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1 Le comportement des investisseurs institutionnels relève t il de la finance comportementale ? 1 1- Introduction Avec la crise financière de 2007, les excès de la finance ont été unanimement dénoncés, notamment à travers les comportements de certains investisseurs institutionnels (affaire Kerviel, affaire de la baleine de Londres etc.). Ces scandales financiers ont participé à une stigmatisation de la profession, sans pour autant mettre en évidence si ces comportements sont caractéristiques d’acteurs isolés ou sont répandus au sein des investisseurs institutionnels. D’un point de vue de la théorie économique, la finance comportementale remet en question le postulat de base de la finance moderne à savoir que les investisseurs agissent de manière purement rationnelle parce qu’ils sont soumis à des biais cognitifs. De nombreuses études empiriques ont été effectuées au cours des dix dernières années afin d’identifier ces biais et leurs déterminants. Ces travaux ont principalement été réalisés en Allemagne. Les travaux de Menkhoff, Schmeling et Schmidt (2010) ont comparé deux groupes d’investisseurs professionnels (investisseurs institutionnels et conseillers financiers) à des investisseurs individuels afin de déterminer si certains professionnels sont moins soumis aux biais comportementaux que d’autres. Ces travaux montrent que les investisseurs les plus rationnels, c’est à dire ceux qui présentent le moins de biais de comportement, sont les investisseurs institutionnels. En revanche, les investisseurs institutionnels restent sujets à des biais dont, notamment, les biais maison et les effets de disposition. Ces travaux montrent également que l’expérience des investisseurs joue un rôle non négligeable dans l’émergence des biais de comportement. En effet, plus ceux-ci sont expérimentés, moins ils développent de biais. La question de la corrélation entre les biais de comportement a également été étudiée. Par exemple, Lütje et Menkhoff (2007) montrent que les « equity managers » qui développent un biais maison sont aussi sujets à un fort effet de disposition, ainsi qu’à un excès de confiance. Dans le prolongement de ces résultats, d’autres travaux ont également exploré dans quelle mesure la connaissance de la finance comportementale et des différents biais comportements est susceptible de réduire la présence de biais. Menkhoff et Nikiforow (2009) montrent que des connaissances en finance comportementale ont un impact significatif sur la perception du marché parce qu’elles permettent aux investisseurs de déceler les biais tels que le comportement moutonnier ou le biais maison. En revanche, leurs travaux montrent qu’une meilleure connaissance des enjeux de la finance comportementale n’influence que très marginalement le comportement des investisseurs. Enfin, Menkhoff et Schmidt (2005) dressent une typologie de traders en fonction de leurs stratégies d’investissement. Les traders Buy-and-Hold semblent accorder beaucoup d’importance aux informations fondamentales, ont une importante aversion au risque 1 Les auteurs remercient InstitInvest qui a financé l’étude et mis à disposition un fichier d’investisseurs institutionnels. A la demande de ceux-ci, la liste des répondants ne peut être divulguée. Les auteurs tiennent à remercier également les investisseurs institutionnels qui ont eu la gentillesse de répondre au questionnaire. Ils se reconnaîtront. L’institut Louis Bachelier a assuré la logistique de l’étude. 2 Université Paris-Dauphine 3 Université Paris-Dauphine 4 Caisse des dépôts Florence Legros 2 , Hugo Bourrousse 3 , Laurent Soulat 4

Le comportement des investisseurs institutionnels relève-t-il de la finance comportementale ? Par Florence Legros, Hugo Bourrousse et Laurent Soulat

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Le comportement des investisseurs institutionnels relève t il de la finance comportementale ?1

1- Introduction Avec la crise financière de 2007, les excès de la finance ont été unanimement dénoncés, notamment à travers les comportements de certains investisseurs institutionnels (affaire Kerviel, affaire de la baleine de Londres etc.). Ces scandales financiers ont participé à une stigmatisation de la profession, sans pour autant mettre en évidence si ces comportements sont caractéristiques d’acteurs isolés ou sont répandus au sein des investisseurs institutionnels. D’un point de vue de la théorie économique, la finance comportementale remet en question le postulat de base de la finance moderne à savoir que les investisseurs agissent de manière purement rationnelle parce qu’ils sont soumis à des biais cognitifs. De nombreuses études empiriques ont été effectuées au cours des dix dernières années afin d’identifier ces biais et leurs déterminants. Ces travaux ont principalement été réalisés en Allemagne. Les travaux de Menkhoff, Schmeling et Schmidt (2010) ont comparé deux groupes d’investisseurs professionnels (investisseurs institutionnels et conseillers financiers) à des investisseurs individuels afin de déterminer si certains professionnels sont moins soumis aux biais comportementaux que d’autres. Ces travaux montrent que les investisseurs les plus rationnels, c’est à dire ceux qui présentent le moins de biais de comportement, sont les investisseurs institutionnels. En revanche, les investisseurs institutionnels restent sujets à des biais dont, notamment, les biais maison et les effets de disposition. Ces travaux montrent également que l’expérience des investisseurs joue un rôle non négligeable dans l’émergence des biais de comportement. En effet, plus ceux-ci sont expérimentés, moins ils développent de biais. La question de la corrélation entre les biais de comportement a également été étudiée. Par exemple, Lütje et Menkhoff (2007) montrent que les « equity managers » qui développent un biais maison sont aussi sujets à un fort effet de disposition, ainsi qu’à un excès de confiance. Dans le prolongement de ces résultats, d’autres travaux ont également exploré dans quelle mesure la connaissance de la finance comportementale et des différents biais comportements est susceptible de réduire la présence de biais. Menkhoff et Nikiforow (2009) montrent que des connaissances en finance comportementale ont un impact significatif sur la perception du marché parce qu’elles permettent aux investisseurs de déceler les biais tels que le comportement moutonnier ou le biais maison. En revanche, leurs travaux montrent qu’une meilleure connaissance des enjeux de la finance comportementale n’influence que très marginalement le comportement des investisseurs. Enfin, Menkhoff et Schmidt (2005) dressent une typologie de traders en fonction de leurs stratégies d’investissement. Les traders Buy-and-Hold semblent accorder beaucoup d’importance aux informations fondamentales, ont une importante aversion au risque

1 Les auteurs remercient InstitInvest qui a financé l’étude et mis à disposition un fichier d’investisseurs institutionnels. A la

demande de ceux-ci, la liste des répondants ne peut être divulguée. Les auteurs tiennent à remercier également les

investisseurs institutionnels qui ont eu la gentillesse de répondre au questionnaire. Ils se reconnaîtront. L’institut Louis

Bachelier a assuré la logistique de l’étude. 2 Université Paris-Dauphine 3 Université Paris-Dauphine 4 Caisse des dépôts

Florence Legros2, Hugo Bourrousse3, Laurent Soulat4

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révélée par leur fort effet de disposition, tandis-que les traders Momentum accordent peu d’importance aux informations fondamentales et ont une faible aversion au risque (peu d’effet de disposition). La plupart des études en finance comportementale portent sur des investisseurs institutionnels ou sur des gestionnaires d’actifs, car ils figurent parmi les acteurs importants des marchés financiers, et car ce sont des investisseurs professionnels. En tant que professionnels, ils peuvent par exemple avoir accès à des informations privées à moindre coût, ou influencer les performances des titres des sociétés dans lesquelles ils investissent. Cependant, le fait d’être un investisseur professionnel n’implique pas forcément un meilleur comportement face aux marchés financiers. Certains professionnels semblent développer encore plus de biais comportementaux que les investisseurs individuels (Menkhoff, Schmeling, Schmidt, 2009).

Dans cet article, nous posons la question du monitoring des biais de comportement dans les

établissements financiers. Les acteurs censés surveiller les équipes d’investisseurs sont-ils capables

de déceler les biais de comportement, ou bien ont-ils tendance à être soumis aux même biais ? C’est à cette question que nous tentons de répondre dans cette étude. Dans une seconde partie nous décrivons les biais étudiés par le biais d’un questionnaire qui figure en annexe. Ce questionnaire a été adressé durant l’été 2013 à un ensemble d’investisseurs institutionnels qui recouvre la pluralité des investisseurs institutionnels français : il s’agit de compagnies d’assurance, d’institutions de prévoyance, de groupes paritaires de protection sociale, de mutuelles, de caisses de retraites destinées aux professions libérales, de fonds souverains et de fonds caritatifs. Il est à souligner que ces questionnaires ont été adressés à une seule personne par investisseur institutionnel, directeur général ou directeur financier exclusivement, c’est-à-dire précisément à ceux qui « monitorent » les équipes d’investisseurs. Dans une troisième partie, nous décrivons les réponses au questionnaire et mettons en avant les grands traits décelables dans les réponses au questionnaire. La quatrième partie étudie les corrélations entre variables à défaut de pouvoir faire une étude économétrique rigoureuse ; elle tente de tirer quelques enseignements. La cinquième partie conclut.

2 – Les biais étudiés et le questionnaire

2.1 – les biais étudiés Il est usuel de classer les différents biais répertoriés dans la littérature en deux grandes classes : les biais liés à la « perception du marché » et les biais liés à l ’ « évaluation personnelle de l’investisseur ».

a- Les biais liés à la perception du marché Les biais comportementaux liés à la perception du marché sont mesurés en demandant aux investisseurs d’exprimer leur point de vue vis-à-vis du comportement d’autres investisseurs (faisant partie de leur institution/entreprise ou non). Parmi eux, on trouve notamment le « House money effect bias », le biais de confirmation (ou perception sélective), le « reflection effect bias », le biais maison et le comportement moutonnier. Le « House money effect bias » décrit le fait que les investisseurs développent moins d’aversion au risque suite à des investissements fructueux. Ces derniers se sentent en confiance car ils viennent de réaliser un profit. Ils ont donc tendance à prendre des positions supplémentaires, parfois plus risquées, car en cas de pertes, ils pourront toujours se réconforter de par leurs précédents gains (Thaler and Johnsson, 1990). Le biais de confirmation est attribué au mécanisme naturel d’aveuglement. Après une prise de décision, les investisseurs ont tendance à privilégier les informations qui confirment leurs stratégies, et à accorder moins d’importance à celles qui sont en leur défaveur (Pronin, 2007). Le « Reflection effect bias » représente la tendance des investisseurs à prendre plus de risques pour éviter les pertes. Ce biais donne une idée de l’aversion aux pertes des investisseurs.

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Le biais maison (ou biais domestique) illustre la préférence des investisseurs à détenir des titres émis par des entités de leur propre pays dans des proportions plus importantes que ne le suggère la théorie financière. Ce biais comportemental est l’un des plus célèbre car il est très répandu et facilement observable. Lütje et Menkhoff (2007) montrent que même les investisseurs professionnels les plus sophistiqués sont sujets à un biais maison considérable, et qu’ils investissent trois fois plus de capital dans leur marché que ce que suggère la théorie de la diversification du portefeuille.

b- Les biais liés à l’évaluation personnelle des investisseurs Dans cette catégorie, on trouve notamment les biais liés à l’excès de confiance (illusion de contrôle, miscalibration), ainsi que l’effet de disposition et le biais « affinity to conformity ». L’illusion de contrôle représente la tendance des investisseurs à surestimer leur capacité à contrôler des évènements pour lesquels ils n’ont en réalité très peu voire aucune influence. La motivation psychologique de l’illusion de contrôle vient du fait que les intervenants sur les marchés financiers se sentent plus à l’aise dans des situations qu’ils contrôlent. Le biais « miscalibration » est généralement mesuré en demandant aux investisseurs de donner un intervalle de confiance d’un indice qu’ils connaissent bien. Souvent, cet intervalle est petit et en rapport direct avec la valeur actuelle de l’indice. Ce biais est à rapprocher du phénomène d’ancrage, qui mène les acteurs à se référer à un chiffre connu ou à un mécanisme connu. La confiance excessive est souvent considérée comme étant la source d’importants volumes de transactions sur les marchés financiers spéculatifs, car les investisseurs sont prêts à acheter des titre à des prix supérieurs à leurs valeurs fondamentales en anticipant qu’ils seront en mesure de les revendre à profit à d’autres investisseurs encore plus optimistes qu’eux. L’effet de disposition représente la tendance qu’ont certains investisseurs à vendre les titres gagnants trop tôt et à se débarrasser des perdants trop tard. L’effet de disposition résulte de l’aversion au risque et du « reflection effect » (Kahneman and Tversky, 1979, Weber and Camerer, 1998, Langer and Weber, 2005). Enfin, le biais « affinity to conformity » reflète le fait que les investisseurs se laissent influencer par des groupes (collègues, conseil d’administration) lors de prises de décisions.

2.2 – le questionnaire Il est composé de 13 questions. Les questions 1 à 5 ont pour objet de déterminer la conscience de l’existence de certains biais chez les investisseurs institutionnels ; les questions 6 à 13 ont – quant à elles – pour objet de mesurer la présence du biais chez l’investisseur questionné. Les biais concernés sont les suivants : Question 1 : “ House money effect bias “ (“ playing with the house’s money” au casino ou “jouer avec l’argent de la maison) Question 2 : biais de confirmation d’hypothèses (« confirmatory bias ») Question 3 : aversion à la perte (« reflection effect bias ») Question 4 : biais domestique ou biais maison (« home bias ») Question 5 : comportement moutonnier (« herding bias ») Question 6 : illusion de contrôle (« illusion of control ») Question 7 : excès de confiance (« over confidence ») Question 8 : mauvaise calibration (« miscalibration ») Question 9 : effet de disposition (« disposition effect ») Question 10 : sensibilité à la conformité/pensée de groupe (« Affinity to conformity ») Question 11 : sensibilité à la pensée de groupe, comporte ment moutonnier Question 12 : biais domestique Question 13 : évaluation des différentes sources d’information jugées les plus efficaces

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Comme cela a été mentionné, le questionnaire a été adressé à un large ensemble d’investisseurs institutionnels. Le questionnaire, sous la forme de son envoi, figure en annexe 1. Il a été adressé à environ 100 investisseurs institutionnels français. Le questionnaire a été envoyé par courriel une première fois, puis une seconde fois. Les relances téléphoniques ont été effectuées de manière systématique. Au total, 34 questionnaires ont été retournés complétés, émanant de 34 investisseurs institutionnels distincts. Il est à mentionner que, si nombre d’investisseurs n’ont probablement pas eu le temps de répondre, d’autres ont refusé, arguant soit leur peur de voir la confidentialité être mise à mal, soit le caractère « futile » d’une telle étude. Bien entendu, si une telle expérience devait être reproduite, il serait important de trouver un moyen pour s’assurer un échantillon plus important.

3 – les réponses au questionnaire, quelques statistiques descriptives et les premières analyses Les investisseurs institutionnels qui ont répondu au questionnaire relève des sept catégories déjà énumérées à savoir : les compagnies d’assurance, institutions de prévoyance, groupes paritaires de protection sociale, mutuelles, caisses de retraites destinées aux professions libérales, fonds souverains et de fonds caritatifs. Compte tenu de la faible place des fonds de pension en France et de l’importance de l’encours de l’assurance vie qui en a pris la place ces dernières années, il est logique que la catégorie « assurance vie » qui représente 40% des répondants à l’enquête soit prépondérante (graphique 1). Elle est naturellement suivie par le groupe des mutuelles, dont la place dans le financement de la protection sociale – notamment en santé – est importante. Les fonds souverains occupent 15% de l’échantillon ; les autres catégories entre 5 et 10% des répondants. Le nombre assez modeste de répondants fait peser le risque d’un échantillon biaisé et il aurait été intéressant de travailler sur l’ensemble de l’échantillon en s’interrogeant sur le profil des non répondants. Ceci étant, les raisons de non réponses restent floues (de l’absence au refus catégorique non justifié) et limitent les possibilités d’analyse.

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Graphique 1 : les investisseurs institutionnels répondants par grands types

Les graphiques 2 à 6 reprennent les questions 1 à 5. Ces questions ont pour objet de tester la conscience qu’ont les répondants de l’existence de biais comportementaux chez les gestionnaires financiers. On peut supposer que leur réponse donne une idée du degré d’évitement du biais qu’ils pratiquent quand il s’agit de leur propre comportement en matière de gestion financière ou de gouvernement de celle-ci. Très clairement, les investisseurs interrogés ont conscience des biais et ipso facto devraient chercher à les éviter. Cependant, certains biais leur semblent plus présents que d’autres. Il s’agit de la « perception sélective » qui conduit les institutionnels à juger que les informations qui confortent leur position sont prépondérantes ; près de 85% des institutionnels interrogés déclarent que leurs « collègues et (…) conseil sont très attentifs aux informations/nouvelles qui confirment leur stratégie d’investissement après avoir réalisé un placement » (graphique 3). Il s’agit également du biais domestique (graphique 5) : plus de 70% des répondants déclarent que « les gestionnaires de fonds préfèrent investir dans des marchés géographiquement proches. » Il s’agit surtout du comportement moutonnier (graphique 6) puisque 90% des répondants jugent que leurs « pairs institutionnels font souvent preuve de comportements moutonniers » C’est un peu moins le cas avec la « tendance à jouer avec l’argent de la maison » (graphique 2) ; 50% des investisseurs interrogés indiquent en effet que « après avoir réalisé plusieurs plus-values les gestionnaires de fonds ont tendance à prendre des positions supplémentaires dans le cadre d’opérations pour lesquelles ils sont décisionnaires de la stratégie du mandat donné. » En revanche l’aversion particulière aux pertes qui peut conduire à une prise de risque importante (graphique 4) n’est pas trop ressentie par les répondants qui a plus de 50% déclarent qu’ils ne sont « pas du tout », « très peu » ou « peu » d’accord avec le fait que « en cas de perte, les gestionnaires de fonds tendent à accroitre leur volonté de prendre des risques, dans le cadre d’opérations pour lesquelles ils sont décisionnaires de la stratégie du mandat donné .» Les graphiques 7, 8 et 9 montrent que – sur ces biais – les réponses au questionnaire dénotent des comportements tempérés. Que ce soit pour l’illusion de contrôle (« La majorité des nouvelles économiques (événements, publications microéconomiques, décisions macroéconomiques, rapports d’institutions comme la Banque centrale européenne, indicateurs …) ne me surprend pas »), la surestimation des compétences (« Comment évaluez-vous votre propre performance/la performance de votre organisation par rapport à celle d’autres gestionnaires ou d’autres entreprises cours de l’année 2012 ? ») ou la tendance à l’effet de disposition (« Il

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est préférable de prendre un profit lorsque l’on est confronté à une demande de liquidité non anticipée. »), environ 70% des personnes interrogées placent leur réponse sur les catégories centrales : peu d’accord et assez d’accord (3 et 4). Les questions dont les réponses sont retranscrites par les graphiques 10 et 11ont en commun de refléter des biais quant à la prise de décision en rapport avec les autres intervenants du marché. On y voit des comportements plus biaisés. Les investisseurs déclarent clairement être sensibles à la pensée de groupe (« Discuter d’une décision d’investissement avec des collègues réduit la pression de réussir ») ; près de 50% des interrogés répondent assez d’accord et très d’accord. (4 et 5). Ils montrent également une tendance au comportement moutonnier (« Le fait d'obtenir l'aval de mon conseil d'administration à l'unanimité réduit ma pression, même sur des décisions que je désapprouve ») dans 55% des cas (réponses assez d’accord, très d’accord et tout à fait d’accord, 4, 5 et 6). Cette confiance en des sources d’information de « proximité » (conseil d’administration, collègues) est relativement confortée par la question sur les sources d’information privilégiées : si les fondamentaux et les indicateurs techniques sont clairement appréciés, les « autres intervenants du marché » sont également jugés « assez importants » et en tous cas plus que les collaborateurs internes à l’entreprise. Les réseaux auxquels ils appartiennent revêtent manifestement une grande importance pour les décideurs financiers des investisseurs institutionnels.

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Graphiques 2 à 6 : questions 1 à 5 : évitement des biais Graphique 2 : Evitement de la tendance à jouer avec "l'argent de la maison"

Graphique 3 : Evitement de la perception sélective

Graphique 4 : Evitement de l'aversion (particulière) aux pertes (pouvant impliquer un comportement imprudent)

Graphique 5 : Evitement du biais domestique

Graphique 6 : Evitement du comportement moutonnier

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Graphiques 7 à 11 : mesures de biais Graphique 7 : Illusion de contrôle

Graphique 8 : Surestimation de leurs compétences

Graphique 9 : Tendance à l'effet de disposition (inclinaison à ne pas reconnaître les pertes mais à reconnaître les gains)

Graphique 10 : Sensibilité à la conformité (à la pensée de

groupe)

Graphique 11 : Tendance au comportement suiviste (moutonnier)

Graphique 12 : Evaluation des différentes sources d'information

Les résultats à deux autres questions restent à commenter. La première concerne les prévisions du CAC à un mois (« Donnez une estimation de l’indice CAC 40 à un mois. Déterminez un plafond et un plancher de manière à ce que le cours du CAC 40 dans 1 mois soit compris dans cet intervalle avec une probabilité de 90 % » ; graphique 13). Deux remarques peuvent être faites à partir des résultats : d’une part, les prévisions - approximées ici par le milieu de l’intervalle de prévision – sont extrêmement proches du niveau d’ancrage, le niveau effectif à la date de réponse au questionnaire. 43% des réponses situent le centre de l’intervalle de prévision à moins de 2.5% du niveau

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observé. Les extrêmes (des écarts supérieurs ou égaux à 5%) représentent 15% de l’échantillon. D’autre part, si écart il y a, ils sont plutôt orientés à la hausse. Autrement dit, les personnes interrogées se sont plutôt montrées optimistes (quoique très raisonnablement) quant au CAC40. Il se trouve que, durant la période sous revue, le CAC a crû modérément (6% en juillet, -1% en aout et +4% en septembre, d’où une augmentation modérée de l’indice, à 3%), ce qui donne aux prévisions des investisseurs institutionnels une allure extrêmement rationnelle. Les résultats à la question concernant l’allocation de 10 millions d’euros en faisant fi de toute réglementation (« Si vous aviez à allouer aujourd'hui un montant de 10 millions d'euros, quelle serait la répartition que vous adopteriez dans les marchés suivants, de manière à ce que les parts investies dans chaque marché s’additionnent à 100 %. Vous répondrez à cette question indépendamment de contraintes réglementaires éventuelles et indépendamment de la classe d’actif.») figurent au graphique 14. Deux remarques s’imposent également. Compte tenu du poids de la capitalisation boursière française dans la capitalisation mondiale (en gros 4%), une allocation prévoyant plus de 10% allant au marché français est clairement disproportionnée. Si l’on considère qu’au-delà de 10%, on est fait clairement ressortir un biais domestique, 40% des personnes interrogées « souffrent » effectivement d’un tel biais. Maintenant, l’optimisme de quelques-uns des institutionnels quant au marché français (tendance haussière du CAC40) peut être une raison extrêmement rationnelle de surpondérer le marché français. Graphiques 13 et 14 : le marché domestique Graphique 13 : Ecart entre CAC prévu et CAC réel à la date de la réponse en %

Graphique 14 : Allocation de 10 millions d'euros en

l'absence de contraintes : part de l'allocation allant au marché français (%)

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4 – L’analyse des corrélations entre biais et entre variables de l’enquête

Les prévisions de CAC40 ont fait l’objet de 2 transformations : d’une part, pour mesurer l’optimisme par rapport au CAC40, en prenant la différence entre le milieu de l’intervalle de prévision donné et la valeur du CAC40 à la date de réponse, d’autre part, pour mesurer le degré d’incertitude propre à chaque répondant en considérant la largeur de l’intervalle de prévision. Les résultats détaillés figurent dans les tableaux 2 à 7 qui sont en annexe 2. En outre, un tableau récapitulatif (tableau 1) figure ci-dessous qui donne les signes des corrélations significatives (souvent au seuil de 10%). En ce qui concerne la conscience des biais (questions 1 à 5), si l’on regarde les corrélations (tableau 2 annexe 2), il est intéressant de noter que les comportements d’évitement sont corrélés entre eux à l’exception du comportement suiviste qui n’est corrélé avec aucun des évitements de biais. La bonne corrélation entre le fait de jouer avec l’argent de la maison et la répugnance aux pertes, d’une part, la perception sélective, d’autre part, semble relativement logique, compte tenu de l’assez grande proximité des biais considérés qui s’apparente à la tentation de prendre des risques plus importants lorsque le « marché » semble porteur. Le fait qu’il y ait une bonne corrélation entre ces biais semble montrer que les investisseurs interrogés sont ou bien conscients ou bien inconscients ; ceux qui sont informés sur les risques liés aux biais comportementaux le sont sur la quasi-totalité des biais. L’encours géré est corrélé positivement avec la perception sélective mais pas avec les autres biais. En ce qui concerne la corrélation entre évitement des biais et biais eux-mêmes (tableau 3, annexe 2), les corrélations sont plus rares. La corrélation est néanmoins significative et négative entre sensibilité au comportement suiviste et illusion de contrôle ce qui peut démontrer une certaine perméabilité pour l’information, les personnes qui sont les plus suivistes étant en fin de compte les moins sures d’elles-mêmes. Effet de disposition et sensibilité au biais qui consiste à «jouer avec l’argent de la maison » sont corrélés positivement : ceux qui se déclarent conscients des risques importants liés éventuellement au traitement particulier des gains sont également ceux qui déclarent les utiliser en cas de besoin de liquidité, ce qui dénote un ressenti effectivement particulier par rapport aux gains. La sensibilité à la conformité est corrélée également positivement à la conscience du biais lié à la répugnance aux pertes, ce qui pourrait correspondre à la recherche d’un appui ou d’une confirmation dans la prise de risque pour éviter les pertes. En ce qui concerne l’âge, il semble être facteur d’une plus grande sensibilité à la conformité et d’une plus grande tendance au biais domestique mais est corrélé négativement avec l’illusion de contrôle. Ce sont les trois seules corrélations détectables entre l’âge et les variables de biais. On notera au passage, c’est pourquoi la donnée ne figure pas dans le tableau, que le biais domestique n’est aucunement corrélé avec les anticipations sur le CAC40. Le tableau 4 (annexe 2) détaille les corrélations entre évitement des biais et biais géographiques et utilisation des différentes sources d’information. La conscience du biais « répugnance aux pertes » tout comme celle du biais de « perception sélective » sont très nettement liées à la diversification géographique. Les deux évitements de biais sont liés à une part plus importante en Europe et moins importante en Amérique du Nord, Asie et dans les marchés émergents, autrement dit avoir conscience de ces deux biais n’évite pas une diversification géographique biaisée en faveur des marchés européens, plus proches géographiquement.

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Tableau 1 : récapitulatif des corrélations entre biais et entre variables (résumé tableaux 2 à 7, annexe 2) Jeu

maison Q1

Confir-mation Q2

Av. perte Q3

Domes. Q4

Suiviste Q5

Contrôle Q6

Confiance Q7

CAC Q8

Dispo-sition Q9

Conform. Q10

Mouton Q11

Diversification (biais dom.) Q12

Infos Q13

Jeu maison Q1

+ + + +

Confir-mation Q2

+ + Asie -

Emergents - Autres +

Av. perte Q3

+ + + Europe + Autres -

Domes. Q4

+ Fondamentaux -

Suiviste Q5

-

Contrôle Q6

-

Confiance Q7

Asie - Fondamentaux +

CAC Q8

Incert.CAC - Opti CAC -

Disposition Q9

+ Incert.CAC - France +

Amérique -

Conform. Q10

+ Opti CAC - + Amérique -

Mouton Q11

+

Diversificat. (biais dom.) Q12

Ind techni. + (pour Am.)

Infos Q13

Age

Encours

+ + Amérique + Collègues +

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Quant aux corrélations entre biais entre eux (tableau 5, annexe 2), l’effet de disposition est corrélé négativement à la largeur de l’intervalle de prévision donné pour les attentes quant au CAC40 à un mois. Autrement dit, l’incertitude sur l’avenir du CAC rendrait plus enclin à utiliser les gains (probablement jugés exceptionnels) pour faire face à une demande de liquidités non anticipée. La sensibilité à la pensée de groupe est corrélée négativement avec le degré d’optimisme sur le CAC40. Rappelons que – durant la période sous revue – le CAC40 a été très légèrement orienté à la hausse. On peut supposer que la pensée de groupe était plutôt optimiste ce qui semble montrer que les pessimistes sur le CAC40 n’ont précisément pas écouté la pensée de groupe. La corrélation est positive entre la sensibilité à la pensée de groupe et le comportement moutonnier, confirmant la nature comparable des deux biais. L’encours est corrélé positivement avec le comportement moutonnier mais non avec les autres biais. Le tableau 6 (annexe 2) indique les corrélations entre biais comportementaux et biais géographiques et informationnels. Très clairement, le biais domestique (investissement en France) est corrélé positivement avec le biais de disposition tandis que l’investissement en Amérique du Nord est corrélé négativement avec le biais de disposition et la sensibilité à la pensée de groupe (comportement suiviste). L’excès de confiance apparaît corrélé négativement avec l’investissement en Asie et positivement avec l’intérêt porté aux fondamentaux comme source d’information. L’encours apparaît corrélé positivement à la part d’investissement proposée pour l’Amérique du Nord et à l’intérêt porté à l’information externe comme source privilégiée. La perception sélective implique ainsi une moindre présence sur les marchés éloignés, asiatiques et émergents et une plus importante perméabilité aux informations des « autres sources » de type réseaux. Le biais domestique semble négativement corrélé au fait d’apporter de l’attention aux fondamentaux. L’encours est corrélé positivement à la part investie potentiellement en Amérique du Nord et également avec l’importance accordée aux collègues pour l’information utile. Ceci peut être dû à un effet de taille de l’institution, plus l’encours est grand plus on peut supposer que les collègues sont nombreux. Le tableau 7 mesure les corrélations entre biais géographiques et informationnels. La part investie dans des marchés « lointains » (Amérique du Nord, Asie, émergents) est corrélé évidemment négativement avec la part investie en France et en Europe (le total devant faire 100). Les parts investies en émergents, en Asie et en Amérique du Nord sont corrélées positivement entre elles, ce qui montre que la diversification géographique est concentrée sur quelques institutionnels. La part investie en Amérique du Nord est corrélée à l’importance accordée aux indicateurs techniques comme source d’information.

5 – Conclusion

Cette étude s’inscrit dans la lignée des études portant sur la finance comportementale et tentant d’observer les biais de différents intervenants sur les marchés financiers. Elle a pour spécificité de ne s’intéresser qu’aux investisseurs institutionnels et de comparer les comportements des investisseurs institutionnels selon le groupe dont ils relèvent. Nous avons travaillé à partir d’un échantillon d’investisseurs institutionnels français interrogés durant l’été 2013 et, autre particularité, nous sommes exclusivement intéressés aux dirigeants des institutions, prenant pour hypothèse que les « déviances » dans leur comportement induiraient des « déviances » dans les gouvernances des institutions. Dans leur étude comparant différentes familles d’investisseurs, Menkhoff and alii (2010) mettaient en évidence une plus grande maturité et un meilleur professionnalisme des investisseurs institutionnels, comparés aux autres investisseurs professionnels tels que les conseillers financiers ou les investisseurs individuels.

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Notre étude ne porte pas sur un échantillon suffisamment large pour mettre en évidence une hétérogénéité de comportements entre types d’investisseurs institutionnels. Néanmoins nous mettons en évidence un certain nombre de choses. D’une part, la diversification internationale souffre des biais. Le biais domestique est lié au biais de confirmation d’hypothèses, à l’aversion à la perte, à l’excès de confiance, au biais de conformité (ainsi qu’à l’encours). Autrement dit, les personnes interrogées sont susceptibles d’induire une diversification biaisée par rapport à ce qu’impliquerait une rationalité économique et financière parce qu’elles sont victimes d’un certain nombre de biais. De la même manière, le fait de vendre des titres gagnants en cas de besoin de liquidité, ce qui n’est pas documenté économiquement ou financièrement, est corrélé négativement avec l’incertitude sur le CAC40 à un mois. Autrement dit, les décideurs interrogés qui se montrent les plus enclins au biais de disposition sont aussi ceux qui sont certains de l’évolution du CAC40, indépendamment de l’évolution prévue haussière ou baissière, ce qui ne peut être rattaché à aucune rationalité ; en outre, ceux qui se montrent les plus pessimistes sur l’évolution de l’indice dans une conjoncture modérément haussière sont aussi ceux qui ont été sujets au biais de conformité. Autre résultat, l’illusion de contrôle est corrélée avec le comportement suiviste, confirmant ainsi le terme d’illusion de contrôle. L’aversion à la perte est corrélée au biais de conformité, ce qui relève de la même logique dans un monde souvent « benchmarké ». Les évitements de biais sont corrélés entre eux, ce qui montre en outre la conscience de l’existence de biais chez les personnes interrogées. Ceci dit, la conscience des biais et des problèmes qu’ils peuvent poser n’empêche pas les gouvernants des investisseurs institutionnels d’être sujets eux-mêmes à un certain nombre de ces biais. Pour en revenir à la question initiale à savoir « Les acteurs censés « surveiller » les équipes d’investisseurs sont-ils capables de déceler les biais de comportement, ou bien ont-ils tendance à être soumis aux même biais ? », la réponse est positive. Shleifer et Vishny (1997) mettent en avant l’importance des relations d’agence dans l’efficience des gouvernements d’entreprises et l’intérêt de ces relations entre investisseurs, actionnaires et managers ; ici nous participons à la réflexion sur cette efficience dans le cadre des investisseurs institutionnels en montrant que les gouvernants peuvent être soumis à des biais qui peuvent influer sur la gestion financière et sur la prise de risque. Il est donc intéressant de se poser la question du monitoring du monitoring.

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Bibliographie Kahneman, D. and Tversky, A. (1979) Prospect theory: an analysis of decision under risk, Econometrica, 47, 263–92. Langer, T., Weber, M., (2005) Myopic prospect theory vs. myopic loss aversion: How general is the phenomenon? Journal of Economic Behavior and Organization, 56, 25-38. Lütje, T. and Menkhoff, L. (2007) ‘What Drives Home Bias? Evidence from Fund Managers’ Views’, International Journal of Finance and Economics 12, 21–35. Menkhoff, L. et Nikiforow, M. (2009) Professionals’ endorsement of behavioral finance: Does it impact their perception of markets and themselves?, Journal of Economic Behavior and Organization, Elsevier, vol. 71(2), pages 318-329, August. Menkhoff, L., Schmeling, M. and Schmidt, U. (2010) Are All Professional Investors Sophisticated? German Economic Review 11(4): 418–440 Menkhoff, L. et Schmidt, U. (2005) The use of trading strategies by fund managers: some first survey evidence, Applied Economics, 37, 1719–1730 Pronin, E. (2007) Perception and misperception of bias in human judgement, Trends in Cognitive Sciences, 11, 37–43. Shleifer, A. Vishny, R. W. (1997). "A Survey of Corporate Governance". Journal of Finance 52 (2): 737–783. Weber, M. and Camerer, C. F. (1998) The disposition effect in securities trading: an experimental analysis, Journal of Economic Behavior and Organization, 33, 167–84.

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Annexe 1

Questionnaire

Programme de recherche « Finance comportementale et institutionnels »

Ce questionnaire a pour but de mesurer votre perception du comportement des équipes qui gèrent les

actifs de votre institution (gestion directe ou déléguée). Vos réponses resteront anonymes et seront

exploitées dans le cadre d’un travail de recherche universitaire. L’objectif de cette recherche est de

comprendre l’influence des paramètres comportementaux dans les relations de gouvernance entre les

investisseurs institutionnels et les gestionnaires de fonds. Il vous est demandé de répondre à ce questionnaire

uniquement en cochant la réponse qui vous paraît la plus adaptée. Nous vous remercions par avance du

temps que vous nous accorderez.

Les résultats de cette étude vous seront présentés lors de la remise des couronnes InstitInvest, par Florence

Legros, professeur à l’université Paris Dauphine qui assure la direction scientifique du programme de

recherche.

Exemple de biais comportemental en économie : la question du point d’ancrage

En comptant le 29 février, il y a 366 anniversaires possibles dans une année. Donc, un groupe doit être

composé de 367 membres pour que l’on soit absolument sûr qu’au moins 2 personnes aient leur

anniversaire le même jour. Combien faudrait-il de personnes pour qu’on en soit sûr à 50% ?

Réponse en fin de questionnaire !

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Nom du répondant :

Institution :

Fonction du répondant :

Age du répondant :

1. Après avoir réalisé plusieurs plus-values les gestionnaires de fonds ont tendance à prendre des

positions supplémentaires dans le cadre d’opérations pour lesquelles ils sont décisionnaires de la

stratégie du mandat donné. (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

2. Mes collègues et mon conseil sont très attentifs aux informations/nouvelles qui confirment leur

stratégie d’investissement après avoir réalisé un placement (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

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3. En cas de perte, les gestionnaires de fonds tendent à accroitre leur volonté de prendre des risques,

dans le cadre d’opérations pour lesquelles ils sont décisionnaires de la stratégie du mandat donné

(Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

4. Les gestionnaires de fonds préfèrent investir dans des marchés géographiquement proches.

Votre réponse ne tiendra pas compte des contraintes réglementaires éventuelles (obligation de

détenir des obligations assimilables du Trésor français) et des éventuelles

contraintes géographiques de placement de votre organisation (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

5. Mes pairs institutionnels font souvent preuve de comportements moutonniers (Cochez une seule

réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

6. La majorité des nouvelles économiques (événements, publications microéconomiques, décisions

macroéconomiques, rapports d’institutions comme la Banque centrale européenne, indicateurs …)

Page 18: Le comportement des investisseurs institutionnels relève-t-il de la finance comportementale ? Par Florence Legros, Hugo Bourrousse et Laurent Soulat

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ne me surprend pas (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

7. Comment évaluez-vous votre propre performance/la performance de votre organisation par rapport à

celle d’autres gestionnaires ou d’autres entreprises cours de l’année 2012 ? (Cochez une seule

réponse)

� beaucoup moins bonne

� moins bonne

� comparable

� meilleure

� bien meilleure

� exceptionnelle

8. Donnez une estimation de l’indice CAC 40 à un mois. Déterminez un plafond et un plancher de

manière à ce que le cours du CAC 40 dans 1 mois soit compris dans cet intervalle avec une

probabilité de 90 %

Estimation : ___________

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9. Il est préférable de prendre un profit lorsque l’on est confronté à une demande de liquidité non

anticipée (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� très d’accord

� totalement d’accord

10. Discuter d’une décision d’investissement avec des collègues réduit la pression de réussir (Cochez

une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� plutôt d’accord

� totalement d’accord

11. Le fait d'obtenir l'aval de mon conseil d'administration à l'unanimité réduit ma pression, même sur

des décisions que je désapprouve (Cochez une seule réponse)

� pas du tout d’accord

� très peu d’accord

� peu d’accord

� assez d’accord

� plutôt d’accord

� totalement d’accord

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12. Si vous aviez à allouer aujourd'hui un montant de 10 millions d'euros, quelle serait la répartition que

vous adopteriez dans les marchés suivants, de manière à ce que les parts investies dans chaque

marché s’additionnent à 100 %. Vous répondrez à cette question indépendamment de contraintes

réglementaires éventuelles et indépendamment de la classe d’actif.

—% France

—% Europe (sauf France)

—% Etats-Unis et Canada

—% Asie

—% Marchés émergents

13. Evaluez l’importance des sources d’information suivantes selon vous

a) fondamentaux d’une entreprise ou d’un marché

� pas important

� très peu important

� peu important

� assez important

� plutôt important

� très important

b) indicateurs techniques

� pas important

� très peu important

� peu important

� assez important

� plutôt important

� très important

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c) collègues de votre entreprise

� pas important

� très peu important

� peu important

� assez important

� plutôt important

� très important

d) autres participants du marché (hors votre entreprise)

� pas important

� très peu important

� peu important

� assez important

� plutôt important

� très important

La question du point d’ancrage, réponse à la question posée en préambule

Les personnes interrogées donnent pour la plupart une réponse autour de 183 (soit 50% de 367) mais la

réponse correcte est 2, comme l’enseigne la théorie des probabilités (il faut inverser le problème et calculer

la probabilité que les gens ne partagent pas le même anniversaire en ajoutant personne après personne et

en continuant à les ajouter jusqu’à ce que la probabilité soit juste inférieure à 50% ; c’est le cas quand on

considère 23 personnes. Si la probabilité qu’ils ne partagent pas le même anniversaire est inférieure à

50%, le contraire à une probabilité supérieure à 50%).

Le chiffre donné est trop élevé parce que les répondants sont généralement influencés par un point

d’ancrage bien trop élevé.

Rassurez-vous. Rien de grave à ce biais ; le point d’ancrage demeure un concept pertinent pour nombre de

décisions d’investissement.

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Annexe 2 Tableaux de corrélations entre biais et entre variables du questionnaire

NB : Par souci de simplicité, nous n’avons pas reporté les colonnes et/ou lignes dans lesquelles les corrélations sont toutes non significatives. Tableau 2 : Corrélations questions 1 à 5 (évitement des biais) Jeu avec

l’argent de la maison

Perception sélective

Répugnance aux pertes

Biais domestique

Jeu avec l’argent de la maison

1,00 0.39 (0.02)

0.57 (0.0004)

0.44 (0.01)

Perception sélective

0.39 (0.02)

1.00

0.60 (0.0002)

ns

Répugnance aux pertes

0.57 (0.0004

0.60 (0.0002)

1.00

ns

Biais domestique

0.44 (0.01)

ns ns 1.00

Encours ns 0.39 (0.023)

ns ns

Tableau 3 : Corrélations évitement des biais et biais (et âge) Illusion de

contrôle Effet de disposition

Sensibilité à la conformité

Age

Jeu avec l’argent de la maison

ns 0.30 (0.09)

ns ns

Répugnance aux pertes

ns ns 0.29

(0.09)

ns

Biais domestique

ns ns ns 0.31 (0.078)

Comportement suiviste

0.33 (0.05)

ns ns ns

Age -0.39 (0.02)

ns 0.37

(0.03)

ns

Tableau 4 : évitement des biais et biais géographiques et informationnels % Europe % Am. du

Nord % Asie % émergents Info =

fondamentaux Info = Autres

Perception sélective

ns ns -0.36

(0.045)

-0.30

(0.09)

ns 0.40

(0.02)

Répugnance aux pertes

0.38 (0.027)

-0.33 (0.06)

-0.34 (0.053)

-0.31 (0.070)

ns ns

Biais domestique

ns ns ns ns -0.345 (0.046)

ns

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Tableau 5 : Corrélations entre biais. Effet de

disposition Sensibilité à la conformité

Comportement moutonnier

Optimisme sur le CAC

Incertitude CAC

Effet de disposition

1.00 ns ns ns -0.35 (0.04)

Sensibilité à la conformité

ns 1.00 0.48 (0.004)

-0.42 (0.01)

ns

Comportement moutonnier

ns 0.48 (0.004)

1.00 ns ns

Optimisme sur le CAC

ns -0.42 (0.01)

ns 1.00 ns

Incertitude CAC

-0.35 (0.04)

ns ns ns 1.00

Encours ns ns 0.30

(0.087)

ns ns

Tableau 6 : biais et biais géographiques et informationnels %

France % Am. du Nord

% Asie Info = fondamentaux

Info = collègues

Excès de confiance

ns ns -0.32 (0.07)

0.38 (0.025)

ns

Effet de disposition

0.35

(0.045)

-0.31 (0.071)

ns ns ns

Sensibilité à la conformité

ns -0.29

(0.094)

ns ns ns

Encours ns 0.29

(0.092)

ns ns 0.40

(0.018)

Tableau 7 : biais géographiques et informationnels entre eux %

France % Europe

% Am. du Nord

% Asie % émergents

% France ns ns -0.57 (0.0004)

-0.56

(0.0006)

-0.41

(0.016)

% Europe ns ns -0.54 (0.001)

-0.65 (<.0001)

-0.51 (0.002)

% Am. du Nord

-0.57

(0.0004)

-0.54 (0.001)

ns ns ns

% Asie -0.56 (0.0006)

-0.65

(<.0001)

0.39

(0.02

ns 0.64 (<.0001)

% émergents -0.41

(0.016)

-0.51 (0.002)

ns 0.64 (<.0001)

ns

Info = indicateurs techniques

ns ns 0.31

(0.079)

ns ns