UNIVERSITE de ROUEN
UFR de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education
Département des Sciences de l’Education
MASTER 2 PROFESSIONNEL
« Métiers de la formation, parcours Ingénierie et Conseil en Formation »
2009/2010
Le mémoire professionnel
en formation continue
Mémoire
Sophie DUSSOUET
Sous la direction de Thierry ARDOUIN
Juin 2010
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
1 Le mémoire professionnel en formation continue
Sommaire
Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4
Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14
Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19
Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23
Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29
Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33
Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37
Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44
Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84
Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88
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2 Le mémoire professionnel en formation continue
Introduction
Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau
technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution
accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de
vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent
être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à
former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des
compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les
contraint à exercer plusieurs métiers.
Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les
compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder
des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion
comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un
contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».
De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans
les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses
dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.
Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser
cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au
CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?
L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la
présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment
l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs
de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de
prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.
Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle
pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de
compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question
centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :
1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995
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3 Le mémoire professionnel en formation continue
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences
professionnelles ?
Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.
Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous
référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle
en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.
Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et
d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs
de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la
réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le
développement des compétences dans ces formations qualifiantes.
Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous
formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.
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4 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie I : Présentation du chantier et questions de départ
Chapitre 1 –Le CESI
Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.
Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une
réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le
secteur industriel à la fin des années 50.
Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes
des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait
essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de
suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur
capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,
reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début
des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.
Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de
l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses
instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de
France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,
SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,
CFTC).
Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a
développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :
� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)
� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998
� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005
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5 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.
Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et
agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :
1 L’offre interentreprises :
Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules
peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les
titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.
Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,
membre de la Conférence des Grandes Ecoles.
2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et
3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le
cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.
Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences
Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans
l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens
d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels
(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «
limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de
l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «
examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une
place importante.
L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,
et en 1990 pour la formation en apprentissage.
Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes
pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies
actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »
2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997
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6 Le mémoire professionnel en formation continue
spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée
croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions
s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «
technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la
transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.
Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il
conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.
L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,
organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur
suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour
l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier
ses propositions.
L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «
épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert
progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de
l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but
spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)
(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de
l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»
offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve
donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant
un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres
élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.
Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en
œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-
Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une
augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le
moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,
4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007
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7 Le mémoire professionnel en formation continue
lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.
Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types
au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir
y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas
toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le
sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de
conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces
moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de
positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,
pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,
« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour
soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je
ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains
ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les
dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.
Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi
La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement
utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.
Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les
individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et
professionnelles.
Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant
tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:
- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de
femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des
catégories disponibles dans cette communauté ;
- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous
voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les
8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991
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8 Le mémoire professionnel en formation continue
diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou
simplement projetée (processus d’identification).
Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené
une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse
faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation
d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du
technicien à l’ingénieur ».
Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une
« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle
d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et
contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour
autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».
On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des
formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces
formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et
contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations
d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du
« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».
L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,
construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions
nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré
par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de
piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,
c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la
progression des participants.
La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de
connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de
l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations
d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de
compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.
11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.
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9 Le mémoire professionnel en formation continue
Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour
progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires
professionnels, jurys.
Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade
donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et
pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du
débutant au professionnel de la fonction visée.
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi
Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au
Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations
longues dans leurs parcours qualifiants.
Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II
Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2
avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.
Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce
qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant
entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).
Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par
les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,
l’une éclairant l’autre.
Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du
sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et
d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à
produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.
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10 Le mémoire professionnel en formation continue
Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à
élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences
les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.
A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,
constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au
RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».
En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :
- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.
- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel
métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.
- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant
un jury de professionnels.
- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II
La construction Cesi de parcours professionnels
QualificationMétier
Certification professionnelle CESI
Certificat de compétence Cesi
Attestation de Participation Cesi
Jury national de délivrance du titre composé de professionnels
Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier
Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4
ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III
Module1.1
Module1.2
Module1.3
Module2.1
Module2.2
Module3.1
Module 4.1
Module 4.2
Parcours de formation
Parcours qualifiant
Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi
Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en
évaluant les effets.
Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la
guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.
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11 Le mémoire professionnel en formation continue
Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours
apprécier et évaluer.
Cette évaluation se fera en deux temps :
Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires
à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs
expériences vécues.
Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce
jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du
mémoire et de la prestation orale.
Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant
sur les dimensions suivantes :
• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?
• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?
• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?
• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon
questionnement ?
• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en
œuvre pour cela ?
En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de
l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).
Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du
champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.
Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil
stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).
En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du
référentiel national.
12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »
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12 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.
C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme
caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.
Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme
exposée ci-après :
Première partie :
Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées
Définir les objectifs visés
Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,
Prioriser les enjeux
Deuxième partie :
Piloter un projet
Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire
Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise
Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,
acuité du risque, recherche des causes premières)
Troisième partie :
Préconiser des axes d’améliorations
Prioriser les solutions dans le temps
Mesurer la qualité des réponses apportées
Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à
donner)
Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa
capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de
50/60 pages.
Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire
professionnel.
Le cahier des charges stipule que :
« Ce projet doit vous permettre de démontrer :
- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités
correspondantes,
- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,
économique, technique et organisationnelle),
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13 Le mémoire professionnel en formation continue
- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une
proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,
- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre
compte,
- votre capacité à prendre le recul nécessaire
- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».
Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de
professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30
minutes :
- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des
résultats obtenus,
- Débat Questions / réponses avec le jury.
Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de
l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».
Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et
d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs
et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de
la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les
compétences.
Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-
même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de
responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de
formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et
transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle
opère elle-même sur le réel ».
L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre
mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.
Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des
connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences
nouvelles conduisant à de meilleures performances.
13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
14 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Le processus d’écriture
« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son
action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant
», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à
l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.
Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui
les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas
sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.
Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :
Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,
promouvoir l’action .
Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.
- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes
que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme
de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.
- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à
l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est
écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans
l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).
- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens
et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.
Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne
pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de
formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.
On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des
textes produits par des praticiens16.
14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).
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15 Le mémoire professionnel en formation continue
On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans
le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des
pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.
Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et
écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la
pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.
En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois
« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :
• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de
validation (référentialité close intégrante) ;
• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de
reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;
• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de
motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.
Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres
postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.
Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de
formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en
même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation
professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a
pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de
l’autonomisation.
Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La
signature du texte produit consigne cette prise de risque.
C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures
étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les
17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.
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16 Le mémoire professionnel en formation continue
idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est
accepté.
Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des
difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui
nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de
formation et à la représentation que s’en font les praticiens.
Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une
liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,
apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une
pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que
suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.
S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à
savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si
cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de
cette compétence, mais à deux conditions :
- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)
de se construire et de se développer ;
- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité
mouvante de l’organisation.
En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des
questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des
individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à
lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en
toujours possibles divergences ?
Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la
matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à
l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord
aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après
les aider à « passer » à l’écriture.
21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994
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17 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait
assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test
intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui
tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.
Chapitre 3 – Les questions de départ
La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de
développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une
multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur
leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de
plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.
Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents
selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté
du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.
Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer
lorsqu’on est en position d’extériorité.
Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par
l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de
champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre
à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?
Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la
professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel
engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel
instrument ?
Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout
lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que
présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?
23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003
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18 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand
elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.
Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :
- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?
- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?
- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de
formation professionnelle ?
- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de
compétences ?
- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?
Et enfin,
- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer
entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.
- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?
L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de
dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?
Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en
connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?
24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994
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19 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle
Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de
déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des
participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs
dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en
nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.
Chapitre 1 – La compétence
Bref histoire d’une notion :
Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires
sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le
rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme
uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.
Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues
de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences
individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de
compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence
sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur
le métier.
L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont
l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à
répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au
moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte
favorisant l’apparition de la notion de compétence.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu
fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient
immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et
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20 Le mémoire professionnel en formation continue
l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du
terrain).
Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.
Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant
les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de
travail.
La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement
imposée.
Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la
personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport
salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.
Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des
autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.
L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la
"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de
travail.
Titre 1 – La compétence selon Le Boterf
Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences
mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les
entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en
référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .
Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout
en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour
en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux
contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.
Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,
elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que
25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008
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21 Le mémoire professionnel en formation continue
l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-
transférer des ressources dans un contexte professionnel.
"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de
connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment
opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à
la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que
de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).
Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser
dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à
apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :
« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un
ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),
pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités
d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à
certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».
« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des
représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un
exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).
Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».
Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »
pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs
techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements
relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes
par rapport aux exigences des situations de travail.
Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme
compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,
d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et
des performances à réaliser.
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22 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de
« pratiques professionnelles ».
� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un
organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?
Comment les transférer ?
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un
objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.
� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour
autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un
outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?
Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister
entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.
Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de
plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être
compétent tout seul.
Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de
données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres
métiers ou services.
La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à
coopérer avec d’autres.
Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent
il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui
prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du
travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la
motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui
peut faciliter l’expression des compétences.
26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006
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23 Le mémoire professionnel en formation continue
Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation
et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours
individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en
situation de travail prendront une place croissante.
� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances
professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que
l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?
La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus
collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux
dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les
espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation
(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations
visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.
Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian
Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources
humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,
selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le
processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit
fini.
Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression
directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.
Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le
salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription
taylorienne fermée ne couvre plus.
Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage
souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».
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24 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de
qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.
Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :
• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations
professionnelles auxquels il est confronté. »
Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un
individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter
une réponse face à un évènement.
Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,
l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur
les conséquences de cet évènement.
De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la
situation de l'individu qui l’affronte.
• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des
situations augmente. »
Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche
compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir
intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme
compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont
dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront
apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera
plus réactif en termes d’apprentissage.
• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »
27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999
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25 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même
évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un
évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul
individu) afin de mieux répondre à cet évènement.
A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail
transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être
partagés.
Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions
communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et
coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit
collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.
En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à
l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et
répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de
la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être
mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours
compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.
� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,
la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?
- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance
Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la
compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur
capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des
situations problématiques.
Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la
construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce
savoir de référence.
Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des
connaissances et apprentissage de la compétence.
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26 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons retenir les enseignements suivants:
• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par
l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de
compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable
situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.
• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance
introduite vis-à-vis des pratiques existantes.
• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs
professionnels de référence.
� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de
démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique
professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs
professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?
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27 Le mémoire professionnel en formation continue
Chapitre 2 – L’identité professionnelle
L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.
Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar
Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un
long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme
un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et
formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.
L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres
orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.
Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation
secondaire et de double transaction identitaire
Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui
ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de
toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu
construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur
relationnel, affectif et symbolique.
L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense
qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-
même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres
circonstances.
Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation
primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu
pour se faire connaître.
28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
28 Le mémoire professionnel en formation continue
Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de
considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux
transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre
les individus et les institutions.
La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à
l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire
reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe
entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.
La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la
construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.
Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce
que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers
composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le
contexte.
L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.
Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se
recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».
L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de
construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du
travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre
des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.
De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de
légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.
Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des
éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.
Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit
apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances
possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu
à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
29 Le mémoire professionnel en formation continue
dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois
inséparables et liées de façon problématique».
L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par
les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne
l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.
Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus
identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel
l’individu est immergé.
Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un
résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions » (DUBAR., 2000).
Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des
rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des
manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ
du travail et de l’emploi.
Titre 2 – Le processus identitaire professionnel
Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents
groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est
fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel
d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la
reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du
pouvoir ».
Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il
reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend
étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et
son groupe d’appartenance.
29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
30 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité
professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des
espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et
valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi
qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».
Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de
la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,
noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de
désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des
catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette
transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les
représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.
Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords
entre ces deux identités.
Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son
identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,
son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de
carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat
de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des
ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles
suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri
C., 1990)31.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »
tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est
considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie
relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou
l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en
respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,
par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont
de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve.
31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
31 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous
pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et
des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce
collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour
envisager une intégration par ses pairs.
La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité
professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de
normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation
de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de
s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud
SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de
travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être
pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme
appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,
c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et
l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.
Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de
vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités
particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).
Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte
qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :
La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses
croyances.
� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une
profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en
œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage
confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?
Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les
hypothèses.
32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
32 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie III : Problématique et hypothèses
Chapitre 1 – La problématique
Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet
dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.
Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise
en place d’un projet dans son entreprise.
Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la
pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?
L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus
directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans
l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».
A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la
part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?
L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont
il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un
climat de partage d’expériences.
La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des
stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est
le cas.
Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du
mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et
développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?
En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier
les compétences qu’il permet de développer.
33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
33 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une
réflexion déterminant:
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des
compétences des stagiaires ?
Chapitre 2 – Les hypothèses
Titre 1 – L’hypothèse 1
L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs
professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie
dans son travail ?
La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle
contribuant de développer son regard critique ?
La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son
engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?
Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :
L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus
autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.
Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion
d’autonomie :
Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de
décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.
Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre
des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens
d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est
souvent associée à l'autonomie collective.
34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
34 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités
et des pouvoirs.
L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux
conditions:
- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de
demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.
- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera
au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de
relations nécessaires.
Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise
d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et
problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.
Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,
sont essentiels.
Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une
situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service
face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec
compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.
Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par
rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de
l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à
une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle
consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des
initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle
vise à prendre les initiatives pertinentes.
Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un
problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un
dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,
d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
35 Le mémoire professionnel en formation continue
de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle
doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.
Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les
notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié
se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui
implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.
Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en
l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer
une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…
A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre
de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il
provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :
"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la
réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est
compétente ou non, et jusqu'à quel point.
Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la
communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle
que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans
un référentiel.
C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel
groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois
des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les
situations avec succès.
Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :
Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les
plus citées spontanément :
- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?
- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?
- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?
Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences
développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
36 Le mémoire professionnel en formation continue
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?
- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?
- de développer un esprit plus critique ?
- de développer vos capacités de synthèse ?
- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?
- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?
- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?
- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?
Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges
des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées
lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le
mémoire.
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?
- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?
- Vos capacités à planifier un projet ?
- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?
- Vos capacités à mesurer des enjeux ?
- Vos capacités à identifier des finalités ?
- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?
- Vos capacités d’analyse ?
- Vos capacités à rechercher des solutions?
- Vos capacités à être force de proposition ?
- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?
- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?
- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?
- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?
- Vos capacités à prendre des initiatives?
- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser
un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?
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37 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – L’hypothèse 2
Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire
professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.
Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation
professionnelle, théorique et pratique.
L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de
transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi
professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).
Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond
d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.
Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession
qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à
son tour un professionnel confirmé.
Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment
la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de
postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire
professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une
restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?
Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur
cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.
Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :
Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une
nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de
ses compétences.
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38 Le mémoire professionnel en formation continue
Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans
différentes séries de questions :
1ère série de questions :
- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?
- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?
- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?
- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.
2ème série de questions :
- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?
- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par
l’employeur du stagiaire.
3ème série de questions :
- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de
niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?
- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre
entreprise ?
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
4ème série de questions :
- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des
responsabilités?
- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?
- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?
- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement
vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les
autres)
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39 Le mémoire professionnel en formation continue
- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et
aujourd’hui ?
Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)
Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)
� � � � � � � �
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après
avoir suivi sa formation.
Dernière questions :
- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?
Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.
Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en
dépassant le sens commun de la question de départ.
Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.
Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.
Professionnel de la fonction
à…. l’Expert ou Responsable de
la fonction
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40 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie IV - Méthodologie de la recherche
Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche
A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre
problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement
utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus
approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.
Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire
et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en
fonction de la problématique posée.
L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle
demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les
professionnels dans la pratique.
Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit
traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses
sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous
renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.
L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les
entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et
d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant
lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le
chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à
son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.
L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide
aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.
Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les
35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem
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41 Le mémoire professionnel en formation continue
objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles
l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que
possible »39.
Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à
questionnaire pour recueillir les données quantitatives.
Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de
différents critères :
- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?
- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport
d'harmonie ou d'organisation logique ?
- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux
objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?
Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,
les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.
39 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
42 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs
Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.
Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.
Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à
l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations
qualifiantes.
1- Les stagiaires
Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette
recherche.
- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009
- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.
- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;
Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du
mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après
l’avoir terminé pour le second groupe.
L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires
interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre
important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.
La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus
avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et
sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.
Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité
professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.
40 VAP : Validation des Acquis Professionnels
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
43 Le mémoire professionnel en formation continue
A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux
réponses étaient possibles.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une
qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison
quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.
Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs
compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de
s’engager dans une formation.
Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une
nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).
Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus
socialement dans leur fonction.
Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut
s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il
permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois
promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.
La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle
des deux groupes dans leur totalité.
85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.
E 1 = Entretien 1
Qui Age Groupe Diplôme
avant le CESIPoste de travail Evolution
prévue Sujet de mémoire
E1 50 ans 2 BacAssitante RH
nonAccompagner le changement après un PSE (Plan
Social Economique)
E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité
internationalenon
Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile
vers le secteur du nucléaire
E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des
Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise
E4 41 ans 1 BacResponsable
administratifnon L'audit de conformité
E5 40 ans 1 Bac +2Responsable
administratifoui: RRH* L'épargne salariale
E6 33 ans 2 BacAssitante RH
non L'absentéisme
E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion
du personnelnon La mise en place d'un projet sénior
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44 Le mémoire professionnel en formation continue
2- Les tuteurs
Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.
Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux
tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.
L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :
Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que
tuteur
E8FFR RH*
Mastère spécialisé RH
Niveau 2
Niveau 11 an
E9Arcadre "Passage Cadre"
Passage agent de maîtrise RATP
Niveau 2
Niveau 32 ans
E11Ingénieur
Arcadre "Passage Cadre"
Niveau 1
Niveau 25 ans
FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8
RIF : Responsable en Ingénierie de Formation
Titre 3 – Modalité des entretiens
Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux
qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.
Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI
L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.
L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens
est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4
pour les entretiens tuteurs).
Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la
confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :
- L’identité des personnes a été préservée ;
- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;
- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues
anonymes ;
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
45 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons
cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été
consacrées à expliquer l’objet de l’étude.
Cet entretien comporte 3 thèmes :
- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture
- Les effets en termes de compétences
- Les effets en termes d’identité
En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.
Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en
annexe 2 pour le guide des tuteurs).
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46 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie V : Analyse des données et résultats
Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le
guide d’entretien :
Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première
partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un
mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser
un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.
Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du
questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le
mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?
Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?
Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?
Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du
mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus
critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :
d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,
d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :
- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et
- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf
page 36 les questions posées).
Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire
permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture
professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses
compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:
- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,
- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,
- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,
- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa
formation,
-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions
retenues).
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47 Le mémoire professionnel en formation continue
Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.
Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture
Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de
stage ?
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de
l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une
activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des
stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à
mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).
Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie
du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport
de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà
en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit
être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.
Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est
déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une
problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail
individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un
problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les
choses » (E11).
Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une
entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le
candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il
est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de
trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).
Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique
quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de
prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
48 Le mémoire professionnel en formation continue
présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de
la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de
faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire
quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.
Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en
première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait
valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il
ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors
qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans
un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).
Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,
formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et
d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).
Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la
formalisation d’un projet concret » (E9).
C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le
domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,
exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.
Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé
en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le
mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde
note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.
« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres
personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non
seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une
grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).
La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce
travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa
démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
49 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par
rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le
niveau d’engagement dans le projet mené.
Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.
Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de
professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut
être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous
n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre
hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens
vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).
La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est
chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout
stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.
Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit
précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon
d’agir sur les projets.
Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.
Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des
perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres
projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.
Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus
diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?
Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de
rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation
alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de
stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la
preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur
41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
50 Le mémoire professionnel en formation continue
interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de
méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est
aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de
démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).
Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"
essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du
postulant à la qualification.
Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une
condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).
« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de
faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous
pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par
exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons
chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »
(E10).
Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,
suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses
et 15 minutes de délibération.
Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une
obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un
travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice
au long de leur propre scolarité.
Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou
plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire
permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire
témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique
qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans
mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et
de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
51 Le mémoire professionnel en formation continue
Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire
Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux
théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à
développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.
Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture
d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un
travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la
raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette
information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une
capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une
manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut
d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse
critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est
très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec
les intervenants professionnels » (E2).
Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera
unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion
privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la
lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »
affirme une stagiaire… (E1).
Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur
donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à
présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,
ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).
Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où
trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites
Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…
Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité
(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur
fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le
meilleur mais aussi le pire.
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52 Le mémoire professionnel en formation continue
Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans
l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas
nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer
au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés
comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures
professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation
“tout au long de la vie”.
Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les
concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le
mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent
réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage
les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le
projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le
stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et
moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).
Thème 4 : Les effets de l’écriture
Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens
large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système
d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien
d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du
mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui
transpire. » (E11).
L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes
interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans
mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).
Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).
L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais
réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre
témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.
Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
53 Le mémoire professionnel en formation continue
le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait
des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas
complètement séduite » (E4).
Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée
en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet
une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que
théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis
parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà
plus simple pour moi » (E6).
Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est
« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est
difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.
Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :
La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille
blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).
« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte
était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était
insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).
La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du
temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a
permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).
Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »
(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant
toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je
me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon
projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à
synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma
réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas
écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu
que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
54 Le mémoire professionnel en formation continue
d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas
au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).
Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :
Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et
cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger
le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées
et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en
entreprise.
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :
- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est
réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).
- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené
son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à
4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).
- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y
a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet
dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).
- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».
L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et
rendre le mémoire dans les délais.
Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le
résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le
mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.
Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons
poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en
termes de compétences.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
55 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences
Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.
Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments
utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus
en annexe 5.
1 – Concernant l’écriture du mémoire
A - Les résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de
fois cité
Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2
Connaître une méthodologie de conduite de projet 1
Synthétiser les idées 1
Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3
Améliorer un écrit professionnel 1
Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2
Réussir à analyser une problématique 1
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre % Nbre
d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0
de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%
de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1
de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%
de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%
l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%
d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%
ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%
Oui Non Partiellement
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
56 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Le point de vue des stagiaires :
La prise de recul sur son activité, un regard distancié :
Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la
réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%
d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous
l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,
ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).
Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des
questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une
compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de
fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je
n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »
(E4).
Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de
travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des
compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend
alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors
véritablement un rôle dans le développement des compétences.
Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du
contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par
les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière
quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des
éléments contextuels ».
Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à
un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux
analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite
plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).
42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998
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57 Le mémoire professionnel en formation continue
C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions
éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue
compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des
raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en
place »(E3).
Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les
changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que
j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).
Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.
L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,
lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise
à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à
comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour
comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.
Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle
décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la
description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le
comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue
une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd
son sens.
Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au
dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion
permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.
Le développement de la professionnalité :
85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.
« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion
et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en
savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996
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58 Le mémoire professionnel en formation continue
domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a
aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur
pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).
Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche
méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on
demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »
(E11).
Le développement d’un esprit plus critique :
La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans
les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,
entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une
stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de
travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »
(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle
s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que
celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un
regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).
Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit
trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses
observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à
travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le
mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).
Le développement de l’esprit de synthèse :
A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des
stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.
Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant
ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi
j’avais choisi ce sujet » (E6).
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59 Le mémoire professionnel en formation continue
Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent
envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).
Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non
pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un
certain développement et beaucoup de recherches » (E7).
C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un
travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses
idées
La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :
Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail
d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.
Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre
mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et
le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on
n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce
travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a
appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on
s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).
Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait
directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout
analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes
questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse
incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter
maintenant » (E7).
Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :
Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre
de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).
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60 Le mémoire professionnel en formation continue
Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que
l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.
Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits
qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le
vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte
de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très
voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à
un cadre » (E9) précise un tuteur.
Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens
(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute
la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).
Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.
La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle
situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation
(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec
enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le
contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la
manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche
l’est » (E11).
De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige
des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive
de la professionnalité.
La valeur d’auto-formation de l’écriture :
57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les
recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture
permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.
Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des
lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »
(E2).
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61 Le mémoire professionnel en formation continue
42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas
du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc
pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une
stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le
mémoire n’a rien ajouté » (E5).
Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires
annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des
compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été
grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.
Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend
les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page
blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,
qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les
limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation
de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à
travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs
qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet
de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu
faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la
formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une
manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).
Une vision plus globale sur son activité :
Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision
plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.
Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%
d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà
pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le
contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10
personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou
bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).
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62 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure
connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs
sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition
hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.
Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social
en général » (E3).
Le développement de l’autonomie :
57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur
autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière
très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé
dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.
A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un
stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de
ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis
très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce
mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus
mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).
Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond
favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des
tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir
été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son
mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,
ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute
autonomie (E6).
Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis
retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me
débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit
à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le
choix » (E2).
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63 Le mémoire professionnel en formation continue
L’apprentissage d’une méthodologie de projet :
Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est
bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique
professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca
m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).
Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences
acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.
Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations
observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et
leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du
propos, et celle de ses pratiques.
Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette
formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le
cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs
envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du
mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,
prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet
complexe dans son entreprise.
Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la
démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation
d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie
trouvée sur le sujet.
« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très
particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a
mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car
après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il
a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se
montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.
C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).
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64 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne
un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une
certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui
était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter
de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).
Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de
professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas
d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire
dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur
cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)
affirme un second.
Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et
de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un
jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir
présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.
Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise
n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires
disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces
compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour
l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup
de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car
je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de
rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une
réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision
finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on
n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.
Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas
complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce
n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.
C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils
mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
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65 Le mémoire professionnel en formation continue
L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans
leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action
longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne
suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.
Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de
l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette
transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture
sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité
professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition
et de mise en œuvre des compétences nouvelles.
Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un
rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner
autrement et se voir autrement.
Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la
réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points
forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation
orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».
L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence
professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses
croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le
premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique
inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la
mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui
permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond
BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».
Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des
expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de
l’autre mais également en respectant l’autre.
45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996
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66 Le mémoire professionnel en formation continue
2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire
Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des
charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées
par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.
Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un
projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.
Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du
mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans
l’entreprise.
Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans
trop les développer.
A – Les résultats :
En gris : indicateurs non validés
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre %
Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%
Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%
Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%
Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%
Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%
Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%
Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%
Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%
Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1
Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%
Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1
Partiel .
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
Oui Non
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67 Le mémoire professionnel en formation continue
B – L’analyse :
Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une
méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :
- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à
prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de
proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une
démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de
réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas
forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les
solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en
application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)
annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de
proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.
- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de
mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande
rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans
tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a
compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une
stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien
structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les
éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine
logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de
développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).
- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un
ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus
expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin
d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en
œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise
« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un
nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).
Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur
a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
68 Le mémoire professionnel en formation continue
qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer
leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).
Les indicateurs non validés :
Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs
missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,
négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.
En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur
employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration
(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure
dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a
déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui
a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).
Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.
Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer
que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard
distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à
leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise
en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils
ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet
choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par
son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur
laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre
première hypothèse est donc confirmée.
Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :
quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?
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69 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité
A - Résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de
fois cité%
Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,
difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%
La réalisation du projet 3 43%
L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%
Avoir réaliser un mémoire 3 43%
Total: sur 7
Nbre % Nbre % Nbre %
Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%
Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2
Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%
Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire
Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%
Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%
Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.
Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%
Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%
La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%
Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%
Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%
Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation
Questions : Oui Non Partiel .
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70 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le
thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire
(85%).
Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre
part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.
57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur
projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire
n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et
j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).
C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur
entreprise dans l’élaboration du mémoire.
Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire
aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude
choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de
solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.
La reconnaissance de la formation par l’employeur :
Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue
par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:
L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.
La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement
dans ce projet de formation (E1).
Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les
relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est
reconnue par son employeur (E2).
Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses
ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de
mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification
de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
71 Le mémoire professionnel en formation continue
que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le
diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.
Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais
en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela
implique des absences » (E7).
Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager
dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une
« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.
L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par
mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de
sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le
risque de perdre ce collaborateur est probable.
Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces
stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en
formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes
épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les
entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.
Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi
la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs
salariés.
71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention
de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :
Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile
(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son
engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer
« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une
troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne
(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la
politique actuelle du groupe (E7).
Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé
de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).
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72 Le mémoire professionnel en formation continue
Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son
projet »(E6).
Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la
question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue
(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion
sociale ».
La reconnaissance du projet par l’employeur :
Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur
entreprise est reconnu par leur employeur :
L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet
stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le
mémoire était stratégique pour leur entreprise.
Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été
mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire
constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.
Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de
prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.
La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.
L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place
aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son
histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet
traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître
mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.
L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être
reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés
estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a
permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
73 Le mémoire professionnel en formation continue
j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée
jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).
Le sentiment de changement de posture professionnelle
71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai
pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).
A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,
qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.
71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de
formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de
prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre
posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et
pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me
positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon
poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en
prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une
nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une
dernière.
71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une
impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus
d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les
autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également
d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences
professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle
de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable
lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois
pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait
jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent
que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les
problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus
participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que
j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
74 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de
s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction
identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%
des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur
projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux
de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre
de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.
Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un
métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme
un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner
les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».
Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette
activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité
professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se
constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de
discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de
démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt
de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).
Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer
« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la
forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le
projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est
pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).
Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres
stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de
professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».
Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est
principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et
la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent
50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
75 Le mémoire professionnel en formation continue
citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec
le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »
écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel
important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.
Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son
travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences
professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un
mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au
démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont
les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.
Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le
stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son
entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont
jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une
réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux
critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.
Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et
reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.
En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert
d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des
représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire
(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le
projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes
de l’entreprise ».
Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les
stagiaires, et donc des effets de « formation ».
Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne
l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de
l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de
distance par rapport aux pratiques professionnelles.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
76 Le mémoire professionnel en formation continue
La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la
reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.
Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en
s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur
engagement.
Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de
professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances
sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de
qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre
son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».
L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs
pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques
professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses
pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.
Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de
construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus
d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme
interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet
au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les
projets qu’il met en place.
Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de
construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au
stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit
d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,
de clarté dans l’exposé de la démarche construite.
Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives
en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.
52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991
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77 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer
que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que
l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se
former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un
expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont
transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien
souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le
projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,
de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté
personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les
stagiaires.
Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité
professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.
Titre 4 – Synthèse globale
Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de
distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de
personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.
Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des
rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.
Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également
une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.
Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences
réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance
pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par
rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses
compétences.
Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à
laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour
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78 Le mémoire professionnel en formation continue
l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour
professionnaliser sa pratique.
L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en
effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des
stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour
autrui (DUBAR)56.
Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction
des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires
n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de
légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une
démarche évaluative des compétences acquises.
Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et
son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,
étonné, conforté…
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les
préconisations
Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un
développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de
donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des
ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur
mémoire.
Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs
Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de
professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.
C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se
précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore
56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998
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79 Le mémoire professionnel en formation continue
progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les
ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.
Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui
permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de
se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est
totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).
Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne
sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.
Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on
part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).
Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre
confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et
c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire
seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien
moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).
Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où
on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur
des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne
faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très
intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »
(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de
déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)
Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion
sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un
positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.
La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son
tuteur de mémoire.
Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept
journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre
souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.
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80 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des
charges57.
Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche
du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite
de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il
favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,
l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.
Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le
stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des
stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour
l’Homme » affirme un tuteur (E11).
Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la
démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi
beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.
Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de
renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.
Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.
Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire
au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il
doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.
Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux
tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la
technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).
Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver
intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».
Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les
compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.
57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».
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81 Le mémoire professionnel en formation continue
Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :
des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,
d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement
aussi » (E9).
C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et
puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais
que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est
extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est
un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler
sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de
rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).
Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser
un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation
d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer
aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le
mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans
le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les
éclaire »(E10).
Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est
bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le
style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure
un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas
toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).
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82 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale
Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire
professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.
Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend
au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des
charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la
problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir
à un stagiaire» (E9).
Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs
souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu
l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui
n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.
Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire
professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon
un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »
(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous
les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très
tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis
que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce
même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?
Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).
En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de
mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe
de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de
savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun
est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques
différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne
sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement
décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le
mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
83 Le mémoire professionnel en formation continue
ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait
une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).
En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des
compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend
40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement
dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces
différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,
lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils
savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).
Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept
journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le
choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement
où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec
en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin
les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).
La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est
l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa
place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il
est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des
retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?
C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à
celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas
là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).
Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui
du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.
Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du
stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.
Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du
Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans
ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury
permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.
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84 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Préconisations
Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :
- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La
situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.
- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,
la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,
etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.
- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans
le dispositif de formation.
A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les
tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.
Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide
incontestable au développement des compétences du tuteur.
Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à
avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail
de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).
D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a
des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient
enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui
arrivent au CESI » (E11).
Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur
mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert
projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce
domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect
communication » (E9).
D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière
de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant
qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au
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85 Le mémoire professionnel en formation continue
même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour
d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la
façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).
Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les
groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les
thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre
stagiaires et le partage des lectures.
Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses
pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes
impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de
compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager
avec les autres » (E3).
Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à
laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire
professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire
professionnel.
Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la
dimension évaluative.
En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment
d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la
formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette
dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.
Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et
pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le
stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie
d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.
En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une
autoformation que permet le mémoire professionnel ?
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86 Le mémoire professionnel en formation continue
Retour d’expérience
Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année
d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ
pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement
le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires
interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective
dans notre recherche.
De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs
années nous aurait probablement donné un autre regard.
Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le
dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.
De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi
nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.
Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées
par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont
rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,
problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes
de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une
activité professionnelle.
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87 Le mémoire professionnel en formation continue
Conclusion
Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,
enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de
professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de
construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité
professionnelle, voire du label d’expert58.
Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI
à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à
l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre
l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.
L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter
la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le
recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la
mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les
professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à
entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des
compétences.
Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant
écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques
professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.
Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien
les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est
un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son
utilisation.
Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,
notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils
conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout
personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
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Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
1 Le mémoire professionnel en formation continue
Sommaire
Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4
Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14
Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19
Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23
Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29
Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33
Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37
Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44
Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84
Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
2 Le mémoire professionnel en formation continue
Introduction
Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau
technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution
accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de
vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent
être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à
former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des
compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les
contraint à exercer plusieurs métiers.
Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les
compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder
des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion
comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un
contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».
De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans
les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses
dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.
Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser
cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au
CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?
L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la
présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment
l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs
de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de
prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.
Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle
pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de
compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question
centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :
1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
3 Le mémoire professionnel en formation continue
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences
professionnelles ?
Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.
Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous
référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle
en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.
Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et
d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs
de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la
réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le
développement des compétences dans ces formations qualifiantes.
Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous
formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.
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4 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie I : Présentation du chantier et questions de départ
Chapitre 1 –Le CESI
Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.
Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une
réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le
secteur industriel à la fin des années 50.
Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes
des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait
essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de
suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur
capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,
reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début
des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.
Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de
l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses
instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de
France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,
SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,
CFTC).
Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a
développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :
� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)
� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998
� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005
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5 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.
Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et
agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :
1 L’offre interentreprises :
Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules
peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les
titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.
Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,
membre de la Conférence des Grandes Ecoles.
2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et
3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le
cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.
Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences
Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans
l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens
d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels
(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «
limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de
l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «
examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une
place importante.
L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,
et en 1990 pour la formation en apprentissage.
Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes
pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies
actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »
2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
6 Le mémoire professionnel en formation continue
spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée
croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions
s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «
technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la
transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.
Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il
conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.
L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,
organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur
suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour
l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier
ses propositions.
L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «
épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert
progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de
l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but
spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)
(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de
l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»
offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve
donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant
un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres
élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.
Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en
œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-
Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une
augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le
moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,
4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
7 Le mémoire professionnel en formation continue
lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.
Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types
au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir
y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas
toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le
sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de
conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces
moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de
positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,
pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,
« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour
soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je
ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains
ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les
dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.
Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi
La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement
utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.
Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les
individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et
professionnelles.
Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant
tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:
- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de
femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des
catégories disponibles dans cette communauté ;
- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous
voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les
8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
8 Le mémoire professionnel en formation continue
diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou
simplement projetée (processus d’identification).
Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené
une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse
faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation
d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du
technicien à l’ingénieur ».
Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une
« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle
d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et
contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour
autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».
On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des
formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces
formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et
contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations
d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du
« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».
L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,
construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions
nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré
par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de
piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,
c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la
progression des participants.
La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de
connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de
l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations
d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de
compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.
11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.
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9 Le mémoire professionnel en formation continue
Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour
progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires
professionnels, jurys.
Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade
donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et
pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du
débutant au professionnel de la fonction visée.
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi
Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au
Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations
longues dans leurs parcours qualifiants.
Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II
Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2
avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.
Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce
qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant
entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).
Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par
les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,
l’une éclairant l’autre.
Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du
sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et
d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à
produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.
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10 Le mémoire professionnel en formation continue
Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à
élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences
les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.
A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,
constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au
RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».
En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :
- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.
- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel
métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.
- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant
un jury de professionnels.
- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II
La construction Cesi de parcours professionnels
QualificationMétier
Certification professionnelle CESI
Certificat de compétence Cesi
Attestation de Participation Cesi
Jury national de délivrance du titre composé de professionnels
Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier
Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4
ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III
Module1.1
Module1.2
Module1.3
Module2.1
Module2.2
Module3.1
Module 4.1
Module 4.2
Parcours de formation
Parcours qualifiant
Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi
Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en
évaluant les effets.
Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la
guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.
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11 Le mémoire professionnel en formation continue
Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours
apprécier et évaluer.
Cette évaluation se fera en deux temps :
Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires
à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs
expériences vécues.
Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce
jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du
mémoire et de la prestation orale.
Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant
sur les dimensions suivantes :
• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?
• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?
• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?
• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon
questionnement ?
• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en
œuvre pour cela ?
En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de
l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).
Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du
champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.
Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil
stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).
En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du
référentiel national.
12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
12 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.
C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme
caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.
Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme
exposée ci-après :
Première partie :
Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées
Définir les objectifs visés
Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,
Prioriser les enjeux
Deuxième partie :
Piloter un projet
Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire
Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise
Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,
acuité du risque, recherche des causes premières)
Troisième partie :
Préconiser des axes d’améliorations
Prioriser les solutions dans le temps
Mesurer la qualité des réponses apportées
Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à
donner)
Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa
capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de
50/60 pages.
Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire
professionnel.
Le cahier des charges stipule que :
« Ce projet doit vous permettre de démontrer :
- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités
correspondantes,
- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,
économique, technique et organisationnelle),
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13 Le mémoire professionnel en formation continue
- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une
proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,
- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre
compte,
- votre capacité à prendre le recul nécessaire
- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».
Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de
professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30
minutes :
- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des
résultats obtenus,
- Débat Questions / réponses avec le jury.
Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de
l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».
Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et
d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs
et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de
la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les
compétences.
Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-
même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de
responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de
formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et
transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle
opère elle-même sur le réel ».
L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre
mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.
Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des
connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences
nouvelles conduisant à de meilleures performances.
13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
14 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Le processus d’écriture
« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son
action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant
», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à
l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.
Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui
les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas
sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.
Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :
Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,
promouvoir l’action .
Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.
- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes
que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme
de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.
- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à
l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est
écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans
l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).
- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens
et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.
Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne
pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de
formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.
On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des
textes produits par des praticiens16.
14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
15 Le mémoire professionnel en formation continue
On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans
le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des
pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.
Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et
écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la
pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.
En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois
« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :
• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de
validation (référentialité close intégrante) ;
• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de
reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;
• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de
motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.
Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres
postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.
Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de
formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en
même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation
professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a
pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de
l’autonomisation.
Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La
signature du texte produit consigne cette prise de risque.
C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures
étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les
17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.
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16 Le mémoire professionnel en formation continue
idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est
accepté.
Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des
difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui
nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de
formation et à la représentation que s’en font les praticiens.
Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une
liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,
apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une
pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que
suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.
S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à
savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si
cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de
cette compétence, mais à deux conditions :
- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)
de se construire et de se développer ;
- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité
mouvante de l’organisation.
En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des
questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des
individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à
lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en
toujours possibles divergences ?
Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la
matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à
l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord
aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après
les aider à « passer » à l’écriture.
21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994
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17 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait
assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test
intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui
tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.
Chapitre 3 – Les questions de départ
La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de
développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une
multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur
leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de
plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.
Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents
selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté
du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.
Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer
lorsqu’on est en position d’extériorité.
Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par
l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de
champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre
à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?
Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la
professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel
engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel
instrument ?
Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout
lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que
présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?
23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
18 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand
elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.
Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :
- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?
- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?
- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de
formation professionnelle ?
- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de
compétences ?
- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?
Et enfin,
- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer
entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.
- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?
L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de
dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?
Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en
connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?
24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994
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19 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle
Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de
déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des
participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs
dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en
nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.
Chapitre 1 – La compétence
Bref histoire d’une notion :
Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires
sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le
rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme
uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.
Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues
de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences
individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de
compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence
sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur
le métier.
L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont
l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à
répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au
moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte
favorisant l’apparition de la notion de compétence.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu
fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient
immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
20 Le mémoire professionnel en formation continue
l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du
terrain).
Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.
Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant
les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de
travail.
La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement
imposée.
Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la
personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport
salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.
Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des
autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.
L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la
"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de
travail.
Titre 1 – La compétence selon Le Boterf
Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences
mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les
entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en
référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .
Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout
en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour
en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux
contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.
Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,
elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que
25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
21 Le mémoire professionnel en formation continue
l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-
transférer des ressources dans un contexte professionnel.
"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de
connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment
opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à
la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que
de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).
Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser
dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à
apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :
« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un
ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),
pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités
d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à
certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».
« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des
représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un
exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).
Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».
Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »
pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs
techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements
relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes
par rapport aux exigences des situations de travail.
Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme
compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,
d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et
des performances à réaliser.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
22 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de
« pratiques professionnelles ».
� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un
organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?
Comment les transférer ?
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un
objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.
� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour
autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un
outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?
Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister
entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.
Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de
plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être
compétent tout seul.
Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de
données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres
métiers ou services.
La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à
coopérer avec d’autres.
Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent
il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui
prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du
travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la
motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui
peut faciliter l’expression des compétences.
26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006
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23 Le mémoire professionnel en formation continue
Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation
et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours
individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en
situation de travail prendront une place croissante.
� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances
professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que
l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?
La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus
collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux
dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les
espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation
(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations
visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.
Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian
Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources
humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,
selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le
processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit
fini.
Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression
directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.
Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le
salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription
taylorienne fermée ne couvre plus.
Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage
souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
24 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de
qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.
Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :
• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations
professionnelles auxquels il est confronté. »
Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un
individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter
une réponse face à un évènement.
Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,
l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur
les conséquences de cet évènement.
De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la
situation de l'individu qui l’affronte.
• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des
situations augmente. »
Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche
compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir
intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme
compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont
dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront
apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera
plus réactif en termes d’apprentissage.
• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »
27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999
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25 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même
évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un
évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul
individu) afin de mieux répondre à cet évènement.
A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail
transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être
partagés.
Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions
communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et
coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit
collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.
En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à
l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et
répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de
la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être
mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours
compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.
� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,
la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?
- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance
Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la
compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur
capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des
situations problématiques.
Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la
construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce
savoir de référence.
Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des
connaissances et apprentissage de la compétence.
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26 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons retenir les enseignements suivants:
• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par
l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de
compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable
situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.
• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance
introduite vis-à-vis des pratiques existantes.
• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs
professionnels de référence.
� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de
démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique
professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs
professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
27 Le mémoire professionnel en formation continue
Chapitre 2 – L’identité professionnelle
L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.
Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar
Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un
long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme
un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et
formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.
L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres
orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.
Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation
secondaire et de double transaction identitaire
Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui
ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de
toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu
construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur
relationnel, affectif et symbolique.
L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense
qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-
même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres
circonstances.
Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation
primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu
pour se faire connaître.
28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
28 Le mémoire professionnel en formation continue
Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de
considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux
transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre
les individus et les institutions.
La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à
l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire
reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe
entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.
La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la
construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.
Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce
que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers
composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le
contexte.
L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.
Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se
recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».
L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de
construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du
travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre
des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.
De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de
légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.
Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des
éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.
Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit
apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances
possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu
à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
29 Le mémoire professionnel en formation continue
dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois
inséparables et liées de façon problématique».
L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par
les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne
l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.
Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus
identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel
l’individu est immergé.
Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un
résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions » (DUBAR., 2000).
Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des
rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des
manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ
du travail et de l’emploi.
Titre 2 – Le processus identitaire professionnel
Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents
groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est
fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel
d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la
reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du
pouvoir ».
Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il
reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend
étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et
son groupe d’appartenance.
29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
30 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité
professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des
espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et
valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi
qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».
Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de
la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,
noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de
désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des
catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette
transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les
représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.
Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords
entre ces deux identités.
Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son
identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,
son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de
carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat
de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des
ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles
suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri
C., 1990)31.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »
tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est
considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie
relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou
l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en
respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,
par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont
de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve.
31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
31 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous
pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et
des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce
collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour
envisager une intégration par ses pairs.
La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité
professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de
normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation
de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de
s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud
SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de
travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être
pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme
appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,
c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et
l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.
Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de
vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités
particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).
Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte
qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :
La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses
croyances.
� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une
profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en
œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage
confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?
Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les
hypothèses.
32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
32 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie III : Problématique et hypothèses
Chapitre 1 – La problématique
Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet
dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.
Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise
en place d’un projet dans son entreprise.
Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la
pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?
L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus
directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans
l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».
A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la
part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?
L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont
il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un
climat de partage d’expériences.
La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des
stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est
le cas.
Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du
mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et
développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?
En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier
les compétences qu’il permet de développer.
33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
33 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une
réflexion déterminant:
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des
compétences des stagiaires ?
Chapitre 2 – Les hypothèses
Titre 1 – L’hypothèse 1
L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs
professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie
dans son travail ?
La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle
contribuant de développer son regard critique ?
La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son
engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?
Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :
L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus
autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.
Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion
d’autonomie :
Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de
décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.
Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre
des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens
d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est
souvent associée à l'autonomie collective.
34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
34 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités
et des pouvoirs.
L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux
conditions:
- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de
demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.
- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera
au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de
relations nécessaires.
Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise
d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et
problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.
Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,
sont essentiels.
Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une
situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service
face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec
compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.
Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par
rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de
l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à
une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle
consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des
initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle
vise à prendre les initiatives pertinentes.
Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un
problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un
dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,
d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
35 Le mémoire professionnel en formation continue
de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle
doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.
Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les
notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié
se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui
implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.
Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en
l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer
une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…
A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre
de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il
provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :
"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la
réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est
compétente ou non, et jusqu'à quel point.
Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la
communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle
que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans
un référentiel.
C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel
groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois
des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les
situations avec succès.
Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :
Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les
plus citées spontanément :
- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?
- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?
- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?
Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences
développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
36 Le mémoire professionnel en formation continue
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?
- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?
- de développer un esprit plus critique ?
- de développer vos capacités de synthèse ?
- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?
- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?
- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?
- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?
Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges
des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées
lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le
mémoire.
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?
- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?
- Vos capacités à planifier un projet ?
- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?
- Vos capacités à mesurer des enjeux ?
- Vos capacités à identifier des finalités ?
- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?
- Vos capacités d’analyse ?
- Vos capacités à rechercher des solutions?
- Vos capacités à être force de proposition ?
- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?
- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?
- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?
- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?
- Vos capacités à prendre des initiatives?
- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser
un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?
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37 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – L’hypothèse 2
Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire
professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.
Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation
professionnelle, théorique et pratique.
L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de
transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi
professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).
Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond
d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.
Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession
qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à
son tour un professionnel confirmé.
Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment
la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de
postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire
professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une
restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?
Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur
cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.
Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :
Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une
nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de
ses compétences.
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38 Le mémoire professionnel en formation continue
Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans
différentes séries de questions :
1ère série de questions :
- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?
- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?
- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?
- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.
2ème série de questions :
- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?
- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par
l’employeur du stagiaire.
3ème série de questions :
- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de
niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?
- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre
entreprise ?
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
4ème série de questions :
- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des
responsabilités?
- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?
- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?
- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement
vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les
autres)
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39 Le mémoire professionnel en formation continue
- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et
aujourd’hui ?
Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)
Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)
� � � � � � � �
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après
avoir suivi sa formation.
Dernière questions :
- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?
Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.
Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en
dépassant le sens commun de la question de départ.
Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.
Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.
Professionnel de la fonction
à…. l’Expert ou Responsable de
la fonction
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40 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie IV - Méthodologie de la recherche
Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche
A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre
problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement
utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus
approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.
Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire
et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en
fonction de la problématique posée.
L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle
demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les
professionnels dans la pratique.
Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit
traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses
sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous
renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.
L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les
entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et
d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant
lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le
chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à
son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.
L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide
aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.
Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les
35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
41 Le mémoire professionnel en formation continue
objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles
l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que
possible »39.
Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à
questionnaire pour recueillir les données quantitatives.
Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de
différents critères :
- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?
- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport
d'harmonie ou d'organisation logique ?
- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux
objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?
Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,
les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.
39 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
42 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs
Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.
Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.
Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à
l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations
qualifiantes.
1- Les stagiaires
Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette
recherche.
- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009
- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.
- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;
Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du
mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après
l’avoir terminé pour le second groupe.
L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires
interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre
important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.
La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus
avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et
sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.
Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité
professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.
40 VAP : Validation des Acquis Professionnels
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
43 Le mémoire professionnel en formation continue
A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux
réponses étaient possibles.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une
qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison
quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.
Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs
compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de
s’engager dans une formation.
Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une
nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).
Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus
socialement dans leur fonction.
Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut
s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il
permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois
promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.
La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle
des deux groupes dans leur totalité.
85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.
E 1 = Entretien 1
Qui Age Groupe Diplôme
avant le CESIPoste de travail Evolution
prévue Sujet de mémoire
E1 50 ans 2 BacAssitante RH
nonAccompagner le changement après un PSE (Plan
Social Economique)
E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité
internationalenon
Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile
vers le secteur du nucléaire
E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des
Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise
E4 41 ans 1 BacResponsable
administratifnon L'audit de conformité
E5 40 ans 1 Bac +2Responsable
administratifoui: RRH* L'épargne salariale
E6 33 ans 2 BacAssitante RH
non L'absentéisme
E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion
du personnelnon La mise en place d'un projet sénior
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44 Le mémoire professionnel en formation continue
2- Les tuteurs
Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.
Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux
tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.
L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :
Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que
tuteur
E8FFR RH*
Mastère spécialisé RH
Niveau 2
Niveau 11 an
E9Arcadre "Passage Cadre"
Passage agent de maîtrise RATP
Niveau 2
Niveau 32 ans
E11Ingénieur
Arcadre "Passage Cadre"
Niveau 1
Niveau 25 ans
FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8
RIF : Responsable en Ingénierie de Formation
Titre 3 – Modalité des entretiens
Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux
qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.
Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI
L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.
L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens
est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4
pour les entretiens tuteurs).
Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la
confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :
- L’identité des personnes a été préservée ;
- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;
- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues
anonymes ;
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
45 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons
cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été
consacrées à expliquer l’objet de l’étude.
Cet entretien comporte 3 thèmes :
- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture
- Les effets en termes de compétences
- Les effets en termes d’identité
En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.
Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en
annexe 2 pour le guide des tuteurs).
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46 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie V : Analyse des données et résultats
Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le
guide d’entretien :
Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première
partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un
mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser
un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.
Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du
questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le
mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?
Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?
Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?
Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du
mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus
critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :
d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,
d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :
- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et
- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf
page 36 les questions posées).
Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire
permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture
professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses
compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:
- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,
- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,
- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,
- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa
formation,
-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions
retenues).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
47 Le mémoire professionnel en formation continue
Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.
Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture
Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de
stage ?
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de
l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une
activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des
stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à
mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).
Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie
du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport
de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà
en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit
être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.
Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est
déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une
problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail
individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un
problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les
choses » (E11).
Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une
entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le
candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il
est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de
trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).
Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique
quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de
prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
48 Le mémoire professionnel en formation continue
présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de
la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de
faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire
quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.
Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en
première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait
valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il
ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors
qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans
un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).
Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,
formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et
d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).
Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la
formalisation d’un projet concret » (E9).
C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le
domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,
exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.
Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé
en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le
mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde
note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.
« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres
personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non
seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une
grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).
La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce
travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa
démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
49 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par
rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le
niveau d’engagement dans le projet mené.
Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.
Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de
professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut
être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous
n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre
hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens
vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).
La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est
chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout
stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.
Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit
précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon
d’agir sur les projets.
Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.
Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des
perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres
projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.
Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus
diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?
Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de
rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation
alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de
stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la
preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur
41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
50 Le mémoire professionnel en formation continue
interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de
méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est
aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de
démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).
Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"
essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du
postulant à la qualification.
Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une
condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).
« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de
faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous
pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par
exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons
chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »
(E10).
Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,
suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses
et 15 minutes de délibération.
Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une
obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un
travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice
au long de leur propre scolarité.
Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou
plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire
permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire
témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique
qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans
mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et
de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
51 Le mémoire professionnel en formation continue
Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire
Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux
théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à
développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.
Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture
d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un
travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la
raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette
information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une
capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une
manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut
d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse
critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est
très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec
les intervenants professionnels » (E2).
Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera
unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion
privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la
lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »
affirme une stagiaire… (E1).
Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur
donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à
présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,
ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).
Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où
trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites
Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…
Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité
(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur
fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le
meilleur mais aussi le pire.
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52 Le mémoire professionnel en formation continue
Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans
l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas
nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer
au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés
comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures
professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation
“tout au long de la vie”.
Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les
concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le
mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent
réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage
les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le
projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le
stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et
moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).
Thème 4 : Les effets de l’écriture
Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens
large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système
d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien
d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du
mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui
transpire. » (E11).
L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes
interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans
mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).
Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).
L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais
réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre
témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.
Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
53 Le mémoire professionnel en formation continue
le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait
des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas
complètement séduite » (E4).
Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée
en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet
une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que
théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis
parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà
plus simple pour moi » (E6).
Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est
« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est
difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.
Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :
La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille
blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).
« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte
était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était
insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).
La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du
temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a
permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).
Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »
(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant
toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je
me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon
projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à
synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma
réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas
écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu
que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
54 Le mémoire professionnel en formation continue
d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas
au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).
Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :
Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et
cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger
le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées
et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en
entreprise.
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :
- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est
réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).
- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené
son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à
4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).
- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y
a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet
dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).
- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».
L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et
rendre le mémoire dans les délais.
Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le
résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le
mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.
Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons
poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en
termes de compétences.
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55 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences
Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.
Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments
utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus
en annexe 5.
1 – Concernant l’écriture du mémoire
A - Les résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de
fois cité
Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2
Connaître une méthodologie de conduite de projet 1
Synthétiser les idées 1
Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3
Améliorer un écrit professionnel 1
Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2
Réussir à analyser une problématique 1
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre % Nbre
d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0
de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%
de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1
de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%
de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%
l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%
d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%
ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%
Oui Non Partiellement
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56 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Le point de vue des stagiaires :
La prise de recul sur son activité, un regard distancié :
Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la
réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%
d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous
l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,
ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).
Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des
questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une
compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de
fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je
n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »
(E4).
Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de
travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des
compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend
alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors
véritablement un rôle dans le développement des compétences.
Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du
contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par
les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière
quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des
éléments contextuels ».
Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à
un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux
analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite
plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).
42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998
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57 Le mémoire professionnel en formation continue
C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions
éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue
compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des
raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en
place »(E3).
Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les
changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que
j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).
Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.
L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,
lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise
à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à
comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour
comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.
Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle
décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la
description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le
comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue
une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd
son sens.
Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au
dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion
permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.
Le développement de la professionnalité :
85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.
« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion
et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en
savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996
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58 Le mémoire professionnel en formation continue
domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a
aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur
pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).
Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche
méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on
demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »
(E11).
Le développement d’un esprit plus critique :
La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans
les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,
entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une
stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de
travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »
(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle
s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que
celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un
regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).
Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit
trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses
observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à
travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le
mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).
Le développement de l’esprit de synthèse :
A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des
stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.
Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant
ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi
j’avais choisi ce sujet » (E6).
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59 Le mémoire professionnel en formation continue
Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent
envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).
Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non
pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un
certain développement et beaucoup de recherches » (E7).
C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un
travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses
idées
La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :
Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail
d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.
Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre
mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et
le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on
n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce
travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a
appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on
s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).
Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait
directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout
analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes
questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse
incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter
maintenant » (E7).
Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :
Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre
de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).
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60 Le mémoire professionnel en formation continue
Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que
l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.
Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits
qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le
vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte
de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très
voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à
un cadre » (E9) précise un tuteur.
Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens
(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute
la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).
Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.
La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle
situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation
(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec
enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le
contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la
manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche
l’est » (E11).
De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige
des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive
de la professionnalité.
La valeur d’auto-formation de l’écriture :
57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les
recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture
permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.
Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des
lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »
(E2).
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61 Le mémoire professionnel en formation continue
42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas
du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc
pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une
stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le
mémoire n’a rien ajouté » (E5).
Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires
annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des
compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été
grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.
Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend
les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page
blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,
qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les
limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation
de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à
travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs
qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet
de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu
faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la
formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une
manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).
Une vision plus globale sur son activité :
Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision
plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.
Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%
d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà
pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le
contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10
personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou
bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).
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62 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure
connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs
sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition
hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.
Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social
en général » (E3).
Le développement de l’autonomie :
57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur
autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière
très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé
dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.
A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un
stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de
ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis
très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce
mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus
mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).
Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond
favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des
tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir
été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son
mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,
ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute
autonomie (E6).
Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis
retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me
débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit
à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le
choix » (E2).
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63 Le mémoire professionnel en formation continue
L’apprentissage d’une méthodologie de projet :
Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est
bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique
professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca
m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).
Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences
acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.
Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations
observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et
leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du
propos, et celle de ses pratiques.
Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette
formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le
cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs
envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du
mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,
prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet
complexe dans son entreprise.
Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la
démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation
d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie
trouvée sur le sujet.
« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très
particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a
mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car
après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il
a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se
montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.
C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).
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64 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne
un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une
certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui
était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter
de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).
Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de
professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas
d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire
dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur
cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)
affirme un second.
Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et
de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un
jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir
présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.
Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise
n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires
disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces
compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour
l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup
de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car
je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de
rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une
réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision
finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on
n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.
Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas
complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce
n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.
C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils
mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
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65 Le mémoire professionnel en formation continue
L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans
leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action
longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne
suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.
Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de
l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette
transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture
sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité
professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition
et de mise en œuvre des compétences nouvelles.
Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un
rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner
autrement et se voir autrement.
Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la
réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points
forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation
orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».
L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence
professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses
croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le
premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique
inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la
mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui
permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond
BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».
Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des
expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de
l’autre mais également en respectant l’autre.
45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996
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66 Le mémoire professionnel en formation continue
2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire
Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des
charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées
par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.
Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un
projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.
Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du
mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans
l’entreprise.
Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans
trop les développer.
A – Les résultats :
En gris : indicateurs non validés
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre %
Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%
Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%
Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%
Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%
Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%
Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%
Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%
Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%
Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1
Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%
Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1
Partiel .
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
Oui Non
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67 Le mémoire professionnel en formation continue
B – L’analyse :
Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une
méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :
- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à
prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de
proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une
démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de
réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas
forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les
solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en
application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)
annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de
proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.
- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de
mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande
rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans
tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a
compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une
stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien
structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les
éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine
logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de
développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).
- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un
ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus
expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin
d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en
œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise
« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un
nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).
Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur
a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant
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68 Le mémoire professionnel en formation continue
qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer
leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).
Les indicateurs non validés :
Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs
missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,
négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.
En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur
employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration
(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure
dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a
déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui
a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).
Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.
Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer
que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard
distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à
leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise
en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils
ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet
choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par
son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur
laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre
première hypothèse est donc confirmée.
Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :
quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?
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69 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité
A - Résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de
fois cité%
Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,
difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%
La réalisation du projet 3 43%
L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%
Avoir réaliser un mémoire 3 43%
Total: sur 7
Nbre % Nbre % Nbre %
Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%
Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2
Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%
Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire
Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%
Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%
Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.
Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%
Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%
La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%
Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%
Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%
Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation
Questions : Oui Non Partiel .
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70 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le
thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire
(85%).
Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre
part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.
57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur
projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire
n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et
j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).
C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur
entreprise dans l’élaboration du mémoire.
Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire
aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude
choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de
solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.
La reconnaissance de la formation par l’employeur :
Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue
par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:
L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.
La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement
dans ce projet de formation (E1).
Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les
relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est
reconnue par son employeur (E2).
Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses
ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de
mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification
de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
71 Le mémoire professionnel en formation continue
que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le
diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.
Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais
en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela
implique des absences » (E7).
Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager
dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une
« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.
L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par
mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de
sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le
risque de perdre ce collaborateur est probable.
Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces
stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en
formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes
épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les
entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.
Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi
la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs
salariés.
71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention
de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :
Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile
(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son
engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer
« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une
troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne
(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la
politique actuelle du groupe (E7).
Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé
de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
72 Le mémoire professionnel en formation continue
Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son
projet »(E6).
Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la
question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue
(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion
sociale ».
La reconnaissance du projet par l’employeur :
Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur
entreprise est reconnu par leur employeur :
L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet
stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le
mémoire était stratégique pour leur entreprise.
Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été
mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire
constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.
Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de
prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.
La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.
L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place
aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son
histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet
traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître
mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.
L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être
reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés
estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a
permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
73 Le mémoire professionnel en formation continue
j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée
jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).
Le sentiment de changement de posture professionnelle
71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai
pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).
A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,
qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.
71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de
formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de
prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre
posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et
pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me
positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon
poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en
prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une
nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une
dernière.
71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une
impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus
d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les
autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également
d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences
professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle
de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable
lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois
pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait
jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent
que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les
problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus
participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que
j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
74 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de
s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction
identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%
des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur
projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux
de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre
de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.
Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un
métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme
un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner
les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».
Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette
activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité
professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se
constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de
discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de
démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt
de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).
Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer
« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la
forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le
projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est
pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).
Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres
stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de
professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».
Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est
principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et
la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent
50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
75 Le mémoire professionnel en formation continue
citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec
le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »
écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel
important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.
Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son
travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences
professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un
mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au
démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont
les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.
Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le
stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son
entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont
jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une
réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux
critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.
Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et
reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.
En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert
d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des
représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire
(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le
projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes
de l’entreprise ».
Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les
stagiaires, et donc des effets de « formation ».
Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne
l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de
l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de
distance par rapport aux pratiques professionnelles.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
76 Le mémoire professionnel en formation continue
La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la
reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.
Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en
s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur
engagement.
Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de
professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances
sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de
qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre
son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».
L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs
pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques
professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses
pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.
Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de
construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus
d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme
interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet
au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les
projets qu’il met en place.
Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de
construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au
stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit
d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,
de clarté dans l’exposé de la démarche construite.
Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives
en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.
52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991
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77 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer
que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que
l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se
former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un
expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont
transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien
souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le
projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,
de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté
personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les
stagiaires.
Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité
professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.
Titre 4 – Synthèse globale
Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de
distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de
personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.
Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des
rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.
Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également
une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.
Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences
réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance
pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par
rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses
compétences.
Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à
laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour
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78 Le mémoire professionnel en formation continue
l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour
professionnaliser sa pratique.
L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en
effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des
stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour
autrui (DUBAR)56.
Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction
des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires
n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de
légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une
démarche évaluative des compétences acquises.
Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et
son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,
étonné, conforté…
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les
préconisations
Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un
développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de
donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des
ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur
mémoire.
Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs
Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de
professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.
C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se
précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore
56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998
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79 Le mémoire professionnel en formation continue
progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les
ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.
Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui
permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de
se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est
totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).
Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne
sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.
Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on
part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).
Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre
confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et
c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire
seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien
moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).
Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où
on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur
des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne
faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très
intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »
(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de
déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)
Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion
sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un
positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.
La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son
tuteur de mémoire.
Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept
journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre
souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.
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80 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des
charges57.
Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche
du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite
de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il
favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,
l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.
Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le
stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des
stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour
l’Homme » affirme un tuteur (E11).
Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la
démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi
beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.
Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de
renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.
Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.
Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire
au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il
doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.
Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux
tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la
technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).
Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver
intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».
Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les
compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.
57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».
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81 Le mémoire professionnel en formation continue
Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :
des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,
d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement
aussi » (E9).
C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et
puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais
que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est
extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est
un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler
sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de
rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).
Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser
un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation
d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer
aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le
mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans
le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les
éclaire »(E10).
Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est
bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le
style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure
un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas
toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).
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82 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale
Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire
professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.
Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend
au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des
charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la
problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir
à un stagiaire» (E9).
Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs
souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu
l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui
n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.
Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire
professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon
un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »
(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous
les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très
tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis
que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce
même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?
Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).
En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de
mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe
de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de
savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun
est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques
différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne
sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement
décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le
mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire
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83 Le mémoire professionnel en formation continue
ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait
une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).
En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des
compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend
40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement
dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces
différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,
lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils
savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).
Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept
journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le
choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement
où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec
en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin
les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).
La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est
l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa
place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il
est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des
retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?
C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à
celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas
là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).
Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui
du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.
Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du
stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.
Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du
Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans
ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury
permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.
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84 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Préconisations
Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :
- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La
situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.
- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,
la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,
etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.
- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans
le dispositif de formation.
A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les
tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.
Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide
incontestable au développement des compétences du tuteur.
Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à
avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail
de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).
D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a
des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient
enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui
arrivent au CESI » (E11).
Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur
mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert
projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce
domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect
communication » (E9).
D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière
de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant
qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au
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85 Le mémoire professionnel en formation continue
même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour
d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la
façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).
Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les
groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les
thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre
stagiaires et le partage des lectures.
Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses
pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes
impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de
compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager
avec les autres » (E3).
Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à
laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire
professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire
professionnel.
Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la
dimension évaluative.
En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment
d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la
formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette
dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.
Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et
pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le
stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie
d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.
En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une
autoformation que permet le mémoire professionnel ?
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86 Le mémoire professionnel en formation continue
Retour d’expérience
Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année
d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ
pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement
le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires
interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective
dans notre recherche.
De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs
années nous aurait probablement donné un autre regard.
Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le
dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.
De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi
nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.
Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées
par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont
rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,
problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes
de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une
activité professionnelle.
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87 Le mémoire professionnel en formation continue
Conclusion
Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,
enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de
professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de
construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité
professionnelle, voire du label d’expert58.
Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI
à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à
l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre
l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.
L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter
la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le
recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la
mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les
professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à
entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des
compétences.
Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant
écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques
professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.
Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien
les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est
un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son
utilisation.
Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,
notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils
conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout
personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78
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88 Le mémoire professionnel en formation continue
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Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
89 Le mémoire professionnel en formation continue
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Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
1 Le mémoire professionnel en formation continue
Sommaire
Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4
Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14
Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19
Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23
Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29
Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33
Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37
Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44
Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84
Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
2 Le mémoire professionnel en formation continue
Introduction
Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau
technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution
accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de
vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent
être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à
former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des
compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les
contraint à exercer plusieurs métiers.
Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les
compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder
des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion
comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un
contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».
De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans
les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses
dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.
Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser
cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au
CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?
L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la
présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment
l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs
de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de
prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.
Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle
pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de
compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question
centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :
1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
3 Le mémoire professionnel en formation continue
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences
professionnelles ?
Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.
Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous
référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle
en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.
Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et
d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs
de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la
réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le
développement des compétences dans ces formations qualifiantes.
Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous
formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
4 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie I : Présentation du chantier et questions de départ
Chapitre 1 –Le CESI
Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.
Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une
réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le
secteur industriel à la fin des années 50.
Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes
des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait
essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de
suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur
capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,
reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début
des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.
Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de
l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses
instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de
France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,
SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,
CFTC).
Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a
développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :
� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)
� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998
� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
5 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.
Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et
agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :
1 L’offre interentreprises :
Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules
peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les
titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.
Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,
membre de la Conférence des Grandes Ecoles.
2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et
3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le
cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.
Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences
Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans
l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens
d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels
(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «
limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de
l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «
examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une
place importante.
L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,
et en 1990 pour la formation en apprentissage.
Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes
pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies
actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »
2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
6 Le mémoire professionnel en formation continue
spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée
croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions
s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «
technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la
transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.
Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il
conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.
L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,
organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur
suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour
l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier
ses propositions.
L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «
épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert
progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de
l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but
spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)
(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de
l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»
offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve
donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant
un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres
élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.
Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en
œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-
Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une
augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le
moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,
4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007
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7 Le mémoire professionnel en formation continue
lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.
Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types
au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir
y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas
toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le
sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de
conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces
moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de
positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,
pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,
« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour
soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je
ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains
ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les
dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.
Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi
La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement
utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.
Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les
individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et
professionnelles.
Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant
tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:
- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de
femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des
catégories disponibles dans cette communauté ;
- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous
voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les
8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
8 Le mémoire professionnel en formation continue
diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou
simplement projetée (processus d’identification).
Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené
une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse
faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation
d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du
technicien à l’ingénieur ».
Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une
« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle
d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et
contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour
autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».
On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des
formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces
formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et
contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations
d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du
« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».
L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,
construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions
nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré
par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de
piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,
c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la
progression des participants.
La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de
connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de
l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations
d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de
compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.
11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
9 Le mémoire professionnel en formation continue
Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour
progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires
professionnels, jurys.
Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade
donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et
pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du
débutant au professionnel de la fonction visée.
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi
Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au
Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations
longues dans leurs parcours qualifiants.
Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II
Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2
avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.
Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce
qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant
entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).
Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par
les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,
l’une éclairant l’autre.
Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du
sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et
d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à
produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.
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10 Le mémoire professionnel en formation continue
Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à
élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences
les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.
A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,
constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au
RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».
En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :
- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.
- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel
métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.
- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant
un jury de professionnels.
- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II
La construction Cesi de parcours professionnels
QualificationMétier
Certification professionnelle CESI
Certificat de compétence Cesi
Attestation de Participation Cesi
Jury national de délivrance du titre composé de professionnels
Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier
Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4
ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III
Module1.1
Module1.2
Module1.3
Module2.1
Module2.2
Module3.1
Module 4.1
Module 4.2
Parcours de formation
Parcours qualifiant
Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi
Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en
évaluant les effets.
Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la
guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
11 Le mémoire professionnel en formation continue
Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours
apprécier et évaluer.
Cette évaluation se fera en deux temps :
Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires
à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs
expériences vécues.
Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce
jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du
mémoire et de la prestation orale.
Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant
sur les dimensions suivantes :
• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?
• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?
• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?
• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon
questionnement ?
• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en
œuvre pour cela ?
En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de
l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).
Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du
champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.
Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil
stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).
En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du
référentiel national.
12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
12 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.
C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme
caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.
Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme
exposée ci-après :
Première partie :
Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées
Définir les objectifs visés
Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,
Prioriser les enjeux
Deuxième partie :
Piloter un projet
Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire
Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise
Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,
acuité du risque, recherche des causes premières)
Troisième partie :
Préconiser des axes d’améliorations
Prioriser les solutions dans le temps
Mesurer la qualité des réponses apportées
Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à
donner)
Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa
capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de
50/60 pages.
Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire
professionnel.
Le cahier des charges stipule que :
« Ce projet doit vous permettre de démontrer :
- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités
correspondantes,
- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,
économique, technique et organisationnelle),
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
13 Le mémoire professionnel en formation continue
- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une
proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,
- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre
compte,
- votre capacité à prendre le recul nécessaire
- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».
Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de
professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30
minutes :
- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des
résultats obtenus,
- Débat Questions / réponses avec le jury.
Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de
l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».
Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et
d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs
et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de
la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les
compétences.
Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-
même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de
responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de
formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et
transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle
opère elle-même sur le réel ».
L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre
mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.
Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des
connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences
nouvelles conduisant à de meilleures performances.
13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
14 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Le processus d’écriture
« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son
action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant
», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à
l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.
Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui
les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas
sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.
Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :
Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,
promouvoir l’action .
Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.
- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes
que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme
de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.
- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à
l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est
écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans
l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).
- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens
et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.
Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne
pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de
formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.
On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des
textes produits par des praticiens16.
14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
15 Le mémoire professionnel en formation continue
On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans
le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des
pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.
Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et
écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la
pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.
En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois
« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :
• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de
validation (référentialité close intégrante) ;
• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de
reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;
• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de
motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.
Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres
postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.
Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de
formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en
même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation
professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a
pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de
l’autonomisation.
Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La
signature du texte produit consigne cette prise de risque.
C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures
étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les
17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.
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16 Le mémoire professionnel en formation continue
idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est
accepté.
Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des
difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui
nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de
formation et à la représentation que s’en font les praticiens.
Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une
liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,
apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une
pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que
suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.
S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à
savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si
cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de
cette compétence, mais à deux conditions :
- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)
de se construire et de se développer ;
- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité
mouvante de l’organisation.
En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des
questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des
individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à
lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en
toujours possibles divergences ?
Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la
matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à
l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord
aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après
les aider à « passer » à l’écriture.
21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
17 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait
assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test
intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui
tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.
Chapitre 3 – Les questions de départ
La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de
développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une
multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur
leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de
plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.
Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents
selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté
du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.
Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer
lorsqu’on est en position d’extériorité.
Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par
l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de
champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre
à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?
Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la
professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel
engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel
instrument ?
Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout
lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que
présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?
23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
18 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand
elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.
Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :
- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?
- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?
- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de
formation professionnelle ?
- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de
compétences ?
- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?
Et enfin,
- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer
entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.
- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?
L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de
dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?
Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en
connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?
24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
19 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle
Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de
déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des
participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs
dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en
nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.
Chapitre 1 – La compétence
Bref histoire d’une notion :
Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires
sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le
rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme
uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.
Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues
de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences
individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de
compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence
sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur
le métier.
L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont
l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à
répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au
moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte
favorisant l’apparition de la notion de compétence.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu
fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient
immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
20 Le mémoire professionnel en formation continue
l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du
terrain).
Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.
Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant
les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de
travail.
La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement
imposée.
Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la
personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport
salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.
Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des
autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.
L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la
"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de
travail.
Titre 1 – La compétence selon Le Boterf
Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences
mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les
entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en
référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .
Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout
en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour
en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux
contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.
Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,
elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que
25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
21 Le mémoire professionnel en formation continue
l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-
transférer des ressources dans un contexte professionnel.
"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de
connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment
opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à
la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que
de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).
Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser
dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à
apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :
« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un
ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),
pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités
d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à
certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».
« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des
représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un
exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).
Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».
Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »
pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs
techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements
relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes
par rapport aux exigences des situations de travail.
Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme
compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,
d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et
des performances à réaliser.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
22 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de
« pratiques professionnelles ».
� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un
organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?
Comment les transférer ?
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un
objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.
� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour
autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un
outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?
Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister
entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.
Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de
plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être
compétent tout seul.
Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de
données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres
métiers ou services.
La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à
coopérer avec d’autres.
Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent
il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui
prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du
travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la
motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui
peut faciliter l’expression des compétences.
26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006
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23 Le mémoire professionnel en formation continue
Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation
et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours
individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en
situation de travail prendront une place croissante.
� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances
professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que
l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?
La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus
collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux
dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les
espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation
(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations
visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.
Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian
Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources
humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,
selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le
processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit
fini.
Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression
directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.
Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le
salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription
taylorienne fermée ne couvre plus.
Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage
souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
24 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de
qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.
Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :
• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations
professionnelles auxquels il est confronté. »
Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un
individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter
une réponse face à un évènement.
Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,
l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur
les conséquences de cet évènement.
De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la
situation de l'individu qui l’affronte.
• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des
situations augmente. »
Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche
compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir
intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme
compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont
dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront
apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera
plus réactif en termes d’apprentissage.
• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »
27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999
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25 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même
évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un
évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul
individu) afin de mieux répondre à cet évènement.
A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail
transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être
partagés.
Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions
communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et
coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit
collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.
En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à
l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et
répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de
la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être
mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours
compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.
� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,
la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?
- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance
Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la
compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur
capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des
situations problématiques.
Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la
construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce
savoir de référence.
Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des
connaissances et apprentissage de la compétence.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
26 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons retenir les enseignements suivants:
• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par
l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de
compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable
situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.
• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance
introduite vis-à-vis des pratiques existantes.
• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs
professionnels de référence.
� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de
démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique
professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs
professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
27 Le mémoire professionnel en formation continue
Chapitre 2 – L’identité professionnelle
L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.
Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar
Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un
long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme
un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et
formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.
L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres
orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.
Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation
secondaire et de double transaction identitaire
Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui
ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de
toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu
construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur
relationnel, affectif et symbolique.
L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense
qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-
même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres
circonstances.
Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation
primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu
pour se faire connaître.
28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
28 Le mémoire professionnel en formation continue
Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de
considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux
transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre
les individus et les institutions.
La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à
l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire
reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe
entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.
La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la
construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.
Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce
que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers
composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le
contexte.
L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.
Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se
recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».
L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de
construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du
travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre
des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.
De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de
légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.
Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des
éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.
Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit
apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances
possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu
à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
29 Le mémoire professionnel en formation continue
dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois
inséparables et liées de façon problématique».
L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par
les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne
l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.
Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus
identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel
l’individu est immergé.
Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un
résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions » (DUBAR., 2000).
Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des
rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des
manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ
du travail et de l’emploi.
Titre 2 – Le processus identitaire professionnel
Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents
groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est
fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel
d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la
reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du
pouvoir ».
Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il
reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend
étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et
son groupe d’appartenance.
29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
30 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité
professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des
espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et
valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi
qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».
Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de
la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,
noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de
désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des
catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette
transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les
représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.
Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords
entre ces deux identités.
Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son
identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,
son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de
carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat
de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des
ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles
suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri
C., 1990)31.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »
tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est
considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie
relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou
l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en
respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,
par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont
de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve.
31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
31 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous
pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et
des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce
collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour
envisager une intégration par ses pairs.
La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité
professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de
normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation
de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de
s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud
SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de
travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être
pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme
appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,
c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et
l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.
Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de
vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités
particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).
Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte
qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :
La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses
croyances.
� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une
profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en
œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage
confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?
Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les
hypothèses.
32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
32 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie III : Problématique et hypothèses
Chapitre 1 – La problématique
Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet
dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.
Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise
en place d’un projet dans son entreprise.
Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la
pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?
L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus
directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans
l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».
A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la
part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?
L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont
il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un
climat de partage d’expériences.
La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des
stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est
le cas.
Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du
mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et
développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?
En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier
les compétences qu’il permet de développer.
33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
33 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une
réflexion déterminant:
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des
compétences des stagiaires ?
Chapitre 2 – Les hypothèses
Titre 1 – L’hypothèse 1
L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs
professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie
dans son travail ?
La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle
contribuant de développer son regard critique ?
La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son
engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?
Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :
L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus
autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.
Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion
d’autonomie :
Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de
décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.
Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre
des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens
d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est
souvent associée à l'autonomie collective.
34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
34 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités
et des pouvoirs.
L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux
conditions:
- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de
demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.
- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera
au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de
relations nécessaires.
Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise
d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et
problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.
Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,
sont essentiels.
Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une
situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service
face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec
compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.
Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par
rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de
l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à
une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle
consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des
initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle
vise à prendre les initiatives pertinentes.
Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un
problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un
dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,
d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
35 Le mémoire professionnel en formation continue
de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle
doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.
Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les
notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié
se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui
implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.
Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en
l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer
une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…
A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre
de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il
provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :
"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la
réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est
compétente ou non, et jusqu'à quel point.
Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la
communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle
que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans
un référentiel.
C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel
groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois
des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les
situations avec succès.
Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :
Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les
plus citées spontanément :
- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?
- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?
- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?
Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences
développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
36 Le mémoire professionnel en formation continue
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?
- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?
- de développer un esprit plus critique ?
- de développer vos capacités de synthèse ?
- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?
- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?
- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?
- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?
Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges
des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées
lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le
mémoire.
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?
- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?
- Vos capacités à planifier un projet ?
- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?
- Vos capacités à mesurer des enjeux ?
- Vos capacités à identifier des finalités ?
- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?
- Vos capacités d’analyse ?
- Vos capacités à rechercher des solutions?
- Vos capacités à être force de proposition ?
- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?
- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?
- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?
- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?
- Vos capacités à prendre des initiatives?
- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser
un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?
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37 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – L’hypothèse 2
Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire
professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.
Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation
professionnelle, théorique et pratique.
L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de
transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi
professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).
Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond
d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.
Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession
qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à
son tour un professionnel confirmé.
Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment
la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de
postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire
professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une
restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?
Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur
cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.
Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :
Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une
nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de
ses compétences.
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38 Le mémoire professionnel en formation continue
Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans
différentes séries de questions :
1ère série de questions :
- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?
- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?
- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?
- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.
2ème série de questions :
- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?
- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par
l’employeur du stagiaire.
3ème série de questions :
- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de
niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?
- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre
entreprise ?
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
4ème série de questions :
- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des
responsabilités?
- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?
- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?
- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement
vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les
autres)
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39 Le mémoire professionnel en formation continue
- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et
aujourd’hui ?
Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)
Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)
� � � � � � � �
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après
avoir suivi sa formation.
Dernière questions :
- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?
Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.
Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en
dépassant le sens commun de la question de départ.
Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.
Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.
Professionnel de la fonction
à…. l’Expert ou Responsable de
la fonction
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40 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie IV - Méthodologie de la recherche
Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche
A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre
problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement
utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus
approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.
Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire
et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en
fonction de la problématique posée.
L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle
demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les
professionnels dans la pratique.
Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit
traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses
sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous
renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.
L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les
entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et
d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant
lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le
chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à
son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.
L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide
aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.
Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les
35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem
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41 Le mémoire professionnel en formation continue
objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles
l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que
possible »39.
Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à
questionnaire pour recueillir les données quantitatives.
Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de
différents critères :
- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?
- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport
d'harmonie ou d'organisation logique ?
- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux
objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?
Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,
les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.
39 ibidem
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42 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs
Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.
Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.
Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à
l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations
qualifiantes.
1- Les stagiaires
Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette
recherche.
- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009
- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.
- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;
Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du
mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après
l’avoir terminé pour le second groupe.
L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires
interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre
important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.
La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus
avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et
sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.
Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité
professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.
40 VAP : Validation des Acquis Professionnels
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43 Le mémoire professionnel en formation continue
A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux
réponses étaient possibles.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une
qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison
quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.
Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs
compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de
s’engager dans une formation.
Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une
nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).
Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus
socialement dans leur fonction.
Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut
s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il
permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois
promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.
La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle
des deux groupes dans leur totalité.
85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.
E 1 = Entretien 1
Qui Age Groupe Diplôme
avant le CESIPoste de travail Evolution
prévue Sujet de mémoire
E1 50 ans 2 BacAssitante RH
nonAccompagner le changement après un PSE (Plan
Social Economique)
E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité
internationalenon
Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile
vers le secteur du nucléaire
E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des
Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise
E4 41 ans 1 BacResponsable
administratifnon L'audit de conformité
E5 40 ans 1 Bac +2Responsable
administratifoui: RRH* L'épargne salariale
E6 33 ans 2 BacAssitante RH
non L'absentéisme
E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion
du personnelnon La mise en place d'un projet sénior
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44 Le mémoire professionnel en formation continue
2- Les tuteurs
Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.
Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux
tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.
L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :
Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que
tuteur
E8FFR RH*
Mastère spécialisé RH
Niveau 2
Niveau 11 an
E9Arcadre "Passage Cadre"
Passage agent de maîtrise RATP
Niveau 2
Niveau 32 ans
E11Ingénieur
Arcadre "Passage Cadre"
Niveau 1
Niveau 25 ans
FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8
RIF : Responsable en Ingénierie de Formation
Titre 3 – Modalité des entretiens
Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux
qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.
Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI
L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.
L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens
est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4
pour les entretiens tuteurs).
Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la
confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :
- L’identité des personnes a été préservée ;
- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;
- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues
anonymes ;
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45 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons
cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été
consacrées à expliquer l’objet de l’étude.
Cet entretien comporte 3 thèmes :
- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture
- Les effets en termes de compétences
- Les effets en termes d’identité
En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.
Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en
annexe 2 pour le guide des tuteurs).
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46 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie V : Analyse des données et résultats
Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le
guide d’entretien :
Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première
partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un
mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser
un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.
Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du
questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le
mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?
Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?
Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?
Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du
mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus
critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :
d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,
d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :
- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et
- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf
page 36 les questions posées).
Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire
permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture
professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses
compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:
- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,
- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,
- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,
- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa
formation,
-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions
retenues).
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47 Le mémoire professionnel en formation continue
Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.
Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture
Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de
stage ?
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de
l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une
activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des
stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à
mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).
Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie
du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport
de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà
en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit
être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.
Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est
déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une
problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail
individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un
problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les
choses » (E11).
Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une
entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le
candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il
est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de
trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).
Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique
quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de
prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de
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48 Le mémoire professionnel en formation continue
présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de
la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de
faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire
quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.
Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en
première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait
valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il
ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors
qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans
un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).
Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,
formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et
d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).
Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la
formalisation d’un projet concret » (E9).
C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le
domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,
exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.
Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé
en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le
mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde
note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.
« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres
personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non
seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une
grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).
La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce
travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa
démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.
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49 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par
rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le
niveau d’engagement dans le projet mené.
Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.
Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de
professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut
être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous
n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre
hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens
vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).
La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est
chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout
stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.
Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit
précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon
d’agir sur les projets.
Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.
Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des
perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres
projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.
Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus
diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?
Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de
rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation
alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de
stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la
preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur
41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979
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50 Le mémoire professionnel en formation continue
interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de
méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est
aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de
démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).
Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"
essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du
postulant à la qualification.
Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une
condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).
« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de
faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous
pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par
exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons
chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »
(E10).
Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,
suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses
et 15 minutes de délibération.
Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une
obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un
travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice
au long de leur propre scolarité.
Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou
plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire
permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire
témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique
qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans
mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et
de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).
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51 Le mémoire professionnel en formation continue
Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire
Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux
théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à
développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.
Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture
d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un
travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la
raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette
information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une
capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une
manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut
d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse
critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est
très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec
les intervenants professionnels » (E2).
Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera
unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion
privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la
lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »
affirme une stagiaire… (E1).
Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur
donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à
présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,
ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).
Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où
trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites
Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…
Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité
(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur
fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le
meilleur mais aussi le pire.
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52 Le mémoire professionnel en formation continue
Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans
l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas
nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer
au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés
comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures
professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation
“tout au long de la vie”.
Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les
concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le
mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent
réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage
les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le
projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le
stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et
moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).
Thème 4 : Les effets de l’écriture
Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens
large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système
d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien
d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du
mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui
transpire. » (E11).
L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes
interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans
mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).
Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).
L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais
réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre
témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.
Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était
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53 Le mémoire professionnel en formation continue
le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait
des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas
complètement séduite » (E4).
Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée
en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet
une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que
théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis
parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà
plus simple pour moi » (E6).
Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est
« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est
difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.
Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :
La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille
blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).
« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte
était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était
insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).
La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du
temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a
permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).
Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »
(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant
toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je
me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon
projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à
synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma
réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas
écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu
que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
54 Le mémoire professionnel en formation continue
d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas
au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).
Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :
Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et
cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger
le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées
et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en
entreprise.
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :
- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est
réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).
- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené
son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à
4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).
- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y
a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet
dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).
- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».
L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et
rendre le mémoire dans les délais.
Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le
résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le
mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.
Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons
poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en
termes de compétences.
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55 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences
Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.
Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments
utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus
en annexe 5.
1 – Concernant l’écriture du mémoire
A - Les résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de
fois cité
Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2
Connaître une méthodologie de conduite de projet 1
Synthétiser les idées 1
Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3
Améliorer un écrit professionnel 1
Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2
Réussir à analyser une problématique 1
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre % Nbre
d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0
de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%
de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1
de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%
de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%
l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%
d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%
ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%
Oui Non Partiellement
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56 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Le point de vue des stagiaires :
La prise de recul sur son activité, un regard distancié :
Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la
réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%
d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous
l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,
ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).
Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des
questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une
compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de
fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je
n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »
(E4).
Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de
travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des
compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend
alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors
véritablement un rôle dans le développement des compétences.
Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du
contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par
les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière
quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des
éléments contextuels ».
Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à
un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux
analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite
plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).
42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998
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57 Le mémoire professionnel en formation continue
C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions
éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue
compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des
raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en
place »(E3).
Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les
changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que
j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).
Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.
L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,
lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise
à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à
comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour
comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.
Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle
décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la
description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le
comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue
une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd
son sens.
Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au
dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion
permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.
Le développement de la professionnalité :
85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.
« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion
et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en
savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996
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58 Le mémoire professionnel en formation continue
domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a
aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur
pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).
Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche
méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on
demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »
(E11).
Le développement d’un esprit plus critique :
La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans
les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,
entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une
stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de
travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »
(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle
s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que
celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un
regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).
Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit
trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses
observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à
travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le
mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).
Le développement de l’esprit de synthèse :
A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des
stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.
Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant
ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi
j’avais choisi ce sujet » (E6).
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59 Le mémoire professionnel en formation continue
Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent
envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).
Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non
pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un
certain développement et beaucoup de recherches » (E7).
C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un
travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses
idées
La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :
Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail
d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.
Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre
mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et
le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on
n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce
travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a
appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on
s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).
Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait
directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout
analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes
questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse
incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter
maintenant » (E7).
Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :
Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre
de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).
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60 Le mémoire professionnel en formation continue
Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que
l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.
Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits
qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le
vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte
de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très
voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à
un cadre » (E9) précise un tuteur.
Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens
(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute
la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).
Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.
La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle
situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation
(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec
enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le
contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la
manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche
l’est » (E11).
De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige
des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive
de la professionnalité.
La valeur d’auto-formation de l’écriture :
57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les
recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture
permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.
Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des
lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »
(E2).
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61 Le mémoire professionnel en formation continue
42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas
du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc
pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une
stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le
mémoire n’a rien ajouté » (E5).
Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires
annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des
compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été
grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.
Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend
les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page
blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,
qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les
limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation
de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à
travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs
qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet
de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu
faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la
formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une
manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).
Une vision plus globale sur son activité :
Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision
plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.
Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%
d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà
pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le
contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10
personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou
bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).
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62 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure
connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs
sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition
hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.
Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social
en général » (E3).
Le développement de l’autonomie :
57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur
autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière
très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé
dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.
A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un
stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de
ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis
très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce
mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus
mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).
Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond
favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des
tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir
été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son
mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,
ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute
autonomie (E6).
Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis
retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me
débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit
à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le
choix » (E2).
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63 Le mémoire professionnel en formation continue
L’apprentissage d’une méthodologie de projet :
Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est
bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique
professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca
m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).
Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences
acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.
Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations
observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et
leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du
propos, et celle de ses pratiques.
Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette
formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le
cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs
envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du
mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,
prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet
complexe dans son entreprise.
Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la
démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation
d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie
trouvée sur le sujet.
« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très
particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a
mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car
après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il
a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se
montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.
C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).
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64 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne
un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une
certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui
était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter
de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).
Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de
professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas
d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire
dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur
cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)
affirme un second.
Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et
de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un
jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir
présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.
Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise
n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires
disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces
compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour
l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup
de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car
je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de
rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une
réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision
finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on
n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.
Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas
complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce
n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.
C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils
mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
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65 Le mémoire professionnel en formation continue
L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans
leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action
longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne
suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.
Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de
l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette
transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture
sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité
professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition
et de mise en œuvre des compétences nouvelles.
Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un
rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner
autrement et se voir autrement.
Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la
réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points
forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation
orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».
L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence
professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses
croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le
premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique
inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la
mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui
permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond
BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».
Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des
expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de
l’autre mais également en respectant l’autre.
45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
66 Le mémoire professionnel en formation continue
2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire
Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des
charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées
par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.
Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un
projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.
Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du
mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans
l’entreprise.
Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans
trop les développer.
A – Les résultats :
En gris : indicateurs non validés
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre %
Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%
Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%
Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%
Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%
Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%
Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%
Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%
Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%
Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1
Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%
Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1
Partiel .
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
Oui Non
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
67 Le mémoire professionnel en formation continue
B – L’analyse :
Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une
méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :
- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à
prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de
proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une
démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de
réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas
forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les
solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en
application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)
annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de
proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.
- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de
mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande
rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans
tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a
compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une
stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien
structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les
éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine
logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de
développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).
- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un
ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus
expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin
d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en
œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise
« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un
nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).
Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur
a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
68 Le mémoire professionnel en formation continue
qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer
leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).
Les indicateurs non validés :
Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs
missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,
négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.
En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur
employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration
(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure
dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a
déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui
a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).
Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.
Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer
que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard
distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à
leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise
en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils
ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet
choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par
son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur
laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre
première hypothèse est donc confirmée.
Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :
quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
69 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité
A - Résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de
fois cité%
Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,
difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%
La réalisation du projet 3 43%
L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%
Avoir réaliser un mémoire 3 43%
Total: sur 7
Nbre % Nbre % Nbre %
Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%
Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2
Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%
Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire
Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%
Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%
Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.
Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%
Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%
La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%
Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%
Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%
Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation
Questions : Oui Non Partiel .
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70 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le
thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire
(85%).
Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre
part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.
57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur
projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire
n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et
j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).
C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur
entreprise dans l’élaboration du mémoire.
Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire
aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude
choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de
solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.
La reconnaissance de la formation par l’employeur :
Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue
par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:
L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.
La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement
dans ce projet de formation (E1).
Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les
relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est
reconnue par son employeur (E2).
Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses
ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de
mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification
de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
71 Le mémoire professionnel en formation continue
que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le
diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.
Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais
en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela
implique des absences » (E7).
Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager
dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une
« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.
L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par
mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de
sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le
risque de perdre ce collaborateur est probable.
Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces
stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en
formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes
épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les
entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.
Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi
la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs
salariés.
71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention
de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :
Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile
(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son
engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer
« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une
troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne
(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la
politique actuelle du groupe (E7).
Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé
de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
72 Le mémoire professionnel en formation continue
Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son
projet »(E6).
Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la
question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue
(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion
sociale ».
La reconnaissance du projet par l’employeur :
Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur
entreprise est reconnu par leur employeur :
L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet
stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le
mémoire était stratégique pour leur entreprise.
Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été
mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire
constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.
Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de
prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.
La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.
L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place
aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son
histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet
traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître
mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.
L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être
reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés
estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a
permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
73 Le mémoire professionnel en formation continue
j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée
jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).
Le sentiment de changement de posture professionnelle
71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai
pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).
A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,
qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.
71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de
formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de
prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre
posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et
pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me
positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon
poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en
prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une
nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une
dernière.
71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une
impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus
d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les
autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également
d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences
professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle
de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable
lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois
pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait
jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent
que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les
problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus
participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que
j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
74 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de
s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction
identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%
des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur
projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux
de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre
de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.
Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un
métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme
un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner
les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».
Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette
activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité
professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se
constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de
discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de
démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt
de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).
Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer
« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la
forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le
projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est
pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).
Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres
stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de
professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».
Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est
principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et
la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent
50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
75 Le mémoire professionnel en formation continue
citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec
le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »
écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel
important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.
Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son
travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences
professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un
mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au
démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont
les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.
Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le
stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son
entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont
jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une
réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux
critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.
Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et
reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.
En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert
d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des
représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire
(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le
projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes
de l’entreprise ».
Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les
stagiaires, et donc des effets de « formation ».
Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne
l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de
l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de
distance par rapport aux pratiques professionnelles.
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76 Le mémoire professionnel en formation continue
La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la
reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.
Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en
s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur
engagement.
Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de
professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances
sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de
qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre
son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».
L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs
pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques
professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses
pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.
Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de
construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus
d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme
interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet
au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les
projets qu’il met en place.
Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de
construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au
stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit
d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,
de clarté dans l’exposé de la démarche construite.
Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives
en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.
52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
77 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer
que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que
l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se
former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un
expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont
transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien
souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le
projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,
de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté
personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les
stagiaires.
Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité
professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.
Titre 4 – Synthèse globale
Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de
distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de
personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.
Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des
rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.
Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également
une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.
Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences
réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance
pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par
rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses
compétences.
Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à
laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
78 Le mémoire professionnel en formation continue
l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour
professionnaliser sa pratique.
L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en
effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des
stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour
autrui (DUBAR)56.
Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction
des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires
n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de
légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une
démarche évaluative des compétences acquises.
Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et
son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,
étonné, conforté…
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les
préconisations
Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un
développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de
donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des
ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur
mémoire.
Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs
Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de
professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.
C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se
précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore
56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998
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79 Le mémoire professionnel en formation continue
progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les
ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.
Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui
permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de
se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est
totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).
Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne
sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.
Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on
part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).
Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre
confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et
c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire
seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien
moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).
Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où
on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur
des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne
faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très
intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »
(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de
déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)
Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion
sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un
positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.
La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son
tuteur de mémoire.
Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept
journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre
souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.
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80 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des
charges57.
Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche
du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite
de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il
favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,
l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.
Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le
stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des
stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour
l’Homme » affirme un tuteur (E11).
Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la
démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi
beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.
Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de
renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.
Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.
Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire
au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il
doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.
Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux
tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la
technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).
Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver
intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».
Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les
compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.
57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».
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81 Le mémoire professionnel en formation continue
Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :
des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,
d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement
aussi » (E9).
C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et
puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais
que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est
extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est
un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler
sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de
rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).
Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser
un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation
d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer
aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le
mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans
le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les
éclaire »(E10).
Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est
bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le
style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure
un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas
toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).
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82 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale
Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire
professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.
Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend
au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des
charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la
problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir
à un stagiaire» (E9).
Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs
souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu
l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui
n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.
Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire
professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon
un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »
(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous
les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très
tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis
que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce
même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?
Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).
En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de
mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe
de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de
savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun
est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques
différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne
sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement
décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le
mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
83 Le mémoire professionnel en formation continue
ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait
une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).
En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des
compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend
40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement
dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces
différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,
lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils
savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).
Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept
journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le
choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement
où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec
en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin
les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).
La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est
l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa
place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il
est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des
retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?
C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à
celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas
là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).
Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui
du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.
Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du
stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.
Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du
Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans
ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury
permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.
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84 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Préconisations
Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :
- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La
situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.
- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,
la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,
etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.
- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans
le dispositif de formation.
A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les
tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.
Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide
incontestable au développement des compétences du tuteur.
Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à
avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail
de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).
D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a
des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient
enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui
arrivent au CESI » (E11).
Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur
mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert
projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce
domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect
communication » (E9).
D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière
de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant
qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au
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85 Le mémoire professionnel en formation continue
même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour
d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la
façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).
Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les
groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les
thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre
stagiaires et le partage des lectures.
Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses
pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes
impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de
compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager
avec les autres » (E3).
Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à
laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire
professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire
professionnel.
Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la
dimension évaluative.
En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment
d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la
formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette
dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.
Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et
pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le
stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie
d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.
En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une
autoformation que permet le mémoire professionnel ?
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86 Le mémoire professionnel en formation continue
Retour d’expérience
Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année
d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ
pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement
le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires
interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective
dans notre recherche.
De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs
années nous aurait probablement donné un autre regard.
Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le
dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.
De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi
nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.
Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées
par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont
rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,
problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes
de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une
activité professionnelle.
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87 Le mémoire professionnel en formation continue
Conclusion
Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,
enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de
professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de
construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité
professionnelle, voire du label d’expert58.
Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI
à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à
l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre
l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.
L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter
la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le
recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la
mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les
professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à
entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des
compétences.
Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant
écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques
professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.
Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien
les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est
un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son
utilisation.
Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,
notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils
conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout
personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78
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88 Le mémoire professionnel en formation continue
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Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
89 Le mémoire professionnel en formation continue
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Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
1 Le mémoire professionnel en formation continue
Sommaire
Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4
Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14
Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19
Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23
Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29
Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33
Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37
Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44
Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84
Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
2 Le mémoire professionnel en formation continue
Introduction
Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau
technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution
accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de
vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent
être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à
former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des
compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les
contraint à exercer plusieurs métiers.
Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les
compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder
des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion
comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un
contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».
De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans
les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses
dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.
Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser
cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au
CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?
L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la
présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment
l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs
de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de
prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.
Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle
pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de
compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question
centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :
1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
3 Le mémoire professionnel en formation continue
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences
professionnelles ?
Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.
Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous
référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle
en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.
Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et
d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs
de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la
réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le
développement des compétences dans ces formations qualifiantes.
Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous
formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
4 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie I : Présentation du chantier et questions de départ
Chapitre 1 –Le CESI
Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.
Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une
réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le
secteur industriel à la fin des années 50.
Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes
des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait
essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de
suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur
capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,
reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début
des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.
Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de
l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses
instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de
France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,
SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,
CFTC).
Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a
développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :
� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)
� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998
� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
5 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.
Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et
agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :
1 L’offre interentreprises :
Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules
peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les
titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.
Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,
membre de la Conférence des Grandes Ecoles.
2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et
3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le
cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.
Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences
Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans
l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens
d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels
(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «
limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de
l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «
examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une
place importante.
L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,
et en 1990 pour la formation en apprentissage.
Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes
pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies
actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »
2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
6 Le mémoire professionnel en formation continue
spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée
croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions
s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «
technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la
transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.
Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il
conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.
L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,
organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur
suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour
l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier
ses propositions.
L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «
épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert
progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de
l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but
spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)
(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de
l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»
offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve
donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant
un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres
élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.
Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en
œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-
Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une
augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le
moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,
4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
7 Le mémoire professionnel en formation continue
lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.
Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types
au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir
y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas
toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le
sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de
conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces
moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de
positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,
pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,
« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour
soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je
ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains
ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les
dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.
Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi
La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement
utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.
Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les
individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et
professionnelles.
Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant
tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:
- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de
femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des
catégories disponibles dans cette communauté ;
- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous
voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les
8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
8 Le mémoire professionnel en formation continue
diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou
simplement projetée (processus d’identification).
Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené
une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse
faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation
d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du
technicien à l’ingénieur ».
Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une
« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle
d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et
contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour
autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».
On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des
formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces
formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et
contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations
d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du
« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».
L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,
construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions
nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré
par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de
piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,
c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la
progression des participants.
La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de
connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de
l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations
d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de
compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.
11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
9 Le mémoire professionnel en formation continue
Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour
progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires
professionnels, jurys.
Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade
donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et
pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du
débutant au professionnel de la fonction visée.
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi
Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au
Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations
longues dans leurs parcours qualifiants.
Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II
Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2
avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.
Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce
qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant
entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).
Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par
les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,
l’une éclairant l’autre.
Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du
sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et
d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à
produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.
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10 Le mémoire professionnel en formation continue
Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à
élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences
les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.
A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,
constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au
RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».
En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :
- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.
- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel
métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.
- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant
un jury de professionnels.
- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II
La construction Cesi de parcours professionnels
QualificationMétier
Certification professionnelle CESI
Certificat de compétence Cesi
Attestation de Participation Cesi
Jury national de délivrance du titre composé de professionnels
Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier
Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4
ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III
Module1.1
Module1.2
Module1.3
Module2.1
Module2.2
Module3.1
Module 4.1
Module 4.2
Parcours de formation
Parcours qualifiant
Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi
Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en
évaluant les effets.
Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la
guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.
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11 Le mémoire professionnel en formation continue
Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours
apprécier et évaluer.
Cette évaluation se fera en deux temps :
Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires
à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs
expériences vécues.
Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce
jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du
mémoire et de la prestation orale.
Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant
sur les dimensions suivantes :
• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?
• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?
• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?
• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon
questionnement ?
• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en
œuvre pour cela ?
En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de
l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).
Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du
champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.
Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil
stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).
En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du
référentiel national.
12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
12 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.
C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme
caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.
Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme
exposée ci-après :
Première partie :
Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées
Définir les objectifs visés
Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,
Prioriser les enjeux
Deuxième partie :
Piloter un projet
Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire
Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise
Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,
acuité du risque, recherche des causes premières)
Troisième partie :
Préconiser des axes d’améliorations
Prioriser les solutions dans le temps
Mesurer la qualité des réponses apportées
Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à
donner)
Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa
capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de
50/60 pages.
Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire
professionnel.
Le cahier des charges stipule que :
« Ce projet doit vous permettre de démontrer :
- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités
correspondantes,
- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,
économique, technique et organisationnelle),
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
13 Le mémoire professionnel en formation continue
- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une
proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,
- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre
compte,
- votre capacité à prendre le recul nécessaire
- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».
Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de
professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30
minutes :
- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des
résultats obtenus,
- Débat Questions / réponses avec le jury.
Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de
l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».
Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et
d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs
et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de
la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les
compétences.
Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-
même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de
responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de
formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et
transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle
opère elle-même sur le réel ».
L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre
mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.
Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des
connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences
nouvelles conduisant à de meilleures performances.
13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
14 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Le processus d’écriture
« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son
action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant
», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à
l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.
Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui
les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas
sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.
Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :
Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,
promouvoir l’action .
Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.
- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes
que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme
de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.
- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à
l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est
écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans
l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).
- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens
et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.
Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne
pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de
formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.
On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des
textes produits par des praticiens16.
14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).
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15 Le mémoire professionnel en formation continue
On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans
le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des
pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.
Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et
écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la
pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.
En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois
« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :
• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de
validation (référentialité close intégrante) ;
• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de
reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;
• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de
motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.
Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres
postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.
Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de
formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en
même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation
professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a
pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de
l’autonomisation.
Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La
signature du texte produit consigne cette prise de risque.
C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures
étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les
17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.
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16 Le mémoire professionnel en formation continue
idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est
accepté.
Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des
difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui
nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de
formation et à la représentation que s’en font les praticiens.
Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une
liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,
apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une
pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que
suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.
S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à
savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si
cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de
cette compétence, mais à deux conditions :
- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)
de se construire et de se développer ;
- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité
mouvante de l’organisation.
En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des
questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des
individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à
lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en
toujours possibles divergences ?
Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la
matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à
l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord
aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après
les aider à « passer » à l’écriture.
21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
17 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait
assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test
intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui
tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.
Chapitre 3 – Les questions de départ
La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de
développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une
multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur
leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de
plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.
Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents
selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté
du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.
Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer
lorsqu’on est en position d’extériorité.
Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par
l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de
champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre
à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?
Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la
professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel
engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel
instrument ?
Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout
lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que
présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?
23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
18 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand
elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.
Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :
- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?
- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?
- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de
formation professionnelle ?
- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de
compétences ?
- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?
Et enfin,
- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer
entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.
- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?
L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de
dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?
Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en
connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?
24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
19 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle
Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de
déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des
participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs
dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en
nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.
Chapitre 1 – La compétence
Bref histoire d’une notion :
Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires
sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le
rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme
uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.
Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues
de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences
individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de
compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence
sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur
le métier.
L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont
l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à
répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au
moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte
favorisant l’apparition de la notion de compétence.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu
fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient
immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
20 Le mémoire professionnel en formation continue
l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du
terrain).
Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.
Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant
les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de
travail.
La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement
imposée.
Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la
personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport
salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.
Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des
autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.
L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la
"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de
travail.
Titre 1 – La compétence selon Le Boterf
Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences
mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les
entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en
référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .
Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout
en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour
en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux
contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.
Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,
elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que
25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
21 Le mémoire professionnel en formation continue
l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-
transférer des ressources dans un contexte professionnel.
"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de
connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment
opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à
la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que
de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).
Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser
dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à
apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :
« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un
ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),
pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités
d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à
certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».
« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des
représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un
exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).
Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».
Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »
pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs
techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements
relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes
par rapport aux exigences des situations de travail.
Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme
compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,
d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et
des performances à réaliser.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
22 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de
« pratiques professionnelles ».
� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un
organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?
Comment les transférer ?
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un
objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.
� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour
autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un
outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?
Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister
entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.
Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de
plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être
compétent tout seul.
Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de
données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres
métiers ou services.
La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à
coopérer avec d’autres.
Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent
il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui
prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du
travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la
motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui
peut faciliter l’expression des compétences.
26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006
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23 Le mémoire professionnel en formation continue
Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation
et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours
individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en
situation de travail prendront une place croissante.
� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances
professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que
l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?
La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus
collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux
dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les
espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation
(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations
visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.
Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian
Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources
humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,
selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le
processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit
fini.
Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression
directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.
Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le
salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription
taylorienne fermée ne couvre plus.
Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage
souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
24 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de
qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.
Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :
• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations
professionnelles auxquels il est confronté. »
Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un
individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter
une réponse face à un évènement.
Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,
l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur
les conséquences de cet évènement.
De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la
situation de l'individu qui l’affronte.
• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des
situations augmente. »
Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche
compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir
intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme
compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont
dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront
apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera
plus réactif en termes d’apprentissage.
• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »
27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
25 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même
évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un
évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul
individu) afin de mieux répondre à cet évènement.
A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail
transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être
partagés.
Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions
communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et
coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit
collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.
En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à
l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et
répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de
la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être
mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours
compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.
� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,
la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?
- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance
Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la
compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur
capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des
situations problématiques.
Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la
construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce
savoir de référence.
Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des
connaissances et apprentissage de la compétence.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
26 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons retenir les enseignements suivants:
• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par
l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de
compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable
situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.
• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance
introduite vis-à-vis des pratiques existantes.
• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs
professionnels de référence.
� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de
démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique
professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs
professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
27 Le mémoire professionnel en formation continue
Chapitre 2 – L’identité professionnelle
L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.
Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar
Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un
long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme
un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et
formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.
L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres
orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.
Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation
secondaire et de double transaction identitaire
Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui
ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de
toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu
construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur
relationnel, affectif et symbolique.
L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense
qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-
même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres
circonstances.
Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation
primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu
pour se faire connaître.
28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
28 Le mémoire professionnel en formation continue
Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de
considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux
transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre
les individus et les institutions.
La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à
l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire
reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe
entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.
La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la
construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.
Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce
que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers
composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le
contexte.
L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.
Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se
recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».
L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de
construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du
travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre
des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.
De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de
légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.
Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des
éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.
Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit
apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances
possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu
à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
29 Le mémoire professionnel en formation continue
dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois
inséparables et liées de façon problématique».
L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par
les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne
l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.
Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus
identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel
l’individu est immergé.
Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un
résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions » (DUBAR., 2000).
Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des
rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des
manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ
du travail et de l’emploi.
Titre 2 – Le processus identitaire professionnel
Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents
groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est
fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel
d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la
reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du
pouvoir ».
Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il
reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend
étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et
son groupe d’appartenance.
29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
30 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité
professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des
espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et
valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi
qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».
Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de
la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,
noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de
désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des
catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette
transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les
représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.
Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords
entre ces deux identités.
Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son
identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,
son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de
carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat
de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des
ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles
suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri
C., 1990)31.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »
tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est
considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie
relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou
l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en
respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,
par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont
de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve.
31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
31 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous
pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et
des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce
collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour
envisager une intégration par ses pairs.
La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité
professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de
normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation
de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de
s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud
SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de
travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être
pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme
appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,
c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et
l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.
Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de
vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités
particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).
Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte
qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :
La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses
croyances.
� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une
profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en
œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage
confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?
Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les
hypothèses.
32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
32 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie III : Problématique et hypothèses
Chapitre 1 – La problématique
Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet
dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.
Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise
en place d’un projet dans son entreprise.
Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la
pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?
L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus
directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans
l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».
A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la
part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?
L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont
il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un
climat de partage d’expériences.
La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des
stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est
le cas.
Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du
mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et
développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?
En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier
les compétences qu’il permet de développer.
33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
33 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une
réflexion déterminant:
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des
compétences des stagiaires ?
Chapitre 2 – Les hypothèses
Titre 1 – L’hypothèse 1
L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs
professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie
dans son travail ?
La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle
contribuant de développer son regard critique ?
La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son
engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?
Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :
L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus
autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.
Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion
d’autonomie :
Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de
décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.
Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre
des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens
d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est
souvent associée à l'autonomie collective.
34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
34 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités
et des pouvoirs.
L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux
conditions:
- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de
demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.
- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera
au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de
relations nécessaires.
Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise
d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et
problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.
Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,
sont essentiels.
Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une
situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service
face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec
compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.
Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par
rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de
l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à
une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle
consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des
initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle
vise à prendre les initiatives pertinentes.
Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un
problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un
dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,
d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
35 Le mémoire professionnel en formation continue
de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle
doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.
Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les
notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié
se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui
implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.
Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en
l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer
une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…
A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre
de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il
provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :
"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la
réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est
compétente ou non, et jusqu'à quel point.
Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la
communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle
que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans
un référentiel.
C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel
groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois
des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les
situations avec succès.
Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :
Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les
plus citées spontanément :
- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?
- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?
- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?
Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences
développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
36 Le mémoire professionnel en formation continue
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?
- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?
- de développer un esprit plus critique ?
- de développer vos capacités de synthèse ?
- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?
- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?
- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?
- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?
Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges
des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées
lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le
mémoire.
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?
- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?
- Vos capacités à planifier un projet ?
- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?
- Vos capacités à mesurer des enjeux ?
- Vos capacités à identifier des finalités ?
- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?
- Vos capacités d’analyse ?
- Vos capacités à rechercher des solutions?
- Vos capacités à être force de proposition ?
- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?
- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?
- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?
- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?
- Vos capacités à prendre des initiatives?
- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser
un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?
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37 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – L’hypothèse 2
Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire
professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.
Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation
professionnelle, théorique et pratique.
L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de
transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi
professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).
Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond
d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.
Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession
qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à
son tour un professionnel confirmé.
Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment
la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de
postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire
professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une
restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?
Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur
cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.
Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :
Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une
nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de
ses compétences.
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38 Le mémoire professionnel en formation continue
Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans
différentes séries de questions :
1ère série de questions :
- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?
- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?
- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?
- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.
2ème série de questions :
- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?
- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par
l’employeur du stagiaire.
3ème série de questions :
- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de
niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?
- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre
entreprise ?
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
4ème série de questions :
- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des
responsabilités?
- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?
- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?
- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement
vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les
autres)
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
39 Le mémoire professionnel en formation continue
- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et
aujourd’hui ?
Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)
Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)
� � � � � � � �
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après
avoir suivi sa formation.
Dernière questions :
- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?
Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.
Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en
dépassant le sens commun de la question de départ.
Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.
Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.
Professionnel de la fonction
à…. l’Expert ou Responsable de
la fonction
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
40 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie IV - Méthodologie de la recherche
Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche
A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre
problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement
utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus
approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.
Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire
et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en
fonction de la problématique posée.
L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle
demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les
professionnels dans la pratique.
Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit
traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses
sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous
renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.
L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les
entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et
d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant
lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le
chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à
son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.
L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide
aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.
Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les
35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
41 Le mémoire professionnel en formation continue
objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles
l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que
possible »39.
Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à
questionnaire pour recueillir les données quantitatives.
Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de
différents critères :
- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?
- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport
d'harmonie ou d'organisation logique ?
- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux
objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?
Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,
les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.
39 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
42 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs
Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.
Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.
Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à
l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations
qualifiantes.
1- Les stagiaires
Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette
recherche.
- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009
- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.
- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;
Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du
mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après
l’avoir terminé pour le second groupe.
L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires
interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre
important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.
La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus
avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et
sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.
Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité
professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.
40 VAP : Validation des Acquis Professionnels
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
43 Le mémoire professionnel en formation continue
A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux
réponses étaient possibles.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une
qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison
quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.
Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs
compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de
s’engager dans une formation.
Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une
nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).
Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus
socialement dans leur fonction.
Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut
s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il
permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois
promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.
La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle
des deux groupes dans leur totalité.
85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.
E 1 = Entretien 1
Qui Age Groupe Diplôme
avant le CESIPoste de travail Evolution
prévue Sujet de mémoire
E1 50 ans 2 BacAssitante RH
nonAccompagner le changement après un PSE (Plan
Social Economique)
E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité
internationalenon
Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile
vers le secteur du nucléaire
E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des
Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise
E4 41 ans 1 BacResponsable
administratifnon L'audit de conformité
E5 40 ans 1 Bac +2Responsable
administratifoui: RRH* L'épargne salariale
E6 33 ans 2 BacAssitante RH
non L'absentéisme
E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion
du personnelnon La mise en place d'un projet sénior
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
44 Le mémoire professionnel en formation continue
2- Les tuteurs
Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.
Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux
tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.
L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :
Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que
tuteur
E8FFR RH*
Mastère spécialisé RH
Niveau 2
Niveau 11 an
E9Arcadre "Passage Cadre"
Passage agent de maîtrise RATP
Niveau 2
Niveau 32 ans
E11Ingénieur
Arcadre "Passage Cadre"
Niveau 1
Niveau 25 ans
FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8
RIF : Responsable en Ingénierie de Formation
Titre 3 – Modalité des entretiens
Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux
qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.
Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI
L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.
L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens
est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4
pour les entretiens tuteurs).
Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la
confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :
- L’identité des personnes a été préservée ;
- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;
- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues
anonymes ;
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
45 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons
cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été
consacrées à expliquer l’objet de l’étude.
Cet entretien comporte 3 thèmes :
- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture
- Les effets en termes de compétences
- Les effets en termes d’identité
En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.
Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en
annexe 2 pour le guide des tuteurs).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
46 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie V : Analyse des données et résultats
Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le
guide d’entretien :
Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première
partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un
mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser
un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.
Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du
questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le
mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?
Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?
Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?
Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du
mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus
critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :
d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,
d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :
- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et
- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf
page 36 les questions posées).
Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire
permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture
professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses
compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:
- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,
- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,
- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,
- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa
formation,
-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions
retenues).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
47 Le mémoire professionnel en formation continue
Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.
Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture
Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de
stage ?
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de
l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une
activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des
stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à
mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).
Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie
du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport
de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà
en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit
être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.
Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est
déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une
problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail
individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un
problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les
choses » (E11).
Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une
entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le
candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il
est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de
trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).
Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique
quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de
prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
48 Le mémoire professionnel en formation continue
présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de
la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de
faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire
quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.
Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en
première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait
valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il
ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors
qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans
un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).
Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,
formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et
d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).
Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la
formalisation d’un projet concret » (E9).
C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le
domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,
exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.
Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé
en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le
mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde
note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.
« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres
personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non
seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une
grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).
La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce
travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa
démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
49 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par
rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le
niveau d’engagement dans le projet mené.
Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.
Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de
professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut
être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous
n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre
hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens
vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).
La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est
chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout
stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.
Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit
précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon
d’agir sur les projets.
Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.
Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des
perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres
projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.
Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus
diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?
Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de
rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation
alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de
stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la
preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur
41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
50 Le mémoire professionnel en formation continue
interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de
méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est
aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de
démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).
Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"
essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du
postulant à la qualification.
Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une
condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).
« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de
faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous
pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par
exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons
chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »
(E10).
Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,
suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses
et 15 minutes de délibération.
Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une
obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un
travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice
au long de leur propre scolarité.
Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou
plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire
permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire
témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique
qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans
mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et
de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).
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51 Le mémoire professionnel en formation continue
Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire
Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux
théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à
développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.
Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture
d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un
travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la
raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette
information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une
capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une
manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut
d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse
critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est
très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec
les intervenants professionnels » (E2).
Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera
unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion
privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la
lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »
affirme une stagiaire… (E1).
Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur
donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à
présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,
ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).
Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où
trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites
Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…
Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité
(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur
fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le
meilleur mais aussi le pire.
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52 Le mémoire professionnel en formation continue
Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans
l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas
nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer
au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés
comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures
professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation
“tout au long de la vie”.
Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les
concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le
mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent
réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage
les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le
projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le
stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et
moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).
Thème 4 : Les effets de l’écriture
Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens
large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système
d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien
d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du
mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui
transpire. » (E11).
L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes
interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans
mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).
Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).
L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais
réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre
témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.
Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était
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53 Le mémoire professionnel en formation continue
le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait
des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas
complètement séduite » (E4).
Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée
en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet
une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que
théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis
parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà
plus simple pour moi » (E6).
Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est
« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est
difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.
Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :
La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille
blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).
« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte
était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était
insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).
La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du
temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a
permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).
Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »
(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant
toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je
me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon
projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à
synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma
réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas
écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu
que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et
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54 Le mémoire professionnel en formation continue
d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas
au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).
Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :
Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et
cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger
le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées
et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en
entreprise.
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :
- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est
réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).
- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené
son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à
4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).
- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y
a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet
dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).
- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».
L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et
rendre le mémoire dans les délais.
Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le
résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le
mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.
Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons
poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en
termes de compétences.
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55 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences
Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.
Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments
utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus
en annexe 5.
1 – Concernant l’écriture du mémoire
A - Les résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de
fois cité
Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2
Connaître une méthodologie de conduite de projet 1
Synthétiser les idées 1
Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3
Améliorer un écrit professionnel 1
Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2
Réussir à analyser une problématique 1
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre % Nbre
d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0
de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%
de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1
de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%
de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%
l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%
d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%
ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%
Oui Non Partiellement
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56 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Le point de vue des stagiaires :
La prise de recul sur son activité, un regard distancié :
Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la
réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%
d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous
l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,
ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).
Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des
questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une
compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de
fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je
n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »
(E4).
Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de
travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des
compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend
alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors
véritablement un rôle dans le développement des compétences.
Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du
contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par
les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière
quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des
éléments contextuels ».
Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à
un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux
analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite
plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).
42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998
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57 Le mémoire professionnel en formation continue
C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions
éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue
compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des
raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en
place »(E3).
Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les
changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que
j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).
Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.
L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,
lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise
à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à
comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour
comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.
Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle
décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la
description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le
comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue
une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd
son sens.
Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au
dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion
permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.
Le développement de la professionnalité :
85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.
« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion
et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en
savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996
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58 Le mémoire professionnel en formation continue
domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a
aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur
pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).
Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche
méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on
demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »
(E11).
Le développement d’un esprit plus critique :
La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans
les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,
entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une
stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de
travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »
(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle
s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que
celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un
regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).
Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit
trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses
observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à
travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le
mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).
Le développement de l’esprit de synthèse :
A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des
stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.
Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant
ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi
j’avais choisi ce sujet » (E6).
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59 Le mémoire professionnel en formation continue
Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent
envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).
Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non
pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un
certain développement et beaucoup de recherches » (E7).
C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un
travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses
idées
La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :
Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail
d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.
Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre
mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et
le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on
n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce
travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a
appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on
s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).
Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait
directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout
analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes
questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse
incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter
maintenant » (E7).
Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :
Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre
de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).
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60 Le mémoire professionnel en formation continue
Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que
l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.
Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits
qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le
vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte
de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très
voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à
un cadre » (E9) précise un tuteur.
Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens
(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute
la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).
Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.
La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle
situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation
(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec
enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le
contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la
manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche
l’est » (E11).
De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige
des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive
de la professionnalité.
La valeur d’auto-formation de l’écriture :
57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les
recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture
permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.
Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des
lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »
(E2).
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61 Le mémoire professionnel en formation continue
42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas
du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc
pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une
stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le
mémoire n’a rien ajouté » (E5).
Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires
annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des
compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été
grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.
Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend
les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page
blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,
qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les
limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation
de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à
travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs
qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet
de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu
faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la
formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une
manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).
Une vision plus globale sur son activité :
Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision
plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.
Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%
d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà
pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le
contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10
personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou
bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).
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62 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure
connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs
sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition
hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.
Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social
en général » (E3).
Le développement de l’autonomie :
57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur
autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière
très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé
dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.
A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un
stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de
ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis
très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce
mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus
mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).
Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond
favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des
tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir
été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son
mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,
ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute
autonomie (E6).
Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis
retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me
débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit
à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le
choix » (E2).
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63 Le mémoire professionnel en formation continue
L’apprentissage d’une méthodologie de projet :
Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est
bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique
professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca
m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).
Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences
acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.
Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations
observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et
leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du
propos, et celle de ses pratiques.
Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette
formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le
cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs
envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du
mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,
prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet
complexe dans son entreprise.
Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la
démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation
d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie
trouvée sur le sujet.
« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très
particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a
mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car
après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il
a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se
montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.
C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).
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64 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne
un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une
certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui
était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter
de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).
Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de
professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas
d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire
dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur
cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)
affirme un second.
Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et
de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un
jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir
présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.
Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise
n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires
disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces
compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour
l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup
de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car
je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de
rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une
réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision
finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on
n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.
Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas
complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce
n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.
C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils
mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
65 Le mémoire professionnel en formation continue
L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans
leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action
longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne
suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.
Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de
l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette
transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture
sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité
professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition
et de mise en œuvre des compétences nouvelles.
Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un
rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner
autrement et se voir autrement.
Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la
réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points
forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation
orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».
L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence
professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses
croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le
premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique
inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la
mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui
permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond
BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».
Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des
expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de
l’autre mais également en respectant l’autre.
45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
66 Le mémoire professionnel en formation continue
2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire
Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des
charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées
par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.
Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un
projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.
Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du
mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans
l’entreprise.
Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans
trop les développer.
A – Les résultats :
En gris : indicateurs non validés
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre %
Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%
Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%
Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%
Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%
Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%
Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%
Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%
Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%
Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1
Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%
Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1
Partiel .
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
Oui Non
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
67 Le mémoire professionnel en formation continue
B – L’analyse :
Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une
méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :
- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à
prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de
proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une
démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de
réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas
forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les
solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en
application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)
annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de
proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.
- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de
mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande
rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans
tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a
compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une
stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien
structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les
éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine
logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de
développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).
- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un
ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus
expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin
d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en
œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise
« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un
nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).
Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur
a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
68 Le mémoire professionnel en formation continue
qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer
leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).
Les indicateurs non validés :
Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs
missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,
négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.
En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur
employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration
(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure
dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a
déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui
a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).
Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.
Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer
que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard
distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à
leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise
en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils
ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet
choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par
son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur
laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre
première hypothèse est donc confirmée.
Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :
quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
69 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité
A - Résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de
fois cité%
Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,
difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%
La réalisation du projet 3 43%
L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%
Avoir réaliser un mémoire 3 43%
Total: sur 7
Nbre % Nbre % Nbre %
Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%
Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2
Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%
Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire
Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%
Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%
Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.
Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%
Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%
La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%
Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%
Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%
Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation
Questions : Oui Non Partiel .
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
70 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le
thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire
(85%).
Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre
part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.
57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur
projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire
n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et
j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).
C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur
entreprise dans l’élaboration du mémoire.
Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire
aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude
choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de
solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.
La reconnaissance de la formation par l’employeur :
Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue
par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:
L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.
La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement
dans ce projet de formation (E1).
Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les
relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est
reconnue par son employeur (E2).
Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses
ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de
mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification
de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
71 Le mémoire professionnel en formation continue
que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le
diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.
Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais
en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela
implique des absences » (E7).
Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager
dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une
« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.
L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par
mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de
sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le
risque de perdre ce collaborateur est probable.
Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces
stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en
formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes
épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les
entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.
Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi
la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs
salariés.
71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention
de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :
Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile
(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son
engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer
« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une
troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne
(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la
politique actuelle du groupe (E7).
Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé
de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
72 Le mémoire professionnel en formation continue
Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son
projet »(E6).
Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la
question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue
(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion
sociale ».
La reconnaissance du projet par l’employeur :
Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur
entreprise est reconnu par leur employeur :
L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet
stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le
mémoire était stratégique pour leur entreprise.
Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été
mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire
constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.
Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de
prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.
La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.
L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place
aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son
histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet
traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître
mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.
L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être
reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés
estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a
permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
73 Le mémoire professionnel en formation continue
j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée
jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).
Le sentiment de changement de posture professionnelle
71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai
pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).
A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,
qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.
71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de
formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de
prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre
posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et
pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me
positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon
poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en
prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une
nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une
dernière.
71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une
impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus
d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les
autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également
d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences
professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle
de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable
lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois
pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait
jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent
que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les
problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus
participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que
j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
74 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de
s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction
identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%
des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur
projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux
de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre
de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.
Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un
métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme
un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner
les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».
Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette
activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité
professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se
constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de
discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de
démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt
de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).
Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer
« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la
forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le
projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est
pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).
Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres
stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de
professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».
Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est
principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et
la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent
50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
75 Le mémoire professionnel en formation continue
citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec
le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »
écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel
important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.
Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son
travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences
professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un
mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au
démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont
les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.
Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le
stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son
entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont
jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une
réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux
critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.
Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et
reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.
En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert
d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des
représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire
(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le
projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes
de l’entreprise ».
Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les
stagiaires, et donc des effets de « formation ».
Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne
l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de
l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de
distance par rapport aux pratiques professionnelles.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
76 Le mémoire professionnel en formation continue
La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la
reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.
Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en
s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur
engagement.
Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de
professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances
sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de
qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre
son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».
L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs
pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques
professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses
pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.
Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de
construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus
d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme
interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet
au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les
projets qu’il met en place.
Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de
construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au
stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit
d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,
de clarté dans l’exposé de la démarche construite.
Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives
en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.
52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
77 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer
que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que
l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se
former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un
expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont
transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien
souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le
projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,
de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté
personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les
stagiaires.
Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité
professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.
Titre 4 – Synthèse globale
Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de
distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de
personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.
Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des
rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.
Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également
une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.
Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences
réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance
pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par
rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses
compétences.
Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à
laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
78 Le mémoire professionnel en formation continue
l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour
professionnaliser sa pratique.
L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en
effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des
stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour
autrui (DUBAR)56.
Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction
des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires
n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de
légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une
démarche évaluative des compétences acquises.
Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et
son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,
étonné, conforté…
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les
préconisations
Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un
développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de
donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des
ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur
mémoire.
Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs
Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de
professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.
C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se
précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore
56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998
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79 Le mémoire professionnel en formation continue
progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les
ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.
Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui
permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de
se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est
totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).
Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne
sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.
Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on
part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).
Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre
confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et
c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire
seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien
moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).
Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où
on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur
des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne
faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très
intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »
(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de
déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)
Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion
sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un
positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.
La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son
tuteur de mémoire.
Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept
journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre
souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.
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80 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des
charges57.
Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche
du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite
de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il
favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,
l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.
Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le
stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des
stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour
l’Homme » affirme un tuteur (E11).
Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la
démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi
beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.
Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de
renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.
Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.
Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire
au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il
doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.
Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux
tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la
technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).
Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver
intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».
Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les
compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.
57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».
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81 Le mémoire professionnel en formation continue
Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :
des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,
d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement
aussi » (E9).
C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et
puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais
que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est
extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est
un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler
sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de
rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).
Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser
un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation
d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer
aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le
mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans
le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les
éclaire »(E10).
Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est
bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le
style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure
un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas
toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).
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82 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale
Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire
professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.
Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend
au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des
charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la
problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir
à un stagiaire» (E9).
Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs
souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu
l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui
n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.
Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire
professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon
un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »
(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous
les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très
tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis
que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce
même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?
Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).
En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de
mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe
de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de
savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun
est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques
différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne
sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement
décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le
mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
83 Le mémoire professionnel en formation continue
ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait
une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).
En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des
compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend
40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement
dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces
différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,
lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils
savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).
Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept
journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le
choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement
où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec
en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin
les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).
La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est
l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa
place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il
est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des
retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?
C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à
celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas
là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).
Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui
du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.
Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du
stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.
Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du
Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans
ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury
permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.
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84 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Préconisations
Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :
- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La
situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.
- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,
la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,
etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.
- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans
le dispositif de formation.
A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les
tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.
Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide
incontestable au développement des compétences du tuteur.
Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à
avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail
de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).
D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a
des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient
enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui
arrivent au CESI » (E11).
Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur
mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert
projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce
domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect
communication » (E9).
D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière
de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant
qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au
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85 Le mémoire professionnel en formation continue
même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour
d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la
façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).
Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les
groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les
thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre
stagiaires et le partage des lectures.
Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses
pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes
impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de
compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager
avec les autres » (E3).
Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à
laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire
professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire
professionnel.
Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la
dimension évaluative.
En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment
d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la
formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette
dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.
Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et
pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le
stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie
d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.
En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une
autoformation que permet le mémoire professionnel ?
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86 Le mémoire professionnel en formation continue
Retour d’expérience
Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année
d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ
pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement
le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires
interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective
dans notre recherche.
De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs
années nous aurait probablement donné un autre regard.
Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le
dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.
De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi
nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.
Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées
par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont
rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,
problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes
de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une
activité professionnelle.
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87 Le mémoire professionnel en formation continue
Conclusion
Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,
enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de
professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de
construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité
professionnelle, voire du label d’expert58.
Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI
à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à
l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre
l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.
L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter
la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le
recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la
mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les
professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à
entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des
compétences.
Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant
écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques
professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.
Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien
les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est
un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son
utilisation.
Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,
notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils
conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout
personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
88 Le mémoire professionnel en formation continue
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89 Le mémoire professionnel en formation continue
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Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
1 Le mémoire professionnel en formation continue
Sommaire
Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4
Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14
Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19
Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23
Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29
Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33
Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37
Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44
Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84
Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
2 Le mémoire professionnel en formation continue
Introduction
Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau
technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution
accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de
vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent
être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à
former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des
compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les
contraint à exercer plusieurs métiers.
Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les
compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder
des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion
comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un
contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».
De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans
les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses
dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.
Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser
cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au
CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?
L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la
présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment
l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs
de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de
prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.
Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle
pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de
compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question
centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :
1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
3 Le mémoire professionnel en formation continue
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences
professionnelles ?
Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.
Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous
référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle
en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.
Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et
d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs
de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la
réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le
développement des compétences dans ces formations qualifiantes.
Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous
formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
4 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie I : Présentation du chantier et questions de départ
Chapitre 1 –Le CESI
Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.
Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une
réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le
secteur industriel à la fin des années 50.
Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes
des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait
essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de
suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur
capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,
reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début
des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.
Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de
l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses
instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de
France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,
SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,
CFTC).
Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a
développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :
� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)
� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998
� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
5 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.
Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et
agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :
1 L’offre interentreprises :
Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules
peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les
titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.
Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,
membre de la Conférence des Grandes Ecoles.
2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et
3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le
cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.
Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences
Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans
l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens
d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels
(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «
limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de
l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «
examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une
place importante.
L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,
et en 1990 pour la formation en apprentissage.
Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes
pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies
actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »
2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
6 Le mémoire professionnel en formation continue
spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée
croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions
s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «
technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la
transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.
Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il
conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.
L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,
organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur
suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour
l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier
ses propositions.
L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «
épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert
progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de
l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but
spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)
(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de
l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»
offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve
donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant
un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres
élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.
Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en
œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-
Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une
augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le
moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,
4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
7 Le mémoire professionnel en formation continue
lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.
Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types
au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir
y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas
toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le
sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de
conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces
moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de
positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,
pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,
« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour
soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je
ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains
ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les
dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.
Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi
La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement
utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.
Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les
individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et
professionnelles.
Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant
tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:
- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de
femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des
catégories disponibles dans cette communauté ;
- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous
voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les
8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
8 Le mémoire professionnel en formation continue
diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou
simplement projetée (processus d’identification).
Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené
une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse
faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation
d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du
technicien à l’ingénieur ».
Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une
« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle
d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et
contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour
autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».
On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des
formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces
formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et
contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations
d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du
« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».
L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,
construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions
nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré
par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de
piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,
c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la
progression des participants.
La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de
connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de
l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations
d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de
compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.
11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
9 Le mémoire professionnel en formation continue
Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour
progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires
professionnels, jurys.
Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade
donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et
pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du
débutant au professionnel de la fonction visée.
Chapitre 2 – L’enquête au Cesi
Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au
Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations
longues dans leurs parcours qualifiants.
Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II
Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2
avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.
Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce
qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant
entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).
Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par
les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,
l’une éclairant l’autre.
Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du
sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et
d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à
produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
10 Le mémoire professionnel en formation continue
Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à
élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences
les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.
A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,
constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au
RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».
En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :
- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.
- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel
métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.
- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant
un jury de professionnels.
- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II
La construction Cesi de parcours professionnels
QualificationMétier
Certification professionnelle CESI
Certificat de compétence Cesi
Attestation de Participation Cesi
Jury national de délivrance du titre composé de professionnels
Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier
Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4
ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III
Module1.1
Module1.2
Module1.3
Module2.1
Module2.2
Module3.1
Module 4.1
Module 4.2
Parcours de formation
Parcours qualifiant
Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi
Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en
évaluant les effets.
Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la
guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.
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11 Le mémoire professionnel en formation continue
Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours
apprécier et évaluer.
Cette évaluation se fera en deux temps :
Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires
à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs
expériences vécues.
Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce
jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du
mémoire et de la prestation orale.
Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant
sur les dimensions suivantes :
• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?
• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?
• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?
• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon
questionnement ?
• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en
œuvre pour cela ?
En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de
l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).
Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du
champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.
Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil
stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).
En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du
référentiel national.
12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »
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12 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.
C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme
caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.
Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme
exposée ci-après :
Première partie :
Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées
Définir les objectifs visés
Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,
Prioriser les enjeux
Deuxième partie :
Piloter un projet
Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire
Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise
Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,
acuité du risque, recherche des causes premières)
Troisième partie :
Préconiser des axes d’améliorations
Prioriser les solutions dans le temps
Mesurer la qualité des réponses apportées
Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à
donner)
Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa
capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de
50/60 pages.
Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire
professionnel.
Le cahier des charges stipule que :
« Ce projet doit vous permettre de démontrer :
- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités
correspondantes,
- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,
économique, technique et organisationnelle),
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13 Le mémoire professionnel en formation continue
- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une
proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,
- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre
compte,
- votre capacité à prendre le recul nécessaire
- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».
Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de
professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30
minutes :
- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des
résultats obtenus,
- Débat Questions / réponses avec le jury.
Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de
l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».
Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et
d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs
et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de
la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les
compétences.
Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-
même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de
responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de
formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et
transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle
opère elle-même sur le réel ».
L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre
mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.
Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des
connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences
nouvelles conduisant à de meilleures performances.
13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998
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14 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Le processus d’écriture
« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son
action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant
», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à
l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.
Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui
les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas
sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.
Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :
Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,
promouvoir l’action .
Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.
- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes
que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme
de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.
- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à
l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est
écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans
l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).
- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens
et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.
Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne
pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de
formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.
On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des
textes produits par des praticiens16.
14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).
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15 Le mémoire professionnel en formation continue
On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans
le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des
pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.
Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et
écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la
pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.
En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois
« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :
• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de
validation (référentialité close intégrante) ;
• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de
reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;
• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de
motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.
Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres
postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.
Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de
formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en
même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation
professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a
pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de
l’autonomisation.
Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La
signature du texte produit consigne cette prise de risque.
C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures
étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les
17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.
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16 Le mémoire professionnel en formation continue
idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est
accepté.
Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des
difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui
nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de
formation et à la représentation que s’en font les praticiens.
Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une
liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,
apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une
pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que
suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.
S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à
savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si
cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de
cette compétence, mais à deux conditions :
- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)
de se construire et de se développer ;
- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité
mouvante de l’organisation.
En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des
questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des
individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à
lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en
toujours possibles divergences ?
Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la
matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à
l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord
aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après
les aider à « passer » à l’écriture.
21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994
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17 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait
assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test
intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui
tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.
Chapitre 3 – Les questions de départ
La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de
développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une
multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur
leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de
plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.
Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents
selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté
du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.
Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer
lorsqu’on est en position d’extériorité.
Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par
l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de
champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre
à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?
Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la
professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel
engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel
instrument ?
Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout
lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que
présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?
23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003
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18 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand
elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.
Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :
- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?
- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?
- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de
formation professionnelle ?
- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de
compétences ?
- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?
Et enfin,
- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer
entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.
- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?
L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de
dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?
Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en
connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?
24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994
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19 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle
Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de
déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des
participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs
dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en
nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.
Chapitre 1 – La compétence
Bref histoire d’une notion :
Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires
sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le
rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme
uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.
Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues
de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences
individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de
compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence
sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur
le métier.
L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont
l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à
répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au
moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte
favorisant l’apparition de la notion de compétence.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu
fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient
immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
20 Le mémoire professionnel en formation continue
l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du
terrain).
Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.
Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant
les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de
travail.
La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement
imposée.
Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la
personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport
salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.
Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des
autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.
L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la
"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de
travail.
Titre 1 – La compétence selon Le Boterf
Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences
mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les
entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en
référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .
Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout
en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour
en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux
contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.
Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,
elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que
25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008
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21 Le mémoire professionnel en formation continue
l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-
transférer des ressources dans un contexte professionnel.
"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de
connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment
opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à
la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que
de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).
Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser
dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à
apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :
« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un
ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),
pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités
d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à
certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».
« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des
représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un
exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).
Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».
Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »
pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs
techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements
relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes
par rapport aux exigences des situations de travail.
Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme
compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,
d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et
des performances à réaliser.
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22 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de
« pratiques professionnelles ».
� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un
organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?
Comment les transférer ?
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un
objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.
� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour
autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un
outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?
Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister
entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.
Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de
plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être
compétent tout seul.
Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de
données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres
métiers ou services.
La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à
coopérer avec d’autres.
Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent
il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui
prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du
travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la
motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui
peut faciliter l’expression des compétences.
26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006
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23 Le mémoire professionnel en formation continue
Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation
et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :
Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours
individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en
situation de travail prendront une place croissante.
� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances
professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que
l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?
La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus
collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux
dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les
espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation
(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations
visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.
Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian
Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources
humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,
selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le
processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit
fini.
Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression
directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.
Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le
salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription
taylorienne fermée ne couvre plus.
Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage
souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
24 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de
qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.
Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :
• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations
professionnelles auxquels il est confronté. »
Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un
individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter
une réponse face à un évènement.
Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,
l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur
les conséquences de cet évènement.
De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la
situation de l'individu qui l’affronte.
• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des
situations augmente. »
Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche
compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir
intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme
compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont
dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront
apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera
plus réactif en termes d’apprentissage.
• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »
27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999
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25 Le mémoire professionnel en formation continue
Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même
évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un
évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul
individu) afin de mieux répondre à cet évènement.
A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail
transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être
partagés.
Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions
communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et
coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit
collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.
En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à
l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et
répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de
la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être
mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours
compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.
� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,
la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?
- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance
Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la
compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur
capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des
situations problématiques.
Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la
construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce
savoir de référence.
Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des
connaissances et apprentissage de la compétence.
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26 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons retenir les enseignements suivants:
• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par
l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de
compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable
situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.
• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance
introduite vis-à-vis des pratiques existantes.
• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs
professionnels de référence.
� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de
démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique
professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs
professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?
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27 Le mémoire professionnel en formation continue
Chapitre 2 – L’identité professionnelle
L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.
Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar
Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un
long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme
un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et
formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.
L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres
orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.
Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation
secondaire et de double transaction identitaire
Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui
ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de
toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu
construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur
relationnel, affectif et symbolique.
L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense
qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-
même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres
circonstances.
Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation
primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu
pour se faire connaître.
28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
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28 Le mémoire professionnel en formation continue
Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de
considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux
transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre
les individus et les institutions.
La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à
l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire
reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe
entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.
La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la
construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.
Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce
que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers
composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le
contexte.
L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.
Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se
recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».
L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de
construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du
travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre
des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.
De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de
légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.
Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des
éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.
Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit
apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances
possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu
à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
29 Le mémoire professionnel en formation continue
dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois
inséparables et liées de façon problématique».
L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par
les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne
l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.
Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus
identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel
l’individu est immergé.
Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un
résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et
structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et
définissent les institutions » (DUBAR., 2000).
Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des
rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des
manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ
du travail et de l’emploi.
Titre 2 – Le processus identitaire professionnel
Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents
groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est
fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel
d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la
reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du
pouvoir ».
Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il
reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend
étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et
son groupe d’appartenance.
29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
30 Le mémoire professionnel en formation continue
Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité
professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des
espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et
valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi
qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».
Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de
la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,
noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de
désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des
catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette
transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les
représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.
Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords
entre ces deux identités.
Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son
identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,
son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de
carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat
de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des
ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles
suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri
C., 1990)31.
Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »
tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est
considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie
relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou
l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en
respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,
par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont
de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la
situation dans laquelle il se trouve.
31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
31 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous
pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et
des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce
collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour
envisager une intégration par ses pairs.
La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité
professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de
normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation
de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de
s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud
SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de
travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être
pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme
appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,
c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et
l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.
Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de
vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités
particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).
Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte
qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :
La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses
croyances.
� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une
profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en
œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage
confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?
Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les
hypothèses.
32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
32 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie III : Problématique et hypothèses
Chapitre 1 – La problématique
Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet
dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.
Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise
en place d’un projet dans son entreprise.
Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la
pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?
L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus
directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans
l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».
A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la
part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?
L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont
il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un
climat de partage d’expériences.
La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des
stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est
le cas.
Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du
mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et
développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?
En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier
les compétences qu’il permet de développer.
33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979
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33 Le mémoire professionnel en formation continue
Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une
réflexion déterminant:
En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des
compétences des stagiaires ?
Chapitre 2 – Les hypothèses
Titre 1 – L’hypothèse 1
L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs
professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie
dans son travail ?
La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle
contribuant de développer son regard critique ?
La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son
engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?
Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :
L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus
autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.
Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion
d’autonomie :
Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de
décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.
Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre
des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens
d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est
souvent associée à l'autonomie collective.
34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
34 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités
et des pouvoirs.
L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux
conditions:
- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de
demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.
- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera
au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de
relations nécessaires.
Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise
d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et
problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.
Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,
sont essentiels.
Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une
situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service
face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec
compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.
Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par
rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de
l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à
une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle
consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des
initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle
vise à prendre les initiatives pertinentes.
Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un
problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un
dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,
d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus
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35 Le mémoire professionnel en formation continue
de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle
doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.
Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les
notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié
se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui
implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.
Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en
l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer
une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…
A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre
de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il
provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :
"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la
réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est
compétente ou non, et jusqu'à quel point.
Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la
communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle
que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans
un référentiel.
C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel
groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois
des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les
situations avec succès.
Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :
Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les
plus citées spontanément :
- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?
- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?
- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?
Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences
développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :
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36 Le mémoire professionnel en formation continue
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?
- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?
- de développer un esprit plus critique ?
- de développer vos capacités de synthèse ?
- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?
- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?
- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?
- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?
Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges
des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées
lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le
mémoire.
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?
- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?
- Vos capacités à planifier un projet ?
- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?
- Vos capacités à mesurer des enjeux ?
- Vos capacités à identifier des finalités ?
- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?
- Vos capacités d’analyse ?
- Vos capacités à rechercher des solutions?
- Vos capacités à être force de proposition ?
- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?
- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?
- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?
- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?
- Vos capacités à prendre des initiatives?
- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser
un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?
- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?
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37 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – L’hypothèse 2
Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire
professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.
Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation
professionnelle, théorique et pratique.
L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de
transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi
professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).
Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond
d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.
Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession
qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à
son tour un professionnel confirmé.
Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment
la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de
postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire
professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une
restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?
Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur
cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.
Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :
Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une
nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de
ses compétences.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
38 Le mémoire professionnel en formation continue
Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans
différentes séries de questions :
1ère série de questions :
- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?
- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?
- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?
- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.
2ème série de questions :
- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?
- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par
l’employeur du stagiaire.
3ème série de questions :
- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de
niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?
- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre
entreprise ?
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
4ème série de questions :
- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des
responsabilités?
- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?
- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?
- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement
vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les
autres)
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
39 Le mémoire professionnel en formation continue
- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et
aujourd’hui ?
Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)
Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)
� � � � � � � �
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après
avoir suivi sa formation.
Dernière questions :
- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?
Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.
Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en
dépassant le sens commun de la question de départ.
Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.
Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.
Professionnel de la fonction
à…. l’Expert ou Responsable de
la fonction
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
40 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie IV - Méthodologie de la recherche
Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche
A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre
problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement
utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus
approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.
Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire
et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en
fonction de la problématique posée.
L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle
demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les
professionnels dans la pratique.
Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit
traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses
sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous
renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.
L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les
entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et
d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant
lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le
chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à
son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.
L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un
grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide
aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.
Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les
35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
41 Le mémoire professionnel en formation continue
objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles
l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que
possible »39.
Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à
questionnaire pour recueillir les données quantitatives.
Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de
différents critères :
- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?
- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport
d'harmonie ou d'organisation logique ?
- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux
objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?
Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,
les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.
39 ibidem
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42 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs
Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.
Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.
Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à
l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations
qualifiantes.
1- Les stagiaires
Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette
recherche.
- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009
- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.
- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;
Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du
mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après
l’avoir terminé pour le second groupe.
L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires
interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre
important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.
La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus
avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et
sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.
Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité
professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.
40 VAP : Validation des Acquis Professionnels
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
43 Le mémoire professionnel en formation continue
A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux
réponses étaient possibles.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une
qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison
quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.
Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs
compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de
s’engager dans une formation.
Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une
nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).
Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus
socialement dans leur fonction.
Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut
s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il
permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois
promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.
La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle
des deux groupes dans leur totalité.
85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.
E 1 = Entretien 1
Qui Age Groupe Diplôme
avant le CESIPoste de travail Evolution
prévue Sujet de mémoire
E1 50 ans 2 BacAssitante RH
nonAccompagner le changement après un PSE (Plan
Social Economique)
E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité
internationalenon
Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile
vers le secteur du nucléaire
E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des
Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise
E4 41 ans 1 BacResponsable
administratifnon L'audit de conformité
E5 40 ans 1 Bac +2Responsable
administratifoui: RRH* L'épargne salariale
E6 33 ans 2 BacAssitante RH
non L'absentéisme
E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion
du personnelnon La mise en place d'un projet sénior
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44 Le mémoire professionnel en formation continue
2- Les tuteurs
Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.
Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux
tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.
L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.
Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :
Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que
tuteur
E8FFR RH*
Mastère spécialisé RH
Niveau 2
Niveau 11 an
E9Arcadre "Passage Cadre"
Passage agent de maîtrise RATP
Niveau 2
Niveau 32 ans
E11Ingénieur
Arcadre "Passage Cadre"
Niveau 1
Niveau 25 ans
FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8
RIF : Responsable en Ingénierie de Formation
Titre 3 – Modalité des entretiens
Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux
qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.
Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI
L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.
L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens
est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4
pour les entretiens tuteurs).
Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la
confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :
- L’identité des personnes a été préservée ;
- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;
- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues
anonymes ;
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
45 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons
cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été
consacrées à expliquer l’objet de l’étude.
Cet entretien comporte 3 thèmes :
- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture
- Les effets en termes de compétences
- Les effets en termes d’identité
En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.
Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en
annexe 2 pour le guide des tuteurs).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
46 Le mémoire professionnel en formation continue
Partie V : Analyse des données et résultats
Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le
guide d’entretien :
Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première
partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un
mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser
un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.
Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du
questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le
mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?
Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?
Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?
Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du
mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus
critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :
d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,
d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :
- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et
- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf
page 36 les questions posées).
Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire
permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture
professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses
compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:
- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,
- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,
- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,
- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa
formation,
-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions
retenues).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
47 Le mémoire professionnel en formation continue
Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.
Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture
Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de
stage ?
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de
l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une
activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des
stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à
mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).
Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie
du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).
Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport
de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà
en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit
être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.
Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est
déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une
problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail
individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un
problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les
choses » (E11).
Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une
entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le
candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il
est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de
trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).
Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique
quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de
prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
48 Le mémoire professionnel en formation continue
présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de
la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de
faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire
quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.
Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en
première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait
valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il
ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors
qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans
un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).
Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,
formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et
d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).
Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la
formalisation d’un projet concret » (E9).
C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le
domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,
exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.
Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé
en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le
mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde
note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.
« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres
personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non
seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une
grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).
La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce
travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa
démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
49 Le mémoire professionnel en formation continue
Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par
rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le
niveau d’engagement dans le projet mené.
Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.
Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de
professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut
être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous
n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre
hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens
vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).
La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est
chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout
stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.
Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit
précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon
d’agir sur les projets.
Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.
Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des
perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres
projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.
Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus
diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?
Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de
rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation
alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de
stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la
preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur
41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
50 Le mémoire professionnel en formation continue
interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de
méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est
aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de
démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).
Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"
essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du
postulant à la qualification.
Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une
condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).
« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de
faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous
pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par
exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons
chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »
(E10).
Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,
suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses
et 15 minutes de délibération.
Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une
obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un
travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice
au long de leur propre scolarité.
Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou
plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire
permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire
témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique
qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans
mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et
de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
51 Le mémoire professionnel en formation continue
Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire
Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux
théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à
développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.
Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture
d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un
travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la
raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette
information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une
capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une
manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut
d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse
critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est
très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec
les intervenants professionnels » (E2).
Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera
unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion
privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la
lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »
affirme une stagiaire… (E1).
Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur
donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à
présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,
ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).
Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où
trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites
Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…
Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité
(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur
fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le
meilleur mais aussi le pire.
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52 Le mémoire professionnel en formation continue
Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans
l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas
nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer
au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés
comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures
professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation
“tout au long de la vie”.
Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les
concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le
mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent
réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage
les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le
projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le
stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et
moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).
Thème 4 : Les effets de l’écriture
Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens
large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système
d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien
d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du
mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui
transpire. » (E11).
L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes
interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans
mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).
Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).
L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais
réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre
témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.
Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était
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53 Le mémoire professionnel en formation continue
le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait
des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas
complètement séduite » (E4).
Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée
en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet
une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que
théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis
parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà
plus simple pour moi » (E6).
Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est
« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est
difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.
Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :
La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille
blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).
« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte
était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était
insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).
La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du
temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a
permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).
Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »
(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant
toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je
me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon
projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à
synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma
réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas
écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu
que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
54 Le mémoire professionnel en formation continue
d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas
au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).
Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :
Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et
cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger
le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées
et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en
entreprise.
Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :
- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est
réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).
- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené
son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à
4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).
- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y
a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet
dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).
- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».
L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et
rendre le mémoire dans les délais.
Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le
résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le
mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.
Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons
poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en
termes de compétences.
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55 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences
Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.
Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments
utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus
en annexe 5.
1 – Concernant l’écriture du mémoire
A - Les résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de
fois cité
Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2
Connaître une méthodologie de conduite de projet 1
Synthétiser les idées 1
Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3
Améliorer un écrit professionnel 1
Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2
Réussir à analyser une problématique 1
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre % Nbre
d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0
de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%
de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1
de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%
de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%
l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%
d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%
ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%
Oui Non Partiellement
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56 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Le point de vue des stagiaires :
La prise de recul sur son activité, un regard distancié :
Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la
réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%
d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous
l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,
ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).
Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des
questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une
compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de
fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je
n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »
(E4).
Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de
travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des
compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend
alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors
véritablement un rôle dans le développement des compétences.
Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du
contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par
les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière
quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des
éléments contextuels ».
Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à
un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux
analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite
plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).
42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998
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57 Le mémoire professionnel en formation continue
C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions
éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue
compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des
raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en
place »(E3).
Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les
changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que
j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).
Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.
L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,
lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise
à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à
comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour
comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.
Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle
décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la
description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le
comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue
une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd
son sens.
Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au
dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion
permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.
Le développement de la professionnalité :
85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.
« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion
et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en
savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996
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58 Le mémoire professionnel en formation continue
domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a
aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur
pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).
Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche
méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on
demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »
(E11).
Le développement d’un esprit plus critique :
La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans
les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,
entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une
stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de
travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »
(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle
s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que
celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un
regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).
Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit
trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses
observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à
travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le
mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).
Le développement de l’esprit de synthèse :
A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des
stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.
Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les
retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant
ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi
j’avais choisi ce sujet » (E6).
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59 Le mémoire professionnel en formation continue
Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent
envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).
Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non
pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un
certain développement et beaucoup de recherches » (E7).
C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un
travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses
idées
La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :
Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail
d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.
Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre
mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et
le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on
n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce
travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a
appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on
s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).
Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait
directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout
analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes
questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse
incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter
maintenant » (E7).
Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :
Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre
de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).
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60 Le mémoire professionnel en formation continue
Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que
l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.
Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits
qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le
vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte
de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très
voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à
un cadre » (E9) précise un tuteur.
Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens
(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute
la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).
Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.
La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle
situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation
(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec
enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le
contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la
manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche
l’est » (E11).
De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige
des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive
de la professionnalité.
La valeur d’auto-formation de l’écriture :
57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les
recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture
permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.
Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des
lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »
(E2).
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61 Le mémoire professionnel en formation continue
42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas
du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc
pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une
stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le
mémoire n’a rien ajouté » (E5).
Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires
annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des
compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été
grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.
Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend
les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page
blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,
qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les
limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation
de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à
travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs
qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet
de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu
faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la
formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une
manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).
Une vision plus globale sur son activité :
Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision
plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.
Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%
d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà
pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le
contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10
personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou
bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).
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62 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure
connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs
sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition
hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.
Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social
en général » (E3).
Le développement de l’autonomie :
57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur
autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière
très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé
dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.
A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un
stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de
ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis
très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce
mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus
mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).
Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond
favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des
tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir
été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son
mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,
ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute
autonomie (E6).
Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis
retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me
débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit
à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le
choix » (E2).
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63 Le mémoire professionnel en formation continue
L’apprentissage d’une méthodologie de projet :
Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est
bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique
professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca
m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).
Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences
acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.
Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations
observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et
leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du
propos, et celle de ses pratiques.
Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette
formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le
cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs
envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du
mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,
prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet
complexe dans son entreprise.
Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la
démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation
d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie
trouvée sur le sujet.
« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très
particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a
mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car
après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il
a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se
montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.
C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
64 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne
un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une
certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui
était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter
de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).
Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de
professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas
d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire
dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur
cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)
affirme un second.
Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et
de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un
jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir
présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.
Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise
n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires
disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces
compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour
l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup
de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car
je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de
rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une
réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision
finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on
n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.
Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas
complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce
n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.
C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils
mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
65 Le mémoire professionnel en formation continue
L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans
leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action
longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne
suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.
Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de
l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette
transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture
sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité
professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition
et de mise en œuvre des compétences nouvelles.
Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un
rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner
autrement et se voir autrement.
Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la
réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points
forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation
orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».
L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence
professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses
croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le
premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique
inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la
mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui
permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond
BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».
Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des
expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de
l’autre mais également en respectant l’autre.
45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
66 Le mémoire professionnel en formation continue
2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire
Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des
charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées
par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.
Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un
projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.
Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du
mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans
l’entreprise.
Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans
trop les développer.
A – Les résultats :
En gris : indicateurs non validés
Non requis
Nbre % Nbre % Nbre %
Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%
Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%
Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%
Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%
Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%
Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%
Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%
Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%
L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%
Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%
Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%
Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1
Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%
Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1
Partiel .
Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:
Oui Non
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67 Le mémoire professionnel en formation continue
B – L’analyse :
Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une
méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :
- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à
prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de
proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une
démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de
réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas
forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les
solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en
application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)
annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de
proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.
- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de
mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande
rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans
tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a
compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une
stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien
structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les
éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine
logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de
développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).
- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un
ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus
expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin
d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en
œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise
« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un
nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).
Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur
a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
68 Le mémoire professionnel en formation continue
qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer
leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).
Les indicateurs non validés :
Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs
missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,
négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.
En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur
employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration
(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure
dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a
déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui
a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).
Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.
Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer
que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard
distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à
leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise
en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils
ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet
choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par
son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur
laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.
A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre
première hypothèse est donc confirmée.
Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :
quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
69 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité
A - Résultats :
Questions fermées :
Questions ouvertes :
Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de
fois cité%
Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,
difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%
La réalisation du projet 3 43%
L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%
Avoir réaliser un mémoire 3 43%
Total: sur 7
Nbre % Nbre % Nbre %
Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%
Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2
Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%
Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%
Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire
Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%
Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%
Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.
Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%
Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%
La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%
Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.
Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%
Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%
Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%
Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%
Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation
Questions : Oui Non Partiel .
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70 Le mémoire professionnel en formation continue
B - L’analyse :
Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le
thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire
(85%).
Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre
part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.
57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur
projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire
n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et
j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).
C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur
entreprise dans l’élaboration du mémoire.
Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire
aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude
choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de
solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.
La reconnaissance de la formation par l’employeur :
Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue
par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:
L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.
La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement
dans ce projet de formation (E1).
Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les
relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est
reconnue par son employeur (E2).
Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses
ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de
mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification
de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
71 Le mémoire professionnel en formation continue
que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le
diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.
Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais
en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela
implique des absences » (E7).
Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager
dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une
« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.
L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par
mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de
sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le
risque de perdre ce collaborateur est probable.
Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces
stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en
formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes
épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les
entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.
Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi
la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs
salariés.
71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention
de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :
Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile
(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son
engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer
« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une
troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne
(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la
politique actuelle du groupe (E7).
Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé
de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).
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72 Le mémoire professionnel en formation continue
Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son
projet »(E6).
Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la
question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue
(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion
sociale ».
La reconnaissance du projet par l’employeur :
Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur
entreprise est reconnu par leur employeur :
L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet
stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le
mémoire était stratégique pour leur entreprise.
Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été
mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire
constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.
Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de
prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.
La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.
L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place
aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son
histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet
traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître
mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.
L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être
reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés
estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a
permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
73 Le mémoire professionnel en formation continue
j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée
jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).
Le sentiment de changement de posture professionnelle
71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai
pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).
A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,
qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.
71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de
formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de
prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre
posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et
pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me
positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon
poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en
prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une
nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une
dernière.
71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une
impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus
d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les
autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également
d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences
professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle
de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable
lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois
pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait
jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent
que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les
problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus
participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que
j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.
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74 Le mémoire professionnel en formation continue
Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de
s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction
identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%
des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur
projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux
de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre
de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.
Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un
métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme
un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner
les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».
Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette
activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité
professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se
constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de
discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de
démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt
de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).
Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer
« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la
forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le
projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est
pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).
Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres
stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de
professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».
Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est
principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et
la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent
50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
75 Le mémoire professionnel en formation continue
citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec
le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »
écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel
important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.
Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son
travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences
professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un
mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au
démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont
les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.
Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le
stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son
entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont
jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une
réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux
critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.
Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et
reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.
En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert
d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des
représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire
(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le
projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes
de l’entreprise ».
Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les
stagiaires, et donc des effets de « formation ».
Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne
l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de
l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de
distance par rapport aux pratiques professionnelles.
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
76 Le mémoire professionnel en formation continue
La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la
reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.
Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en
s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur
engagement.
Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de
professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances
sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de
qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre
son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».
L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs
pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques
professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses
pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.
Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de
construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus
d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme
interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet
au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les
projets qu’il met en place.
Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de
construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au
stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit
d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,
de clarté dans l’exposé de la démarche construite.
Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives
en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.
52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991
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77 Le mémoire professionnel en formation continue
Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer
que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que
l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se
former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un
expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont
transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien
souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le
projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,
de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté
personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les
stagiaires.
Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité
professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.
Titre 4 – Synthèse globale
Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de
distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de
personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.
Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des
rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.
Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également
une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.
Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences
réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance
pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par
rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses
compétences.
Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à
laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour
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78 Le mémoire professionnel en formation continue
l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour
professionnaliser sa pratique.
L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en
effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des
stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour
autrui (DUBAR)56.
Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction
des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires
n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de
légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une
démarche évaluative des compétences acquises.
Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et
son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,
étonné, conforté…
Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les
préconisations
Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un
développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de
donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des
ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur
mémoire.
Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs
Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de
professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.
C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se
précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore
56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998
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79 Le mémoire professionnel en formation continue
progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les
ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.
Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui
permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de
se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est
totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).
Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne
sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.
Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on
part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).
Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre
confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et
c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire
seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien
moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).
Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où
on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur
des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne
faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très
intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »
(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de
déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)
Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion
sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un
positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.
La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son
tuteur de mémoire.
Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept
journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre
souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.
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80 Le mémoire professionnel en formation continue
Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des
charges57.
Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche
du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite
de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il
favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,
l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.
Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le
stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des
stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour
l’Homme » affirme un tuteur (E11).
Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la
démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi
beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.
Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de
renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.
Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.
Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire
au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il
doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.
Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux
tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la
technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).
Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver
intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».
Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les
compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.
57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».
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81 Le mémoire professionnel en formation continue
Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :
des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,
d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement
aussi » (E9).
C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et
puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais
que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est
extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est
un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler
sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de
rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).
Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser
un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation
d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer
aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le
mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans
le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les
éclaire »(E10).
Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est
bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le
style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure
un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas
toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).
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82 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale
Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire
professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.
Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend
au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des
charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la
problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir
à un stagiaire» (E9).
Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs
souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu
l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui
n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.
Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire
professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon
un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »
(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous
les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très
tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis
que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce
même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?
Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).
En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de
mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe
de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de
savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun
est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques
différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne
sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement
décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le
mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire
Université de Rouen – Master 2 Métiers de la formation 2009 - 2010 Sophie Dussouet
83 Le mémoire professionnel en formation continue
ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait
une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).
En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des
compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend
40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement
dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces
différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,
lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils
savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).
Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept
journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le
choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement
où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec
en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin
les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).
La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est
l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa
place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il
est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des
retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?
C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à
celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas
là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).
Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui
du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.
Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du
stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.
Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du
Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans
ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury
permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.
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84 Le mémoire professionnel en formation continue
Titre 3 – Préconisations
Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :
- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La
situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.
- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,
la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,
etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.
- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans
le dispositif de formation.
A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les
tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.
Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide
incontestable au développement des compétences du tuteur.
Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à
avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail
de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).
D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a
des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient
enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui
arrivent au CESI » (E11).
Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur
mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert
projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce
domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect
communication » (E9).
D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière
de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant
qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au
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85 Le mémoire professionnel en formation continue
même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour
d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la
façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).
Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les
groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les
thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre
stagiaires et le partage des lectures.
Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses
pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes
impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de
compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager
avec les autres » (E3).
Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à
laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire
professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire
professionnel.
Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la
dimension évaluative.
En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment
d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la
formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette
dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.
Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et
pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le
stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie
d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.
En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une
autoformation que permet le mémoire professionnel ?
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86 Le mémoire professionnel en formation continue
Retour d’expérience
Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année
d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ
pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement
le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires
interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective
dans notre recherche.
De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs
années nous aurait probablement donné un autre regard.
Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le
dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.
De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi
nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.
Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées
par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont
rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,
problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes
de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une
activité professionnelle.
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87 Le mémoire professionnel en formation continue
Conclusion
Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,
enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de
professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de
construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité
professionnelle, voire du label d’expert58.
Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI
à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à
l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre
l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.
L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter
la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le
recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la
mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les
professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à
entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des
compétences.
Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant
écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques
professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.
Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien
les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est
un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son
utilisation.
Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,
notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils
conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout
personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78
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