Les apprentissages scolaires : des montages cognitifs complexes
Marcel Crahay
Sommaire
1. Les multiples facettes des apprentissages scolaires.
2. Que conserver de la théorie piagétienne de la construction des savoirs par le sujet?
3. Relations entre développement logique et apprentissage des notions et procédures arithmétiques
4. Automatismes et compréhension: comment les coordonner
1.
Les multiples facettes des apprentissages
scolaires
Tous les apprentissages scolaires sont complexes
• C-à-d composés d'éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés, difficiles à saisir par l'esprit, et présentant souvent des aspects différents.
• Toute compétence scolaire consiste en un ensemble d'éléments divers (moteurs, procéduraux, conceptuels, métacognitifs, représentationnels et motivationnels) qui, par suite de leur interdépendance, constituent un tout plus ou moins cohérent.
Ainsi,
Faire en sorte qu’un élève apprenne à lire, à aimer lire en comprenant ce qu’il lit, implique de favoriser le développement dune série de savoirs
et savoir-faire, mais aussi de représentations concernant la lecture et, en définitive, d’un
rapport positif au savoir lire.
Apprentissages scolaires =
traitement en parallèle de plusieurs informations et,
plus largement, de plusieurs types de connaissances
Modèle à 13 composantes (D’après The cognitive foundations of learning to read. Southwest
educational development laboratory. //www.sedl.org/reading/framework/)
Compréhension en lecture
Compréhension du langage
Identification des mots
Connaiss.linguistiques
Con
nais
sanc
es d
u m
onde
Synt
axe
Sém
antiq
ueConscience
phonémique
Principe
alphabétique
Connaissance
des lettresConnaiss.
du code
Connaiss. Orthogr.
Conceptions de l’écrit
Phon
olog
ie
Pour réaliser les montages cognitifs qu’impliquent les apprentissages scolaires
Il faut miser à la fois sur des processus
développementaux endogènes et sur
différentes modalités d’apprentissage
Apprentissages scolaires
2.
Que conserver de la théorie piagétienne de la construction des savoirs
par le sujet?
Mort du constructivisme piagétien ?
• Cognitivisme.• Approches historico-culturelles (Vygotski
et al.).• Que reste-t-il de la théorie de
Piaget?
Réfutation des stades, c-à-d du modèle de l’escalier
Modèle en vagues (Siegler)
•L’apprenant développe un répertoire de stratégies.- La fréquence d’utilisation de chaque compétence (stratégie)
augmente jusqu’à un optimum puis décroît progressivement
- Plusieurs compétences/stratégies cœxistent- Variabilité intra- et interindividuelle dans la fréquence d’utilisation
de telle ou telle compétence ou stratégie
•Élaboration de nouvelles compétences/stratégies : cheminements variés
Noyau dur du constructivisme piagétien ? (1)
• Une théorie de l’équilibration cognitive (Lautrey, 2008).– C-à-d refus des explications
préformistes et empiristes.
• Donc, développement intellectuel procède essentiellement d’une auto-organisation des actions et des opérations mentales
Noyau dur du constructivisme piagétien ? (2)
• L’auto-organisation des actions et des opérations mentales aboutit à l’auto-construction d’opérations supérieurs: – Les concepts logico-mathématiques ne
s’enseignent pas. – Ils émergent de l’organisation des actions par
abstraction réfléchissante• Le développement des structures
cognitives générales précèdent et déterminent les apprentissages scolaires.
Critiques • Un ensemble de critiques provient des
cognitivistes. – Des cognitivistes soulignent la modularité de
l’esprit et, en conséquence, mettent en cause la notion de structures logiques (d’ordre général).
– Il a été reproché à Piaget de sous-estimer les capacités cognitives des jeunes enfants et, plus particulièrement, des bébés dans divers domaines (cf. notamment, Baillargeon, Spelke, & Wasserman, 1985).
• + Critique de Vygotskiens: – Piaget sous-estime le poids de la culture et des
interactions sociales
Rethinking innateness Elman, Bates, Johnson, Karmiloff-Smith, Parisi et Plunkett
(1996)• l’idée défendue par ces psychologues, qui explorent
les apports du connexionnisme aux thèses constructivistes, est de souligner l’importance de l’état initial du système cognitif, ce qui ne les conduit pas, au contraire, à abandonner l’hypothèse d’une construction des connaissances par auto-organisation.
– Une recherche cruciale à cet égard est celle menée par Christiansen, Allen, et Seidenberg (1998, cité par Lautrey, 2008). Ceux-ci montrent notamment que les bébés sont sensibles aux régularités statistiques dans la séquence des phonèmes et, par cette voie, réussissent à opérer une segmentation dans le flux de parole de leurs parents et à repérer des mots qu’ils vont prononcer, donnant ainsi à ceux-ci l’opportunité d’une réaction en retour de validation ou de correction
Exp: compréhension progressive du principe alphabétique
• Distinction pictogramme - lettre• Principe de quantité minimale• Principe de variété interne (pour constituer un
mot, une séquence de lettres ne peut comporter trop de répétition de la même lettre)
• Principe d’invariance (une même lettre traduit le même son et vice-versa). – C’est ce principe d’invariance qui se manifeste
lorsque l’enfant, en plein apprentissage de la lecture, exprime sa surprise voire son incompréhension face aux mots à graphie inconsistante.
Auto-apprentissage en lecture
• Appliquant la connaissance des lettres et de leurs sons, laquelle résulte d’un enseignement et d’un apprentissage explicite (cf. ci-dessous), il arrive fréquemment que les enfants lisent incorrectement les mots dont la graphie est inconsistante (Share, 1995)
• e.g., femme
A propos de la modularité de l’esprit
• Spécialisation des neurones = une certaine souplesse
• Karmiloff-Smith (1998) ==> modularisation progressive de l’esprit plutôt qu’une modularité a priori – les réseaux neuronaux les plus appropriés à
certains types de traitement (notamment, visuo-spatial) peuvent voir leurs fonctionnalités déficientes compensées par le renforcement d’autres réseaux correspondant à une autre modalité de traitement (notamment, le langage)
Prenant appui sur les simulations connexionnistes et sur des études développementales, Lautrey (2008) conclut que
L’hypothèse d’un processus général d’auto-organisation susceptible d’engendrer la
construction de structures cognitives de plus en plus sophistiquées et adaptées au réel est
loin d’être réfutée.
Du point de vue d’une psychologie des
apprentissages scolaires, ceci signifie qu’il est légitime de laisser de
l’espace à l’activité auto-structurante de l’élève,
mais aussi de l’encourager
.
Conclusions• Sans négliger la possibilité d’évolutions
liées à la maturation et d’autres relevant directement de processus éducatifs (en famille, à l’école ou ailleurs), il faut prendre en compte des phénomènes développementaux d’ordre plus général que les apprentissages sensu stricto.
• Ceci n’implique pas pour autant que les processus développementaux doivent être conçus comme indépendants des apprentissages, ce que soutenait Piaget.
3.
Relations entre développement logique et apprentissage des notions
et procédures arithmétiques
A propos du nombre • La conception piagétienne est à la
fois essentielle et réductrice.• Essentielle car l’intuition de la loi N +
1 (ou de l’itération) est cruciale.• Réductrice car le comptage et le
dénombrement jouent un rôle clef.
La thèse de Piaget• Le nombre est construit par abstraction
réfléchissante (donc, importance de l’organisation introduite par le sujet dans le monde des objets).
• Le nombre est la synthèse de la sériation et de la classification (inclusion hiérarchique).
• Le développement de la compréhension du nombre est subordonné au développement des opérations logiques.
La conception piagétienne du nombre
Le nombre est aussi un objet social, produit de l’histoire
culturelle de l’humanité• La chaîne verbale des nombres comporte une syntaxe = une logique
– L’apprentissage du comptage n’est pas un simple apprentissage « par cœur »• Le dénombrement repose sur des principes (Gelman)
– Le dénombrement est un assemblage de connaissances procédurales et conceptuelles structurées par des principes logiques
CHAINE NUMERIQUE TRIBU ISLANDE
URAPUN (1)OKASA (2)OKASA URAPUN (2,1)OKASA OKASA (2,2)OKASA OKASA URAPUN (2,2,1)
= 1= 2 = 3 = 4 = 5
1 Wahed2 Ithnin3 Th’latha4 Arbâa5 Khamsa6 Sitta7 Sabâa8 Th’mania9 Tisâa10 Achra
11 Hdech12 Thnach13 Thlattach14 Arbatach15 Khamstach16 Sittach17 Sbatach18 Thmantach19 Tsâatach20 ‘Ichrine
21 Wahed wa ichrine22 Ithnin wa ichrine23 Th’latha wa ichrine24 Arbâa wa ichrine25 Khamsa wa ichrine26 Sitta wa ichrine27 Sabâa wa ichrine28 Th’mania wa ichrine29 Tisâa wa ichrine30 Thathine
La chaîne numérique est composée
• D’items lexicaux
– Un, deux, trois, quatre, => seize
– Vingt, trente, quarante, etc.
– Cent, mille, million, etc.
• D’items composés
– Dix-sept, dix-huit
– Vingt et un, vingt deux, etc.
– Deux cents, trois cents, etc.
– Deux mille
Selon Gelman, le dénombrement mobilise cinq principes
Le principe d'abstraction Le principe d'adéquation uniqueLe principe d'ordre stable (de
l'énumération)Le principe cardinalLe principe de la non-pertinence de
l'ordre
Apprendre à la chaîne verbale numérique et la technique du
dénombrement peut contribuer au développement
logiqueLes techniques du comptage et du dénombrement, produit de
l’histoire culturelle de l’humanité, véhiculent une logique
Dans quel ordre doivent se réaliser ces apprentissages ?
• Attendre la maîtrise de l’inclusion hiérarchique (vers 8 ans) = non
• Apprentissage « significatif » du comptage et du dénombrement dès la maternelle
• + jeux logique de comparaison des quantités
L’apprentissage est possible
• Les apprentissages scolaires ==> développement logique
• Plutôt la thèse de Vigotsky: « le bon enseignement doit précéder le développement »– Evidemment, l’état initial doit être pris en
considération– Etats initiaux = logiques, cognitifs et
motivationnels
Thèses générales• En assumant le guidage d’apprentissages spécifiques, l’école peut contribuer
au développement des opérations mentales ou structures logiques (au sens de Piaget) ou de processus de traitement de l’information.
• La controverse qui opposait jadis Piaget à Vygotski peut clairement être tranchée en faveur de la thèse défendue par le second : l’enseignement peut et même doit dans une certaine mesure précéder le développement (Vygotski, 1985). – Evidemment, « la nature des progrès, de même que leur importance, sont
toujours (…) fonction du niveau initial du développement des sujets » (Inhelder, Sinclair et Bovet, 1974, p. 295),
– Tenant compte de l’apport de Vygotski (1985) et des théories de l’étayage de Bruner (1987), nous dirons qu’il convient que, pour être productif, l’enseignement doit se situer dans la zone proximale de développement de l’élève
4.
Automatismes et compréhension: comment
les coordonner?
De la nécessaire coordination de connaissances de types différents découle
la nécessité d’articuler diverses modalités d’apprentissage
Apprentissages scolaires = traitement en parallèle de
plusieurs informations et, plus largement, de plusieurs types de
connaissances
Dénombrement• Chaîne verbale numérique• Pointage des objets à compter• Coordination verbo-motrice• Principes (Gelman)
• Haut degré de fluency
• Haut degré de fluency
• Compréhension (conceptual understanding)
Différentes modalités d’apprentissage
• Haut degré de fluency
• Compréhension conceptuelle
• Automatisation par la pratique ==> répétition
• Redescription représentationnelle ou apprentissage explicite
Le fonctionnement cognitif implique des procédures
automatisées et des traitements « explicites »
(ou intentionnels)
Les traitements contrôlés Les traitements automatisés sont lents, coûteux : leur mise en oeuvre suppose un effort de la part du sujet, et inhibiteurs des autres traitements : leur activation gêne la mise en oeuvre d'autres traitements; il n'y a donc pas de fonctionnement parallèle possible. Il est possible d'exercer un contrôle sur la mise en oeuvre de ces processus, c'est-à-dire d'éviter volontairement leur activation.
sont rapides, peu coûteux, et non inhibiteurs des autres traitements : leur mise en oeuvre est indépendante des limitations des ressources cognitives; le traitement parallèle est donc possible. Ces processus sont irrépressibles : il n'est pas possible de ne pas les exécuter lorsque les conditions externes de leur déclenchement sont remplies.
LES ÉLÈVES DOIVENT APPRENDRE À CONTRÔLER LES RÉSULTATS DE LEURS PROCÉDURES AUTOMATISÉES.
L’enjeu n’est plus d’opposer automatisme et compréhension, mais de les coordonner
ENSEIGNEMENT EN SPIRALE
Il faut des moments de drill et des moments de mise en situation des procédures automatisées
Merci de votre attention