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Facult des Lettres
Dpartement de Langues et Littratures
Romanes
Littrature, culture et civilisation franaisesdu XVIIesicle
Support de cours
Cluj-Napoca
2015
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I/ Le XVIIesicle en France. Priodisation,caractristiques
En France, les historiens situent en gnral le commencement du XVIIesicle en 1610
(la date de lassassinat du roi Henri IV) et la fin en 1715 (la mort de Louis XIV). Si on parle
de la seule France, presque tous les historiens saccordent voir dans le XVIIesicle franais
un sicle de la grandeur. Par lclat de son roi, de sa cour, de sa politique et de sa littrature, la
France domine toute lEurope. Cest, ainsi, le seul sicle franais qui possde plusieurs noms.
Des appellations comme le Grand Sicle , le sicle de Louis XIV ou le sicle
classique sont utilises indiffremment pour dfinir ce sicle tellement brillant dans
lhistoire de France, donnant une impression duniformit qui est assez incorrecte lorsquon
pense quau fond, ce sicle est aussi un sicle de contrastes: religieux, entre les protestants
minoritaires et les catholiques majoritaires, artistiques, entre les tendances baroques et
classiques et sociaux, entre lopulence des aristocrates et des bourgeois riches et la misre
quotidienne des ouvriers et des paysans.
Au niveau politique, on remarque surtout les efforts royaux pour une politique
centralisatrice initie par le roi Louis XIII et continue par Louis XIV avec une main de fer.
Au niveau artistique et culturel, cest le sicle de la construction de Versailles, des premiers
jardins la franaise , ordonns et gomtriques, expression parfaite de la foi absolue que
ce sicle a dans la rationalit et dans la possibilit de lhomme de matriser lunivers. Cest,
galement, lpoque de la cration des premires grandes institutions culturelles (lAcadmie
franaise, fonde par Richelieu en 1635 ; lAcadmie royale de peinture et de sculpture,
fonde en 1648), qui vont rgulariser la cration littraire et contrler une crativit et une
libert imaginative qui peuvent sembler, parfois, dangereuses. Les premiers dictionnaires et
les premires grammaires franaises contribuent dune manire significative la cration de
la langue franaise moderne. LeDictionnaire universelde Furetire parat en 1690, tandis que
la premire dition du Dictionnaire de lAcadmie franaiseparat quatre ans plus tard, en
1694. Parmi les grammaires du franais, on doit remarquer surtout les Remarques sur la
langue franaise de Vaugelas (1647) et lexcellente Grammaire de Port-Royal, parue en
1660.
La stabilit politique est donne par le rgne trs long de Louis XIV, qui succde au
trne son pre Louis XIII.
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Louis XIII va rgner aid par son ministre, le cardinal de Richelieu, qui commence par
mettre de lordre dans le royaume. Louis XIII meurt le 14 mai 1643. Son fils, Louis XIV, qui
doit accder au trne na encore que 5 ans. Sa mre, Anne dAutriche, saisit cette opportunit
et brise le testament de son mari, en se faisant reconnatre comme rgente part entire. Une
de ses premires dcisions est alors de nommer le cardinal de Mazarin chef du conseil de
ltat. Sur le plan militaire, Mazarin engage la France dans plusieurs annes de guerres,
surtout contre l'empire des Habsbourg: pour soutenir les armes, Mazarin pense augmenter
les impts, une mesure tellement impopulaire dans le royaume quelle va menacer sa relative
stabilit politique. Louis XIV commence ainsi son rgne une poque dune grande
instabilit politique, religieuse et sociale ; il fera de la France le pays au centre du monde. Le
courant classique devient le courant dominant. Il devient le symbole de son rgne : le
classicisme est sa marque , son image, sa campagne de popularit. Le roi subventionne les
arts par de larges sommes dargent et cela assure, par ricochet, son succs.
Un sicle domin par la centralit. La socit franaise devient fortement
hirarchise. Au sommet il y a le roi, qui na pas encore le pouvoir absolu mais qui laura trs
tt. Viennent ensuite les nobles ou les aristocrates, riches et puissants, qui dtiennent de
nombreux droits et privilges. Leur titre est hrditaire. Sous les aristocrates ou les nobles, il y
a les militaires. Grce leur richesse, les bourgeois commencent avoir de plus en plus de
pouvoir dans la vie politique de la France. Ainsi, ils possdent des siges dans les Parlements,
une situation dont le roi va se servir afin de balancer le pouvoir montant de la noblesse. Quant
au peuple, il se trouve au bas de lchelle sociale.
Le rgne personnel de Louis XIV commence en 1661 ( la mort de Mazarin) et durera
jusqu sa mort, en 1715. Deux mots-cls dfinissent son rgne: lordre et lautorit. Pendant
les vingt-cinq premires annes de son rgne, Louis XIV travaille imposer sa toute-
puissance, renforcer lunit et le pouvoir de sonroyaume. Les quatre objectifs principaux
quil va poursuivre, dans ce sens, visent :
concentrer tout le pouvoir entre ses mains (faire entrer la France en pleine monarchie
absolue, voie dj commence par ses prdcesseurs) ;
assurer lunit religieuseet idologique du royaume ;
encourager le dveloppement conomique et technologique du pays ;
faire reconnatre la puissance franaise lextrieur.
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Le premier but de Louis XIV est de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Pour
ce faire, il veille ce quaucun de ses ministres ne prenne une trop grande importance. Il sen
prend Fouquet, le ministre des Finances, qui avait amass une fortune si impressionnante
quil fait construire un chteau prs de Paris qui rivalise, grce ses ftes somptu euses, avec
celle du roi. Louis XIV le fait arrter et le fait condamner la prison perptuit en 1664
pour avoir dilapid largent de ltat. Pour augmenter son pouvoir, Louis XIV continue en
mme temps affaiblir les parlements provinciaux. Il affaiblit aussi la noblesse en sappuyant
sur la bourgeoisie, quil appelle son gouvernement. En fait, il porte labsolutisme son
paroxysme avec la notion de droit divin.
Mais exercer un pouvoir fort implique quon rgne sur un pays uni. Au XVIIesicle,
lunit nationale dpendait directement de lunit religieuse. Un seul tat doit avoir unereligion unique et toute autre confession est vue comme une menace nationale. Cest donc la
raison dtat qui pousse Louis XIV, au dbut de son rgne, uvrerpour le renforcement du
catholicisme. Toutefois, vers la fin de son rgne, influenc par lune de ses matresses,
Madame de Maintenon (une femme trs pieuse quil pouse secrtement en 1683), le roi agira
par conviction religieuse. Il se mlera dans les affaires religieuses en essayant dabord de
diminuer lemprise du pape sur le clerg, pour donner lglise une orientation plus
nationale. Il combattra aussi le jansnisme, qui est source de division. Il luttera surtout contre
le protestantisme qui rompait lunit nationale en suscitant une manire de vivre diffrente de
celle de la majorit de la population et qui, de plus, supposait une organisation plus
dmocratique (absence de hirarchie, promotion de la libert de penser travers la lecture et
linterprtation personnelle des critures Saintes). Cest ainsi quaprs avoir restreint les
droits des protestants en appliquant ldit de Nantes dans un sens restrictif, Louis XIV
rvoque ldit en 1685. Cette rvocation eut un impact ngatif impressionnant sur lconomie
de la France. Beaucoup de protestants sexilent en Angleterre, dans les Pays-Bas ou Genve,
ce qui causa la France de graves prjudices conomiques.
Un sicle de labsolutisme royal. Le souverain devient le chef absolu de ltat. Il
dcide du sort de ses sujets son gr, ce qui peut mener, parfois, des actions injustes dont le
roi, vu comme un reprsentant de Dieu sur la terre, nest responsable devant aucun tribunal
humain. lpoque on ne parle pas encore de citoyen: la notion de citoyen ne sera quune
cration plus tardive, du XVIIIe sicle avec la Dclaration des droits de lhomme et du
citoyen. Pour le moment, tous les habitants de la France sont dessujetsdu roi, leur vie ou leur
mort sont dcides par le souverain.
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II/ LEurope au dbut du XVIIesicle :
une dominante baroque
1. mergence du baroque
Un contexte reli gieux rformateur
Vers la fin du XVIe sicle et le dbut du XVIIe sicle, toutes les formes de lart
connatront en France un panouissement sans prcdent. Au niveau artistique, le dbut du
XVIIe sicle se caractrise, en France comme en Europe, par une dominante baroque. On
entend par ce mot surtout un mouvement artistique qui va natre vers le milieu du XVI esicle
en Italie et qui va se rpandre, de l, dans toute lEuropeoccidentale, en particulier dans les
pays catholiques menacs par lexpansion du protestantisme (lItalie, lEspagne, lAllemagne,
lAutriche et les Pays-Bas).
Les historiens de lart ont longtemps reli ce phnomne aux mutations survenues au
sein de lglise catholique partir de 1560. lorigine, le baroque prend naissance dans tout
un contexte catholique rformateur appel la Contre-Rforme, mis en place par une glise
catholique dsireuse de freiner lexpansion du protestantisme dans les pays traditionnellement
catholiques. Dans son but de retrouver son ancienne autorit religieuse et politique, la
propagande catholique va se servir de lart comme moyen dexpression privilgi.
Les directives du Concile runi Trente, en Italie, dans plusieurs sessions, entre 1545
et 1563, organisent la contre-offensive catholique dirige contre le protestantisme autour
dune activit missionnaire plus intense. Un rle essentiel dans cette activit de propagation
de la foi revient lart: on tablit de nouvelles rgles iconographiques qui misent surtout surla puissance persuasive de luvre dart et sur la stimulation de lmotion spirituelle travers
lmotion esthtique. Provoquer lmotion mystique, cest convaincre sans paroles, cest
provoquer une adhsion immdiate et totale du spectateur au spectacle de la foi et
lidologie propose par lglise.
Misant sur le pouvoir des images, le baroque sest manifest surtout dans les arts
visuels et spatiaux (larchitecture, la sculpture ou la peinture). Des reprsentations sacres
impressionnantes et un imaginaire visuel hagiographique satur de symbolisme vont soutenir
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cette pdagogie esthtique catholique et sopposer la pauvret visuelle des temples
protestants.
Transplants dans des glises qui, pendant le Moyen ge, taient encore simples et
mal claires, les somptueux dcors baroques et la musique majestueuse de lorgue fascinentun public qui sen laisse sduire avec enthousiasme. Luvre baroque cherche provoquer le
sentiment du sacr grce des motions lies la vue ou loreille. Dans les arts plastiques,
on remarque surtout lemploi des arabesques, des volutes et des spirales et une ornementation
trs riche, parfois mme excessive. La peinture baroque va privilgier lemploi des couleurs
vives et chaudes, laccumulation des dtails ou des personnages en mouvement, la
reprsentation des corps contorsionns, soumis des passions violentes comme la colre ou
lextase mystique. On sort du rel pour entrer dans un monde divin, transcendant, des saintsou des anges : Le baroque scarte du rel pour verser dans lvocation dun monde
supraterrestre, o tout devient mystre de lau-del, vision immatrielle, assemble cleste,
domaine o la raison cde la place la mystique, et cela dans une imagerie complexe, parfois
sotrique pour lhomme du XXes. 1
Contexte poli tique, religieux, sociocul tur el
Certains historiens de lart lient lapparition du baroque aussi un contexte
sociopolitique particulirement fragile. Le baroque nat dans une poque de guerres, defamines et de crises religieuses et culturelles, auxquelles vont sajouter des dcouvertes
astronomiques et gographiques qui vont branler les croyances anciennes. Ces dcouvertes
vont changer limage du monde tel quon le concevait avant et dstabiliser les frontires du
monde connu.
cette poque de multiples crises politiques et religieuses, lart va traverser, son
tour, une vritable crise.Comme tout artfin de sicle, le baroque se caractrise, lui aussi, par
le raffinement, le got pour la dcoration et la recherche de lextravagance.Son sentiment de
tragique et dangoisse rappelle celui des potes maudits de la fin du XIXe sicle
(Rimbaud, Verlaine, Lautramont). Anthropocentrique et humaniste, la Renaissance avait
considr lhomme comme la mesure de toutes choses, le centre et le couronnement de la
cration. On clbrait la beaut du corps humain, la perfection des proportions de lunivers et
lacuit de lintelligence humaine. Pico della Mirandola voit dans lhomme laccomplissement
suprme de luvre divine, le seul tre en mesure de sauto -parfaire grce sa raison et la
1Entre baroque , inEncyclopdie Larousse en ligne.
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libert que Dieu lui avait accorde. Sopposant la confiance humaniste par une attitude
suspicieuse concernant la libert de la condition humaine, le Baroque est antihumaniste. Le
combat de lhomme baroque contre les obstacles qui limitent ou nient sa libert provoque,
chez lui, un sentiment tragique de la vie et une monte sur les cimes du dsespoir ,
comme dirait Emil Cioran2. La dcouverte du hliocentrisme, en particulier, projette lhomme
au sein dun univers infini, sans centre, do la thse baroque de la pluralit des mondes,
dfendue un peu plus tard par des potes ou des crivains comme Cyrano de Bergerac.
Antistatique, le monde baroque est un monde en pleine mutation. Le statut de Dieu change.
Dans un monde dont les proportions changent, la distance qui spare lhomme de Dieu
sagrandit proportionnellement. Le Dieu du monde baroque est un Deus absconditus, qui
semble laisser sa crature orpheline. La parole divine devient silence : cest lhomme,
travers des cris, des tourments, des implorations, de conjurer ltre divin et de lui arracher une
rponse. Cest pourquoi lhomme baroque est vu souvent comme lhomme des crises ou
lhomme des excs.
Devenu un accident de la nature, lhomme est inexorablement spar de la divinit. Au
lieu de mettre laccent, comme on le faisait de manire traditionnelle, sur ce qui rapproche
lhomme de ltre (cest--dire, sur son ressemblance avec le Crateur, son immortalit de
lme, sa puissance cratrice ou lunit de son tre), on insiste sur tout ce qui montre un
cart , une distance ou une disparit inconciliable. Le corps humain nest plus digne tre
clbr : tout au contraire, il apparat chez les potes baroques comme un corps en
putrfaction, rong par le vers , en train de se dcomposer. Le corps est toujours un
spectacle mais un spectacle morbide et grotesque :
Mortel, pense quel est dessous la couverture
Dun charnier mortuaire un corps mang de vers (Jean-Baptiste Chassignet)
Mais cette fragilit humaine nest pas ncessairement grotesque. Le changement et la
mtamorphose, double condition essentielle de la condition humaine sur la terre, peuvent
engendrer des images baroques dlicates et raffines comme des arabesques :
2Apud Dolores Toma,Du baroque au classicisme, Bucureti, Babel, 1993, p. 14.
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Notre esprit nest que vent, et, comme un vent volage
Ce quil nomme constance est un branle rtif:
Ce quil pense aujourdhui demain nest quun ombrage,
Et ce quil tient prsent il le sent fugitif (tienne Durand)
Les fissures du catholicisme qui prtendait tre une religion universelle, les angoisses
religieuses, la dcouverte de nouveaux mondes et la nouvelle cosmologie qui dstabilise
lancienne valorisation de la stabilit,du centre, de la forme parfaite qutait le cercle 3,
tout concourt la mise en place dun imaginaire baroque centr sur linstabilit, la
dgradationdes formes existantes et une diversit qui semble chaotique.
2. Difficults classificatrices
On la vu : il nest pas facile de dfinir le baroque. Certaines caractristiques qui
semblent dfinir ce courant reviennent chaque poque en crise et on les retrouve dans
dautres courants artistiques ou littraires comme le romantisme, le symbolisme ou le
surralisme.
Pour certains historiens de lart, comme H. Wlfflin ou Jean Rousset, le baroque
dsigne un courant strictement esthtique, n vers 1580 et caractris par:
- la recherche du spectaculaire, de lextraordinaire, de lextravagant;
- le travail sur les aspects visuels de la matire artistique (jeux dombre et de lumire,
accumulation de dtails visuels, dcorations riches) ;
- le got pour les contrastes, les antinomies ou les paradoxes ;
- le got pour le mouvement, le changement ou la mtamorphose (le personnage
baroque est un tre instable, en perptuelle mtamorphose).
En peinture et en architecture, le privilge accord la ligne courbe, quon retrouve
sous de nombreuses formes comme la spirale, lovale, lellipse ou logive. Pour Wlfflin, la
forme ovale est la caractristique essentielle de lart baroque. Pourquoi ? Elle peut varier
3Ibid., pp. 8-9.
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chaque instant, illustrant ainsi linquitude mtaphysique de lesprit baroque. loppos se
situe le cercle, forme stable, calme et ferme.
Mais le Baroque na pas t seulement un style dfinitoire pour lart des annes 1580 -
1650. Pour des thoriciens littraires comme, par exemple, Ren Wellek ou Marcel Raymond,il englobe aussi une culture, cest--dire une vision du monde spcifique, une certaine manire
de penser le monde et le sens de lexistence. On parle, dans ce cas, de lhomme baroqueet
non plus de luvre baroque. Lhomme baroque a une attitude caractristique devant la vie ou
la mort. Il est sensible linconstance et linconsistance des formes du mond e. Cette
inconsistance peut prendre des formes multiples, comme, par exemple : la mtamorphose(le
changement), lanamorphose (la dformation), laberration (des formes grotesques ou
monstrueuses) ou lvanescence(un got pour des formes fragiles et dlicates soumises ladisparition comme, par exemple, leau, les nuages, les bulles de savon, la fume ou le vent).
La vision la plus largie sur le baroque appartient Eugenio dOrs. Selon celui-ci, le
baroque serait, paradoxalement, une constante artistique, un on, dit-il, qui reviendrait
priodiquement dans toute poque de crise. Elle se dfinirait par un rapport bris la ralit et
par la perte de confiance dans les anciennes reprsentations religieuses, esthtiques ou
symboliques du monde. Certains historiens de lart le retrouvent galement au XXesicle ce
qui explique, selon eux, la fascination des uvres dart contemporaines pour les jeux entre lerel et le virtuel, pour des compositions artistiques clectiques et pour des installations
architecturales cintiques, en mouvement, en perptuelle mtamorphose ou en train de se
dformer sous nos yeux.
3. Particularits du style baroque
tymologie
barroco(portugais)perle irrgulire
verruca(latin)verrue, tche
baroque mot pjoratif, utilis au XVIIe sicle dans le domaine de lorfvrerie avec le
sens de perles qui ne sont pas parfaitement rondes (Dictionnaire universel de Furetire,
1690)valeur ngative du baroque
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Application dans lhistoire de lart:
Sombr dans loubli vers la fin du XVIIIesicle, lart baroque va tre redcouvert la
fin du XIXesicle grce aux travaux dHeinrich Wlfflin, un historien dart suisse.
Deux ouvrages sur le baroque: Renaissance et baroque (1888), Principes
fondamentaux de lhistoire de lart(1915)
Dans PFHA, Wlfflin propose 5 paires doppositions qui permettent de distinguer le
style baroque du style classique:
Le style classiqueest linaire. Il propose des personnages statiques, avec des contours
bien dlimits. Le style baroque est, par contre, dramatique ou thtral. Il ny a pas de
contours prcis. Les personnages semblent faire un avec le reste de lensemble.
Construit par des plans ( travers des lignes droites), le style classique est
gomtrique et harmonieux. loppos, le style baroqueest construit en profondeur,
travers des lignes en diagonale et de multiples jeux sur la perspective (trompe-lil,
anamorphoses).
La forme classique est ferme, la forme baroque est ouverte. Dans luvre baroque,
le spectateur est invit devenir un crateur, son tour et prolonger, grce son
imagination et sa fantaisie, le travail de lartiste.
Dans le style classique, la partie est subordonne au tout. Dans sa recherche de
lunit, toute partie, tout dtail a une importance dans lconomie de lensemble. Le
style baroque est fragmentaire, on ne peut pas dissocier la partie du tout. La
multiplication des dtails conduit parfois une ornementation gratuite, sans un rle
explicite pour lensemble.
Le classicismesadresse la raisondu spectateur. Le baroque prfre faire appel
son me, son motion.
Bibliographie consulter pour aller plus loin dans ltude du baroque:
DORS, Eugenio, Du baroque, version franaise de Mme Agathe Rouart-Valry, Paris, Gallimard, coll.
Ides , 1983 (1935).
TOMA, Dolores,Du baroque au classicisme, Bucureti, Babel, 1993.
WLFFLIN, Heinrich,Principesfondamentaux de lhistoire de lart, Grard Monfort d., coll. Emblemata ,
1992 (1915).
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III/ La littrature baroque en France
1. Une esthtique oppose lesthtique classique
La notion de Baroque a dabord t une tiquette dhistoire de lart et na vraiment t
transpose dans les tudes littraires que vers 1950. On situe gnralement le baroque
littraire franaisentre le dbut des guerres de religion (1562) et la fin de la Fronde (1653).
Ce mouvement sinscrit dans un contexte historique de crise : politiquement la France est
traverse par de terribles conflits religieux, tandis que lEurope est entre dans le sicle des
Grandes Dcouvertes qui provoquent une profonde crise des consciences. La littrature
baroque est le tmoin dune poque o lhomme est obsd par une pense de langoisse et dela crise, dont le discours pourrait se rduire dans la formule condense, dorigine antique,du
theatrum mundi le monde est un thtre, tout nest quillusion et phmre. La posie
baroque, en particulier, apparat comme le rceptacle et le vhicule des discours de
lincertitude.
Le XVIIe sicle ne se confond donc pas, comme on la cru pendant plus de trois
sicles, avec la tradition classique, faite de rgles et de rgularits. Circulant comme une sorte
de courant souterrain,la posie baroque soppose point par point aux normes tablies par le
canon classique. la recherche de la raison, du rgulier et de lhomme universel, gal lui -
mme (symbolis par lhonnte homme, lidal humain des crivains classiquesdu XVIIe
sicle), la littrature baroque propose, par contre, la fantaisie, lirrgulier, lextravagant ou
lhomme problmatique, domin par les passions et les angoisses. Travers par des crises, en
permanente mutation et parfois tranger mme lui-mme lhomme baroque ne pouvait que
provoquer de lhorreur lesprit cartsien et pacificateur de lhonnte homme classique.
2. Caractristiques stylistiques de la posie baroque
Si lon ne peut parler dune cole baroque solide, des thmes et des sensibilits
communes permettent, toutefois, de regrouper des artistes indpendants qui crivent pendant
les rgnes dHenri IV et de Louis XIII.
Pour les potes baroques de lpoque, deux choses importent avant tout dans la
posie : la mtaphore surprenante et loriginalit de linvention potique. Le langage ne doit
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pas offrir, ainsi, une reprsentation fidle du monde, mais une image inattendue : ainsi, il
devient le miroir o lon voit le talent et la virtuosit de lauteur.
Les potes baroques aiment les enchanements dimages, les contrastes, les antithses
et les jeux de mots. Dans certains cas, au lieu de construire une mtaphore cohrente enajoutant au substantif une pithte smantisme similaire ( flamme secrte , beau feu pur
et saint ), ils choisissent des adjectifs qui entrent en antithse avec la mtaphore nominale :
flamme obscure , miroir obscur , sombres soleils , rayon tnbreux ou rayon
noir . des visions hyperboliques sombres et cruelles se succdent, dans lespace du mme
pome, des visions exaltantes et paradisiaques. Trs visuelle, la posie baroque multiplie les
descriptions, les nuances, les couleurs, les jeux de miroirs et les reflets. Cest pourquoi les
images potiques privilgies sont celles des objets ou des matires qui changent sans cessede forme ou de couleur : leau en mouvementcomme les jets deau ou les riviresqui sont
toujours instables, les pierres prcieuses qui jettent des clats intermittents, les flocons de
neige qui, sous leffet des rayons de soleil, ressemblent paradoxalement des atomes de
feu , les jeux de couleursdans les arcs-en-ciel ou dans les ailes multicolores des papillons.
Une tendance trs frappante qui se manifeste surtout dans les mtaphores fondes sur les
matires prcieuses consiste crer une dissonance smantique entre le substantif et ladjectif,
de manire faire de la priphrase un nonc paradoxal : perles mouvantes , le cristal
coulant , marbre vivant .
3. Constantes thmatiques dans la posie baroque
Si la posie baroque mise avant tout sur loriginalit et sur le rle crateur de
limagination et de lart, le retourconstant de certains thmes dun pome un autre ou dun
pote baroque un autre nous permet de parler de plusieurs constantes thmatiques dans la
posie baroque franaise.
La nature est, pour le pote baroque, une source infinie de reflets. Loin de tout
ralisme esthtique, les tableaux potiques baroques composent souvent un monde trange,
imaginaire et parfois renvers, o le minral rejoint lanimal et le vgtal. phmre et
changeante, la matire physique possde un dynamisme secret. Dans un tel monde, les
poissons volent et les oiseaux nagent :
Au milieu de ce bois un liquide cristal
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En tombant dun rocher forme un large canal [...]
Cest l, par un chaos agrable et nouveau,
Que la terre et le ciel se rencontrent dans leau;
Cest l que lil souffrant de douces impostures
Confond tous les objets avec leurs figures,
Cest l que sur un arbre il croit voir lespoissons,
Quil trouve les oiseaux auprs des hameons...
(Habert de Crisy, Dans sa glace inconstante )
Mais le pote baroque contemple rarement la nature pour elle-mme. Le plus souvent,
elle nest que le miroir fascinant de sa propre condition, un reflet de sa nature fuyante et
indfinissable. Lantagonisme incessant entre lombre et la lumire ou entre des lments
primordiaux comme leau ou la terre illustre, en fait, le combat spirituel entre la chair et
lesprit,cest--dire la dualit de ltre humain. Comme pour offrir une image du caractre
changeant de lidentit humaine, le pote brise sans cesse les images quil construit,
privilgiant les images du vent, du nuage, de la fume, des bulles ou des fleurs fanes :
Hlas ! quest-ce de lhomme orgueilleux et mutin?
Ce nest quune vapeur, quun petit vent emporte,
Vapeur, non, une fleur qui close le matin,
Vieillit sur le midi, puis au soir elle est morte.
(Jean Auvrey)
Chre aux potes baroques, la surface rflchissante de leau dessine un monde
lenvers o les poissons nagent dans les branches et les oiseaux volent dans leau. On voit
sinverser la perception habituelle du monde, se brouiller les repres rationnels. Dans le jeu
des reflets, la fluidit peut se faire transparence de cristal. Plus quun autre, le pome baroque
combine les thmes du miroir et du passage ; la ralit contemple est doublement
changeante , donc doublement fuyante : tout dabord, parce quelle est reflte et, ensuite
parce quelle scoule: le pome dHabert de Crisy, Dans sa glace inconstante , insiste
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sur la fausset dun rel qui nest quapparences trompeuses. Les inversions et les
renversements nient la matire leurs qualits lmentaires qui les intgrent dans les
catgories familires de lespace. Paradoxalement, cette vision du monde renvers aide la
connaissance vritable de la ralit, selon le pote baroque espagnol Gracian : On ne saurait
bien voir les choses de ce monde quen les regardant rebours .
Ce principe de rversibilit, Grard Genette le voit aussi dans la mtaphore baroque
par excellence : le monde est un thtre ,partout prsente dans la posie et le thtre des
XVIeet XVIIesicles. Le symbole du miroir joue avec les apparences, pour mieux les accuser
et les dmystifier.
Pour Jean Rousset, deux mots-cls servent caractriser lesthtique baroque: la
mtamorphose et lostentation. La mtamorphose, cest lhomme en changement, enmouvement ou en dcomposition. Lostentation, cest le dsir de se faire admirer, la recherche
de la surprise par tous les moyens. Ces deux thmes sont personnifis dans deux figures
rcurrentes dans la posie baroque franaise, lune mythologique, lautre animalire. La figure
de Circ, qui revient souvent chez les potes baroques, voque le monde de la magie, de
lillusion, de lart et de lartifice. La deuxime figure, celle du paon, voque lostentation
travers le dsir du pote dtonner le lecteur par ses russites formelles.
Situ sous le signe du paon et de Circ, la desse des mtamorphoses, lhommebaroque valorise lartifice, lostentation, la dissimulation et la tromperie. Il ne faut pas cacher
le caractre artificiel, fabriqu de luvre dart. Au contraire, on doit lexposer, le mettre en
vidence pour montrer loriginalit de sa cration, pour rvler la puissance cratrice : Il y a
une acceptation et mme une valorisation du paratre, de ce qui nest pas mais qui semble tre,
comme les trompe-lil ou les figures dessines par les jets deau (). Jeux de miroirs,
illusions optiques, artifices scniques, fictions et visions, ces tromperies aimables, ces
douces impostures, comme disaient les baroques avec enthousiasme taient toutes desmiracles de lart. () Il(s) montre(nt) lacharnement de lhomme contre la Mort, sa capacit
de la transfigurer par son art, par son faire crateur. 4(Toma : 24-25)
4. La dramaturgie baroque
Au XVIIe sicle, lespace scnique nest pas encore trs bien dlimit. Certains
spectateurs illustres, comme le roi ou des personnages de la Cour, ont le droit de rester sur la
4Dolores Toma,Du baroque au classicisme, op. cit., pp. 24-25.
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scne. Les pices sont joues dans lobscurit. Cette obscurit favorise lapparition des pices
machines, une forme thtrale emprunte aux Italiens : des machines, cest--dire des
installations sont places au-dessus de la scne et elles permettent de faire descendre, dune
manire spectaculaire, des Amours volant dans lair ou des personnages envelopps par des
nuages. Ces machines permettent aussi de raliser, dans un esprit trs baroque, le changement
trs rapide de dcors : par exemple, le spectateur peut voir, ainsi, dans ltage suprieur de la
scne, un palais de Jupiter. Lapparition du rideau permet, son tour, de jouer dans plusieurs
dcors simultans.
Les machines permettaient ainsi de travailler sur la perspective, procd technique
qui tait tout entirement dans lesprit baroque. Lespace thtral souvrait, grce cette
prouesse technique, des dimensions vraiment impressionnantes, souvrant non seulement surlhorizontale, mais aussi sur la verticale et en profondeur, vers un fond qui fait semblant de se
propager linfini. La scne comportait, ainsi, plusieurs tages , un nombre immense de
personnages pouvaient voluer dans cet espace dmesur et leurs dplacements
devenaient amples et spectaculaires .
En mme temps quun espace de limagination libre, de la transgression des codes
du ralisme, la scne thtrale devient aussi, au dbut du XVIIesicle, un espace de recherche
et de rflexion sur soi-mme, sur ses codes et sa spcificit. Les pices de thtre baroquesmettent souvent en scne une autre pice de thtre. Le motif du thtre dans le thtre aide
les dramaturges rflchir sur leur propre art, sur la nature du thtre, sur la manire de
composer une pice de thtre, sur les effets que la reprsentation thtrale peut avoir sur le
spectateur. Le thtre baroque devient, galement, un espace o le dramaturge peut
exprimenter ses ides concernant la nature du thtre. Cest un espace la fois rflexif
(comme un miroir, il offre le double ou la copie dun fragment dunivers) et autorflexif (il
devient un miroir o il se rflchit soi-mme).
Connu surtout comme un dramaturge classique, Pierre Corneille commence sa carrire
thtrale sous le signe du baroque. De toutes ses comdies de jeunesse, LIllusion comique
(1635) mrite une attention particulire. Assez complexe, la pice joue sur des procds
baroques comme le thtre dans le thtre ou la prdilection pour des coups de thtre qui
vont donner naissance de vritables renversements de situation.
Dans une grotte de Touraine, un pre dsespr davoir chass son fils recourt un
magicien pour voir ce quest devenu son fils, disparu depuis dix ans. Le rideau de la picesouvre sur la grotte du magicien (premier plan) qui fonctionne comme un double de lespace
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thtral. laide de sa baguette magique, ce magicien, mtamorphos dans un vritable
metteur en scne, va montrer au pre, mtamorphos en spectateur, les aventures relles qui
sont arrives son fils, Clindor. Premier ddoublement de lespace thtral et exploitation trs
habile par Corneille du motif baroque de la mise en abme (le thtre dans le thtre).
Personnage baroque par excellence, le magicien devient chez Corneille celui qui apporte
lexistence ce qui nexiste pas, en donnant vie de vains spectres : il est, en gale mesure,
une image du dmiurge, du crateur baroque en gnral.
Le fond de la grotte devient ainsi le canevas sur lequel va se projeter la pice de
thtre reprsentant la vie du fils (deuxime plan). Au moment o il voit son fils en train de
mourir, Pridamant commence se lamenter mais le magicien le rassure aussitt : ce quil
vient de voir nest pas la ralit. Clindor,devenu acteur, jouait, en fait, une pice de thtre.
Lespace scnique se ddouble une nouvelle fois, jouant avec les paralllismes et plaant une
interrogation sur ce quon dsigne, en gnral, par ralit . Le magicien fait apparatre
Clindor, mari, la Cour dAngleterre o une affaire dadultre lui cote la vie. La mort de
Clindor, que le pre et le spectateur prennent pour vraie , nest, en ralit, comme
Corneille le dit, quune feinte . Illustration de lillusion thtrale : devenu comdien
ainsi que sa femme, Clindor est tout simplement occup jouer une tragdie (troisime plan).
Les aventures relles auxquelles le pre assiste ne sont quune illusion . Les personnes
entrevues au fond de la grotte qui voque la caverne platonicienne sont, en ralit, des acteurs.
Ils ont une existence illusoire, tout comme les personnages de la pice de Corneille ont une
existence illusoire pour le spectateur dans la salle.
travers cette pice, cest une vritable rflexion sur le rle de lart dramatique que
le jeune Corneille nous invite. La grotte de LIllusion comique fonctionnecomme une image
du thtre. Mais, limage de la caverne platonicienne, elle agit galement comme une image
du monde, montrant que tout ici-bas nest quombres et apparences.
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Pierre Corneille,LIllusion comique, Thtre Denise-Pelletier, Mise en scne dAnne Millaire, 2011, Montral
(Canada)
En proposant des jeux sur la ralit, le thtre baroque invite le spectateur se poserdes questions sur la dfinition mme de la ralit. Paradoxalement, ce sont parfois le
mensonge et lillusion thtrale qui favorisent la dcouverte de la ralit. Dans Hamlet de
Shakespeare, cest travers la reprsentation thtrale quon dcouvre le meurtre du roi. Rien
nest ternel dans le monde baroque. Le monde nest quune illusion qui dure un instant, cest
le leitmotiv du pome dAntoine Favre: Le temps nest quun instant lequel toujours se
change . Pour lhomme baroque, rien nexplique mieux la condition humaine que le
paradoxe dune ralit illusoire et dune illusion plus vraie que la vrit. Mais cest le thtrequi donne le mieux limpression de cette illusion. En symtrie avec le monde vu comme un
thtre, theatrum mundi, le thtre devient lendroit o lon apprend des choses sur le monde.
Miroir mais miroir dformant , le thtre baroque franais nous apprend interroger la
ralit, douter des apparences et de ce quon nous propose comme la ralit.
Bibliographie pour aller plus loin dans ltude de la littrature baroque franaise :
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ROUSSET, Jean, La littrature de lge baroque en France. Circ et le paon, Paris, Jos Corti, 1954.
ROUSSET, Jean, Les eaux miroitantes , Baroque[En ligne], 3 | 1969, mis en ligne le 20 avril 2012, consult
le 19 mai 2014. URL :http://baroque.revues.org/275
TITIENI, Livia,Le classicisme franais, mythe ou ralit?, Cluj-Napoca, Dacia, 1997.
TOMA, Dolores,Du baroque au classicisme, Bucureti, Babel, 1993.
http://baroque.revues.org/275http://baroque.revues.org/275http://baroque.revues.org/275http://baroque.revues.org/2757/23/2019 Litt Du XVIIe Siecle 2015 I
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IV/Du baroque au classicisme
1. Lchec du baroque en France
Une esthtique tout fait oppose celle baroque sinstalle en France partir de 1640.
Le baroque, art tranger import dItalie, soumis au dsordre, la folie et linventivit
excessive sera peu peu banni en France au nom du gnie franais. On lui reproche
surtout sa libert qui tait vue comme dangereuse, pouvant conduire au dsordre et
lanarchie. Construite autour de la notion de gnie (caractre distinct dun peuple), la
mythologie nationaliste franaise se servira des valeurs classiques pour fonder lide que la
langue franaise et plus gnralement lesprit franais se dfinissent par la clart logique des
ides, la pudeur, la civilit ou la politesse.
Les derniers moments du baroque sont perptus par quelques crateurs mineurs,
irrguliers ou indpendants, et par des genres mineurs, comme lopra ou les ftes royales.
Grce son esthtique autoritaire et un climat politique visant lunit et la mise en place
de labsolutisme, le classicisme simpose vite en France, servant en gale mesure la
lgitimation de la culture nationale franaise.
En instaurant la primaut de la raison sur la passion, la doctrine classique est souvent
vue en contradiction avec lesthtique baroque. Contre les excs du baroque, la tradition
classique va privilgier les rgles et les rgularits. Contre la vision mouvemente de
lhomme baroque, en proie des inquitudes et des passions violentes, le classicisme prne
lidal de lhomme raisonnable, matre de soi-mme et de ses passions.
Lanne 1665reprsente un tournant dans lhistoire de lart en France, qui va marquer
galement la littrature. Cest lanne de lchec parisien du Bernin, larchitecte italien le plusclbre et le plus demand en Europe. linvitation de Colbert, le ministre des finances du
roi, Le Bernin avait propos des restructurations du Louvre, qui tait encore le palais royal de
la Cour de France (Versailles ne deviendra officiellement palais royal quen 1682). Ses
projets tout dabord en style baroque, jugs trop fantaisistes et peu conformes au got
franais, seront refuss par Louis XIV. Une date emblmatique qui va marquer galement
lchec du style baroque en France et son remplacement par le style classique, mieux adapt
servir les intrts absolutistes de Louis XIV.
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Le respect dmesur des classiques pour lautorit des Anciens ne pouvait que
soutenir les efforts centralisateurs du roi. son tour, celui-ci cherchait exercer sur ses sujets
une autorit paternaliste qui se confondait souvent avec la tyrannie. De plus, par ses rgles
et par linstitution royale du mcnat, le classicisme proposait une doctrine du contrle exerc
sur la production littraire qui saccordait le mieux avec la politique autoritaire dun
monarque absolu. Ces rgles ne concernaient pas toujours la manire dcrire. Elles pouvaient
tyranniser lcrivain aussi bien par des questions de got. La conformit ou la non-conformit
au got jugeait du succs ou de linsuccs dune uvre. Ainsi, une uvre qui ntait pas
conforme aux attentes et aux exigences du public risquait fort denregistrer un chec. Les
artistes ne sont plus libres inventer selon leur fantaisie. La libert de crer est, dailleurs, mal
vue par ltat cause de son potentiel anarchique, alors que le souvenir des Frondes tait rest
grav dans la mmoire de Louis XIV.
2. Lesthtique classique: caractristiques gnrales
Si lon remontedans le temps et on analyse ltymologie du mot classique , on voit
que tout montre, dans ltymologie et dans la fortune de ce mot, le caractre extrmement
positif du terme classique . Une excellence tout dabordsociale : en latin le mot classicus
dsignait un citoyen de premire classe (le mot fait allusion au systme romain derpartition des citoyens en cinq classes daprs leur fortune). Une excellence culturelle,
ensuite : au IIe sicle, Aulu-Gelle, un grammairien romain, recommande de sadresser aux
classici pour connatre le bon usage de la langue : par classici (scriptores), Aulu-Gelle
comprend des des crivains de premire valeur . Le mot va tre introduit en franais en
1548 avec ce deuxime sens : classiques , au pluriel, dsignent les crivains qui font
autorit, qui sont considrs comme des modles imiter et, par consquent, dignes dtre
tudis en classe : bref, des auteurs entrs dans le patrimoine littraire.
Au XVIIIe sicle, sous la plume de Voltaire, les crivains classiques sont pour la
premire fois opposs aux crivains infrieurs ou baroques . Voltaire clbre chez les
auteurs classiques leur art fond sur la mesure, sur lharmonie, sur la raison et surtout, sur le
respect et limitation des Anciens.
Une premire caractristique essentielle de lesthtique classique qui se dgage de
cette prsentation de Voltaire, grand admirateur de Racine et de la tragdie classique, est,
ainsi, la recherche de lordre, de lquilibre et de lharmonie. Cette recherche est illustre
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dans lartclassique travers les lignes droites, les plans gomtriques ou les figures
statiques ; dans la littrature classique, apparat la reprsentation de lhomme suprieur qui
vainc ses passions. La modestie et la mesure classiques sopposent lostentation et la
dmesure. Oppose aux extravagances baroques, la simplicit classique devient significative.
Elle nest pas une affaire de retour candide un tat dinnocencedavant la culture mais une
question dpurationesthtique et thique, de raffinement des murs et de refus de tout ce qui
excde le bon sens. Or lune des caractristiques majeures de lesthtique littraire baroque
est prcisment lhybridation du rel et du surnaturel, linstauration dun univers artificiel ,
monstrueux ou virtuel o lartifice joue un rle essentiel (et qui peut aller jusqu concevoir
des mondes alternatifs mi-humains, mi-artificiels, non si loin des mondes invents par la
science-fiction moderne, peupls par des robots ou par des cratures hybrides comme les
cyborgs).
Les classiques refusent lexcs au nom de lquilibre et du juste milieu . Ils
rejettent galement le culte baroquepour lartifice et pour la fantaisie au nom du naturel et du
vraisemblable. Un exemple en est, dans le thtre tout comme dans le roman classique, la
conception de hros qui se dfinissent, pour la plupart, par la matrise des passions. Il faut
attnuer ou rprimer les sentiments excessifs, ne laisser apparatre sur le visage que des
manifestations discrtes, sobres et tempres5. Leffet se veut moins fort, mais plus durable et
plus profond.
Une caractristique fondamentale du classicisme est la primaut de la raison sur la
passion. Si le baroque est un art du sentiment et de la sensibilit, relativisant la raison, le
classicisme sadresse lintellect et au bon sens. Lesprit apollinien , caractris par
lordre, la mesure, la srnit et la matrise de soi prend le dessus sur le dchanement et la
violence dionysiaques . Les classiques aiment la clart et la rigueur, dont ils font des
valeurs incontestables. Dans la littrature, on restreint le nombre de personnages, on restreint
galement les fils narratifs au profit dune seule action principale, tandis que dans lart du
jardin, qui prend son essor sous Louis XIV et la construction de Versailles, celui-ci subit une
volution allant vers plus en plus de symtrie et de rgularit.
Lart classique a lambition de la perfection et de luniversel. Louis XIV veut non
seulement blouir ses contemporains, mais il veut que son uvre demeure travers les
sicles : si possible, travers des millnaires, comme les uvres de lAntiquit sont restes
dans la mmoire des peuples travers plus de deux mille ans. Si lart antique est parfait, sil5Voir Dolores Toma,Du baroque au classicisme, op. cit., p. 90.
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avait russi se perptuer travers les sicles et susciter encore ladmiration, il faudra
analyser avec soin les rgles qui sont la base de son succs et, ensuite, les imiter dans le but
de produire des uvres semblables. Cest ce qui explique le respect dmesur des classiques
pour lart de lAntiquit, vu comme un art de la perfection, et qui est reprsent par la reprise
des thmes et des figures mythologiques ou des genres antiques comme la tragdie ou la
comdie.
3. La doctrine potique classique
La vision officielle sur le classicisme littraire est donne, partir de la deuxime
moiti du XVIIesicle,par lArt potique de Nicolas Boileau (1674). Dans ce long pome
nature didactique, considr comme un vritable manifeste du classicisme, Boileau expose et
synthtise les rgles fondamentales de lcriture potique classique. De mme que dautres,
avant lui, Boileau dvalorise lart baroque comme tranger et sujet une inventivit insense
et ridicule. Condamnant linspiration et la fantaisie au nom de la recherche du mot juste , il
conoit la cration artistique comme une affaire de raison, de clart, dharmonie et de travail:
Avant donc que dcrire, apprenez penser ()
Ce que lon conoit bien snonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisment.
(Nicolas Boileau,LArt potique, Chant 1 )
Le premier chantdes quatre chants qui composent lArt potiqueest le plus thorique.
Boileau y expose les rgles gnrales de lart dcrire.Le deuxime chant soccupe de la posie. Boileau numre et donne des dfinitions
pour plusieurs formes potiques comme llgie, lode, le sonnet, le madrigal, la ballade, la
satire.
Le troisime chant traite des genres nobles : la tragdie et lpope. Boileau
commence par exposer les rgles gnrales de la tragdie (lexposition du sujet, la rgle des
trois units), puis indique les sujets convenables pour tre prsents sur scnes et ceux quon
doit carter. Non toutes les actions peuvent tre reprsentes directement sur scne : ellespeuvent contrevenir lunit de lieu ou de temps ou la biensance. Le metteur en scne
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aura, donc, plusieurs options pour prsenter ces actions : il pourra, par exemple, recourir un
conteur qui joue le rle de messager (cette fonction est remplie, en gnral, par un confident
qui a une plus grande libert de se dplacer). Dans dautres cas, il donne la parole au hros
mme et non un messager. Dans les deux cas, le risque est dennuyer le spectateur ou de
briser le mouvement de laction. Cest pourquoi les rcits (les pisodes raconts) sont trs
dramatiques, anims et abondent en figures visuelles. Par exemple, dans la piceAndromaque
de Racine, lhrone se souvient de la mort dHector et de la chute de la ville de Troie en
forant sa confidente simaginer visuellement la scne : Songe, songe, Cphise, cette
nuit cruelle [] Figure-toi Pyrrhus, les yeux tincelants / Entrant la lueur de nos palais
brlants , rpte Andromaque dans Acte III, Scne 8. Attentifs aux dtails, les Classiques
soignent tout particulirement ces morceaux. Ils animent les rcits de faon donner lillusion
de laction et,bien souvent, le ton prend un caractre pique.
Le quatrime chant est une synthse des chants prcdents. Boileau revient des
prceptes gnraux.
En parlant de raison, Boileau reprend, en fait, les thses philosophiques de Descartes
qui, dans le sillage de la pense thologique de son temps, voyait dans la raison humaine la
facult qui aidait ltre humain dominer ses passions. Matriser ses passions revenait, pour
les philosophes comme pour les potes classiques, retrouver la condition paradisiaque de
lhomme avant la Chute du Paradis.Ce fut laveuglement des passions, envisages sous des
formes diverses (soit comme gourmandise devant le fruit interdit, soit comme rbellion contre
la volont divine) qui a conduit les premiers hommes couter, dans le jardin de lden, la
voix tentatrice du serpent et refuser la voix de la raison, la seule capable discerner entre le
vrai et le faux.
Soyez simples avec art , conseille Boileau aux jeunes potes, et ce paradoxe
pourrait sexpliquer comme suit: la simplicit classique nest quapparente. Pour raliser cette
simplicit, Boileau condamne svrement limagination qui mlange le vrai et le faux, lafantaisie, linventivit ou la recherche de loriginalit tout prix. Celle-ci serait un signe de
faiblesse, dorgueil ou mme de paresse de la part du pote : lidal classique est de parvenir,
travers des efforts, trouver un quilibre entre la raison et la passion et une pacification des
mouvements incohrents de lme. Lart potique classique est, ainsi, la fois une question de
normes, de rgles et de codes esthtiques respecter et une entreprise morale de modestie et
de travail. Tout ce qui scarte de ce canon sera rejet.
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4. Le classicisme franais, pivot dune mythologie nationale
lment central dun processus didalisation du XVIIesicle vu comme le Grand
Sicle , le classicisme franais est li avant tout une construction identitaire franaise la
fois culturelle et politique.
Ce processus didalisation commence mme avant la fin du XVIIe sicle.
Lexpression grand sicle sera consacre par Charles Perrault qui, dans le Sicle de Louis
le Grand(1687), remarque la floraison des arts et des sciences lors des grands sicles . La
notion de grand sicle reprsente, pour Perrault, un apoge, un triomphe des valeurs de la
civilisation. Cette grandeur nest pas strictement culturelle: aux grands hommes de science
sajoutent les grands hommes dtat et les grands stratges militaires. Il est vident que, dans
la vision de Perrault, le sicle de Louis XIV sinscrit dans cette ligne des grands sicles .Ce qui vient aprs lui ne peut tre que dcadence et infriorit.
Cest toujours Perrault qui dfinit, dans ses Parallles des Anciens et des Modernes
(1688), la modernit culturelle du rgne de Louis XIV. Ds la fin du XVII e sicle dj, le
classicisme est vu comme le moment qui marque le commencement de la modernit littraire
en France. La critique universitaire qui se dveloppe au XIXesicle va reprendre cette vision
et linstitutionnaliser comme dogme officiel. Dans son Cours de littrature ancienne et
moderne(1799-1806), le critique littraire La Harpe affirme que la modernit est inaugureen France par la littrature du XVIIe sicle.6 On retrouve, dans cette vision officielle, la
deuxime acception du mot classicusprsente dans le latin du IIesicle : est classique tout
auteur digne dtre tudi en classe, digne de devenir, par consquent, un modle dcriture et
de scolarit. Le XIXe sicle voit lentre de Corneille, de Racine, de Molire et de La
Fontaine dans les programmes scolaires de lpoque comme des auteurs canoniques. Le pass
littraire est promu au rang de moment exemplaire du pass national.
La vise moralisatrice de cette littrature, que les auteurs classiques dfendent mme
dans des cas plus dlicats comme celui de linceste thmatis dans la Phdre de Racine
explique, son tour, son inclusion dans le projet socioculturel et ducatif de la fin du XIX e
sicle. Le but de ce projet exclut, ainsi, du canon classique les auteurs libertins et burlesques
comme Thophile de Viau et Cyrano de Bergerac. Mme de luvre de La Fontaine on ne va
garder quune certaine partie, celle des Fables. lidal de la biensance et de la droite
raison sopposent donc des libertins mal-pensants . Un tel XVIIe sicle convient la
6Ralph Albanese, Rflexions sur le mythe culturel du Grand Sicle, Cahiersdu Dix-septime, XIII, 2/2011,pp. 184-200.
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formation des bons sujets : raison et volont, devoir et foi assurent le triomphe de Rodrigue et
Polyeucte, tandis que Nron, Phdre, lAvare et Tartuffe sont misrables parce que la passion
les emporte. 7
Par son idal de clart, dharmonie et de perfection, le classicisme va contribuer dunemanire dcisive une dification mythologique de la clbre clart franaise. On voit la
clart classique se transformer en vertu nationale privilgie. Promues au rang de vertus
par les Lumires, la raison, le travail et la discipline qui entrent dans le code esthtique
classique thoris par Boileau seront intgrs, eux aussi, dans cette mythologie nationale qui
exalte la vision du chercheur franais laborieux et vacue la figure du libre penseur paresseux.
Ce nest pas un hasard si le mythe de la posie franaise comme posie crbrale,
sadressant la raison et non au cur, tout comme le mythe de la clart et de la prcision de lalangue franaise naissent au XVIIesicle. Limposition du classicisme a cantonn le baroque
dans le vocabulaire technique de lorfvrerie et dans les catgories mal tablies du
bizarre , quelque part entre linsolite et le grotesque. Pendant plus de deux sicles en France,
le baroque est dfini de manire ngative, comme lenvers du classicisme. Il faudra attendre le
dbut du XXesicle pour que ces mythes soient branls par la redcouverte du baroque par
les potes surralistes, par les travaux de Wlfflin et dEugenio dOrs dans le domaine de lart
ou ceux de Jean Rousset en littrature.
Pour aller plus loin
ALBANESE, Ralph, Rflexions sur le mythe culturel du Grand Sicle, Cahiers du Dix-septime, XIII,
2/2011, pp. 184-200.
TITIENI, Livia,Le classicisme franais, mythe ou ralit?, Cluj-Napoca, Dacia, 1997.
TOMA, Dolores,Du baroque au classicisme, Bucureti, Babel, 1993.
7Ibidem.
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V/ Le premier classicisme.
Pierre Corneille ou la qute du sublime
1. Le renouvellement du thtre vers 1620
Dans les annes 1620, un souffle nouveau parcourt la scne franaise : il vient surtout
de Racan et de Thophile de Viau. Racan connat le succs avec des Bergeries, des pices
dans le genre de la pastorale mettant en scne des couples amoureux et des personnages
traditionnels comme des satyres ou des sorciers.
Mais la grande tragdie des annes 1620 est, incontestablement, Pyrame et Thisbde
Thophile de Viau, crite vers 1621. Publie deux ans plus tard, en 1623, elle connatra,
jusqu la fin du XVIIe sicle, soixante-treize rditions. Ce succs sexplique par une
exploitation ingnieuse et trs personnelle dune source antique. Tire des Mtamorphoses
dOvide, elle prsente lhistoire de deux jeunes amants, ns dans des familles ennemies et qui
fait penser Romo et Juliette. Mais si, pour Thophile, lamour est fatal, il nest jamais
condamnable, tout au contraire. La passion met lindividu en conformit avec la loi de la
nature, avec un ordre de la nature qui se confronte souvent avec celui de la socit o tout
nest que contraintes et autorit. Face un monde incomprhensif, hostile, les amoureux nont
quun seul choix: celui de la fuite et de la mort qui les runira dans lternit.
Cette manire de parler de lamour traduit la volont du dramaturge de sopposer
toutes les formes doppression. Mais elle obit encore un langage et une vision archaque :
dans sa tragdie, Thophile ne se soucie ni de la liaison des scnes, ni de la vraisemblance, ni
de la biensance.
2. La gnration de Corneille
Les annes suivantes (1630-1640) se caractrisent par deux lments : le prestige du
thtre, li au nombre et la qualit des productions et la gnralisation des rgles (la
naissance du thtre classique ). Le premier genre les adopter est la pastorale, non parce
que les auteurs se soucient particulirement des thoriciens mais parce quils veulent rivaliser
avec leurs modles italiens.
Corneille se dtache des auteurs de sa gnration : commence en 1629 sous LouisXIII et Richelieu et acheve en 1674, sous Louis XIV, avec la tragdie Surna, sa carrire de
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dramaturge traverse presque tout le sicle. Il va connatre le triomphe, la gloire, la fiert dtre
le dramaturge le plus apprci, mais aussi lamertume devant la monte de Racine et une
volution des mentalits qui ne lui permet plus de se faire comprendre par la socit
contemporaine.
- La priode baroque : de Mlite lIllusion comique(1629-1636)
Pendant la saison 1629-1630, la troupe de Mondory fait jouer Paris une comdie que
Corneille lui avait confie alors que la troupe tait de passage Rouen :Mlite ou les Fausses
Lettres. La pice reproduit dans un milieu urbain le schma de la pastorale et elle ne soucie
pas de lunit du temps ou des biensances.Mliteenchante le public parisien par sa fracheur
et par son naturel. Sy ajoutent dautres comdies de facture plutt baroque commeLa Veuve,
La Galerie du Palais,La Place Royale,LIllusion comique.
La hirarchie qui rgnait sur le thtre, sparant genres mineurs et genres nobles,
explique la tournure que va prendre la carrire de Corneille aprs la mise en scne de
lIllusion comique, vers la tragdie considre comme un grand genre . Mde, joue en
1634-1635, est dj une tragdie rgulire inspire du mythe grec de la sorcire et de la
Toison dor.
- Du Cid Surna (1636-1674) : la grande ttralogie cornlienne
Pendant la saison suivante, de 1636-1637, Corneille fait jouer une tragi-comdie, Le
Cid(1636), inspire par des sources historiques et lgendaires. Corneille est accus de plagiat
tandis que plusieurs thoriciens de lpoque condamnent lamour de Chimne pour le tueur de
son pre. Richelieu charge lAcadmie darbitrer le combat doctrinal. Loriginalit de lauteur
est reconnue mais, lorsque Corneille accepte de revenir au thtre, il est dcid de prouver que
son gnie est capable de saccommoder des rgles. Ses pices suivantes vont recourir
constamment la grande Histoire et, particulirement, lhistoire romaine, si riche en figuresillustres.Horace(1640), Cinna(1641), la tragdie sacre Polyeucte(1643) composent, avec
Le Cid, une ttralogie qui assure le succs de Corneille. Ce ne sont pas seulement de grandes
tragdies historiques (Polyeucteest hagiographique), mais aussi politiques.
La figure royale chez Corneille
Ces quatre pices, comme tant dautres pices cornliennes, jouent sur des
problmatiques importantes : le devoir de lindividu envers ltat et envers sa famille, lanotion de lgitimit, la relation du monarque avec ses sujets. Corneille fait du roi le principe
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mme de son uvre dramatique8: les rapports entre le roi, dun ct,et la noblesse fodale
incarne par le hros, de lautre, constituent souvent la source du conflit et de la dynamique
interne de son thtre. De la rsolution de ce conflit nat linstauration dun nouvel ordre,
sensible tout dabord dans le Cid, plus accus ensuite dans Horace : une socit unifie par
le roi o nobles et bourgeois squilibreraient9. Sans tre thoricien, Corneille reflte dans
son uvre les discussions de son temps sur le despotisme et le gouvernement tempr. Do
une figure assez complexe du roi : justicier et arbitre, conciliateur, crateur dun nouvel ordre.
Il y a galement une volution de la figure du roi, depuis le CidjusquPolyeucte.Le
Cidoppose encore, dune certaine mesure, le roi et le hros. Les destins du roi et du hros
suivent encore des chemins parallles. Rodrigue va venger son pre sans demander laide du
roi de Castille, un roi qui reste une figure assez ple. Du dbut jusqu la fin de la pice, on
assiste un passage de la vendetta (illustration du droit juridique priv, o chacun fait sa
propre loi) vers larbitrage royal (le droit public). Aprs avoir triomph des Maures, Rodrigue
va pouser Chimne, non avant de se soumettre au roi. Devenu lalli du roi contre lennemi,
il va recevoir Chimne comme un trophe de la main du roi. Chimne elle-mme, acceptant
dpouser Rodrigue, met fin la vengeance personnelle au profit dune loi gnrale, garantie
par lautorit du roi.
Horace reprsente une tape suprieure, celle o le hros poursuit un idal politique,
celui de la Raison dtat. Aprs avoir tu sa sur, Camille, qui lui reproche davoir tu son
bien-aim, Curiace, le hros reste seul. Il sera acquitt par le roi Tulle dont lintervention
remet les choses en ordre et rintgre la valeur hroque dans la vraie hirarchie dans
laquelle lintrt de ltat devient plus important que les valeurs individuelles et les liens
familiaux. Si, dans le Cid, le hros aristocratique sauve le roi contre ses ennemis, dans cette
pice ce sera le roi qui sauvera le hros.
DansPolyeucte, la royaut est pousse vers le providentiel, vers la mtaphysique, vers
la monarchie de droit divin. Toute la pice est fonde sur lidal aristotlicien de la magnanimit , idal repris par la morale jsuite : Polyeucte figure bien lun de ces
soldats de Dieu pour qui la gloire se paie dun absolu renoncement, dune mutilation intime
(). Ainsi le hros achte-t-il laccomplissement sublime de son destin en Dieu par
labandon de ses attaches affectives, familiales, civiques et claniques. Par l, ce que la
vhmence de son dfi, la cruaut de sa rsistance aux larmes de Pauline et son ardeur de
sacrifice pourraient receler dorgueil, de fanatisme et de fureur, se trouve tempr et mme
8Bernard Dort,Pierre Corneille, dramaturge, Paris, LArche, coll. Les Grands Dramaturges , 1957, p. 12.9Ibid., p. 138.
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invers par lhumilit dun don total de soi librement consenti. Son hrosme de saintet,
prolongeant le sacrifice affectif de Rodrigue, loblation civique consentie par Horace et le
renoncement inspir dAuguste, couronne et surpasse leur magnanimit ()10.
Lhrosme cornlien
Luvre dramatique de Corneille, riche et contraste, regroupant comdies de
jeunesse, tragi-comdies ou grandes tragdies politiques, prsente, toutefois, un certain
nombre de constantes. Partisan des rgles thtrales, il nen est pourtant pas lesclave et se
propose, avant tout, de plaire en se conformant au got du public. Il cherche aussi instruire,
en peignant ses personnages de manire que les spectateurs soient attirs par les qualits et
rejettent les dfauts.
Lhrosme est le matre mot du thtre cornlien. La grandeur du hros cornlien
consiste veiller sa gloire , cest--dire son honneur, correspondre limage trs
haute quil se fait de lui-mme. Il y a une correspondance parfaite entre ce que le hros est et
ce quil veut tre, entre son existence concrte et son modle existentiel. Ce comportement
individuel fait aussi intervenir des valeurs collectives cautionnes imposes par lhistoire et la
socit. Dans le Cid(1637), lhonneur de Rodrigue, qui consiste venger son pre, est ainsi
la fois son honneur personnel et lhonneur de sa caste. Dans Horace (1640), le combat
organis entre les trois Horace, champions des Romains et les trois Curiace, reprsentants de
la cit rivale dAlbe, pour dcider de la suprmatie, partage les protagonistes entre leur
patriotisme et les liens familiaux qui les unissent. Mais lhrosme suppose la matrise de ses
impulsions. Parce que les personnages choisissent la voie de lhonneur, ils assument leur
condition, rejettent lalination, se posent en hommes libres o la fatalit nexiste pas : une
raison pour laquelle on a appel la tragdie de Corneille une tragdie sans tragique
(Jacques Maurens, La tragdie sans tragique la tragdie cornlienne est une tragdie
sans tragique parce que son thtre nest pas dsespr)
Les personnages cornliens : les hros , les gnreux et les
faibles
Certaines caractristiques runissent les hros cornliens sous des traits communs.
Les personnages de Corneille se rvlent loccasion de rencontres qui sont des
10
Patrick Dandrey, Prface , in Pierre Corneille, Polyeucte, dition prsente, tablie et annote par PatrickDandrey, Gallimard, coll. Folio. Thtre , 1996, p. 13.
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confrontations et qui constituent pour eux autant dpreuves. Le critique Gustave Lanson
identifiait deux lments constitutifs de lhrosme cornlien : la maxime vraie et la
volont forte , cest--dire la connaissance de la Vrit (ce qui est bien, ce qui est juste) et
la fermet ncessaire pour suivre sans faillir ce guide. Lide que les contemporains de Louis
XIII se faisaient des anciens Romains, de leur stocisme, de leur abngation pour la cause
publique, explique pourquoi lAntiquit latine a fourni tant de personnages au thtre de
Corneille. Cette Rome cornlienne est plus mythique quhistorique. Elle plait particulirement
laristocratie, en lui procurant une image embellie delle-mme.
Plus proche des Jsuites, lunivers cornlien, fond sur la grandeur, les hautes valeurs
et la gloire implique une vision optimiste de lhomme. Lhomme est un tre imparfait mais il
est perfectible par ses propres moyens. Il suppose galement une conception trs litiste de la
socit. Cet litisme nadmet pas de personnages faibles.
Mme les personnages fminins empruntent, chez Corneille, quelque chose de
lhrosme masculin, mme si lhrosme fminin est plus dlicat et sentimental. Paulinereste
une figure hroque mme dans ses pleurs. Comme tout hros cornlien, elle aspire la
matrise de soi et limposition de la raison sur ses actions, ses penses et sa sensibilit. Le
transfert volontairede son inclination de Svre Polyeucte, de ce point de vue, reprsente le
suprme triomphe dune conscience masculinesur la nature fminine fragile, cest--dire sur
la voix du cur. Lorsque cet quilibreest menac par la voix de la nature, travers la vue de
la personne aime (Pauline pour Polyeucte, Svre pour Pauline), le seul remde pour garder
lintgration et la possession de soi-mme reste la fuite. Pauline vite de rencontrer Svre et
seulement son devoir envers son pre lui impose de le voir. Mais, dans un dialogue avec son
mari, elle avoue que le repos psychologique dpend de la distance prendre par rapport
ltre aim:
Jassure mon repos, que troublent ses regardsLa vertu la plus ferme vite les hasards
(Polyeucte, Acte II, Scne 4, v. 611-612)
Chacun de son ct, Polyeucte et Pauline sont appels refaire la conqute de Soi,
compromise par la dpendance de lAutre. Dans ce sens, ils doivent surmonter avec succs
chaque tape de lpreuve fondamentale de la Matrise11, comme lappelle Doubrovsky,
11Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du hros, Paris, Gallimard, coll. Tel , 1982 (1963), p. 234.
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cest--dire le combat de son autre soi-mme purement affectif et nullement hroque. Le
vritable ennemi, le plus dangereux que ce soit, reste pour le hros cornlien son propre soi :
Flix
Ta vertu mest connue.
Pauline
Elle vaincra sans doute ;
Ce nest pas le succs que mon me redoute.
Je crains ce dur combat et ces troubles puissants
Que fait dj chez moi la rvolte des sens ;
Mais puisquil faut combattre un ennemi que jaime,
Souffrez que je me puisse armer contre moi-mme (...)
Les hros cornliens cultivent une gloire dont ils ont fix eux-mmes les critres. Ils
sont radicalement diffrents de ceux de la tragdie grecque ou de la future tragdie racinienne,
qui sont crass par une fatalit : ils dominent la situation, comme Polyeucte, au prix dun
exercice qui les pousse aux limites des possibilits humaines. Ainsi peut-on considrer que la
vision cornlienne du monde nest pas tragique puisque, dpassant les contradictions de la
ralit, la qute hroque tend la plnitude de ltre. Il sagit, en effet, dun effort dascse
individuelle qui, chez des personnages comme Rodrigue, Horace ou Polyeucte, se manifeste
par un sacrifice la fois des autres et de soi-mme. mesure que Polyeucte coupe tout lien
affectif qui lattache aux autres, la collectivit, la nation et la femme quil aime, il tue en
lui, tour tour, le descendant du roi, le sujet de Rome, le mari, le gendre, en un mot,
lhomme12. En tuant lhomme, cest le hros qui saffirme, dans une grandeur lointaine
et une solitude exemplaire , dfinissant, par-del llite simple, une race plus raredlus13.
Caractris par un certain got baroque de lostentation, le hros cornlien se montre,
ne refuse pas le regard des autres comme le fera, plus tard, Phdre de Racine. Il na rien
cacher parce quil est en accord avec lui-mme, avec celui quil veut tre:
Allons, mon cher Narque, allonsaux yeux deshommes
12Ibidem, p. 248.13Ibidem.
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Braver lidoltrie, etmontrerqui nous sommes,
exige Polyeucte la fin du deuxime acte de la pice, en restant fidle ses promesses de
chrtien contre lintrt politique, son amour pour Pauline et mme sa propre vie. son tour,
Pauline a lme noble, et parle cur ouvert (Acte II, Scne 2), ne cachant point sa
faiblesse. Car, en lavouant, en exposant son combat, elle expose aussi sa victoire. Accepter
de soumettre son choix de valeurs lpreuve de la mort, telle est la voie hroque du
sentiment. 14.
Ce qui identifie la tragdie cornlienne, ce qui lui donne sa particularit, ce serait
prcisment cet effort de lhomme de transcender, de dpasser les limites de sa condition, de
magnifier lhumain (ou de lidaliser) contre sa nature sensible, purement animale. Ainsi les
cas de conscience vont-ils se faire, chez Corneille, de plus en plus complexes, engageant les
hros dans de vritables dilemmes (le moment o le choix du hros entre le devoir et lamour
est pouss sa limite extrme). tres suprieurs, les personnages cornliens sont galement,
pour Philippe Sellier, des tres asociaux, solitaires, sopposant souvent aux chefs politiques;
des surhommes, des personnages part, qui refusent les facilits de la vie commune, que
lhomme ordinaire accepterait sans problme.
AprsPolyeucte, le hros cornlien semble se retrouver dans une impasse. Apothose
de la figure hroque, Polyeucte reprsente le couronnement duneffort , lachvement
dune qute15en quatre moments majeurs. Cest le sommet, le point culminant vers lequel
tendaient dune manire explicite les grandes tragdies de Corneille. Lascension de
lhrosme lAbsolu divin constitue ltape finale decette trajectoire existentielle. Avec ces
quatre pices, Corneille a puis la qute hroque et revient la comdie. Lchec de ses
tragdies de vieillesse, finir par Surna, sexplique la fois par une mutation du got du
public, qui exige plus dhistoires damour et par une vision cornlienne de lamour qui se fait
de plus en plus sombre. Les valeurs de libert, de civisme, damour se sont dgrades enamour-propre, comme si le dramaturge avait perdu cette foi en lhomme qui fondait le
sublime du Cidet dHorace.
Bibliographie du chapitre
DANDREY, Patrick, Prface , in Pierre Corneille, Polyeucte, dition prsente, tablie et annote par Patrick
Dandrey, Gallimard, coll. Folio. Thtre , 1996, pp. 7-30.
14Livia Titieni,Le classicisme franais, mythe ou ralit?, Cluj-Napoca, Dacia, 1997, p. 122.15Serge Doubrovsky, op. cit., p. 265.
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DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du hros, Paris, Gallimard, coll. Tel , 1982 (1963).
TITIENI, Livia,Le classicisme franais, mythe ou ralit?, Cluj-Napoca, Dacia, 1997.
TOMA, Dolores,Du baroque au classicisme, Bucureti, Babel, 1993.
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VI/ Le deuxime classicisme.
Racine ou la tragdie amoureuse
1. Le statut de lartiste lpoque de Louis XIV
En 1661, commence le rgne personnel de Louis XIV. Lune des premires dmarches
du jeune roi, ce sera dassocier la monarchie franaise au monde des lettres et lensemble
des beaux-arts. En mme temps quil travaille renforcer labsolutisme sur le plan politique,
Louis XIV mne une politique de prestige destine donner de sa personne, de son rgne et
de ltat franais une image magnifique. Le but de cette vritable campagne de popularit,
dirige tant lintrieur du pays qu ltranger, est de faire imposer la primaut de la France
parmi toutes les autres puissances europennes et, en effet, il est ralis. Louis XIV russit
transformer une ralit historique dans un vritable mythe. Lclat de la France simpose dans
une telle mesure que la langue franaise devient, pendant plus dun demi-sicle, la langue de
laristocratie europenne, tandis que la cour de France se transforme dans un modle imiter
par toutes les grandes cours princires de lEurope.
Avec la brillante Cour tablie Versailles, les artistes sont les principaux acteurs de
cette entreprise. Ils produisent des uvres qui, ct de la splendide architecture de
Versailles, de lordonnance parfaite de ses jardins, de la somptuosit de lopra et de la grce
du ballet dans lequel le Roi mme excelle, servent toutes clbrer la gloire du Roi. Les
crivains de la grande poque classique seront, donc, proprement parler, les crivains du
sicle de Louis XIV . Cest lpoque des grandes tragdies de Jean Racine, des comdies
de Molire et de la naissance de lopra franais, grce Lulli.
2. La carrire de Jean Racine (1639-1699)Devenu galant et sensible, le public thtral de la deuxime moiti du sicle nest plus
celui de la gnration de Corneille. Le hros fodal de Corneille nattire plus un public
toujours aristocratique mais qui se fait plus mondain et courtisan. Cette mutation de got
explique, dans une certaine mesure, les checs enregistrs par les dernires tragdies de
Corneille et lascension fulgurante de Racine, un pauvre orphelin lev par sa tante et sa
grand-mre lcole de Port-Royal. Joue dabord devant la reine lHtel de Bourgogne,
Andromaqueconnat un triomphe qui gale celui du Cid. Son succs est cependant dune toutautre nature : on nadmire plus des hros, on verse des larmes. Homre et surtout Virgile,
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Racine avait emprunt une toile de fond grandiose, voire mythique : la chute de Troie et ses
consquences. Des personnages aussi, dj mis en scne par Euripide et par Snque, mais
dont les caractres seront modifis par Racine (il sexplique sur ses raisons dans la Prfacede
la pice). Mais le traitement des passions, forme interne et terrible de la fatalit, est
entirement neuf. Ds lors, Racine simpose comme un pote de la passion. Contre ses
nombreux dtracteurs, Racine se dfend toujours dans la prface, en y proposant sa thorie du
hros mdiocre , emprunte chez Aristote. Il sagit de prfrer, aux hros parfaits qui
avaient fait la gloire de Corneille, des hros plus ambigus et moins hroques, ambivalents et
complexes, dont les combats parviennent nous les rendre agrables mais dont on
condamnera les faiblesses.
Les sujets sont emprunts la mythologie grecque (Atrides, Mde), des pisodes
bibliques (Sal) ou lhistoire romaine (Csar). Malgr des tragdies romaines et orientales
(Britannicus(1670), Brnice(1671), Bajazet (1672)), le champ dlection o spanouit le
gnie de Racine sera la Grce lgendaire. Il tient pourtant combattre Corneille, son rival, sur
son propre terrain : Britannicus est une tragdie romaine. Aux Annales de Tacite, lauteur
emprunte le tableau dune cour impriale en train de se dfaire et le cruel pisode d e
lassassinat de Britannicus, qui signale la fois lentre de Nron dans sa carrire de monstre
et lchec dAgrippine, la mre qui ne se rsigne pas perdre le pouvoir. Pourtant, tout ce qui
spare les deux dramaturges y est fortement soulign : refus des valeurs hroques, refus de la
tragdie politique (dans la premire prface, Racine insiste sur le fait que Nron est ici dans
son particulier et dans sa famille ). Le duel reprend avecBrnice. La comdie hroque Tite
et Brnicede Corneille, joue huit jours plus tard, ne supportera pas la concurrence de la
Brnicede Racine. Si Corneille garde plus de fidlit lhistoire, tout en dotant la reine juive
de beaucoup de grandeur, Racine a su mieux mouvoir. Son hrone ne craint plus, comme
chez Corneille, que son amant montre de la faiblesse, elle ne parle pas de sa gloire :
lintrigue sefface devant le pathtique de lamour la fois partag et sacrifi.Profitant de son succs et de la mode des turqueries, Racine lance Bajazet, dont le
sujet appartenait lhistoire rcente. Une fois de plus, laccueil est trs favorable, sauf chez
les fidles de Corneille qui lui reprochent davoir mal observ les murs des Turcs.
Malgr ces attaques, Racine a bien su rendre la couleur locale : les dchanements des
passions et les crimes quelles engendrent sinscrivent dans un ralisme qui tient lhistoire,
aux habitudes des Turcs, telles du moins quon les concevait lpoque.
Aprs une deuxime tragdie place dans lAsie mineure, Mithridate, Racine est lapoge de sa gloire: la premire dIphigniea lieu dans lOrangerie de Versailles, alors que
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le rgne du Roi-Soleil est, lui aussi, son apoge. Lauteur revient la Grce mythique et
pique, celle dEuripide et dHomre. Mais il enrichit ses sources et modernise son Antiquit,
en faisant du hros Achille un grand amoureux, et crant le personnage driphile, double
sombre dIphignie, mystrieuse, inquitante, maudite. partir dEuripide toujours, qui
sajoute galement Snque, Racine cre le personnage de Phdre de la pice ponyme, sa
plus profonde et complexe tragdie.
AvecPhdre (1677), la carrire dramaturgique de Racine prend fin, du moins sous cet
aspect de la grande tragdie passionnelle. La rconciliation avec les jansnistes, avec qui il
sest brouill ds son adolescence, et un retour la pit peuvent expliquer le renoncement au
thtre dun auteur en pleine gloire. Dautre part, Racine est nomm historiographe du Roi,
fonction pour laquelle il doit acqurir une honorabilit. A la demande de Mme de Maintenon,
il reviendra au thtre, mais un thtre imprgn de pit : puise lhistoire rapporte dans
Le Livre dEsther, Esther, en trois actes, est une uvre ddification morale lusage des
demoiselles de la maison dducation de Saint-Cyr. Esther est tout dabord une tragdie
sacre, dont lhrone, fragile et forte la fois, est lagent de Dieu auprs dun roi bon, qui
manquent seulement les lumires clestes.
Le tragique racinien
Dfini par tienne Souriau comme une marche fatale du microcosme central vers
son propre anantissement , le tragique repose, chez Racine, sur un nombre infime
dlments, qui donnent une unit surprenante aux actions ouvertes par le conflit tragique. Si,
dans une pice comme Andromaque, lultimatum pos par les Grecs travers lambassade
dOreste dclenche une cascade de dilemmes qui se posent tous les protagonistes, la
solution de tous ces dilemmes dpend finalement dun seul choix, celui dAndromaque qui
doit trancher entre, dune part, lamour pour son fils et le mariage avec son bourreau et, de
lautre, la fidlit mmorielle envers son mari mort. part le dilemme dAndromaque quirepose sur un choix libre, tous les autres dilemmes sont subordonns ou
conditionnels 16. Chaque personnage attend, en fin de compte, la dcision dAndromaque
et ne peut prendre son parti quen fonction du choix de celle-ci. Entre temps, les hsitations de
lhrone laissent aux personnages le temps de faire des promesses irrparables soit eux-
mmes, soit aux autres17. Fch par lindcision dAndromaque, Pyrrhus promet dpouser
16
Annie Urbesfeld, Prface in Jean Racine,Andromaque, prface et notes dAnnie Urbesfeld, Paris, ditionsSociales, coll. Les Classiques du peuple , 1971, p. 28.17Ibid.
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Hermione, alors quun seul mot de la part dAndromaque suffit pour quil retire la parole
donne, ce qui va provoquer la colre de la princesse grecque, lorganisation, avec Oreste, du
complot criminel et, finalement, la fin tragique.
Toute lhistoire dAndromaqueest celle de la rsistance dAndromaque. Tout le drame
de Phdreest celui dun silence tortur par lide de la rvlation : une fois laveu de son
amour fatal fait Oenone, Phdre na qu se prparer mourir. Dailleurs, elle le fait dj
partir du dbut de la pice, qui nous prsente une Phdre mourante cause dun mal quelle
sobstine taire. La pice racinienne est, ainsi, la tragdie dune mort laisse pour plus tard,
celle de Phdre et dHippolyte, mort engendre par la parole ou, dans le cas dHippolyte, par
son double cruel, le silence. Tant que Phdre sobstine taire son amour pour son beau-
fils et essaye de combattre sa passion incestueuse, elle restera innocente : sa chute arrive ds
quelle prononce les mots funestes devant Oenone. Cest aussi la dclaration de mort faite
contre Hippolyte : rvler son amour revient, chez Racine, condamner lAutre la mort. Par
une cruelle symtrie, le silence devient coupable dans le quatrime acte de la pice lorsque
Thse, de retour Trzne, apprend dOenone la tentative dHyppolite de sduire sa belle-
mre. Devant Thse, Phdre nose pas prononcer les paroles salvatrices qui auraient pu
sauver Hippolyte. Le monde racinien est la fois celui de lincommunicable et de la parole
fatale, qui provoque linverse de ce qui tait vis.
Alexandre Cabanel,Phdre
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Deux mots suffisent dfinir le tragique racinien : lamour, la fatalit. Lamour, cest
la passion, ne la rencontre le plus souvent dun regard, larme commune de toutes les
tentatives dannihiler lAutre. Selon Barthes, regarder lautre revient le dsorganiser et le
maintenir dans ce dsordre intrieur. La violence de la passion est toujours visuelle. Sauf pour
quelques couples jeunes et purs, lamour racinien est tout le contraire de la tendresse. N dun
coup, sans aucune gestation pralable, il est immdiat et se prsente comme un vnement
absolu 18 (Barthes). Ce type dros-vnement caractrise les relations qui rapprochent
Phdre dHippolyte, Pyrrhus dAndromaque, Oreste dHermione:
Je le vis, je rougis, je plis sa vue,
Un trouble sleva dans mon me perdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler
Je sentis tout mon corps, et transir et brler.
(Phdre, I, 3, v. 273-274)
travers la vision, le hros devient lesclave de sa passion. Son caractre visuel
organise lamour comme une scnographie optique, dans laquelle la ralit physique du
personnage compte moins (la beaut dAndromaque est plutt abstraite, il y a peu dindices
visuels qui permettent au lecteur de limaginer).
Sadisme et masochisme se mlent, comme la haine et lamour, dans le cur de tous
les amants non aims19. Press par la demande des Grecs de livrer Astyanax, Pyrrhus
pouvante Andromaque. De son ct, Hermione fait mourir lhomme quelle aime mais dont
elle ne peut partager lamour:
L, de mon ennemi je saurai mapprocher :
Je percerai le curque je nai pu toucher ;Et mes sanglantes mains, sur moi-mme tournes,
Aussitt, malgr lui, joindront nos destines ;
Et, tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux
De mourir avec lui que de vivre avec vous.
(Andromaque, IV, 2, v. 1244)
18
Roland Barthes, Sur Racine, Paris, ditions du Seuil, 1963.19Alain Niderst,Racine et la tragdie classique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , 1978. p. 56.
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Lorsquon se voit refus, ddaign par la personne quil aime, il ny a pour le
personnage racinien quune seule voie pour quelle le reconnaisse: le faire souffrir, voire le
faire mourir.
Le premier effet de cet amour-vision est le trouble. Lros racinien est
indissolublement li lalination. Il y a comme une sorte de scission, de fissure qui stablit
entre le corps amoureux et la conscience raisonneuse : si la conscience cherche cacher le
dsir interdit ou lamour proscrit, le corps trahit lepersonnage, il devient pur symptme du
mal dfendu. La reconstitution mentale de la prsence dAndromaque suffit dstabiliser
Pyrrhus. Le corps de Phdre est par essence motion, abandon, dsordre. Les vtements
abandonns, dont le rle est prcisment de cacher le corps ou de le masquer, les cheveu