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Traumatismes dentaires et intubation :
Le point de vue de l’Expert Stomatologiste et l’analyse médico légale
Recommandations pour les Médecins Anesthésistes.
Docteur Philippe DUCOMMUN. Stomatologiste
Photographie n°1
Les traumatismes dentaires sont des complications fréquentes mais évitables de l'intubation pour
anesthésie générale.
Leurs conséquences peuvent engendrer des séquelles esthétiques et fonctionnelles parfois importantes.
La réparation de tels préjudices engendre des coûts non négligeables.
La compréhension des facteurs de risque d’un traumatisme dentaire est essentielle dans le cadre de la
prévention.
La responsabilité de l’anesthésiste est souvent due à l’absence d’examen clinique dentaire suffisant,
permettant d’appréhender les risques de complications dentaires lors d’une intubation trachéale.
L’absence d’information du patient sur les risques dentaires compte tenu de l’état antérieur, condition
indispensable pour obtenir son consentement et l’acceptation du risque, est encore trop souvent
rencontrée lors des expertises.
Pour qu’une faute de l’anesthésiste soit retenue en cas d’accident dentaire, en cas de procédure, il
suffit que soit rapporté un défaut d’examen anesthésique, un défaut d’information, l’absence de
consentement éclairé, l’absence de précaution, ou une maladresse de l’intervenant.
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Contrairement à l’opinion répandue dans le milieu médical, les accidents dentaires per opératoires,
n’entraînent pas qu’une réparation juridique des lésions strictement dentaires, mais un ensemble de
préjudices qui augmentent le coût global de l’indemnisation. ( 1 )
Fréquence des accidents
Selon une étude publiée dans les annales d’anesthésie réanimation, basée sur les chiffres des
déclarations d’accidents adressées par les anesthésistes sociétaires du GAMM (Sou Médical et
MACSF) et représentant 4684 anesthésistes, sur la période des années 1990 à 1995 incluse, la
sinistralité moyenne est de l’ordre de 9,5 accidents déclarés par an pour 100 anesthésistes.
La fréquence des accidents reconnus fautifs était élevée (79%) et surtout due à l’absence d’examen
dentaire et de recueil du consentement éclairé du patient lors de la consultation d’anesthésie pré
opératoire.
La proportion d’accidents dentaires représente en moyenne 40% des accidents d’anesthésie déclarés
(511 sur un total de 1276 accidents). (2)
L’indemnisation moyenne des accidents dentaires représentait 4,6% du coût total des accidents
d’anesthésie instruits par le Sou médical, sur cette période de 6 années étudiées.
En 2002, les anesthésistes affiliés ont rapporté 218 déclarations dont 64 bris dentaires lors
d’intubations endo trachéales, 3 sur utilisation d’un masque laryngé et 1 sur un trismus sur canule de
Guedel.
La SHAM (compagnie d’assurances assurant majoritairement les établissements hospitaliers) indique
quant à elle une sinistralité de 6,5 %
RAPPELS ANATOMO- PATHOLOGIQUES :
Principes de l’examen clinique
Il est important que le médecin anesthésiste se familiarise avec la terminologie utilisée en stomatologie
et en dentisterie afin d'être exhaustif lors de l'interrogatoire de son patient lors de la consultation
d'anesthésie préopératoire.
Les dents comprennent une couronne et une racine.
La couronne est recouverte d’émail. La jonction entre émail et racine est marquée d’une limite visible,
formant le collet.
À l'état physiologique, la racine est entièrement enfouie dans l'os alvéolaire et seule la couronne est
visible dans la cavité buccale.
En cas de pathologie parodontale (déchaussement) qui est un facteur favorisant ou aggravant des
mobilités dentaires lors d’intubation, l'ancrage radiculaire est diminué et une partie de la racine est
apparente dans la cavité buccale.
L’appréciation de l’état du parodonte, c'est-à-dire l'état des gencives, de l'os alvéolaire et la recherche
d'une éventuelle mobilité dentaire, notamment dans le secteur incisif supérieur et inférieur constitue
une étape essentielle de l'évaluation du risque dentaire.
L'appréciation de l'état parodontal comporte un examen simple et rapide qui doit être impérativement
réalisé avant toute anesthésie.
Pour simplifier, il faut rappeler que la longueur de la racine d'une incisive correspond à environ une
fois et demi la hauteur de la couronne.
Il est donc facile par un simple examen visuel d'apprécier l'ancrage radiculaire résiduel d'une incisive
en cas de parodontopathie qui constitue un risque supérieur de luxation dentaire.
De façon physiologique, il existe une récession de l'os alvéolaire avec l'âge.
Cette récession peut être majorée par des facteurs de risque dont les principaux sont le tabagisme, le
diabète, le tartre et l'absence d'hygiène.
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Le simple examen visuel peut donc évaluer la fragilité de l'ancrage radiculaire.
En cas de doute, le médecin anesthésiste peut s'assurer de l'absence ou de la présence d'une mobilité
dentaire par une mobilisation prudente des incisives en saisissant les dents entre le pouce et l’index.
Schématiquement pour simplifier il peut ainsi distinguer trois cas de figure.
1) Dent saine non déchaussée (la gencive est attenante au collet de la dent). Dans ce cas, en cas
d'accident d'intubation, la luxation est rare et il se produit plutôt une fracture de l'organe dentaire.
Photographie n°2
2) Alvéolyse atteignant le premier tiers de la hauteur de la racine (il existe un déchaussement laissant
apparaître en bouche le premier tiers de la hauteur radiculaire) : à ce stade, il n'y a pas de mobilité
clinique de la dent (et le patient est rarement conscient de la maladie parodontale existante), mais il
existe déjà un risque accru de sub-luxations ou de luxations, c'est-à-dire de mobilisation de la dent
dans son alvéole en cas de traumatisme d’intubation.
Ce cas de figure représente l’essentiel des sinistres. (Photographie ci-dessous)
Photographie n°3
3) Alvéolyse au stade terminal : l'ancrage radiculaire représente moins du tiers de la hauteur de la
racine. À l'examen clinique la dent est mobile entre le pouce et l’index.
Cette mobilité est souvent un peu douloureuse et s’accompagne d'une gingivite (gingivorragie ou
suppuration gingivale).
Dénudation de deux à trois millimètres de la
racine. La limite racine/ couronne est bien
visible. Le collet est visible.
Couronne de la dent.
Lorsque le parodonte est sain, la tenue de
la dent dans son alvéole est solide. Un
traumatisme dentaire produira plutôt des
fractures de la couronne dentaire.
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Photographie n°4
La maladie parodontale s’accompagne souvent de saignements inflammatoires de gencives au
brossage qu’il convient de rechercher à l’interrogatoire et de noter sur la fiche de consultation
d'anesthésie préopératoire
RAPPEL CONCERNANT LES PROTHESES DENTAIRES.
Une prothèse mobile qui s’enlève et se replace en bouche est dite « prothèse adjointe ou amovible ».
Il convient de bien poser la question lors de la consultation en utilisant le mot mobile (mieux compris
par le patient.)
Cette prothèse est dite « complète » lorsqu’ elle remplace toutes les dents d'une arcade ou « partielle »
lorsqu’elle ne compense que quelques pertes.
Les ciments composites : sont des restaurations des couronnes naturelles des dents par un matériau à
base de résine.
Au niveau des incisives (qui sont les dents les plus fréquemment traumatisées au cours des
traumatismes d'intubation) le ciment composite remplace le plus souvent l'angle coronaire et est donc
par définition très fragile car il n'est fixé que par un simple collage sur le reste de la couronne
naturelle.
Le ciment composite est donc susceptible de se décoller à la moindre pression ou choc intempestif.
En toute rigueur, de par leur fragilité, les restaurations par ciment composite doivent être réservées à
des pertes de substance de petite dimension... ce qui n'est pas toujours le cas
Les couronnes prothétiques : Il s’agit le plus souvent (pour les incisives) de chapes métalliques
recouvertes de céramique ou de chapes entièrement en céramique.
Mais il existe encore des prothèses anciennes comportant une chape métallique recouverte d'une
facette en résine sur la face vestibulaire.
En cas de délabrement coronaire important, la racine de la dent est renforcée par un faux moignon
(inlay core) ou par un tenon (« dent à pivot ») qui est fixé dans le canal radiculaire de la dent.
Photographie n°5
Couronne en céramique d’une incisive centrale au
maxillaire.
Tenon radiculaire ou « pivot »
Parodontose très évoluée. La racine dentaire n’est
maintenue dans l’os que par deux millimètres de
racine……
Maladie parodontale prononcée avec
mobilités dentaires, gingivites, tarte.
Le risque de luxation dentaire lors
d’une intubation est maximum.
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Les bridges : Un bridge est une prothèse fixe, scellée, comportant plusieurs éléments le plus souvent céramo
métalliques prenant comme piliers des racines naturelles et remplaçant une ou plusieurs dents absentes
par des éléments prothétiques intermédiaires.
Photographie n°6
Les attelles de contention sont des barres de fixations, scellées ou collées, solidarisant les dents les
unes aux autres pour limiter leur mobilité. Elles sont utilisées en cas de parodontopathie.
Un implant est une vis en titane, impactée ou vissée dans l’os alvéolaire sur laquelle est fixée une
prothèse céramo métallique destinée à remplacer une dent absente.
FACTEURS PREDISPOSANTS DES TRAUMATISMES DENTAIRES PER
OPERATOIRES : Ils sont de deux ordres :
- une intubation difficile
- une dentition fragile
1er-Intubation difficile : L’anesthésiste doit rechercher les signes prédictifs d’une intubation difficile
qui repose sur la recherche de critères anatomiques pathologiques, morphologiques et anamnestiques.
(3,4)
Les intubations difficiles peuvent être dues à :
- L’impossibilité d’aligner les axes pharyngés et laryngés.
- L’impossibilité d’aligner l’axe buccal et l’axe pharyngo laryngé.
- L’impossibilité de refouler suffisamment la base de la langue pour aligner les trois axes.
Ces difficultés peuvent être explorées par différents tests :
- La distance thyréo- mentale.
- Les critères de Mallampati.
- La mesure de l’ouverture buccale.
Les principales pathologies cervico faciales et crânio faciales pouvant être à l’origine d’une
intubation difficile sont :
Pathologies ORL ou stomatologiques, mauvais état dentaire gênant l’introduction de la lame du
laryngoscope, pathologie rhumatismale atteignant le rachis ou l’articulation temporo mandibulaire,
trismus, traumatismes maxillo faciaux ou cervicaux, cicatrices rétractiles, brûlures, pathologies
Grand bridge au maxillaire supérieur en
métal de huit dents recouvert de céramique,
scellé sur les cinq dents piliers par
l’intermédiaire de tenons radiculaires.
La parodontose touchant les incisives réalise
un risque majeur de luxation ou de sub
luxation.
La présence de nombreux tenons radiculaires
est un risque majeur de fracture de racine.
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infectieuses (phlegmon amygdalien, abcès, épiglottite), tumeurs ORL, acromégalie, syndromes de
Crouzon, d’Alpert, de Pierre Robin, de Teacher- Collins….)
2ème
-Dentition fragile.
L’évaluation du degré de fragilité dentaire repose essentiellement sur :
- L’existence de prothèses dentaires (Couronne, bridge, couronne sur implant, prothèse
amovible)
- L’existence de restauration par résine composite sur les dents antérieures
- Le degré de parodontose.
- Le degré de mobilité.
- La qualité de l’hygiène bucco dentaire (tartre, gingivite)
- Le décalage maxillo mandibulaire avec une pro maxillie et une rétro mandibulie. Ce cas de
figure est très fréquemment rencontré et expose tout particulièrement les incisives au maxillaire lors
d’une laryngoscopie difficile, du fait de leur projection en avant et de leur tendance à l’alvéolyse.
Photographie n°7
Ces éléments doivent être mentionnés dans l’examen.
LESIONS DENTAIRES LES PLUS FREQUENTES AU COURS DES
TRAUMATISMES D'INTUBATION : 1) Fractures
a) De dents antérieurement saines
-fracture coronaire.
La fracture peut intéresser l'émail, qui est la couche superficielle de la couronne dentaire et/ou la
dentine, qui est le tissu sous-jacent.
En cas de fracture dentinaire, le risque est l'exposition de la pulpe dentaire (paquet vasculo nerveux de
la dent) ce qui nécessite une dépulpation et un traitement radiculaire.
- fracture radiculaire : elle impose plus souvent l'extraction de la dent.
b) De dents ayant fait l'objet de soins restaurateurs
Il peut s'agir de la détérioration de la perte de ciment composite ou d'un éclat de céramique d'une
couronne prothétique ou d'un élément d'un bridge.
Un traumatisme d'intubation plus important peut aboutir à la fracture de l'armature métallique d'un
bridge.
Les fractures radiculaires sont favorisées par la présence de tenons radiculaires
Décalage maxillo- mandibulaire avec
projection en avant des incisives au maxillaire,
les exposant d’avantage à un traumatisme.
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2) Descellements prothétiques.
Ils concernent les couronnes céramo métalliques et les bridges et peuvent être révélateurs de fracture
radiculaire sous-jacente.
3) Sub- luxations et les luxations :
Le terme de luxation dentaire (qui est souvent employé abusivement) signifie que la dent a perdu tout
contact avec son alvéole.
La sub- luxation correspond à une mobilisation de la dent dans son alvéole.
En cas de descellements prothétiques ou de luxation dentaire complète, il existe un risque d'inhalation
ou d'ingestion.
4) Nécroses pulpaires post traumatiques :
Elles surviennent après sub luxation dentaire, se compliquent d’infection, nécessitent le traitement
endodontique et la réalisation secondaire de couronne. Elles peuvent se compliquer de la perte de
l’organe dentaire.
MECANISME LESIONNEL
Le plus souvent, les lésions dentaires traumatiques au cours d'intubation résultent d'un traumatisme
direct ou d'un appui intempestif du laryngoscope sur les organes dentaires ou les prothèses. (6, 7)
Plus rarement, en per- opératoire, les traumatismes peuvent être provoqués par une morsure exagérée
sur une canule de Guedel, une sonde d’intubation, un masque laryngé, une canule de protection de
fibroscope.
Photographie n° 8
Les dents lésées sont le plus souvent les incisives, aussi un dommage dentaire allégué des dents
latérales (prémolaires), à fortiori latérales et postérieures (molaires) devra amener l’expert à analyser
de manière critique les critères d’imputabilité.
Dents les plus fréquemment concernées par les traumatismes d'anesthésie
Les incisives maxillaires (incisive latérale supérieure droite n°12, incisive centrale supérieure droite
n°11, incisive centrale supérieure gauche n°21 et incisive latérale supérieure gauche n°22),
représentent la grande majorité des dents traumatisées au cours des accidents d'intubation.
Les incisives mandibulaires (incisive latérale inférieure droite n°42, incisive centrale inférieure droite
n°41, incisive centrale inférieure gauche n°31 et incisive latérale inférieure gauche n° 32) sont les plus
fréquemment traumatisées au cours de réveil. Il s’agit alors de luxation linguale lors de morsure
exagérée sur canule de Guedel.
Morsure exagérée sur un masque laryngé.
Les deux incisives centrales sont
reconstituées par des couronnes en
céramique.
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Photographie n° 9
Les lésions traumatiques des canines et des secteurs latéraux et postérieurs (prémolaires et molaires)
sont exceptionnelles lorsqu'il s'agit de dents saines.
LES TECHNIQUES DE RESTAURATION DES LESIONS DENTAIRES:
Une fracture coronaire dentaire simple d’émail ne nécessitera à priori que la restauration à l’état
antérieur par collage d’une résine composite. La conservation de la vitalité dentaire est l’élément
capital de l’analyse du dommage puisqu’elle peut imposer un traitement endo canalaire et la
confection d’une couronne en céramique.
Une déclaration d’accident est quand même nécessaire puisqu’il est impossible de présager de
l’évolution, même si les lésions initiales paraissent minimes.
Une fracture plus importante exposant la pulpe dentaire se manifeste par une douleur vive exacerbée
au froid. Elle impose la protection de la pulpe dentaire, bien souvent la dévitalisation et à terme la
confection d’une couronne métallo céramique.
Une fracture coronaire et radiculaire impose la plupart du temps l’extraction de la partie restante
inexploitable et sa compensation secondaire.
Les fractures radiculaires sont favorisées par l’existence de dent à pivot faisant bras de levier sur la
paroi antérieure de la racine et par les fissurations de racine. La couronne se descelle immédiatement
ou dans les jours qui suivent. Le délai d’apparition de la lésion est différé de quelques jours à quelques
semaines et le diagnostic est porté par le stomatologiste ou le dentiste devant l’apparition d’un abcès,
ou le descellement de la couronne. Cette lésion est parfois mise en évidence avec une radiographie
montrant des signes directs lorsque l’axe du rayon passe dans la fracture ou la fissure, souvent par des
signes indirects. La sanction est bien souvent la perte de l’organe dentaire.
La sub- luxation d’une dent naturelle ou supportant une couronne impose la réduction immédiate de
l’organe dentaire dans son alvéole et l’immobilisation. La mortification est une complication pouvant
survenir dans l’année et nécessite à terme la confection d’une couronne en céramique après traitement
endo canalaire. L’ankylose dento osseuse est une complication secondaire qui à terme aboutira (après
quelques mois ou années) à la résorption de la racine et donc à la perte de la dent (qu’il faudra
compenser.)
Le pronostic n’est donc pas toujours favorable. C’est un cas de figure souvent rencontré. La facilité
avec laquelle ces dents se luxent surprend toujours l’anesthésiste et dépend étroitement du degré de
déchaussement initial.
Incisive latérale droite n°12
Incisive centrale droite n°11
Incisive centrale gauche n°21
Incisive latérale gauche n°22
Incisive latérale gauche n°32
Incisive centrale gauche n°31
Incisive centrale droite n°41
Incisive latérale droite n°42
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La luxation d’une dent impose aussi le repositionnement dans un délai très court.
Il faut conserver cette dent dans du sérum physiologique et faire appel en urgence au stomatologiste
afin d’assurer son repositionnement et une contention adéquate.
La conservation de cette dent est encore plus aléatoire du fait du risque majeur de rhizalyse.
( résorption radiculaire).
La perte d’une dent.
Sa compensation fera d’abord appel à la réalisation d’une prothèse amovible provisoire immédiate. La
restauration définitive ne pourra se faire qu’après analyse de l’état antérieur, des dents adjacentes
susceptibles de servir de piliers de bridge ou de l’os résiduel susceptible d’accepter un implant.
* Un bridge est une prothèse fixée par scellement sur les dents adjacentes, comprenant un élément
intermédiaire qui compense la dent perdue. Il est la plupart du temps nécessaire de dévitaliser les deux
dents adjacentes, de les tailler pour leur permettre de recevoir une structure métallo céramique. Le
nombre de piliers nécessaires est fonction des contraintes mécaniques et de la qualité des piliers. C’est
ainsi que la perte de deux incisives centrales au maxillaire peut imposer la confection d’un bridge
s’appuyant sur les deux incisives latérales et les deux canines, soit six dents.
*L’implant : La compensation de la perte d’une dent peut aussi faire appel à la pose d’un implant intra
osseux, suivie quelques mois après par la confection d’une dent fixée dessus. L’avantage est de ne pas
dévitaliser les dents adjacentes, de ne pas les altérer comme dans le cas du bridge.
En cas d’insuffisance osseuse (arrachement osseux avec la perte dentaire) il est parfois nécessaire
d’avoir recours à une greffe osseuse d’apposition permettant de redonner un volume osseux suffisant
pour permettre la pose de l’implant.
Cet impératif impose une intervention supplémentaire, un délai de cicatrisation osseuse, avant la pose
de l’implant. Cette technique majorera les souffrances endurées indemnisables, le coût de la
restauration imputable, l’incapacité temporaire de la victime. Il faudra évaluer l’incidence morbide
imputable du site donneur osseux. La date de consolidation risque d’être retardée.
*Une prothèse mobile suffit, notamment chez les édentés partiels déjà porteurs de prothèse amovible.
Les cas plus complexes sont à analyser individuellement.
(Fracture ou luxation d’un bridge, fracture ou luxation d’une couronne sur implant, fracture d’une
racine pilier d’un bridge, etc)
DISCUSSION RELATIVE A L’IMPUTABILITÉ MEDICO LEGALE DES LÉSIONS
DENTAIRES LORS D’ACCIDENTS D’ORIGINE ANESTHÉSIQUE.
ATTITUDE DE L’EXPERT.
A- La démarche analytique
La démarche analytique de l’expert stomatologiste s’appuie sur des critères d’imputabilité qui
forment la base de son raisonnement médico légal:
1er- Vraisemblance scientifique du mécanisme lésionnel.
Il est indispensable de connaître et de comprendre le mécanisme physiopathologique susceptible
d’avoir provoqué le dommage dentaire allégué par le patient.
Ainsi, une anesthésie sans intubation (pour une coloscopie par exemple), doit remettre en cause le lien
de causalité entre le dommage allégué et une hypothétique faute.
De même, il faut apprécier le site du dommage, c'est-à-dire, la localisation de la dent.
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Ainsi une canine est rarement atteinte, une prémolaire est trop latérale, une molaire trop postérieure et
latérale pour être traumatisée par la lame du laryngoscope.
La difficulté de l’intubation est appréciée par le médecin anesthésiste par constatations dressées lors de
la consultation, (rapportées sur la feuille d’anesthésie) et par l’examen clinique.
2ème
-Diagnostic positif de lésion traumatique et les diagnostics différentiels.
Le diagnostic positif de lésion traumatique repose essentiellement sur le certificat médical descriptif
établi par le chirurgien-dentiste ou le stomatologue.
Il faut s'assurer que la lésion dentaire alléguée traumatique soit bien d'origine traumatique et non la
conséquence d'une pathologie constituée par un état antérieur (pathologie infectieuse ou parodontale
préexistante).
Par exemple, il faut distinguer une fracture sous la forme d'une perte de substance franche à bord net,
d'une carie pénétrante méconnue à l'origine d'une fracture coronaire ou radiculaire.
Il faut enfin différencier une mobilité dentaire traumatique d'une mobilité en rapport avec
parodontopathie préexistante.
3ème
Evaluation de l'état dentaire antérieur.
Il s'agit de l’étape la plus délicate pour le médecin expert qui devra définir le plus précisément possible
un éventuel état antérieur (parodontopathie, détérioration carieuse, présence de prothèse) de manière la
plus objective possible, en se méfiant des interprétations figurant sur les certificats médicaux.
L'expert doit préciser en détail l'état dentaire antérieur et notamment évaluer :
- l'état dentaire global, c'est-à-dire la description de toutes les dents sur les deux arcades et non
exclusivement la où les dents qui ont été traumatisées.
- une éventuelle parodontopathie préexistante et apprécier l'importance de l'alvéolyse, notamment en
cas de luxation ou sub luxation dentaire.
- la présence éventuelle de restaurations coronaires, notamment par de volumineux ciments composites
ou par des prothèses dont il conviendra de préciser la vétusté
- le type de prothèse (fixe ou amovible), la nature des matériaux utilisés.
- la qualité des obturations radiculaires (traitement complet ou incomplet pouvant être à l'origine de
lésion apicale infectieuse (kyste ou granulome)
4ème
- Délai d’apparition entre l'intubation et la découverte des lésions dentaires alléguées et la
continuité évolutive.
Il est à apprécier en fonction des lésions constatées.
Les luxations sont immédiatement diagnostiquées.
Les sub luxations sont constatées dans les jours qui suivent l’anesthésie.
Les petites fractures coronaires ou les éclats de céramique de couronne peuvent être méconnues par le
médecin anesthésiste et n'être découvertes par le patient et son dentiste que quelques jours plus tard.
Les fractures de l'armature d'un bridge peuvent mettre quelques semaines à se révéler.
Les fractures radiculaires peuvent devenir symptomatiques quelques semaines après le traumatisme
d’intubation. (L’analyse est alors plus délicate et sera à apprécier en fonction de l’état antérieur)
Il doit y avoir une cohérence entre le mécanisme lésionnel retenu et les lésions dentaires constatées et
le délai d’apparition.
Ainsi, la découverte d'une lésion apicale infectieuse importante quelques jours après une intubation, en
regard d'une dent qui présente une fracture radiculaire ne peut être imputée à un traumatisme
d’anesthésie, ce type de lésion nécessite plusieurs semaines à plusieurs mois pour se constituer.
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De même, il ne faut pas méconnaître un accident ou un traumatisme qui aurait pu survenir
postérieurement à l'intubation.
5ème
Réalité du traumatisme.
A- Elle doit pouvoir être affirmée objectivement par l'interrogatoire du médecin anesthésiste, l’examen
de la feuille d’anesthésie, les doléances du patient. Cette analyse doit être cohérente avec le type de
lésion alléguée ou constatée.
Tous ces critères constituent des éléments de réflexion du raisonnement médico légal que
l’expert doit respecter dans son analyse, et peuvent être ramenés à trois données essentielles :
- Le site (localisation des lésions initiales et des séquelles)
- Le temps (délai d’apparition et continuité évolutive)
- Le mécanisme lésionnel.
L'analyse de ces critères permet d'infirmer ou d'affirmer le lien de causalité et l’imputabilité
B- Doute sur l’imputabilité :
L’appréciation de l'imputabilité n'est pas toujours chose aisée et doit faire l’objet d’une
discussion. Elle repose sur des arguments motivés.
C- Imputabilité partielle :
Il n’est pas rare que le mécanisme physiopathologique transformant les lésions initiales en séquelles
soit influencé par d’autres anomalies : fait intercurrent, prédisposition, état antérieur.
Fait intercurrent : Tout événement de santé, traumatique ou non, survenu à la suite de l’accident
iatrogène est susceptible de modifier la nature et/ ou l’importance des séquelles.
Prédisposition : Il s’agit par définition d’un état cliniquement muet et ignoré du patient. Le problème
essentiel est d’indiquer si la transformation de cette prédisposition en état pathologique était
inéluctable spontanément ou à l’occasion d’un fait intercurrent banal.
L’état antérieur « fragmente » l’imputabilité et l’expert doit l’analyser selon un raisonnement précis. Il
est constitué par l’ensemble des antécédents susceptibles d’intervenir dans le processus pathologique
faisant suite à l’accident pour l’aggraver, ou qui peuvent avoir été aggravés par celui-ci.
Le raisonnement médico légal en cas d’état antérieur ayant modifié l’évolution des lésions
traumatiques ou ayant été modifié par l’accident peut être synthétisé par la triade classique :
- quelle aurait été l’évolution des lésions traumatiques en l’absence d’état antérieur ?
- quelle aurait été l’évolution de l’état antérieur en l’absence d’accident ?
- quel est le résultat de l’interaction état antérieur- lésions traumatiques ?
D- La date de consolidation :
Elle est fixée soit par le médecin (ou le dentiste) traitant au moment de la fin des soins, soit par la
Sécurité Sociale (en AT), soit par l’expert en cas de procédure, lorsque l’état n’est plus susceptible
d'évolution correspondant le plus souvent à la date de la réhabilitation prothétique.
Cette date est indispensable pour fixer le montant du préjudice et indemniser le dommage.
La poursuite des soins n’est pas un obstacle à la consolidation.
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RAPPEL DES PRINCIPES JURIDIQUES DE LA REPARATION
Dans cet exposé, le raisonnement vaut pour les préjudices réalisés dans le cadre libéral (Tribunaux de
l’ordre judiciaire) ou dans le cadre hospitalier (Tribunaux de l’ordre administratif).
Les articles 1382 et 1383 du Code Civil précisent :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il
est arrivé, à le réparer. »
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence ».
L’article 1384 précise :
« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de
celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. » (Cas de l’infirmière anesthésiste
travaillant sous la responsabilité du médecin anesthésiste.
L'assurance de responsabilité civile professionnelle a pour but de garantir la réparation du dommage
causé à autrui dans le cadre de l'activité professionnelle du médecin anesthésiste.
Il peut s'agir du financement d'une réhabilitation prothétique ou d'une indemnisation financière, ainsi
que tous les autres préjudices reconnus imputables.
La responsabilité du praticien peut être engagée lorsqu’il existe un dommage, un fait générateur et un
lien de causalité.
- Le dommage doit être réel
- Le fait dommageable peut être constitué par une faute, une maladresse, une insuffisance de moyens
ou le fait d’une chose, d’un préposé.
- Il doit exister un lien de causalité directe et certain entre le dommage et le fait dommageable.
- Les notions d’information préalable du patient, de consentement éclairé, d’acceptation du risque,
sont essentielles compte tenu de l’évolution de la jurisprudence.
LES PREJUDICES INDEMNISABLES
L'indemnisation d'un patient victime d'un traumatisme dentaire iatrogène repose sur différents postes
de préjudice.
1- Le remboursement, de tous les frais engagés à l’occasion de l’accident, passés ou futurs, c'est-
à-dire :
- La perte de revenus engendrés par l’arrêt total ou partiel, dans les suites de l’accident,
des activités rémunérées.
- Frais médicaux engagés pour traiter les lésions traumatiques et leurs répercussions,
jusqu’à ce qu’elles soient guéries ou consolidées.
- Frais engagés, ou qui devront être dispensés après la stabilisation des séquelles, et
éventuellement la vie durant, s’ils sont indispensables pour permettre la stabilisation de l’état
séquellaire (renouvellement des prothèses dentaires, bridges, implants prothèse amovibles…)
2- L’indemnisation des souffrances endurées, d’un éventuel dommage esthétique, d’une
éventuelle diminution définitive de son potentiel physiologique, ainsi que les répercussions
que cela peut avoir sur certaines activités spécifiques.
3- La compensation d’un éventuel préjudice économique engendré par l’impossibilité de
poursuivre ou d’obtenir une activité rémunérée, ou par des difficultés à l’exercer pleinement.
On peut séparer ces préjudices en deux grands groupes :
Les préjudices temporaires comprenant :
- l’incapacité temporaire totale
- l’incapacité temporaire partielle
- les frais médicaux avant consolidation
Les préjudices permanents comprenant :
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- l’incapacité permanente partielle
- les souffrances endurées
- le dommage esthétique
- la privation d’activité d’agrément
- l’incidence professionnelle
- les autres préjudices susceptibles d’être invoqués
- les frais médicaux après consolidation.
La date de consolidation réalisant une ligne de partage entre ces deux groupes.
4- Recours des organismes sociaux.
La Loi du 27 décembre 1973 a délimité le champ du recours des organismes sociaux :
« …. la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge, à dues
concurrence de la part d’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité
physique de la victime, à l’exclusion de la part d’indemnité, de caractère personnel, correspondant
aux souffrances physiques ou morales par elles endurées et aux préjudices esthétique et
d’agrément…. »
Les postes de préjudice soumis à recours sont :
- Les frais médicaux, pharmaceutiques et hospitaliers.
- Les frais futurs déterminés par l’expert.
- L’incapacité temporaire totale. La perte des revenus.
- L’incapacité temporaire partielle.
- Le préjudice professionnel.
PARAMETRES DE L’EVALUATION D’UN PREJUDICE.
1er
- Coûts des soins. Une prothèse provisoire unitaire (couronne provisoire en résine) coûte environ 50€.
Une couronne métallo- céramique unitaire a un coût moyen de 800 à 900 €.
Le coût d’un bridge est fonction du nombre d’éléments « unitaires ». Ainsi un bridge de six dents
pour compenser la perte de deux incisives centrales a un coût moyen de 4800 à 5500 €.
La pose d’un implant et d’une couronne sur implant a un coût moyen de 2500 €
La greffe osseuse pré implantaire a un coût moyen de 1000 €.
Le coût d’une prothèse amovible est fonction du nombre de dents, son coût pouvant varier de 300 à
1500 € selon les matériaux utilisés.
Notion importante : Le renouvellement des prothèses. Il s’agit d’un poste essentiel de l’évaluation d’un dommage.
La restauration à l’état antérieur fait donc appel à des reconstitutions prothétiques plus ou moins
sophistiquées. Toutes ces prothèses ont des durées de vie limitées.
Ainsi il est admis qu’une prothèse amovible a une durée de vie moyenne de 5 à 8 ans.
Une couronne ou un bridge, un implant ont une durée de vie de 10 à 15 ans.
Le principe étant que la restauration doit se faire la vie durant, il convient pour l’expert de préciser au
responsable du dommage ou à son assureur, le type et la fréquence des renouvellements prothétiques
éventuels.
Pour cela, l’expert doit prendre en compte l'état antérieur et doit apprécier ce que serait devenu l’état
antérieur en l'absence traumatisme, qu'elle a été la conséquence de l'accident sur l’état antérieur,
qu'elles auraient été les soins nécessaires en l'absence de traumatisme d’intubation, et évaluer les
conséquences financières médico légales qui en découlent.
Ainsi la perte d’une dent saine chez un sujet jeune sera compensée par une prothèse à renouveler tous
les dix ou quinze ans. Le coût global de l’indemnisation augmente d’autant.
Le remplacement d’une couronne dont la céramique a été fracturée se fera à l’identique, mais sans
renouvellement du fait d’une restauration à l’état antérieur.
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L’expert doit donc estimer précisément cet état antérieur dentaire, afin de conclure au renouvellement
ou non de la restauration, sa fréquence, son type en appliquant éventuellement un coefficient de
vétusté et en déterminant si une partie seulement de la restauration doit être prise en charge au titre de
l’accident ou la totalité.
En règle général, la victime d’un dommage adressera à l’assureur le devis de restauration lors du
renouvellement. Ce dernier diligentera éventuellement une nouvelle expertise en fonction de la
complexité du cas, expertise à charge de l’auteur du dommage ancien , ou de son assureur.
2ème
- L’incapacité temporaire totale : ITT. C’est la période correspondant à une période d’indisponibilité pendant laquelle, pour des raisons
médicales en relation certaine, directe et exclusive avec l’accident, l’intéressé ne peut exercer l’activité
habituelle lui procurant rémunération, ou ses activités habituelles.
3ème
-L’incapacité temporaire partielle : ITP Succédant ou non à une incapacité temporaire totale, l’incapacité temporaire partielle correspond à la
période pendant laquelle l’intéressé n’a pu, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et
exclusive avec l’accident, exercer qu’une partie de son activité rémunératrice ou habituelle. La fin de
cette période ne coïncidant pas obligatoirement avec la consolidation.
4ème
- L’incapacité permanente partielle : IPP Elle exprime la réduction du potentiel physique, psycho sensoriel ou intellectuel résultant d’une
atteinte à l’intégrité corporelle d’un individu dont l’état est considéré comme consolidé.
L’expert se réfère au Barème Indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en Droit Commun.
C’est ainsi que la perte d’une dent représente une IPP de 1%.
La mortification d’une dent représente une IPP de 0,5%.
Cette IPP comprend les soins imputables. Ainsi la réalisation d’un bridge de 6 éléments compensant la
perte de deux incisives centrales au maxillaire, et allant de canine à canine, nécessitant la dévitalisation
des deux incisives latérales et des deux canines, aboutira à une IPP de 0,5 X4 soit 2%.
La réduction de L’IPP :
La compensation de la perte d’une dent par une prothèse amovible diminue l’IPP de moitié.
La compensation de la perte d’une dent par une prothèse scellée diminue l’IPP des deux tiers.
La compensation de la perte d’une dent par un implant annule l’IPP.
Suivant notre exemple, la perte des deux incisives centrales au maxillaire, (antérieurement saines),
justifie une IPP de 2%.
La compensation par deux implants annulera cette IPP.
La compensation par une prothèse mobile justifiera une IPP finale de 1%
La compensation par un bridge de six éléments justifiera une IPP finale de 2% pour les dents piliers et
de 2% réduits des 2/3, soit 0,6% pour les deux dents perdues et remplacées, soit un total de 2,6%.
C’est ainsi qu’en matière dentaire, l’IPP post thérapeutique peut être supérieure à l’IPP crée
directement par l’accident.
La détermination de la valeur financière du point d’IPP n’appartient pas à l’Expert.
5ème
- Préjudice esthétique. L’Expert le qualifie et le chiffre sur une échelle de 1 à 7 degrés.
Il s’évalue à la date de consolidation, soit le plus souvent à la pose de la prothèse compensatrice. En
règle générale, le préjudice esthétique est nul ou très faible du fait de la qualité des restaurations.
6ème
- Souffrances endurées. Elles sont aussi qualifiées et chiffrées sur une échelle de 1 à 7 degrés.
Elles comprennent :
- Les douleurs liées au dommage dentaire secondaire à l’accident.
- Les soins nécessaires et la composante douloureuse des soins.
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Elles restent habituellement dans une fourchette de 1 à 3 sur une échelle à 7 degrés dans l’essentiel de
nos cas.
La détermination de la valeur financière de ces deux derniers postes n’appartient pas à l’Expert.
7ème
- Coûts accessoires pour le praticien. Ne sont pas comptées dans cette énumération, les coûts des Conseils (Avocat, Médecin conseil), le
temps passé à la constitution du dossier, les déplacements occasionnés, les pertes de temps, la durée de
l’expertise, et les soucis…
EVOLUTION DU DROIT MEDICAL
1er
- Notion de faute médicale :
Tous les praticiens sont responsables de chacun de leurs actes. Dans le cadre de la responsabilité
médicale, il doit donc exister une faute dont la notion reste particulière.
La faute d’ordre technique se fait par rapport aux données acquises de la science que le praticien se
doit de connaître et d’appliquer. Il peut s’agir d’une faute par imprudence, par négligence ou par
maladresse, (faute qui va à l’encontre des obligations de précision du geste médical).
Cette faute doit avoir entraîné un dommage ou préjudice. Le lien de causalité doit exister entre cette
faute et le dommage. Cette causalité doit être directe.
La maladresse est considérée comme une faute et non comme un risque inhérent à la pratique
médicale.
Par ailleurs, si l’auteur ne réalise pas les risques qu’il fait prendre à son patient il pourra être
condamné, sur le plan pénal.
La notion de faute virtuelle a constitué les prémisses d’une indemnisation du risque thérapeutique. En
effet, en l’absence d’anomalie anatomique dentaire expliquant le dommage, la Cour retient la preuve
d’une faute dans l’accident lui- même. Il s’agit cependant d’une présomption, le praticien peut la
renverser en établissant que l’atteinte de l’organe dentaire était inévitable. D’où la nécessité d’un
examen dentaire soigneux, préalable à l’acte d’anesthésie permettant d’appréhender le risque dentaire.
Les fautes d’ordre éthique sont les fautes pour défaut d’information ou de recueil du consentement
éclairé. Depuis peu, la faute peut être recherchée, pour non respect des obligations d’information.
2ème
- Notion de consentement éclairé et l’acceptation du risque.
Aucun traitement ne peut être entrepris par un médecin en l’absence du consentement qualifié de libre
et éclairé de son malade.
La Cour de cassation estime de son côté que le médecin doit, pour obtenir le consentement,
«..employer une expression simple, approximative, intelligible et loyale permettant au malade de
prendre la décision qui s’impose ».
Pour le thérapeute, la délivrance d’une information aisément compréhensible par le patient sur les
risques encourus du fait de l’acte de soins envisagé, constitue donc un devoir.
De cette information viendra ensuite le consentement du malade.
L’information du patient représente donc un élément déterminant pour valider son consentement
éclairé, et il convient de lui accorder une attention toute particulière. Il lui incombe par ailleurs de
prouver qu’il a exécuté cette obligation.
Il est désormais demandé au médecin les moyens par lesquels il a objectivement exécuté son devoir
d’information envers son malade.
Si on doit se garder de rédiger toute forme de décharge, on pourra cependant opter pour un document
informatif clairement établi, lu approuvé et signé par le patient.
En pratique, cela ne suffit pas puisque dans la plupart des cas, le patient affirme l’avoir signé sans le
lire…ce que reconnaissent la plupart des anesthésistes.
De plus ces formulaires standardisés ne sont pas assez personnalisés pour être crédibles.
Un délai de réflexion doit toujours être accordé au patient avant qu’il ne soit amené à consentir.
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3ème
- Notion de perte de chance.
Lorsqu’il est démontré que le praticien n’a pas satisfait à ses obligations d’information afin de
recueillir le consentement éclairé de son patient, qu’il n’a commis aucune faute dans son traitement
mais que néanmoins, ce traitement a causé un dommage, la notion de la théorie de la perte de chance
peut être invoquée.
Il faut cependant qu’il existe réellement une chance que le défaut d’information du médecin a fait
perdre. La notion de perte de chance permet de s’affranchir de l’absence de causalité qu’il y a entre un
défaut d’information et un préjudice.
La réparation d’un préjudice consécutif à une perte de chance est spécifique en ce sens qu’elle ne se
confond pas avec la totalité du dommage causé à la victime de l’acte médical.
Si les juges du fond estiment que le patient aurait refusé l’intervention, la réparation de tous les
préjudices de la victime sera totale. Si, à l’inverse, ils retiennent que le patient aurait accepté
l’intervention, il ne pourra y avoir réparation des préjudices liés à l’atteinte à l’intégrité corporelle.
Dans l’hypothèse médiane où les juges du fond considèrent qu’il existait une probabilité que le patient
refuse l’intervention, les préjudices seront réparés en proportion de cette probabilité.
4ème
-La notion d’aléa thérapeutique
L’aléa thérapeutique se définit comme la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d’un risque
accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé.
L’aléa n’entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l’égard
de son patient.
L’office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux est l’organisme chargé d’indemniser ce
type de dommage.
Recommandations pour l’anesthésiste.
Le risque dentaire ne doit pas être sous évalué par l’anesthésiste lors de sa consultation.
La conduite doit être simple et clinique. Ses conclusions doivent être colligées sur le dossier.
Les buts de cet examen dentaire : - 1
er Evaluer le risque dentaire.
- 2ème
Faire prendre conscience du risque possible au patient.
- 3ème
Donner une information sur le risque et obtenir le consentement éclairé.
- 4ème
Adapter le mode d’anesthésie éventuellement.
- 5ème
Les précautions à prendre.
1er
- L’évaluation du risque dentaire comporte un dépistage des pièges dentaires les plus classiques,
complété par un interrogatoire.
L’évaluation de l’état du parodonte est clinique et complétée par l’étude manuelle prudente de la
mobilité dentaire des incisives. Il faut noter sur le dossier les dents pathologiques le plus précisément
possible en les numérotant.
Cette démarche, permet d’autre part à l’expert d’affirmer que l’anesthésiste a pris en considération le
problème dentaire.
2ème
- Faire prendre conscience au patient du risque dentaire.
Ce risque peut lui être complètement étranger. Le médecin doit exposer clairement au patient ses
craintes et ses doutes et noter sur la feuille d’anesthésie que cette information a été délivrée. Il est
prudent de formaliser cette étape par un écrit signé, personnalisé.
-En cas de doute, une demande de consultation préalable chez le stomatologiste ou le dentiste qui
évaluera précisément la dentition et précisera ainsi le risque. L’anesthésiste doit exposer ses craintes
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au patient et ne pas hésiter à demander cet examen dentaire. L’anesthésiste ne doit pas céder aux
contraintes de planning chirurgical notamment dans le cadre d’une chirurgie programmable.
La réponse du spécialiste doit être conservée dans le dossier.
Ce praticien peut aussi pratiquer des soins permettant de minimiser ce risque ( contention, gouttière…)
La radiographie panoramique des maxillaires est un examen qui sera effectué ou demandé par le
stomatologiste et permet une évaluation précise de l’état antérieur, notamment du parodonte. Elle n’est
cependant pas indispensable.
3ème
- Donner une information sur le risque et obtenir le consentement éclairé.
Cette étape peut se faire directement lors de la consultation d’anesthésie ou après la visite chez le
spécialiste avec la réponse de ce dernier. Cette démarche est importante pour l’affirmation de la notion
d’information et de consentement.
La notion de délai de réflexion prend ici toute sa valeur.
Ainsi, les notions d’information préalable et de consentement éclairé sont clairement affirmées.
L’acceptation du risque par le patient peut être éventuellement formalisée par un écrit. Ce n’est pas
indispensable dès lors que la démarche a été entreprise et effectuée.
4ème
-L’adaptation du mode d’anesthésie proposée, dans la mesure du possible.
L’intubation doit être médicalement justifiée. Une solution alternative peut être envisagée et proposée
au patient. Le résultat de cette proposition doit être noté sur le dossier.
Plusieurs techniques peuvent être utilisées (utilisation d’un masque laryngé, intubation par fibroscopie
souple, nasale, anesthésie locorégionale, etc. ….)
La curarisation peut être discutée ici,, en dehors de contre indication.
Dans tous les cas de figure, il faut consigner dans le document préalable à l’acte d’anesthésie, les
résultats des investigations, la réponse du stomatologiste, l’acceptation du patient.
5ème
-Les précautions :
La protection par gouttière.
Elle est indispensable lorsque des difficultés sont prévues.
Certains anesthésistes lui reprochent de compliquer l’acte par diminution de l’espace disponible. Il est
nécessaire cependant de les utiliser de manière routinière chez les patients présentant un facteur de
risque dentaire.
Leur utilisation permet d’affirmer que les précautions nécessaires ont été entreprises.
Dans de rares cas l’impossibilité de l’utiliser en cours de laryngoscopie doit être notée sur le dossier.
L’obligation de moyen a été respectée.
Photographie n°10 Photographie n°11
Ainsi, lorsqu’un dommage dentaire survient malgré l’intégralité de cette démarche, la responsabilité
de l’anesthésiste ne pourra pas être engagée. La notion d’aléa prend ici toute sa valeur.
L’existence seule d’un état antérieur ne suffit donc pas à exonérer le médecin anesthésiste de sa
responsabilité.
18
CONCLUSION.
Face au nombre important d’accidents dentaires survenant lors des intubations, et conscient du coût de
l’indemnisation globale, l’anesthésiste doit appréhender cette difficulté dès l’examen pré opératoire.
Nous insistons sur le type de démarche que l’anesthésiste doit respecter dans le cadre de la
consultation d’anesthésie pré opératoire en rappelant que la mise en cause de sa responsabilité est trop
souvent due à l’absence d’examen clinique dentaire suffisant. L’information du patient sur les risques
dentaires, qui est pourtant la condition indispensable pour obtenir son consentement et l’acceptation du
risque, est encore trop souvent négligée, probablement par défaut de temps.
L’ensemble des préjudices à indemniser rend les montants de l’indemnisation beaucoup plus élevés
que le simple fait de la réparation du seul dommage dentaire.
Une démarche diagnostique bien conduite, l’information donnée sur le risque dentaire, l’obtention du
consentement éclairé, l’acceptation du risque et une prévention adaptée, limiteront les mises en causes
des médecins anesthésistes.
ILLUSTRATIONS : 1
er- Dans une procédure au Tribunal de Grande Instance de Paris, un patient poursuivait un
anesthésiste, un gastro entérologue et un pneumologue, suite à une anesthésie générale réalisée pour
une fibroscopie gastrique, une fibroscopie bronchique.
Au décours de cette anesthésie, un bridge latéral maxillaire s’appuyant sur une molaire et une
prémolaire se serait descellé, révélant une fracture de racine sous jacente.
La radiographie réalisée quelques jours après cette intervention montrait une image péri- radiculaire
infectieuse de taille importante. Un devis important de restauration implantaire était présenté.
Le délai d’apparition d’une lésion infectieuse d’une telle dimension, demandant plusieurs mois pour se
constituer, nous avons conclu à une lésion infectieuse préexistante à l’acte d’anesthésie.
Aussi la responsabilité des différents praticiens ne pouvait être engagée, ce malgré un certificat du
chirurgien dentiste précisant un état antérieur intact…La démarche analytique de l’expert doit se baser
sur les critères d’imputabilité rigoureux.
Photographie n°12
2ème
- Dans une procédure plus récente, un patient de 55 ans, présentant une atteinte parodontale
évoluée, perd une incisive centrale droite au maxillaire lors d’une intubation pour une coloscopie.
Un devis de restauration implantaire d’une valeur de 2800 € est présenté.
Plusieurs fautes sont retenues à l’encontre de l’anesthésiste et engageant sa responsabilité.
L’absence d’examen dentaire préalable, l’absence de précaution particulière ( gouttière), une faute
technique, l’absence d’information sur les risques dentaire, l’absence de consentement.
La greffe osseuse préalable à la pose de l’implant n’a pas été retenue du fait de l’état antérieur, ainsi
que le renouvellement prothétique ; nous avons en effet estimé que l’avenir naturel de cette dent
n’excédait pas la durée de vie de l’implant.
Image de déminéralisation péri- apicale de taille
importante, témoignant d’un processus infectieux
ancien
19
Photographie n°13
3
ème- Dans une affaire au Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau, un patient de 68 ans perd
deux incisives centrales supérieures après une intubation pour une fibroscopie gastrique.
Aucune information préalable n’ayant été valablement donnée, aucune précaution particulière ayant
été prise, un appui malencontreux avec le laryngoscope lors de l’intubation difficile, la responsabilité
de l’anesthésiste est donc retenue.
Le coût seul de la réparation dentaire par deux implants est de 4300 €.
Photographie n° 14
REFERENCES :
1- CaucanasD, PenneauM, Van RoomenJ, RogierA. Lésions dentaires en cours d’anesthésie. Rev Fr
Dommage Corp.1990;16:305-18
2- Gerson C, Sicot C, Accidents dentaires en relation avec l’anesthésie général. Expérience du Groupe des
assurances mutuelles médicales. Ann Fr Anesth Réanim 1997 ; 16 :918-21
3- Prise en charge des voies aériennes en anesthésie adulte, à l’exception de l’intubation difficile.
Conférence de Consensus- Sfar et Anaes- 7 juin 2002.
4- Diemunsh P, Bauer C, Pottecher T, Critères prédictifs de l’intubation difficile. Le praticien en
anesthésie réanimation 2002,6, 6. 305-14.
5- Anastasio D, Giraud E, Traumatismes dentaires lors des intubations trachéales sous anesthésie générale.
Act Odonto- Stomatol 2002 ; n°219 : 289-305
6- Torres JH, Jammet P, Santoro JP, Thomasset R, Souyris F. Anesthésie générale et traumatismes
alvéolo- dentaires. Encycl Med Chir. Anesthésie- réanimation, Paris : Elsevier, 1992 ; 6 :19-24
7- Bory EN, Magnin C. Les traumatismes dentaires au cours de l’intubation oro- trachéale en anesthésie
générale.Act Odonto Stomatol 1992 ; 179 :595-606
Tirés à part : Philippe DUCOMMUN
Stomatologiste
Expert près la Cour d’Appel de Paris
53, rue Monttessuy
91 260 JUVISY sur ORGE.
Perte de la dent 11.
Lésions parodontales touchant la dent 12,
et tartre.
Implants dentaires
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