SUD-OUEST DIMANCHE ACTUALITE * RFfllON DIMANCHE 7 MAI 2000 15
AQUITAINE
CANFRANC > Alors que le gouvernement français fait un pas vers la réouverture, l'Espagnol Julio Ara, qui a vécu l'inauguration de la ligne Pau-Canfranc le 18 juillet 1928, évoque ses souvenirs
Julio attend son train DAVID PATSOURIS
A Canfranc rôdent des fantômes, ceux de Gaston Dou-mergue, d'Alphonse XIII ou de Louis Barthou, des fantômes d'un autre temps, quand les trains passaient avant d 'arr iver en France, amenant travail et argent. Il règne ici comme un parfum éventé de splendeur perdue, de prospérité évanouie. Ce petit village, situé en Espagne, à quelques kilomètres de la frontière, avant le col du Somport, n'existe que par sa gare internationale. Que par les rails qui la traversent, mais qui, depuis 1970, n'envoient plus aucun train vers la France. L'herbe étouffe peu à peu les quais. Les portes de l'immense hall sont fermées à clé. On compte les carreaux cassés, les pancartes à moitié décapitées. De la poussière partout. Comme dans une usine désaffectée. Juste à côté de la grande porte, une plaque en cuivre : « Les cheminots d'Aragon, en commémoration du jour, qui, il y a soixante-dix ans, approcha l'Aragon de l'Europe, avec l'espoir que cette ligne soit de nouveau ouverte. Le 18 juillet 1998.»
Ce jeudi matin, un couple de touristes français se promène sur les quais. Un vieil Espagnol les aborde dans le français impeccable de l'ex-réfugié qu'il a été à Oloron, à Pau et à Villeneuve-sur-Lot. Il s'appelle Julio Ara. Un honmie de 86 ans, qui a certes le cheveu gris et rare, mais encore l'énergie d'une locomotive prête à grimper le Somport. Il avait 15 ans quand la gare et la ligne Pau-Canfranc ont été inaugurées. Le 18 juillet 1928. « Oui, c'était sur le pont international, là, juste devant l'entrée de la gare. J'étais à 10 mètres du président de la République de France, du roi d'Espagne, Alphonse XIII. Je m 'en souviens parfaitement. J'avais 15 ans. Le village était noir de monde. Parfaitement, moi, gamin, à 10 mètres de ces personnalités ! »
un moment extraordinaire Les deux touristes sourient et
questionnent le vieil homme qui ne demande que ça, qui montre, qui décrit et qui raconte. « J'ai le souvenir d'un moment extraordinaire : après le défilé militaire, sur le pont, le roi et le président se sont retournés en même temps vers la gare, et puis, tous les deux, ils se sont souri et ils se sont serrés la main. Vous vous rendez compte de cela ? Je ne sais pas comment vous dire, cela symbolisait l'entente entre les deux pays, je n'oublierai jamais cette image. »
Quelques mmutes plus tard, le couple salue le vieil homme et repart vers d'autres découvertes. Julio reste au milieu des rails, comme hypnotisé par cette gare.
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66 Cette gare, c'était le rêve américain enterre d'Aragon 99
Julio Ara, témoin de l'inauguration du Pau-Canfranc en 1928 (Photo David Patsouris)
VU : un signe fort, concret, est venu, cette année, de France, avec ces 340 millions de francs provisionnés pour le Pau-Canfranc dans le prochain contrat de plan Etat-région voté par le Conseil régional d'Aquitaine. Juste à côté de l'hôtel de Julio Ara, à la mairie, Victor Lopez, le jeune maire de Canfranc, l'a lui aussi bien compris. « Aujourd'hui, on attend une décision espagnole. L'Aragon doit exiger du gouvernement qu'il seconde l'initiative française. » Depuis la France, on ne les entend presque pas, mais les Aragonais, ceux de Canfranc en tête, réclament depuis toujours la réouverture de la ligne. «D'ailleurs, nous manifesteront ici le 21 mai, poursuit le maire de Canfranc. Nous ferons venir deux ou trois trains, et nous essaierons d'aller jusqu'à la frontière. J'espère bien réunir 2 000
par ce qui, quelque part, représente son enfance et toute sa vie.
A 86 ans, Julio tient encore un hôtel, avec son frère, qui n'a que cinq ans de moins que lui. C'était une bonne affaire autrefois. Maintenant, moins. Julio sait que tout ça vient de l'arrêt de la ligne, provoqué un jour de 1970 par l'accident du pont de l'Estan-guet, où un train rempli de maïs a terminé sa course dans la gave, côté français. Depuis, plus rien. Plus un train. Depuis, Canfranc réinvente chaque jour des signes d'espoir qu'un jour la gare resserve à autre chose qu'à amener un peu de maïs et quelques voyageurs depuis Terruel jusqu'ici. Canfranc, avec sa gare, a triplé sa population autrefois, jusqu 'à 1 500 habitants. Les ingénieurs arrivés ici pour construire ont fait creuser une piscine, ouvert un casino, monté une équipe de foot, des choses que les villages alentours ne pouvaient même pas espérer Cette gare, c'était le rêve américain en terre d'Aragon. Et, avec ses 86 ans, Julio sait bien que les rêves ont parfois droit à une seconde chance... Il l'a bien
Gaston Doumergue, président de la République française, et Alphonse Xiil, roi d'Espagne, avaient Inauguré, en 1928, la ligne Pau-Canfranc (Phàto DR)
ou 3 000 personnes, dont des Français bien sûr »
Julio en sera. Il sera même à Bedous, aujourd'hui, pour la grande manifestation annuelle des organisations écologistes.
MANIFESTATION A BEDOUS
2 000 PERSONNES ATTENDUES > Organisée chaque année le 7 mai par WWF, Greenpeace, le collectif Alternatives Somport entre autres, la manifestation qui aura lieu cet après-midi à Bedous (64) devrait rassembler plus de 2 000 persomies pour contester le programme routier en vallée d'Aspe. Voici le programme de la joumée. 10 heures : ouverture du marché des luttes sur la place du village.
11 heures : prise de parole des associations. 14 heures : début du rassemblement. 14 h 30 : départ du défdé vers le chantier de la future déviation de Bedous pour une reconquête symbolique du terrain labouré par les pelles mécaniques. 18 heures : fin du rassemblement. Jusqu'à 21 heures, animation musicale dans les rues de Bedous. •
Non pas qu'il soit contre le tunnel, il est simplement pour le train. C'est un peu différent ici : en Espagne, on veut les deux, le train et le tunnel.
Julio et Victor Lopez pensent pareil : « Ils sont complémentaires. Sur la route, le tourisme, les voitures, les échanges locaux, et sur le rail, les camions de marchandises, les transports de matières dangereuses, pour qu'elles ne passent plus au travers des villages. En France, ils manifestent souvent pour arrêter la route. Pas nous. On veut seulement que la ligne rouvre. » Et JuHo Ara, soixante-douze ans après, aussi convaincu qu'un apôtre, est prêt à vivre une seconde inauguration : peu importe l'âge, le monde appartient à ceux qui croient. •