Transcript
  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    1/14

    MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTESFRANAIS, TEXTES PRESENTES PAR FRANOIS DUFAY (1998) ditionsJean-Claude Latts. Imprim en France 15, rue des Sablons 75116 Paris. (373pages).

    Ce livre est une invitation la sagesse. Mais la sagesse la moins bien-pensante, lamoins politiquement correcte qui soit: celle des grands moralistes franais. Avec unelucidit impitoyable, La Rochefoucauld, La Bruyre, Vauvenargues, Chamfort, ouJoubert nont cess de scruter le cur humain, den dvoiler les replis les mieux cachs.

    Nietzsche a salu la grandeur de ces immoralistes souvent trop mconnus desFranais. Pour la premire fois, leurs maximes les plus aigus, leurs aphorismes les plusails, leurs penses les plus spirituelles sont runies en une anthologie gnrale qui courtdu XVIIe sicle nos jours. Car ce gnie de moraliste na nullement disparu lpoquemoderne : les Fuses de Baudelaire, lAlgbre des valeurs morales de Jouhandeau, lesSyllogismes de lamertume de Cioran sont les dignes hritiers des Mathmatiques ducur de Joubert.

    Justice est ainsi rendue une grande tradition littraire franaise. Mais aussi unefascinante entreprise de connaissance de lhomme. Alors que nos contemporainscherchent refuge dans le bouddhisme, les sagesses antiques ou une fade moralerinvente, ces maximes constituent, pour lhonnte homme daujourdhui, comme pourcelui dhier, un irremplaable brviaire.

    Ancien lve de lcole normale suprieure et agrg de lettres, Franois Dufay estjournaliste lhebdomadaire Le Point.

    TABLE DES MATIERES

    PrsentationLa Rochefoucauld (1613 1680)Pascal (1623 1662)Jean Domat (1625 1696)Christine de Sude (1626 1689)

    La Bruyre (1645 1696)Montesquieu (1689 1755)Helvtius (1715 1771)Vauvenargues (1715 1747)La Beaumelle (1726 1773)Le prince de Ligne (1735 1814)Chamfort (1740 1794)Rivarol (1753 1801)Joubert (1754 1824)

    Le duc de Lvis (1764 1830)Alphonse Rabbe (1784 1830)

    Sainte-Beuve (1804 1869)Barbey dAurevilly (1808 1889)Xavier Formeret (1809 1884)Charles Baudelaire (1821 1867)Rmy de Gourmont (1854 1915)

    Paul-Jean Toulet (1867 1920)Andr Suars (1868 1948)Paul Valry (1871 1945)Paul Lautaud (1872 1956)Jacques Chardonne (1884 1968)Marcel Jouhandeau (1888 1979)Pierre Reverdy (1889 1960)Henry de Montherlant (1896 1972)Louis Scutenaire (1905 1987)

    Emil Cioran (1911 1995)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    2/14

    PRESENTATION :

    Moraliste : professeurs dennuyeuse sagesse, curs secs, esprits aigris, incapables

    dcrire un roman ou un pome.Maximes : Thormes dictatoriaux, comprims damer savoir, vrits trop abstraites ou

    paradoxales pour ne pas tre fausses.

    Telle est, en caricaturant peine, la rputation peu engageante des moralistes et de leurforme littraire favorite, la maxime. Bien sr, chacun fait mine de rvrer LaRochefoucauld ou La Bruyre. On cite loccasion une ou deux formules deVauvenargues ( Les grandes penses viennent du cur , Le sentiment de nos forcesles augmente ). Depuis quelques annes, Chamfort, moraliste rvolutionnaire et

    suicid, est la mode. Seul Cioran, reconnu comme moraliste moderne , a vraimentles faveurs dun public enthousiaste. Et, en gnral, lon sen tient l, respectueusedistance de ces monuments de sagesse pour la plupart inviols. Qui lit vraimentlintroduction la connaissance de lesprit humain de Vauvenargues, les Penses deMontesquieu, celles dHelvtius, de Rivarol, ou Mes carts du prince de Ligne ?

    Ces mal-aims, ces mal admirs, intimident. On les croit tort synonymes dennui, derebutantes abstractions. Il est vrai que les moralistes eux-mmes, par un pli singulier,nont pas t les derniers se dprcier. Il a fallu un philosophe tranger, en la personnede Nietzsche, pour leur accorder leur vraie place, et reconnatre ces philosophes de

    la vie leur apport irremplaable. Leurs livres, nous dit lauteur du Gai savoir,contiennent plus d ides relles que tous les livres des philosophes allemands, ilssont dignes des philosophes de lAntiquit, lesprit franais en plus. Comment

    Nietzsche, cet immoraliste , ne se serait-il pas reconnu en eux ? Car on ne le dirajamais assez : ces moralistes bien mal nomms certes sensibles comme lesprdicateurs chrtiens la vanit et la corruption de toutes choses ne prchent paspour autant la morale : ils la dissquent, la dpassent, pour aller hardiment par-delbien et mal . Ces esprits rputs chagrins sont les matres de lironie, du trait desprit.Ces barbons dancien Rgime sont nos contemporains. Leur penses ne sont pas de

    lhuile de ricin : plutt un caf noir, qui brle et ragaillardit.Le chef de chur de ces grands moralistes franais qui dniaisent lhumanit -lexpression est toujours de Nietzsche , cest bien sr La Rochefoucauld. Certes, cegrand seigneur mlancolique, du dans ses ambitions et dans ses affections, na pasinvent les sentences morales, genre hrit de lAntiquit et dj pratiqu par sescontemporains. Mais, une poque o, selon lexpression de Paul Morand, les clopsde la Fronde disaient en sentences le peu que vaut lhomme, il a fait uvre de fondateuren publiant en 1665 son mince recueil de Rflexions ou Sentences et Maximes morales.Elles joignent au got de lanalyse celui dune forme raffine, base de dfinitions,

    dantithses, de fines distinctions, de rapprochements piquants. Jeu de salon qui servle un impitoyable jeu de la vrit. Ce nest pas un hasard si cest dans le mme

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    3/14

    milieu littraire et mondain o sest invent le roman psychologique moderne LaRochefoucauld tait un intime de Madame de Lafayette, lauteur de La Princesse deClves , que sest cristallise cette manire de portraiturer le cur de lhomme,

    procdant, non par la fiction narrative, mais par de brefs et fulgurants aperus. Car, plusque des prceptes lantique pout la conduite de la vie, les sentences de LaRochefoucauld sont des coups de sonde dans le secret des curs. Morales , elles lesont, non parce quelles assneraient une morale, mais dans le sens o elles nous parlentde notre vie morale, o elles sont rvlatrices dintimes mouvements de lhomme,dont lui-mme nest ou ne veut pas tre conscient1 .

    Que nous dit La Rochefoucauld ? Que nos vertus sont des vices dguiss. Quundvorant amour de nous-mmes sinterpose entre nous et les autres, commandant lemoindre de nos actes, mme le plus dsintress en apparence. Que nous trompons lesautres, et nous-mmes, sur nos vrais sentiments, que nous avons toujours un mobile

    cach. Ce nest pas tout : nous subissons encore lemprise de passions toujoursrenaissantes, et de nos humeurs , cest--dire dune implacable ralit physiologique.

    Triste et vridique tableau, qui a suscit en son temps, et peut-tre aujourdhui encore,bien des rticences indignes. Pas plus que le soleil ou la mort, ces vrits ne se peuventregarder fixement . Le moraliste seul les affronte avec intrpidit. Le frome littraireque prend ce dvoilement nest pas indiffrent. Pour enfoncer dans lesprit du lecteurdes vrits comparables, Jacques Esprit, qui a particip la gense des Maximes avecLa Rochefoucauld et Madame de Sabl, recourra lartillerie lourde du trait quand il

    publiera son De la fausset des vertus humaines (1667 1678). Avec larme plus lgre,

    mais combien plus aiguise, des maximes, La Rochefoucauld pntre plus profonddans le cur de lhomme, comme dans lesprit des lecteurs, Ses maximes deviendront les proverbes des gens desprit , dira Montesquieu. Il accoutuma penser, et renfermer ses penses dans un tout vif, prcis et dlicat , prcise Voltaire dans LeSicle de Louis XIV, peine cinq ans aprs les Maximes, en 1670, les Penses dePascal, montrant la misre et la grandeur de lhomme, et vingt-trois ans plus tard, en1688, les Caractres de La Bruyre, recensant ses petitesses, achveront de faire de la manire coupe (nous disons aujourdhui style discontinu ) la forme parexcellence de la rflexion morale. Le problme central du bien et du mal se formulera

    dsormais en quelques lignes fulgurantes, essentielles. Plus de lourds dveloppements,denchanements artificiels, de scolastique pompeuse : en quelques traits, la lumire dela vrit se dtache sur le fond noir de la vie intrieure. Pascal souligne le lien dencessit entre cette forme et son propos : Jcrirai ici mes penses sans ordre, et non

    pas peut-tre dans une confusion sans dessein. Cest le vritable ordre, et qui marqueratoujours mon objet par le dsordre mme.

    Je ferais trop dhonneur mon sujet, si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrerquil en est incapable. Lambition de La Bruyre est autre : Sil casse le discours

    1 Corrado Rosso, Montesquieu moraliste, Bordeaux, ditions Ducros, 1971, p.76.

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    4/14

    traditionnel, crit le critique Louis Van Delft, cest quil tient saisir au plus prs lemonde dans sa varit, lexistence dans sa logique elle2.

    Chaque moraliste, de fait, a sa manire propre de dchiffrer le rbus de lhomme. Enphilosophe, La Rochefoucauld examinait le cur en gnral. Plus concret, La Bruyre a

    dpeint les murs de son temps. Leurs hritiers, pour percer les secrets de la naturehumaine, feront dsormais la navette entre lintriorit et la comdie sociale deuxterrains dobservation dune mme ralit. Aprs La Rochefoucauld, aprs Pascal et LaBruyre, tout au long du XVIIIe sicle, Montesquieu, Vauvenargues, Chamfort, le princede Ligne, Rivarol, font clater leur morale en fuses dans le ciel des Lumires.Moins clbres, Helvtius ou La Beaumelle, parmi les nombreux reprsentants de cettelittrature de penses et de caractres, mritent de ne pas tre oublis. Au sicle de laconversation, le genre des penses se confond avec le mot desprit ; au sicle delesprit critique triomphant, il se fait linstrument du dvoilement philosophique de

    lenvers des choses. Il atteint ainsi un extrme raffinement dexpression. Auteur deMaximes et rflexions sur divers sujets de morale et politique (1807), le duc de Lvisdistinguera, jusqu linfiniment petit, sans que la diffrence soit flagrante, les variantesde la pense : maximes , prceptes , rflexions , penses dtaches , maximes de politique On pourrait ajouter sentences , remarques , apophtegmes , caractres , etc.

    De cette riche ligne de dchiffreurs du cur humain, il est convenu que Joseph Joubert,auteur des Carnets, est le dernier reprsentant, en quelque sorte le point final. Nullivre, en rsum, ne couronnerait mieux que celui de M. Joubert cette srie franaise,

    ouverte aux Maximes de La Rochefoucauld, continue par Pascal, La BruyreVauvenargues, et qui se rejoint, par cent dtours, Montaigne , a jug Sainte-Beuve3.Postulat tenace, remontant au XIXe sicle, entrin au XXe sicle par les cloisonnementschronologiques chers luniversit. Il ny aurait, en somme, de moralistes que classiques . Et la race des auteurs de rflexions, comme celle des dinosaures, se seraitsubitement teinte, victime don ne sait quelle comte la Rvolution franaise ou peut-tre le passage lanne calendaire 1800 ?

    Gageons que les moraliste, les premiers, auraient souri de ces classifications troprigides, dont ils nous ont appris nous dfier. Le prsent ouvrage voudrait sinscrire

    contre cet ancien prjug, en montrant, par les textes, la persistance jusqu nos jours de ce gnie de moraliste que Nietzsche a tant aim chez les Franais (JacquesChardonne).

    Le simple examen de la chronologie suffit battre en brche lide reue, Derniermoraliste dAncien Rgime, Joseph Joubert, faut-il le rappeler, ne meurt quen 1824aprs avoir crit lessentiel de ses Carnets sous lEmpire et la Restauration. Ceil ouvertsur linfini de la ralit intrieure, prromantique limaginaire chatoyant, pote de

    2 Louis Van Delft, prsentation des Caractres de La Bruyre, Paris, Imprimerie

    nationale, 1998

    3 Sainte Beuve, Portraits Littraires, cit in Joubert, Carnets, Paris, Gallimard, 1994.

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    5/14

    labrgement, il est autant une aurore quun crpuscule. Le premier recueil de sespenses, dit par les bons soins de son ami Chateaubriand, parat en 1838. Cest--diredeux ans aprs les maximes et fragments dinspiration, stocienne du trs sombre Albumdun pessimiste dAlphonse Rabbe. La mme anne 1838 le genre, dcidment, faittoujours des adeptes , paraissent les nigmatiques aphorismes de Xavier Forneret, enqui Andr Breton saluera un surraliste dans la maxime . Ce nest pas tout : deux ans

    plus tard, en 1840, Sainte-Beuve dploie, la fin de son livre Portraits de femmes,dcres maximes la manire de La Rochefoucauld. Durant la dcennie suivante, cestBaudelaire qui sattelle ses Fuses, Mon cur mis nu, la srie moins connueHygine, conduite, morale, ouvrages dont les titres disent assez quils ressortissent augenre qui nous occupe, mme su le nom impropre de journaux intimes (qui nest pasde Baudelaire) masque souvent leur vraie nature.

    Bref, les crivains de lge romantique nont perdu ni le got de la brivere, ni celui de

    lanalyse psychologique, encore moins de la rflexion iconoclaste sur le bien et le mal.Certes, lheure de la mare montante de la dmocratie, les dandys ont succd auxaristocrates : Barbey dAurevilly, Baudelaire, bientt Remy de Gourmont, AndrSuars, Pau-Jean Toulet Mais cest le mme art du paradoxe hautain, la mmemanire de se placer en suplomb au-dessus de la foule, en lchant quelques phrasesdune amre ironie. Dfions-nous du peuple, du bon sens, du cur, de linspiration, etde lvidence , rsume Baudelaire en un prcepte bien digne dun immoraliste. Lacoule, cest vrai, reste en partie souterraine, comme ces cours deau que lurbanisationdu XIXe sicle a enterrs sous les villes. Elle touffe lombre du roman-roi, du drameen majest, du sacro-saint journal intime (genre mitoyen, dont les penses sedistinguent notamment en ce que leur auteur tend lhumanit lexamen quil fait desoi). Rabbe, Forneret ne sont que des petits romantiques , Baudelaire laissera lesFuses inacheves. En 1870, Lautramont semble donner au genre le coup de grcedans ses Posies, en retournant comme une crpe on ne sait si cest par exasprationou dans le but de refonder une morale les sentences de La Rochefoucauld, Pascal ouVauvenargues. Tandis que la critique, par la voix de Jules Lematre ou de GustaveLanson, dvoile la cuisine de ce genre dsuet, aux ridicules trop identifiables.

    Fin dun genre puis ? Non. Avec la gnration du culte du moi et latmosphre

    nihiliste de la fin du sicle, le genre des penses dtaches va connatre une floraisonaussi tardive que somptueuse. Deux crivains amis, Paul Lautaud et Remy deGourmont, se passionnent pour Rivarol et Chamfort, rditent leurs textes au Mercurede France et se lancent eux-mmes dans le genre bref. Mais llment dcisif estcertainement limmense influence de Nietzsche en France. Lauteur dhumain, trophumain a t marqu par la lecture de La Rochefoucauld, par son analyse radicale du

    phnomne moral, mme sil lui reproche de rester mi-chemin. Il a galement tboulevers par la figure de Chamfort, homme sombre, souffrant, ardent , quoiquilrprouve son engagement du ct de la foule pendant la Rvolution franaise. De laMme faon quil vante la musique de Bizet pour accabler Wagner, Nietzsche se sert

    des moralistes franais pour faire honte la brumeuse philosophie allemande. Il imiteleur style fragment et oraculaire, divisant ses livres en opinions et sentences

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    6/14

    mles , en maximes et interludes . Des crivains aussi diffrents que Remy deGourmont, Andr Suars, Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Pierre Reverdy,liront Nietzsche avidement et sauront en faire leur profit. Cest en partie travers sesyeux, et ceux de Schopenhauer, quils redcouvrent leur propre tradition littraire.

    Ouvrons les recueils publis au dbut du XXe sicle : Des pas sur le sable de Remy deGourmont, passe-temps de Paul Lautaud, ou Les Trois Impostures de Paul-Jean Toulet.Leurs auteurs se gardent bien comme leurs illustres devanciers, dailleurs desautoproclamer moralistes . Ils nen sont pas moins leurs hritiers directs. Commechez les moralistes classiques, cent ou cent cinquante ans plus tt, cest le mme jeu dedfinitions de prceptes dsabuss, de lois psychologiques drangeantes. Les titres derecueils indiquent assez lappartenance au genre : carnets , propos , rflexions Parfois, cest sy mprendre : on ne sait au juste si on est au grandsicle ou en 1900. De qui, par exemple, est la maxime : On nest jamais loin de

    dtester ce quon aime ? De Vauvenargues ? Non, de Paul Lautaud, Chamfort de larue de Cond , aux yeux de qui ce genre est la forme suprieure de la littrature .Qui a dit : Il faut la douleur bien de la sincrit pour quelle ne soit pas flattesecrtement dtre en spectacle ? La Rochefoucauld en 1665 ? Non : Paul Jean-Toulet,auteur des Trois Impostures, aux alentours de 1920. Qui a crit : Le plus souvent ce nesont que des mouvements dexubrance que lon prend, ou voudrait prendre pour de lagnrosit ? Pierre Reverdy, le pte de Main duvre, dans lun de ses recueils denotes. Mmes tours stylistiques, mmes amorces de phrase quau temps des classiques :Il faut , Il y a , Nous , mmes locutions restrictives nest que , Ce nest

    pas toujours par (exemple : Ce nest pas toujours par humilit que lon essaie derabattre de soi un excessif orgueil, mais par surabondance mme dorgueil , critReverdy).

    Bien sr, chaque auteur sapproprie la forme brve, lassouplit sa main. La symtrierecule. Corsete dans sa rigidit dancien rgime, la maxime cde la place laphorisme, plus libre, plus ail, plus spculaire, ou oraculaire Encore convient-il dene pas durcir artificiellement cette opposition, comme la not le critique Jean Lafond.Bien difficile en effet, dans de nombreux cas, de trancher : maxime ou aphorisme ? Cenest quau prix dune certaine caricature quon peut rduire, comme on le fait parfois,

    la maxime un pur discours dautorit , identifi un ordre du monde dpass ;dune autre caricature quon peut limiter la pense morale la maxime, qui nest que saforme la plus aigu.

    Quant au fragment , il est dj cultiv comme tel par La Bruyre et Vauvenargues ;cest partir de la lecture de Chamfort que les Romantiques allemands du cercle dInalui donnent un statut littraire. Et le tour nigmatique , dont on fait parfois la marque

    propre de laphorisme est dj lune des possibilits de la maxime d lge classique

    La permanence du propos est tout aussi frappante que celle des formes. Trois siclesaprs La Rochefoucauld, Jouhandeau, grand lecteur des Maximes, met la mme nergieque celui-ci avait mise montrer que les vertus sont des vices cachs, prouver que nos

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    7/14

    vices peuvent tre des vertus. Conue comme une algbre des valeurs morales , sonuvre de moraliste dplace les frontires du bien et du mal, affirmant sans relche lasaintet de son abjection. Paul Lautaud se proclame moraliste rebours , PaulValry crit des Mauvaises penses et autres. Au XXe sicle comme au XVIIIe lamoralit, en tant que mensonge de lhomme lui-mme, reste la cible privilgie : Personne nest modeste, malgr la rvrence embarrasse ou lair timide quon prendquelquefois. Personne nest doux ; personne nest naturel ; personne nest de bonnefoi crivait le prince de Ligne. Il ne faut pas trop regarder travers les bonnesactions , prvient le duc le Lvis. Nous ne sommes bons que de ct , complteForneret. La morale ? Un talent de socit , affirme Remy de Gourmont, un art delinexcution des dsirs , une des branches de la politique gnralise , selon PaulValry. Aux Yeux de ce dernier, celui qui porte un

    LA ROCHEFOUCAULD (1613 1680) (31 - 46 page) :

    Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. (36 page)

    Les vieillards aiment donner de bons prceptes, pour se consoler de ntre plus en tat

    de donner de mauvais exemples. (38 page)

    PASCAL (1623 1662) (47 64 page) :

    Combien de royaumes nous ignorent ! (51 page)

    Le silence ternel de ces espaces infinis meffraie. (56 page)

    Tout notre raisonnement se dduit cder au sentiment. (60 page)

    Lhomme nest ange ni bte, et le malheur veut que qui veut faire lange fait la bte. (63

    page)

    La Bruyre (1645 1696) (79 100 page) :

    Il me semble que lon dit les choses encore plus finement quon ne peut les crire. (88page)

    Il faut avoir trente ans pour songer sa fortune ; elle nest pas faire cinquante ; lonbtit dans la vieillesse, et lon meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers. (90page)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    8/14

    Il faut des saisies de terre et des enlvements de meubles, des prisions et des supplices,je lavoue ; mais justice, lois et besoins part, ce mest une chose toujours nouvelle decontempler avec quelle frocit les hommes traitent dautres hommes. (95 page)

    Lon voit certains animaux farouches, des mles et des femelles, rpandus par lacampagne, noirs, livides et tout brls de soleil, attachs la terre quils fouillent etquils remuent avec une opinitret invincible ; ils ont comme une voix articule, etquand ils se lvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont deshommes ; ils se retirent la nuit dans des tanires, o ils vivent de pain noir, deau et deracines ; ils pargnent aux autres hommes la peine de semer de labourer et de recueillir

    pour vivre, et mritent ainsi de ne pas manquer de ce pain quils ont sem. (95 page)

    Chaque heure en soi comme notre gard est unique : est-elle coule une fois, elle apri entirement, les millions de sicles ne la ramneront pas : les jours, les mois, les

    annes senfoncent et se perdent sans retour dans labme du temps ; le temps mmesera dtruit ; ce nest quun point dans les espaces immenses de lternit, et il seraeffac : il i a de lgres et frivoles circonstances du temps qui ne sont point stables, qui

    passent, et que jappelle des modes, la grandeur, la faveur, les richesses, la puissance,lautorit, lindpendance, le plaisir, les joies, la superfluit. Que deviendront ces modesquand le temps mme aura disparu ? La vertu seule, si peu la mode, va au-del destemps. Les Caractres. (99 page)

    MONTESQUIEU (1689 1755) (101 116) :

    Pour bien crire, il faut sauter les ides intermdiaires, assez pour ntre pas ennuyeux ;pas trop, de peut de ne pas tre entendu. Ce sont ces suppressions heureuses qui ont faitdire M. Nicole que tous les bons livres taient doubles. (108 page)

    Aimer lire, cest faire un change des heures dennui que lon doit avoir en sa vie,contre des heures dlicieuses. (110 page)

    Je mettrai toujours au nombre de mes commandements, de ne parler jamais de soi envain. (114 page)

    Maxime admirable : de ne plus parler des choses aprs quelles sont faites. (114 page)

    Les Deux Mondes. Celui-ci gte lautre, et lautre gte celui-ci. Cest trop de deux. Ilnen fallait quun. Mes penses. (115 page)

    Vauvenargues (1715 1747) (125 140) :

    Il ny aurait pas beaucoup dheureux sil appartenait autrui de dcider de nos

    occupations et de nos plaisirs. (129 page)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    9/14

    Lorsque la fortune veut humilier les sages, elle les surprend dans ces petites occasions,o lon est ordinairement sans prcaution et sans dfense. Le plus habile homme dumonde ne peut empcher que de lgres fautes nentranent quelquefois dhorriblesmalheurs. Et il perd sa rputation ou sa fortune par une petite imprudence, comme unautre se casse la jambe en se promenant dans sa chambre. (131 page)

    Cest un grand spectacle de considrer les hommes, mditant en secret de sentre-nuire,et forcs nanmoins de sentraider contre leur inclination et leur dessein. (133 page)

    Lindiffrence o nous sommes pour la vrit dans la morale vient de ce que noussommes dcids suivre nos passions, quoiquil en puisse tre. Et cest ce qui fait quenous nhsitons pas lorsquil faut agir, malgr lincertitude de nos opinions. Peumimporte, disent les hommes, de savoir o est la vrit, sachant o est le plaisir. (134

    page)

    Lorsquon est pntr de quelque grande vrit et quon la sent vivement, il ne faut pascraindre de la dire, quoique dautres laient dj dite. Toute pense est neuve, quandlauteur lexprime dune manire qui est lui. (136 page)

    La nettet est le vernis des matres. (138 page)

    CHAMFORT (1740 1794) (155 172) :

    La meilleure philosophie, relativement au monde, est dallier, son gard, le sarcasmede la gaiet avec lindulgence du mpris. (160 page)

    Quand on a t bien tourment, bien fatigu par sa propre sensibilit, on saperoit quilfaut vivre au jour le jour, oublier beaucoup, enfin, ponger la vie mesure quellescoule. (161 page)

    Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni toi ni personne, voil, je crois, toute la morale.(165 page)

    M, quon voulait faire parler sur diffrents abus publics ou particuliers, rponditfroidement : Tous les jours jaccrois la liste des choses dont le ne parle plus. Le plus

    philosophe est celui dont la liste est la plus longue. (171 page)

    RIVAROL (1753 1801) (173 186)

    Ce monde est un grand banquet o la nature convie tous les tres vivants, conditionque les convives se mangent les uns les autres. (177 page)

    Un courtisan rpondit un jour Louis XV qui lui demandait lheure : Sire, lheurequil plaira Votre Majest (178 page)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    10/14

    JOUBERT (1754 1824) (187 202) :

    Locke dit : que les maximes nclairent pas . Non, mais elles guident, ellesdirigent, elles sauvent aveuglment. Cest le fil dans le labyrinthe, la boussole pendantla nuit. (192 page)

    Une pense est une chose aussi relle quun boulet de canon. (193 page)

    Fivre. Dans les marais de la raison.

    Cette philosophie qui soccupe perptuellement de ce quil faut croire, et jamais de cequil faut faire, ni de ce quil faut tre. (198 page)

    LE DUC DE LEVIS (1764 1830) (203 210) :

    Ce quil y a de plus difficile dans la vie, cest de savoir jusqu quel point il fautchercher vaincre la fortune avant que de se rsigner son sort. Cder trop tt, cestlchet ; trop tard, cest folie. (206 page)

    Noblesse oblige. (206 page)

    Gouverner, cest choisir. (209 page)

    SAINTE-BEUVE (1804 1869) (217 224) :

    Ce qui me fait dire que la vie en commenant ressemble un labyrinthe, un ddale deverdure o ceux qui marchent, perdus dans une foule de petits sentiers, se croient centlieues les uns des autres, tandis quils ne sont spars en effet que par une charmille ; au

    bout du labyrinthe, et quand les erreurs en sont puises, les promeneurs surpris seprouvent tous stre comme donn rendez-vous sur un espace de terrain assez born,aride et nu. (221 page)

    Jai eu quelquefois la louange perfide. (222 page)

    Je suis arriv dans la vie lindiffrence complte. Que mimporte, pourvu que je fassequelque chose le matin et que je sois quelque part le soir ! Un travail quelconque etune distraction quelconque, cest assez. (223page)

    Quel est donc le mystre de la vie ! Elle devient plus difficile et on la sent qui secomplique davantage mesure quon avance et quelle semble plus dpouille et plusvive. Mes poisons. (224 page)

    BARBEY DAUREVILLY (1808 1889) (225 230) :

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    11/14

    La plupart des moralistes me font leffet de gens, maltraits par les femmes ou qui, dumoins, ne leur plaisent plus. (228 page)

    CHARLES BAUDELAIRE (1821 1867) (237 246) :

    Il y a dans lacte de lamour une grande ressemblance avec la torture, ou avec uneopration chirurgicale. (241 page)

    Le stocisme, religion qui na quun sacrement, - le suicide ! Fuses. (243 page)

    Il serait peut-tre doux dtre alternativement victime et bourreau. (243 page)

    Lhomme desprit, celui qui ne saccordera jamais avec personne, doit sappliquer aimer la conversation des imbciles et la lecture des mauvais livres. Il en tirera des

    jouissances amres qui compenseront largement sa fatigue. (245 page)

    REMY DE GOURMONT (1854 1915) (247 256) :

    La morale est un talent de socit. Des pas sur le sable. (252 page)La vie et la conscience sont des phnomnes si absolument incomprhensibles quenralit nous ne pouvons-nous baser que sur le sentiment pour rejeter la possibilit dunevie ultrieure. (254 page)

    M disait : la vie finit toujours par vous apprendre quil ni a rien et que tout estinutile. Seulement chez moi cela arrive un peu tt. (256 page)

    PAUL-JEAN TOULET (1867 1920) (257 266) :

    Au dsert de la vie, se sentir aim tout coup (car cela aussi arrive) cest comme Robinson le pas du sauvage. On a peur dabord ; et puis de mourir desprance. Onsonge de ntre plus seul. On songe. (261 page)

    Entre les volupts qu deux lon se doit, ce nest pas la moindre que de savilir. (262page)

    Quoi, Jsus sans une pierre o reposer sa tte ? Et votre cur, femmes de Galile ? (263page)

    Ce nest quen soi, et de soi-mme dchir, quon puise la sagesse : si tu as soif dusavoir, bois ton sang. (265 page)

    PAUL VALERY (1871 1945) (277 288) :

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    12/14

    Les raisons qui font que lon sabstient des crimes sont plus honteuses, plus secrtesque les crimes. (281 page)

    La menace de laveu. Si vous voyiez mon me, vous ne pourriez pas djeuner. (282 page)

    La vie est peine un peu plus vieille que la mort. (283 page)

    Toute morale repose, en dfinitive, sur la proprit humaine de jouer plusieurspersonnages. (284 page)

    Je suis honnte homme, nayant jamais assassin, jamais vol, ni viol que dans monimagination.Je ne serais pas honnte homme sans ces crimes. (285 page)

    Qui na jamais press le pas vers un pitre ? (287 page)

    JACQUES CHARDONNE (1884 1968) (297 306) :

    Les maux ternels, laigreur de lenvie, la dmence de la jalousie, lennui, la maladie, lamort des autres, le prochain insupportable, laveuglement du cur, limpossibilit degoter vraiment ce que lon possde, lamertume dtre un homme, rien ne pourra nousen gurir ; on retrouvera tout cela quand on aura retourn dix fois la socit. (302 page)

    Il y a une grce, une cadence, une majest de la phrase que lcrivain soucieux de gloireemprunte au got de lpoque. Cest par l quil vieillit. Le style qui a rsonn avec tropde charme steint. Le temps conserve de prfrence ce qui est un peu sec. (303 page)

    Un feu durable ? La jalousie, bien sr. Derniers Propos comme a . (306 page)

    MARCEL JOUHANDEAU (1888 1979) (307 318) :

    Les pires dsirs errent parfois le soir au-dessus de moi comme de grands oiseaux quela puret de mes profondeurs effraie et attire. (311 page)

    Il me tarde quarrive le soir pour disperser le monde et me retirer au milieu dunegrande fort quhabite un trange animal : mon corps. (312 page)

    Quil se mle livresse des sens la moindre sentimentalit, la moindre passion depersonne personne, une quelconque proccupation dgards, et tout est fauss. Rien nese passe plus simplement. Or, il faut faire table rase , jusqu ce quil ne sagisse plusque de labandon lun lautre de deux corps galement dtachs de tout, except

    chacun de la recherche forcene de son propre plaisir, comme sil tait seul. Alorsseulement un dieu semble avoir affaire un dieu. (315 page)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    13/14

    PIERRE REVERDY (1889 1960) (319 326) :

    Plus on vieillit, plus on devient tranger. Plus il devient difficile de rester uni quiconque autrement que par les fils mtalliques de lesprit. (325 page)

    En somme, cest mme le rel que lhomme a fini par dnommer le mal. Quant au bience nest la plupart du temps que la masse dineptes expdients quil accumule poursoutenir la gageure de sa vie en socit. (326 page)

    HENRY DE MONTHERLANT (1896 1972) (327 338) :

    LAnglais ne se presse pas. Le Franais du XVIIe sicle, le Japonais de la grande poqueexpriment un peu au-dessous de ce quils ont exprimer. Lorateur romain (Quintilien,

    je crois, dixit) ne lve pas la main plus haut que sa tte. Ltre de sagesse a beaucoup deloisir, bien quil feigne, pour dsarmer lenvie, dtre toujours accabl daffaires. (331

    page)

    Vive qui mabandonne ! Il me rend moi-mme. (331 page)On fltrit du nom de dilettante un homme qui aime tout ce qui mrite dtre aim. (331

    page)

    LOUIS SCUTENAIRE (1905 1987) (339 346) :

    La vie cest moi. (342 page)

    Lavenir nexiste quau prsent. (344 page)

    EMIL CIORAN (1911 1995) (347 358) :

    Dans les preuves cruciales, la cigarette nous est dune aide plus efficace que lesvangiles. (351 page)

    Un philosophe du sicle dernier a soutenu, dans sa candeur, que La Rochefoucauld avaitraison pour le pass, mais quil serait infirm par lavenir. Lide de progrs dshonorelintellect. (353page)

    Laphorisme ? Du feu sans flamme. On comprend que personne ne veuille syrchauffer. (353 page)

    Publier un livre comporte le mme genre dennuis quun mariage ou un enterrement.(357 page)

    Il arrive un moment o on nimite plus que soi. (357 page)

  • 7/27/2019 MAXIMES ET AUTRES PENSEES REMARQUABLES DES MORALISTES FRANAIS

    14/14