Repenser la viabilité de la dette à la lumière des droits
Amélie CANONNE AITEC / Plate-Forme Dette et dévéloppementBordeaux, 24 novembre 2006
Le constat
Depuis 10 ans, la question de la dette s’est imposée au sommet des agendas internationaux
Deux initiatives d’allègements de dette : PPTE (depuis 1996) puis MDRI (G8 de 2005) qui prétendaient rompre avec le cycle de l’endettement
A ce titre, la solvabilité est aujourd’hui considérée comme une condition déterminante des formes d’aide internationale perçue.
L’approche de la PF Dette et Développement Regroupement d’associations de solidarité
internationale et de syndicats engagés pour le règlement du problème international de la dette des pays du Sud
Analyses des processus économiques du point de vue des questions politiques qu’ils posent
Double travail : lobby auprès des décideurs politiques français / partenariats avec nos homologues du Sud
Notre problématique Un endettement jugé « soutenable » d’un point de
vue financier peut être insupportable pour les populations
La soutenabilité doit être évaluée sur la base de la garantie des droits fondamentaux
Or les méthodologies développées par les IFI priorisent : Les seuls critères financiers Le rôle des apports externes pour assurer le
financement du développement
Trois axes de réflexion Analyse des paradigmes des bailleurs de fonds en
matière de soutenabilité
Propositions de principes alternatifs revalorisant la supériorité des droits fondamentaux des populations
Perspectives de réflexion sur les conditions du financement du développement
1. La soutenabilité de la dette du point de vue des bailleurs de fonds
A. L’initiative PPTE 1. les principes
Etre un pays très pauvre : être éligible aux opérations de l’AID et aux PRGF du FMI Indicateur = revenu par habitant
Présenter un niveau d’endettement «insoutenable» Evaluation par deux ratio quantitatifs :
Dette extérieure / Exportations Dette extérieure / Recettes publiques
A. L’initiative PPTE2. Les impasses (1)
Initiative basée sur l’expérience latino-américaine : pas de prise en compte de la spécificité de l’endettement africain (créanciers publics très majoritaires)
Hypothèses de croissance fantaisistes (+ 8.9% des recettes d’exportation entre 2000 et 2010 !)
Pas de mécanismes prévus face à la vulnérabilité des économies africaines vis-à-vis des chocs externes (notamment chutes des cours de produits primaires)
Non prise en compte de la dette interne (Kenya, Nicaragua)
Conséquences : Eviction de pays très endettés mais pas assez
pauvres selon indicateurs : Nigeria ou Indonésie Eviction de pays très pauvres mais pas assez
endettés : Haïti au départ (finalement intégré en 2006)
A. L’initiative PPTE2. Les impasses (2)
B. Après PPTE1. Le nouveau cadre d’analyse (1)
2005 : PPTE n’a pas restauré solvabilité des pays éligibles à l’initiative.
Repositionnement de l’analyse prévoit la prise en compte :
Des besoins d’allègements De la vulnérabilité aux chocs externes De la performance : capacités politiques et
institutionnelles, bonne gestion
B. Après PPTE1. Le nouveau cadre d’analyse (2)
Il ne sert pas évaluer les besoins d’allègements, qui sont évalués via le CPIA
Il est utilisé pour déterminer la nature des instruments financiers adaptés dans le cadre de l’aide internationale
Uniquement PFR n’ayant jamais bénéficié de PPTE ou présentant toujours une dette insoutenable au terme de l’initiative
B. Après PPTE2. Le CPIA
CPIA (Country Policy and Institutional Assessment) = indicateur composite sur lequel se fondent les choix des IFI. 16 critères, 4 grands pôles
- Donne une image de la qualité des politiques mises en œuvre par un pays.
- Indicateur principal dans le modèle de définition des niveaux d’allègement de dette requis
- Privilégie les pays « market-friendly » et les bons élèves
B. Après PPTE2. Les impasses
- CPIA = formule unique pour plus de 100 pays- Ecarte les pays à revenus intermédiaires au motif qu’ils ont
accès aux marchés financiers / PFR n’y auraient pas accès. - Dette intérieure n’est tjrs pas prise en compte
Modèle reste inspiré des mêmes principes économicistes, enrichis des approches « bonne gouvernance » (principes
de bonne gestion).
Pourtant LA DETTE est UNE QUESTION POLITIQUE
2. Développer une approche selon les Droits
a. Fondements d’une approche de la soutenabilité par les Droits
Adhésion internationale aux OMD Reconnaissance de l’accès aux services de
base comme un droit humain fondamental (art. 25 & 26 de la DUDH, art. 11&12 du PIDESC)
Subordination juridique des IFI à l’égard du système des Nations Unies qui reconnaît ces droits
b. Proposition de principes alternatifs Logiques bancaires ne peuvent présider à la
détermination des annulations de dette Clé d’évaluation = niveau de dépenses
nécessaires au financement des services sociaux de base
SERVICE de la dette et non STOCK Externaliser l’analyse vers une structure
indépendante et paritaire (experts/société civile)
c. Proposition d’application indicative
DEBATS et ARBITRAGES BUDGETAIRES
(A) Estimation des ressources budgétaires globales
Recettes fiscales + aide budgétaire affectée aux dépenses sociales
(B) Estimation des dépenses liées aux droits sociaux
Coût des services de santé et d’éduction + part des dépenses régaliennes liées aux droits sociaux
Δ = Revenu net disponible pour dépenses d’organisation (O) + Investissements (I) + Service de la dette (interne+externe) = (A) – (B)
Service maximum de la dette = Δ – (O + I)
Déduction de l’annulation supplémentaire requise par comparaison avec le service
actuel
d. Conséquences en terme d’annulations de dette
Service de la dette = 20 % du revenu net disponible
Service de la dette = 40 % du revenu net disponible
Afrique sub-saharienne
99 % des créances restantes devraient être annulées
98 % des créances restantes devraient être annulées
Asie du Sud-Est
94 % des créances restantes devraient être annulées
93 % des créances restantes devraient être annulées
Source : S. MANDEL, A human rights Approach to debt cancellation, New Economic Foundation, 2006
(Base = ligne de pauvreté à 3$/jour et service de la dette entre 20 et 40 % du revenu net disponible)
Entre 400 et 600 milliards d’annulations supplémentaires pour
revenir à un niveau d’endettement
soutenable du point de vue des droits humains
Haïti, Bolivie, Yémen, Syrie, Cambodge, Laos, Mongolie, Birmanie, Vietnam : 100 % d’annulations
requises
Questions
- Quels sont les services de base à inclure dans le raisonnement ?
-Comment calculer les ressources nécessaires pour en assurer la satisfaction ?
- Fongibilité du budget empêche a priori sanctuarisation des dépenses sociales
3. Eléments de mise en perspective
a. Financement externe / Financement interne 2003 : part du PNB imputable à l’aide
extérieure dans les pays à faible développement humain = 17 %
Seulement 12 pays parmi les 50 derniers au classement IDH où part de l’aide extérieure dans PNB > 20 %
Ressources internes sont fondamentales : quelle réflexion sur leur mobilisation ?
b. Sur les conditions du financement du développement Refuser les approches normatives et conçues à
l’extérieur Définir des règlements internationaux
contraignants : activités des multinationales, évasion fiscale, droit à la protection…
Mobiliser les organisations citoyennes dans la revendication d’un débat budgétaire national
Construire la capacité politique de négociation et de débat des acteurs sociaux et citoyens
Décliner les arbitrages politiques à différentes échelles de territoire
c. Conditions / conditionnalités Grande tendance = sélectivité de l’aide
internationale s’appuie sur le CPIA Conditionnalités d’ajustement structurel
conditionnalités ex post liées à la performance.
Notre réflexion : 1ère première condition au FdD = totale maîtrise d’ouvrage des bénéficiaires quant aux logiques de collecte et d’utilisation des ressources.
d. Sur le débat Prêts/Dons (1) CPIA et logique de sélectivité
détermination des instruments financiers adaptés aux performances des gouvernements
Débat Prêts / Dons : dons pour rompre le cycle du surendettement / prêts font levier financier, concernent des montants plus importants et crédibilisent sur les marchés financiers
d. Sur le débat Prêts / Dons (2) D’une logique assistantialiste à la
redistribution : la satisfaction des droits relève de la redistribution internationale des richesses (fiscalité mondiale)
Arbitrage revient avant tout aux bénéficiaires munis d’une information suffisante
Elaboration d’un droit international de la dette
CONCLUSIONS- Influencer le débat sur la soutenabilité- Construire le débat politique international
sur la légitimité de la dette : coresponsabilité créanciers / débiteurs
- Rouvrir le débat sur le développement : la critique des politiques des bailleurs s’opère dans les mêmes référentiels théoriques (finance, technique…)
CONCLUSION (2) L’ensemble de ces questions relève bien davantage
du champ politique qu’économique: Identification collective des besoins sociaux Définition des mécanismes légitimes de la redistribution
(fiscalité en particulier) Construction des espaces et des mécanismes de
négociation entre les acteurs Extraction des choix de politiques économiques nationaux
HORS des cadres de négociation des modalités et des montants du financement externe