62
Protection de l’enfance Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle (2010-2012) Maison départementale des solidarités de Coulommiers www.seine-et-marne.fr

Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

  • Upload
    mailat

  • View
    752

  • Download
    1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Document réalisé avec les professionnels du Département de Seine et Marne dans le cadre d'une formation-action.

Citation preview

Page 1: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Protection de l’enfance

Actesde la formation-action

sur la reproduction transgénérationnelle

(2010-2012)

Maison départementale des solidarités de Coulommiers

www.seine-et-marne.fr

Maria Mailat
Maria Mailat
Maria Mailat
ARTEFA - directrice Maria Maïlat [email protected]
Page 2: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 3

PRÉAMBULE

Le Schéma départemental de l’enfance, de l’adolescence et de la famille énonce dans ses principes d’action que : � « protéger un enfant, c’est accompagner le parent dans son rôle éducatif, en prenant

appui sur ses compétences parentales et en valorisant ses savoir-faire », confirmant ainsi la priorité donnée au lien enfant-parents ;

� « chaque accompagnement proposé aux familles cherche systématiquement à répondre à l’intérêt de l’enfant, dans le respect de ses droits », mettant l’accent sur la nécessité de co-construire avec l’enfant et sa famille le projet le plus approprié au moment considéré, en cohérence avec l’histoire de l’enfant, son vécu et les interventions déjà existantes et en prenant en compte l’histoire des parents ;

� « assurer la cohérence du parcours de l’enfant et de l’adolescent » et donc lui « garantir une prise en charge éducative adaptée » impose aux différentes institutions et à leurs intervenants de mieux partager pour mieux comprendre les éléments des parcours de l’enfant et de sa famille et de se coordonner.

Ce sont ces principes qui ont guidé la démarche initiée depuis 2007 par la Maison départementale des solidarités (MDS) de Coulommiers, confrontée à des chiffres en constante évolution dans le champ de la Protection de l’Enfance (informations préoccupantes, mesures d’action en milieu ouvert et mesures de placement). Enrichie de deux diagnostics mettant en relief les spécificités des parcours des familles concernées par le dispositif de protection de l’enfance, les réflexions locale et départementale ont permis l’inscription de ce territoire dans des actions successives : � le plan expérimental de prévention (PEP) entre 2008 et 2010, toujours poursuivi, qui

offre une intervention médico-sociale individualisée et un accompagnement préventif de proximité à des familles fragilisées, avec de très jeunes enfants et désireuses d’être soutenues ;

� une formation-action animée par ARTEFA, dans le cadre d’un projet de service, pour l’ensemble des professionnels de la MDS, portant sur le processus de reproduction transgénérationnelle de dysfonctionnements intrafamiliaux voire de conduites et de faits de maltraitance.

Nous vous proposons de prendre connaissance du contenu de cette formation qui répond à la nécessité, pour les professionnels, de mieux repérer et appréhender l’expression de la reproduction transgénérationnelle et intergénérationnelle dans le champ de la protection de l’enfance. Il s’agit de faciliter et enrichir l’accompagnement des familles au moyen de pratiques professionnelles différentes et innovantes et à partir de repères théoriques d’action complémentaires. « Accompagner autrement, c’est penser et agir ensemble autrement » résume l’investissement et la mobilisation des professionnels de la Maison départementale des solidarités de Coulommiers.

Page 3: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 4

SOMMAIRE

I. Axes et méthodes de la formation ..........................................................................5 I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance ......................... 5 I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant.................................................................. 8 I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de l’enfant ........ 10 I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition ................................................... 14 I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la sérénité.......... 17 I/6. La force instituante et la méthode du décentrage........................................................... 19 I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant .................. 21

II. Le Département à travers la Maison départementale des solidarités : garant de l’inscription de l’enfant dans la société civile.........................................................25 III. La filiation et la généalogie de l’enfant ...............................................................26 IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la répétition .....................28 V. Faire la différence entre répétition et transmission ...........................................31 VI. Donner-recevoir-rendre et la reconnaissance ...................................................35 VII. Apports sur l’autorité : les autorités et l’autorité parentale ............................35 VIII. Les métamorphoses du modèle «famille» .......................................................39

VIII/1. Les politiques familiales de l’Etat-nation entre welfare et workfare............................ 39 VIII/2. Plusieurs modèles de familles cohabitent dans l’histoire de la France ...................... 40 VIII/3. La filiation est une institution. Lire les liens de parenté autrement............................. 42

IX. La parentalité : sens et paradoxes d’un mot promu par les experts ...............44

IX/1. La tentative de donner à ce mot un contenu politique.................................................. 44 IX/2. La responsabilité en chantier ....................................................................................... 46

X. Le «pas de côté» anthropologique : l’écriture de l’histoire de vie....................47 XI. Fiche transversale ARTEFA pour les situations complexes ...........................50 XII. Conclusion...........................................................................................................52

Annexes : 1 - Réflexions comparatives entre la méthode ARTEFA et le référentiel d'évaluation CREAI 2 - Bibliographie des auteurs cités par ordre alphabétique 3 - Fiche transversale ARTEFA pour l’analyse d’une situation familiale complexe

Page 4: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 5

I. Axes et méthodes de la formation

I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance La formation-action contribue à appréhender et compléter les références et techniques professionnelles d’intervention dans la famille de l’enfant et auprès de l’enfant. Il s’agit du corpus de concepts et de leur « mode d’emploi », utilisés sur le terrain à la suite d’une « information préoccupante », d’un « signalement » ou à la « demande des parents ». Aujourd’hui, la prévention fait partie de ce processus. L’évaluation est une méthode censée introduire dans la vie ordinaire et singulière d’une famille, l’intérêt supérieur de l’enfant et orienter la décision suivant le principe ouvert de son devenir. Ce devenir est mis à mal par les théories qui accordent un pouvoir dominant au passé au détriment de l’avenir. Le passé n’existe que dans un processus d’évocation, en fonction des repères et omissions utilisés par ceux qui mettent en mots ce « passé » de l’enfant. Les concepts utilisés ont donc un poids déterminant dans la construction du passé. Le devenir de l’enfant est explicité dans l’article L112-4 de la Loi 2007-293 du 5 mars 2007 - art. 1 JORF 6 mars 2007 consolidé en 2012 : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ». Au fil des années, depuis la loi de 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs, le placement peut parfois faire écran à la finalité de la protection qui vise à modifier les conditions de vie afin de satisfaire les besoins de l’enfant et d’assurer son développement. Cette finalité devrait guider les méthodes d’évaluation et d’intervention à moyen et long terme. La question centrale est la suivante : quels sont les effets produits par les interventions et les écrits professionnels pour le bien-être et le développement de l’enfant ? L’impact réel, concret des pratiques professionnelles sur l’enfant est, pour l’instant, peu analysé et on constate un manque de repères permettant cette prise de recul. ARTEFA constate que, sur le terrain, les services produisent des écrits qui contiennent des « photographies » qui sont souvent réduites à un argumentaire motivant sa prise en charge et/ou son placement. L’observation est davantage guidée par l’intention de vérifier l’hypothèse du danger et de proposer une mesure (ou une répétition de mesures). Cette logique qui cherche à identifier et à extraire du contexte un certain nombre de détails que les professionnels recomposent, dans un rapport écrit, bloque l’analyse des effets provoqués dans la vie de l’enfant par les questions qu’on lui pose et par les échanges que l’on a devant lui avec ses parents. Quels sont les effets des entretiens que certains professionnels ont avec l’enfant dans le cadre d’une procédure d’information préoccupante, par exemple ? On ne peut guère imaginer que les questions qu’on lui pose ne génèrent pas des effets sur sa manière de comprendre le monde dans lequel il vit. Mais est-ce la logique du soupçon, la peur et le sentiment de danger promus dans les référentiels d'évaluation qui ouvrent l’horizon du devenir à l’enfant, apportent des stimulants propices à son développement, à ses besoins de liberté, de

Page 5: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 6

protection et d’appartenance ? Comment dépasser cette logique conflictuelle installée par l’évaluation pour cheminer vers l’innovation de nouvelles formes de solidarité et d’alliance éducative proposées aux parents ? Ainsi, il serait temps de revoir la théorie qui bâtit un mur infranchissable entre le placement familial et l’environnement ordinaire et singulier de la famille de l’enfant. Cette théorie installe deux familles en conflit que l’enfant est le seul à devoir « habiter » ou traverser. Sans l’innovation des formes d’alliance éducative autour de l’enfant, entre adultes qui entament un débat guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant, l’évaluation risque d’alimenter davantage ce climat de conflit stérile qui oppose - dans un cercle vicieux - les parents aux professionnels et vice-versa. L’enfant se trouve devant l’injonction implicite de faire cesser ce vécu de déchirement entre les deux familles en faisant un choix qui le met davantage en danger. Car s’il choisit sa famille, il est dit qu’il met en échec son placement. Et s’il choisit la famille d’accueil, il vit un processus d’adoption silencieuse qui lui fait espérer que son adaptation à la famille de l’assistant familial va lui donner un jour un statut d’enfant réel de ce salarié. Pas étonnant que dans ces conditions, les logiques institutionnelles prennent plus de place que la réflexion sur le devenir de l’enfant et les méthodes éducatives qui enrichissent son développement. Un premier aspect concret réside dans le domicile de l’enfant. Quel accompagnement pour le logement des parents, pour que l’enfant se sente chez lui dans sa famille ? Les apports philosophiques mettent l’accent sur le besoin d’appartenance concrétisé par le fait d’habiter un chez soi : ce besoin est fondateur du sujet. Mais l’évaluation des besoins de l’enfant glisse parfois vers une justification du prolongement des mesures administratives ou judiciaires qui finissent par institutionnaliser l’enfant dans un espace dit « neutre » qui ne lui accorde aucun accès à un chez soi. Nul ne peut se développer dans une institution sans acquérir l’expérience et l’ancrage dans sa maison avec les siens. De plus, l’écart creusé entre l’enfant et ses parents est dédoublé par la rupture de la vie partagée avec ses frères et ses sœurs. ARTEFA attire l’attention sur le processus d’institutionnalisation de l’enfant qui grandit entouré de « liens sociaux » professionnels : l’enfant constate que la vraie vie des professionnels se situe ailleurs, dans un monde qui lui est interdit. Parfois, l’enfant fait des fugues pour vivre dans le vrai monde, à la recherche d’un « chez soi » : il rentre chez lui, près de ses parents. Mais ces derniers n’ont pas « évolué », car les mesures ne sont guère pensées en termes d’accompagnement des parents. Il est surprenant pour un anthropologue de voir que l’aporie de la séparation ne questionne pas les experts par le fait qu’une telle mesure génère des mécanismes de destruction des liens sociaux et affectifs entre les parents et les enfants, sans parler de la négation des contacts avec les autres membres de la famille. L’enfant est en exil. A quel moment est-il chez lui ? A quel moment dissipe-t-on le malentendu entre une mesure institutionnelle et le fait d’habiter une vraie maison avec les siens ? Dans plusieurs Départements, on constate une augmentation des placements sans pour autant explorer et soutenir la création des nouvelles rencontres et expériences avec les autres membres de la « famille élargie » de l’enfant (frères, sœurs, tantes, oncles, grands-parents, cousins, etc.). Parfois, les a priori négatifs servent de « barrières » pour ne pas aller vers les

Page 6: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 7

autres membres de la famille élargie. Or, il s’agirait de favoriser la transmission de l’histoire familiale sans la réduire aux motifs du signalement ou du placement.

Dans la famille élargie de l’enfant, les expériences nouvelles peuvent émerger avec le soutien et la créativité des professionnels. Les parents ont parfois besoin de ces tiers éclairés pour refaire connaissance avec leur enfant, le découvrir et lui accorder un autre regard. De même, la symbolique des grands-parents dans la vie de l’enfant pourrait être portée par le professionnel. Ce dernier dispose des outils qui rendent possible l’inscription de l’enfant dans l’arbre généalogique qui est le sien. Le passage d’une génération à l’autre est à intégrer dans le référentiel des professionnels. La méthode ARTEFA approfondit la compréhension du besoin d’appartenance de l’enfant : ce besoin se concrétise par le domicile. Le « chez soi » de l’enfant ne devrait pas être « absorbé » par une institution, même dans le cadre du placement familial. La demeure, l’habitation constituent le vecteur de la prise de conscience de notre être au monde (Heidegger, 2011). Nous habitons un monde dans lequel chacun établit son identité en fonction d’un chez soi, d’un village, d’un quartier, d’une maison ou d’un appartement. Or, depuis peu, on constate que l’institution envahit le domicile et génère un paradoxe de taille : on parle du « placement au domicile des parents ». Hormis le paradoxe philosophique, cette « extension » pose d’autres problèmes, tel que le déni du principe républicain du respect de l’espace privé de la famille. On retourne le dedans comme un gant et on l’expose au regard des étrangers-professionnels comme s’il s’agissait d’une « nature morte ». Cette destruction de l’espace privé par l’ingérence intempestive des professionnels au domicile est questionnée : quels sont les effets générés dans la personnalité de l’enfant ? Rien d’étonnant qu’un enfant qui grandit sans la notion d’espace privé, arrivé à l’âge adulte, dévoile sa vie devant les professionnels jusqu’aux détails les plus intimes. Parfois, c’est le contraire qui se produit : il rejette les professionnels et devient même violent lorsqu’il est contacté en tant que parent. Lorsqu’on écoute les parents dans le cadre d’ATD Quart-Monde ou du Secours Catholique, ils parlent du placement comme d’une « Epée de Damoclès » qui peut à tout moment trancher dans le vif de leur vie en famille. La loi du 5 mars 2007 tente de repositionner l’enfant en tant que finalité de sa protection : le projet pour l’enfant est une innovation majeure inscrite dans la loi qui exige de repenser les références et modes d’intervention. En Seine-et-Marne, la question de la démarche évaluative a constitué une priorité et a été traitée avec le concours d’intervenants extérieurs, ayant répondu à un appel d’offre de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger. Il s’agit de construire un référentiel d’évaluation des situations familiales dans le cadre de la Protection de l’Enfance, puis de le porter à la connaissance de l’ensemble des travailleurs sociaux et médico-sociaux du Département dans le cadre de sessions de formation. Un travail d’approfondissement a été conduit avec les cadres et les chefs de service sur les « écrits ». Une comparaison entre ce référentiel et les repères ARTEFA se trouve en annexe de ce document.

Page 7: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 8

Les repères ARTEFA ont été traduits dans des fiches construites avec les équipes de la Maison départementale des solidarités de Coulommiers et expérimentées à partir des situations familiales complexes. I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant Cette formation-action a favorisé le prolongement et l’approfondissement des questionnements et des méthodes. En terme de protection-projet pour l’enfant, on a développé davantage les questions suivantes : • quelle lisibilité concernant les effets générés dans le développement de l’enfant par les théories et pratiques des professionnels ? Cette question devient un « impératif » lorsqu’on intervient à partir des inquiétudes, appréhensions et problèmes envisagés par les services. Depuis la naissance de la pensée occidentale, le problème exige une approche dialectique : il s’agit de formuler à la fois l’existence et l’inexistence du problème ou du danger en question. Les professionnels devraient évaluer autant les « signes » qui alimentent leur inquiétude et appréhension que les aspects qui contredisent ces mêmes inquiétudes. Sans l’approche dialectique, le système de protection de l’enfance se referme sur une pensée unique, linéaire qui conduit de l’information préoccupante à l’injonction d’une mesure d’intervention. Cette linéarité est inflationniste. Or, la culture d’une famille ne se réduit jamais aux problèmes et/ou aux dangers. Bien au contraire, ce qui peut paraître une carence éducative est intégré dans un sens caché que l’enfant expérimente sans qu’il soit lisible pour les professionnels. Les professionnels nomment ce qu’ils s’attendent à trouver dans la famille, mais l’inconnu, le caché, l’inattendu demeurent souvent invisibles à leurs outils d’évaluation.

• quels changements peut-on envisager pour assurer la circulation intelligible des enfants entre la société civile, son réseau de parenté et les structures de prise en charge ? Dans cette perspective : quels changements favoriseraient la création des réseaux solidaires réunissant les parents et les assistants familiaux, de sorte que les adultes puissent s’informer et se « former » mutuellement ? Comment travailler sur l’inclusion des parents dans une élaboration du projet pour leur enfant ?

x quelle évaluation de l’utilisation de l’argent dans la protection de l’enfance (le prix de journée) et les effets réels produits par cet investissement sur l’avenir de l’enfant ? Pour l’instant, la théorie qui situe le « mal absolu » dans le lien parent-enfant et l’érige en cause de son échec ou de son retard a le vent en poupe. A quel moment posera-t-on la question de l’accompagnement visant la résilience et surtout le développement des potentialités propres à tout enfant ? Pourquoi des enfants qui ont traversé des années de guerre parviennent à faire des études, à apprendre des langues, à trouver leur équilibre et à s’intégrer dans la société et pourquoi l’accès à la normalité et à l'équilibre, à l’insertion et à l’épanouissement seraient inaccessibles aux enfants pris en charge pour « carences éducatives » ou un « risque de danger » ou « climat incestueux » ou des problèmes d’hygiène ?

Page 8: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 9

x quelles innovations lors des visites médiatisées ? Pourquoi sommes-nous de nouveaux pris dans une logique linéaire d’observation des défaillances, carences, manques ? Comment met-on en pratique le processus de médiatisation, en quoi consiste-t-il ? Là encore, quelle mobilisation pour proposer de nouvelles expériences de vie entre l’enfant, ses parents, sa fratrie et sa famille élargie ? Quelles sont les méthodes visant à réussir la visite médiatisée ? Comment fait-on pour ne pas transformer ces moments en un « bureau d'enregistrement » des choses que l’on a déjà formulées dans les rapports ? Comment et qui associe et accompagne les parents en amont des visites médiatisées, de telle sorte que l’enfant puisse découvrir un autre visage de ses parents, une autre facette de leur présence ? La visite médiatisée devrait repenser ces deux termes associés dans l'intérêt supérieur de l’enfant : l’enfant a besoin de ses parents et surtout, il a besoin de constater qu’accompagnés, soutenus, ils sont en mesure de lui proposer d’autres expériences de vie qui composeront plus tard ses souvenirs d’enfance. Une mère interviewée pendant cette formation-action qui a été placée pendant une quinzaine d’années nous a dit qu’elle avait échangé avec la famille d’accueil et avait consulté son dossier ASE : « J’ai une mémoire, mais je n’ai pas de souvenirs. Aucun souvenir, non, rien. Quels souvenirs ? Je ne sais pas... Des souvenirs comme tout le monde... des choses simples... Je n’ai pas eu d’enfance. J’ai été bien traitée par les éducateurs et la famille d’accueil, mais je n’ai pas connu l’enfance. J’en veux à ma mère. Elle me dit que les éducateurs lui ont dit que je serais mieux dans une famille d’accueil. Ma mère travaillait, son mari la battait, elle buvait, elle était paumée... D’accord, mais ce n’est pas un motif pour me séparer d’elle ! Je vois mon frère. Il a vécu avec ma mère. Ils ont des trucs à se dire, ils rigolent. Moi, je n’ai rien à partager avec eux... Avec la famille d’accueil, ce n’est pas pareil. Si je pouvais choisir ? J’aurais aimé rester avec ma mère et mes frères. Jamais je ne voudrais être séparée comme ça de ma fille... J’ai peur pour ma fille. Je suis dans le collimateur. Bientôt, ma fille aura le même âge que moi au moment de mon placement... J’ai peur qu’ils me la placent. Comme je n’ai pas de logement, pas de travail, c’est facile... Non, non, je n’invente pas, ils me l’ont déjà dit. Que faire ? Je fais tout ce que je peux, mais ce n’est jamais assez. Je l’amène à l’école, vais la chercher, je m’occupe de ma fille... La nuit, je pleure et prie, pourvu qu’elle ne soit pas placée comme moi. » x quelles méthodes pour que ces moments de retrouvailles en famille deviennent une source de bien-être de l’enfant et de ses parents, frères, sœurs, grands-parents ? Comment organise-t-on les fêtes dans la famille, avec ses parents ? Combien d’enfants écrivent-ils une carte postale à l’anniversaire de leur parent ? ARTEFA complète ces questionnements par d’autres pistes/questions : • quels sont les leviers des professionnels pour construire la reconnaissance de l’identité de l’enfant ? On pense à l’extrait de l’acte de naissance qui permet d’instituer le père et la mère et de ne pas se laisser prendre dans l’opinion publique qui véhicule le fantasme du « parent biologique » ? La question se pose lorsqu’il faut faire le passeport de l’enfant : comment a-t-on accompagné les parents pour qu’ils puissent comprendre que le domicile de leur enfant est chez eux ? Combien de services vérifient-ils que les bulletins scolaires de l’enfant sont envoyés aux deux parents lorsqu’ils sont séparés ou divorcés ? • comment accompagne-t-on l’exercice de l’autorité parentale ?

Page 9: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 10

I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de l’enfant Les principes de droit commun qui fondent la protection de l’enfance devraient devenir lisibles dans toute intervention professionnelle auprès de l’enfant :

• le principe de subsidiarité :

Comment agir pour réduire le nombre d’interventions et le nombre de professionnels présents auprès du même enfant ? Les services composent une « permanence » de plus en plus massive autour de l’enfant, chose qui limite l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la vie sociale. Un des repères d’ARTEFA : au lieu de se focaliser sur l’enfant, nous axons l’analyse des situations sur l’unité «famille». On met en connexion les frères et les sœurs et on identifie l’ensemble des intervenants dans la même famille. Dans une famille de trois enfants, par exemple, lorsqu’on compte les intervenants, on constate un phénomène de masse du côté des professionnels et un ou deux parents qui doivent faire face aux exigences de cette « masse ». Parfois, on constate qu’une mère désignée dans les rapports comme «isolée» est sollicitée par cinq, six, voire dix ou douze professionnels. Cette situation alourdit la compréhension et l’autonomie du parent. Il est aussi « institutionnalisé » à son insu. Cette situation peut provoquer de la dépendance et de la saturation chez le parent. Au cours d’une recherche-action récente, l’équipe d’ARTEFA a constaté qu’une mère ayant trois enfants pris en charge a dû s’acheter un calepin pour «gérer» les rendez-vous fixés par les professionnels.

De plus, ces professionnels ne s’ajustent pas entre eux, chacun suivant un enfant, sans tenir compte de la famille dans sa globalité.

• le principe de proportionnalité implique plusieurs aspects :

1. lorsque les interventions des professionnels ne produisent pas une amélioration ou un mieux-être dans la famille, il est inutile de démultiplier les mesures. Suivant ce principe, il s’agit de mieux connaître les besoins humains des parents, tel que le besoin de dignité et de soutien. En analysant plusieurs situations, nous avons constaté que les parents exprimaient des besoins (en termes d’accès à un logement, par exemple), mais leurs besoins n’étaient pas repérés. De plus, les intervenants communiquaient peu entre eux et lorsqu’ils n’étaient pas d’accord, le débat contradictoire était difficilement mis en place. Il apparaît qu’un écart se creuse entre les repères d’observation des professionnels et les demandes des familles formulées sur la base de leur vécu.

2. le principe de proportionnalité pose la question suivante : comment innove-t-on dans la vie de l’enfant, l’équilibre entre les liens qu’il tisse avec des professionnels salariés et avec sa famille ? Les liens tissés dans le monde des salariés du Conseil général et des autres services sont-ils transférables dans la vie sociale, hors institution ? Une étude de l’INED indique qu’une proportion importante de SDF1 ont un passé de placement : cette étude semble mettre en

1 « Parmi les événements survenus durant l’enfance et l’adolescence, le placement mérite une attention particulière. Les personnes ayant été « placées » sont largement sur-représentées parmi les populations sans domicile (estimées à 23 % sur cette enquête de l’Insee, à comparer à 2 % en population générale logée), en particulier parmi les plus jeunes (35 % parmi les 18-24 ans), et ce

Page 10: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 11

question la « transférabilité » de l’expérience dans le placement vers un savoir vivre en société à l’âge adulte.

3. la proportionnalité devrait être pensée également lorsqu’on utilise la prédiction négative dans la prise en charge. Comment rendre visibles les mécanismes de culpabilisation et de rejet des parents qui sont à l’œuvre dans le système actuel de protection de l’enfance ? Comment passer d’une culture de culpabilité et d’aveu vers une prise en charge pragmatique cherchant à améliorer d’une manière claire et lisible la vie des familles dans leur environnement et avec leurs enfants ? L’anthropologie affirme que les réseaux de parenté sont structurés sur d’autres normes que celles de la théorie de l’attachement, par exemple. Il s’agit notamment du langage du don qui devrait être pris en compte d’une manière complémentaire avec la théorie de l’attachement. Le langage du don est celui du réseau de parenté qui introduit d’autres règles : l’enfant né en « obligé » du monde, comme disait H. Arendt. Il reçoit un don de vie doublé de son inscription dans le monde par la filiation. Avec le don de vie, il reçoit aussi la mort : tout enfant naît mortel. Le don de vie (symbolique) ne cesse d’être interrogé par l’enfant qui suivra la ligne de partage entre la vie et la mort. Cette ligne bouge au moment de l’adolescence quand la crise le pousse à creuser en profondeur l’être et le non-être (cf. Hamlet).

Ainsi, on y trouve la réciprocité différée : on donne à l’enfant pour qu’il puisse donner aux autres à son tour et que le parent puisse être fier quand il rencontre un instituteur de son fils ou de sa fille ou tout autre éducateur qui s’occupe de son enfant. On donne à l’enfant pour que plus tard, il puisse être différent de ses parents, mais sans oublier son appartenance. La famille demeure un « port d’attache » pour tout être humain. La réversibilité se décline dans les processus de pardon et dans l’appartenance, ainsi que dans l’honneur. Tous ces aspects sont lisibles dans le film « La Merditude des choses », réalisé par Félix Van Groeningen, qu’ARTEFA a utilisé comme support dans cette formation.

• le principe de liberté rattachée à la séparation : Dans la société civile, la séparation est un « au revoir », « à ce soir », etc. Il s’agit d’un rapport au temps, rythmé par les retrouvailles. On se sépare pour mieux se retrouver et se redécouvrir autrement. Dans la société civile, la séparation s’exerce en relation avec les besoins de liberté et du choix et surtout avec le fait de se retrouver (les retrouvailles conditionnent la qualité de la séparation). La rupture est imposée, notamment par des institutions qui surplombent la vie ordinaire des personnes. Toute institution a une force produisant la rupture des relations humaines, familiales, même lorsqu’elle affiche le mot « séparation ». La séparation est génératrice d’expérience dans le lien, par le renforcement d’un lien qui s’enrichit lors de la séparation parce que chaque partie envisage le récit des expériences vécues lors de la séparation. Le récit s’élabore lors des retrouvailles, après la séparation. Ce moment d’après la séparation quand les parties se retrouvent est le principal vecteur de toute expérience de

phénomène s’observe aussi dans d’autres pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.» (Firdion, 2004; http:// www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/cs123m.pdf)

Page 11: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 12

séparation. Autrement, la séparation aléatoire, prolongée, sans promesse des retrouvailles, se réduit à une expérience de perte et même d’échec, de désillusion aussi.

• le principe du respect du Code civil par les services du Département, car le Président étant chef de file, il est garant du cadre posé par le droit positif et de ses applications concrètes. Lorsqu’une ordonnance du juge des enfants est prononcée, celle-ci n’abroge pas le Code civil et encore moins la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention internationale des droits de l’enfant. Comment applique-t-on le Code civil en prolongement et en complémentarité avec l’ordonnance du juge des enfants ? L’ordonnance du juge des enfants ne suffit pas. Par exemple, lorsque le père n’est pas cité dans l’ordonnance du juge des enfants, comment l’introduire dans l’histoire de l’enfant puisqu’il est inscrit dans la société par cette filiation ? Comment identifier la réalité anthropologique et juridique de la fonction PERE, sans la réduire aux dires de la mère ou à un fantasme biologique ? Comment accompagner la mère pour qu’elle puisse autoriser l’enfant à acquérir une forme de connaissance de son père. Comment l’apaiser au lieu d’alimenter ses ressentiments dans le cas où celui-ci est peu présent ou ne se « manifeste » pas ? Comment ne pas réduire à une vision comportementaliste cette fonction sociale, symbolique indispensable pour ceux qui ont été reconnus et inscrits dans une filiation patrilinéaire ?

A l’inverse, quand un compagnon de la mère est désigné par celle-ci sous l’appellation de «père» ou « père biologique » comment tient-on compte de la nécessité de respecter le Code civil et de vérifier que ce Monsieur a reconnu l’enfant, qu’il l’a inscrit dans sa filiation ? Autrement, il peut certes s’agir d’un compagnon attentif à l’enfant de sa compagne, mais la relation amoureuse ne se substitue en aucun cas à la filiation, et donc à la fonction du père. Il convient de bien distinguer la conjugalité de la fonction parentale : la première est horizontale entre deux adultes qui passent une partie de leur vie ensemble et qui ont le droit, à tout moment, de se séparer, gardant chacun son autonomie, son identité et son état civil sans modification. Mais la filiation est une inscription verticale de l’enfant dans la lignée généalogique d’un homme qui, par cet acte volontaire de reconnaissance, entre dans la fonction de père. La filiation est une reconnaissance validée, légitimée par la République et elle ne peut être défaite par une simple séparation. Elle peut faire l’objet d’un désaveu, d’un refus, mais ce sont des cas exceptionnels. Tandis que la vie en couple suivie de séparation représente plus de la moitié de la vie ordinaire des Français adultes.

Un autre exemple : lorsque le juge des enfants ne dit rien sur le réseau de parenté élargi de l’enfant, le Code civil doit être respecté. Les professionnels accompagnent les parents pour que l’enfant puisse dessiner son arbre généalogique pour situer ses grands-parents, ses oncles, tantes, cousins, cousines.

L’application de ces principes alimente le chantier du projet pour l’enfant contenu dans la loi du 5 mars 2007. A ce jour, quelle collectivité territoriale a envisagé de fonder un « observateur du projet pour l’enfant » ? Où en sommes-nous dans la construction effective de la protection-projet pour l’enfant ? Certains Départements ont marqué leur volonté de prendre en considération l’enfant,

Page 12: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 13

ses parents voire ses frères et sœurs en dénommant le processus de construction du projet : « projet pour l’enfant et sa famille ». Cela exige que l’on pense le parent dans un processus de devenir : on ne naît pas parent, on le devient et chaque enfant stimule ce devenir parent. ARTEFA développe des méthodes pour mieux appréhender ce devenir parent dans les Maisons départementales des solidarités. Les apports d’ARTEFA sont issus de l’anthropologie, de la philosophie et du droit. Certains de ces apports viennent conforter et consolider une série de pratiques déjà existantes comme, par exemple, les pratiques de la PMI, du Programme Enfance Prévention (PEP), l’accompagnement des parents vers l’insertion. D’autres références nécessitent des étapes d’appropriation et de créativité en groupe afin de pérenniser les apports dans les pratiques des professionnels. ARTEFA utilise une méthodologie générative qui accompagne et incite les professionnels à identifier leur propre processus de penser l’intervention, c’est-à-dire leur manière de produire des observations, de les analyser et de les utiliser dans leurs rapports.

Les journées de formation invitent à effectuer en groupe des exercices pour passer de la théorie à l’application des apports et aussi faire un pas de côté pour porter un regard critique et créatif, pour prendre conscience que tout processus de mise en mots (oral et écrit) confère non seulement un sens aux réalités, mais cristallise le pouvoir exercé par les institutions dans la vie des enfants et de leurs parents, ou même leur présence dans l’histoire. Ce pouvoir, on le nomme « force instituante ». Cette force instituante modèle l’histoire des familles (cf. Les rapports écrits). L’enfant pris en charge « baigne » dans la culture composée de savoirs propres aux professionnels. Ce sont les professionnels qui détiennent cette « force instituante » de transformer leurs observations en analyse qui provoque des mesures, etc. L’acte de penser s’apprend. Son acte de penser sa famille, sa propre identité, son existence avec les autres sera modelé par les institutions.

Si les institutions génèrent davantage de connaissances d’ordre négatif, en terme de défaillances, carences, troubles, hontes, sanctions, ruptures, etc., l’enfant assimilera ces « repères » qui constitueront ses « modes opératoires » d’inscription dans le monde. Quelle culture du vivre-ensemble expérimente l’enfant grâce à sa protection ?

La formation insiste sur le besoin de cultiver une multiplicité des regards et des références dans l’accompagnement des familles.

La communication entre les professionnels et les parents dépend de la manière dont les professionnels développent une compréhension ordinaire de la vie des gens. La logique centrée sur l’observation des manques et défaillances introduit un rapport de pouvoir et de conflit entre les familles et les services de la protection de l’enfance. Passer d’un tel rapport de forces à la confiance et au contrat demeure un discours théorique sans réalité. Si ce passage n’est pas accompagné par le développement d’un paradigme complémentaire, dans le débat contradictoire, la mise en place des demandes formulées par les parents, etc., un tel passage n’a pas lieu : on peut attendre longtemps que les « parents se manifestent ».

Page 13: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 14

I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition Dans cette formation, les apports ouvraient sur des hypothèses alternatives pour repenser les situations où les interventions se répètent sur plusieurs générations et où les professionnels parlent de « reproduction transgénérationnelle ». Les objectifs et le déroulement ont été fixés avant le début de la formation- action dans la proposition validée par le Département dans le cadre du marché public. La protection de l’enfance est aujourd’hui en mesure d’analyser ses interventions sur plusieurs générations dans la même famille (ou réseau de parenté). Nous partons de l’hypothèse que tout champ d'interprétation et de pratiques professionnelles peut être déconstruit et complété, à condition de garder à l’horizon de notre travail, une exigence éthique : nos interventions se font « à cœur ouvert » à même la vie des gens. Nos décisions résonnent en tant que « langage du destin ou de la fatalité », car elles changent l’histoire d’une famille.

Ainsi, lorsqu’on pose le postulat que « les anciens enfants placés, placent à leur tour leurs propres enfants », on est d’emblée dans le champ philosophique du destin, de la fatalité.

Rappelons le fait épistémologique suivant : un postulat n’a pas besoin d’être vérifié. Il sert de fondation. C’est à partir du postulat que l’on échafaude une théorie et on déploie les actions, les pratiques, les modus vivendi.

Cependant, le postulat ne doit pas être pris pour une vérité (même si la tendance de l’homme est de confondre postulat-croyance-vérité). Le postulat débouche sur l’expérimentation d’une théorie qui devrait aider les professionnels dans la compréhension d’une situation complexe. Mais tout postulat doit être assorti d’une critique rigoureuse, surtout lorsqu’il est utilisé comme instrument d'intervention dans la vie des autres. Le postulat de la répétition touche plusieurs générations d’enfants. Sont-ils porteurs d’un « virus de la répétition » ? La logique médicale de la contagion remplace celle de la fatalité portée par les religions. Mais notre société a fondé l’enfance dans un devenir créateur, ouvert vers une nouvelle vie. Les enfants frappés par le discours de la répétition du placement viennent au monde entourés d’institutions qui, avant même qu’ils soient nés, les observent, les évaluent, les « entourent » de mesures de protection. Avant même d’acquérir la conscience qu’ils sont des sujets, ces enfants sont soumis aux regards des experts et des professionnels. Ce sont eux qui maîtrisent les critères d’observation, le diagnostic, l’intervention, etc. Ce sont eux qui formulent le postulat : « l’enfant qui a été placé, placera à son tour ses propres enfants ». Ou encore « enfant maltraité, maltraitera à son tour quand il sera parent. » On retrouve ici une très ancienne expression de la fatalité/culpabilité, formulée dans l’Ancien testament : « Les parents mangent du verjus et les dents des enfants sont agacées. » (Jérémie, 31; 29).

Aucune étude approfondie ne confirme ce postulat, bien au contraire : les parents se sentent acculés au placement, ils culpabilisent et improvisent des formes d’auto-défense, parlent d’un sentiment d’injustice, d'incompréhension, de colère et de dévalorisation. La plupart

Page 14: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 15

quitte la scène mise en place par les institutions, scène sur laquelle ils doivent se rendre transparents, chose insoutenable pour quiconque. Leurs réactions sont interprétées en termes de soupçon, déviance, déni. Peu de méthodes innovent l’exercice de l’autorité parentale dans un réseau d’autorités composé par les professionnels dont l’autorité est plus importante que celle des parents (un seul exemple : l’achat des fournitures scolaires suivant la liste donnée par l’enseignant : combien de parents ont été dévalorisés parce qu’ils ont acheté un objet différent de celui qui figurait sur la liste ! ?)

Du côté des parents, une seule phrase résume leur impuissance : « je n’ai pas été capable ». Les outils ciblent l’incapacité des parents, c’est l’incapacité qui devient le fil conducteur des observations. Mais la question qui se pose aujourd’hui ouvre sur la capacitation qui est un processus créatif porté par les tiers qui viendront soutenir le parent et lui ouvrir des nouvelles expériences de vie avec ses enfants. Comment accompagner l’expérience innovante de capacitation des parents ? Paul Ricœur a analysé la crise de l’accompagnement qui était censée conduire notre expérience partagée vers la condition de l’homme à devenir capable. Le processus de capacitation est séparé de l’auto-institution, je ne peux pas m’instituer toute seule comme étant capable, sans la reconnaissance des autres. Instituer l’homme capable, cela dépend de ceux qui exercent la « force instituante » : le juge, l’expert et les professionnels. Dans certaines familles, la fonction du parent est rabaissée, associée aux dispositifs qui ciblent l’homme en tant « qu’inadapté à la réussite» ou en tant qu’échec : à l’école, dans la rue, dans la conjugalité, dans le travail, dans la parentalité. Les dispositifs cristallisent davantage le parcours de l’homme incapable et en échec que les conditions pour devenir capable.

Concernant le postulat de la répétition, cela pourrait se fonder sur la culture de la transmission. Vivre dans un lieu, faire un métier, construire une maison, et ensuite, choisir la transmission de ces choses en direction de ses propres enfants, cela fait partie de la culture : transmission du nom, du métier, du patrimoine, etc. Mais dans le cas du placement :

• l’enfant a-t-il choisi d’être placé, afin d’appliquer ensuite la culture de la transmission à ses propres enfants ? Le placement est-il l’équivalent d’un patrimoine qui enrichit la personne, au point que le parent souhaite en faire bénéficier son enfant ? • le placement est-il assimilé à une maladie génétiquement transmissible ou à un « virus », « dupliqué de père en fils » ou de « mère en fille » ? • existe-t-il une étude qui permettrait de dire que le placement fait partie de l’identité culturelle des Français et, pour cette raison, dans certaines régions, il est une « tradition » ? • ou alors : est-ce que le placement devient un traumatisme si important que finalement, l’enfant ne peut que le répéter d’une manière « compulsive » ?

Si on se place du côté de l’organisation, il est possible de constater que le recours au placement est une mesure répétitive appliquée à plusieurs centaines de milliers d’enfants. L’analyse des pratiques fait apparaître que l’on envisage la protection de l’enfance ayant comme « ligne d’horizon » le placement, ce qui peut produire une saturation massive des circuits et des lieux de placement.

Page 15: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 16

Par ailleurs, quand un enfant est passé par les dispositifs de placement, la mémoire de l’institution (et des professionnels) a tendance à l’inclure dans la catégorie « connu par les services. » Lorsqu’une personne est «connue par les services», cela allume les « clignotants » des professionnels davantage que lorsqu’il s’agit d’une personne qui ne figure pas dans la mémoire des services. « Etre connu par les services » n’est-il pas un critère qui accélère le processus de signalement ? Du point de vue anthropologique, on pourrait faire état de notre étonnement : car si quelques-uns ont grandi dans une grande école, entouré de professionnels compétents, le fait d’être connu est un atout, un plus. Bénéficier d’une prise en charge et d’une éducation dans la protection de l‘enfance qui n’a cessé de développer ses moyens en terme de finances et de compétences devraient produire à la sortie de ce système des individus plus compétents pour s’occuper de leurs enfants que la moyenne nationale. Mais là encore, le fait d’avoir été éduqué, protégé, pris en charge, soigné, d’avoir été entouré de spécialistes fait basculer l’ancien enfant en « adulte suspect » et incapable. Ce paradoxe ne se rencontre dans aucun autre système de protection. Même dans le monde des plantes et des animaux, la protection sauve et ne vous accule pas à l’exclusion ou à la stigmatisation.

Ce postulat est renforcé par un modèle explicatif qui fait fusionner le passé et le présent avec la logique cause-effet. Cette fusion est un illogisme bien connu par les philosophes : la théorie qui stipule que les difficultés d’aujourd’hui remonteraient nécessairement à des vécus infantiles refoulés tire de toute évidence une bonne partie de sa force argumentative de la croyance selon laquelle si des souffrances actuelles se produisent sans raison apparente, elles ne peuvent s’expliquer que par des causes profondément cachées. Un tel paradigme met à mal l’étude des potentialités, l’imaginaire, la créativité, le devenir indispensables à la vie humaine. « Celui dont la vie a été vécue et consommée dans le passé, et qui n’est présent ici et maintenant que pour attester et répéter son passé, celui-ci est déjà

mort », disait Borges, un grand écrivain du 20e siècle.

Le passé utilisé comme une cause fatale qui viendrait écraser le présent et l’avenir est renforcé par le raisonnement médical : il situe les causes des symptômes actuels dans un temps antérieur à la contamination ou à la maladie. Cependant, tout diagnostic est prolongé par la recherche des traitements et la recherche de la guérison. Ce raisonnement appliqué à la vie humaine dans sa globalité (dans la famille) fait que l’on ne voit plus dans la vie courante qu’un tableau de symptômes. Mais où se trouve le traitement ? Les parents attendent les prescriptions qui soulagent leur souffrance et celle de leurs enfants du côté des mesures et des interventions des professionnels. Et les professionnels attendent le traitement dans le changement des comportements des parents, dans le fait qu’ils adhèrent à une « mesure de placement » ou qu’ils signent un contrat. Ce double malentendu aboutit à des conflits aigus et à des solutions qui, selon l’Ecole de Palo Alto, « aggravent les problèmes ».

Page 16: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 17

I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la sérénité ARTEFA propose de faire « un pas de côté » en s’appuyant sur le principe de Taubes : « nous nous mettons d’accord que nous ne sommes pas d’accord. » Construire un « divergent accord » qui ouvre sur des alternatives mettant en œuvre les principes de subsidiarité, de proportionnalité et de réversibilité. Ces principes appliqués lors des prises en charge devraient permettre qu’à tout moment, on envisage la vie de l’enfant dans son réseau de parenté et dans la société civile : la réversibilité exige de créer des réseaux d’alliance et de complémentarité pour que l‘enfant puisse circuler entre les siens et les dispositifs (tels que la famille d’accueil). L’absence d’une circulation intelligible déclenche chez l’enfant des conduites de « fugues » qui sont des actes de normalité, de santé dans un univers trop fermé, plein de règles et d’interdits, l’enfant a besoin de circuler entre les siens et les institutions. Plus sa prise en charge est fermée, obsédée par des mesures de sécurité, plus l’enfant cherche à s’évader. Le besoin d’évasion est une des caractéristiques des enfants placés ou trop surveillés. ARTEFA utilise dans la formation la méthode du débat contradictoire volontaire qui permet de revisiter l’historique de la protection de l’enfance dans une famille. A cela s’ajoute la recherche du sens lorsque plusieurs professionnels ou plusieurs services interviennent dans la même famille. L’urgence, la peur, la superposition des mesures et une répartition des places, qui demeurent opaques au regard des parents, nécessitent de nouveaux concepts favorisant la vie ordinaire et singulière de l’enfant et pour l’enfant. Les repères éthiques ouvrent, pour chaque enfant, une porte réelle vers la société civile et vers le récit de vie de sa famille qui n’est jamais réductible aux rapports adressés aux magistrats. ARTEFA interroge les écrits professionnels qui sont trop souvent des exercices de copier-coller, adaptés à un jargon administratif ou psycho-pathologique comme si la vie n’était approchée que sous l’angle d’une pathologie. Les professionnels utilisent des normes et des jugements moraux sans les nommer et sans les analyser comme tels. L’exploration sereine de ces normes s’articule avec la question d’Aristote : où situer le juste milieu dans la protection de l’enfance ? L’excès de l’intervention dans la même logique conflictuelle de suspicion porte atteinte à la sérénité des intervenants et à leur capacité de penser la complexité des histoires familiales autrement que sous l’angle du « danger » et du soupçon, imaginés et codifiés dans un langage professionnel. Toute formation se doit d’apporter un corpus de questions qui dénouent des lignes de tension et de crispation. Un des nœuds se trouve dans le rapport entre parents et professionnels. La formation assure un entre-deux entre le faire et le comment-faire-autrement. Aider le groupe à distinguer les repères et méthodes de travail du sujet-professionnel est une des méthodes utilisées dans la formation d’ARTEFA. La déconstruction est nécessairement reliée à l’ébauche de nouvelles hypothèses et à la consolidation des hypothèses déjà travaillées en équipe :

« Cette déconstruction est une tâche normale. Découvrir les exclusions implicites

Page 17: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 18

dans une analyse, les silences dans un raisonnement, les oublis dans une observation, constitue autant de moments nécessaires et essentiels du développement de toute activité de connaissance. » (M. Godelier, 1997)

La formation appliquée aux pratiques permet de « se décentrer méthodologiquement » (Godelier) par rapport aux catégories de pensée mises en mouvement actuellement dans la prise en charge proposée aux familles. La critique de la logique qui cible le dépistage et le diagnostic des risques et dangers, voire des carences et défaillances chez les parents, fait la place à une théorie repensée, ajustée, de telle sorte qu’elle soit vivable et soutenable pour le réseau de parenté de l’enfant et génératrice d’apaisement et de sens du côté de l’avenir pour l’enfant. Les hypothèses avancées visent à aboutir à un effet en termes de mieux-être chez l’enfant, ainsi qu’à des nouvelles expériences partagées entre parents, professionnels dans l’intérêt de l’enfant. De ce point de vue, la théorie est juste un élément que l’on peut bouger en fonction d’une finalité claire qui est le bien-être d’un enfant ordinaire pour qui la protection doit ouvrir des nouvelles expériences de socialisation, de vie dans/avec sa famille, et des nouvelles acquisitions dans son développement : « La théorie, qui dialogue avec une réalité complexe, ne pense pas en soi-même, mais elle ne gagne de vie que dans les processus actifs de construction du sujet. » (E. Morin) L’anthropologie cherche à fonder l’accès de l’enfant à une subjectivité où la filiation est une institution en soi, nécessaire pour se tenir debout et pour apprendre le respect et la transmission entre les générations. Nulle filiation ne se réduit aux comportements des parents, soient-ils « défaillants ». Toute filiation porte en elle l’institution de l’autorité et de l’estime de soi. Par ses apports, ARTEFA vise à accroitre la capacité et l’autonomie de la personne à travers l’accompagnement des professionnels. Lorsque la pensée collective d’une équipe est assujettie à une grille contenant des critères d’observation du négatif, obnubilés par la peur, cela remplace la figure humaine du parent par une créature dangereuse (« mère toxique », « père violent », etc.). Une telle logique ne prive-t-elle pas les professionnels de repères culturels du vivre-ensemble et de l’éthique du sujet ? Dans le devenir parent, le sujet devient réalité au fur et à mesure que le parent expérimente un rôle d’autorité et de « sachant », soutenu par les professionnels. Cette expérience de vie est « suspendue » quand le parent est convoqué au même titre que ses enfants dans le bureau du juge des enfants. La verticalité de la filiation devrait constituer une zone « sacrée » et indépendante des comportements observés ou supposés. La verticalité de la filiation est la « colonne vertébrale » de l’enfant ou son «socle» identitaire exprimée par son acte de naissance. Cet acte de naissance est en soi suffisant pour instituer la filiation et le

Page 18: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 19

respect des parents en tant qu’auteurs de l’enfant. Un accouchement sous X, acte biologique, ne suffit pas pour inscrire l’enfant dans le monde des humains. Si la personne qui accouche ne manifeste pas sa volonté pour reconnaître l’enfant en tant que sa fille ou son fils, l’enfant n’existe pas. La filiation ne peut être établie que par cet acte. Et ce n’est pas l’accouchement, mais l’acte de reconnaissance fondé sur la volonté qui opère le passage de la condition de femme ou parturiente à celle de mère. Le biologique ne suffit pas, même quand une femme accouche. Ce repère anthropologique est inscrit dans le Code civil. Il est donc impropre de parler de mère biologique quand une femme a accouché sous X. Un acte volontaire de reconnaissance traduit dans l’état civil de l’enfant ne peut être ni annulé ni stigmatisé plus tard. Sauf si une procédure judiciaire est déclenchée pour détruire cette reconnaissance et, en même temps, le « socle symbolique » de l’identité de l’enfant. Mais même l’acte judiciaire qui relègue l’enfant dans un processus institué d’abandon et ensuite dans la catégorie de pupilles de l’Etat ne touche pas à sa filiation. La filiation est une institution à part, générée par un acte volontaire de reconnaissance l’enfant qui est reconnu soit par l’inscription dans une parenté de type « biologique », soit par adoption. L’adoption simple permet de comprendre qu’il s’agit de continuité dans la filiation. Nul enfant ne peut rester sans filiation. La formation vise à générer des repères dans la construction de la filiation nécessaire à la verticalité d’un enfant-sujet digne et d’un parent fier d’être associé à la responsabilité éducative partagée avec les professionnels. La posture éthique questionne les méthodes de construction d’une « vérité » sur la vie des autres, « vérité » adossée aux discours sur les dangers, risques, carences. Ces apports ont été utilisés par les professionnels pour limiter les glissements produits par une surabondance d’adjectifs et de « ouï-dire » rattachés aux fonctions symboliques et réelles de père et mère. I/6. La force instituante et la méthode du décentrage Les apports anthropologiques visent à renforcer les actions sur le versant des projets et du bien-être ou mieux-être chez l’enfant. Le regard anthropologique porté sur les parents, en tant que semblables des professionnels, l’effort de les accueillir, mieux les écouter, mieux les intégrer dans les espaces qui favorisent l’exercice de leur autorité en lien avec la force instituante des professionnels qui ne sont pas là dans un but d’observation mais d’action. L’autorité parentale se décline au pluriel avec les autorités (du politique, des experts, des professionnels, du juge). Les professionnels sont accompagnés dans un travail de prise de conscience concernant le fait que leurs interventions orientent et changent l’histoire des enfants. Ce changement d’histoire produit par les dispositifs de protection aura des effets à long terme, chose qui engendre du côté des services, une obligation positive : comment assumer l’obligation positive de contribuer à son éducation et de le faire « grandir » ? Le changement provoqué par l’intervention rend-il réel l’intérêt supérieur de l’enfant ? Et les parents ? Qu’observent-ils dans les actions des professionnels ? Quelles conséquences positives tirent-ils des conseils, questionnements, actions portées par les intervenants ?

Page 19: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 20

Restituer les observations aux parents est une des méthodes qui facilitent le décentrage : le professionnel, pas plus que son service, n’est le propriétaire des observations concernant la vie des autres. L’observation est déjà un espace de construction du sujet, de questionnement, d’ajustement dans une culture partagée entre les parents et les professionnels. Une fois que les parties ont élaboré un projet éducatif et qu’elles se sont mis d’accord pour savoir comment le restituer à l’enfant, elles accomplissent cette restitution en étant attentives à ce que l’enfant leur dit. A quoi bon répéter devant l’enfant la liste des manques, défaillances, problèmes observés chez leurs parents ? La vérité peut être destructrice dans la protection de l’enfant. La restitution auprès de l’enfant se fait suivant le principe de l’apaisement de celui-ci. Les apports d’ARTEFA cherchent à libérer l’enfant du fardeau rempli de honte et de menace d’abandon généré par les dispositifs. Une critique du mot abandon fait partie de cette formation. Le don d’enfant existe dans toute société du côté de la vie. Les mères que nous avons interrogées et celles qui ont été écoutées au cours des « accouchements sous X » parlent toutes d’un don d’enfant. La notion d’abandon bascule du côté de la mort, de la mis à-bandon (proche de la mise à mort). Ce mot a été utilisé pour parler de filles célibataires, stigmatisées parce qu’enceintes et non-mariées. L’abandon se définit comme le résultant de l’organisation politique et culturelle d’une société surplombée par l’Eglise et l’Etat qui contrôlent les mœurs sexuelles et matrimoniales des gens avec un enjeu majeur posé sur les filles (Lévi-Strauss). Pendant des siècles, l’Assistance Publique explique l’abandon des enfants par « la manifestation pathologique d’un manque de contrôle de la fécondité. » (Bardet) Ce mécanisme de contrôle et de stigmatisation a subi un glissement : de la femme abandonnée et enceinte, il a « aspiré » l’enfant et de là, il a fait sa place dans les dispositifs administratifs qui, naguère, plaçaient les enfants abandonnés dans les hospices avec les fous. D’où la nécessité de modifier les pratiques afin de générer réellement des nouveaux modes d’exercice de l’autorité parentale et de mieux cerner les problèmes de parents. Dans une des histoires d’enfant déclaré abandonné à la demande du Département, on a pu mettre en évidence que pendant l’année de cette procédure judiciaire, le couple se débattaient dans une situation de sans-domicile, sans emploi, que la mère était rejetée par sa propre famille et enceinte du deuxième enfant avec le père de son premier enfant. On a également constaté qu’il est peu probable que les personnes mesurent avec précision ce qu’une telle procédure provoque comme coupure dans leur histoire et celle de leur enfant. La formation a apporté une autre vision de la filiation sans la réduire au lien affectif. Un des changements envisagés dans les pratiques serait une nouvelle proximité à instituer entre les parents et les professionnels. Cela suppose une souplesse et un outil expérimenté en ce moment dans la Maison départementale des solidarités : limiter la logique de la prédiction négative qui induit l’« auto-réalisation » (Albert Jacquard). De même, si un objectif n’apporte pas un processus d’appropriation et de capacitation des parents dans leur relation avec l’enfant, alors on modifie l’objectif en fonction de ce qui est

Page 20: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 21

possible pour que les parents participent à la vie et au développement de leur enfant. Les objectifs que l’on se fixe « pour une famille » doivent être envisagés en tant que facteurs de devenir, d’accomplissement et non pas comme des épreuves provoquant l’échec des parents devant leurs enfants. Le devenir est posé en relation avec les besoins humains : besoin de reconnaissance, d’appartenance, d’estime et de dignité. L’appartenance est un des besoins de l’humain, mais elle est aussi une des dimensions de la protection de l’enfance, notamment dans le placement. Le placement produit ses propres catégories d’inclusion qui marquent l’identité de l’enfant : enfant victime, enfant en danger, enfant en risque de danger, enfant-troubles de comportements, etc. Parfois, les catégories d’inclusion produites par la protection de l’enfance et celles du handicap visent les mêmes enfants. Cette double inclusion dans des catégories a-typiques, a-normales a été questionnée au cours de la formation. L’identité anormale instituée pour l’enfant produit des souffrances et des colères chez les parents. Comment les accompagner ? Par ailleurs, toujours dans cet esprit d’ouverture, l’orientation d’un parent ou d’un enfant vers une catégorie de handicap doit ouvrir sur la question suivante : comment favoriser l’inscription de l’enfant dans la normalité, dans la vie ordinaire ? Un enfant de onze ans, placé depuis des années, a posé la question suivante : « moi, avec mes troubles de comportement, est-ce que je pourrai un jour aller dans une vraie école ? » I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant La référence au cadre donné par le droit et, en particulier, la référence à l’ordonnance du juge des enfants, est un axe de la formation. Cet axe permet de nuancer le processus de judiciarisation là où le cadre administratif mériterait que l’on innove un autre rapport avec l’environnement de l’enfant (en y explorant son réseau de parenté) afin de développer les expériences nouvelles avec l’autorité parentale des parents. Trop souvent, le processus fait de la « mesure administrative » un cadre que l’on ne bouge guère, alors qu’il favorise l’élargissement du réseau de socialisation de l’enfant et une médiation active pour que le parent change de place, appuyé, légitimé par la force instituante des professionnels. Dans ce cadre, il existe des processus qui favorisent l’apaisement de l’enfant et la découverte de l’estime dans ses rapports aux parents. Rappelons que l’article 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant stipule que tout enfant a droit à une famille (et non pas à une « mesure »). La « mesure » ne peut être qu’un moyen évaluable dans ce qu’elle induit pour l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la société civile.

Page 21: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 22

La judiciarisation des « mesures » n’est pas nouvelle, parfois confondue avec une formule de type « faire agir la loi », mais cette confusion diminue lorsque l’intervention du juge des enfants est mieux comprise. Le juge des enfants met en œuvre des procédures judiciaires qui appliquent et interprètent des lois. Cette interprétation est toujours partielle, située dans le temps, réversible et elle peut être contestée par ceux qui sont visés dans leurs droits fondamentaux comme ceux des parents. Parmi les droits des parents, l’autorité parentale n’est pas touchée, même quand il s’agit d’une tutelle ou d’un handicap mental. La capacitation que la culture peut apporter à chaque individu, afin qu’il puisse accéder au devenir parent, ne dépend pas des normes appliquées à l’école ou au travail, ni même dans les autres actes de la vie sociale. La capacitation du devenir parent est modelée aussi par le jugement porté dans l’ordonnance du juge des enfants, mais surtout, ce qui compte, c’est la manière dont l’ordonnance est utilisée et appliquée par les professionnels du terrain. La première question de la formation : comment communique-t-on l’ordonnance du juge des enfants aux parents ? Quels sont les circuits de la communication de cet acte ? Comment s’assurer que les parents l’ont compris ? Qui accompagne les parents pour qu’ils puissent s’approprier leurs droits qui constituent la source d’énergie pour exercer leurs devoirs. La formation rappelle aussi que, dans un système démocratique, les individus doivent accéder à l’expérience de leurs droits qui les situent dans la dignité, dans la prise de conscience de leur valeur en tant qu’être humain, participant à la vie d’une société. L’exercice de leurs droits rend dynamique l’accomplissement de leurs devoirs. Mais l’accomplissement des devoirs n’est pas un préalable du respect que les institutions doivent mettre en mouvement pour rendre vivables les droits des uns et des autres. D’autres systèmes, totalitaires, autocratiques ou les méritocraties renversent le rapport entre devoirs et droits. Mais dans un système humaniste, éclairé, les devoirs sont constitutifs de la dignité et de l’estime des personnes qui leur permettent de se mettre debout et d’agir de concert avec les autres. Ce lien intrinsèque entre droits positifs et devoirs est inscrit dans le Code civil : d’abord on expérimente l’espace civil des droits et ensuite, éventuellement, on fait basculer une « situation » dans le pénal. Le fait que, de nos jours, le pénal devient une logique dominante dans les rapports des institutions aux mineurs pose problème car elle porte atteinte au socle de notre culture humaniste. On ne peut badiner avec le rapport droits/devoirs sans déclencher un effondrement de l’intérieur de nos valeurs et forces instituant le vivre-ensemble, la paix sociale. Plus on accentue le volet pénal dans la prise en charge des jeunes, plus on alimente la stasis, la violence interne à la société. Plus on produit des « études scientifiques » qui alimentent l’idéologie pénale dans notre approche des jeunes, plus on fabrique des individus relégués à la marge des valeurs et institutions humanistes.

Page 22: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 23

En ce qui concerne le juge des enfants, souvent, ce poste est occupé par des professionnels qui changent d’une année à l’autre ou tous les deux, trois ans. En général, le juge des enfants ne connait ni l’enfant, ni ses parents. Il a rarement à faire à un avocat de l’enfant et encore moins à l’avocat des parents.

La principale matière qu’il utilise en vue d’une décision, ce sont les écrits des professionnels du Conseil général et de leurs partenaires.

Mais le juge des enfants ne suspend pas la vie ordinaire, ni le Code civil. Tout ce qui est à faire pour l’enfant de la part des services ne se réduit pas à l’ordonnance du juge. Le juge des enfants restreint et organise certains droits des parents, mais il ne cherche pas à pénaliser l’enfant, ni à l’isoler de la société civile.

S’il ne parle pas de tel ou tel droit, alors les services sont tenus d’inscrire l’enfant dans le respect du Code civil, au même titre que tous les enfants de cette société. Un exemple : si le juge des enfants ne dit rien sur le père, s’il n’interdit ni ne limite ses droits, alors, les professionnels du Conseil général se doivent de faire vivre, de rendre concret l’exercice de son autorité et de créer les conditions afin que l’enfant puisse accéder à cette première institution de reconnaissance qui s’appelle filiation.

Le Code civil est valable pour tout enfant pris en charge par le Conseil général et ses textes doivent être rendus effectifs dans la vie d’un enfant. La formation cherche à produire un dépassement de l’opposition constante entre les droits des enfants et ceux des parents.

Un autre exemple : lorsque le juge des enfants restreint et régule les droits de visite d’un parent sans parler du parent absent, cela ne veut pas dire que les travailleurs sociaux « oublient » l’absent, bien au contraire. Le service développe une nouvelle approche en direction du parent absent tout en rassurant le parent présent, sans opposer l’un à l’autre ou en cherchant la médiation si l’un manifeste une appréhension de «voir revenir» l’autre parent. Dans les situations dites de « délaissement », il faudrait envisager en amont, de nouvelles pratiques pour sortir de l’attentisme actuel : mieux évaluer la place de chaque parent et le type d’accompagnement qu’il faudrait initier afin que le parent avance dans son devenir, dans sa capacitation. Celle-ci est construite parce que de nouvelles conditions et de nouvelles expériences ont été favorisées, accompagnées par les intervenants.

Lorsque la force instituante du juge des enfants se fait la caisse de résonance d’un discours sur les incapacités du parent, il est pratiquement impossible pour celui-ci de porter cette charge négative, d’autant plus insoutenable qu’elle est formulée par les autorités (le juge représente l’autorité de l’Etat-nation). Nombreux parents ne peuvent trouver seuls d’autres solutions que de s’enfoncer dans l’alcool le jour des visites médiatisées ou de disparaître (la culture rend compte de cet état de honte qui fait que l’individu « veut disparaître sous terre »).

Page 23: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 24

Quelles sont les pratiques qui modifient les conditions de l’exercice de l’autorité parentale pour sortir le parent d’un statut d’incapable que l’on trouve dans les écrits des professionnels adressés au juge des enfants ?

L’attentisme par rapport à l’autorité parentale pourrait être remplacé par une pratique active de reconnaissance des parents, par le self-control dans l'utilisation des adjectifs négatifs dont la violence stigmatisante est connue. Les retrouvailles, les rencontres ordonnées par le juge des enfants sont le lieu propice aux changements ou au « retour » aux valeurs humanistes du travail avec les familles. Ce lieu actuellement utilisé pour « observer » encore et encore les parents avec leurs enfants est tout à fait adapté pour :

1. aider les parents à préparer les rencontres en amont et donc, s’investir en tant que professionnels dans une démarche créative ;

2. associer les parents pour rédiger ensemble la restitution au juge des enfants de ces moments de visite médiatisée. Cette étape passe par celle évoquée ci-dessus. Ce changement se déroule lors du cadre de l’alliance éducative parents-professionnels dans les visites médiatisées, par exemple.

La formation favorise la créativité des professionnels pour développer des techniques d’alliance entre les parents et les professionnels, fondées sur le Code civil. Une telle démarche peut être mise en avant, car elle est inscrite dans le fonctionnement de la PMI, dans l’intervention à domicile des parents, mais comment se traduit-elle dans le placement familial et les foyers ? Quel espace de communication et de médiatisation directe entre les parents et la famille d’accueil (en absence des enfants mineurs qui sont ainsi respectés, protégés) ? Comment les deux parties se mettent-elles d’accord pour assurer une cohérence dans la transmission et le développement de l’enfant ?

La notion de médiatisation est comprise dans l’anthropologie et la philosophie comme un lieu de coopération entre adultes qui ont un statut d’égalité sur la base du Code civil. Ils élaborent de concert chaque expérience proposée à l’enfant dans une démarche de transmission : on prépare avec la mère le goûter avant l’arrivée des enfants ; on fait attention pour que les parents n’oublient pas l’anniversaire de leurs enfants, etc.

La question formulée dans la formation : comment limiter la marginalisation et l’éloignement symbolique et physique des parents quand l’enfant commence à être pris en charge par les institutions ? La PMI, le service social de la Maison départementale des solidarités développent des méthodes pour faire avec les parents, mais dans la plus grande majorité des situations, ils touchent davantage les mères.

Le cadre juridique repose également la responsabilité éthique et le secret professionnel. La formation vise à faire un pas de côté devant le stress induit par une logique de dépistage des risques et des dangers qui obnubile la vigilance et la réactivité des professionnels. Car « à trop vouloir connaître et maîtriser la réalité, on rate le réel, toujours plus proche du sur-réel (de l’imprévu, de la surprise, de l’étranger). » (Enriquez, 2007).

Page 24: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 25

II. Le Département à travers la Maison départementale des solidarités : garant de l’inscription de l’enfant dans la société civile Mary Douglas met en évidence le processus par lequel se construisent les identités :

« C’est l’institution qui décrète l’identité. (...) Même les simples activités de classement et de mémorisation sont institutionnalisées. » (M. Douglas, 1999).

En complément, la psychanalyse ajoute une indication très précieuse:

« Il n’y a de sujet que là où il est institué. » (P. Legendre, 1985). La formation vise à augmenter la souplesse et la diversité des pistes par lesquelles une Maison départementale des solidarités institue l’enfant et l’accompagne dans son développement. Chaque enfant pourrait développer une identité multiple à condition que le Département soit en mesure de s’assurer que les parents et les professionnels établissent pour l’enfant des espaces et modes de communication qui posent une limite aux méthodes d’inclusion des parents dans des catégories marquées par des adjectifs stigmatisants.

La formation apporte des éléments pour repenser les rapports parents-professionnels et pour cela il est nécessaire d’amorcer un changement de posture chez les professionnels :

« Le cadre théorique qui permet d’aborder la solidarité et la coopération entre les professionnels et les familles. » (Balandier, 1999)

Dans une Maison départementale des solidarités, les règles de coopération et de solidarité avec les familles se trouvent en tension avec les normes négatives utilisées pour observer et diagnostiquer les comportements des parents :

« Parfois, la défiance est si grande qu’elle rend impossible toute coopération. » (M. Douglas, 1999).

Une des questions formatives : comment rechercher, voire exiger l’adhésion, la confiance d’une famille par rapport à une institution qui met l’accent sur leur inclusion dans des catégories négatives et qui, de surcroît, pose le paradigme du placement comme une solution sans alternative que les parents pourraient faire valoir au même moment (si ce n’est le placement « à domicile » !) ? Aujourd’hui, ce système de protection par le placement génère son propre « épuisement » qui se solde par des placements dits « non-exécutés ». Comment peut-on imaginer qu’un parent ciblé en tant qu’ennemi ou adversaire des professionnels, soupçonné ou « ciblé » comme « mauvais » (dans son comportement avec l’enfant) puisse passer comme si de rien n’était dans un rôle d’allié et « adhérer » au placement ? Ou alors, cette adhésion est-elle un signe d’impuissance, d’autodestruction en tant que parent, de disparition ?

Page 25: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 26

Il serait important de comprendre comment changer de rôle en passant d’une identité négative d’ennemi à une fonction de parent porteur de projet pour son enfant.

ARTEFA accorde beaucoup d’importance aux mots utilisés et à leur définition, étymologie, sens, car les mots sont nos premiers outils de travail, « c’est par les mots que l’on habite et on construit le monde, le rapport aux familles, mais aussi entre nous, dans une institution ». (Judith Butler, 2005). La parole institue les rapports entre les humains qui se parlent et qui parlent de l’autre en son absence (parler d’une famille en réunion de synthèse). Cette attention accordée aux mots fonde la recherche du sens et les limites du pouvoir des institutions et des personnes, car « nous sommes des êtres de langage et néanmoins la parole ne peut pas tout dire » (Legendre, 1985). La langue est la première institution de notre vivre-ensemble (H. Arendt), mais aussi une arme qui peut porter atteinte à l’existence même de certaines personnes ou catégories de personnes.

III. La filiation et la généalogie de l’enfant Les professionnels ne sont pas toujours au clair avec leur pouvoir d’instituer et pensent que ce sont les parents qui construisent leur identité indépendamment des institutions.

Exemple : une mère déclare auprès d’un professionnel que sa propre mère n’a pas été « suffisamment bonne » pour elle et qu’elle refuse de la laisser rencontrer son nouveau-né. Le service social se trouve devant la position de quelqu’un qui agit sur la base de ses ressentiments. Cette position subjective est certes recevable quand la personne parle de son enfance. Mais notre point de départ, c’est le nouveau-né. Comment instituer la continuité généalogique pour lui ? Une piste : valider, renforcer les dires de la mère ce qui installera une barrière ou une coupure dans la généalogie de ce nouveau-né. Une alternative : se démarquer de la position maternelle en introduisant des références juridiques, anthropologiques et psychanalytiques et les travailler avec la mère. Elle sera accompagnée pour passer de sa condition d’enfant au statut de parent responsable du devenir de son enfant. De même, sa mère n’est plus que sa mère, mais la nouvelle grand-mère. L’institution a une responsabilité dans la manière de formuler la place de l’enfant dans une généalogie qui inclut la filiation et les deux sont institués par nos pratiques professionnelles « l’homme ne naît pas seulement biologiquement ; il doit naître aussi en vertu de l’institution sociale de la naissance. » (P. Legendre, 1985) L’impact à long terme d’une coupure opérée dans la continuité généalogique entre l’enfant et ses grands-parents a été abordé à plusieurs reprises dans cette formation. L’institution a la possibilité (et même le devoir) d’élargir le réseau de parenté de l’enfant et de contribuer - par l'accompagnement des parents - à une pensée créative concernant l’intérêt

Page 26: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 27

supérieur de l’enfant. Cette tendance à produire un « vide généalogique » dans l’existence des enfants placés a été mise en évidence dans les situations évoquées par les stagiaires. Tout enfant doit être inscrit dans un espace vertical, généalogique. Un exemple : ARTEFA a accompagné une équipe qui a mis en place des rencontres entre une adolescente en grande difficulté et sa grand-mère. Dès les premières rencontres, l’équipe a constaté une amélioration de l’état psychique et même physique de l’adolescente (S). Le projet précédant misait sur l’éloignement de S par un « séjour de rupture ». Les apports anthropologiques ont favorisé la mise en place du rapprochement entre S et sa grand-mère. Le professionnel échangeait régulièrement avec la grand-mère pour préparer les rencontres entre elle et sa petite-fille. Au début de ce projet, les professionnels pensaient que le conflit qui opposait la mère et la fille était un obstacle dans le rapprochement entre S et sa grand-mère. Un travail rythmé sur trois semaines (en raison d’une rencontre par semaine) avec la mère, puis avec la fille, a été mis en place, afin que chacune puisse dessiner son arbre généalogique. Ce travail eut un effet immédiat sur la mère, car l’arbre généalogique de S ne contenait qu’une seule petite branche : celle de sa mère. Tandis que la mère a pu dessiner ses frères et sœurs, ses grands-parents maternels et paternels, un « vrai arbre ». A partir de là, elle a donné son accord pour que l’éducatrice contacte la grand-mère de S. Ce « pas de côté » a changé l’inscription de S dans la vie et a mis fin à ses actes d’autodestruction (alcoolisation et tentative de suicide). La mère a recherché ses beaux-parents en les situant sur l’arbre généalogique de sa fille en tant que grands-parents paternels. Elle a pu parler pour la première fois de la mort du père de S, décédé dans un accident dont elle ne lui a jamais parlée. De plus, elle a contacté les grands-parents paternels qui avaient rompu tout lien avec elle après la mort de leur fils. S a pu aller sur la tombe de son père accompagnée par sa grand-mère maternelle et l’éducatrice. La mère refusait d’y aller, mais cela n’a pas été analysé dans un paradigme négatif. Son refus était un fait anthropologique digne de respect et sans commentaires. Les professionnels se sont aperçus que S n’avait jamais eu une expérience dans la vie réelle, hors des circuits et des lieux de l’ASE. Sa seule expérience était en lien avec son corps qu’elle traitait comme un « objet ». Et l’autre expérience se résumait au conflit avec sa mère. Le jour où sa mère lui a dit qu’elle était contente de lui avoir donné la vie, même si elle n’avait pas trouvé la force de l’élever, S a changé radicalement : elle marchait différemment, elle s’est mise à grandir d’un coup. Les propos de la mère ont été accompagnés et élaborés dans un accompagnement avec l’éducatrice de S. Elle a manifesté régulièrement son intérêt pour que la mère puisse élaborer ses propres souvenirs en lien avec sa grossesse (c’est-à-dire lui raconter une histoire banale propre à toute femme enceinte qui a des envies, etc.) et l’accouchement. Au moment où les services de l’ASE ont été confrontés à la crise de l’adolescente, aux fugues, à des comportements violents, les apports d’ARTEFA ont été mis en pratique comme une « dernière chance ». Un autre volet a consisté à faire en sorte que la médiation entre la mère et la grand-mère aboutisse à des moments d’accalmie, de vie ordinaire : un café pris ensemble, un dialogue sur le temps, les fleurs du jardin, le chien du voisin. Cette vie ordinaire devenait le « trésor » de S. Car elle était restituée, valorisée par l’éducatrice.

Page 27: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 28

Les conditions créées par les professionnels ont rendu possible cette orientation vers la vraie vie de l’adolescente. Cette expérience n’est pas isolée. L’analyse des situations faite par ARTEFA oriente les professionnels vers une question alternative : « comment protéger tout en autorisant l’enfant à revenir dans son réseau de parenté, à voir ses grands-parents ou tout autre membre de sa famille, comment l’aider à élaborer des souvenirs qui ne sont pas inscrits dans le risque ou le traumatisme ? » Là encore, S était autorisée à bouger. L’équipe a cessé de comptabiliser ses « fugues » et a utilisé la méthodologie de la circulation intelligible de l’enfant entre le foyer, l’école, le village de sa mère et la maison de retraite où vivait sa grand-mère maternelle. Ces apports anthropologiques permettent d’affirmer devant les parents que le motif d’un signalement ou d’un placement n’arrête pas la vie avec leurs enfants et qu’ils continuent d’être les sources de sa vraie vie. ARTEFA complète le référentiel psychanalytique : la transmission et l’autonomie du

sujet sont enrichies lorsque l’enfant est inscrit dans une généalogie sur trois générations : la

filiation verticale est renforcée par le rapport généalogique enfant-grand-parents. L’expérience

de la généalogie se traduit dans les pratiques et les écrits. La méthode consiste à répondre aux

questions suivantes :

- quels documents pour inscrire et transmettre à l’enfant son arbre généalogique avec les

noms, prénoms, dates de naissance, domicile de ses grands-parents, oncles, tantes... ?

- quelles méthodes et quel « pas de côté » pour inventer une médiatisation réelle lorsqu’il y a

des conflits entre les enfants (frères-sœurs) sans installer le postulat de la séparation et de

l’individualisme ?

- quelles méthodes et quel pas de côté pour la médiatisation dans les conflits parents-enfant ?

- a-t-on été des « facilitateurs » pour que deux générations se parlent en oubliant leurs conflits

et en se mobilisant avec les professionnels pour l’avenir de l’enfant ?

IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la répétition

Pour aborder le devenir, il faut prendre du recul par rapport à la théorie déterministe qui établit un rapport de cause à effet entre passé et avenir. Peut-on construire de nouvelles pratiques sur la base de l’hypothèse fertile que le passé ne détermine pas l’avenir ? Il existe un à-venir pour chaque enfant, à condition que chaque institution mette en mouvement un imaginaire collectif, un projet pour chaque enfant. La notion de projet se vide de sens si une équipe croit que le passé détermine l’avenir.

Page 28: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 29

Or, le « retour sur le passé » est un des axes de travail dans les services de protection de l’enfance, visible dans les écrits : la plupart du temps, on commence les rapports par refaire d’une manière répétitive le « passé » tel qu’il a été formulé par les services. Quand nous analysons la construction du passé dans les écrits professionnels (notamment ce que l’on appelle « rapport d’évolution ») on constate, suivant Mary Douglas (1999) « que ce qui est en jeu, c’est le présent » de la décision. Le passé est examiné à la lumière de la décision à prendre dont le ‘point culminant’ est le placement de l’enfant. » L’anthropologie permet d’examiner comment s’établit la mise en lumière de certains aspects observés et comment on obscurcit (on laisse entre parenthèses) d’autres événements qui ont eu lieu dans le passé des gens. Dans ce sens, Mary Douglas parle d’une mémoire sélective produite par les institutions. Les grilles d’observation et de recueil de données dans une famille renforcent le principe de la répétition. Ce processus analysé par Yan Hacking (2008) est très courant dans le domaine de la protection de l’enfance. La maltraitance participe à la construction des catégories entourées d’adjectifs négatifs (toxique, incapable, dangereux, etc.). Une analyse de l’histoire de la protection de l’enfance permet de comprendre que le devenir des enfants a été peu exploré. En revanche, la répétition a été un postulat de départ que l’on a scellé dans les fondements même de la prise en charge : cette croyance forte est passée dans le langage et les outils des discours scientifiques, notamment portés par le corps médical et par les psychologues. Le crédo de la répétition a circulé dans la littérature américaine avant d’être repris par les Français. Très rapidement, une formule allant de soi s’est installée dans l’imaginaire collectif : « victime de mauvais traitement comme enfant, parent coupable de mauvais traitement sur leurs enfants. » (Y. Hacking, 2008). Un tel crédo permettait de trouver une explication simple, « héréditaire » qui était dans l’air du temps « bio ». Mais aussi, elle permettait de produire (ou de fabriquer) des circuits de sélection au sein des populations pauvres et considérés comme un fardeau pour la société (illettrés, pauvres économiquement, sans patrimoine, sans ressources, peu aptes à prendre une place sur le marché du travail, alcooliques, etc.) Dans ces populations, on puise les catégories de « parents carencés ou maltraitants ». Mais certains bénéficient de circonstances atténuantes puisqu’ils ne font que reproduire ce qu’ils ont connu dans leur enfance. Dans aucun autre domaine, le crédo de la répétition n’a été investi par les professionnels et les scientifiques d’une manière aussi passionnelle. Alors que les études accumulées ne permettent pas d’énoncer autre chose qu’une croyance ou un crédo. Le principe de la répétition a été aussitôt relié à « l’injonction de séparer les bébés de leurs parents. » (Y. Hacking, 2008) Ce qui étonne, c’est de constater que ces enfants élevés depuis la naissance dans d’autres familles et institutions sont inscrits dans la catégorie des

Page 29: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 30

futurs parents incapables de prendre en charge leurs enfants « puisqu’ils n’ont pas vécu avec leurs parents ». Ce fonctionnement en boucle aboutit donc, à la même conclusion : qu’ils soient laissés avec leurs parents ou qu’ils soient séparés et élevés dans d’autres familles, une catégorie d’enfants alimente sans cesse le domaine de la lutte contre la maltraitance d’enfants. ARTEFA pose un raisonnement alternatif : A. soit la capacité d’être mère et père est d’ordre héréditaire et même génétique ou tient à l’instinct, dans ce cas, la fatalité annule le bien fondé de toute séparation, mais aussi du devenir. B. soit on est dans le champ du devenir parent où les comportements de ses propres parents et ses propres souvenirs d’enfance ne sont qu’une partie de la matière que chaque personne utilisera pour commencer un nouveau cycle à partir de sa fonction parentale. Le devenir est inconcevable sans l’exercice de la liberté :

« Cette liberté consiste en ce que nous appelons la spontanéité, voire, d’après Kant, le fait que chaque homme est capable de débuter de lui-même une série. La liberté signifie la même chose que poser-un-commencement-et-débuter-quelque-chose dans la continuité des anciens, des générations qui nous ont précédés. » (H. Arendt, 1995).

Il s’agit donc d’accompagner les possibilités de choix pour que chaque parent marque son originalité dans l’éducation de son enfant, tout en gardant le cadre des valeurs et des lois. Le devenir parent est une forme de recherche qui a besoin d’appui, d’accompagnement, de validation des institutions fréquentées par les enfants. Chacun cherche à réinventer la transmission d’une histoire vivante dans une société à tendance amnésique où les passages entre les générations ne sont plus assurés par les grandes structures socio-économiques qui sont nécessaires pour que le père soit inscrit dans le processus de transmission en direction de son fils :

« Transmettre un métier repose sur un ensemble de prescriptions sociales, et tout d'abord sur les modalités d'appropriation sociale des savoirs entre le père et le fils. » (Denis Chevallier, coord.)

Le devenir du parent se concrétise dans l’expérience du don : je donne à mon enfant pour qu’il puisse donner à son tour, d’une manière personnelle, créative, aux autres. Ce ne sont pas des objets, mais la continuité généalogique, des ressources symboliques que l’on transmet dans le renouvellement du don. Chaque naissance réenclenche la dette du devenir humain dont les parents sont les « passeurs privilégiés » à condition qu’ils ne soient pas isolés, sans réseau social. (M. Maïlat). Le devenir provoque de l’incertitude chez le parent : « qui je suis ?, suis-je sur la ‘bonne voie’, ai-je bien agi ? Est-ce que mon enfant se débrouillera, survivra sans moi ? » Ces questions, le parent ne peut les porter seul. Il doit être accompagné, confirmé, critiqué par les autres qui assurent leurs contributions auprès des enfants.

Page 30: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 31

Le devenir du parent soulève l’idée implicite de sa mort : l’horizon du devenir est celui de la vieillesse et de la fin. L’être humain ne va pas de soi. Il est pris dans l’éternelle question sans réponse du non-être : « en tant qu’être-dans-le-monde, l’homme ne s’est pas fait lui-même, mais a été jeté dans cet être qui est le sien. » (H. Arendt, 2002). Par leur qualité de citoyens, les parents font partie de la société. La reconnaissance des autres qui confère un statut à la personne est le pilier auquel s’adosse le parent dans l’éducation de ses enfants ou quand il rencontre des difficultés avec eux (à l’adolescence, par exemple). Les enfants intègrent le respect et la dignité lorsque leurs parents sont reconnus par leurs pairs (les bénévoles d’une association, les professionnels, le juge des enfants, les voisins, etc.). La vie sociale des parents ouvre aux enfants une porte vers la société.

V. Faire la différence entre répétition et transmission Suivant l’anthropologue Godbout (1992), la répétition caractérise les organisations rationnelles de type industriel et/ou bureaucratique. La répétition repose sur la standardisation des actes, des outils, des écrits et sur l'interchangeabilité. Par exemple, dans un service, un poste d'assistante sociale peut être occupé par plusieurs personnes qui se succèdent sans que cela produise un dérèglement majeur dans l’organisation et son management. Mais même dans un système qui repose sur la répétition, le vécu subjectif, affectif apparaît : les collègues peuvent regretter le départ d’un collègue :

«Toute l'organisation rationnelle industrielle et bureaucratique est fondée sur un principe niant l'unique, celui de la répétition et de la reproduction du même à l'infini, celui où rien ne doit apparaître d'imprévu, car l'imprévu est considéré comme imperfection, anomalie, dans la chaîne de la reproduction parfaite du même. Le principe du don est au contraire l'imprévu, « something extra » (Cheal, 1988), ce qui échappe, ce qui apparaît venant d'on ne sait où, ce qui naît, ce qui brise la chaîne reproductrice du même au profit de la fécondation, de la naissance.» (Godbout, Caillé, 1992)

Mais la naissance d’un enfant introduit d’emblée l’imprévu, la surprise, l’étranger, la nouveauté. Chaque enfant est une altérité qui échappe à la répétition. Cependant, par l’éducation, il intégrera des normes, des comportements propres à la société dans laquelle il vit. L’identité de l’enfant se forme au cours d’un processus de reconnaissance : reconnaissance des parents (« tu es mon fils/ma fille »), mais aussi reconnaissance des autres institutions (« bon élève », « handicapé », « incasable », etc.).

Page 31: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 32

La disparition d’un enfant est une perte particulière, unique, même si, par la suite, certains parents désirent mettre au monde un autre enfant. Mais les deux enfants ne sont pas interchangeables comme les employés qui se succèdent sur un poste au sein d’une organisation. Par la suite,

« cet ordre conditionne son devenir » et on ne peut guère faire demi-tour pour échapper à une catégorie dans laquelle les institutions ont inscrit une personne (J. Butler, 2005).

Certes, la répétition est nécessaire dans l’apprentissage et l'acquisition des savoirs et dans la réalisation les tâches. Selon le philosophe W. Benjamin :

« Les tâches du salarié sont soumises à la loi de la répétition séquentielle, décrochée d’une vision à long terme. (...) Ils (les salariés) vivent leur existence comme des automates, semblables à ces personnages fictifs dont parle Bergson, qui ont complètement liquidé leur mémoire ». (W. Benjamin, 1998)

La mémoire des institutions est construite par l’opération de classification des populations en catégories, ce qui facilite l'administration d’un grand nombre de personnes. Mais la mémoire des personnes diffère fondamentalement de celle des institutions : revisiter son histoire, inventer, construire plusieurs versions, ainsi que l’oubli, la liberté, la préservation de l’estime de soi y jouent un rôle régulateur. Ce qu’un service garde en mémoire est souvent figé et circule d’une manière répétitive dans les documents concernant la personne. Ainsi, un professionnel peut se rappeler que tel ou tel enfant, aujourd’hui parent à son tour, a été victime de carences et maltraitances de la part de ses parents. Mais il ne se rappellera pas les faits qui ont été essentiels pour la construction du sujet : les moments de vie ordinaire marquant l’identité de tout être humain. L’individu construira ses souvenirs suivant le principe de l’unicité : ainsi, un fait banal, vécu par plusieurs personnes en même temps, sera raconté différemment par chaque personne. Cette tendance à construire un récit de soi particulier, original, est le chemin d’accomplissement du sujet, de l’homme. Ricoeur et Lacan éclairent ces repères : mais qu'est-ce que se souvenir ? Ce n'est pas simplement évoquer certains événements isolés, mais devenir capable de former des séquences signifiantes et des connexions ordonnées. En bref, c'est être capable de constituer sa propre existence en forme d'histoire, de telle façon qu'un souvenir isolé ne soit que le fragment de ce récit. C'est la structure narrative de ces histoires vécues qui fait d'une vie une « histoire de cas ». Qu'une telle mise en ordre par l'analysant des épisodes de sa propre vie sous forme d'histoire constitue une sorte de travail — comme le mot translaboration le suggère —, est attesté par le rôle d'un phénomène fondamental de l'imaginaire, à savoir le phénomène d'après-coup — Nachträglichkeit — qui a si bien été dégagé par Jacques Lacan. C'est le fait que « les expressions, les impressions, les traces mnésiques, sont refondues plus tard en fonction de l'expérience nouvelle de l'accès à un nouveau stade de développement, et qu'elles peuvent assumer non seulement une signification nouvelle, mais une nouvelle efficacité » (Vocabulaire

Page 32: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 33

de la Psychanalyse, p. 33). (Ricoeur, 1986) En général, même dans les activités quotidiennes, la répétition est rarement une reproduction à l’identique : par exemple, quand une personne doit recopier un texte, elle a tendance à modifier un mot, à changer le graphisme du texte, à faire un pas de côté et même à écrire une fiction (cf. Le film « La Merditude des choses », réalisé par Félix Van Groeningen que nous avons pris comme référence dans cette formation : l’enfant transforme la punition de recopier la même phrase en une création littéraire).

Dans le cas du salarié, les études montrent qu’une trop grande rigidité exigée dans la répétition des tâches provoque davantage d’erreurs, mais aussi certaines stratégies d’évitement. L’organisation, fondée sur la standardisation et la répétition des tâches, se situe en marge du travail subjectif de la mémoire et du récit de soi. W. Benjamin, à la suite de Bergson, met en évidence le fait que l’organisation est « dépourvue » de mémoire subjective qui se caractérise par la plasticité ou le remaniement permanent. C’est pour cela qu’il est plus approprié de parler du parcours des individus dans le circuit des services que de son histoire. Les institutions construisent des grilles d’observation et des rapports, mais heureusement pour nous tous, elles n’englobent pas la personne dans sa totalité, notamment le récit de soi de l’individu. Confondre la description d’une situation avec l’histoire est dangereux, car cela peut porter préjudice sur le chemin vers l’autonomie de la personne. Chaque histoire est génératrice de renouveau, d’une « dette de sens » (Caillé, 1997) que la personne porte tout au long de son existence. Sans transmission, il n’y a pas de société. Elle est constituée de « pas infiniment petits » qui échappent ou ne trouvent pas de place dans les représentations des institutions. En revanche, les institutions vont donner les grands axes de la transmission des normes de vie en société. La famille reçoit une sorte de commande sociale de la manière dont il faut soigner, protéger, éduquer les enfants. Cette commande sociale est pré-fabriquée avant même qu’une femme soit enceinte ou qu’un homme décide d’assumer une paternité.

La transmission dans une famille dépend de la reconnaissance que la cité accorde à cette famille : en quoi tel ou tel parent est donné comme exemple dans le quartier, à l’école, dans le service social, dans le cabinet du juge des enfants et cela en présence de son enfant ? Car « transmettre, c’est assurer des fonctions sociales au-delà de la famille à destination de la société » (Jacques Commailes, 1999).

La famille est donc un des espaces où se met en route la transmission : par exemple, les parents transmettent le nom qui est le « socle » de l’identité de chaque individu, sa « carte de visite ». Le parent qui n’est pas valorisé dans son rôle de transmission (des actes, des paroles, des valeurs, des expériences, de l’histoire familiale) est délogé de sa place et peut perdre son autorité.

Page 33: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 34

Lorsque l’enfant est pris en charge dans un système où le parent n’est plus en position de transmettre au quotidien, il n’est pas étonnant que l’enfant perde le respect, la confiance et parfois, tout sentiment d'appartenance à sa famille. La transmission se déroule par le jeu de trois composants : donner-recevoir-rendre. Ces trois composants sont indissociables. On ne peut pas ne pas donner - tant que l’on est en vie. La transmission entre parents et enfants construit l’axe vertical de la filiation. Dans ce cas, la transmission est fortement asymétrique, voire exclusive : les parents donnent la vie, inscrivent l’enfant dans le monde et dans l’histoire. En revanche, l’enfant n’est pas en mesure de « donner la vie » à ses parents. Cependant, la réussite de l’enfant dans les institutions touche les parents : un enfant qui réussit à l’école devient un facteur de valorisation de ses parents et vice-versa : l’échec scolaire d’un enfant entraîne un phénomène de dévalorisation des parents. Le parent est souvent très seul et démuni pour faire face à ce processus institué. Le « don de vie » du parent à l’enfant est le principal « objet inestimable » (P. Legendre, 1985) dans la transmission partant du parent vers son enfant. Cette transmission unique n’a rien à voir avec les comportements des parents. Elle se matérialise dans l’acte de naissance de l’enfant, dans son état civil. Il transcende le biologique. Le biologique ne devrait pas sur-déterminer le « don de vie » symbolique, inscrit dans l’acte de naissance de l’enfant. La filiation est chargée de ce « don de vie » structurant l’identité de tout enfant. De nos jours, le biologique est de plus en plus souvent évoqué comme le facteur déterminant de la filiation. Cette culture du biologique (pour ne pas dire « culte du biologique ») est installée par le bio-pouvoir dont parle Michel Foucault.

Page 34: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 35

VI. Donner-recevoir-rendre et la reconnaissance « Nous considérons que la famille est le lieu de base du don dans toute société, le lieu où il se vit avec le plus d'intensité, le lieu où on en fait l'apprentissage » (Godbout, Caillé, 1992). L’enfant y reçoit la vie sociale, symbolique et biologique. La vie de l’enfant est reliée à celle des parents par l’acte volontaire de reconnaissance effectué par chaque parent : un acte volontaire qui est légitimé par la loi : « »u es bien mon fils/ma fille ». Cet acte volontaire de reconnaissance est validé par un dispositif extérieur à la famille, constitué d’institutions. La filiation une fois établie par ce dispositif se pose comme étant inaliénable : personne ne peut l’invalider sans commettre un abus, une injustice. Pour sortir d’une filiation ou pour annuler une filiation, il existe des systèmes spécifiques, mais en aucun cas cela ne dépend de la volonté de négation d’une personne. Autrement dit, un parent ne peut pas invalider ou annuler la filiation de l’autre parent. Dans la formation, on a constaté que cette situation est relativement fréquente. Or, si le service relaye cette parole de négation, il accorde une « légitimité illégitime » qui s’apparente à une forme de maltraitance d’enfant. Car une institution qui valide la négation de la filiation d’un enfant produit une perte de sens beaucoup plus importante que lorsque cette négation reste au niveau des doutes ou d’une parole subjective de l’autre parent (ou d’un membre de la famille). Qu’un parent dise de l’autre parent, en l’occurrence du père, « il n’est pas ton père », cela peut s’entendre sur le registre de l’opinion d’une seule personne, mais cette opinion doit être contrebalancée par la réalité juridique- anthropologique : si un homme a reconnu, cette reconnaissance est inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant, les institutions doivent donc l’intégrer dans leurs repères d’accompagnement. A cette reconnaissance s’ajoute aussi le fait que l’enfant a grandi avec l’image paternelle incarnée par ce monsieur. L’invalidation abusive de sa filiation paternelle produit une forme de destruction de son identité. Ainsi, une mère qui s’adresse aux services sociaux ou à la PMI en disant «Monsieur B. n’est pas le père de mon enfant», alors que Monsieur B. a reconnu l’enfant, juridiquement, de sorte qu’il figure dans l’acte de naissance de l’enfant. Cette mère parle en son nom propre, mais ne peut en aucun cas déchoir cet homme de son statut de père. Mais si l’institution valide la parole de la mère, alors l’institution inflige par son pouvoir d’instituer une souffrance pour l’enfant.

VII. Apports sur l’autorité : les autorités et l’autorité parentale Un peu d’étymologie. Le mot latin de auctor – auctoritas = auteur de mes mots de mes actes, ça fait partie de nous, nous représente. C’est la façon dont chacun assume ce qu’il dit. La parole donne de l’autorité aux actes. On peut parler de l’autorité dans l’engagement avec les

Page 35: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 36

autres. La parole de l’autorité est une parole qui nous accompagne tout au long de la vie, même quand le parent est mort. Parfois, cette parole n’est pas prise en compte sur le moment. Elle fait son chemin en silence et revient à l’esprit de l’enfant lorsqu’il est adulte. Contrairement aux idées reçues, l’autorité n’est en aucun cas une forme de coercition, d’injonction visant l’obéissance, ni une menace. L’autorité autorise, encourage, pousse vers la découverte. Pour H. Arendt, l’autorité est un avis ou un conseil dont on ne peut se passer sans dommage, mais qui s’avère important plus tard, lorsque l’enfant se souvient des dires de ses parents ou d’un autre adulte qui l’aurait encouragé ou consolé dans son enfance. L’autorité est donc prolongée par le travail de la mémoire. Emile Benveniste (1969) a mis en évidence les racines anthropologiques de cette notion universelle présente dans les langues. L’autorité est avant tout, un avis ou un conseil. Celui qui le reçoit a tendance à le mettre à l’épreuve. Rappelons le sens latin de ce terme : l’auctoritas se définit comme l’attribut « dont il faut être investi pour que la parole qu’on profère ait force de loi ». L’auctoritas est l’acte de « dire », de « faire exister » mais un acte de parole fondé sur la reconnaissance des autres. Quand le parent est en situation de précarité et de perte d’estime dans son environnement, cet acte de parole est d’emblée fragilisé. Autrement dit, personne ne peut faire autorité par soi-même sans être institué par la société, les institutions et les autres.

L’autorité parentale est enchâssée dans les autorités des institutions. L’autorité n’est jamais prise par un individu, mais toujours attribuée par une instance, un collectif, un Etat, une communauté. L’autorité parentale est inséparable de l’analyse des institutions qui constituent le corpus des autorités dans un Etat. Michel de Certeau intitule « Contre l'inconscience » son essai qui aborde la question des autorités. Selon ce philosophe, avant de parler d’une autorité au singulier, soit-elle parentale, il faudrait situer les autorités du côté d’un emboîtement des institutions, des organismes, associations, fondations et service public qui appliquent des lois et des règlements en fabriquant une « connaissance officielle » des gens, « connaissances » inscrites dans les dossiers comme ceux constitués à la Maison départementale des solidarités. Les institutions composent des supra-structures qui déterminent la vie des personnes et leur avenir. Les autorités disposent d’un arsenal de techniques de communication et de contrôle nettement plus puissant que la parole des parents.

Les autorités des institutions « s’incarnent » dans les discours et les actes de leurs agents qui font vivre le service. Ce sont ces agents mandatés ou missionnés qui confèrent donc, un statut au parent dans l’espace publique. Ce statut public aura des effets sur l’exercice de l’autorité dans l’espace privé de la famille.

L’autorité se distingue de la « commande » autant que de l’exercice charismatique du pouvoir. L’autorité n’a pas besoin de « commander ». Elle se matérialise dans la capacité de

Page 36: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 37

faire une expérience avec l’enfant, de lui faire découvrir le monde par une petite fenêtre ouverte sur le monde. L'instituteur passionné par son métier est une des figures de l’autorité dans les sociétés modernes. L'autorité est symbolisée par le travail du parent qui, dans la société traditionnelle, transmettait son savoir-faire aux enfants. Aujourd’hui, trop souvent, les institutions ne sont pas en mesure d’identifier les savoir-faire des parents et de créer les conditions pour que ces savoir-faire soient transmis à l’enfant. Récemment, dans un foyer, les travailleurs sociaux ont découvert qu’une des mères (considérée depuis des années comme étant « défaillante », « maltraitante », etc.) possède une richesse de savoir-faire manuels : elle tricote, travaille le bois, a des connaissances importantes des animaux sauvages, oiseaux, etc. Or, par ailleurs, cette mère a intégré dans son identité la conviction qu’elle est dangereuse pour ses enfants et incapable de leur transmettre quoi que ce soit. La valorisation de ses savoirs par l’accompagnement d’un psychologue a permis une reconstruction de la filiation entre cette mère et sa fille et a fait émerger une nouvelle forme d’autorité parentale : l’enfant respecte davantage sa mère et la mère s’intéresse davantage aux progrès de sa fille. Cette méthode de travail ne demande pas plus de temps et donne des résultats visibles. La notion d’autorité émerge dans les rapports d’estime et de dignité entre adultes (dans le cas cité ci-dessus entre la mère et l’anthropologue, entre la mère et la psychologue). Lorsque le parent est trop souvent ciblé comme défaillant ou dangereux, culpabilisé parce qu’il n’est pas assez sévère, ne met pas des limites à son enfant, sa réaction est parfois violente. C’était le cas de cette mère qui était redoutée par les services sociaux. L’alliance entre elle et les deux professionnels a été suffisante pour changer l’ensemble des rapports entre elle et les institutions. Lorsque l’enfant est en difficulté à l’école, confronté à l’échec scolaire, la meilleure méthode que l’on peut conseiller aux parents, c’est l’alliance établie du côté de leur enfant, l’attitude solide de bienveillance qui l’aide à tâtonner, à chercher, à prendre son temps, à accumuler de nouvelles expériences pour trouver ses propres chemins. Ainsi, une autorité parentale responsable est celle qui empêchera que l’enfant soit « cassé » par l’institution, acculé à l’échec scolaire. L’échec scolaire a comme effet une perte d’estime de soi de l’enfant et la perte de confiance dans l’éducation prodiguée par les adultes. L’échec de l’enfant renforce la culture de la honte et de l’exclusion dans la vie de toute une famille. Ce sont les services de protection de l’enfance qui peuvent utiliser leur force instituante pour installer d’autres expériences de transmission de savoirs sur la base du bien-être. Ces expériences sont faites dans les favelas brésiliennes et dans d’autres pays. En France, il s’agirait de créer des « espaces de rencontres et transmissions entre parents et enfants » dans le cadre de la protection de l’enfance, pour que les familles puissent accéder à une expérience de dignité et non pas d’humiliation devant les savoirs et ceux qui détiennent ces savoirs. Une étude met en évidence l’isolement des parents face aux institutions qui font de leurs enfants des « incasables » : « Les parents tentent de soutenir leur enfant, activent leur réseau pour trouver un lieu de stage, couvrent ses absences avec plus ou moins de constance, lui

Page 37: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 38

trouvent des excuses, principalement dans le niveau inaccessible des exigences, mais surtout dans la dureté des relations à l’école. Reprenant les témoignages et les plaintes des jeunes, leurs parents mentionnent les humiliations, les injustices et les peurs. Tel enseignant, tel surveillant a pris en grippe leur enfant, l’accuse systématiquement des incidents, parfois même en poursuivant une vindicte qui avait déjà affecté un aîné. Les professionnels des collèges, eux, à l’opposé, soulignent que ces jeunes font peur à leur camarade et que leur retrait de la classe est un soulagement pour tous. » (Michèle Guigue, 2008). Un bras de fer s’installe souvent entre le parent et l’école. L’écoute du parent, la prise en compte de ses propos par l’école est une condition indispensable de la transmission des valeurs dans notre société. Mais ce fait culturel est négligé et les établissements manquent de lieux de médiation et de négociation entre parents et enseignants. Cette absence de médiation est ressentie aussi par les professionnels de la Maison départementale des solidarités. Pour rendre effectif le respect des parents, il faut une organisation de la médiation sociale intégrée dans le fonctionnement des services. Ce travail a été expérimenté avec des résultats intéressants par le Programme Enfance Prévention (PEP). Dans une des situations analysées dans la formation, on a constaté le changement des rapports entre la mère et les professionnels : d’un rapport conflictuel, on est passé à une coopération positive pour le bébé. Rappelons que la loi de l’autorité parentale telle qu’elle figure dans le Code civil exige:

« L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère » (Art. 371-1 du code. civil.).

Le législateur traduit ici une des valeurs anthropologiques et politiques fondatrices de notre société. Pour « avoir » de l’autorité, il faut que l’on soit reconnu par les institutions qui produisent les conditions favorisant l’exercice de l’autorité par le parent. On respecte les parents pour affirmer que la vie de leur enfant est accueillie et inscrite dans la cité, au-delà de la famille. L’enfant grandit parce qu’il expérimente le respect et la dignité que les institutions marquent à l’endroit de ses parents. Un parent est digne de respect parce qu’il est le représentant légal de son enfant, même quand il a été ciblé par un rapport faisant état des « carences éducatives » ou de « maltraitance ». Le parent est « auteur » de l’enfant dans le sens que l’enfant portera le « don de vie », la filiation que le parent a installée pour lui. L'intérêt supérieur de l’enfant réside, entre autres, dans l’expression de l’estime à l’endroit de ses parents, de son réseau de parenté (parents, frères, oncles, etc.) et de son histoire familiale qui ne peut être réduite aux faits négatifs contenus dans le dossier. L’autorité est à séparer de la notion de pouvoir. Dire « non » est avant tout un acte de pouvoir et non pas d’autorité. L’autorité est une parole qui autorise dans un cadre où l’enfant accède à la découverte, à la créativité et à la prise de risque. Exemple : apprendre à nager, à faire du vélo. Tout acte d’apprentissage est précédé et accompagné par une autorité qui autorise, valide, valorise, corrige, formalise, etc. L’autorité est donc rattachée aux actes d’un auteur.

Page 38: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 39

Chaque parent combine l’autorité et le pouvoir : poser un cadre, dire non tout en le rattachant à une ouverture, à une possibilité d’apprendre. L’autorité est aussi un formidable mécanisme du devenir : lorsque l’enfant n’y arrive pas, lorsqu’il aimerait faire une nouvelle expérience ou dépasser ses difficultés, lorsqu’il réagit par la violence, l’agitation, l’entêtement, le parent est mal placé pour jouer le rôle de l’autorité. Il a besoin de relais. L’adulte viendra dire à l’enfant : « si, tu peux y arriver et je suis là, avec toi, pour que l’on y arrive ensemble ». C’est ainsi que l’autorité est installée dans notre culture. L’autorité dit « si, tu peux » et non pas « tu ne peux pas ». Parfois, un parent se trouve dans une position qui fait de lui davantage un ami qu’un porteur d’autorité. Dans de nombreuses situations, les institutions pourraient préserver la filiation, « colonne vertébrale de l’identité », même si le parent n’adopte pas des positions d’autorité. Les parents qui se trouvent en marge de l’autorité ne sont pas pour autant de mauvais parents. Mais s’ils sont discrédités, ils s’éloignent de l’enfant, même quand il est présent à domicile. Le sentiment de colère et de honte l’emportera sur l’exercice de l’autorité. Il est important de faire la différence entre filiation et autorité : la filiation existe indépendamment de l’autorité. Un parent peut voir son autorité retirée partiellement ou totalement par le juge des affaires familiales.

VIII. Les métamorphoses du modèle « famille » VIII/1. Les politiques familiales de l’Etat-nation entre welfare et workfare L’intérêt que l’Etat porte à la famille est traduit dans la politique familiale. L’analyse historique de cette politique menée en France depuis le début du 20e siècle est

« … révélatrice de l’évolution de la structure des relations de pouvoir (…) qui marque l’institutionnalisation définitive de la gestion collective, publique des familles. » (Claude Martin)

Cette politique s’est orientée vers la légitimation de l’ingérence des autorités publiques, des experts, des professionnels et des médias dans la vie des familles, ingérence renforcée par un discours idéalisant l’enfant et sa protection. La famille fait l’objet de nombreuses normes véhiculées par ces instances de pouvoirs, au point que l’on peut parler d’un « bombardement médiatique » concernant le bonheur du couple et les modèles éducatifs proposés aux parents. Dans l’histoire de l’Occident, on n’a jamais vu émerger autant de « métiers » et « spécialistes » de l’enfance et de la famille. Plusieurs courants politiques s’affrontent sur le « terrain » : les pouvoirs du

Page 39: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 40

gouvernement, des élus territoriaux, le pouvoir des autorités judiciaires, les pouvoirs des CAF, des associations, etc. Dans les interstices de ces pouvoirs, nombreux comités, commissions, groupes de travail exercent leurs influences en fonction de leurs convictions et paradigmes. Dans le système welfare, la principale orientation vise le respect de la vie privée des familles et encourage le processus de socialisation de l’enfant avec d’autres adultes que leurs parents, mais aussi, l’éducation cherchant à stimuler la créativité de l’enfant, son intelligence et son esprit critique, ainsi que ses capacités de coopérer avec les autres. Ces expérimentations débouchent sur des institutions alternatives comme l’école Freinet, Montessori, etc. En même temps, la politique du workfare (concomitant au welfare), prône une éducation plus stricte et une approche qui oppose les droits de l’enfant à ses parents. La figure de l’enfant est un savant mélange d’enfant-victime et enfant-diabolique qui mettrait en échec non seulement « son placement », mais aussi « son adoption ». Ce paradigme de la « conflictualité » est illustré par les multiples dispositifs de contrôle, « information préoccupante », dénonciation, signalement, sanction. Au cœur même de la protection et derrière les discours sur le devenir des enfants, sur leur bien-être, etc., on constate l’élaboration de plus en plus enfouie de violences légitimes qui heurtent l’enfant sans qu’il puisse accéder à la mise en mots de ces formes de violences instituées « pour son bien » par les politiques familiales et la protection de l’enfance. Une de ces violences touche les rapports parents-enfants et enferme la filiation dans une logique de cause à effet : le parent est la cause de l’échec de l’enfant, de l’échec de sa prise en charge, de l’échec de son développement. L’enfant lui-même devient un objet où les spécialistes logent les symptômes, les défaillances, les carences, etc. sans laisser d’ouverture à un avenir qui ne soit pas écrasé par l’évocation d’un passé tel qu’il est rédigé dans les rapports adressés aux cadres de l’aide sociale à l’enfance et aux magistrats. Dans une politique qui se propose d’inventer l’avenir dans des nouvelles formes d’éducation et d’accompagnement, le défi de l’éducation et de la transmission est pensé par tous ceux qui entrent en contact avec l’enfant. Un vaste chantier de concertation et de négociation commence à être ouvert grâce à la loi du 5 mars 2007, à condition que l’on oriente davantage les formations et les pratiques vers une méthodologie de valorisation et de création des expériences de vie ordinaire et de projet pour l’enfant.

VIII/2. Plusieurs modèles de familles cohabitent dans l’histoire de la France Le modèle qui a été adopté et promu par l’Etat et l’Eglise est constitué d’une mère, d’un enfant et d’un père, famille monogame et restreinte. Mais contrairement aux apparences, cette structure n’est pas statique et même quand elle avait une force instituante plus grande, elle n’a jamais était fermée, mais elle cohabitait avec une multiplicité de configurations de famille:

« La famille restreinte n’est pas l’élément constitutif du groupe social et elle n’en résulte pas non plus. (...) Le premier souci de la société n’est pas de mettre en valeur la famille et de la perpétuer. Il consiste plutôt à se défier d’elle, à lui refuser le droit d’exister par elle-même et en elle-même comme entité permanente. » (Claude Lévi-Strauss, 1979)

Autrement dit, la tension entre le collectif (le social) et l’intimité propre à la famille existe

Page 40: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 41

dans de nombreuses cultures, dont la nôtre. L’anthropologie démontre que :

« la société n’autorise pas les familles restreintes à vivre d’une manière statique ou à l’écart de la société, bien au contraire les contraintes, les tensions sont telles qu’elles engendrent l’émiettement, l’éclatement et la recomposition des familles et cela dans toute société. » (C. Lévi-Strauss 1979)

Dans notre société, ce qui a bougé le plus, c’est la symbolique du père. La « fabrique du père » n’est plus la même. On constate un glissement vers le biologique. Le père biologique est le nouveau mythe de la paternité. L’enfant a été entraîné par ce glissement au détriment de la filiation établie par adoption. L’utilisation du mot « naturel » a été évacuée du Code civil, pour installer une égalité entre tous les enfants, car derrière ce mot se cachait le statut de bâtard. Le glissement vers le biologique inquiète de nombreux anthropologues et psychanalystes. Susan McKinnon (2010) analyse la misère de la culture envahie par le mythe du biologique:

« La masse des travaux d’anthropologie montre bien que ce que l’on entend par parenté varie selon les cultures, ne peut pas être présupposé, et ne peut absolument pas se comprendre à partir d’un substrat biologique. »

Pour Sahlins,

« Ce qui fait que les comportements sociaux des hommes ne s’organisent pas conformément à leur génétique, c’est que les êtres humains ne se définissent pas par leurs qualités physiologiques, mais en terme d’attributs symboliques. (...) La société humaine se fonde sur la culture ; son unicité tient au fait que sa construction fait appel à l’outil symbolique ». (M. Sahlins, 1976)

Dans le domaine de l’enfance, le modèle triangulaire (papa/maman/bébé) est parfois, complété par la figure d’une grand-mère, mais cette figure est observée avec une certaine méfiance. Le centre de ce modèle est constitué par l’enfant. La focalisation sur l’enfant est provoquée par les missions attribuées à la Maison départementale des solidarités. L’accent est mis sur les comportements de la mère et sur sa présence, de sorte, que les mères ont davantage de droits et sont plus souvent les interlocutrices des services. Elles sont également davantage interpellées et accompagnées dans le domaine des soins et d’éducation de l’enfant. L’anthropologie ouvre vers une approche symbolique de la famille. La filiation, l’alliance, la germanité sont les vecteurs constitutifs de l’humain. Pendant des siècles, dans notre culture, le fondement de la famille a été le mariage, la conjugalité. C’est à partir de ce socle que l’on inscrivait les enfants dans deux catégories : nés dans le mariage et nés hors mariage. Ce modèle permettait également de situer symboliquement d’une manière très claire le

Page 41: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 42

père : il était le mari de la mère (cf. Le Code civil français). Ce bouclage rendait très solide la structure de parenté. En fonction de la prépondérance d’une lignée, les systèmes patrilinéaire et matrilinéaire ont toujours co-existé, même si, dans la culture française, la descendance patrilinéaire était davantage valorisée par les institutions (notamment par l’Eglise et l’Etat), ce qui est, par exemple, présent dans la transmission du patrimoine entre le père et le fils (et plus rarement entre le père et la fille). VIII/3. La filiation est une institution. Lire les liens de parenté autrement

Au cours du 20e siècle un autre modèle de « famille » a émergé. Il s’appuie d’une manière exclusive sur la filiation. La conjugalité ne sert plus de socle à la filiation. La filiation apparaît « nue », pour ainsi dire, porteuse de l’ensemble de la symbolique de parenté. Un renversement généalogique est en train de s’opérer : l’enfant devient l’ancêtre de toute sa famille, le centre, la référence, l’objet sans lequel les parents ne sont plus reconnus dans leur statut de parents. Cependant, grâce aux médias, la famille nucléaire constituée de « papa/maman/bébé » fonctionne encore comme un type idéal ou idéal-type de famille.

Trois mutations ont contribué à ces transformations : 1. le changement de la symbolique de l’enfant considéré désormais comme une personne dès sa naissance en articulation avec sa filiation, indépendamment du lien d’alliance entre ses parents. 2. l'émergence du statut socio-politique de la femme et de la mère dans l’espace public. La femme assure sa contribution, elle est active dans le travail, dans la politique, dans les fonctions ministérielles, etc. Ce statut socio-politique confère à la mère une nouvelle autorité à l’intérieur de la maison, dans l’espace privé de sa famille. Mais si les institutions et son entourage dénigrent son autorité ou la nient, alors, elle aura effectivement des difficultés à l’exercer. 3. les démultiplications des alliances entre un homme et une femme, mais aussi entre deux hommes et deux femmes (M. Maïlat, 2011).

Depuis 1970, dans le « devenir parent », on constate la tension installée entre un pôle de « raidissement » et un autre, de changement.

« A un pôle, on trouve l’attachement, au maintien sans changement d’un ordre social et moral fondé sur les institutions de la famille, de la religion et de l’armée, entretenu par les vertus d’une éducation rigoureuse, l’assignation de rôles à chaque génération et le contrôle du pouvoir d’innovation des jeunes. A l’autre pôle, c’est l’acceptation du changement et d’un nouvel ordre moral, d’une société ouverte et moins rigoriste en matière de mœurs et d’éducation. » (A. Percheron, 1991)

L’alliance est le lien le plus souple, le plus vivant dans les familles. Elle ne se limite pas à la conjugalité. Elle se tisse aussi bien entre deux sœurs, deux cousins, entre une grand-mère et un de ses petits-enfants, une mère et son fils, un père et sa fille, etc. La multiplicité des liens d’alliance, leur mobilité, leur souplesse tissent l’histoire familiale. Le lien d’alliance «bouge» en

Page 42: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 43

fonction d’un langage de don propre à chaque famille et même à chaque individu. C’est grâce à l’expérience des alliances reçues que nous sommes par la suite en mesure de faire alliance avec les amis, mais aussi, lors des premières rencontres amoureuses.

La germanité (c’est-à-dire « nés du même germe ». Les cousins germains) représente un modèle de réseaux sociaux dans la plupart des sociétés traditionnelles. Dans notre culture européenne, ce lien avait une importance considérable : oncles, tantes, cousins se rassemblaient dans une parenté où la symbolique des liens l’emportait sur les comportements et sur l’affectif. Ces liens correspondaient aux besoins d’appartenance et d’estime : « en latin, maternus indique l’appartenance physique, matérielle à la mère » (Benveniste, 1969) non pas comme une possession mais comme une relation. « Du côté de la mère, c’est l’oncle maternel qui était le parent le plus important. » (Benveniste, 1969).

Le fraternel est une autre forme d’alliance qui a été développée dans le christianisme et sécularisée par la Révolution française qui en a fait un des trois piliers-valeurs de l’Etat et de la nation française. Le fraternel n’est pas fondé sur le sang, sauf dans les cultures guerrières où l’on définit le mythe du sang contre l’ennemi et face à la mort. Le fraternel est un vecteur fort du christianisme. Les mots du fraternel sont des « outils » qui favorisent le dépassement de l’individualisme, de la peur de l’autre. Sans la mise en mots, sans une éducation et une transmission culturelle - aussi bien dans la famille qu’à l’école et dans les autres lieux de rassemblement d’enfants, de jeunes, etc. - le fraternel disparaît. Il faut l’inscrire dans la langue et dans l’éducation des enfants. La formation insiste sur la nécessité de critiquer la prolifération des discours sur la séparation des frères et des sœurs et sur le fratricide (la jalousie, l’agressivité) : même si ces tendances existent dans les fratries, leur mise en mots par les adultes leur confère une place prépondérante dans la construction des identités. Or, le fraternel est constitutif du dialogue faisant émerger la responsabilité collective. Le premier être humain qui nous appelle vers la question de la responsabilité est le frère, le semblable, l’autre. Semblable mais Autre, différent et différencié de moi. Un des mythes de la responsabilité se trouve dans l’Ancien testament : Abel et Caïn. Ce mythe formule la question de la responsabilité pour chaque individu : « Suis-je responsable de mon frère ? » En fonction de la réponse, on se situe dans un champ distinct de l’éthique. Le « oui » nous situe dans la solidarité et le vivre-ensemble; le « non » nous situe dans une société individualiste, fondée sur la peur et le contrôle tout azimut.

Le fraternel dans la cité avance vers les possibilités de (se) choisir. Au-delà de la famille, le fraternel renvoie vers l’amitié, les relations amoureuses, la collégialité. C’est dans ce contexte que Vincenzo Cichelli évoque la constitution de l’identité, toujours plurielle, multiple : un tissage d’expériences de liens verticaux, horizontaux et diagonaux.

« L’identité ce ne sont pas les racines qui l’expriment. Car l’identité c’est un fruit. Et les humains ne sont pas des arbres, ils savent renaître après les déracinements, édifier après les arrachements, féconder l’île déserte après les naufrages, s’enraciner comme Caliban et Vendredi, et encrer les feuilles blanchies pour faire récit de l’impensable et de l’inespéré.» (D. Maximin, 2006)

Page 43: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 44

IX. La parentalité : sens et paradoxes d’un mot promu par les experts IX/1. La tentative de donner à ce mot un contenu politique

Le mot « parentalité » n’est entré dans le dictionnaire de la langue française que tardivement sans ancrage dans la langue utilisée dans la vie quotidienne. Il fut imposé par les discours des psychiatres et de quelques psychanalystes qui n’ont eu de cesse que de dépoussiérer les notions de la langue anglaise tombées dans les oubliettes. Il doit son succès aux institutions qui semblent « perdues » devant les « mutations » de la famille en France, mutation inquiétante lorsqu’un idéal-type fut imposé pendant des siècles, tant par l’Etat que par l’Eglise, à savoir le « pater familias » investi de tous les pouvoirs, entouré, craint et respecté par sa femme et ses enfants, réunis à vie sous le sceau du mariage. La conjugalité ou le mariage étant mis en question en tant que modèle dominant de la famille, la parentalité revigore les dispositifs de contraintes, de contrôle et de culpabilisation des personnes qui se trouvent désormais devant une séparation nette entre leur fonction parentale et leur vie de couple. Conjugalité et « parentalité » ne font pas bon ménage, pour ainsi dire.

Le mot « parentalité » est situé à la croisée des préoccupations des politiques et des professionnels (de l’éducation, de la protection, de la santé). Pour les politiques ayant une approche welfare, la parentalité offre l’occasion pour réaffirmer « le pacte républicain de la solidarité à construire entre les parents et les autres adultes ». Elle est rattachée aux processus de transmission entre les générations dans le but de faire « grandir » un enfant et/ou d’accompagner un jeune. La parentalité permet d’affirmer que les parents sont isolés et qu’il faut « tout un village pour élever un enfant ». En 1999, la Charte nationale des réseaux de parents visait à installer le parent dans les espaces occupés par les professionnels et dans les institutions où, en général, il reste à la porte (l’école publique, notamment). Le politique veut donner aux parents une place de choix dans la cité. A cette époque, le Directeur de l’Action Sociale du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité écrivait dans la préface d’un livre coédité par ce ministère et les Editions Eres :

«… le soutien à la parentalité est une priorité. Quiconque se préoccupe de l’enfant a nécessairement le souci de ses parents. L’un ne va pas sans l’autre. »

Instituer le parent dans la cité à l’égalité avec les experts et les professionnels, instituer aussi une politique du respect des parents et de leurs enfants, tel est le défi de cette orientation. Cette politique confronte les professionnels au choix d’une alternative de philosophie, à savoir l’obligation de renouveler les approches afin de créer des nouvelles solidarités parents-professionnels, mais aussi d’utiliser les méthodes de mise en réseau afin de stimuler la communication et l’entre-aide entre les parents. Dans cet esprit, la famille est définie comme “le premier lieu d'exercice de la solidarité dans notre société. »2

2 - http://www.senat.fr/seances/s200111/s20011120/sc200111218.html

Page 44: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 45

Mais cette conception politique est déplacée par le pouvoir des experts vers le champ de références psychiatriques. Le livre dont la préface contient l’affirmation positive d’une politique de solidarité échafaude une conception technicisée découpant la parentalité en trois zones comme s’il s’agissait d’un métier sanctionné par une série d’épreuves à passer : exercice, expérience et pratique, trois domaines tirés d’un lexique professionnel qui n’existent nullement dans la vie quotidienne des parents avec leurs enfants. Ce jargon psychiatrique et techniciste est assorti d’une série de « portraits » cliniques où l’on présente des maladies psychiatriques en guise de références de la... parentalité. Aujourd’hui, avec le recul, il est possible d’installer la parentalité dans la sphère des politiques et de la préserver du pouvoir d’expertise psychiatrique. La modestie et l’esprit critique sont nécessaires pour freiner l'engouement des professionnels dans un discours qui tourne sur son propre axe et pour sa propre reproduction. L’intervenant devrait se poser la question de son propre défi subjectif et responsable lorsqu’il parle avec les parents et les enfants. Quelles seraient les nouvelles conditions produites et portées par les institutions (du social, de l'éducation, de la santé, du médical, etc.) et par les associations afin de rendre possible : - l’invention de l’autorité parentale renforcée par les autres formes d’autorités exercées auprès de l’enfant dans le respect de sa filiation. - l’inscription de l’enfant dans la « normalité » et dans un processus de développement et de transmission en lien avec les valeurs républicaines (le respect, la dignité) que l’enfant découvre en compagnie de ses parents lors des rencontres avec les professionnels et les magistrats. - le développement d’un nouvel équilibre dans le partage de la responsabilité bien en amont de toute pénalisation des parents. Et un soutien pour ouvrir la vie de l’enfant vers ses oncles, tantes et bien sûr ses grands-parents sans que l’ensemble de ce réseau soit accablé d’une grille de lecture de type psychiatrique. - le dépassement du clivage et de l’affrontement entre parents-professionnels. Par ailleurs, la parentalité a permis aussi la critique du modèle unique de famille, fondé sur le mariage. Elle a fait émerger la pensée du devenir : devenir parent est une action de citoyenneté (Martine Boisson, Anne Verjus). Ce devenir parent exige une approche pluridisciplinaire, capable de porter un regard critique sur la reproduction des discours négatifs destructeurs de liens et d’historie intra-familiale allant parfois jusqu’à des prises en charge très longues qui n’améliorent pas la vie des familles et qui débouchent sur le placement d’un enfant. Bien que certains experts parlent « d’un ensemble de réaménagements psychiques et affectifs » (Martine Lamour, Marthe Barroco) du parent, ce point de vue est peu soutenu dans les pratiques des professionnels. Or, les aménagements psychiques ne sont pas des mécanismes ex-nihilo. Ils sont influencés par les institutions. Le devenir parent fait partie du processus complexe de reconnaissance porté par les autres : institutions, experts, responsables de structures et d’associations, etc. On ne s'improvise pas parent dans un monde où l’Etat, les experts et plusieurs institutions surveillent et veillent sur la grossesse et sur

Page 45: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 46

l’accouchement. Ce sont eux qui attribuent une identité à chaque personne. Le parent n’est légitime que parce qu’il est reconnu par les institutions. Notre vie est dépendante de papiers d’identité, de la nationalité, etc. L’identité de chacun se fonde sur un état civil. Le rapport à soi est aussi un rapport politique établi en fonction des normes portées par des institutions.

La parentalité permet de mettre en évidence les normes et les dispositifs de contrôle établis par les scientifiques et les professionnels auxquels la société civile se trouve confrontée. Ces normes exercent une pression encore plus forte dans les milieux défavorisés qui sont davantage exposés au contrôle de leur parentalité. De point de vue anthropologique, la parentalité devrait être reliée à un impératif éthique : la co-éducation et la dépénalisation de l’exercice de l’autorité parentale. Il s’agit avant tout de limiter la « fabrication » des « pathologies parentales ». Et aussi, de repenser la crise d’autorité qui ne peut être mise sur le dos des parents, car elle est présente à tous les niveaux de notre société. IX/2. La responsabilité en chantier

Ce concept puise son sens dans le domaine philosophique : « répondre à… répondre de… » : cela exige le dialogue et la réciprocité. Il n’y a de responsabilité individuelle que si elle est imbriquée dans la responsabilité collective. Si le parent n’arrive pas à répondre seul aux sollicitations de ses enfants, il faut s’engager dans une responsabilité collective tout en respectant la place de chacun. Chacun doit avoir une possibilité de répondre, de faire à sa manière. Mais « l’individu seul est un esclave » (F. Soulage, 2007) : exclu du champ politique, il n’accède pas à la responsabilité, mais à la culpabilité.

Pour construire la responsabilité, il est indispensable de sortir d’un affrontement en face-à-face. Pour aboutir à la responsabilité, il faut être trois : deux qui se préoccupent et cherchent des solutions pour l’absent. L’absent, c’est l’enfant qui ne doit pas être mis au même niveau que ses parents et les adultes. L’enfant doit être protégé de cette violence où il assiste au même titre que les adultes à la construction de la responsabilité. L’enfant doit être protégé, rassuré, il ne doit pas assister lorsqu’on aborde des questions concernant la gestion financière, l’alcoolisme, les soucis des parents. En revanche, on peut affirmer devant l’enfant l’alliance constituée entre la Maison départementale des solidarités et sa famille pour trouver des solutions aux problèmes.

La responsabilité du parent est en lien direct avec sa condition dans l’espace d’action socio-politique qui lui est accessible. Pour être en état de « répondre », il faut déjà qu’il y ait un espace de conversation, de paroles échangées entre pairs. La construction du sens partagé avec d’autres adultes assure l’exercice de la responsabilité. Quelle responsabilité lorsque le parent est au chômage, sans logement, exclu et isolé ? Ou lorsqu’il est confronté à la précarité, sans pouvoir prévoir de quoi demain sera fait ? Cette forme de responsabilité est donc déterminée par les conditions de vie des familles. Cité par Claude Martin (2003), Alain Bruel, lors de son audition par le Haut Conseil de la population et

Page 46: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 47

de la famille, tirant le bilan de sa pratique de magistrat exercé durant toute sa vie, confiait : « J’ai eu de plus en plus le sentiment d’avoir affaire à des gens non pas démotivés et démissionnaires, mais affrontés à des difficultés de vie incompatibles avec l’exercice de leurs responsabilités parentales ». La notion de responsabilité s’exprime dans l’encourage et la promesse. Elle prend forme dans l'accompagnement du parent dans un climat de confiance et de soutien, non pas pour qu’il soit confronté à son image défaillante, à la perte de l’estime de soi, mais pour comprendre qu’il n’est pas seul acculé à un « métier impossible ».

X. Le « pas de côté » anthropologique : l’écriture de l’histoire de vie La parentalité, avant d’être un domaine investi par les professionnels, est une forme de vie quotidienne. L’axe ouvert par la parentalité-solidarité entre en tension avec la construction des symptômes et des pathologies qui laissent peu de place à d’autres paradigmes et pratiques. Dans un livre coordonné par un médecin, le domaine de la parentalité est illustré exclusivement par des « cas » : - tirés du milieu carcéral d’un violeur qui, par ailleurs, est père : - le cas d’une mère décrite comme « débile » et « débauchée » par les professionnels. Ces derniers signalent et obtiennent le placement. Dans leurs analyses, le fait que l’enfant se développe sans l’intervention des services et que ce développement assuré par la mère est visible, ne fait pas le poids face aux arguments psychiatriques, autrement dit, les valeurs humanistes de la vie ordinaire sont écrasées sous le pouvoir des experts. La mère n’est pas considérée d’égal à égal avec l’expert de la psychiatrie, même si les actes qu’elle a posés pour son enfant ont assuré le développement du bébé. Dans leurs écrits, les professionnels constatent qu’il s’agit d’un « beau bébé qui se porte bien » au moment de son placement en pouponnière. Ils constatent également que la mère a mobilisé autour d’elle un « réseau de vie » qui est, par la suite, détruit, par le placement. Là encore, la question philosophique devrait s’imposer au pouvoir médical : où est le juste milieu ? Où est le respect des lois et de l’article 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ? Il aurait été nécessaire que ce « manuel de la parentalité » intègre d’autres paradigmes et méthodologies d'intervention que ceux que l’on peut lire dans ce livre qui figure dans toutes les bibliographies des professionnels et qui installe le placement comme l’aboutissement de la parentalité.

Lorsqu’on lit les productions sur la parentalité, on constate qu’il s’agit d’un fonctionnement en « cercle fermé »:

« Certains des textes (...) s’adressent à des destinataires «internes», c’est-à-dire à des acteurs institutionnels qui sont eux-mêmes producteurs de ces discours. Leur activité se trouve ainsi encadrée par les normes et les principes édictés, ou même par le sens qu’il convient de donner aux mots

Page 47: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 48

ou encore par les mots qu’il convient d’utiliser (vocabulaire spécifique, syntagmes figés…). Ainsi la production du discours est, elle, régie par un «système de contraintes » qui fixe les contours de l’énonciation légitime. » (Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv)

L’anthropologie accompagne les professionnels à aborder la parentalité à partir de leurs expériences de vie ordinaire, en tant que citoyens. Le principe de crédibilité (Gérard Leclerc) devrait nous aider à avancer vers le dialogue entre parents et entre parents et professionnels. Le principe de crédibilité nous oblige à voir dans quelle mesure nos discours éclairent et soutiennent les parents dans leur devenir avec leurs enfants ; dans quelle mesure nous sommes capables de donner de la valeur lorsqu’on constate que malgré les « troubles mentaux » de la mère, malgré les « problèmes d’hygiène », malgré une « vie d’errance », le bébé ou l’enfant se développe bien et la mère et le père assurent leur rôle à leur manière. C’est la reconnaissance de «leur manière» d’élever leurs enfants qui nécessite une légitimation dans les analyses des professionnels.

La liberté de parler et la liberté de bouger ou de circuler (se mouvoir) sont les deux indicateurs qui permettent de voir si les institutions autorisent les « usagers » à accéder à un statut d’homme capable. (Paul Ricoeur). Sur un plan terre-à-terre des pratiques professionnelles, la question est de savoir comment les institutions qui fabriquent les discours sur la parentalité font vivre le pacte républicain. Comment sont traduites en terme de bien-être les théories et pratiques des professionnels dans la vie de la cité ? Est-ce que les enfants grandissent mieux quand la parentalité de leurs parents est instituée par et dans le discours psychiatrique ? Ces questions exigent de se poser dans le champ éthique et d’observer ce qui se joue dans le monde des experts et des institutions.

Les travaux des anthropologues tels que Mary Douglas contribuent à comprendre que le développement d’un enfant n’est pas une chose reléguée à un espace « psychique ou biologique » hors contexte. Le devenir d’une personne dépend des institutions, de ce que celles-ci disent et décident pour l’enfant et pour sa filiation:

« Les questions essentielles, les décisions de vie ou de mort par exemple, ne peuvent jamais être résolues à un niveau purement individuel, elles sont construites au niveau des institutions qui composent les autorités à partir desquelles s’élaborent les choix individuels. (...) Les institutions ont la mégalomanie pathétique de cet ordinateur qui verrait le monde à travers son seul programme. L’espoir d’une indépendance intellectuelle consiste pour nous à résister, et la première étape à déceler comment s’effectue l’emprise des institutions sur notre esprit ». (Mary Douglas)

Un exemple de cette emprise institutionnelle sur les humains est l’ « incasable ». La définition illustre la mégalomanie et la manie de persécution dont parle Mary Douglas. Pour ces institutions, les « incasables » seraient «insaisissables et soulèvent une problématique de l’existence qui évoque « un manque de place dans l’humain ».

Page 48: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 49

Déloger les personnes de l’humain, de leur appartenance à l’espèce qui habite ces lieux au même titre que tous leurs contemporains est une entreprise qui rappelle les heures les plus misérables et sombres de l’histoire du 20e siècle en Europe. « Incasable » fait penser à l’expulsion du statut d’habitant-citoyen. Quelles sont la responsabilité et l’éthique des experts qui fabriquent ces catégories stigmatisantes, contraires aux valeurs de notre société ? Si cette production de négativité continue d’occuper le domaine de la parentalité, il ne faut pas s’étonner que les professionnels soient bloqués, obnubilés lorsqu’il s’agit de communiquer avec les parents. Le conflit, le sentiment de menace sont présents dans leur référentiel. Le parent est situé dans le creux : «… tous les professionnels connaissent bien la difficulté qu’il y a à mobiliser les parents sur une action à long terme ou à les diriger vers des spécialistes comme les psychologues ». Il s’agit alors de sensibiliser les différents professionnels amenés à intervenir dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance à la fragilité identitaire des parents, notamment en intégrant dans la formation initiale et continue un module conséquent sur les processus psychologiques des parents, leur parentalité, son évaluation, leur prise en charge… Les apports de l’anthropologie et de la philosophie dans la parentalité apportent un processus de décentrage par rapport à ces discours qui fabriquent l’incapacité parentale. Les travaux sur la fragilité de Paul Ricœur et de Levinas peuvent être adaptés aux analyses des situations et à l’accompagnement mis en place par les professionnels. L’ouverture se fait vers un rapport mutuel parents-professionnels. La parentalité touche à la construction de l’identité de chacun, à ce que les juristes appellent « offre identitaire » posée par l’Etat et les institutions. La protection de l’enfance doit tenir compte du fait que :

«… priver un individu d’identité revient à nier sa personnalité. Si l’identité posée par l’État se limite à identifier un individu, à l’objectiver, cela ne suffit pas. Il y a nécessité à attester d’une éminente dignité lorsqu’on touche à l’identité des personnes.» (Xavier Bioy)

La parentalité exige la mise en place des conditions d’une éminente dignité lorsqu’on entre dans l’espace privé des parents, lorsqu’on les « convoque » et les accueille : - dignité affirmée pour le parent par les professionnels surtout devant son enfant. - dignité partagée dans les espaces de sociabilité, tels qu’ils sont mis en place par ATD Quart-Monde. - dignité de la manière dont les institutions parlent du parent en son absence dans les réunions de synthèse, le cabinet du juge des enfants. - dignité attestée dans les écrits professionnels. La dignité exige la valorisation de la filiation de l’enfant et la mise en place des nouvelles formes de transmission entre parents et enfants.

Page 49: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 50

Appréhender la filiation dans la parentalité permettrait de nous décentrer de l’observation des comportements du côté des parents. ARTEFA insiste sur le fait que la filiation traverse les parents, ne s’arrête pas aux parents, mais sans eux, la dignité de l’identité sera mise à mal pour un enfant qui, même adulte, aura le même acte de naissance et sera toujours « le fils de... » ou « la fille de... ».

XI. Fiche transversale ARTEFA pour les situations complexes Ce document est composé de 7 volets qui complètent les outils existant. Ce document représente un support transversal pour construire et rendre lisible la culture commune des métiers et services regroupés dans une Maison départementale des solidarités. VOLET 1. La famille et son réseau de parenté - Identification de la filiation et du système familial (matrilinéaire, patrilinéaire, bilinéaire etc.) sur trois générations. VOLET 2. Le temps des institutions et le temps des gens - d’un côté : les réseaux et les apports constructifs dans la vie des parents et de leurs enfants en fonction des projets et des problèmes - de l’autre côté : les mesures qui ont conduit à des interventions dans une logique d’observation des problèmes et des carences et de placement VOLET 3. Le processus de reconnaissance de l’histoire de vie afin de valoriser l’identité des parents et leur perception de leur propre devenir - Mme= fille de.., - femme/être humain; - mère de... Mr. = fils de..., - homme/être humain; - père de... VOLET 4. « Faire famille » Les demandes et aspirations des parents, telles qu’elles sont recherchées, stimulées par les compétences des professionnels : - comment fait-on ? Comment a-t-on fait ? - quelle confiance afin que les parents puissent élaborer avec le soutien des professionnels le sens de leur vie familiale, la naissance des enfants et les aspirations à innover pour chaque enfant ? - clarifier la notion « investir » utilisée par les professionnels en parlant des parents («madame investit son enfant») - aider les parents à accompagner les enfants pour que chacun puisse repérer son

Page 50: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 51

inscription dans sa famille sur trois générations VOLET 5. Contexte des interventions sociales et médico-sociales Convergences et divergences dans les approches des professionnels

Hypothèses des professionnels

Attentes/défis des professionnels lorsqu’ils mobilisent leurs compétences au sein d’une famille

Attentes des parents en direction des professionnels

Demandes des parents et les pistes proposées

VOLET 6. Orientations pratiques suivant le principe du devenir... Le principe du devenir, les besoins humains, de la proportionnalité et de la subsidiarité

Les principes Description des

interventions Comment fait-on ?

Quels sont les effets attendus et obtenus et quels ajustements des méthodes et discours ?

LE DEVENIR : quelles sont les actions innovantes dans cette famille ? = Comment différencier la répétition des mesures et observations réitérées sur plusieurs années et à lanaissance de chaque enfant ?

LES BESOINS : d’appartenance, de reconnaissance, d’estime de soi

LA SUBSIDIARITÉ : = les relais, les réseaux sociaux, les bénévoles, les membres de la famille élargie sollicités et renforcés dans les actes de solidarité, entre-aide. = comment donne-t-on du sens aux relations d’entre-aide au sein de la fratrie ?

LA PROPORTIONNALITE : -Identifier le nombre d’intervenants et les effets d’amélioration produits par les actions et compétences mises en œuvre - Identifier les heures de vie en famille que les parents ont passées avec leurs enfants (famille réunie dans son ensemble) - Identifier les nouvelles expériences de vie familiale mise en œuvre, expérimentées avec le soutien et l’accompagnement des professionnels - Identifier les traces construites pour chaque enfant afin qu’ilpuisse reconstituer plus tard une série de souvenirs heureux avecses parents et frères et sœurs

VOLET 7. L’autorité parentale Les conditions nouvelles créées par les professionnels pour initier et accompagner l’exercice de l’autorité parentale. Voir modèle fiche transversale en annexe

Page 51: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 52

XII. Conclusion Les services de protection de l’enfance ont la possibilité de rassembler des informations sur le réseau de parenté, indispensables pour garantir le sens d’une vie digne et ordinaire pour les enfants, qui ont le droit d’accéder à leur patrimoine d’informations et d’histoire, au même titre que les autres enfants. Assurer la protection est un capital de puissance et d’autorité déléguée aux collectivités territoriales qui devraient limiter la stigmatisation des enfants devenus adolescents, puis adultes. Le phénomène de perte de dignité et perte de soi est connu dans nos dispositifs. Le postulat posé par ARTEFA est de prendre à bras le corps notre part de responsabilité dans cette perte de soi qui a lieu sur un parcours de prise en charge. Le changement de méthode auquel sont confrontés les professionnels se résume parfois à « un pas de côté » pour inscrire dans les pratiques, la recherche de sens ordinaire et ainsi, parvenir à créer des conditions propices à l’expérience d’une vie ordinaire pour des personnes qui n’auraient pas connu ce devenir sans nos compétences. La perspective du vivre-ensemble permet d’instituer pour les enfants et les jeunes la mise en œuvre des références humanistes leur assurant une circulation cohérente entre les professionnels et leur réseau de parenté, voire leur environnement. Pour les professionnels, le « pas de côté » consiste à questionner différemment les informations contenues dans le dossier de l’enfant et à se mettre en question avec les autres. Avoir la charge d’une mission de protection, cela débouche sur des méthodes évaluables et souples qui visent l’élaboration d’une histoire de vie éclairée par la dignité et l’espérance.

Page 52: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 53

Annexe 1 : Réflexions comparatives entre la méthode ARTEFA et le référentiel d’évaluation CREAI

Ce travail a été réalisé par la Mission de Prévention et de Protection de l’Enfance (Direction de l’enfance) et ARTEFA. Le référentiel CREAI et la méthode ARTEFA permettent une réflexion autour :

- des modalités d’intervention auprès des familles - des actions conduisant à un changement de pratique et de posture professionnelle pour les travailleurs médico-sociaux.

Ce changement est nécessaire pour respecter le principe des subsidiarités.

Quelles articulations entre l’autorité parentale/ l’intervention administrative/ l’intervention judiciaire ? Il s’agit de créer et appliquer des règles de coopération et de solidarité avec les familles, affirmées dans le schéma départemental de l’enfance, de l’adolescence et de la famille 2011-2015. Définition et sens de l’évaluation

CREAI ARTEFA

L’évaluation porte sur l’état du mineur au regard de son développement, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement de proximité

L’état du mineur : - tenir compte de la filiation = «colonne vertébrale» de l’identité et de l’arbre généalogique de l’enfant - tenir compte de l’implantation de la famille sur leur lieu de vie

L’identification dans le référentiel des personnes en présence de l’enfant, autres personnes de référence que les père et mère en capacité d’identifier et de répondre aux besoins de l’enfant

Faire appel au réseau de parenté et activer des réseaux sociaux porteurs du lien social - différencier les liens salariaux qui ne génèrent pas du lien social - comment transférer l'institutionnalisation de l’enfant dans sa vie en «autonomie» ?

Déterminer les mesures, éventuelles, nécessaires et à en apprécier la pertinence dans le temps

Développer l’évaluation des effets des prises en charge et mesures sur l’enfant (ses acquisitions lorsqu’il côtoie les compétences professionnelles) et sur la famille Elaborer les attentes des professionnels et des parents

Page 53: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 54

Répertorier un historique des interventions menées afin de choisir les méthodes d’intervention les plus appropriées et de construire une stratégie d’évaluation qui évitera les phénomènes de répétition institutionnelle

Repérer le caractère parfois « prédictif » des interventions Poser les besoins de l’enfant dans sa filiation et famille : appartenance, reconnaissance, estime de ses parents. Repérer les contradictions entre ces besoins et les discours sur les parents

Si la démarche d’évaluation se construit en équipe, elle se construit également avec les familles. Qui d’autres que les membres de la famille peuvent avoir une connaissance fine et de l’intérieur de leur situation ? = élaboration partagée d’une stratégie d’accompagnement

Proposer : - des expérimentations de pratiques actives de reconnaissance des parents - des pratiques pour associer les parents aux écrits en commençant avec leur histoire ordinaire, - le développement de techniques d’alliance entre les parents et les professionnels

Evaluation du contexte socio-économique, culturel et environnemental de vie de l’enfant dans le référentiel : identifier si les problèmes rencontrés par la famille peuvent être résolus uniquement par une aide socio-économique ou s’il est nécessaire d’aller plus avant dans l’évaluation.

Passer d’une logique d’évaluation des problèmes vers un accompagnement du devenir : logique de projet qui n’isole pas les problèmes mais ouvre vers des nouvelles expériences et vers la subsidiarité (aborder les ressources par le droit commun sans coller aux difficultés.)

Les évaluations sont menées par des binômes et les temps de réflexion et d’échanges entre professionnels sont favorisés en privilégiant les regards croisés

ARTEFA travaille sur le besoin de cultiver une multiplicité des regards et des références dans l’accompagnement des familles avec un ancrage dans le débat contradictoire (règle de Taubes) et l’établissement des alternatives favorisant la circulation intelligente de l’enfant entre sa famille, la société civile et les institutions

Dans le référentiel CREAI et dans la méthode ARTEFA, il s’agit de garantir le partage de sens et d’initier une alliance parents/ professionnels autour de l’évaluation et du projet à venir pour eux et leur(s) enfant(s). Le projet de vie de la fratrie est abordé dans la méthode ARTEFA. Le fraternel est pris en compte en tant qu’acte fondateur du lien social. Point de débat : CREAI : l’observation clinique de l’enfant affirmée par le référentiel (vu seul) « en fonction de son âge », l’enfant doit être entendu, tout en le laissant à sa place d’enfant et sa parole prise en compte ; la démarche d’évaluation et la décision finale lui sont expliquées. ARTEFA affirme l’importance de l’axe de verticalité de la filiation et de l’exercice de l’autorité parentale. La verticalité entre les générations doit être respectée par la méthode de la séparation et du respect de l’enfant-mineur: - séparer la discussion portant sur les problèmes et difficultés des parents, de la parole et de l’écoute adaptée de l’enfant, en fonction de son âge ; - les travailleurs sociaux associent les parents : se mettre d’accord sur les objectifs et sur leur transmission auprès de l’enfant.

Page 54: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 55

Annexe 2 : Bibliographie des auteurs cités (par ordre alphabétique) Giorgio Agamben, Enfance et histoire, éditions Payot, Paris, 2000 Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, le Seuil (Points), Paris, 1995 Hannah Arendt, Qu’est-ce que la philosophie de l’existence ?, éditions Rivages poche/Petite Bibliothèque, Paris, 2002 Georges Balandier, Préface à Mary Douglas, Comment pensent les institutions ?, éditions de la Découverte, Paris, 2007, p. 17 Bardet et Jeorger, La société face au problème de l’abandon, La revue histoire, économique et société, 1987, N° 3 Walter Benjamin, Essais 2, 1935-1940, éditions Denoël/Gonthier, Paris, 1998, p. 173 Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, éditions De Minuit, Paris, 1969 Martine Boisson, Anne Verjus, La parentalité, une action de citoyenneté, Rapport CNAF/CERAT, février 2008, Analyse de la bibliographie du domaine de la parentalité de 1993 à 2004. Judith Butler, Le récit de soi, éditions PUF, Paris, 2005 Alain Caillé, Du don comme réponse à l’énigme du don, L a r evue l’Homme, n°142, vol. 37, Paris, 1997 (pp. 93-98) Denis Chevallier (coord.) savoir faire et pouvoir transmettre, Editions MHS. Jacques Commailles, La famille, lieu de transmission, dans la transmission entre les générations, un enjeu de société, éditions Fayard, Paris, 1999 Mary Douglas, Comment pensent les institutions, éditions de la Découverte, Paris, 2007, p. 25 Eugène Enriquez, Clinique du pouvoir, éditions ERES, Paris, 2007, p.231 Laurence Gavarini, Françoise Petitot, La fabrique de l’enfant maltraité, éditions ERES, 1989 Maurice Godelier, Du passé faut-il faire table rase ? , la revue de l’Homme, 1997, vol. 37, no 143, p. 105 Jacques T. Godbout, L’esprit du don, en collaboration avec Alain Caillé, éditions La Découverte, Paris/Montréal, 1992, Collection : Textes à l'appui / série anthropologie, version internet Michèle Guigue, Professeur à l’Université Charles de Gaulle – Lille 3, équipe de recherche Proféor (Delphine BRUGGEMAN, Maryan LEMOINE, Éric LESUR, Bernadette TILLARD) Groupe de Recherche sur les Interventions Éducatives et Sociales - Des jeunes de 14 à 16 ans « incasables » ? Itinéraires d’élèves aux marges du collège, ONED, 2008 Yan Hacking, Entre science et réalité, la construction de quoi ? , éditions de la Découverte, Paris, 2008 Martin Heidegger, Parménide, éditions Gallimard, Paris, 2011 Martine Lamour, Marthe Barraco, Souffrance autour du berceau, Paris, Gaëtan Morin éditeur, 1998 Gérard Leclerc, « Histoire de la vérité et généalogie de l'autorité », Cahiers internationaux de sociologie 2/2001 (n° 111), p. 205-231, www.cairn.info/ revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2001-2-page-205.htm.

Page 55: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 56

Pierre Legendre, L'inestimable objet de la transmission, é ditions Fayard, Paris, 1985 Claude Lévi-Strauss, «La famille», dans Textes de et sur Claude Lévi- Strauss, éditions Gallimard, Paris, 1979 Maria Maïlat, Politiques familiales : lignes d’approche par une anthropologie politique, la revue Projets, 2011 Maria Maïlat, Pour une pensée politique du parent, dans la Lettre du GRAPE no. 46, éditions de l’ERES, 2003, Paris, pp 53-58 Claude Martin, La parentalité en questions Perspectives sociologiques, Rapport pour le Haut Conseil de la Population et de la Famille, Paris, avril 2003, p.54 Daniel Maximin, « Les fruits du cyclone, une géo-poétique de la Caraïbe », éditions Le Seuil, Paris, 2006 Susan McKinnon, La génétique néolibérale. Le mythe de la psychologie évolutionniste, éditions de l’Eclat, Paris, 2010 Edgar Morin, Science avec conscience. Paris, éditions Le Seuil, 1991 Edgar Morin, La méthode 4. Les idées : leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation. Paris, éditions Le Seuil, 1991 Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv, « Conjurer le désordre discursif. Les procédés de « lissage » dans la fabrication du discours institutionnel », Mots. Les langages du politique, n° 81, Suisse, laboratoire politique européen ? , juillet 2006 [en ligne], mis en ligne le 01 juillet 2008. URL : http://mots.revues.org/index675.html. A. Percheron, « La transmission des valeurs », in F de Singly (Ed), La famille : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1991 Paul Ricoeur, Anthologie, textes choisis par M. Foessel et F. Lamouche, éditions du Seuil, Points/Essais, Paris, 2007 Paul Ricoeur, La psychanalyse confrontée à l’épistémologie, dans Psychiatrie française (Entre théorie et pratique -Fonctions de la pensée théorique) N° spécial – 1986 Marshall Sahlin, Critique de la sociobiologie, éditions Gallimard, Paris, 1976. Marshall Sahlin, La nature humaine, une illusion occidentale, éditions de l’Eclat, Paris, 2008. Maurício da Silva Neubern, «La psychologie clinique dans la crise du paradigme dominant : du malaise aux possibilités épistémologiques », Psychothérapies 2/2003 (Vol. 23) François Soulage, L’autonomie, est-elle une utopie ?, conférence à Nanterre, novembre 2007 Et une référence filmographique : Félix Van Groeningen, « la Merditude », année 2008

Page 56: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 57

Annexe 3 : Fiche transversale ARTEFA pour l’analyse d’une situation familiale complexe

Ce document représente un support transversal pour construire et rendre lisible la culture commune des métiers et services intervenant sur le territoire d’une Maison

départementale des solidarités.

Cet outil est en cours d’expérimentation et est susceptible d’évoluer avec les pratiques

1 - La famille et son réseau de parenté

Identification de la filiation et du système familial (matrilinéaire, patrilinéaire, bilinéaire etc.) sur trois générations

(voir génogramme documenté en fin de document)

2 – La chronologie des évènements familiaux et des mesures

(voir frise chronologique en fin de document)

La frise chronologique présente :

- d’un côté : les dates importantes dans la vie des parents en fonction des projets et des problèmes

- de l’autre côté les mesures qui ont conduit à des interventions des services et lesquelles

Analyse de la frise :

Page 57: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 58

3 - Le processus de reconnaissance de l’histoire de vie (afin de valoriser l’identité des parents et leur perception de leur propre devenir)

Madame en tant que

Fille de :

Femme et citoyenne : Mère de :

Monsieur en tant que

Fils de :

Homme et citoyen : Père de :

Page 58: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 59

4 – « Faire famille » (à élaborer avec la famille)

- Comment les parents élaborent-ils avec le soutien des professionnels le sens de leur vie familiale, la naissance des enfants et les aspirations pour chaque enfant ?

- Comment aider les parents à accompagner leurs enfants pour que chacun puisse repérer son inscription dans sa famille sur trois générations ?

5 – Le contexte des interventions sociales et médico-sociales

5.1 - Attentes des parents en direction des professionnels

5.2 – Attentes des différents professionnels intervenant en direction des parents

5.3 - Convergences et divergences dans les approches des professionnels intervenant

Page 59: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 60

6 – Les orientations du projet d’intervention selon le principe du devenir parents

Les principes Ce qui a été fait Description des interventions

prévues Comment fait-on ?

1 – Les besoins d’appartenance, de reconnaissance et d’estime de soi

2 – La capacitation des parents : - Identifier les nouvelles expériences de vie familiale mises en œuvre, expérimentées avec le soutien et l’accompagnement des professionnels - Identifier les traces construites pour chaque enfant afin qu’il puisse reconstituer plus tard une série de souvenirs heureux avec ses parents et frères et sœurs

3 - La subsidiarité : - Les relais, les réseaux sociaux, les bénévoles, les membres de la famille élargie sollicités et renforcés dans les actes de solidarité et entraide. - Comment donne-t-on du sens aux relations d’entraide au sein de la fratrie ?

4 - La proportionnalité des réponses institutionnelles : - Identifier le nombre d’intervenants et les effets d’amélioration produits par les actions et compétences mises en œuvre.

5 - L’autorité parentale : - Les conditions nouvelles créées par les professionnels pour initier et accompagner l’exercice de l’autorité parentale.

Page 60: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 61

Identification du maître d’oeuvre assurant la « cohérence » des interventions dans la vie de la famille concernée :

(Génogramme à inclure)

Page 61: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 62

Frise chronologique des évènements familiaux à compléter

Les événements importants dans la vie des parents et de leurs enfants

en fonction des projets et des problèmes

Dates Les mesures qui ont conduit à des interventions de services et lesquelles

Page 62: Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013

Conseil général de Seine-et-MarneMaison départementale des solidarités de CoulommiersHôtel du Département77010 MELUN cedex Tél. : 01 64 14 77 77www.seine-et-marne.fr

ARTEFAMaria MAÏLAT, Directrice13, rue Poliveau75005 PARIS

Impr

imer

ie d

u Dép

arte

men

t de

Sei

ne-e

t-M

arne

- M

elun

. No

vem

bre

2012

.

www.seine-et-marne.fr