Transcript
Page 1: Liberation LIBE 20170817 Paris-1data.over-blog-kiwi.com/1/44/00/64/20170818/ob_5d2f64_pqli... · Le voyou et le cocu s’éloignent dans la nuit, ... son peuple, et si le peuple n

primaire de la rue Rouelle venaient deTurquie, du Vietnam, d’Algérie, du Came-roun, du Portugal, d’Iran. A quelques ex-ceptions près, concentrées dans le formolurbain des HLM, cette ville-là habiteaujourd’hui en zone 4, parce qu’à Pernetycomme partout ailleurs intramuros, le prixdu mètre carré est ce qu’il est. Je me suisendormi avec cette idée triste: mon Parisn’existe plus qu’en rêve, en souvenir, oucomme un phénomène atmosphérique,un rosebud en fleur un mois par an,entre le 14 juillet et le 15 août.Le lendemain matin, en courant entre lesplants de bambou du parc André-Citroën,je repensais à Loulou, au cuir de Depar-dieu, à l’avortement du personnage deHuppert, à la beauté dure et cruelle duParis de Pialat, et à la sensation de libertéqui émanait encore de tout cela, trente-sept ans après la sortie du film. Je me suisrepassé mentalement les deux scènestournées du côté de Pernety. Dans la pre-mière, Loulou-Depardieu se fait planterdevant un rade et beugle sur le trottoir : onne sait pas si c’est de douleur ou parce qu’iltient à reprendre un coup au comptoiravant de filer aux urgences. Plus que de lavirilité, il y a là une humanité simple,forte, qui ne se la raconte pas. Dans l’autrescène, après l’avortement, Loulou sort dumétro, désorienté, et retrouve le person-nage joué par Guy Marchand, double dePialat. «Qu’est-ce que tu voulais me dire ?»demande Marchand. Le voyou et le cocus’éloignent dans la nuit, on n’entend pasleur dialogue. J’imagine qu’ils se com-prennent par la souffrance, ou plutôt quele fait d’avoir souffert, de connaître le durde la vie, leur permet de comprendre etpeut-être d’aimer les autres –même s’ils sesont fait du mal et s’ils n’ont rien d’autreen commun.Au parc André-Citroën, je suis arrêtédevant les jets d’eau. Dès que la tempéra-ture passe la barre des 30 degrés, la pentebétonnée entre les deux serres géantes setransforme en hall de gare liquide. Çacourt dans tous les sens, ça glisse, ça sechahute, ça se casse la gueule, ça hurle debonheur à chaque fois que l’eau jaillit del’un des geysers mécaniques. Paris sedonne là, dans un joyeux désordre. Labeauté de ce monde en train de disparaî-tre, presque déjà évanoui, a sur moi l’effetd’un alcool triste. Le sang de la ville, c’estson peuple, et si le peuple n’a plus lesmoyens d’y vivre, c’est la ville qui se meurt–même si elle gagne le privilèged’organiser les JO ou si son club phare a lesmoyens de se payer le joueur de foot leplus cher de l’histoire.Quand je penserai à Paris, cet automne oucet hiver, une petite voix me dira: «Tu n’asrien vu à Pernety.» •

L'ŒIL DE WILLEM

Paris l’été, c’est la face Bde Paris, lorsque ceuxqui gagnent leur vie dansles soutes ou lescoursives montent faireun tour sur le pont.

D ans son ouvrage, Jean-Laurent Cas-sely s’intéresse à l’élite qui se tournevers les métiers de l’artisanat de

bouche. Passez de Sciences-Po à boulanger,de HEC à fromager, d’ingénieur à caviste.Un phénomène qui touche de plus en plusde cadres. Emerveillés par l’effet Top chef,ils décident de changer de voie. Créer saboutique de cupcake, de pop-corn ou sonbar à céréales est devenu tendance et lespremiers de la classe n’hésitent plus à semettre à leur compte. Preuve que la Francedes bureaux s’ennuie. Jean-Laurent Cas-

autant un gage pour garantir un métierdans la société. Mais il ne faut pas s’y trom-per, seul une petite part de cadres quittentleurs fonctions pour se retrouver derrièreles fourneaux, c’est surtout le mix culturel,entre artisanat et grandes écoles, dont ilsbénéficient qui leur est favorable. Désor-mais les deux secteurs sont liés. Ne resteplus qu’aux frondeurs de continuer à sesentir les premiers dans leur reconversion.

AMEL BOULAKCHOUR

sely, journaliste et auteur, livre une enquêteoù il mélange analyses et témoignages de(très) diplômés qui passent d’un monde àl’autre. Avoir un bac+ 5 en poche, déciderde passer un CAP et devenir un «hispter-entrepreneur», c’est le choix de beaucoupde jeunes diplômés. Mais quel est le sens decette reconversion? Justement, pour euxil s’agit de retrouver du «sens», d’«apporterune valeur ajoutée à la société», de mettrefin à cette peur du déclassement social.Comme cette ex-avocate de la Bourse deNew York qui a quitté son building pour de-venir agricultrice… Ou encore en prenantl’exemple des nombreuses success storiesde ces nouveaux entrepreneurs qui n’ontde cesse de faire du buzz, à l’image de lamarque des produits alimentaires Michelet Augustin. Aujourd’hui, il semblerait quemême si les diplômes prennent de plus enplus d’importance, ils ne seraient pas pour

Quand des étudiants surdiplômésse ruent sur les métiers de boucheFace à la peurdu déclassement social,nombre d’élèvessurdiplômés jouentla carte de lareconversion radicale.

EN HAUT DE LA PILE

JEAN-LAURENTCASSELY LARÉVOLTE DESPREMIERSDE LA CLASSéd. Arkhé, 17,50 €.

Libération Jeudi 17 Août 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 17