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Satan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXII
Alain Boureau
Alain Boureau laquo Satan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous
Jean XXII raquo Meacutedieacutevales ndeg 44 Paris PUV printemps 2003 p 17-46
Le deacutemon a une histoire fort ancienne dans le christianisme mais linstitution dune science du
deacutemon dune deacutemonologie paraicirct bien plus reacutecente Certes on peut reconstituer un certain
savoir patristique et scolastique sur les entreprises du diable et de ses mauvais anges mais on
ne peut parler de deacutemonologie que lorsquune discipline autonome sattache non plus
seulement au mode dexistence et daction des deacutemons mais aussi et surtout aux relations
quils nouent avec les humains et aux techniques de discernement des esprits qui permettent
de distinguer le posseacutedeacute de linspireacute Un savoir pratique un art fondeacute sur une doctrine plus ou
moins preacutecise remplace ou du moins complegravete lantique don de reconnaissance des mauvais
esprits Un des signes concrets de cette eacutemergence dune nouvelle discipline se trouve dans la
reacutedaction de traiteacutes speacutecifiques qui transmettent un savoir ou une expeacuterience cumulative
Cest pourquoi on a longtemps dateacute la naissance de la deacutemonologie du premier traiteacute connu de
deacutemonologie pratique et theacuteorique le Marteau des sorciegraveres publieacute en 1486 par linquisiteur
dominicain Henri Institoris Certes dautres manuels de linquisiteur avaient preacuteceacutedeacute dont les
plus ceacutelegravebres eacutetaient ceux de Bernard Gui1 (vers 1324) et Nicolas Eymerich (vers 1376) mais
la poursuite des deacutemons et de leurs allieacutes les sorciers ny jouait pas un rocircle central La
poursuite des heacutereacutetiques proprement dits et les questions techniques de proceacutedure importaient
davantage Cette chronologie avait lavantage de faire coiumlncider les deacutebuts de la deacutemonologie
et ceux de la laquo deacutemonomanie raquo illustreacutee par la grande chasse aux sorciegraveres
Des travaux reacutecents notamment ceux du groupe animeacute par Agostino Paravicini Bagliani et
ceux de Pierrette Paravy2 ont pourtant montreacute quun moment fondamental pour la
constitution dune deacutemonologie pratique et theacuteorique preacutecoce devait ecirctre situeacute vers la fin des
anneacutees 1430 avec les premiers procegraves minutieux en sorcellerie dans le Valais et avec des
eacutecrits de doctrine de proceacutedure comme le rapport du chancelier Hans Fruumlnd sur les sorciegraveres
du Valais le Formicarius du dominicain Jean Nieder le traiteacute anonyme intituleacute Errores
Gazariorum ou encore le traiteacute du juge dauphinois Claude Tholosan Le concile de Bacircle
(1431-1437) aurait joueacute un rocircle essentiel pour la confrontation des expeacuteriences et des
doctrines3
Je propose ici de faire un nouveau saut en arriegravere en avanccedilant de plus dun siegravecle linvention
de la deacutemonologie et en pointant non pas la mise en place simultaneacutee dune doctrine et dune
poursuite comme au XVe siegravecle mais la mutation consideacuterable de proceacutedure qui a assimileacute les
invocations du deacutemon et la sorcellerie au crime dheacutereacutesie ce qui entraicircna un nouveau
deacuteploiement judiciaire de nouvelles reacuteveacutelations et surtout en donnant agrave lancien thegraveme du
pacte avec le diable un contenu doctrinal rendait compte de laction deacutemoniaque dans le
monde Cette proposition peut paraicirctre futilement nominale car elle baptiserait du nom de
deacutemonologie de simples eacutevolutions de mentaliteacutes ou de doctrine Tout pheacutenomegravene historique
a sa preacutehistoire que lon peut construire en histoire en gommant les diffeacuterences et en
accentuant les ressemblances Cependant les enjeux de ce deacuteplacement chronologique sont
importants ne serait-ce que dans la saisie historiographique des pheacutenomegravenes de sorcellerie
En repoussant la deacutemonologie vers lextrecircme fin du Moyen Acircge les meacutedieacutevistes se sont
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deacutefausseacutes dune lourde affaire qui mettait en cause la rationaliteacute scolastique et ont ainsi perdu
loccasion de repeacuterer les racines theacuteologiques et philosophiques de la deacutemonologie La chasse
aux sorciegraveres a longtemps releveacute de lhistoire laquo moderne raquo degraves lors leacutecart patent entre les
lumiegraveres de la Renaissance et lobscuriteacute perseacutecutrice a encore accentueacute la marginalisation de
la penseacutee deacutemonologique reacuteduite agrave un puissant combat darriegravere-garde des forces obscures et
reacutepressives qui refusaient la moderniteacute Depuis une vingtaine danneacutees au contraire des
historiens (Jacques Chiffoleau Nicole Lemaicirctre Denis Crouzet) se sont efforceacutes de reacutetablir
des continuiteacutes entre le christianisme meacutedieacuteval et les formes diverses de Reacuteforme et de
Contre-Reacuteforme
La preacutesente proposition nest pas totalement ineacutedite Richard Kieckhefer a eacutecrit un stimulant
petit livre sur les procegraves de sorcellerie qui souvre preacuteciseacutement sur lanneacutee 13004 Par ailleurs
une bulle agrave la fois ceacutelegravebre et meacuteconnue de Jean XXII Super illius Specula (1326 ou 1327) a
parfois eacuteteacute consideacutereacutee comme le texte fondateur de la nouvelle obsession deacutemonologique qui
saisit beaucoup desprits dans lEacuteglise agrave la fin du Moyen Acircge Joseph Hansen qui au deacutebut de
ce siegravecle fonda les eacutetudes contemporaines sur la sorcellerie avait placeacute ce texte parmi les tout
premiers de sa fameuse anthologie Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des
Hexenwahns und der Hexenverfolgung5 Lynn Thorndike trente ans plus tard consacra un
chapitre de sa somme sur la magie agrave Jean XXII6 Tout reacutecemment les travaux de Nicolas
Weill-Parot7 ont rouvert la question de linteacuterecirct du pape pour la magie
Larbre des historiens et la forecirct des documents
De fait mecircme si ce sont essentiellement des pratiques magiques (fabrication dimages et
dustensiles divers) qui sont incrimineacutees elles deacuterivent directement de ladoration des deacutemons
Les sorciers laquo entrent en association avec la mort et font pacte avec lenfer raquo8 selon les
termes de Super illius Specula Linvocation des deacutemons et les pratiques connexes sont
reacutefeacutereacutees agrave des laquo dogmes raquo laquo que nul dentre eux nose enseigner ou apprendre quoi que ce
soit de ces dogmes pervers raquo (de perversis dictis dogmatibus perversis) deacutesigneacutees comme
heacutereacutesies elles doivent ecirctre punies laquo par toutes les peines que de droit meacuteritent les
heacutereacutetiques raquo (penas omnes et singulas quas de iure merentur heretici) Ce texte rectifie la
bulle Accusatus9 dAlexandre IV (1258) qui en reacuteponse agrave une demande preacutecisait que les
deacutelits magiques ne relevaient pas des compeacutetences de lInquisition sauf si elles laquo sentaient
manifestement lheacutereacutesie raquo (nisi manifeste saperent heresim) Limportance de cette
qualification est eacutevidente pour la construction ulteacuterieure de la deacutemonologie et du sabbat
largement opeacutereacutee par le travail inquisitorial Linquisition en prenant en charge lheacutereacutesie des
sorciers pouvait y consacrer ses moyens judiciaires exceptionnels son expertise theacuteologique
et son savoir cumulatif transmis par de nombreux guides de linquisiteur tandis que les
tribunaux eacutepiscopaux et seacuteculiers eacutetaient tributaires des circonstances et des compeacutetences et
engagements individuels
En outre Super illius Specula en prenant au seacuterieux les preacutetentions des sorciers et invocateurs
de deacutemons rompait de faccedilon brutale avec lancienne tradition de lEacuteglise et notamment du
canon Episcopi (Xe siegravecle) qui traitait les sortilegraveges et les faits de sorcellerie ou de magie
comme autant dillusions diaboliques sans reacutealiteacute effective Ce texte que lon trouve pour la
premiegravere fois dans une collection canonique ou peacutenitentielle reacutedigeacutee par Reacuteginon de Pruumlm
(vers 904) puis repris reacuteguliegraverement dans dautres seacuteries avant de figurer au Deacutecret de
Gratien10 a toujours fascineacute les historiens notamment parce quil annonccedilait cinq siegravecles agrave
lavance certaines formes du sabbat des sorciegraveres lauteur du canon eacutevacue ces croyances
comme de simples recircveries induites par le diable qui fait croire agrave des esprits faibles quils
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pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits
alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux
songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du
diable
Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute
fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une
autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen
Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius
Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses
effets et son authenticiteacute
La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble
deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas
explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur
propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et
seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse
opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme
dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de
laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra
Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV
e siegravecle entre-
temps les grandes dissidences des XIe et XII
e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le
beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime
de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures
dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de
Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et
dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat
de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage
La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre
sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium
Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs
reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne
relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En
effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme
inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre
deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de
proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones
invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir
lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en
effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant
que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal
traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de
Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des
deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et
concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement
inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina
que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable
impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra
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revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les
perceptions communes des deacutemons17
La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave
tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la
composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII
les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere
collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut
jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement
au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu
fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres
pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de
Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en
doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens
sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or
Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de
confiance
Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-
ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la
deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant
dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique
et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons
Un effort continu
En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320
sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le
texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428
de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition
complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de
sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme
question est claire
Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin
quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur
deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des
heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21
Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des
reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts
Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace
description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde
moitieacute du XIIIe siegravecle22
Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation
doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28
juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius
dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une
accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante
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des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas
llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour
avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque
temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte
plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25
La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et
perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans
certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave
lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de
compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute
selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais
des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie
lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)
par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce
nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les
Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait
toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il
preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes
tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre
examineacutes par les peines raquo27
Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques
Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife
demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil
accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements
(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans
son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs
susdites retrouve sa clarteacute raquo
Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee
au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de
Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus
nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre
sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus
Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave
lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves
saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite
avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le
troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout
en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en
matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent
ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites
dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou
quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par
linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou
font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec
invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux
qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui
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utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
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Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
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Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
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miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
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deacutefausseacutes dune lourde affaire qui mettait en cause la rationaliteacute scolastique et ont ainsi perdu
loccasion de repeacuterer les racines theacuteologiques et philosophiques de la deacutemonologie La chasse
aux sorciegraveres a longtemps releveacute de lhistoire laquo moderne raquo degraves lors leacutecart patent entre les
lumiegraveres de la Renaissance et lobscuriteacute perseacutecutrice a encore accentueacute la marginalisation de
la penseacutee deacutemonologique reacuteduite agrave un puissant combat darriegravere-garde des forces obscures et
reacutepressives qui refusaient la moderniteacute Depuis une vingtaine danneacutees au contraire des
historiens (Jacques Chiffoleau Nicole Lemaicirctre Denis Crouzet) se sont efforceacutes de reacutetablir
des continuiteacutes entre le christianisme meacutedieacuteval et les formes diverses de Reacuteforme et de
Contre-Reacuteforme
La preacutesente proposition nest pas totalement ineacutedite Richard Kieckhefer a eacutecrit un stimulant
petit livre sur les procegraves de sorcellerie qui souvre preacuteciseacutement sur lanneacutee 13004 Par ailleurs
une bulle agrave la fois ceacutelegravebre et meacuteconnue de Jean XXII Super illius Specula (1326 ou 1327) a
parfois eacuteteacute consideacutereacutee comme le texte fondateur de la nouvelle obsession deacutemonologique qui
saisit beaucoup desprits dans lEacuteglise agrave la fin du Moyen Acircge Joseph Hansen qui au deacutebut de
ce siegravecle fonda les eacutetudes contemporaines sur la sorcellerie avait placeacute ce texte parmi les tout
premiers de sa fameuse anthologie Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des
Hexenwahns und der Hexenverfolgung5 Lynn Thorndike trente ans plus tard consacra un
chapitre de sa somme sur la magie agrave Jean XXII6 Tout reacutecemment les travaux de Nicolas
Weill-Parot7 ont rouvert la question de linteacuterecirct du pape pour la magie
Larbre des historiens et la forecirct des documents
De fait mecircme si ce sont essentiellement des pratiques magiques (fabrication dimages et
dustensiles divers) qui sont incrimineacutees elles deacuterivent directement de ladoration des deacutemons
Les sorciers laquo entrent en association avec la mort et font pacte avec lenfer raquo8 selon les
termes de Super illius Specula Linvocation des deacutemons et les pratiques connexes sont
reacutefeacutereacutees agrave des laquo dogmes raquo laquo que nul dentre eux nose enseigner ou apprendre quoi que ce
soit de ces dogmes pervers raquo (de perversis dictis dogmatibus perversis) deacutesigneacutees comme
heacutereacutesies elles doivent ecirctre punies laquo par toutes les peines que de droit meacuteritent les
heacutereacutetiques raquo (penas omnes et singulas quas de iure merentur heretici) Ce texte rectifie la
bulle Accusatus9 dAlexandre IV (1258) qui en reacuteponse agrave une demande preacutecisait que les
deacutelits magiques ne relevaient pas des compeacutetences de lInquisition sauf si elles laquo sentaient
manifestement lheacutereacutesie raquo (nisi manifeste saperent heresim) Limportance de cette
qualification est eacutevidente pour la construction ulteacuterieure de la deacutemonologie et du sabbat
largement opeacutereacutee par le travail inquisitorial Linquisition en prenant en charge lheacutereacutesie des
sorciers pouvait y consacrer ses moyens judiciaires exceptionnels son expertise theacuteologique
et son savoir cumulatif transmis par de nombreux guides de linquisiteur tandis que les
tribunaux eacutepiscopaux et seacuteculiers eacutetaient tributaires des circonstances et des compeacutetences et
engagements individuels
En outre Super illius Specula en prenant au seacuterieux les preacutetentions des sorciers et invocateurs
de deacutemons rompait de faccedilon brutale avec lancienne tradition de lEacuteglise et notamment du
canon Episcopi (Xe siegravecle) qui traitait les sortilegraveges et les faits de sorcellerie ou de magie
comme autant dillusions diaboliques sans reacutealiteacute effective Ce texte que lon trouve pour la
premiegravere fois dans une collection canonique ou peacutenitentielle reacutedigeacutee par Reacuteginon de Pruumlm
(vers 904) puis repris reacuteguliegraverement dans dautres seacuteries avant de figurer au Deacutecret de
Gratien10 a toujours fascineacute les historiens notamment parce quil annonccedilait cinq siegravecles agrave
lavance certaines formes du sabbat des sorciegraveres lauteur du canon eacutevacue ces croyances
comme de simples recircveries induites par le diable qui fait croire agrave des esprits faibles quils
3
pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits
alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux
songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du
diable
Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute
fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une
autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen
Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius
Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses
effets et son authenticiteacute
La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble
deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas
explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur
propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et
seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse
opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme
dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de
laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra
Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV
e siegravecle entre-
temps les grandes dissidences des XIe et XII
e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le
beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime
de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures
dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de
Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et
dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat
de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage
La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre
sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium
Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs
reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne
relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En
effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme
inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre
deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de
proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones
invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir
lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en
effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant
que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal
traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de
Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des
deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et
concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement
inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina
que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable
impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra
4
revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les
perceptions communes des deacutemons17
La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave
tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la
composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII
les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere
collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut
jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement
au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu
fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres
pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de
Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en
doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens
sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or
Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de
confiance
Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-
ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la
deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant
dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique
et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons
Un effort continu
En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320
sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le
texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428
de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition
complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de
sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme
question est claire
Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin
quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur
deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des
heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21
Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des
reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts
Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace
description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde
moitieacute du XIIIe siegravecle22
Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation
doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28
juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius
dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une
accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante
5
des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas
llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour
avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque
temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte
plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25
La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et
perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans
certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave
lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de
compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute
selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais
des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie
lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)
par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce
nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les
Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait
toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il
preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes
tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre
examineacutes par les peines raquo27
Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques
Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife
demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil
accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements
(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans
son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs
susdites retrouve sa clarteacute raquo
Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee
au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de
Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus
nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre
sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus
Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave
lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves
saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite
avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le
troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout
en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en
matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent
ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites
dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou
quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par
linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou
font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec
invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux
qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui
6
utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
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miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
3
pouvaient tirer quelque force surnaturelle de leurs mauvaises accointances Aucun des faits
alleacutegueacutes na de reacutealiteacute corporelle et ces images de chevaucheacutee nocturne sont compareacutees aux
songes et recircves nocturnes ordinaires Bien plus le canon limite seacutevegraverement les pouvoirs du
diable
Quiconque croit quen dehors du Creacuteateur lui-mecircme qui a tout accompli et par qui tout a eacuteteacute
fait une creacuteature puisse ecirctre faite ou changeacutee en mieux ou en pire ou transformeacutee en une
autre espegravece ou une autre apparence est un infidegravele et est pire quun paiumlen
Malgreacute cet eacutecart les historiens ont eu tendance agrave faire peu de cas de la bulle Super illius
Specula On a parfois douteacute de la porteacutee de ce texte en mettant en question sa nouveauteacute ses
effets et son authenticiteacute
La nouveauteacute du texte a pu paraicirctre limiteacutee dune part parce que limputation heacutereacutetique semble
deacutejagrave figurer dans le canon Episcopi dautre part parce que la reacutealiteacute des maleacutefices nest pas
explicitement affirmeacutee dans la bulle de Jean s infidegraveles et lauteur du canon invoquait agrave leur
propos un verset de lEacutepicirctre agrave Tite (3 10) laquo Eacutevite lhomme heacutereacutetique apregraves la premiegravere et
seconde correction raquo Cependant cette infideacuteliteacute ou heacutereacutesie est imputeacutee agrave la laquo fausse
opinion raquo agrave la croyance en des diviniteacutes plus ou moins sataniques et non pas agrave lacte mecircme
dinvocation ou de magie Dans la construction proceacutedurale de Jean XXII cest la notion de
laquo fait heacutereacutetique raquo au-delagrave ou en deccedilagrave de lopinion ou de lerreur qui importe On y reviendra
Ensuite la notion dheacutereacutesie na pas du tout le mecircme sens au Xe siegravecle et au XIV
e siegravecle entre-
temps les grandes dissidences des XIe et XII
e siegravecles le valdeacuteisme le catharisme le
beacuteguinisme ont conduit agrave la constitution de lheacutereacutesie comme crime majeur rapporteacute au crime
de legravese-majesteacute depuis Innocent III et sa bulle Vergentis11 poursuivi selon des proceacutedures
dexception et puni de faccedilon rigoureuse Il est vrai quune lecture minutieuse de la bulle de
Jean XXII ne permet pas dattribuer une reacutealiteacute effective aux opeacuterations de magie et
dinvocation Mais on le verra la longue suite des textes normatifs et des procegraves du pontificat
de Jean XXII legraveve tout doute quant aux croyances du pape et de son entourage
La seconde objection quant aux effets de la bulle porte surtout sur le long laps de temps entre
sa publication et sa premiegravere reprise textuelle cinquante ans plus tard dans le Directorium
Inquisitorum12 de linquisiteur dominicain Nicolas Eymerich (1376) qui par ailleurs
reacuteiteacuterait la thegravese de linvocation des deacutemons comme activiteacute heacutereacutetique Mais cette reprise ne
relegraveve pas de la seule fantaisie reacutepressive de linquisiteur catalan ceacutelegravebre pour ses excegraves En
effet deux ans plus tocirct le 15 aoucirct 1374 le pape Greacutegoire XI qui nomma Eymerich comme
inquisiteur avait adresseacute agrave linquisiteur de France le dominicain Jacques de Morey une lettre
deacutebutant preacuteciseacutement par la mention Super specula militantis qui lui recommandait de
proceacuteder de faccedilon sommaire13 et sans appel contre les invocateurs des deacutemons (demones
invocant) et notamment quand ils eacutetaient eccleacutesiastiques Le texte du pape fait dailleurs saisir
lune des raisons du retard dans lapplication des directives de Jean XXII il mentionne en
effet lopposition de certains laquo quelques-uns et mecircme des lettreacutes sy opposent en preacutetendant
que cela ne relegraveve pas de ta charge selon les deacutecisions canoniques14 raquo De fait le principal
traiteacute sur les heacutereacutesies reacutedigeacute vers 1340 par Guido Terreni qui avait eacuteteacute inquisiteur de
Majorque et proche collaborateur de Jean XXII ne mentionne nullement les adorateurs des
deacutemons parmi les heacutereacutetiques15 Bien avant les premiegraveres descriptions coheacuterentes et
concordantes du sabbat des sorciegraveres agrave partir de 1430 la voie eacutetait ouverte au traitement
inquisitorial des invocateurs de deacutemons et en 1398 la faculteacute de theacuteologie de Paris deacutetermina
que la sorcellerie accomplie par le moyen dun pacte explicite ou implicite avec le diable
impliquait une apostasie de la foi chreacutetienne et donc relevait de lheacutereacutesie16 Il nous faudra
4
revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les
perceptions communes des deacutemons17
La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave
tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la
composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII
les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere
collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut
jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement
au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu
fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres
pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de
Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en
doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens
sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or
Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de
confiance
Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-
ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la
deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant
dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique
et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons
Un effort continu
En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320
sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le
texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428
de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition
complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de
sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme
question est claire
Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin
quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur
deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des
heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21
Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des
reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts
Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace
description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde
moitieacute du XIIIe siegravecle22
Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation
doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28
juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius
dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une
accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante
5
des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas
llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour
avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque
temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte
plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25
La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et
perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans
certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave
lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de
compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute
selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais
des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie
lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)
par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce
nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les
Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait
toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il
preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes
tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre
examineacutes par les peines raquo27
Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques
Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife
demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil
accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements
(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans
son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs
susdites retrouve sa clarteacute raquo
Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee
au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de
Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus
nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre
sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus
Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave
lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves
saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite
avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le
troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout
en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en
matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent
ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites
dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou
quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par
linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou
font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec
invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux
qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui
6
utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
13
citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
4
revenir sur la question du retard dans lapplication effective de la bulle et mecircme dans les
perceptions communes des deacutemons17
La troisiegraveme objection quant agrave lauthenticiteacute du texte ne peut ecirctre contourneacutee Certes cest agrave
tort quon a eacutevoqueacute son absence dans les deux collections canoniques qui ont acheveacute la
composition du Corpus Iuris Canonici en y incluant de nombreuses deacutecreacutetales de Jean XXII
les Extravagantes Johannis XXII et les Extravagantes communes en effet la premiegravere
collection de vingt bulles du pape fut composeacutee en 1325 par Jesselin de Cassagnes qui neut
jamais le temps dy revenir avant sa mort La seconde ne fut assembleacutee que fort tardivement
au deacutebut du XVIe siegravecle18 en un temps ougrave le message de Jean XXII sur ce point eacutetait devenu
fort banal Mais il est plus surprenant de ne pas trouver de trace de la bulle dans les Registres
pontificaux19 cependant linachegravevement du grand chantier de publication des lettres de
Jean XXII entrepris il y a plus dun siegravecle ne permet pas de transformer cet eacutetonnement en
doute Enfin le statut mecircme de ce texte est eacutetrange puisquil sadresse agrave tous les chreacutetiens
sans distinction en incitant les coupables agrave livrer leurs livres de magie sous huit jours Or
Jean XXII preacutefeacutera souvent les commissions discregravetes et preacutecises confieacutees agrave des hommes de
confiance
Le doute peut donc demeurer mais la bulle Super illius specula cet arbre malingre et peut-
ecirctre inexistant a masqueacute une forecirct bien reacuteelle et empecirccheacute de repeacuterer la grande nouveauteacute de la
deacutemonologie de Jean XXII Cest dans cette forecirct que nous allons circuler en nous limitant
dabord aux aspects proceacuteduraux qui qualifient la magie deacutemoniaque comme crime heacutereacutetique
et qui montrent bien la continuiteacute et limportance de lenquecircte sur les adorateurs des deacutemons
Un effort continu
En premier lieu on trouve une demande dexpertise formuleacutee par Jean XXII au deacutebut de 1320
sur la qualification des pratiques magiques et des invocations des deacutemons comme heacutereacutesie Le
texte des questions du pape et dix reacuteponses ont eacuteteacute conserveacutees dans le manuscrit Borghese 428
de la Bibliothegraveque Vaticane redeacutecouvert par Annelise Maier20 dont je preacutepare leacutedition
complegravete Certes les trois premiegraveres questions sur lesquelles nous reviendrons traitent de
sortilegraveges divers qui ne relegravevent pas explicitement de la deacutemonologie mais la quatriegraveme
question est claire
Est-ce que ceux qui sacrifient aux deacutemons en ayant lintention de leur faire sacrifice afin
quattireacutes par ce sacrifice les deacutemons obligent quelque personne agrave faire ce que le sacrificateur
deacutesirait ou est-ce que ceux qui invoquent le deacutemon doivent ecirctre consideacutereacutes comme des
heacutereacutetiques ou bien seulement comme des auteurs de sortilegraveges21
Cette consultation malgreacute la reacuteticence de la majoriteacute des theacuteologiens consulteacutes produisit des
reacutesultats remarquables en accreacuteditant la thegravese neuve du laquo fait heacutereacutetique raquo lun des experts
Enrico del Carretto esquissa mecircme la description dun sacrement satanique efficace
description deacuteriveacutee de la theacuteorie contractuelle du sacrement mise au point dans la seconde
moitieacute du XIIIe siegravecle22
Il est possible que la pratique de certains juges eccleacutesiastiques ait preacuteceacutedeacute lexplicitation
doctrinale de la question23 Cest ce qui pourrait apparaicirctre dans une lettre adresseacutee le 28
juillet 1319 par Jean XXII au chanoine Seacuteguin de Beleacutegney juge eccleacutesiastique de Fontius
dAuch eacutevecircque de Poitiers Seacuteguin seacutetait ouvert au pape dun scrupule qui lavait assailli une
accuseacutee eacutetait morte apregraves avoir subi la torture sur ordre du juge Laccuseacutee avait eu la plante
5
des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas
llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour
avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque
temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte
plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25
La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et
perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans
certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave
lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de
compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute
selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais
des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie
lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)
par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce
nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les
Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait
toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il
preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes
tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre
examineacutes par les peines raquo27
Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques
Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife
demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil
accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements
(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans
son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs
susdites retrouve sa clarteacute raquo
Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee
au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de
Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus
nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre
sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus
Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave
lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves
saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite
avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le
troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout
en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en
matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent
ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites
dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou
quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par
linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou
font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec
invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux
qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui
6
utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
5
des pieds brucircleacutee aux charbons ardents24 Le chanoine se demandait donc sil nencourait pas
llaquo irreacutegulariteacute raquo cest-agrave-dire lincapaciteacute agrave demeurer dans lordre sacerdotal en ce cas pour
avoir verseacute le sang Le pape rassura Seacuteguin en soulignant que la victime eacutetait morte quelque
temps apregraves la torture et que laquo lon pouvait douter quen raison des tourments elle soit morte
plus rapidement que si elle eacutetait morte sans avoir eacuteteacute tortureacutee raquo25
La victime du juge avait eacuteteacute deacutenonceacutee (diffamata) publiquement pour crimes de sortilegraveges et
perversion heacutereacutetique (super criminibus sortilegii et heretice pravitatis) On peut penser sans
certitude toutefois que cest le juge qui avait associeacute le sortilegravege nommeacute en premier agrave
lheacutereacutesie Le recours agrave la torture semble avoir eacuteteacute dicteacute par le deacutesir de deacutecouvrir des reacuteseaux de
compliciteacute reacutesultat effectivement acquis et loueacute par le pape laquo tout ce qui a eacuteteacute ainsi trouveacute
selon toute vraisemblance naurait pas eacuteteacute reacuteveacuteleacute si cette femme ne lavait reacuteveacuteleacute par le biais
des tourments raquo26 On note ici une raison pratique de lassimilation du sortilegravege agrave lheacutereacutesie
lusage de la torture dans un tribunal eccleacutesiastique avait eacuteteacute introduit en 1252 (Ad abolendam)
par le pape Innocent IV au seul beacuteneacutefice des inquisiteurs et non des juges eacutepiscopaux Ce
nest quen 1308 au moment ougrave il creacuteait des commissions eacutepiscopales pour juger les
Templiers que Cleacutement V avait eacutetendu lusage de la torture aux officialiteacutes mais il sagissait
toujours exclusivement dimputations dheacutereacutesie Seacuteguin ne devait pas en ecirctre fort sucircr car il
preacutetend ne secirctre reacutesolu agrave lusage de la torture quapregraves avoir pris conseil aupregraves de laquo personnes
tregraves honnecirctes qui assuraient quils avaient vu dans la reacutegion toulousaine les heacutereacutetiques ecirctre
examineacutes par les peines raquo27
Une autre affaire connue par une lettre de juillet 1319 adresseacutee par le pape agrave Jacques
Fournier eacutevecircque de Pamiers assimile linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie Le pontife
demandait agrave leacutevecircque de poursuivre trois personnages un clerc un carme et une femme quil
accusait de laquo fabrication dimages dincantations et consultations de deacutemons denvoucirctements
(fascinationibus) de maleacutefices raquo28 Or Jean XXII parle plus loin de leurs laquo erreurs raquo et dans
son paragraphe dexhortation eacutemet le souhait que laquo la foi catholique troubleacutee par les erreurs
susdites retrouve sa clarteacute raquo
Quelques semaines avant la consultation des experts le 22 aoucirct 1320 une lettre fut envoyeacutee
au nom du pape Jean XXII par le cardinal Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs de
Carcassonne et de Toulouse Jean de Beaune et Bernard Gui Cette fois et encore plus
nettement que dans la bulle Super illius specula la demande daction judiciaire se concentre
sur les invocations aux deacutemons et sur les pactes alors conclus
Fregravere Guillaume eacutevecircque de Sabine par leffet de la miseacutericorde divine envoie ses salutations agrave
lhomme de religioninquisiteur du crime heacutereacutetique dans la reacutegion de Carcassonne Notre tregraves
saint pegravere et maicirctre le seigneur Jean XXII pape par leffet de la providence divine souhaite
avec ferveur chasser du centre de la maison de Dieu les auteurs de maleacutefices qui tuent le
troupeau du Seigneur il ordonne et vous confie la tacircche de faire enquecircte et de proceacuteder tout
en conservant pourtant les modes de proceacutedure qui vous ont eacuteteacute fixeacutes agrave vous et aux preacutelats en
matiegravere dheacutereacutesie par les canons agrave lencontre de ceux qui immolent aux deacutemons ou les adorent
ou leur font hommage laquo Il faut aussi proceacuteder raquo contre ceux qui font des pactes explicites
dobligation avec ces deacutemons ou qui fabriquent ou font fabriquer une image quelconque ou
quoi que ce soit dautre pour se lier au deacutemon ou pour perpeacutetrer quelque maleacutefice par
linvocation des deacutemons contre ceux qui en abusant du sacrement de baptecircme baptisent ou
font baptiser une image de cire ou dautre matiegravere ou qui par dautres moyens et avec
invocation des deacutemons fabriquent ou font fabriquer ces images de quelque faccedilon contre ceux
qui en connaissance de cause reacuteitegraverent le baptecircme lordre ou la confirmation contre ceux qui
6
utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
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Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
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miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
15
connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
6
utilisent le sacrement deucharistie ou lhostie consacreacutee et dautres sacrements de lEacuteglise ou
quelque partie de ces sacrements quant agrave la forme ou agrave la matiegravere pour en abuser pour leurs
sortilegraveges ou maleacutefices Et en effet notre maicirctre mentionneacute plus haut de science certaine29
eacutelargit et eacutetend agrave tous les cas citeacutes sans exception le pouvoir donneacute de droit aux inquisiteurs
quant agrave lexercice de leur fonction contre les heacutereacutetiques ainsi que leurs privilegraveges et ce
jusquagrave ce quil juge devoir reacutevoquer cette extension Nous vous signifions tout cela par nos
preacutesentes lettres patentes par le mandat speacutecial que nous a confieacute le seigneur pape par loracle
mecircme de sa voix vive Fait agrave Avignon le 22 aoucirct 1320 en cette quatriegraveme anneacutee du regravegne du
seigneur pape30
On peut se demander pourquoi Jean XXII ne signa pas lui-mecircme cette lettre il est possible
que devant la reacuteticence des experts de la commission de 1320 le pape ait preacutefeacutereacute une voie
plus lateacuterale pour faire connaicirctre ses souhaits Pourquoi Guillaume de Peyre Godin fut-il
choisi comme porte-parole du pape aupregraves des inquisiteurs Guillaume neacute agrave Bayonne vers
1260 eacutetait entreacute fort tocirct vers 1279 chez les dominicains de Beacuteziers avant de circuler comme
eacutetudiant dans divers couvents et studia du Sud-Ouest (Orthez Bordeaux Condom) de faire
ses eacutetudes de theacuteologie agrave Montpellier puis de parcourir agrave nouveau les couvents (Bayonne
Condom Montpellier) comme lecteur Il ne passa que briegravevement agrave Paris en 1292 Sa
veacuteritable carriegravere universitaire apregraves une peacuteriode denseignement agrave Toulouse (1296)
commenccedila en 1306 quand il fut nommeacute lecteur du Sacreacute Palais aupregraves de Cleacutement V qui le fit
cardinal-precirctre de Sainte-Ceacutecile en deacutecembre 1312 dans le mecircme mouvement de nomination
cardinalice que Jacques Duegraveze le futur pape Jean XXII Guillaume jouissait dune expeacuterience
et dune reacuteputation assez larges puisquil eacutetait agrave la fois un theacuteologien reconnu (son
commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard reacutedigeacute vers 1300 fut reconnu comme
Lectura Thomasiana) un membre actif de lordre dominicain (preacutedicateur geacuteneacuteral de
Narbonne en 1289 deacutefiniteur agrave Cahors en 1298 prieur provincial de Provence en 1301) et un
curialiste (chargeacute en 1309 par Cleacutement V de soccuper du procegraves posthume de Boniface VIII)
Jean XXII appreacutecia ses meacuterites puisquil le promut cardinal-eacutevecircque de Sabine en 1317 puis le
deacutesigna comme leacutegat pontifical en Espagne de 1320 agrave 1324 De cette carriegravere il ressort
clairement que Guillaume de Peyre Godin navait aucune formation juridique et repreacutesentait la
meilleure orthodoxie thomiste le deacutetail importe car la tacircche des inquisiteurs relevait
davantage de la theacuteologie que du droit Guillaume navait pas eacuteteacute consulteacute en 1320 sur la
question de la qualification heacutereacutetique des invocateurs du deacutemon peut-ecirctre parce quil eacutetait
deacutejagrave parti en Espagne mais il reccedilut en 1326 une nouvelle commission pontificale aux cocircteacutes
des cardinaux Pierre dArablay et Bertrand de Montfavet en vue de proceacuteder aux procegraves de
plusieurs clercs et laiumlcs des diocegraveses de Toulouse et Cahors accuseacutes davoir fabriqueacute des
images en plomb ou en pierre destineacutees agrave linvocation des deacutemons31 Les accuseacutes avaient
dabord eacuteteacute convoqueacutes devant la justice eacutepiscopale de Toulouse avant decirctre deacutefeacutereacutes au roi de
France probablement parce que leurs images avaient eacuteteacute fabriqueacutees sur le modegravele de la
monnaie royale (sub figura seu typario regio)32 En 1328 Guillaume fut chargeacute de compiler
lenquecircte locale en vue du procegraves de canonisation de Nicolas de Tolentino or cette affaire
comportait de larges aspects deacutemonologiques33
Agrave cette petite seacuterie on peut ajouter une notation du dominicain Bernard Gui qui fort de son
expeacuterience dinquisiteur reacutedigea son Manuel de linquisiteur sans doute apregraves 1324 pour lui
linvocation des deacutemons relevait de lheacutereacutesie si elle eacutetait faite laquo en mecircme temps quun sacrifice
ou que limmolation dune certaine chose en faisant offrande agrave ces mecircmes deacutemons par le
moyen du sacrifice ou de limmolation raquo34
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
10
Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
7
Dix ans plus tard le 4 novembre 1330 Jean XXII envoya deux lettres35 lune adresseacutee agrave
larchevecircque de Narbonne agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de Carcassonne36 lautre agrave
larchevecircque de Toulouse agrave ses suffragants et agrave linquisiteur de cette ville37 cette lettre
contenait une copie de celle envoyeacutee en 1320 par Guillaume de Peyre Godin aux inquisiteurs
de Carcassonne et Toulouse puis ordonnait aux destinataires de poursuivre cette œuvre plus
que jamais neacutecessaire38 Cependant cette lettre introduisait un correctif important les
eacutevecircques devaient se mettre agrave lœuvre les inquisiteurs seuls ou en collaboration avec les
eacutevecircques devaient achever les actions entreprises mais ces derniers ne devaient pas entamer de
nouvelles proceacutedures sans commission pontificale Ce correctif nenlevait rien agrave la
qualification dheacutereacutesie appliqueacutee aux invocations deacutemoniaques et autres formes de magie
puisque laction inquisitoriale neacutetait pas suspendue ni simplement transfeacutereacutee aux eacutevecircques
mais il traduisait une certaine meacutefiance agrave leacutegard des inquisiteurs sur laquelle il faudra
revenir
Un mal ordinaire
On peut se demander quel peacuteril urgent se repreacutesentait le pape pour agir avec tant dobstination
Les pratiques magiques populaires ou savantes que visaient les articles de la consultation de
1320 sont universelles et de tous les temps Lenvoucirctement criminel ou amoureux par le biais
dimages de cire ou de terre est bien attesteacute dans lantiquiteacute greacuteco-romaine (notamment sous le
nom de defixiones)39 Quant au deacutetournement magiques des objets sacramentaux chreacutetiens il
eacutetait largement attesteacute depuis fort longtemps40 Sous leffet de la christianisation des mœurs
les vieilles traditions de magie naturelle et beacuteneacutefique se lestaient des rites liturgiques
chreacutetiens sans mutation reacuteelle
Deux facteurs expliquent sans doute lanxieacuteteacute du pape En premier lieu la magie savante
importeacutee de lOrient ou de lEspagne en mecircme temps que la science naturaliste avait connu un
large deacuteveloppement dans les milieux savants depuis le deacutebut du XIIIe siegravecle comme latteste
lœuvre de Guillaume dAuvergne Des recherches reacutecentes ont montreacute lampleur et la
complexiteacute de cette culture41 Les savoirs alchimique et astrologique doteacutes dun grand
prestige scientifique pouvaient se combiner agrave cette laquo neacutegromancie raquo ou agrave ces arts de la magie
Lambivalence des attitudes de lEacuteglise vis-agrave-vis de lalchimie commenccedila agrave se deacutefaire agrave la fin
du XIIIe siegravecle42 preacuteciseacutement au moment ougrave les conquecirctes de la science naturelle apparurent
comme dangereuses pour la foi tandis que lastrologie conservait encore quelque leacutegitimiteacute
malgreacute les soupccedilons On le sait la fameuse condamnation prononceacutee en 1277 par leacutevecircque
Eacutetienne Tempier qui portait sur 219 propositions supposeacutees ecirctre tenues par des membres de
la Faculteacute des Arts eacutetait preacuteceacutedeacutee dun prologue qui condamnait laquo les livres rouleaux ou
cahiers traitant de neacutecromancie ou contenant des expeacuteriences de sortilegraveges des invocations
des deacutemons ou des conjurations au peacuteril des acircmes raquo43 Lalchimie proteacutegeacutee par les papes en
quecircte de leacutelixir de longue vie jusque dans les anneacutees 127044 commenccedilait elle aussi agrave
devenir suspecte comme le notait Agostino Paravicini Bagliani le cardinal Francesco Orsini
dans son testament de 1304 ordonna de brucircler tous ses livres dalchimie45 Lastrologie
malgreacute son allure plus acadeacutemique subissait les mecircmes soupccedilons Le destin tragique de
Cecco dAscoli qui fut un professeur dastrologie respecteacute agrave Bologne agrave partir de 1322 avant
decirctre brucircleacute pour heacutereacutesie agrave Florence en 1327 en compagnie de ses livres dastrologie
manifeste peut-ecirctre malgreacute son caractegravere singulier cette ambivalence des attitudes
lastrologie en fait malgreacute son statut de plus en plus suspect vit son prestige saccroicirctre au
cours du XIVe siegravecle
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
10
Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
12
lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
13
citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
8
Laffaire Robert de Mauvoisin suivie de tregraves pregraves par Jean XXII confirme cette ambivalence
Robert de Mauvoisin archevecircque dAix fut jugeacute en 1318 par une commission pontificale et
dut renoncer agrave son siegravege46 Le statut de cette poursuite est incertain comme cest souvent le
cas dans ces commissions nommeacutees directement par le pape laction fut en fait
disciplinaire mais elle aurait pu ecirctre criminelle selon laccentuation de tel ou tel deacutelit qui
pouvait aussi bien relever de lexcegraves condamnable chez un preacutelat que du crime Il est fort
possible que cette qualification ait deacutependu dune neacutegociation le pape voulait reacutecupeacuterer le
siegravege et Robert cherchait agrave se tirer de ce mauvais pas Mais quoi quil en soit le premier des
quinze articles daccusation le plus deacuteveloppeacute joua un rocircle certain dans la relative cleacutemence
de la commission cet article rapportait que Robert depuis les temps de ses eacutetudes agrave Bologne
dans les anneacutees 1300 jusquau temps de sa preacutelature avait eu recours laquo aux sortilegraveges agrave lart
de la magie (arti mathematice) et aux divinations raquo Larticle preacutecisait que ces pratiques
eacutetaient laquo condamneacutees et interdites par le droit raquo Dans son interrogatoire Robert prit soin de
qualifier constamment ses diffeacuterents conseillers dlaquo astrologues raquo et de relater preacuteciseacutement les
modes et les buts de ses consultations Tout en affirmant quil ne croyait pas en ces arts
Robert confirmeacute par un teacutemoin maintint quil pensait de bonne foi que ces pratiques
astrologiques eacutetaient licites
Or il semble bien que la meacutefiance nouvelle envers lastrologie et lalchimie plus ou moins
assumeacutee par les savants et les hauts dignitaires de lEacuteglise se soit accompagneacutee selon une
causaliteacute difficile agrave deacuteterminer dune diffusion de la culture neacutecromantique et alchimique
dans les couches plus basses de lEacuteglise Le second astrologue que Robert de Mauvoisin
consulta pour eacutevaluer son thegraveme astral eacutetait un copiste (grossator) de la curie pontificale
Nous avons eacutevoqueacute plus haut la poursuite de clercs et laiumlcs accuseacutes de fabrication dimages
sous leffigie royale Leur propre confession mentionnait explicitement lusage de lalchimie
il y est question de la recherche de la laquo veacuteriteacute de lalchimie raquo (veritatem alquimie)
Agrave cette inquieacutetude geacuteneacuterale et ambivalente sajoutait le souci propre de Jean XXII qui paraicirct
avoir consideacutereacute que les deacutemons se mecirclaient directement agrave ces arts suspects et exerccedilaient un
rocircle redoutable dans la vie et la mort des humains
Les convictions deacutemonologiques de Jean XXII
Linsistance de Jean XXII sur les dangers des invocations deacutemoniaques correspond dans la
pratique judiciaire quil a deacuteveloppeacutee agrave de nombreuses accusations47 lanceacutees agrave titre principal
ou contre des accuseacutes inculpeacutes dabord pour dautres raisons comme leacutevecircque de Cahors
Hugues Geacuteraud larchevecircque dAix Robert de Mauvoisin ou contre le franciscain Bernard
Deacutelicieux accuseacute dentraver gravement le travail des inquisiteurs Le parcours rapide de
certains de ces dossiers nous aidera agrave saisir les preacuteoccupations personnelles du pape en
matiegravere de magie et dinvocations deacutemoniaques
Le 27 feacutevrier 1318 Jean XXII sadressa agrave Bartheacutelemy eacutevecircque de Freacutejus agrave Pierre Tissier
prieur de Saint-Antonin pregraves de Rodez et au preacutevocirct de Clermont-Ferrand pour leur
demander dentreprendre une action selon la proceacutedure sommaire et sans possibiliteacute dappel agrave
lencontre de plusieurs clercs qui sadonnaient agrave laquo la nigromancie la geacuteomancie et autres arts
magiques raquo48 Ces arts de la magie sont eacutetroitement relieacutes agrave linvocation des deacutemons ils sont
laquo des arts de deacutemons deacuteriveacutes dune pestifegravere association des hommes et des mauvais anges raquo
Les magiciens laquo usent freacutequemment de miroirs et dimages consacreacutees selon leur exeacutecrable
rite et se placcedilant en cercle invoquent de faccedilon reacutepeacuteteacutee les deacutemons quils enferment dans les
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
10
Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
9
miroirs les cercles ou les anneaux raquo Par ces invocations les accuseacutes tentent de nuire ou de
preacutedire le futur49
Or un autre aspect de leur activiteacute releveacute dans la suite de la lettre concerne un souci
pontifical laquo ils ne craignent pas daffirmer quagrave laide de boissons ou de nourritures mais
aussi par la profeacuteration dune seule parole il est possible dabreacuteger ou de prolonger la vie des
hommes raquo On pense bien sucircr aux diffeacuterentes recherches et pratiques patronneacutees par les
papes du XIIIe siegravecle en vue dobtenir le prolongement de leur vie que les recherches
dAgostino Paravicini Bagliani ont repeacutereacutees50 Le grand alchimiste anglais John Dastin qui
avait eacutecrit des ouvrages dalchimie pour le cardinal Napoleacuteon Orsini ennemi et familier du
pape envoya agrave Jean XXII une lettre sur lor potable susceptible de prolonger la vie51
Comme lavait montreacute le procegraves de Boniface VIII la frontiegravere eacutetait incertaine entre les arts
magiques et lalchimie entre le juste deacutesir de prolonger la vie des papes et la sournoise
volonteacute de labreacuteger Loctogeacutenaire pontife eacutelu comme pape de transition savait sa vie fragile
et sa succession souhaiteacutee La premiegravere grande affaire judiciaire du pontificat quelques mois
apregraves lavegravenement de Jean XXII mit en cause leacutevecircque de Cahors Hugues Geacuteraud accuseacute
davoir voulu attenter agrave la vie du pape et des cardinaux par le poison mais aussi par la
confection dimages de cire qui avaient reccedilu le nom des victimes et qui furent perceacutees de
coups daiguilles selon leacutevocation assez preacutecise quen donne le pape dans sa lettre de
commission de laffaire le 22 avril 131752 On comprend degraves lors lobsession de Jean XXII
quant aux manipulations surnaturelles de la nature dautant que reacutecemment certains
alchimistes ou meacutedecins dont Arnaud de Villeneuve avaient noueacute des relations fortes avec
les Spirituels franciscains ou avec les clans Orsini et Colonna de la curie
Le procegraves intenteacute au franciscain Bernard Deacutelicieux en 1319 illustre bien cette conjonction
Bernard Deacutelicieux eacutetait poursuivi essentiellement pour ses attaques contre linquisition et ses
tentatives en vue du soulegravevement des citeacutes meacuteridionales contre le pouvoir des inquisiteurs
Laffaire eacutetait deacutejagrave ancienne mais le franciscain avait reacutecemment aggraveacute son cas en prenant
la deacutefense des franciscains spirituels convoqueacutes agrave Avignon en 1317 Or les articles 24 agrave 31 de
son acte daccusation portaient sur ses tentatives de meurtre sur la personne de Benoicirct XI par
le biais des incantations et des actes de magie53 Dans cette liste de griefs pas plus que dans
les accusations contre Robert de Mauvoisin les pratiques magiques de Bernard Deacutelicieux ne
sont rapporteacutees agrave une invocation des deacutemons comme si la magie naturelle neacutetait incrimineacutee
que pour ses fins mauvaises Tout se passe comme si Jean XXII heacuteritier de la fascination de
ses preacutedeacutecesseurs envers la puissance des sciences occultes heacutesitait encore agrave lier la magie agrave
laction deacutemoniaque ce qui expliquerait lurgence et limportance de la consultation de 1320
Quelques anneacutees plus tard ces incertitudes neacutetaient plus de mise Ainsi le 23 aoucirct 132654 le
pape envoya une lettre au cardinal Bertrand de Montfavet lincitant agrave poursuivre une enquecircte
sur Bertrand dAudiran chanoine dAgen qui se livrait agrave pluribus et diversis dampnatis
scientiis et artibus laquo non sans une transgression de la foi catholique du droit canonique et du
droit civil raquo Le suspect usait de livres deacutecritures de vases de verre de terre et de bois en
lesquels il composait des poudres et liqueurs feacutetides laquo Et surtout ce Bertrand en usant et
abusant de ces sciences et arts sefforccedilait de tenter les deacutemons et dinvoquer les esprits malins
et dappliquer agrave cette fin les conjurations et autres choses illicites et condamneacutees raquo Or cette
pratique eacutetait efficace laquo il sensuivait de terrifiants coups de tonnerre eacutebranlements foudres
tempecirctes deacuteluges coups porteacutes par les deacutemons agressions et morts dhommes et autres
innombrables dommages raquo
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Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
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plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
10
Bertrand disposait de complices dont deux sont nommeacutes dans la lettre Ils avaient eacuteteacute pris sur
le fait quand ils emportaient sur des fourches patibulaires deux tecirctes et un bras de pendus Le
laiumlc avait avoueacute et avait eacuteteacute livreacute aux flammes le clerc fut emprisonneacute dans les cachots de
leacutevecircque dAgen Leacutevecircque avait fait conduire Bertrand vers les prisons pontificales dAvignon
Lenquecircte avait eacuteteacute confieacutee agrave Bertrand de Montfavet et au cardinal Pierre Tissier mort depuis
(en 1323) La lenteur dune proceacutedure qui eacutetait entiegraverement entre les mains du pontife montre
bien que Jean XXII cherchait agrave savoir avant de reacuteprimer
Une autre lettre manifeste bien linquieacutetude de Jean XXII devant les mystegraveres surnaturels et
notamment devant la possibiliteacute de transport extraordinaire qui annonce peut-ecirctre un des
aspects les plus spectaculaires du sabbat le vol des deacutemoniaques dans les airs Le 3 mars
1325 Jean XXII sadressa agrave leacutevecircque de Paris le cureacute de la paroisse des Saints Innocents un
soir a disparu de sa chambre fermeacutee au verrou de linteacuterieur Le pape demande une enquecircte
summarie simpliciter ac sine strepitu et figura judicii afin de savoir laquo ougrave ledit recteur est
alleacute ou a eacuteteacute emporteacute ou transporteacute raquo (dictus rector iverit vel asportatus aut translatus
fuerit)55 Le ton presseacute et angoisseacute de la lettre leacutevocation de la possibiliteacute dun transport
surnaturel sans eacutevoquer vraiment le sabbat manifestent en cette mince affaire une reacuteelle
inquieacutetude
Lors de la fameuse controverse sur la vision beacuteatifique que le pape lanccedila en 1331 un des
arguments produits par le pape pour prouver le caractegravere partiel et limiteacute du jugement
individuel consiste agrave insister sur lactiviteacute libre des deacutemons avant le Jugement dernier En
1332 dans un sermon le pape dit laquo En effet les damneacutes cest-agrave-dire les deacutemons ne
pourraient nous tenter sils eacutetaient reclus en enfer Cest pourquoi il ne faut pas dire quils
reacutesident en enfer mais bien dans la totaliteacute de la zone dair obscur dougrave leur est ouverte la
voie pour nous tenter raquo56
Portrait de Jean XXII en suppocirct du deacutemon
Si Jean XXII fut aussi acharneacute agrave poursuivre les deacutemons et leurs adorateurs cest sans doute
aussi parce quil fut lui-mecircme parfois preacutesenteacute comme une creacuteature de lAnteacutechrist ou du
diable notamment dans les divers milieux influenceacutes par les franciscains spirituels (beacuteguins
fraticelli) Cette qualification relevait en partie de linjure en partie de la conviction En effet
dun cocircteacute les franciscains spirituels adeptes de la plus haute pauvreteacute qui avaient joui dune
relative tranquilliteacute sous le pontificat de Cleacutement V subirent la reacutepression violente de
Jean XXII degraves le deacutebut de son pontificat quatre franciscains spirituels furent brucircleacutes agrave
Marseille en 1318 une seacuterie de bulles de 1317 agrave 1328 condamnegraverent certains groupes puis
la doctrine mecircme de la pauvreteacute absolue et de son fondement christique On en arriva au
schisme de 1328 quand Michel de Ceacutesegravene et quelques fregraveres senfuirent dAvignon pour
rejoindre la cour de lempereur Louis de Baviegravere qui creacutea le bref pontificat schismatique de
Nicolas V Dans la masse des eacutecrits de combat des franciscains le pape prit souvent une
figure satanique
Mais il y avait plus Dans les eacutecrits de Pierre de Jean Olivi qui fut linspirateur principal de
ces mouvements se manifestait la conviction que le temps preacutesent eacutetait celui du passage agrave la
sixiegraveme peacuteriode de lhistoire de lEacuteglise lui-mecircme annonciateur du troisiegraveme et dernier acircge de
lhumaniteacute En lisant lApocalypse Olivi avait deacutecouvert que lAnteacutechrist dont la deacutefaite
ultime devait ouvrir une longue peacuteriode de paix avant la fin des temps se deacutedoublait en un
Anteacutechrist laquo mystique raquo (cest-agrave-dire cacheacute) et le grand Anteacutechrist manifeste Cet Anteacutechrist
mystique devait probablement ecirctre un pseudo-pape Si Olivi mort en 1298 navait pas pousseacute
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
13
citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
14
linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
15
connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
11
plus loin lidentification ses disciples confirmeacutes par les perseacutecutions proceacutedegraverent agrave cette
assimilation du pape agrave lAnteacutechrist mystique
Sur ce point un teacutemoignage curieux livre un veacuteritable reacutecit fondateur et mythique sur les
origines de la haine de Jean XXII contre les spirituels franciscains En 1333 le chevalier
roussillonnais Adheacutemar de Mosset fut poursuivi pour ses sympathies beacuteguines agrave linitiative
du roi Jacques II de Majorque57 Le roi dans son troisiegraveme article daccusation rapporte un
souvenir personnel Un jour quil voyageait en compagnie dAdheacutemar la conversation vint sur
le pape Jean XXII et sur les perseacutecutions contre les spirituels que le chevalier reprochait fort
au pontife Adheacutemar demanda au roi sil savait pourquoi le pape qui au deacutebut de son
pontificat avait eacuteteacute une homme saint et bon en eacutetait arriveacute lagrave Jacques ne le savait pas mais le
chevalier le lui apprit Jean XXII aimait alors beaucoup Angelo Clareno lun des principaux
dirigeants des spirituels Un jour il lui demanda dinterroger Dieu pour savoir si son eacutetat
(status) Lui plaisait ou non58 Angelo se mit en priegraveres et laquo vit alors une grande foule de
diables qui portaient un calice plein du poison diniquiteacute il leur demanda ougrave ils allaient et ce
quils allaient faire de ce calice Ils lui reacutepondirent quils allaient aupregraves du pape pour faire
leur possible afin quil boive le calice diniquiteacute raquo Angelo leur demanda de passer le voir sur
le retour ce quils firent Ils lui apprirent alors que le pape avait bu et ils conseillegraverent agrave
Angelo de se garder deacutesormais de lui Au sortir de cette vision le pape demanda agrave Angelo le
reacutesultat de sa consultation le franciscain refusa de parler mais reccedilut lordre au nom du
principe dobeacuteissance de livrer ses informations ce quil fit laquo Et depuis ce temps lagrave le
seigneur pape lui voulut du mal agrave lui et aux autres Beacuteguins raquo Adheacutemar de Mosset qui avait
eacuteteacute au service de Philippe de Majorque reacutegent du royaume sous la minoriteacute de Jacques II et
partisan actif des Beacuteguins eacutetait probablement un sympathisant des dissidents sans ecirctre
directement engageacute dans leur combat et sans avoir de formation theacuteologique ni exeacutegeacutetique il
est probable quil transmettait une anecdote largement reacutepandue Si lon perccediloit mieux le
deacuteveloppement dun engagement personnel du pape il reste agrave comprendre les modaliteacutes de sa
lutte
Le positivisme de Jean XXII
Pourquoi qualifier dheacutereacutesie la magie ou linvocation des deacutemons Parce que les adorateurs
des deacutemons produisent de nouveaux faits susceptibles dengendrer de nouvelles adheacutesions Il
faut insister sur cette notion de factum hereticale brandie dans les questions poseacutees aux
theacuteologiens en 1320 qui rompt avec lideacutee commune de lheacutereacutesie comme opinion ou comme
intellectus Il ne sagit pas seulement dune extension qui trouverait dans les pratiques
sacrilegraveges un fondement doctrinal Jean XXII navait nul besoin de cette qualification pour
reacuteprimer seacutevegraverement les actes magiques et deacutemonolacirctriques
Le pape croyait en la force des faits en droit comme en theacuteologie Ainsi en mai 1330 il
sadressa au roi de France pour lui demander dinterdire la pratique de la preuve par combat
judiciaire ou duel59 en notant que laquo par de telles pratiques la veacuteriteacute nest pas prouveacutee raquo (per
taliaveritas non probatur) Le pape au nom de lexpeacuterience maicirctresse des choses (magistra
rerum experiencia) fait remarquer au roi quen cas daccusation de fausse monnaie jamais le
souverain ne se contenterait dune telle preuve preacuteciseacutement parce quen ce cas les faits
mateacuteriels et la veacuteriteacute pure importent
La construction mecircme de faits ineacutedits est une menace pour la foi Car ce sont les faits qui
induisent la confiance et la foi La qualification traditionnelle de lheacutereacutesie en sen tenant au
rejet des opinions orthodoxes ne considegravere pas le processus qui conduit agrave la foi Devant
12
lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
13
citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
14
linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
15
connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
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lextrecircme diversiteacute des opinions et des eacutecoles il faut sen tenir aux faits Jean XXII
exactement comme Guillaume dOckham aboutit agrave la conclusion que la foi repose sur une
certaine confiance accordeacutee agrave lensemble de la tradition chreacutetienne et corroboreacutee par les faits
livreacutes par lEacutecriture La foi repose sur un contrat de confiance Un des reproches les plus
veacuteheacutements quil adresse aux franciscains cest de pieacutetiner les donneacutees factuelles de lEacutecriture
Dans lEacutevangile Jeacutesus a posseacutedeacute des biens et a confieacute sa bourse agrave Judas Or par des artifices
dinterpreacutetation ils aneacuteantissent ces faits au beacuteneacutefice de leur interpreacutetation Les grandes
bulles de condamnation de la doctrine franciscaine de la pauvreteacute absolue insistent sur cette
destruction des donneacutees factuelles qui fondent les articles de foi60 Dans la bulle Cum inter
nonnullos (12 novembre 1223) le pape disait
Laffirmation selon laquelle le Christ et les apocirctres nont rien posseacutedeacute ni en commun ni
individuellement nous jugeons par un eacutedit perpeacutetuel et en suivant lavis de nos fregraveres que
quand elle est reacutepeacuteteacutee avec obstination elle doit ecirctre tenue pour erroneacutee et heacutereacutetique car
comme elle contredit expresseacutement lEacutecriture sacreacutee qui en plusieurs lieux affirme quils ont
eu quelque possession elle implique que cette Eacutecriture sacreacutee par laquelle sont prouveacutes les
articles de la foi orthodoxe contient ouvertement sur ce sujet le germe du mensonge et que
en tant que telle elle eacutevacue toute confiance en lEacutecriture et rend la foi catholique douteuse et
incertaine en supprimant sa force probatoire61
Plus geacuteneacuteralement les franciscains spirituels en imaginant que le Christ et les apocirctres
pratiquaient un usage laquo de fait raquo sans aucune appropriation juridique construisaient une
fiction qui ne trouvait aucun reacutepondant aucune veacuterification dans la laquo nature des choses raquo
(natura rerum) ougrave la consommation des biens repose soit sur un droit soit sur un deacutelit Leur
usage du mot laquo fait raquo renversait lordre naturel du monde Les franciscains devenaient
heacutereacutetiques en rejetant les faits eacutevangeacuteliques et en reconstruisant leurs propres faits gracircce agrave
leur ideacuteologie forte et gracircce agrave lidentiteacute collective quils creacuteaient Les adorateurs des deacutemons
nagissaient pas autrement on le verra
Donc pour Jean XXII un fait est un fait Comment comprendre ce positivisme qui semble
anachronique sans le reacuteduire aux fantaisies singuliegraveres du vieux pontife
Leacutemergence du fait
Pour saisir ce tournant il faut sans doute partir du jugement moral et non pas du jugement
eacutepisteacutemologique des conduites humaines plus que des processus physiques Chacun le sait le
XIIe siegravecle entre Pierre Abeacutelard et Pierre le Chantre a produit une morale de lintention Mon
hypothegravese est que cest cette morale qui a construit la notion de fait en neutralisant
leacuteveacutenement Jean est tueacute Paul la tueacute Ceci est un eacuteveacutenement La theacuteologie morale de
lintention affirme que cet eacuteveacutenement ne signifie rien en lui-mecircme avant quil ne soit qualifieacute
selon lintention de Paul qui construit leacuteveacutenement comme meurtre (il a voulu et preacutemeacutediteacute cet
acte par leffet dune vieille haine) ou bien comme coups et blessures porteacutes sans intention de
meurtre (agrave la suite dune rixe par exemple) comme accident (Paul au cours dune chasse
visait un gibier) comme acte meacuteritoire (Paul a deacutebarrasseacute la chreacutetienteacute dun perseacutecuteur sur le
modegravele de Judith tuant Holopherne) Leacuteveacutenement laquo mort de Jean raquo videacute de sa signification
intrinsegraveque devient ce que jappelle un fait faible un reacutesidu irreacuteductible de reacutealiteacute
Ce relativisme dAbeacutelard doit se relier eacutetroitement au principe naissant de lenquecircte
contradictoire Le premier texte qui proclame la neacutecessiteacute de cette enquecircte se trouve dans la
preacuteface du Sic et non On sait que cet ouvrage en dehors de sa preacuteface ne contient que des
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citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
13
citations contradictoires sur une seacuterie dobjets mais on na pas releveacute que ces objets ne sont
pas toujours des opinions theacuteologiques mais aussi des faits (comme par exemple
lemplacement geacuteographique de la tombe des patriarches)
Au cours du XIIIe siegravecle se produisit une reacuteaction progressive contre la morale de lintention
une tentative dobjectivation du jugement moral et judiciaire Ce pheacutenomegravene tient
probablement au mouvement de reacutedaction des textes normatifs et agrave la constitution du droit
comme science de plus en plus indeacutependante de la theacuteologie morale62 Le fait fut penseacute
comme un reacutesidu neacutecessaire agrave lindeacutependance transcendante du droit que la caste des juristes
tentaient dextraire des contingences et des compromissions des affaires courantes Mais
lattachement agrave la factualiteacute tenait aussi agrave une reacuteaction de lEacuteglise contre les entreprises
heacutereacutetiques appuyeacutees sur une pratique du secret et de la double entente Le sanctuaire de
linteacuterioriteacute pouvait apparaicirctre comme une cache de malfaiteurs Les poursuites contre les
cathares et les beacuteguins le montrent clairement les inquisiteurs mirent au point des techniques
de repeacuterage de la dissimulation Cette eacutevolution tendait donc agrave remplacer le fait faible des
morales de lintention par le fait fort des tribunaux denquecircte Est-ce agrave dire quau tribunal toute
excuse quant agrave la circonstance de laction eacutetait rejeteacutee Certes pas mais les circonstances
furent elles-mecircmes objectiveacutees On en donnera deux exemples la notion dirresponsabiliteacute
accordeacutee agrave des classes repeacuterables dindividus (les fous les enfants les somnambules) fut
deacutefinie au deacutebut du XIVe siegravecle par une deacutecreacutetale de Cleacutement V63 Par ailleurs dans la
proceacutedure inquisitoire lenquecircte preacutealable sur la reacuteputation (fama) des individus suspects
deacuteleacuteguait agrave une communauteacute exteacuterieure leacutevaluation des motifs avant que lenquecircte en veacuteriteacute
ne mette en correacutelation cette eacutevaluation avec des faits preacutecis Certes la fama fut largement
induite par les poursuites elles-mecircmes mais les juges tenaient agrave son caractegravere objectif et
mesurable Dans les procegraves inquisitoires en canonisation comme en matiegravere criminelle ou
heacutereacutetique les juges ou commissaires demandent freacutequemment aux teacutemoins de deacutefinir le sens
du mot fama son lieu dorigine son extension Certains allaient mecircme jusquagrave demander au
teacutemoin deacutevaluer quantitativement le nombre minimal dopinions ou de murmures neacutecessaires
pour constituer une reacuteputation
Ce positivisme meacutedieacuteval dont nous avons tenteacute de repeacuterer les racines juridiques et morales
peut-il ecirctre relieacute agrave une eacutevolution plus globale que lon pourrait saisir dans lhistoire des
sciences La question est deacutelicate car la physique dominante inspireacutee dAristote sattachait
davantage aux causes quaux pheacutenomegravenes comme la montreacute Alexandre Koyreacute Le
pheacutenomegravene eacutetait essentiellement reacuteductible Pourtant un certain deacuteveloppement de la
factualiteacute scientifique sobservait preacuteciseacutement en ces derniegraveres anneacutees du XIIIe siegravecle soit du
cocircteacute des ingeacutenieurs comme le ceacutelegravebre Pierre de Maricourt qui deacutecrivait et expeacuterimentait les
proprieacuteteacutes de laimant en vue de lameacutelioration de la boussole Un grand penseur comme
Roger Bacon grand chantre de lexpeacuterimentation reacuteussissait agrave conjoindre dans son œuvre la
theacuteologie loptique et lalchimie en traquant des faits par lobservation La cateacutegorie fourre-
tout des laquo merveilles raquo (mirabilia) commenccedilait agrave seacutetioler au profit dune extension simultaneacutee
des pheacutenomegravenes miraculeux et des pheacutenomegravenes naturels Enfin une physique non-
aristoteacutelicienne raisonnant sur des cas-limites relevant dune factualiteacute reacuteelle mais rare se
mettait en place64
Lenquecircte et le fait
Sur le plan des poursuites judiciaires la notion de fait tendit agrave simposer quand agrave partir des
anneacutees 1230 la recherche des heacutereacutetiques au sein de populations largement complices prit un
caractegravere massif et exigea des critegraveres plus larges et des meacutethodes plus efficaces que
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linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
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connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
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en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
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quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
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images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
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soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
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deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
14
linterrogatoire individuel Un mandement de larchevecircque de Tarragone fut reacutedigeacute en mai
124265 avec laide du dominicain Raymond de Penyafort le grand juriste qui devint aussi
maicirctre geacuteneacuteral de lordre des precirccheurs afin laquo que lon procegravede plus clairement quant au fait
dheacutereacutesie (circa factum heresis) raquo Certes le mot factum a encore ici le sens dimputation
judiciaire quil avait dans le droit romain mais le deacutetail du mandement montre bien quil
importait deacutesormais de consideacuterer des actes qui ne relevaient pas directement de la croyance
Le texte en effet distingue sept classes de population relieacutees agrave lheacutereacutesie66 Or seule la
premiegravere est nommeacute heacutereacutetique parce quelle professe des croyances en perdurant dans lerreur
La seconde cateacutegorie les laquo croyants raquo (credentes) est assimileacutee aux heacutereacutetiques (il faut sans
doute comprendre quils sont mis agrave part avant lavertissement salutaire qui les transforme en
cas de refus dabjurer en heacutereacutetiques proprement dits) Ensuite viennent les laquo suspects raquo
dheacutereacutesie Seuls des actions et des faits construisent cette qualification eacutecouter la preacutedication
ou les confeacuterences des heacutereacutetiques (en ce cas il sagit dinsabbatici heacutereacutetiques difficiles agrave
identifier et qui sont citeacutes en compagnie des Pauvres de Lyon et des Vaudois) sagenouiller en
leur compagnie Un eacuteleacutement de croyance peut pourtant ecirctre ajouteacute les suspects croient que
les heacutereacutetiques en question sont de laquo bons hommes raquo Suivant la reacutepeacutetition des actes la
suspicion sera simple veacuteheacutemente ou tregraves veacuteheacutemente Viennent ensuite les complices passifs
les laquo non-deacutenonciateurs raquo (celatores) qui sabstiennent de reacuteveacuteler la preacutesence publique
dheacutereacutetiques les laquo dissimulateurs raquo (occultatores) laquo qui ont fait pacte de ne rien reacuteveacuteler raquo
(fecerunt pactum de non revelando) les laquo hocirctes raquo (receptatores) qui reccediloivent chez eux au
moins deux fois des heacutereacutetiques ou des reacuteunions dheacutereacutetiques les laquo deacutefenseurs raquo (defensores)
qui prennent le parti des heacutereacutetiques par la parole ou par le fait (verbo vel facto) soit par le
discours soit par une aide mateacuterielle67 Ces quatre derniegraveres cateacutegories sont rassembleacutees sous
la qualification de laquo soutiens raquo (fautores) de lheacutereacutesie Les deacutelits lieacutes aux heacutereacutesies sont pour
Raymond susceptibles de degreacutes (magis vel minus) alors que lheacutereacutesie proprement dite
implique une structure strictement binaire ougrave le vrai soppose agrave lerreur Lagrave encore cest le
droit qui construit par opposition le fait par opposition au ministegravere du confesseur qui in
foro conscientiae traite le continuum des fautes et manquements la tacircche de linquisiteur in
jure consiste agrave reacuteduire agrave la pureteacute binaire de lincrimination une foule de circonstances et
daction floues Plus tard dans le siegravecle la notion de laquo preacutesomption de droit raquo accrut encore
cette tendance
Mais lheacutesitation est encore grande le quatriegraveme point de la consultation porte sur la
qualification comme heacutereacutetique de celui qui embrasse un heacutereacutetique ou qui prie en sa
compagnie ou le cache laquo doit-il ecirctre jugeacute comme croyant en lerreur de lheacutereacutetique raquo La
reacuteponse eacutetait neacutegative Pourtant plus loin le texte suggegravere que les ossements de ceux qui ont
soutenu lheacutereacutesie doivent ecirctre exhumeacutes parce que laquo le soutien (fautoria) est la suite et le
compleacutement de lheacutereacutesie raquo Quelques anneacutees plus tocirct en 1235 dans un des premiers textes
consacreacutes aux regravegles de linquisition Raymond de Penyafort consideacuterait que ceux qui
heacutebergeaient des heacutereacutetiques (en loccurrence des Vaudois) devaient ecirctre jugeacutes comme
heacutereacutetiques parce quils croyaient que lEacuteglise se trompait en poursuivant les heacutereacutetiques68
On le voit la tentation eacutetait grande depuis les deacutebuts de linquisition de construire des faits
heacutereacutetiques Lorsque le 14 juin 1303 Guillaume de Plaisians preacutesenta au Louvre ses
accusations contre le pape Boniface VIII il lui reprocha davoir extorqueacute agrave des precirctres la
reacuteveacutelation de secrets confieacutes en confession pour les divulguer et les utiliser Il conclut cet
article en disant laquo En raison de cela il semble avoir eacuteteacute heacutereacutetique quant au sacrement de
peacutenitence (propter quod in sacramento penitentie hereticare videtur) raquo Cest donc bien un
acte manifesteacute par le verbe actif laquo heacutereacutetiquer raquo qui passe pour manifestation dheacutereacutesie
Comme le note Jean Coste dans son eacutedition du laquo procegraves raquo le cardinal Pietro Colonna qui
15
connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
15
connaissait mieux le droit canonique avait ajouteacute dans la reacutedaction dun article analogue laquo le
mecircme Boniface proclamait de faccedilon doctrinale (dogmatizabat) quil avait le droit dagir
ainsi raquo69
En 1308-1309 lauteur dune nouvelle seacuterie darticles daccusation contre la meacutemoire de
Boniface que Jean Coste attribue agrave Nogaret70 introduit une distinction alors ineacutedite qui fut
reprise cinquante ans plus tard par Nicolas Eymerich71 entre les articles heacutereacutetiques les
erreurs relatives agrave un point de fait deacutejagrave condamneacute (facti damnati errores) et les opinions Mais
la simple mention de cette distinction sans application preacutecise ne permet pas de consideacuterer
que la notion de laquo fait heacutereacutetique raquo se deacuteveloppait veacuteritablement
Les juges deacuteleacutegueacutes au procegraves de Bernard Deacutelicieux en 1319 franchirent ce pas du moins
dans leur acte daccusation du 23 octobre 1319 ils ouvraient leur accusation en deacuteclarant sur
un ton tregraves leacutegislatif mais sans aucune alleacutegation de droit que tout homme seigneur puissant
ou juge qui oserait libeacuterer les prisonniers de linquisition refuser dexeacutecuter ses mandats
empecirccher la sentence ou le procegraves ou sopposer en quelque faccedilon agrave la poursuite des
heacutereacutetiques laquo encourt ipso facto une sentence dexcommunication et sil lencourt avec une
volonteacute reacutesolue pendant un an est alors condamneacute comme heacutereacutetique raquo72
Questions de proceacutedure
Face agrave la menace deacutemoniaque il importait dagir efficacement et rapidement mais ces deux
exigences eacutetaient contradictoires car lefficaciteacute supposait le lent et difficile eacutetablissement de
la veacuteriteacute Le pontife disposait dune multitude de solutions judiciaires qui impliquaient agrave la
fois des diffeacuterences dans les types de proceacutedure dans les ressorts juridictionnels et dans les
modaliteacutes de lenquecircte
LEacuteglise favorisait le deacuteveloppement de la proceacutedure inquisitoire (par enquecircte) au deacutetriment
du mode accusatoire selon un mouvement initieacute par des deacutecreacutetales dInnocent III agrave partir de
1198 dont la maturation se lit dans le canon 8 du concile de Latran IV (1215) On le sait la
proceacutedure accusatoire dominante jusquau XIIe siegravecle et qui a poursuivi sa carriegravere dans la
Common Law britannique et ameacutericaine reacuteserve lincrimination agrave un accusateur qui sengage
sur cette accusation et peut en pacirctir Le juge ou le jury se contente darbitrer Les deux
moments de laction sont constitueacutes par la construction minutieuse de la cause qui doit ecirctre
rigoureusement deacutefinie (en termes romains il sagit de la phase de litis contestatio) et par la
deacutelibeacuteration La proceacutedure inquisitoire en revanche favorise laccusation doffice formuleacutee
par un juge ou un prince agrave la suite dune laquo diffamation raquo deacuteriveacutee de leacutecoute dune rumeur
accusatrice Le procegraves met en œuvre deux enquecirctes successives la premiegravere eacutetablit cette
fama cette reacuteputation bonne ou mauvaise qui permet linculpation ou la relaxe la seconde
enquecircte construit la veacuteriteacute des faits porteacutes par la fama
Plusieurs ressorts juridictionnels pouvaient prendre en charge les invocateurs du deacutemon la
justice eacutepiscopale avec ses divers tribunaux le tribunal de linquisition et des commissions
pontificales ad hoc Linquisition fut creacuteeacutee par le pontificat agrave partir de 1233 en vue de
poursuivre lheacutereacutesie et elle garda longtemps cette speacutecialisation qui impliquait un recrutement
de juges plus theacuteologiens que juristes Il est difficile de porter un jugement serein sur
linquisition meacutedieacutevale tant son image a fait lobjet de controverses violentes Certains
meacutedieacutevistes ont tenteacute non sans quelques raisons de rejeter la folie perseacutecutrice associeacutee agrave
cette image Edward Peters a montreacute comment avait pu se construire dans la suite des temps
un veacuteritable mythe noir de linquisition73 un article retentissant de Richard Kieckhefer a mis
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
16
en doute la reacutealiteacute institutionnelle de linquisition74 De fait lopinion commune a souvent
confondu les reacutealiteacutes implacables de lInquisition romaine (creacuteeacutee en 1542) et surtout de
lInquisition castillane (institution eacutetatique fondeacutee en 1481-1482) avec les tentatives limiteacutees
et souvent incoheacuterentes de linquisition meacutedieacutevale Pourtant linquisition meacutedieacutevale a bien
existeacute comme institution puissante en deacutepit de sa faible assise Linquisiteur eacutetait nommeacute par
le saint Siegravege mais demeurait eacutetroitement lieacute agrave lordre religieux dont il provenait (lordre
dominicain pour lessentiel mais aussi lordre franciscain et dans une moindre mesure
lordre des carmes) Sa pratique quotidienne le mettait en relation eacutetroite avec le pouvoir
seacuteculier
Les commissions speacuteciales du pape deacuterivaient en un sens de la justice deacuteleacutegueacutee des pontifes
instaureacutee depuis le XIIe siegravecle mais elles prirent une importance particuliegravere sous le pontificat
de Jean XXII pour des raisons que nous examinerons plus loin Limportance des faits
deacutemoniaques conduisit Jean XXII agrave lever beaucoup de garanties judiciaires et gracieuses75 et
agrave confier les affaires de complot avec soupccedilons magiques ou deacutemonologiques agrave des
commissions pontificales qui se reacuteclamaient de la proceacutedure sommaire La notion de
proceacutedure sommaire sest lentement deacuteveloppeacutee depuis la fin du XIIe siegravecle dans le droit
canonique Il sagissait de formaliser les efforts des deacutecennies preacuteceacutedentes en matiegravere
darbitrage ou de compromis internes agrave lEacuteglise en reacuteaction aux excegraves de juridisme qui avaient
eacuteteacute deacutenonceacutes par saint Bernard dans son retentissant traiteacute De consideratione La notion
dlaquo eacutequiteacute canonique raquo eacutetait opposeacutee agrave la rigor iuris des civilistes La proceacutedure trouva
lentement sa forme agrave partir deacuteleacutements eacutepars dans le droit romain par agglomeacuteration de
clausules indeacutependantes si les parties eacutetaient daccord la cognitio summaria (traduite dans
nos textes par ladverbe summarie ou simpliciter) impliquait dalleacuteger les charges de preuves
on pouvait se contenter de preuves laquo semi-pleines raquo (un simple serment un teacutemoin ou un
document unique) et de la phase proprement proceacutedurale dun procegraves la reacutedaction dun
laquo livret raquo (libellus) et le deacutebat de la litis contestatio (qui eacutetablissait les rocircles judiciaires et les
enjeux du procegraves) devenaient facultatifs La mention dune proceacutedure de plano qui renvoyait
agrave linutiliteacute de sieacuteger formellement en tribunal insistait davantage sur la rapiditeacute et labsence de
formes externes Enfin les clausules sine strepitu judiciorum (sans le vacarme des procegraves) et
sine figura judicii (sans la forme du procegraves) compleacutetaient cette simplification en insistant sur
la suppression des avocats et des formes bruyantes dopposition et de recours
Agrave leacutepoque de Jean XXII cette formalisation de larbitrage eccleacutesiastique venait agrave peine de
sachever par la publication de deux deacutecreacutetales de Cleacutement V Dispendiosam produite pour le
concile de Vienne en 1311-1312 et Saepe reacutedigeacutee en 1314 Dispendiosam76 deacuteclarait de
faccedilon fort bregraveve que la proceacutedure sommaire pouvait sappliquer dune part aux cas deacutejagrave preacutevus
par le droit canonique du XIIIe siegravecle quant aux affaires propres de lEacuteglise (laquo eacutelections
demandes et provisions attributions de digniteacutes de fonctions de charges de canonicats de
preacutebendes et autres beacuteneacutefices eccleacutesiastiques raquo et contentieux sur les dicircmes) mais aussi sur les
questions de mariage et dusure Cette extension eacutetait consideacuterable et aboutissait agrave fournir la
possibiliteacute de proceacutedure sommaire pour la quasi totaliteacute des affaires eacutevoqueacutees par lEacuteglise
Seules les successions neacutetaient pas mentionneacutees mais elles interfeacuteraient neacutecessairement avec
les causes matrimoniales La deacutecreacutetale Saepe77
deacutetaillait plus longuement les particulariteacutes de
la proceacutedure sommaire et reacutesumait soigneusement les traits assembleacutes depuis pregraves dun siegravecle
Lusage parallegravele de la proceacutedure sommaire en matiegravere de poursuite de lheacutereacutesie ne se laisse
pas facilement deacutechiffrer car la filiation par rapport agrave la doctrine de larbitrage y perd tout
sens Le seul point commun des deux usages tient au rocircle essentiel du juge chargeacute agrave la fois de
la proceacutedure de linstruction et de la deacutecision Pourtant ce nest pas avant la deacutecreacutetale Statuta
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
17
quedam promulgueacutee par Boniface VIII dans son Liber Sextus en 1296-1298 que la proceacutedure
sommaire fut accordeacutee explicitement agrave la proceacutedure inquisitoriale laquo En collationnant certains
statuts de nos preacutedeacutecesseurs dheureuse meacutemoire Innocent Alexandre et Cleacutement et en
interpreacutetant et ajoutant certains points nous accordons que dans les affaires dinquisition sur
la perversion heacutereacutetique il puisse ecirctre proceacutedeacute de faccedilon simple et informelle sans vacarme ni
apparence des avocats et des jugements (procedi possit simpliciter et de plano et absque
advocatorum ac judiciorum strepitu et figura) raquo La suite de la deacutecreacutetale justifie le secret sur
les noms des teacutemoins ou accusateurs pour raison de seacutecuriteacute
Procegraves et majesteacute
Tous les niveaux et distinctions que nous venons desquisser se mecirclaient dans la pratique
judiciaire puisque linquisition se fondait largement sur la proceacutedure inquisitoire tandis que
des eacutevecircques comme Jacques Fournier le ceacutelegravebre eacutevecircque de Pamiers ou Guido Terreni
eacutevecircque de Majorque puis dElne recevaient du pape des fonctions dinquisiteur dans leur
diocegravese
Pourtant Jean XXII navait guegravere confiance dans la justice des eacutevecircques Il savait que les
eacutevecircques pouvaient souvent preacutefeacuterer la paix du diocegravese agrave lexigence de la veacuteriteacute Ainsi agrave
lefficace et zeacuteleacute Jacques Fournier avait succeacutedeacute en 1326 Dominique Grima brillant
theacuteologien ancien assistant inquisiteur de Bernard Gui agrave Toulouse qui sattira le courroux du
pape pour sa neacutegligence dans la poursuite de lheacutereacutesie78 Le pape preacutefeacutera freacutequemment utiliser
des commissions speacuteciales denquecircte et de jugement selon la proceacutedure sommaire plutocirct que
les tribunaux inquisitoriaux Ce fut le cas notamment pour les procegraves de Hugues Geacuteraud de
Robert de Mauvoisin et de Bernard Deacutelicieux Parfois limputation de crime de legravese-majesteacute
permit de donner une latitude encore plus large aux proceacutedures extraordinaires ainsi le 12
avril 1331 sur plainte du roi de France le pape ordonna agrave leacutevecircque de Paris de proceacuteder
contre Hertaud abbeacute dun monastegravere du diocegravese dAutun et contre Jean Albeacutericus dominicain
sur leurs laquo maleacutefices et excegraves raquo (super maleficiis et excessibus) contre le roi et sa cour raquo Il
sagit certainement de pratiques magiques (multis maleficiis) qui attentaient au laquo salut public raquo
et qui en tout cas relevaient du crime de legravese-majesteacute Or le pape en ce cas non seulement
ordonna une proceacutedure sommaire (simpliciter et de plano sine strepitu et figura judicii) mais
leva tous les privilegraveges et garanties des deux religieux autorisant leur arrestation (captionem)
leur incarceacuteration et leur torture (necnon questionibus subici prout a canonibus est
permissum)79
On peut se demander pourquoi Jean XXII fut si reacuteticent agrave confier les causes deacutemoniaques agrave
linquisition au moment mecircme ougrave il tentait dassimiler linvocation des deacutemons agrave lheacutereacutesie La
reacuteponse la plus commune agrave cette question relie ce choix au caractegravere politique de bien des
affaires ougrave le deacutemon semble intervenir comme preacutetexte plutocirct que comme cause De fait les
proceacutedures exceptionnelles qui mecirclent lattentat contre la majesteacute royale ou divine les
accusations dheacutereacutesie et les imputations de sorcellerie ou dinvocation des deacutemons doivent ecirctre
relieacutees agrave la grande vague des procegraves politiques qui avait commenceacute degraves le deacutebut du XIVe
siegravecle cest Philippe le Bel80 qui avait lanceacute degraves 1303 le procegraves contre le pape
Boniface VIII81 accuseacute entre autres davoir invoqueacute les deacutemons et consulteacute des magiciens
puis le roi entre 1306 et 1314 sen eacutetait pris aux Templiers comme adorateurs du diable
Entre 1308 et 1314 Philippe le Bel avait inculpeacute Guichard eacutevecircque de Troyes qui aurait
conspireacute en vue de tuer la reine et dautres personnaliteacutes princiegraveres par lusage de poisons et
dimages magiques82 En 1315 Enguerrand de Marigny qui avait si efficacement collaboreacute agrave
ces procegraves fut lui-mecircme pendu pour avoir nui au roi Louis X et agrave Charles de Valois par des
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
18
images magiques83 Jean XXII prit le relais avec les procegraves contre Hugues Geacuteraud eacutevecircque
de Cahors84 en 1317 contre Mateo et Galeazzo Visconti en 132085 contre les allieacutes de
Federico de Montefeltro dans la Marche dAncocircne86 Dans tous ces cas la parfaite
correspondance entre la graviteacute des accusations et la position antagoniste des inculpeacutes incite agrave
voir dans ces procegraves de simples et cyniques manœuvres ougrave lexception judiciaire doit
confirmer la regravegle politique
Cette interpreacutetation rend imparfaitement compte des reacutealiteacutes leacutecrasement des adversaires ne
fut pas systeacutematique les graves accusations contre Bernard Deacutelicieux quant au meurtre
deacutemoniaque de Cleacutement V ne furent pas assumeacutees dans le jugement contrairement agrave ce qui se
passa pour Hugues Geacuteraud Robert de Mauvoisin sen tira avec une simple eacutejection de son
siegravege archieacutepiscopal Certes les juges avaient quelque autonomie mais on peut penser que le
pape avait eacuteprouveacute de reacuteels doutes quant agrave la culpabiliteacute des accuseacutes Ces interrogations
rendent peut-ecirctre compte de la consultation de 1320 qui relevait moins de la discussion
quodlibeacutetale ou de la colleacutegialiteacute de deacutecision que du besoin dexpertise
Meacutefiance de linquisition
Les choix de proceacutedure de Jean XXII doivent sexpliquer autrement La preacutefeacuterence pour la
forme extraordinaire tient dabord agrave une grande meacutefiance de linquisition Les inquisiteurs
avaient tendance agrave poursuivre sans tenir compte des rangs sociaux ni des circonstances
politiques la fameuse affaire de Jean lArchevesque sieur de Parthenay mecircleacute agrave des pratiques
de sortilegravege vers 1323 le montre bien Linquisiteur seacutetait attaqueacute agrave un personnage puissant
beacuteneacuteficiant de protections royales qui avait reacuteussi agrave obtenir la consultation dun grand juriste
Oldrado da Ponte87 Agrave deux reprises le pape eacutecrivit aux inquisiteurs de Carcassonne pour
leur enjoindre de ne pas tourmenter inutilement les consuls et bourgeois de Montpellier88
Le pape avait pu aussi eacuteprouver lextrecircme impopulariteacute de linquisition patente dans laffaire
Bernard Deacutelicieux un simple agitateur avait failli renverser le pouvoir monarchique franccedilais
en liguant les couches citadines hostiles agrave lintervention des inquisiteurs En 1317-1318 cest
le zegravele excessif de Michel Le Moine inquisiteur franciscain de Provence qui avait enflammeacute
la reacutesistance beacuteguine dans le Midi par lexaltation des martyrs de Marseille En 1321-1322
cest le manque de discernement de linquisiteur Jean de Beaune agrave Beacuteziers qui avait entraicircneacute le
pape sur un terrain impreacutevu Linquisiteur ne mesurait pas toujours la porteacutee de ses actes et
surtout il pouvait agir trop publiquement du moins dans la phase initiale (la proclamation de
lenquecircte) et dans sa phase conclusive (le sermon geacuteneacuteral) ainsi cest la dispute publique
entre linquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune et le lecteur franciscain du couvent de
Narbonne Beacuteranger Talon qui avait provoqueacute la reprise du deacutebat sur la pauvreteacute du Christ
Enfin et surtout linquisition jouissait dune certaine indeacutependance par rapport au pouvoir
pontifical dune part sa nomination deacutependait aussi du bon vouloir du maicirctre geacuteneacuteral des
dominicains ou du ministre geacuteneacuteral des franciscains Dautre part il pouvait agrave loccasion se
rapprocher du pouvoir royal On peut se demander si la diffeacuterence de deacutenomination des
inquisiteurs de Carcassonnne et de Toulouse entre 1320 et 1330 dans les lettres citeacutees plus
haut reacutedigeacutees par Guillaume de Peyre Godin puis par le pape ne traduit pas cette perception
dans le premier cas le cardinal sadresse laquo agrave linquisiteur de la perversion heacutereacutetique de la
reacutegion de Carcassonne raquo dans le second cas il sagit de laquo linquisiteur de la perversion
heacutereacutetique deacuteputeacute par le Siegravege apostolique dans le royaume de France en reacutesidence agrave
Carcassonne raquo Le soin de cette seconde formulation insiste sur le fait que lorigine du pouvoir
inquisitorial se trouve bien dans le pontificat De fait linquisition meacuteridionale apregraves les
froissements ducircs agrave laffaire Bernard Deacutelicieux ougrave les officiers royaux avaient toleacutereacute ou mecircme
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
19
soutenu le trublion franciscain avait eacuteteacute largement instrumentaliseacutee par la monarchie comme
le montrait laffaire des Templiers
En outre le pontife eacutetait fort irriteacute du manque de respect de certains inquisiteurs pour le droit
Ainsi en 1331 il reccedilut et approuva les plaintes de maicirctre Jean Anselme de Gecircnes chirurgien
et de Reacuteginald de Cravant clerc du diocegravese dAuxerre qui avaient eacuteteacute faussement accuseacutes
dheacutereacutesie et de maleacutefices par linquisiteur de France Aubert de Chacirclons et par leacutevecircque de Paris
Hugues Michel de Besanccedilon Le pontife leur reprochait davoir agi sans avoir eacutetabli aucune
infamie anteacuterieure sans respecter lordre judiciaire sans permettre aucune deacutefense leacutegitime89
Il nest pas besoin dimaginer un Jean XXII soucieux de justice par formation professionnelle
comme on la vu lordre du droit permettait deacutetablir soigneusement la veacuteriteacute qui importait
bien davantage que la reacutepression Le cas de la censure du commentaire dOlivi sur
lApocalypse le montre bien le texte eacutetait dangereux puisquil inspirait directement les
Beacuteguins par le biais dabreacutegeacutes et de traductions en langue vernaculaire Le contenu anti-
pontifical de ce texte eacutetait manifeste Pourtant le pape usa directement ou indirectement de
quatre commissions diffeacuterentes durant huit ans (1318-1326) avec un suppleacutement denquecircte
en 1322 avant darriver agrave une condamnation Le reacutesultat reacutepressif eacutetait certainement acquis
degraves 1318 mais il importait de suivre minutieusement les chemins de lerreur Ce souci
apparaicirct clairement dans une lettre adresseacutee par le pape en 1330 agrave Henri Chamayou
inquisiteur de Carcassonne90 qui avait reacuteussi agrave faire arrecircter deux heacutereacutetiques italiens qui
avaient confesseacute leur crime Le pontife feacutelicite chaleureusement linquisiteur mais lengage
fermement agrave poursuivre lenquecircte bien quil ait deacutejagrave en main tous les eacuteleacutements pour les
condamner laquo parce que nous croyons que tu aurais du connaicirctre une veacuteriteacute plus ample
(novisse te plenius credimus veritatem) au sujet de ce pour quoi ils tont eacuteteacute livreacutes nous
voulons et il nous plaicirct quayant Dieu seul devant les yeux tu veilles selon lexigence de la
justice agrave ne pas neacutegliger ce que tu sauras ecirctre adeacutequat en cette affaire raquo
Ces recommandations neacutetaient pas de pure forme la logique de linquisition ne la conduisait
pas vers leacutelucidation neacutecessaire agrave la cause des deacutemoniaques Linstitution demeurait
profondeacutement theacuteologienne et non juriste Le fondement proceacutedural de linquisition reposait
moins sur la poursuite doffice et lenquecircte que sur la troisiegraveme forme de poursuite (agrave cocircteacute de
la proceacutedure inquisitoire et de la proceacutedure accusatoire) deacutefinie par Innocent III au canon 8 du
concile de Latran la deacutenonciation eacutevangeacutelique issue de la correction fraternelle Or la
deacutenonciation orientait la poursuite vers la peacutenitence La confession rapidement obtenue par la
menace la terreur ou la torture conduisait agrave la demande dabsolution chegraverement neacutegocieacutee Il
importait agrave linquisiteur dobtenir au plus vite cette confession sans trop sattarder dans
lenquecircte sur la fama ou sur la veacuteriteacute neutraliseacutee par laveu Paradoxalement un accuseacute avait
de meilleures chances avec les proceacutedures sommaires chegraveres au pape quavec linquisition
parce que la veacuteriteacute pouvait contraindre le pape agrave la mansueacutetude tandis que la meacutecanique de la
culpabiliteacute ineacutevitable de tout peacutecheur entraicircnait tout inculpeacute dans la collectiviteacute peacutenale de
linquisition
Cest peut-ecirctre ces problegravemes de proceacutedure qui ont provoqueacute ce que Jean-Patrice Boudet
appelait plaisamment le laquo retard agrave lallumage raquo dans la poursuite des sorciers au XIVe siegravecle
tant que la papauteacute fut reacuteticente agrave deacuteleacuteguer son pouvoir denquecircte les limites mateacuterielles de la
justice pontificale empecircchegraverent la diffusion capillaire de limputation et de la reacutepression Et
preacuteciseacutement cest labandon forceacute de labsolutisme pontifical apregraves les conciles de Constance
et de Bacircle qui ouvrit les premiegraveres campagnes judiciaires et doctrinales contre les sorciers et
adorateurs du deacutemon dans les anneacutees 1430-1440 Mais le deacuteveloppement rapide de la
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
20
deacutemonologie avait eacuteteacute bien preacutepareacute par un pape qui tenait agrave consideacuterer lucidement les zones
obscures ougrave le deacutemon pouvait passer
Notes de bas de page
1 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted par G Mollat Paris 1926-1927
2 P Paravy De la chreacutetienteacute romaine agrave la Reacuteforme en Dauphineacute Eacutevecircques fidegraveles et deacuteviants
(vers 1340-vers 1530) Rome 1993
3 LImaginaire du sabbat Eacutedition critique des textes les plus anciens (1430 ca-1440 ca)
reacuteunis par M Ostorero A Paravicini Bagliani K Utz Tremp en collaboration avec C Chegravene
Lausanne 1999
4 R KIECKHEFER European Witch Trials Their Foundations in Popular and Learned
Culture 1300-1500 Londres 1976 Carlo Ginzburg commence sa seacuterie explicative des
formes occidentales du sabbat en 1321 mais selon un modegravele totalement opposeacute au nocirctre
5 Bonn 1901
6 L THORNDIKE A History of Magic and Experimental Science vol III New York 1934
p 18 sq
7 Voir N Weill-Parot Les laquo Images astrologiques raquo au Moyen Acircge et agrave la Renaissance
Speacuteculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XV
e s) Paris 2002 p 377-385 et Id
laquo Les intellectuels lEacuteglise et la magie dans la premiegravere moitieacute du xive s raquo (meacutemoire de
maicirctrise Paris I 1990) Je tiens agrave remercier N Weill-Parot pour ses commentaires sur le
preacutesent article
8 laquo Quod cum morte fedus ineunt et pactum faciunt cum inferno Demonibus namque
immolant hos adorant raquo
9 Liber Sextus V II cap 8
10 Cause XXVI qu 5 cap 12 eacuted Friedberg col 1080
11 Voir A Boureau laquo De la feacutelonie agrave la haute trahison Un eacutepisode la trahison des clercs
(version du xiie s) raquo Le Genre Humain 16-17 1988 p 267-291
12 Venise 1595 XLIII 9 p 341-342
13 laquo Simpliciter et de plano ac sine strepitu et figura judicii appellatione remota raquo Lettre
publieacutee par J-M Vidal Bullaire de lInquisition franccedilaise Paris 1913 no 284 p 403-404
14 laquo Nonnulli etiam quandoque litterati in hoc se opponunt pretendentes id ad tuum non
expectare officium secundum canonicas sanctiones raquo
15 J-P Boudet laquo Les condamnations de la magie agrave Paris en 1398 raquo Revue Mabillon n s 12
(t 73) 2001 p 121-157
16 B Hamilton The Medieval Inquisition Londres 1981 p 94
17 Dans une lettre de 1336 adresseacutee agrave lofficial dAvignon Benoicirct XII successeur de
Jean XXII range agrave nouveau les sortilegraveges parmi les crimes qui touchent la foi (J-M Vidal
Bullaire op cit no 153 p 229-230) En 1405 Benoicirct XIII deacuteclare nuls les privilegraveges des
habitants du diocegravese du Puy qui preacutetendaient que linquisiteur de Carcassonne ne pouvait les
poursuivre pour maleacutefices (J-M Vidal Bullaire op cit no 332 p 473-474)
18 La premiegravere eacutedition a eacuteteacute procureacutee par Jean Chappuis en 1500 Pour la formation des deux
collections voir A M Stickler Historia Iuris Canonici Institutiones Academicae T I
Historia Fontium Rome 1950 p 270-271
19 Les seules mentions de la bulle se trouvent on la dit dans le manuel de Nicolas Eymerich
(1376) dans les Annales eccleacutesiastiques de Rinaldi et dans un bullaire romain du xviiie s
20 Voir A MAIER dans laquo Eine Verfuumlgung Johannis XXII uumlber die Zustaumlndigkeit der
Inquisition fuumlr Zauberprozesse raquo Archivium Fratrum Praedicatorum 32 1952 p 226-246
21 A Maier loc cit p 231
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
21
22 Publieacutee par R Manselli laquo Enrico del Carretto e la consultazione sulla magia di Giovanni
XXII raquo dans Miscellanea in onore di Monsignore Martino Giusti t II Vatican 1978 p 97-
129
23 Il est possible aussi que linterrogation doctrinale ait eacuteteacute anticipeacutee par Guido Terreni un
des dix experts de la consultation de 1320 dans son sixiegraveme quolibet laquo Est-ce que celui qui
baptise une chose sans acircme ou sans raison et non pas un homme est heacutereacutetique raquo ms BAV
Borghese 39 fo 238v
o-240v
o que je publie en annexe de la consultation Mais la date de ce
quolibet demeure incertaine
24 laquo Fecisti plantas pedum eiusdem mulieris iuxta carbones accensos apponi raquo texte publieacute
par J-M Vidal Bullaire op cit p 51-52
25 laquo Diu post confessionem debitum nature persoluitverum quia dubitatur ne propter
predicta tormenta citius decesserit quam alias decessisset mulier supradicta si tormentata
minime extitisset raquo
26 laquo Erronea et horrenda contra catholicam fidem fuit confessa et multos consocios et
complices reuelauitque omnia sic inuenta ut communiter creditur numquam reuelata
fuissent nisi mediantibus tormentis eiusdem predicta mulier reuelasset raquo
27 laquo De consilio proborum qui se asserebant uidisse penis examinati hereticos in partibus
Tholosanis raquo
28 J-M Vidal Bullaire op cit no 24 p 53-54
29 Ex certa sciencia sur cette clausule de labsolutisme pontifical voir A Boureau La Loi
du royaume Les moines le droit et la construction de la nation anglaise Paris 2001 avec
renvoi aux travaux de Jacques Krynen
30 Publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit p 61 Une meilleure eacutedition a eacuteteacute procureacutee par
A Maier loc cit p 226-227
31 J-M Vidal Bullaire op cit no 72 p 118-119
32 La commission fut reacuteiteacutereacutee le 8 novembre 1327 ibid no 78 bis p 129-130
33 Voir A Boureau laquo Saints et deacutemons dans les procegraves de canonisation du deacutebut du xive s raquo
agrave paraicirctre dans les actes du colloque de Budapest sur les procegraves de canonisation dir Gaacutebor
Klaniczay
34 B Gui Manuel de linquisiteur eacuted et trad par G Mollat op cit t I p 52
35 Publieacutees par J-M Vidal Bullaire op cit no 103 p 154-156
36 Henri de Chamayou
37 Pierre Brun
38 La qualification dheacutereacutesie de la part du pape agrave propos des invocations deacutemoniaques na
jamais cesseacute Voir par exemple une lettre de 1323 qui deacutesigne des commissaires pour juger
le moine Guillaume de Figeac accuseacute de laquo deacutevier de la foi catholique raquo en pratiquant
lalchimie et la neacutecromancie (J-M Vidal Bullaire op cit no 50 p 87-88)
39 F Graf La Magie dans lAntiquiteacute greacuteco-romaine Ideacuteologie et pratique Paris 1994
40 Voir le reacutecit par Pierre le Veacuteneacuterable vers 1137 dun usage magique de lhostie consacreacutee
par un paysan deacutesireux de retenir ses abeilles Livre des merveilles de Dieu (De miraculis)
introduction traduction et notes de J-P Torrell et D Bouthillier FribourgParis 1992 p 70-
72 Je remercie Charles de Miramon de mavoir signaleacute ce texte
41 Voir les travaux reacutealiseacutes autour de Richard Kieckhefer et Claire Faenger aux Eacutetats-Unis
autour de Jean-Patrice Boudet et Henri Bresc en France notamment
42 Dans sa biographie collective des deux premiegraveres geacuteneacuterations de dominicains eacutecrite au
deacutebut des anneacutees 1260 Geacuterard de Frachet ne rapporte quun seul cas de fregravere qui se voue agrave
lalchimie et il ne trouve agrave lui reprocher que son deacutesir de senrichir rapidement Son activiteacute
consiste alors essentiellement agrave se rendre en Sardaigne pour y collecter des mineacuteraux rares
Son funeste sort ultime ne sexplique que par cet abandon de Dieu au profit de la richesse
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
22
seacuteculiegravere (Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum eacuted par B-M Reichert Rome-Stuttgart
Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica 1897 p 290)
43 La Condamnation parisienne de 1277 eacuted et trad par D Picheacute avec la collaboration de
C Lafleur Paris 1999 p 77
44 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa Turin 1994
45 Preacuteface agrave Le crisi dellalchimia Micrologus 3 1995 p VIII
46 Voir leacutedition du procegraves dans J Shatzmiller Justice et injustice au deacutebut du XIVe s
Lenquecircte sur larchevecircque dAix et sa renonciation en 1318 Rome 1999
47 Voir une lettre de feacutevrier 1330 dans Lettres secregravetes et curiales du pape Jean XXII (1316-
1334) relatives agrave la France eacuted par A Coulon et S Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4100
p 104-105 [abreacutegeacute deacutesormais Coulon-Cleacutemencet] lettre agrave Jean de Badas inquisiteur
franciscain de Marseille sur un crime nefandum commis par Gantalmus Gantalmi notaire et
sa femme Berengegravere instigatione diabolica circumventi agrave lencontre de Guillaume de Baucio
sire de Berre
48 Texte publieacute par J HANSEN Quellen und Untersuchungen op cit no 3 p 2
49 Notons quen 1318 les rites de conseacutecration des miroirs et images paraissent speacutecifiques
alors quen 1320 dans les questions poseacutees par le pape aux experts les invocateurs de deacutemons
utilisent le rite catholique du baptecircme pour preacuteparer leurs images
50 A Paravicini Bagliani Il corpo del papa op cit
51 C H JOSTEN laquo The Text of John Dastins letter to Pope John XXII raquo Ambix 4 1951
p 46-51
52 E Albe Autour de Jean XXII Hugues Geacuteraud eacutevecircque de Cahors laffaire des poisons et
envoucirctements en 1317 Cahors 1904 p 163-164
53 Processus Bernardi Deliciosi The Trial of Fr Bernard Deacutelicieux 3 September-8
December 1319 eacutediteacute par A Friedlander Philadelphie 1996 p 62 Pour une eacutetude complegravete
du dossier voir A Friedlander The Hammer of the Inquisitors Brother Bernard Deacutelicieux
and the Struggle against the Inquisition in Fourteenth-Century France Leyde 2000
54 Coulon-Cleacutemencet no 2969 p 151
55 Coulon-Cleacutemencet no 2395 p 47
56 Sermon sur la vigile de lEacutepiphanie 5 janvier 1332 eacuted par M Dykmans Les Sermons de
Jean XXII sur la vision beacuteatifique Rome (Miscellanea Historiae Pontificiae 34) p 145
57 Les actes du procegraves ont eacuteteacute publieacutes par J-MVidal laquo Procegraves dinquisition contre Adheacutemar
de Mosset raquo Revue dHistoire de lEacuteglise de France 1 1910 Lanecdote se trouve agrave la p 713
58 Ces interrogations sur la laquo situation raquo spirituelle eacutetaient freacutequemment exprimeacutees Dans sa
correspondance avec les grands de ce monde le pape doit souvent reacutepondre agrave ce genre de
question en termes agrave vrai dire assez geacuteneacuteraux
59 Coulon-Cleacutemencet fasc 8 Paris 1965 no 4197 p 126 Lettre analogue en feacutevrier 1331
(no 4452 t 9 p 41)
60 On peut se demander si ce nest pas cette fideacuteliteacute litteacuterale au texte biblique qui a contribueacute agrave
pousser le pape agrave intervenir sur la question de la vision beacuteatifique question ougrave les partisans de
la vision directe de Dieu avant le jugement final ne trouvaient aucun appui scripturaire direct
61 On trouve une formulation parallegravele dans Quia quorumdam mentes (10 novembre 1324)
62 Voir A Boureau laquo Droit naturel et abstraction judiciaire Hypothegraveses sur la nature du droit
meacutedieacuteval raquo Annales HSS 57 6 2002 p 1463-1488
63 Voir A Boureau laquo La redeacutecouverte de lautonomie du corps leacutemergence du somnambule
(xiiie-xiv
e s) raquo Micrologus I 1993 p 27-42
64 Sur toutes ces questions je me permets de renvoyer au chap 8 de mon ouvrage Theacuteologie
science et censure au XIIIe s Le cas de Jean Peckham Paris 1999
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
23
65 Publieacute par J Rius Serra dans Sancti Raymundi de Penyafort opera omnia t III
Diplomatario (Documentos Vida antigua Cronicas Processos antiguos) Barcelone 1954
p 74-82
66 Cette typologie fut reprise par le pape Alexandre IV une dizaine danneacutees plus tard et
eacutediteacutee par Boniface VIII dans le Sexte (L 5 tit 2 cap 2 6 11 eacuted Friedberg II col 1069
1071 1073) Voir aussi le traiteacute Doctrina de modo procedendi erga hereticos (vers 1280)
dans Martegravene et Durand Thesaurus novus anecdotum t 5 Paris 1717 col 1797 et la
Practica de Bernard Gui (p 226-232)
67 Bien avant la creacuteation de lInquisition le troisiegraveme concile de Latran (1179) avait frappeacute
danathegraveme et priveacute de seacutepulture les defensores et receptatores dheacutereacutetiques (Deacutecreacutetales L 5
tit 7 cap 8 eacuted Friedberg II col 1780)
68 Ibid p 29-32
69 Texte eacutediteacute par J Coste Boniface VIII en procegraves Articles daccusation et deacutepositions de
teacutemoins (1303-1311) Eacutedition critique introduction et notes Rome 1995 p 153
70 Nogaret originaire de Saint-Feacutelix-de-Caraman haut-lieu cathare petit-fils dun ministre
heacutereacutetique avait certainement une bonne connaissance de la perseacutecution de lheacutereacutesie en deacutepit
de sa formation de civiliste
71 Directorium op cit seconde partie question 2
72 Processus op cit p 180
73 E PETERS Inquisition Berkeley 1988
74 R KIECKHEFER laquo The Office of Inquisition and Medieval heresy the Transition from a
Personal to an Institutional Juridiction raquo Journal of Ecclesiastical History 46 1995 p 36-
61
75 Ainsi le pape deacutecida de suspendre le droit dasile dans les eacuteglises au deacutetriment des
heacutereacutetiques mais pas speacutecifiquement des auteurs de sortilegraveges (Lettre au roi de France Philippe
VI en 1328 publieacutee par J-M Vidal Bullaire op cit no 79 p 130-131)
76 Eacuted FRIEDBERG t II col 1078
77 Ibid col 1200
78 Voir la lettre dure que lui adressa le pape Jean XXII le 6 octobre 1332 (J-M Vidal
Bullaire op cit no 124 p 184)
79 Coulon-Cleacutemencet no 4539 fasc 9 p 59-60
80 Lattention precircteacutee agrave Philippe le Bel et agrave Jean XXII ne doit pas faire oublier que ce type
daccusation politico-deacutemonologique est deacutepoque comme le montre dans un tout autre
contexte le procegraves intenteacute agrave Walter Langton eacutevecircque de Coventry en 1301-1303 avec
mention dadoration diabolique (voir A Beardwood laquo The Trial of Walter Langton bishop of
Lichfield 1307-1312 raquo Transactions of the American Philosophical Society NS 54 p III
Philadelphie 1964
81 Voir J Coste Boniface VIII en procegraves op cit
82 A Rigault Le Procegraves de Guichard eacutevecircque de Troyes 1308-1313 Paris 1896
83 J Favier Un conseiller de Philippe le Bel Enguerrand de Marigny Paris 1963 Il faut
mentionner peu apregraves le procegraves contre le cardinal Francesco Gaetani poursuivi par les cours
royales pour attentat contre le roi son fregravere et deux cardinaux agrave laide dimages magiques
(voir C Langlois laquo Laffaire du cardinal Francesco Gaetani (avril 1316) raquo Revue historique
63 1897 p 56-71)
84 E Albe Autour de Jean XXII op cit
85 R Michel laquo Le procegraves de Mateo et Galeazzo Visconti laccusation de sorcellerie et
dheacutereacutesie Dante et laffaire de lenvoucirctement (1320) raquo Meacutelanges darcheacuteologie et dhistoire
29 1909 p 269-327
86 F Bock laquo I processi di Giovanni XXII contro i Ghibellini delle Marche raquo Bolletino
dellIstituto storico italiano per il Medio Evo 57 1941 p 19-43
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87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html
24
87 Voir J-M Vidal laquo Le sieur de Parthenay et lInquisition (1323-1325) raquo Bulletin
historique et philologique 1903 p 414-434
88 J-M Vidal Bullaire op cit no 20 p 44 et n
o 76 p 126-127
89 J-M Vidal Bullaire op cit nos
109 et 110 p 167-171
90 J-M Vidal Bullaire op cit no 90 p 144
Alain Boureau
EHESS CRH GAS 54 boulevard Raspail F-75006 Paris
Pour citer cet article
Alain Boureau laquoSatan heacutereacutetique lrsquoinstitution judiciaire de la deacutemonologie sous Jean XXIIraquo
Meacutedieacutevales 44 (2003) httpmedievalesrevuesorgdocument711html