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Valérie Pham Gymnase Auguste Piccard
Octobre 2001
Travail de maturité
L’autre, ce problème…
Le thème de l’amour chez Proust
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Table des matières
I. Introduction p.2
II. Première partie : La vision de l’amour d’après Proust p.4
1. L’illusion est à l’origine du sentiment amoureux
2. La jalousie, ou une étape difficile sur le chemin de la désillusion
3. L’amour est un cercle vicieux, une dépendance
4. L’amour fait souffrir
5. Conclusion de la première partie : l’amour proustien n’est pas heureux
III. Deuxième partie : Que penser de la vision proustienne de l’amour ? p.15
1. Les causes de la souffrance amoureuse
2. Aimer l’autre parce qu’il est autre
3. L’amour et le bonheur sont-ils vraiment inconciliables ?
IV. Conclusion p.19
V. Bibliographie p.20
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Introduction
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I. Introduction :
L'amour est essentiel dans la vie, tout le monde est en général d'accord sur ce point.
De la tragédie à la comédie, en passant par le vaudeville, en prose ou en vers, l’amour compte
parmi les thèmes littéraires les plus exploités. Je trouve passionnant de découvrir avec chaque
auteur, et même dans chaque nouvel ouvrage, des nuances nouvelles et différentes de ce
sentiment. C’est ainsi que l’éclairage offert par Marcel Proust à ce sujet a retenu mon
attention lors de la lecture de Du côté de chez Swann et de A l’ombre des jeunes filles en
fleurs, les deux premiers volumes de son œuvre romanesque A la recherche du temps perdu.
Si, chez cet auteur unique du début du siècle, les sentiments tiennent une place essentielle
dans la vie, les mille et une facettes qu’il en livre ne sont pas pour autant positives.
Déceptions, tourments, malheur, maladie et souffrances sont les répercussions d’un sentiment
tyrannique. Il s’agit avec Proust d’une fatalité, contre laquelle il ne nous est pas possible de
lutter. S’emparant de notre raison, de notre bonheur, de notre vie enfin, il s’enracine comme
un opiacé dans notre « pauvre » cœur. Néanmoins, il est aussi l’une des seules sources
d’émotions vraies, d’émotions grandes…
Mon travail s’efforcera ainsi, dans un temps initial, de comprendre quel rôle, quelle
importance Proust attribue à l’amour. Les thèmes les plus révélateurs, tels que l’illusion, la jalousie, ou encore la dépendance, seront traités dans cette première partie, dont le but est de
cerner la vision complexe de l’auteur.
Ces considérations aboutiront alors à un constat: Proust conçoit l'amour comme une
malédiction, un malheur assujettissant. L'esprit contradictoire, insatisfait et possessif de
l'homme serait effectivement inconciliable avec les exigences mêmes de l’amour : le respect
de l’autre, l’acceptation de sa différence radicale, de son besoin de liberté. Attisée par des
pulsions et des désirs opposés, la flamme de l'homme est à la fois malsaine et destructrice,
mais pourtant son besoin d’aimer est indispensable et essentiel. La deuxième partie de ce
travail consistera, par conséquent, en une réflexion critique sur la vision que donnent ces deux
romans au sujet de l’amour.
Proust fait-il preuve de pessimisme ou de réalisme ? A une époque où l’amour est synonyme
de bonheur, les considérations de l’une des plus grandes plumes de l’histoire de la littérature
française demeurent troublantes de lucidité.
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Introduction
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Quelle position prendre par rapport à ces idées concernant la nature et les conséquences d’un
sentiment que nous vivons au quotidien, mais que nous ne sommes pas pour autant forcément
en mesure d’expliquer, ou de contrôler ?
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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II. Première partie :
La vision de l’amour d’après Proust
1. L’illusion est à l’origine du sentiment amoureux
« Variation d’une croyance, néant de l’amour aussi, lequel, préexistant et mobile,
s’arrête à l’image d’une femme simplement parce que cette femme sera presque impossible à
atteindre. Dès lors on pense moins à la femme, qu’on se représente difficilement, qu’aux
moyens de la connaître. Tout un processus d’angoisses se développe et suffit pour fixer notreamour sur elle, qui en est l’objet à peine connu de nous. L’amour devient immense, nous ne
songeons pas combien la femme réelle y tient peu de place. […] Depuis que j’avais vu
Albertine, j’avais fait chaque jour à son sujet des milliers de réflexions, j’avais poursuivi, avec
ce que j’appelais elle, tout un entretien intérieur où je la faisais questionner, répondre,
penser, agir, et dans la série infinie d’Albertines imaginées qui se succédaient en moi heure
par heure, l’Albertine réelle, aperçue sur la plage, ne figurait qu’en tête, comme la
« créatrice » d’un rôle, l’étoile, ne paraît, dans une longue série de représentations, que dans
les toutes premières. Cette Albertine-là n’était guère qu’une silhouette, tout ce qui s’y était
superposé était de mon cru, tant dans l’amour les apports qui viennent de nous l’emportent – à
ne se placer même qu’au point de vue de la quantité – sur ceux qui nous viennent de l’être
aimé. Et cela est vrai des amours les plus effectifs. »1
Tout être humain est plus ou moins insatisfait de la réalité de sa vie et recherche en l’amour,
en la personne aimée, une dimension nouvelle. Charles Swann comme Marcel, le narrateur,
sont tous deux des êtres seuls, malgré le train de vie mondain qu’ils mènent, lassés ou blasés
de leurs fréquentations. Tomber amoureux traduit ainsi la motivation de trouver en l’autre une
âme plus sensible, plus fine. L’attirance pour quelqu’un qu’on ne connaît pas vient de ce
qu’il est différent, ou plutôt, de ce que nous le croyons différent. L’amour n’est par
conséquent pas chose fortuite ; nos attentes sont la plupart du temps déjà bien définies, même
1Marcel PROUST, A la recherche du temps perdu : A l’ombre des jeunes filles en fleurs , Paris : France Loisirs,
1999, p.931.
A noter que toutes les citations des deux ouvrages traités dans ce travail, c’est-à-dire Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles en fleurs , proviennent du même livre mentionné ci-dessus. C’est pourquoi seuls le
titre de l’ouvrage et la (les) page(s) seront cités en bas de page dans la suite du travail.
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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si nous ne nous en rendons peut-être pas compte, à l’exemple de Swann ou de Marcel, dont
les désirs sont purement romanesques. Notre esprit se forge le modèle de son amour, et guette
l’occasion de trouver la personne correspondante. « On désire, on cherche, on voit la
Beauté »2. « Au commencement d’un amour comme à sa fin, nous ne sommes pas
exclusivement attachés à l’objet de cet amour, mais plutôt le désir d’aimer dont il va procéder
(et plus tard le souvenir qu’il laisse) erre voluptueusement dans une zone de charmes
interchangeables. »3 Il s’agit donc d’un premier piège tendu à l’amoureux que de confondre ce
désir d’aimer avec l’être aimé.
L’amour se révèle exigeant. Dès le départ, l’autre doit déjà remplir certains critères, il doit se
détacher du reste du monde. Le problème, cependant, nous fait comprendre Proust, c’est que,
l’occasion de réellement trouver cette personne rare étant peu courante, notre esprit parvient à
se représenter la personne telle que nous la désirons, alors qu’en fait elle est tout autre ;
l’illusion devient par conséquent une des conditions qui rendent l’amour possible. Swann, par
exemple, n’éprouvait au début de leur relation pour ainsi dire aucun intérêt pour Odette, elle
était banale, mais au fur et à mesure qu’il la côtoie, il se convainc des particularités
absolument uniques de cette femme. Epris d’art, cultivé, il assimile sa future épouse à
Zéphora, « qu’on voit dans une fresque de la chapelle Sixtine »4
peinte par Botticelli, en
arrivant même à placer une « reproduction de la fille de Jéthro »4
sur son bureau, en guise de
photographie… Autre effet de l’illusion que la sonate de Vinteuil, qui, elle, deviendra
l’emblème de leur amour.
« La petite phrase continuait à s’associer pour Swann à l’amour qu’il avait pour Odette. Il
sentait bien que cet amour, c’était quelque chose qui ne correspondait à rien d’extérieur, de
contestable par d’autres que lui ; il se rendait bien compte que les qualités d’Odette ne
justifiaient pas qu’il attachât tant de prix aux moments passés auprès d’elle. […]Mais la petite
phrase, dès qu’il l’entendait, savait rendre libre en lui l’espace qui pour elle était nécessaire,
les proportions de l’âme de Swann s’en trouvaient changées; une marge y était réservée à une
jouissance qui elle non plus ne correspondait à aucun objet extérieur et qui pourtant, au lieu
d’être purement individuelle comme celle de l’amour, s’imposait à Swann comme une réalité
supérieure aux choses concrètes. »5
2 A l’ombre des jeunes filles en fleurs , p.857
3 A l’ombre des jeunes filles en fleurs , p.991
4 Du côté de chez Swann, pp.245 et 2474 A l’ombre des jeunes filles en fleur , p.931
5 Du côté de chez Swann, p.260
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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Ces moyens associatifs forment un véritable cocon, dans lequel naîtra la grande passion
amoureuse de Swann. Il parvient, par le biais de ce réseau de références dont il entoure
Odette de Crécy, à créer de toutes pièces la finesse d’âme exigible de cette dernière, ainsi que
toute la grandeur romanesque de leur relation. Ce n’est donc pas exagérer que de constater
qu’il invente à la fois sa maîtresse et son amour.
Chez Proust, la naissance d’un amour dépend uniquement de nous. Tel est l’un des
paradoxes de ce sentiment, « l’amour devient immense »4, et pourtant il n’est pas fondé sur
l’attirance, ou au moins sur l’admiration de l’autre, mais sur le désir utopique de retrouver en
lui une transposition de nos propres valeurs, prenant ainsi la forme d’un phénomène purement
narcissique. Nous n’aimons pas l’autre parce que nous l’acceptons tel qu’il est, mais au
contraire nous le voyons sous l’angle que nous souhaitons. Le sentiment est opiniâtre ; dans
la Recherche, le héros ne choisit pas à proprement parler la personne dont il tombe amoureux,
l’amour lui tombe un jour dessus, parce qu’il a été intrigué par la silhouette d’une jeune fille
sur la plage, par exemple, son cœur entêté ne lui laisse pas de choix : il faut aimer l’objet
visé, et plus encore, il faut le rendre aimable. Seule l’illusion est capable de satisfaire de tels
desseins. Je pense du reste que ce phénomène d’imagination souligne certains aspects
absurdes et illogiques de l’amour : on aime, on ne sait pas réellement pourquoi, il s’agit d’une
sorte de défi que l’on se lance, et à cause de cette inflexibilité souvent insensée et irrationnelle
quant à l’objet d’amour, on se trouve obligé de faire les adaptations nécessaires, ou en
d’autres termes, d’user d’efforts imaginaires, nuisibles à plus long terme.
Lorsque Marcel est amoureux de Gilberte, par exemple, tout ce qui touche à Gilberte devient
précieux, important, et le jour où, en totale admiration devant la maison des Swann, il se fait
rétorquer par son père que leur demeure est banale, Marcel parvient à se convaincre de ce qui
l’arrange, plutôt que de mettre en péril, faute de réalisme, l’édifice de son amour pour
Gilberte :
« Je sentis instinctivement que mon esprit devait faire au prestige des Swann et à mon
bonheur les sacrifices nécessaires, et par un coup d’autorité intérieure, malgré ce que je
venais d’entendre, j’écartai à tout jamais de moi, comme un dévot la Vie de Jésus de Renan6,
6 Ernest Renan était un écrivain et historien français du dix-neuvième siècle, qui se fit remarquer par les vuesrationalistes qu’il manifesta dans L’Histoire des origines du christianisme, dont La Vie de Jésus, le premier
volume, agita fortement l’opinion publique.
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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la pensée dissolvante que leur appartement était un appartement quelconque que nous aurions
pu habiter. » 7
Etre amoureux, c’est donc voir avec d’autres yeux, se forcer, la plupart du temps
inconsciemment, à devenir celui, ou celle qu’on n’est pas vraiment, et créer par conséquent un
contentieux, une certaine concurrence entre le « je amoureux » et le « je réel ». La réalité
devient l’ennemi numéro un de l’amour, puisque ce dernier vit indépendamment d’elle.
Une relation à l’autre si illusoire, fondée sur une base si meuble, annihile logiquement toute
possibilité de bonheur, et de paix, aussi bien avec soi-même qu’avec l’autre. Ne pas accepter
l’autre tel qu’il est, et n’être capable de l’aimer qu’à condition qu’il se fonde dans le moule
que nous voulons lui imposer donne automatiquement lieu à un rapport de force. L’amoureux
proustien, dès lors que son amour dépend d’une construction imaginaire, est obligé de
s’assurer que son objet d’amour ne déborde pas le cadre qu’il lui destine, ne brise pas le
charme. Il se retrouve donc dans un état perpétuel de surveillance, et par conséquent, devient
possessif. L’illusion débouche obligatoirement sur la possessivité; l’être aimé se transforme
en véritable oiseau dont on aimerait bien s’efforcer de verrouiller la cage.
« Il n'est même pas besoin qu'il [l’être aimé] nous plût jusque-là plus ou même autant que les
autres. Ce qu'il fallait, c'est que notre goût pour lui devint exclusif. Et cette condition- là est
réalisée quand – à ce moment où il nous a fait défaut – à la recherche des plaisirs que son
agrément nous donnait, s'est brusquement substitué en nous un besoin anxieux, qui a pour
objet cet être même, un besoin absurde, que les lois de ce monde rendent impossible à
satisfaire et difficile à guérir – le besoin insensé et douloureux de le posséder. »8
Les êtres humains, tant en ce qui concerne leurs actes que leurs pensées, ne sont cependant
pas si facilement maîtrisables, voilà pourquoi l’amour, pour Proust, n’a d’autre issue que le
malheur. Un jour ou l’autre, les attentes illusoires, les idées romanesques, les fantasmes de
possession de l'amoureux finissent par voler en éclat, laissant libre cours à la jalousie, et
déchaînant, d’autant plus qu’ils n’ont aucune chance d’être comblés, l’obsession.
7 A l’ombre des jeunes filles en fleur , p.551
8 Du côté de chez Swann, p.254
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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2. La jalousie, ou une étape difficile sur le chemin de la désillusion
« Certes il souffrait de voir cette lumière dans l’atmosphère d’or de laquelle se
mouvait derrière le châssis le couple invisible et détesté, d’entendre ce murmure qui révélait
la présence de celui qui était venu après son départ, la fausseté d’Odette, le bonheur qu’elle
était en train de goûter avec lui. Et pourtant il était content d’être venu : le tourment qui l’avait
forcé de sortir de chez lui avait perdu de son acuité en perdant de son vague, maintenant que
l’autre vie d’Odette, dont il avait eu, à ce moment-là, le brusque et impuissant soupçon, il la
tenait là, éclairée en plein lampe, prisonnière sans le savoir dans cette chambre où, quand il le
voudrait, il entrerait la surprendre et la capturer ; ou plutôt il allait frapper aux volets comme
il faisait souvent quand il venait très tard ; ainsi du moins, Odette apprendrait qu’il avait su,
qu’il avait vu la lumière et entendu la causerie, et lui, qui tout à l’heure, se la représentait
comme se riant avec l’autre de ses illusions, maintenant, c’était eux qu’il voyait confiants
dans leur erreur, trompés en quelque sorte par lui qu’ils croyaient bien loin d’ici et qui, lui,
savait déjà qu’il allait frapper aux volets. […] Si, depuis qu’il était amoureux, les choses
avaient repris pour lui un peu de l’intérêt délicieux qu’il leur trouvait autrefois, mais
seulement là où elles étaient éclairées par le souvenir d’Odette, maintenant, c’était une autre
faculté de sa studieuse jeunesse que sa jalousie ranimait, la passion de la vérité, mais une
vérité, elle aussi, interposée entre lui et sa maîtresse, ne recevant sa lumière que d’elle, vérité
tout individuelle qui avait pour objet unique, d’un prix infini et presque d’une beauté
désintéressée, les actions d’Odette, ses relations, ses projets, son passé. »9
Nous venons de le voir, l’amoureux proustien est possessif, maladivement possessif même.
Non seulement il construit de toutes pièces son amour, mais il aggrave encore son illusion en
forgeant l’espoir de faire durer cette situation éphémère ; il mise son bonheur sur une barque
vouée au chavirement. L’amoureux, conscient ou non de la fragilité de son amour « faussé »,
se refuse à l’idée de l’échec ; il ne fait que reculer la date fatidique du « réveil », de la
désillusion… ou de la fin de l’amour passionné, romanesque et absolu qui faisait alors tout
son bonheur. Ce dernier dépend effectivement, non pas de l’autre, mais de l’idée qu’il se fait
de l’autre. Aussi, c’est parce qu’elle est frêle comme un fétu de paille, que le moindre
soupçon, la moindre menace, enflammeront immédiatement et naturellement, le sentiment
jaloux de l’amoureux tyrannique.
9 Du côté de chez Swann, p.300
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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La jalousie est indissociable de l’amour, puisqu’elle agit, en faveur de ce sentiment illusionné
et possessif, comme une défense. C’est également une résistance face à l’échec amoureux.
Nous nous accrochons à celui que nous aimons, et ne pouvons souffrir la pensée que ce
dernier ne se conforme pas à nos attentes, qu’il nous échappe, emportant avec lui notre
bonheur. Ce sentiment est donc en somme tout à fait logique : l’amoureux, s’il ne s’en rend
pas compte d’emblée, doit au moins pressentir que l’autre lui « glisse entre les doigts », qu’il
échappe au contrôle convoité ; il ne peut avoir confiance, ni en lui même, ni en l’autre, étant
donné que la situation espérée est aux antipodes des réactions naturelles, par conséquent,
obsédé, comme s’il avait des œillères, par le désir de posséder l’autre, par cet unique et ultime
envie de le clouer sur l’image qu’il s’est mise en tête, l’amoureux, par une réaction d’amour
propre blessé, par une déception inavouée, se consume de jalousie.
La meilleure illustration d'obsession est sans doute le passage où Swann ne trouve pas Odette
chez les Verdurin, et parcourt tout Paris pour la retrouver. Proust introduit de cette manière la
notion de maladie. Les crises de jalousie, effectivement, approchent de la démence.
L'amoureux, incarné dans cet exemple par le personnage de Swann, même s'il est conscient de
l'absurdité de son comportement, ne peut lutter contre son élan amoureux, et les buts futiles
que ce dernier le force à viser. Nous perdons ainsi le contrôle de nos actes; nous sommes
victimes du tyrannique amour.
« Et à un moment, comme un fiévreux qui vient de dormir et qui prend conscience de
l'absurdité des rêvasseries qu'il ruminait sans se distinguer nettement d'elles, Swann tout d'un
coup aperçut en lui l'étrangeté des pensées qu'il roulait depuis le moment où on lui avait dit
chez les Verdurin qu'Odette était déjà partie, la nouveauté de la douleur au cœur dont il
souffrait, mais qu'il constata seulement comme s'il venait de s'éveiller. Quoi? toute cette
agitation parce qu'il ne verrait Odette que demain […]! Il fut bien obligé de constater que dans
cette même voiture qui l'emmenait chez Prévost il n'était plus seul, qu'un être nouveau était là
avec lui, adhérent, amalgamé à lui, duquel il ne pourrait peut-être pas se débarrasser, avec qui
il allait être obligé d'user de ménagements comme avec un maître ou une maladie. » 10
Toute la complexité de la jalousie réside dans le fait qu’elle précipite sa victime dans une
sorte de vertige, se nourrissant de sa propre substance, ne pouvant aller qu’augmentant. Toute
l’énergie dont nous avions usé pour faire « fuser » notre amour, nous précipite à la même
10
Du côté de chez Swann, p.250
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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allure et dans les mêmes proportions dans l’enfer de la jalousie. Ainsi donc, l’amoureux,
obsédé par son amour, et du même coup persécuté par l’angoisse de le perdre. Qui plus est, la
jalousie rend pervers : non seulement nous voudrions avoir le contrôle sur l’autre, mais il
faudrait également que ce dévouement, cet asservissement de l’autre lui soit naturel ! Le
désespoir ne peut donc qu’être grand étant donné que, l’amoureux parvenant ou non à
dominer l’autre, il butera toujours contre la réalité de l’insoumission de l’être aimé.
La jalousie tourne l’amoureux en odieux obsédé, le conduisant aux pensées les plus basses,
les plus honteuses vis-à-vis de l’autre. Le persécuteur persécuté devient capable d’une
véritable aversion envers celui qu’il adore, celui qui le fait tant souffrir, et à cause de qui la
vie n’existe plus ; il en vient à se réjouir de faire souffrir l’autre.
La jalousie ne présente donc que des facettes négatives : elle pervertit celui qui aime, et elle
distancie celui qui est aimé, ce dernier n’appréciant en principe pas de se faire étouffer.
3. L’amour est un cercle vicieux, une dépendance
Il est évident que dès lors que l’autre occupe le centre de notre attention, qu’il obsède
nos pensées quotidiennes, il devient très vite une nécessité, une condition pour vivre, pour
parvenir à être heureux. Non seulement nous nous éprenons de l'image que nous nous en
forgeons plutôt que de la véritable personne à qui nous avons affaire, mais, pour combler
notre perte future, toute notre vie devient complètement tributaire de celui ou celle que nous
pensons aimer. La dépendance est ainsi un autre des aspects négatifs de l'amour traités dans la
Recherche.
« Car, moi qui ne pensais plus qu’à ne jamais rester un jour sans voir Gilberte (au point
qu’une fois, ma grand’mère n’étant pas rentrée pour l’heure du dîner, je ne pus m’empêcher
de me dire que si elle avait été écrasée par une voiture, je ne pourrais pas aller de quelques
temps aux Champs-Elysées ; on n’aime plus personne dès qu’on aime), pourtant ces moments
où j’étais auprès d’elle et que depuis la veille j’avais si impatiemment attendus, pour lesquels
j’avais tremblé, auxquels j’aurais sacrifié tout le reste, n’étaient nullement des moments
heureux. »11
11
Du côté de chez Swann, pp.436-437
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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« L'amour commence, on voudrait rester pour celle qu'on aime l'inconnu qu'elle peut aimer,
mais on a besoin d'elle, on a besoin de toucher moins son corps que son attention, son cœur.
On glisse dans une lettre une méchanceté qui forcera l'indifférente à vous demander une
gentillesse, et l'amour, suivant une technique infaillible, resserre pour nous d'un mouvement
alterné l'engrenage dans lequel on ne peut plus ni ne pas aimer, ni être aimé. »12
L’amour est un véritable cercle vicieux, dont nous avons aperçu quelques uns des mécanismes
et des causes (l’illusion, la jalousie et l’obsession) ; cependant, Proust rappelle que, si
l’ « engrenage » qu’est l’amour est en partie explicable, on ne peut en cerner le fond,
l’essentiel, c’est-à-dire le mystère qui un jour enlace notre cœur à une personne plutôt qu’à
une autre, porte son dévolu sur elle plutôt que sur celle d’à côté, car « pour tous les
événements qui dans la vie et ses situations contrastées se rapportent à l’amour, le mieux est
de pas essayer de comprendre, puisque, dans ce qu’ils ont d’inexorable comme d’inespéré, ils
semblent régis par des lois plutôt magiques que rationnelles. »13 Toujours est-il que
l’amoureux est pris dans un cycle infernal, tiraillé entre deux pôles : le désir exclusif de
posséder l’autre, on pourrait presque dire d’arriver à ce que l’autre fasse partie intégrante de
son être, d’atteindre l’idéal de partager la même âme, et en même temps, cet élan tyrannique
est surpassé par l’entier assujettissement de son cœur par l’être aimé. La relation amoureuse
est ainsi présentée comme très ambiguë et contradictoire. Le désir de possession engendre
obsession et jalousie, alors que ces dernières nous plongent dans la dépendance, qui, à son
tour, rend possessif, et ainsi de suite. Obligé d'accomplir les démarches que lui dicte son
cœur, l'amoureux se comporte souvent de la façon que celle qu'il aime n'appréciera pas, elle se
distancie donc de lui, éveillant ainsi à la fois la possessivité, la jalousie, et l’obsession du
malheureux, le condamnant à souffrir de ses vices.
4. L’amour fait souffrir
« Et cette maladie qu'était l'amour de Swann avait tellement multiplié, il était si
étroitement mêlé à toutes les habitudes de Swann, à tous ses actes, à sa pensée, à sa santé, à
son sommeil, à sa vie, même à ce qu'il désirait pour après sa mort, il ne faisait tellement plus
12
A l’ombre des jeunes filles en fleurs, p.100313
A l’ombre des jeunes filles en fleurs, p.546
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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qu'un avec lui, qu'on n'aurait pas pu l'arracher de lui sans le détruire lui-même à peu près tout
entier: comme on dit en chirurgie, son amour n'était plus opérable. »14
Si Proust insiste sur un aspect de l’amour, il s’agit bien de celui de la souffrance qu’il
engendre. Tous les stades que nous avons entrevus jusqu’ici sont assimilés dans les deux
premiers volumes de la Recherche, et en particulier dans le « mini roman » que représente Un
amour de Swann, à une maladie. L’amour est voué à l’échec, puisqu’il n’a d’autre issue que le
désenchantement; ainsi, la maladie commence, et augmente, au fur et à mesure que
l’amoureux amorce cette désillusion douloureuse. Nous luttons contre elle, traversant des états
pathologiques non négligeables. L’amour de Swann, par exemple, est décrit comme un
dédoublement de la personnalité ; c’est donc le conflit entre les deux personnages qui
l’habitent qui engendre en lui des souffrances inexorables. L’obsession ou la jalousie,
poussées à leur paroxysme, donnent lieu à des accès de démence, à des crises d’angoisse, ou
encore à des idées sombres, morbides. Swann en vient à monologuer seul, à souffrir, même
physiquement de ses persécutions amoureuses.
« Considérant son mal avec autant de sagacité que s'il se l'était inoculé pour en faire l'étude, il
se disait que quand il serait guéri, ce que pourrait faire Odette lui serait indifférent. Mais du
sein de son état morbide, à vrai dire, il redoutait à l’égal de la mort une telle guérison, qui eût
été en effet la mort de tout ce qu'il était actuellement. »15
5. Conclusion de la première partie : l’amour proustien n’est pas heureux
« C'est alors à la dernière seconde que la possession du bonheur nous est enlevée, ou
plutôt c'est cette possession même que par une ruse diabolique la nature charge de détruire le
bonheur. »16
L’étude de l’amour, dans les deux premiers volumes de A la recherche du temps perdu,
témoigne, à mon sens, d’une expérience de l’auteur, par rapport à ce sujet, convaincue, mais
pas forcément convaincante, celle selon laquelle le malheur est l’issue forcée de l’amour.
14 Du côté de chez Swann, p.33715
Du côté de chez Swann, p.32716
A l’ombre des jeunes filles en fleurs, p.679
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Première partie La vision de l’amour d’après Proust
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Nous ne pouvons rien face à cette malédiction aux origines semi-mystiques. Nous ne sommes
pas entièrement responsables de ce malheur qu’est l’amour; au contraire, nous sommes en les
victimes et en subissons la tyrannie. La fatalité a donc sa place dans le regard que Proust porte
sur ce sentiment..
Le bonheur associé à l’amour est inconcevable, le conflit, qu’il oppose deux personnages
différents ou le personnage à lui-même, est quant à lui perpétuel. L’amour proustien, parce
qu’il est absolu, et qu’il ne supporte donc aucune nuance, aucune flexibilité, est très souvent
rattaché à la mort. La limite entre la mort et la passion est très mince. Il ne s’agit d’ailleurs pas
là d’une innovation, puisqu’effectivement, dans toute la littérature classique, toute passion est
le plus souvent mortifère. Rappelons-nous que l’origine du mot, patior , signifiant souffrir, « la
passion d’amour signifie, de fait , un malheur. »17 « Je veux, sans que la mort ose me secourir,
toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir »18, voilà l’idéal de l’amant passionné… ou
du désespéré : aimer au-delà de tout, même de la vie. Il est au fond plus facile, à un certain
stade, d’affronter la mort, que les contraintes et les déceptions de la réalité de la vie, le
désespoir de Charles Swann en est la preuve. L’amour est donc effectivement une malédiction
aussi longtemps que l’amoureux ne pourra souffrir de partager son objet d’amour et de le voir
s’éloigner de l’idéal qu’il s’en était forgé. Les innombrables facettes de l’amour relevées par
Proust mettent donc en évidence le côté immensément égoïste, et narcissique, nous l’avons
vu, de l’amoureux. Proust, par l’intermédiaire de ses personnages, met à jour des côtés peu
enchanteurs du sentiment amoureux. Les idéaux chrétiens, ou les clichés peints de rose par la
littérature populaire, sont ainsi démantelés par un récit désillusionnant, mais néanmoins
vérifiable dans tant d’exemples concrets de nos vies. Certains seront peut-être ainsi déçus de
constater que, chez Proust, il n’y a qu’une personne qu’on aime vraiment : soi-même.
17
Denis de ROUGEMONT , L’amour et l’Occident , Paris : 10/18, 2001, p.1618
Pierre CORNEILLE, Suréna, Paris : Folio théâtre, 1999, acte I, scène 3,
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Deuxième partie Que penser de la vision proustienne de l’amour ?
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III. Deuxième partie :
Que penser de la vision proustienne de l’amour ?
1. Les causes de la souffrance amoureuse
L’amour peut avoir des conséquences tristes et douloureuses, conséquences que Proust
ne cesse de relever et de décrire. Les amoureux souffrent effectivement de maints tourments,
subissent mille angoisses, en raison d’une jalousie tyrannique et d’une possessivité maladive
et obsessionnelle. Nous avons pu constater ces effets de l’amour au fil de la lecture des deux
premiers volumes de la Recherche du temps perdu ; cependant, si Proust mieux que nul autre
sait décrire ces répercussions de l’amour, il n’en explique pas explicitement les causes, qui me
semblent pourtant essentielles afin de comprendre le phénomène amoureux.
L’éclairage que Proust offre dans son œuvre est, au moins en partie, réaliste : il est humain de
souffrir pour ou à cause de l’être que nous aimons, personne ne pourrait démentir ce fait. Je
pense effectivement que tenir à quelqu’un implique automatiquement la relative peur de le
perdre. L’ultime séparation – la mort – survenant inévitablement un jour ou l’autre, source
déjà suffisante d’appréhension, il n’est même pas nécessaire de se référer à cet exemple pour
démontrer que notre chemin ne peut longer éternellement celui de l’autre. L’autre est
autonome, et il est peut-être difficile pour l’amoureux de l’admettre, ce qui en somme est
compréhensible, puisque l’envie d’être près de celui que nous aimons est toute naturelle… Il
s’agit ainsi à mes yeux de l’un des paradoxes de la vie : l’impossibilité de rester auprès de
celui qu’on aime infiniment. Impossibilité qui cependant n’est pas uniquement source de
malheur, comme Proust semble le penser. Au premier abord, en effet, l’idéal, lorsqu’on aime,
serait de partager la même âme avec l’autre, l’autre qui deviendrait alors une partie de nous-
même. Cependant se fixer un tel objectif mène forcément à la déception, puisqu’il n’est pas
possible d’être l’autre, ou que l’autre soit nous. Il s’agit donc de reconsidérer l’angle sous
lequel nous définissons notre bonheur. Chez Proust, l’amour est voué à l’échec et à la
désillusion, parce qu’il plonge sa « victime » dans des désirs possessifs intenables ; les héros
redoutent comme la mort la perte de l’autre, ils s’y agrippent car le perdre serait pire que tout.
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Deuxième partie Que penser de la vision proustienne de l’amour ?
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Telle est donc, au moins en partie, la source de leur malheur : ils ne peuvent concevoir l’idée
de l’indépendance de l’autre, et encore moins de leur séparation d’avec ce dernier.
Il me semble par conséquent que si cette hantise de la perte de l’être aimé pouvait être abolie,
ou du moins diminuée, nous courrions moins de risques de souffrances. D’autant plus qu’il ne
s’agit, à mon avis, pas en soi d’un amoindrissement en matière de « grandeur de sentiment »
que de parvenir à aimer de façon détachée, avec du recul. On peut aimer tout autant (ou même
mieux) sans chercher à contrôler l’autre. Je pense effectivement qu’un premier aspect positif
du « détachement » est l’élaboration de sa propre personnalité. Il est assurément bien moins
aisé d’arriver à aimer et à se faire aimer en affirmant qui l’on est, car c’est faire preuve de
confiance en soi que d’être franc à son propre égard comme à celui de l’autre. Swann, par
exemple, pour ne menacer en rien son idéal amoureux, se métamorphose, en fréquentant un
tout autre milieu (le clan Verdurin) que le sien, plus aristocratique. Il ne fait pas que de se
créer une image irréelle d’Odette, il opère également sur sa propre personnalité, ses propres
goûts, dans son mode de vie, des changements conséquents afin de s’adapter à son amour,
mutation finalement beaucoup plus facile que si ce dernier était parvenu à réunir deux êtres
aussi différents qu’Odette et lui, ce qui aurait certainement coûté plus d’efforts – efforts
d’honnêteté vis-à-vis de lui-même.
Arriver à aimer sans forcément se fixer pour objectif de ne faire plus qu’un avec l’autre réduit
d’une part la souffrance de la perte de l’autre, et d’autre part apprend à confirmer sa
personnalité, et donc à se mieux connaître. En traitant la cause de la souffrance, on peut
arriver à en atténuer les effets.
2. Aimer l’autre parce qu’il est autre
L’illusion amoureuse, chez Proust, est basée sur le désir de s’approprier l’être aimé, de
le contrôler, et ceci dans l’espoir utopique que ce dernier se conforme à l’image que
l’amoureux s’en fait. Le sentiment amoureux est donc de nature essentiellement narcissique, il
en était question dans la première partie. C’est un autre nous-mêmes que nous recherchons en
l’être aimé. Cependant, bien qu’il s’agisse d’une tendance naturelle, je ne pense pas juste de
percevoir l’amour sous cet unique angle. S’il est vrai que l’attention qu’autrui suscite en nous
est conditionnée par un minimum de points communs, de bases sur lesquelles nous trouverons
une entente, l’intérêt d’une relation réside aussi et tout autant dans la différence entre les deux
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Deuxième partie Que penser de la vision proustienne de l’amour ?
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êtres. Il n’existe pas au monde deux individus semblables ; si la raison d’aimer est donc la
similitude, ou l’identification, les risques de tomber entre les griffes de l’illusion, et par la
suite de subir la claque, souvent fatale pour la relation, qu’est le « réveil », sont majeurs. Au
même titre que le détachement, la différence contribue à l’affirmation de soi. Nous avons une
personnalité propre qu’en tant qu’existent toutes les autres personnalités des autres pour nous
en démarquer, et nous identifier. Bien que nous soyons tous uniques, ce n’est pas seulement
en nous-mêmes, mais surtout dans la société qui nous entoure que notre personnalité puise ses
composantes.
Aimer l’autre pour sa différence, c’est donc premièrement affirmer qui l’on est, et ensuite
faire preuve également de tolérance, et de confiance. Le drame, chez Proust, c’est que le
personnage n’arrive pas à accepter que l’autre ait une existence individuelle, il n’a en somme
ni confiance en l’autre, ni en lui-même, puisque, épris d’une idée, laisser filer l’être aimé hors
de cette idée constitue une menace pour l’amour, l’amour tronqué… Si les sentiments se
rapportent donc réellement à l’objet d’amour (et non à l’idée narcissique que nous nous en
forgeons bien souvent), les dangers décrits par Proust dans son œuvre s’estompent, à mon
sens, en grande partie. L’autre peut nous dévoiler de nouvelles faces du monde, il nous
enrichit.
3. L’amour et le bonheur sont-ils vraiment inconciliables ?
L’amour tel qu’il est décrit dans Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles
en fleurs laisse difficilement envisager le bonheur, puisqu’effectivement la relation (de couple
dans ce cas) prend la forme d’un véritable rapport de force. L’amour est un sentiment
despotique et absolu. Il est assurément principalement question de passion chez Proust.
Swann et Marcel, tous deux l’âme romanesque, sont aveuglés, immobilisés par leur flamme.
Dès qu’un amour entre dans leur vie, plus rien d’autre que l’être aimé ne compte : tout se
résume à lui. Toutefois, cette emphase de sentiment, parce que l’illusion en est à l’origine,
s’éteint, ou du moins s’atténue presque aussi vite qu’elle ne naît.
On pourrait à première vue se dire que les sentiments extrêmes dont Swann, par exemple, fait
preuve pour Odette correspondent à l’amour véritable, à la grandeur absolue d’un engagement
total. Néanmoins, l’amplitude du sentiment n’est, à mon avis, pas suffisante pour en
déterminer la qualité. Bien sûr que l’exclusivité d’une relation lui donne toute son importance,
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Deuxième partie Que penser de la vision proustienne de l’amour ?
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mais entre également en ligne de compte un facteur essentiel du véritable amour, très peu
considéré par Proust : la constance.
La passion est peut-être intense, mais elle est rarement durable. Une relation peut évoluer,
mûrir, prendre ainsi une forme moins « enflammée », mais plus profonde, plus réelle et donc
plus consistante et solide. Ne distinguant pas ici la nature de l’amour de couple et l’amour
familial, ou amical (car ils sont de même essence), je trouve pessimiste de la part de Proust
de qualifier l’amour de « mal sacré »19, car il néglige dans cette assertion l’immense amour
ressenti par Marcel pour sa mère, et sa grand-mère surtout.
Si l’amour véritable existe donc, je pense qu’un des critères qu’on pourrait lui trouver serait
la continuité. Le bonheur grâce à l’amour chez Proust est bien entendu quasiment impossible,
puisque l’amour, considéré dans la durée, est inconcevable. Il existe néanmoins des formes
moins absolutistes de sentiments affectifs. Référons-nous par exemple à la relation entre
Marcel et sa grand-mère, qui n’est pas secouée par des courants destructeurs, tels que la
désillusion ou encore la jalousie. Je pense ainsi que les élans passionnés, qui sont souvent à
l’origine d’une relation, ont peu à voir avec l’« amour vrai », si l’on essaie d’en trouver une
définition. Il est faux de croire que certaines relations amoureuses restent passionnées toute
une vie durant. Même dans Tristan et Iseut , Roméo et Juliette ou Phèdre, la passion ne peut
pas durer : les amants finissent toujours par être séparés, et la plupart du temps, il est question
d’adultère ou de mort. Il y a une différence entre aimer et aimer être amoureux. De manière
générale, l’amour peut donc prendre deux formes. La première, la passion, a davantage trait à
l’illusion (car évidemment, il ne faut pas oublier que cette dernière ne présente pas que des
côtés négatifs - il faut bien avoir une certaine idée d’une personne pour éprouver quelque
attirance pour elle), et, en somme, est plus basée sur un rapport narcissique à l’autre ; tandis
que le deuxième cas de figure, la durabilité de l’amour, concerne directement l’être aimé. Dès
qu’une relation devient stable, l’amoureux est contraint de considérer son compagnon de
manière plus objective ; s’il continue de l’aimer, c’est qu’il l’accepte tel qu’il est, avec ses
défauts et ses différences. La possibilité de bonheur dans une telle relation ne me semble alors
plus condamnée. A mes yeux, le véritable amour, c’est celui qui dure, qui est basé sur un
rapport profond… les crises de jalousie, dont Proust trouve la très juste image d’ « ombre de
l’amour »20, importent, à long terme, beaucoup moins. La durabilité du sentiment le rend
également moins vulnérable.
19
Du côté de chez Swann, p.25320
Du côté de chez Swann, p.302
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Conclusion
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IV. Conclusion :
La vie, pour moi, prend un sens du moment qu’elle correspond à un parcours, au fil
duquel notre âme suit une progression. L’amour fait ainsi partie de ces moteurs essentiels qui
nous apprennent à nous connaître et qui nous font mûrir.
« La vraie vie […] c’est la littérature »21 affirmait Proust. Et effectivement, la fiction
littéraire a toujours été à mes yeux la plus fidèle représentation de « la vie et de ses situations
contrastées »22, et donc la plus apte à répondre à beaucoup de nos questionnements. J’ai
choisi Proust plutôt qu’un philosophe, un psychologue ou un autre littérateur parce que son
œuvre est le résultat de l’addition de toutes les qualités de ces derniers, présentées dans uneécriture complexe et admirable. La littérature met souvent en scène des aspects sombres des
comportements humains, mais cela ne signifie pas pour autant que la vie a moins de valeur ou
est moins belle. Au contraire, les réflexions suscitées par nos lectures peuvent avoir une
valeur préventive sur d’éventuelles erreurs de comportement. En ce qui concerne l’amour, je
pense qu’il est aisé de sombrer dans le gouffre de la jalousie, ou de la dépendance, et qu’il
s’agit peut-être même de passages inévitables. Cependant, il faut parfois avoir souffert afin
d’être capable d’apprécier certains bonheurs que nous ne discernerions pas sinon. Ainsi, au-
delà des pièges que nous nous tendons finalement nous-mêmes, c’est aux plus belles facettes
de la vie que ce sentiment nous ouvre les portes.
21Citation de Marcel PROUST dans Le temps retrouvé, Thierry LAGET, L’ABCdaire de Proust, Paris :Flammarion, 199822 A l’ombre des jeunes filles en fleurs , p.546
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V. Bibliographie
Maître répondant : Nicole Gaillard
Marcel PROUST, A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez Swann, A l’ombre
des jeunes filles en fleurs, Paris : France loisirs, 1999
Thierry LAGET, L’ABCdaire de Proust , Paris : Flammarion, 1998
Sous la direction de Charles DANTZIG, Le grand livre de Proust , Paris : Les Belles Lettres,
1996
Dominique BARBERIS, Un amour de Swann, Paris : Nathan, coll. Balises, 1989
Denis de ROUGEMONT, L’amour et l’Occident , Paris : 10/18, 1972