La Farlède, 10 novembre 2005
« Il était un jour quelque part en prière.
Quand il eut fini, un de ses disciples lui dit :
« Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. » »
(Luc, chapitre 11)
« Mon enfant, lui dit le père,
tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ;
mais il fallait bien s'égayer et se réjouir,
parce que ton frère que voici était mort
et qu'il est revenu à la vie,
parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. »
(Luc 15, 31-32)
Prier à l’église avec Iéshoua
Dialogue judéo-chrétien et prière chrétienne.
2
Sommaire
Préface
Introduction
1) Iéshoua sur la croix et dans Son cœur,
avec Marie-Madeleine et Jean. 6
A) La prière de Marie de Magdala
B) La prière de Jean
C) Le peuple juif
2) Iéshoua au désert,
avec Jean-Baptiste. 22
A) La prière de Jean-Baptiste
B) La vie de prière
3) Iéshoua à l’église,
avec Pierre. 35
A) Le judaïsme éclairant le christianisme
B) La prière à l’église
C) Eucharistie et prière
4) Iéshoua à la maison,
avec Joseph et Miryam. 43
A) La prière de Joseph
B) La prière de Miryam
5) Iéshoua au mont des Oliviers et sur le rivage,
avec nous. 53
A) Sur le Christ resplendit le visage paternel de Dieu
B) Iéshoua
C) La prière avec Iéshoua
Conclusion
72
Annexes
75
3
Introduction
« Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de l’après-midi. »
(Actes 3,1)
Ce texte provient d'une observation simple. Les musulmans prient cinq fois par jour,
les juifs trois fois, les bouddhistes plusieurs heures… et les chrétiens ? Pourquoi les chrétiens,
et plus précisément les catholiques, ne se retrouveraient-ils pas au moins une fois par jour à
l’église pour prier ensemble ?
Evidemment, s'il s'agit d'un chapelet bâclé ou d'une prière lue mécaniquement sans
attention, on peut se demander s’il s'agit bien de prière. Prier est un travail, et un travail
appliqué. La prière est le travail de l’amour : c’est aussi un moment agréable de repos, de
communion avec Celui qu'on prie, avec nos compagnons de prière, et avec ceux pour qui on
prie. Il y a beaucoup de façons de prier ; cependant la plupart du temps nous ne prions pas,
nous simulons la prière. Le problème de notre éducation chrétienne est que nous n'apprenons
pas à prier. Le Christ nous demande de prier, l'Eglise nous demande de prier, mais nous
n'approfondissons pas cette question : comment prier ?
L'un des apôtres demandait clairement à Jésus : "Apprends-nous à prier". Il a alors
offert le « Notre Père ». Il nous conseille aussi de prier seul dans notre chambre, comme lui
priait seul, souvent la nuit dans les déserts. Et il affirme qu'il est au milieu de nous quand nous
sommes réunis en son nom. Cela signifie qu'il est bon de prier seul et qu'il est bon de prier à
plusieurs. Mais ces passages des Evangiles ne nous expliquent pas en détail comment prier.
Pourquoi Jésus n’a-t-il pas plus expliqué comment il priait ? Il l’a sans doute fait, mais cela
était trop difficile à transmettre par écrit.
Prier serait donc un héritage transmis oralement ou par imitation, par la pratique. On
peut aussi supposer que Jésus et ses amis priaient comme ils l’avaient appris à la synagogue et
par leur éducation juive. Il n’était donc pas nécessaire de redire ce que tous savaient déjà.
Etre chrétien, n'est-ce pas tout d'abord être en relation avec le Seigneur par la prière ?
Non seulement il faut prier mais il faut bien prier : avec le coeur. Parce qu’on peut prier sans
le cœur, ce qui revient à ne pas prier. Si on ne prie pas, on est croyant à la façon d'un
agnostique qui n'est pas contre l'idée d'un créateur très loin ou absent, ou comme un athée qui
admet l’existence d’une énergie spirituelle… Quand on ne prie pas, est-il possible de rester
solidement croyant ? Croire sans prier, ou sans jamais prier ensemble, est-ce vraiment croire ?
Si les plus grandes religions de la terre ont toutes pour fondement la prière quotidienne
dans un lieu précis et ensemble, pourquoi les chrétiens ne se réunissent-ils qu'une seule fois
par semaine à la messe du dimanche pour assister passivement à une célébration où ils
regardent des acteurs jouer un spectacle auquel ils ne participent pas ? Comment faire pour
que la messe soit réellement une prière ? Pourquoi ne pas se réunir toute la matinée du
dimanche ? Pour étudier, échanger, prier avant et après la messe. Pourquoi ne pas se réunir au
moins une fois par jour le matin ou le soir pour prier ensemble à l'église ? Mais comment
trouver le goût et l'habitude de prier ainsi ? Comment prier à l’église, en paroisse ? Cet écrit
tente de répondre à ces interrogations.
4
* * *
« L’Église reconnaît dans les autres religions la recherche, " encore dans les ombres
et sous des images ", du Dieu inconnu mais proche puisque c’est Lui qui donne à tous vie,
souffle et toutes choses et puisqu’il veut que tous les hommes soient sauvés. Ainsi, l’Église
considère tout ce qui peut se trouver de bon et de vrai dans les religions " comme une
préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que,
finalement, il ait la vie " » 1
Les chrétiens qui apprécient d’autres religions ou spiritualités prennent des risques. Ce
sont des risques qui méritent d’être pris car une fleur enfermée manque d’oxygène et finit par
se flétrir. Cependant, trop d’empressement risquerait d’avoir la même conséquence que le
« protectionnisme ». Le christianisme, c’est tout le contraire de la peur des autres, mais c’est
avoir aussi en même temps de la prudence. Etre chrétien c’est aimer comme le Christ, avec
folie et sagesse.
Un risque majeur est de confondre religion et politique. Ce n’est pas parce qu’on
s’intéresse au judaïsme, au bouddhisme, ou à l’islam que l’on doit être pro- ou anti- Israël,
Tibet, Cachemire ou Palestine. D'autres pièges sont de croire qu’apprécier implique imiter, ou
adhérer à tout. Un croyant intelligent est ouvert à toute bonne influence, mais reconnaître
qu’il y a du vrai et du bon dans une autre religion n’implique pas copier, ce qui reviendrait à
singer et à se tromper d’identité. Par exemple, ce n’est pas parce qu’on constate que le
bouddhisme nous aide à prier que l’on croit à la réincarnation. Une influence constructive ne
trouble pas notre identité spirituelle, elle agit sur nous paisiblement, de l’intérieur. Le
christianisme est fortifié par l’amitié interreligieuse.
Nous avons avec le judaïsme un lien particulier car c’est le judaïsme qui a donné
naissance au christianisme. Autrement dit le judaïsme est notre « religion-mère », notre
religion maternelle2. Aussi, il n’est pas exact de l’inclure dans le domaine interreligieux (ce
n’est pas une autre religion) ou œcuménique (le but n’est pas l’unité des deux religions). Le
judaïsme est comme à l’intérieur de notre religion expliquait Jean Paul II lors de sa visite à la
synagogue de Rome le 13 avril 1986 :
« La religion juive ne nous est pas « extrinsèque » mais, d’une certaine manière, elle
est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous
n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière,
on pourrait dire nos frères aînés. »
* * *
Le mot « Dieu » est si utilisé (comme le mot amour par exemple) qu’il a un sens
vague, flou, ambigu, qui dépend de chacun et de chaque contexte. Dieu peut signifier « l’après
mort », l’inconnu, l’infini, l’éternel… que ce soit le néant, quelque chose ou Quelqu’un. En
1 Catéchisme de l’Eglise catholique, édition 2004, PREMIERE PARTIE LA PROFESSION DE LA FOI,
DEUXIÈME SECTION LA PROFESSION DE LA FOI CHRETIENNE, CHAPITRE TROISIEME JE CROIS EN
L’ESPRIT SAINT, Article 9 " JE CROIS A LA SAINTE ÉGLISE CATHOLIQUE ", Paragraphe 3. L’ÉGLISE EST
UNE, SAINTE, CATHOLIQUE ET APOSTOLIQUE, article n° 843
2 « Née du judaïsme, l’Eglise a vécu pendant des décennies à l’intérieur du judaïsme, même si ce fut en situation
dialectique et parfois conflictuelle. » (La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante)
5
réalité on ne connaît pas le Nom de Dieu. Les croyants –juifs, chrétiens et musulmans-
pensent qu’Il a un Nom secret et lui donnent des noms qui expriment en général ses qualités.
Par exemple « le Miséricordieux », « le Vivant » ou « le Créateur » sont parmi les 99 noms de
Dieu selon les musulmans3. Cependant, chacun sait –ou ne doit pas oublier- qu’aucun des
noms qu’on lui donne n’est Son Nom.
Le Dieu chrétien a de multiples noms qui nous viennent du judaïsme, par exemple
« l’Eternel », ou « Notre Père »… Dans cet écrit, nous avons choisi « Seigneur »4, la
traduction française d’« Adonaï », qui est le nom par lequel Jésus nommait Dieu dans ses
prières et aussi le nom par lequel ses disciples l’appelaient. Et pour Jésus, nous préférons dire
son nom dans sa langue5 : Iéshoua.
* * *
Dans cet écrit nous avons voulu prier avec Iéshoua en différents lieux : sur la croix et
dans le cœur du Père, au désert, à l’église, à la maison, et enfin au mont des Oliviers et sur le
rivage du lac de Tibériade.
3 Muhammad Iqbâl Siddîqî, Les Noms divins selon le Coran et la Tradition. 4 « Par respect pour sa sainteté, le peuple d’Israël ne prononce pas le nom de Dieu. Dans la lecture de
l’Écriture Sainte le nom révélé est remplacé par le titre divin " Seigneur " (Le Seigneur, en grec Kyrios). C’est
sous ce titre que sera acclamée la Divinité de Jésus : " Jésus est Seigneur ". »
(Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n°209) 5 « L’hébreu est une langue à flexion interne. Le fond du langage est composé par des racines verbales dont la
conjugaison permet d’évoquer le sujet, l’objet, l’idée, l’émotion ou le sentiment à exprimer. Chaque racine
contient l’idée maîtresse que l’on retrouvera dans le discours sous toutes ses nuances, toutes ses formes. Le rôle
des voyelles, tantôt longues, tantôt brèves, est justement de donner au mot le sens voulu. L’hébreu, a-t-on dit, est
une langue aristocratique : elle ne livre son secret qu’à ceux qui la connaissent bien. De fait son squelette
consonantique ne s’anime et ne livre son sens qu’au regard de l’initié.
L’hébreu est ainsi la langue du rythme et du nombre. Des particules invariables articulent le discours ; la
syntaxe rudimentaire se fonde sur la coordination davantage que sur la subordination des idées. Elle est ainsi la
langue de la vision, faite pour évoquer l’image, le mouvement, l’expression concrète du geste – davantage que
pour l’analyse subtile des idées. Langue d’un savoir global, d’une révélation concrète - davantage que d’une
réflexion abstraite – dont le génie arrache la pensée à l’abstraction pour la livrer à l’impératif de l’acte. »
André Chouraqui, La vie quotidienne des hébreux au temps de la Bible.
6
1) Iéshoua sur la croix et dans Son cœur,
avec Marie-Madeleine et Jean.
« J’ai soif »
Jean 19,28
« Mon âme a soif de Toi »
(Psaume 62)
« La prière, que nous le sachions ou non, est la rencontre de la soif de Dieu et de la nôtre.
Dieu a soif que nous ayons soif de Lui. »
(Catéchisme de l’Eglise Catholique, édition 2004, Quatrième partie : La prière chrétienne,
article n°2560)
« Ne l’oublions jamais, le simple désir de Dieu est déjà le commencement de la foi. »
(Frère Roger de Taizé)
Aimer, c'est se laisser brûler par la soif d'Amour, c'est accepter cette soif, aimer cette
brûlure, la cultiver. Vivre, c’est avoir le cœur en feu, le cœur assoiffé. Vivre avec un cœur
éteint ce n’est pas vivre. Comment vivre avec un cœur non seulement paisible mais aussi
brûlant ?
Avant tout il y a la soif. Et jusqu’au bout de la vie reste la soif. La soif, c’est le désir
de vivre du nouveau-né, de la graine, de la fleur. La soif du cœur, c’est une sorte de
saignement, une souffrance de manque d’amour. Et plus on aime, plus on manque d’amour.
La soif du cœur c’est désirer toucher la source de l’Amour.
Celui qui est mort sur une croix par compassion, par amour pour nous, criait « J’ai
soif ». Dans ce cri, il a tout dit. Nous ne sommes que soif de vie, de bonheur, d’amour. Mais
si amour signifie amour de soi seul, c’est un amour qui ne réjouit pas. Aimer comme Iéshoua
c’est aimer le bonheur des autres autant que le sien. Aimer comme lui c’est aimer toute la vie,
la fête et le travail, la terre et la Ciel, le Seigneur et sa création, ses enfants.
Le problème de notre cœur, c’est qu’il est fragile. Comme un petit feu, il s’éteint
facilement si on ne l’entretient pas, si on ne l’alimente pas, si on ne le protège pas. Comme
une plante, un arbre, un cactus, une fleur, notre cœur a besoin d’entretien, de jardinage.
Délicatesse, patience, persévérance, enthousiasme, sont quelques-unes des qualités que doit
avoir un jardinier. Je suis le jardinier de mon coeur ; je suis aussi la fleur et le jardin. Celui qui
nous a créé et qui nous attend est « le grand jardinier ». Et Il est aussi l’eau.
« C’est comme une graine… »
(Marc 4,31)
A) La prière de Marie de Magdala
« Ils ont enlevé Mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont mis »6
Marie de Magdala (Marie Madeleine) est la femme de feu. Elle aime. Elle aime la vie.
D’abord sans bonheur, sans Iéshoua. Elle mange la vie sans faire de distinction entre ce qui
6 Jean 20,13
7
est bon à manger et ce qui fait vomir ensuite. Peu importe : « les regrets viendront ensuite »
(Goethe). Sans paix, l’amour est passion. La passion est « tenace comme l’enfer » peut-on lire
dans le Cantique des cantiques (8,6). Peu importe ! Le présent seul existe. Demain et hier
n’existent pas. La vie de Marie de Magdala avant sa rencontre avec le Prince de la Paix est
sans prière.
Marie de Magdala est sincère dans sa passion. Son cœur ne ment pas. Mais son amour
est trouble, jamais paisible, jamais comblé. Elle aime sans limite et elle est assoiffée d’amour.
Elle vit l’enfer noir de l’amour sans paix, l’enfer de la passion douloureuse. Mais au moins
elle vit, elle ne se laisse pas mourir d’ennui. Elle vit de tout son être, avec son instinct, son
corps, ses sentiments, son intelligence, sa sensibilité. Cependant son âme étouffée crie au
dedans d’elle vers l’Amour paisible. Elle ne sait pas ce qui lui manque mais elle sait qu’il lui
manque quelque chose. Ce n’est pas l’amour des hommes ou d’un homme. Elle ne croit plus
en l’amour.
Quand elle croise le regard de Iéshoua, ce n’est pas l’amour qu’elle voit, c’est l’amitié.
Il la regarde avec amitié. Il regarde son cœur, son âme assoiffée au delà de ses yeux. Il la
regarde en frère et aussi en père. Elle devient sa sœur et sa fille. Elle se sent pour la première
fois aimée. Elle revit. Elle naît du regard de Iéshoua. Les yeux de Iéshoua font naître en elle
une prière nouvelle, une prière pure, une prière vierge. Le regard de Iéshoua sur elle fait surgir
dans son cœur une source d’Amour. L’amitié de Iéshoua est Amour avec une majuscule.
C’est un amour pur, une amitié infinie, un feu puissant, limpide, liquide, doux, paisible. La
Paix de Iéshoua la transforme en prière vivante. Son cœur prie Iéshoua de l’emmener au pays
de l’amitié, au pays de son Amour qu’elle vient de découvrir. Elle devient prière, contact
direct de cœur à cœur avec Iéshoua, par le regard, puis par les mots. Elle aime Iéshoua. Ce
n’est pas un amour humain. Elle s’attache à Iéshoua non pas comme à un amant mais comme
à un grand frère, à un père. Elle voit la beauté du cœur de Iéshoua et s’attache à ce cœur
sublime. Marie de Magdala aime sans réfléchir. Depuis qu’elle a rencontré Iéshoua elle
devient fidèle à l’Amour, fidèle à la beauté du cœur de Iéshoua son ami, son frère, son Père.
Elle L’aime plus que sa vie. Elle devient son esclave d’Amour. Elle accompagne
Iéshoua au pied de la croix au risque d’être elle aussi crucifiée. Et elle continue de rechercher
son cœur même après sa mort. Elle sait que son cœur est immortel. Et elle veut quand même
revoir encore le corps de Celui qui lui a donné la Vie. Elle va au tombeau de Iéshoua ; la
pierre est roulée, le tombeau est vide. Elle est tellement paniquée de ne pas trouver son
Seigneur qu’elle confie son désespoir au premier passant qu’elle rencontre: « Ils ont enlevé
Mon Seigneur אדני et je ne sais pas où ils L’ont mis »
Au delà de Dieu il y a l’Amour. Dans Iéshoua il y a l’Amour infini, c’est-à-dire Dieu.
Marie de Magdala voit directement Dieu dans Iéshoua. Elle voit avec Son cœur. Elle voit
parce que son cœur est rempli de désir d’Amour, de l’amour pur, de l’amitié fraternelle. Marie
de Magdala est soif, comme Iéshoua au moment de mourir qui crie « J’ai soif » et qu’on
pourrait traduire par « Je suis Soif ». Il n’est plus que soif d’Amour. Il n’a plus rien à donner.
Marie de Magdala, à sa façon est aussi soif vivante, pur désir de l’Éternel. Son âme cherche le
Père de l’Amour, l’origine, la source.
Dans Iéshoua elle voit l’Infini. Sa soif est la prière la plus pure qu’on puisse offrir au
Père éternel. La soif est la prière originelle, fondamentale. Sans soif il n’y a pas de prière mais
seulement -peut-être- une activité de l’esprit. Sans le cœur, il n’y a pas de vraie prière. Marie
de Magdala est un modèle de prière du cœur, de prière folle, sans raison, sans mesure. Elle
n’aime pas Dieu, elle aime l’Amour. Elle aime Dieu qui est Amour.
« Au soir de votre vie, vous serez jugés sur l’amour. »
(Jean de la Croix)
8
Aimer avec le cœur
La paix intérieure est à la fois la condition préalable à la prière et aussi le fruit de la
prière.
« La paix du cœur est une poutre maîtresse de la vie intérieure, elle soutient une
montée vers la joie. »7
Comment trouver le début de cette paix intérieure ? D’abord en la cherchant dans
notre vie. Se réconcilier, apaiser…
Il n’est bien sûr pas nécessaire d’être croyant (de « se croire croyant »…) pour aimer
et il n’est pas non plus nécessaire d’être croyant pour prier. Prier signifie être croyant alors
que se dire croyant ne signifie rien. C’est plutôt à force de prier et d’aimer qu’on devient
croyant. On n’est pas croyant du jour au lendemain. On peut être croyant et puis ne plus l’être.
Il n’y a pas de limite claire et solide entre non croyant et croyant. En revanche, il y a une
différence nette entre priant et non priant, entre faire des actes d’Amour et ne pas en faire.
Croire, c’est intellectuel, cérébral, volatile. Avoir confiance, c’est plus complet parce que cela
inclut l’Amour, cela implique l’expérience d’une relation, cela veut dire prier, vivre de la
prière et de l’Amour. Confiance est un mot beaucoup plus fort et beau que les mots foi ou
croyance. Même Satan, l’ennemi de Dieu croit que Dieu existe, il a la foi… Mais il n’a pas
confiance.
La foi n’est pas un effort mental pour connaître un être qui nous est supérieur. La foi
(émouna en hébreu) vient du mot confiance (émoune). Confiance implique sentiment et
connaissance par le cœur. Sans le cœur, la foi n’est qu’un vague instrument humain, une
technique spirituelle de connaissance.
Dans notre monde si divisé nous sommes divisés au dedans de nous. Notre concept,
idée ou image intérieure de Dieu est divisé. Même Dieu a besoin d’être unifié en nous. Dieu
est Esprit Saint, Iéshoua, Père, trois en Un. Le mot Esprit Saint, même s’il est constitué du
mot Esprit, n’est pas essentiellement relié à notre esprit. En hébreu, Esprit Saint se traduit par
Rouar (vent) רוח Hakodech (saint). רוח (Rouar) signifie à la fois « vent » et « esprit ».
L’Esprit Saint est inexprimable en mot, on ne peut utiliser que des images, comme on utilise
le symbole du cœur pour parler de l’organe de l’amour, de la compassion et de l’amitié.
Dieu est Un. Au delà de toute différence de conception de Dieu, ce qui est primordial
c’est notre relation avec Lui et les autres. Ce qui prime sur les divisons c’est le dialogue et la
communication qui est l’expression de l’amour. La Trinité, la divinité de Iéshoua, son identité
juive, son lien avec la terre, l’importance qu’il donne dans son message au cœur et non à
l’intelligence qui est secondaire pour établir une relation avec Dieu et les autres, tout cela
représente le christianisme dans ce qu’il a de plus essentiel. « L’amour véhicule la
connaissance », non l’inverse.
L’ « organe spirituel » n’est pas l’esprit –malgré la racine du mot- c’est le cœur. Notre
âme est dans notre esprit, dans notre corps, et surtout dans notre cœur. Notre relation avec
Dieu passe par notre cœur. Le cœur c’est l’émotion, le sentiment, l’intuition, la capacité
d’enfance. On n’a pas encore trouvé d’autre mot pour dire « organe d’amour ». Cet « organe
spirituel » est aussi notre organe de relation avec les autres, avec nos amis, notre famille, notre
vie.
« Je prends plaisir à la bonté et non au sacrifice,
Je préfère la connaissance de יהוה aux holocaustes »
(Osée 6,6)
« Plus de savoir, plus de douleur »
7 Frère Roger de Taizé, Amour de tout amour.
9
(Ecclésiaste 1,18)
B) La prière de Jean
Jean est l’enfant fidèle, celui qui court au tombeau vers le Ressuscité. Il est celui qui
reste au pied de la croix jusqu’au bout, celui qui garde Miryam jusqu’au bout, celui qui dans
sa vieillesse conclut les Évangiles. Il est aussi le premier, l’un des disciples de Jean-Baptiste
envoyés à Jésus. Il est précoce et il dure. Il a le cœur pur et l’intelligence vive. Il écoute
beaucoup et parle peu. Il connaît par le cœur. Sa prière est complète, avec le cœur,
l’intelligence et le corps. Il marche avec Iéshoua, il est présent jusqu’à sa mort. Il prie avec
ses actes. Ses mots sont superflus. Il aime avec tout son être.
Il a appris à prier avec ses parents et sa communauté. Il est juif, croyant, religieux,
mais il sent qu’il lui manque quelque chose : la religion ne suffit pas. Alors il part au désert, il
suit Jean-Baptiste et il apprend à prier avec lui. C’est une autre manière de prier, en lien avec
la nature et souvent seul. Dans l’immensité du désert, dans le vide, il découvre une Présence,
une certitude, une réalité. La création a un Créateur. Ce Créateur est proche. Il vient, Il est là,
au dedans de nous si nous sommes attentifs.
Jean nous enseigne à prier comme Iéshoua et Miryam le lui ont enseigné. Il est poète,
artiste, délicat et curieux. Sa curiosité vient de son cœur. Il a comme une intelligence du cœur.
Il nous dit que son Maître est Amour. Son message est simple. La richesse et la complexité de
sa prière proviennent de la simplicité de son cœur.
Dieu
Dieu qui vient du latin « deus », est un mot d’origine grecque : « Zeus ». Zeus est le
plus grand des dieux grecs, comme Jupiter est le plus grand des dieux romains. Ce dieu très
humain est bien éloigné du dieu dont notre âme a soif. Le dieu des traditions grecque et latine
est le dieu architecte de l’univers, l’Être Suprême. Mais dans ce cas, s’il est seulement cela, il
n’est pas Amour. Si Dieu est seulement le Grand Architecte du monde, rien ne sert de le prier,
il n’a aucune influence dans nos vies. C’est un « dieu-statue », un dieu lointain, externe à
notre vie, un dieu mort.
Zeus, le plus grand des dieux grecs, le roi des dieux n’est pas l’objet de notre plus
profond désir. Notre âme ne désire pas un dieu mythique qui nous donne une explication à
l’origine de l’univers. Notre âme ne désire pas non plus un surhomme, un dieu créé par les
humains. Notre âme désire le Dieu connu et inconnu révélé au peuple hébreu puis à
l’humanité par Iéshoua. Notre âme a soif du Dieu-Amour, Créateur et Présence intime au-
dedans de notre être. Il est Le Dieu invisible, Esprit, Bon, Beau, Tout-puissant, l’Éternel,
l’Infini, le Père de l’Amour, Source de Vie. Il n’a pas de nom, il est Le Nom.
Où est-il ?
Il est à la fois en nous, comme une graine, à découvrir, immanent, et aussi en dehors
de nous, séparé, invisible jusqu’à notre mort, transcendant.
« S’il est vrai que Dieu est dans le monde et qu’il a une certaine immanence, il est
avant tout vrai qu’il est transcendant, « au dessus » du monde, et qu’il n’est donc pas
possible de l’identifier au monde. On ne peut le chercher dans le monde comme s’il était
seulement le mystère le plus profond de toutes les choses visibles. Au contraire, il faut
d’abord le chercher « en haut » : il est le Seigneur du ciel et de la terre. »8
8 Jean Paul II, au 31e Congrès Universitaire International, 7 avril 1998.
10
Son Nom
Le Nom de Dieu est écrit ainsi en hébreu : י ה ו ה
Les catholiques disent Yahvé et les Protestants disent Jéhovah ou Iéovah. Ces
traductions du tétragramme יהוה sont aussi éloignées les unes que les autres du mot יהוה.
L’hébreu se lit de droite à gauche et les voyelles ne s’écrivent pas. י Yud, ה Hé, ו Vav, ה Hé,
neir eifingis en alec siaM .cte ,HWHY uo HVHY ,HVHI ,EVEI ,AVAI erircé’s tiarruop הוהי
non plus. Le mot יהוה est imprononçable, ne peut pas et ne doit pas être prononcé. En hébreu
ces quatre lettres sont considérées comme quatre consonnes où manquent les voyelles qui
permettraient de le prononcer. Ces voyelles absentes représentent le mystère inaccessible de
sulp el tiordne’l A .fiuj elpmeT el snad evuorter es ruetaérC ud erètsym ud tcepser eC .הוהי
sacré du Temple il n’y a rien, si bien que certains conquérants du peuple hébreu les ont
soupçonnés d’être athées.
Dans la langue hébraïque, on ne peut pas écrire “Être”. L’Éternel étant tout ce qui est,
étant comme Il le dit dans la Bible “Je suis”, on ne peut pas utiliser ce verbe dans la langue
sacrée du peuple juif. Alors on ne dit pas et on n’écrit pas le verbe être au présent. Pour dire
“je suis ici, elle est jolie, nous sommes européens”, on dit “je ici, elle jolie, nous européens”.
Dans une synagogue, comme dans les temples protestants, comme dans les mosquées
musulmanes, il est interdit de représenter Dieu en image ou en statue. Il est Esprit, il ne peut
pas être représenté, il n’est pas accessible à l’imagination humaine. (“Mes pensées sont au-
dessus de vos pensées”). On dit que ”l’homme ne doit pas se contenter d’un Dieu qu’il pense,
car lorsque la pensée s’évanouit, Dieu s’évanouit aussi”. Dieu échappe à nos regards, on ne
peut pas Le voir. Il échappe à notre intelligence, on ne peut pas Le comprendre. Il échappe à
nos pensées, on ne peut pas Le penser ou L’imaginer. Nous ne pouvons pas Le posséder, ni
avec notre corps, ni avec notre cerveau.
Les juifs, respectueux du mystère divin n’essaient pas de traduire le Nom sacré.9 Pour
écrire « le Nom » dans la Torah et les livres de prière, ils écrivent יי ou יהוה (les quatre lettres
signifiant Dieu en hébreu) et ils lisent « Adonaï ». D’autres fois ils disent « Notre Père » אבינו
(Abinou).
« Panhim » (visage en hébreu) est un des mots qui n’existent qu’au pluriel (“him” en
hébreu est la marque du pluriel masculin). Je n’ai pas un visage, j’ai des visages.
« Rahim » (vie) est aussi un mot toujours pluriel. Ma vie est multiple. Je ne peux pas dire
« ma vie » en hébreu mais « mes vies ». Dieu aussi est pluriel : Élohim, El étant le singulier
d’Élohim. Ces deux noms sont très utilisés par les juifs pour parler du Créateur. Dieu est donc
à la fois El et Élohim, singulier et pluriel.
Hors des moments de prière, ils disent « Lui » » uo ,(LE) לא Le Nom » (Ha Chem), ou
Le Vivant חי (Raï), l’Éternel, le Très-Haut ou d’autres noms qui approchent de l’Inaccessible.
9 “Les Juifs ont l’habitude de rendre le mot “Dieu” par “HA CHEM”, mot hébreu qui signifie le NOM car il y a
interdiction de prononcer le Nom de Dieu. Si l’on veut désigner l’essence de Celui qui est Dieu, dans sa divinité
même, on emploie le mot ELOHIM. Mais le Nom qui fut révélé aux prophètes d’Israël, le Nom personnel, est
formé de quatre lettres: IHVH, (Ioud, Hé, Vav, Hé), le Tétragramme. Chaque fois que l’on rencontre ce Nom
dans la prière liturgique on dit Adonaï, une invocation qui signifie Mon Seigneur. En dehors de la liturgie, si
l’on rencontre ces quatre lettres dans la Torah, dans la Bible, on dit HA CHEM (Le Nom).
Or, lorsqu’on a commencé à imprimer des Bibles on a mis les voyelles du mot Le Seigneur sous les
quatre lettres du Tétragramme et les traducteurs, qui n’avaient pas une connaissance suffisante des lettres
hébraïques, ont lu JEHOVAH. C’est un faux nom. Pour nous Juifs ce nom est blasphématoire ; il ressemble trop
au nom de Jovis= Jupiter. Même erreur pour YAHVEH. Il y a dix noms de Dieu dans la Bible. Le Tétragramme
est celui où Il se dévoile comme une Volonté et non comme l’un ou l’autre de ses attributs. Pour le mot “Dieu”
en français, il sert aussi à désigner les faux dieux. Il est de Juifs pieux qui écrivent D. majuscule suivi d’un point
: “D.” C’est aussi une erreur car ils semblent reconnaître que ce nom est sacré alors qu’il n’est qu’un doublet
du mot Zeus... Pour toutes ces raisons il vaut mieux employer le mot Hachem (Le Nom), indicible,
imprononçable... et pas Yahveh.” (Rabin Léon Ashkibboutzénazi)
11
Quand Miryam la mère de Iéshoua, prie, comme les juifs de tous les temps elle dit : Adonaï,
.Mon Seigneur (ou Le Seigneur, ou Seigneur, selon les traductions) : ינדא
« Parmi toutes les paroles de la Révélation il en est une, singulière, qui est la
révélation de son Nom. Dieu confie son nom à ceux qui croient en Lui ; Il se révèle à eux dans
son mystère personnel. Le don du Nom appartient à l’ordre de la confidence et de l’intimité.
" Le nom du Seigneur est saint ". C’est pourquoi l’homme ne peut en abuser. Il doit le garder
en mémoire dans un silence d’adoration aimante (cf. Za 2, 17). Il ne le fera intervenir dans
ses propres paroles que pour le bénir, le louer et le glorifier (cf. Psaumes 29, 2 ; 96, 2 ; 113,
1-2). »10
Iéshoua ישוע crie sur la croix « Mon Dieu » אלי (Eli) et, quand il prie il dit « Papa »
» uo ,erèP nos releppa ruop (abA) אבא Notre Père » אבינו (Abinou) quand il prie avec ses
disciples.
A nous de choisir le nom que l’on préfère pour exprimer en mot Le Nom.
Unité et Trinité
Le divin est à la fois triple et Un. Nous aussi nous sommes triple et un : corps,
intelligence et cœur (notre âme est dans les trois et elle est plus particulièrement liée au cœur,
comme le sang). Dieu est plusieurs. Dans la Genèse, le Créateur dit : « Faisons l’homme à
notre image »11
et Iéshoua parle aussi au pluriel : le Père et moi, nous désirons entrer, nous
installer, demeurer dans ton cœur.12
Il est Esprit, Miséricorde, Compassion, Amour. Pour nous chrétiens, comme pour les
juifs et les musulmans, Il est le Père, le Créateur, le Vivant… Et comme pour les juifs nous
avons notre Messie. Mais la différence pour nous est qu'il a un nom : Iéshoua. Il est déjà venu
et il est toujours avec nous. Une autre différence par rapport aux juifs est que nous croyons
que le Messie est né de Dieu le Père et donc qu'il n'est pas un homme ordinaire.
Le Dieu unique et Trinité, l’Éternel s’est révélé au peuple hébreu par Abraham il y a
4000 ans, puis Il s’est révélé au reste de l’humanité par Jésus Iéshoua.
Iéshoua est venu révéler au peuple juif et à l'humanité le visage de l’Éternel, son
visage d’Amour. Les juifs en majorité n’ont pas accepté le message du Messie Iéshoua.
L’apôtre Pierre pensait que pour bien comprendre Iéshoua il fallait être juif de religion ou se
convertir au judaïsme. Grâce à l’insistance de Paul, Pierre s’est laissé convaincre et le
christianisme est devenu peu à peu -malheureusement- indépendant du judaïsme.
Pour ceux qui croient que Iéshoua est Dieu יהוה, Il est à la fois unique et Trinité, un et
trois.
Il est Le Dieu Unique et Il est trois :
Il est Père, Av אב
Il est Fils, Ben בן
Il est Saint Esprit, Rouar רוח Hakodech.
« vent » et « esprit ר eifingis uerbéh ne (rauoR) «חו
On peut L’appeler de trois façons différentes :
Adonaï ,אבא abA ינדא
Adonaï ,עושי auohséI ינדא
Adonaï .הבהא avahA חור rauoR ינדא
» eifingis uerbéh ne (avahA) הבהא amour »
10 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n°2143 11 Genèse 1,26 12 Jean 14, 23
12
Mais c’est toujours le même Seigneur אדני, l’Éternel יהוה.
Dire Iéshoua c’est dire Jésus dans sa langue, c’est donc plus juste que la traduction.
Mais quand on dit Iéshoua, on peut facilement oublier qu’Il est Le Nom, qu’Il est l’Éternel et
pas seulement son Fils venu sur terre il y a deux mille ans.
Dire Seigneur Iéshoua c’est affirmer que Iéshoua est l’Éternel, le Dieu du premier et
du second Testament, de toute la Bible, de tous les temps, de tout l’univers. Parfois on a envie
de préciser Seigneur Iéshoua Père ou Seigneur Iéshoua Amour. Dieu a beaucoup de visages.
Selon la prière, comme un fiancé appelle sa fiancée de différents noms selon le moment, on
peut L’appeler de différentes façons, sachant que ce ne sera jamais Le Nom parfait, ce ne sera
jamais Son Nom.
« Adonaï » ou « Seigneur » est un nom de Dieu qui met en valeur son unité. On peut
dire à Iéshoua, comme Thomas après la résurrection, "Mon Seigneur", qui est l'exacte
traduction d'Adonaï. On peut dire Seigneur en pensant comme les juifs au Père. Et on peut
dire Seigneur en pensant à son Esprit d'Amour. Ce qui est important, plus que le nom, c'est ce
qu'il veut dire pour nous. Ce qui est important c'est de n'oublier aucune des trois personnes
divines. Si on ne prend que l'aspect de Dieu qui nous convient on perd l'équilibre et on
travaille contre Lui. On devient par exemple exclusivement attaché à Jésus comme à une idole
humaine. Ou bien on ne voit que le visage d'un père dur, irascible, sans pitié, guerrier… Ou
bien on préfère l'imprécision d'un esprit d'amour, déguisement d'une émotion collective ou
d’un délire religieux solitaire…
Le chrétien peut dire les prières juives comme Iéshoua le faisait. La prière juive est
compatible avec la prière chrétienne puisque pour le chrétien, l’Éternel יהוה est Iéshoua ישוע.
Pour le juif, les prières chrétiennes ne sont pas compatibles avec les prières juives puisque
pour les juifs Iéshoua n’est pas l’Éternel.
Au-delà des différences apparentes entre judaïsme et christianisme, on peut percevoir
dans les deux religions des coïncidences souvent implicites, notamment concernant la Trinité.
Ainsi, dans de nombreux endroits de l’Ancien Testament et dans la liturgie juive, on peut
deviner le Dieu unique en trois personnes. La Trinité est présente dans le judaïsme de façon
allusive ou cachée13
. Par exemple, dans la Genèse, Dieu est aussi « Esprit qui plane au dessus
des eaux » et « souffle » de vie qu’il donne à l’homme (Esprit Saint). Il est aussi Parole
créatrice (le Verbe, Fils de Dieu). Dans les psaumes, comme dans la plupart des prières juives,
on s’adresse à Dieu de trois façons différentes : à Lui (le Père), à Toi (le Dieu personnel, le
Fils), et à mon âme (l’Esprit qui crie, prie au-dedans de nous).
« Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ?
Espère en Dieu, de nouveau je rendrai grâce :
Il est mon sauveur et mon Dieu.
Si mon âme se désole, je me souviens de toi… »14
« Paul compare la génération des premiers chrétiens à la génération d’Israël dans le
désert : il dit que « tous ont mangé la même nourriture spirituelle et tous on bu le même
breuvage spirituel » qui était déversé « par un rocher spirituel qui les accompagnait ». Et,
conclut saint Paul, « ce rocher, c’était le Christ » (Corinthiens 10,4-5) (…) Paul parle de la
présence universelle du Christ : celui-ci a également accompagné Israël dans le désert et,
13 Voir : « Quand les abîmes n’étaient pas, j’ai été enfantée… » (Proverbes, 8,22-31)
« Par sa parole, le Seigneur a fait les cieux, et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » (Psaume 41) 14 Psaume 42
13
d’une manière mystérieuse, il l’a nourri et abreuvé de l’Esprit Saint, il s’est donné à eux
d’une manière sacramentelle –c’est-à-dire cachée- sous la forme extérieure d’aliment et de
boisson. »15
Pourquoi prier ?
On prie pour beaucoup de raisons : d’abord pour aimer. Pour trouver la paix intérieure,
la lumière et la force pour aimer. Prier est donc un travail de jardinage de notre arbre de
l’Amour. Et prier en même temps qu’un effort est un repos et un bonheur, un plaisir.
Nous sommes des touristes spirituels si nous ne prenons pas le temps de prier
ensemble régulièrement. Etre chrétien, c’est être attaché à Iéshoua, être relié à lui. Comment
ressentir ce qu’il désire sans prier ? Il faut dire quand même que dans la tradition chrétienne,
on n’apprend pas à prier. On se retrouve le dimanche à la messe, c’est tout. On est chrétien
une heure par semaine. Et encore… puisque la plupart du temps on est à la messe en
spectateur passif, sans prier. Bref, on ne sait pas du tout ce que signifie être en relation avec le
Seigneur. On suit vaguement une morale, que l’on pourrait aussi bien suivre sans se dire
chrétien. Etre chrétien, c’est avant tout prier. Comment prendre goût et habitude à la prière ?
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta
force. Ces devoirs que je t’impose aujourd’hui seront gravés dans ton cœur. »16
La relation avec le Seigneur demande l'utilisation de toutes nos forces, de toute notre
intelligence, de tout notre cœur. L'Amour est sentiment et parfois absence de sentiment, sèche
volonté. L'Amour est parfois absence d'Amour mais toujours désir d'Amour, soif. Et cette soif
est Amour. Par conséquent il est possible de ne jamais être séparé de Lui, même quand il ne
nous reste que la douleur de son absence.
C'est pour cette raison qu'il faut nous habituer à prier chaque jour, pour que notre
prière devienne tellement habituelle qu'elle finisse par nous imprégner tout entier, comme
l'eau imprègne la terre. Cette imprégnation est le travail de toute notre vie. Ainsi le jour de
notre mort, même si nous perdons notre esprit (notre lucidité, notre mémoire, notre
intelligence…) notre cœur dans notre corps aura le réflexe de se tourner vers Celui qui est la
Vie.
L’Alliance de Iéshoua
Prier dans l’esprit de Iéshoua c’est suivre Iéshoua. Le suivre c’est Le connaître. Le
connaître c’est L’aimer. Et pour L’aimer j’ai besoin de Le connaître. Avec connaître et aimer
il y a aussi la volonté. Aimer c’est vouloir aimer. Aimer ce n’est pas seulement laisser monter
au dedans de moi le désir. C’est aussi aller chercher le désir, l’entretenir. C’est partir et
marcher, oser aller et rester fidèle.
Prier dans l’esprit de Iéshoua c’est obéir à son Esprit, c’est obéir à l’Amour. « Non pas
ce que je veux, mais ce que Tu veux »17
dit Iéshoua à son Cœur –à son Père- le jeudi soir au
jardin des Oliviers. Faire Sa volonté, c’est demeurer dans Son amour.18
Tout est au service de l’Amour, comme la prière est au service de l’Amour et la
religion au service de la prière. Et Dieu est au service de l’Amour. Dieu obéit à l’Amour.
15 Cardinal Josef Ratzinger, Liturgie et Mission, Eucharistie et Mission, II : La théologie eucharistique dans la
première Epître aux Corinthiens, Conférence du 28/9/1997 16 Deutéronome, chapitre 6 17 Marc 14,36 18 Jean 15,9
14
C) Le peuple juif
Le peuple de Iéshoua, c’est Israël. Ce mot a dans ce texte bien sûr le sens de peuple
juif ou peuple hébreu (devenu peuple juif –du Royaume de Juda- après la disparition du
Royaume d’Israël en 721 avant Jésus-Christ). Le terme Israël n’a donc pas ici la sens restreint
et particulier d’Etat d’Israël. Israël en tant que peuple élu a un sens sacré alors que l’Etat
d’Israël est un Etat comme tous les Etats.
Pour les chrétiens, la Bible est constituée de deux parties :
- la première partie raconte l’histoire du peuple hébreu (puis juif), ce qu’ont dit les
prophètes (ou ce qu’a dit Dieu par la voix des prophètes) et les livres poétiques (les psaumes,
le Cantique des cantiques...)
- la deuxième partie commence avec les livres qui racontent la vie de Iéshoua (les
Evangiles) et continue avec ce qu’ont fait et dit ses disciples (les Actes des apôtres, les lettres
de Paul...) pour terminer par le livre de l’Apocalypse.
Pour les juifs, la deuxième partie n’est pas la Bible mais un ajout de la part des
chrétiens. La Torah (aussi synonyme de Loi) est constituée des cinq premiers livres de la
Bible : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome (traductions chrétiennes) que les
chrétiens nomment « le Pentateuque ».
Qui est le premier juif (ou hébreu) dans la Bible ? Pour répondre à cette question il
faut en poser une autre : comment a commencé l’Alliance entre Dieu et les juifs ? Ou :
comment est né le peuple juif ? Ou : comment Dieu a décidé de se former un peuple à qui Il se
révèlerait ?
Il y a eu Adam, puis Noé qui après le déluge a vu un arc-en-ciel. Et Dieu lui dit que
c’est un symbole de son alliance, mais il ne parle pas encore de peuple, et encore moins de
peuple hébreu. C’est avec Abraham que commence vraiment le lien entre Dieu et les hommes,
ou entre Dieu et les hébreux. Avant Abraham c’était plus distant, Dieu ne parlait pas de
« son » peuple. A Abraham, Il dit clairement : « tu seras le père d’une multitudes de
nations. Je ferai avec ta descendance une alliance pour toujours» (livre de la Genèse).
Comme signe de ce nouveau lien entre Dieu et son peuple naissant, Abraham change de nom
(il laisse son ancien nom « Abram »). Et le signe visible de cette alliance est la circoncision de
tous les hommes de la famille d’Abraham.
Bien sûr, le mot juif n’apparaît pas encore, et encore moins le mot Israël, mais un autre
élément de l’identité juive apparaît : l’idée de terre promise. Dieu promet à Abraham une terre
où il pourra s’installer. Il lui demande de quitter sa terre natale (aux environ de l’actuel Irak)
pour aller s’installer dans la pays de Canaan, l’actuel région de la Palestine et d’Israël. Voilà
le troisième élément (après la race et la religion) de la définition du juif : son lien avec la terre
promise par Dieu à Abraham.
Pour définir un peu mieux l’origine du peuple juif, on ne peut pas s’arrêter à Abraham
et à sa femme Sarah, la mère du peuple juif. Il est nécessaire de citer Isaac, le fils unique
d’Abraham qui passe sa vie sur la terre de Canaan, et son petit fils Jacob, qui termine sa vie en
Egypte. Jacob change de nom après une nuit de lutte avec un personnage mystérieux qui était
peut-être un ange ou Dieu lui-même. Il est alors nommé par l’ange, Israël, qui signifie selon
différentes traductions:
- « fort devant Dieu » (« El » signifiant Dieu),
- ou « droit devant Dieu »,
- ou « celui qui lutte avec Dieu ».
15
Jacob a douze fils (les pères des douze tribus qui constituent le peuple hébreu).
On pourrait arrêter ici l’histoire très résumée de l’identité juive, mais ce serait oublier
le personnage représentatif du peuple juif et le moment où les hébreux sont vraiment devenus
un peuple uni. L’identité juive est apparue –ou confirmée- avec Moïse alors que le peuple
hébreu passait quarante ans dans le désert du Sinaï, fuyant l’esclavage en Egypte et à la
recherche de la terre promise « où coule le lait et le miel ». Un événement essentiel pour
l’histoire du peuple hébreu a eu lieu dans le désert : sur le Mont Sinaï, Dieu donne à Moïse, le
chef du peuple, les tables de la Loi. Le peuple reçoit ce qui deviendra son point de repère
existentiel, la Torah, la Loi. Ces dix commandements, ensuite détaillés en de multiples règles
et préceptes permettront aux juifs de préserver leur identité (religieuse) malgré leurs exils et
leurs dispersions.
L’identité juive est donc constituée de trois éléments qui se superposent ou restent
séparés :
- la race (être de mère juive)
- la religion
- l’attachement à la terre promise
L’identité juive
Pourquoi, selon beaucoup de juifs, l’assimilation est comme un crime contre la race
juive de la part de juifs ? Pour les juifs religieux, Israël (peuple) a une mission devant les
Nations. Le peuple juif a été formé par Dieu pour remplir une mission mystérieuse que les
juifs eux-mêmes ne savent pas vraiment définir mais à laquelle ils croient si fort que cette
conviction oriente toute leur vie.
Les juifs disent de leur Messie attendu -comme les chrétiens disent à propos de
Iéshoua- qu’il est « Lumière pour éclairer les nations et gloire d’Israël son peuple »19
. C’est
un peu le mystère d’Israël (du peuple juif) qui est contenu dans cette phrase.
Un juif qui se marie avec une non juive ou une juive qui se marie avec un non juif
participe à la destruction de l’identité juive en diminuant les membres du peuple. Un juif qui
se convertit à une autre religion commet la même faute contre « ses frères » déjà peu
nombreux. Un juif qui n’enseigne pas à ses enfants l’histoire et les coutumes de son peuple
participe aussi à ce processus d’assimilation qui fragilise Israël.
On peut constater deux attitudes (principales) différentes par rapport à la religion
juive. Dans les autres religions on peut retrouver le même phénomène. Religion nationaliste
(intégrisme) et religion sociale (vague identité) sont les deux pôles qui attirent les uns ou les
autres. 20
L’attitude nationaliste intégriste débouche parfois sur le fanatisme et tout ce que cela
engendre. Et la religion comme vague identité engendre tout simplement la perte d’identité,
souvent pour retrouver une autre identité : idéologie politique, superstition religieuse,
nationalisme athée, etc.
Comme chaque religion, le judaïsme a son courant orthodoxe (conservateur), c’est-à-
dire celui qui garde la tradition et essaie de ne pas se laisser influencer par les tendances
temporaires. Il existe aussi les juifs ultra-orthodoxes, plus stricts dans leur interprétation de la
Loi. Et il y a aussi des orthodoxes fanatiques : complètement hermétiques au monde extérieur.
Le judaïsme orthodoxe représente pratiquement la moitié des juifs religieux, l’autre moitié
étant constituée de courants « modérés » : conservative, massorti, réformé, libéral…
Pour la diaspora -la totalité des juifs dispersés dans le monde- on pourrait donner ces
chiffres (approximativement) :
- 40% assimilés, c'est à dire juifs non religieux,
19 Luc 2,32 20 « Les deux ennemis : l’acculturation d’un côté et le sectarisme de l’autre. »
16
- 20% réformés (libéraux),
- 15% conservative (massortis),
- 25% orthodoxes (dont ultra-orthodoxes).
Moins la pratique religieuse est élevée, plus les mariages mixtes sont importants. Par
conséquent la part des juifs orthodoxes, proportionnellement aux autres courants, est amenée
à augmenter significativement.
Jérusalem
Pourquoi les juifs sont-ils si attachés à Jérusalem ? C’est à cet endroit que le roi David
a établi la capitale d’Israël. Et c’est dans cette ville que son fils Salomon a fait construire le
Temple dont il ne reste aujourd’hui plus que des ruines, le Mur des Lamentations. Ce Temple,
principal centre religieux du peuple hébreu, était construit sur le rocher où Dieu avait
demandé à Abraham de sacrifier son fils Isaac (sur le Mont Moriah).
Puisque cet écrit se veut simple et s’adresse aussi à ceux qui connaissent peu la Bible,
il n’est sans doute pas inutile de résumer rapidement l’histoire du sacrifice d’Abraham, la
fondation de Jérusalem et la construction du Temple. Bien sûr cela n’empêche pas, bien au
contraire, de lire la Bible et d’approfondir ces passages si essentiels pour comprendre un peu
mieux non seulement le christianisme mais aussi la culture occidentale, notre monde, et le
conflit israélo-palestinien en particulier.
Vers 1800 avant J.C., Abraham, parti de Mésopotamie (actuellement l’Irak), arrive sur
la terre promise ou terre de Canaan (actuellement la Palestine et Israël) ; il s’y installe et croit
à ce que Dieu lui a dit : « tu seras le père d’une multitude... ». N’ayant eu que deux enfants
dans sa vieillesse, Isaac et Ismaël, Abraham a du mal à croire ce qu’il entend quand Dieu lui
demande de lui sacrifier son fils héritier Isaac.
Ismaël étant le fils de sa servante Agar, c’est sur Isaac (fils de Sarah son épouse)
seulement que reposait tout l’espoir d’Abraham d’avoir une descendance nombreuse. Sarah
étant âgée ne pouvait plus avoir d’enfant. Mais Abraham obéit sans comprendre à l’ordre
terrible de Dieu qui lui demande de commettre un crime sur son propre fils !
Il y a quatre mille ans, Dieu n’était pas encore le Dieu du Sinaï, le Dieu des dix
commandements dont le sixième dit « tu ne tueras pas ». A l’époque d’Abraham, Dieu
demande de tuer. Tuer et commettre un crime, c’est notre interprétation chrétienne
d’aujourd’hui. Mais si on demandait par exemple aux Aztèques du Mexique ce qu’ils en
pensent, ou à d’autres peuples d’Afrique ou d’Asie, ils interpréteraient certainement la
demande de Dieu non pas comme une incitation au crime mais comme une nécessité de
sacrifice de la part des créatures envers leur Créateur à qui appartient tout ce qui vit. Les
Aztèques sacrifiaient pour que le soleil continue de vivre. Ils lui donnaient à boire leur plus
précieux liquide, leur sang. On peut voir aussi chez les Mayas des coutumes semblables. Le
roi qui était aussi prêtre et guerrier s’ouvrait périodiquement les veines pour son peuple et
pour le(s) dieu(x).
Aussi, Abraham obéissant à Dieu monte sur la montagne prévue pour le sacrifice, le
Mont Moriah. Au moment de plonger son couteau dans le corps de son fils, Abraham est
arrêté par un ange qui lui propose de tuer un bélier dont les cornes sont prisonnières d’un
buisson. Dieu a eu la preuve d’amour et d’obéissance d’Abraham, cela Lui suffit. On pourrait
dire que le sacrifice du coeur ou l’intention de sacrifice a valu pour sacrifice. Abraham étant
aujourd’hui vénéré comme le père des croyants monothéistes, des juifs par Isaac (et des
chrétiens), et des Musulmans par Ismaël, le Mont Moriah est un lieu sacré pour le judaïsme
comme pour l’islam.
17
Vers 1000 avant J.C., quand le roi David (après l’arrivée des hébreux en terre promise,
après la traversée du désert du Sinaï avec Moïse) eut pris réellement le pouvoir à la place du
roi Saül, il choisit une capitale pour son peuple enfin réuni dans un même royaume. C’est
Jérusalem qui est choisie comme capitale pour le peuple hébreu. Salomon, fils héritier de
David y construit le Temple, principal centre religieux du peuple. Ce temple sera détruit deux
fois : par les Babyloniens, puis par les Romains, en 70 après J.C. On parle donc aujourd’hui
de la construction envisagée du Troisième Temple...
Les juifs priaient et prient toujours aujourd’hui tournés vers l’emplacement du Temple
existant ou détruit. Actuellement il ne reste plus qu’un mur, le Mur des Lamentations, comme
ultime vestige du Temple. Le problème est que sur l’emplacement du Temple juif se trouve
maintenant le troisième lieu saint de l’islam, après La Mecque et Médine : la mosquée El
Aqusa (ou Aqsa), avec le dôme du Rocher sous lequel se trouve le rocher sur lequel Abraham
a failli sacrifier son fils.
Jérusalem est donc une capitale à la fois politique et religieuse pour les juifs, un lieu
(ville et emplacement du Mont Moriah) sacré pour les musulmans. C’est la capitale politique
choisie à la fois par le peuple palestinien et par le peuple juif. Et c’est aussi la capitale
spirituelle des chrétiens ; c’est à Jérusalem que Iéshoua a été crucifié et est ressuscité (même
si on ne peut pas situer la résurrection en un lieu précis).
La terre d’Israël et de Palestine est, selon la Bible, sacrée. Qu’est-ce que cela veut
dire ? Il n’est pas ici question d’être croyant ou non. Peu importe : cette terre a quelque chose
de différent des autres lieux du globe. Une personne un peu sensible peut y ressentir une
espèce d’intensité, une sensation ou des sensations originales.
Dans le désert du Néguev par exemple, on ressent la beauté pure et la grandeur infinie,
l’œuvre du Créateur, ou le Créateur Lui-même. Il y a une sorte de Présence, Quelqu’un,
quelque part, tout près. Et autour du lac de Nazareth (ou Tibériade, ou Tvéria), dans le vent, il
y a des souvenirs, il y a le monde entier et toute son histoire qui sont au bord de ce lac. Au-
dessus de Jérusalem, sur le Mont Scopus, on peut voir d’un côté la ville sainte, et de l’autre le
désert, la Mer Morte (ou Mer Salée) et la Jordanie. On peut sentir la ville, la montagne, la
mer, le désert dans un seul endroit. La ville de Jérusalem est particulièrement habitée par Sa
Présence. Comment expliquer cette sensation de paix dans une ville au milieu d’un pays en
guerre, comme dans l’oeil du cyclone ?
La terre sainte est sainte, cela n’est pas seulement écrit, c’est réel, c’est sensible,
visible, vrai. Et quand on est né sur cette terre, comment peut-on imaginer de vivre heureux
ailleurs ? Juif, palestinien ou autre... quiconque a vécu sur cette terre y reste attaché au point
de transmettre ce lien à ses enfants. L’attachement à cette terre est comme un amour, un
sentiment si fort qu’il est physique.
Et de cet amour naît la guerre... Tous veulent la même terre, comme une femme
désirée par plusieurs hommes. Mais elle n’appartient à personne, elle est sacrée. Elle est à
tous et à personne, elle est à elle-même et à son Créateur. Tous ceux qui veulent l’enfermer
dans des limites, des frontières, des Etats, ne pourront jamais la posséder. C’est une terre qui
appartient au Seigneur, le dieu des juifs, le dieu de l’humanité.
L’âme juive
La Shoah et la souffrance des juifs persécutés tout au long de l’histoire font partie des
mystères de ce peuple différent des autres (et donc gênant). La douleur fait partie de l’âme
juive. Et son contraire aussi, la joie, et l’amour de la vie.
Les juifs sont forts parce qu’ils se savent aimés de Dieu. Cette confiance en Dieu est
confiance dans la vie, confiance en soi. C’est un point commun, un lien immortel entre tous
les juifs (croyants ou pas). Ce lien indestructible des juifs avec le Créateur en fait un peuple
18
uni au delà de sa diversité et de ses divisions. La solidarité entre juifs est plus forte que chez
n’importe quel autre peuple. C’est un lien de famille. Ce qui caractérise les juifs -et plus
particulièrement les Israéliens- c’est la fraternité.
L’âme juive est bien au delà d’une religion juive ou d’une nationalité israélienne, c’est
une relation particulière avec le Créateur invisible révélé au peuple juif. L’âme juive est l’âme
de l’humanité, la présence divine parmi nous.
Être juif ce n’est pas être de religion juive, ce n’est pas non plus être Israélien. Être juif
c’est faire partie du peuple qui a traversé le désert du Sinaï. Être juif c’est être aimé de Dieu
d’une façon particulière. Faire partie du peuple élu est une « croix » disent certains juifs, et
pour d’autres juifs un motif d’orgueil et de mépris envers les goyim. Etre préféré de Dieu est à
la fois un privilège et une responsabilité. Et pour les non juifs, ce peut être une cause de
racisme (jalousie, haine) ou d’admiration aveugle. Il est difficile de trouver le juste milieu, le
juste sentiment. Mais c’est une réalité, le peuple juif a une place à part parmi les nations.
« notre religion une force motrice de l'humanité (...) une religion à la fois universelle
et particulariste permettant à un peuple choisi pour cela, d'accomplir une mission auprès de
tous les êtres humains »21
Etre juif c’est faire partie du peuple qui a traversé le désert du Sinaï guidé par le
Créateur Lui-Même. C’est être chéri de Dieu d’une façon particulière. Qui sommes-nous pour
nous permettre de reprocher à Dieu d’avoir un peuple favori ? Le peuple privilégié, favorisé,
préféré du Père est celui de Iéshoua.
Vers 1250 avant J.C., sur le Mont Sinaï, Dieu donne à Moïse, le chef du peuple, les
tables de la Loi. C’est ce que dit la Bible. Mais en réalité, dans le désert du Sinaï, il s’est passé
« quelque chose » entre Dieu et ce peuple. Au désert, la relation entre Dieu et son peuple
préféré a été si intense que tous ses descendants en portent encore la trace, non pas dans leur
sang, non pas dans leur culture ou leur religion, mais plus profondément dans leur âme. Dieu
au désert a aimé sa fiancée, son épouse Israël : « Je t’ai connu(e) au désert » (Osée). Il s’est
choisi un peuple, Il a connu ce peuple quand il se trouvait à l’écart des autres peuples. Il l’a
mis à l’épreuve, Il l’a poussé à bout. Il l’a aimé. Il l’a connu. Il est à Lui pour toujours.
Dans chaque âme juive il y a un souvenir de cet événement. Il a gravé Son image dans
leur âme, d’une façon indélébile. Chaque juif porte en lui cette blessure d’amour, infligée par
le Seigneur Lui-même. De la traversée du désert du Sinaï, il reste une soif de Dieu indélébile,
inassouvie, dans l’âme de chaque juif. Chaque juif est habité par un germe d’infini, un désir
d’absolu, un reflet du Créateur.
21
« Guidé par la Parole de Dieu, traduit en des lois morales et spirituelles fondamentales, le judaïsme libéral
accepte les Mitsvot (Les Commandements) qui permettent d'atteindre cet idéal. Le judaïsme libéral considère les
pratiques rituelles comme des moyens et non une fin en soi. De ce fait, il met l'accent sur tout ce qui, dans notre
tradition, fait de notre religion une force motrice de l'humanité, notamment sur l'esprit et le message des
Prophètes d'Israël, ainsi que celui des Psaumes, de l'Ecclésiaste ou de Job, sur l'extraordinaire capacité
d'adaptation que représentent les discussions talmudiques. La force de la pensée de ces rabbins telle qu'elle
apparaît dans le Midrash, la réflexion des Juifs du Moyen Age qui ont contribué à l'essor de la philosophie
mondiale, et l'importance de la pensée juive moderne projettent sur le monde un éclat allant dans le sens de la
prophétie d'Isaïe : " Je t'ai placé comme une lumière pour les nations ".
Pour atteindre ce but qui, de prime abord, n'est pas très différent de celui du judaïsme dit orthodoxe, le judaïsme
libéral propose une approche, des méthodes, des moyens originaux dans l'esprit de la tradition telle
qu'enseignée par les prophètes et par les maîtres du Talmud, du Midrash et par de grands décisionnaires et
penseurs des époques ultérieures. Le judaïsme libéral estime que le judaïsme est le produit des générations
successives qui, à partir d'une Révélation initiale, ont forgé par leur quête intellectuelle et spirituelle une
religion à la fois universelle et particulariste permettant à un peuple choisi pour cela, d'accomplir une mission
auprès de tous les êtres humains. »
(Mouvement juif Libéral de France, page Internet : http://www.mjlf.col.fr)
19
Amitié judéo-chrétienne
Comme entre deux frères ou entre conjoints divorcés, entre chrétiens et juifs, dans ce
type de dialogue il y a inévitablement conflit. Quand le conflit n’est plus comme entre
divorcés mais comme à l’intérieur d’un couple ou entre frères, cette discussion qui semble
agressive est en réalité pleine d’amour.
Le juif et le chrétien se sont blessés mutuellement au cours de l’histoire. L’un et
l’autre sont différents et s’aiment au plus profond d’eux car ils sont fils du même Dieu. Des
interrogations sur l’autre, c’est le début d’une curiosité, d’un dialogue certainement dur mais
toujours profitable s’il est orienté vers la recherche sincère de la vérité avec du respect et un
but commun de mieux connaître notre Dieu d’Amour.
Lancer des interrogations c’est mettre en évidence des liens et aussi des blessures,
mais surtout des attaches profondes. L’avenir des juifs et des chrétiens, c’est une amitié
fraternelle dans la maison de Notre Père. Si nous refusons cette réconciliation vitale, cette
convergence22
naturelle, nous nous éloignons de la vérité du Christ. Ce chemin vers la même
maison n’est pas sans douleur mais il nous apporte, au-delà de l’épreuve, une joie immense23
.
Prier sans se soucier des religions et de leur conflits et liens, c’est réduire Dieu à un
Créateur anonyme. Évidemment on ne peut pas tous devenir des spécialistes des relations
entre les religions. Mais le minimum c’est de chercher à aller un peu plus loin que les idées
reçues, les stéréotypes. Si on ne fait pas cette démarche, d’autres le feront à notre place et
nous imposeront aisément leur vision.
Ce n’est pas facile de définir ce qui est vraiment indispensable à savoir pour prier et ce
qui est superflu.
Croire que Iéshoua est le fils de l’Eternel יהוה c’est croire au Dieu unique révélé au
peuple hébreu.
Croire en Iéshoua ce n’est pas être de religion juive parce que c’est croire que l’Eternel
e iuq ec ,sna 0002 a y li eniamuh emrof enu sirp a הוהיst inacceptable et impossible pour les
juifs religieux.
Croire en Iéshoua ce n’est pas être juif de race, sauf si on est de mère juive. Croire en
Iéshoua ce n’est pas être Israélien, sauf si on est de nationalité israélienne.
Croire en Iéshoua ce n’est pas être pro-israélien, ou « davidiste » plus que chrétien,
voire anti-arabe... Il y a un danger permanent dans les relations entre juifs et chrétiens : y
mêler la politique. Israël est le peuple de l’Alliance, un peuple spirituel, avec une mystérieuse
mission spirituelle. On ne peut pas réduire le peuple juif à Israël en tant que Nation ordinaire.
Aimer Iéshoua, c’est aimer Israël, le peuple juif élu, le peuple spirituel. Aimer Iéshoua c’est
aimer l’âme juive. Chercher à connaître le mystère de Iéshoua, c’est essayer d’approfondir le
mystère du peuple juif, sans tomber dans le piège de la prise de position politique.
Jésus juif va au delà de sa race et nous demande de considérer le cœur des hommes
avant leur race et leur nationalité.
Croire en Iéshoua c’est L’aimer et vouloir Le connaître. Iéshoua étant juif de race et de
religion, Le connaître c’est désirer connaître son peuple et sa religion pour mieux L’aimer.
L’Alliance du Sinaï
22 Dans le passé, judaïsme et christianisme on vécu une divergence ; maintenant nous vivons une convergence,
non pas vers une unité religieuse mais vers une union spirituelle. 23 Luc 15,32
20
« Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. »24
(Deutéronome 6,4)
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
(Lévitique 19,18)
« « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta
pensée. » C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même. » De ces deux commandements dépendent toute la
Loi et les Prophètes. »
(Mathieu 22,37)
Aime le Seigneur ton Dieu et aime les humains. Aime-toi toi-même, aime ta famille,
aime tes amis, aime tes voisins, aime ton village, aime ton pays, aime l’humanité, aime le
Créateur de tout ce qui existe. Aime la terre. Aime le Seigneur dans tout ce qu’Il a créé, aime-
Le dans toi-même et dans tout ce qui est Amour.
Ce qui est Amour c’est ce qui est pureté, paix, bonté, beauté, ce qui comble mon désir
d’infini, ce qui nourrit mon âme. La Loi donnée au peuple de Dieu se résume en un verbe à
l’impératif : aime !
Cependant, comme le peuple hébreu, comme un enfant, j’ai besoin d’un père et d’une
mère pour aimer. Je donne l’amour que j’ai reçu. L’amour comme l’eau vient d’une source,
vient de la pluie, vient de la mer. Mes parents, mes amis me donnent et je donne. L’amour est
vivant, liquide, solide, gazeux, mouvement, feu. Le Seigneur est à l’origine de tout amour. Il
est l’Amour. Quand son Amour entre en contact avec mes imperfections il devient amour
avec une minuscule : amour impur, amitié, passion… Le Seigneur du Ciel me demande de
toujours rechercher la source de l’Amour, l’origine de La Loi, La Loi à l’état pur. Le Seigneur
est Lui-même La Loi, Le modèle, Celui qui aime sans loi, sans limite, sans fin.
Comme un enfant, comme le peuple hébreu, notre cerveau, notre curiosité, notre
intelligence demandent plus de précisions. Nous voulons comprendre l’Amour. Nous
demandons des règles, des ordres, des limites. Alors le Seigneur nous donne des lois qui
proviennent de La Loi. Il nous dit de ne pas tuer, de ne pas mentir, de ne pas voler… Il nous
demande de L’aimer parce que sans Lui tout amour s’éloigne de l’Amour. Il nous le dit et
nous ne sommes pas satisfaits. Alors nous écrivons des lois qui expliquent La Loi, la rendent
moins pure et plus complexe. Nous étudions les lois en croyant ainsi obéir à La Loi. Plus nous
étudions le Seigneur, moins nous Le comprenons. Nous perdons le goût de la prière. Nous
remplissons notre désert intérieur de bruits. Nous créons des divisions dans les lois, dans les
cœurs, dans l’humanité.
Alors Iéshoua vient. Il nous explique de nouveau La Loi qu’il avait déjà donné à son
peuple pour l’humanité par Moïse sur le mont Sinaï dans le désert. Iéshoua parle. Il parle plus
par sa vie que par ses mots. Son corps et son cœur nous montrent Qui est le Seigneur. Il vient
nous libérer des lois pour graver dans notre âme sa Loi d’Amour.
De nouveau nous refusons d’écouter Dieu qui est venu par Iéshoua nous expliquer
l’Amour. Nous préférons inventer des religions, étudier et enseigner nos interprétations de La
Loi plutôt que de l’appliquer.
Notre Père nous regarde avec compassion.
24 « ces paroles sont, de façon absolue, estimées les plus importantes du judaïsme. » « Ce shema (écoute en
hébreu) fut la nourriture de Jésus, jour après jour matin et soir ; celle de la Vierge Marie, des Apôtres et des
premières communautés chrétiennes. » (La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante)
21
Et nous, nous préférons nos raisonnements, nos divisions, nos petits pouvoirs
éphémères, nos bruits, nos villes. Nous préférons nos amours mortels à l’Amour éternel. Nous
préférons même Dieu à l’Amour : comme si Dieu pouvait être Dieu sans l’Amour !
Au-dedans de nous nous pensons : "Ta Loi nous fatigue, ta Loi nous demande de nous
oublier nous-même, de partir au désert à ta rencontre. C’est trop loin, c’est trop difficile.
Viens toi-même dans notre sommeil et nos rêves. Nous préférons Te rêver plutôt que Te
connaître. Te connaître c’est aimer ta Loi. Alors non… C’est trop de travail. Nous préférons
dire que nous te cherchons, mais pas ta Loi, pas ton Amour."
Notre Père nous regarde avec Amour.
Il nous demande de partir au désert, de marcher, de L’appeler, de L’attendre, de nous
laisser aimer, de prier. Prier au moins le matin et le soir. Participer à l’accouchement du
Royaume de l’Amour. Participer à la libération de la terre. Participer à la construction de la
Maison de l’Amour sur la terre comme au Ciel.
L’Alliance du cœur
La diversité tolérante vaut mieux que la vérité unique dictatrice. La compassion ou
Amour est la valeur commune à toutes les religions. L’Alliance commune des trois relions
monothéistes sont les dix Paroles25
données au Sinaï :
« La reconnaissance judéo-chrétienne clairement exprimée par Jean Paul II, est
exemplaire pour engager les nations arabes et la nation juive à se reconnaître aussi pour
frères unis dans l’amour d’un même Père. (…) Unis au même Dieu, nous devrions parler le
même langage : celui de l’amour réciproque dans l’Alliance. Dans cette humilité,
reconsidérons les griefs que nous avons les uns contre les autres, pour mieux nous en
débarrasser une fois pour toutes. Seul compte notre âtre commun : le feu de l ‘Alliance. »26
« Dieu est relation » disait Marthe Robin27
. Il n’y a pas de connaissance de Dieu
solitaire et égocentrique. Dieu est dans les autres, dans notre relation avec les autres. Si on ne
privilégie pas un ton de respect dans l’expression d’une pensée, on peut risquer de nuire à la
possibilité d’entente, de communication et donc d’amour. Plus important que ce qu’on dit est
la façon de le dire. Plus important que de trouver la vérité est d’aimer la chercher ; plus
important que de parvenir au bout du chemin pour rencontrer Dieu est la façon de cheminer.
Plus important que d’avoir raison dans un dialogue, c’est le dialogue lui-même, c’est-à-dire la
relation d’amitié, qui est visée.
Un enfant qui n’a pas encore la capacité de parler peut avoir dans le regard un reflet du
Père, un reflet du cœur de ceux qui l’entourent d’affection. La religion du cœur est
transmissible par une caresse, un regard, le ton de la voix, la simple présence. Quand un
agonisant n’a plus la force de parler, de bouger, s’il a cette religion du cœur, ce lien pur avec
le Père, il peut prier avec son être –avec ce qu’il est-, avec le simple désir de son coeur. Si la
« religion déguisement » est la seule pour lui, il ne lui reste plus rien au moment de la mort.
25 « J’utilise le terme « parole » et non « commandement » car l’hébreu, en disant « Asseret Hadibrot », rapport
des paroles, non des commandement d’un dieu courroucé et impératif. Dieu d’amour, Il nous montre la voie afin
de nous diriger dans Sa lumière bien plus que de nous asséner un ordre. »
André Chouraqui, Mon testament, le feu de l’Alliance 26 André Chouraqui, Mon testament, le feu de l’Alliance 27« Marthe Robin est née le 13 mars 1902, à Châteauneuf-de-Galaure (Drôme) France. Peu à peu elle comprend
qu'elle est appelée en tant que laïque à vivre l'offrande de toute sa vie, en union avec Jésus crucifié pour l'Eglise
et le monde. Le 10 février 1936, Marthe rencontre l'abbé Finet qui avec elle se met au service du Seigneur dans
"la grande Oeuvre de son Amour" les Foyers de Lumière, de Charité et d'Amour. Jusqu'à sa mort, le 6
février1981, Marthe vivra dans la petite chambre de la ferme, à Châteauneuf-de-Galaure. » (http://www.foyer-
chateauneuf.com/)
22
A l’heure de notre mort, il ne nous reste plus que notre âme nue. Si elle est habituée au
« culte du cœur », le fait de voir diminuer le corps, la mémoire, la raison, le fait de voir
s’éteindre la vie ne fait que mettre en valeur sa beauté. L’âme habituée à la religion du cœur,
au moment de la mort devient notre seul trésor puisque toutes nos autres « possessions » ont
disparu.
23
2) Iéshoua au désert,
avec Jean-Baptiste.
“Je l’emmènerai au désert et je parlerai à son cœur”
(Osée 2,16)
A) La prière de Jean-Baptiste
« Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. »
(Luc, chapitre 11)
La voie rapide
Jean-Baptiste, comme Iéshoua, était en quelque sorte un "SDF28
volontaire". Les
franciscains, sous l'impulsion de François d'Assise, ont eu la même idée ; ils étaient au début
de véritables moines mendiants. En Inde, le moine mendiant est intégré au paysage, c'est
naturel de faire l'expérience de "la route" pour celui qui veut progresser d'une façon radicale
sur le chemin du dénuement matériel en vue de la mise en valeur du spirituel. Il est vrai qu'au
contact de la nature, grâce aux sensations physiques de froid et de faim, on se rapproche
presque naturellement de notre Créateur. C'est une sorte de voie rapide spirituelle qui pourrait
revenir à la mode en Occident. Ce n'est pas un chemin de tristesse mais un choix de liberté.
Ce n'est pas forcément définitif (voir la définition du nazir hébreu dans le Livres de Nombres,
chapitre 6). Ce pourrait être une période de vie errante provisoire. Ce pourrait être aussi une
période de vie tout près de la nature. Cela se fait plus fréquemment en Russie (surtout au XIX
siècle) : une vie d'ermite nous rapproche de la terre et donc du Ciel.
Les ermites sédentaires ou nomades ont bien compris ces diverses méthodes pour
épurer notre âme de tout ce qui l'encombre. A chacun de trouver la méthode qui lui convient.
Attention cependant au piège du "spectaculaire" ! Il ne s'agit pas de performance physique ou
spirituelle ; il s'agit seulement de faire, comme Iéshoua le faisait souvent, l'expérience du
désert. Les chrétiens ont beaucoup à apprendre des religieux orientaux, notamment en ce qui
concerne l'ascèse, la proximité avec la nature et l'expérience de la dépendance de la générosité
des autres. Les musulmans ont le ramadan, les juifs le jour du Yom Kippour et les chrétiens le
jeûne de Carême. Pour les chrétiens, ce jeûne est assez libre ; ce pourrait être l'occasion
d'expérimenter diverses façons de se mettre à l'écart, de "s'éloigner au désert".
Ecoute !
Jean-Baptiste prie au désert. Avant que Iéshoua naisse, il L’aime. Il L’aime sans Le
connaître. Il Le suit. Et, pour Le trouver, il va dans le désert. Il vit dans le désert. C’est là que
l’Éternel demeure. Il emmène des amis, notamment André et Jean qui plus tard suivront
Iéshoua. Il cherche la vérité dans le désert. Sa prière dans le désert est essentiellement écoute.
« Chéma Israël, Adonaï est un »29
, écoute (entends) Israël, Adonaï est Un. Écoute le Seigneur,
Israël. Écoute le désert, Israël. N’écoute pas trop les mots, écoute plutôt le silence. Écoute le
silence du désert. Le Seigneur parle dans le silence du désert.
Jean-Baptiste a probablement enseigné à Iéshoua comment prier au désert. Le désert
est la maison de Jean-Baptiste. Il y a vécu presque toute sa vie. Jean-Baptiste nous enseigne à
écouter le désert. Avec Miryam, il nous apprend à écouter le silence.
28 Sans Domicile Fixe 29 Deutéronome 6,4
24
« Il est difficile de prier si nous ne savons pas comment faire. Mais le fait que ce soit
difficile ne nous dispense pas de nous efforcer à prier. Le premier moyen que nous devons
utiliser, c’est le silence. Les âmes de prière sont toujours des âmes de profond silence. Nous
ne pouvons pas nous mettre en présence de Dieu, sans auparavant garder silence intérieur et
extérieur. Ainsi, dans notre prière, il est indispensable d’observer un silence des pensées, des
yeux et de la langue. » (Mère Teresa)
Prière répétitive
La prière répétitive, c’est le corps qui prie, le corps qui devient, qui est « Temple de
l’Esprit Saint אהבה ». Pour cela il existe le chapelet, le rosaire (trois chapelets). Ou bien, ce
que les chrétiens orthodoxes de l’Est utilisent beaucoup (probablement influencés par
l’Orient) : les prières jaculatoires. C’est une courte phrase, une invocation que l’on répète
souvent. Les moines chrétiens orthodoxes aiment répéter « Jésus, Fils du Dieu Vivant, prends
pitié de moi pêcheur ».
Quand les Dominicains ont inventé le chapelet, la répétition des « Notre Père… », « Je
vous salue Marie… » et « Gloire au Père… » n’avait pas de limite. Plus tard le chapelet a été
fixé à cinq dizaines et le rosaire à quinze, pour rappeler les mystères joyeux, douloureux et
glorieux de la vie de Iéshoua (et Jean Paul II a ajouté les mystères lumineux). On peut donc
imaginer les moines disant leur chapelet durant un temps indéfini ou jusqu’à une limite
arbitraire signalée par un son de cloche par exemple. Ils devaient réciter lentement le chapelet
sans la pensée de terminer cette prière puisque c’était une prière sans fin. Le chapelet ne
devrait donc jamais être récité avec l’idée de terminer la prière mais plutôt de la même façon
qu’il était dit au début de son utilisation. C’est un peu comme une digestion, une répétition
interminable qui peut finir par devenir inconsciente, comme physique. On peut comparer cette
forme de prière à la respiration.
Chacun peut inventer sa propre prière à répéter continuellement ou de temps en temps.
Pour que la prière soit plus facile et agréable à réciter on peut lui donner un rythme, une jolie
mélodie. Les moines chrétiens de l’Occident le font avec les psaumes chantés sur un ton
mélodieux régulier. Les juifs aussi aiment prier en psalmodiant de façon mélodieuse leurs
prières (dont les psaumes).
J’invente une prière courte, ou je m’inspire d’un texte que je connais. Je peux changer
de refrain selon le moment de la journée. C’est mon inconscient, mon besoin de chanter qui
prie le Seigneur sans vraiment y penser. Je peux penser, dire ou chanter une phrase plus ou
moins courte comme par exemple :
« Je T’aime Seigneur Iéshoua, viens aimer en moi. »
« Je T’aime, Seigneur ma force » (Psaume 18)
« Notre Père, notre Roi, Tu es Notre Père ;
Notre Père, notre Roi, nous n’avons que Toi ;
Notre Père, notre Roi, aie compassion de nous » (prière juive)
« Jésus le Christ, lumière intérieure, ne laisse pas les ténèbres me parler ;
Jésus le Christ, lumière intérieure, donne-moi d’accueillir ton Amour » (chant de Taizé)
« Viens Esprit de Sainteté, viens Esprit de lumière, viens Esprit de feu, viens nous
embraser. »
Et infiniment d’autres prières courtes sont possibles.
25
Ainsi la prière n’est pas limitée à un moment, elle devient latente, plus ou moins
inconsciemment continuelle. Elle devient un rythme intérieur naturel. C’est mon cœur qui
veille pendant que je dors : « Je dors mais mon cœur veille »30
Diversité
Le sommet de la prière continuelle, c’est plus que la paix intérieure : c’est la doumia
tse ednom el siaM .evissap erèirp al ,erèirp al snad soper el tse’C .rueirétni ecnelis el ,הייםוד
en guerre, le silence intérieur n’est pas facile à prolonger. J’ai besoin de toujours lutter pour
retrouver le silence du cœur, de prier aussi activement.
Prier continuellement ce n’est pas seulement répéter continuellement des prières, ce
n’est ni être continuellement actif (chapelet...), ni être continuellement passif (contemplation,
silence intérieur…). C’est un peu des deux, un mélange harmonieux des deux (travail /repos,
masculin /féminin).
Attention ! Notre prière peut parfois devenir une action de l’esprit (du cerveau) et non
du cœur. On peut devenir, si l’on n’y prend pas garde, des « machines à prier » qui oublient
Qui elles prient et pour quoi elles prient. Le chrétien sait Qui il prie : même si je ne connaîtrai
évidement jamais bien Iéshoua, je prie en Iéshoua mon Père du Ciel. Et puis, j’oublie
facilement que le but de la prière est l’Amour. Je me perds ou je m’isole dans des prières qui
sont en réalité seulement des activités de l’esprit sans lien direct avec l’Amour et la vie. La
prière m’ouvre sur les autres et sur la vie. Si elle m’enferme dans moi-même, dans un silence
intérieur synonyme de néant ou un rythme intérieur machinal, ce n’est plus prier, c’est
méditer sur rien, pour rien.
Prier comme vivre c’est faire différentes choses. Dans ma journée, de même que j’ai
des activités différentes, il est bon que j’aie des prières différentes. Répétitive, silence
intérieur, prière spontanée, lecture spirituelle, seul, à deux, etc.
De toutes les formes de prière, celle qui compte le plus c’est celle qui vient du plus
profond de mon cœur. Cette prière peut être sans parole, sans pensée exprimée en phrases. Ou
elle peut être expression spontanée de pensée, comme un dialogue avec mon Père. Cette
forme de prière est la plus simple, elle est à l’origine de toute forme prière. Et quand je ne
saurai plus prier -parce qu’on ne sait jamais prier- il me restera la prière spontanée : dire au
Seigneur ce qui vient naturellement de mon cœur.
C’est le désert, c’est-à-dire la pratique régulière et solitaire, qui m’enseigne à prier en
priant, plus que des maîtres, des livres ou une accumulation de techniques de méditation qui
m’éloignent de l’essentiel.
Désert et rencontre
« C’est moi qui ai veillé sur toi dans le désert, sur une terre de soif »
« Je t’ai connu au désert »
(Osée 13,5) (différentes traductions)
Iéshoua, comme Jean-Baptiste, prie beaucoup. Il prie avec ses amis, ses disciples, et il
semble qu’il prie surtout seul, souvent la nuit dans des lieux isolés, dans le désert. Le désert
est le lieu de la rencontre. Le Seigneur אדני habite dans le désert. Prier, c’est aller au désert.
Dans la prière dans le désert je suis au rendez-vous. C’est là qu’Il vient. Je suis seul, pauvre,
dépouillé, nu, vide. Il vient me remplir. Il vient dans mon silence, dans ma nuit, toujours par
surprise. Le désert c’est la chambre nuptiale. Le Seigneur vient y aimer son peuple, sa
créature. Il vient dans le désert s’unir à notre âme.
30 Cantique des Cantiques 5,2
26
Alors je ressuscite, je nais, je vis. J’ai affronté le désert. Je suis parti en aventurier, en
pionnier dans une zone inconnue de mon être. J’ai vaincu ma peur, mon impatience et mon
désespoir. Il me donne Lui-même. Il m’aime. Je L’ai vu, je L’ai touché, Il m’a parlé, Il m’a
caressé au sommet du Sinaï. Au cœur du désert, au sommet de ma soif, Il m’a connu, je L’ai
connu.
Je descends alors de la montagne, je cherche la sortie du désert. Je suis fortifié, plein
de joie. Et, comme en entrant au désert, je suis entouré de dangers. Dans la montagne de Dieu
je marchais, je montais, j’étais ivre et serein. Mais dans le désert, autour de la montagne
sacrée de la rencontre, c’est le brouillard, je suis faible, vulnérable, ma force est illusoire.
Désert, orgueil et aridité
Le danger principal du désert c’est l’orgueil. Je me crois le meilleur. Évidemment
puisque je suis seul ! Je me prends pour un dieu. Il a été tellement proche de moi, au dedans
de moi, pour moi, que je me prends pour Lui. Je tombe dans le piège de l’orgueil, de la
sensation de puissance lumineuse, de l’impression de supériorité. Le chemin vers le Sinaï et le
chemin qui vient du Sinaï, c’est un chemin dans le désert : on ne connaît jamais ce chemin
parce que le vent du désert efface les traces. Si je crois connaître le Seigneur parce que je L’ai
rencontré dans la montagne du désert, je me trompe. On ne Le connaît jamais. Il est
insaisissable, imprenable, sauvage.
Le désert humilie. Si je ne me laisse pas appauvrir par le désert, le Seigneur ne peut
pas me remplir de sa richesse d’Amour. Si je n’ai pas soif Il ne peut pas me donner à boire.
L’orgueil est un « coupe-soif », une boisson illusoire qui masque ma petitesse. Ma soif est
mon trésor. Mon humilité, ma pauvreté, la conscience de ma faiblesse, cela est ma sécurité. Je
veux veiller à entretenir ma soif d’Amour. Comme je n’oublie jamais de respirer, je n’oublie
jamais ma nudité, mon froid, ma nuit.
« Une autre difficulté, spécialement pour ceux qui veulent sincèrement prier, est la
sécheresse. Elle fait partie de l’oraison où le cœur est sevré, sans goût pour les pensées,
souvenirs et sentiments, même spirituels. C’est le moment de la foi pure qui se tient fidèlement
avec Jésus dans l’agonie et au tombeau. " Le grain de blé, s’il meurt, porte beaucoup de
fruit " (Jean 12, 24). Si la sécheresse est due au manque de racine, parce que la Parole est
tombée sur du roc, le combat relève de la conversion (cf. Luc 8, 6. 13). »31
C’est le vrai désert, le néant, l’inutilité, l’absurdité, l’ennui, l’aridité. Le désert est
absence, vide, mort, soif ou absence de soif. Désir ou absence de désir. C’est maintenant,
quand ma présence est pauvre, humble et souffrante que mon âme se fortifie. Quand le désert
de ma prière est riche de visions, de sensations, de joie sans épreuve, cela signifie que je ne
suis pas encore dans le désert.
Le désert de la prière est joie, allégresse, plaisir, mais pas n’importe quel bonheur.
Dans le bonheur du désert il y a aussi la douleur et l’aridité. L’allégresse est en harmonie avec
la souffrance. Je ne vois pas l’horizon, je ne sais pas où est le Jourdain. Je me demande même
parfois s’il existe un Jourdain. La joie dans la sécheresse est solide. Celui qui trouve Dieu
dans le silence du désert est riche. On ne peut rien lui prendre. Il a Tout avec rien. Que peut
prendre la mort au silencieux ? Si je trouve le Seigneur dans le désert, la mort est vaincue
parce que j’ai trouvé dans la mort la Vie.
« Je ne savais pas, mais j’étais avec Toi »
(Psaume 73)
Désert et combat
31 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n° 2731
27
Pire que de manquer d’amitié ou de ne pas se sentir aimé, c’est l’incapacité d’aimer.
Sa cause est probablement un manque d’amour et d’amitié mais ce qui est angoissant c’est
quand on ne parvient même plus à répondre à l’amour par de l’amour. On sent notre cœur
froid, comme mort, on est incapable de ressentir une émotion, de la joie ou de la compassion.
On regarde quelqu’un souffrir et on se sent indifférent. On n’est touché par aucune douleur et
donc par aucune joie.
La vie du cœur est feu. La paix du cœur ne suffit pas, le cœur a besoin aussi de
chaleur. Un cœur vivant ne peut être que chaleureux, chaud, brûlant. Une plante vivante ne
peut que grandir. Une fleur ne peut que fleurir. Elle ne peut pas s’arrêter. Et notre cœur ne
peut pas ne pas aimer. S’il n’aime plus, il souffre de soif d’amour. S’il ne souffre plus de soif
d’amour, il est mort.
Comment ressusciter notre cœur ? Ou comment le faire naître ? Comment en prendre
soin ? Comment entretenir son feu ? Comment saigner ? Comment laisser couler la
compassion et l’amour de notre cœur ?
Le cœur épanoui est un cœur qui saigne et qui déborde de joie. Sans la joie que donne
la vie amoureuse, la fleur est comme flétrie, elle regarde vers le bas. Quand nous regardons
vers le bas, quand nous perdons la sensibilité aux joies et aux souffrances des autres, nous
sommes en danger. Alors Il nous dit : « Relève ton visage, regarde vers le haut, sois fort et
droit, fais attention aux mauvaises pensées qui te pénètrent, prends garde à ton mauvais
penchant qui t’attire » Il nous prévient et nous encourage : « Attention au Mal qui est derrière
ta porte, sois plus fort que lui : domine-le » Il nous demande d’écraser le mauvais en nous
parce qu’Il ne peut pas le faire à notre place. Nous sommes libres d’aimer ou de haïr, de
tomber ou de nous relever.
« si tu agis bien tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à ta
porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi domine-le »32
« Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit »
ou « Qu’il me soit fait selon ta parole »
ou « Oui »33
« Que ta volonté se réalise »34
Ce qui donne une joie solide et vraie c’est la lutte : c’est le travail qui permet
d’apprécier la fête. On oublie souvent dans notre vie de relation avec le Seigneur que la
qualité principale, indispensable pour aimer, c’est la volonté. La volonté est justement une
absence d’amour, une soif d’amour qui nous conduit à l’amour. Aimer c’est vouloir. L’amour
est volonté tandis que la passion c’est se laisser emporter passivement. L’amour est parfois
passivité et souvent activité de la volonté.35
« Je t’aime » c’est donc « je marche vers toi ».
Aimer c’est aussi se battre, l’Amour est un art martial.
La relation d’amour avec le Seigneur peut ressembler parfois à une lutte. Le mot Israël
contient cette idée d’amour et de dialogue franc. Aimer Dieu c’est lutter avec Lui et
l’interroger : « Pourquoi ? » (« Lama » en hébreu), « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
(Psaume 21 et Matthieu 27,46) Jacob change de nom après une nuit de lutte avec un
personnage mystérieux qui était peut-être un ange ou Dieu lui-même.36
Il est alors nommé par
l’ange, Israël, qui signifie selon différentes traductions:
« fort devant Dieu » (« el » signifiant Dieu),
32 Genèse 4,7 33 Luc 1,38 34 Matthieu 26, 42 35 Aimer et vouloir sont si liés qu’en espagnol c’est le même verbe. « Je t’aime » se dit « Te quiero » : « je te
veux ». 36 Genèse, chapitre 32
28
ou « celui qui lutte avec Dieu »,
ou « droit devant Dieu ».
« La force de Dieu est douce et efficace »37
La prière est un travail, un sacrifice de louange. La prière est un effort quotidien, un
combat38
, une guerre permanente. Dans l’Amour, il s’agit d’une lutte, apparemment nue et
solitaire. Il est là, mais on ne Le voit pas, on ne Le sent pas. La force que Dieu nous demande
d’avoir n’est pas la force de l’orgueil, ce n’est pas une force violente, c’est une force humble
et douce. Il nous demande parfois de ne rien faire, de tenir, de ne pas tomber, en attendant
qu’Il arrive. Mais parfois c’est long. Non seulement on ne peut pas vaincre notre ennemi,
l’adversité, on ne peut pas passer l’obstacle, mais en plus, on ne voit plus ni l’obstacle, ni la
terre promise. Parfois on ne sait plus ce qu’on cherche et c’est le désert du néant. Il n’y a plus
de souffrance, plus de désir, plus d’amis, plus d’ennemis. Rien. Alors Il nous demande d’être
honnête, de lui dire : « je suis là », « je ne sais pas », « je n’ai rien », « je suis pauvre ».
B) La vie de prière
Je veux que ma prière soit belle. Je veux que l’endroit où je prie soit beau. Je veux
passer un bon moment. C’est un moment intime comme entre deux amoureux, à l’écart du
monde, hors du temps.
Ma prière n’est pas enfermée dans un moment limité, elle se prolonge par une attitude
de prière toute la journée. Je suis attentif à Celui qui veut nous habiter non seulement durant
le moment précis de ma prière, mais tout au long du jour et même de la nuit. Il habite mon
cœur, mon esprit et mon corps ; Il est mon âme.
Différents moments de la prière :
La prière du soir regarde du haut de la montagne le chemin parcouru aujourd’hui, le
monde, la vie demain.
Pardon
Je demande pardon à mes amis avant ou pendant la prière pour tous mes manques de
paix et d’Amour. Je Te demande pardon mon Père pour les mauvais gestes, les mauvaises
paroles, les mauvaises pensées que j’ai eus aujourd’hui. Je veux participer à la venue de ton
Règne, je veux participer à la construction de ton Royaume mais parfois je fais un travail de
destruction ou je ralentis la construction.
Merci
Je remercie mes amis et Toi mon Créateur pour tout ce que j’ai reçu de bon
aujourd’hui et aussi pour les moments durs qui m’aident à grandir, à avancer sur le chemin de
la Sagesse. Je Te remercie pour la santé, pour la nourriture du jour. Je Te remercie pour la
maison, pour l’amitié, pour Ta présence discrète au long de ma journée.
Demande
Je Te demande Seigneur pour moi-même et pour mes amis de garder nos âmes dans ta
Paix. Je Te demande de prendre soin de nos cœurs, de nous garder unis et de faire grandir en
nous ton Règne d’Amour. J’élargis ma prière au-delà de ma famille et de mes amis proches et
37 Père Thomas Philippe, Fidélité au Saint Esprit. 38 Catéchisme de l’Eglise Catholique, Edition 2004, Quatrième partie : la prière chrétienne, Chapitre troisième,
article 2 : Le combat de la prière)
29
lointains. Je Te demande Seigneur de venir sur la terre pour que ton Amour règne dans les
cœurs. Je Te demande d’être proche des enfants qui souffrent à cause des adultes. Prends soin
de ceux qui sont proches de la mort. Accueille avec tendresse ceux qui viennent de naître.
J’évite de demander à Dieu des choses futiles ou égoïstes. Il sait ce qui est bon pour
moi. Et cependant Il aime que je Lui exprime ce qu’Il sait. Alors je Lui dis ce qui vient de
mon cœur, ce qui sort de mon âme. Si cela vient de ma réflexion trouble, de mon intelligence
calculatrice, j’évite de laisser sortir ces paroles qui ne viennent pas du fond du cœur. Ma
prière pure ne vient pas de moi, elle vient de l’Amour Lui-même.
La prière du soir, plus que celle du matin, laisse la place à la spontanéité, à
l’expression libre. La prière du soir est chant, mouvement, joie transmise, fête.
La prière du matin est calme. La lutte du jour n’a pas commencé. Les guerriers du
Seigneur se concentrent pour le combat invisible de la Vie contre la mort. La prière du soir est
victoire avant le repos de la nuit. La prière du matin est silence et paroles paisibles. La prière
du soir comme celle du matin commence et finit par un silence. Le silence après la prière du
soir est sans limite. Le silence avant la prière du matin n’a pas de commencement.
Louange
Alléluia הלליה louez-Le (Ya יה est un des Noms de l’Éternel)
Alléluia, c’est la prière principale. Louer le Seigneur, c’est prier, c’est aimer. La prière
continuelle est louange. Louer le Seigneur c’est Lui dire que je L’aime, le répéter sans fin.
Louer Dieu c’est exprimer ma joie d’être son enfant. Je suis dans ses bras, je ne crains rien, je
n’ai peur de rien. Je vis et je meurs dans ses bras, contre Lui. Dans la vie et la mort, je peux
Le louer. J’aime la vie et la mort. Il n’y a plus de frontière entre les deux. La mort n’existe
plus si je l’aime. Si j’aime la mort, elle devient vie. Et ma vie devient Vie éternelle.
La prière de louange est une sanctification du Nom. Je rends saint ton Nom. Ton Nom
me sanctifie et tue en moi la mort. Tu es Le Vivant. Je Te chante, je Te glorifie, je Te célèbre,
je Te magnifie, je Te bénis. Les Psaumes, le chapelet, l’inspiration du moment, mon sourire,
ma façon de travailler, tout mon être en permanence peut Te louer. Je T’embellis parce que
ton image dans nos cœurs a été salie. Je cherche ta beauté dans le désert de mon âme. Je
cherche la beauté de ta voix dans le silence de mon cœur. Je veux transmettre, refléter, offrir
ton regard, ton sourire, tes gestes et tes pensées dans moi. Je veux que Tu sois moi.
Enflamme-moi de Toi.
Conseils pour prier :
Le lieu
« Quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et prie
ton Père qui est là dans le secret. »39
Je cherche un endroit tranquille : ma chambre, dans la nature, dans une église ... Si
c’est possible je garde toujours le même endroit pour prier. Dans un coin de ma maison par
exemple, je place une bougie, une Bible, une croix. Je peux arranger cet endroit à mon goût,
le décorer. Mais le plus sobre est souvent le plus favorable à la paix intérieure. Je me fabrique
mon temple personnel qui me ressemble. C’est mon lieu de rendez-vous avec l’Éternel. C’est
là qu’Il m’attend pour me prendre dans ses bras, pour me chuchoter tout bas qu’Il m’aime.
Le moment
39 Mathieu 6,6
30
« Au réveil je me rassasierai de ton visage »
(Psaume 17)
« Je Te cherche dès l’aube »
(Psaume 63)
« Le matin ma prière est déjà devant Toi »
« Dès le matin ma prière va au devant de Toi »
« Dès le matin ma prière Te cherche »
(Psaume 88) (différentes traductions)
« Au matin je me présente à Toi et je suis dans l’attente »
« Le matin je me prépare pour Toi et je suis en éveil »
« Le matin Tu entends ma voix ; je prépare tout pour Toi et j’attends »
(Psaume 5) (différentes traductions)
Tôt le matin mon âme est plus réceptive à la présence du Créateur que le reste de la
journée quand le monde est plus agité. L’aube est propice au calme intérieur. L’Esprit Saint,
l’Amour est « rosée du matin ». C’est le matin que je suis le plus sensible à la voix de
l’Éternel. La prière du réveil oriente ma journée.
Au réveil je tourne mon regard vers le Très-Haut, je Le remercie de m’avoir gardé en
vie pendant la nuit et je Lui confie ma journée. Je Lui demande de venir m’habiter, de chasser
de mon esprit les cauchemars et les mauvaises pensées. Je Lui demande de m’accompagner
tout le jour.
La prière du soir ou du coucher ferme ma journée. Je regarde en arrière de quelle façon
l’Invisible a été présent, si j’ai été attentif ou pas à ses appels, à ses signes discrets.
Dans la journée, j’essaie de trouver un moment de tranquillité pour me réfugier dans
mon cœur, là où habite Celui qui m’aime. Je prends un moment pour Lui parler, pour faire
silence et mieux L’écouter. Et puis, chaque fois qu’Il m’appelle, même si ce n’est pas
programmé, j’accepte son invitation à entrer dans sa demeure invisible. Je regarde par la
fenêtre et je lève les yeux vers le ciel. Je sors un moment et je marche. Je rentre dans une
église. Je m’arrête de travailler et je me souviens de Lui. Chaque fois qu’Il m’invite, je rentre
dans son cœur, dans sa maison, dans sa Paix si précieuse.
L’Ami
« La nuit je me souviens de Toi et je reste des heures à te parler »40
« Par sa Parole, Dieu parle à l’homme. C’est par des paroles, mentales ou vocales,
que notre prière prend corps. Mais le plus important est la présence du cœur à Celui à qui
nous parlons dans la prière. " Que notre prière soit entendue dépend, non de la quantité des
paroles, mais de la ferveur de nos âmes " »41
Prier, c’est communiquer avec mon Ami invisible. Tu me parles dans le silence, Tu
me parles par mes propres mots, par mes pensées, par ma bouche. Tu m’inspires Toi-même
ma prière. Je suis avec Toi n’importe quand, n’importe où. Je rentre en moi-même et je suis
avec Toi. Je t’appelle Jésus, Iéshoua, Seigneur ou Notre Père. Je t’appelle Mon Dieu parce
que Tu es à moi comme à nous et à tous ceux que Tu aimes et qui T’aiment.
40 Psaume 63 41 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n° 2700
31
La position
« Confiant dans ta miséricorde Adonaï,
j’entre dans ta maison et je me prosterne devant le sanctuaire de ta Gloire.
J’aime ta demeure Ô Éternel, le lieu où trône ta majesté.
Incliné, agenouillé et prosterné devant l’Éternel mon Créateur,
je prie.
Puisse ma prière Ô mon Dieu, arriver devant Toi dans un moment favorable,
et puissé-je être exaucé par l’intervention puissante de ta Grâce. »
(Prière juive en entrant au Temple)
Je cherche une belle position pour que mon corps soit à l’aise. Je prends une position
respectueuse parce qu’au moment où je prie, je m’adresse au Créateur de l’Univers, au Dieu
Tout-Puissant. Ma position peut varier si je reste longtemps. Je trouve donc la position la plus
confortable et la plus respectueuse. Je cherche une position favorable à la concentration,
détendue mais pas trop, pour que je ne m’endorme pas. Je peux me mettre à genoux, assis sur
le sol ou sur une chaise, en tailleur...
Pour commencer et terminer chaque prière les chrétiens font le signe de la croix. Si
c’est une prière dans le métro ou un endroit public, je peux faire un petit signe de croix sur
mon cœur ou sur mon front. Chacun trouve le petit rituel qui lui convient pour marquer une
entrée et une sortie du moment de prière. Je m’installe (par exemple en enlevant mes
chaussures) pour un moment de recueillement, j’allume une bougie... C’est comme un rituel
qui me fait entrer dans un moment sacré. Ce petit geste délimite le moment de la prière. Je
rentre chez un Ami, je me mets à l’aise.
La prière est une maison dans le temps. Je m’y réfugie comme dans un endroit secret
et paisible, mais invisible, hors de l’espace. Une fois à l’aise, bien installé, je cherche la paix,
le silence. Je fais pénétrer cette paix au dedans de moi. Pour m’aider à rentrer dans cette
ambiance tranquille, je respire doucement. Les Orientaux, notamment les bouddhistes,
travaillent beaucoup sur la respiration pour se concentrer et méditer. Mais ce n’est pas
nécessaire d’étudier des techniques compliquées pour trouver le calme.
« L’Éternel modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses
narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. »
Lutte et repos
« La difficulté habituelle de notre prière est la distraction. Elle peut porter sur les
mots et leur sens, dans la prière vocale ; elle peut porter, plus profondément, sur Celui que
nous prions, dans la prière vocale (liturgique ou personnelle), dans la méditation et dans
l’oraison. Partir à la chasse des distractions serait tomber dans leurs pièges, alors qu’il suffit
de revenir à notre cœur : une distraction nous révèle ce à quoi nous sommes attachés et cette
prise de conscience humble devant le Seigneur doit réveiller notre amour de préférence pour
lui, en lui offrant résolument notre cœur pour qu’il le purifie. Là se situe le combat, le choix
du Maître à servir (cf. Mt 6, 21. 24). »42
L’une des méthodes simples pour chasser le trouble c’est de penser que chaque
expiration expulse mes pensées négatives tandis que chaque inspiration m’apporte de belles
pensées. Chacun a sa propre méthode pour entrer dans la paix, pour apaiser ses pensées. La
prière est respiration.43
Pendant ma prière je ne me laisse pas emporter par un rythme
machinal rapide, je respire entre chaque phrase que je dis ou que je pense. Une belle prière,
42 Catéchisme de l'Église Catholique, article n° 2729 43 Genèse 2,7
32
comme un geste de tendresse, est lente. La prière est un moment agréable, un bon moment
avec mon Ami, mon Époux invisible, l’Amant de mon âme. Comme je désire aimer je désire
prier.
J’ai choisi un endroit et un moment paisibles. Mes mains peuvent être posées sur mes
genoux, à plat contre ma poitrine, levées, jointes devant moi. Je peux changer de position
quand je me fatigue.
Devant moi il y a l’horizon, la mer. Il y a un beau paysage, le soleil qui se lève ou se
couche, la lune, les nuages ou les étoiles de la nuit. Si je suis dans ma chambre, je mets devant
moi une bougie et je peux regarder la flamme pour me concentrer sur ce que je fais. L’eau qui
coule et la flamme sont deux éléments naturels qui apaisent. L’eau a un son : la pluie, une
cascade, une fontaine, les vagues. Le son de l’eau donne un rythme à ma prière. Le feu aussi a
un son agréable. La nature nous invite à prier.
J’ai la tête un peu inclinée ou droite. Si je m’endors je relève la tête, si je suis agité je
la baisse un peu. Ma bouche peut être légèrement ouverte pour mieux laisser passer l’air, pour
mieux goûter l’air. Je suis présent avec mon corps. Je regarde, j’écoute, je sens avec mon
corps, je sens avec mon odorat, je sens avec ma bouche aussi. Je sens à l’intérieur de mon
corps la vie, mon cœur, mes poumons qui bougent, le sang qui coule dans mes veines. Je
ferme les yeux pour mieux trouver le calme intérieur. Je les ouvre si mon imagination ou mes
rêves m’emportent. Je regarde un détail devant moi, la flamme, une image, une croix. Mais je
ne fais pas d’effort pour fixer. Je peux aussi laisser aller mon regard globalement devant moi
sans rien fixer de particulier.
Je cherche l’équilibre, l’harmonie, le bien être, le repos, mais pas le sommeil. Si je ne
trouve pas la paix, le calme et le repos, je n’insiste pas. Je recommencerai plus tard. Si je
m’endors, je n’insiste pas, je vais me coucher. Je raccourcis ma prière et je prierai mieux plus
tard ou demain. Je suis souple. Si quelqu’un interrompt ma prière, je suis disponible. Ma
prière devient invisible, imperceptible, elle continue dans la discussion avec la personne qui
est venue me voir. Ma prière, bien qu’elle soit un moment défini, n’est pas coupée de la vie.
La prière continuelle
Ma vraie prière, ma prière naturelle et réelle, commence quand je termine ma prière.
On prie pour aimer. En priant on essaie d’être présent à la vie. Et cette présence nous permet
d’aimer pendant la prière et hors de moments de prière si bien que notre prière n’est plus
limitée à des moments ; notre vie, peu à peu devient prière.
A la fin de mon temps de prière je reviens progressivement à mes activités. Je laisse
l’atmosphère de la prière se propager dans ma vie. L’effet de la prière est fragile. Je le
protège, je garde mon calme le plus longtemps possible après ma prière. Après avoir été
attentif au silence où parle Mon Dieu, je suis attentif à Sa Présence dans ma vie, dans les
gestes et paroles des autres, partout. Il est là en permanence mais on ne Le voit pas parce que
notre âme n’est pas assez sensible et pas assez attentive.
Je ne prie pas seulement au moment précis de ma prière. La prière idéale est
continuelle, ininterrompue. Elle dure même pendant que je dors, elle se poursuit dans mon
inconscient. C’est un doux désir en harmonie avec ma volonté. Ma position durant ma prière
devient une attitude constante. L’effort et le désir dans ma prière se transforment en effort et
désir tout au long de ma journée. C’est comme une prière devenue automatique qui ne fait
presque plus appel à ma volonté : j’ai trouvé le goût de la prière. Ma prière déborde mon
moment de prière. Je prie pour aimer. J’aime prier.
« Je demeure dans son amour. »
(Jean 15,10)
Etre présent à Sa Présence
33
« J’ai choisi de me tenir sur le seuil, dans la maison du Seigneur »
« Plutôt rester au seuil de la maison du Seigneur »44
Je suis ici et maintenant pour essayer de prier. Je vais rester quelques minutes ou une
heure sans bouger, en essayant de ne pas trop me laisser distraire par mes voisins, par les
bruits ou par mes pensées brouillées. J’essaie d’être immobile jusqu’à souffrir d’être là. Ma
prière est pauvre, sans lecture, sans belles paroles que je pourrais me réciter, sans rien. Je suis
simplement simple. Je suis là devant Lui, tout petit, effacé, disponible. J’écoute sa voix dans
le silence. Je n’entends rien, je ne vois rien, je ne sens rien. J’ai confiance. Je suis
silencieusement docile.
Je t‘offre ma soif, c’est tout ce que j’ai, tout ce que je suis.
La contemplation est muette. Elle consiste à réaliser la présence de Dieu au fond de
tout être et de toute chose : animaux, plantes, beaux paysages… La prière est dialogue avec
l’Ami. Elle apporte le réconfort et oriente vers l’Amour. Elle est, accessoirement, demande
d’intercession. La méditation est plutôt un exercice de préparation à la prière. Elle reste sur le
plan intellectuel. Elle conduit au silence intérieur préparatoire.
L’effort d’apaisement des pensées est plus méditation que prière, plus effort personnel
qu’appel au Créateur. Mais la prière n’est pas non plus une attente inactive et passive de Dieu.
Dans la prière je vais vers Lui, à sa rencontre. Entre méditation et prière, la frontière n’est pas
toujours nette. La méditation peut être sans prière et la prière peut être sans méditation.
Cependant une vraie prière est à la fois active et passive. Il n’y a pas de vraie confiance sans
preuve de confiance. Je vais à sa rencontre dans le désert, je ne sais pas s’Il sera au rendez-
vous mais j’y vais.
Ma prière enrichit et fortifie ma vie ; et ma vie enrichit et fortifie ma prière. La prière,
comme la vie est lutte contre l’attraction de la mort. La prière est un art martial intérieur.
L’une des différences entre la vision bouddhiste et chrétienne de la vie spirituelle, c’est que
pour le bouddhiste le but est le nirvana, la paix parfaite, l’élévation maximum de l’âme pour
se libérer du samsara (« enfer ») des réincarnations successives. Pour celui qui suit Iéshoua, le
but dans cette vie sur terre n’est pas le nirvana, la paix parfaite (sorte de néant). La vie en
Iéshoua va vers l’Amour, non pas vers une solitude paisible mais vers les autres en manque
d’Amour.
« Dans le combat de la prière, nous avons à faire face, en nous-mêmes et autour de
nous, à des conceptions erronées de la prière. Certains y voient une simple opération
psychologique, d’autres un effort de concentration pour arriver au vide mental. Telles la
codifient dans des attitudes et des paroles rituelles. »45
Le but premier de la prière n’est pas l’élévation de l’âme, c’est le réchauffement et le
rayonnement du cœur. Je ne cherche pas à réaliser des « performances spirituelles », à monter
à un niveau supérieur de conscience, à devenir un être surhumain. Je ne cherche que l’Amour.
Le cœur ne fait pas de compétition, ne m’élève pas au dessus du reste de l’humanité. Si je
perds de vue ma petitesse je suis perdu. Si mon orgueil accompagne mes progrès spirituels, il
les annule ; mes progrès spirituels deviennent stériles et illusoires. L’ “organe spirituel” n’est
pas l’esprit mais le cœur.
La solitude paisible dans le désert est pour Iéshoua un moyen, pas un but. Il prie même
la nuit dans le désert, et le matin Il va vers ses amis. L’Amour est vie, communication. Le
désert de la méditation et de la prière est une mort volontaire de nos désirs pour les purifier,
pour que notre Amour soit paisible et bon. Je ne prie pas pour prier, je prie pour aimer.
Purifier mes pensées demande aussi l’aide du Seigneur. Je médite et je prie en même
temps, continuellement. Je rejette les pensées qui me troublent, m’éloignent de la paix
44 Psaume 84 (différentes traductions) 45 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n°2726
34
intérieure. J’accepte les belles pensées. Si les pensées qui me troublent sont des pensées de
haine, je les confie au Seigneur qui est l’Amour pour qu’Il m’aide à transformer ma haine en
indifférence, en paix, puis en pensées de compréhension et finalement d’Amour. Cet Amour
étant illogique, au delà de mon humanité, j’ai besoin du Père de l’Amour pour passer de la
paix humaine à l’Amour divin.
Prier c’est se tourner vers le Créateur, c’est prier Quelqu’un.
Méditer c’est rentrer en soi-même en priant ou sans prier.
Contempler c’est apprécier l’œuvre du Créateur, aimer passivement.
Adorer c’est contempler le Créateur, dans une hostie, le Saint Sacrement.
Adorer, c’est prier. Contempler aussi c’est prier si on voit dans ses œuvres, dans la
nature ou les humains, le Créateur. Peu importe ces étiquettes, ces noms que l’on donne à ces
différentes façons de rechercher la paix et l’Amour.
Entre méditation, contemplation et adoration, la limite n’est pas toujours bien définie.
Alors on peut donner un nom commun à ces formes d’« actions spirituelles » : la présence à
Sa Présence.
Lui être présent en Le bénissant en tout
« (…) nous avons tendance à mettre la vie spirituelle du côté de l’intériorité. Certes, il
ne s’agit pas de nier la nécessité d’une vie intérieure, du recueillement et de la prière, mais y
réduire la vie spirituelle c’est la mutiler gravement jusqu’à la tuer. Le recueillement et la
prière sont un tremplin pour nous faire sortir à la recherche de Dieu en toutes choses. »46
« Chaque fois que nous allons boire un verre d’eau, nous rappelons le mystère éternel
de la création, en disant : « Tu es béni, Seigneur… qui par Ta Parole as conduit toutes choses
jusqu’à l’être »… Lorsque nous désirons manger du pain ou un fruit, lorsque nous prenons
plaisir à un parfum agréable ou à une coupe de vin, lorsque nous goûtons des fruits pour la
première fois dans la saison, lorsque nous contemplons l’arc-en-ciel ou la mer, ou bien les
arbres qui bourgeonnent, lorsque nous rencontrons un sage selon la Loi ou selon les sciences
du siècle, lorsque nous écoutons de bonnes ou de mauvaises nouvelles- on nous demande
d’invoquer Son Nom et de prendre conscience de Lui. Même en accomplissant nos fonctions
physiologiques nous disons : « Tu es béni Seigneur, qui guéris toute chair, et qui accomplis
des merveilles ». C’est l’un des objectifs de la conception juive de la vie, que de ressentir les
actes les plus communs comme des aventures spirituelles, et de saisir en toute choses l’amour
de la sagesse. »47
« Berakah –dont la traductions normale est « bénédiction », voire
admiration/louange/action de grâce- est un des termes en lesquels se condensent la richesse
et l’originalité de la pensée juive. Peut-être est-ce le maître mot en qui se résume
l’anthropologie juive : sa façon de situer l’homme en face de Dieu et en face du monde. La
berakah, en effet, définit un triple rapport : avec Dieu, avec le monde et avec ses propres
semblables. Mais, plus que d’un triple rapport, il s’agit en réalité d’un unique rapport, que
l’on pourrait définir triangulaire. (…) Par la prière de bénédiction, l’israélite reconnaît ces
trois pôles et la qualité de leurs relations. En prononçant la formule : « Béni sois-tu,
Seigneur, pour les fruits de la terre… », il reconnaît Dieu comme origine et « propriétaire »
des choses ; le monde, comme don, à accueillir et à partager ensemble ; les hommes, comme
frères, avec lesquels participer à l’unique banquet de la vie. Ainsi la berakah saisit-elle la
46 Jean-Claude Dhôtel, s.j. Voir tout en Dieu, chercher Dieu en tout 47 A.J. Heschel, Dieu en quête de l’homme
35
véritable intentionnalité du monde : elle se situe comme condition de réalisation du Royaume.
Sans elle, le monde reste triste et opaque, fermé en lui-même et voué au mal (…). Grâce à
elle, le monde récupère sa splendeur originelle : il dévoile en toute chose le demeure du Sens,
à savoir le Sacré. »48
« Bénir signifie révéler l’ultime identité des choses, la profondeur de leur intériorité :
celle d’être en relation avec le Créateur, signes tangibles de son attention et de sa sollicitude.
Cette perception des choses opérée par la berakah – et qui consiste à les relier à
l’intentionnalité divine- porte un nom dans la Bible : la crainte. A.J. Hesachel la décrit ainsi :
« La crainte est l’intuition de la dignité de toutes choses en tant que créatures, une intuition
du fait qu’elles sont forcément précieuses à Dieu. Craindre, c’est apercevoir que les choses
ne sont pas seulement ce qu’elles sont, mais signifient en quelque manière quelque chose
d’absolu. La crainte est une conscience de la transcendance, et de la nécessaire référence en
toutes circonstances, à Celui qui est au-delà de tout. C’est une intuition que les attitudes
expriment mieux que les mots. » »49
48 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante 49 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante
36
3) Iéshoua à l’église,
avec Pierre.
« Le Seigneur sera avec toi »
(1 Samuel 17, 37)
« Le Seigneur est avec toi »
(Luc 1,28)
Pierre est l’homme de cœur. Il n’est pas le plus intelligent des apôtres et pourtant c’est
lui que Iéshoua choisit pour Le représenter. Ce n’est pas un hasard. Pierre est celui qui
questionne, qui demande. Il se trompe parfois, il ne pose pas toujours les bonnes questions, il
est impulsif. Mais son cœur est toujours attaché à celui de son Maître. Il parle avec son cœur.
Son bon cœur ne fait aucun doute. Pierre est faible au moment difficile mais jamais mauvais.
Il a beaucoup à nous enseigner sur le pardon à soi-même. Avec Pierre je peux apprendre à ne
jamais me décourager, à pardonner et à me pardonner à moi-même soixante-dix-sept fois sept
fois. Il m’apprend à me relever.
Pierre prie comme les juifs et avec le peuple juif, même après le départ de Iéshoua50
. Il
prie avec les autres. Il aime l’unité. Il préfèrerait que les nouveaux chrétiens soient d’abord
juifs mais, pour l’unité, il accepte de changer d’avis. Il écrit peu, pas autant que Paul et Jean.
Il prie avec force. Il expulse les mauvais esprits au nom de Iéshoua. Il donne, il marche, il
avance. Il se bat pour Celui qu’il a choisi de suivre. Il va jusqu’au bout. Il nous demande
d’écouter dans notre cœur, celui de Iéshoua.
A) Le judaïsme éclairant le christianisme
La prière à la synagogue
« A la différence du Temple, défini par le lieu et par le caractère sacré, la synagogue
est caractérisée par la communauté : celle-ci lui donne sens et substance. Partout où un
groupe de personnes se réunissent avec l’intention de prier et d’écouter ou d’étudier la
Torah, il y a « synagogue », quels qu’en soient le lieu et les dimensions. (…) Toute personne,
indépendamment de sa fonction et de sa classe sociale, a le droit d’animer la prière,
d’entonner un chant, de lire la Torah ou de prendre la parole, à condition d’avoir un
minimum d’âge (12/13 ans) et la capacité de la faire. »51
La synagogue est un lieu de prière et de vie parce qu'on y passe beaucoup de temps à
prier et à étudier. Le Shabat commence par la prière du vendredi à la tombée de la nuit. Le
samedi, les prières durent toute la matinée et reprennent dans l'après-midi jusqu'à la tombée
de la nuit et même souvent plus tard. La prière est un vrai travail qui demande du rythme et
des forces. Aussi, quand un non-juif (un goy) participe aux prières juives, il lui semble que
tout est désordonné et bruyant. C'est parce qu'il y a divers moments très différents : des
moments de prière collective à voix haute, des moments de prière individuelle à voix basse,
des moments de lecture, des moments guidés par le rabbin, d'autres guidés par un homme de
la communauté (à partir de treize ans). Et, comme c'est long, il faut se reposer. La prière peut
donc être interrompue par un repas pris ensemble avant de retourner prier.
50Actes 3,1 51
La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante
37
Théologie juive et théologie chrétienne
« Nostra Aetate52
oblige à penser de nouveau toute la théologie. Penser de nouveau
toute la théologie ne peut signifier qu’une chose : redécouvrir les catégories juives ; ces
catégories à l’intérieur desquelles l’expérience chrétienne est née, et au moyen desquelles elle
a formulé ses thèmes et s’est transmise. Jésus, comme l’a écrit L. Swidler, « fut un rabbi et
non un père, un maître et non un révérend ; il fut un juif et non un chrétien ; il fréquenta la
synagogue et non une église ; il célébra le shabbat et non le dimanche ; il pria en araméen et
non en grec ou en latin ; il lut l’Ancien Testament et non le Nouveau ; il récita les psaumes et
non le rosaire ; il célébra Pesah (la Pâque juive), Shavuot (la Pentecôte juive), et Sukkot (les
Tentes) et nonla Noël ou le carême… » (…) Réaffirmer l’importance des origines ne signifie
point renier le présent en devenant des nostalgiques (…) En réalité l’amour des origines est
amour du présent : pour un présent rempli de qualité et de sens. »53
« Le langage religieux du judaïsme ne naît pas de l’instance de la raison spéculative,
mais de la passion et de la pression d’une expérience de vie, marquée par la présence et la
parole de Dieu. Voilà pourquoi le judaïsme est dépourvu, à proprement parler, d’une
théologie –c’est-à-dire d’une réflexion systématique et articulée sur Dieu (…) De là découle
l’importance première et fondatrice du moment liturgique, entendu comme le lieu symbolique
et immédiat de la rencontre avec Dieu. Le lieu où l’on ne parle pas de Dieu, mais où l’on
parle à Dieu ; dans lequel on ne pense pas à Dieu, mais où l’on pense en face de Dieu ; dans
lequel Dieu n’est pas objet de réflexion, mais sujet qui interpelle. »54
La Pentecôte
« La Pentecôte est par excellence la fête des prémices, alors que la fête des azymes –à
Pâque- n’en n’est guère que la préparation : en réalité ces deux fêtes encadrent la période
des moissons. Le lien entre Pâque et Pentecôte se rencontre dans l’étymologie même de cette
dernière fête : Pentecôte signifie, en effet, cinquantième (jour sous-entendu), à compter de
Pâque, prise comme premier jour. La remarque est valable aussi pour le nom hébreu
shavouot, qui veut dire « semaines » : soit la fête qui se célèbre sept semaines après le jour de
pesah (Pâque). (…)
Fête des prémices et de la Torah, la Pentecôte est encore connue sous le nom de
aseret, à savoir « clôture », suivant la teneur du mot hébreu. Pourquoi ce nom ? Il y a deux
raison : 1. au niveau agricole, la fête de shavouot conclut le cycle de l’offrande et des
prémices, qui a commencé avec la moisson de l’orge et la fête des massot ; 2. au niveau
historique surtout, elle conclut le sens de la Pâque, dont l’accomplissement se réalise par le
don de la Torah. (…)
Le don de la Torah n’est pas, en réalité, un moment postérieur à la libération
d’Egypte, comme si Dieu d’abord faisait sortir Israël, et ensuite lui offrait la Torah. Pas du
tout ! Ce don est la raison profonde qui L’a poussé à agir : Dieu fait sortir Israël de l’Egypte
pour lui faire don de la Torah ! L’Exode d’Egypte n’est pas une fin en soi : il est tout orienté
vers le Sinaï. Là, Israël passe de la dépendance sous Pharaon à l’obéissance en présence de
Dieu ; du vivre pour soi, qui est esclavage, au vivre selon Dieu, qui est liberté ; bref, de la
servitude au service.
52 Nostra Aetate, Déclaration du Concile Vatican II (1962-65) dont le paragraphe 4 concerne les relations avec le
judaïsme. 53 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante 54 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante
38
Fête des prémices et de la Torah, la Pentecôte célèbre par conséquent un événement
double : celui de la fécondité de la terre et de l’obéissance de l’homme. Il le célèbre comme
deux événements, non pas séparés, mais bien en corrélation d’interdépendance : la terre est
féconde à condition que l’homme y vive et œuvre avec elle selon la justice, c’est-à-dire selon
l’Alliance. Cœur juste et fruits abondants : ce sont là les deux pôles nécessaires et
irremplaçables ! De leur rencontre seule fleurit la joie de la fête ; de leur mariage naît le
chant de l’Eden ! »55
"La lecture des Actes des Apôtres raconte comment, le jour de la Pentecôte, l'Esprit
Saint, sous les signes d'un vent puissant et du feu, fait irruption dans la communauté des
disciples de Jésus, en prière, et donne ainsi origine à l'Eglise. Pour Israël, la Pentecôte, de
fête des moissons, était devenue la fête qui faisait mémoire de l'établissement de l'alliance au
Sinaï. Dieu avait montré sa présence au peuple à travers le vent et le feu et il lui avait ensuite
fait don de sa loi, des dix Commandements. Ce n'est qu'ainsi que l'œuvre de libération,
commencée avec l'Exode de l'Egypte, s'était pleinement accomplie : la liberté humaine est
toujours une liberté partagée, un ensemble de libertés.
Une liberté commune ne peut régner que dans une harmonie ordonnée des libertés,
qui ouvre à chacun son propre domaine. C'est pourquoi le don de la loi sur le Sinaï ne fut pas
une restriction ou une abolition de la liberté, mais le fondement de la véritable liberté. Et,
étant donné qu'une juste organisation humaine ne peut exister que si elle provient de Dieu et
si elle unit les hommes dans la perspective de Dieu, les commandements que Dieu lui-même
donne ne peuvent manquer à une organisation ordonnée des libertés humaines. Ainsi, Israël
est pleinement devenu un peuple précisément à travers l'alliance avec Dieu au Sinaï. La
rencontre avec Dieu au Sinaï pourrait être considérée comme le fondement et la garantie de
son existence comme peuple. Le vent et le feu, qui frappèrent la communauté des disciples du
Christ rassemblés au Cénacle, constituèrent un développement supplémentaire de l'événement
du Sinaï et lui donnèrent une nouvelle envergure."56
« Le commandement d’aimer comme Jésus ne se substitue pas aux commandements.
Cela n’aurait aucun sens. Il n’y a qu’une seule Loi sainte. La Loi, c’est la révélation des
commandements de Dieu. La nouveauté est dans l’acte de Dieu qui envoie à Israël son fils
obéissant. Lorsqu’à la Pentecôte l’Esprit sera répandu sur ceux qui deviennent les frères et
les sœurs du Christ, alors s’accomplit ce que les prophètes ont promis. Ainsi, Dieu crée un
peuple dont le cœur est né de l’Esprit et qui, dans l’Esprit, accomplira parfaitement les
commandements de sainteté. »57
B) La prière à l’église
« La prière est la foi en acte. Et ce n’est que dans l’expérience de la vie avec Dieu
qu’apparaît aussi l’évidence de son existence. C’est pour cette raison que sont si importantes
les écoles de prière, les communautés de prière. Il y a complémentarité entre la prière
personnelle (« dans sa propre chambre », seul devant les yeux de Dieu), la prière commune
« para-litugique » (« religiosité populaire ») et la prière liturgique. Oui, la liturgie est avant
tout prière (…) »58
55 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante 56 Extrait de l'homélie prononcée par le pape lors de la messe de la Pentecôte. ROME, Lundi 16 mai 2005 57 Jean-Marie Lustiger, La promesse, 1. Jésus et la Loi, Le plus grand commandement. 58 Josef Ratzinger, Liturgie et mission, La nouvelle Evangélisation, conférence à Rome du 10 décembre 2000
39
La paroisse est une communauté de prière, une famille ouverte et solidaire : quand on
parle de pauvreté, on devrait inclure la pauvreté affective, autrement dit le manque de liens
amicaux. La paroisse devrait non seulement être un lieu de ressourcement spirituel mais aussi
un lieu d'amitié. Et, malgré son identité chrétienne, la paroisse ne devrait pas être réservée aux
chrétiens, sauf bien sûr le moment et le lieu destinés à la prière.
L’église est une maison de prière
Un lieu ouvert.
Un lieu pour prier ensemble chaque jour.
Un lieu pour apprendre à prier et pour étudier ensemble.
Un lieu pour se rencontrer.
Un lieu pour une communauté familiale spirituelle unie : la paroisse.
“Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis”59
Les églises sont des espaces souvent inutilisés alors qu'elles pourraient être des lieux
de chaleur spirituelle et humaine. L’église est un lieu pour la prière quotidienne, pour la
rencontre avec le Seigneur et ceux qui Le cherchent. L’église pourrait être une maison de
prière toujours ouverte avec deux parties, une silencieuse ou réservée à la prière, et une
réservée à l’étude et aux rencontres.
L’église, pour nous chrétiens, est théoriquement un lieu de rencontre ; mais nous ne
fréquentons pas beaucoup nos églises. Et à l’église, soit on s’ignore comme on s’ignore dans
une salle de cinéma, soit on échange de la même façon qu’en faisant ses courses ou dans un
café : on parle « de la pluie et du beau temps » sans tenir compte du fait qu’on se trouve dans
un lieu de prière.
« Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la
fraction du pain et aux prières. (…) Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et
mettaient tout en commun. (...) Ils louaient Dieu et trouvaient un accueil favorable auprès du
peuple tout entier. »60
Prier chaque jour
La communauté chrétienne de Taizé a compris que la prière est un rythme quotidien
pour tous. Un chrétien qui se dit chrétien prie au moins une fois par jour. C'est le minimum
vital. On devrait prier trois fois par jour selon l'appétit de chacun.
Taizé est un bon modèle. La première prière est celle du soir, c'est le début de la
journée du chrétien, comme du juif61
. C'est l'occasion de regarder en arrière, ce qui s'est passé
durant le jour, de remercier et de demander pardon avant de commencer la nuit.
Horaire des prières quotidiennes à Taizé :
En semaine :
8.30 Prière du matin
12.20 Prière de midi
20.30 Prière du soir
Vendredi soir :
20.30 Prière du soir suivie de la prière autour de la croix
Samedi soir :
20.30 Prière du soir suivie de la liturgie de la lumière pascale
Dimanche :
59 Psaume 133 60 Actes 2,42-47 61 Lire l'explication du Frère Roger sur la Liturgie de Taizé, écrite en 1971.
40
10.00 Eucharistie
20.30 Prière du soir
Groupes de prière
Un groupe de prière ne peut pas se faire seul. Il faut que plusieurs paroissiens en aient
le désir et que le curé de la paroisse, même s’il n’y participe pas à chaque fois, soit le soutien
et l’autorité de ce groupe.
Le rythme des rencontres peut être hebdomadaire, par exemple chaque jeudi soir de
20h à 21h. Il ne s’agit pas de faire long mais d’être fidèle à cette réunion autour du Christ et
avec Lui. Le lieu peut être le presbytère ou l’église.
Il est bon que deux ou trois personnes prennent la responsabilité de guider à tour de
rôle la prière, de donner le rythme. Au début il n’est pas nécessaire d’être nombreux et il ne
faut pas faire d’autre publicité que le bouche à oreille, le temps que le noyau du groupe se
consolide.
La prière du jeudi soir, en souvenir de la prière de Jésus le soir du Jeudi Saint, devrait
être recueillie, calme. On peut avoir des moments distincts à l’intérieur de cette petite heure :
- Au début, une dizaine de chapelet pour entrer dans le calme (au lieu de réciter tous
ensemble rapidement et bruyamment le chapelet, on peut chacun à son tour dire à haute voix
un « Je vous salue Marie ») ;
- puis, un moment de prière spontanée pour remercier Dieu pour notre journée et lui
demander pardon, pour nous-même ou pour le mal que nous voyons dans le monde ;
- puis, une lecture : soit la Parole du jour, soit un passage choisi dans la Bible ;
- un moment de silence, d’adoration ;
- puis, un deuxième moment de prière spontanée pour exprimer nos demandes à Dieu
et aussi notre louange ;
- pour terminer, soit la lecture d’un psaume soit, comme au début, une partie du
chapelet avec un « Je vous salue Marie » récité par chacun.
C) Eucharistie et prière
« Moi et le Père, nous sommes un. »62
Eucharistie
La « Tente de la rencontre » abrite la présence réelle du Seigneur.
(Exode 33,7)
Le judaïsme permet au christianisme d’entrer plus profondément dans le mystère de
l’Eucharistie en lui donnant plus de précisions sur son contexte, sur la manière dont Iéshoua
l’a vécue.
« Le seder de Pâque. Il s’agit du plus suggestif, du plus joyeux et du plus inoubliable
de tous les rites familiaux du judaïsme. On y célèbre l’événement fondamental de l’histoire et
de la spiritualité juives, la fin de l’esclavage et le commencement de la liberté. Il consiste
dans la participation à un repas symbolique (avant le repas proprement dit), dont chaque
élément rappelle un aspect de la nuit où Dieu, « d’une main forte » et « d’un bras puissant »,
fit sortir son peuple de l’Egypte et l’introduisit dans la terre promise. Les herbes amères
rappellent les souffrances des anciens pères sous la domination de leurs maîtres égyptiens ;
la portion d’agneau rôti, le sacrifice de l’agneau pascal, qui contraignit l’ange de la mort,
62 Jean 10,50
41
devant la porte des juifs, à « passer outre » ; le harosset, compote de pommes et de noix, la
joie et la douceur de la liberté ; etc. (…)
La célébration de cette liberté advient à travers le langage symbolique de la fête du
printemps, relue et interprétée à la lumière de l’histoire, et complétée par des éléments
nouveaux. Les peuples anciens célébraient en cette fête le retour de la vie à la riche beauté
des formes et des couleurs, après le froid silence de l’hiver. Un tel passage, perçu et vécu
comme passage de la mort à la vie, s’exprimait par une variété de symboles, notamment les
azymes et l’agneau. Le pain azyme, pain sans levain, traduit métaphoriquement ce que le
printemps réalise naturellement : la fin de l’ancien, porteur de mort, et le commencement du
nouveau, porteur de vie. Il faut dire la même chose du petit agneau le premier-né du
troupeau, dont la naissance constituait la réapparition de la vie, un triomphe sur la mort.»63
« C’est Moi le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison de
servitude. »64
« Chaque individu doit se considérer lui-même comme s’il était sorti d’Egypte. »65
Iéshoua, le soir du Jeudi Saint, comme tous les juifs, célébrait le repas du « Seder
pascal » pendant la semaine de Pâque. Comme tous les juifs aujourd’hui encore, il se
souvenait de la libération d’Egypte. Avec ses amis, et peut-être aussi sa mère, il se
remémorait, cette nuit où les hébreux, préparant leur départ au désert avaient mangé le pain
non levé (azyme) et sacrifié l’agneau. Ils avaient mis du sang sur le devant de leur maison
pour que l’ange de la mort ne tue pas leurs premiers nés. La même nuit, guidés par Moïse, le
peuple hébreu était parti dans le désert, vers la terre promise.66
C’est au cours de ce repas de Pâque (« Pessar » en hébreu67
) que Iéshoua a ajouté (ou
changé) des mots au rituel traditionnel. Il a dit en parlant du pain et du vin : « c’est mon corps
et mon sang ». Il a donc modifié (complété) le sens de la pâque juive en disant « Le Seigneur
notre libérateur, c’est Moi ».68
Il a révélé son visage. Et, comme le Seigneur deux mille ans
auparavant, il a demandé à ses amis (son peuple) de ne jamais oublier qu’il les a libérés :
« faites cela en mémoire de moi ».
Chaque fois que l’on célèbre l’Eucharistie, le prêtre rend Iéshoua présent dans du pain
et du vin en rappelant qu’Il est Celui qui nous sauve. Par Son sacrifice Il nous délivre du mal
et de la mort ; Il nous ressuscite et nous emmène dans la Vie ; nous attendons aujourd’hui Sa
venue, la venue de Celui qui est Le Vivant חי (Raï).
Messe et prière
Le déroulement de la messe (la liturgie) permet (ou devrait permettre) à la fois de Le
rencontrer et de se rencontrer. Par la messe, nous participons à la fois à la souffrance et à la
joie de Iéshoua.
« Dans son Epître aux Philippiens, Paul, alors en prison dans l’attente de son procès,
évoque l’éventualité de son martyre et il emploie ici, curieusement un langage liturgique :
« Si mon sang même doit se répandre en libation sur la sacrifice et l’oblation de votre foi,
j’en suis heureux… ». La mort martyriale de l’apôtre a un caractère liturgique : c’est une
63
La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante 64 Deutéronome, 6,6 65 Recommandations liées au repas du Seder pascal 66 Exode, chapitre 13 67 Pessah : Fête de la Pâque juive ; le sens littéral, « action de passer » 68 « le Christ est l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous – la concrétisation du « Je suis », la réponse au déisme. (Josef
Ratzinger, Liturgie et mission, La nouvelle Evangélisation, conférence à Rome le 10 décembre 2000)
42
libation de la vie, une offrande sacrificielle ; c’est accepter que sa vie soit déversée pour les
autres. En cela s’accomplit une union avec le don de Soi que fit Jésus, avec Son grand acte
d’amour qui, en tant que tel, est la véritable adoration de Dieu. Le martyre de l’Apôtre est la
participation au mystère de la Croix du Christ et à sa dignité théologique ; il devient une
liturgie vécue, qui est reconnue comme telle dans la foi et est elle-même ministère de la foi.
Dans la mesure où il s’agit d’une véritable liturgie, elle agit aussi ce vers quoi tend toute
théologie : la joie, cette joie qui ne peut naître que du contact entre l’homme et Dieu, du
dépassement de l’existence terrestre. »69
Comment faire pour que la messe soit vraiment un moment de prière ?
Il faut que le dimanche soit « le jour du Seigneur » ou au moins que toute la matinée
lui soit consacrée, avec la messe au centre. L’idéal serait de commencer le samedi soir pour
terminer le dimanche après-midi.
« Le jour de repos est consacré à la joie en Dieu, à l’offrande de sacrifices, à
l’éducation du peuple, à la prédication des docteurs. Il est obligatoirement chômé (…) »70
Des idées pour que la messe soit prière :
Pour être plus proche de la réalité de la Cène, on devrait prendre du pain azyme (au
lieu d’hosties) même si cela fait des miettes, et du vin rouge (au lieu du vin blanc) même si
cela tâche.
Et puis, il serait bon, au moment de la consécration et pendant toute la prière
eucharistique, de se mettre autour de l’autel aux côtés du prêtre.
Pour mieux adorer Celui qui vient parmi nous se faire pain et vin, on pourrait, juste
après la consécration, rester un moment en silence.
- différent moments, différent mouvements :
1. Au début de la messe on reste comme d’habitude face au célébrant jusqu’à la fin de
l’écoute des lectures.
2. Puis, au moment du commentaire des lectures du jour, on se rapproche du prêtre
pour mieux l’entendre et surtout pour échanger. C’est un moment de partage où le prêtre
dirige la réflexion en se laissant interrompre sauf si la question fait perdre le fil du sujet. On
peut donc, si l’on n’est pas trop nombreux, se mettre en cercle autour du prêtre ou s’asseoir
près de lui qui se place au milieu de l’église, parmi les gens.
3. Après, au moment de l’Eucharistie, tous ceux qui le peuvent, en commençant par les
plus jeunes, pourraient se placer tout près du prêtre autour de l’autel. La prière eucharistique
pourrait de temps en temps être exprimée en langue courante pour que chacun y soit attentif.
Et, au moment des expressions d’intentions, chacun pourrait effectivement s’exprimer, confier
ses –des- intentions à Dieu et à l’Eglise : à l’église (à la paroisse).
4. Enfin, à la fin de la messe, il n’y a pas une fin bruyante où l’on perd le bénéfice de
la paix intérieure en retournant brutalement à nos conversations quotidiennes. Chacun est
encouragé à rester dans l’église une demi heure de plus (c’est une sorte de « digestion ») avec
des chants mélodieux et paisibles, puis en silence.
69 Cardinal Josef Ratzinger, Liturgie et Mission,Eucharistie et Mission, III : L’Eucharistie réalisée : martyre,
vie chrétienne et ministère apostolique, Conférence du 28/9/1997 70 André Chouraqui, La vie quotidienne des hébreux au temps de la Bible.
43
Et après on se retrouve tous à l’écart de l’église (pour qu’elle reste réservée à la prière
calme) pour manger ensemble ou prendre l’apéritif avant de retourner chacun chez soi.
- L’organisation matérielle de l’église devrait favoriser une ambiance de prière :
Pour les enfants et les jeunes, le devant ou le centre leur est réservé, avec un grand
tapis pour s’asseoir ou se mettre à genoux sur le sol et éventuellement des petits tabourets. Les
jeunes sont autour de l’autel et le plus près possible du prêtre (avec lui). Les bancs sont
destinés uniquement aux personnes âgées. Une atmosphère chaleureuse et conviviale nous
rapproche les uns des autres et donc du Seigneur.
La prière implique une attitude, une participation du corps. Le lieu importe beaucoup.
Si les décorations sont trop chargées ou désordonnées, il est plus difficile de se concentrer.
Les bougies aident à trouver le calme et la paix, mieux que les lumières des néons. Le bruit
des pas sur un tapis est plus discret que des talons sur le carrelage. Dans la prière, on devrait
être installés d’une façon à la fois respectueuse et confortable, mais pas trop confortable pour
ne pas s’assoupir. Et dans une longue prière il y a différentes phases, plus ou moins sacrées.
On change donc de position, d’attitude en fonction du moment de la prière. A la messe, il
devrait y avoir une ambiance de prière. La messe est une vraie prière.
- Avant la messe du dimanche, étudier, échanger, prier ensemble. Et, pourquoi ne pas inviter
d’autres chrétiens non catholiques…
- Après la messe, se rencontrer, ouvrir l'église à ceux qui ne sont pas allés à la messe :
chrétiens non catholiques, croyants d'autres religions et non croyants.
- Pendant la messe, participer :
Lorsqu'il y a des enfants ou des jeunes à la messe, celle-ci devrait s’adresser en priorité
à eux. La messe n’est pas un spectacle attractif auquel on assiste, c’est une prière à laquelle on
participe. Le prêtre coordonne, préside, mais n’est pas le seul acteur. Le langage et le rythme
devraient donc être ceux d’une prière. Soit on écoute quelque chose qu’on comprend, soit, si
on ne comprend pas, on écoute la mélodie des paroles (chantées).
« « L’art de célébrer, c’est en réalité savoir prier. L’art de célébrer, donc, privilégie
le silence, la contemplation, le sens de la stupeur devant le mystère que nous célébrons »
(cardinal Francis Arinze)
A l’invitation de Jean-Paul II de favoriser chez les chrétiens « l’art de la prière », le
cardinal répond : « Oui, parce que la prière personnelle est alimentée par la prière
eucharistique, et ainsi de la prière de la communauté. Alors, nous devons être tous attentifs
aux moments de silence durant les célébrations, spécialement durent la Sainte Messe. Dans ce
sens, la méditation avant la messe, après la communion, et après la messe est très
importante».71
71 CITE DU VATICAN, Mardi 8 mars 2005, www.zenit.org
44
4) Iéshoua à la maison,
avec Joseph et Miryam.
« Le premier lieu de la Liturgie juive, c’est la maison : elle a valeur de « sanctuaire ».
(…) Dans le « sanctuaire de la famille se déroulent trois célébrations principales : la
première, quotidienne, est liée au repas ; la deuxième, hebdomadaire, est liée au shabbat ; la
troisième, annuelle, est liée à la fête de pesah. »72
A) La prière de Joseph
« En cette fin de siècle où notre civilisation occidentale vit une crise de paternité qui
ébranle jusqu'aux fondements mêmes de notre société, au moment où les psychologues,
sociologues,… cherchent de nouveaux modèles du père, peut-être ferions nous bien de
tourner nos regards et nos cœurs vers celui qui incarna, au cœur du monde, cette paternité
divine "de qui toute paternité tient son nom au ciel et sur la terre" (Ephésiens 3,15)." » 73
Joseph (ou Iosef en hébreu) prie en silence, seul quand il croit devenir fou : la fille
avec qui il va se marier est enceinte. Un ange vient de lui dire en rêve que l’enfant conçu au
dedans de sa fiancée vient de l’Éternel. Joseph est un homme concret, un charpentier qui a le
bon goût d’avoir choisi Miryam comme fiancée. Cet ange qui lui dit de ne pas s’inquiéter le
prend pour un idiot ou Joseph va la devenir… Est-il sans intelligence, naïf ? Mais il croit ce
qu’il entend dans son rêve. Il prie. Il aime depuis toujours son Père le Seigneur. Cependant, se
marier avec une femme enceinte de Dieu, c’est original !
Joseph accepte. Il garde pour lui son secret. Miryam n’a pas besoin de lui expliquer. Il
croit. Il prie avec elle, et tous les deux se font confiance. Ils font confiance à la folie de Dieu.
Le Seigneur vient naître dans une femme, la femme de Joseph. Iéshoua vient s’installer dans
la vie du paisible Joseph.
Joseph dit d’accord à tout. L’Amour est folie parfois. Et même souvent. Si l’Amour
n’est pas fou, ce n’est pas vraiment de l’Amour. Joseph part dans le projet de Dieu. Il marche
dans l’histoire. Il prie avec Miryam, puis plus tard avec Iéshoua aussi. Il comprend vite, sans
chercher à tout comprendre. Il comprend en faisant.
Joseph était le père de la Sainte famille et avait la responsabilité de protéger Miryam et
Iéshoua. C’est lui qui dirigeait la prière familiale. Pour les juifs, les pères de famille sont
comme des rabbins de famille, ils ont une charge sacrée, par exemple pour la célébration du
repas du Sahbbat. D’ailleurs pour les juifs tous les hommes sont prêtres autant que le rabbin
qui est le pasteur d’une communauté.
Joseph aime en vivant, sa vie est prière. Il prie dans (par) l’action, dans le mouvement,
dans ses mains qui travaillent la terre, le fer et le bois. Ce qu’il fait lui explique. Ce qu’il fait
prie. Joseph a une façon particulière de prier. Il prie sans arrêter ses activités.
Bien sûr il sait aussi s’arrêter, jouer avec son enfant et prendre son épouse dans ses
bras. Il sait ranger ses outils le vendredi après-midi avant le début du Shabat. Il sait prendre le
temps de manger, apprécier ce que Miryam lui a préparé et parfois faire à manger avec elle.
Tout ce qu’il fait est harmonie. Tous ses gestes sont précis, délicats et pleins d’Amour. Il est
physiquement prière. Son corps est « Temple du Seigneur »74
. Sa respiration, son regard et sa
72 La prière juive. Aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine di Sante 73 Père Joseph-Marie Verlinde, Que savons-nous de saint Joseph, http://www.fsjinfo.com/stjoseph 74 Corinthiens 3,16
45
façon d’écouter les gens qui passent à la maison, tout chez Joseph reflète la beauté du
Seigneur.
Temps
Joseph ne court pas et ne dort pas, il marche. Il a trouvé sur la terre le repos éternel
dans un rythme mélodieux, harmonieux. Sa musique intérieure provient du Seigneur et
s’exprime dans tous les détails sa vie. Tout ce que Joseph fait est prière, expression du
Seigneur, Amour, compassion et délicatesse.
Je ne peux pas aimer rapidement. Sinon j’aime globalement sans aimer les détails, les
petites choses, les petits enfants. Je ne peux pas parler avec un ami et écouter sa peine si je
suis pressé. On ne peut pas s’aimer dans la vitesse. L’Amour est lenteur, l’Amour comme la
prière est mouvement immobile, une immobilité en mouvement75
. Je suis passif, attentif,
constant, accueillant pour l’Amour qui est actif, vie. L’Amour est mon invité imprévu, comme
le vent, l’Amour vient et s’en va. Je ne sais pas où il va, je ne sais pas d’où il vient. Comme
un chasseur immobile toute la nuit dans un arbre surveille le passage du gibier, ainsi je prie.
Ma prière, c’est l’eau de ma plante sacrée, c’est la vie de mon âme. Mon âme est
directement reliée à mon cœur, à mon esprit et à mon corps. Et par mon corps, mon âme est
reliée à la terre, au rythme de la terre. Comme une plante, Iéshoua pousse dans la terre de mon
cœur, lentement. Comme un fleur quand elle sort de terre, Dieu en moi est d’abord très
fragile, puis se fortifie en grandissant. Mais le Seigneur dans mon cœur n’est jamais qu’une
fleur fragile. Mon âme est délicate, elle pousse doucement, elle a besoin d’attention, d’eau et
de temps.
Joseph aime et prie avec ses mains qui travaillent le bois, avec son regard et son
écoute. Joseph prie continuellement, tranquillement, avec tout son corps, tout son être. Il aime
le Seigneur de toute son âme, de tout son cœur, de tout son esprit et de toute sa force.
Joseph vit, aime et prie au rythme de la terre.
On ne peut pas aimer vite. On ne peut pas écouter un ami en pensant à notre prochain
rendez-vous. Dans beaucoup de pays et cultures, la fête d’un mariage dure une semaine.
Donner une pièce à un clochard sans prendre le temps de le regarder, ce n’est pas faire un
geste d’amour ; c’est faire un geste de charité dans le mauvais sens du terme : se débarrasser
de notre mauvaise conscience et donner ce dont on n’a pas besoin. Vitesse et amour sont
incompatibles. Pourquoi regarder sa montre en priant ? Chez les chrétiens orthodoxes, comme
chez les juifs, on chante le dimanche ou le samedi matin longtemps, chacun pour soi d’abord,
puis de plus en plus en harmonie. Il y a un moment central où tout le monde doit être
synchronisé mais avant et après ce moment plus important, il n’y a pas vraiment de début et
pas vraiment de fin. La prière n’est pas limitée dans le temps. Nous sommes victimes de nos
technologies et de notre modernité matérielle, nous sommes devenus prisonniers du temps et
l’Amour n’a pas de place pour respirer, grandir et nous rendre heureux. C’est pour cela que
nous devons, pour aimer, nous libérer peu à peu de tout ce qui empêche l’Amour de
s’exprimer. Nous devons chercher ce qui nous prend (vole) trop de temps et l’éliminer.
Terre
Joseph aime le Seigneur en aimant la terre, la réalité simple de la vie, du travail, de
l’amour, de l’amitié, de la famille, de l’art, de la beauté, de la nourriture. Joseph aime la terre,
la tradition, les anciens et les enfants. Joseph s’enivre d’air, d’eau, de bois, de plantes, de
fruits, d’étoiles et de soleil. Il n’aime pas tellement le monde que s’inventent les hommes. Il
75 « demeurez dans mon amour » (Jean 15, 9)
46
préfère ce qui dure, ce qui a toujours été et sera toujours, dans son pays et partout ailleurs. Il
aime toucher la terre, la sentir, la connaître.
La terre est la Terre Mère, la Création de Dieu. Elle est sacrée, nous sommes faits
d’elle. C’est Elle qui nous apporte le bonheur solide de marcher au soleil, de nous baigner
dans la mer et de nous coucher sur le sable. La Terre nous offre le bonheur authentique, le
bonheur pur. Joseph a un lien, un contact, une relation avec le Seigneur אדני par Sa terre.
La terre est bonne. La nature est vivante. La terre, la nature, l’origine de la vie sont
harmonie. Les humains troublent cette harmonie. La terre est vivante, elle est invisible
harmonie même si on la pollue, même si on est injuste et violent avec elle. Elle est naturelle,
logique, elle se venge. Ou plutôt elle cherche à rétablir l’équilibre. L’eau que nous buvons est
polluée, les animaux que nous mangeons nous apportent des maladies, les terres que nous ne
cultivons pas deviennent des déserts, l’air que nous respirons en ville nous fait pleurer, les
enfants qui ne connaissent pas leur terre deviennent tristes. Nous nous suicidons lentement en
maltraitant notre terre. Nous avons tellement besoin d’elle, elle est notre vie et même plus :
notre vie intérieure dépend de notre relation avec la terre. Sans lien avec la terre notre vie
spirituelle devient superficielle, sans cœur, fade. Sans contact avec la terre, notre âme
s’épuise, agonise, meurt.
Aimer le Seigneur ce n’est pas seulement lever les yeux au ciel. En regardant
seulement vers le haut j’oublie de regarder les fourmis sous mes pieds, les petites fleurs que
j’écrase et les yeux du mendiant. En gardant les yeux dans mes livre, mon nez ne sent plus
l’odeur du printemps, mes joues ne sentent plus le vent du matin, mes oreilles n’entendent
plus les oiseaux dans les arbres devant ma fenêtre. Quand je m’éloigne de la terre je deviens
insensible au ciel, au Ciel du Seigneur. Si je n’utilise pas mes mains pour planter des clous et
laver ma maison, je ne peux pas comprendre Iéshoua. Si je n’écoute pas l’enfant qui me sort
de ma lecture, je ne peux pas entendre le Seigneur. Si je passe des heures à prier et que je ne
communique pas avec mes amis et ma famille, je n’aime pas ce que le Seigneur m’a donné, je
n’aime pas le Seigneur. Si je ne cherche pas du bonheur dans mon présent ordinaire je ne
peux pas embrasser Dieu.
Joseph m’aide à trouver Dieu par mon cœur dans l’amour de la terre et à ne pas tomber
dans le ciel vide de mon esprit superficiel.
Une vie spirituelle qui n’est que spirituelle (dans le sens restreint du terme), c’est-à-
dire qui n’est que cérébrale, intellectuelle, théorique, égocentrique (donc égoïste) est éteinte.
Une vie de relation avec Dieu qui n’est pas amour de la vie, mais seulement fuite de la vie,
n’est pas une vraie relation avec Lui car Il est la Vie : pas seulement la vie éternelle, la vie
mortelle, mais terrestre aussi. Il est Vie, donc faire, et pas seulement penser et dire. Faire c’est
être. Faire ce qui est Amour ce n’est pas faire des choses extraordinaires, c’est écouter l’autre,
prendre le temps de faire son travail, s’appliquer à bien effectuer chaque petite activité du
quotidien. La vérité est simple : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole
de Dieu et qui la mettent en pratique. »76
Modèle et guide
Joseph est notre meilleur guide spirituel, notre modèle de vie de prière. Il a été le père
spirituel de Iéshoua ישוע et l’homme juste. Miryam est parfaite, mais c’est différent parce
qu’elle est née pure. Iéshoua ישוע est Le Parfait mais c’est différent parce qu’il est Dieu יהוה
naeJ .וניבא-Baptiste est aussi un homme très proche du Seigneur. Mais, comme Iéshoua, il est
difficile à imiter. Il est célibataire, il habite dans le désert comme un ermite isolé avec ses
compagnons. Joseph est donc notre guide le plus accessible et apparemment le plus simple
76 Luc 8,21
47
pour nous conduire avec Miryam jusqu’au Seigneur. Il est le père adoptif de Iéshoua. Il n’est
pas le Père ! Il est notre père adoptif qui nous dévoile le visage du Père.
Joseph, comme tu l’as été pour Iéshoua, sois notre père spirituel.
Pauvreté
« Jésus a dit au début de sa vie publique : Je suis venu pour évangéliser les pauvres
(Luc 4,18) ; ce qui signifie : J’ai la réponse à votre question fondamentale ; je vous montre le
chemin de la vie, le chemin du bonheur –mieux : je suis ce chemin. La pauvreté la plus
profonde est l’incapacité d’éprouver la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et
contradictoire. Cette pauvreté est aujourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans
les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres. L’incapacité de joie suppose et
produit l’incapacité d’aimer, elle produit l’envie, l’avarice –tous les vices qui dévastent la vie
des individus et du monde. »77
Comment apprendre à prier auprès de Joseph, lui qui dans les Évangiles ne dit pas un
mot ? On sait si peu de lui. Il a été tellement discret et effacé qu’on a oublié son rôle essentiel
dans la vie de Iéshoua. La discrétion et l’humilité sont deux qualités premières chez Joseph
pour nous guider sur le chemin de la prière. L’humilité ou pauvreté ou petitesse est une
condition essentielle pour pouvoir prier le Créateur. Il est grand, et nous les créatures, sommes
petits. Si je ne suis pas petit, pauvre et humble devant le Seigneur, je ne peux pas Le prier.
Il y a des choses qu'on apprend en lisant, d'autres qu'on apprend en priant, d'autres
qu'on apprend par expérience de vie, par le travail, la souffrance, la joie…. Il y a beaucoup de
choses qu'on ne peut apprendre qu'en vivant en relation les uns avec les autres, non pas de
cerveaux à cerveaux mais de cœurs à cœurs. Il y a beaucoup de choses qu'on apprend par
l'émotion, les sentiments, par le cœur et non par l'intelligence. Et il y a des choses qu'on ne
peut apprendre qu'en priant ensemble. Il y a aussi des choses qu'on ne peut apprendre qu'au
contact de la terre. C'est pour cela que ceux qui vivent sans confort savent des choses que
nous qui avons de l'eau chaude, du gaz et de l'électricité, nous ne pouvons pas savoir
(percevoir ou voir). Il y a ce qu'on apprend avec la tête, ce qu'on apprend par l'âme, ce qu'on
apprend avec le cœur : on dit que l'amour véhicule la connaissance.
« Les pauvres ont une conscience du cœur plus éveillée que les riches. »
(Fidélité au Saint-Esprit, Père Thomas Philippe)
« Je suis pauvre », ça ne veut pas dire « je n’ai pas d’argent ». Ça veut dire « je n’ai
que moi, je ne suis que moi-même ». Rien ne m’appartient, ni mes possessions matérielles, ni
mes amitiés, ni mon corps, même pas ma mémoire, même pas ma connaissance et mon
intelligence. Tout cela est volatile, je le laisserai au moment de ma mort et aujourd’hui je me
sens comme au moment de ma mort : nu comme une graine. C’est cela être pauvre. Etre
pauvre c’est manquer d’Amour. C’est être assoiffé d’Amour. On en revient toujours à la
même chose : la soif. Si on se sent comblé, suffisant, riche, on n’a plus besoin d’aimer et
d’être aimé, on ne souffre plus mais c’est pire : on n’aime donc plus. Aimer c’est avoir mal,
saigner d’un manque d’amour. Alors si on est pauvre et heureux de ressentir une soif
d’Amour, cela signifie qu’on a l’Amour au-dedans de soi : qu’on est paradoxalement riche
d’Amour.
« Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux »78
77 Cardinal Josef Ratzinger, Liturgie et mission, La nouvelle Evangélisation, Conférence du 10 décembre 2000,
à Rome 78 Matthieu 5,3
48
Il ne faudrait pas comprendre la pauvreté voulue par Iéshoua comme une recherche de
l’angoisse de la précarité, un bonheur de la paresse ou le plaisir de vivre en parasite. La
pauvreté est simplement un détachement des choses matérielles uniquement dans le but d’être
plus proches du coeur de Iéshoua et des cœurs de ceux qui nous entourent. On peut être
matériellement riche tout en étant détaché. On peut être dans la misère matérielle et très
égoïste, matérialiste, attaché à notre rien. L’apparence est souvent trompeuse. La pauvreté
chrétienne, c’est le bonheur de vivre dans la simplicité, sans manquer de rien et sans rien de
superflu.
Ces observations nous amènent à considérer les conséquences du christianisme sur
notre manière de gérer notre argent. Par exemple, nous ne devrions pas capitaliser inutilement
Nous devrions avoir aussi une manière chrétienne de travailler, d'accepter la précarité qui est
la manière de vivre de la plupart des habitants de la planète. Cette précarité peut être
compensée par la solidarité, comme avant l'existence de la sécurité sociale…
Simplicité et paternité
La solidité de Joseph vient essentiellement de son humilité, c’est-à-dire de la
conscience de sa fragilité. Il est celui qui nous empêche de délirer, de croire qu’aimer Iéshoua
c’est s’envoler, se détacher de la réalité, comme un artiste qui se perd dans son art et ne
parvient plus à communiquer (ou ne veut plus).
Joseph nous préserve des excès de Jean-Baptiste, de Pierre, de Jean, de Marie de
Magdala et même de Iéshoua. La folie de Iéshoua est très sage, elle vient de sa Sagesse
infinie. Jean-Baptiste ne part pas au désert pour fuir les difficultés du monde. Pierre
n’abandonne pas sa femme et son enfant comme un irresponsable. Jean ne suit pas Jean-
Baptiste et Iéshoua à la légère. Marie de Magdala ne tombe pas amoureuse d’un gourou. Je
peux facilement dériver en voulant suivre Iéshoua et ses amis. En suivant Joseph, on est
prudent. La folie de Joseph est pourtant totale, mais c’est une folie subtile. Il est le père
adoptif de Dieu ! Ce n’est pas une petite folie ! (et cette folie peut être aussi la nôtre : nous
Dieu veut habiter notre vie, grandir chez nous)
Joseph s’occupe de sa famille. Rien d’autre apparemment. Il fait marcher sa petite
entreprise, enseigne à son fils le métier. Il est paradoxalement rayonnant et à l’ombre. Comme
Miryam. Ensemble ils ont appris à parler à Iéshoua la langue de leur pays, l’araméen. Et ils
ont enseigné à Iéshoua la langue sacrée, la langue religieuse de leur peuple, l’hébreu. Plus
tard, Iéshoua a appris le grec, la langue de communication de la région. Pour les Juifs, peuple
souvent nomade, le meilleur maître d’école est le père de famille.
Iéshoua lui ressemble. Iéshoua imite les gestes de Joseph. Iéshoua est comme Joseph,
« doux et humble de cœur »79
. On peut imaginer que le visage de Iéshoua ressemble à celui de
Joseph. Joseph est pour Iéshoua enfant le seul père, son vrai père. C’est un peu avant sa Bar-
Mitzva, vers douze ans que Iéshoua dit à Joseph, « j’ai un autre Père qui est mon vrai père ».
C’est douloureux pour Joseph d’élever un enfant qui n’est pas le sien. C’est un peu comme
nous qui faisons grandir Iéshoua au dedans de nous-même, mais Il n’est pas notre propriété, Il
ne vient pas de nous.
Joseph est dans la famille le père, l’image du Père de Iéshoua. Miryam est la mère, la
fécondité, la chaleur féminine et maternelle. Elle est tellement remplie d’Amour que l’on peut
dire qu’elle est physiquement l’Amour. Et Iéshoua est le Fils de l’Amour. Comme Joseph, je
peux adopter Iéshoua. Je peux comme Miryam donner naissance à Iéshoua dans mon cœur.
J’ai beaucoup à apprendre en observant la famille de Iéshoua.
79 Mathieu 11,29
49
B) La prière de Miryam
« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu mon sauveur »80
Marie -ou Miryam מרים en hébreu- prie avec enthousiasme. Elle est amoureuse du
Seigneur. Elle aime tellement prier qu’on pourrait croire qu’elle prie depuis sa naissance ou
même avant. Elle prie comme elle respire. Sa prière est musique de l’âme, mélodie intérieure,
respiration du Seigneur. Elle ne prie donc jamais vraiment : tout ce qu’elle pense, dit et fait est
prière. Elle est prière vivante, reflet du Seigneur. Son cœur est à la fois glacé, insensible à tout
ce qui n’est pas de Lui, et son cœur est incandescent, brûlant du Seigneur, rayonnant,
lumineux de sa beauté.
Les hommes juifs prient trois fois par jour et les femmes deux. Selon la pensée juive,
la femme étant naturellement sensible à Dieu, elle n’a pas besoin de prier autant que l’homme.
Quand son mari prie, il prie pour elle. Miryam est la femme qui n’a pas besoin de prier parce
qu’elle est prière vivante.
Miryam est la fille bien-aimée du Père disait le pape Jean Paul II (l’élue, la choisie, la
préférée, la comblée de Grâce). Elle est la mère de Iéshoua, l’épouse de l’Amour. Elle est
créature centrale en Dieu. Sans elle, Iéshoua ne serait pas homme. Elle est entre nous et Lui
comme une intermédiaire. Elle prie avec nous. Elle peut nous guider dans notre prière comme
elle a guidé Iéshoua dans ses prières d’enfant.
Elle a appris à prier avec ses parents, Joachim et Anna, et dans la communauté de
Nazareth. Elle prie avec les disciples de Iéshoua quand Il est parti. Elle ne commande pas.
Elle est la parfaite maîtresse de prière parce qu’elle sait me faire découvrir les questions et les
réponses que je porte en moi. Elle provoque en mon cœur le surgissement, le jaillissement, la
naissance de la prière. Elle m’enseigne la prière féminine et elle me montre le visage féminin
de Dieu. La prière féminine est pudique, avec peu de mots, mais aucun mot léger, superflu ou
vide. La prière féminine est pure intuition. Le visage féminin de Dieu se dévoile en
fréquentant Miryam. Dans les prières juives, quand on s’adresse à l’Éternel יהוה, on Lui parle
au masculin ou au féminin. Dieu est à la fois masculin et féminin bien qu’on L’invoque le
plus souvent au masculin. Dans la Bible, l’Éternel prend son peuple sur ses genoux et lui parle
avec tendresse, comme une mère est douce avec son enfant.
Miryam est femme ; elle n’est pas faible, fade ou froide. Elle est, forte, belle et pleine
de soleil comme les femmes de son pays. Elle est douce et maternelle, capable aussi de colère.
Elle a les yeux et les cheveux noirs, comme les Méditerranéennes. Elle a du charme, elle plaît.
Un homme est amoureux d’elle et la désire comme épouse. Il l’aime et, comme elle, est aussi
amoureux du Seigneur, le Dieu de leurs pères, de leurs ancêtres. A deux, Joseph et Miryam
prient. Et en priant tout s’éclaircit et devient limpide. Le chemin incroyablement fou qu’ils
parcourent ensemble est paisible dans leur âme malgré les obstacles. Tous les murs tombent
grâce à leur prière de couple, puis de parents.
Ils vont de Nazareth à Bethlehem alors qu’elle va bientôt accoucher. Ils s’enfuient
dans le désert d’Égypte et y restent pendant la petite enfance de Iéshoua. Ils prient en voyage,
vagabonds et fugitifs. Ils prient en famille. Miryam prie avec Iéshoua qui agonise sur la croix.
Elle prie avec Jean quelque part autour de la mer Méditerranée. Elle prie avec nous
aujourd’hui dans n’importe quelle situation. Elle est notre compagne de prière.
80 Luc 1.46
50
« Je te salue, comblée de grâce »
« Réjouis-toi Miryam, fille de l’Amour »
« Sois joyeuse, toi qui a la faveur de Dieu »
« Paix à toi Miryam pleine de grâce »
« Paix à toi fille de la Compassion »
« Je te salue Miryam, fille comblée d’Amour, fille débordante d’Amour »
(Luc 1,28) (différentes traductions de la salutation de l’ange à Marie)
Anna et Joachim ont nommé « Miryam » leur enfant en souvenir de la prophétesse
Miryam, la sœur de Moïse et de Aaron. Miryam était aussi responsable de la musique et de la
danse pour le peuple hébreu dans le désert du Sinaï. Miryam était la chef d’orchestre,
l’organisatrice de la fête. C’est elle qui fait chanter et danser le peuple hébreu après le passage
de la Mer Rouge, comme le roi David (« David dansait de toutes ses forces devant le
Seigneur »81
).
Pureté et docilité
« Pour pouvoir aimer il faut avoir le cœur propre.
Et pour avoir le cœur propre, il faut prier. »
(Mère Térésa)
La pureté est peut-être la qualité principale de Miryam. Quand on dit “pur” on pense
que c’est le contraire d’ “impur”, comme si pur était synonyme de propre. On pense que pur
c’est « sans tache », comme propre est sans saleté. Cependant, la pureté ce n’est pas
seulement l’absence de quelque chose, un point zéro. Une fois lavé, le vêtement serait propre.
Ainsi serait Miryam, pur et propre. La pureté c’est plus que cela. Je n’ai jamais fini d’être pur.
Je peux toujours aller plus loin dans la pureté. Ce n’est pas être plus propre ou être moins sale,
c’est vraiment aller plus loin sur un mystérieux chemin. Rechercher la pureté, c’est comme
voir toujours plus net et plus loin, c’est connaître plus et mieux l’Amour, l’amitié pure.
Rechercher la pureté c’est rechercher l’unité intérieure, la réconciliation avec soi-
même. En recherchant la pureté je suis attentif à mes paroles, à mes gestes et à mes pensées.
Et puis je laisse s’exprimer naturellement mes pensées, mes gestes et mes paroles. Je fais un
travail permanent de lavage (triage) de tout ce qui me pénètre, de tout ce que je vois et
entends. Aussi j’essaie de ne pas me salir en m’exprimant de manière impure. Je cherche à
ressembler à mon Père, le Seigneur.
Mon cœur est mon moteur d’amour. Je le protège, je fais attention à ce qui en sort et à
ce qui y rentre. Je cherche à aimer directement le cœur des autres, au delà du corps et de
l’esprit. Je me laisse regarder par le Seigneur. Son regard me transperce et me lave. Son
regard me purifie et m’emmène dans son Royaume invisible. Miryam nous regarde de la
même façon que Iéshoua. Se voir sous son regard et sous le regard de Iéshoua, c’est suffisant
pour avancer plus loin dans la pureté.
« Je ne suis que prière. »82
Miryam est docile à l’Amour. L’obéissance à אדני Ahava (l’Esprit Saint), pour elle est
simple : c’est obéir à son cœur. Elle se laisse guider par son cœur où demeure le Seigneur אדני
Ahava. Miryam est le chef d’œuvre du Créateur qui laisse voir en transparence l’Auteur.
Seigneur, je suis une page blanche. Peins-moi ! Je suis un morceau de bois, veux-Tu
me sculpter ? Je T’offre mon vide, mon rien, ma terre cultivable, mon cœur assoiffé. C’est
tout ce que j’ai, et c’est beaucoup. J’ai beaucoup à Te donner : j’ai toute ma disponibilité à Te
81 II Samuel 2,14 82 Psaume 109
51
proposer. Je ne sais pas être docile, je cherche la pureté. Je voudrais me laisser faire, Te
laisser me faire, comme Tu as fait Miryam.
Doumia et Présence
« la voix du silence »
(I Rois 19,12)
Doumia דוםייה : le silence de l’eau calme d’un lac, c’est la définition du mot.
« Faisant silence, nous mettons notre espoir en Dieu. Un psaume suggère que le
silence est même une forme de louange. Nous lisons habituellement le premier vers du
Psaume 65 : « La louange te convient, ô Dieu ». Cette traduction suit la version grecque,
mais l’hébreu lit dans la plupart des Bibles : « Le silence est louange pour toi, ô Dieu. »
Quand cessent les paroles et les pensées, Dieu est loué dans l’étonnement silencieux et
l’admiration. » (La valeur du silence. Taizé)
La prière vient du silence et mène au silence. Il est bon de commencer la prière par le
silence et de la terminer aussi par le silence. Et puis au cours de la prière il est bon de laisser
des espaces, des moments de silence. Il vaut mieux prier peu et lentement que beaucoup et
rapidement.
Miryam est celle qui ne dit rien ou presque rien. Elle dit oui à la venue de Iéshoua en
elle. « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole »83
. Elle reprend le
Cantique de son ancêtre Anna, la mère du prophète Samuel (I Samuel 2,1) quand elle rend
visite à sa cousine Élisabeth. C’est à peu près tout ce qu’on entend d’elle dans les Évangiles.
Quand l’ange lui demande si elle veut bien être la mère du sauveur d’Israël, elle accepte. Elle
n’est pas inconsciente, elle sait que cet enfant lui apportera autant de souffrance que de
bonheur. Un mot : oui. C’est le mot qui résume toute prière. Il n’y a pas d’autre prière.
D’accord ! Je veux bien ce que Tu veux. J’aime ce que Tu aimes. Je désire ce que Tu désires.
Repos
« Je vous donnerai le repos »84
Dans le Psaume 95, le Seigneur parle de son peuple dans le désert. Le peuple hébreu
l’a déçu. Ils n’ont pas suivi ses Lois. Alors le Seigneur dans sa colère jure : « Jamais ils
n’entreront dans mon repos » 85
. Si le peuple hébreu avait écouté la voix du Seigneur, si
j’écoute sa voix dans le désert, alors le Seigneur dans le Psaume pourra dire :
« Quarante ans cette génération m’a plu, et je dis : peuple au cœur droit. Ils ont connu
mes chemins. Alors je dis dans ma joie : entrez dans mon repos. ». Ou : « Tu m’as plu au
désert, tu es devenu droit. Tu as connu mes chemins alors je dis dans ma joie : entre dans mon
repos. ».
Je veux plaire à mon Père, je veux avoir un cœur droit, je veux suivre ses chemins
parce que je veux entrer dans son repos. Le repos éternel est le bonheur le plus grand sur la
terre. Ce n’est pas être arrivé et dormir. C’est trouver un rythme pour mon âme, une mélodie
d’Amour constante qui me permette d’habiter dans sa maison tous les jours de ma vie :
demeurer dans son amour86
.
Je pars au désert. Je marche. Je L’appelle. Je L’attends dans le silence de mon cœur. Je
Le rencontre dans la confiance. Ma confiance en son Amour est mon repos, mon union avec
Lui déjà sur la terre.
83 Luc 1,38 84 Mathieu 11,28 85 Voir Hébreux, chapitre 3 86 Jean 15, 9
52
Iéshoua avait cette confiance, cette paix du cœur, même sur la croix, même crucifié.
« Aba, dans tes mains je remets mon esprit »
« en ta main je confie mon esprit »
« dans ta main je remets mon souffle »
(Luc 23,46 et Psaume 31) (différentes traductions)
On dit qu’il demeurait, même à ce moment de douleurs indicibles, dans le sein (dans le
cœur) du Père. Nous aussi nous voulons vivre dans cette paix.
Seigneur, nous désirons ton repos ! Joseph et Miryam, emportez-nous toujours plus
loin dans le silence du cœur de Iéshoua.
“Dans le désert, Iéshoua vécut seul : avec lui je vous amène à la solitude intérieure,
en vous détachant de vous-mêmes, des créatures, du monde dans lequel vous vivez, de vos
occupations, afin que vous puissiez écouter la voix du grand silence.
C’est seulement dans le berceau de ce grand silence que votre coeur peut se former au pur et
parfait amour de Dieu et du prochain.
Dans le désert, Iéshoua priait le Père sans interruption. De même, avec Iéshoua, je vous
conduis à la prière, qui doit devenir incessante, continuelle.
Prier toujours : par votre vie, votre coeur, votre travail, votre peine, votre lassitude, vos
blessures.
C’est seulement dans le désert que votre Maman du Ciel peut vous former au goût de la
prière, afin que vous puissiez ainsi sentir toujours auprès de vous le Père qui vous aime, vous
conduit et vous protège.”87
Prier avec Miryam et Iéshoua ישוע
« C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre et comme je voudrais qu’il soit
allumé »88
C’est certainement avec sa mère, Miryam qu’Il a dû prier pour la première fois. Et en
famille, sous la direction de Joseph, ils priaient quotidiennement ensemble.
Chaque vendredi soir, comme dans toutes les familles juives, la mère a le premier rôle
durant la cérémonie d’entrée dans le Shabat. Elle allume les bougies et, pendant vingt-quatre
heures, s’il y a quelque chose à faire dans la maison, c’est aux autres membres de la famille
de le faire. C’est le début du repos hebdomadaire, d’abord pour elle, reine de la maison, mais
aussi pour toute la famille et tous les juifs pratiquants. La famille accueille avec allégresse le
Shabat et chante : “Viens mon bien-aimé au devant de ta fiancée, le Shabat paraît, allons le
recevoir”. Le Shabat est comme la raison de vivre du peuple élu. Le Shabat est le repos du
Seigneur, le temps du travail de l’Amour.
La religion de Iéshoua, la spiritualité de son enfance et de sa jeunesse est pleine de
sentiments, de sensations. C’est une relation de tendresse et d’amour entre un peuple et “son”
Dieu. La venue du Shabat est comme la venue du Seigneur Lui-même. Dans la prière
orientale le corps est pris en compte, il a des liens avec l’âme. Dans la prière juive, le corps
est inclus, la collectivité, la communion avec les autres en même temps qu’avec Dieu. C’est
une satisfaction totale de l’être comblé d’Amour. Il n’y a plus d’effort mais seulement le désir
agréable. Ce n’est pas toujours le cas, ce n’est pas programmable, mais chez les juifs, le
vendredi soir est tellement attendu qu’il est chaque fois un moment d’intense bonheur, c’est
l’entrée dans le Repos, dans le Shabat. La fiancée attendue arrive. Au cours de la prière, après
le coucher du soleil le vendredi soir, les juifs se tournent vers la porte pour la regarder entrer.
87 La Vierge à ses fils de prédilection, les prêtres. 88 Luc 12,49
53
« Elle » vient. Elle c’est Lui, c’est Dieu. C’est l’objet de notre désir, du désir de tout notre
être.
Pendant le repas du vendredi soir, le père préside la cérémonie de bénédiction du vin
et du pain. C’est le moment de questions et réponses entre parents et enfants, à propos de la
Bible, de la Loi, de l’histoire du peuple du Seigneur. Iéshoua apprend, comme tous les enfants
juifs, à prier et à connaître son peuple, chaque Shabat un peu mieux, un peu plus.
Dès que Iéshoua a treize ans, Il est considéré comme adulte et peut présider la
cérémonie du Shabat quand Joseph est absent. Quand Joseph meurt, c’est Iéshoua qui devient
l’autorité de la maison. Il dirige alors les prières.
Quarante jours au désert, quand Il a environ trente ans, Iéshoua prie. Il jeûne. Il souffre
dans une mort volontaire, une mort intérieure pour trouver la Vie, la victoire sur soi-même,
sur Lui-même, Lui qui est homme et Dieu, petite créature affaiblie et Créateur de l’Univers. Il
est tout, tout ce qui existe est Lui. Il a vaincu à l’intérieur de Lui-même ce qui est mortel.
Iéshoua retourne ensuite souvent au désert. Il prie aussi en mer, en montagne, au mont
des Oliviers. Il aime prier la nuit. Peut-être même des nuits entières. On aimerait bien savoir
comment Il prie la nuit. Le secret reste secret mais ce qui est sûr c’est qu’Il a un immense
désir de prier. Il aime prier. Il aime son Père, Le Père, notre Père.
Quand je prie le Seigneur Aba, le Seigneur Ahava (l’Esprit Saint) prie au dedans de
moi. Quand je Te prie, Tu pries au dedans de moi. Tu Te pries en moi ! Pourquoi pas ? Le
Seigneur est tout, Le Tout. L’Amour est en tout. Iéshoua prie Aba par Ahava. Le Fils prie le
Père par le Saint-Esprit. Pourquoi pas ? Je ne comprends pas, je ne sais pas. Peu importe,
j’aime. Et en aimant je comprends mieux. « L’Amour véhicule la connaissance »89
mais la
connaissance ne véhicule pas l’Amour. La connaissance obtenue par l’Amour est
difficilement transmissible. L’Amour ne se laisse pas enfermer dans nos pauvres mots, dans
notre petit cerveau. Aimer prier est essentiel. Comprendre tout sur la prière et Celui que je
prie est secondaire.
89 1 Jean 4,7
54
5) Iéshoua au mont des Oliviers et sur le rivage90
,
avec nous.
« Veillez avec moi »
(Matthieu 26,38)
« C’est le Seigneur ! »
(Jean 21,7)
« Venez déjeuner »
(Jean 21,12)
A) Sur le Christ resplendit le visage paternel de Dieu
« Sur ton serviteur, que s’illumine ta face »
(Psaume 31,17)
Iéshoua est notre frère : on peut dire qu’il est fraternel car il a pris notre condition
humaine et, en lui Fils de Dieu, nous sommes nous aussi enfants du Père. Nous pouvons aussi
dire que Iéshoua, même s’il n’est pas Le Père, a le caractère d’un père. Iéshoua est paternel.
Autrement dit, la paternité de Dieu se manifeste en son Fils : le Fils ressemble à son Père qui
est Dieu.
Que signifie être paternel ?
Qualités d’un père :
- être père c’est avoir un (des) enfant(s)
Biologiques, ou par l’éducation (enfants adoptifs) ou enfants spirituels.
- être paternel c’est avoir un comportement de père avec ses enfants ou ceux
qui sont comme ses enfants
- être paternel c’est être un bon père
Un mauvais père n’est pas paternel. Etre paternel est une qualité ou plutôt un ensemble
de qualités.
- être paternel c’est être…
- émerveillé par ses enfants comme les enfants peuvent être émerveillés
(admiratifs, fiers) devant leurs parents
- responsable
Education, subsistance, protection… être un modèle.
- être paternel c’est protéger ses enfants, voire donner sa vie pour eux
- un bon père est soumis à Dieu, au Père
Un père qui ne craint pas Dieu (ou au moins d’une façon implicite) ne peut pas être
paternel, c’est un dictateur, un tyran orgueilleux… Etre paternel, c’est être humble et pauvre :
un père ne peut pas imposer ce qu’il veut à ses enfants (sauf quand ils sont petits).
Exemples de personnes paternelles :
- Adam, père de l’humanité
- Noé, second père de l’humanité
- Abraham et les patriarches
90
Jean 21,4
55
Abraham est le père des croyants.
- David est paternel, même avec son fils qui veut le tuer
- Joseph est paternel
Joseph est juste est bon. On l’appelle même Le juste et le passage du psaume
s’applique parfaitement à lui qui a été le père de Iéshoua sur la terre : « Sur ton serviteur, que
s’illumine ta face » (Psaume 31,17)
- « la promesse faite à nos pères… »
Les juifs appellent « notre père » chacun des trois patriarches : Abraham, Isaac et
Jacob.
- Paul est paternel :
1 Corinthiens 4, 14 : « mes enfants bien aimés ».
1 Corinthiens 4, 15 : « C’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés en Iéshoua Christ. »
1 Corinthiens 4, 16 : « soyez mes imitateurs »
- Le Pape est paternel (les évêques et les prêtres aussi)
« Recevez le salut paternel et affectueux du Vicaire du Christ (…) » saluait Jean Paul II91
- Dieu-Père et l’Esprit Saint sont paternels.
On appelle l’Esprit Saint « Le Père des pauvres ».
Si deux personnes de la Trinité sont paternelles, pourquoi les trois n’auraient-elles pas
la même qualité ?
Comment Iéshoua est-il paternel ?
Sur Iéshoua resplendit le visage paternel de Dieu92
:
« Rechercher le visage de Dieu est un chemin nécessaire, qui doit être parcouru avec
un cœur sincère et un engagement constant. Seul le cœur du juste peut se réjouir en
recherchant la face du Seigneur (cf. Ps 105, 3sq.) et le visage paternel de Dieu peut donc
resplendir sur lui (cf. Ps 119, 135; cf. également 31, 17; 67, 2; 80, 4.8.20). (…)
Iéshoua se présente surtout de façon absolument unique par rapport à la paternité
divine, se manifestant comme «fils» et s'offrant comme l'unique voie pour parvenir au Père. A
Philippe, qui lui demande: «Montre-nous le Père et cela nous suffit» (Jean 14, 8), il répond
que le connaître, lui, signifie connaître le Père, car le Père, agit à travers lui (cf. Jean 14, 8-
11).(…)
Dans la Bible, la perception de Dieu comme Père est liée à son intervention salvifique
dans l'histoire, par laquelle il établit avec Israël une relation particulière d'alliance. Seul le
juste peut se réjouir de la recherche du visage du Seigneur, car sur lui resplendit le visage
paternel de Dieu.
De manière tout à fait unique, Iéshoua se présente comme «le fils» qui révèle le Père
en plénitude, et il s'offre aux hommes comme le seul chemin pour l'atteindre. Celui qui veut
rencontrer le Père doit donc croire au Fils. Par lui, Dieu nous communique sa propre vie et
fait de nous des «fils dans le Fils».93
- Comme un père, Iéshoua nous engendre (ou nous a engendrés) :
Nous sommes la descendance d’Adam par le corps, d’Abraham par la foi. Peut-on dire
que nous sommes la descendance de Iéshoua ? Ne nous a-t-il pas engendrés sur la croix ? Le
psaume qu’il récite en commençant par « Eli, Eli, pourquoi m’as-tu abandonné » se termine
joyeusement par « Et moi je vis pour lui : ma descendance le servira (…) On proclamera sa
91 Discours de Jean Paul II dans la cathédrale de Brazzaville (Congo), 5 mai 1980 92 cf. Nombres 6,24 et Psaumes 119, 135; cf. également 31, 17; 67, 2; 80, 4.8.20 93 Jean Paul II Audience générale, Le visage de Dieu le Père, aspiration de l'homme, 13 Janvier 1999
56
justice au peuple qui va naître »94
Iéshoua qui engendre à la croix un peuple nouveau est à ce
moment là à la fois plus Fils que jamais, et plus paternel que jamais. Il reposait à ce moment-
là « dans le sein » du Père et remet entre ses mains son esprit. Iéshoua par sa mort –son
baptême- donne vie –naissance- à un peuple renouvelé (nouveau). Il connaît sur la croix les
douleurs de l’enfantement que l’on peut comparer à celles d’une mère aussi.95
Iéshoua, avec un ton paternel, sur la croix remet sa mère à Jean. Il s’adresse à Jean
comme un père en lui disant « Voici ta mère ». Il parle à Jean comme à un fils. Et en effet, par
Jean, Marie est notre mère, la mère de l’Eglise née au pied de la croix.
Iéshoua est le nouvel Adam, « figure de celui qui devait venir »96
. « si par la faute
d’un seul, la mort a régné, à plus forte raison, par le seul Iéshoua Christ, règneront-ils dans
la vie ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice. »97
- Iéshoua maître (guide) a des disciples, comme un père a des enfants :
« Les enfants (…) » (Jean 21,5)
Il est comme un père, chef de famille : avec ses disciples, avec nous chrétiens, avec
l’Eglise. Après la mort de Joseph il est devenu le chef de famille, celui qui préside le Shabbat
à la maison.
- Comme un père Iéshoua est bon, bienveillant :
- Comme un père Iéshoua est Messie, prêtre, prophète, roi
- Comme un père Iéshoua pardonne :
Il accueille les pécheurs (Marie de Magdala par exemple), comme le père dans la
Parabole de l’enfant prodigue
- Iéshoua est le bon berger, comme un père
Il nous protège, nous sauve, non pas en tant que Père Tout-puissant mais en tant que
faible père humain. Il nous montre simplement le chemin de la croix. C’est par là que nous
pouvons le suivre et ainsi connaître son Père qui est notre Père.
- Comme un père Iéshoua est pauvre
Etre paternel, c’est être pauvre : un père ne peut pas imposer ce qu’il veut à ses
enfants. Iéshoua montre le chemin, il est « doux et humble de cœur », il prie pour ses enfants,
les disciples… Il propose une direction et se propose en modèle mais, comme le père dans la
parabole de l’enfant prodigue, ne peut que laisser ses enfants partir loin de lui ou s’endurcir -
devenir orgueilleux- près de lui. Judas est celui qui part loin de lui, la mère de Jacques et Jean,
orgueilleuse, demande pour ses fils une place privilégiée auprès de lui98
. Iéshoua est bon avec
ceux qui ne le suivent pas, comme par exemple les pharisiens qu’il aime malgré tout d’une
manière paternelle, compatissante, bienveillante, miséricordieuse.
- Comme un père Iéshoua est…
- rassurant :
Jean se trouve tout contre lui, comme un enfant. (Jean 13,23)
- exigeant
- ferme
- fort car doux et humble
94 Psaume 22, 31-32 95 Mais c’est plutôt Marie qui recueille en Jean le peuple chrétien qui vient de naître. Marie souffrant avec
Iéshoua les douleurs de l’enfantement du peuple nouveau participe avec Iéshoua à « l’accouchement » du peuple
chrétien. 96 Romains 5,14 97 Romains 5,17 98 Matthieu 20,21
57
- Comme un père Iéshoua a de l’autorité99
:
Nous fuyons l’amour paternel de Iéshoua qui est justice et force, nous avons peur de
notre Père, peur comme des enfants ont peur de se faire gronder. Nous n'aimons pas voir non
plus que Iéshoua est paternel avec ses amis. Parfois il les reprenait comme un père corrige ses
enfants : « Ensuite il se manifesta aux onze, alors qu’ils étaient à table, et il leur reprocha
leur incrédulité et la dureté de leur cœur parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu
ressuscité. »100
- Après la résurrection, Iéshoua est transformé :
Même ses proches ne le reconnaissent pas : Marie de Magdala, les disciples
d’Emmaüs… A Marie de Magdala, pourquoi lui demande-t- il de ne pas le toucher ? Est-il
devenu « plus » avec –dans- le Père ?
- Comme un père Iéshoua est humble et obéissant au Père
Comme un bon père, il prie le Père et est soumis à sa volonté d’amour.
Importance du visage paternel de Iéshoua :
Pourquoi est-il bon de contempler le visage paternel du Christ ?
La paternité est à la source de la fraternité. Comment mieux exprimer l’importance
essentielle du visage paternel de Dieu révélé par le Christ ? En d’autres termes, comment
pourrions-nous nous aimer les uns les autres sans aimer Notre Père ? Et comment connaître le
visage paternel de Dieu sans voir en Iéshoua ce visage ? Si Iéshoua n’était pas paternel,
comment pourrions nous dire que Dieu est Père ?
La paternité pourrait se résumer en deux qualités complémentaires : autorité et
tendresse (force et douceur). En France101
on a tendance à considérer le père (ou le Père)
uniquement comme une lointaine autorité juridique, un juge ou un législateur... Nous donnons
à la mère (ou Marie ou au « petit Jésus) le rôle de l’affection, de la tendresse et de la
miséricorde. Nous oublions que ce sont aussi les qualités d’un père. Dieu est le Dieu de
miséricorde (de l’hébreu « rahamim » qui veut dire « entrailles » ou « utérus »). Dieu a donc
des qualités maternelles. Autrement dit un père peut avoir des qualités maternelles. Iéshoua a
aussi ces qualités.
C’est à cause de la déformation du visage paternel de Dieu que nous sommes tentés
de faire de Iéshoua un simple intermédiaire entre Dieu et nous au lieu de considérer qu’il est
vraiment une personne divine. Nous préférons le considérer comme un homme expérimenté
en spiritualité, un modèle inaccessible, un héros, un surhomme, une sorte d’Apollon, une star
moderne, un homme divinisé. Nous préférons faire un dieu à notre image ; autrement dit, nous
fabriquons un dieu, une image, plutôt que de nous mettre à son écoute. Nous préférons, en
fait, un christ ni homme ni dieu. Ainsi nous évitons de percevoir son visage paternel qui n'est
pas seulement miséricorde mais aussi exigence. Nous nous construisons donc un dieu
déséquilibré, un "bon petit Jésus tout doux et gentil qui pardonne tout " ou bien nous parlons
seulement d’un crucifié mort pour nous qui ne peut rien faire d'autre que de souffrir comme
99 Matthieu 7,29 100 Marc 16,14 101 En France, selon l’Insee, 2 millions d’enfants vivent avec un seul parent, dont 85% avec la mère. 42% voient
leur père moins d’une fois par mois ou pas du tout.
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nous. On oublie que Iéshoua est aussi le Dieu de la joie et de la force de Vie. Il est ressuscité
et pas seulement assis à côté du Père mais surtout en Lui.
On pourrait qualifier cette déviance implicite –et inconsciente- de « déisme chrétien » :
la première personne de la Trinité est facultative car elle n’a qu’un rôle de création initiale et
ensuite n’est qu’une figure passive de Dieu. Le Père devenue une option est évoqué
occasionnellement en tant que Père anonyme réduit à la fonction de géniteur. Nous serions
donc les enfants d’un inconnu irresponsable qui nous aurait abandonnés sur la terre comme il
a abandonné son fils... Comment aimer un tel père ? Non, Dieu n’a pas abandonné son Fils, il
est venu en (dans) son Fils : « je suis dans le Père et le Père est en moi »102
. La paternité du
visage de Iéshoua peut nous permettre de retrouver le cœur de Dieu Notre Père.
Les conséquences de la défiguration du visage du Christ sont nombreuses. On peut
penser par exemple au « Jésus-amant » qui permet ainsi de l’imaginer avoir une relation
particulière avec Marie de Magdala. En contemplant le visage paternel de Iéshoua, on ne peut
pas tomber dans ce genre de blasphème. Un autre exemple de défiguration du Christ est de le
considérer comme un révolutionnaire mort en héros103
. Nous pouvons encore citer la
défiguration de Iéshoua en gourou et nous pourrions en citer bien d’autres plus perverses,
mais ce n’est pas l’objet de ce texte. Ce que nous voulons seulement mettre en lumière ici,
c’est que le visage paternel de Iéshoua, même s’il ne peut empêcher ces déviances, peut nous
aider à les limiter.
Iéshoua a le visage du Père, il ressemble à son Père, il a son caractère, il est paternel
comme son Père.104
Nous pouvons dire que l’on contemple la paternité de Dieu dans les trois personnes
divines. L'Esprit est aussi dans les trois : on dit l'Esprit du Père, l'Esprit de Iéshoua ou l'Esprit
Saint et c'est toujours le même.
« Les chrétiens sont baptisés " au nom " du Père et du Fils et du Saint-Esprit et non
pas " aux noms " de ceux-ci car il n’y a qu’un seul Dieu, le Père tout puissant et son Fils
unique et l’Esprit Saint : la Très Sainte Trinité. »105
Ce qui est important, plus que le nom, c'est ce qu'il signifie pour nous, ce que nous
exprimons en prononçant les mots Seigneur, Dieu, Notre Père, Iéshoua, ou Saint Esprit. Ce
qui est important c'est de n'oublier aucune des trois personnes divines. Si on ne prend que
l'aspect de Dieu qui nous convient on perd l'équilibre et on travaille contre Lui.
Le visage paternel de Dieu que nous contemplons en Iéshoua se reflète sur nos
visages. En aimant Iéshoua nous voulons lui ressembler dans sa fraternité et sa paternité :
nous désirons être entre nous fraternels, paternels, et aussi maternels.
Que sur notre visage, comme sur celui du Christ, resplendisse le visage paternel de
Dieu106
.
B) Iéshoua
« La joie de notre cœur vient de lui »107
102 Jean, 8,11 103 Voir Cardinal Ratzinger, La nouvelle Evangélisation, II, 3, Conférence pour le jubilée des catéchistes à
Rome, le 10/12/2000 104 voir Hébreux 1, 1-3 105 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article 233 106 Nombres 6,25 : « Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son regard… » 107 Psaume 33
59
Iéshoua ישוע est le nom du Messie, du Fils de Dieu, du Fils du Père. On donne à son
nom comme signification « sauveur » et comme synonyme « Emmanuel » ou « Imenouel »
Dieu avec nous (« imenou » signifie « avec nous »). Et dans le nom de Iéshoua on peut
entendre « ech » אש qui signifie « feu ». Iéshoua est l’homme au cœur de feu. Il brûle,
enflamme, incendie.
Il est « doux et humble de cœur », il est l’Amour incarné. Il est le crucifié. Il est le petit
enfant Jésus. Il est le Bon Pasteur, le Père qui pardonne. Iéshoua est chrétien et juif (et ni l’un
ni l’autre). Il n’est pas seulement le Dieu doux qui pardonne, il est aussi l’Éternel Dieu Tout-
puissant, le Sauveur, le Dieu qui a vaincu la mort par son Amour. Il n’est pas seulement le
petit nourrisson dans la crèche de Noël, Il est le Roi de l’univers. Il n’est pas seulement « le
Bon Dieu », Il est le Juge divin qui voit notre cœur. Jean de la Croix dit : « Au soir de votre
vie vous serez jugez sur l’Amour ». C’est Lui, Iéshoua l’Amour qui nous juge sur l’Amour.
S’il est si puissant et bon, pourquoi sa création n’est-elle pas à son image ? : harmonie,
beauté, bonté. Si Iéshoua est Dieu Tout-puissant, pourquoi les humains sont mauvais et s’Il
est Dieu, pourquoi Il ne fait rien pour ses enfants?
La réponse logique est : si Dieu existe Il est faible. Et si Dieu est Iéshoua alors c’est
compréhensible. Iéshoua ne se défend pas, il se laisse crucifier et son Père laisse son fils
mourir crucifié comme Il laisse ses enfants souffrir, crucifiés par ses autres enfants qui font
souffrir et tuent.
Dieu est Amour ; l’Amour est faiblesse ; Dieu est faible. Iéshoua étant Dieu Amour et
faiblesse, comment sa mort dans la souffrance humiliante peut elle être une victoire glorieuse?
L’Éternel n’est pas pressé. Il laisse ses enfants se battre, se faire mal et souffrir jusqu’à ce
qu’un jour ils crient vers Lui. « D’un cœur brisé, broyé, Tu n’as pas de mépris » dit le
Psaume (51).
Le Père Tout-puissant se cache dans Iéshoua faible agneau sacrifié. Dieu ne veut pas
utiliser sa puissance pour convaincre les humains de L’aimer. Si le Seigneur montre sa
puissance Il va contre notre liberté de croire et d’aimer, il va contre Lui-même. L’Amour est
plus fort que Dieu. Dans l’Amour il y a la liberté. Dieu ne peut pas forcer notre liberté sinon il
se contredirait. Il va jusqu’au bout de notre liberté, jusqu’à la mort de Iéshoua pour tuer la
mort par Amour.
Dieu n’est pas Tout-puissant parce qu’Il est Amour en Iéshoua. Et Dieu est Tout-
puissant parce qu’Il est l’Éternel Créateur de Tout. Il est Amour et Unité. Division, haine,
intelligence, puissance ne peuvent rien contre Celui qui est Amour, à l’origine de tout ce qui
existe. Sans Amour, toute puissance est provisoire, éphémère, illusoire.
Iéshoua est l’Amour vainqueur, Dieu. Il n’est pas seulement petit enfant et humble
crucifié. Il est homme, viril, guerrier. Il a gagné une guerre invisible. Son corps a perdu mais
son âme a gagné. Il est pour nous « Le chemin », la Porte.
Feu et Compassion
« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand Il nous parlait en
chemin, quand Il nous expliquait les Écritures ? »108
« Compassion ne signifie pas pitié ou apitoiement, mais grâce que Dieu donne de
prendre part à la Passion de son Fils, en acceptant dans la foi que Dieu, selon sa volonté,
donne la forme de la Passion à notre vie, même si celle-ci se déroule dans le cadre d’une vie
paisible. »109
108 Luc 24,32 109 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 5. La Passion du Christ à travers l’Histoire, Le point de vue du Christ, la
passion du disciple.
60
La prière, comme l’amour, est feu, joie et souffrance. La prière est un travail
laborieux, quotidien, parfois pesant, lourd, aride. Certains jours la prière est facile, pur
bonheur, repos de mon âme comblée. Et pourtant, que la prière soit douce ou amère, je prie, je
garde toujours le goût de la prière. Mon cœur veille de lui-même ou c’est moi qui veille sur
lui pour qu’il ne s’endorme pas dans la mort. Le feu brûle ou il faut que je l’alimente. Parfois
il faut que je le tempère, que je le calme pour que mon feu de joie ne soit pas feu d’artifice
éphémère.
Quand la prière ressemble à un calvaire, je pense à Iéshoua qui portait sa croix.
J’accepte la mienne et je me réjouis d’être avec Lui dans sa souffrance. Dans la souffrance
accueillie avec simplicité, je sens battre le cœur du Seigneur. Dans l’euphorie je peux
facilement tomber dans l’illusion de la lumière éblouissante ou de la puissance enivrante.
Dans la douleur de la croix je suis tranquille, mon âme repose en Dieu. La croix est le
symbole de mon alliance avec Lui cra’l emmoc ,ércas elobmys nu tse’C .עושי auohséI ינדא-en-
ciel de Noé, comme la circoncision d’Abraham, comme la Torah de Moïse. Iéshoua ne peut
pas s’unir plus à nous que dans la souffrance par Amour.
Attention, la Croix de Iéshoua n’est pas à rechercher pour s’en vanter. La souffrance
est un mystère intime à vivre dans le silence du cœur de Iéshoua. La souffrance n’est pas le
signe de la présence de Dieu en nous. Iéshoua est Compassion vivante et Amour de la Vie.
Aimer c’est aimer la vie. Aimer la vie c’est aimer la fête, l’amitié et la terre. Iéshoua qui est
l’Harmonie nous a montré qu’Il aime la vie. Le feu de Iéshoua vient de son amour de la vie.
Plus je L’aime, plus j’aime la vie. Et ma vie devient Vie.
Ahava אהבה
Les chrétiens utilisent le mot charité pour traduire ce qui est le plus intime de Dieu,
l’Amour. “Charité” étant trop proche de “pitié”, ce n’est pas le meilleur mot pour approcher
du mot indéfinissable, indicible, inaccessible. Les bouddhistes utilisent le mot “compassion”
mais il manque la moitié de la réalité : l’Amour ce n’est pas seulement ressentir de la douleur
avec l’autre, c’est aussi ressentir de la joie quand l’autre est heureux. Amour est un mot qui a
été sali parce que trop utilisé mais on n’a pas encore trouvé de meilleur mot qui exprime ce
qui est notre raison de vivre. Pour le distinguer de l’amour ordinaire, on peut lui mettre une
majuscule. Très proche de cet Amour, il y a aussi l’amitié pure qui est différente de l’amitié
ordinaire, souvent intéressée.
Dans la langue de Iéshoua Amour se dit Ahava אהבה. Ahava c’est Dieu Lui-Même,
l’Esprit Saint, L’Esprit de Iéshoua, L’Esprit du Père, l’utérus de Dieu, la chaleur du Seigneur,
la Source au delà de l’au-delà.
C’est toujours le même Seigneur אדני, l’Éternel יהוה sous différentes formes, avec des
visages différents. En L’appelant Seigneur je peux inclure ainsi la Trinité dans un seul Nom
au lieu de séparer Dieu en trois comme s’il s’agissait de trois personnes séparables. En priant
l’une des trois personnes de la Trinité je ne devrais jamais oublier que je prie les trois
personnes à la fois : Aba Iéshoua Ahava.
Le mot compassion (ou miséricorde) en hébreu a une construction intéressante: il est
formé du mot “utérus” ; et le mot utérus est formé de l’adjectif “chaud”.
Raramim, compassion : םימחר
Rerem, utérus : מחר
Ram, chaud ; rom, chaleur : מח
Mère Teresa de Calcutta définit la compassion en citant Iéshoua: “Aimez-vous les uns
les autres comme je vous ai aimés” D’où vient la compassion? Comment est-ce possible de
61
ressentir de la douleur avec quelqu’un qui ressent de la douleur? Ce n’est pas logique, ce n’est
pas humain. Ce qui est humain et logique c’est l’égoïsme, non?
Aimer, c’est éprouver de la compassion quand l’autre a mal. Et dans un sens plus large
(empathie) c’est aussi éprouver de la joie quand l’autre est heureux. Ce sentiment de
compassion ou d’amour est un bonheur. C’est donc simplement une forme épurée d’égoïsme,
un égoïsme ou amour de soi positif. Si je n’aime pas aimer, je mens, je n’aime pas. Aimer,
c’est aimer aimer.
La charité par pitié est à l’opposé de l’amour puisque c’est du mépris, de l’égoïsme
négatif parce que j’ai du dégoût envers l’autre et j’essaie de soulager ma conscience en faisant
un geste de don (condescendance).
Mais alors, comment éprouver avec franchise de l’Amour pour mon proche, pour ceux
qui m’entourent et pour l’humanité si pauvre d’Amour?
Je peux trouver comme moyen la bonne volonté : en faisant un geste d’Amour même
sans pensée d’Amour, c’est mon premier pas vers l’Amour. “Paix aux hommes de bonne
volonté”110
Mais je ne suis pas encore vraiment dans l’Amour.
Je peux aussi regarder la femme et son enfant, c’est le plus fort exemple d’amour et de
compassion. Au dedans de la femme, il y a l’utérus (רחמ, Rerem), la chaleur (חמ, Rom), la
source d’amour et de compassion (רחמים, Raramim). Aimer, c’est aimer comme une mère
aime son bébé.
Et je peux aussi demander, crier, prier Celui qui est le Père de l’Amour :
“ Seigneur, Toi qui es source d’Amour,
viens aimer en moi, par moi.”
Force joyeuse de la confiance
La joie c’est une disponibilité au moment présent, un émerveillement, une soif de vie,
une sensibilité d’enfant, un jaillissement d’amour, un élan vers les autres, une attraction pour
leurs coeurs. La soif d’Amour est un saignement du cœur à la fois douloureux et agréable
parce qu’il est expression de vie. La compassion est une joie douloureuse, une douleur
joyeuse. Le pire est de ne rien ressentir, de ne pas être sensible à la souffrance, de souffrir du
néant de l’insensibilité. L’absence de souffrance (de sensibilité, de capacité de souffrir) est
plus douloureuse que la souffrance. La confiance est une sorte d’imprégnation progressive et
lente.
Seigneur, libère mon coeur !
Seigneur, viens imprégner mon coeur de ta présence !
Seigneur, déborde mon coeur !
B) Le peuple chrétien
« Il est dommage que le mot « chrétien » soit devenu, dans la langue courante,
antagoniste exclusif du mot « juif », ce qui est assez singulier. Ces deux mots n’ont pas la
même valeur. « Chrétien », c’est disciple du Christ ; disons disciple de Jésus (ce qui laisse
entier le problème d’Israël est des païens). »111
Iéshoua résume en lui la religion juive. Il a révélé au judaïsme son essence. Il n’a pas
voulu créer une nouvelle religion mais plutôt élargir la sienne, la confirmer, l’amener (la
110 Luc 2,14 111 Jean-Marie Lustiger, La promesse, 6. En lui toutes les promesses de Dieu, En Galilée.
62
mener) à la perfection. Il n’apporte rien de nouveau au judaïsme, il le ramène à l’essentiel.112
« si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté au peuple d’Israël » dit
Jean-Baptiste à propos du Messie (Christ) Iéshoua113
.
Iéshoua est à la fois « juif orthodoxe » (il faisait partie de la branche des pharisiens,
terme auquel on a -ou il a- donné un sens péjoratif) et « juif libéral ». Il veut faire connaître la
Torah, remplir avec son peuple une mission devant les nations. Et, comme les juifs libéraux, il
est ouvert à la conversion des non juifs et donne plus d’importance à l’esprit qu’à la stricte
pratique des préceptes religieux. Iéshoua n’a jamais contredit le judaïsme, il est bien sûr
toujours resté de religion juive.
Iéshoua, désire que le peuple juif dépasse les commandements donnés à Moïse, c’est-
à-dire qu’il fasse passer l’Amour avant tout, et non seulement l’amour envers ses frères de
race, mais aussi envers les non juifs. Iéshoua désire que l’Esprit de son Père règne sur les juifs
afin de régner sur l’humanité. Il désire que son peuple soit « lumière pour éclairer les
nations » et porte-parole de son message, message reçu du Seigneur, Dieu d’Israël et de
l’humanité.
La notion de pardon pour les juifs et pour les chrétiens, comme celle d’amour n’est pas
exactement la même. Il est trop simpliste de dire que pour les juifs c’est « œil pour œil dent
pour dent » (ou justice égale vengeance). Et il est aussi faux de dire que pour les chrétiens il
faut pardonner « soixante-dix fois sept fois » (oublier n’importe quel crime). Pour les juifs
pardon implique réparation, c’est cela qu’il faut comprendre. Et pour les chrétiens pardonner
ne devrait pas signifier effacer n’importe quel acte. Il y a des actions impardonnables : celui
qui fait mal à un enfant dit Iéshoua devrait être « jeté à la mer avec des poids attachés aux
pieds ». Parfois, pardonner c’est être lâche, faible et complice, refuser la justice. Et parfois
faire justice c’est oublier que chacun est imparfait et qu’une fois le pardon donné il est
nécessaire d’aimer.
Iéshoua n’annule pas l’importance de la justice et de la mémoire, ce que les chrétiens
font souvent, mais il donne au mot pardon un sens d’amour fraternel que le pardon juif ne
donne pas.
Iéshoua explique aux juifs leur religion. Il leur en révèle l’esprit, la source. Il est plus
juif que les juifs, il est Le Juif, le seul vrai juif.
Les chrétiens peuvent –et devraient- étudier (avec les juifs) le judaïsme sans restriction
mais avec une lumière en plus : le Messie pour nous s'appelle Iéshoua. Il nous révèle le visage
du Père qui pardonne, et sa vie (les Evangiles) éclaire nos vies.
Un des problèmes que nous avons, nous chrétiens, c’est que nous connaissons trop peu
le Père, Celui que priait Iéshoua. Nous croyons que Iéshoua a tout dit (en fait il a tout résumé)
et que la lecture de l’"Ancien Testament" (ou plutôt du "Premier Testament") suffit pour
connaître le Père. Nous oublions que Iéshoua s’adressait à des juifs et qu’il n’avait pas besoin
de parler de ce que Dieu avait révélé à son peuple. Nous oublions aussi que le Premier
Testament est avant tout une Tradition orale, donc vivante et transmise de génération en
génération par le peuple juif et malheureusement gardée exclusivement par le peuple juif.
En fréquentant la synagogue, en participant aux prières juives et en écoutant les
enseignements de rabbins, les chrétiens ne vont pas devenir juifs. Les chrétiens vont ainsi
(re)devenir chrétiens.
L’arbre est replanté dans sa terre.
112
Voir le livre de Eric Edelmann, Jésus parlait araméen. 113 Jean, chapitre 1
63
Les branches recommencent à fleurir.
Enfin le fils retourne chez son père, auprès de son frère aîné.
Le père invite le grand frère à se réjouir avec son petit frère.
« Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il
fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à
la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. »
(Luc 15.31-32)
Judéo-christianisme et pagano-christianisme
Le judéo-christianisme est le vrai christianisme : le christianisme ignorant, rejetant ou
niant le judaïsme, est vide de sens. Le christianisme qui n’est pas judéo-christianisme adore
Jésus-idole, substitut d’Apollon, de Zeus ou de Jupiter. Le christianisme coupé de sa racine
juive est une forme hellénisée du judaïsme. Le judaïsme pourrait se passer du christianisme et
garderait son sens tandis que le christianisme sans relation avec le judaïsme est païen. En
simplifiant on pourrait dire que le judaïsme est la religion du Père tandis que le christianisme
est la religion du Fils.
« Le cardinal Lustiger nomme «pagano-chrétiens» ces chrétiens sans mémoire, tentés
de chercher seulement dans Jésus le portrait-robot de l'homme idéal, « une figure mythique
ou purement païenne de la divinité à laquelle la raison occidentale impose son triomphe »»114
Le christianisme (re)prend de la vigueur en retrouvant son lien avec la religion de
Iéshoua. C’est comme refaire un puzzle, replanter l’arbre déraciné, le christianisme planté
dans sa terre d’origine se retrouve lui-même. Le christianisme indifférent au judaïsme est
froid, creux, absurde. Et le christianisme qui rejette les juifs se rejette lui-même et choisit la
mort, l’inverse de Dieu, l’exact opposé de Iéshoua. Le christianisme anti-juif est
complètement romain, dans le sens de « romains crucifiant le roi des juifs ». « Les pagano-
chrétiens ont tué les juifs sous le prétexte que ceux-ci ont tué le Christ ; ce qui est blasphème
manifeste, révélation claire que c’est l’esprit du monde et non pas l’esprit du Christ qui les
animait. »115
Jésus est Dieu mais Dieu n’est pas Jésus. Iéshoua est Dieu mais Dieu n’est pas
Iéshoua. Si Dieu n’est qu’un homme mort et ressuscité, il n’existe pas. Dans cette hypothèse,
Jésus ne serait qu’un homme divinisé, une idole. Pour éviter de tomber dans cette déviance
dangereuse, il est vraiment important de mieux connaître nos racines juives qui nous
apportent la sève nécessaire à notre épanouissement chrétien. Il ne faudrait cependant pas
tomber dans une autre déviance en considérant le peuple juif élu, choisi et saint comme une
idole. Ce n’est pas parce que le peuple juif est saint que tous les juifs sont des saints. De
même, ce n’est pas parce que l’Eglise est sainte que tous ceux qui lui appartiennent sont des
saints.
« (…) nous voyons bien que sous couvert de fidélité à l’Alliance, la figure du Christ a
souvent servi de prétexte à l’oubli du Père. L’un des drames de la civilisation chrétienne est
qu’elle devient une civilisation athée tout en prétendant rester chrétienne, c'est-à-dire qu’elle
fait du Christ une figure idolâtrique, un fils sans père –et donc sans Esprit-, où le seul esprit
est finalement celui de l’homme.
114 Israël expliqué aux moniales, article de Daniel Rondeau, J.-P. Couderc / L'Express 115 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 5. La Passion du Christ à travers l’Histoire.
64
Du coup, la figure du Christ devient un absolu culturel. Un messianisme perverti et
blasphématoire y trouve place. Nous ne devons pas nous réjouir de la mode de Jésus, parce
qu’il n’y a pas pire idole que celle qui singe le vrai Dieu. »116
Amertume
On peut par exemple trouver dans « La lettre aux Hébreux » l’expression « ancienne
alliance » qui sous-entend qu’elle est périmée. Et on peut aussi comprendre bonne nouvelle
(expression chrétienne qui signifie « message de Jésus » ou « Evangile ») comme seule
nouvelle et par conséquent, substitution à la vieille nouvelle (qui est, pour certains chrétiens,
le message donné au peuple juif). Dans les Evangiles on peut facilement tordre le mot « juif »
et lui donner un sens péjoratif, allant jusqu’à faire dire aux Evangiles que les juifs sont les
meurtriers du Christ et que tout ce qui peut leur arriver comme souffrance n’est que la
conséquence de leur non reconnaissance de Jésus-Christ117
.
Il est vraiment facile de se laisser aller à la tentation de dire que les juifs devraient se
convertir au christianisme parce que leur religion est périmée depuis que Iéshoua est venu.
Les musulmans reprenant cette idée pourront dire de même que le judaïsme et le christianisme
sont périmés depuis la venue du prophète Mohamed. Ces raisonnements simplistes sont
terriblement dangereux quand ils débouchent sur des paroles, puis sur des actes ou des
complicités de discrimination raciale envers les non chrétiens, qu’ils soient musulmans, juifs,
ou autres.
Pourquoi des gens si intelligents, si chrétiens (en apparence), tombent dans le piège du
racisme ? Ou plutôt de la haine, tout simplement. Les juifs sont la plupart du temps la cible de
cette haine de la part de ceux qui se disent chrétiens (sans compter les autres). Comment est-il
possible qu’un chrétien ait de la haine envers quelqu’un qu’il ne connaît pas, envers un
groupe de personnes qui ont une identité particulière ? Et pourquoi ?
Des chrétiens diront : « Moi je suis en faveur des faibles. Puisque les juifs écrasent les
palestiniens, je suis en faveur des palestiniens et donc contre les juifs. » D’autres diront : « les
juifs sont riches, Jésus était contre les riches, je suis donc, comme Jésus, anti-juif ». Ou bien,
autre raisonnement simpliste : « les juifs sont racistes118
donc il est normal que je sois raciste
envers eux. » Il y en a beaucoup d’autres...
Le plus triste est de voir que l’enseignement de Iéshoua, qui n’est qu’amour, peut être
détourné en prétexte de haine. On peut haïr au nom de Jésus, tuer au nom de Jésus, faire des
guerres au nom de Jésus. Et on peut aussi bien sûr faire de même au nom du Dieu d’Israël, au
nom d’Allah ou de n’importe quel autre dieu. Cela s’appelle religion nationaliste (intégrisme,
fanatisme, fondamentalisme, totalitarisme…), c’est-à-dire l’utilisation de la religion au
service des instincts humains les plus bestiaux (non pas animaux parce que les animaux ne
sont pas capables d’autant de haine que les humains). Et, à l’opposé des religions fanatiques
se trouve la religion sociale (vague identité), comme dans le christianisme : une sorte
d’identité chrétienne sans pratique religieuse ou spirituelle, voire sans connaissance
religieuse.
Mais au fond : pourquoi ? Pourquoi cette haine ? Ces petits arguments n’expliquent
pas cette haine irrationnelle. La haine provient de l’ignorance, c’est une explication. Et puis,
116 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 9. Jésus crucifié, Messie d’Israël : Salut pour tous. 117 Luc 19,44 118 « Ce que tu interprètes comme du racisme n’était pas du racisme, mais un enfermement sur soi pour
préserver ses racines. La condition sine qua non de la survie d’Israël. (…) La langue et la culture de la Bible ont
été sauvées par ce que tu appelles du racisme. »
André Chouraqui, Elie Chouraqui, Le Sage et l’Artiste.
65
si on observe les animaux, on peut dire qu’ils deviennent méchants quand ils ont peur.
Pourquoi tellement des gens, et en particuliers de « chrétiens » (ou pseudo chrétiens) ont peur
des juifs ? Pourquoi des humains veulent en crucifier d’autres ? Pourquoi des humains ont en
crucifié un qui se disait « fils de Dieu » ? S’il était fou il fallait peut-être l’enfermer, mais
pourquoi l’avoir tué ? Pourquoi l’avoir tué s’il n’était qu’un fou ? Quel est le lien entre le
crucifié Iéshoua et son peuple, le peuple juif ? Les deux, le roi et son peuple, ont en commun
d’attirer la haine. La haine, comme l’amour, n’a pas d’explication rationnelle. Les deux sont
des mystères.
« Même pour Israël, sa propre souffrance est une énigme. Le chrétien ne peut pas la
lui expliquer ; il ne peut que faire comme le Christ qui entre dans le silence de sa Passion. Le
Christ n’explique pas sa Passion ; il l’annonce et y entre en se taisant. »119
Réconciliation judéo-chrétienne sans fusion : agrégation
« « Vous n’étiez pas du peuple ; maintenant vous en êtes, vous êtes le peuple que Dieu
s’est acquis. » (Voir Isaïe 54,1-3 ; 55,5) Il n’y a là aucune substitution, mais une agrégation
au peuple (…). » 120
La Bonne Nouvelle de l’Evangile annoncée par Iéshoua est que l’Alliance ancienne est
ouverte à tous et rénovée, renouvelée, neuve : éternelle. La nouvelle évangélisation, pour être
authentique, commence par une nouvelle agrégation. Il ne s’agit donc bien sûr ni de
substitution ni d’incorporation121
. Les chrétiens, en s’agrégeant de nouveau au peuple juif
retrouvent leur racine ; la branche est (re)greffée sur l’arbre. Grâce à leur sève juive, les
chrétiens retrouvent leur vigueur. Le désir d’évangéliser provient du feu de notre source. La
nouvelle évangélisation provient d’un retour enthousiaste à la source du Sinaï, dans la maison
du Père.122
« Iéshoua (ישוע) Notzeri Melère a Yehudim » (en hébreu) était inscrit au dessus de la
tête de Jésus sur la croix, ainsi qu’en grec et en latin (« Iesum Nazareum Rex Iudaeorum » :
Jésus Nazaréen roi des Juifs).
La traduction de l’inscription hébraïque est intéressante. L’Éternel étant tout ce qui est,
étant, comme Il le dit dans la Bible, “Je suis”, on ne peut pas utiliser ce verbe au présent dans
la langue sacrée du peuple juif. Le verbe être ne se conjugue pas au présent en hébreu parce
qu’il « signifie » Dieu יהוה.
L’adjectif « nazaréen » (ou traduit « de Nazareth ») est un mot qui en hébreu est
synonyme de « chrétien ». Chrétien se dit « notzeri », comme si tous les Nazaréens étaient
chrétiens ! Et comme si tous les chrétiens étaient de Nazareth ! Etre chrétien c’est être comme
Iéshoua : de Nazareth. Autrement dit c’est connaître Nazareth, ses environs, les gens qui y
vivent (et qui y vivaient), la terre de Iéshoua. Peut-on prétendre être chrétien sans désirer
119 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 5. La Passion du Christ à travers l’Histoire, Les enfants de Bethléem :
souffrance d’Israël. 120 Jean-Marie Lustiger, La Promesse, 9. Jésus crucifié, Messie d’Israël : Salut pour tous (page 132). 121 Le baptême juif, aujourd’hui comme au temps de Jean-Baptiste est un rite d’incorporation (intégration) au
peuple ; il nécessite la circoncision. Le baptême de juifs par Jean-Baptiste signifiait donc un renouvellement de
l’Alliance du Sinaï (comme s’ils devaient à nouveau être incorporés à leur peuple). Le baptême chrétien nous fait
aussi entrer dans l’Alliance du Sinaï (dans l’Esprit de la Loi) mais, n’étant pas lié à la circoncision (le poids de la
Loi et de toutes les obligations juives), le baptême chrétien ne nous incorpore pas au peuple juif. Cependant, le
baptême chrétien nous lie, nous agrège, nous unit au peuple de Dieu (élargi grâce au baptême chrétien). 122 « Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien s'égayer
et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est
retrouvé. » (Luc 15.31-32)
66
connaître la terre, le peuple, la culture et l’éducation de celui qui s’est dit et est Fils de Dieu ?
Iéshoua n’est pas seulement « du Ciel », il est aussi de la terre, d’une terre bien particulière. Il
est important de savoir comment vivait Iéshoua, sa famille et son peuple car si Jésus n’était de
nulle part sur la terre, cela signifierait qu’il n’est jamais né. Pourquoi est-il né à cet endroit, à
ce moment précis, dans ce peuple précis ?
Etre chrétien c’est s’intéresser à l’identité juive du Christ, chercher quels sont les
différences et les ressemblances entre le judaïsme et le christianisme, et découvrir le besoin
d’amitié entre ces deux religions, ces deux cultures, ces deux peuples qui ont le même Père, le
père de Iéshoua.
Chrétiens, nous sommes enfants de parents divorcés. Notre mère, c'est l'Eglise
catholique et notre père le judaïsme. Nous avons préféré vivre avec notre mère. C’est naturel,
mais nous ne devons pas oublier notre père, même si lui nous a oubliés. Il est difficile
aujourd'hui de réconcilier nos parents, surtout à cause de leurs divergences juridiques,
administratives et politiques. Cependant nous pouvons essayer de les réunir en nous-même,
pour trouver notre équilibre spirituel.
C) La prière avec Iéshoua
La prière étant un travail a un rythme. Et la prière est aussi un repos, un moment de
tendresse, de confidence avec Quelqu'un. Pour le chrétien, prier c'est se sentir auprès du
Seigneur, le Dieu de Iéshoua et Iéshoua lui-même : c’est se réfugier dans ses bras. Au début Il
paraît lointain et il peut arriver parfois qu'Il soit éblouissant de proximité. Avec le temps, avec
un rythme de prière régulier, son visage ou ses visages nous deviennent plus familiers. Nous
avons confiance, nous nous habituons à être présent à sa Présence. Plus on Le connaît, moins
on est capable de Le définir, moins on a besoin de L’expliquer. Il s'appelle l'Amour. Il est
Père. Il a le visage de Iéshoua.
Imprégnation
Vivre avec Lui c’est croire et c’est faire : c’est être. C’est Lui qui croit en nous et qui
nous fait : Il nous habite si nous l’accueillons et si nous le gardons. Vivre avec Lui c’est
irriguer notre vie par la prière ; la prière devient naturelle, elle fait partie de nos actes, de notre
être. Vivre avec Lui c’est s’imprégner chaque jour et à chaque instant de son Amour, sa
présence vécue.
Que signifie se laisser imprégner de Sa Présence ?
Selon le dictionnaire :
Imprégner : (du bas latin impregnare, féconder) : faire pénétrer un liquide, une odeur
dans un corps. Exemples : Imprégner une étoffe d’un liquide. L’odeur du tabac imprègne ses
vêtements.
Imprégnation : 1) action d’imprégner, fait d’être imprégné. Exemple : l’imprégnation
des bois, d’un tissu. 2) Sens figuré : pénétration lente. Exemple : l’imprégnation des esprits
par la propagande.
Absorber : laisser pénétrer une substance dans un corps par imprégnation et le
retenir.
« L'imprégnation est un type de traitement agissant par pénétration d'un produit dans
le bois. Suivant le procédé de mise en œuvre, la nature du bois et la formule du produit,
67
l'imprégnation peut être profonde, ou n'intéresser que la périphérie des pièces traitées. On
parle alors d'imprégnation superficielle. »123
Comment prier ?
La prière n’est pas une activité humaine récente. On peut prier de façon spontanée,
mais c’est oublier qu’existe une tradition plus que millénaire qui peut nous aider à mieux
prier. Se passer de tout ce trésor, c’est dommage. Cependant il ne faut pas non plus
s’embourber dans une recherche intellectuelle qui nous ferait perdre de vue l’essentiel.
L’organe de la prière n’est pas le cerveau mais le cœur d’où s’exprime et perçoit l’âme. La
prière est relation et travail quotidien, voire même continuel. C’est un art, et comme tout art
cela demande persévérance et créativité.
Cinq façons de prier :
1/ Prière spontanée
La prière, c’est une envie de toucher Celui qui est le Seigneur. C’est un désir
d’Amour, une soif qui s’exprime de multiples façons : en silence, en cri, en pensées, en
gestes… Prier, c’est oser se croire écouté. Avant de chercher à savoir comment d’autres
prient, il faut d’abord chercher soi-même ses propres mots de tendresse. Chacun a ses mots
pour exprimer ce que veut dire son cœur.
Le soir est propice à cette forme de prière spontanée qu’on peut peu à peu organiser
par exemple en plusieurs moments :
- Merci Seigneur pour aujourd’hui…
- Pardon Seigneur parce qu’aujourd’hui…
- S’il te plaît Seigneur…Pas seulement pour moi mais aussi pour…
- Que veux-tu de moi ? Que me demande-tu ? Qu’attends-tu de moi ?
- Tu es merveilleux Seigneur parce que…
- Prends soin de mon cœur, protège-nous cette nuit, je m’endors dans tes bras.
2/ Prière récitée
Le matin il est plus facile de dire (ou penser) une prière que l’on a déjà apprise, ce qui
n’empêche pas bien sûr d’improviser. On peut aussi inventer des prières qu’on apprend
ensuite. Prier est un travail d’artiste. Cela demande donc à la fois de la créativité et de la
discipline. Il vaut mieux prier un peu chaque matin que beaucoup de temps en temps. Si on ne
parvient pas à prier plus d’une fois par jour, il vaut mieux ne pas éliminer la prière du matin
car elle oriente toute notre journée. Le minimum « vital », c’est quand même deux fois par
jour : au lever et au coucher.
Iéshoua devait connaître beaucoup de prières par cœur. Il connaissait certainement
quelques psaumes (tous peut-être). Sur la croix, au plus fort de la souffrance et près de la
mort, il s’est souvenu d’un psaume qui commence par « Eli (mon Dieu), Eli, pourquoi tu m’as
abandonné… »124
La principale prière récitée des chrétiens est le Notre Père :
Notre Père, qui es aux Cieux,
Que ton Nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel,
123 http://www.bois.com/choix-produits-materiaux/lexique-bois 124 Psaume 22
68
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés,
Garde-nous de la tentation,
Délivre-nous du Mal.
Amen
3/ Prière lue
Lire des prières c’est déjà prier. Evidemment une lecture priée est différente d’une
autre lecture, non seulement par le sujet mais surtout par la manière de lire. On peut lire par
exemple des Psaumes ou d’autres passages de la Bible en essayant de penser à chaque mot. Il
est bon de faire ce genre de lecture le matin, comme ça on peut penser à ce qu’on a lu durant
la journée. On cherche en lisant à s’imprégner de lumière. On insiste par exemple sur une
phrase qu’on essaie de mémoriser. Il ne faut donc pas que cette prière lue soit trop longue,
pour bien l’assimiler, la « digérer »
L’étude, c’est différent. C’est chercher plus de lumière par la lecture ou en écoutant
quelqu’un ou en dialoguant. Mais parfois l’étude peut avoir le ton d’une prière. La frontière
entre étude et prière lue n’est pas toujours nette. Ce qui caractérise la lecture normale par
rapport à la lecture priée, c’est entre autres choses l’intention, ce que la juifs appellent la
cavana :
« il faut prier avec intention (cavana):
Il faut prier avec "intention". Celui qui prie avec intention. Cela veut dire
- se placer en pensée face à la présence de D.
- retirer de sa pensée toute autre préoccupation ou pensée,
- être présent aux mots que l'on dit et à leur sens qui n'est pas seulement intellectuel
mais va jusqu'à l'intériorité de ce qui est dit,
- être présent aux sentiments portés par les mots,
- être présent avec tout son être, non seulement la tête mais aussi le corps,
- connaître les intentions que nos Sages ont reçues ou placées dans le texte, de façon
globale pour un certain texte et de façon précise concernant les différents mots, et les Sages
ont écrit des commentaires de la prière qui les transmettent,
- concevoir la prière comme une action qui réalise,
- concevoir la prière comme une action qui améliore un état du monde en permettant à
la bénédiction de mieux y circuler ; cette amélioration se produit non seulement en
améliorant celui qui prie mais aussi en améliorant le lien du monde visible avec le monde
invisible.
Il est interdit de prier sans cavana. Il vaut mieux prier un peu avec cavana que
beaucoup sans cavana, mais ce principe ne peut pas être utilisé pour réduire le temps que l'on
doit accorder à la prière et le juif a trois prières obligatoires par jour qui comprennent toutes
une séquence précise. Le fait de prier est déjà en soi une intention. De nombreux textes
discutent de la question de savoir s'il faut ou non reprendre une prière, une bénédiction ou
une mitsva qui n'aurait pas été réalisée avec une véritable intention.
Techniquement cela exige
- de consacrer un moment avant de commencer la prière pour rejoindre
intérieurement ces états
- de dire avant la prière le petit texte traditionnel de préparation intérieure, dénommé
lé chém yi'houd,
- de maintenir cette conscience pendant la prière.
- de s'y entraîner en ayant constamment la représentation intérieure de la présence de
D. devant soi pendant la journée.
69
Ces principes qui viennent d'être exposés sur la cavana se trouvent dans Isaïe 29, 13 »125
(voir en annexe : « Expliquez-moi la prière juive »)
4/ Prière répétitive
Le chapelet est la prière chrétienne (catholique) répétitive la plus connue. Il devrait
être dit une fois par jour. On peut le dire à haute voix ou en pensée, en marchant ou assis, dans
une église, chez soi, dans la nature ou dans la rue... On peut le dire attentivement ou avec une
concentration moindre. On peut le dire en quinze minutes ou en une heure. C’était dit-on la
prière préférée de Jean Paul II. Il recommande de dire lentement chaque mot et de s’arrêter
pour respirer au milieu de chaque « Je vous salue Marie » ou après le nom de Jésus pour bien
penser à Lui. Dans d’autres langues, comme par exemple en espagnol, anglais ou hébreu, il
est plus simple de suivre le conseil du Pape car le nom de Iéshoua est juste à la fin de la
première partie.
« Je vous salue Marie » :
Réjouis-toi Miryam,
Comblée de grâce,
Le Seigneur est avec toi,
Tu es bénie entre toutes les femmes,
Et Iéshoua ton enfant est béni,
Sainte Miryam, mère de Dieu,
Prie pour nous pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen.
Gloire au Père, Aba,
Gloire au Fils, Iéshoua,
Gloire au Saint Esprit, Rouar Ahava126
,
Comme Il était au commencement, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.
Amen.
Une autre forme de prière répétitive est la mélodie chantée à voix haute ou basse ou en
pensée. Elle n’a pas de limite. Elle commence et finit quand on le désire. La communauté de
Taizé, par ses chants, encourage ce genre de prière :
« Les chants de Taizé permettent la participation d’une foule renouvelée chaque
semaine et sans langue commune. A travers la beauté des chants, la prière commune transmet
une joie de Dieu sur la terre des humains.
Ces chants soutiennent aussi la prière personnelle. Pour de nombreux chrétiens au
long des siècles, quelques mots repris et encore repris, comme à l’infini, ont été un chemin de
contemplation. Ils construisent peu à peu une unité de la personne en Dieu. Quand ces mots
sont chantés, peut-être pénètrent-ils davantage jusqu’aux profondeurs de l’être humain.
Ce chant qui ne finit pas devient sous-jacent au travail, aux conversations, au repos,
reliant prière et vie quotidienne. Et l’appel de toute une foule se continue de jour et de nuit,
même à notre insu, dans le silence du cœur : « Viens Esprit Saint. » »127
125 « Expliquez-moi la prière juive », Commentaires et traductions par le Rav Yehoshua Ra'hamim Dufour basés
sur les livres de nos Sages Site Modia : http//:www.modia.org 126 Rouar חור Ahava הבהא.
(Rouar signifie vent, souffle, esprit חור Ahava en hébreu signifie « amour » etהבהא )127 Veni Sancte Spiritus, Chants de Taizé
70
5/ Prière silencieuse
« le bruissement d’un souffle ténu »
« un doux et subtil murmure »
« une brise légère »
« la voix du silence »
« voix silencieuse »128
On ne recherche pas le silence intérieur seulement pour trouver la paix, la force ou la
lumière. On recherche le silence intérieur pour trouver l’Amour. Si on cherche la tranquillité
égoïste, la puissance ou la connaissance magiques, on n’a rien compris à la prière silencieuse.
La prière est orientée vers l’Amour, le silence est au service de l’Amour. Tout le reste est
secondaire. La force est au service de l’intelligence (et de la connaissance), et les deux sont au
service de l’Amour.
On cherche la paix intérieure en ayant une vie paisible, une vie conforme à la volonté
de l’Amour. En suivant le Seigneur, en faisant ce qu’il aime on trouve la paix dans sa vie et
on peut trouver la paix et le silence intérieurs.
On trouve le silence intérieur en cherchant à être attentif à la vie, c’est la
contemplation naturelle. On trouve le silence intérieur devant Iéshoua présent dans
l’Eucharistie. On trouve le silence intérieur en ressentant la soif de Son cœur dans le cœur des
autres et dans notre cœur.
Le silence intérieur permet de mieux prier ; il est prière. Et la prière permet de mieux
aimer. Quand aimer signifie être avec Celui qui est l’Amour, alors la vie est prière.
Contemplation
Avec le Père, comme Joseph.
« Marche en ma présence et sois parfait »129
La contemplation, c'est un enfant qui joue, c'est un paysage qu'on regarde, c'est la mer
qu'on écoute, c'est Joseph qui fabrique des meubles. Joseph en tant que travailleur manuel a
une activité propice à la contemplation. La contemplation est très liée au corps. C'est un
silence qui s'impose à nous naturellement, simplement parce qu'on est complètement absorbé
par ce qu'on fait, voit, entend, sent, ressent… La contemplation est un bonheur spontané qui
arrive lors d'une situation favorable au silence intérieur. Ce n'est pas notre intelligence qui
contemple, c'est notre cœur qui voit, notre corps qui perçoit, à la fois en dehors et au-dedans
de nous. La contemplation peut nous prendre par surprise ou on peut rechercher cet état de
prière silencieuse contemplative. Pour cela il y a beaucoup de chemins, beaucoup de façon de
chercher le bien-être profond. On peut marcher dans la nature, s'appliquer à bien faire la
vaisselle, à bien manger ou à bien respirer. La contemplation, c’est sortir de l'angoisse du
temps qui nous empêche d'apprécier le présent.
Mais pour le croyant, chrétien ou juif, la contemplation c'est aussi voir le Créateur
dans sa création. C'est par conséquent vivre en sa Présence, penser qu'Il nous voit, qu'Il nous
aime. C'est comme Abraham, marcher en sa présence et donc chercher à lui plaire, rechercher
la conformité à sa volonté, c'est-à-dire rechercher l'harmonie et la perfection. La
contemplation n'est donc pas seulement un état de bien-être, mais aussi une responsabilité
active. C'est tout le contraire de se cacher comme Adam et Eve se cachaient et fuyaient du
regard du Créateur. Contempler, c'est Le contempler en tout.
Le problème de l'étude, du travail intellectuel, c'est qu'il nous éloigne ou -presque-
nous empêche d'être dans un état de contemplation. C'est pour cela que ceux qui ont une vie
128 Différentes traductions de 1 Rois 19,12 129 Genèse 17,1
71
plus proche de la nature ou plus proche des sensations physiques du toucher, du froid, de la
douleur peuvent plus facilement ressentir la présence de Notre Père du Ciel dans sa création.
Et ceux qui n'ont pas une vie prisonnière du temps artificiel (plan de carrière, métro,
rendement, etc.) peuvent plus facilement penser au regard du Seigneur sur leurs vies.
Ce regard, et la conscience (confiance) de ce regard, change notre attitude, nous
apporte un silence intérieur fécond. Son écoute et Son regard nous "parlent", nous indiquent
ce qu'il faut faire. Nous sentons au-dessus de nous la présence du Père qui nous aime et nous
cherchons simplement à lui plaire, à lui faire plaisir. Comme des enfants, nous voulons que le
Seigneur se réjouisse de nous. Et nous sentons qu'il est triste quand nous sommes tristes, qu'il
a mal quand nous avons mal. Il est comme un père et comme une mère qui sont attentifs à
leurs enfants.
Adoration
Avec Iéshoua Eucharistie, comme Miryam.
« Il comprend tous les langages humains. Te tenir en silence près de lui, c’est déjà
prier : tes lèvres restent fermées, mais ton cœur lui parle. »130
Pour les chrétiens (plus particulièrement pour les chrétiens catholiques), Iéshoua est
physiquement présent dans le pain et le vin consacrés. On peut donc se mettre à genoux
devant un morceau de pain exposé qui s'appelle le Saint Sacrement. Ce qui est très important
pour que l'adoration soit prière, c'est que notre attitude soit simple : il ne s'agit pas de croire
ou ne pas croire que le Créateur de l'univers puisse être du pain, il s'agit de l'adorer sans le
voir, sans le connaître, sans le nommer. Il est invisible, inconnu ; on ne connaît même pas son
Nom. Et pourtant, toute notre vie dépend de Lui, est orientée vers Lui. Comme ce pain
exposé, Dieu est un mystère : inaccessible à la raison.
Un adulte veut comprendre, un enfant adore. L'enfant se prosterne devant le pain et il
nous montre qui Il est. Il est (dans) ce pain. Il est dans le Ciel. Et Il est dans l'Amour, dans
notre cœur. Adorer Iéshoua dans l’Eucharistie, c'est venir dans un lieu fait pour lui. On se met
à genoux ou assis ou debout, et on se tait. On regarde le Saint Sacrement. On pense que
Iéshoua est ressuscité, qu'un vendredi il est mort crucifié et que la veille il a dit en parlant du
pain et du vin qu'il partageait avec ses amis : "c'est mon corps qui sera (demain) donné pour
vous"…
On est en silence près de lui comme si on était avec sa mère au pied de la croix. Elle
ne disait rien, elle était seulement présente, debout en silence. Et nous aussi devant le Saint
Sacrement on est en silence. On ne prie pas avec la bouche, on n'essaie même pas de prier
avec la pensée. On essaie de repousser les pensées qui nous éloignent de lui. On essaie de ne
penser qu'à lui, à l'Amour, à tout ce qui a un lien avec l'Amour. On essaie de trouver la paix
intérieure. On essaie de comprendre ce qui nous empêche ou nous gêne pour trouver le silence
intérieur.
On peut se poser des questions silencieuses : "Qu'est ce qui dans ma vie est un
obstacle à l'Amour ?" On peut demander à Celui qui est l'Amour : "Qu'est-ce qui dans ma vie
te déplaît ? ", "Qu'attends-tu de moi ?", "Qu'est-ce qui te plaît ?", "Qu'est-ce que tu aimes ?"
On peut aussi penser à ceux qui nous aiment, et à ceux qu’on aime. On les confie par Iéshoua
à Notre Père. On lui confie tout notre cœur. On écoute. On n’entend rien. Notre cœur entend.
C'est cela adorer. C'est simple.
Cœur à cœur (oraison et acte de présence131
)
130 Frère Roger de Taizé, Amour de tout amour.
72
Avec l’Esprit d’Amour, comme Iéshoua.
« Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »132
« Je garde le Seigneur devant moi sans relâche »133
La prière silencieuse constante, c'est un sentiment d'Amour, la sensation ou la certitude
d'une Présence, la certitude qu'Il est là, avec nous, toujours.134
Je ne le vois pas, c'est inutile :
"Heureux ceux qui croient sans avoir vu"135
. Non seulement je sais qu'il m'accompagne mais
en plus je le sens. La confiance (foi) est renforcée par une douleur du cœur, un manque
d'Amour, une soif d'aimer. La douleur de Son absence est présente (présence). Cette soif est la
même que celle de Iéshoua. Il s'agit donc, non pas d'un tête-à-tête mais bien d'un cœur à cœur
avec Lui. Cette brûlure, on ne peut pas vraiment l'appeler douleur parce que quand on
l'accepte, quand on l'aime, elle n'est plus douloureuse. Au contraire elle est joie d'être en
relation avec tous ceux qui ont la même soif d'Amour. Cette soif solitaire nous sort de la
solitude et nous emmène dans la Communion : avec Iéshoua et tous ceux qui ressentent un
peu de ce que ressent son cœur.
« L’oraison est une communion d’amour porteuse de Vie pour la multitude, dans la
mesure où elle est consentement à demeurer dans la nuit de la foi. »136
Cette brûlure impose le silence. Elle ne peut pas s'exprimer en mots, en prière pensée,
dite ou chantée. Quand la douleur et la joie sont intenses, profondes et mélangées, les mots
sont superflus. On ressent alors un silence intérieur qui est paisible et comme le trésor
inestimable de sentir qu'Il habite en nous. C'est une sensation qu'on peut ressentir faiblement
ou fortement, dans l'immobilité ou l'activité, dans la solitude ou avec les autres. C'est une
sensation qui peut avoir plusieurs formes, se situer dans le cœur, dans le corps, dans la pensée,
ou partout à la fois. Si cette brûlure de la soif provoque en nous la naissance d'une prière
exprimée, c'est une prière qui jaillit en quelque sorte malgré nous ou plutôt par nous. Il vit en
nous. L'Esprit d'Amour aime en nous.
Attention, tout cela n'a rien d'extraordinaire ! Ce n'est pas une chose réservée aux
"mystiques" ou le résultat d'une vie d'ascèse… C'est un cœur à cœur accessible à tous,
maintenant et en permanence. Il suffit de le vouloir, de croire en l'Amour du Père qui a le
visage de Iéshoua. On peut ressentir ce cœur à cœur dès qu'on s'ouvre à la sensibilité, à la
douleur de la terre, de l'humanité et donc du cœur de Celui qui l'a créée. Le plus difficile n'est
pas de ressentir le cœur de l'Amour, le plus difficile est de consolider, d'approfondir et de
laisser grandir (d’augmenter) cette sensation pour qu'elle prenne tout notre être et toute notre
vie. Cette sensation, c'est Lui-même qui prend place en nous, qui prend notre cœur. Notre
travail consiste à lui faire de la place, à le laisser entrer et s'installer, à l'inviter à prendre toute
la place. Paradoxalement notre travail consiste à Le laisser nous travailler : à nous laisser
faire. C'est une passivité active : l'Amour est repos et travail, joie et douleur, volonté et
abandon.
Laisse toi faire !
131 L’oraison, c’est un acte de présence dans un lieu et un moment définis (en ayant une position immobile, de
préférence les yeux fermés). L’acte de présence, c’est une oraison pendant nos activités. Les deux sont un effort
intérieur silencieux d’attention à Sa Présence. 132 Matthieu 28,20 133 Psaume 16,8 134« L’oraison est silence, ce " symbole du monde qui vient " (S. Isaac de Ninive, tract. myst. 66) ou " silencieux
amour " (S. Jean de la Croix). Les paroles dans l’oraison ne sont pas des discours mais des brindilles qui
alimentent le feu de l’amour. C’est dans ce silence, insupportable à l’homme " extérieur ", que le Père nous dit
son Verbe incarné, souffrant, mort et ressuscité, et que l’Esprit filial nous fait participer à la prière de Jésus. »
(Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n° 2717) 135 Jean 20,29 136 Catéchisme de l’Eglise Catholique, article n° 2719
73
Conclusion
« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant… » 137
« Je suis venu apporter un feu sur la terre… »138
Comment vivre avec un cœur non seulement paisible mais aussi brûlant ?
Une vie spirituelle est complète si elle est joyeuse, combative et disciplinée. On peut –
et il faut- commencer par le résultat, la joie. Cependant, si on veut qu’elle soit encore plus
belle, et même seulement si on veut qu’elle continue à être belle, on se rend compte que notre
plante, notre fleur, notre âme, a besoin d’entretien. Elle a besoin de lutter et d’être irriguée
constamment par la prière et la présence du Seigneur. Notre âme a aussi besoin de relations
avec les autres et avec la terre : elle a besoin d’amis et nous entraîne vers tous ; elle a besoin
d’activité harmonieuse de tout notre être, de travail manuel, de bien-être physique. Notre âme
n’est pas indépendante de notre corps, de notre entourage, de la terre. Notre âme se nourrit de
Ciel et de Terre. L’attention à notre âme ressemble à l’attention que doivent avoir des parents
pour leur enfant, ou à l’attention que doit avoir un jardinier pour ses plantes.
Le résultat, ce n’est pas une paix ennuyeuse, c’est une Paix d’Amour, une paix qui
vient de Lui : « C’est ma paix que je vous donne ».
« La paix de ton cœur rend la vie belle à ceux qui t’entourent. »139
Prier ensemble
Prier ensemble deux fois par jour serait le remède à tellement de déficiences et la
source de tellement de bonheur pour les chrétiens de chaque paroisse.
Le matin et le soir (et dans journée un chapelet, éventuellement ensemble), quand
sonne l’angélus140
, ou bien au moment des laudes et des vêpres (ou des complies)141
.
Chaque jour deux fois une demie heure avec, par exemple, le déroulement suivant :
- En introduction : une dizaine de chapelet pour entrer dans le calme ;
- puis : un petit moment de prière spontanée : louange ;
- puis : une lecture : soit la Parole du jour, soit un passage choisi dans la Bible ;
Pour un temps ensemble plus long, on peut échanger (discuter) sur le passage.
- au milieu : un moment de silence, d’adoration ;
- puis : un deuxième moment de prière spontanée
- le matin : demandes
- le soir : merci et pardon, pour nous-même ou pour le mal que nous voyons dans le
monde ;
- Pour conclure :
- lecture ou chant d’un psaume,
137 Luc 24,32 138 Luc 12,49 139 Frère Roger de Taizé, Amour de tout amour. 140 En général à 8 heure, à midi et à 18h. 141 Matines, Laudes, Nones, Sexte, Vêpres, Complies, Vigiles sont les sept prières quotidiennes des
communautés monastiques.
74
- ou, comme au début, une partie du chapelet avec un « Je vous salue Marie » récité
par chacun
- ou prière récitée ou chantée (de préférence calme, mélodie simple et répétitive)
§§§
Quand je ne sens plus ta présence,
quand je perds confiance,
il me reste le désir de Toi.
Ce désir est la présence de ton Amour en moi,
ta prière en moi.
1/ Soif
C’est le point de départ de la prière : « Donne-moi à boire. » (Jean 4,7).
Si mon cœur désire cela signifie que mon cœur connaît en secret ce qu’il désire. On ne
peut pas désirer ce qui n’existe pas. Le nouveau-né désire le lait de sa mère sans avoir jamais
connu ce goût, et pourtant il crie, il demande à boire et à manger. Je crie, je demande à mon
Père invisible à boire et à manger pour mon âme. Si j’ai soif, c’est qu’il y a de l’eau quelque
part. Sinon je n’aurais pas soif.
2/ Confiance
J’ai confiance. Je désire Te voir et je me souviens de Toi. Tu me laisses seul mais je ne
m’inquiète pas. J’ai confiance en Toi. Ma confiance est plus forte que tout, plus forte que
toute explication, plus forte que l’absence. Ma confiance n’est pas une vague croyance. J’ai
confiance avec mon cœur, pas avec mon raisonnement. J’ai confiance, non pas en un Dieu
vague et lointain mais en Dieu vivant, Amour présent.
3/ Présence
Un jour je bois. Je ne peux pas expliquer ce que mon âme a bu, c’est indicible. Ce que
je sais c’est que c’était bon parce qu’elle a encore plus soif. Il lui a donné à boire, Il l’a
nourrie. Notre Créateur m’aime et je le sens. Mon cœur Le sent. Mon âme L’aime. C’est
inexplicable. Je L’ai rencontré au désert, dans le silence de mon cœur. Comment ça s’est
passé ? J’ai prié. J’ai essayé de prier. Je n’ai pas compris tout de suite. J’ai compris après. Et
maintenant je ne comprends plus vraiment. J’ai prié longtemps, plusieurs fois, chaque jour, et
je sais, je sens, je crois qu’il y a Quelqu’un qui nous écoute : mon Père, notre Père.
4/ Confiance
Je suis seul, comme au moment de ma naissance, comme au moment de ma mort sans
doute. Je suis dans le désert. Il est parti, Il s’absente. Il n’est pas là mais Il est là, présent dans
ma confiance.
5/ Soif
Je perds confiance. Il ne vient pas. Je ne sais plus si j’ai rêvé, si j’ai cru, si j’ai vu ou
cru voir. Je ne sais pas. Ce que je sais c’est qu’il me manque Quelqu’un. Il me manque. Mon
désir est plus fort que son absence, plus fort que mon désespoir. Le désir d’Amour est Amour.
L’Amour est plus fort que le désert, que le vide et la mort. L’Amour est aussi fort que la Vie.
75
« Je suis comme l’eau qui se répand »
(Psaume 22,15)
« Le dernier jour, le grand jour de la fête (de Soukot142
), Iéshoua, debout, se mit à
proclamer :
« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive.
Celui qui croit en moi, comme dit l’Ecriture,
« de son sein ruisselleront des fleuves d’eau vive » ». »
(Jean 7,37)
« Tu seras comme un jardin saturé,
comme une source dont les eaux ne tarissent pas. »
(Esaïe 58,11)
§ § §
142 Soukot (ou Sukkot) est avec Pesah (Pâque) et Shavouot (Pentecôte) l’une des trois grandes fêtes juives
annuelles. Ce sont les trois fêtes de pèlerinage qui actualisent par leur célébration le plus grand événement
salvifique d’Israël : l’Exode (Pesah), l’Alliance (Shavouot) et l’entrée dans la terre promise (Sukkot).
(La prière d’Israël aux sources de la liturgie chrétienne. Carmine Di Sante, Desclée Bellarmin, chapitre : La
célébration des fêtes)
76
Annexes
Annexe 1:
Le peuple juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (24 mai 2001)
(Libreria Editrice Vaticana, Cité du Vatican 2001)
Extrait : C. Conclusion
64. Les lecteurs chrétiens sont convaincus que leur herméneutique de l'Ancien Testament, fort différente,
assurément, de celle du judaïsme, correspond cependant à une potentialité de sens effectivement présente dans
les textes. A la manière d'un « révélateur » au cours du développement d'une pellicule photographique, la
personne de Jésus et les événements qui la concernent ont fait apparaître dans les Écritures une plénitude de sens
qui, auparavant, ne pouvait pas être perçue. Cette plénitude de sens établit, entre le Nouveau Testament et
l'Ancien, un triple rapport: de continuité, de discontinuité et de progression.
1. Continuité
Outre qu'il reconnaît l'autorité des Écritures juives et cherche constamment à démontrer que les événements «
nouveaux » sont conformes à ce qui était annoncé (voir ch. I), le Nouveau Testament assume pleinement tous les
grands thèmes de la théologie d'Israël, dans leur triple référence au présent, au passé et au futur.
Apparaît d'abord une perspective universelle et toujours présente: Dieu est un; c'est lui qui, par sa parole et son
souffle, a créé et soutient tout l'univers, y compris l'être humain, grand, noble, en dépit de ses misères.
Les autres thèmes se sont développés au sein d'une histoire particulière: Dieu a parlé, il s'est choisi un peuple, l'a
maintes fois libéré et sauvé, s'est mis en relation d'alliance avec lui, en s'offrant lui-même (grâce) et en lui offrant
un chemin de fidélité (Loi). La personne et l'œuvre du Christ ainsi que l'existence de l'Église se situent dans le
prolongement de cette histoire.
Celle-ci ouvre au peuple élu des horizons d'avenir merveilleux: une postérité (promesse à Abraham), un habitat
(une terre), la pérennité par-delà les crises et les épreuves (grâce à la fidélité de Dieu), l'avènement d'un ordre
politique idéal (le Règne de Dieu, le messianisme). Dès le début, un rayonnement universel est prévu pour la
bénédiction d'Abraham. Le salut donné par Dieu doit atteindre les extrémités de la terre. Effectivement, le Christ
Jésus offre le salut au monde entier.
2. Discontinuité
On ne saurait nier, cependant, que le passage de l'un à l'autre Testament entraîne des ruptures. Celles-ci ne
suppriment pas la continuité. Elles la présupposent sur ce qui est essentiel. Elles atteignent cependant des pans
entiers de la Loi: des institutions, comme le sacerdoce lévitique et le Temple de Jérusalem; des formes du culte,
comme les immolations d'animaux; des pratiques religieuses et rituelles, comme la circoncision, les règles sur le
pur et l'impur, les prescriptions alimentaires; des lois imparfaites, comme celle sur le divorce; des interprétations
légales restrictives, concernant le sabbat, par exemple. Il est manifeste que, d'un certain point de vue — celui du
judaïsme — ce sont des éléments de grande importance qui s'en vont. Mais il est tout aussi évident que le
déplacement radical d'accents réalisé dans le Nouveau Testament était amorcé déjà dans l'Ancien Testament et
en constitue ainsi une lecture potentielle légitime.
3. Progression
65. La discontinuité sur quelques points n'est que la face négative d'une réalité dont la face positive s'appelle
progression. Le Nouveau Testament atteste que Jésus, bien loin de s'opposer aux Écritures israélites, de leur
mettre un terme et de les révoquer, les porte à leur achèvement, dans sa personne, dans sa mission, et tout
particulièrement dans son mystère pascal. A vrai dire, aucun des grands thèmes de la théologie de l'Ancien
Testament n'échappe au rayonnement nouveau de la lumière christologique.
a) Dieu. Le Nouveau Testament maintient fermement la foi monothéiste d'Israël: Dieu reste l'unique; 297
toutefois, le Fils participe de ce mystère, qu'on n'arrive plus désormais à exprimer que dans un symbolisme
ternaire, déjà préparé, mais de loin, dans l'Ancien Testament. 298 Dieu crée par sa parole, certes (Gn 1); mais
cette Parole préexiste « auprès de Dieu » et « est Dieu » (Jn 1,1-5); après s'être exprimée, au cours de l'histoire, à
travers toute la série des porte-parole authentiques (Moïse et les prophètes), elle finit par s'incarner en Jésus de
Nazareth. 299 Dieu crée en même temps « par le souffle de sa bouche » (Ps 33,6). Ce souffle est « l'Esprit Saint
», envoyé d'auprès du Père par Jésus ressuscité (Ac 2,33).
b) L'homme. L'être humain est créé grand, « à l'image de Dieu » (Gn 1,26). Mais la plus parfaite « icône du Dieu
invisible », c'est le Christ (Col 1,15). Et nous sommes appelés nous-mêmes à devenir images du Christ, 300 c'est-
à-dire « création nouvelle ». 301 De nos pauvretés et de nos misères, Dieu nous sauve et nous libère, oui, mais
par la médiation unique de Jésus Christ, mort pour nos péchés et ressuscité pour notre vie. 302
77
c) Le peuple. Le Nouveau Testament assume comme une réalité irrévocable l'élection d'Israël, peuple de
l'alliance: celui-ci conserve intactes ses prérogatives (Rm 9,4) et son statut prioritaire, dans l'histoire, par rapport
à l'offre du salut (Ac 13,23) et de la Parole de Dieu (13,46). Mais à Israël Dieu a offert une « alliance nouvelle »
(Jr 31,31); celle-ci a été fondée dans le sang de Jésus. 303 L'Église se compose des Israélites qui ont accepté
cette nouvelle alliance et d'autres croyants qui se sont joints à eux. Peuple de la nouvelle alliance, l'Église a
conscience de n'exister que grâce à son adhésion au Christ Jésus, messie d'Israël, et grâce à ses liens avec les
apôtres, tous Israélites. Loin donc de se substituer à Israël, 304 elle reste solidaire avec lui. Aux chrétiens venus
des nations, l'apôtre Paul déclare qu'ils ont été greffés sur le bon olivier qu'est Israël (Rm 11,16.17). Cela dit,
l'Église a conscience que le Christ lui donne une ouverture universelle, conformément à la vocation d'Abraham,
dont la descendance s'élargit désormais à la faveur d'une filiation fondée sur la foi au Christ (Rm 4,11-12). Le
Règne de Dieu n'est plus lié au seul Israël mais ouvert à tous, y compris les païens, avec une place spéciale pour
les pauvres et les proscrits. 305 L'espérance liée à la maison royale de David, pourtant déchue depuis six siècles,
redevient une clé de lecture essentielle de l'histoire: elle se concentre désormais en Jésus Christ, un descendant
humble et lointain. Enfin, pour ce qui a trait à la terre d'Israël (y compris son Temple et sa Ville sainte), le
Nouveau Testament pousse beaucoup plus loin un processus de symbolisation déjà amorcé dans l'Ancien
Testament et le judaïsme intertestamentaire.
Ainsi donc, pour les chrétiens, avec l'avènement du Christ et de l'Église, le Dieu de la révélation prononce son
dernier mot. « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les
prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils » (He 1,1-2).
Annexe 2 : Expliquez-moi la prière juive
www.modia.org
Celui qui connaît peu le Judaïsme citerait au moins le Chema Israël, dirait que le Juif prie trois fois par
jour et qu'il y a des synagogues comme lieux de prières où les Juifs se réunissent le shabat et à certaines fêtes. Et
les Juifs se tournent vers Jérusalem pour prier et ils demandent la reconstruction du Temple depuis sa
destruction, en particulier au "Mur," (le Kotel). C'est la base. Effectivement la prière juive est collective.
Nomination de la prière juive
La prière juive se nomme globalement téfila (Isaïe 1.15), qui veut dire s'évaluer, se juger. Cela nous
indique que la prière est autant pour l'homme que pour D.ieu.
Cinq psaumes sont nommés explicitement "prière", téfila (psaumes 17, 86, 90, 102, 142). Les autres
formes de nomination des psaumes (chant, poème…) est une question différente.
Ces mouvements intérieurs divers dans la prière nous indiquent que la prière est un art, dont on a à
apprendre les nuances. Comment ?
- par l'étude des textes qui en parlent (les psaumes), et par la connaissance de l'hébreu qui permet de saisir ces
nuances,
- par la pratique des trois prières quotidiennes où ces mots sont placés, et dont on pourra alors suivre les
mouvements intérieurs comme on lirait une partition de musique.
Nature de la prière juive
1. La prière est basée sur le fait :
qu'il y a une communication entre D. et nous (contrairement aux idoles diverses, Psaume 115, 3-7) car nous
sommes faits à l'image de D. et à sa ressemblance (Béréchite 1.26) ; (Béréchite = Livre de la Genèse)
qu'Il est la base de notre existence et de notre soutien dans la vie elle-même et Il répond à nos besoins, Il est
notre lumière, force, salut (voir les psaumes 27 et 62).
2. Salomon dit (I Rois 8.28) : Tu accueilleras la prière (téfila) et les supplications (té'hina)... tu écoutera
sa rina et sa téfila". Il y a donc deux composantes :
l'orientation vers D. que l'on nomme rina (adoration, crainte, révérence, amour, joie),
et la demande pour les besoins personnels (téfila).
3. D'une part, la prière est une présence continuelle à D. ; d'autre part il y a des moments forts de prière
chaque jour, à l'instar de Daniel (Daniel 6.11) : le matin à l'aube, l'après-midi, le soir.
4. La prière est un face à face réciproque comme il est dit
de la part de D. : (Isaïe 49.16) tes murailles, Jérusalem, sont constamment devant mes yeux),
de la part de l'homme : je me représente Ha chem constamment devant moi.
78
dans un mélange de ces deux aspirations :"en ton nom mon cœur dit : recherchez ma face" (Psaume 27, 8).
Pratique
Elle est considérée comme un "travail" (âvoda) laborieux et sérieux dont le lieu est le cœur (âvoda ché ba lév).
L'exemple donné est celui d'une femme, 'Hanna (I Samuel 1.13) : 'Hanna parlait en son cœur. Ce texte est lu en
préparation chaque matin par les séfarades.
Cette activité intérieure non statique mais mue volontairement, est la condition de la valeur de la prière et de son
écoute par D. (Psaume 10.17). La halakha, règles de conduite prescrites, appelle cela "intention" (cavana), et dit
que la cavana est obligatoire pour prier.
En priant, il faut veiller à :
• utiliser les prières rédigées qui sont sûres dans le respect, dans l'usage des noms de D., dans la hiérarchie des
besoins et demandes, car seul les Sages qui connaissent peuvent le faire sans se tromper (Bérakhote 33 b) ; il est
dit : "comment se fait-il qu'Israël prie et n'est pas exaucé, c'est parce qu'il ne sait pas comment demander".
• en conséquence, d'abord, apprendre la liste des bénédictions de remerciement pour l'usage de tout bien, car
celui qui jouit des biens de la création sans remercier préalablement est considéré comme un voleur ; et un voleur
n'a guère de chance d'être exaucé par celui à qui il a porté préjudice.
• avoir une confiance absolue (Bérakhote 10 a : même si l'épée est sur ta gorge pour te tuer, demande encore
avec confiance !).
• se souvenir que lorsque toutes les portes sont fermées, les larmes ouvrent et devancent toutes les autres prières
(I Zohar 132b et II 12b et II 165a-b).
• ne pas faire de demandes vaines (michna Bérakhote 9:3) ou déraisonnables (début du Traité Taânite).
• ne pas faire de demandes qui ne respectent pas la hiérarchie des valeurs (la prière est un jugement personnel, un
discernement), car il est des hommes qui aiment leur argent plus que leur vie, que leur corps et que leur âme
(Bérakhote 61 b).
• demander d'abord pour ses proches (Baba Qama 93 a), et pour la collectivité, ce dont on a besoin soi-même
(Bérakibboutzhote 29 b-30 a), condition pour que cela soit accordé.
• demander à D. directement et non à des intermédiaires (Bérakhote de Jérusalem 9, 1).
• demander pour ceux qui sont dans le besoin, car celui qui ne le fait pas alors qu'il connaît les besoins d'autrui
est un pécheur (Bérakhote 12 b).
• examiner ses fautes, les regretter, et être décidé à modifier le comportement, avant même de présenter sa
requête (…)
Le minyane
Ce mot, signifiant "nombre" ou "quorum", est une assemblée de dix Juifs qui sont « bar-mitsva », c’est-à-dire qui
ont dépassé l’âge de treize ans qui est l’âge à partir duquel on doit accomplir les mitsvotes prescrites dans la
Torah.
Ce nombre est cité dans la prière d'Avraham pour sauver Sodome
(Béréchite 18.32).
Il est préférable de faire la prière dans un minyane car la chékhina (présence divine) y réside davantage que dans
la prière individuelle ou dans la prière à deux ou à trois (voit Bérakhote 6a). De même lisez le psaume 82.1 :
Psaume d'Assaf. D. se tient dans l'assemblée divine, « au sein des juges Il juge ».
L'exemple du minyane vient du groupe des dix chefs de tribus qui furent envoyés par Moché (Moïse) pour aller
prendre connaissance de la terre et bien en témoigner (lire Bémidbar 14.27 (Bémidbar = Livre des Nombres) et
son commentaire dans Bérakhote 21b et dans Méguila 23b) ; ce groupe fut d'abord nommé édâ comme dans le
psaume ci-dessus.
On parle de minyane comme d'un quota de 10 quand il est atteint. Tout Juif a valeur pour rendre complet et plein
le minyane, quel que soit son degré de science ou de sainteté. Et 9 grands Sages, instruits, saints, considérés et
riches, etc. ne sont rien sans ce dixième, fut-il le plus simple. Cela doit nous inspirer un immense respect pour
tous et avec égalité.
S'il y a un minyane, ces prières peuvent se faire, quel que soit l'endroit ou le type de bâtiment, sans synagogue,
sur un lieu de travail, dans une maison familiale, en avion, etc.
L'importance du minyane et du 10e incitent les Juifs
- à sentir le devoir de se rendre à la synagogue pour aider la communauté à pouvoir prier.
- à s'y rendre dès le début de la prière.
79
- à habiter près d'une synagogue, lieu d'étude et de prière, pour qu'il soit possible de s'y rendre avec facilité.
Il va de soi qu'il ne s'agit pas seulement d'une présence physique et, donc, tout membre d'un minyane doit veiller
à ne pas perturber la prière des autres par la parole sur des sujets divers.
Le traité Bérakhote 26 b dit que les prières se réfèrent à deux sens principaux qui se conjuguent :
- la prière des patriarches,
- les sacrifices qui se déroulaient au Temple.
De ce lien aux patriarches qui sont typés, vient également la règle de conduite qui consiste à prier toujours au
même endroit, non seulement parce que cela facilite la concentration, mais aussi parce que nous voyons dans la
vie des patriarches que le lieu et le temps ont une sanctification spéciale (étudier ici Bérakhote 6 b). Il va de soi
que si quelqu'un d'autre se met à notre place, c'est une incohérence que de ne pas être serviable et de se mettre en
colère !
(Commentaires et traductions par Yehoshua Ra'hamim Dufour basés sur les livres de nos Sages)
Annexe 3 : Neve Shalom/Wahat as-Salam
http://www.nswas.com/francais
« Neve Shalom/Wahat as-Salam est un village coopératif de Juifs et d’Arabes palestiniens (musulmans et
chrétiens), tous citoyens d’Israël. Son nom vient du livre d’Isaïe (32, 18): “mon peuple habitera une Oasis de
Paix” (Nevé Shalom en hébreu, Wahat as Salam en arabe). Il a été “rêvé” puis fondé par le frère dominicain
Bruno Hussar, juif d’origine, citoyen d’Israël en 1966.
Un rôle essentiel dans le travail éducatif de NSH/WAS appartient à l’École pour la Paix. Celle-ci organise des
programmes variés de rencontres entre Juifs et Palestiniens visant à promouvoir la connaissance, la
compréhension et le dialogue entre les deux peuples.
Depuis ses débuts en 1979, plus de 25 000 jeunes ont pris part à ses rencontres, ainsi que plus de 3 000 adultes
dont un bon nombre engagés depuis lors dans d’autres organisations oeuvrant pour la paix.
L’équipe de direction comprend un nombre égal de “modérateurs” permanents Juifs et Palestiniens et fait appel à
de nombreux intervenants indépendants. Tous ont une formation universitaire en sciences sociales et humaines et
une formation spéciale dans la conduite des groupes en conflit; la plupart des permanents sont membres de
NSH/WAS et s’appuient sur cette expérience dans leur travail. Toute rencontre est menée par deux modérateurs,
l’un Juif, l’autre Palestinien.
Au long des années, d’activité et, simultanément, de recherche intensive, l’École pour la Paix a mis au point ses
méthodes propres, qui mettent l’accent sur la complexité des racines du conflit et apprennent à chacun à
discerner son rôle dans celui-ci (relations de pouvoir, stéréotypes, malentendus). Elle est notoirement reconnue
maintenant, en Israël et au-delà, pour son sérieux et sa qualification, et souvent sollicitée par des organismes
concernés par le problème des relations entre Juifs et Palestiniens.
Ses programmes de base sont les suivants:
Rencontres et ateliers pour jeunes Juifs et Palestiniens en Israël;
Groupes de rencontres, formations continues et séminaires pour groupes d'adultes comprenant des enseignants,
journalistes, juristes, travailleurs sociaux et étudiants en université;
Groupes de rencontres entre citoyens d'Israël et de Palestine ensemble avec des ONG Palestiniennes.
Cours de formation de modérateurs;
Cours annuel dans quatre universités (section Psychologie et Sciences Sociales) sur les groupes en conflit.
Cours d'assertion pour femmes arabes et juives.
Séminaires (concernant ses méthodes de travail) pour personnes venant de l'étranger.
Rencontres pour faire prendre conscience des conflits intergroupes dans la société arabe et juive.
Doumia/Sakina
Dans un endroit très beau et calme de la colline, existe une Maison du Silence où ceux qui le désirent peuvent
s’arrêter dans la réflexion, la méditation ou la prière. “Pour Toi, le Silence (Doumia) et louange…” (Psaume
65,2) – silence qui unit au-delà des séparations idéologiques ou religieuses.
Dans l’esprit de Doumia sont organisées depuis huit ans des rencontres de réflexion et de recherche sur le rôle
des valeurs spirituelles et éthiques dans l’éducation et l’avancement de la paix; avec, le plus souvent, une
référence aux Écritures des trois religions monothéistes.
Au sein de NSH/WAS, une équipe s’est formée dans le but de promouvoir un “Centre Spirituel Pluraliste” dédié
à la mémoire de Bruno Hussar, qui poursuive et approfondisse cette recherche en l’ouvrant à toute expression
spirituelle, qu’elle soit philosophique, religieuse ou artistique.
Un bâtiment sera construit pour lui offrir un cadre, avec salles de travail ou de célébration d’un culte,
bibliothèque pour adultes et pour enfants. »