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Universit Lumire Lyon 2 Facult dAnthropologie et Sociologie
THESE
Pour obtention du titre de
DOCTEUR DE LUNIVERSITE LYON 2 Discipline : Sociologie et Anthropologie
Prsente et soutenue par
Marcos Luciano Lopes MESSEDER
TITRE : RITUELS ET DRAMES DALCOOLISATION CHEZ LES TREMEMBE
Directeur de Thse : Monsieur Franois LAPLANTINE Professeur Universit Lumire Lyon 2
JURY Monsieur Antonio NERY ALVES FILHO Professeur Universit Fdrale de Bahia Monsieur Lionel OBADIA Professeur Universit Lumire Lyon 2 Monsieur Patrick DESHAYES Matre de Confrences Universit Paris VII
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A mon pre Luciano da Silva Messeder (In Memorian)
Pour sa dignit, sa noblesse, son courage et, surtout, son amour.
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Remerciements
Ce travail n'aurait pas t ralis sans le concours et le soutien de nombreuses
personnes et institutions. Je tiens d'abord remercier la Coordination de Perfectionnement du
Personnel de l'Enseignement Suprieur (CAPES) pour la bourse accorde qui a rendu possible
mon sjour en France et le travail de terrain au Brsil. Je remercie aussi mes collgues du
Dpartement dEducation de lUniversit de lEtat de Bahia (UNEB) pour m'avoir concd un
cong de qualification, ainsi que la direction de lUNEB. Le professeur Antonio Nery Alves
Filho fut un lien important dans ma dmarche de doctorat lUniversit de Lyon et je lui suis
aussi redevable de m'avoir recommand au Centre Mdical Marmottan. Laccueil dans cette
institution fut trs profitable ma recherche et je tiens tmoigner ma reconnaissance son
personnel et son directeur de lpoque, Claude Olivenstein. Je remercie galement le
professeur Franois Laplantine d'avoir accept de diriger ma recherche, ainsi que pour ses
encouragements et suggestions.
Edward MacRae a suggr le thme gnral de la recherche et ma toujours stimul, je
le remercie profondment. Dalva et Jean-Marc mont accueilli Paris et leur hospitalit ma
beaucoup touch, un grand merci. Guillaume Pfaus ma aid corriger mes premiers textes en
franais et je lui suis trs reconnaissant. Maria Rosrio Gonalves de Carvalho a t toujours
trs gnreuse envers moi. Malgr son emploi du temps charg, elle a discut la recherche, me
donnant de trs prcieuses indications mthodologiques, je nai pas de mots pour la remercier.
Lcia a gnreusement mis ma disposition un corpus bibliographique et fut dune solidarit
et d'une amiti remarquables dans le moment le plus difficile: pour elle aussi ces mots sont
trs en de de ses gestes, merci beaucoup.
A Salvador, lors de mes sjours, jai compt sur lhospitalit de plusieurs amis : Marco
Martins, Marcus Vinicius et Valria, Joo Moyss et Clia et Edward, je vous remercie tous
infiniment. A So Paulo, Ulysses, Jlio Simes, Lineimar et Patrice mont accueilli et je leur
suis redevable. Jlio dans sa gnrosit ma de plus fait parvenir une bibliographie
introuvable: lui ma profonde gratitude. A Rio de Janeiro, Marco Tromboni et Andria furent
des htes merveilleux et je leur suis galement trs reconnaissant. Mon compre ma guid
dans les bibliothques universitaires et ma fourni tout ce quil y avait d'intressant pour mon
sujet de recherche. Pour lui, je ne connais pas de mots hauteur de ma reconnaissance. Au
Cear, Ivo Sousa fut un ami de tous les moments, je le remercie pour sa gnrosit et son
amiti. Je remercie Juliana Gondim pour sa collaboration dans la recherche de terrain et pour
son hospitalit, ainsi que ses amies, Heloise et Mary Hellen. Un merci aussi Meire pour son
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aide. Fernando Abreu ma beaucoup aid dans le domaine technique de la fabrication du vin
de cajou, je le remercie pour tout ce quil a fait et pour les moments agrables passs en sa
compagnie. Il ma ouvert les portes du professeur Renato Cassimiro que je remercie pour sa
disponibilit et sa sympathie. Dbora Garrute ma confi une copie de sa thse et je lui en suis
trs reconnaissant.
En France, je dois remercier Nicolas Bernardi, Marie Zeni, Marie Ttu et Alexis
Hadzoupoulos pour leur travail de rvision du franais, je les assure de toute ma gratitude.
Clment Dupuis a ralis le travail graphique des cadres, cartes et photos qui apparaissent
dans la thse, je le remercie normment. Agns dans sa douce gnrosit ma fait parvenir un
travail important, merci beaucoup. Je remercie aussi Luciana Bernardi pour mavoir
recommand ses amies Fortaleza. Je dis merci Marcos Gondim pour son aide avec les
cartes et photos. Je tiens remercier des amis qui mont soutenu dans des moments clefs,
ainsi je remercie de tout mon cur Vicenzo Ventura, Mireille Joffre et Thierry Valentin. Les
Trememb mont reu avec la gnrosit et lhospitalit qui les caractrisent: tous un grand
merci et il faut dire que sans leur disponibilit au dialogue cette recherche aurait t
impossible. Enfin, je suis incapable dexprimer tout ce qu'a signifi lamour, le soutien et la
patience de mon pouse Sidlia Teixeira. Sans elle, rien n'aurait pu se faire et elle aussi cette
thse est partiellement ddie.
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Rsum Ce travail propose une analyse sur lalcoolisation partir des modulations dusage dune population indigne au Nordeste du Brsil. A partir du strotype de lIndien buveur, la recherche explore les rituels et les drames dalcoolisation dans une perspective interactionniste et hermneutique. La question de lethnicit est prise comme toile de fond pour comprendre les significations construites autour des pratiques et des croyances dalcoolisation. Paralllement, linterprtation de lalcoolisation illumine les interstices culturels de la construction ethnique. La thse examine aussi la place des Indiens dans limaginaire religieux et magique, ainsi que son association avec les plantes et les boissons. Une vaste trame ethnographique est tisse pour rendre compte des rituels indignes de consommation de la boisson traditionnelle. Sa prparation, les laborations symboliques autour de ses proprits et des autres boissons alcoolises forment aussi le cadre de cette trame. La contextualisation des drames dalcoolisation est ralise travers lanalyse de lordre social et politique local. Ces drames sont dcrits et interprts en articulant lalcoolisation et la condition dindigne. Lobjectif est de dmontrer que lusage de substances de modification de conscience est toujours un processus et une exprience de construction de soi et du monde. Abstract This thesis proposes to analyze alcoholic intoxication taking as a basis the use patterns of an Indian group from Northeastern Brazil. Starting from the stereotypes around the Indian drunkard, the research explores the rituals and the dramas of intoxication, adopting interactionist and hermeneutic perspectives. The question of ethnicity serves as a background to the understanding of the meanings constructed around the practices and beliefs involving intoxication. At the same time, the interpretation of drunkenness sheds light on the cultural interstices of the ethnic construction . The thesis also examines the place of Indians in the religious and magical imagination, as well as their association with plants and drinks. A vast ethnographic web is woven in order to account for Indian rituals around the consumption of the traditional drink. The preparing, and the symbolic elaborations around its properties and those of other alcoholic drinks are also part of this picture. The dramas of intoxication are put into context through an analysis of the social order and of local politics. These dramas are described and interpreted by articulating alcoholic intoxication and the Indian condition . The object is to show that the use of consciousness altering substances is always a process and an experience of constructing the self and the world.
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Table des matires Introduction ........................................................................................................................................................................11 Annexe 1 : cartes................................................................................................................................................................21 1 De la problmatique et sa configuration..........................................................................................................23
1.1 Alcool, alcoolisation et ivresse : quelques repres................................................... 37 1.2 Le parcours de la recherche: un mouvement de rencontres et de tensions .............. 51
Annexe photographique : chapitre I...........................................................................................................................73 Annexe : localits et personnages ................................................................................................................................75 2 Le contexte ethnique : mouvement politique et laboration culturelle..................................................77
2.1 La territorialisation des Tremembs et sa dconstruction........................................ 77 2.1.1 La Territorialisation.......................................................................................... 79 2.1.2 La dconstruction des diffrences culturelles et territoriale............................. 83
2.2 Mmoire territoriale et les schmas de pouvoir ...................................................... 87 2.2.1 Chronique dune saga territoriale..................................................................... 89 2.2.2 La logique de domination et son ambigut ..................................................... 96
2.3 Du folklore la politique : le retour de lindigne et ses modulations .................. 106 2.3.1 Le Torm et sa signification folklorique ........................................................ 109 2.3.2 La politisation de la question indigne au Cear : les danseurs de Torm et les CEBs 118 2.3.3 Le Torm et sa force mobilisatrice................................................................. 124
2.3.3.1 Conflit foncier, rhtorique ethnique et stigmatisation................................ 125 2.3.4 La politique missionnaire et les modulations de lethnicit Trememb......... 129 2.3.5 Le Torm comme performance politique ....................................................... 136 2.3.6 La configuration actuelle de la situation ethnique Trememb ....................... 139
2.3.6.1 Une situation ethnique trique : le cas du So Jos Capim-A .............. 143 2.4 Les Indiens du Nordeste comme sujet de recherche .............................................. 147
2.4.1 Les Trememb : une perspective de lensemble ............................................ 155 2.5 La notion dethnicit et llaboration culturelle ..................................................... 171
Annexe photographique : chapitre II ......................................................................................................................175 3 Les Indiens, les boissons, les rituels et le sacr.............................................................................................179
3.1 Religiosit des Indiens du Nordeste et leurs rapports aux boissons et aux plantes 179 3.1.1 Les Modalits Rituelles des Indiens du Nordeste .......................................... 181 3.1.2 Les croyances composites des Indiens du Nordeste....................................... 189
3.2 Les cultes dorigine africaine et mtis : de lIndien et de la boisson dans le monde des esprits mlangs ..................................................................................................... 196 3.3 Les Tors mlangs et les catimbs ....................................................................... 204 3.4 La religiosit chez les Trememb : une perspective du composite ........................ 208 3.5 Torm : temps, espaces et modulation de la pratique rituelle ................................ 217
3.5.1 Le parcours dun rituel ................................................................................... 217 3.5.1.1 Le Torm de la Passagem Rasa : la traverse de la nuit............................. 225 3.5.1.2 Lexamen de la composition ...................................................................... 235
3.5.2 Un autre Torm : les pralables...................................................................... 239 3.5.2.1 Le rituel la Varjota................................................................................... 243
3.5.3 Le Torm dans un territoire dmarqu ........................................................... 246 3.5.4 Le Torm de Clture : la nouvelle anne ....................................................... 254
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3.6 LUmbanda : un culte des caboclos et de laltrit ................................................ 265 3.7 La sacralisation discursive du Torm et du mocoror ........................................... 276 3.8 Une Interprtation Possible de lEntre-deux Rituel ............................................... 287
Annexe photographique : chapitre 3........................................................................................................................291 4 Des boissons, de lordre, du dsordre social et des drames dalcoolisation : sens et interprtations 305
4.1 LAnacardier, ses fruits, ses drivs et ses proprits : quelques repres.............. 305 4.2 Le mocoror et sa production artisanale ................................................................ 311 4.3 Les proprits et les sens des boissons................................................................... 323 4.4 Lordre social et la production de lintersubjectivit ............................................. 335
4.4.1 Education, relations de genre, modification de conscience et violence ......... 335 4.4.2 Dune modernit dsordonne : la structure de pouvoir et ses archasmes.... 352
4.5 Des drames personnels et familiaux : alcoolisation et performance culturelle ...... 369 4.5.1 Les Cas de Dchance : Jos Linhares et Panguita....................................... 371
4.6 Un cas daller retour : Ipolte .................................................................................. 376 4.6.1 Deux femmes et des drames familiaux ......................................................... 389
4.6.1.1 Le Cas de Nnm Beata ............................................................................. 389 4.6.1.2 Le cas de Maria Lidia................................................................................. 403
4.6.2 Lex-cacique qui nest plus Indien ................................................................. 413 4.6.2.1 Un entretien en tat divresse ..................................................................... 425
4.6.3 Dautres rencontres : ivresse, mmoire motionnelle et ethnicit ................. 435 Annexe photographique : chapitre 4........................................................................................................................443 Conclusion........................................................................................................................................................................477 Annexe : Liste des Entretiens et des Conversations par ordre dapparition dans la thse....................491 Bibliographie....................................................................................................................................................................493
Ouvrages gnraux.............................................................................................................................................493 Articles.....................................................................................................................................................................498 Thses et tudes.....................................................................................................................................................503 Dictionnaires..........................................................................................................................................................504
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Introduction La population que nous tudions habite la cte nord-ouest de lEtat du Cear (carte en
annexe). Les Trememb sont reconnus officiellement comme population indigne par lEtat
brsilien et comptent avec un territoire identifi mais non pas encore dmarqu1. Tout le
conflit est l dans la reconnaissance sociale et culturelle de lexistence actuelle des
Trememb. Un cadre ambigu et tendu organise la vie sociale et politique locale. Nous lavons
connu dix ans auparavant et la situation actuelle rvle les changements et les permanences.
Cette histoire est une trame complexe que nous allons analyser au cours de ce travail. Dabord
nous allons donner les coordonnes spatiales pour situer cette population. Elle vit parpille
en plusieurs localits dans le municipe2 dItarema, situ environ 260 kilomtres de la
capitale de ltat, Fortaleza. Une partie considrable des familles identifies comme tant
Trememb habitent proche du village dAlmofala et ses alentours. La dispersion et la
fragmentation actuelle sont le rsultat dun long processus historique fait doscillations et
dambiguts. Les dilemmes identitaires et dalcoolisation convergent dans notre dmarche
de recherche que nous examinons ensuite.
Cette thse propose un parcours de recherche dont le but est de comprendre les
significations de lalcoolisation chez une population indigne au Nordeste du Brsil. La
dmarche thorique et mthodologique sinscrit dans une perspective interactioniste et
hermneutique. Les rfrences issues des travaux dErving Goffman (1973, 1974 et 1975) et
Howard Becker (1966 et 1976) sarticulent des propositions plus rcentes de Victor Turner
(1985) autour de la notion de drame, de rituel et dexprience, cherchant ainsi dgager une
voie dapproche de la dynamique culturelle. Il sagit darticuler la consommation des boissons
alcoolises un contexte de transformation politique et symbolique de la place des Indiens au
sein de la socit brsilienne en gnral, et dans lEtat du Cear, en particulier. En ce sens la
1 Les populations indignes ont un statut spcial qui prvoit un rgime de tutelle de la part de lEtat travers de la Fondation Nationale de lIndien (FUNAI). Dans les cas des populations qui revendiquent un territoire sans avoir une reconnaissance de lEtat le processus dbute exactement par un travail dexpertise anthropologique et historique. Aprs cela la population est reconnue officiellement et sengage alors la dmarche didentification du territoire traditionnel. Sen suit, sil ny a pas de contestation judiciaire de la part dventuels occupants, la dmarcation, action physique de sparation territoriale et enfin lhomologation par le Prsident de la Rpublique. Les Trememb ont, alors un territoire identifi, mais pas dmarqu, en fonction de contestations des occupants. Nous examinerons toute cette histoire en dtail dans le deuxime chapitre de cette thse. 2 La catgorie municipe a une signification administrative diffrente de son homonyme en Franais. Au Brsil, un municipe est une unit administrative dont le sige est la ville de mme nom. Cette unit comporte un pouvoir excutif, la mairie et un pouvoir lgislatif, le conseil municipal. Le municipe est constitu de districts, qui sont les agglomrations urbaines et des localits rurales dans un territoire donn. Au long de ce travail nous utilisons municipe dans le sens brsilien du terme.
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question de la dynamique culturelle se pose de faon assez importante. Les Indiens du
Nordeste du Brsil intgrent un ensemble de populations autochtones marques par des
sicles de contact avec la socit coloniale et nationale, do une situation de baisse
distinction culturelle et un travail intense de rlaboration symbolique autour du pass et des
traditions.
La problmatique de la consommation dalcool chez les Indiens se lie la fois des
formes traditionnelles dusage et aux processus pathologiques dalcoolisme dclenchs par les
changements sociaux, politiques et culturels, parfois brutaux, vcus par ces populations. Il
sajoute cela un strotype assez frquent et rpandu dune tendance alcoolique des Indiens.
Notre recherche a voulu interroger une ralit o une population indigne historiquement
stigmatise et folklorise est depuis quelques dcennies en plein processus de reconstruction
politique et culturelle. Au centre de ce processus se trouve un rituel de consommation dune
boisson fermente traditionnelle, appele mocoror ou garrote3, faite partir du jus du cajou.
La question qui se posait tait alors quelles sont les significations forges autour de
lalcoolisation indigne dans une telle situation ? Nous avions dj une exprience de
recherche chez les Trememb, datant des annes 1990, tourne vers la construction de
lethnicit. Quelques fragments symboliques propos de limaginaire religieux dun culte de
possession nous avait interrog sur la place de lIndien et de la boisson. Dans lUmbanda4,
religion de possession typiquement brsilienne, il existe un ensemble assez vaste dentits
spirituelles, reprsentant lunivers africain, indigne et mtis au Brsil. Les Indiens sont
encadrs dans la catgorie caboclos, ce qui indique dembl leur caractre racialement mtis,
ce qui nest pas sans ambigut. Le fait intressant est que ces entits sont censes boire et
parfois sincorporent dj enivres.
Cela nous a conduit chercher une articulation entre limaginaire religieux et la
pratique rituelle dalcoolisation chez les Indiens. En plus le rituel Trememb, le Torm, tait
toujours peru comme un rituel ludique. Dautres populations indignes au Nordeste
affrontant les mmes questions daffirmation et de lgitimit culturelle ont dans leurs rituels
religieux une source fondamentale dlaboration symbolique. Il tait vident de par les
contacts avec ces populations et pour dautres raisons que les Trememb auraient tendance
sacraliser leur rituel. Notre hypothse fut confirme sur le terrain. A ct de cela il y a
lalcoolisation quotidienne lie aux activits professionnelles, en occurrence, particulirement, 3 Garrote est un des surnoms du mocoror. Synthtiquement il rfre leffet somnifre de la boisson. Dans le dernier chapitre on trouve une discussion dtaille des implications smantiques de ce terme. 4 Il y a une assez vaste littrature anthropologique propos de lUmbanda. Voire Roger Bastide (1995), Patricia Birman (1985), Vagner Gonalves da Silva (1994), Ismael Pordus (2000 et 2002) parmi dautres.
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la pche, mais aussi lagriculture. Nous sommes partis la qute des significations du boire et
des boissons articulant toutes ces dimensions : ethnique, sociale et religieuse. Lide de base
est que toutes ces pratiques et croyances font partie dun exercice de composition de soi,
autant au plan collectif que subjectif. Nous proposons une discussion autour de la notion
dalcoolisation comme construction sociale et interactive. De l lanalyse dun ensemble de
drames qui interrogent la condition dIndien et lalcoolisation la fois.
Le travail pose un dbat avec un ensemble dauteurs traitant de lalcoolisation et de
livresse. Une production considrable a t labore aux Etats Unis et au Mexique. En
France une vaste littrature aborde lalcool dun point de vue anthropologique et nous sert
aussi de rfrence. Notre intention vise nourrir la perspective anthropologique propos de
lusage de substances de modification de conscience, dont laxe central est celle de lexamen
du contexte social et culturel de consommation et les significations qui sont construites.
Lexprience humaine de modification de la conscience recle un composant symbolique tout
fait indispensable la comprhension des effets et des perceptions. Malgr les problmes
lis la consommation de drogues dans nos socits notre travail ne traite pas exclusivement
de la pathologie. Nous inscrivons notre dmarche dans une vision culturelle de lusage et ses
plis et replis pour la construction du sens collectif et subjectif.
Lentreprise ethnographique alors est centre sur une dmarche de circulation spatiale
et dexprimentation des temporalits des sances dalcoolisation. Cela na pas impliqu une
participation lalcoolisation de faon intensive et sans limite. Ce parti pris interactif
sassocie une proposition de recherche capable de rendre compte des schmas locaux
dinterprtation des actes de boire. Nous avons construit une rflexion ethnographique fonde
sur notre propre parcours de recherche. Ainsi ct dun dispositif dialogique (voire Tzvetan
Todorov, 1981 et Vicent Crapanzano, 1991) nous proposons comme un espce de garde fou
un travail dobservation des rapports intersubjectifs. De l toute une discussion dans le
premier chapitre autour des nouvelles ethnographies (voire particulirement Edward M.
Bruner et Victor Turner, 1986) et les contributions pistmologiques de Georges Devereux
(1980) propos du processus de transfert et contre transfert, observation et contre
observation, engendr par la recherche en sciences humaines.
Notre exprience ethnographique avec cette population a forg des liens affectifs et en
plus notre histoire de militance auprs des populations indignes au Nordeste marquent ces
liens dun sceau de loyaut politique. Nous discutons ces questions de faon plus approfondie
aussi dans le premier chapitre, mais tout au long de la thse nous essayons de mettre en
lumire les relations entretenues avec les acteurs et latmosphre affective qui les enveloppe.
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Encore une fois ce sont des interactions quil sagit dexaminer chaque moment. Notre
effort fut de pntrer un rseau interactif faisant varier les perspectives et les pratiques. De
cette faon la recherche elle-mme recle un parcours plein de tensions, conflits et aussi de
dialogue.
Notre ethnographie articule dabord deux temporalits, celle de notre premire
recherche et celle de notre deuxime au cours du deuxime semestre de 2002. Il faut dire que
notre dernier sjour a dur seulement six mois, ce qui est loin dtre suffisant notre avis pour
rendre compte des dimensions proposes par la recherche. Nous avons d faire face cette
contrainte, puisque ce temps est celui concd habituellement pour les recherches de doctorat
par la Coordination de Perfectionnement de Personnel dEnseignement Suprieur (CAPES),
lorganisme brsilien duquel nous sommes boursier. La ralisation dun doctorat en France
ayant comme terrain le Brsil pose des limites temporelles assez videntes, en plus des
normes prvues par la CAPES. Plus que jamais le titre dun article de Clifford Geertz (1989)
sert clairer lentre deux de la recherche anthropologique, Etre l-bas et crire ici (Estar
l e escrever aqui). En mme temps que la distance nous a aid construire un regard plus
mesur sur les enjeux locaux et mme ceux articuls la production anthropologique
brsilienne sur le thme, elle nous a pouss une urgence dans le travail de terrain en fonction
de limpossibilit dy retourner pour couvrir dventuels trous dans la recherche.
De cette faon ce que nous avons qualifi dans notre premier chapitre de
schizophrnie flottante de lexercice ethnographique gagne un nouveau contour, celui du
partage entre la plonge culturelle dans lunivers de la recherche et le retour dans une autre
espce dtranget, celle de vivre dans un pays tranger. La construction du travail se ralise
ainsi dabord partir des lectures de lensemble duvres ddies lanalyse de
lalcoolisation en France et ltranger. Notre venue ici et lencadrement de la recherche par
le professeur Franois Laplantine furent justifis de par le sujet, lalcoolisation, comme un
thme capable dtre tudi avec les outils de lethnopsychiatrie de Georges Devereux.
En lisant ce dernier nous nous sommes rendu compte quil fallait avoir une formation
psychanalytique de base pour prendre ce modle comme rfrence de recherche et bien la
mener terme. Paralllement, le temps concd la recherche de terrain par la CAPES posait
des difficults insurmontables, notre avis, pour un travail caractre ethnopsychiatrique.
Sajoute, toutes ces limitations, notre vision, selon laquelle la consommation de substances
de modification de conscience, en tant que sujet de recherche anthropologique exige une
approche des schmas culturels locaux. Enfermer la recherche dans un seul modle
interprtatif conduirait une perspective fortement objectivante, mais peu flexible en ce qui
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concerne les significations proposes par les sujets. En plus, notre attention ntait pas tourne
exclusivement vers la dimension pathologique, ce qui nempche pas de la dcrire et
dessayer de linterprter. Cette thse reflte un cheminement tout fait ethnographique o les
rcits et descriptions occupent une place privilgie. Ainsi, nous vous proposons de suivre un
premier rcit, celui propos de la structure de la thse.
Le premier chapitre dbute par poser la problmatique de recherche, partir de notre
propre parcours antrieur auprs de cette population indigne. Nous examinons dabord la
construction des perspectives thoriques utilises dans lanalyse de lethnicit des Indiens du
Nordeste. Une constatation simpose celle dune vision moins fige du concept de culture et
limportance dans les dimensions politiques et sociales des processus dlaboration de
frontires groupales. Nous notons alors notre prfrence pour les lments conflictuels et
tendus de la vie sociale et culturelle et que la tendance trop sociologisante des thories
proposes lgard des Indiens du Nordeste laissaient en dehors du cadre danalyse le
problme de la production symbolique. Nous discutons particulirement le besoin dun regard
tourn vers les interstices de la vie sociale, perspective apparemment toujours partage au sein
de la discipline, mais dont lexercice fut parfois effac au nom des modles et des systmes de
pense attachs un paradigme de lordre et de lintgration fonctionnelle. Les nouvelles
questions poses la construction ethnographique sont analyses la lumire de quelques
auteurs brsiliens et amricains. La posture dialogique y est examine partir dun article
critique de Vicent Crapanzano (op. cit.).
Nous passons ensuite une caractrisation basique des Trememb et la manire dont
nous abordons leur histoire dans le deuxime chapitre. Cela permet doprer le passage la
question de leur marginalisation historique et le problme des stigmates et de la
consommation dalcool. Une brve analyse de lapproche de la consommation des drogues
dans la socit contemporaine ouvre lentre en matire de la deuxime partie du chapitre
ddie aux travaux sur lalcoolisation. Nous essayons de donner un cadre de la production
anthropologique sur le thme, parcourant les uvres collectives, particulirement, une
collection de textes organise par Eduardo Menendez (1991). L nous trouvons la thse
classique de Donald Horton propos de lalcoolisation et dautres travaux plus centrs sur des
cas concrets. De cette analyse nous avons retenu plusieurs questions et remarquons fortement
les propositions du travail de Vronique Nahoum-Grappe (1991) qui discute
phnomnologiquement livresse. Enfin, clturant cette partie nous traitons des notions de
rituel et de drame dans la perspective interactioniste et hermneutique.
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La dernire tape de notre itinraire autour de la problmatique est la recherche elle-
mme. En guise de dessin mthodologique nous essayons de montrer comment se ralisrent
les interactions qui ont fourni les informations travailles dans la thse. A ce moment le
lecteur est invit une plonge dans lunivers de relations locales, voire du village
dAlmofala et ses environs. Il commence y apparatre le rseau de personnages qui
constituent la trame vivante de la recherche. Ds notre entre sur le terrain, dix aprs notre
premire recherche, nous cherchons dcrire les rencontres et les enjeux intersubjectifs quils
conjuguent ct des informations quils apportent propos du sujet de nos proccupations.
Lopration vise proposer une ethnographie sur la faon de faire lethnographie. La
succession des interactions et des dialogues annoncent le scnario que la thse va essayer de
monter et traduire. Nous pensons quil sera utile pour se reprer au milieu dautant de
personnages, de dialogues et dinteractions de regarder un cadre mis en annexe listant les
noms et les localits o habitent ces personnes. Nous croyons que la dmarche ralise permet
de bien cerner les enjeux mthodologiques de la thse.
Le deuxime chapitre fonctionne comme une toile de fond la comprhension du
problme de lalcoolisation rituelle et quotidienne chez les Trememb. Nous y racontons
lhistoire de la constitution du phnomne ethnique qui caractrisent les Indiens au Nordeste
et les Trememb, en particulier. Nous nallons pas prolonger la description de ce chapitre, qui
comme nous lavons vu, est examine dans la premire partie du premier chapitre. Mais,
disons tout de mme, quil permet de faire le point sur les enjeux objectifs et interprtatifs de
lethnicit Trememb. Notre intention est danalyser le sens de sa construction historique
partir des informations bibliographiques et de rcits des Indiens. La folklorisation du rituel
Trememb y est examine, montrant les rapports entre le discours scientifique et lordre
politique. Nous proposons encore une discussion sur les laborations thoriques autour de la
notion dethnicit au Brsil et propos des recherches qui furent menes sur les Trememb
partir de la fin des annes 1980, la ntre y compris. La fin de ce chapitre est une tentative
dannoncer lintrt port aux lments rsiduels des analyses sur lethnicit, voire la culture
et sa dynamique.
Il sagit dans le troisime chapitre danalyser la dynamique culturelle traversant la
trajectoire dethnicisation des Indiens du Nordeste. Notre objectif l est de donner un cadre
ces lments dits rsiduels de lethnicit. Pour cela nous avons eu recours des travaux de
recherches raliss au Brsil sur les rituels, la religiosit et lethnobotanique des Indiens du
Nordeste, mais aussi propos de la place de lIndien comme entit spirituelle dans le
candombl, religion dorigine africaine, tudie notamment par Roger Bastide (2000). La
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centralit des rituels comme lment essentiel de la composition culturelle de lethnicit est
examine dabord en montrant sa diversit et ses similitudes chez les Indiens du Nordeste. Le
culte aux plantes et la prsence indispensable du tabac, mais aussi parfois de boissons
alcoolises permet dclairer les possibilits de sacralisation du rituel et de la boisson
traditionnelle chez les Trememb. Il sagit dexaminer alors une religiosit composite qui de
par les besoins de distinctions culturelles va tablir des diffrenciations subtiles avec dautres
formes de cultes trs proches, mais vues et classes comme mtisses. La signification de
lindianit et des boissons va tre discut de faon montrer les possibilits interprtatives
dgages par lexprience actuelle vcue par les Trememb. De l nous faisons une incursion
dans lunivers de croyances propre notre contexte dtude, analysant plusieurs fragments de
comportements et pratiques et un parcours spcialement riche dune femme Indienne qui fut
une fameuse chef dune maison dUmbanda dans la rgion.
Nous entrons dembl dans la description des rituels Trememb, partir dun long
rcit du parcours dun rituel, depuis les marches et rencontres qui lont prcd jusqu son
excution et aboutissement. Nous traitons juste aprs de lanalyse du rituel et enchanons avec
une nouvelle description dun autre. Toutes les descriptions cherchent recouvrir les
mouvements temporels, spatiaux et dinteraction qui conduisent la ralisation des
crmonies du Torm. Le nombre de rituels dcrits peut paratre un peu excessif mais notre
intention fut de faire varier le plus possible les perspectives de ralisation et leurs contextes.
Encore une fois les limites temporelles de la recherche ont pes sur la dfinition de lcriture
ethnographique. Il nous a sembl indispensable de fournir un cadre largi de lexcution du
rituel de faon visualiser ses enjeux et ses modulations. Bien entendu, une attention spciale
est porte lalcoolisation, ses significats et les interprtations faites par les participants. Dans
un Torm nous avons eu loccasion dinterviewer certains protagonistes propos de leurs
sensations et perceptions pendant le rituel.
Aprs cette prsentation nous faisons une incursion ethnographique dans lunivers de
lUmbanda local. Nous avons pu assister deux sances dans une maison. La situation
gographique de cette maison illustre dune certaine faon le besoin de discrtion impose
aux pratiquants du culte. Une description dtaille de lespace et des sances est suivi dun
entretien avec le mari de la mdium. A ce moment toute lanalyse antrieure propos de la
religiosit des Indiens va se montrer trs utile. Les ambiguts et proximits avec le rituel
Trememb sont exposes en plein jour dans un discours plein dhsitations et de richesse
interprtative.
18
Pour faire le point entre toutes les analyses et les descriptions autour de la religiosit et
des rituels nous examinons un entretien du paj Trememb. Les rapports mis en lumire entre
le ludique et le sacr dans les pages prcdentes du chapitre prennent une signification
concrte de par le discours de notre interview. La sacralisation du mocoror et du Torm est
amplement atteste par les arguments et les interprtations du paj. Les associations
proposes par nos questions avec lUmbanda rendent de trs bonnes analyses de sa part. Nous
examinons ces articulations et le sens vhicul par le rituel Trememb. A la fin de ce chapitre
nous essayons de mettre tout cela en relation avec les discussions thoriques de Victor Turner
sur les rituels.
Il fallait dans le dernier chapitre, tant donn les innombrables rfrences aux
boissons et particulirement aux boissons fermentes Trememb, dcrire son processus de
fabrication. Il fallait aussi examiner les significations et perceptions qui sont labores et
ressenties dans lusage du mocoror et dautres boissons alcoolises courantes dans notre
contexte de recherche. Nous entamons par une analyse de larbre, lanacardier (voir la
dnomination scientifique de lespce plus frquente rgionalement dans la partie
mentionne). Aprs nous faisons une ethnographie de la production du mocoror, examinant,
comme corollaire de cette partie, un entretien du cacique Trememb sur la faon idale de
fabrication, la classification des fruits et les occasions de consommation de la boisson, dans ce
quil appelle la tradition Trememb. Il y apparat la mention leau de vie artisanale comme
intgrant larsenal des boissons consommes traditionnellement. Cela nous amne faire une
incursion par les schmas interprtatifs de lensemble des boissons utilises dans ces parages.
Les ambivalences et les ambiguts de lalcool comme substance closent de manire
extrmement riche, donnant voir les qualits, les perceptions des effets et les significations
diverses, magiques, mdicamenteuses et pathologiques.
Nous consacrons les pages suivantes un examen du contexte social, politique et
culturel o ces croyances et pratiques ont lieu. Il sagit danalyser lducation des enfants,
lge dinitiation la consommation dalcool, les rapports entre genres, la logique de
lexercice du pouvoir, la violence, lexploitation au travail et etc.. De cette analyse ressort un
cadre social assez triqu o les exigences sur la subjectivit des sujets sont assez palpables.
Nous avons essay de mettre en lumire comment la construction de lindianit et
lalcoolisation ne peuvent pas tre comprises sans une claire contextualisation sociale et
politique. Toute cette discussion nous permet enfin de traiter ethnographiquement ce que nous
avons appel les drames dalcoolisation.
19
Un ensemble dentretiens raliss avec des hommes et des femmes sert constituer le
dossier dramatique de notre thse. Les situations dentretien sont examines comme
composantes stratgiques de ces rcits de vie. Quelques-uns de ces entretiens, tranches
discursives dexprience dalcoolisation, furent raliss de faon spontane et agrments par
livresse lgre ou lourde des interviews. Nous cherchons comprendre les rapports entre
lalcoolisation et lindianit partir des lments fournis par leur discours. Les rapports entre
magie, pouvoir, oscillations affectives et pragmatiques sont fortement explicits au cours de
ces conversations. Enfin il sagit de proposer toutes les modulations possibles de relation
entre la composition de soi et lalcoolisation, soit celle de lacteur lui-mme, soit celles de ses
proches. Nous devons avouer notre choix pour un traitement dialogique de ces entretiens, de
faon rendre la parole aux acteurs. Il nempche que nous essayons dclairer nos rapports
avec eux et de proposer des interprtations et des analyses au cours de ces rcits. La
conclusion cherche combler les manques ventuels danalyse, revenant sur lensemble de la
discussion pour orienter le sens voulu par notre criture. Il faut reconnatre que lachvement
dune recherche est toujours une ouverture plusieurs autres.
Un dernier mot nous parat ncessaire propos des termes brsiliens et autochtones
utiliss au long de la thse. Nous distinguons en italique le mot caboclo quand il dsigne
lentit spirituelle. Tous les mots dusage restreint au contexte de la recherche ou typiquement
brsiliens sont mis en italique. Nous cherchons expliquer le sens en note de bas de page
leur premire apparition. En italique aussi sont mises toutes les citations et les parties des
entretiens utiliss. Nous avons traduit les citations bibliographiques des travaux crits en
portugais et nous avons laiss dans la langue originale celles en espagnol et en anglais. Pour
ne pas surcharger la thse nous ne mettons pas les transcriptions des entretiens en portugais.
Par contre, en annexe, le lecteur pourra trouver la relation de lensemble de ces entretiens
avec la date et le lieu de ralisation. Les photos, en annexe, sont classes par ordre
dapparition dans les chapitres, ainsi il y a une annexe photographique pour chaque chapitre.
Nous esprons que, malgr toutes les circonstances et difficults exprimentes pendant
llaboration de ce travail, cela puisse contribuer, modestement, la comprhension des
processus dalcoolisation et de lusage de drogues en gnral comme partie intgrante dune
dmarche de connaissance de soi mme, de laltrit et du monde que les composent.
21
Annexe 1 : cartes
Carte 1 : Brsil et Cear
Itarema
Acara
Passagem Rasa
Pan Torres
Mangue Alto
Varjota
Lagoa Seca
Almofala
TaperaSaquinho
Barro Vermelho
Porto do Barco
Telhas Capim-Au
So Jose
ItaremaAlmofala / Plage
Carte 2 : Itarema et les localits Trememb (Source cartographique : IBGE)
23
1 De la problmatique et sa configuration
Quand un jour dans une sance dUmbanda nous avons vu une entit, dnomme
caboclo5 sincorporer ivre, la question du sens de cette prsence dun matre du dsordre
(cf. Bertrand Hell, 1999) dans le sacr nous est apparu trs instigatrice. Mme en sachant
quune partie des rituels de cette religion sorganise comme des ftes, avec des chants et
danses. En principe, il ny a rien dexceptionnel dans ce mlange entre le ludique et le sacr, il
nest pas si rare, si lon pense aux recherches anthropologiques autour des cultes de
possession. Nous tions sur le littoral du Nordeste brsilien menant une recherche propos
du processus dorganisation politique et ethnique des Indiens Trememb. La manifestation de
cette entit a coll ma pense des annes durant, comme insinuant une image du strotype
de lindigne au Brsil, reprsent dans limaginaire populaire comme un tre la fois vaillant
et courageux et paresseux et ivrogne. Respectivement, dun ct les laborations romantiques
des crivains et des peintres brsiliens au dix-neuvime sicle, collaborant la construction de
lidentit nationale et de lautre, les images ngatives diffuses travers une chane discursive
qui mle lhistoire officielle et les prjugs forgs dans le contact entre logiques culturelles
diffrencies par rapport la notion mme de travail. Ce que nous verrons travers cette thse
est le ddoublement de cette image construite partir de plusieurs prismes.
Lanthropologie sinstitue comme discipline pour rendre compte de la diversit dans
lunit. Nous savons que les perspectives initiales ont assur lunit travers le montage
dune histoire linaire, volutionniste, assimilant alors le diffrent ou lautre au pass. Bien
naturelle et comprhensible cette vision dans le cadre positiviste et progressiste du dix-
neuvime sicle (voir Paul Mercier, 1966 et Franois Laplantine, 1988). La dynamique de la
connaissance anthropologique sassocie dun ct aux changements dordre pistmologique
engendrs par le dveloppement des travaux de terrain et de lautre au mouvement des
transformations sociales, politiques et culturelles forges par lhistoire de lhumanit. On
passe du primitif, presque priv de raison, la perspective selon laquelle ces autres, les
socits non occidentales, se fondent sur des logiques culturelles spcifiques et intelligibles
la lumire dun regard du dedans. Bronislaw Malinowski (1978), avec son analyse du kula
5 Nous examinerons dans le troisime chapitre la religiosit chez les Indiens au Nordeste et la signification de la dnomination caboclo dans le contexte des cultes de possession, particulirement, au Nordeste du Brsil. Pour linstant disons simplement que caboclo est synonyme de mtisse, un mlange au plan biologique entre Blancs et Indiens. Au plan spirituel les caboclos sont des entits trs varis, vnres, plus souvent, dans lUmbanda, qui seraient des esprits, principalement dIndiens, mais, peuvent aussi en tre des bergers, des marins ou mme venues de contrs lointains comme lInde ou la Perse.
24
mlansien, serait le pre fondateur dune tradition ethnographique marque par lexprience
de lobservation participante, ce paradoxe de notre discipline, que Vicent Crapanzano (1991 :
60) nhsite pas qualifier doxymoron de le spcificit mthodologique de
lanthropologie . Cela, il le fait en traitant dj des nouvelles perspectives ethnographiques
postulant la dialogique comme base de la connaissance de lautre.
Notre trajectoire dans la discipline sinitia avec ltude des groupes indignes
au Nordeste du Brsil. Ces Indiens constituent le contre sens dune vision fige de la culture.
La question qui se pose initialement dans lanalyse de leur continuit dans le temps, en tant
quentit ethnique est justement le caractre rsiduel de la culture (voir Manuela Carneiro da
Cunha, 1988) qui leur sert de base. Aprs quatre sicles de contact intensifs avec la socit
coloniale et nationale, contraints dassimiler dans le cadre des missions catholiques une
religion et un mode de vie, obligs reconstituer leur propre unit dans la diversit des
ethnies rassembles, ils arrivent la modernit dpouills des signes extrieures de leurs
particularits culturelles. Dpossds de leurs langues (avec une seule exception),
revendiquant leurs territoires, renomms caboclos , comme rsultat smantique dune
indistinction culturelle et en plus comme marque discriminatoire de cette indistinction, ils
sont dans les termes thoriques du culturalisme, acculturs. Donc, dembl on est face une
situation ethnographique trs loigne du paramtre courant de lanthropologie classique.
Celle-ci sattribuait la tche de comparer les socits dans un cadre de stabilit culturelle pour
arriver llaboration des lois gnrales de lvolution historique, sinon, plus tard, proposant
les schmas de fonctionnement sociaux (Bronislaw Malinowski, 1978) ou les modles de
pense (cf. Claude Lvi-Strauss, 1976), tout les deux universalisants.
Nous trouvons le sujet de nos recherches des annes 1990 dans un tout autre contexte
historique et pistmologique de la discipline. Il sagit dexorciser les fantmes du
culturalisme et de lvolutionnisme, toujours vivant, pour comprendre la reconstitution des
groupes donns comme disparus ou mme la reviviscence des projets particularistes au milieu
dun monde modernis et tendant lhomognit culturelle. Ce monde est celui de la
dcolonisation et de la pntration du discours anthropologique vu comme apologie de la
diffrence, celle-ci produit dun processus complexe de construction sociale. Ici, les
articulations entre la production des discours scientifiques et les appropriations idologiques
deviennent plus videntes, comme est le cas des travaux propos du genre et les laborations
des fministes dans les annes cinquante du XXme sicle. Auparavant, ce rapport restait
souvent dans lombre, lvolutionnisme comme lgitimation de la politique coloniale
europenne en est la dmonstration la plus explicite (voir Frantz Fanon, 1968 comme
25
lexercice le plus radicale de dmasquage idologique et comme affirmation inverse de la
contre histoire). Nous rentrons dfinitivement dans la phase des conflits, des changements,
des tensions et de laffirmation du culturel comme sphre politique (voir Paula Monteiro,
1991 : 119).
Alors, mener des recherches sur les Indiens du Nordeste cette poque impliquait
lutilisation dun arsenal thorique et mthodologique forg par lanthropologie politique.
Cest partir des travaux de Georges Balandier (1951), en France et de Max Gluckman
(1987), en Angleterre, entre autres, quon a pu laborer des nouvelles approches incorporant
le changement dans lanalyse des relations interethniques. Roberto Cardoso de Oliveira
(1964, 1976, 1978) fut un des pionniers, au Brsil, dans llaboration dune perspective
dynamique de lethnicit. Comme chercheur situ dans un espace priphrique de la
production intellectuelle mondiale (voir Mariza Peirano, 1991) ses sources sont les travaux
cits ci-dessus et, celui de Frederik Barth (1968) et sa dj fameuse introduction aux
problmes de constitution des frontires et des groupes ethniques. Nous nallons pas entrer
dans le dtail de cette thmatique qui sera lobjet dune analyse spcifique la fin du
deuxime chapitre de cette thse. Evoquons, tout simplement, que les propositions de Roberto
Cardoso de Oliveira ont stimul un ensemble de recherches, dont lexpression la plus acheve
est la production autour du thme de Joo Pacheco de Oliveira (1988, 1999 ), dailleurs son
disciple.
Les travaux de ce dernier composent, bien entendu, le cadre thorique propos pour la
comprhension de la situation des Indiens du Nordeste. Donc, il ne faut pas non plus
sattendre ici une exgse de ses contributions, elle se fera dans la partie mentionne ci-
dessus. Notre intention, en ce moment, est de rendre compte du parcours que nous a conduit
la construction de notre sujet de recherche, voire lalcoolisation chez un groupe indigne au
Nordeste. La signification du choix doit tre comprise par le biais de la trajectoire de
recherche antrieure. Dabord laxe de la perspective forge dans linvestigation des Indiens
au Nordeste est ancr sur les pralables culturels et politiques dj rfrs : le problme de la
distinction culturelle et le caractre politique du processus de construction de lethnicit. Nous
verrons que les Trememb, furent apprhends par les diverses recherches menes, comme
une entit ethnique partir dun regard politisant de la culture. Notre exprience de recherche,
chez eux, au dbut des annes 1990, se termina pleine de regrets pour avoir privilgie la
dimension des rapports de pouvoir et lanalyse sociologique, au dtriment dune approche
symbolique.
26
La prsente recherche merge dun dsir de comprhension des pans cachs6 de cet
univers riche en ambiguts et tensions de tout ordre. Voil que nous arrivons la tension et
la dynamique culturelle. Le projet de recherche conjugue alors ce dsir qui naquit du contact
subtile et phmre avec des bribes et des fragments culturels de ces pans cachs et la
problmatique assez vaste de la consommation de drogues. LUmbanda, ce culte de
possession trs brsilien, nous proposa un dfil de personnages issus de limaginaire
marginal des populations pauvres. Des entits enivres, ou en voie denivrement, postulant
par ses dnominations des filiations indignes ou mtisses. A ct, ou dedans, une population
rclamant une identit ethnique, cense tre disparue jamais par les mouvements politiques
et smantiques de lhistoire rgionale et nationale et ralisant son tour un rituel o
lalcoolisation est au centre.
La problmatique se voit renvoye deux axes danalyse quil faut combiner de la
faon la plus dynamique possible. Dun ct il faut analyser la constitution du mouvement
historique de revendication ethnique Trememb. Dun autre il sagit de pntrer le cur des
pratiques dalcoolisation en qute de sens labors par les sujets. La dmarche se fonde alors
sur un double tranchant, fournir les bases sociologiques et politiques du discours ethnique et
le voir la lumire des performances dalcoolisation. Mais, il sagit aussi dinverser le regard
et de voir lalcoolisation partir des laborations smantiques de lethnicit. En somme,
lintention est une qute du sens de la composition de soi au travers dune exprience
ethnographique centre sur les oscillations et tensions identitaires dgages par les actes
rituels et dramatiques de lalcoolisation.
Il faut comprendre que notre proposition vise dgager des possibilits interprtatives
dun sujet qui recle la fois des composants objectifs, la configuration du mouvement
politique vis--vis de lethnicit et dautres dimensions situes au cur des rapports entre
lordre et dsordre, stigmatisation et reconnaissance sociale. Lalcool est utilis comme un
rvlateur des interstices culturels de la socit en question et des enjeux intersubjectifs de la
recherche. Les modles rigides tendant postuler une ide dordre structur et peu modulaire
sont peu appropris rendre compte dune telle situation ethnographique. Lanalyse des
tendances actuelles de notre discipline dgage quelques repres pertinents.
6 Il sagit de comprendre lunivers de lethnicit et lalcoolisation associe partir de ses composants interstitiels. Le plan des cultes mtis comme lUmbanda, sont compltement en dehors des buts des investigations propos des Trememb, hormis mes propres rfrences parses. Le rapport lalcool insinue une possibilit dapproche des dimensions symbolique et intersubjective, respectivement, par le biais de lusage dune boisson traditionnelle, le mocoror, et les rvlations motionnelles dgages par livresse. Pour une analyse des significations du mocoror et de sa composition nous renvoyons le lecteur aux chapitres trois et quatre de cette thse.
27
Roberto Cardoso de Oliveira (1995) analysant La catgorie de (ds) ordre et la
postmodernit de lanthropologie proposa que la notion dordre oriente la grammaticalit du
langage anthropologique. Il identifia les paradigmes attachs cette notion, le rationaliste, le
structurel fonctionnaliste et le culturaliste, respectivement lis aux principales coles de la
pense anthropologique, la franaise, langlaise et la nord-amricaine.
le paradigme rationaliste, dj ses premiers pas lEcole franaise,
sappliquait autant la question de lorganisation sociale (solidarit mcanique et solidarit
organique) comme dans la dcouverte des formes lmentaires ordinatrices de la pense
primitive, et, ses derniers pas, dans lexercice radical de la catgorie, dj lintrieur du
moderne structuralisme franais, comme l illustre bien la maxime connue levistraussienne
que le pire des ordres est meilleur que le dsordre ; dans la question propose en termes
de structure sociale, on dtache le paradigme structurel fonctionnaliste, particulirement en
ce qui concerne linstitution de la parent et les groupes organisationnels si extensivement
tudis la British School ; tandis que le paradigme culturaliste, sous-jacent lAmerican
Historical School of Anthropology, conduit linterrogation vers les processus culturels et
ltablissement de standards ou rgularits culturelles. (Roberto Cardoso de Oliveira, op.
cit. : 17).
Par contre, le dsordre, les tensions, les changements et les contradictions resteraient
comme limpense de la discipline ou plutt ils seraient soumis une domestication. Tout
cela sassocia en partie au temps et lhistoire, mais en plus des lments considrs
comme irrationnels, comme lmotion, les affects, les sentiments, forges par
lintersubjectivit. Bela Feldman-Bianco (1987) analysa de sa part les transformations
mthodologiques qui ont conduit lanthropologie britannique repenser laction. A ce sujet le
tournant son avis se ralise aprs la II Guerre o la question passa du comment la socit
se maintient ? comment la socit se transforme ? . Les progrs furent considrables et
ils ont abouti des notions plus flexibles comme champ au lieu de systme, pour penser
les interactions et leur mouvement, mettant laccent sur les rapports tendus et conflictuels
entre les agents sociaux. Max Gluckman (1987) et Van Velsen (1987) proposent ainsi
lanalyse de situations sociales pour rendre compte des flux interactionnels capables de par le
regard microscopique port de voir les conflits, les tensions et, surtout, laction sociale. Ces
notions ont servi baliser la construction de modles plus adapts linvestigation des
contextes sociaux complexes, o plusieurs agents, ayant des positions, intrts et valeurs
diffrents sont en train dinteragir. En ce qui concerne les relations interethniques, au Brsil
Joo Pacheco de Oliveira (1988) a labor des notions comme : situation historique ,
28
territorialisation et dautres plus instrumentales par exemple de champ inter
socitaire , en dialogue avec les propositions cites ci-dessus et encore celles de Georges
Balandier.
On voit par l quun des composants de notre problmatique sarticule clairement avec
ces perspectives. Cependant, reste encore hors du champ de cette vision la question de la
culture en tant quorganisateur de laction et tout le processus de rlaboration symbolique.
Rappelons que cest de la source sociologique de lanthropologie, celle forge par Radcliffe-
Brown et ses disciples que vient linspiration de ces transformations. Cest du mouvement
hermneutique, comme lappelle Roberto Cardoso de Oliveira (1995) qui a en Clifford Geertz
sa rfrence fondamentale, do viennent les contributions centrales une pense dynamique
du culturel.
Le quatrime paradigme (que plus tard il prfre appeler mouvement, en fonction de
ses variations) de notre matrice disciplinaire, que jai appel hermneutique, ouvre son
espace dans lanthropologie premirement par une ngation radicale de ce discours
scientificiste-l (Franois Laplantine [2003 : 355 et ss.] propose en franais le mot scientisme)
exerc par les trois autres paradigmes ; en second lieu, par une reformulation de ces trois
premiers lments-l qui avaient t domestiqus par les paradigmes de lordre ; la
subjectivit qui, libre de la coercition de lobjectivit, prend sa forme socialise, on
lassume comme intersubjectivit, lindividu, galement libr des tentations du
psychologisme, prend sa forme personnalise (donc lindividu socialis) et na pas peur
dassumer son individualit ; lhistoire dnoue de ses chanes naturalistes que la mettait
totalement lextrieur du sujet cognitif, puisque delle on attendait quelle fusse objective,
prend sa forme intriorise et sassume comme historicit. (Roberto Cardoso de Oliveira,
op. cit: 25).
Ce mouvement permet dincorporer au discours anthropologique laltrit comme
partie prenante de la construction ethnographique. Au lieu dexclure les hsitations, les
tensions et les contradictions de lordre culturel et de laction sociale il cherche les faire
parler. Paul Rabinow se rfre lmergence de ce mouvement comme rsultante de la crise
de reprsentation dans lcriture ethnographique (Paul Rabinow, 1986 : 251 cit par
Roberto Cardoso de Oliveira, idem : 32). Les relations dialogiques proposes engendrent un
savoir ngoci o le chercheur et ses sujets font interagir leurs horizons, selon la terminologie
employe par les hermneutes. Lide dun auteur absolu et souverain nest plus de mise dans
cette perspective, o la rencontre est aussi signe de confrontation. Lethnographe nest pas
seul interprte des donnes, devant intgrer le savoir de lAutre, l il sagit douvrir la voie
29
la polyphonie. Roberto Cardoso de Oliveira indiqua enfin lacceptation de la non exclusion
des horizons et des langages, ils seraient en interaction, se croisant, ou mme, la limite, se
fusionnant.
Un des plus ardents dfenseurs de cette nouvelle optique de lanthropologie est
Georges Marcus (1991) dont larticle ici rfr chercha poser les bases dune ethnographie
moderne. Son thme est lidentit collective et individuelle au sein de lhistoire mondiale. A
son avis ces identits sont dtermines de multiples faons dans la modernit, exigeant des
nouvelles stratgies ethnographiques. Il critiqua dabord les perspectives analysant le thme
privilgiant les notions de rsistance et daccommodation, de quelque sorte ces catgories
impliquent une structure culturelle stable, en dtriment dune vision incluant des
contradictions durables. Les ethnographies attaches ces notions essaient dviter le sens
paradoxal de limbrication entre la diversit et lhomognit.
Je suis spcialement intress analyser comment on cre un texte moderniste dans
chaque travail qui essaye de montrer de quelle manire identits spcifiques se crent partir
de turbulences, fragments, rfrences interculturelles et lintensification localise de
possibilits et dassociations globales. (Georges Marcus, op. cit: 204).
Pour y arriver notre auteur suggre quelques pralables ethnographiques, dont les
implications pistmologiques sont videntes. En premier lieu on doit redfinir lobserv,
problmatisant dentre le concept de communaut, trs spatialis, puisquil faut analyser de
multiples contextes o les identits sont parfois disperses et fragmentes. Lhistoricisation de
lethnographie devient indispensable, la mmoire prise de faon individualisante
proportionnerait une meilleure valuation des expriences historiques. Cela refonde les
reprsentations collectives, partir du vcu personnel et provoque lincorporation de plusieurs
voix. Il maintient le besoin du concept de structure sociale, mais le dplace en termes de
dtermination des expriences, ces dernires exprimes par la polyphonie constituent la
structure dans un plan sentimental.
Paralllement lobservateur doit se refaire dans sa pratique. La plupart du temps, ce
quil appelle les ethnographies ralistes se sont construites partir dune exgse de
symboles et de concepts indignes extraits de leurs contextes et rinterprts en accord avec
les exigences du schma analytique de lethnographe. Sa perspective vise privilgier, comme
de reste plusieurs autres, les concepts natifs. A ce sujet il essaie de montrer comment les rcits
anthropologiques en formulant des concepts figs propos des expriences natives, cadrent et
dfinissent lhorizon identitaire des sujets investigus. Il parla dun ncessaire exercice
dialogique dont lexgse se base sur lethnographie et la structure analytique, de faon
30
expliciter, au moins, deux voix, recrant ainsi les concepts au sein du discours thorique. La
question, pour lui, est de savoir si une identit peut tre explique partir dun seul
discours de rfrence, quand en fait plusieurs discours entrent en scne (Idem: 211). La
bifocalit propose a toujours exist, tant donn la dimension comparative du projet
ethnographique, cependant elle tait nie par le biais de la non contemporanit entre
lethnographe et son sujet dtude. Il y aurait une multi localit des processus identitaires
croisant plusieurs niveaux transculturels et tablissant des liens de valeur et des raisons
personnelles entre lethnographe et son objet.
On voit que les propositions de Georges Marcus et dautres auteurs se trouvent
confrontes au problme des rapports de pouvoir engendrs par lexercice mme de
lethnographie, en plus de ceux dj explicits fournis par le cadre des relations entre groupes
ou socits. Il pose de cette faon le besoin dune thique capable douvrir la voie au
repositionnement de lAutre dans lhistoire de lhumanit. Le dilemme se fonde dans la
tension forge par la trame historique de lexprience ethnographique et sa traduction, dans
les cadres dfinis de lobjectivit prescrite lexercice. Lhistoricit est multiple, mais il y a
une faon bien ordonne de la raconter et alors tout semble rentrer dans lordre, mme quand
les contradictions se prsentent. Michel Taussig (1993) affronte le problme de la terreur et de
la cure chez les Indiens du Putumayo, en Colombie amazonienne, connectant des domaines
auparavant distincts et des questions qui le poussent affirmer une impossibilit
dapprhension rationnelle. Pour en rendre compte :
il voque et combine un double mouvement dinterprtation, dans une action
combine de rduction et rvlation un acte de subversion mythique inspir par la propre
mythologie de limprialisme Mais, peut-tre, la question est-elle: la subversion mythique
du mythe, dans ce cas le mythe de limprialisme moderne, requiert quon laisse intactes les
ambiguts Ici le mythe nest pas expliqu de manire quil puisse tre minimiser par
lexplication, comme dans les tentatives dsoles des sciences sociales. (Teresa Pires do Rio
Caldeiras, 1988 : 41).
Les angoisses poses par ces propositions critiques sajoutent celles dj prsentes
au sein de la pratique des sciences humaines, en gnral, comme nous lapprend Georges
Devereux (1980). Les dispositions dialogiques prnes par une partie des anthropologues
contemporains (voir particulirement Dennis Tedlock [1979]), regorgent de navets aux yeux
de quelquun, en principe, attach la perspective. Vicent Crapanzano (op. cit.), qui a servi
dexemple dans lanalyse de Roberto Cardoso de Oliveira (op. cit.), dans un texte qui
sappelle simplement Dialogue, fait une mise au point de la question, disant dabord que ce
31
mot semble stre substitu lobservation participante. Celle-ci dsigne pour lui, comme on
a vu, doxymoron. Le dialogue suggre le romantisme lie au ple participant occultant
langoisse associe au ple observant, angoisse lie leffet de distance de lobservation. Il
suggre amiti, mutualit, authenticit, dans une relation galitaire. Ainsi compris, dialogue
non seulement dcrit de telles relations, comme peut crer lillusion quelles existent l o il
ny en a pas. Je ne me rfre pas ici la mauvaise foi qui peut, videment, exister, mais la
possibilit dun aveuglement inhrente la situation (dialogique) dans laquelle
lanthropologue se trouve. Donc, le dialogue non seulement rvle, comme il peut souvent
occulter les relations de pouvoir et les dsirs qui sont derrire la parole parle et, en dautres
contextes, de la parole crite et divulgue. Le pouvoir et le dsir peuvent contredire
lamicalit que le dialogue connote. (Crapanzano, op. cit: 60).
Il critique Tedlock de proposer une acception tellement ample du dialogue capable
dinclure toutes sortes de communication verbale, mme celles endopsychiques. La distance
que le dernier indiqua comme tant celle du travail anthropologique se distingue trs peu des
autres distances organisatrices de tous les dialogues, puisque la conversation suppose formes
de distanciation, sinon il sagirait simplement daffirmations tacites et mutuelles. A son avis il
y a l une orientation phnomnologique implicite supposant lentendement des diffrences
dans un monde commun. Cela renvoie les ruptures et les diffrentiations un deuxime plan
de lanalyse, simplifiant le dialogue. Il cita Hans-Georg Gadamer, quil qualifia comme un
des fins analystes du dialogue. Ce dernier proposa que la conversation soit, idalement, le
moyen de lentendement. Trois types dentendement sont possibles : le premier celui qui
cherche comprendre la nature humaine, ce qui est typique et prvisible dans cette nature, il
serait lapanage des biologistes parmi dautres ; dans le deuxime il y aurait une qute de
lautre en tant que personne, mais lentendement se fait par la mdiation des autorfrences, il
serait encore non immdiat ; le troisime, se ferait de faon ouverte, immdiate et authentique.
Pour Vicent Crapanzano, le deuxime type est le plus frquent dans la pratique
anthropologique, autant que la ralisation du troisime est rare dans le cadre de la recherche.
Il utilisa des exemples de son travail en Afrique du Sud pour explorer la typologie de
Gadamer, essayant de montrer la multiplicit des rencontres sur le terrain.
Notre auteur est proccup par une prcision de lusage du dispositif dialogique. En ce
sens il analysa le besoin de bien distinguer les sens mtaphoriques du dialogue et le dialogue
lui-mme. Cest le cas, par exemple, dans lusage du dialogue pour se rfrer la discussion
intertextuelle que nous faisons quand nous crivons nos ethnographies. Il est aussi attentif au
fait que nous recomposons le sens de la conversation, au contraire de Gadamer, qui selon lui,
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pensa que la conversation hermneutique garde une mmoire capable de restaurer la
communication originale du significat . Il examina aussi les genres de dialogue, entamant
par un analyse de ltymologie. Ainsi dialogue, originaire du grec, associa la prposition
dia , signifiant par le moyen de , entre , travers , et logos , issu de legein,
parler ou pouvant aussi dsigner matriellement souffle , esprit , selon
linterprtation propos par Onians ([1951 :76] cit par V. Crapanzano, idem: 66). Alors,
dialogue est un parler travers, entre et au moyen de deux personnes. Il est un passage
et un loignement. Un dialogue a autant une dimension de transformation que dopposition,
agonistique. Cest une relation hautement tendue. (Idem: 66).
De cette faon il va faire remarquer, partir du recours Mikhail Bakhtin par
lintermdiaire de Tzvetan Todorov (1981) lexistence de plusieurs genres de communication,
non seulement distingus par lanalyse linguistique et stylistique, mais aussi par les membres
dune mme culture. Les anthropologues se voient confronts au dfi mme de ltranger. Il y
a des modles natifs organisant la communication, bien entendu, mais parfois ils ne sont pas
pris en compte. Il va montrer que les ngociations ne sont pas toujours faciles. Il sagit non
seulement des ngociations propos de la ralit elle-mme, mais autour de la faon de
lexprimer. De ce point de vue, lentretien recle un type de dialogue forc par le chercheur.
Lauteur souligne que lacceptation de ce genre par les natifs implique dj une concession
notre manire denvisager la communication, vis--vis de nos propos. Une tentative de faire
rflchir le natif sur le dialogue en cours met en risque la conversation elle-mme, ce qui
stait pass dans un exemple cit par Crapanzano (Ibidem : 69). Il dit ce propos que les
questions directes sur la relation dentretien menacent la relation elle-mme, la conversation
perd en subtilit.
Pour lui il faut prendre en ligne de compte les limitations inhrentes lexercice du
dialogue ethnographique. Lentretien souffre des contraintes des modles qui les ont forges
mthodologiquement. Ainsi les stratgies utilises doivent tre justifies par les objectifs
affichs de recherche. Il affirma alors que les anthropologues sont obligs de faire face aux
limitations. Toutes les prcautions prises pour rendre compte des situations de dialogues
nannulent pas leffet impratif du travail de linterprtation de lanthropologue. Il ny a pas
de sortie aux dilemmes poss par la recherche, sauf laffrontement des tensions et des limites
quelle engendre. Enfin, la dialogique nous engage dans une bonne voie de discussion du
travail ethnographique, mais ne doit pas tre idalise comme une situation de pleine symtrie
et galit.
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Tous ces pralables font partie des inquitudes gnres par notre parcours de
recherche. Ils sinscrivent au cur de lexercice anthropologique et nous ne pouvons pas les
esquiver, en prenant en compte les engagements de la recherche. Notre investigation fait une
connexion des dimensions diffrencies de la ralit sociale, articulant une vision des rapports
de pouvoir, forgs historiquement au sein de la socit brsilienne, avec les pratiques rituelles
et quotidiennes de consommation dalcool. La premire dimension fut pense en organisant
une lecture historique des actions coloniales et nationales qui ont assignes la place des
Indiens autant sur le plan territorial que symbolique.
Notre intention est alors de rflchir une ralit complexe de formation de
revendications identitaires forges par un processus assez triqu dassignations et de
destitutions. Nous allons montrer comment au long de cette histoire, qui va de la colonisation
aux jours actuels, loscillation de la reconnaissance de la diffrence culturelle fut un champ
propice toutes les manipulations et rifications. Nous racontons lhistoire dune manire
oblique, traversant certaines priodes prenant un chemin apparemment linaire, mais dun pas
hsitant, venant en arrire et allant en avant, cherchant une interprtation entre les multiples
sens du discours oral et lhorizon carr et domestiqu de lhistoriographie officielle. Il ny a
pas une discussion thorique sur les statuts diffrentiels de lhistoire crite et de la mmoire
orale, la lgitimit nest pas le sens, le sens est la signification que les discours ont pour ceux
qui les manipulent.
En essayant dtre plus direct faisons une description de lensemble des discussions
menes dans le deuxime chapitre. La premire partie essaye de rendre compte du processus
travers lequel ces Indiens, les Tremembs, sont assigns un territoire donn et sont censs
avoir disparu deux sicles aprs, malgr le fait dun registre de terre collectif en leur nom au
XIX sicle. Se manifeste ds lors le problme crucial de la terre, habite et vue aprs comme
hante par les fantmes qui auraient d disparatre. Nous pouvons accompagner
lefficacit des mcanismes idologiques et politiques dassignation et de dpouillement
collectif dune population. Une notion nous aide aborder le sujet, celle de
territorialisation , qui sera reprise dans la dernire partie du deuxime chapitre. Cest en
fait un autre dialogue (au sens mtaphorique), parmi les divers qui composent notre travail,
qui est entam ici avec lanthropologie brsilienne de faon essayer de comprendre mon
regard et ceux de mes collgues. Nous profitons de la distance pour exprimenter avec une
autre perspective la schizophrnie flottante qui entoure notre discipline, dans ce va et vient
entre ltranget et la proximit, dont nos journaux de terrains sont la cristallisation. Cette
vision guidera lcriture de la dernire partie, o on discute la notion dethnicit et ses limites,
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ses perspectives et son application par les anthropologues qui ont investigu les Trememb,
moi y compris7.
La deuxime partie tente de cerner, encore avec le soutien de lanthropologie propose
par Joo Pacheco de Oliveira (1988), les enjeux qui sorganisent autour de la mmoire
collective des Trememb et des schmas de pouvoir qui se sont tisss par la relation avec ceux
quon pourrait appel les rgionaux , des colonels , fermiers et commerants. La
mmoire de la configuration de la structure foncire est au centre. Elle est faite aussi
doscillations, autant dans la construction des discours que dans lnonciation de la
domination. Ici et l, on commence voir quelques coups de pinceau propos des stigmates
et sa stabilit au cours de lhistoire locale. Mais, surtout, on apprend que lunivers social et
culturel dont nous nous occupons est plein dambiguts.
Nous passons du politique au culturel et nous revenons au culturel puis au politique
dans la troisime partie, en cherchant apprhender comment le Torm passe de la sphre du
ludique folkloris celui dobjet central des laborations symboliques et organisationnelles
des Trememb. On parcourt les travaux des folkloristes et les cristallisations engendres par
leurs discours. Paradoxalement les rifications saudosistes et les exercices de sauvetage
qui vont avec, ont t lorigine mme des transformations symboliques et politiques
inattendues pour les agents. Quelques lignes sont traces pour renvoyer la signification de
lalcool chez les Tremembs, encore une fois les stigmates sont l, mais les nouveaux sens
aussi. Nous allons alors jusquau bout de lhistoire rcente et donnons un cadre la diversit
interne des groupes habitant le municipe dItarema et se revendiquant Trememb.
A la fin nous essayons de faire le point sur lethnicit Trememb et les discours qui se
sont construits autour. Aucune prtention darriver une conclusion, seulement une recherche
de sens et une tentative de prise de conscience de la composition htrogne de lhistoire. En
faisant osciller le rcit entre le macro politique et le micro social, nous nous dirigeons vers les
interstices de la culture et de la vie de ces gens.
Qui sont ces gens ? Les Tremembs ne constituent pas une unit priori, mais plutt
des ensembles de familles habitant des localits dans une rgion. On verra que parfois ces
localits forment une collectivit relativement homogne, mais la plupart de la population se
reconnaissant comme Trememb, vit disperse et parpille dans des localits qui ont comme
centre de convergence le village dAlmofala. Cest autour dAlmofala que nous avons 7 Petite remarque propos dune libert qui je me permets. Les pronoms utiliss varient en conformit avec le contexte. La premire personne du pluriel domine, mais je me mets la premire du singulier chaque fois que le contexte incite marquer un sens plus personnel. Loscillation est sujette caution, mais peut tre est-elle un remde pour soulager cette schizophrnie flottante que je viens de mentionner.
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concentr la recherche, sa position axiale dans la mmoire indigne la rend incontournable.
Cette mmoire est le mobilisateur fondamental du mouvement de reconstruction dune
communaut idalise par les leaders Indiens et leurs allis. La mmoire sassocie la
marginalit historique laquelle ils furent cantonnes et rvle les enjeux symboliques de la
composition de soi.
Erving Goffman (1975) et Howard Becker (1966) nous ont appris que la marginalit
est une construction sociale, dont les stigmates sintgrent lexprience existentielle des
sujets. Cest partir de l que nous prenons le chemin dune comprhension des pratiques
dalcoolisation. Lusage des drogues recle dans le monde actuel la charge dune espce de
bouc missaire de notre temps (cf. Thomas Szazs, 1976 et Antonio Escohotado, 1994). Une
proccupation accrue avec lalcoolisme chez les Indiens de la part des organismes de sant et
mme des anthropologues met notre sujet au centre des dbats pratiques. La consommation
excessive dalcool serait-elle cause ou effet de la dstructuration des socits indignes ?
Dabord la drogue nest pas un sujet dans le sens dun tre conscient et agissant pour
son propre compte. Toutefois, dans limaginaire social et mme, parfois, dans la raison
scientifique, la drogue au singulier assume ce rle de sujet capable de conduire les tres
humains vers la dchance psychique et sociale. Il sagit ici dun composant fondamental,
puisquil rvle le sens profond de la modification de la conscience dans notre socit. Le
contrle des corps et des esprits partir dun regard mdical et aseptis est luvre de la
pense moderne. A partir de l lobjet drogue passe au monopole lgitime dun groupe
spcialis dans son administration et pourtant les substances sont multiples, avec des
historicits propres, en fonction des cultures que les ont domestiques. Comme nous informe
Alain Eherenberg (1991) au-del de sa catgorisation comme flau social, les drogues, les
produits psychotropes (drogues illicites, alcool et mdicaments psychotropes) participent de
rapports au monde et de climats existentiels propres nos socits (Alain Ehrenberg, op.
cit: 5). Il va remarquer plus bas une diffrence, en principe, fournissant un seuil de rpartition
culturelle des usages.
Dans les socits non modernes, les drogues appartiennent aux mdecines ou aux
rites (lies un temps cyclique et des mythes), qui permettent dtablir des rapports avec
les dieux, avec les morts ou de rvler un destin. Dans les socits modernes, elles constituent
des expriences qui produisent et rvlent simultanment les styles de rapports que lindividu
entretient avec lui-mme et avec autrui. (Idem : 6).
Un autre partage, celui-ci plus marqu encore, est introduit cette fois-ci par la culture
elle-mme, soit elle mdical ou profane. Le partage se fait entre lalcool et la drogue, le
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premier est vu comme composant de la sociabilit et les produits illicites, parce que cest de
cela quil sagit, sont envoys toujours du ct de la ngativit sociale. Lalcool sinscrit dans
le cadre des changes sociaux, moyen de communication, lubrifiant social comme le
nomme Claude Fischler (1990 :165) et en mme temps il est poison, bien entendu, quand il
est ingr de faon excessive et continue. Lambivalence fait loi dans ce domaine, parce
quon est en face du processus de construction de lgitimation des expriences humaines,
toujours orientes par des rapports de force. Howard Becker, dirigeant un ouvrage rcent
propos du thme, analysa le rapport entre les choses et les catgories, celles-ci forges dans
les dbats internes chaque socit. La drogue selon lui sapproche de la catgorie des
mauvaises herbes , plantes qui sont hors de place, comme le dfinit David Matza, auteur
quil cite. Ainsi, la dfinition est une question de jugement moral.
La dcouverte de Matza selon laquelle la mauvaise herbe nest pas une catgorie
botanique, mais relve plutt dun jugement moral formul lgard dune plante qui nest
pas sa place propre, suggre ainsi un point de dpart pour lanalyse : un narcotique est une
substance qui nest pas sa place. (Howard Becker, 2001 : 15).
Nous arrivons de cette faon la question de la place des substances modificatrices de
la conscience. En jeu le problme fondamental du statut de la conscience, conjuguant lordre
au sens. A notre avis ces deux termes sont des productions sociales et culturelles. Nous avons
affaire la manire dont chaque groupe humain dfinit les limites du monde et lexprience
de la signification. Un exemple suffira pour le dmontrer. Chez les socits et groupes
religieux utilisateurs de layahuasca8, cette boisson est elle-mme un tre, capable de donner
laccs des dimensions spirituelles de la ralit, alors que pour les pharmacologues et les
mdecins nous sommes en prsence dun hallucinogne. Quelques spcialistes (voir
spcialement Jonathan Ott, 1994) tudiant la problmatique des substances utilises comme
supports dexpriences sacres, lexemple de celle cite ci-dessus, du peyotl, du tabac ou
mme de la cannabis, parmi maintes autres, ont conventionn lappellation denthogne, de
la mme racine que enthousiasme, mot grec, dont le prfixe signifie dieu dedans . Alors,
enthogne signifie vhicule du divin . Il sagit dune catgorie capable de rendre compte
de lexprience des sujets, reconnaissant par l la lgitimit mme de cette exprience.
Nous posons ici les bases selon lesquelles nous traitons la consommation dalcool chez
les Trememb. Notre intention est de fournir un cadre ethnographique des pratiques et des 8 Ici nous proposons une simplification. Layahuasca est la dnomination la plus connue dune infusion faite base dune liane (banisterospis caapi) et les feuilles dun arbuste (psychotria viridia). Une vaste littrature anthropologique est disponible sur le thme, nous suggrons sa consultation pour une vision densemble dune collection brsilienne de textes (Beatriz Cauby et allie, 2002).
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significations des actes de boire, associant les dfinitions locales des effets et de la place des
boissons aux conceptions religieuses et ethniques. Bien entendu, le parcours que nous
proposons relie lhistoire politique aux enjeux symboliques, la dmarche est celle dune
anthropologie de la dynamique culturelle. Dynamique est bien la question, puisque les
dilemmes de lanalyse sont ceux du mouvement entre le traditionnel et lactuel. Le partage
entre socits non modernes et modernes voqu par Alain Ehrenberg cit ci-dessus assume
ici un caractre tout fait ambigu. Chez les Trememb nous sommes face une situation
culturelle o le sas entre lancien et le nouveau est brouill, par le processus de reconstruction
des significations culturelles. Les boissons entre