MÉMOIRE
De: L'incubateur d'entreprises agroalimentaires de Mirabel (IEAM) 9850, rue de Belle-Rivière, Mirabel (Québec) J7N 2X8
Téléphone: (450) 434-8150 poste 5764
À: La Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois
Par: Monique Paquette, coordonnatrice
Christine Ferland, ex-incubée
Ann Lévesque, incubée
Thème: Le démarrage de nouvelles entreprises agricoles, est-ce possible?
Où: Lachute, 5 juin 2007
Madame, Messieurs les commissaires,
Le Conseil d'administration, la coordonnatrice et la clientèle de l'Incubateur d'entreprises
agroalimentaires de Mirabel (IEAM) souhaitent partager avec vous l'expérience unique que nous
vivons depuis septembre 1998 concernant le support au démarrage de nouvelles entreprises
agricoles dans la région de Mirabel.
La présentation sera faite par Monique Paquette coordonnatrice depuis la mise en place de
l'organisme, ex-productrice agricole et mère de 3 fils producteurs agricoles; elle sera
accompagnée de mesdames Christine Ferland et Ann Lévesque, clientes de l'Incubateur.
1. HISTORIQUE ET MANDAT
L'Incubateur est né d'une concertation régionale suite à une problématique identifiée au
milieu des années 1990 principalement par des représentants du Centre de formation
agricole de Mirabel (CFAM) et du MAPAQ régional concernant le manque
d'encadrement des finissants dans les programmes de formation agricole (DEP, AEC,
DEC, ASP Lancement d'une entreprise) qui veulent démarrer de nouvelles entreprises
agricoles.
Le comité provisoire chargé d'étudier la question a décidé de mettre en place un organisme à but
non lucratif dont le mandat serait d'encadrer des personnes formées en agriculture durant les
périodes allant du pré-démarrage (1-2 ans avant) au démarrage (5 ans après) de leurs entreprises.
2. CONSEIL D'ADMINISTRATION ET PARTENAIRES
Le conseil d'administration de l'Incubateur est composé de partenaires qui endossent la
mission de l'organisme et qui la supportent d'une façon ou d'une autre:
- Le Centre de formation agricole de Mirabel
Fournit gratuitement un bureau pour la coordonnatrice avec service de secrétariat,
téléphone, télécopieur, ordinateur, salle de réunion, etc..
Fournit gratuitement du terrain de la ferme-école pour la localisation des infrastructures
de l'IEAM soit 2 serres de production et 10 parcelles totalisant 6 hectares de terre drainée
et irriguée.
Fournit gratuitement l'accès à l'eau d'un puits et l'usage de certains équipements et
machineries agricoles.
Collabore avec les professeurs dans le cadre des programmes de formation
professionnelle et technique à la mise en place et à l'entretien des avoirs de l'Incubateur:
exemple, ce sont les élèves du DEP en production horticole qui ont construit les serres, ce
sont les élèves du DEP en mécanique agricole qui font l'entretien et la réparation du
tracteur et de la machinerie ou encore ce sont les étudiants du DEC en technologie de la
production horticole et de l'environnement qui règlent certains problèmes de drainage,
compaction, techniques de production dans nos serres et nos champs.
- Le Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation
Finance en partie le fonctionnement de l'organisme dans le cadre de son programme.
Appui au développement et à l'adaptation de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
Analyse et commente les plans d'affaires déposés par les incubés, incubées.
- Le CLD de Mirabel
Finance la mise en place et l'amélioration de nos infrastructures dans le cadre du
programme Pacte rural: la construction de 2 serres style Ovaltech de Harnois de 96' x 32'
avec bâtisses attenantes qui servent de pouponnières, la remise en culture d'une parcelle
de terrain non cultivé depuis l'expropriation de Mirabel, l'achat d'équipements agricoles,
etc.
Supporte plusieurs de nos incubés avec les programmes de "Jeunes promoteurs" et
Soutien au travailleur autonome" d'Emploi-Québec.
- La ville de Mirabel
Loue au CFAM le terrain de la ferme-école pour 1 $ par année ce qui permet à
l'Incubateur d'avoir des parcelles de terre à offrir gratuitement aux incubés.
- Le CLE de Ste-Thérèse
Finance l'embauche d'un agronome conseiller technique pour un contrat de 80 heures par
année pour le suivi des productions, des récoltes, de l'organisation du travail, de
l'établissement des priorités, des contacts et sources d'information.
Finance l'embauche d'un technicien pour l'utilisation sécuritaire et fonctionnelle des
équipements et de la machinerie du CFAM et de l'IEAM pour un contrat de 70 heures par
saison
Finance la coordination de ces 2 emplois à temps partiel
- Autres membres du CA
La Financière agricole du Québec, le syndicat de base de l'UPA Sainte-Scholastique-
Mirabel et le Collège Lionel-Groulx apportent aussi un appui important comme
partenaires au niveau du réseautage, de la formation et de l'information.
- Autres partenaires financiers
L'IEAM a bénéficié depuis son implantation de subventions importantes du ministère des
Affaires municipales et de la Métropole via le volet développement de la Métropole et
aussi de l'ex-conseil régional de développement des Laurentides (CRÉ).
3. LE FONCTIONNEMENT
Le Conseil d'administration se rencontre 5 fois par année comprenant l'assemblée
générale annuelle. Des comités ad hoc sont formés pour analyser et prendre position sur
certaines questions. Le CA embauche une personne 2 jours par semaine pendant 10 mois
pour exécuter les mandats de l'organisme et offrir les services aux incubés(es). Le budget
de fonctionnement est d'environ 25 000 $ par année.
4. LA CLIENTÈLE
Notre clientèle est principalement composée de gens formés en agriculture non issus du
milieu agricole qui veulent démarrer de petites entreprises généralement biologiques,
faire la transformation de leurs produits dans certains cas et dans tous les cas avoir un lien
direct avec leurs consommateurs pour leur mise en marché.
L'incubateur compte 10 entreprises en démarrage présentement, qui sont en moyenne à
leur 2 1/2 année de production. Sept d'entre eux possèdent ou louent leur propre fonds
de terre. La moyenne d'âge est d'environ 35 ans. La première année peut servir à
expérimenter ses techniques de production, de gestion et de mise en marché et aussi
valider son intérêt, sa passion pour la profession d'agriculteur(trice). À la deuxième
année, les incubés(es) doivent déposer un plan d'affaires.
5. L'OFFRE DE SERVICES.
Depuis la mise en place de l'organisme, l'Incubateur grâce à ses
partenaires offre une multitude de services à sa clientèle:
Consultation et encadrement professionnel au niveau de la technique, de la gestion, du
financement, de l'analyse du plan d'affaires et de la mise en marché. (Cette année l'IEAM
travaille à la mise en place d'un marché public biologique sur le site de la ferme-école,
lieu de production de certains incubés).
Possibilité d'occuper des espaces de terrain, de serres, de bâtisses de l'IEAM, du CFAM
ou d'ailleurs.
Utilisation de la machinerie de l'IEAM ou du CFAM.
Réseau de contact avec des fournisseurs de biens, de services et de conseils techniques.
Support moral et suivi individuel.
Programme de main-d'œuvre étudiante avec Placement carrière été.
Accès à un bureau, téléphone, télécopieur, photocopieur, ordinateur, internet au CFAM.
Recherche de programmes de financement et de programmes de formation.
Accès au centre de documentation et occasionnellement au personnel du CFAM.
Invitation à des colloques, symposiums, journées d'étude, visites d'entreprises.
6. RÉSULTATS
Depuis le début de ses opérations, l'Incubateur a accompagné une vingtaine de diplômés
d'écoles d'agriculture qui souhaitent développer de nouveaux produits souvent
biologiques, produire des aliments sains tout en protégeant l'environnement et vivre de
l'agriculture.
Les projets d'entreprises sont souvent innovateurs et demandent plusieurs années de
recherches et d'expérimentations surtout au niveau des techniques de production. Très
souvent, l'expérience nous a démontré que la demande pour ces produits dépasse la
capacité de production de nos incubés et pour répondre à la demande croissante, il faut
investir, augmenter la production, engager de la main-d'œuvre, réorganiser sa mise en
marché, en résumé, gérer la croissance ce qui n'est pas évident parce qu'en fait, cette
clientèle est encore à la phase démarrage.
C'est ainsi qu'après la 3e année, plusieurs abandonnent l'idée d'avoir leur propre
entreprise parce que financièrement ils n'ont pas obtenu les résultats escomptées et qu'ils
ne peuvent plus compter sur le salaire du conjoint ou les économies accumulés.
En agriculture, il est extrêmement difficile pour quelqu'un qui démarre une nouvelle
entreprise d'atteindre la rentabilité les premières années et quoiqu'on en pense, les
programmes d'aide à cette relève ne s'appliquent généralement pas.
Couvés par l'incubateur les 2-3 premières années, nos incubés ont de la difficulté à
passer à l'étape de l'entreprise viable et rentable; alors ils quittent la production pour
occuper de bons emplois connexes à l'agriculture puisqu'ils sont formés en rêvant d'y
revenir un jour lorsqu'ils auront gagné leur vie et celle de leur famille.
7. CONCLUSION
De par son mandat, l'IEAM veut aider des personnes qui par choix et par passion se sont
orientées vers l'agroalimentaire; elles ont d'abord investi quelques années en formation
agricole, ensuite mobilisé l'entourage à leur projet d'établissement et suivi les étapes qui
mènent au démarrage.
Que manque-t-il à cette clientèle pour passer du rêve à la réalisation de leur projet?
Je laisse à deux représentantes de nos incubés le soin de raconter leurs expériences et de
proposer leurs pistes de solutions.
Monique Paquette
Coordonnatrice de l'IEAM
FERME Semi-SédenTerre Le projet de la ferme Semi-SédenTerre a commencé lors de la rencontre d’Ann Lévesque et de
Martin Dostaler en 2003. Ces 2 personnes se sont croisées car elles étaient toutes les deux en
stage sur la même ferme (la ferme Cadet-Roussel) pour obtenir une expérience concrète en
agriculture biologique. Depuis ce temps, ces 2 jeunes passionnés de l’agriculture écologique
n’ont jamais quitté ce domaine. Ils ont effectué un autre stage de 6 mois à la ferme biologique
(La Rosée) et Martin y occupa un emploi l’année suivante pour toute la saison.
Ann travaille depuis l’automne 2004 pour le réseau d’agriculture soutenu par la communauté
(ASC) d’Équiterre. Ann et Martin ne sont pas directement issus d’une famille d’agriculteurs
toutefois, leurs parents et grands-parents l’étaient. Les raisons pour lesquelles ils ont choisi le
métier d’agriculteur sont liées à leurs valeurs environnementales, sociales et leur amour de la
terre. Selon eux, l’agriculture biologique est un mode de vie et un moyen concret pour
sauvegarder l’environnement et la ruralité tout en contribuant à la santé de la population et des
campagnes.
En 2006, une occasion s’offre à eux soit celle de joindre l’Incubateur d’entreprises
agroalimentaires de Mirabel (IEAM) pour partir le projet de la ferme Semis-
SédenTerre. L’IEAM leur permet d’avoir accès à un fonds de terre et à des services facilitant le
démarrage de leur entreprise agricole. L’IEAM leur offre une serre, un espace chauffé et
lumineux pour partir leurs semis, l'accès à de l’équipement et de la machinerie agricole de
location ainsi qu’à un appui technique en agronomie et en démarrage d’entreprise.
La ferme est membre de l’IEAM pour la somme de 150$ par année et peut cultiver sur le site
pour une durée maximale de 5 ans. La ferme Semis-SédenTerre est à sa deuxième année
d’opération et cultive pour 50 familles de juillet à fin septembre par l’entremise des paniers ASC.
L’IEAM donne un véritable coup de main à cette jeune entreprise. Avec les investissements du
départ, la ferme ne dégage pas encore assez de revenu pour payer des salaires à quiconque.
Comme toutes les entreprises agricoles membres de l’IEAM, la ferme Semis-SédenTerre cultive
en régie biologique. Elle partage entre les membres la certification et les frais qui en découlent.
La demande de certification conjointe entre les membres de l’IEAM diminue les coûts liés à la
certification et par ce fait même, les coûts d’opération d’une ferme en démarrage.
La majorité des ventes de la ferme Semis-SédenTerre sont réalisées par l’entremise des paniers
ASC. L’agriculture soutenue par la communauté (ASC) est un partenariat entre une ferme et un
groupe de consommateurs. Les citoyens s’engagent financièrement auprès de la ferme au
printemps pour une livraison de 12 paniers hebdomadaires de fruits et légumes à partir du début
juillet jusqu’à la fin septembre. En revanche, la ferme produit une très grande gamme de fruits et
légumes pour les nourrir pendant toute cette période. La ferme est membre du réseau québécois
des projets d’ASC d’Équiterre. Cet organisme assume la coordination du réseau d’ASC au
Québec. Il permet d’avoir accès à une multitude de services relatifs à ce mode de mise en
marché alternatif et d’échanger avec les autres fermes biologiques participant au mouvement de
l’ASC.
La durée maximale du partenariat avec l’IEAM est de 5 ans. Devant ce constat, la ferme est à la
recherche d’une terre à vendre ou avec location de longue durée. La ferme a de la difficulté à
trouver une terre d’une vingtaine d’acres et plus à vendre ou à un prix abordable. Les terres avec
des bâtiments sont vendues, pour la majorité, à des prix inaccessibles pour la jeune relève
agricole de première génération. Il est cependant possible d’acheter une petite terre sans
résidence toutefois l’institution financière demandera à l’acheteur une mise de fond se situant
entre 25 à 50 % la valeur du fonds de terre. À moins d’avoir de l’aide financière de la famille
immédiate, il est difficile pour la relève agricole de financer une mise de fond trop élevée.
Malgré leur attachement aux Basses-Laurentides, la ferme Semis-SédenTerre envisage de
s’établir loin des grands centres urbains car la spéculation foncière est moins prononcée là-bas.
En payant moins chère leur terre, les 2 jeunes pourront vivre de l’agriculture plus rapidement
sans avoir à travailler à l’extérieur de la ferme pour payer leurs dettes. La ferme doit trouver des
solutions pour diminuer son endettement lié au démarrage si elle veut être viable
économiquement en peu de temps. Ann et Martin ne sont pas fermés à l’idée de louer une terre
avec un bail à long terme si le contrat de location les protège du danger de perdre l’accès à la
terre à court et moyen terme. Ils sont également ouverts à de nouvelles initiatives qui leurs
permettraient de cultiver, le temps qu’ils voudraient, sans avoir à prendre en charge le fardeau
des paiements trop lourds liés à l’achat du fonds de terre.
Étant donné que la ferme est locataire, elle n’a pas encore fait une demande de financement
auprès de la Financière agricole du Québec (FADQ). Ils ont toutefois contacté la FADQ à
maintes reprises pour s’informer sur les différents modes de financement. Ann a le droit à une
prime à l’établissement de 30 000$ car elle détient une formation universitaire en environnement
et en agriculture écologique de McGill. Martin est chef cuisinier de formation mais n’est pas
admissible à cette subvention malgré son expérience terrain, ses connaissances dans le domaine,
son professionnalisme et son amour du métier. D’ici 5 ans, la ferme espère accéder à la totalité
de sa prime à l’établissement car celle-ci envisage de générer un emploi à temps plein pour
qu’Ann puisse vivre exclusivement de la ferme.
L’IEAM permet à la ferme Semis-SédenTerre de se faire une solide expérience en agriculture.
Depuis 2 ans, Ann et Martin apprennent le métier d’agriculteur tout en se bâtissant une clientèle.
D’ici la fin du partenariat avec l’IEAM, la ferme aura accumulé des actifs (outils, machineries,
capitaux, etc.) qui lui permettra de faciliter son transfert vers un nouveau lieu de cultures.
Malgré la rareté des terres à prix abordables et réalistes pour permettre le démarrage d’une ferme
de première génération, Ann et Martin sont tout de même positifs à l’égard du futur. Leur
conviction et détermination à pratiquer l’agriculture biologique leur porteront sûrement fruits. Si
le Québec veut encore des fermiers d’ici 10-20 ans, il faudra que ce dernier se questionne si
l’entrée dans ce secteur est viable et réalisable pour la jeunesse. Ann et Martin sont deux jeunes
qui attendent (et qui sont même déjà en action) juste pour ça. Pourront-ils réaliser leur rêve
jusqu’au bout pendant qu’ils sont encore jeunes ou devront-il attendre leur retraite pour qu’il se
concrétise?
RECOMMANDATIONS
La CPTAQ, le MAPAQ et la FADQ doivent reconnaître qu’il est possible de vivre du
maraîchage biologique diversifié sur une petite superficie de terre. En effet, seulement 4
hectares peuvent suffire pour le démarrage d’une production en ASC rentable, qui pourra
nourrir 210 familles.
Faciliter au sein de la CPTAQ, le morcellement des terres à l’intérieur de la zone verte
pour permettre la production agricole sur de petites superficies et à la relève agricole de
s’y installer.
Enlever les terres agricoles de la spéculation foncière.
Diminuer la mise de fonds demandée (de 25 à 50%) lorsqu’il s'agit de l’achat d’une terre
agricole sans bâtiment pour que les fermes agricoles de première génération puissent en
acquérir plus facilement financièrement.
Multiplier les projets d’incubateurs d’entreprises agroalimentaires à grandeur du Québec
ou du moins dans les secteurs où l’on enseigne l’agriculture pour permettre à la relève
non familiale (ou de 1ère génération) de démarrer en agriculture et d’acquérir une solide
expérience dans ce domaine.
Financer les projets d’incubateurs d’entreprises agroalimentaires déjà existants.
Développer des alternatives à l’achat d’un fonds de terre pour la relève agricole telles que
les fiducies foncières, les baux de 100 ans ou à long terme, les projets de valorisation des
terres en friche et des coopératives de travail et solidarité.
Le développement de fiducie foncière agricole doit être favorisé pour préserver les terres
agricoles périurbaines de la spéculation et de permettre à la relève de les cultiver sans
avoir à porter le fardeau financier lié à l’achat d’un fond de terre.
Un bonus de 5 000 $ à l’établissement pour les fermes biologiques doit être
établi par la Financière Agricole du Québec pour encourager les bonnes pratiques
agricoles et stimuler l’offre québécoise en aliments biologiques.
Une redevance devrait être accordée aux agriculteurs qui protègent les variétés anciennes
(végétales et animales), façonnent le territoire, rehaussent les saveurs de notre terroir et
contribuent à éduquer la population au monde agricole soit via l’agrotourisme, les
marchés publics et l’ASC.
Un programme doit être établi par le MAPAQ pour rembourser les coûts
reliés à la certification biologique spécialement pour les fermes en démarrage.
Appuyer financièrement la création et le maintien des initiatives de circuits courts de
mise en marché tel que les kiosques à la ferme, les marchés publics, le réseau québécois
des projets d’ASC, les marchés de solidarité, etc.
Éduquer les citoyens sur les vrais coûts des aliments pour permettre aux agriculteurs de
vendre leurs aliments à un juste prix.
Enlever l’agriculture de l’OMC et miser sur la souveraineté alimentaire du pays.
Valoriser les métiers d’agriculteur et d’ouvrier agricole auprès des jeunes et moins
jeunes.
Rédaction : Ann Lévesque, 23 mai 2007
Mémoire IEAM Témoignage de Christine Ferland, ex-incubée Le Jardin des Saveurs Cher président, cher(e)s commissaires,
Le témoignage qui suit est le récit des difficultés que mon mari et moi avons vécues dans
l’établissement de notre entreprise agricole au cours des cinq dernières années. Mon but est de
faire connaître les embûches que connaissent les jeunes de la relève agricole non issus du milieu
agricole. C’est aussi de partager avec vous les problèmes rencontrés par les producteurs de
produits du terroir et de produits spécialisés. Comme vous pourrez le constater, quelques-unes
des problématiques soulevées dans mon témoignage rejoignent l’ensemble de la relève agricole
et soulèvent des questions fondamentales pour l’avenir des marchés de niche au Québec.
Les années de préparation
J’ai gradué de l’université McGill en agronomie en 1999 avec mon conjoint Jérôme Plante qui
graduait simultanément du programme de Génie Agricole de la même université. Au cours de
l’été 1998, nous avons travaillé sur une ferme de la Nouvelle-Écosse récemment établie dans la
production de légumes de spécialités biologiques. C’est ainsi qu’est né notre rêve de devenir
agriculteurs. Non seulement ces gens avaient réussi mais eux aussi n’étaient pas issus du milieu
agricole. En terminant nos études, nous avons été embauchés par une entreprise du Michigan,
près de Détroit. Les agronomes sont plus rares là-bas et le salaire est meilleur. Surtout, ils ont de
l’équipement à la fine pointe de la technologie. C’est dans les 15 acres de serres de POST
GARDENS Inc. que j’ai fait mes premières expériences en gestion de personnel et en production
serricole. Mon mari était alors en charge des équipements et des bâtiments. Au bout d’une année,
nous étions de retour au Québec. Nous étions maintenant convaincus que nous avions les
capacités pour gérer ce type d’entreprise. Le problème, c’était le capital de départ. Nous étions
jeunes, avions des prêts et bourses à payer. Nous avons vite compris que nos emplois en
agriculture, bien que passionnants, ne nous permettraient pas de ramasser les fonds nécessaires ;
c’est navrant mais je ne vous apprends rien. Jérôme avait de l’expérience en climatisation,
chauffage et en génie du bâtiment pour avoir travaillé pour mon père qui avait une entreprise de
distribution dans ce domaine. Il s’est facilement trouvé un emploi dans ce secteur. Pour ma part,
je savais gérer des employés et j’avais de la facilité avec les chiffres. Par un coup de chance
inespérée, j’ai été engagée par Telus, division systèmes nationaux comme adjointe du directeur
des ventes et directrice des ressources humaines pour le bureau de Montréal pour un
remplacement. J’avais performé à l’entrevue malgré le fait que je n’avais pas de diplôme en
administration ou en commerce.
L’achat de la ferme
Après plusieurs mois de travail, presque 2 ans, nous avions amassé assez de fonds pour acheter
une fermette à Mirabel. Mais pas question de passer par La Financière agricole. Leur premier
argument était simple ; nous n’avions pas de chiffre ou de plan d’affaire. C’était vrai. Par contre,
nous avons eu droit à plusieurs autres arguments tels que le peu d’expérience en agriculture. Ce
qui se traduit, si on lit entre les lignes, par pas de parents en agriculture. C’est vrai, je ne conduis
pas de tracteur depuis que j’ai 12 ans mais de là à dire que je n’ai pas d’expérience en
agriculture… Pas non plus de garanties, ce qui veut dire, pas la terre ou le quota des parents pour
garantir les prêts. Nous avons donc été voir la banque et avons acheté une maison avec un très
grand terrain. C’est beaucoup plus facile à financer ! La même valeur, la même maison, le même
terrain sauf que l’on ne disait pas que c’était pour faire de l’agriculture. Le banquier était rassuré,
nous avons eu notre première hypothèque. Le choix de Mirabel s’imposait à cause de
l’Incubateur d’entreprises agroalimentaires de Mirabel (IEAM) et du Centre de formation
agricole de Mirabel (CFAM). Enfin, de l’espoir. À partir de ce moment, tout se bouscule.
L’IEAM est un tremplin puissant et en un rien de temps, nous avons un plan d’affaires construit
avec l’aide du CLD et révisé par Monique Paquette, coordonnatrice de l’IEAM. Nous avons du
support technique des enseignants de l’école, nous avons des installations et de l’équipement
pour produire, nous avons de l’aide des élèves de l’école pour la récolte. Nous obtenons les
subventions pour le démarrage d’entreprise du CLD et d'Emploi-Québec comme le Soutien au
travailleur autonome et Jeunes Promoteurs pour l’achat d’équipement. Dans la région de
Mirabel, tous les intervenants locaux sont sensibilisés à l’agriculture grâce au CFAM et à
l’IEAM. Pour avoir vérifié auprès des CLD dans d’autres régions, je sais que ce n’est
malheureusement pas toujours le cas.
Nous gagnons ainsi plusieurs prix au concours québécois en entrepreneurship et plusieurs autres
concours reliés à l’entreprenariat. La production de légumes de spécialité en serre va de mieux en
mieux. Nous avons maintenant 2 ans de production et nous avons développé un marché auprès
des chefs cuisiniers de renom tel que Normand Laprise du Toqué et Anne Desjardins de L’eau à
la bouche. Nos revenus pour la superficie cultivée sont impressionnants. Près de 40 000$ dans
une serre de 3000 pieds carrés et un espace de terrain équivalent. Mais nous occupons toujours
des emplois à l’extérieur. Moi comme représentante d’une meunerie de la région et mon conjoint
comme spécialiste en économie d’énergie pour des firmes d’ingénierie en génie du bâtiment.
Nous étions à l’époque comme toutes les petites entreprises agricoles qui ont des productions
marginales et qui paraissent dans la Terre de chez-nous et la Presse dans le cahier du samedi.
L’avenir nous appartenait. Nous avions peu de dépenses, beaucoup de revenus par pied carré et
encore l’énergie du départ.
Le démarrage, le vrai !
En 2004, un complexe de serre de la région a été mis en vente. La terre et le complexe de serre
ont besoin d’améliorations mais le prix semblait raisonnable. Avant de faire une offre, nous
avons contacté une personne ressource très importante pour nous à la Financière agricole
rencontrée sur le conseil d’administration de l’IEAM. Très rapidement au téléphone, il a estimé
la valeur de l’entreprise agricole en vente, nous a indiqué les montants qui seraient attribués pour
l’achat d’une telle propriété. Nous avons fait l’offre, elle a été acceptée. Nous avons eu le
financement et nous avons emménagé. Pour la plupart des entreprises en démarrage, c’est ce
point qui est le plus difficile. Mais lorsqu'une entreprise fonctionne déjà et que l’on a des
personnes ressources d’un tel calibre, nous avons plus de chances de notre côté. Et encore là,
cela n’a pas été facile. Jérôme a dû effectuer plusieurs coups de téléphone pour faire aboutir le
dossier. C’était à la limite du harcèlement mais il ne lâchait pas prise. C’est en grande partie
pourquoi nous avons obtenu des résultats.
Nous avions un choix, essayer de vivre de l’agriculture ou continuer à cultiver à petite échelle en
travaillant à l’extérieur. Ici je fais une pause…. Oui, nous aurions pu décider de ne pas investir et
de prendre 10 ans pour bâtir notre entreprise. Mais ce n’était plus du jardinage que l’on voulait
faire. De plus, c’est épuisant d’avoir plusieurs emplois à la fois. Les bases semblaient solides, les
chiffres et l’expérience étaient là. Nous avons décidé de bouger…
Mais nous n’étions plus dans le petit nid douillet de l’IEAM et pour notre entreprise il s’agissait
d’une deuxième vie complètement différente de ce que nous avions vécue. En rétrospective, nous
croyons qu’il s’agissait du vrai démarrage de notre entreprise. Nous avons alors réussi à obtenir
la prime à l’établissement de mon conjoint. Un tour de force si on n’en croit ce que racontent
plusieurs jeunes agriculteurs. Mais le montant attribué a été littéralement englouti dans
l’amélioration du complexe de serre. Une goutte dans l’océan et le travail n’était pas complété.
L’aide au démarrage ressemblait à un rêve flou. Mais nous sommes vite retombés dans la réalité.
Nous avions fait des dépenses énormes comparativement à nos revenus et nous réclamions la
taxe sur les équipements subventionnés à l’aide de la prime à l’établissement. Les gens du
ministère du revenu ont donc décidé de nous faire une visite et de venir vérifier notre entreprise.
Ils ont retenu pendant près de 8 mois un montant de 10 000$ en retour de taxes. Ce montant
représentait pour nous un fonds de roulement essentiel. Après une longue bataille de chiffres,
nous avons récupéré presque la totalité du montant. L’anxiété et la perte de temps qu’avait
engendré cette aventure commençaient à laisser des séquelles. Alors il a fallu comprendre que
nous étions dans la cour des grands, dans la même catégorie tout d’un coup que tous les
producteurs déjà établis. Gérer les ventes, la distribution des produits et la production biologique
de variétés de tomates anciennes en serres étaient un défi de taille. Trop gros pour nos deux
épaules… Avec l’arrivée de notre petite fille, nous avions moins de temps et les semaines de 70 à
80 heures de travail devenaient impossibles. Les problèmes étaient complexes, bien que tous
deux compétents nous avions fait appel à l’agronome au club d’encadrement pour les
producteurs de tomates en serre. Mais comme le représentant n’arrivait pas a être reconnu par le
réseau agri-conseil de notre région, nous avons reçu une facture pour la totalité de ses services…
Après 2 années de production dans le complexe de serre, j’ai décidé d’arrêter mais mon conjoint
ne voulait pas lâcher. Nous étions tous les deux épuisés et financièrement c’était difficile. J’ai
décroché un poste d’enseignante au CFAM. À la fin de la deuxième année, il devait emprunter
de l’argent pour le roulement de l’entreprise. Même si les améliorations avaient augmenté la
valeur de l’entreprise, ni la banque ni la Financière agricole n’étaient prêtes à se mouiller
davantage. C’est le père de Jérôme qui a finalement accepté de refinancer en hypothéquant sa
maison. Au cours de cette dernière année, les choses roulèrent plus rondement. La popularité de
l’entreprise aidant, le kiosque du Marché Jean-Talon et le site Internet étaient beaucoup
fréquentés mais la culture de variétés anciennes de tomates n’est pas simple et la production a
souffert de maladies oubliées depuis longtemps. Nous arrivions à peine à joindre les deux bouts.
Ayant déjà bénéficié du soutien aux entreprises en démarrage, nous avons dû nous rabattre sur le
PCSRA et sur le programme Options. Mais notre entreprise passait entre les fentes du système.
Trop petite pour bénéficier de support financier et trop différente pour être comparée au modèle
en place. Nous n’avons pu bénéficier d’aucune aide financière mise en place pour les
agriculteurs. Nous avions 4 employés qui travaillaient pour nous et qui payaient leur impôt
comme tout le monde. Nous avions une clientèle établie et les distributeurs commençaient à nous
approcher sérieusement. Mais il fallait vivre, manger, se soigner et prendre soin de notre enfant.
Le temps et l’argent manquaient mais le potentiel était là. Que pouvions-nous faire de plus, la fin
de l’année arrivait et l’idée d’emprunter de nouveau de l’argent à la famille n’était plus une
option valable. Alors, quand ce n’est plus possible d’avancer, bien que l’agriculture soit une
passion, il faut avoir le courage de prendre une décision. Nous avons donc mis l’entreprise en
vente. La ferme a rapidement été achetée et les nouveaux propriétaires en prendront possession
au cours de l’été 2007. Nous n’avons pas fait faillite, les banques et La Financière agricole n’ont
pas perdu un sou dans notre aventure. Le prix de vente nous a permis de limiter les pertes et nous
remboursons tranquillement le montant restant de l’emprunt fait auprès du père de Jérôme. C’est
à contrecœur que Jérôme s’est trouvé un emploi comme ingénieur en efficacité énergétique. La
deuxième semaine de travail, il a été appelé comme consultant en géothermie pour un producteur
de concombres en serre sur la Rive-Sud de Montréal. Imaginez sa douleur. Quelle ironie. C’est
pourquoi c’est moi, Christine, qui vous écrit ce récit. J’ai mon poste d’enseignante au CFAM
avec des gens du milieu agricole et j’arrive à me contenter de ne plus avoir mon entreprise
agricole mais il n’y a aucun doute dans mon esprit que mon conjoint aurait préféré être
agriculteur toute sa vie. Il en parle régulièrement et refuse de croire qu’il va passer le restant de
sa vie dans son bureau d’ingénieur.
Les constats
Premièrement, les gens formés ayant la capacité de produire et de gérer une entreprise ne
poursuivent pas en agriculture car la qualité de vie n’y est pas. Mon mari et moi gagnons
de très bons salaires et avons le temps de prendre soin de notre famille depuis que nous
avons cessé d’opérer la ferme. Si les mécanismes de soutien au revenu des agriculteurs
auraient été accessibles, nous aurions probablement poursuivi notre production Les
productions spécialisées, biologiques ou du terroir devraient bénéficier d’une grille de
calcul à leur échelle. Les productions innovatrices ne sont pas soutenues et les producteurs
qui continuent de produire des cultures non rentables sont soutenus ( grandes cultures ). Ce
que nous suggérons est un juste milieu. Si une partie des sommes n’est pas investie dans
des productions d’avenir où la rentabilité est potentiellement meilleure, c’est l’ensemble de
l’agriculture qui court à sa perte. Mais nous n’avons pas le poids des syndicats des
producteurs de lait ou d’œufs, que pouvons nous-faire pour avoir notre part du gâteau ?
Deuxièmement, le financement des entreprises agricoles est difficile et dans plusieurs cas
pratiquement impossible. Si les banques ne partagent pas les risques et que La Financière
agricole se blinde de garanties à chaque fois qu’elle autorise un prêt, c’est le jeune en
situation précaire du démarrage d’une nouvelle entreprise qui les assume seul. La
Financière agricole devrait être le premier partenaire des entreprises agricoles et savoir
estimer et à la limite accepter de partager les risques pour favoriser la venue d’une
nouvelle relève. Mais nous avons dû nous battre pour obtenir du financement et utiliser
toutes les ressources à notre disposition. La banque qui finance l’achat de notre nouvelle
maison en banlieue nous a offert de payer notre hypothèque sur 40 ans …Nos hypothèques
pour l’entreprise agricole étaient sur 15 ans et ce n’était supposément pas négociable. Et
oui, les marchés financiers s’adaptent à la nouvelle réalité et à la mondialisation. Et le
financement en agriculture lui ?
Troisièmement, la prime à l’établissement ne peut constituer en elle-même toute l’aide
fournie au démarrage. Le montant n’est pas perdu, la valeur de l’entreprise augmente et
assure un développement économique supérieur. L’agriculture est un secteur primaire et
les investissements requis dans ce domaine sont énormes pour obtenir un retour sur
l’investissement. Donc plus d’argent et de support financier dans les premières années de
la production seraient nécessaires. Plafonner les prêts à 5%, ce n’est plus à jour dans la
nouvelle économie. Il faut revoir les mesures en place pour les gens de la relève et bonifier
les programmes, offrir des congés d’intérêt et du capital patient, étaler les paiements sur
une plus longue période, subventionner partiellement l’amélioration des infrastructures,
etc…
Dernièrement, la production de légumes spécialisés biologiques suscite souvent des
réactions. Nos clients trouvent ça rafraîchissant tandis que certains de nos amis
agriculteurs trouvent que c’est de la folie. Et ce l’est. Nous nous sommes fait dire que nous
courions à notre perte. Faire de l’agriculture est assez dur, faire de la recherche et du
développement des nouveaux produits, c’est de la pure folie. Voici l’aide que nous aurions
aimé obtenir :
Un programme d’aide et de soutien financier aux entreprises qui font de la recherche et du
développement en agriculture géré par le même organisme qui administre l’ensemble des
mesures de soutien à l’agriculture. C’est une façon d’assurer le développement de
l’agriculture par les agriculteurs. C’est responsabiliser et récompenser les producteurs pour
le développement de nouvelles techniques au lieu de remettre l’ensemble de l’argent à des
intervenants extérieurs. Encore là, une part du gâteau.
Pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple ? Parce que nous n’étions pas en
mesure d’acheter une entreprise plus conventionnelle avec quota par exemple. Nous ne
sommes pas des maniaques de la complexité, nous aurions été heureux d’acquérir une
entreprise déjà existante. Mais les mesures financières en place pour démarrer de nouvelles
entreprises sont insuffisantes. Il faut garder les entreprises en place et assurer une relève à
celles qui n’en ont pas car commencer à zéro, c’est extrêmement difficile.