui la première

religion de la planète. Ce chiffre est déjà important en soi ; néanmoins, la plupart des

prévisions existantes estiment que d’ici une dizaine d’années, les musulmans devraient

représenter plus d’un tiers de la population mondiale.

Nombre de pays à population majoritairement musulmane se caractérisent encore aujourd’hui

par des taux de croissance de leur population bien supérieurs à la moyenne. Par ailleurs, les

populations concernées sont également, dans la plupart des cas, beaucoup plus jeunes que la

moyenne.

L’encadré 4 regroupe les principales caractéristiques démographiques de ces pays,

caractéristiques qui devraient ouvrir des opportunités très fortes de développements futurs du

tourisme islamique.

Page 13: Le tourisme islamique peut il être durable

13

Encadré 4 : Principales caractéristiques démographiques des populations musulmanes

Muslims comprise one of the fastest growing consumer markets in the world hence represent

a major growth opportunity for business around the world

Average growth of muslim population 1,8 p.a. (Kearney, 2006)

There are more than 1,56 billions muslims of all ages living in the world today (asia (870

milions, Middle East (190 million), Africa (443 million), europe 51 million), North America

(7 million), South America 3 million). A. T. Kearney, 2006)

Two-thirds of muslim worldwide live in 10 countries (Indonesia, Pakistan, India, bengladesh,

Egypt, Nigeria, Iran, Turkey, Algeria and Morocco

Around 80% of the wold’s muslim population live in countries where muslims are in the

majority

One fifth of the world muslim popuation lives as religious minorities in their home countries

Muslims living in the asia-pacific region contsitute 62% of all muslim worldwide of which

50% live in South Asia (Bangladesh, India, Maldives, Nepal, Pakistan, Sri Lanka and Buthan

The Middle East-North Africa is home of an estimated 315,3 million muslims or about 20% of

the world’s muslim population of which approximately 79 live in Egypt

The palestinan territories are home to about 4 million muslims. In addition, Israel is home of

roughly 1 million muslims

Europe has about 38 millions muslims constituting about 5% of its population. European

muslims make up slightly more than 2% of the world ‘s muslim population

The european countries with the highest concentration of muslims are located in Eastern and

Central Kosovo, Albania, Bosnia and Republic of Macedonia

Greece is about 3% muslim, spain is about 1%, while Italy has the smallest popultation of

muslims in europe

About 2,5 million Muslims libve in the United states. Two percent of canadian, about 0,7

million peoples are muslims whle 0,8% of the US population is muslim

Muslim consumers constitute about one quarter of the total world population and represents a

majority in more than 50 countries

Source : Mapping the global muslim population a report on the size and distribution of the

world’s muslim population, Analysis, October 7, 2009 ; PEW research center, the PEW forum

on religion and public life ; A T Kearney : Adressing the muslim market, reuters, 2006

2.2. Des facteurs politiques

Depuis le début des années 2000, et à la suite d’un certain nombre d’actes terroristes, les flux

touristiques occidentaux ont connu un net recul dans la plupart des pays musulmans. Ce recul

a été largement renforcé du fait de la diffusion dans les médias occidentaux de la rhétorique

de « l’axe du mal » qui a contribué à une expansion et une amplification de l’islamophobie et

du racisme dans les pays occidentaux.

Malgré un certain nombre de discours apaisants et de multiples dénégations, il est clair que les

touristes musulmans et arabes ont commencé à subir de fortes contraintes dans le cadre de

leurs déplacements en Europe et plus largement dans la plupart des pays occidentaux.

Page 14: Le tourisme islamique peut il être durable

14

Néanmoins, cette islamophobie a eu également quelques effets positifs en réorientant les flux

touristiques sortants. Ainsi, on a assisté à un renouveau du tourisme horizontal (tourisme

inter-arabes ou inter-islamiques) qui a contribué à compenser une large part du déficit de

touristes occidentaux

Cette réorientation des flux a d’abord été spontanée et naturelle mais très vite, les

gouvernements en place y ont vu une réelle opportunité de compenser les pertes liées à la

réduction très nette des flux de touristes occidentaux : « While the main « recovery effect »

came from the shift towards more arab and muslim tourists in the structure of the international

income tourists, the arab and muslim countries have beeing trying to redirect their strategies

towards more intensification of the intra-arab and intra-muslim cooperation and coordination

in tourist sector » Al Hamarneh (2004).

Ainsi, des organisations comme l’Islamic Conference for Ministers of Tourism (ICMT) et

l’Arab Counsel of Ministers of Tourism (ACMT) participent de cette prise de conscience et e

cette intensification. Depuis les conférences se sont succédées qui ont débouché sur de

multiples déclarations (Ryadh, Téhéran, Dakar, Damas, etc.) qui visent à accroitre les flux

touristiques entre les états membres, à faciliter la mobilité par allègement des procédures

administratives (visas) à promouvoir l’héritage culturel islamique, etc.

2.3. Des facteurs économiques

Les facteurs économiques jouent un rôle important dans le développement du tourisme

islamique. Selon Dinar standard (cabinet d’études spécialisé), les musulmans auraient dépensé

plus de 100 milliards d’euros (126 milliards de dollars) en activités touristiques en 2011, soit

un peu plus de 12% des dépenses du secteur.

Ainsi, pris globalement, le marché du tourisme islamique (dans sa définition géographique)

serait le premier marché mondial avant les Etats Unis et l’Allemagne.

Nombre de travaux et réflexions ont mis en avant l’émergence d’une classe moyenne

importante dans les pays musulmans (mais également dans les populations musulmanes

(immigrés) installées dans les pays occidentaux. En 2012, le magasine BBC News titrait :

« the rise of the affluent muslim traveller », pour annoncer l’avènement d’un touriste

musulman au pouvoir d’achat conséquent et en hausse constante. Ce touriste musulman révèle

d’ailleurs quelques spécificités qui suggèrent sa forte rentabilité. Selon BBC News le touriste

musulman a tendance à voyager en groupe familial large, à rester plus longtemps et à

dépenser plus que la moyenne.

A un niveau plus global, certaines études montrent que les dépenses des touristes musulmans

Page 15: Le tourisme islamique peut il être durable

15

devraient progresser de 4,8% par an contre 3,8% dans le monde d’ici 2020. Ces dépenses

devraient atteindre 156 milliards en 2020 (soit près de 200 milliards de dollars)

2.4. Des facteurs religieux

L’islam est sans doute la seule religion à accorder une place centrale aux voyages et aux

pratiques touristiques. Au moins trois termes différents sont d’ailleurs utilisés pour définir les

différentes dimensions de cette activité. L’encouragement et la valorisation du tourisme se

reflètent dans le fait que pas moins de 13 versets coraniques font explicitement référence aux

voyages et au tourisme, considérés comme des moyens de réaliser des objectifs à la fois

spirituels, physiques et sociaux et plus généralement de renforcer l’unité entre la communauté

des croyants (Ummah). L’incitation à voyager et à parcourir le monde est récurrente dans le

Coran. Nous pouvons citer les trois exemples suivants :

« - Dis : parcourez le monde et regardez ce qu’il est advenu de ceux qui ont rejeté la vérité »

Al An’aam (6 :11)

« - Dis : parcourez le monde et voyez ce qu’il est advenu des vauriens1 », An Namil (27 : 69)

« - Dis : parcourez la terre et voyez comment il (Dieu) a commencé la création… », Al

Ankabut (29 :20)

Din (1989), dans ses travaux sur le tourisme renvoie par ailleurs au Sahih al Bukhari (SAB

1984) qui rappelle ainsi : « according to the prophet muhammad, a traveler is granted similar

rewards to that given for good deeds practiced at home, as if the traveler was practicing the

same while traveling »

Certains auteurs vont même jusqu’à considérer que dans la mesure où le tourisme serait dans

la tradition islamique un quasi devoir, un développement du tourisme islamique pourrait faire

l’économie des lourdes dépenses de marketing et communication typiques du secteur

2.5. Des facteurs sociaux et sociétaux

Les facteurs sociaux et sociétaux dont nous souhaitons faire état ici sont largement pris en

compte dans le cas des pratiques publiques de soutien au tourisme entre pays arabes et

musulmans. Nombre de travaux ont en effet reconnu le caractère déstabilisateur (voire parfois

destructeur) du tourisme occidental de masse.

Certains auteurs (cf. Zarka (1970, p. 28) vont même jusqu’à considérer le tourisme

international comme un état de fait colonial qui contribuerait à une certaine déculturation ou à

une véritable dévaluation de la culture d’origine. Plus largement, cet effet qui s’appuie sur

une vision tronquée du monde islamique conduit à des efforts néfastes socialement

d’assimilation à l’apparence occidentale. Zarka appelle ainsi à ce que les pays en

développement « sachent refuser l’implantation de certaines formes de tourisme

particulièrement agressives, pour encourager au contraire des réalisations qui permettent un

éclairage culturel réel, c’est à dire réciproque, qui donc favorise la revalorisation de la

véritable culture de ces pays dans les yeux des visiteurs ».

En 1989, Din mettait lui aussi en avant le coté parfois déstabilisateur du tourisme

international classique ; « another common observation among the third world destinations is

that a good proportion of the tourists arrive with a sahib mentality with the presumend liberty

1 Notre traduction

Page 16: Le tourisme islamique peut il être durable

16

to demand the best service, and to behave (espacially with respect to dressing and

entertainment) with little regard for the sensitivity of the locals » (Din, 1989, p. 553)

Dans un tel cadre, il existe bien dans les sociétés musulmanes un mouvement de fond et un

très fort sentiment d’appartenance et de cohésion. Et ce, à tel point qu’Alserhan (2011)

considère que les musulmans constituent un véritable segment homogène selon la

terminologie marketing usuelle. Cette vision est sans doute excessive. Cependant, même si

l’on considère que la population musulmane n’est pas réellement homogène, « la probabilité

de conflits autour de l’alimentation, de la manière de s’habiller et de se comporter en société

est très fortement réduite » par le développement du tourisme islamique (El Zein, 1977)

Par ailleurs, nombre de destinations touristiques ont reconnu le caractère moins destabilisateur

du tourisme inter-musulman sur les économies et sociétés locales

Henderson (2003) note ainsi propos de l’Indonésie : « there are signs of the emergence of an

international pan-islamic campaign to foster intra-Muslim travel and therby minimise chance

of disturbance »

III. Tourisme islamique : la question des gaps

On peut distinguer quatre principaux gaps dans les réflexions et les tentatives

d’opérationnalisation du concept de tourisme islamique, un gap économique et de rentabilité,

un gap politique, un gap infrastructurel et un gap lié aux RH et à la GRH.

3.1. Un gap économique

Le tourisme islamique (là encore dans sa définition géographique) reste fortement concentré.

Les six pays du Conseil de Coopération du Golfe contribuent ainsi à plus de 37% du marché

(dépenses touristiques) alors qu’ils ne représentent qu’à peine 3% de la population

musulmane totale. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, une très large part de l’offre se situe

dans le haut de gamme ; autrement dit, les hôtels de luxe. Plus généralement, l’offre islamique

est plus chère que la moyenne. Cette cherté s’explique en partie par les nécessités

d’exploitation.

Si l’on se limite à l’offre hôtelière, on constate en effet qu’il existe un véritable problème de

rentabilité. En effet, la rentabilité de nombre d’hôtels s’appuie fortement sur le bar et la vente

d’alcool. Or, les hôtels islamiques, dans la mesure où ils ne vendent pas de type de produit,

doivent trouver d’autres sources financières pour parvenir à l’équilibre. Cette rentabilité est

également limitée par l’existence d’espaces non mixtes et de trajectoires séparées. Plus

généralement les modèles de gestion des taux d’occupation sont également affectés et les

charges de fonctionnement sont dès lors nettement plus lourdes.

3.2. Un gap politique

Dans notre esprit, la notion de gap politique renvoie aux possibilités réelles

d’instrumentalisation du tourisme islamique. Le développement du tourisme islamique répond

bien entendu à un besoin exprimé par le consommateur. Ce besoin a parfois été accompagné

par des politiques ad hoc de valorisation et de promotion par les gouvernements de certains

pays arabes et islamiques. Cet accompagnement n’est cependant pas neutre et il est parfois

contrebalancé par les pratiques observées dans certains pays de destruction de certains sites

archéologiques

Page 17: Le tourisme islamique peut il être durable

17

Ces pratiques peuvent relever parfois d’une véritable instrumentalisation. Ainsi par exemple,

en Arabie Saoudite, la secte Wahabite qui a conquis la Mecque en 1924 et qui dirige

aujourd’hui le pays entend laisser sa marque et raffermir sa légitimité sur les lieux saints dont

elle a la garde, entreprend des projets de projets mégalomaniaques de construction de grandes

mosquées

Zamani-Farahani et Henderson 2010, p. 80 notent ainsi : « political factors are also critical

and the religion has become highly politicised including among traditionally moderate

regimes. Several have been compelled to asert their islamic credentials in the face of opposing

parties claiming the role of religious champion for themselves ».

3.3. Un gap infrastructurel

La volonté de développer, renforcer et accélérer le développement du tourisme entre pays

arabes et musulmans est souvent confrontée au défit des infrastructures. En effet, à quelques

exceptions près, l’offre hôtelière est défaillante tant en quantité qu’en qualité.

Dans une enquête sur le tourisme religieux de la province de Ilam en Iran, Malekshahi, et al.

(2012), mettent en évidence l’impact répulsif des déficiences infrastructurelles sur le tourisme

islamique.

Par ailleurs, une large part des infrastructures est relativement inadaptée aux besoins du

tourisme islamique. Comme le précise Al-Harmarneh (2005) : les infrastructures support du

tourisme qui sont aujourd’hui disponibles sont très largement orientées et calées sur les

besoins des touristes occidentaux. Elles visent à satisfaire les demandes des « européenns ».

Or le tourisme arabe (et islamique) est avant tout un tourisme familial, de long terme et

caractérisé par une forte saisonnalité. Il a sa propre dynamique d’offre et de demande.

Autrement dit, l’enrichissement de l’offre de vols charter inter-arabes et inter-musulmans

ainsi que le lancement de programmes de type hôtels de résidence ou appart’hôtel devrait être

le meilleur moyen de répondre à ce besoin.

3.4. Un gap lié aux RH et à la GRH

Le déficit infrastructurel que nous avons évoqué plus haut se double d’un déficit lié aux RH.

L’emploi dans le tourisme est peu rémunérateur. Les niveaux de qualification et de formation

sont très faibles. « in place like Tunisa, where mass tourism dominate, the numbers shows that

very few workers have any real training, and the traditional tourism trade schools have

usually only graduated a tiny fraction of the workers neeeded each year » (Hazbun, 1997, p.

8).

Les connaissances et compétences touristiques ainsi que les modèles de GRH ad hoc sont

aujourd’hui encore des productions occidentales. Or il nous semble que le développement

d’un tourisme islamique ne peut faire abstraction des principes et valeurs islamiques de

management

Sherif (1975) identifie un certain nombre de valeurs islamiques centrales : noblesse, patience,

auto-discipline, esthétique et apparence physique et propreté, réserve, sincérité, confiance,

responsabilité, diligence, reconnaissance (cf. également Endot, 1995). Une discussion de ces

principes peut donner une idée de ce que peut être une GRH islamique (même s’il est parfois

difficile d’isoler les relations directes Islam – RH)

Page 18: Le tourisme islamique peut il être durable

18

Dans un cadre islamique, les relations interindividuelles devraient être de nature égalitaire. Le

principe de consultation et de coopération entre supérieurs et subordonnés est la règle. De

même le pouvoir et l’autorité devraient être largement partagés

Les principes d’autodiscipline, de confiance, de loyauté devraient conduire les managers à

croire en l’intégrité et en le sens du jugement de leurs subordonnés

De même les principes de coopération et de patience devraient encourager le travail d’équipe

à l’intérieur de la firme et les approches soucieuses du client à l’extérieur

Pour autant, dans les conditions actuelles, les managers du tourisme privilégient un style de

management très largement autoritaire et autocratique. Ce style de management autoritaire a

souvent été considéré comme hérité des traditions paternalistes locales qui donnent un rôle et

une autorité centrale aux anciens. Dans la réalité il a surtout été hérité de la tradition coloniale

et devrait rester dominant tant que le niveau de formation et d’éducation du personnel ad hoc

restera au à son stade actuel (i.e. faible)

Notons cependant, le tourisme islamique peut être une chance pour les femmes en ce sens que

la logique de ségrégation peut conduire à limiter les effets du plafond de verre tant du point de

vue des employées de l’activité touristique que de celui des clientes utilisatrices du produit

touristiques

Conclusion

Dans cette communication, nous avons montré que le tourisme islamique constituait sans

doute un nouveau marché prometteur pour les opérateurs du tourisme. Si dans son acception

restrictive, il reste un marché de niche ; le tourisme islamique, dans son acception ouverte

constitue une nouvelle forme de tourisme qui englobe très largement l’essentiel des catégories

du tourisme autrement (tourisme durable tourisme équitable, tourisme responsable, tourisme

culturel, etc.). Dans ces conditions, les grands opérateurs internationaux ne peuvent plus

continuer de l’ignorer ou de le considérer comme une niche sans avenir. L’exemple du

développement remarquable de la banque islamique sur ces dernières années (et le retard pris

par les grands operateurs traditionnels) est là pour le rappeler.

Page 19: Le tourisme islamique peut il être durable

19

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