Hérodote (Paris). 1989/07-1989/12.
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Caucase, la grande mêlée (1914-1921)
Stéphane Yérasimos
LeCaucaseréunit tous les ingrédientspour être une région agitée. Les fron-
tièresactuellesy sont encorecompliquées(voircartep. 189).Lieudepassage,c'est
aussiun lieu de refuge; lieu de passage nord-sud par les portes de Fer, quicontrôlentà la hauteur de Derbent la route qui longe le littoral de la mer Cas-
pienne,ces portes de Fer qu'Alexandre le Grand aurait verrouillées, selon les
légendeschrétienneset musulmanespour empêcher le déferlement de Gog et
Magogsur le Moyen-Orient; lieu de passage d'est en ouest par la vallée de
l'Araxe,quipermetde relier facilementTabrizà Erzeroum,la Perse à l'Anatolie.
Lepuzzlecaucasien
Lieuderefuge,il l'est par sesmontagnes.Les innombrablesvalléesqui se creu-sentau nord de la grande chaînedu Caucaseabritent autant de peuplesd'origi-nesdiverses, reliques des grandes invasions, lesquelles, depuis les Scythesjusqu'auxKalmouks(XVIIesiècle),ont traverséd'est en ouest la stepperusse.En
revanche,le petit Caucasedonna refuge, à une époque plus récente, aux Armé-niensfuyant les incessantesguerres turco-persanes. Entre les deux massifs, la
grandefaille, traverséepar le Kura à l'est et le Rioni à l'ouest, est occupéeparlesTurcsAzéris et les Géorgiens.
Al'intérieurde ce schématrès grossier, toute prétention d'exhaustivité seraitvouéeà l'échec. A l'extrême nord, la steppe située entre le Don et la Volga estlepaysdes Tatars Nogai et des Kalmouks, derniers arrivés et islamisésà partirduXVIIesiècle.Plus au sud, adossés aux contreforts nord du grand Caucase et
regardantvers la mer Noire se trouvent les Circassiens,ou Tcherkess,partielle-
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HERODOTE
ment christianiséssous l'influence byzantine et islamisésà partir du XVIIesiècleaussi.On trouve ensuite,en longeantvers l'est lespentes septentrionalesdu Cau-
case, les Karatchai et les Balkars qui sont des Turcs, les Kabardins qui fontpar-tie du groupe circassien,les Ossètes,lesquels,situésà l'endroit où le Caucaseestfranchi du nord au sud par le col de Daryal, débordent égalementsur le versantméridional de la chaîne. Ce sont des Indo-Européens, descendants des AlainsEnsuite viennent lesTchétchèneset les Ingouches,peupleségalementcaucasiens— encorequecettedénominationcouvretous ceuxqui ne sont pas indo-européensou turcs —, et on arriveau Daghestan,qui borde la mer Caspienne,dont la situa-tion depaysde montagneet depassageà la fois en fait un microcosmede lacom-
plexitécaucasienne.Il est ainsi réputé pour avoir la compositionethniquelaplus
complexedu monde. Disonssimplementqu'on y trouve trois grands groupes,les
Avars au nord, les Laks au centre et les Lesgiensau sud, et renonçons d'entrer
dans les détails.
Au sud du grand Caucase,une compositionethnique relativementplus simple
(lestrois grands groupes,Arméniens,Azéris, Géorgiens,plus lesAbkhazes,entre
le Caucase et la mer Noire et les Lazes, apparentés aux Géorgiens, à l'extrême
est de la Turquie actuelle) est contrebalancéepar la complexitépolitique.Les
anciensroyaumes de la Géorgieet de l'Arménie, tiraillés entre ByzantinsetPer-
sans, subissant les invasionsarabes, turques et mongoles, semorcelèrentet fini-
rent par tomber dans l'aire d'influence des Turcs-Ottomans et des Persans.
Au XVIIesiècle, avant l'apparition des Russesdans la région, la situationse
présentegrossièrementde la façon suivante. La Géorgieest diviséeen troisprin-
cipauxroyaumes: celuide Kartli, ayant commecapitaleTiflis (Tbilissi),héritier
de l'ancien royaumegéorgien; au nord-est, celuide la Kakhétie, adosséauCau-
case; à l'ouest, celui de l'Imérethie, autour de Kutais. Les deux premierssont
contrôléspar lesPersans,le troisièmepar lesOttomans.Le littoral de la merNoire
échappeà cesroyaumeset l'on y trouve trois autres principautés, tributairesdes
Ottomans : l'Abkhazie au nord, entre Sotchi et Soukhoumi, la Mingrelieau
milieu, entre Soukhoumiet Poti, et la Gourie au sud, entre Poti et Batoum.Le
Sud-Ouestforme à son tour la double principauté de Samskhé-Saatabago(paysdes Meskhets- pays desAtabeks), dont les souverains, islamisésau XVIIesiècle,
finirentpar être de simplesgouverneursottomans. Il faut enfin ajouter lesrégions
montagnardes autonomes, comme la Svanétie.Le reste, c'est-à-dire l'Azerbaidjan et l'Arménie actuels, est diviséen khanats
musulmans,dépendantde la Perse. Le territoireactuelazerbaïdjanaisabritaitsept
khanats : celuide Gandja, autour de la villedu mêmenom, qui sera appeléeEli-
savetpolpar lesRusseset Kirovabadpar les Soviétiques: celuide Cheki, aunord
de la Kura ; le khanat de Kuba, au bord de la Caspienne, entre le Daghestanet
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CAUCASE,LAGRANDEMELEE(1914-1921)
Baku; le khanat de Baku, autour de la villedu mêmenom ; celui de Chirvan,
englobantle confluentdu Kuraet de l'Araxe ainsique le littoral de la CaspienneausuddeBaku; celuide Karabagh, réunissantle Karabaghmontagneuxactuel
etsapériphérieet celui de Talich, à l'extrêmesud-est.Enfin, plus à l'ouest, le
khanatd'Erivan occupele nord de l'Arménie actuelle,tandis que celui de Nak-
hitchevanréunit l'enclaveactuelleazerbaïdjanaisedu Nakhitchevanau Zangue-
zour,l'extrémitésud de la républiquearménienne.Citonsencore,pour compléterletableau,le khanat de Makuoccupantle territoireiranienenfoncéentrela Tur-
quieet la Russie.
Laconquêterusse
Lapercéerusseversle Caucasedevintpossibleavecla disparitiondeskhanats
mongols,héritiersde la Horded'Or desfilsdeGengisKhan.La conquêtedu kha-natd'Astrakhanpar la Russieau XVIesièclelui donna accèsà la Caspienneet la
frontièrerusso-persanes'établit pendant longtempssur le fleuveTerek. Mais, à
l'ouest,le khanat de Crimée,protégépar lesOttomans, protégeaità son tour les
Tcherkesset les autres peuplesdu nord du Caucase.Les Ottomansfurent obli-
gésderenoncerà cette protectionpar le traité turco-russede 1774et le khanat
deCriméefut absorbépar lesRussesen 1783.L'annéesuivante,la RussieoccupaPetrovsket sa régiondans le Daghestanet établit son protectoratsur le royaumedeKartli,qui venait d'absorber la Kakhétie.LesRussesfondèrentVladikavkazetconstruisirentla route du col de Daryal qui permettait une communicationdirecteavecla Géorgie.Le dernier roi de Kartli légua à sa mort, en 1802,son
royaumeà la Russie.Lesautresprincipautéssuivirent,la Mmgrelieen 1803,l'Imé-rethieet la Gourie en 1804,les Ossètesen 1806,les Abkhazesen 1810,tandis
qu'enmêmetemps les khanats d'Azerbaïdjan étaient enlevésà la Perse.
L'étapesuivantedate desannées1828-1829,quand la Russiesepermetde fairelaguerreà la fois à la Perseet à la Turquie. La premièreperd leskhanats d'Eri-vanet de Nakhitchevan, la seconde la Meskhetie, c'est-à-dire les districts
d'Akhaltsikhet d'Akhalkalaki, et celui de Sourmalou, au sud de l'Araxe. Res-tentlesmontagnardsdu Caucasequi seront soumisaprèsde longuesluttes. Les
peuplesdu Daghestanse révoltentsousla bannièrede cheikhChamyl,qui ne sera
capturéqu'en 1859; les Circassiensdéposentles armes en 1864.De même, des
Géorgiensmontagnardscommeles Svanesne sont annexésqu'en 1858.LeCaucasesera reliéà la Russiepar unevoie ferrée,laquelle,venant du nord-
ouest,longed'abord le piémontseptentrionaldu Caucasejusqu'à Petrovsk, tra-verseensuitelesportes de Fer par Derbentjusqu'à Baku et continue,au-delàde
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HERODOTE
la valléedu Kura jusqu'à Tiflis. Là, ellese diviseen deuxbranches. La premièreatteint la mer Noire à Poti, la secondetraverse le petit Caucasejusqu'à Alexan-
dropol, atteint ensuiteErivan et, suivant la valléede l'Araxe par Nakhitchevanet Djoulfa, arrive à la frontièreiranienne, d'où ellese dirigeversTabriz. Leportde Poti, ensablépar les alluvionsdu Rioni, sera remplacépar celui de Batoum,
conquis lors de la guerre russo-turque de 1877-1878,qui accorde à la Russielestrois districtsde Kars, Ardahan et Batoum, c'est-à-direl'ancien pays desAtabeks
et au-delà.Aprèsla réalisationd'un branchementferroviaireversBatoum,lecom-
merce de la Perse emprunte désormais le chemin du Caucase, abandonnant
l'ancienne route caravanière traversant la Turquie par Trabzon et Erzeroum.
L'exploitationdu pétrolede Baku fait doublerla ligneBatoum-Bakupar un oléo-
duc qui fait de cet axe la colonne vertébrale du Caucase.
L'implantation russe au Caucase crée deuxgrands mouvementsde migration.Les musulmans du nord du Caucase émigrent vers la Turquie et les Armémens
de ce pays s'installentau Caucase.Dans lesgrandesvillescommeTiflisou Baku,les Arméniens forment une bonne partie de la bourgeoisie,mais aussi de l'arti-
sanat, tandis que dans les campagnes,où les grands féodaux géorgienset azens
détiennent la terre, les migrants arméniens s'installent de préférence dansles
régionsmontagneuses, commele Lori, sur la frontière actuelle entre la Géorgieet l'Arménie, le Karabagh ou le Zanguezour. Les conflits avecles Azérisavaient
déjà provoquéune première« guerre » arméno-tatare(nom donnéà l'époqueaux
Azéris) en 1905-1907.
Mais le Caucasedevintsurtout la caissede résonancedu conflitturco-arménien
de la Turquievoisine.Là, lesArménienssubissaientdepuisle milieudu XIXesiècle
le contrecoup de la sédentarisation forcée et de la « pacification » des Kurdes,
entreprisespar les autorités ottomanes, et le mécontentementarménien setrans-
forma progressivementen un mouvementnational, aspirant, comme la plupartdes peuples chrétiensde l'Empire turc, à travers des phases successivesd'auto-
nomie, à son indépendance.Dans cette lutte, l'allié naturel desArméniensfutla
Russie,malgré les incompatibilitéspolitiquesentre l'absolutisme tsariste et l'ins-
piration socialistedes partis armémens, et, vice versa, le mouvementnational
arménien devint l'instrument idéal de l'expansion russe vers l'est de l'Anatolie
et la haute Mésopotamie.En mêmetemps, la Russieavaitbien l'intentiondepéné-trer en Azerbaïdjaniranienet l'accord signéen 1907avecla Grande-Bretagneper-mit un premier partage de la Perse. En contrepartie de l'attribution à la
Grande-Bretagnedes régionspétrolifèresdu Sud iranien, la Russieintégral'Azer-
baïdjan et le sud de la Caspienne dans sa zone d'influence.
L'alliance anglo-russeen vue de la PremièreGuerremondiale condamned'ail-
leurs à terme l'Empire ottoman et les grandespuissancesse préparent à sonpar-
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CAUCASE,LAGRANDEMELEE(19141921)
tagedéfinitif.En prévisionde cet acte final, la Russieavanceet place sespions
surlesfrontièresoccidentalesdu Caucase.En 1912,desémissairesrussesappro-chentSimkoAgha, le chef kurde qui contrôleà partir de Qotur, sur la frontière
turco-persane,la route reliantVanà Tabriz.Inondéde roubleset d'armes, Simko
estcapablede créerune fédérationkurdeallant du montArarat jusqu'auxcontre-
fortsouestde la plaine d'Ourmia. LesKurdescommencentà attaquer les villa-
gesarménienssituésà l'ouest de cette ligne, dans la haute valléede l'Euphrate
(Murat)et autour du lac deVan. Lesprotestationsarméniennes,jointesà la désil-
lusiondespartis arméniensface à la politiquenationalistedes Jeunes-Turcset à
ladéfaiteturque dans la guerredes Balkans,permettentà la Russied'intervenir
énergiquementauprès du gouvernementottoman, pour demanderdes réformes
auprofit des Arméniensdans les six provincesorientalesde l'Empire1. Les
autrespuissancesinterviennentégalementpour ne pas laisserle champlibre à la
Russie.Un projet, établi sans la participationde l'administrationottomane, lui
serasoumiset approuvé, avecquelquesmodifications,au printemps1914.Dans
unensembleoù la populationarménienneatteint le quart de la populationtotale,leprojetprévoit uneparticipationà 50 % dans les assembléeslocaleset des ins-
pecteurseuropéenspour superviserl'administrationturque. Le premierpas vers
l'autonomiearménienneest ainsi franchi.
Lesdébutsde la PremièreGuerre mondiale
Finjuillet 1914,le parti Dachnak, qui est à la pointe du mouvementnational
arménien,convoqueson huitièmecongrèsà Erzeroumquand la guerreéclateen
Europe(la Turquie n'y entrera que le 1ernovembre).A la fin du congrès,une
délégationde personnalités« Jeunes-Turcs» vient proposer aux représentantsarméniensleur participationà la guerrecontrelesRusses,leur offrant encontre-
partieun État autonomecomprenantlesterritoirestranscausienspeuplésd'Armé-niensainsiqu'un certainnombredesdistrictsdesprovincesd'Erzeroum, de VanetdeBitlis.Les responsablesarméniensrépondentque leparti Dachnaka choisilaneutralité2. Au même moment, le catholicos d'Etchmiadzin, patriarche detouslesArméniens,lance un appel vibrant à Vorontzov-Dachkov,vice-roidu
Caucase,demandantà la Russiede protégerlesArménienset de modifierle sta-tutd'autonomie,déjà acquisà leur profit, avecla nomination d'un gouverneurchrétienchoisi par la Russie à la tête des six provincesunifiées3. En même
temps,Vorontzov-Dachkovcontactelespersonnalitésdu Conseilnational armé-
*Lesnotes,trèsabondantes,sontregroupéesà lafindel'article.
155
HERODOTE
nien à Tiflis, dont le maire de la villeKhatissian,et promet l'autonomiearmé-
niennedans les sixprovincesorientalesturques, si celles-cisont conquisesavec
l'aide arménienne4. Les Arméniens proposent alors la création d'unitésde
volontaireset destélégrammessont aussitôtenvoyéspar le Conseilnationalarmé-
nien à toute la communauté,lui demandantde se mobiliser5.Entre cettedate
et le début de la guerre turco-russe, le 1ernovembre, quatre détachementsde
volontairesarméniens,composésd'Arméniensde Turquie—puisquelesArmé-
niens de Russiesont enrôlésdans l'armée régulièrementformée— sont consti-
tués. Leur quantité est sans doute négligeabledans la massede l'armée russe,
puisquechaquedétachementcompteenvironmillehommes,maisutilisésaudébut
commeéclaireurset ensuitedans toutes les bataillessensiblesmettant encause
des populationskurdeset arméniennesdans les endroits les plus contestés,leur
rôle politiquefut sans communemesure avecleur poids réel.
Ainsi,dès le24 octobre,une semaineavant le début deshostilités,le deuxième
détachementvolontairearménien,dont le commandanten secondestun députéarménienau Parlement ottoman, part d'Igdir en directionde Van6. La régionallant du lac de Van à celuid'Ourmia est un des endroitsclésdu conflit,parce
qu'elleconstituele cheminle pluscourt entrele Caucaserusseet Mossoul,lecen-
tre de la haute Mésopotamie,d'où la jonction avecles Britanniques,qui atten-
daient déjà au Koweït la déclaration de la guerre pour occuper Basra, était
possible.En mêmetemps, cetterégionétait considéréecommele « ventremou»
de la défenseturqueparcequepeupléepar deschrétiens.La seulerégionenAna-
tolieoù lesArméniensétaientenmajoritéétait celledu lac deVan; Ourmiaétait
peupléed'Assyrienset le massif de Hakkâri abritait des tribus nestoriennes.
Le deuxièmedétachementarméniensera arrêté par lesTurcsle 1ernovembre,
Mais,dès le débutdeshostilités,lestroupesrussespénètrenten territoireturcen
se servantdesdétachementsdevolontairesarménienscommeéclaireurs.Deleur
côté, lesTurcsmobilisentlesKurdesen lesutilisantcommecavalerieirrégulièreDèslepremiercontactaveclesRusses,dixmillede cescavaliers,sur un totalde
treizemille,désertentet se dispersentdans les villagesdes environs,où ilssont
reçusà coups de fusil. De même, les fantassinskurdes et arméniens,mobilisés
dans l'arméerégulière,désertentet vont avecleursarmesprotégerleursvillages.
Dès le premiermois de la guerre, la confusionest totale7.
Aprèsl'échecde la premièrepénétrationversVan, les Russesdécidentd'utili-
ser le territoireiranien8.En novembre,le khan de Maku est déposéet remplacé
par un cousinplus docile.Une colonnerusse,accompagnéedu premierdétache-
ment devolontairesarméniens,dirigépar Antranik,le chefarménienlepluscélè-
bre, traverseKhoyet Qotur et occupeSaray, à l'intérieur du territoireturcetà
70 kilomètresde Van9. Baskale,plus au sud, est occupé le 24 novembrepar
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CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
l'arméerusse.Leshabitantsarméniensen profitentpour pillerlesmaisonsmusul-
manes.Unecontre-offensiveturque récupèrela villeet c'est alorsle massacredes
Arméniens10.
Lagrandeoffensiveturque
Aprèslespremiersrevers, les Turcs préparentune grande offensive.Le géné-ralissimeEnver Pacha prévoit une grandepercéequi lui ouvrirait le Caucaseet
mêmeau-delà,la patrie ancestrale,le Turkestan. Quelque120000hommessont
lancésen décembresur des cheminsde montagneà plus de 2 000mètresd'alti-
tude.L'annoncede l'offensiveturque entraînetoutefois un retiait précipitédes
forcesrusses,qui évacuentnon seulementle territoire turc occupé, mais aussi
l'Azerbaïdjaniranien.Le premierdétachementarméniense retire à Djoulfa, sur
lafrontièrerusso-iranienne.SimkoAghapassedans le campturc et lestribuskur-
desdéferlentsur la plaine d'Ourmia. La villed'Ourmia est prise le 2 janvier et
toutela région soumiseau pillagen. Tabriz mêmesera conquisele 14par un
détachementirrégulierturc 12.
L'offensiveturque, dite de Sarikamis,du nom de la villequi était le premier
objectif,fut une des plus grandesdéfaitesde l'histoire turque, due notamment
auxconditionsclimatiques et à une logistique lamentable. Elle fit plus de
70000morts, dont la plupart périrentgelés.Mais l'hiver paralysa égalementen
grandepartie la contre-offensiverusse et les régions frontalièresfurent laisséesàelles-mêmespendant cet hiver terrible, sillonnéespar desdéserteurspoursuivispardesgendarmes,chacun attaquant à son tour les villagesde tout bord. Des
mouvementsarméniens furent réprimés dans la région de Bitlis et2000Arméniensprirent le maquis autour d'Ercis 13.
Aprèsl'échecde la grandeoffensiveturque, la régionVan-Ourmiaretrouveson
importance.En février,lesRussesréoccupentlesterritoiresiranienset Simkobas-culeencoreune foisdansle camprusse.MaiscettefoislesTurcspréparentà Mos-soulune division,sous la direction de Halil Bey (futur pacha), oncle d'Enver
Pacha,qui quitte cette villeen mars en directiond'Ourmia, à travers les défilésduGrandZab. C'est à cetteoccasionquedesémissairesrussessont envoyéschezMarShimoun,le patriarche (dansle sensbibliquedu terme)desnomadesnesto-nensqui tiennent, conjointement avec les Kurdes, cette région14.En même
tempsles2e,3e,4eet 5e(nouvellementcréé)détachementsde volontairesarmé-nienssontréunis en un corps spécial,chargé de marcher sur Van 15.La régionesteneffervescencedepuisle début du printempset, le 20 avril, la révoltearmé-niennedeVan éclate16.Quand les nouvellesarrivent à Istanbul, les milieuxles
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HERODOTE
plusnationalistesdu parti Jeune-Turc,groupésautour du ministrede l'Intérieur
Talât Pacha, qui voient chezles Arméniensl'obstacleprincipal à la réalisation
desobjectifsnationaux,obtiennentla publicationd'un décretordonnantladépor-tation desArménienset la misesousséquestrede leursbiens. Il en résulteraune
confiscationglobaledesbienset desmassacresplusou moinssystématiques,selon
les régions,desconvoisde déportés,s'ajoutant aux décèsdus aux mauvaistrai-
tements, à la famineet aux maladiesendémiques.600000à 800000personnessur une populationarménienneglobalede près d'un millionet demiy périront.
La guerreen accordéon
Devantlesnouvellesde la révoltede Van, les détachementsarméniensaccélè-
rent leurspréparatifset quittentErivanle 28 avril17.Trois jours plus tard, Halil
Beysetrouveà Dilman,au nord de l'Ourmia, faceau premierdétachementarmé-
nien,celuid'Antranik.Lelendemain,la batailleestencoreindécise,quandlecom-
mandantturc reçoitun télégrammelui annonçantla révoltede Vanet la nécessite
de rentrer pour protéger la route de Mossoulà travers Bitlis18.Le tempsqueHalilBeyarriveà Bitlisavecune arméeen très mauvaisétat, harceléelelongdu
parcourspar les Kurdes,les détachementsarméniensentrent à Van le 18maiet
entreprennentle « nettoyage» des rivesdu lac19.En mêmetempsune colonne
russe se dirigeà travers Baskalevers le paysnestorienet, cette fois-ci,MarShi-
moun sembleconvaincude participerau front chrétienqui doit courir duCau-
case à Mossoul.Des membresde la communauténestorienne,très importantedans cetteville,hésitantà suivrelepatriarcheà causede la proximitédesTurcs,
sont assassinéspar ses émissaires20.
Devantl'aggravationde la situation, les Turcs, en agitant le dangerchrétien,
arriventà rallier lesKurdeset reprennentprogressivementles bords du lacVan.
Le 4 août, lesRussesdoiventquitter Van et évacuersa populationarménienne
En été 1915,la situationrevientau point de départ,mais300000Arménienssont
réfugiésdans le Caucaseet setrouvententassésdansdes conditionsdramatiques
autour d'Erivan, tandisque lesdéportationscontinuentsur tout le restedel'Ana-
tolie21.De leurcôté, lesNestoriens,pressésau nord par lesKurdeset au sudpar
un détachementturc venude Mossoul,quittent les hautesvalléesdu Zab,oùils
étaient installés depuis des millénaires, pour se réfugier dans la plaine
d'Ourmia22.
Suiteà cesrevers,lesRussesreprennentunegrandeoffensived'hiver.Enatten-
dant, Van est réoccupéeen septembreet lesdétachementsarméniensprogressentde nouveaule long desrivesdu lac. Cette fois-ci,ce sont lespopulationsmusul-
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CAUCASE,LAGRANDEMELEE(1914-1921)
manesquis'enfuientvers l'ouest, quand ellesle peuvent.Maisbientôt les forces
russesprennentla relève.Mus est prisele 16février1916,le mêmejour qu'Erze-roum.Trabzon,au bord de la mer Noire, capitule le 18avril. L'offensiverusse
atteintErzincan, son point le plus avancé, le 25 juillet. Mais les Turcs repren-nentMusle 6 août et tiennent toujours Bitlis, empêchanttoute descentevers la
Mésopotamie.Lors de cette guerre « en accordéon», les fronts successifset
l'arrière-frontsont dépeuplésà 75 % 23.Si l'on estimela populationarménienne
decetterégionentre 30 et 40 % du total, le reste est composédes populationsmusulmanes,kurde ou turque.
Aumomentoù les forcesrussesoccupentla plus grandepartie des sixprovin-cesottomanes,revendiquéespar les Arméniens, Sazonov, le ministre russe des
Affairesétrangères,dans une note au grand-duc Nicolas, vice-roidu Caucase,s'élèvecontre le projet d'une région arménienneautonome, puisque la popula-tionarménienne,qui n'atteignait avant la guerre que le quart de la populationtotale,avaitencorediminuéau cours desdeuxdernièresannées.Par conséquent,l'insistancedes autorités russesà maintenir ce projet sur un territoire sous leur
occupationleur aliénerait lespopulations musulmanes.Ainsi, Sazonovproposemaintenantune administrationdirectereconnaissantles droits de chaquemino-rité24.Le commandementdu Caucase, face au dépeuplementde la région, éla-
bored'autresprojets, commeceluide la créationd'un territoiredesCosaquesde
PEuphrate,peupléd'émigrantsrusses.C'est ainsique lesdétachementsdevolon-tairesarméniens,leur rôle terminé, seront dissous,après avoir perdu un tiers deleurseffectifs25.
Ladébâclerusse dans le Caucase
Apartirde l'été 1916,les deuxarméessont aussiépuiséesl'une que l'autre etlepayscomplètementexsangue. Ainsi, le front ne bouge pratiquement plusjusqu'àla révolution d'Octobre. En mars 1917, juste après la révolution de
février,legrand-ducNicolas,vice-roidu Caucase,est rappelé.Un directoirepro-visoire,composéd'un menchevikgéorgien,Noé Jordania, du mairearméniende
Tiflis,AlexandreKhatissian.et d'un représentantde l'armée russe,le remplacent.Le22marsun gouvernementprovisoiretranscaucasien(Ozakom)est formé. Onytrouvenotammentles trois grandspartis du Caucase,lesmencheviksgéorgiens,lepartiDachnak arménien et le parti Moussavat azéri. A la même date, lesouvriersdeBaku formentun sovietqui élit à sa tête le communistearménienSte-panChaoumian.En Azerbaïdjan, deux forces s'opposent, les communistesà
Baku,lesgrands propriétaires terriens à Gandja (Elizavetpol,Kirovabad)26.
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HERODOTE
Au nord, les Circassiensréunissenten mai 1917,à Vladikavkaz,une Assem-blée des peuplesdu nord du Caucase.L'assembléedéclarel'Union despeuplesdu Caucasedu Nord et du Daghestanet un comitéexécutifest formé. Aucoursd'une deuxièmeassemblée,convoquéele20septembre1917,lesNogais,lesTurk-mènesdu gouvernoratde Stavropolet les Abkhazesadhèrent à l'Union27.
L'événementle plus important, entre la révolutionde Févrieret celled'Octo
bre, est, toutefois, l'autodémobilisationde l'armée du Caucase,qui fondcom-
plètementau cours de l'été et de l'automne 1917.La disparitiondes autoritésrussesdonnel'occasionauxréfugiésarméniensde revemrdansleursvillagessousla protectiondesmilicesarméniennes,ce qui entraînedes actesde vengeanceetles représaillesdes bandeskurdes. L'évolutionde la situationmilitaireinquièteles Arméniens,mais aussi les chefsdes missionsmilitairesde l'Entente dansleCaucase.Ainsi, le plan du front chrétien,tentépar lesRussesen 1914-1915,sera
repris à une plus grandeéchellepar l'intermédiairedes attachésmilitairesalliesà Tiflis. Ce front doit comprendreles Grecs du Pont (régionde Trabzon),les
Géorgiens,les Arménienset les Nestonensde la région d'Ourmia.A la mi-octobre,le généralBarter, chefde la missionmilitairebritanniqueen
Russie,propose à Londres l'envoi des conscritsarméniensdans l'arméerusse
(environ130000hommes)au Caucase.Le chefd'état-major impérialbritanni-
que, W. Robertson,appuie la proposition28et porte la questiondevantlecabi-
net de Guerre, demandant l'utilisation du plus grand nombre possibled'Arméniensau Caucaseet au nord de la Perse et deproposermêmeà ceteffetaux États-Unisd'y envoyerleurs immigrésarméniens.Le cabinet britanniqueacceptela propositionet télégraphieencesensà Washington.Entre-temps,legou-vernementprovisoirerusse, sous la pressiondes comitésarméniens,prenddes
décisionsen ce sens, qui sont interrompuespar la révolutiond'Octobre29.
Celle-cine fait qu'accélérerles initiativesde l'Entente. Le chef de la missionmilitairebritanniqueà Tiflis,OffleyShore,contacteAntranikau moisdedécem-
bre. Celui-ciprometde lever10000irréguliersen un moiset de doublercechif-
fre en trois moiss'il reçoitde l'argent, des armeset desofficiersbritanniques30
Ces forcessontessentiellementdestinéesà la régionsensibleVan-Ourmia,oùune
coalitionentre Antranik, Mar Shimounet l'inévitableSimkoest prévue.Celui-
ci, invité par les agents britanniques à la mission protestante américainedu
Dr. Sheddà Van, acceptede coopérer31.Plus au nord, le colonelChardigny,représentantmilitairefrançaisà Tiflis,écrit
au métropolitegrec de Trabzon, Chrysanthos,pour lui demandersa participa-tion à unedivisiongrecqueà créerentreBatoumet Trabzon.Chrysanthos,mesu-
rant le danger, refusepoliment32.
160
CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
LerôledesAnglais
LesAlliésne lésinentpas sur lesmoyens,d'autant plus que dans le videlaissé
parlesRussesse trouvent les pétroles de Baku. Le cabinet de Guerre britanni-
queautorisele 7 décembreA.J. Balfour, le ministre des Affaires étrangères,à
financerlesArméniensavec les fonds de l'Intelligencemilitaireet demande, le
14dumois,à Marling, l'ambassadeur à Téhéran, d'ouvrir aussitôt un crédit33.
Lasommeaffectéepar lesBritanniquess'élèveà 20 millionsde livressterling34.
Lasommemiseà la dispositiondu colonelChardigny,lors du Comitédeguerretenuà Paris le 12 décembre, est de 20 millions de francs35.Le 15, Londres
informeShoreà Tiflisque les Géorgienset lesArménienssont autorisésà ache-
terdesarmeset autres matérielsmilitairesaux Russesen retraite36.Le mémo-
randum,préparépar deuxmembresdu cabinetbritannique, lord Milner et lord
Cecil,et acceptéle 22 décembrepar Clemenceau,précise: « Finalement,nous
sommesobligésde protéger,si possible,lesArménienssurvivants,non seulement
poursauvegarderles flancs de nos forcesmésopotamiennesen Perse et dans le
Caucase,maisaussiparcequ'une possibleuniondesArméniensavecun État géor-
gienautonomeou indépendantserala seulebarrièrecontrele développementd'un
mouvementtouranien qui pourrait s'étendre de Constantinopleà la Chine37.»
Lelendemain,un accord franco-anglaisest signé: l'Ukraine, la Bessarabieet la
Criméesontplacéesdans la sphèred'influencefrançaise,les territoirescosaques,leCaucaseet le Kurdistandans la sphèrebritannique38.AussitôtLondresdécide
d'envoyerune missionmilitaireau Caucase.Ce sera la célèbremissionDunster-villedont il sera question plus loin39.
L'applicationde ce dispositifà la régiond'Ourmia donneradesrésultatscatas-
trophiques.Ourmiya, villede 30 000habitants, dont un quart de chrétiens,est
déjàsouspressionavecl'arrivée des Nestoriensde Mar Shimoun. Le lieutenant
françaisGasfield,arrivéle 24décembreen tant que représentantdu colonelChar-
digny,essayede constituerquatre bataillonsnestoriensaveclesarmeslaisséesparlesRusses.LesNestoriensutilisentleur armementpour piller la villeet attaquerlesvillagesmusulmans.LesPersansd'Ourmiase soulèventen février,maisle sou-
lèvementest noyédans le sang. En mars, Mar Shimounest assassinépar SimkoetlesNestoriensse vengentcette fois sur lesKurdesdes environs.En attendantlesTurcs,la plaine d'Ourmia plonge dans l'horreur 40.
Larévolutiond'Octobre et le pouvoir bolcheviquesont unanimementrejetésParlespartisnationaux du Caucase,à l'exceptionde la communede Baku. Un
congrèsbolcheviquese réunit en octobre à Tiflispour condamnerle séparatismetranscaucasien,mais le 14novembrel'Ozakomproclamela loimartialeet étouffedansl'oeuftoute velléitéde soulèvementcommuniste41.Le 24, une administra-
161
HERODOTE
tion provisoire est mise en place avec les mencheviksgéorgiensdans lespostesclés. De même, le 21 décembre, le Comité central de l'Union nord-caucasienne
rompt ses liens avec Moscou42.En revanche, en janvier 1918,un congrèstenuà Mozdokréunit bolcheviks,mencheviks,SR (socialistes-révolutionnaires)etdesradicauxossètesen un « bloc socialiste» qui forme le sovietpopulaireduTerek,contre les musulmansdu Daghestan. Le sovietdu Terek s'installe en mars1918à Vladikavkaz pour former la République populaire socialistedes sovietsduTerek43.Les chefs religieuxcontrôlentnéanmoinsle Daghestan, tandis qu'entreles deux, les Tchétchèneset les Ingouches restent neutres44.
De Brest-Litovskà Batoum
De l'autre côté de la frontière, à Istanbul, la révolution d'Octobre et l'appelà la paixdesbolchevikssont suivisavecun grandintérêt.Le 30novembre,lecom-
mandant de l'armée turque du Caucase contacte Tiflis et, trois jours aprèsla
signatured'un armisticeentrela Russie,l'Allemagneet l'Autricheà Brest-Litovsk,le 17 décembre,l'armistice d'Erzincan est égalementsigné sur le front du Cau-
case. Mais, quand les puissancescentrales se retrouvent face aux Soviétiquesa
Brest-Litovsk,elles s'aperçoivent que leurs intérêts divergent, puisque lesAlle-
mands entendent conserverles territoires occupéspar eux, tandis que lesTurcs
veulent obtenir l'évacuation de leurs propres territoires occupéspar la Russie.
Ainsi, chacunva commencerpar entamerdesnégociationsséparéesaveclesSovié-
tiques. La premièrepassed'armes turco-soviétiquese fera autour de la questionarménienne.LesSoviétiquesdemandentun plébiscitedans les territoiresoccupésau nom de l'autodétermination des peuples et les Turcs leur opposent l'« ingé-rence dans les affaires intérieures45». C'est pendant ce temps, le 31 décembre,
que Staline, commissaireaux Nationalités, publie son communiquésur l'Armé-
nie turque. Celui-ciest un appel aux Arméniensà chercher la solution de leurs
problèmesdans le cadre de la Russiedes soviets.Il sera suivipar le décretarmé-
nien, publiéle 11janvier 1918.Celui-ciprévoit l'évacuation de l'Arménieturque
par les arméesrusses et la formation d'une milicepopulaire arméniennepourla
protectionde la population; la libertéde retour des réfugiéset desdéportésarmé-
niens; la création d'une administrationpermanentesous le nom du « sovietdes
représentants populaires arméniens», présidé par Stepan Chaoumian46.Ce
documentétait condamnéà resterune déclarationd'intention. On ne voitpasqui
aurait obligé les Turcs à rapatrier les survivantsde la déportation arménienne,
commentles milicesarméniennesauraient pu assurer la sécuritéde ce territoire
162
CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
nicommentle parti Dachnak aurait acceptéla directionde Chaoumian, le chef
dessovietsde Baku.
Ainsi,cetteinitiativea surtout commerésultat de mettre en branle la réaction
turque.LesTurcs s'aperçoivent, d'une part, à Brest-Litovsk,que la délégation
soviétiqueest incapable de faire face à la pressionaustro-allemandeet, d'autre
part,surle terrain, que la Transcaucasieétait en train de larguerles amarrespar
rapportà la mère Russie.Tout celava permettre aux Turcs de jouer au chat et
àlasourisavecla Transcaucasie,utilisant alternativementle fusil et la table des
négociations.Le14janvier, VehibPacha, le commandant turc du front du Caucase, écrit
àsonhomologue,le généralgéorgienOdichelidzèpour lui annoncer que « Son
ExcellenceEnverPacha souhaitait connaîtreles conditionsde rétablissementdes
relationsavecle gouvernementindépendantdu Caucase,ainsique le point devueduditgouvernementsur la question
47». C'est le généralturc qui mentionneainsi
lepremierun gouvernementindépendantdu Caucase.D'ailleurs, quelquesjours
plustard, le mêmeVehibPacha, prend l'initiative d'inviter ledit gouvernementauxnégociationsde Brest-Litovsk48.Tiflis, perplexe, répond que la Transcau-casiefaitpartie de la Russie,mais que lespropositionsturques seront examinées
parla futureAssembléeconstituante (Seim)49.Celle-cisera convoquéeaprès la
dissolutionde l'Assembléeconstituanterussepar les bolcheviks,le 18janvier, etlerefluxdespersonnalitésmencheviquesgéorgiennesà Tiflis. Lesdachnaksseuls
s'opposentà cette convocation,insistant pour le rattachement du Caucaseà uneRussiedémocratiqueet fédérale,mais finissentpar se soumettreà la majoritédesmenchevikset des moussavatistes. L'Assembléecompte 33 membres du partiMoussavat,30mencheviksgéorgienset 27 dachnaksarmémens.On y trouve éga-lement14autres musulmans de tendances différentes, 2 géorgienset 6 SR et
démocrates50.Enmêmetempsque cetteoffensivede charme, VehibPacha abreuvela partie
adversedeprotestationssur lesatrocitéscommisespar lesArménienssur la popu-lationmusulmane.Odichelidzèrépond en reconnaissantpartiellementles faits etenyopposantlesmassacresperpétréspar les Kurdes51.Mais, au-delà des terri-toiresoccupés,le Caucasebouge égalementet les musulmanss'arment en utili-santlematériellaissé par l'armée russe et en attaquant au besoin les unités encoursdedémobilisation.Ainsi, en janvier, près de Gandja, le 219erégimentrusse
attaquépar lesAzérislaissequelque400morts sur le terrain tandis que son arme-mentchangede mains52.
163
HERODOTE
Les offensivesturques
La situationest mûre pour que l'on passeaux actes. Alors, quandTrotskifaitle 10févrierà Brest-Litovskson discours« ni guerreni paix », qui consisteà refu-ser aussibien de se battre que de signerles conditionsimposéespar lespuissan-cescentrales,l'état-major turc reçoit de Luddendorfle feu vert pour attaquer53.VehibPacha envoiele 11févrierune note exprimantl'impossibilitéd'assisterlesbras croisésauxmassacresde sescoreligionnaireset le lendemainune secondenoteannonce le début des opérations54.
Cettepremièreoffensives'arrête quelquesjours plus tard, aprèsla prised'Erzin-
can le 13.Elle a sans doute pour objectif de tester le terrain militaireet diplo-matique. Sur le plan militaire, la débandade est complète.La populationetles
bandes arméniennesse livrentà despillageset desmassacresavant d'évacuerles
lieux et subissentensuite le mêmesort de la part des irréguliersturcs et kurdes
sur les routes. Le même scénario va se répéter inlassablementtout le longde
l'avance turque.Sur le plan diplomatique, l'article 5 de l'ultimatum délivrépar les puissances
centralesdemandeque les Russesfassent tout leur possiblepour rétrocéderles
provincesde l'est de l'Asie Mineureà l'Empire ottoman, refusant ainsidepren-dre en comptela demandeturque de rétrocessiondestrois districtsdeKars,Arda-
han et Batoum,c'est-à-direle retour à la frontièred'avant 1878.Demandedevant
laquelle Allemands et Autrichiens se sont toujours montrés réticents55.Mais
quand, au retour de la délégationrusse, présidéecette fois-cipar Tchitcherme,à Brest-Litovsk,il apparaît queles Soviétiquessont prêts à signer,aprèsunepro-testation véhémente,tout texte qui leur serait présenté, toute demandedevient
possible.Ainsi, le traité turco-russede Brest-Litovsk,signéle 3 mars 1918,pré-voit la rétrocessiondes trois districtsde Kars,Ardahan et Batoum à la Turquie
Entre-temps, à Tiflis, la Seim décide, sous le coup de la prise d'Erzincan,
d'entrer en pourparlersaveclesTurcs, tout en revendiquantla frontièrede1914
et choisitun lieu« neutre » pour la conférenceprévue, la villede Trabzon,régieà l'époque par un sovietdans lequel siègele métropolitegrec. Mais une sériede
surprisesattend lesTranscaucasiens.La premièrearrivela veilledu départpour
Trabzon, sous la forme d'un télégrammeen provenancede Moscou, annonçantla signaturedu traité de Brest-Litovsket la cessiondes trois districts.Ensuite,la
délégation,forte d'une centainede personnes, parce que chaque nation et cha-
que tendanceveut être présente,s'embarqueà Batoumsur un bateau dontl'équi-
page s'avèrebolcheviket entendl'amener en Crimée.Sauvéegrâceà unerançon,la délégationarrive à Trabzon, pour trouver l'armée turque, qui l'avait occupe
la veille.Enfin, la délégationturque arrive à son tour et pose la questionclé.Si
164
HERODOTE
la Transcaucasiefait encorepartie de la Russie,elledoit accepterle traité deBrest-Litovsk et évacuerles trois districts. Si ellea sespropres revendications,elledoitcommencerpar déclarer son indépendanceafin qu'une discussiond'État à État
puisses'engager avec la Turquie. Et pour couronner le tout, le jour de l'arrivéede la délégationturque à Trabzon, VehibPacha entre à la tête de ses troupesàErzeroum 56.
En commençantcettedeuxièmeoffensive,VehibPacha avait adresséle 10marsune note au « gouvernementde la Transcaucasie» — il est encore le seulàutili-ser ce terme — pour lui demander de retirer ses troupes au-delà de la frontièrede 1878.Tiflis répond qu'elle ne reconnaît pas le traité de Brest-Litovsk57,maisles Turcs objectent avec raison que sa position est juridiquement intenable,
puisqu'il n'y a que le gouvernementsoviétiqueet le traité de Brest-Litovskquiont une existencelégale.
Pendant que d'interminablesdiscussionsagitent la délégationtranscaucasienneà Trabzon et la Seimà Tiflis, où les déléguésazérispenchentde plus enplusversles Turcs, tous les fronts s'embrasent. Les forces turques atteignent la frontièrede 1914 dans la dernière semaine du mois de mars, tandis que les Géorgiensmusulmans se soulèvent derrière les ligneset occupent dès le 13 mars Ardahan.
A Baku, les musulmans préparent un soulèvementcontre le soviet. Le conseil
arméniense rallieau sovietpour mater la révolteet le tout seterminepar unmas-
sacre généraliséentre le 30 mars et le 2 avril, laissant quelque 9 000 musulmans
sur le terrain 58.Une colonne turque, partie de Bitlis le 13 février, occupeVan
le 6 avril. LesArméniensde la villeet des environss'enfuient, en partie versIgdiret en partie vers Ourmia. Le second groupe est exterminé par les bandesde
Simko59.Les Arméniens reculent encore une fois vers le gouvernorat d'Envan
où viventégalement400000musulmans.Il faudra faire de la placepour lesréfu-
giés au prix d'accrochages incessants60.
A Trabzon, où une délégationnord-caucasiennearrivele 1eravril pour deman-
der à être associée à l'« indépendance caucasienne61», on discute toujours.
Enfin, le 6 avril, la délégationturque lanceun ultimatum. La Transcaucasiedoit
accepter le traité de Brest-Litovsket se doter d'un statut indépendant si elleveut
signer des accords internationaux62.La conférencede Trabzon prend ainsifin,
la délégationtranscaucasiennerentre à Tifliset l'armée turque avanceverslesdeux
portes occidentalesdu Caucase, Kars et Batoum. La Seimsouffle le chaudetle
froid sans résultat. Le soir d'une proclamation déclarant la patrie en danger,Batoum tombe aux mains des Turcs, tandis que les Géorgiensmusulmanshar-
cèlent les troupes chrétiennesderrière les lignesentre Ozurgetet Abastuman,sur
la route de Batoum à Tiflis63.
Le 17, le colonel Chardigny vient inspecter les troupes arméniennesdevant
166
CAUCASE,LAGRANDEMELEE(1914-1921)
KarsM,mais les Géorgiensdécident de poursuivre une politique plus conciliante
aveclesTurcs et d'essayer d'obtenir un cessez-le-feuen échange de la proclama-tiondel'indépendance de la Transcaucasie, qui intervient ainsi le 24 avril. Pour
lesTurcs,le cessez-le-feuéquivaut à l'évacuation de Kars et au retrait des trou-
pesderrièrela frontière de 1878, ce qu'ils obtiennent le lendemain65.
Ayant emporté la première manche, les Turcs acceptent la réunion d'une
secondeconférenceà Batoum. Celle-cise réunit le 11mai, en présencedes délé-
guésnord-caucasiens,qui viennent de proclamer le mêmejour l'indépendance de
leurrépublique66.Autre nouveauté, s'agissant cette fois-ci d'une conférence
internationale,les Allemands sont présents à titre d'observateurs. Les Transcau-
casiens,confiants, espèrentobtenir, en contrepartie de la reconnaissancedu traité
deBrest-Litovsk,quelques arrangements mineurs. Ils se voient rétorquer par le
déléguéturc qu'entre Trabzon et Batoum le sang avait coulé des deux côtés et
quepar conséquentles revendicationsne pouvaient plus être les mêmes. Il s'agis-saitmaintenantpour la Turquie d'arriver à la frontière d'avant 1828en récupé-rantlesdistricts d'Akhaltsikh et d'Akhalkalaki au nord et celui de Sourmalouaucentre,à l'ouest de l'Araxe, mais aussi Alexandropol (Leninakan) et la voie
ferréedepuiscette villejusqu'à Djoulfa, à la frontière iranienne, afin de pouvoir
transporterdes troupes vers le nord de la Perse 67.Le psychodrame de Trabzon
vadoncreprendre à Batoum, avec en plus un rapprochement chaque jour crois-santdesdélégationsazérie et nord-caucasienneavec les Turcs et la présencedes
Allemands.Cesderniers cachent de plus en plus mal leur irritation devant l'aven-turecaucasiennedes Turcs à un moment où les forces du général Allenby avan-centenSyrieet voient se profiler à l'horizon une mainmiseturque sur lespétrolesdeBaku.
Protectoratallemand en Caucasie
Le15mai, Alexandropol est prise et les Turcs avancent le long de la voie fer-réeaussibienvers Tiflis que vers Erivan. En même temps, une colonne, partantdeVan,occupe Igdir le 20. Von Lossow, le représentant allemand à Batoum,envoiequotidiennementdes télégrammesalarmants sur l'avance turque et la situa-tiondésespéréede la population arménienne, tandis que Luddendorf essaie de
stoppercetteavance.Le 19,von Lossowsepropose commemédiateur.LesTrans-caucasiensacceptent,mais lesTurcs refusent. Le 22, lesGéorgiensse rapprochentdesAllemands.Un protectorat allemand sur la Géorgie est décidé, mais il fautPourcelaque la Géorgie proclame son indépendance en se séparant du reste delaTranscaucasie.Les déléguésgéorgiens de Batoum télégraphient en ce sens à
167
HERODOTE
Tiflis. Le 25, von Lossow informe la conférence que, devant l'imminence delà
disparition de la Transcaucasie, il doit rentrer chercher des instructions. Enrea-
lité, son navire quitte le port de Batoum pour mouiller en secretdans celuidePoti
Les déléguésgéorgiensquittent égalementla conférencepour chercher— disent-ils— des instructions à Tiflis et se rendent par le train à Poti. Ainsi, le 26, tandis
que la Seim prononce sa dissolution et que, quelques heures plus tard, la Répu-
blique géorgienneest proclamée, commencentà Poti les négociationspour un pro-tectorat allemand sur la Géorgie. La délégation turque à Batoum lanceun
ultimatum de soixante-douze heures, demandant en plus Abastuman à la Géor-
gie, la quasi-totalitédu Nakhitchevanet l'ouest du district de Charour-Daralaghezà l'Arménie. Le même jour encore, la population musulmane d'Akhaltsikhet
d'Akhalkalaki proclame sa séparation de la Transcaucasie. Mais celle-civenait
de cesserd'exister. Les Azérisproclament leur propre républiquele 28 et lesArmé-
niens, en désespoir de cause et la mort dans l'âme suivent le 3068. Toutefois,
cette dernière proclamation se fait sous des auspices moins catastrophiquesque
prévus. La colonne nord de l'armée turque, après avoir occupé Hamamlou (Spi-
tak) et Karakilise (Kirovakan), est stoppée devant Dilidjan, tandis que la colonne
sud est mise en déroute le 28 devant Sardarabad (Oktamberyan), à quelqueskilo-
mètres seulement d'Erivan 69.
Le 28 également, l'accord germano-géorgien est signé. Les Allemands proté-
geront les frontières de la Géorgie, utiliseront ses chemins de fer pour le trans-
port des troupes et prendront sous leur protection les colons allemands installés
par la Russie au xix=siècle. L'accord prévoit également des concessionsminiè-
res et que la monnaie allemande aura cours en Géorgie à un taux qui sera fixe
ultérieurement 70.
Les relations entre les deux alliés, l'Allemagne et la Turquie, sont au plusmal
Le chancelier Hertling veut interdire à la Turquie le dépassement des frontières
de Brest-Litovsk71,tandis que l'ordre donné par l'état-major de l'armée turque
du Caucase prévoit l'arrestation et le désarmement de toute unité allemanderen-
contrée dans la région 72. Cette éventualité va d'ailleurs se produire quelques
jours plus tard sur la route de Tiflis, où un accrochage avecune unité turquefait
des blesséset desprisonnierscôté allemand. Von Lossowarme alors lesAllemands
du Caucase et une mission militaire, commandée par le colonel Kressvon Kres-
senstein, arrive d'urgence à Tiflis.
Malgré cette présence allemande, les trois nouvelles républiques doiventcom-
poser avec les Turcs. Ainsi, trois traités séparés vont être signés le 4 juina
Batoum. La Géorgie, forte de l'appui allemand, peut résister aux dernièresexi-
gences turques, mais cède quand même Akhaltsikh et Akhalkalaki, en plusdes
territoires cédés à Brest-Litovsk. L'Azerbaidjan a vocation « naturelle » de
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CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
devenirprotectorat de la Turquie. Ainsi, l'article 4 de son traité prévoit qu'à
l'appelde la nouvellerépublique, le gouvernementottoman lui fournira une aide
militaire73.
Enfinla République arménienne signe son premier acte international avec la
Turquie.Celle-ci,ayant perdu, avecle protectorat allemandsur la Géorgie,la pos-sibilitéd'utiliserle cheminde fer de Baku viaTiflisse réserveles deuxroutes car-
rossablesqui y mènent, celled'Alexandropol-Dilidjan-Akstafa-Gandjaet cellequiàtraversNakhitchevan,Geruset Chouchi,traversele Zanguezouret leKarabagh.Elles'assureen plus du cheminde fer entre Alexandropol et Djoulfa 74.Enfin,le8juin,un quatrième traité est signéentre la Turquie et la Républiquedu nord
duCaucasedont l'article 2 est identique à l'article 4 du traité avec l'Azerbaïd-
janetprévoit l'intervention militaire turque 75.Tout est alors prêt pour la troi-
sièmephase de l'offensive turque.
Allemands,Anglais et Turcs : la course vers Baku
Lestraités de Batoum marquent l'effondrement de la partie septentrionaleet
centraledu front chrétienque l'Entente avait essayéde mettre en place. Le frontsudneseporte pas mieux, mêmesi les Britanniquesont la possibilitéd'un accès
plusdirectà partir de Bagdad, occupée par eux depuis 1917.Le généralDuns-
terville,nomméle 14janvier 1918chef de la missionmilitairebritanniquedu Cau-
case,quitteun moisplus tard Hamadan pour Enzeli,sur la Caspienne.Il y trouveunsovietdes soldats de la force expéditionnairerusse en Perse et des marins delaCaspienneet doit rebrousser chemin, retourner attendre des jours meilleursà
Hamadan76.En même temps, le prince-héritier iranien, vice-roi de Tabriz,noyautépar lesAllemandset lesTurcs et un chef de la région de Gilan, Kutchuk
Khan,à la tête d'un mouvementinsurrectionnelqui pactiseavecle sovietd'Enzeli,fontbarrageà la progression britannique vers le Caucase et la Caspienne.
Aprèsavoirpris Van en avril, lesTurcsattaquent la plained'Ourmia. Au même
moment,le commandementturc à Mossoulpréparela campagnedeBaku. L'état-
majorde la future « armée islamique», dirigépar Nuri Pacha, le frère d'Enver
Pacha,quitte le 12avril Mossoul et arrive le 4 mai à Tabriz avant de continuerversGandja.
Cespréparatifsdécident lesAnglais à passer à l'action. L'occasion est donnée
parle colonelBitchérakov, commandant des Cosaquesde la Perse, lequel, toutenfaisantfigure de bolchevikaux yeux du sovietd'Enzeli, entre en pourparlersavecDunsterville.Pour suivre les énévementsde plus près, Dunstervilleet son
état-majorse déplacent de Hamadan à Kazvin, tandis qu'une autre expédition
169
HERODOTE
franco-anglaise,la missionWagstaff, quitte Khanakinet occupele 31maiZend-
jan, sur la route Tabriz-Téhéran77.La missiona pour objectif deporter secoursaux chrétiensd'Ourmia. Mais après la prisede Mianeh, l'expéditionest bloquée
par lesTurcs qui envoientun détachementà Tabriz le 15juin. Ce sont alorslesforcesarméniennesd'Antranik qui, quittant la régiond'Erivan après le traitédeBatoumet passant par Djoulfa et Khoy, viennentà la rescoussedes Nestonens.Mais ellessont repousséespar les Turcs. Antranik reculevers Djoulfa et ensuite
versNakhitchévan.Cettevilleestprisele 20juilletet AntranikrefouléversleZan-
guezour. C'est alors seulementque les Turcs pourront utiliser la voie ferréesurtoute sa longueur et descendreen force vers Tabriz.
Le restedes forcesturques enAzerbaïdjaniranienseporte sur Ourmia.Laville
est investiejusqu'à la fin du moisde juillet,quand lesNestorienstententunesortie
et arrivent,avecde lourdespertes,traînant femmeset enfantsaveceux,jusqu'aux
lignesbritanniques.C'est la fin de la nationnestoriennedont lessurvivantsseront
enferméspar lesAnglaisdans le campde Baqubah,près de Bagdad,laissantder-
rière eux la ruine et la désolation dans la plaine d'Ourmia 78.
Au lendemaindes traitésde Batoum,lesAllemandsfont un derniereffortpourarrêter les Turcs. Le maréchal Hindenburg intervient personnellementauprèsd'Enver Pacha, mais ce derniermenacede démissionner79.Un accordestalors
signéle 17juin entre l'armée turque du Caucaseet la missionmilitaireallemande
en Géorgiepour réglerla traverséedes troupes turques par le sud de la Géorgie,afin de se rendre de Karakilise(Kirovakan)à Akstafa, deux stations ferroviaires
sur la ligneAlexandropol-Baku80.LesAllemandsne sont pas les seulsà s'inquiéter de la situation. Lénineesten
communicationpermanenteavecChaoumianà Baku, par l'intermédiairedeSta-
line envoyéà Tcharitchine(Volgograd),le territoire soviétiquele plus prochede
Baku. Une offensivedes troupes de Baku contre Gandja, la capitalede la Répu-
bliqueazerbaïdjanaiseest décidéeet démarrele 12juin 81.Mais le gouvernementazéri avait déjà formulé, avantmêmela dissolutionde la conférencedeBatoum,
la demanded'aide militaireprévuepar le traité turco-azeri82et la cinquièmedivi-
sion arrive à Gandja, où se trouve déjà Nuri Pacha, le 20 juin 83.La premièreactiondu commandementturc à Gandja estd'obligerle parti Mussavatdesereti-
rer au profit d'un gouvernementdominé par les grands propriétaires terriens
musulmans84.
La prise de Baku
L'offensivede la communede Baku avait avancéjusqu'à Gioktchayle28juin,
quand une offensiveturco-azeriel'obligea à reculer. Ainsi débuta la lentepro-
gressiondes Turcs vers Baku, émailléed'événementsmultiples.
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CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
Sesarrières protégés par la mission Wagstaff, installée entre Mianeh et Zend-
jan,Dunstervillerevient à Enzeli le 27 juin et s'entend avec Bitcherakov. Celui-
ci,jouant le bolchevik, doit se faire inviter par le soviet de Baku et préparer la
voiepour l'arrivée de Dunsterville 85.Bitcherakov était en contact avec Chaou-
miandepuisle mois de mai 86.Le soviet d'Enzeli assura en juin Chaoumian queBitcherakovétait devenu un vrai bolchevik87.Ainsi, celui-cidébarque à Baku le
5juillet.Mais Lénine est sans illusions sur le sort de Baku et préfère s'adresser
directementaux Allemands. Joffe, l'ambassadeur soviétiqueà Berlin, est en pour-
parlersavecles Allemands qui proposent d'arrêter les Turcs contre une partie du
pétrolede Baku 88.L'assassinat de l'ambassadeur allemand à Moscou, le comte
deMirbach, freine les négociations tandis que la situation évolue sur le terrain.
L'arrivéede Bitcherakovn'empêche pas une nette victoireturque quelquesjours
plustard et les troupes du soviet, composées en grande partie d'Arméniens
refluentvers Baku. Le Conseil national arménien veut appeler les BritanniquesetMcDonell,le consul anglais à Baku, finance la contre-révolution 89.Le 25 juil-let,Chaoumian et les bolcheviks sont mis en minorité par 258 voix contre 236.Ilssontdestitués et remplacés par la « dictature centro-caspienne » qui fait appelauxBritanniques90.L'appel est réitéré par le Conseil national arménien le 27.Unpremierdétachement arrive le 4 août 91,alors que les Turcs avaient assiégélavilledepuisle 1er.Un déplacementplus important des troupes dans la Caspiennenécessitela mise en place d'une flotte, ce qu'avait décidé l'amirauté britannique.Unenouvellemission britannique arrive à cet effet à Enzeli au mois d'août et la
Dunsterforcedébarque à Baku le 17 du mois 92.
Moscouessaiede s'opposer jusqu'au bout à l'arrivée de Dunsterville, convain-cuequelesTurcs seraient plus faciles à déloger que les Britanniques. Mais quandilneresta plus rien à faire il fallut reprendre contact avec les Allemands. Ainsiuneannexeau traité de Brest-Litovsk sera signée le 27 août à Berlin. La Russie
acceptela reconnaissance de la Géorgie par l'Allemagne et en contrepartie celle-cis'engaged'interdire l'accès au Caucase de toute force armée appartenant à unetroisièmepuissance, c'est-à-dire les Turcs, mais aussi la Grande-Bretagne. Dansunprotocole secret annexe, la Russie accepte de fournir du pétrole et du man-
ganèsegéorgien à l'Allemagne 93.
Informéde cet accord, Talât Pacha, le Premier ministre turc, arrive le 7 sep-tembreà Berlinpour défendre sa cause. Selonlui, la Géorgie, l'Arménie et l'Azer-
baidjandevraient servir d'États tampons contre la Russie, tandis que l'avance delaTurquievers l'est devrait permettre d'organiser militairement les 14 millionsdesmusulmansdu Turkistan, qui pourraient combattre aussi bien la Russie quel'Angleterre94.Pendant ce temps, l'armée turque, solidement installée à Tabriz,
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HERODOTE
occupe Mianeh le 9 septembre et le col de Kaflan-kuh entre cette ville et Zend-
jan, repoussant la mission Wagstaff 95.
Baku tombe le 15septembre, évacuéeà la dernièreminute par Dunsterville.Unmassacre fera près de 12 000 morts parmi les Arméniens. Les Turcs ont bienl'intention de traverser la Caspienneet d'occuper Recht et Enzeli96,mais cesont
les Anglais qui détiennent la flotte. Alors P« armée islamique » de Nuri Pacha
semblevouloir tout simplementcontourner la Caspienne.Elle avanceversleDag-
hestan, Derbent est prise, et ellecontinuevers Petrovsk. Dunsterville,aprèss'être
réapprovisionnéà Enzeli, poursuit les troupes turques avec sa flotte. Il arriveainsi
le 6 novembre devant Petrovsk (Mahackala), défendue par Bitcherakov et assié-
gée par les Turcs... sept jours après l'armistice signé le 30 octobre entre la Tur-
quie et l'Entente et mettant fin à la participation de l'Empire ottoman à la guerremondiale. Mais Nuri Pacha ne veut rien savoir et se déclare au servicede l'Azer-
baïdjan et de la République du nord du Caucase en vertu des traités de Batoum
Bitcherakov s'embarque avec Dunsterville et les Turcs occupent Petrovsk.
Ce jeu ne peut pas pourtant durer encore longtemps. Le gouvernementturc
avait promis en signant l'armistice d'évacuer le Caucase. Le général britannique
Thomson, venant d'Enzeli, débarque le 17 novembre à Baku, triomphalementaccueilli par le gouvernement azerbaïdjanais 97. Quelques jours plus tard,
d'autres troupes britanniques venant d'Istanbul débarquent à Batoum.
Protectorat britannique sur l'Azerbaïdjan
Après le vide créé par la disparition de la Russie fin 1917, un deuxièmevide
sera créé un an plus tard dans la région avec l'effondrement de l'Empire otto
man. Toutefois, aucune des deux puissancesn'entend abandonner le Caucaseet
chacune fait tout pour essayer de le récupérer. Mais, à cette fin 1918,unetroi-
sièmepuissances'installe dans la région. Il s'agit de la Grande-Bretagne,quidis
pose en cette fin de guerre de peu de moyensmatérielspour contrôler une région
aussi turbulente. Elle essaiede pallier cette insuffisancepar le jeu diplomatique,de plus en plus difficile à mener.
Lesmilieuxlesplus impérialistesde Londres veulentconserverle Caucase,sous
prétexte qu'il s'agit d'un des boulevards de l'Inde, mais en réalité à causedu
pétrole de Baku. En même temps, la Grande-Bretagne appuie et finance lesfor-
ces contre-révolutionnairesrusses du général Denikin, lequel entend récupérerla
totalité de l'Empire russe. La première annéequi suit l'armistice, époquependant
laquellela Russieet la Turquie ne sont pas encore de retour dans le Caucase,sera
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HERODOTE
alors marquée par les luttes internes des États régionauxet leur oppositionaux
forces du généralDenikin.
Lors de l'intermède de la domination des puissancescentralesen Transcauca-
sie, la Géorgieet l'Azerbaidjan, protectorats respectifsde l'Allemagneet dela
Turquie, seront les plus favorisés,contrairementà l'Arménie. Pendant la domi-
nation britanniqueen 1919,la situationne serapas fondamentalementdifférente,
puisquel'Azerbaidjandisposetoujours du pétroleet quecelui-citraversetoujoursla Géorgiepour aboutir au port de Batoum, promis à la Géorgie,mais occupe
par lesBritanniques.Quant à l'Arménie,elleest plusquejamaisla mauvaisecons-
ciencede l'Entente, qui lui promet de vastesterritoiresanatolienssanslesmoyensde lesconquériret de les conserver.Cette frustration, liéeà l'entassementdecen-
taines de milliersde réfugiésdans un territoire minuscule,entraîneune politique
agressivevouée à l'échec.
Les traités de Batoum, qui étaient pour la Turquie des façades juridiquesser-
vant de prétexteà l'invasion du Caucase, étaient loin de pouvoir régler lesfron-
tières entre les trois républiques.De plus, le retrait des Turcs à partir d'octobre
1918laisserades vides,que chaque république,mais notamment l'Arménie,ten-
tera d'occuper, entraînant ainsi d'inévitables conflits. Déjà au début du mois
d'août 1918,Nuri Pacha demandel'annexion du Karabagh à l'Azerbaïdjan.La
Républiquearméniennen'a pas à l'époque les moyensde contrôler directement
la région. La premièreassembléedu Karabagh, réunie courant août, refuseles
exigencesde Nuri Pacha. Celui-ciréitèresa demandeaprès la prisede Baku,mais
une deuxièmeassemblée,réunie entre le 20 et le 24 septembre, lui opposeun
second refus. Un détachementturco-azeri est alors envoyé contre Chouchi,la
capitale.La populationarménienney réunit sa troisièmeassembléedu 5 au8octo-
bre, qui se trouve obligéede céder aux pressions.Les Turcs entrent le 8 octobre
à Chouchi.Maislesvillagessont en séditionet le moissuivant,profitantduretrait
turc, les Arméniensreprennent le contrôle de la région98.
Le commandanten chef des forcesbritanniquesdu Caucase,le généralThom
son, est dans lesmeilleurstermesavecle gouvernementazerbaïdjanais,cequiper-
met à la Grande-Bretagne d'obtenir de très grandes quantités de pétroleConsidérant que l'Arménie doit être rétribuéepar des vastes territoiresenAna
tolie et que lesmontagnesdu Karabaghconstituentle lieu de pâturageestivaldes
éleveursazéris, il autorisele 15janvier 1919la nominationd'un gouverneurazen
pour les provincesdu Karabagh et du Zanguezour.La population du Karabagh
est composéeà l'époque de 165000Arménienset de 59000Azéris,celleduZan-
guezour de 101000Arménienset de 120000Azéris99.Mais le Zanguezourest
occupédepuisjuillet 1918par lesbandesd'Antranik, qui attaquent systématiquement les villagesmusulmans.
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L'administrationazerbaïdjanaisepénètre sous protection britannique au Kara-
baghà la mi-février1919,tandis que les Arménienstiennent à Chouchi leur qua-trièmeassemblée.Celle-cirefusede se soumettreet les pourparlerssepoursuiventlorsde la cinquièmeassemblée,tenue fin avril avec la participation du gouver-neurazériet du général Shuttleworth, successeurde Thomson. Le refus armé-
nienpersisteet les relationss'enveniment.LesAzérispassentà l'attaque le 2 juin.Lasixièmeassembléedu Karabagh, réunie le 29 juin, accepte la recherched'un
compromiset, enfin, la septièmeassemblée,tenue entre le 12et le 15 août 1919
acceptel'autorité azérie100.
Laretraiteturque
Enoctobre-novembre1918,les Turcs évacuentla zone situéeentre Alexandro-
pol(Leninakan)et Karakilise(Kirovakan)et sescontreforts nord qui constituent
larégiondeLori, situéeau sud du districtde Bortchalou, frontièreentre la Géor-
gieetl'Arménie.LesArméniensoccupentaussitôt lesterritoiresévacuésau granddamdesGéorgiens.Un conflit est alors évitéde justesse, mais quand la popula-tionarméniennedu reste du Bortchalou se révolte en décembrepour demander
sonannexionà l'Arménie, l'armée de ce pays traverse la frontière le 14 décem-
breet une guerre arméno-géorgienneéclate. Elle est arrêtée le 31 du mois parl'interventiondes Britanniquesqui déclarent le district de Bortchalou, zone neu-tresouscontrôle allié 101.
Lasituationest beaucoupplus complexedans les régionssituéesentre les répu-bliquestranscaucasienneset la lignede retraite des forcesturques qui est la fron-
tièrede 1914.Enver Pacha envoiedes instructionsprécisesà l'armée du Caucaseenoctobre1918.Celle-cidoit armer, avant de se retirer, les populations kurdesetturques,en laissant égalementderrière elle des officiers capables d'organiser
politiquementet militairementla région, l'objectif principal étant d'empêcher le
rapatriementdesArméniens.Ainsi, dès octobre 1918,la population musulmanedesdistrictsd'Akhaltsikh et d'Akhalkalaki prend l'administration en main et
stoppela progression des Géorgiens102.Le 11 novembre est fondé à Kars un
soviet(Choura)national islamique, comprenant les territoires acquispar la Tur-
quieenvertudu traité de Brest-Litovsk,que Moscouvenaitde dénoncer.D'autressovietsseront fondés à Sourmalou (Igdir) et à Nakhitchevan. Des congrès sont
convoquésle 30 novembre à Kars et du 3 au 9 janvier à Ardahan 103.Le 8 jan-vier,lesArménienssignentavecle généralForestier-Walker,commandantdes for-cesbritanniquesà Batoum, un accord pour l'établissementd'une administrationcivilearménienneà KarsI04.Mais quand l'administration arménienne, escortée
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par les Anglais, arrive à Kars le même scénario qu'à Karabagh se produit.Lesmusulmansrefusentde se soumettre105.Un grand congrèsse réunit à Karsentrele 12et le 18janvieret proclamele gouvernementnationalprovisoiredu sud-ouestdu Caucase.Le généralThomsonarrive alors à Kars et reconnaît de fait cegou-vernement,tandis que l'administration arméniennefait demi-tour106.LesTurcset les Kurdes rendant impossible tout rapatriement arménien vers l'ouest, lesArméniensdécidentalors, en janvier, d'attaquer le Nakhitchevan107.LesAnglaisdoiventencoreintervenirpour prendreen chargel'administrationde cetterégion.
Entraînédeplus enplus dansle guêpierdu Caucase,le généralThomsonconvo-
que les dirigeantsgéorgienset arméniensà Tiflis du 6 au 8 avril. Le différend
arméno-géorgienest régléavecun échangede territoiresentre le districtdeBort-
chalou, affectéà l'Arménie, et celuid'Akhalkalaki, qui doit passer sousjuridic-tion géorgienne.Ensuite, Thomson propose aux Arméniens de les aider pourprendrele contrôlede Kars et de Nakhitchevans'ils acceptentde céderauxAzé-ris le Karabagh et le Zanguezour108.Suite à un accord de principe, Thomson
occupeKars le 13avril et dissout le gouvernementdu sud-ouestdu Caucase.Le
30, l'administration est transféréeaux Arméniens109.En mêmetemps, lesGéor-
gienssont autorisésà occuperAkhaltsikh et Akhalkalaki, ainsi que Ardahanet
Çildir au-delà de la frontière de 1878. Un dernier « soviet », celui d'Oltu,àl'extrême ouest du territoire cédéà la Turquie par le traité de Brest-Litovsk,est
dissous le 3 maino. Enfin, les Anglais se retirent de Nakhitchevan, laissant
l'administrationaux Arméniens.Nous avonsvu en revancheque le Karabaghne
serapas cédéaux Azérisavant les affrontementsdu moisde juin ; quant auZan-
guezour,il restesouscontrôlearménien.Demêmele colonelRawlinson,quivisite
la région de Kars en juillet, constate qu'en dehors des villestout le resteduter-
ritoire est tenu par les Kurdes, depuis la vallée d'Araxe jusqu'à Oltu et Arda-
han in. A la même époque (19-20 juillet), les musulmans du Nakhitchevan
attaquent les Arménienset les obligent à évacuer le district112.
Les arméesblanches
En ce qui concerne le nord du Caucase, les Britanniques, tout en essayantd'obtenir l'évacuationdes troupesturques,prennentsousleur protectionlaRépu-
blique du nord du Caucase113.Le Daghestanpossède égalementdu pétroleet
constituetoujoursun passagecommodepour approvisionnerDenikin.Maiscelui-
ci, deplus en plusconfortépar lessubsidesbritanniques,met en oeuvresavolontéde réunifier les anciensterritoires russes. Le soviet de Vladikavkaz,présidéparle bolchevikOrdjonikidze, est attaqué une première fois par les Cosaquesdu
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Tereken août 1918et doit se réfugier chez les Tchétchèneset les Ingouchesquil'aidentà récupérer la ville constituant l'entrée nord du Caucase114.En janvier
1919,Denikinoccupe Vladikavkaz115.En février, il soumet les sovietsdes pay-sansabkhazesqui avaient chassé les bolcheviks l'été précédent, avec l'aide des
GéorgiensU6. La frontière entre la Géorgie et Denikin s'établit sur le fleuve
Bzyb,entre l'Abkhazie et la Mingrelie.Le commandant britannique du Caucase
doitprévenirDenikin le 22 février que, si celui-ciempiètesur de nouveauxterri-
toiresau Caucase, l'aide militaire aux volontaires cesserait. Mais au fur et à
mesurequeDenikin devientle fer de lance de la guerre contre Moscou, ces inter-
ditssontde moins en moins respectés. Celui-cioccupeen mars le Daghestan, la
flotteCaspienne,que les Britanniqueslui avaientcédée,sert à bombarderles quar-tiersmusulmansde Derbent, et enfin lesBritanniquesl'autorisent à occuperDer-
bentet Petrovsk en mai 117.Les enrôlementset les contributions forcéspoussenttoutefoistrès vite les montagnards à la révolte. Dès le mois de mars, les paysans
abkhazes,refusant de s'enrôler, créent un mouvement insurrectionnel, l'Armée
verte.En juin, ce sont les Ingouchesqui se révoltent, suivisen août par lesTchét-
chènes118.
Enautomne, la révolte est généraleau nord du Caucase, au moment où Deni-
kintenteson assaut final contreMoscou.La résistanceà Denikinformeun conseil
dedéfensedans lequel on trouve les bolcheviksd'Ordjonikidze, les socialistes,lesnationalistes,les chefs religieuxmusulmans qui commandent les « régimentsdela charia » et l'inévitable Nuri Pacha, lequel, s'échappant des geôlesbritan-
niquesde Batoum, vient prêter main forte à ses anciens protégés119.GéorgiensetAzérisaident cette révolte, malgré les protestations britanniques, et Denikinnetrouvegrâce qu'aux yeuxdesArméniens.Un échangede représentants se faitentreErivanet Ekaterinodar (Krasnodar), la base de Denikin. Celui-ciapprovi-sionnel'Arménie en armes et munitions et garantit l'émission de monnaie armé-nienneau nom de la banque centrale russe 120.
Lapositiondes Britanniques,pris dans cette mêlée,évolueau cours de l'année'
1919.Le 31 octobre 1918,le lendemainde l'armistice turc, le War Office décide
l'occupationde Baku et de sespuits pétroliers12!.Mais, contrairementà l'accueil
chaleureuxdu gouvernementazéri, les Géorgiensse montrent beaucoupplus réti-cents.Le 26 novembre, le ministre des Affaires étrangèresGegetchkori rencon1
tre Thomson pour essayer d'empêcher l'entrée des forces britanniques en
Géorgie122.Le 3 décembre, l'Eastern Committee, comité interministérielbritan-
niquechargédes affaires du Moyen-Orient, présidé par lord Curzon, se réunitetdécide,sur les instances de ce dernier, d'occuper Batoum, Baku et le chemindeferentre les deux villes, ainsi que de placer sous son contrôle les pétroles deBaku.La décisionest endosséepar le Foreign Office le 13123.Thomson à Bakuprenden charge l'administration et dénationalise les pétroles. Le 24 décembre,
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HERODOTE
les Géorgiens, en guerre avec les Arméniens, doivent céder devant les pressions
britanniques et ceux-ci occupent Batoum avant la fin de l'année, tout en instal-lant une garnison à Tiflis 124.
A la recherche d'un mandataire
Mais, dès le début de l'année 1919, des mouvements de révolte en Angleterremême, en faveur de la démobilisation,démontrent l'impossibilitépour la Grande
Bretagnede prendre en charge l'Empire russe, en plus du sien. Conscientdudan-
ger, Balfour rédige le 1erfévrier un mémorandum proposant de transférerl'occu
pation de la Transcaucasie à... l'Italie 125.L'idée consiste à faire porteriefardeau par le maillon impérialiste le plus faible de l'alliance, celui que l'onaies
moyensde contrôler le plus facilement. C'est la même politique qui enverraquel-
ques mois plus tard les Grecs nettoyer l'Asie Mineure des nationalistesturcs.Les
Italiens acceptent, à condition de pouvoir également intervenir à Konya, aucen-
tre de l'Anatolie, zone convoitée par eux depuis longtemps 126.La décisionest
officiellement prise lors du Conseil supérieur de la guerre du 9 avril, malgré
l'opposition de Curzon, qui qualifie cette opération de folie 127.L'évacuationde
Baku doit commencer le 15 juin et le 15 mai le commandement britanniqueinforme le gouvernement azerbaïdjanais 128.Celui-ci, consterné, demandeà son
représentant à Paris de contacter la délégation britannique à la Conférenceetde
solliciter un mandat britannique pour l'Azerbaidjan 129.Mais le gouvernementitalien change le 19 juin, le nouveau Premier ministre Nitti se rend comptede
l'incongruité de l'opération et l'annule.
On doit alors chercher un nouveau protecteur pour le Caucase et lesyeuxse
tournent vers les États-Unis, dont les milieux missionnaires font une campagne
importante pour un mandat américain sur l'Arménie. Dès le 28 juin, la Confé-
rence de Paix à Paris décide de nommer un commissaire résidant en Arménie,
pour coordonner l'aide humanitaire, et le 5 juillet, on décideque ce seraunAmé-
ricain, le colonel Haskell 130.Les États-Unis ne peuvent toutefois pas jouerle
même rôle que l'Italie et la Standard Oil Company s'intéressevivementauxpétro-les du Caucase. Ainsi, Curzon décide le 22 juillet de nommer un commissairebn-
tanique pour le Caucase, résidant à Tiflis 131.En revanche, Balfour, quiestla
personnalité la plus proaméricainedu gouvernementbritannique, insistedansune
lettre, écrite le 9 août au Premier ministre Lloyd George, sur une attributiondu
mandat aux Américains. Disons aux Américains — écrit-il — que nouspartonsle 30 septembre et que s'ils ne nous remplacent pas les Arméniens serontmassa-
b crés 132.Mais l'ambassadeur américain à Londres, contacté par Curzon,parait
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fortsceptiquesur les chances de réussite de l'opération. Les Américains devien-
nentdenouveau non interventionnistes, dit-il 133.Curzon réussit alors à obtenir
uneprolongation de l'occupation britannique.
Entre-temps,les Géorgiens font un accueil enthousiaste à Wardrop, le com-
missairebritannique, et proposent aux Anglais des « concessions économiques,industrielleset commerciales » s'ils consentent de rester 134.Le 13 octobre, le
gouvernementgéorgien sollicite à son tour le mandat britannique 135.Ainsi, au
furetà mesure que l'Entente se voit dans l'obligation de se dégager, les républi-
questranscaucasiennessollicitent de plus en plus sa présence. Mais il est vrai qu'à
partirde l'automne de nouveaux nuages s'amoncellent à l'horizon du Caucase.
Leretourdes Turcs et des Russes
Leretrait des forces britanniques du Caucase pouvait être considéré par Lon-
drescommemoins grave tant que l'Empire ottoman était moribond et la victoiredeDenikin fort probable. Mais la situation allait se modifier à partir de
l'automne.
Lemouvementnational turc prend consistance durant l'été 1919autour d'un
jeunegénéral, Mustafa Kemal (le futur Ataturk). Un premier congrès, réuni à
Erzeroumen juillet, groupe les représentants des provinces orientales, décidés àrésisterà la création d'une grande Arménie. Le congrès de Sivas, réuni en sep-tembre,élargit à toute l'Anatolie et à la Thrace orientale la volonté de formerunÉtatnational turc à l'intérieur des limites de l'armistice du 30 octobre 1918,dontla frontière orientale serait celle du traité de Brest-Litovsk. Le bras armédumouvementdans l'Est anatolien est le 15ecorps d'armée stationné à Erzeroum.Delà, des officiers partent renforcer les mouvements musulmans de résistance
quipullulentdans le no man's land politique de l'Ouest caucasien, que GéorgiensetArméniensn'arrivent pas à maîtriser. Un de cesofficiers est Halil Pacha, l'oncled'EnverPacha et ancien habitué du Caucase. Il est envoyé par Mustafa Kemallui-même« prendre contact avec les bolcheviks 136». A partir de ce moment, laquestionde la liaison entre le mouvement national turc et la Russie soviétique sepose.Dansl'impossibilité de contrôler la voie ferrée et la mer Noire tenues parlesAnglais,le passage obligé est le « couloir musulman » reliant l'Anatolie à
l'Azerbaïdjanpar le Nakhitchevan, le Zanguezour et le Karabagh. Sur ce chemin,>1ya deuxobstacles: les Arméniens, mais aussi le gouvernement azerbaïdjanais,déplusen plus dépendant des Britanniques. Aussi les officiers turcs en Azerbaïd-jan,tout en essayant de mobiliser l'armée azérie contre l'Arménie, s'allieront-ilsauparticommuniste azerbaïdjanais pour renverser le régime.
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HERODOTE
En novembre 1919,l'Azerbaïdjan, qui contrôle déjà le Karabagh, attaquele
Zanguezour,mais il est repoussé.LesBritanniquesconvoquentalorsune confé-
rencearméno-azerieà Tiflis, qui décideun cessez-le-feuet l'ouverture delaroute
traversant le Zanguezour.Une seconderéunion est prévueà Bakou, maisentre
temps les Arméniensattaquent leKarabaghet la guerrereprend137.Au débutde
l'année 1920,lesArméniensattaquentaussileNakhitchevan,maisils sont repous-sés grâce aux renforts envoyésd'Erzeroum. La guerre continuera tout au longdu printemps138.Pendant ce temps, la conférencequi se réunit à Londresen
décembre1919pour préparerle traité de paixavecla Turquie,penchepour l'attri-
bution aussi bien du haut Karabagh que du Zanguezour et du Bortchalouà
l'Arménie139,tandis que Curzonpropose la créationd'un État librede Batoum,
avec un port franc, sur le modèle de Dantzig. A cette date, Batoum apparaîtcommele seul réduit que l'Entente pourrait tenir dans le Caucase140.
La fin de l'année 1919voit égalementla déroute des arméesde Denikmquirefluentvers le sud talonnéespar l'Armée rouge, tandis que lespeuplesdunord
du Caucasetraversentune éphémèrepérioded'indépendance.A l'ouest, lepaysabkhazeest tenu par l'Armée verte, mouvementpaysan. Celui-ciréunit sonpre-mier congrèsle 18novembre 1919et se prononcepour « la terre et la liberté»
contre la réaction et le communisme.Sotchi est pris le 2 mars 1920et un con-
grèsextraordinairepaysany est tenu le 24 du mêmedu mois. Le mouvementsera
submergéun moisplus tard par les fuyardsde l'armée desvolontairesquidéfer-
lent versla Géorgie,poursuivispar l'Armée rouge141.Au Daghestan,la victoire
fait éclaterla coalitionhétéroclite.NuriPacha s'allieaux chefsreligieuxpourcom-
battre les bolcheviks.Cela causeun grand désagrémenten Anatolie, puisquela
réaction daghestanaisedevientun obstacle supplémentaireà la liaison entreles
sovietset lesTurcs.Nuri Pacha est désavouéet quand la XIe arméerougeoccupe
le Daghestanau début de l'année 1920,il s'enfuit en Azerbaïdjanpour semet-
tre à la tête des régiments azéris qui se battent contre les Arméniensau
Karabagh142.
Sauver le pétrole
Le 2 janvier 1920,Tchitcherineenvoieune note aux gouvernementsde l'Azer-
baidjanet de la Géorgiedanslaquelle,aprèsleur avoirannoncéla défaitedeDeni-
kin, il leur propose un pacte militaire pour son anéantissement final143.Le
lendemain,Wardrop, le commissairebritannique à Tiflis, écrit à Londrespour
reprendre l'idée du front du Caucase,cette fois-cicontre les Soviétiques.Celui-
ci devait être formé par la Géorgieet l'Azerbaidjan avecl'aide britannique
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CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
Quelquesjours plus tard, les représentants britanniques à Tiflis et à Baku trans-
mettentla demandedesgouvernementsde Géorgieet d'Azerbaïdjande leur recon-
naissancepar l'Entente, afin de pouvoir entreprendre des relations d'État à État
avecMoscou.C'est égalementle sens de leur réponseà Tchitcherine145.Ces télé-
grammestrouvent Curzon à Paris. Les ministres des Affaires étrangères de
l'Ententes'y réunissent le 10 et décident la reconnaissancedefacto de la Géor-
gieet de l'Azerbaidjan 146.Curzon communique cette décision à Londres et
demandela réunion d'urgence de l'Eastern Committee.En mêmetemps, il rédigeunenote pour le Conseil supérieur de la guerre où il propose, « pour éviter la
jonctiondes hordes bolcheviqueset musulmanesen Transcaucasie », de dirigerlesenvoismilitaires, destinésjusque-là à Denikin, vers l'Azerbaidjan, l'Arménie
etlaGéorgie,en y ajoutant une aide financièreet alimentaire,d'envoyer destrou-
pesà Batoum et à Baku et de reprendre le contrôle de la flotte Caspienne147.Le
Conseilsupérieur, qui se réunit le mêmejour, est toutefois beaucoup moins va-
t-enguerre. Il faut des « troupes blanches » pour réaliser cette opération, dont
l'Ententene dispose pas, et en plus il faudrait trois mois pour la mettre en
place148.Ce même 12janvier se réunit à Londres l'Eastern Committee. Le chef
d'état-majorprésente trois lignes de défense des intérêts orientaux de l'Empire
britannique: a) la ligne Istanbul, Batoum, Baku, Krasnovodsk(sur la rive est de
laCaspienne),Merv (en Asie centrale). Celle-cinécessite le contrôle de la mer
Noireet de la Caspienne ainsi que sept divisions; b) la ligne Istanbul, Batoum,
Baku,Enzeli,Téhéran, Machad. Celle-cipeut faire l'économie d'une flotte Cas-
pienne;c) nord de la Palestine, Mossoul, un point au nord de Khanakin (sur la
frontièreirano-irakienne).SirHenryWilsonconclutque la troisièmeligneest seule
possible.En ce qui concernele Caucase,lesBritanniquespeuventencoreconserveruneforceà Batoum à condition de ne pas tomber dans la même situation quelesFrançaisà Odessaquelquesmois plus tôt 149.Wilsonpense en outre que livrerdesarmesaux Géorgiensou aux Azéris équivaudrait à les livrer aux Soviétiques,puisquela « bolchevisation » de ces deux républiques était inévitable150.
Curzonpourtant insiste et fait venir les principaux ministres à Paris, où une
conférenceinterministériellebritannique se tient le 16.Le clan pétrolier, Curzon,WalterLong, le ministredeshydrocarbures,et lord Beatty,premierlord de l'Ami-
rauté,qui contrôle la British Petroleum, défendent la première ligne. Ils sont
appuyéspar lord Montagu, ministredes Indes. Churchilljuge toute défenseinutileetproposed'attaquer par la Pologne ou la Finlande. Enfin, pour Lloyd George,lahgnede défense doit être plus idéologique et économique que militaire. La
réponsesera donnée par un ministre resté à Londres, sir Robert Horne, ministreduTravail,qui télégraphiele 18que la situation économiqueet socialeest catas-
trophique,que de grandesgrèvessepréparent et que, dans ces conditions,il n'est
181
HERODOTE
pas question d'entreprendre de grandes opérations outre-mer151.Le Conseil
supérieurdeguerre,qui seréunitle 19,décidede secontenterd'une aideenarmes
et munitions et d'utiliser le « matériel vivant » sur place pour faire faceau
danger152.
L'entente impossible.La prise de l'Azerbaïdjan
Pour essayerde mettre en route ce programme, les représentantsde l'Entente
à Paris ou sur le terrain essaientde former un semblantd'unité entre lesdiffé-
rentspeuplesdu Caucase.Cequi serévèleêtreune tâcheimpossible.Curzon,dans
un dernier sursaut, tente de conserverBatoum, en lui conférant le statut d'Etat
libreplacésousla SociétédesNations,maislesGéorgiensneveulentpasenenten-
dre parler 153.La Conférencedécidealors de l'attribuer à la Géorgieà condition
que lesArménienspuissentavoirun accèsà la mer, maisles délégationsdesdeux
pays n'arrivent pas à s'entendre 154.Sur place, on essaie de mettre d'accord
l'Azerbaïdjan et l'Arménie, toujours en guerre. Wardrop demandele23janvierl'arrêt de l'agressioncontre lesvillagesmusulmanset le retrait des forcesarmé-
niennesdu Zanguezour155.Les chosesse compliquentencore quand le colonel
Stokes,envoyéà Erivan, accuselesFrançaisd'appuyerlesviséesarméniennessur
le Zanguezour à cause des mines de cuivre qui s'y trouvent 156.Poidebard,le
représentantfrançaisà Erivan, essaiede son côté d'obtenir une allianceentreles
Arménienset les Kurdes de Sourmalou157,évidemmentsans succès.
Stokes,qui remplaceWardrop, propose aussid'aider le Daghestancontreles
Soviétiques,tandis que Nuri Pacha semblede plus en plus inféodéauxAnglais
C'est alorsHalilPacha quioeuvrepour la soviétisationde l'Azerbaïdjan.Il fonde
ainsi dans les premiers mois de 1920, avec d'autres officiers turcs, un parti
communisteturc à Baku, le premierà porter ce nom 158.Celui-cicollaboreavec
le parti communisted'Azerbaïdjan qui tient son congrès à Baku en février159.
En attendant l'arrivée de l'Armée rouge, Halil Pacha commandeà Chouchiles
détachementsirréguliersazériscontre le Zanguezour160.
Au début du moisd'avril, la situationseprésentede la façonsuivante.L'Armée
rouge tient la lignePetrovsk-Vladikavkaz-Novorossisk.Le gouvernementazer-
baïdjanais, après avoir essuyéun refus anglaisà sa demanded'occuperleDag-
hestanau sud de cetteligne,envoiesesmeilleurestroupesau Karabaghcombattre
lesArméniens161.Nuri Pacha quittele Daghestanet part commanderle frontdu
Karabagh. tandis que Halil Pacha est à Baku et se prépare selon la propagandecommunisteà prendrele commandementde la XIearméerouge.Le 26avril,Mus-
tafa Kemal, déjà président de l'Assembléenationale turque, réunie à Ankara
182
CAUCASE,LAGRANDEMELEE(1914-1921)
le23,adressesa première lettre à Lénine. En contrepartie d'une attaque soviéti-
quesurla Géorgie,il proposed'attaquer l'Arménieet de faire entrerl'Azerbaïdjandanslegiron des « États bolcheviques» 162.Le lendemain, le Comité central du
particommunisteazerbaïdjanaisprésenteun ultimatumau gouvernementdeman-
dantsadémissiondansun délaide douzeheures.Le 28, un train blindéentredans
lagarede Baku avec Ordjonikidzeet Kirov. Ils sont suivispar la XIe arméequi
pénètredans la ville sans tirer un coup de fusil 163.
Lesrelationsturco-soviétiqueset l'Arménie
Lepremieracte du gouvernementsoviétiquede l'Azerbaïdjan est l'envoi d'un
ultimatumà l'Arménie, demandant l'évacuation du Karabagh et du Zangue-zour164.En même temps, une délégationsoviétiquequitte Baku pour Tiflis. Le
7mai,un traité de paix soviéto-géorgienest signé. L'indépendance de la Géor-
gieestreconnueet Batoumlui est attribué. Celan'empêchepas la délégationgéor-
giennedecontacter le Foreign Office le 11mai pour demander des armes contrelesSoviétiques165,ni les accrochagesqui se produisent entre les deuxarméessurlafrontière166.
Ilsemblependant un moment que l'expansion soviétiqueva submergertout le
Caucase.Une insurrection communisteéclate le 1ermai en Arménie et le 18 la
flottesoviétiqueoccupeEnzeli, dernier port britannique sur la Caspienne. Maislasituationest rapidement rétablie en Arménie où Alexandropol est repris aux
insurgésle 15mai 167.Une délégationarménienne arrive à Moscou le 22 en vuedesnégociationspour une paix soviéto-arménienne.
Quelquesjours plus tôt, le 16,Halil Pacha arrive égalementà Moscouen tant
quepremierenvoyéofficieuxd'Ankara. Il rencontre aussitôt Tchitcherineet son
adjointKarahan, ainsi que le commissaireà la Guerre Kamenev. Il est décidé
d'envoyeren Anatolie commepremière livraisonun million de livres-or, 60 000fusilset cent millionsde cartouches. Sur ce, arrive à Moscou le courrier portantlalettredeMustafa Kemaldu 26 avril. Tchitcherines'inquiète de la propositionturqued'attaquer l'Arménie, au moment où l'on promettait à Moscouà la délé-
gationarméniennede lui obtenir lesprovincesde Van et Bitlissi le gouvernementdachnakacceptait de renoncer au rêve de la Grande Arménie des six provincesetderompreavec l'Entente. La réponse faite par Tchitcherineà Mustafa Kemalnementionnepourtant pas ce point délicat168et se contente d'offrir la média-tionsoviétiquepour résoudre le différend turco-arménien169.Cetteréponse est reçue à Ankara le 12 juin. Mustafa Kemal accepte de sou-
mettrela question à la médiation soviétique et de retarder l'attaque contre
183
HERODOTE
l'Arménie sollicitéepar l'armée d'Erzeroum. En même temps, une délégationtur
que part pour Moscou, mais les Arméniens ne l'autorisent pas à traverserleurterritoire et elle doit s'embarquer sur la mer Noire.
La question d'ouverture de la route retarde également le départ du premierconvoi d'aide soviétique, qui doit être acheminé par Halil Pacha. La situationausud du Caucase est encore extrêmement confuse. A la mi-mai, une révolteéclateà Gandja, fief des grands propriétaires fonciers, contre le gouvernement sovieti
que. A sa tête, on trouve encore Nuri Pacha. La révolte est réprimée grâce,apparemment, aux troupes arméniennes de la république soviétique170,et les insurgess'enfuient au Karabagh. Ainsi, les contre-révolutionnaires azéris deviennent*un obstacle supplémentaire à la jonction turco-soviétique. L'Armée rougepoursuit Nuri Pacha qui s'enfuit en Perse et entre dans le Karabagh. Ordjonikidze
exige l'évacuation du Karabagh par l'armée arménienne, mais celle-cirefuse,
encouragée par les Britanniques 171.La XIe armée rouge avance et occupele
Karabagh tandis que les négociations se poursuivent à Moscou entre Arméniens
et Soviétiques 172.A la fin du mois, on arrive à un compromis, le cheminsera
ouvert en contrepartie de la médiation soviétique. La délégation arméniennetele
graphie la décision à Erivan le 1erjuillet 173.Le lendemain, Halil Pacha partde
Moscou emmenant avec lui 500 kg d'or, première livraison de l'aide soviétique
Le chemin du Karabagh
Toutefois, le gouvernement arménien, en accord avec le représentant bntan
nique, refuse de livrer passage à travers le Zanguezour 174.Les Arméniens,de
plus en plus inquiets du rapprochement turco-soviétique, proposent une attaquecontre la haute vallée de l'Araxe, en liaison avec les opérations de l'arméegrec
que qui se développaient au même moment à l'ouest de l'Anatolie 175.L'Armée
rouge quitte Chouchi le 5 juillet et occupe Gerus, dans le Zanguezour, le8 Elle
lance de là un nouvel ultimatum pour l'évacuation complète du Karabaghetdu
Zanguezour, mais elle ne semble pas disposée d'entreprendre la conquêtedela
région. A la mêmeépoque, la guerre avecla Pologne fait rage et une grandepartiedes troupes du Caucase sont envoyées sur ce front. Profitant de ce vide, l'Arme
nie, tout en renonçant à son intention d'occuper la haute vallée de l'Araxe,pou
couper les bandes kurdes du Sud de celles du Nord 176,entreprend le nettoyage
du Charour et du Nakhitchevan, en suivant la voie ferrée du nord au sud.50CI
Azéris fuyant devant l'armée arménienne se réfugient en Iran 177.Le 28juilletun accord intervient entre musulmans et Arméniens de la région, les Azérisdu
Charour sont définitivement expulsés et remplacés par des réfugiés arméniens
184
CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
Entre-temps,l'Armée rouge, escortant Halil Pacha, tente d'ouvrir le chemin
etseheurteauxArméniens.Gerusestpris par les forcesarméniennesle 5 et récu-
péréle 8 par l'Armée rouge. Enfin, les pourparlers arméno-soviétiquesquicontinuaientà Tifliset à Erivan aboutissentà un accordsignéle 10août, le jourmêmeoùle traité de Sèvresconsacresur le papier la GrandeArménie.L'accord
arméno-soviétiqueprévoitl'occupationtemporairedu Karabagh,du ZanguezouretduNakhitchevanau sud de Chahtakhti par l'armée soviétique179.Ainsi, un
couloirpermettantlepassagede la premièreaidesoviétiqueversla Turquiekéma-
listeestmis en place.Parallèlement,la délégationturque discuteà Moscouun accordturco-soviétique
etlaquestionarménienneest au centredu débat.Moscouattendtoutefoisla con-
clusiondel'accordarméno-soviétiqueavant de commencerofficiellementlesdis-
cussionset, lors de la premièreséanceofficiellele 13 août, Tchitcherineréitère
sademandede cession des provinces de Van et Bitlis pour l'installation des
300000Arméniens,réfugiéspendant la guerre dans le Caucase180.Le compterendude cetteréunion, envoyépar les déléguésturcs à Ankara, décidecelle-ci
deprépareruneattaque contre l'Arméniepour devancerles événements,attaque
quine seratoutefois pas mise à exécutionavant la réceptionde nouvellesplusdéfinitives.
Unpremiertexte d'accord turco-soviétiqueest paraphé à Moscoule 24 août.
Maisl'accordachoppesur la questionarménienneet sur les trois districtscédés
parletraitéde Brest-Litovskque la Russierefuse de reconnaître. La délégation
turquequitte alors Moscou pour rendre compte de l'état des négociationsà
Ankara.Undesdéléguésarriveà Trabzonle 18septembreet télégraphielesrésul-tatsdespourparlersà Ankara. Suiteà ce rapport, MustafaKemaltélégraphiele20à Erzeroum,ordonnant le début des opérations contre l'Arménie181.
L'offensiveturque contre l'Arménie
Toutefois,legouvernementd'Ankara agit avecunegrandeprudencepour testerlesréactionsaussibien de Moscouque desOccidentaux.SonministredesAffai-resétrangèresenvoiele 26septembreune note auxgrandespuissancesannonçantl'opérationet précisantqu'il s'agit seulementde s'assurerde quelquespointsstra-
tégiques182.L'offensivecommencele 28 et s'arrête le 30 après la prise de Sari-
kamis,villefrontière sur la route de Kars. Or, la prise de Sarikamisavait été
proposéepar la délégationturque lors despourparlers de Moscou,le 4 août, envuedefaciliterlescontactsentrelestroupesturqueset soviétiqueset lesdirigeantssoviétiquesl'avaient acceptée183.D'ailleurs, le jour même de la prise de Sari-
185
HERODOTE
kamis, Lénine, en contactpermanent avecKirovqui se trouve à Tiflis, annonce
au Comité central du Parti qu'il faut envoyerune aide réelleet rapide au mou-
vementd'Anatolie et qu'il faut obtenir le consentementde l'Arméniepourune
médiation184.
De son côté, l'Entente ne semblepas s'émouvoiroutre mesure.Khatissian,le
Premierministrearménien,de passageà Istanbul, propose au haut-commissaire
britanniqueune descentegrecqueà Trabzon. Celui-citransmet le 2 octobrecette
proposition à Londres et reçoit le 6 un refus catégorique de Curzon185.
L'Entente a fait son deuildu Caucase,et a fortiori de son maillonle plusfaible,
l'Arménie,et cherchemaintenantplutôt à gagnerlesgrâcesdu mouvementnatio-
nal'turc pour obtenir une paix dans les meilleurstermes.
Conformément aux décisionsdu Comité central, Tchitcherinetélégraphiele
5 octobreau ministrearméniendesAffairesétrangèresOhandjanianpour luidire
que lesSoviétiquespeuvent arrêter l'armée turque et obtenirmêmela restitution
d'une partie des territoires occupéspar la Turquie, à condition que l'Arménie
dénoncele traité deSèvreset évacueletronçonde cheminde fer situéentreChah-
takhti et Nakhitchevan186.
Le lendemain,le représentantsoviétiquedans le Caucasepart pour Erivanet
proposeau gouvernementarménienun plan en quatrepoints: utilisationdesche-
mins de fer arménienspar les troupes de la Russie,de l'Azerbaïdjan et dugou-
vernementd'Ankara, dénonciationdu traité de Sèvres,médiation de la Russie
dans le différendfrontalier arméno-turc,cessiondu Karabaghet du Zanguezourà l'Arménie187.Le gouvernementarméniens'empressede communiquerlepro-
jet à Stokes, le représentant britannique à Tiflis. Celui-cirépond que c'estdu
bluff, et lesArméniensrefusent leprojet. En contrepartie, Stokesassurelegou-
vernementarméniende l'assistancegéorgienne.MaisAnkara s'empressededon-
ner des assurancesà la Géorgieen promettant de ne pas attaquer les districts
d'Ardahan et Batoum et envoieun ambassadeurà Tiflis 188.
Le Conseildesministresà Ankara décidedèsle 7 octobredeprocéderà l'occu-
pation de Kars. L'argument est simple: frapper d'abord, négocierensuite189.
L'opération est toutefois retardéepar la nécessitéde s'entendre avecla Géorgie
et par l'hostilité croissante de la Russie, convaincue d'une complicitéentre
l'Entente et le gouvernementd'Ankara et craignant même que celui-cine soit
devenuun instrumentpour la reconquêtedu Caucase.Celan'est sansdoutepas
vrai à cette date, mais l'indifférencede l'Entente pour le sort de l'Arméniequi
contraste avec sa sollicitudepour le gouvernementd'Ankara, rendait cettesus-
picionlégitime.De soncôtéStokesessaied'empêchertoute ententeentrelesSovié-
tiques et l'Arménie, croyant à un front arméno-géorgien.Ce n'est qu'aprèsle
début de la deuxièmeoffensive turque, le 27 octobre, que le gouvernement
186
CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(1914-1921)
arméniensignele 28, à l'insu de Stokes,un accordavecLegran,le représentant
soviétique.Le gouvernementdachnakacceptela médiationsoviétiqueà condi-
tionque le gouvernementd'Ankara se retire derrière la frontière de 1914et
qu'aussibien le traité de Brest-Litovskque celui de Batoum soient considérés
commecaducs190.Or, Kars est pris le 30 octobre et, après une rencontreora-
geuseentreStokeset le représentantarménienà Tiflis,Bekzadian,le gouverne-mentd'Erivandécided'entrer en pourparlersavecAnkara 191.
Lemoisde novembreest un mois de crise. Stalineest à Baku pour préveniruneinvasiondu Caucase.Stokesessaied'obtenir ce que précisémentcraignentlesSoviétiques,une allianceavecAnkara contre Moscou.LesArméniensfrap-
pentdésespérémentà toutes lesportes, tandisquelesTurcsessaientd'obtenir les
meilleurstermesdu gouvernementdachnakpour lesutiliserensuitecommebases
denégociationaveclesRusses.Ainsiils répondentévasivementauxpropositionsdemédiationrusse et occupentAlexandropol.Curzonécrit à Stokesqu'il vaut
mieuxque lesArménienstraitent avecles kémalistesqu'avecles bolcheviks192.
Cequeles dachnakssont en train de faire. Moscoudécidealors d'accélérerlasoviétisationde l'Arménie.Celle-cis'accomplirale 2 décembre,lejour où legou-vernementdachnak signeavecAnkara le traité d'Alexandropol,dernieracte del'Arménieindépendante.
Lesnégociationsturco-soviétiqueset la chute de la Géorgie
Enfin,la jonctionentrela Russiesoviétiqueet la Turquiekémaliste,tant crainteetespérée,venait d'être accomplie.Il restait maintenantà négocierla frontièreetà réglerle sort du dernier obstacle, la Géorgie.Et comme les Soviétiquesn'avaientpas l'intention de reconnaître ni le traité de Brest-Litovskni celui
d'Alexandropol,qui lesprivaitde deuxpiècesmaîtressesdu Caucase,Alexandro-
poletBatoum,les négociationspromettaientd'être difficiles.
Toutefois,aprèsla crisedu moisde novembre,lesdeuxpartieséchangentdesamabilitéset se déclarent prêtes à reprendre les négociations. Le premiercompromisapparaît au sujet desparticipants.Moscouveut inclurel'Azerbaïd-janetl'Arméniesoviétiques.Ankara ne veut pas en entendreparler, maispro-poseà leur place la Géorgie. Finalement, la négociationse fera à deux. Ledeuxièmesujetqui alimentelessoupçonsdesdeuxcôtésconcernelesnégociationsquelesdeuxparties sont en train d'engageravecl'Entente à Londres.Ankaraestinvitéeà une conférencechargéede réviserle traité de Sèvresen faveurdes
aspirationsnationales turques. Moscou entreprendles premièresnégociationscommercialesavecLondres.Lesdeuxpartenairesfont, là encore,preuvedebonne
187
HERODOTE
volontéen échangeantdes informationsconcernantl'évolution desnégociations
réciproques,mais Moscous'inquièted'une nouvelletentativede front caucasien,consistantcette fois-cià rendre la Géorgietributaire de la Turquie, ce quiper-mettrait de conserverBatoumdans le giron occidental,bloquant ainsi lesexpor-tations pétrolières russes. Effectivement, aussi bien le chef de la délégationd'Ankara à Londres que la délégationturque, de passageà Tiflis, sur la route
de Moscou, sont sollicitésà ce sujet 193.Moscou riposte par deux mesures,l'accélérationdesnégociationsavecla Turquieet l'invasionde la Géorgie.Quandla délégationturque arriveà Moscoule 16février, l'Armée rouge a déjà pénétréen Géorgie.
Cemême16février,le représentantd'Ankara à Tiflis,KâzimBey,télégraphiaitau commandant de l'armée de l'Est turque pour lui annoncer l'attaque soviéti-
que et lui suggérerl'aide de l'armée turque. Le mêmejour, le commandement
de l'Est reçoitun secondtélégrammede l'état-majorà Ankara, annonçantladéci-
sion du gouvernementd'adhérer à une fédérationdu Caucaseet lui demandant
d'être prêt pour une nouvellecampagneversl'Est. Le commandantrépondqu'ilserait plus prudent de se contenter d'occuper Artvin et Ardahan tout endécla-
rant sa neutralité dans le conflit soviéto-géorgien194.Effectivement,commeil
n'y a pas de différendà ce sujet avecMoscou,Ankara procèdedans un premier
temps à cette occupation. Un ultimatum est lancé à la Géorgie, laquelle,après
avoir protesté en vain, évacuele 23 févriercesterritoiresqui faisaientpartiedes
gains de la Turquie à Brest-Litovsk195.
Entre-temps,le Caucaseest denouveauen ébullition.Le 18février,unerévolte
dachnak se saisit d'Erivan. Le représentantturc dans cette villevisiteaussitôtle
nouveau Premier ministreVratzian pour exprimer« sa joie de la libérationde
l'Arménie » et promettre l'appui turc 196.
Lesnégociationsturco-soviétiquess'ouvrentà Moscoule 21 février,au moment
où l'Armée rouge assiègeTiflis. L'atmosphère est tendue et Tchitcherinerepro-
che aux Turcsde ne pas évacuerAlexandropolet d'aider les dachnaks.Ladélé-
gation turque va alors seplaindrede cet accueilà Staline,qui s'intéressedeprès
aux affaires transcaucasiennes.En réalité, tout au long desnégociations,Lénine
utilise tour à tour l'idéalismede Tchitcherineet le pragmatismede Stalinepour
amener les Turcs à composition. Les négociationsreprennent le 26 197.Entre-
temps, les mencheviksévacuentTifliset l'Armée rougeavanceversBatoum.La
position diplomatiquedes Turcs est de lâcher en dernièreinstanceBatoum,en
demandanten compensationle districtde Sourmalou(Igdir),occupépar laRussie
en 1828.Mais l'agitation sur le terrain correspondmal au calmedes salonsde
conférence.Le mêmejour de la reprisedes négociationsà Moscou, le représen-
tant turc en Géorgie,KâzimBey, télégraphieà Erzeroumpour annoncerl'entrée
188
HERODOTE
de l'Armée rouge dans Tiflis et le retrait du gouvernementmencheviqueà Kou-
tais et demander si l'armée turque n'a pas l'intention d'occuper Batoum.Le
commandantde l'armée de l'Est, tout en posant la questionà Ankara, écritau
commandantdu front du Caucasede l'Arméerougepour annoncerque, devant
le danger d'un complot de l'Entente à Batoum, l'armée turque a l'intentionde
progresservers cetteville.Ordjonikidzerépond aussitôt qu'il n'est pas question
que l'armée turque occupeBatoum dont le sort est en train d'être décidéparla
conférence de Moscou. Le 1ermars, Ordjonikidze ordonne à l'Armée rouged'avancer sur la route Akhaltsikh-Batoumpour prévenirune progressionturqueet le mêmejour le commandant turc de l'armée de l'Est reçoit l'ordre demar-
cher sur Batoum198.
Les choses évoluent rapidement. Tandis qu'à Moscou on semblese mettre
d'accord sur la frontière de Brest-Litovsk,excluantBatoum et son hinterland
immédiat,maisaffectant à la Turquiela rivedroitede l'Araxe, c'est-à-direSour-
malou, le Conseildesministresqui se réunit à Ankara décidede proposerlaneu-
tralité d'Akhaltsikhet d'Akhalkalaki199.Le lendemainà Londres,LloydGeorge
proposeà la délégationturque la créationd'une Confédérationdu Caucase,oppo-
séeà la Russie200.Le surlendemain,la populationd'Akhaltsikhse révoltecontre
lesmenchevikset constitueun soviet.Alors le gouvernementgéorgiendemande
aux Turcs d'occuper Batoum, Akhaltsikh et Akhalkalaki. Devant les signaux
concordantsvenant de Géorgieet de Londres, Ankara décidele 8 marsd'occu-
per lestrois districts.Akhaltsikhest occupéle9, maislesdeuxarméesévitentsoi-
gneusementle conflit. Le mêmejour, un détachementde l'Armée rougearrive
à Akhaltsikh et les commandantsdes fronts se félicitentmutuellementdecette
rencontre201.
Moscou,devantcesnouvelles,essaiede bouclerau plusvitele traité. Uneder-
nière concessionest faite le 10à la Turquie au sujet de l'autonomie à accorder
au Nakhitchevandans le cadrede la Républiqued'Azerbaïdjan, à conditionque
celle-cine puissepas céder ses droits à un pays tiers202.
Le jour mêmeoù lesdéléguésturcs à Moscouacceptentla cessionde Batoum
à la Russie,leministredesAffaires étrangèresd'Ankara annonceà l'Assemblée
nationalela décisiond'occupercetteville.Le commandantdu front del'Esttélé-
graphiecettedécisionà Ordjonikidzequi la transmetà Moscou.Moscourépond
par lemêmecanalen envoyantlesdécisionsde la conférence,maisAnkarainsiste
Le 11,trois bataillonsturcspénètrentdansBatoumoù vientde se réfugierlegou-
vernement menchevik203.Moscou décide alors une avance «pacifique» de
l'ArméerougeversBatoumet demandeà Ordjonikidzed'évitertout accrochage.
Le 12mars, le Conseildes ministresd'Ankara décided'installer une adminis-
tration civileturque à Batoum, Akhaltsikh et Akhalkalaki. Le 14, les troupes
190
CAUCASE,LAGRANDEMÊLÉE(19141921)
turquesoccupentégalementAkhalkalaki. KâzimBeyannoncemêmede Batoum
sonintentionde se proclamer chef des troupes islamiquesau servicedesmenche-
viks204.Or, ces derniers signentle 15un armisticeavec l'Armée rouge et accep-tentd'évacuerla ville dans les vingt-quatre heures. KâzimBeyprépare alors un
«coup» contre les mencheviks,destiné à donner le « pouvoir » aux nationalis-
tesgéorgiensqui accepteraientà leur tour la protection turque. Il imprime dans
lanuitdu 15au 16des affichesannonçant l'annexion de la villeà la Turquie205.
Le16,jour où le traité d'amitié turco-soviétique,attribuant Batoum à la Rus-
sie,estsigné,il y a à Batoum une arméeet un gouvernementmencheviques,une
administrationmilitaire turque et un soviet en train de se former, tandis qu'audehorscampentun gouvernementgéorgiensoviétique,l'Armée rouge géorgienneetl'Arméerouge soviétique.Après l'embarquement du gouvernementmenche-
viquesur les navires de l'Entente, les Turcs essayentde désarmer l'armée men-
chevique;celle-ci s'allie alors au soviet local et les premières escarmouches
commencent.Le lendemain, l'Armée rouge entre dans la ville et des accrocha-
gescontinuentjusqu'au 21 mars, date où les Turcs acceptentd'évacuer la ville,ainsiqu'Akhaltsikhet Akhalkalaki. Le seul conflit armé entre la Russiesoviéti-
queet laTurquiekémalisteaura donceu lieule lendemainde la signaturedu traité
d'amitiéturco-soviétique.Au cours de la mêmepériode, le ministrede la Guerredupartidachnak, réinstalléà Erivan, vient signerà Igdir un accordaveclesTurcs
quis'engagentà lui fournir armes et munitions206.Il s'agittoutefoisdes dernierssoubresautset le traité du 16mars finira par pré-
valoir.Ankara attend quand mêmela défaitedesdachnakspour évacuerAlexan-
dropolle23 avril. En septembre,une conférenceréunit à Kars lesTurcs, les trois
républiquessoviétiquestranscaucasienneset la Russie. Le traité de Kars, signéle13octobre, fixe les frontières actuelles turco-russes, mais prévoit en même
tempsl'autonomie du Nakhitchevan dans le cadre de la Républiquesoviétique
d'Azerbaïdjan,avec interdiction de sa cessionà un tiers État, ainsi que l'auto-nomiedel'Adjarie, c'est-à-direla région de Batoum, Akhaltsikhet Akhalkalaki,quiestla Géorgiemusulmane, dans le cadre de la Géorgiesoviétique.Ainsi des
frontièresinternesde l'Union soviétiquese trouvent-ellesgarantiespar un traité
internationalsigné avec la Turquie.
Lerideautombe donc sur le Caucase en 1921et jusqu'à ces dernièresannéeslarégiona rarement défrayé la chronique internationale. D'où la surprisegéné-raledevoir,soixante-dixans plus tard surgirles mêmesproblèmes,commesi rien,oupresque,ne s'était passé entre-temps. Mais l'intérêt de la position géopoliti-queduCaucasene s'est en rien amoindri. Il a mêmeacquisde l'importance avec
191
HERODOTE
la montée en puissance d'un pays alors malléable à merci, l'Iran. Et les événe-ments récents sont là pour nous montrer que les différends ethniques conserventtout leur mordant. Dès que l'emprise d'un empire fait semblant de se relâchersur le Caucase, les vieux démons répondent à l'appel.
Notes
1.PhilipsM.PRICE,WarandRevolutioninAsiaticRussia,Londres,1918,p 105-1062. G PASDERMADJIAN,WhyArmeniaShouldBeFree?Armenia'sRoleinthePresentWar,Bos
ton,1918,p 16-17; etRichardG.HOVANNISSIAN,ArmeniaontheRoadtoIndependence,1918,LosAngeles,1969,p. 41-42.UnelégiongéorgiennesebattraenrevancheaveclesTurcspendanttouteladuréedela guerre;voirH.C ARMSTRONG,TheUnendingBattle,Londres,1934
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8. LeministrerussedesAffairesétrangèresSazonovécritle6novembreà sonambassadeuraLondresBenckendorff,luidemandantd'insisterauprèsdeGrey,leministrebritannique,surlanécessitedeviolerlaneutralitéiraniennepourattaquerlaTurquieBenckendorffrepondle8queGreyn'est
pasfavorable.ConstantinopleetlesDétroits,Ed.G.delaPradelle,Paris,1930,vol I, DocXVIII9 PRICE,op cit, p. 5910.IbrahimARVAS,Tarihihakikatler(«Ventéshistoriques»),Ankara,1964,p 23411.PRICE,op cit.,p. 100; JohnJOSEPH,TheNestonansandtheirMuslimNeighborsAStudy
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22WIORAM,op cit, p 371; PRICE,op cit, p 125-12623ALLEN-MURATOFF,op cit.,p.43224Notedatéedu27juin1916mE ADAMOV(ed),RazdelAsiatskoiTurtsu,Doc14125TCHALKOUCHIAN,op cit, p 29,HOVANNISSIAN,op cit, p 4726HOVANNISSIAN,op.cit, p 70-75.27JosephCASTAGNE,«Lebolchevismeetl'islam»,inRevuedumondemusulman,LI,octobre
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d'indépendanceturque», vol.III.Lefrontdel'Est),Ankara,1965,p 62-67.111A RAWLINSON,AdventuresintheNear-East,1918-1922,Londres,1923,p 210-215112TurkIstiklâlHarbi.., loc.cit.113BRINKLEY,op.cit.,p.99-100,BAMMATE,op.cit, p.44-45.114PIPES,op.cit.,p. 198.115BAMMATE,loc.cit.
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Princeton,NJ , 1970,p 14122 BRINKLEY,op cit, p 99-100123 ULLMAN,op cit, vol II, p 84.124 BRINKLEY,op cit, p 99-100125 CE CALLWELL,FieldMarshalsirHenryWilson.HisLifeandDianes,vol II,Londres,
1927,p 171126 Conseilsupérieurdelaguerre,séancen° 33,4 février1919,Bibliothèquededocumentation
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ULLMAN,op cit, p 228128 Ibid, p 229129 VisitedeToptchibacheffà LouisMalletMalletà Curzon,26mai1919,DBFP , volIII,
Doc 228130 Résolutionsn° 837et859duConseilsuprême,RecueildesActesdelaConférencedelaPoix,
partieI131 DBFP, vol III,Doc.329132 Ibid, Doc 364.133 Curzona Lmdsay(ambassadeurbritanniqueaWashington),11août1919,ibid, Doc366,
etCurzona Balfour,12août,ibid, Doc 367134 QG Militairea ConstantmopleauWarOffice,4août1919,ibid, Doc 374,AnnI, War
dropa Curzon,30août1919,ibid, Doc 409.135.Wardropa Curzon,ibid, Doc 473136 VoirlabiographiedeHahlPacha,op cit, p 303-305137.DeNonancourt(Tiflis)a Defrance(Constantmople),AMAEF,1918-1929,Caucase,vol5,
p. 231,Defrancea Pans,27décembre1919,ibid, p 286138 TurkIstiklâlHarbi , p 66-67.139PremiermémorandumdePhilippeBerthelot(ministrefrançaisdesAffairesétrangères)endate
du 12décembre,approuvesurcepointparladélégationbritannique,DBF.P , vol IV,Londres,
1952,Doc631,AppendixDeuxièmemémorandumdumême,endatedu11janvier,1920,ibid,Doc632
140Loc cit141 VORONOVITCH,op cit, p 43,61,80-81.142 I RAZGON,« VosstameprotivDemkmev Dagestane», in BorbaKlassov,XII,1934,
p 25-31,PIPES,op cit, p 226-227143 KAZEMZADEH,op cit, p 278-279.144 DBFP , vol III,Doc 630145 RencontreduministredelaGuerregéorgienavecWardrople6janvier; rencontreduPre
mierministreazerbaïdjanaisaveclecolonelStokeslemêmejour, Wardropa Curzon,6et8janvier1920,ibid, Doc.631,KAZEMZADEH, op cit, p 279
146PapersRelatingto theForeignRelationsoftheUnitedStates(FRUS) 1919,ThePartsPeace
Conférence,vol IX,Washington,DC , 1942
196
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147Ibid, ICP124,annexeà lareumondu19janvier148Loccit149DBFP , volIII,Doc640150Notea sonjournalpersonnelpourle19janvier,CALLWELL,op cit, p 224151ULLMAN,op cit, p 335.152FRUS, loccit153Reunionducabinetbritanniquedu 18février,CALLWELL,op cit, p 228,DBFP ,
volVII,Londres,1958,Doc62,Annexe5.154Ibid,Doc72,vol.VIII,Londres,1958,Doc6,AVALISHVILI,op at, p 241-254.155DBFP, volXII,Londres,1962,Doc522,n 5156MémorandumdeStokesdu21mars,ibid, Doc522157AMAEF,1918-1929,Arménie,vol 8,p 128-131158Stokesa Curzon,5février1920,DBFP., volXII,Doc405,KâzimKARABEKIR,Istiklâl
harbimiz(«Notreguerred'indépendance»),Istanbul,1968,p 492159Opcit, p 579-581,KAZEMZADEH,op cit, p 276160Nonancourt(représentantfrançaisauCaucase)aGuerre,11mars1920,AMAEF,1918-1929,
Arménie,vol9,p 62161DBFP, volXII,Doc510(entretienToptchibacheff-HardingeaLondresconcernantl'occu-
pationduDaghestan),525(26mars,demandantl'occupationazerbaïdjanaisedeDerbent),530(War-dropàCurzon,4avril),531(deRobeck,haut-commissairebritanniqueaConstantmople,aCurzon6avril),533(Hardingea Curzon,11avril),536(Wardropa Curzon,12avril)162Ataturk'untamimtelgrafvebeyannamelen(«Lescirculaires,télégrammesetproclamations
d'Ataturk»),Ankara,1964,Doc288.163PIPES,op cit, p 226-227164Luke(representantbritanniqueauCaucase)àCurzon,1ermai1920,DBFP ,volXII,Doc
552165MémorandumdelordHardinge,ibid, Doc561166LukeàCurzonle17mai1920,ibid, Doc563167VoirSergeAFANASYAN,L'Arménie,l'AzerbaïdjanetlaGeorgiedel'indépendanceà l'instau-
rationdupouvoirsovietique,1918-1921,Pans,1981,p 110-113168VoirlesmémoiresdeHalilPacha,op cit, p 328,AhFUATCEBESOY,MoskovaHatiralan
(«MémoiresdeMoscou»),Istanbul,1955,p 136,KARABEKIR,op cit, p 739-740,744-746,749751169DokumentiVnechnei, vol II,Doc372170LukeaCurzon,9juin1920,DBFP , volXII,Doc574171Martel(representantfrançaisaTiflis)aParis,18juin1920,AMAEF,1918-1919,Caucase,
vol6,p 273;mémorandumdeLuke,inHenryCharlesLUKE,CitiesandMen,anAutobiography,vol2,Aegean,Cyprus,Turkey,TranscaucasiaandPalestine,1914-1924,Londres,1953,p 155.172Martela Paris,17juin1920,AMAEF,1918-1923,Arménie,vol 10,p 251-252173GotthardJAESCHKE,«DieSowjetisierungArméniens»,inMitteilungenderAuslandHoch-
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nique)aConstantmople,DB.FP , volXII,Doc590176Bekzadian(ministrearméniendesAffairesétrangères)a Martel,17juillet1920,AMAEF,
19181929,Arménie,vol 11,p. 41.177LeconsulfrançaisdeTabnzaParis,29juillet1920,ibid,p 72,deMartelaParis,26juil-
let,ibid,p.78-79.
197
HERODOTE
178.DeMartelà Paris,30juillet1920,ibid, p 123.179.JAESCHKE,op.cit.,p 51-52.180.CEBESOY,op cit, p. 68-72; YusufKEMALTENGIRSEK,Vatanhizmetinde(«Auservicedela
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1921,inTENGIRSEK,op cit.,p 208-213194.KARABEKIR,op.cit.,p 863-864.195.A.N.KHEIFETS,Sovietskayadiplomatiyainarodnivostoka,1921-1927(«Ladiplomatiesovie
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196.KHEIFETS,Sovietskayadiplomatiya.., p 93197.CEBESOY,op.cit, p. 138-141.198 KHEIFETS,Sovietskayadiplomatiya...,p. 97;KARABEKIR,op.cit.,p. 867-868.199.TurkIstiklâlHarbi...,p. 234.200 DB.F.P.,vol XV,Londres,1967,Doc.33.201.TurkIstiklâlHarbi.., p. 234-236,KARABEKIR,op.cit, p 868-869,KHEIFETS,Sovietska)i
diplomatiya., p. 98.202.TENGIRSEK,op.cit.,p 223-228;KHEIFETS,Sovietskayadiplomatiya.., p. 110-113203.TurkIstiklâlHarbi.., p. 238-239.204 KARABEKIR,op cit.,p. 869-870205 KHEIFETS,Sovietskayadiplomatiya,p 115,KARABEKIR,op cit,p 873; KVINITADZE,«La
véritésurlaquestiondeBatoum», in Caucase,n° 13,Pans,mars1938,p. 13.206.Rapportfrançaisdu 15mai1921,AMAEF,1918-1921,Arménie,vol.14,p 222-223