Campus adventiste du Salve Facult adventiste de thologie
Rle et impact de lintercession dans la gurison spirituelle et physique de
lintercd Rflexions partir de ltude narrative du rcit de la gurison de
lhomme atteint dune paralysie en Lc 5.17-26
Mmoire
prsent en vue de lobtention du Master en thologie adventiste
par Mlanie BARRETO-COGNE
Directeur de recherche : Luca MARULLI
Assesseur : Rivan DOS SANTOS
Collonges-sous-Salve Avril 2015
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Remerciements
Je tiens remercier Dieu, qui ma accompagn tout le long de ce travail et qui ma
permis de le terminer et de vivre concrtement le sujet dtude de ce mmoire.
Je remercie mon formidable poux pour son encouragement permanent et son
intercession mon gard. Il a su me soutenir dans les moments les plus difficiles.
Je tiens dire merci dune manire spciale mon directeur, Luca Marulli, pour sa
disponibilit et ses prcieux conseils qui mont permis de mieux comprendre mon
sujet dtude.
Je remercie Rivan Dos Santos pour son soutien spirituel durant mes tudes ainsi que
davoir accept de critiquer ce travail et de partager ses connaissances.
Je suis galement reconnaissante Yvan Bourquin pour le cours danalyse narrative
quil a dispens la FAT lors de ma seconde anne de master ainsi que pour la
relecture de la partie exgtique de mon travail.
Je souhaite remercier tous les professeurs de la Facult pour leur enseignement et
leur soutient quils mont apports durant ma formation et notamment les
discussions changes concernant mon tude.
Jadresse aussi mes remerciements aux administrateurs du Campus, lglise du
Genevois et celle du Salve, ma famille et mes amis qui nont pas cess de
mencourager et de me soutenir durant tout mon parcours.
Je remercie Renaud Bruel pour le temps quil a accord la relecture pointilleuse de
ce travail.
Enfin, jaimerai dire merci toutes les personnes qui mont gard Mlissa savoir
la famille Laviolette, mes voisins du Parc, Christelle Hoareau, Amel Bettache et
dautres encore car elles mont permis de travailler sur mon mmoire.
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Introduction
Une simple lecture de lvangile de Luc nous permet de comprendre lintrt que
Jsus portait aux malades en les gurissant. Il y a la gurison de la belle mre de
Simon (Lc1 4.38-39), de lhomme la main paralyse (Lc 6.6-11), de la rsurrection
de la petite fille du chef de la synagogue (Lc 8.40-47, 49-56), la gurison de la
femme hmorragique (Lc 8.43-48), le recouvrement de la vue de laveugle (Lc
18.35-43), la gurison du serviteur du Grand Prtre venu larrter, celui qui avait t
frapp par lpe par un des disciples de Jsus (Lc 22.50-51) et encore beaucoup
dautres (Lc 5.15, 6.17-18, 9.11 etc.). Seulement aucune des gurisons miraculeuses
nest associe explicitement au pardon des pchs mise part la gurison de
lhomme atteint dune paralysie en Lc 5.17-26.
Explicitement, car lhistoire de la purification du lpreux prcdant notre rcit
suggre que cet homme a t pardonn. Le mot utilis dans ce rcit miraculeux de
Lc 5.12-14 nest pas gurir mais purifier. Gurir par contre se retrouve dans
lhistoire de la gurison de la femme hmorragique en Lc 8.43-48. Le lpreux,
comme la femme aux pertes de sang taient considrs comme des personnes
impures (Lv 13.8, 15.25), mais la diffrence de la femme aux pertes de sang,
limpuret du lpreux, comme le flux de sang chez lhomme, taient associs une
condition de pch moral, de jugement et de punition de Dieu (Lv 14.34, Nb 12.10,
2 Ro 5.27, 2 Sam 3.29 etc.). A Qumran aussi lcoulement chez lhomme et la lpre
taient considrs comme des conditions qui demandaient la repentance. Dans le
fragment qumrniens du Document de Damas 4Q270 ii, on trouve une liste de
pcheurs, et parmi eux on trouve seulement deux cas dimpuret : le lpreux et le
zab (homme qui a un coulement)2.
1 Nous suivrons, tout le long de ce travail, le standard dabrviation des livres bibliques de la NSB, 2 Hannah K. HARRINGTON, The Nature of Impurity at Qumran, in Lawrence W. SCHIFFMAN, Emanuel TOV, James C. VANDERKAM (d.), The Dead Sea Scrolls Fifty Years After Their Discovery. Proceedings Of The Jerusalem Congress. July 20-25. 1997, Jerusalem, Israel Exploration Society / The Shrine Book /Israel Museum, 2000, p. 610-616.
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Cela laisse entendre un lecteur juif de lpoque que la gurison du lpreux de Lc
5.12-14 tait associe son pch, donc en le gurissant, son pch tait pardonn.
Dailleurs, aprs lavoir purifi, Jsus lenvoie au Temple pour offrir le sacrifice
dexpiation. Il montre ainsi quil est daccord avec la fonction du Temple.
Cependant, Jsus pardonne directement les pchs de lhomme atteint dune
paralysie de Lc 5.17-26 sans passer par le Temple. Cela montre la fois quil est
conscient et daccord sur le fond de la fonction du Temple o sy pratiquaient les
sacrifices pour lexpiation des pchs du peuple, mais aussi, quil est venu le
remplacer. Nous voyons alors, entre les deux histoires du lpreux et de lhomme
atteint dune paralysie, une volution de Jsus : il passe dun Jsus simplement
gurisseur, un Jsus qui se charge aussi du pardon des pchs.
De plus, ce rcit est polmique car Jsus pardonne les pchs de lhomme
handicap et le gurit en voyant la foi de ses porteurs. Lhomme infirme ne fait
aucune confession alors que Jsus suggrait que pour tre pardonn il fallait le
demander Dieu (Lc 11.4). Cela nous interroge donc sur la fonction des porteurs
vis--vis de lhomme atteint dune paralysie et plus gnralement sur la fonction de
lintercesseur vis--vis de lintercd.
Cet acte dintercession a permis aux pchs de cet homme dtre pardonns, mais
aussi lhomme dtre guris. Luc laisse clairement apparaitre dans ce texte le lien
entre le pardon des pchs et la gurison physique3 notamment par la question de
Jsus pose aux matres de la loi Quest ce qui est plus facile, dire : tes pchs
tont t pardonns, ou bien dire : lve-toi et marche ? .
Nous nous demandons alors, la lumire de ce texte, quel est aujourdhui le rle et
limpact de lintercession dans le pardon des pchs et la gurison physique dune
personne.
Pour apporter des rponses cette problmatique, nous diviserons notre travail en
cinq chapitres. Premirement nous comprendrons qui tait lauteur de lvangile de
Luc, ainsi que le message quil a voulu transmettre son lectorat par son uvre.
3 Franois VOUGA, Evangile et vie quotidienne, Genve, Labor et fides, 2006, p. 176.
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Cela nous aidera saisir le contexte dans lequel le rcit de la gurison de lhomme
atteint dune paralysie t rapport.
Ayant compris la vision gnrale de luvre lucanienne ainsi que le contexte de
notre texte dtude, nous pourrons alors ltudier en second temps grce au moyen
que propose lanalyse narrative. Nous verrons comment le narrateur a su mettre en
avant la rvlation de lautorit de Jsus par ses diffrents commentaires et les
deux intrigues du texte. Nous y dcouvrirons la fonction des personnages ainsi que
le rle primaire qua jou la foi dans le miracle.
Avant dinterprter ces nouvelles dcouvertes et comprendre le rle et limpact de
lintercession dans la gurison spirituelle et physique de lintercd, nous verrons,
dans notre troisime chapitre, comment lacte de mdiation tait compris
lpoque du rcit. Nous saisirons alors la porte et le rle du ministre de gurison
de Jsus sur terre.
Nous comprendrons dans un quatrime temps, en quoi les porteurs de notre rcit
ont t des intercesseurs. Nous y dcouvrirons les impacts qua eus leur acte
damiti, notamment en ce qui concerne la rvlation du ministre de Jsus.
Enfin, en cinquime et dernire chapitre, nous tablirons un bilan de notre tude en
tirant les applications de lacte dintercession des porteurs et en saisissant
limportance de devenir aujourdhui des mdiateurs du salut divin.
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Chapitre 1 : introduction gnrale et
tablissement du texte
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Lintercession dans la gurison spirituelle et physique de lintercd fait cho
lhistoire de la gurison de lhomme atteint dune paralysie, rapporte dans les trois
vangiles synoptiques dont celui de Luc en Lc 5.17-26. En effet ce texte parle du
pardon des pchs de lhomme handicap port par ses amis et de sa gurison
physique. Avant de comprendre ce processus dintercession, il nous parat
important de comprendre le contexte dans lequel le rcit a t crit. Cest la raison
pour laquelle, nous allons, premirement, le replacer dans son contexte puis nous
en ferons la traduction qui servira de base notre tude.
1. Lvangile selon Luc
1.1. Lauteur
Lauteur de lvangile selon Luc ne nous livre pas beaucoup dinformations sur son
identit. La tradition le considre comme lauteur de lvangile de Luc et celui des
Actes des Aptres cause des nombreuses ressemblances stylistiques, de
vocabulaire, et de langue4.
Le prologue nous renseigne sur le fait quil nest pas un tmoin directe de ce quil
relate car il appartient aux chrtiens de la seconde ou de la troisime gnration5. Il
se peut que lauteur ait t un Grec qui stait rapproch dabord de la religion juive
avant de se convertir au christianisme6. Le rcit de lenfance (Lc 1 et 2) par exemple,
est crit dans un style biblique7 et montre ainsi lattachement de lauteur aux
Ecritures mme si sa connaissance en reste partielle. Effectivement, il connaissait
mal les vieux rituels juifs8 comme la purification de laccouche qui ne ncessitait
pas la prsence du nouveau n (Lv 12)9.
4 Pour plus de dtails, voir Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , in Daniel MARGUERAT (d.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire. Son criture. Sa thologie, Genve, Labor et fides, 2004, p. 84, 97. 5 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, Genve, Labor et fides, 1991, p. 27. 6 Ibid. 7 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96. Luc fait rfrence plusieurs textes de lAncien Testament, comme la promesse de So 3.14-17 concernant la conception virginale de Marie (Lc 1.26-33), ou bien la rfrence la ligne de David de 2 Sa 7.12-16 Jsus (Lc 1.32-33). Franois BOVON, Luc le thologien, Genve, Labor et fides, 2006, p. 172. 8 Charles AUGRAIN, LEvangile selon saint Luc, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 7. 9 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96.
8
En revanche, sa matrise du grec et ses connaissances de la rhtorique nous font
deviner quil tait un crivain de bonne ducation dot dune formation scolaire
suprieure10 . Dailleurs, cest un des arguments utiliss pour montrer que lauteur
de lEvangile de Luc tait un mdecin. En effet, la position traditionnelle de lEglise
lidentifie comme le mdecin et disciple de Paul salu en Col 4.14 originaire
dAntioche. Selon elle, lauteur de lvangile fait preuve dune bonne connaissance
mdicale en dcrivant la maladie (Lc 4.38, 13.11) ou les remdes mdicaux (Lc
10.34) avec prcision. De plus lauteur omet la critique des mdecins de Mc 5.26 (Lc
8.43)11. Cette argumentation reste limite car la description mdicale nest pas
aussi prcise que cela.
1.2. Date et lieu de rdaction
Lvangile de Luc et les Actes des Aptres nont pas t rdigs la mme date. Le
livre des Actes des Aptres est postrieur lvangile12. Il semble rapporter des
vnements contemporains aux annes 80 9513. En ce qui concerne la rdaction
de lvangile, plusieurs commentateurs pensent quil a t crit aprs la destruction
de temple de Jrusalem, soit aprs les annes 70. Ils sappuient sur lallusion de la
prise de Jrusalem par les armes en Lc 21.20. Selon eux, Luc aurait vcu cet
vnement et la rdaction de son vangile prendrait en compte les consquences
que la prise de Jrusalem a eues sur la communaut. Ils datent alors lvangile de
Luc autour des annes 8014.
Il nest pas facile de dterminer le lieu de rdaction des deux uvres de Luc. Des
indices penseraient dire quil laurait crit Rome, dautres font penser plutt
Ephse, Antioche, la Macdoine, lAchae15.
10 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 95. 11 Ibid., p. 97 12Ibid. 13 Donald JUEL, Luc-Actes. La promesse de lhistoire, Paris, Cerf, 1987, p. 17. 14 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96 ; Donald JUEL, Luc-Actes, p. 17 ; Hans CONZELMANN, Andreas LINDEMANN, Guide pour ltude du Nouveau Testament, Genve, Labor et fides, 1999, p. 369 ; Roselyne DUPONT-ROC, Saint Luc, Paris, Editions de latelier, 2003, p. 17-18. 15 On pense Rome parce que les Actes des aptres sy terminent, Antioche ou Ephse cause dune mention des Reconnaissances pseudo clmentines 10.71, lAchae pour des prologues antimarcionites et la Macdoine car la premire section en nous dans les Actes des aptres sy droule. Pour plus dinformations, voir Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 97.
9
1.3. Destinataires de lvangile
Luc ddie son ouvrage au trs excellent Thophile . Certains commentateurs
pensent que ce dernier tait un haut fonctionnaire cause de ladjectif
excellent , kra,tistoj quutilise Luc pour le qualifier. Luc emploie effectivement ce
terme pour parler de personnages officiels (Ac 23.26, 24.3, 26.23)16. Franois Bovon
met tout de mme une objection en rappelant que cet adjectif ntait pas utilis
seulement pour dsigner dminents personnages, mais quil tait souvent employ
dans des ddicaces duvres littraires dont les ddicataires ntaient pas
forcment des personnalits officielles17. Que Thophile soit un haut fonctionnaire
ou non, la tradition antique voulait que ce soit le ddicataire qui soccupe de la
premire diffusion de luvre en la faisant recopier par des esclave-scribes pour les
premiers lecteurs, lesquels en faisaient de mme pour leurs amis18.
Luvre de Luc visait la fois Thophile, mais aussi des chrtiens convertis comme
des personnes intresss par le christianisme ou voulant en tre plus informes. Ce
qui est sr, cest que tous taient de culture grecque19. En effet, plusieurs indices
dans lvangile de Luc nous indiquent quil sadresse un public de cette culture. En
le comparant avec lvangile de Marc, qui est un judo-chrtien20, nous nous
rendons compte quil efface plusieurs particularits typiquement palestiniennes
comme le fait de considrer les maisons de Galile avec un toit de tuile (style
architectural grec) au lieu dune terrasse (style architectural palestinien)21 (Mc 2.4
et Lc 5.19) ; il remplace des tournures palestiniennes par des tournures grecques
comme rabbouni, par ku,rie (Mc 9.5 et Lc 9.33)22, donne plusieurs indications
gographiques comme dexpliquer que Nazareth est en Galile (Lc 1.26)23.
16 George B. CAIRD, Saint Luke, Philadelphia, The Westminster Press, 1963, p. 44 ; Alfred KUEN, Soixante-six en un Introduction aux livres de la Bible, Saint-Lgier-sur-Vevey, Emmas, 1998, p. 173 ; Donald JUEL, Luc-Actes, p. 23. 17 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 41. 18 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 172. 19 Franois BASSIN, Frank HORTON, Alfred KUEN, Evangiles et Actes, Saint-Lgier-sur-Vevey, Emmas, 1990, p. 259. 20 Corina COMBERT-GALLAND, Lvangile selon Marc , in Daniel MARGUERAT (d.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire. Son criture. Sa thologie, Genve, Labor et fides, 2004, p. 48. 21 Voir infra p. 25. 22 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 98. 23 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 173.
10
1.4. Une thologie de la compassion
Luc, appel lvangliste de la compassion24 , ce qui en dit long sur lorientation
de son vangile. Le thme de la libration et de la misricorde sont centraux dans
son vangile25. Lauteur fait preuve dun profond intrt pour les malheureux, les
pauvres, les affligs, les samaritains, les femmes, et souhaite transmettre le
message que le Royaume de Dieu est aussi pour eux26. Dailleurs, Luc confre la
pricope de la prdication de Jsus Nazareth (4.16-30) un rle programmatique.
En effet, lvanglisation des pauvres et la libration des captifs annoncent la
dimension thique de lEvangile lucanien27 . Lexemple de la veuve de Sarepta et
de Naaman en Lc 4.24-27 exprime lintrt de Jsus pour des personnes qui sont
considres comme des exclus du peuple juif du fait quelles soient paennes28.
Luc construit son vangile en fonction des trois grandes priodes qui ordonnent la
vie de Jsus : son ministre en Galile (3.14-9.50), son voyage vers Jrusalem au
cours duquel il apporte son enseignement et opre des gurisons (9.51-19.27) et
enfin son uvre Jrusalem, sa passion, sa mort, sa rsurrection et son ascension
(19.28-24.53)29. Le voyage vers Jrusalem est la partie centrale de lvangile. Il a t
interprt comme lantitype de voyage du peuple dIsral vers la terre promise.
Dans cette lecture typologique, Jsus est le nouveau Mose, le dernier prophte30,
celui qui conduit le peuple de Dieu vers la Nouvelle Terre. Les nombreuses allusions
lAncien testament (Lc 2.22-24, 3.3-4, 4.1-13, 19.46 etc.) montrent que Jsus est
totalement immerg dans le judasme. Emmanuel Steffek pense que ce balisage
vtrotestamentaire de la vie de Jsus prouve quil est, aux yeux de Luc, le messie
dIsral que les prophtes ont annonc (Es 7.14, 53, Za 9.9 etc.)31.
24 Andr GILBERT, O fut crit lvangile de Luc ? , Science et Esprit 39 (1987/2), p. 230. 25 Eric FUCHS, Lthique chrtienne. Du Nouveau Testament aux dfis contemporains, Genve, Labor et fides, 2003, p. 70. 26 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 175-176. 27 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 92. 28 Pierre HAUDEBERT, Thologie lucanienne. Quelques aperus, Paris, l'Harmattan, 2010, p. 119. 29 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 21. 30 Franois BOVON, Luc le thologien, Genve, Labor et fides, 2006, p. 455. 31 Emmanuel STEFFEK, Luc-Actes et lAncien Testament , Foi et vie 100 (2001/4), p. 34.
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2. Jsus au centre de la scne
2.1. La squence narrative : Les matres de la loi contre
Jsus
Notre texte dtude appartient la premire partie de lvangile, lorsque Jsus tait
encore en Galile, et notamment une squence narrative compose de quatre
micro-rcits rapportant chacun une controverse entre Jsus et les matres de la loi
(Lc 5.17-26, Lc 5.27-39, Lc 6. 1-5, Lc 6.6-11).
Les matres de la loi sont toujours les amorceurs de la controverse et Jsus, le
hro de notre squence, les conclut chaque fois. Alors quil reste toujours serein
face ses adversaires, ces derniers en revanche sagacent vite. Les premiers micro-
rcits montrent les pharisiens et les spcialistes de la loi murmurer entre eux et
poser des questions Jsus, ou ses disciples, qui pourraient les dstabiliser.
Mme lorsque ces questions et reproches sadressent aux disciples, cest Jsus, leur
Matre, qui rpond, tel un hro qui vole au secours de celui qui est en danger. Le
dernier micro-rcit de la squence narrative marque une volution importante dans
leur relation avec Jsus : les matres de la loi cherchent cette fois-ci piger Jsus,
et, voyant quune fois de plus celui-ci a le dernier mot, ils furent remplis de fureur
et se consultrent pour chercher ce quils feraient Jsus (6.11). Le rcit
correspondant dans lvangile de Marc va jusqu dire que les pharisiens tinrent
conseil avec les hrodiens sur le moyen de faire mourir Jsus (Mc 3.6).
Les quatre micro-rcits sont tous dots de leur propre intrigue pisodique32, et
thmatisent la reconnaissance de lautorit de Jsus. En effet, le narrateur revient
sans cesse ce thme : autorit face au pardon, autorit face au jene, autorit
face au sabbat, autorit face au vrai sens de la loi. Chacune de leur intrigue sinscrit
au sein de lintrigue unifiante de Lc 5.17-6.11 (la reconnaissance de lautorit de
32 Lc 5.27-39 rvle lautorit de Jsus comme celle de pardonner les pchs ; Lc 5.27-39 se focalise autour de la toute suffisance de la prsence de Jsus ; Lc 6.1-5 se centre sur le fait que Jsus est matre du sabbat ; et enfin Lc 6.6-11 montre Jsus comme ayant compris le sens de la loi contrairement aux spcialistes de la loi.
12
Jsus) qui est elle-mme surplombe par lintrigue de lvangile : reconnatre Jsus
comme le Christ33.
Roland Meynet distingue un arrangement concentrique dans les rcits composant
la squence narrative avec comme centre la parabole du vieux et du neuf (5.36-39).
Les deux pisodes des extrmits sont des gurisons (5.17-26 et 6.6-11), puis ceux
se rapprochant du centre sont des controverses (5.27-35 et 6.1-5). Selon lui, le
centre de cette structure vient montrer que les matres de la loi, sattachant au
vieux, ne peuvent sattacher au neuf que Jsus apporte. Sils ny arrivent pas cest
quils ne sont pas prts reconnatre Jsus comme ayant reu tout pouvoir du
Pre34.
Cette squence de micro-rcits dbute avec le rcit que nous tudions. Il est
diffrent du rcit prcdent car le temps nest plus le mme : un de ces jours-l
(5.17). De plus, le lieu change. Jsus est dans un endroit abrit par un toit comme
une maison (5.19) alors quil sort dune ville pour prier dans un lieu dsert dans le
rcit prcdent (5.15). Enfin, de nouveaux personnages interviennent : les
pharisiens et docteurs de la loi (5.17), autrement dit, les matres de la loi.
La seconde histoire (5.27-39) est distincte de la premire car il y a un changement
de temps : aprs cela (5.27). Lendroit o se trouve Jsus est galement
diffrent : il sort du lieu o il a guri lhomme atteint dune paralysie et se retrouve
dans la maison de Levi, le collecteur dimpt (5.29). De nouveaux personnages
comme Levi (5.27), les collecteurs dimpts (5.29), les disciples (5.30) apparaissent.
Le sujet de la controverse est tout de mme diffrent puisque dans le premier rcit
il concerne le pouvoir de pardonner de Jsus, alors que dans le second il se centre
sur le fait de manger avec des collecteurs dimpt et des pcheurs et sur le
jene.
Le troisime micro-rcit est cltur par un indicateur de temps : un jour de
sabbat (6.1), par un indicateur de lieu : Jsus et ses disciples sont prsent dans
33 Voir infra p. 49. 34 Roland MEYNET, Avez-vous lu saint Luc ? Guide pour la rencontre, Paris, Cerf, 1990, p. 75-76.
13
des champs (6.1). La controverse entre Jsus et les matres de la loi porte cette
fois-ci sur lessence du sabbat.
Enfin, le dernier micro-rcit de la squence narrative se distingue de celui qui le
prcde par un marqueur de temps : un autre jour de sabbat , et un marqueur
de lieu la synagogue (6.6). Un nouveau personnage apparait un homme qui
avait la main paralyse (6.8). La controverse a pour sujet la gurison le jour du
sabbat.
La squence narrative est encadre par deux versets qui montrent Jsus se retirant
dans un lieu dsert ou sur une montagne pour prier (5.16 ; 6.12).
2.2. La camra centre sur Jsus
Un rcit est constitu de deux composantes indissociables : lhistoire raconte et la
mise en rcit35. Lhistoire raconte peut tre la mme mais narre de manire
diffrente. Les vangiles en prsentent un grand nombre. Le rcit de Lc 5.17-26 en
est un exemple. Il est un pisode compos de 6 tableaux36.
Premier tableau (v. 17) : Jsus enseigne en prsence de Pharisiens et docteurs de la
loi. Il a la puissance doprer des gurisons.
Second tableau (v.18, 19) : des hommes cherchent faire entrer un homme atteint
dune paralysie. Ne trouvant aucune ouverture cause de la foule, ils le descendent
par le toit pour le placer au milieu, devant Jsus.
Troisime tableau (v. 20) : Jsus, voyant la foi de ces hommes, pardonne les pchs
de lhomme atteint dune paralysie.
Quatrime tableau (v. 21-23) : controverse opposant les Pharisiens et scribes contre
Jsus au sujet du fait que Jsus pardonne les pchs.
35 Daniel MARGUERAT, Yvan BOURQUIN, Pour lire les rcits bibliques. Initiation lanalyse narrative, Paris, Cerf, 2004, p. 27. 36 Nous avons choisi de dcouper lpisode ainsi en nous fondant sur les diffrentes actions des personnages : Jsus enseigne ; les hommes porteurs font descendre le malade ; Jsus pardonne ; Jsus dbat avec les matres de la loi ; Jsus guris ; lhomme guri et les tmoins de la scne glorifient Dieu.
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Cinquime tableaux (v.24) : Cette discussion se conclut par la gurison miraculeuse
de lhomme atteint dune paralysie.
Sixime tableau (v.25, 26) : lhomme se lve, prend sa civire et sen va dans sa
maison en glorifiant Dieu. Tous sont stupfaits et glorifient Dieu.
La mise en rcit, quant elle, est diffrente de celles de Matthieu et de Marc. La
camera lucanienne cible un Jsus qui enseigne, opre des gurisons. Il semble
tre le centre dattention de beaucoup. Dune part, les matres de la loi sont venus
de tous villages de Jude, Galile et de Jrusalem pour lcouter (v. 17) et dautre
part une foule nombreuse37 tait prsente pour le rencontrer. La suite du texte
nous dit, contrairement aux rcits des deux autres vanglistes (Mt 9.2 ; Mc 2.2),
que lhomme atteint dune paralysie fut dpos devant Jsus. Le narrateur, citant
encore Jsus, en fait le centre de la scne. Le Jsus de Marc est aussi en train
denseigner. La composition de son auditoire nest pas prcise, mais le narrateur
laisse entendre quil y avait aussi beaucoup du monde (Mc 2.2). Matthieu, quant
lui, ne donne aucune prcision sur ce que fait Jsus, ni mme sur ceux qui sont
prsents. Nous savons seulement que Jsus vint dans sa ville (Mt 9.2).
Jsus sadresse dans ce rcit deux reprises lhomme handicap (v. 20, 24). Lors
de la premire intervention, lhomme reste passif, alors qu la seconde il devient
actif. Le narrateur de Luc introduit les premires paroles de Jsus lhomme
malade par il dit (v. 20). Les narrateurs de Matthieu et de Marc rajoutent au
paralytique et appellent lhomme handicap enfant . Matthieu prcde ce titre
par qa,rsei prend courage (Mt 9.2 ; Mc 2.5) alors que Luc lappelle simplement
homme . Lhomme reste passif cette dclaration. En revanche, lors de la
seconde intervention verbale de Jsus, lhomme ragit : il se lve, prend sa civire,
rentre chez lui en glorifiant Dieu. Cette scne se trouve aussi chez Matthieu et
Marc.
La comparaison de ces mises en rcit nous montre que Jsus, chez Matthieu et
Marc, semble plus proche, plus doux, plus paternel envers lhomme atteint dune
37 Nombreuse puisquelle empchait les hommes portant lhomme atteint dune paralysie de lintroduire l o se trouvait Jsus (v.19).
15
paralysie que celui de chez Luc. Cela peut se comprendre par le fait que Matthieu et
Marc ciblent leur camra sur le paralys, tandis que Luc se focalise sur Jsus, le
centre de la scne.
3. Etablissement du texte
Pour proposer une traduction qui se rapproche le plus fidlement du texte grec,
nous nous devons danalyser la critique textuelle, verset, par verset.
3.1. Critique textuelle
v.17
La phrase kai. auvto.j h=n dida,skwn( kai. h=san kaqh,menoi Farisai/oi kai.
nomodida,skaloi oi] h=san evlhluqo,tej38 retenue dans le Nouveau Testament grec39
laisse entendre que ce sont les pharisiens et docteurs de la loi qui sont venus voir et
entendre Jsus Christ. Cela grce au mot oi] qui reprend Farisai/oi kai.
nomodida,skaloi..
Le texte occidental (D) remplace cette phrase par autou dida,skontoj sunelqeivvvvvvvn touj
Farisai/ouj kai. nomodida,skalou^ h=san de sunelhluqo,tej40. Selon ce texte, ce ne
seraient pas les pharisiens et docteurs de la loi qui seraient venus voir Jsus, mais
dautres personnes. Metzger interprte ces autres personnes comme tant des
malades41. Cela se comprend grce au point en haut qui marque une sparation
entre autou dida,skontoj sunelqeivvvvvvvn touj Farisai/ouj kai. Nomodida,skalouj et h=san
de sunelhluqo,tej ; mais aussi grce la particule dequi a le sens de mais , au
contraire marquant le contraste entre ce qui prcde et ce qui suit42. Il est vrai
que la variante propose par D est plus facile lire que le texte retenu, mais selon le
38 et lui tait en train denseigner, et taient assis des pharisiens et des docteurs de la loi qui taient venus . 39 Nous nous appuyons sur la 28me dition du Nouveau testament grec, de Eberhad Nestle et kurt Aland. NESTLE Eberhad, ALAND Kurt, Novum Testamentum Graece. 28, Stuttgart, Deutsche bibelgesellschaft, 2012. 40 lui enseignant, ce sont rassembls des pharisiens et des docteurs de la loi. Mais dautres taient venus . 41 Bruce M. METZGER, A Textual Commentary On The Greek New Testament, London, United Bible Societies, 1975, p. 138. 42 Cependant, cette particule peut aussi avoir le sens de et et faire tout simplement le lien entre la phrase qui prcde et celle qui suit. Dans ce sens, elle nest souvent pas traduite. Danielle ELLUL, Odile FLICHY, Pour apprendre le grec biblique par les textes, Paris, Cerf, 2004, p. 238.
16
principe de la lectio difficilior, le texte le plus compliqu lire est probablement le
plus ancien. En effet il est plus logique quun scribe ait voulu simplifier un texte que
le compliquer. Nous ne retiendrons pas la proposition de D car la variante quil
propose est srement une simplification du texte retenu. La difficult du texte
pourrait se comprendre comme tant de lironie de lauteur : les ennemis de
Jsus 43 viennent apprendre de lui !
Le texte occidental omet Ierousalh,m de la phrase kw,mhj thj Galilai,aj kai. Ioudai,aj
kai. Ierousalh,m. Cette omission est logique avec la variante prcdente car les
pharisiens et docteurs de la loi viennent de Jrusalem. Garder
laisserait entendre que les pharisiens et docteurs de la loi feraient partie de ceux
qui sont venus de tous les villages. Nous ne retiendrons donc pas cette proposition.
Le manuscrit H (6me sicle) ainsi quun manuscrit de la Vulgate omettent thj
Galilai,aj. Les manuscrits 1241 et la tradition boharique omettent le mot kw,mhj.
Ces textes ne font pas partie des textes les plus fiables pour lvangile de Luc. Nous
ne retiendrons donc pas ces propositions.
La phrase kai. du,namij ku,riou h=vn eij to iasqai auto,n peut se traduire de deux
manires : soit et la puissance du seigneur tait pour le gurir (dans ce cas,
est lobjet) ; soit et la puissance du seigneur tait pour quil gurisse :
dans cette manire de traduire, auto,n, bien que soit conjugu laccusatif, est le
sujet de linfinitif. En effet un accusatif peut tre sujet lorsque le verbe est conjugu
linfinitif44. Nous retenons donc cette seconde proposition. Beaucoup de tmoins
comme A, C et D remplacent auto,n par autouj. Dans ce sens-l, ce dernier mot
serait prendre en tant quobjet et le sujet sous-entendu : et la puissance du
Seigneur tait pour les gurir . Nous prfrons le texte retenu car les tmoins
Aleph et B, qui ont bien le auto,n, ont plus de poids ensemble que A, C et D.
v.18
Le mot aut,on est omis de plusieurs manuscrits comme Aleph, A, C, D et W. Ceux qui
ont choisi de le garder dans le texte grec ont quand mme mis ce mot entre
43 Danielle ELLUL, Odile FLICHY, Pour apprendre le grec biblique par les textes, p. 138. 44 Ibid., p. 176.
17
crochets. Cela montre quil y a un doute ce quil soit primitif. Ce choix sexplique
certainement du fait que le tmoin Aleph et le tmoin B sont presque toujours en
accord. Et dans ce cas ils ne le sont pas. Si nous gardons ce mot nous traduisons
le placer ; si nous lenlevons, cela donne : placer . Les scribes ayant choisi de
le garder ont certainement trouv plus adquat de le maintenir car cela est en
accord avec le contexte. En effet les hommes portant celui qui tait comme
paralys cherchaient le faire entrer et le placer, lui, celui qui tait comme
paralys, devant Jsus, do la prsence de auto,n.
v.19
Au lieu de avnaba,ntej evpi. to. dw/ma dia. tw/n kera,mwn kaqh/kan auvto.n su.n tw/|
klinidi,w|45, le texte occidental (D) propose anebh,san evpi. to. dw/ma kai.
apostegasantej touj opou hn kaqhkan ton krabatton sun tw/| paralutikw|46. Cette
variante a t influence par un ou plusieurs vangiles. En effet, nous ne retrouvons
jamais le mot paralutiko,j dans la pricope de Luc, mais nous le retrouvons dans
celles de Matthieu et de Marc (Mt 9.2 ; Mc 2.4). De mme le mot kra,batton ne se
trouve pas en Lc 5.17-26 mais en Mc 2.4. Nous ne retiendrons pas cette proposition
car elle a certainement t influence par un dsir dharmonisation.
Le texte B remplace vIhsou par pa,ntwn. Celui qui est comme paralys serait dpos
devant tout le monde et non devant Jsus. Selon le principe de la lectio difficilior,
nous pourrions garder pa,ntwn qui est moins logique (donc plus difficile), mais nous
ne le ferons pas car le poids des tmoins (tous les autres mss47) est tellement grand
que la lectio difficilior ne peut pas tre applique.
v.21
Le texte occidental (D, it) rajoute en tai,j kardi,aij auvtw/n. Ce texte aussi est
influenc par lvangile de Marc (en tai/j kardi,aij auvtw/n dans leur cur Mc
2.6). Le verbe le,gw qui suit est conjugu au participe prsent actif nominatif
45 ils montrent sur le toit travers les tuiles, ils le firent descendre avec la civire . 46 ils montrent sur le toit et, ayant enlev les tuiles l o il tait, ils firent descendre le grabat avec le paralytique . 47 Abrviation de manuscrits
18
masculin pluriel et se traduit en disant . Le participe indique souvent la modalit
de laction principale : ils commencrent rflchir en disant etc. ( haute voix ?).
Jsus dit au verset 22 : ti, dialogi,zesqe evn tai/j kardi,aij u`mw/n (dans ce cas le
raisonnement est dans le cur, sige de lintelligence). Si Jsus a discern que les
pharisiens et docteurs de la loi dbattaient dans leur cur, cest certainement quils
le faisaient vraiment mais cause du fait que les meilleurs mss nont pas cette
version, nous ne garderons pas la proposition du tmoin D it.
v.22
Le texte D rajoute aprs e,n tai/j kardi,aij u`mw/n. Ce rajout est influenc par
Mt 9.4. Nous ne retiendrons donc pas cette proposition qui semble moins
authentique que la version retenue.
v.23
Des tmoins importants pour lvangile de Luc comme Aleph, D et W omettent le
mot soi soi ai a`marti,ai sou : tes pchs plutt que toi tes pchs .
Dautres comme N et omettent sou et se traduit toi les pchs . Du fait de
limportance des mss et de la fiabilit de A et B pour lvangile de Luc, qui ont soi
ai a`marti,ai sou, nous retiendrons cette leon. La redondance est certainement
voulue par Luc pour souligner que ce sont effectivement les pchs de lhomme
atteint dune paralysie qui sont pardonns et non ceux de quelquun dautre.
v.24
Le tmoin D conjugue le verbe le,gw la troisime personne du prsent de lindicatif
actif (le,gei), alors que le texte retenu le conjugue la troisime personne de
laoriste de lindicatif actif (ei=pei). Nous retiendrons la conjugaison laoriste car les
verbes utiliss dans la narration de la pricope sont conjugus laoriste ou
limparfait, mais pas au prsent.
Le texte D ainsi que dautres tmoins remplacent paralelume,nw| par paralutikw.
Nous ne retiendrons pas cette proposition car elle a t influence par lvangile de
19
Matthieu et de Marc, de plus, nous retrouvons toujours le verbe paralu,w sous la
forme dun participe aoriste.
Le texte D remplace a;raj to. klini,dio,n par aron ton . Le verbe est
conjugu dans le premier cas comme un participe aoriste actif nominatif masculin
singulier, alors que, dans le second cas, le verbe est un impratif aoriste actif
deuxime personne du singulier. Le texte D tant influenc par lvangile de
Matthieu et de Marc (Mt 9.6 ; Mc 2.11) est certainement moins primitif que celui
retenu. Nous garderons donc la proposition a;raj to. klini,dio,n.
v.25
Le texte D remplace evfV o] kate,keito par thn kli,nhn. Cette proposition est trange
car le texte occidental utilise toujours to,n krabbato,n plutt que thn kli,nhn. Nous ne
retiendrons pas cette variante.
v.26
La phrase kai e,kstasij e,laben a,pantaj kai evdo,xazon to.n qeo.n est omise chez
plusieurs tmoins comme D, W et et est prsente dans la plupart et les plus
importants mss.
3.2. Traduction
Voici prsent la traduction que nous utiliserons pour ltude narrative de Lc 5.17-
26.
17 Un de ces jours-l, il tait en train denseigner. Des Pharisiens et docteurs de la
loi qui taient venus de tous les villages de Galile et de Jude, et de Jrusalem,
taient assis. La puissance du Seigneur tait luvre pour quil opre des
gurisons.
18 Et voici que des hommes, portant sur une civire un homme qui tait atteint
dune paralysie48, cherchaient le conduire et le placer devant lui.
48 Lvangile de Luc est le seul parmi les synoptiques utiliser le mot paralelme,noj. Marc et Matthieu utilisent le mot paralutiko,j (Mt 9.2 ; Mc 2.4). paralelme,noj vient de la racine paralu,w qui se divise en deux mot para signifiant contre et lu,w dlier , librer . Jean-Claude INGELAREE, Pierre
20
19 Nayant pas trouv par o ils le conduiraient cause de la foule, ils montrent
sur le toit et, travers les tuiles, ils le firent descendre avec la civire au milieu,
devant Jsus.
20 Ayant vu leur foi, il dit : Homme, tes pchs tont t pardonns
21 Et les scribes et les Pharisiens commencrent raisonner en disant : Qui est
celui-ci qui prononce des blasphmes ? Qui est capable de pardonner les pchs
sinon Dieu seul ?
22 Mais Jsus, ayant discern leurs penses, rpondit : De quelle chose dbattez-
vous dans vos curs ?
23 Quest-ce qui est plus facile, dire : tes pchs tont t pardonns, ou bien dire :
lve-toi et marche ?
24 Mais afin que vous sachiez bien que le Fils de lhomme a lautorit sur la terre de
pardonner les pchs, il dit celui qui tait atteint dune paralysie : je te dis, lve-toi
et prends ta civire et va dans ta maison.
25 Immdiatement, stant lev en face deux, et ayant pris ce sur quoi il tait
couch, il sen alla dans sa maison glorifiant Dieu.
26 La stupeur saisit tout le monde et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de
crainte disant : Nous avons vu aujourdhui des choses contres ce quon
pensait49 .
MARAVAL, Pierre PRIGENT, Dictionnaire Grec-Franais du Nouveau Testament, Villiers-le-Bel, Socit biblique franaise, 2008, p. 111, 92. Littralement paralu,w voudrait dire contre la libration , en dautres termes, ce verbe exprimeraitune condamnation un mal tre, et pas forcment une paralysie, comme il est souvent compris. Hb 12.12 utilise paralelume,na pour parler des genoux affaiblis , Es 36.10 utilise le mme mot pour qualifier les genoux comme chancelants . Dt 32.36 utilise le verbe paralu,w pour exprimer le manque de force de ses serviteurs. Nous voyons donc que le verbe paralu,w nexprime pas toujours la paralysie physique ; mais plutt un tat dimpuissance, de faiblesse, qui peut tre la cause dune paralysie. Paralutiko,j correspondrait au fait dtre paralys tandis que paralelume,noj exprimerait davantage ltat de faiblesse qui pourrait tre une cause la paralysie. William F. ARNDT, Wilbur F. GINGRICH, Frederick W. DANKER, A Greek-English Lexicon Of The New Testament And Other Early Christian Literature, Chicago/London, The University Of Chicago Press, 2000, p. 768-769. 49 Anatole BAILLY, Abrg du dictionnaire grec-franais, Paris, Hachette, 1984, p 225-226.
21
conclusion
Parvenu ce terme, nous pouvons dj relever plusieurs lments intressants
pour notre tude du texte. Luc tait un vangliste trs attach aux pauvres, aux
malades, aux malheureux... Si Jsus est venu sur terre, cest aussi pour montrer
ces personnes que le Royaume de Dieu leur tait accessible. Durant son ministre,
Jsus a redonn de la valeur ces personnes en les gurissant, en leur pardonnant
les pchs. Cest dailleurs ce quannonce son programme missionnaire en Lc 4.18-
19. En plus de redonner de limportance ces personnes souvent exclues de la
socit ancienne, Luc replace Jsus comme le centre de lvangile car Jsus a reu
lautorit du Pre. Cette conception nest pas partage par les matres de la loi
puisquils sopposent son autorit dans les quatre micro-rcits de la squence
narrative dont notre rcit est le premier. Nous allons pouvoir prsent continuer
notre tude grce aux outils que propose lanalyse narrative.
22
Chapitre 2 : analyse narrative du rcit de
Lc 5.17-26
23
En pardonnant les pchs et en gurissant les hommes, Jsus leur montre la
bienveillance de Dieu leur gard. Notre rcit dtude (Lc 5.17-26) en est un
exemple car il parle du rtablissement spirituel et physique de lhomme handicap.
Ce rtablissement a t rendu possible grce aux porteurs, et nous allons
comprendre comment. Pour cela, nous tudierons le rcit de la gurison de
lhomme atteint dune paralysie grce aux moyens que propose lanalyse
narrative50. Nous analyserons premirement le cadre et la temporalit du texte ;
puis nous saisirons secondement le sens des deux intrigues du texte ; nous
comprendrons troisimement le rle des personnages et actants ; et enfin nous
analyserons les commentaires narratifs.
1. Le cadre et la Temporalit
Le narrateur utilise le cadre social et les mouvements gographiques des
personnages pour communiquer son message au lecteur. En ce qui concerne le
cadre temporel, il reste imprcis et vague un de ces jours-l . Quant aux
indicateurs gopolitiques, nous savons que la scne se passe en terre juive : Jsus
est en Galile. Les matres de la loi viennent de tout prs, de Galile, puis dun peu
plus loin : de Jude et de Jrusalem, capitale thologique et religieuse.
1.1. Le cadre socioreligieux lourd porter
Le rcit de Lc 5.17-26 sinscrit dans un contexte social qui nest pas ngliger. La
tradition juive considrait lpoque de lhistoire raconte, les personnes atteintes
dun handicap, de ccit, de lpre, comme profanes. Les aveugles et les lpreux
taient mme jugs comme responsables de leur tat cause dun pch quils
auraient commis (Lv 13.45-46, Jn 9.2-3). La mise lcart qui en rsultait tait le
signe dune punition divine51. Cette ide sappuyait sur les exemples o Dieu avait
frapp certaines personnes de la lpre cause de leur dsobissance.
Effectivement, Myriam, la sur de Mose, a t frappe par la lpre parce quelle
avait critiqu son frre et revendiqu une part de son autorit (Nb 12.10). Ozias a
50 Nous utiliserons la mthode explique dans le manuel danalyse narrative de Daniel Marguerat et dYvan Bourquin tout le long de notre tude narrative. Daniel MARGUERAT, Yvan BOURQUIN, Pour lire les rcits bibliques. 51 Emmanuel BELLUTEAU, Quand la Bible parle du handicap. Un autre regard, Paris, Salvator, 2007, p. 100.
24
t atteint de la lpre car il a offert du parfum dans le temple alors que cela tait
rserv aux sacrificateurs (2 Ch 26.16-21)52. Ces textes laissent apparatre que la
maladie tait le signe du pch entr sur terre53, le signe de la prsence du mal
dans ce monde. Elle ne signifie pas pour autant quelle tait systmatiquement une
punition divine cause dun pch54.
Quant lhomme atteint dune paralysie, il tait considr comme profane. (Lv
21.16-24, 2 Sa 5.8). En effet, le boiteux, comme celui qui prsentait un dfaut
corporel, ne pouvait devenir prtre mme sil descendait de la ligne dAaron. Il ne
pouvait pas entrer dans le sanctuaire et sapprocher du voile sparant le lieu saint
du lieu trs saint de peur de le profaner. Selon Christian Grappe, le profane se
dfinit par labsence de saintet. Celui qui avait un dfaut corporel ntait pas saint
et par consquent ne pouvait pas entrer en relation avec Dieu, contrairement aux
sacrificateurs qui, eux, taient saints (Lv 21.6)55.
En ce qui concerne celui qui peut accorder le pardon des pchs, la tradition juive
est claire : seul Dieu peut le faire. Giorgio Giradet explique que le pardon des
pchs, ou plus techniquement la remise des pchs, signifie dans la conscience
collective dIsral tre libre de lesclavage inflig par Dieu pour une mauvaise
conduite. En effet, les prophtes avaient annonc que lesclavage politique allait
de pair avec la rvolte contre la volont de Dieu56 . Faire lobjet dune remise des
pchs signifie dans la tradition juive ne plus tre ennemi de Dieu et par
consquent, lhomme pardonn avait une relation nouvelle avec Dieu et avec les
hommes. Il tait libre. Le pardon cest la restauration de la relation homme/Dieu.
Lorsque Jsus remet les pchs de cet homme, il montre quil a les lettres de
crance qui lui permettent dannoncer une telle libration57. Cela devient
52 Andr ADOUL, Foi et gurison, Mont de Marsan, France vanglisation communication, 1994, p. 93. 53 Voir infra, p. 50. 54 Philippe GAUER, Le Christ-mdecin. Soigner. La dcouverte d'une mission la lumire du Christ-mdecin, Paris, Editions de lEmmanuel, 1995, p. 35 55 Christian GRAPPE, Jsus et limpuret , Revue dhistoire et de philosophie religieuse 84 (2004/4), p. 398. 56 Giorgio GIRARDET, Lecture politique de lvangile de Luc, Bruxelles, Vie ouvrire, 1978, p. 52. 57Ibid., p. 52-53.
25
insupportable pour les dfenseurs de la stricte interprtation traditionnelle de la
loi Mosaque58 et de la tradition qui lentoure.
1.2. Des jeux de positions et de mouvement rvlateurs
La squence narrative est encadre par une escale de Jsus dans le dsert59. Le
narrateur nous fait passer dun lieu dsertique un lieu habit. La maison o se
trouve Jsus semble tre de style grec et non palestinien60.
Sur le plan architectural, on notera une prdominance de dplacements de
lextrieur vers lintrieur : les matres de la loi viennent, des hommes entrent avec
lhomme handicap. Personne ne sort de la pice si ce nest lhomme guri qui
rentre chez lui.
Les mouvements des personnages sont situs sur le plan vertical : les matres de la
loi sont assis, les porteurs montent sur le toit, ils descendent lhomme atteint dune
paralysie, Jsus lui ordonne de se lever, il se lve. Jsus est quant lui statique et
est prsent par le narrateur comme tant au centre de lespace puisque le texte
nous dit quon dpose lhomme au milieu devant Jsus.
Les mouvements des porteurs et de lhomme paralys sont tout aussi parlants.
Lhomme handicap est descendu par le toit, travers les tuiles. Le fait de monter
et denlever une partie du toit, laisse apparaitre le ciel qui ntait pas visible de
lextrieur. Le narrateur prcise que, une fois dpos, lhomme handicap est face
Jsus et couch sur sa civire. Lorsque Jsus lui pardonne et lui ordonne de se
lever, il se met debout en face des matres de la loi qui eux restent assis. Lhomme
guri, en se mettant debout face eux leur montre que Jsus la bien guri et quil
est une nouvelle personne.
58 Lopold SABOURIN, L'Evangile de Luc, p. 148. 59 Voir supra p. 13. 60 Odon Vallet, spcialiste des religions pense que Luc fait une erreur de rdaction car les maisons palestiniennes avaient une terrasse et non un toit. Odon VALLET, Lvangile des paens. Une lecture laque de lvangile de Luc, Paris, Albin Michel, 2006, p. 71. Tout comme Lopold Sabourin, nous pensons que ce choix est volontaire, il est comme un clin dil du narrateur un lectorat compos de juifs mais aussi dhellnistes. Lopold SABOURIN, L'Evangile de Luc, p. 148.
26
Ces mouvements raliss tout autour de Jsus expriment une fois de plus la volont
de lauteur de faire de Jsus un personnage central, un pilier61.
1.3. La vitesse du rcit et ses bons en arrire et en avant
Notre rcit sinscrit dans lordre de la scne c'est--dire quil avance la mme
vitesse que lhistoire raconte. Sa vitesse est normale et nous ne retrouvons ni
sommaire, ni ellipse, ni pause descriptive62. De plus, il est singulatif au niveau de la
frquence : le narrateur raconte une fois ce qui sest pass.
Le narrateur insre un commentaire implicite qui entre dans le cadre de
lintertextualit pour montrer que Jsus, dsign comme Fils de lhomme, est le
mme que celui dont nous parlent les textes apocalyptiques (Da 7.13; Ap 1.13). Ce
titre est employ pour parler de la puissance et de la suprmatie de cet individu. Il
se trouve 74 fois dans les vangiles pour montrer la condition humaine de Jsus (Lc
7.34), lannonce de la passion (Lc 9.22), mais aussi la glorification (Lc 9.26) et la
seconde venue de Jsus (Lc 12.40). La fonction de cette intertextualit pourrait tre
de faire le lien entre le Fils de lhomme dont parle lAncien Testament et Jsus63,
dans le but daider lassistance comprendre quil a lautorit sur la terre de
pardonner les pchs.
Cette autorit quil a sur la terre peut tre aussi une prolepse interne lvangile,
c'est--dire un bond en avant dans le sens o Jsus est celui par qui le grand pardon
de lhumanit se ralisera, par son sacrifice (Lc 24.46-47) comme le prophte Esae
avait annonc : il sest livr lui-mme la mort et il a t compt parmi les
coupables parce quil a port le pch de beaucoup , Es 53.12b. Le chapitre 53 du
livre dEsae fait lobjet dune relecture messianique64 par les chrtiens (Luc y
61 Voir supra p. 14-15. 62 Il ny a peut tre pas de pause descriptive qui marquerait un temps zro dans le rcit, mais nous trouvons une description : la dmarche pour faire entrer lhomme atteint dune paralysie. Le narrateur aurait pu dire que des hommes firent entrer lhomme et le placrent devant Jsus, mais au lieu de cela, il dcrit la raison et le processus utilis pour le faire entrer. Ce passage nest pas pause descriptive, car il comporte plusieurs verbes daction, mais il a la mme fonction dans le sens quil vient justifier la foi de ces hommes discerne par Jsus. 63 Jacques BONNET, Joseph CHESSERON, Philippe GRUSON et al., 50 mots de la Bible, Paris, Cerf, 2003, p. 22. 64 Les ressemblances de ce qui arrive cet homme et ce qui est arriv Jsus sont marquantes : il a t compt parmi les coupables (Es 53.12, Lc 23.33), il a t mpris (Es 53.3, Lc 23.11), il sest livr
27
compris en Lc 22.37), mais il sagit dune relecture qui exprime, la fois la continuit
avec le texte dIsae, mais aussi le dpassement, puisque cest Jsus qui pardonne
indpendamment de son sacrifice.
2. Lintrigue double
Yvan Bourquin explique quil existe deux styles dintrigues : lintrigue de situation et
lintrigue de rvlation. La premire consiste en la solution dun problme ou bien
dune crise qui finit par se dnouer alors que la seconde correspond la rvlation
progressive dun personnage65. Le narrateur nous laisse percevoir ces deux
intrigues.
2.1. Lhistoire dune belle amiti
Une intrigue possible est celle de situation. Le problme se traduit par des hommes
cherchant faire se rencontrer Jsus et un homme atteint dune paralysie. Le
schma quinaire que nous allons dresser nous parle dune belle histoire damiti.
La situation initiale correspond au verset 17. Le narrateur donne les informations
ncessaires pour comprendre la situation, et que le rcit va modifier : Jsus
enseigne, il a la puissance doprer des gurisons ; des matres de la loi sont venus
et sont assis. Le suspense est dj prsent : qui va tre guri ? Pour le moment les
auditeurs sont des autorits religieuses. La surprise est que ce ne sont pas eux qui
recevront la gurison.
Le nouement se comprend aux versets 18 et 19. Cest ici que la tension narrative
samorce et que se dclenche laction. Des hommes cherchent faire entrer un
homme atteint dune paralysie pour lamener devant Jsus. Remarquons quaucune
demande nest formule de la part de ces hommes. Ce qui est sr cest quils ont le
dsir que lhomme quils portent rencontre Jsus. Nous pouvons imaginer, vu ltat
de cet homme, que cest pour obtenir la gurison de son handicap.
pour port comme un sacrifice (Lc 24.7, Es 53.10, 12) etc. De plus, limage du rejeton et de la racine employ par le prophte en Es 53.2 est le mme quil utilise pour comparer le messie en Es 11.1-10. 65 Yvan BOURQUIN, La confession du centurion. Le Fils de Dieu en croix selon lvangile de Marc, Poliez-le-Grand, Editions du moulin, 1996, p. 15.
28
Le lecteur sattend ce que laction transformatrice consiste en un acte ponctuel de
gurison, mais, en ralit, elle sinscrit dans un plus long processus de changement
(v. 20-24). Jsus pardonne les pchs de lhomme, ce qui entrane une controverse
avec les matres de la loi. Pour la conclure, il gurit lhomme atteint dune paralysie
montrant ainsi quil a autorit de pardonner les pchs. Ce dcalage produit
plusieurs questionnements chez le lecteur66.
Le dnouement, paralllement au nouement, se situe au verset 25. Lhomme se
lve, prend sa civire et retourne dans sa maison en glorifiant Dieu.
La situation finale est dcrite au verset 26. Tous67 sont remplis de crainte et rendent
gloire Dieu.
Le fait que la demande ne soit pas explicite rend linterprtation de cette intrigue
difficile. Cependant le commentaire du narrateur fait au dbut de lhistoire (v.17)
nous invite comprendre que la volont des porteurs tait la gurison de leur ami.
2.2. La rvlation de lautorit de Jsus
Les intrigues des quatre micro-rcits rvlent lautorit de Jsus par rapport
quelque chose, comme le sabbat, le jene etc. Lapproche smiotique par les
modalits de notre rcit rvle elle aussi lautorit de Jsus. Elle prsente un
scnario organis en six phases. La premire est la mme que la situation initiale du
schma quinaire.
La seconde phase, dite de la manipulation, exprime un vouloir et un devoir-faire.
Les hommes portant lhomme handicap cherchent le faire entrer dans lendroit
o se trouve Jsus pour le placer devant lui. Ne trouvant pas douverture, ils
66 La question qui pose problme dans cette tape de lintrigue cest pourquoi Jsus na-t-il pas guri lhomme avant de lui pardonner, rpondant ainsi la qute des porteurs, ainsi qu celle de tous les tmoins de la scne? Cela remet en question le rel besoin de lhomme handicap. Avait-il plus besoin du pardon ou de marcher ? Est-ce que les hommes qui le portaient avaient pour seul objectif quil soit guri ? Est-ce que Jsus le pardonne dans le seul but daffirmer son autorit ? Voil tant de questions qui se posent dans cette tape. Nous proposerons des rponses dans la suite de notre travail. 67 Nous pourrions nous poser la question de savoir si les matres de la loi sont compris dans le tous . Nous aurions tendance rpondre ngativement cause de lhostilit des matres de la loi envers Jsus, telle que tmoigne par les rcits de la squence narrative.
29
dcident de le faire passer par le toit, acte allant lencontre des usages. Ils se
doivent de russir ce quils avaient lattention de faire. (v. 18-19).
La troisime, dite de la comptence (v. 20-24), atteste du savoir et du pouvoir-faire
de Jsus. Il pardonne les pchs de lhomme atteint dune paralysie en voyant la foi
des porteurs. Cette action, qui pourrait tre comprise comme le faire de ltape
suivante est en fait un processus utilis par Jsus pour montrer que sil gurit, cest
quil a lautorit de pardonner.
Ltape suivante, dite de la Performance (v.25 a), montre la ralisation du pouvoir-
faire de ltape prcdente : tout le monde voit enfin saccomplir la gurison de
lhomme. Ce dernier obit lordre de Jsus en se levant. Le miracle a bien opr !
Lavant dernire tape est celle de la sanction. Cette tape a pour but de
reconnatre la nouvelle situation cre (v.25 b.) : cet homme, debout, face aux
matres de la loi sen va, glorifiant Dieu. Il reconnait ainsi lintervention divine en sa
faveur, donc lautorit de Jsus. En se mettant debout, lhomme est le signe que
Jsus a lautorit sur la terre de pardonner les pchs.
La dernire tape, celle de la situation finale (v.26), est la mme que celle du
schma quinaire : tous sont stupfaits et glorifient Dieu comme lhomme guri.
3. Les personnages
Plusieurs personnages coexistent dans cette scne et assument chacun un rle
mineur ou majeur dans lintrigue. Aprs une brve prsentation des personnages,
nous tenterons de comprendre en quoi la foi des porteurs est si importante dans
lintrigue et enfin nous couterons la voix narrative de ce rcit.
3.1. Une brve prsentation des personnages
3.1.1. Jsus
Jsus est un protagoniste car il joue un rle important dans le dveloppement de
lintrigue. Cest lui qui accorde le pardon et la gurison de lhomme atteint dune
paralysie. Nous pouvons le considrer comme un personnage rond car le narrateur
le dcrit comme un enseignant ; il a la puissance doprer des gurisons (5.17) et
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lautorit sur la terre de pardonner les pchs (5.24). Il sait discerner les penses
(5.22). Il est le Fils de lhomme (5.24). Le texte nous montre aussi quil a du
rpondant et quil ne se laisse pas impressionner par les matres de la loi.
3.1.2. Les pharisiens et docteurs de la loi
Cest la premire fois quapparaissent les matres de la loi dans lvangile de Luc. Ils
sont composs de Pharisiens et de docteurs de la loi. Au niveau historique, la
majorit68 des Pharisiens taient considrs comme des hypocrites car leurs actes
ne refltaient pas leurs dires69. Jsus a dailleurs dit en Mt 23.3 : Faites donc et
observez tout ce qu'ils vous disent; mais n'agissez pas selon leurs uvres. Car ils
disent, et ne font pas . Les scribes ou docteurs de la loi70 taient majoritairement
Pharisiens et avaient tudi plusieurs annes pour obtenir le titre de docteur de la
loi. Ils assumaient une triple fonction : celle de faire comprendre les Ecritures en les
interprtant et les actualisant, celle denseigner la Torah et celle de tenir un rle
juridique en sigeant dans les tribunaux juifs71.
Ils semblent tre nombreux car le narrateur prcise quils viennent de tous les
villages de Galile et de Jude et de Jrusalem. Le fait daccuser Jsus de profrer
des blasphmes et de se prendre pour Dieu (5.21) montre leur hostilit lgard de
Jsus. La squence narrative mettant en scne plusieurs controverses entre eux et
68 Il ne faut pas gnraliser le parti des Pharisiens car il en existait qui taient amis de Jsus et tait daccord avec son enseignement comme Nicodme, Joseph dArimathe et mme Gamaliel. Ces derniers appartenaient lcole dHillel, rabbin tendance librale, alors que la grande majorit se rclamait de son concurrent : Shamma, rabbin rigoureux tendance agressive. Dailleurs, Emile Moreau parle de sept types de Pharisiens allant du Pharisien fort dpaule au Pharisien du devoir en passant par le Pharisien de la peur . Emile MOREAU, Ce que les chrtiens devraient savoir. Sils veulent comprendre la Bible, Paris, Lethielleux, 2010, p. 71-72. 69 Alexandre Janne, le roi saducen des annes 103 76 av J.C. parlait deux comme des hommes maquills . David FLUSSER, Jsus, Paris/Tel Aviv, Editions de lclat, 2005, p. 64. La cause de cela tait due la radicalisation de la plupart des Pharisiens. En effet, le parti juif des Pharisiens stait fortement attach au respect de la loi de Mose la suite de linfluence quavaient eue les hellnistes sur le peuple juif. Cet objectif, bien quhonorable, sest malheureusement radicalis. Andr PAUL, Le Nouveau Testament et son milieu 1. Le Monde des juifs l'heure de Jsus. Histoire politique, Paris, Descle de brouwer, 1981, p. 61. Andr Trocme va mme jusqu dire que la plupart des Pharisiens ont enferm le judasme dans une prison de prescriptions ngatives o lamour et la foi ne primaient pas69. Andr TROCME, Jsus-Christ et la rvolution non-violente, Genve, Labor et fides, 1961, p. 97-98. 70 Le terme docteurs de la loi est la traduction logieuse pour parler des scribes. Bda RIGAUX, Tmoignage de lvangile de Luc. Pour une histoire de Jsus, Paris, Descle de brouwer, 1980, p. 158. 71 Luc AERENS, Jean-Philippe DEPREZ, Jacqueline JARDON et al., Bible ouverte. Itinraires de lecture pour la catchse, Bruxelles, Lumen vitae, 1992, p. 90-91.
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Jsus nous laisse entendre quils sont des protagonistes. Cependant malgr
limportance de leur rle dans lintrigue, le narrateur les considre comme un
groupe de personnages plats : ils ne changent pas. Ils sont mme des personnages
blocs, car leur rle est invariable dans la squence.
3.1.3. La foule
La foule, dans lvangile de Luc, est souvent la recherche de Jsus, elle le suit,
lentoure, lcoute, bnficie peut tre de gurisons72. Elle est prsente comme
figurante mme si son rle nest pas tout fait passif puisquelle empche dentrer
les hommes portant lhomme malade cause du nombre de personne qui la
compose. Elle est cependant un personnage collectif rond vu sa complexit : elle
accepte de voir Jsus, mais sacharne au point dempcher les porteurs de passer
avec lhandicap, mais finit par glorifier Dieu.
3.1.4. Lhomme atteint dune paralysie
Lhomme atteint dune paralysie pourrait tre, premire vue, un personnage
jouant un rle important. Malgr son importance dans lintrigue (il est le rcepteur
du pardon et de la gurison), il reste un personnage-ficelle et rond. Son rle est
simple mais volue au cours de lintrigue : il est dabord paralys, puis va ensuite se
mettre debout, prendre sa civire, et glorifier Dieu en sen allant.
3.1.5. Les porteurs
Ces hommes jouent un rle trs important dans le dveloppement de lintrigue.
Sans eux, la scne naurait pas eu lieu. Nous pouvons les considrer comme un
personnage collectif rond car ils voluent au cours de lintrigue : ils dsirent
prsenter lhomme handicap Jsus mais sont empchs par la foule. Au lieu de
se dcourager, ils montent sur le toit, passent travers les tuiles pour dposer
lhomme atteint dune paralysie aux pieds de Jsus. En plus de cela, le narrateur
prcise quils ont la foi.
72 Jean Nol ALETTI, Lart de raconter Jsus Christ. Lcriture narrative de lvangile de Luc, Paris, Seuil, 1989, p. 91.
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3.2. La foi qui va tout dclencher
Le narrateur fait de la foi une pice importante de lintrigue car sans elle il ny aurait
pas de miracle. Nous comprendrons cela grce au schma actantiel et au concept
telling/showing (disant/montrant)73.
3.2.1. Schma actantiel : la foi mise en avant
Le schma actantiel nous permet de comprendre la dimension fonctionnelle des
rles appels actants 74 au service de lintrigue. Le rcit met en scne des
hommes (destinateurs) portant lhomme atteint dune paralysie (destinataire)
Jsus (sujet), dans le but de rencontrer Jsus, certainement pour obtenir la gurison
(objet dsir) de lhomme atteint dune paralysie. Pour cela, la foi (adjuvant) de ces
hommes va contribuer la qute de lobjet. La foule fait barrage et les matres de la
loi sindignent face lintervention de Jsus (opposants).
Ce schma nest pas clairement identifiable, notamment en ce qui concerne lobjet
dsir. Il ny a pas de demande prcise du fait du destinateur comme on pourrait
avoir dans dautre rcits de gurison (la demande de gurison de lesclave par
lofficier romain en Lc 7.2-3 ; la demande de dlivrance dun fils par son pre en Lc
9.38). La demande est implicite : on suppose que ces hommes amenaient lhomme
handicap Jsus dans le but de le gurir. Le premier verset du rcit nous aide
comprendre cela car il dit que Jsus avait la puissance doprer des gurisons (5.17).
Ce qui est plus clair cest que ce sont bien les hommes portant lhomme malade
ainsi que Jsus qui mnent laction. Tout dabord, les destinateurs (les hommes
portant lhandicap) mnent le destinataire (lhandicap) vers le sujet (Jsus) qui
pardonne et gurit le destinataire. Les destinateurs seffacent aprs avoir fait ce
73 Ces deux termes proviennent de la terminologie de lanalyse narrative. Lorsque le narrateur dcrit une scne ou bien utilise le style indirect pour un discours, on dit quil est dans le telling. Il dit plutt que de montrer. Sa prsence est donc bien marque. Lorsquil retranscrit un discours de manire directe ou bien montre un vnement sans le qualifier, il est dans un mode dexposition type showing. Il montre plutt quil dit. Sa prsence se fait plus discrte. 74Julien Greimas sest intress la fonction narrative des personnages et sest rendu compte que le terme de personnage ntait pas tout fait appropri et il prfre parler d actant pour toute fonction narrative qui sert lintrigue . Lactant, contrairement au personnage, peut tre plusieurs personnes en mme temps, ou bien il peut tre un objet ou un sentiment etc. Le schma actantiel vient de ce terme et nous aide mieux comprendre les choix du narrateur. Algirdas Julien GREIMAS, Smantique structurale. Recherche de mthode, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 172,176-180.
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quils devaient faire, laissant lhomme entre les mains de Jsus. Ce que lon peut
dire par rapport la position et au dplacement des personnages, cest que Jsus
est la pice centrale : il reste statique tout au long de lpisode et tout se fait vers
lui : on part de l o il est. Les matres de la loi vont vers lui pour lcouter, les
hommes portant lhomme malade vont galement vers lui. Lhomme atteint dune
paralysie, lorsquil reoit la gurison, part de l o Jsus est. Jsus est central, il est
comme un point de rencontre ; on sy arrte, puis on en repart75.
3.2.2. Telling/Showing : la foi dite et montre
Cette foi est non seulement dite explicitement par le narrateur, mais est aussi
montre et cela grce au mode dexposition du et du showing. A part le verset 17,
qui a comme mode, le telling, le reste du rcit est sous le mode du showing, aussi
appel le mode dramatique. Le narrateur se fait discret et laisse la premire place
aux personnages. Il relate des vnements sans les qualifier, puis retranscrit
directement le discours entre Jsus, lhomme atteint dune paralysie et les matres
de la loi. Jusqu la fin du rcit, il nvalue pas les vnements mais se contente de
les montrer. Un vnement vu est plus marquant et raliste quun vnement
dcrit par un tiers. Cest peut tre la raison de son choix.
Remarquons que les hommes aidant lhomme atteint dune paralysie sont vus par
Jsus comme ayant la foi. Le narrateur utilise ce moment le mode telling. En plus
de dire cette foi, il la montre par la mise en action des porteurs pousss par leur
foi : ils descendent par le toit pour amener lhandicap. La foi est visible de tous.
Elle est un point important de notre intrigue et joue un rle primordial.
3.3. Focalisation et utilisation narrative des personnages
3.3.1. La foi remarque par Jsus
Les jeux de focalisation nous montrent aussi que le narrateur laisse toute leur place
aux personnages. A part le premier verset de notre rcit, o il fourni les
informations o dominent le temps et lespace, le reste des points de vue est celui
des personnages. La camra se focalise sur les personnages de sorte que tous,
75 Voir supra p. 25.
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acteurs comme lecteurs, voient ce quil se passe. Cependant, Le narrateur donne
une information qui est cache tous les personnages sauf Jsus puisquil la
partage avec le lecteur, cest le sentiment intrieur de Jsus concernant les
porteurs, voyant leur foi . Les personnages du rcit ne comprennent pas la raison
pour laquelle Jsus pardonne les pchs de cet homme, mais le lecteur la comprend
grce cette mention. Il y a une forme de supriorit du lecteur face aux
personnages.
3.3.2. Sentiments produits par les personnages
Les acteurs du rcit provoquent chez le lecteur des sentiments qui, pour certains,
voluent au cours de lintrigue. Cest ce quon appelle le point de vue valuatif du
narrateur.
Jsus produit chez nous de lempathie. Il a de la compassion pour un homme atteint
dune paralysie. Il le rtablit tant sur le plan spirituel que physique. Cette
dmonstration damour est un exemple pour le lecteur linvitant ne pas juger les
personnes diffrentes, mais au contraire, les accepter. De plus, Jsus reste fort
face aux attaques des matres de la loi. Cette force lui venait certainement des
moments passs avec Dieu le Pre dans la prire lorsquil se trouvait dans des lieux
dserts76.
La foule est au dbut sympathique car elle vient couter et voir Jsus, peut tre
mme esprer des gurisons quil oprait. Elle fait ensuite barrage aux hommes
portant lhomme atteint dune paralysie et apparat cette fois-ci antipathique. Aprs
la gurison, elle rapparat comme sympathique parce quelle glorifie Dieu et
reconnat avoir vu des choses contre ce quon croyait77 .
Les matres de la loi sont premirement sympathiques puisquils viennent voir et
couter Jsus. Puis, ils deviennent antipathiques en sopposant Jsus. Ils le
resteront tout le long de la squence narrative.
76 Voir supra p. 13. 77 Le terme contre ce quon pensait peut faire rfrence lautorit de pardonner les pchs que Jsus a sur la terre.
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Lhomme atteint dune paralysie est un personnage sympathique. Il produit mme
en nous de la piti cause de son tat de paralysie, dimmobilit, surtout
connaissant le contexte socioreligieux dun tel homme78. Lorsque Jsus lui pardonne
et le gurit, cet homme se lve en face des matres de la loi, prend sa civire, et part
en glorifiant Dieu. Il passe alors de sympathique empathique car il reconnat que
Dieu, par lintermdiaire de Jsus, lui a pardonn et la guris.
Les hommes qui portent lhomme atteint dune paralysie sont des personnages
empathiques. Le lecteur sy identifie fortement. Il souhaite avoir le mme courage,
la mme foi reconnue par Jsus, la mme persvrance pour affronter les obstacles.
4. La voix narrative : une demande plus quhonore
Le narrateur, bien quil ne soit pas prsent et quil nintervienne pas dans le rcit79
reste fiable dans ses propos et ses interprtations, ainsi quomniscient : Le verset 17
le montre bien, car, l, il annonce la gurison qui se ralisera. Le narrateur fait
plusieurs commentaires pour orienter le lecteur dans la lecture.
4.1. Des commentaires inversant la tendance
Le narrateur fait intervenir les Pharisiens et docteurs de la loi, hommes de Dieu. Ils
sont venus voir et couter Jsus. La station assise nous rappelle Marie qui tait
assise aux pieds de Jsus pour couter sa Parole (Luc 10.39). Le texte est ironique
car les matres de la loi, qui sont prsents par la squence narrative comme les
opposants Jsus, viennent apprendre de lui 80 ! Lutilisation de ce commentaire
implicite peut avoir comme objectif de prparer le lecteur la controverse qui va
suivre.
78 Voir supra p. 23-24. 79 Nous ne remarquons aucun signe de la premire personne qui montrerait lintervention du narrateur dans le texte, et le texte ne nous laisse pas entendre quil tait prsent au moment de lhistoire raconte. Il est donc extradigtique et htrodigtique. Pour plus dinformations sur ces deux termes, voir Yvan BOURQUIN et Daniel MARGUERAT, Pour lire les rcits bibliques, p. 35-36. 80 Afin de lever cette ambigut qui pourrait gner, certains tentent de donner des raisons leur venue. Ils seraient venus examiner ce nouveau leader pour lui faire passer un jugement. Philippe BOSSUYT, Jean RADERMAKERS, Jsus Parole de la grce 2. Lecture continue, Bruxelles, Institut d'tudes thologiques, 1984, p. 185 ; Giorgio GIRARDET, Lecture politique de lvangile de Luc, p. 52.
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Il fait aussi un commentaire explicite en introduisant une glose explicative au verset
19. Cest la raison qui a empch les hommes dentrer normalement, savoir la
foule. Ce commentaire induit que ceux qui viennent couter et voir Jsus peuvent
constituer un barrage pour dautres.
Aprs avoir prvenu le lecteur, le narrateur use dhumour pour montrer la
dmarche des porteurs. Ils amnent lhomme atteint dune paralysie Jsus en
passant par le toit. Cette manire dentrer ntait pas commode, et trs
surprenante. Le fait de retirer les tuiles devait faire tomber de la poussire, des
morceaux de tuiles etc. On peut imaginer que Jsus a d arrter denseigner et que
tous les regards taient fixs vers le toit se dfaisant. Lutilisation de lhumour par le
narrateur transcrit peut tre la revanche des hommes sur la foule qui lui faisait
obstacle. Il montre ainsi quils ont russi atteindre leur objectif malgr les
barrages.
4.2. Lambigut de la situation
Il existe deux ambigits dans le texte qui pourraient nous faire penser que le
narrateur sest tromp. Jsus pardonne avant de gurir alors que le texte prcise
quil avait la puissance doprer des gurisons. On sattendrait plus ce quil
gurisse lhomme atteint dune paralysie (v.20) plutt quil lui pardonne ses pchs.
Lautre ambigut du texte concerne la conjugaison du verbe a=fi,hmi (v. 20). Jsus,
pour dclarer lhomme que ses pchs lui sont pardonns, emploie un passif
parfait81 qui se comprend comme tes pchs tont t pardonns , alors que
Matthieu et Marc emploient un prsent. Si ses pchs lui ont t pardonns dans le
pass, alors ce nest pas Jsus qui lui pardonne ses pchs dans le rcit et donc sa
dclaration quil a autorit de pardonner les pchs sur terre na pas de sens.
Pour comprendre cette ambigut, Franois Bovon explique quen effet le pardon lui
a t accord dans le pass, mais que ce pardon entre en vigueur au moment o
Jsus le lui annonce82. Rolland Minerath, quant lui, comprend cet emploi comme
tant un passif divin. Jsus est celui par qui le pardon arrive, mais quil est accord
81 Cette conjugaison exprime une action ralise dans le pass qui a des implications qui durent dans le prsent. 82 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 241.
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par Dieu83. Jsus, en tant que mdiateur du Pre84, exprime la volont du Pre en
accord avec son programme missiologique de Lc 4.18-1985. Cette dernire
comprhension est plus logique avec la suite du texte car Jsus exprime que
lautorit lui a t accorde pour pardonner les pchs. Cela sous-entend quil ne
fait rien de lui-mme.
Aprs avoir compris cela, nous pouvons saisir le choix davoir pardonn avant de
gurir. Lorsque Jsus dclare lhandicap ses pchs pardonns, les matres de la
loi sindignent en se demandant comment cet homme qui nest pas Dieu peut
pardonner les pchs dun homme (v.21). La question pose par Jsus aux matres
de la loi quest-ce qui est plus facile, dire : tes pchs te sont pardonns ou
dire : lve toi et marche ! est purement rhtorique et fait comprendre que si
Jsus gurit, cest quil a pu pardonner les pchs car il en a lautorit. La gurison
nest que lexemple utilis par Jsus pour rvler quil tait le Fils de lhomme, celui
qui a autorit sur terre de pardonner les pchs.
4.3. Le paralllisme : la clef de lambigut
Le paralllisme prsent par le narrateur entre le pardon des pchs et la gurison
de la paralysie exprime le lien entre ces deux gurisons. Le pch, selon Odon
Vallet est une erreur ditinraire, un cart de conduite, qui, rpt, peut conduire
la perdition 86. Pardonner les pchs, littralement les laisser aller , les
relcher est une sorte de leon de bonne marche : redonner le bon chemin. La
paralysie, quant elle, traduit un tat dinertie, de non marche. Etre couch et se
laisser porter par dautres montre lincapacit de lhomme se prendre en charge87.
En affirmant que ses pchs lui ont t relchs, Jsus lui donne la possibilit de
remarcher socialement et religieusement. Cette ralit invisible devient visible car
Jsus lui ordonne de se lever, de se remettre en marche88. Tous sont tmoins de
cette rsurrection spirituelle sexprimant par une rsurrection physique. La gurison
83 Roland MINNERATH, Jsus et le pouvoir, Paris, Beauchesne, 1987, p. 61. 84 Voir infra p. 42-44. 85 Voir infra p. 43-44. 86 Odon VALLET, Lvangile des paens, p. 70. 87 Lytta BASSET, Culpabilit. Paralysie du cur. La gurison du paralys (Luc 5,17-26). Sentiment. Ambivalence et dpassement de la culpabilit, Genve, Labor et fides, 2003, p. 22. 88 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 243.
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physique et la gurison spirituelle sont lies. La demande implicite des hommes
porteurs a t plus quhonore, puisque cet homme a une double chance de
revivre.
Conclusion
Ltude faite dans ce chapitre nous a permis de nous rendre compte quun homme
handicap au temps du rcit ntait pas considr comme lgal de tous car son
handicap faisait de lui un homme profane. Jsus ayant cur de rtablir cet
homme, le gurit, mais avant il lui pardonne car il est le Fils de lhomme qui a
autorit sur la terre de pardonner les pchs. Ces deux indications intertextuelles
nous montrent que Jsus est celui que les prophtes ont annonc, celui qui est venu
donner sa vie en sacrifice et porter pchs des hommes (Es 53. 10, 12). De plus, les
jeux de positions indiquent quil est le personnage central. Lintrigue de rvlation
va dans le mme sens car elle rvle justement lautorit de Jsus rendue possible
par la gurison du malade. Sans la foi des porteurs, le miracle et la rvlation de
Jsus nauraient pas eu lieu. La foi des hommes porteurs les a pousss braver
lobstacle de la foule en passant par le toit. Lopposition des matres de la loi vis--
vis de Jsus fait aussi deux des obstacles car en sopposant Jsus, ils sopposent
la gurison qui a t utilise pour rvler lautorit de Jsus. Le lecteur sidentifie
fortement aux porteurs qui ont t braves, lex-paralys qui reconnat Dieu,
lauteur de son miracle, et la foule qui fut un moment antipathique mais redevient
sympathique grce la louange de lex malade.
Avant dinterprter ce que nous venons de reprer dans le texte par les moyens que
propose lanalyse narrative, nous allons tudier le thme de la gurison et de
lintercession dans luvre de Luc.
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Chapitre 3 : lintercession et la gurison
dans lvangile de Luc
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Pour rpondre notre problmatique concernant le rle et limpact de
lintercession dans la gurison de lintercde, nous nous demandons comment ces
deux concept taient peru par Luc ? Pour rpondre cette question, nous
comprendrons dabord lintercession la lumire de lpoque du rcit, puis nous
saisirons limportance du ministre de gurison de Jsus et ses implications.
1. Lintercession dans lvangile de Luc
Le verbe entugcavw pour parler de lintercession se trouve une seule fois dans
luvre de Luc (Ac 25.24). Il a le sens d en appeler , adresser une demande
quelquun 89. Lide de mdiation ressort de ce verbe o lintercesseur a le rle de
mdiateur vis--vis de lintercd et de celui qui il adresse la demande, savoir
Dieu. Cette ide de mdiation se retrouve dans luvre de Luc comme la mdiation
religieuse et comme la mdiation socio-conomique. Nous allons tudier ces deux
sortes de mdiation qui existaient lpoque de lhistoire raconte et nous
comprendrons ensuite en quoi lintercession/mdiation tend lentraide.
1.1. La mdiation religieuse
Jsus, en pardonnant les pchs de lhomme atteint dune paralysie, rpond
lintercession des porteurs qui ont dpos lhomme aux pieds de Jsus. Ce qui est
tonnant, cest que le rle dintercesseur tait tenu exclusivement par les prtres
au Temple, centre de la vie nationale juive90 et lieu de la manifestation de la
prsence de Dieu (Ex 25.8). Les prtres taient tous des descendants dAaron (Nb
3.10) et devaient se conformer certaines rgles car ils taient des modles de
puret91. Les prtres prsidaient les crmonies des sacrifices du soir et du matin
qui invitaient Dieu rencontrer et communiquer avec le peuple (Ex 29.42-43) qui
saccompagnaient de nombreux sacrifices privs. Si un homme avait pch, le
prtre faisait pour cet homme l'expiation du pch qu'il avait commis pour quil soit
89 William F. ARNDT, Wilbur F. GINGRICH, Frederick W. DANKER, A Greek-English Lexicon Of The New Testament And Other Early Christian Literature, p. 341. 90 Le Temple tait au centre de la vie nationale juive car ctait dans cet endroit que se faisaient toutes les crmonies religieuses, et sur les parvis extrieurs se tenaient toutes sortes de runions. Charles GUIGNEBE, Le Monde juif vers le temps de Jsus, Paris, Albin Michel, 1969, p. 76, 78. 91 Ils ne devaient tre ni boiteux, ni aveugles, ni affect dune malformation physique. Ils ne devaient pas prendre de femme rpudie, ni prostitue. Leurs filles devaient avoir une conduite pure car si lune dentre elles se prostituait par exemple, elle rendait son pre profane (Lv 21).
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pardonn (Lv 4.27-35). Les prtres assuraient donc la mdiation entre Dieu et le
peuple sur le plan religieux92.
Jsus, en pardonnant les pchs de cet homme, rend le rcit polmique envers la
prtrise. Premirement il prend la place du prtre en dclarant le pcheur
pardonn. Normalement, ctait le prtre qui faisait lexpiation du pch de
lhomme devant lEternel pour quil lui soit pardonn. Deuximement il laisse
entendre que le pardon des pchs ne ncessite plus de sacrifice. Finalement, il
annonce une nouvelle conomie o lintercession professionnelle nest plus
ncessaire, car le Fils de lhomme est dsormais l et assure la communion
directe avec Dieu.
Sil assure la communion directe avec Dieu, cest parce quil a pris sa fonction de
Christ aprs sa mort et sa rsurrection. Cela a t rendu est possible parce quil est
Christ dans son tre93. En effet, ds le dbut de lvangile selon Luc, Jsus est
prsent comme le messie. Il est appel Fils du Trs Haut lors de lannonce Marie
de sa naissance (Lc 1.32) ; Symon lappelle salut (Lc 2.30) et annonce quil est venu
pour la chute et le relvement de beaucoup en Isral (Lc 2.34) ; la prophtesse Anne
parlait de lenfant Jsus tous ceux qui attendait la rdemption (Lc 2.38). Durant
son ministre Jsus annonce sa mort et sa rsurrection aux disciples (Lc 9.22, 18.32-
33) et notamment que son sang sera pour le peuple le signe dune nouvelle alliance
(Lc 22.20). Effectivement tout ce quil avait annonc sest produit. Jsus est mort et
ressuscit le troisime jour pour le pardon des pchs (Lc 24.46-47).
Au moment de sa mort, le voile du temple, celui qui sparait le lieu saint du lieu trs
saint, sest dchir par le milieu. En plus de sparer ces deux lieux, il couvrait ce qui
se trouvait derrire lui dans le lieu trs saint, savoir le coffre de lalliance et le
propitiatoire pos dessus (Ex 35.12) considr comme le trne de Dieu (1 Sa 4.4).
Personne ne pouvait entrer dans le lieu trs saint et voir lArche de peur dy laisser
sa vie (1 Sa 6.19), mis part le grand prtre qui assumait le rle de mdiateur une
92 Bernard GUILLIERON, Dictionnaire biblique, p. 169. 93 Etienne CHARPENTIER, Pour lire le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1981, p. 88.
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fois dans lanne en entrant dans ce lieu trs saint pour y offrir le sang dun animal
comme moyen dexpiation des pchs du peuple (Lv 16)94.
Une fois ce voile dchir la mort de Jsus, il ny a plus de sparation des deux lieux
donc plus de sparation entre Dieu et lhomme. Par sa mort, Jsus inaugure un
nouvel ordre des relations entre lhomme et Dieu95 et signe la fin du culte
sacrificiel96. Cest dailleurs ce quexprime lauteur de lptre aux Hbreux en
disant quau moyen du sang de Jsus, nous avons une libre entre dans le
sanctuaire par la route nouvelle et vivante qu'il a inaugure pour nous au travers du
voile, c'est--dire, de sa chair He 10. 19-20. Jsus est la fois le dernier sacrifice,
mais aussi le grand prtre qui a amen son propre sang derrire le voile. (He 9.11-
12). Voil comment il permet ltre humain la communication directe avec Dieu.
Cette ide trouve sa continuit dans le livre des Actes des Aptres o Jsus est
dsormais appel Jsus-Christ (Ac 2.38, 4.10, 10.36 etc.). La mort et la rsurrection
de Jsus sont aussi prches par les aptres (Ac 2.31, 4.33) pour m