Valery charmes-

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VALRY - ''Charmes''

www.comptoirlitteraire.com

Andr Durand prsente

Charmes ou Pomes de Paul Valry

(1922)

repris sous le titre de

Charmes(1926)

Recueil de vingt-deux pomes titrs mais non numrots, en vers de mtres varis

Bonne lecture !

En crivant, peu aprs Eupalinos, ces pomes dont certains taient dj apparus dans le recueil Odes (1920), dont lensemble a t publi en 1922, Valry n'en dlaissa pas pour autant la question centrale qui, seule, lui importait : savoir comment la rflexion peut sans cesse gagner du terrain sur l'intuition, comment l'attention peut reprer de plus en plus loin la naissance obscure d'une ide, et comment enfin la connaissance des moyens favorise graduellement la connaissance qu'on peut avoir de ses pouvoirs intrieurs ; en dfinitive, comment la mthode facilite l'invention. C'est ainsi qu'on peut voir dans la suite des pomes de Charmes se dvelopper le long chemin et les tapes du phnomne le plus obscur entre tous, celui de l'inspiration qui va de l'ide premire jusqu' la contemplation du pome termin et parfait. Par une mise en abyme toute mallarmenne, les pomes traitaient souvent de la cration mme du pome, voquaient la tragdie de l'esprit, car Valry allait criredans Discours sur Descartes: La vie de l'intelligence constitue un univers lyrique incomparable, un drame complet o ne manquent ni l'aventure, ni les passions, ni la douleur, ni le comique, ni rien d'humain. Lvocation de la nature, transpose sur le plan de lesprit, servit de cadre une rverie ordonne sur lexistence.On peut considrer aussi que tous les motifs de La jeune Parque, pome qui demeure au centre de l'uvre de Valry mais en tincelant dune lumire intense, rapparurent mais sous une lumire tamise.Ce projet a t influenc par Edgar Poe, surtout l'une de ses suggestions : J'ai souvent pens combien serait intressant un article crit par un auteur qui voudrait, c'est--dire qui pourrait, raconter pas pas la marche progressive qu'a suivie une quelconque de ses compositions pour arriver au terme du dfinitif de son accomplissement. Pourquoi un pareil travail n'a-t-il jamais t livr au public? (traduction de Baudelaire). On peut ajouter cela ce dont avait rv Mallarm: un livre, architectural et prmdit, et non un recueil des inspirations du hasard, fussent-elles merveilleuses. M. Teste est prsent aussi dans le projet de Charmes en ce que s'y dcouvre l'intention, non seulement de devenir matre de l'inspiration, mais encore de la formuler et de la diriger. Du coup, Charmes, au lieu d'tre un recueil dont l'ordre des pomes est, soit indiffrent soit chronologique ; apparat comme un difice dont toutes les parties sont dpendantes et correspondantes, un de ces monuments qui chantent dont parlait Eupalinos.Les pomes, dune versification plus classique que celle de Mallarm, furent composs dans un tat de virtuosit aigu. Le titre jouait sur les deux sens du latin carmina: chants, pomes mais aussi enchantements sortilges, envotements. Le recueil mlangeait de manire relativement concerte des pices de mtriques et de longueurs diffrentes. Lauteur fit alterner pices majeures et pices de moindre ampleur, pour mnager au loecteur des contrastes bienvenus entre la brivet et le dveloppement, la grce et la rigueur, la lgret et la gravit. Mais cette composition organique fait aussi de lensemble un pome de pomes._________________________________________________________________________________

Aurore

Le pome a pour sujet la lutte de l'me, du moins d'un principe spirituel, contre un obstacle dont elle s'arrache. voque lamorce matinale de la mditation potique. Lheptasyllabe confre au pome sa fluidit impaire._________________________________________________________________________________

Au platane

Dans ces stances, Valry demandait au monde vgtal le symbole de l'tre, de la nature, qui chappe non seulement la prise de l'esprit, mais la prise potique. Le pote peut bien l'envelopper de loin dans un rseau de mots et de rythmes qui l'imitent vaguement, il ne saurait approcher de son cur. La communaut vgtale refuse d'pouser cette apparence de corps individuel, qu' l'imitation de la cuisse du cheval mme du cheval ail et d'une chair solide d'athlte, l'imagination du pote fait contracter son tronc substantiel et dur. Ce fils de la nature se refuse nos coupes techniques:Non, dit l'Arbre. Il dit : Non ! par l'tincellement De sa tte superbe,Que la tempte traite universellement, Comme elle fait une herbe !Le pome dpeint les rapports de ltre humain et de la nature, le myst`re du vgtal jamais enchan au sol et qui ne peut, comme le fait ltre humain, se librer de la matire par leffort spirituel._________________________________________________________________________________

Cantiques des colonnesDouces colonnes, auxChapeaux garnis de jour,Orns de vrais oiseauxQui marchent sur le tour,

Douces colonnes, L'orchestre de fuseaux ! Chacun immole son Silence l'unisson.

Que portez-vous si haut, 10gales radieuses? - Au dsir sans dfaut Nos grces studieuses !

Nous chantons la fois Que nous portons les cieux ! seule et sage voix Qui chantes pour les yeux !

Vois quels hymnes candides ! Quelle sonorit Nos lments limpides 20Tirent de la clart !

Si froides et dores Nous fmes de nos lits Par le ciseau tires, Pour devenir ces lys !

De nos lits de cristal Nous fmes veilles, Des griffes de mtal Nous ont appareilles.

Pour affronter la lune, 30La lune et le soleil, On nous polit chacune Comme ongle de l'orteil !

Servantes sans genoux, Sourires sans figures, La belle devant nous Se sent les jambes pures.

Pieusement pareilles,Le nez sous le bandeauEt nos riches oreilles40Sourdes au blanc fardeau,

Un temple sur les yeux Noirs pour l'ternit, Nous allons sans les dieux la divinit !

Nos antiques jeunesses,Chair mate et belles ombres,Sont fires des finessesQui naissent par les nombres

Filles des nombres d'or,50 Fortes des lois du ciel,Sur nous tombe et s'endortUn dieu couleur de miel.

Il dort content, le Jour,Que chaque jour offronsSur la table d'amourtale sur nos fronts.

Incorruptibles surs,Mi-brlantes, mi-fraches,Nous prmes pour danseurs60 Brises et feuilles sches,Et les sicles par dix, Et les peuples passs, C'est un profond jadis, Jadis jamais assez !

Sous nos mmes amours Plus lourdes que le monde Nous traversons les jours Comme une pierre l'onde !

Nous marchons dans le temps 70Et nos corps clatants Ont des pas ineffables Qui marquent dans les fables.Commentaire

Passionn par l'architecture laquelle il avait consacr le dialogue d'Eupalinos, Paul Valry voulut montrer ses liens avec la musique, la posie, les mathmatiques et la danse : toutes ces activits, unies par une secrte parent, reposent sur la science exacte et le travail lucide ; toutes traduisent notre lan vers une divine perfection. Il choisit pour cela de clbrer l'harmonie de la colonne antique dans ce pome qui est form de dix-huit quatrains dhexasyllabes aux rimes croises.Apologie de la lucidit, du calcul studieux et de la volont perfectionniste, le Cantique des colonnes chante la perfection apollinienne de lart grec. la premire strophe, le pote, voquant les douces colonnes, admire dabord leurs chapeaux (vers 2) qui sont les chapiteaux, garnis de jour parce que dlicatement sculpts, ajours et orns de vrais oiseaux (vers 3), ce qui est une touche de moquerie lgard des lgantes du temps qui se plaisaient arborer de faux oiseaux sur leurs chapeaux. Puis, la deuxime strophe, cest lensemble des fuseaux, des fts des colonnes, qui apparat, le mot orchestre permettant dtablir une correspondance entre architecture et musique. Dans Eupalinos, Valry avait crit: Je veux entendre le chant des colonnes, et me figurer dans le ciel pur le monument d'une mlodie. la troisime strophe, un dialogue souvre entre le pote et les gales radieuses (toutes galement resplendissantes) qui lui rpondent car il est le seul, avec larchitecte, pouvoir tablir des harmonies visuelles. Elles lui affirment porter la pure beaut (le dsir sans dfaut) leurs grces qui sont le rsultat du travail de lartiste. la quatrime strophe, il faut comprendre qu la fois elles chantent ( lunisson) et portent les cieux, ce qui est une vision impressionniste. Bel loge de larchitecte: il chante pour les yeux. la cinquime stophe, les hymnes des colonnes sont candides (vers 17) parce quelles sont blanches, Valry aimant jouer sur le sens tymologique du mot. Il avait dj soulign la correspondance entre le son et la lumire (vers 18-20) dans Eupalinos : Il prparait la lumire un instrument incomparable qui la rpandt, tout affecte de formes intelligibles et de proprits presque musicales. La sixime strophe rappelle la carrire o, selon le pote, les colonnes existaient dj, le ciseau du sculpteur stant content de faire apparatre ces lys (mot qui est mal orthographi, Valry confondant, comme on le fait souvent, le lis, que son calice trs allong rend analogue aux colonnes, et la fleur de Lys, une varit diris qu'on trouve abondamment sur les bords de la rivire Lys et qui aurait t choisie comme emblme royal par le roi de France Louis VII quand il sempara de lArtois.La septime strophe ne fait que prciser les manuvres prsentes dans la strophe prcdente, la personnification des colonnes tant accentue. Appareilles (vers 28) signifie faonnes et agences, le mot suggrant aussi quelles sont rendues pareilles (voir le vers 37 : Pieusement pareilles). La huitime strophe poursuit lhumanisation des colonnes, tandis que lvocation de la lune et du soleil est rendue plaisante par la rptition aux vers 29 et 30.La neuvime strophe ne manque pas dtonner puisque ce sont la rigidit et la svrit des colonnes qui permettraient la belle de se sentir les jambes pures car elles lui offrent l'exemple d'une jambe idale. la dixime strophe, le bandeau (vers 38) tant lassise de pierre reposant horizontalement sur les colonnes comme un blanc fardeau, le pote samuse un jeu de mots avec le sens ordinaire du mot: le chapiteau, devenu ici la tte de la colonne, a le nez et les yeux (les yeux noirs des vers 41-42) recouverts par le bandeau, tandis que les volutes ioniques sont comme des oreilles (vers 39). la onzime strophe, si les colonnes sont celles dun temple, il est en fait abandonn par les dieux, et ce sont elles qui, divines par leur beaut, clbrent la divinit, le pote indiquant ainsi que lart, n de la religion, est notre poque lui seul une religion.La douzime strophe affirme lternelle jeunesse des colonnes, quelles doivent lapplication quon a faite, dans leur conception, de nombres qui sont les calculs de larchitecte. Ainsi, Eupalinos aux ouvriers ne leur donnait que des ordres et des nombres... C'est la manire mme de Dieu.Lide est prolonge dans la douzime strophe, lharmonie des colonnes tant le rsultat des nombres dor (vers 49) car, selon les pythagoriciens, les nombres sont d'essence divine, et le nombre d'or dfinit la proportion la plus harmonieuse. Le toit du temple que supportaient les colonnes ayant disparu, le seul dieu auquel elles sont voues est le dieu couleur de miel: le soleil.Toutefois, la quatorzime strophe, il est plutt appel le Jour, qui semble sendormir tous les soirs sur les colonnes, content davoir t une offrande prsente par les colonnes sur lautel (la table damour) quest le ciel quelles semblent soutenir, toujours par le mme effet impressionniste.La quinzime strophe montre les incorruptibles colonnes, mi-brlantes, mi-fraches selon le ct expos au soleil ou selon lheure, dansant pourtant mais avec de fragiles danseurs.La seizime strophe rend la grande tendue du temps quelles ont travers, tendue qui pourtant, pour elles, nest pas assez grande.Lide de lincorruptibilit revient dans la dix-septime strophe o les colonnes, soumises limmuabilit, demeurent aussi indiffrentes, aussi inatteignables, que lest la pierre pour leau o elle plonge. Aussi on comprend que, dans la dix-huitime et dernire strophe, il soit affirm que ces colonnes immobiles, qui sont pourtant des voyageuses dans le temps, soient lobjet de rcits lgendaires, auxquels, a d penser Valry, devait se joindre son pome.Et il ne se trompait pas. En mars 1919, il parut pour la premire fois dans la revue Littrature dAndr Breton et il demeure depuis comme un monument dress au lyrisme de lordre universel que perptue l'harmonie de la colonne antique. Pour voquer la lgret arienne des colonnes, qui, tout le long du cantique, ont t assimiles des femmes, leur puret dans l'air limpide, la technique du pote dut faire oublier sa rigueur : dans ce cantique frais et gracieux, tout est harmonie ; tantt prcieuses, tantt baroques, les images sont autant de trouvailles et la fantaisie souriante de l'artiste s'accorde avec la lumire de la Grce._________________________________________________________________________________

Labeille

Sonnet

Quelle, et si fine, et si mortelle,Que soit ta pointe, blonde abeille,Je nai, sur ma tendre corbeille,Jet quun songe de dentelle.

Pique du sein la gourde belle,Sur qui lAmour meurt ou sommeille,Quun peu de moi-mme vermeille,Vienne la chair ronde et rebelle !

Jai grand besoin dun prompt tourment :Un mal vif et bien terminVaut mieux quun supplice dormant !

Soit donc mon sens illuminPar cette infime alerte dorSans qui lAmour meurt ou sendort !

Commentaire

Cest une jeune femme qui parle. Labeille dont elle souhaite la piqre symbolise le stimulant ncessaire lamour et peut-tre linspiration potique, la pense, tourment humain par excellence, la pense qui engendre la pense. La mme allgorie se retrouvera dans L'me et la danse ; alors que Socrate vient de parler, Phdre s'crie : Comme si de ta bouche cratrice, naissaient [..] l'abeille et l'abeille. Au vers 3, la tendre corbeille est la poitrine. Au vers 4, le songe de dentelle est un voile lger. Au vers 7, un peu de moi-mme vermeille est un peu de sang. Il faut comprendre le vers 9 ainsi : ds que l'me sent sa force libre, elle la dsire utilise et dirige._________________________________________________________________________________

PosieMaintenant, sre de son essence, l'me comprend qu'elle est esprit, et, dans sa certitude, jouit trop avidement de son bien. Mais sa dmesure est punie. Il est intressant de constater que Valry appelle Intelligence ce qu'on est accoutum d'appeler Muse ou Inspiration.Lheptasyllabe confre au pome sa fluidit impaire._________________________________________________________________________________

L'me ne connat pas longtemps le jeu gratuit de penser. Sa mre Intelligence lui rserve des dons plus rares : une une, dans le silence, elle lui enverra des paroles rythmes comme des pas :

Les pasTes pas, enfants de mon silence, Saintement, lentement placs, Vers le lit de ma vigilance Procdent muets et glacs.

Personne pure, ombre divine, Qu'ils sont doux, tes pas retenus ! Dieux !... tous les dons que je devine Viennent moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lvres avances,Tu prpares pour l'apaiser, l'habitant de mes pensesLa nourriture d'un baiser,

Ne hte pas cet acte tendre, Douceur d'tre et de n'tre pas, Car j'ai vcu de vous attendre, Et mon cur n'tait que vos pas.

Commentaire

Dans ces quatre quatrains doctosyllabes aux rimes croises et riches, aux images sensuelles, on admire juste titre les nuances subtiles par lesquelles l'auteur suggre la ferveur de l'attente, le charme complexe des instants qui prcdent le retour de l'tre aim. Les pas sont au dpart (vers 1 4) une marche ; puis cette marche, anagramme de charme, joue sur le pouvoir de la posie (vers 5 8) ; enfin, le charme renvoie aussi l'laboration mme de l'oeuvre potique (vers 9 16).Ces vers offrent aussi, comme en surimpression, un sens allgorique : cette attente serait celle de l'inspiration ; cette douceur serait l'moi du pote lorsqu'il devine, au fond de son cur, la lente approche de la Muse.Ce pome lyrique fut, ds sa parution en 1920 dans la NRF, traduit en allemand par Rilke. Il souleva par la suite l'enthousiasme philosophique d'Alain._________________________________________________________________________________

La ceinture

Sonnet

Le monde droule aux yeux du pote sa bande colore laquelle la ceinture relie son solitaire esprit. Et, devant la beaut de l'univers l'heure qui dfait les contours, il ne trouve que lui-mme :Absent, prsent... Je suis bien seul, Et sombre, suave linceul !_________________________________________________________________________________

La dormeuse

Sonnet

Lucien Fabre.Quels secrets dans mon cur brle ma jeune amie,me par le doux masque aspirant une fleur?De quels vains aliments sa nave chaleurFait ce rayonnement dune femme endormie?

Souffles, songes, silence, invincible accalmie,Tu triomphes, paix plus puissante quun pleur,Quand de ce plein sommeil londe grave et lampleurConspirent sur le sein dune telle ennemie.

Dormeuse, amas dor dombres et dabandons,Ton repos redoutable est charg de tels dons, biche avec langueur longue auprs dune grappe,

Que malgr lme absente, occupe aux enfers,Ta forme au ventre pur quun bras fluide drape,Veille ; ta forme veille, et mes yeux sont ouverts.

Commentaire

Un beau corps ensommeill semblait Valry un pur contact avec l'tre, avec le courant de la vie profonde, avec la ralit dsintresse. Il a repris ici le thme de la Dormeuse qui est un des plus splendides et des plus pleins de la posie franaise. Il souhaite que la dormeuse demeure dans son absolu, dans cette ralit double, ou ddouble, du sommeil qui dverse de deux cts, en deux perfections, le corps et l'me. Le sommeil et la veille sont les deux cts de l'tre : l'tre qui est et l'tre qui agit. L'me absente occupe aux enfers a cess d'agir, de s'intresser, elle n'est plus qu'tre. Toute la dormeuse est-elle verse du ct de l'tre? Non, quelque chose veille, la forme de son corps, et, si ses yeux sont ferms, des yeux restent ouverts sur cette forme. Ta forme veille et mes yeux sont ouverts. La forme, superficie, pellicule, coupe sur une profondeur, comme dans Le cimetire marin, partie de l'tre qui vit sous la lumire et pour l'action, ici ramene son Ide en des yeux de pote. L'me, qui pourtant a entendu les pas, se laisse distraire par le spectacle extrieur, tandis que, incre, luvre attend._________________________________________________________________________________

L'me enfin libre se regarde et s'aime ; son premier spectacle et son premier amour, c'est elle-mme, d'o la place ici dans le recueil de: _________________________________________________________________________________

Fragments du Narcisse

Pome de 315 versCur aliquid vidi?I

Que tu brilles enfin, terme pur de ma course !Ce soir, comme d'un cerf, la fuite vers la source Ne cesse qu'il ne tombe au milieu des roseaux, Ma soif me vient abattre au bord mme des eaux. Mais, pour dsaltrer cette amour curieuse, Je ne troublerai pas l'onde mystrieuse : Nymphes ! si vous m'aimez, il faut toujours dormir ! La moindre me dans l'air vous fait toutes frmir ; Mme, dans sa faiblesse, aux ombres chappe, 10Si la feuille perdue effleure la nape,Elle suffit rompre un univers dormant...Votre sommeil importe mon enchantement,Il craint jusqu'au frisson d'une plume qui plonge !Gardez-moi longuement ce visage pour songeQu'une absence divine est seule concevoir !Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir !

Rvez, rvez de moi !... Sans vous, belles fontaines,Ma beaut, ma douleur, me seraient incertaines.Je chercherais en vain ce que j'ai de plus cher,20Sa tendresse confuse tonnerait ma chair,Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes, d'autres que moi-mme. adresseraient leurs larmes...

Vous attendiez, peut-tre, un visage sans pleurs,Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,Et de l'incorruptible altitude hantes, Nymphes !... Mais docile aux pentes enchantesQui me firent vers vous d'invincibles chemins,Souffrez ce beau reflet des dsordres humains !

Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes !30 Je suis seul !... Si les Dieux, les chos et les ondesEt si tant de soupirs permettent qu'on le soit !Seul !... mais encor celui qui s'approche de soi Quand il s'approche aux bords que bnit ce feuillage...Des cimes, l'air dj cesse le pur pillage ;La voix des sources change, et me parle du soir ;Un grand calme m'coute, o j'coute l'espoir.J'entends l'herbe des nuits crotre dans l'ombre sainte,Et la lune perfide lve son miroirJusque dans les secrets de la fontaine teinte...40Jusque dans les secrets que je crains de savoir,Jusque dans le repli de l'amour de soi-mme,Rien ne peut chapper au silence du soir...La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l'aime.Sa voix frache mes vux tremble de consentir ; peine, dans la brise, elle semble mentir,Tant le frmissement de son temple taciteConspire au spacieux silence d'un tel site. douceur de survivre la force du jour,Quand elle se retire enfin rose d'amour,50Encore un peu brlante, et lasse, mais comble,Et de tant de trsors tendrement accablePar de tels souvenirs qu'ils empourprent sa mort,Et qu'ils la font heureuse agenouiller dans l'or,Puis s'tendre, se fondre, et perdre sa vendange,Et s'teindre en un songe en qui le soir se change.Quelle perte en soi-mme offre un si calme lieu ! L'me, jusqu' prir, s'y penche pour un Dieu Qu'elle demande l'onde, onde dserte, et digne Sur son lustre, du lisse effacement d'un cygne ... 60 cette onde jamais ne burent les troupeaux ! D'autres, ici perdus, trouveraient le repos, Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s'ouvre... Mais ce n'est pas le calme, hlas ! que j'y dcouvre ! Quand l'opaque dlice o dort cette clart, Cde mon corps l'horreur du feuillage cart, Alors, vainqueur de l'ombre, mon corps paisseur panique, Tu regrettes bientt leur ternelle nuit ! Pour l'inquiet Narcisse, il n'est ici qu'ennui ! Tout m'appelle et m'enchane la chair lumineuse 70 Que m'oppose des eaux la paix vertigineuse ! Que je dplore ton clat fatal et pur, Si mollement de moi, fontaine environne, O puisrent mes yeux dans un mortel azur, Les yeux mmes et noirs de leur me tonne !

Profondeur, profondeur, songes qui me voyez, Comme ils verraient une autre vie Dites, ne suis-je pas celui que vous croyez, Votre corps vous fait-il envie? Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux Qui se fait dans lme qui veille ; Ne cherchez pas en vous, n'allez surprendre aux cieux Le malheur d'tre une merveille : Trouvez dans la fontaine un corps dlicieux ... Prenant vos regards cette parfaite proie, Du monstre de s'aimer faites-vous un captif ; Dans les errants filets de vos longs cils de soie Son gracieux clat vous retienne pensif ; Mais ne vous flattez pas de le changer d'empire. Ce cristal est son vrai sjour ; 90 Les efforts mmes de lamour Ne le sauraient de londe extraire quil nexpire

PIRE. Pire? Quelquun redit Pire moqueur ! cho lointaine et prompte rendre son oracle ! De son rire enchant, le roc brise mon cur, Et le silence, par miracle, Cesse !... parle, renat, sur la face des eaux Pire?... Pire destin !... Vous le dites, roseaux, Qui reprtes des vents ma plainte vababonde ! Antres, qui me rendez mon me plus profonde,100 Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt Vous me le murmurez, ramures !... rumeur Dchirante, et docile aux souffles sans figure, Votre or lger sagite , et joue avec laugure Tout se mle de moi, brutes divinits ! Mes secrets dans les airs sonnent bruits, Le roc rit ; larbre pleure ; et par sa voix charmante, Je ne puis quaux cieux que je ne me lamente Dappartenir sans force dternels attraits ! Hlas ! entre les bras qui naissent des forts, 110 Une tendre lueur dheure ambigu existe L, dun reste du jour, se forme un fianc, Nu, sur la place ple o mattire leau triste, Dlicieux dmon dsirable et glac !

Te voici, mon doux corps de lune et de rose, forme obissante mes vux oppose ! Qu'ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains ! Mes lentes mains, dans lor adorable se lassent D'appeler ce captif que les feuilles enlacent ;120 Mon cur jette aux chos l'clat des noms divins ! Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphme ! semblable ! Et pourtant plus parfait que moi-mme, phmre immortel, si clair devant mes yeux, Ples membres de perle, et ces cheveux soyeux, Faut-il qu' peine aims, lombre les obscurcisse, Et que la nuit dj nous divise, Narcisse, Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit ! Qu'as-tu?Ma plainte mme est funeste? Le bruit Du souffle que j'enseigne tes lvres, mon double, 130 Sur la limpide lame a fait courir un trouble ! Tu trembles !... Mais ces mots que jiexpire genoux Ne sont pourtant qu'une me hsitante entre nous, Entre ce front si pur et ma lourde mmoire... Je suis si prs de toi que je pourrais te boire, visage !... Ma soif est un esclave nu... Jusqu' ce temps charmant je m'tais inconnu, Et je ne savais pas me chrir et me joindre ! Mais te voir, cher esclave, obir la moindre Des ombres dans mon cur se fuyant regret,140 Voir sur mon front l'orage et les feux d'un secret, Voir, merveille, voir ! ma bouche nuance Trahir... peindre sur l'onde une fleur de pense, Et quels vnements tinceler dans l'il ! J'y trouve un tel trsor d'impuissance et d'orgueil, Que nulle vierge enfant chappe au satyre, Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans moi, Nulle des nymphes, nulle amie, ne m'attire Comme tu fais sur l'onde, inpuisable Moi !...

II

Fontaine, ma fontaine, eau froidement prsente,150 Douce aux purs animaux, aux humains complaisante Qui d'eux-mmes tents suivent au fond la mort, Tout est songe pour toi, Sur tranquille du Sor t! peine en souvenir change-t-il un prsage, Que pareille sans cesse son fuyant visage, Sitt de ton sommeil les cieux te sont ravis ! Mais si pure tu sois des tres que tu vis, Onde, sur qui les ans passent comme les nues, Que de choses pourtant doivent t'tre connues, Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours ! 160 Claire, mais si profonde, une nymphe toujours Effleure, et vivant de tout ce qui l'approche, Nourrit quelque sagesse l'abri de sa roche, l'ombre de ce jour qu'elle peint sous les bois. Elle sait jamais les choses d'une fois ... prsence pensive, eau calme qui recueilles Tout un sombre trsor de fables et de feuilles, L'oiseau mort, le fruit mr, lentement descendus, Et les rares lueurs des clairs anneaux perdus. Tu consommes en toi leur perte solennelle ; 170 Mais, sur la puret de ta face ternelle, L'amour passe et prit ... Quand le feuillage pars Tremble, commence fuir, pleure de toutes parts, Tu vois du sombre amour s'y mler la tourmente, L'amant brlant et dur ceindre la blanche amante, Vaincre l'me... Et tu sais selon quelle douceur Sa main puissante passe travers l'paisseur Des tresses que rpand la nuque prcieuse, Sy repose, et se sent forte et mystrieuse ; Elle parle lpaule et rgne sur la chair.180 Alors les yeux ferms l'ternel ther Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupires ; Sa pourpre redoutable obscurcit les lumires D'un couple aux pieds confus qui se mle, et se ment. Ils gmissent ... La Terre appelle doucement Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche bouche, Et qui, du vierge sable osant battre la couche, Composeront d'amour un monstre qui se meurt ... Leurs souffles ne font plus qu'une heureuse rumeur, L'me croit respirer l'me toute prochaine, 190 Mais tu sais mieux que moi, vnrable fontaine, Quels fruits forment toujours ces moments enchants ! Car, peine les curs calmes et contents D'une ardente alliance expire en dlices, Des amants dtachs tu mires les malices, Tu vois poindre des jours de mensonges tissus, Et natre mille maux trop tendrement conus ! Bientt, mon onde sage, infidle et la mme, Le Temps mne ces fous qui crurent que l'on aime Redire tes roseaux de plus profonds soupirs ! 200 Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs ... Sur tes bords, accabls d'ombres et de faiblesse, Tout blouis d'un ciel dont la beaut les blesse Tant il garde l'clat de leurs jours les plus beaux, Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux ... Cette place dans l'ombre tait tranquille et ntre! L'autre aimait ce cyprs, se dit le cur de l'autre, Et d'ici, nous gotions le souffle de la mer ! Hlas ! la rose mme est amre dans l'air ... Moins amers les parfums des suprmes fumes 210 Qu'abandonnent au vent les feuilles consummes ! ... Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir, Foulent aux pieds le temps d'un jour de dsespoir ... marche lente, prompte, et pareille aux penses Qui parlent tour tour aux ttes insenses ! La caresse et le meurtre hsitent dans leurs mains, Leur cur, qui croit se rompre au dtour des chemins, Lutte, et retient soi son esprance treinte. Mais leurs esprits perdus courent ce labyrinthe O s'gare celui qui maudit le soleil ! 220 Leur folle solitude, l'gal du sommeil, Peuple et trompe l'absence; et leur secrte oreille Partout place une voix qui n'a point de pareille. Rien ne peut dissiper leurs songes absolus ; Le soleil ne peut rien contre ce qui n'est plus ! Mais s'ils tranent dans l'or leurs yeux secs et funbres, Ils se sentent des pleurs dfendre leurs tnbres Plus chres jamais que tous les feux du jour ! Et dans ce corps cach tout marqu de l'amour Que porte amrement l'me qui fut heureuse, 230 Brle un secret baiser qui la rend furieuse ... Mais moi, Narcisse aim, je ne suis curieuxQue de ma seule essence ; Tout autre n'a pour moi qu'un cur mystrieux,Tout autre n'est qu'absence. mon bien souverain, cher corps, je n'ai que toi ! Le plus beau des mortels ne peut chrir que soi...

Douce et dore, est-il une idole plus sainte, De toute une fort qui se consume, ceinte, Et sise dans l'azur vivant par tant d'oiseaux? 240 Est-il don plus divin de la faveur des eaux, Et d'un jour qui se meurt plus adorable usage Que de rendre mes yeux l'honneur de mon visage? Naisse donc entre nous que la lumire unit De grce et de silence un change infini ! Je vous salue, enfant de mon me et de l'onde, Cher trsor d'un miroir qui partage le monde ! Ma tendresse y vient boire, et s'enivre de voir Un dsir sur soi-mme essayer son pouvoir ! qu' tous mes souhaits, que vous tes semblable ! 250 Mais la fragilit vous fait inviolable, Vous n'tes que lumire, adorable moiti D'une amour trop pareille la faible amiti !Hlas ! la nymphe mme a spar nos charmes ! Puis-je esprer de toi que de vaines alarmes? Qu'ils sont doux les prils que nous pourrions choisir ! Se surprendre soi-mme et soi-mme saisir, Nos mains s'entremler, nos maux s'entre-dtruire, Nos silences longtemps de leurs songes s'instruire, La mme nuit en pleurs confondre nos yeux clos, 260 Et nos bras referms sur les mmes sanglots treindre un mme cur, d'amour prt se fondre...Quitte enfin le silence, ose enfin me rpondre, Bel et cruel Narcisse, inaccessible enfant, Tout orn de mes biens que la nymphe dfend... III

Ce corps si pur, sait-il quil me puisse sduire? De quelle profondeur songes-tu de minstruire, Habitant de labme, hte si prcieux Dun ciel sombre ici-bas prcipit des cieux? le frais ornement de ma triste tendance Qu'un sourire si proche, et plein de confidence, Et qui prte ma lvre une ombre de danger Jusqu' me faire craindre un dsir tranger ! Quel souffle vient l'onde offrir ta froide rose !... J'aime ... J'aime !... Et qui donc peut aimer autre chose Que soi-mme? ... Toi seul, mon corps, mon cher corps, Je t'aime, unique objet qui me dfends des morts. . Formons, toi sur ma lvre, et moi, dans mon silence, Une prire aux dieux qu'mus de tant d'amour Sur sa pente de pourpre ils arrtent le jour !... Faites, Matres heureux, Pres des justes fraudes, Dites qu'une lueur de rose ou d'meraudes Que des songes du soir votre sceptre reprit, Pure, et toute pareille au plus pur de l'esprit, Attende, au sein des cieux, que tu vives et veuilles, Prs de moi, mon amour, choisir un lit de feuilles, Sortir tremblant du flanc de la nymphe au cur froid, Et sans quitter mes yeux, sans cesser d'tre moi, Tendre ta forme frache, et cette claire corce... Oh ! te saisir enfin !... Prendre ce calme torse Plus pur que d'une femme et non form de fruits... Mais, dune pierre simple est le temple o je suis, O je vis Car je vis sur tes lvres avares !... mon corps, mon cher corps, temple qui me spares De ma divinit, je voudrais apaiser Votre bouche... Et bientt, je briserais, baiser, Ce peu qui nous dfend de l'extrme existence, Cette tremblante, frle, et pieuse distance Entre moi-mme et l'onde, et mon me, et les dieux !Adieu... Sens-tu frmir mille flottants adieux? 300 Bientt va frissonner le dsordre des ombres! L'arbre aveugle vers l'arbre tend ses membres sombres, Et cherche affreusement l'arbre qui disparat... Mon me ainsi se perd dans sa propre fort, O la puissance chappe ses formes suprmes... L'me, l'me aux yeux noirs, touche aux tnbres mmes, Elle se fait immense et ne rencontre rien... Entre la mort et soi, quel regard est le sien !

Dieux ! de l'auguste jour, le ple et tendre reste310 Va des jours consums joindre le sort funeste ; Il s'abme aux enfers du profond souvenir ! Hlas ! corps misrable, il est temps de s'unir... Penche-toi... Baise-toi. Tremble de tout ton tre ! L'insaisissable amour que tu me vins promettre Passe, et dans un frisson, brise Narcisse, et fuit...

Commentaire

Valry reprenait la pathtique aventure de Narcisse, personnage mythologique qui tait si beau quil mprisait toutes les femmes et qui, pour se venger, la nymphe cho souhaita daimer un tre quil ne pourrait possder: il tomba amoureux de son reflet dans leau et, dchir de ne pouvoir satteindre lui-mme, se noya. Ce mythe avait fascin les crivains issus du symbolisme, tels Gide et Valry. Sa prdilection pour ce thme s'explique surtout par le symbole qu'il ne cessa de suggrer travers le mythe, celui de la connaissance de soi, source de dlices et de tourments pour l'esprit qui ne peut se dtacher de cette investigation lucide, et que torture pourtant l'impossibilit de briser l'obstacle entre l'Unique et l'Universel qu'il se sent tre et cette personne finie et particulire qu'il se voit dans le miroir d'eau. (Walzer). Pour lui, Narcisse est celui qui se dsire parce quil ne se connat pas. Et il en fit un reprsentant du pote qui limine lexistence des autres pour se livrer la rflexion sur sa propre existence dans laquelle sa pense se prend elle-mme pour objet potique. Ces Fragments du Narcisse, qui datent de 1919 (I) et de 1922-1923 1919 (Il et III), constituent une longue suite de 315 vers, presque tous des alexandrins parsems de quelques vers de mtres plus courts, suite organise en trois squences, les trois actes du drame, elles-mmes subdivises selon des retraits mnags de place en place. La mention de Fragments indique que Valry avait rv un long pome de Narcisse qui aurait fait pendant La jeune Parque.Lpigraphe vient dOvide (Tristes, II, 103) et signifie : Pourquoi ai-je vu quelque chose?

Au dbut de la premire squence, Narcisse, aprs une course perdue travers la fort, seffondre plat ventre au bord dune fontaine et contemple son image dans leau. Il sinvoque, si distant de lui-mme, si difficile sapprocher. Au vers 5, amour curieuse signifie amour passionn. Les nymphes du vers 7, celles qui vivent dans la fontaine, sont invites dormir, cest--dire demeurer immobiles, pour que le miroir des eaux reste pur, pour que Narcisse puisse se voir. Dans Narcisse parle, Valry avait eu cette formule : le miroir au bois dormant. Un geste, un bruit de leur part, troublerait limage que le pote vient chercher, car Narcisse, cest lui. Ces nymphes reprsentent tout ce qui peut le dtourner de sa propre contemplation: tres du monde, moi des sens. Endormies, elles laissent lesprit exempt de toute impuret, mme adorable. Voil la condition de cet amour, de cette saisie de soi, qui ne peut avoir lieu que dans la plus grande libert possible de ltre, le dtachement de toute contingence externe ou interne. Au vers 8, le mot me, pris en son sens latin premier (anima), signifie souffle. Au vers 9, les ombres sont le feuillage sombre. La nape (mot d'origine grecque) du vers 10 est une nymphe des vallons et des bocages. Au vers 14, le visage sert de songe car cest une image inconsistante comme un rve (voir le vers 17). Au vers 15, il faut comprendre que seule l'absence (cest--dire l'immobilit) des nymphes permet l'image de se former sur les eaux. Le vers 22 indique que, sans ce miroir, Narcisse aurait pu prouver de l'amour pour d'autres, mais il est condamn saimer lui-mme, comme lavait dj not Vigny : Tourment de s'aimer, tourment de se voir (La maison du berger). Au vers 25, lincorruptible altitude est la profondeur et la puret de l'eau. Au vers 26, docile renvoie librement me (vers 27), Narcisse qui a suivi la pente de sa nature et de ses inquitudes en allant vers la fontaine. Au vers 27, les invincibles chemins sont ceux de linstinct qui la tir vers la source. Narcisse sest donc loign de tout ce qui, diffrent de lui, pouvait par lui se faire aimer: les idoles. Mais ce dsir acharn de libert est douloureux. Les idoles se font regretter par ce Narcisse trop humain. Cest en pleurs quil arrive la fontaine: au vers 28, le beau reflet des dsordres humains est les larmes, expression de la nature humaine, du drame du moi qui se regarde. la fontaine, il est seul, autant quon peut ltre (vers 30). Les vers 31-32 stipulent que celui qui ne sintresse qu lui-mme est seul. Le pote demeure, lui aussi, prisonnier de sa propre chair, doit chapper ce corps qui se propose dj son admiration. Il lui faut se dfendre du dsir de sa personne visible: ce nest pas cela quil est.Au vers 34, Narcisse interrompt sa mditation sur la solitude et se tourne vers la nature crpusculaire qui semble le toucher et lui donner lespoir de sortir de lui-mme ; cependant, il n'y russit pas et tout le ramne l'amour de soi-mme (vers 41). Les vers 35-39 sont repris, peu de chose prs, de Narcisse parle. Dans les vers 42 47, le mystre de la nature, admirablement suggr, introduit la connaissance intime du mystre de l'me. Il faut ainsi comprendre le vers 45 : si c'est une illusion, elle est peine perceptible. Au vers 46, le temple tacite est la fort silencieuse qui, on le voit au vers 47, offre par son silence une telle complicit la perte en soi-mme que l'amour de soi ne semble presque plus un mensonge.Le morceau des vers 48 55 figure le crpuscule par l'image d'une amante qui s'endort. Valry considrait comme son chef-d'uvre de posie ce tableautin symboliste. Au vers 53, lor est le soleil couchant. Au vers 54, vendange sexplique parce que les dernires lueurs du jour sont dores comme des grappes. Dans le passage qui stend du vers 56 au vers 114, au lieu d'apaiser Narcisse, la contemplation de son image ne lui apporte qu'inquitude et ennui : tel est le tourment d'une introspection insatiable et dcevante. Le fait quau vers 74, les yeux soient noirs ne signifie videmment pas que l'adolescent Narcisse a les yeux noirs, mais bien que ces yeux qui le rvlent lui sont un arrt et une absence locale de l'universelle lumire. Quand il interroge son corps, il le voit tortur de dsir, ne peut aimer ce visage tendu sa perte, do la supplication du quatrain des vers 80-84. Il ne faut donc pas saimer pour ce quon est. Il ne faut pas non plus se croire le malheur dtre une merveille (vers 83). Cette passion de soi est une passion comme toutes les autres: funeste la puret de lme, et qui continue de nous drober nous-mmes, ce moi absolu digne de nos vux. Narcisse se lamente dappartenir sans force dternels attraits (vers 109). Il voudrait retrouver l'ingnuit du jeune homme qui, sans s'analyser, s'merveillait du gracieux clat (vers 88) de son corps. Mais, symbole de l'impossibilit de se connatre parfaitement, il se lamente de ne pouvoir extraire de l'onde cet autre lui-mme qui l'attire invinciblement, dlicieux dmon, dsirable et glac (vers 114). Les vers 115-120 sont repris presque littralement de Narcisse parle. Mais, au vers 120, lclat des noms divins est jet pour dsigner les beauts de son corps, alors que, dans Narcisse parle, o le hros suppliait les dieux de librer son double, il disait au contraire : Et je crie aux chos les noms des dieux obscurs. Le blasphme du vers 121 tient au fait quon divinise son tre. Valry avait transcrit le vers 122 au bas d'une photographie le reprsentant sa table de travail. Celui qui se prfre ainsi est peut-tre beau, mais, bien que fig en cette fontaine, il est aussi fugace. Cest une image de soi qui nous chappe vite, napparat que pour disparatre. Loxymoron du vers 123 sexplique parce que le semblable (vers 122) vu dans leau est le reflet phmre d'une essence immortelle. Ce moi quon adore est phmre, car nous ne pouvons linvestir quun instant, et pourtant ternel, puisque, mme si nous nous loignons de lui, il demeure en nous comme lobjet dun dsir insatisfait, brille et existe par le seul fait de son absence. Devant son double (vers 129), Narcisse en vient douter de l'unit de son moi.Cest donc encore souffrir que de saimer, cest insulter lesprit qui sait combien nous sommes altrables. Au vers 130, il faut comprendre ainsi limage : de mme, un rien suffit altrer la claire connaissance de soi. Au vers 132, lme hsitante (voir vers 8) est un souffle qui tremble. La soif du vers 135 rappelle celle des vers 4-5. Au vers 137, on voit Narcisse cder peu peu au dlice de surprendre, dans son image, la trace de ses sentiments fugitifs. Lalliance de mots du vers 144 exprime les dlices et le tourment de la connaissance de soi. Il faut noter quau vers 147 amie a trois syllabes. Mais cette souffrance quest saimer soi-mme nous constitue. Le pote ne se dtournera pas de cet inpuisable MOI (vers 148).

Au dbut de la deuxime squence, le pote chante la fontaine qui abrite une nymphe (vers 160-164) et, surtout, accueille bien des choses qui y tombent (vers 165-171) parmi lesquelles lamour qui passe et prit (vers 171), qui est en proie aux malfices du temps, au got terrible du pass, cet attrait de limpossible qui persiste malgr lchec de notre passion, ces pripties tant voques dans lample morceau qui stend jusquau vers 230.Au contraire, Narcisse, le plus beau des mortels ne peut chrir que soi (vers 236), nest curieux que de sa propre essence, de cet tre dont le temps ni la mort ne pourront jamais le sparer: amour de soi strile, mais qui se forme de lui-mme, grce la fontaine o apparat son image dont, se penchant de plus en plus vers elle, il s'approche en vain : ainsi l'esprit s'puise vouloir se surprendre soi-mme et soi-mme saisir (vers 256).Au vers 237, idole est prendre la fois au sens grec d'image et au sens moderne d'objet d'adoration. Au vers 238, De se rapporte ceinte : lidole est entoure de toute une fort. Au vers 242, lhonneur signifie la gloire et lclat (sens du XVIe sicle). Au vers 245, lenfant de mon me et de londe est limage de Narcisse. Au vers 250, si la fragilit fait limage inviolable, cest quon ne peut l'atteindre, prcisment parce que, dans l'eau, si on la touche, elle disparat. Au vers 253, la nymphe est la surface de l'eau (voir vers 7). Au vers 254, on peut comprendre : Puis-je esprer de toi autre chose que les inutiles inquitudes qui naissent entre les amants ordinaires? Dans les derniers vers (262-264), cest la fontaine, protge par la nymphe, qui sadresse Narcisse pour obtenir de lui une rponse.

Au dbut de la troisime squence, Narcisse sadresse ce corps si pur (vers 264) pour lui crier son amour (vers 273, 275). Il prie les dieux pour quils arrtent le jour (vers 278), pour que son amour puisse sortir tremblant du flanc de la nymphe (vers 285) et se joindre lui dans une treinte vritablement homosexuelle. Mais le corps est l'obstacle entre l'tre et son essence ternelle (vers 292-294). Dautre part, la fin du jour va faire disparatre limage. Aussi presse-t-il sa descente intrieure, va toujours plus profond dans cette qute de soi en soi-mme, dpasse tous les paliers o son tre se situe, trompeusement se fixe. Mais, au fur et mesure que la recherche se poursuit, la fontaine se fait de plus en plus obscure, et la nuit qui enveloppe la nature correspondent les tnbres intrieures et les mystres que ne peut pntrer le regard perant de la conscience (vers 300-304). Soudain, lme qui se perd dans sa propre fort (vers 302) se fait immense et ne rencontre rien (vers 305). Le pote, dans sa qute de son essence, qui ntait faite que de ngations successives de lui-mme (non ! je ne suis pas ceci, non ! il est imposible que je ne sois que cela ! etc, .), a trouv le nant. Cet tre donc, qui serait infiniment le mme, inaltrable, dune puret absolue, vivant la plus digne des vies, na dgal que la mort. Le vertige dtre se confond avec le dsir du non-tre. Voici Narcisse parvenu face face avec le visage de son essence, mais aussi du nant: Entre la mort et soi, quel regard est le sien ! (vers 306) car, linstant o il allait enfin atteindre le terme pur de sa course (vers 1), cette image tant dsire, elle sabolit, le contact avec la surface des eaux lanantit brusquement. Le miroir de la fontaine vole en clats. Voil ce que nous sommes: Rien !La fin du pome rvle donc l'chec de Narcisse pris de son image, et, symboliquement, l'chec de l'intelligence avide de pousser jusqu'au bout la connaissance de soi. Et le dernier vers, qui exprime l'chec, reste sans rime.Car le texte est un pome, o Valry a dploy un admirable lyrisme, digne des plus pures harmonies de Racine et de Mallarm._________________________________________________________________________________

La PythieLa Pythie, exhalant la flammeDe naseaux durcis par l'encens,Haletante, ivre, hurle !... l'meAffreuse, et les flancs mugissants !Ple, profondment mordue,Et la prunelle suspendueAu point le plus haut de l'horreur,Le regard qui manque son masque S'arrache vivant la vasque,10 la fume, la fureur !

Sur le mur, son ombre dmente O domine un dmon majeur, Parmi l'odorante tourmente Prodigue un fantme nageur, De qui la transe colossale, Rompant les aplombs de la salle, Si la folle tarde hennir, Mime de noirs enthousiasmes, Hte les dieux, presse les spasmes20 De s'achever dans l'avenir !Cette martyre en sueurs froides,Ses doigts sur mes doigts se crispant, Vocifre entre les ruadesD'un trpied qu'trangle un serpent : Ah ! maudite !.. Quels maux je souffre ! Toute ma nature est un gouffre !Hlas ! Entr'ouverte aux esprits,J'ai perdu mon propre mystre !... Une Intelligence adultre 30 Exerce un corps qu'elle a compris !

Don cruel ! Matre immonde, cesseVite, vite, divin ferment,De feindre une vaine grossesseDans ce pur ventre sans amant !Fais finir cette horrible scne !Vois de tout mon corps larc obscneTendre se rompre pour darder,Comme son trait le plus infme,Implacablement au ciel lme 40Que mon sein ne peut plus garder !

Qui me parle, ma place mme?Quel cho me rpond : Tu mens ! Qui m'illumine ?... Qui blasphme?Et qui, de ces mots cumants,Dont les clats hachent ma langue, La fait brandir une harangueBrisant la bave et les cheveuxQue mche et trame le dsordreD'une bouche qui veut se mordre50 Et se reprendre ses aveux?

Dieu ! Je ne me connais de crime Que d'avoir peine vcu !... Mais si tu me prends pour victime Et sur l'autel dun corps vaincu Si tu courbes un monstre, tue Ce monstre, et la bte abattue, Le col tranch, le chef produitPar les crins qui tirent les tempes, Que cette plus ple des lampes60 Saisisse de marbre la nuit !

Alors, par cette vagabonde Morte, errante, et lune jamais, Soit l'eau des mers surprise, et l'onde Astreinte d'ternels sommets ! Que soient les humains faits statues, Les curs figs, les mes tues, Et par les glaces de mon il, Puisse un peuple de leurs paroles Durcir en un peuple d'idoles 70Muet de sottise et d'orgueil !

Eh ! Quoi !... Devenir la vipreDont tout le ressort de frissonsSurprend la chair que dsespreSa multitude de tronons !...Reprendre une lutte insense !...Tourne donc plutt ta penseVers la joie enfuie, et reviens, mmoire, cette magieQui ne tirait son nergie80D'autres arcanes que des tiens !Mon cher corps Forme prfre,Fracheur par qui ne fut jamaisAphrodite dsaltre,Intacte nuit, tendres sommets,Et vos partages indiciblesDune argile en les sensibles,Douce matire de mon sort, Quelle alliance nous vcmes,Avant que le don des cumes 90Ait fait de toi ce corps de mort !Toi, mon paule, o lor se joueDune fontaine de noirceur,Jaimais de te joindre ma joueFondue sa mme douceur !...Ou, soulevs mes narines,Les mains pleines de seins vivants,Entre mes bras aux belles ansesMon abme a bu les immenses100 Profondeurs quapportent les vents !

Hlas ! roses, toute lyreContient la modulation !Un soir, de mon triste dlireParut la constellation !Le temple se change dans lantre,Et louragan des songes entreAu mme ciel qui fut si beau !Il faut gmir, il faut atteindreJe ne sais quelle extase, et ceindre110Ma chevelure dun lambeau !

Ils mont connue aux bleus stigmatesApparus sur ma pauvre peau ;Ils massoupirent daromatesLaineux et doux comme un troupeau ;Ils ont, pour vivant amulette,Touch ma gorge qui halte Sous les ornements viprins ;tourdie, ivre dempyreumes,Ils mont, au murmure des neumes,120Rendu des honneurs souterrains.

Quai-je donc fait qui me condamnePure, ces rites odieux?Une sombre carcase dneEt bien servi de ruche aux dieux !Mais une vierge consacre,Une conque neuve et nacreNe doit la divinitQue sacrifice et que silence,Et cette intime violence130Que se fait la virginit !

Pourquoi, Puissance Cratrice,Auteur du mystre animal,Dans cette vierge pour matrice,Semer les merveilles du mal?Sont-ce les dons que tu m'accordes?Crois-tu, quand se brisent les cordes,Que le son jaillisse plus beau?Ton plectre a frapp sur mon torse,Mais tu ne lui laisses la force140Que de sonner comme un tombeau !

Sois clmente, sois sans oracles !Et de tes merveilleuses mains,Change en caresses les miracles,Retiens les prsents surhumains !C'est en vain que tu communiques nos faibles tiges, d'uniquesCommotions de ta splendeur !L'eau tranquille est plus transparenteQue toute tempte parente150D'une confuse profondeur !Va, la lumire la divine N'est pas l'pouvantable clair Qui nous devance et nous devine Comme un songe cruel et clair ! Il clate !... Il va nous instruire !... Non !... La solitude vient luire Dans la plaie immense des airs O nulle ple architecture, Mais la dchirante rupture160Nous imprime de purs dserts !

N'allez donc, mains universelles, Tirer de mon front orageux Quelques suprmes tincelles ! Les hasards font les mmes jeux ! Le pass, l'avenir sont frres Et par leurs visages contraire Une seule tte plit De ne voir o qu'elle regarde Qu'une mme absence hagarde170D'les plus belles que l'oubli.

Noirs tmoins de tant de lumiresNe cherchez plus... Pleurez, mes yeux ! pleurs dont les sources premiresSont trop profondes dans les cieux !... Jamais plus amre demande !...Mais la prunelle la plus grande De tnbres se doit nourrir !...Tenant notre race atterre,La distance dsespre180Nous laisse le temps de mourir !

Entends, mon me, entends ces fleuves ! Quelles cavernes sont ici?Est-ce mon sang?... Sont-ce les neuves Rumeurs des ondes sans merci?Mes secrets sonnent leurs aurores ! Tristes airains, tempes sonores,Que dites-vous de l'avenir !Frappez, frappez, dans une roche, Abattez l'heure la plus proche...190Mes deux natures vont s'unir !

formidablement gravie,Et sur d'effrayants chelons,Je sens dans l'arbre de ma vieLa mort monter de mes talons !Le long de ma ligne frileuseLe doigt mouill de la fileuseTrace une atroce volont !Et par sanglots grimpe la criseJusque dans ma nuque o se brise200Une cime de volupt !

Ah ! brise les portes vivantes !Fais craquer les vains scellementspais troupeau des pouvantes,Hriss d'tincellements !Surgis des tables funbresO te nourrissaient mes tnbresDe leur fabuleuse foison !Bondis, de rves trop repue, horde pineuse et crpue,210Et viens fumer dans l'or, Toison !

*Telle, toujours plus tourmente,Draisonne, rle et rugitLa prophtesse fomentePar les souffles de l'or rougi.Mais enfin le ciel se dclare !L'oreille du pontife hilare S'aventure vers le futur :Une attente sainte la penche,Car une voix nouvelle et blanche220chappe de ce corps impur:

Honneur des Hommes, Saint LANGAGE,Discours prophtique et par,Belles chanes en qui s'engageLe dieu dans la chair gar,Illumination, largesse !Voici parler une SagesseEt sonner cette auguste VoixQui se connat quand elle sonneN'tre plus la voix de personne230Tant que des ondes et des bois !

Commentaire

Les Anciens ont souvent trait le thme de la prtresse en proie au dieu. Valry le reprit avec une admirable vigueur. Mimsis, en vingt-deux dizains , des convulsions et du dlire de linspire, La Pythie, fait lloge, dans le vingt-troisime, du langage potique rflchi, disciplin et quilibr, seul moyen daccder l,uniniversalit dun lyrisme objectif: sa faon, le pome rcuse la transe et lautomatisme que prconisaient les surralistes.

D'abord, au milieu d'une sarabande d'images tranges, le dsordre physique fait de la Pythie un tre monstrueux. Puis, peu peu, une autre intelligence se substitue la sienne ; elle a beau protester, refuser de parler ce langage bizarre et obscur, la force mystrieuse l'emporte : ses deux natures s'unissent, et elle rvle aux tres humains le message divin. Cette prise de possession graduelle, par une puissance surnaturelle, d'un tre qui se dbat en vain, l'art du pote nous la fait vivre avec une intensit saisissante. Mais la dernire strophe nous ouvre d'autres perspectives. Le dsordre de la prophtesse figure, semble-t-il, la transe du pote inspir la manire romantique. Or Valry refusait de rduire le pote au rle de mdium ; aussi n'est-ce pas sans quelque ironie, peut-tre, que l'oracle d'Apollon nous rvle ce qui fait la vraie noblesse de la posie : l'inspiration discipline et complte par le travail.On pourrait voir dans La Pythie une figure de l'enthousiasme potique, et ce serait partiellement vrai, mais elle dpasse le potique, et l'ode prend comme La jeune Parque une figure de vie cosmique. Origines heureuses, sacres, et, avant le monde de l'individu, monde de l'indivision, la Pythie voque de sa mmoire le mme univers, inconscient et heureux, que suscitait La jeune Parque, et qui pour elle n'existe plus, depuis que ce corps, jadis uni radieusement la matire, c'est--dire, Narcisse satisfait, lui-mme, est occup et exerc par une me trangre.Le temple se change dans l'antre,Et l'ouragan des songes entreAu mme ciel qui fut si beau.Il faut gmir, il faut atteindreJe ne sais quel espace, et ceindreMa chevelure d'un lambeau !
Mais les dernires stances reproduisent les derniers mouvements de La jeune Parque. L'me vient habiter et agiter le corps qui la repoussait douloureusement. Une cime de volupt, une toison d'or, s'arrache de ces profondeurs grondantes, et ce qui en jaillit, dans un corps assoupli et docile de rythme, c'est le Saint Langage, le Pome.La Pythie nous rappelle par son dessin, son symbole, et les fureurs de son mouvement, les grandes odes romantiques o Lamartine et Victor Hugo ont pris pour sujet l'inspiration potique, l'ont symbolis, le premier dans Ganymde enlev aux cieux, le second dans Mazeppa, attach sur un cheval sauvage, et qui, la fin de sa course effroyable, se relve roi. Mais prcisment nous saisissons ici la diffrence entre la posie de Valry et la posie romantique. Dans l'ode romantique que veut exprimer le pote? Lui-mme. Il faut que le lecteur croie le pote, comme l'enfant par l'aigle ou l'homme par le cheval, emport par un mouvement dont il n'est pas matre, par une me trangre qui .l'exerce. Cette image de lui-mme, de son inspiration est-elle vraie? videmment non. L'inspiration lyrique se produit, se manifeste et travaille tout autrement. Ganymde et Mazeppa sont des allgories, et rien de plus convenu, par soi-mme, que l'allgorie. Si Lenthousiasme et surtout Mazeppa restent de belles pices, l'allgorie n'y est pour rien, mais bien les tableaux et le mouvement eux-mmes, en dehors de toute interprtation tendancieuse. Quant la figure de lui, que le pote voudrait imposer au lecteur, diffre-t-elle beaucoup de celle qui depuis trois sicles couvre d'un ridicule mrite l'auteur de l'ode sur la prise de Namur.Quelle docte et sainte ivresseAujourd'hui me fait la loi?
Boileau pindarisant, c'est la Pythie en bonnet de nuit, et si les romantiques ont remplac sur leur chef la mche par un panache, le panache ne mous fait aujourd'hui pas plus d'illusion que la mche. Mais l'erreur la plus norme qu'on pourrait commettre sur Valry, ce serait de prendre la Pythie pour une figure de son inspiration potique et de voir sa posie sur un trpied. Il a rsolu le problme de l'inspiration d'une faon fort modeste: il y voit simplement de la chance, une chance constante qui se substitue d'une part la ncessit logique des mots et d'autre part au hasard de leurs ressemblances sonores. Il n'y a pas de quoi se prsenter aux populations, comme Boileau, Lamartine et Hugo, assis sur un trpied et rempli par l'esprit divin- Mais qu'il le dit quelque part, dans le problme de rendement qui .se pose au pote, l'heureux possesseur, d'une technique, n'entre pour lui en aucune faon un gentiment personnel exprimer et faire partager.
Le thme de La Pythie concerne un objet et non pas un sujet. Cet objet pourrait tre la posie, considre en elle-mme et non dans le sentiment qu'en a le pote, mais en ralit il ne l'est pas, ou il ne l'est que de faon accessoire. Le thme dpasse le potique et se lie au cosmique, comme dans La jeune Parque. On peut penser au Satyre de Victor Hugo, o il n'y a pas allgorie, mais, comme chez Valry, symbole, et o, sans que le pote songe nous communiquer une ide, un sentiment de sa cration potique, la cration potique est nanmoins incorpore, elle aussi, la symphonie, fait sa partie dans la marche la cration et dans le mouvement cosmique du pome.
Vers 1 : Assise sur le trpied, la Pythie sent monter la crise qui prcde le dlire prophtique. Vers 5 : Selon l'auteur, c'est ce vers qui fut l'origine du pome sans qu'il ait su d'abord ni comment il serait ni ce qu'il allait y dire (Andr Gide).Vers 14 : Son ombre glisse sur le mur. Vers 17 : Elle devient la proie d'une sorte de bestialit (voir les vers 2, 4, etc.). Vers 20 : dans lavenir : Dans les paroles prophtiques. Vers 24 : Le serpent est la dpouille du serpent Python. Vers 29 : adultre signifie trangre. Vers 30 : Exerce signifie tourmente ; elle a compris signifie dont elle s'est empare. Vers 50 : L'enthousiasme arrache la Pythie un langage qu'elle ne reconnat pas pour sien. Vers 55 : Elle se sent monstrueuse et invite Apollon lui trancher la tte. Vers 57 : le chef produit est la tte prsente en avant. Vers 60 : La tte de la Pythie est semblable celle de Mduse dont les yeux changeaient en pierre ceux qu'ils regardaient. Vers 63 : Soit est un subjonctif de souhait (voir au vers 65).Vers 69 : Les idoles sont des images. Vers 74 : La Pythie repousse l'ide d'une mort qui ne serait pas un anantissement. Du vers 81 au vers 130, la Pythie s'lve contre la violence inflige sa nature : Il faut gmir, il faut atteindre / Je ne sais quelle extase. Vers 137 : Cest une critique du dlire inspir. Vers 138 : Le plectre est une sorte d'archet. Vers 150 : Est affirme la supriorit de la cration lucide.Vers 152 : L'clat de la foudre, loin d'clairer le ciel, lui laisse son mystre et ne rvle que des dserts. Vers 164 : Les prdictions de la Pythie n'ont pas plus de valeur que le hasard. Vers 166 : L'humain est semblable au Janus des Latins qui avait deux visages : regardant la fois vers le pass et vers l'avenir, il n'y voit que des images dcevantes. Vers 181 : Voici les signes avant-coureurs de linspiration prophtique. Vers 190 : Les deux natures sont lhumaine et la divine. Vers 196 : La fileuse est la Parque.Vers 203 : Les paroles inspires sont compares un troupeau de btes fantastiques.Vers 213 : Le pontife hilare est le prtre qui est heureux de recueillir loracle. Vers 221 : Dans la dernire strophe, l'oracle dfinit majestuement la posie telle que la concevait Valry. Le discours est prophtique et par car il requiert la fois linspiration et le travail._________________________________________________________________________________

Le sylpheSonnet_________________________________________________________________________________

Linsinuant_________________________________________________________________________________

La fausse morte

Humblement, tendrement, sur le tombeau charmant,Sur linsensible monument,Que dombres, dabandons, et damour prodigue,Forme ta grce fatigue,Je meurs, je meurs sur toi, je tombe et je mabats,

Mais peine abattu sur le spulcre bas,Dont la close tendue aux cendres me convie,Cette morte apparente, en qui revient la vie,Frmit, rouvre les yeux, millumine et me mord,Et marrache toujours une nouvelle mortPlus prcieuse que la vie.

Commentaire

Ces onze vers sont les seuls vers d'amour de luvre de Valry. Seul lui paraissait digne du pome l'moi potique ou mtaphysique._________________________________________________________________________________

bauche d'un serpent Henri Ghon.

Parmi larbre, la brise berceLa vipre que je vtis ;Un sourire, que la dent perceEt quelle claire dapptits,Sur le Jardin se risque et rde,Et mon triangle dmeraudeTire sa langue double filBte que je suis, mais bte aigu,De qui le venin quoique vilLaisse loin la sage cigu !

Suave est ce temps de plaisance !Tremblez, mortels ! Je suis bien fortQuand jamais ma suffisance,Je bille briser le ressort !La spendeur de lazur aiguiseCette guivre qui me dguiseDanimale simplicit ;Venez moi, race tourdie !Je suis debout et dgourdie,Pareille la ncessit !

Soleil, soleil !...Faute clatante !Toi qui masques la mort, Soleil,Sous lazur et lor dune tenteO les fleurs tiennent leur conseil ;Par dimpntrables dlices,Toi, le plus fier de mes complices,Et de mes piges le plus haut,Tu gardes le cur de connatreQue lunivers nest quun dfaut30 Dans la puret du Non-tre !

Grand Soleil, qui sonnes lveil ltre, et de feux laccompagnes,Toi qui lenfermes dun sommeilTrompeusement peint de campagnes,Fauteur des fantmes joyeuxQui rendent sujette des yeuxLa prsence obscure de lme,Toujours le mensonge ma pluQue tu rpands sur labsolu,40 roi des ombres fait de flamme !

Verse-moi ta brute chaleur,O vient ma paresse glaceRvaser de quelque malheurSelon ma nature enlaceCe lieu charmant qui vit la chairChoir et se joindre mest trs cher !Ma fureur, ici, se fait mre ;Je la conseille et la recuis,Je mcoute, et dans mes circuits,50 Ma mditation murmure

Vanit ! Cause Premire !Celui qui rgne dans les Cieux,Dune voix qui fut la lumireOuvrit lunivers spacieux.Comme las de son pur spectacle,Dieu lui-mme a rompu lobstacleDe sa parfaite ternit ;Il se fit Celui qui dissipeEn consquences, son principe,60 En toiles, son Unit.

Cieux, son erreur ! Temps, sa ruine !Et labme animal, bant !...Quelle chute dans loriginetincelle au lieu de nant !...Mais, le premier mot de son Verbe,MOI !... Des astres le plus superbeQuait parls le fou crateur,Je suis !... Je sera i!... JillumineLa diminution divine70 De tous les feux du Sducteur !

Objet radieux de ma haine,Vous que jaimais perdument,Vous qui dtes de la ghenneDonner lempire cet amant,Regardez-vous dans ma tnbre !Devant votre image funbre,Orgueil de mon sombre miroir,Si profond fut votre malaiseQue votre souffle sur la glaise80 Fut un soupir de dsespoir !En vain, Vous avez, dans la fange,Ptri de faciles enfants,Qui de Vos actes triomphantsTout le jour Vous fissent louange !Sitt ptris, sitt souffls,Matre Serpent les a siffls,Les beaux enfants que Vous crtes !Hol ! dit-il, nouveaux venus !Vous tes des hommes tout nus, btes blanches et bates !

la ressemblance excre,Vous ftes faits, et je vous hais !Comme je hais le Nom qui creTant de prodiges imparfaits !Je suis Celui qui modifie,Je retouche au cur qui sy fie,Dun doigt sr et mystrieux !...Nous changerons ces molles uvres,Et ces vasives couleuvres100En des reptiles furieux !

Mon Innombrable IntelligenceTouche dans lme des humainsUn instrument de ma vengeanceQui fut assembl de tes mains !Et ta Paternit voile,Quoique, dans ma chambre toile,Elle naccueille que lencens,Toutefois lexcs de mes charmesPourra de lointaines alarmes110Troubler ses desseins tout-puissants !

Je vais, je viens, je glisse, plonge, Je disparais dans un cur si pur !Fut-il jamais de sein si durQuon ny puisse loger un songe !Qui que tu sois, ne suis-je pointCette complaisance qui poindDans ton me lorsquelle saime?Je suis au fond de sa faveurCette inimitable saveur120 Que tu ne trouves qu toi-mme !

ve, jadis, je la surpris,Parmi ses premires penses,La lvre entrouverte aux espritsQui naissaient des roses bercs.Cette parfaite mapparut,Son flanc vaste et dor parcouruNe craignant le soleil ni lhomme ;Tout offerte aux regards de lairLme encore stupide, et comme130 Interdite au seuil de la chair.

masse de batitude,Tu es si belle, juste prixDe la toute sollicitudeDes bons et des meilleurs esprits !Pour qu tes lvres ils soient prisIl leur suffit que tu soupires !Les plus purs sy penchent les pires,Les plus durs sont les plus meurtrisJusques moi, tu mattendris,140 De qui relvent les vampires !

Oui ! De mon poste de feuillageReptile aux extases doiseau,Cependant que mon babillageTissait de ruses le rseau,Je te buvais, belle sourde !Calme, claire, de charmes lourde,Je dormirais furtivement,Lil dans lor ardent de ta laine,Ta nuque nigmatique et pleine150Des secrets de ton mouvement !

Jtais prsent comme une odeur,Comme larome dune ideDont ne puisse tre lucideLinsidieuse profondeur !Et je tinquitais, candeur, chair mollement dcide,Sans que je teusse intimide, chanceler dans la splendeur !Bientt, je taurai, je parie,160 Dj ta nuance varie !

(La superbe simplicitDemande dimmense gards !Sa transparence de regards,Sottise, orgueil, flicit,Gardent bien la belle cit !Sachons lui crer des hasards,Et par ce plus rare des arts,Soit le cur pur sollicit ;Cest l mon fort, cest l mon fin,170 moi les moyens de ma fin !)

Or, dune blouissante bave,Filons les systmes lgers O loisive et lve suaveSengage en de vagues dangers !Que sous une charge de soieTremble la peau de cette proieAccoutume au seul azur !...Mais de gaze point de subtile,Ni de fil invisible et sr,180 Plus quune trame de mon style !Dore, langue ! dore-lui lesPlus doux des dits que tu connaisses !Allusions, fables, finesses,Mille silences cisels,Use de tout ce qui lui nuise:Rien qui ne flatte et ne linduise se perdre dans mes desseins,Docile ces pentes qui rendentAux profondeurs des bleus bassins190 Les ruisseaux qui des cieux descendent ! quelle prose non pareille,Que desprit nai-je pas jetDans le ddale duvetDe cette merveilleuse oreille !L, pensais-je, rien de perdu ;Tout profite au cur suspendu !Sr triomphe ! si ma parole,De lme obsdant le trsor,Comme une abeille une corolle200 Ne quitte plus loreille dor !

Rien, lui soufflais-je, n'est moins srQue la parole divine, ve !Une science vive crveL'normit de ce fruit mrN'coute l'tre vieil et purQui maudit la morsure brveQue si ta bouche fait un rve,Cette soif qui songe la sve,Ce dlice demi futur,210C'est l'ternit fondante, ve !

Elle buvait mes petits motsQui btissaient une uvre trange ;Son il, parfois, perdait un angePour revenir mes rameaux.Le plus rus des animauxQui te raille d'tre si dure, perfide et grosse de maux, N'est qu'une voix dans la verdure.- Mais srieuse l've tait220Qui sous la branche l'coutait !

me, disais-je, doux sjour De toute extase prohibe, Sens-tu la sinueuse amour Que j'ai du Pre drobe? Je l'ai, cette essence du Ciel, des fins plus douces que miel Dlicatement ordonne... Prends de ce fruit... Dresse ton bras !Pour cueillir ce que tu voudras230Ta belle main te fut donne !

Quel silence battu d'un cil ! Mais quel souffle sous le sein sombre Que mordait l'Arbre de son ombre ! L'autre brillait, comme un pistil ! - Siffle, siffle! me chantait-il ! Et je sentais frmir le nombre, Tout le long de mon fouet subtil, De ces replis dont je m'encombre : Ils roulaient depuis le bryl 240De ma crte, jusqu'au pril !

Gnie ! longue impatience ! la fin, les temps sont venus,Qu'un pas vers la neuve ScienceVa donc jaillir de ces pieds nus !Le marbre aspire, l'or se cambre !Ces blondes bases d'or et d'ambreTremblent au bord du mouvement !...Elle chancelle, la grande urne,D'o va fuir le consentement250De l'apparente taciturne !

Du plaisir que tu te proposesCde, cher corps, cde aux appts !Que ta soif de mtamorphosesAutour de lArbre du TrpasEngendre une chane de poses !Viens sans venir ! forme des pasVaguement comme lourds de rosesDanse cher corps Ne pense pas !Ici les dlices sont causes260Suffisantes au cours des choses !...

follement que je moffraisCette infertile jouissance:Voir le long pur dun dos si fraisFrmir la dsobissance !...Dj dlivrant son essenceDe sagesse et dillusions,Tout lArbre de la Connaissancechevel de visions,Agitait son grand corps qui plonge270 Au soleil, et suce le songe !Arbre, grand Arbre, Ombre des Cieux,Irrsistible Arbre des arbres,Qui dans les faiblesses des marbres,Poursuis des sucs dlicieux,Toi qui pousses tels labyrinthesPar qui les tnbres treintesS'iront perdre dans le saphirDe l'ternelle matine,Douce perte, arme ou zphir,280Ou colombe prdestine,

Chanteur, secret buveurDes plus profondes pierreries,Berceau du reptile rveurQui jeta lve en rveries, Grand tre agit de savoir,Qui toujours, comme pour mieux voir,Grandis lappel de ta cime,Toi qui dans lor trs pur promeusTes bras durs, tes rameaux fumeux,290Dautre part, creusant vers labme,

Tu peux repousser l'infini Qui n'est fait que de ta croissance, Et de la tombe jusqu'au nid Te sentir toute Connaissance !Mais ce vieil amateur d'checs, Dans l'or oisif des soleils secs, Sur ton branchage vient se tordre ; Ses yeux font frmir ton trsor. Il en cherra des fruits de mort, 300De dsespoir et de dsordre !

Beau serpent, berc dans le bleu, Je siffle, avec dlicatesse, Offrant la gloire de Dieu Le triomphe de ma tristesse... Il me suffit que dans les airs, L'immense espoir de fruits amers Affole les fils de la fange... - Cette soif qui te fit gant, Jusqu' l'tre exalte l'trange 310Toute-Puissance du Nant ! Commentaire

Le pome paraphrase lpisode de lden voqu dans la Gense et met en scne le machiavlisme du Tentateur biblique: le malin a la parole et, avec une bonhomie vulgaire, dcrit la vulnrabilit des humains et la tentation dve. Mais le pome sachve sur lexaltation de lambition lucifrienne ; fauteur sans doute de dsordre et de mort, larbre de la science nen hisse pas moins jusquau divin ce quasi-nant, ce roseau pensant quest ltre humain. Berc par la brise dans la rainure de l'Arbre de la Connaissance, le diable qui a pris la forme d'un serpent contemple le Paradis terrestre. Il soutient qu'en crant le monde, ncessairement imparfait, Dieu a commis une faute portant atteinte son propre Absolu. Il apostrophe le Soleil:Perdant ainsi son caractre unique, il est devenu le Dieu-Personne, et sa Personne sest oppose, comme un miroir, lantipersonne quest le dmon qui, du fait de cette erreur, tient sa puissance. En vain Dieu a-t-il alors cr les tres humains son image pour quils ladorent et le servent : ils ont cout la voix du diable, qui est la voix la plus secrte de leurs coeurs. Il se fait donc un malin plaisir de rgner sur les humains, quil conduit leur perte par la conscience de soi et l'orgueil. Cest ainsi que le Serpent a pu sduire ve : elle tend dj la main vers le fruit dfendu sur lArbre de la Connaissance. Dans ces strophes, peut-tre inspires du Jeu d'Adam, Valry se plut rappeler, sur le mode ironique, la tentation qui a inspir ve le dsir de mordre aux fruits de mort. Mais les trois derniers vers semblent tre la rplique victorieuse du pote qui exalte la Science par laquelle l'humain s'lve jusqu' l'tre suprme. bauche dun serpent reproduit en partie, sous forme d'ode, les thmes mmes de La jeune Parque.Comme las de son pur spectacleDieu lui-mme a rompu l'obstacleDe sa parfaite ternit,ternit semblable ce Moi de plnitude, cet tre idal d'o la Parque, sous la morsure du mme serpent, a gliss dans la vie. Un tre d'ailleurs qui, par rapport notre monde d'individus, peut aussi bien tre dit un Non-tre, dans la puret duquel l'univers n'apparat que comme un dfaut. C'est ce dfaut que nous prenons pour l'tre. Illusion subtile, mensonge utile, dont le serpent s'est fait l'instrument. Ce serpent parle comme le dmon loa, avec cette diffrence qu'il ne fait pas appel aux puissances d'me et d'amour, mais la chair, la chair qui se connat, se gote et construit.Je vais, je viens, je glisse, plonge,Je disparais dans un cur pur.Fut-il jamais de sein si durQu'on n'y puisse loger un songe?Qui que tu sois, ne suis-je pointCette complaisance qui poindDans ton me lorsqu'elle s'aime?
Je suis au fond de sa faveurCette inimitable saveurQue tu ne trouves qu' toi-mme !
Autour d've mre des hommes comme autour de la Parque figure de l'tre, il tisse son rseau d'illusion:Que sous une charge de soie,Tremble la peau de cette proie,Accoutume au seul azur !Ces fils subtils, c'est l'instant, le mouvement, l'ivresse de ce qui n'est pas ternel, de ce que jamais on ne verra deux fois:N'coute l'tre vieil et purQui maudit la morsure brve !Que si ta bouche fait un rve,Cette soif qui songe la sve,Ce dlice demi futur,C'est l'ternit fondante, ve !L'ternit qui fond dans le nant pour laisser sur son passage la trace aigu, d'un moment. Mais ce nant comme dans La jeune Parque prend une figure positive par le dsir, et la conscience devient de l'tre. L'arbre de la connaissance, dans lequel le Serpent est lov, est aussi, est plutt l'arbre de la Vie. L'tre se refait, ou se fait, travers la chute et le mouvement, par la construction. Le Serpent dit l'arbre:Cette soif qui te fit gantJusqu' l'tre exalte l'trangeToute-Puissance du Nant.

Vers 204 : Ce fruit mr est le fruit de l'arbre de la Connnaissance. Vers 212 : Cela signifie qu'elle suivait du regard (mais l'expression a aussi une valeur symbolique). Vers 219 : Prcd de l'article, le nom propre prend une nuance familire et moqueuse. Vers 224 : Le Serpent se prsente comme une sorte de Promthe, bienfaiteur des humains. Vers 235 : Lappel du serpent est une invitation se conduire comme lui, devenir un serpent.Vers 236 : Le nombre [...] de ces replis : les nombreux replis. Vers 241 : Le gnie est, ici, lart du sducteur (et du sculpteur, voir vers 245).Vers 244 : Les pieds nus sont ceux dve qui savance.Vers 245-250 : Les mtaphores prcieuses de ces vers, appuyes dallitrations (vers 246) voquent le corps dve prt se mouvoir, assimil une statue ou un vase humain que modle le serpent. Vers 250 : Lapparente taciturne est ve qui ne rpond jamais au serpent.Vers 254 : Autour dpend de engendre. LArbre du Trpas est lArbre de la Connaissance (voir vers 299).Vers 255 : Une chane de poses est une danse (voir vers 256-258) dve autour de lArbre.Vers 263 : Le dos si frais est celui dve sallongeant pour atteindre le fruit.Vers 269-270 : peine ve a-t-elle cueilli le fruit que lArbre sagite et distille son suc fait dun mlange de vrits et derreurs. Vers 271-280 : La Connaissance est symbolise par cet Arbre dont les racines puisent dans les tnbres de la terre les sucs que la sve lvera jusqu'au ciel bleu.Vers 288 : Promeus signifie fais monter.Vers 295 : Ce vieil amateur dchecs est le serpent lui-mme (double sens du mot checs).Vers 298 : Le serpent inspire ltre humain une perptuelle insatisfaction devant la connaissance (voir vers 306-307).Vers 303 : Le vers est ironique car le fait que la connaissance humaine ne puisse jamais satisfaire les tres humains est un hommage indirect Dieu.Vers 306 : Les fruits amers sont les fruits de lArbre de la Connaissance.Vers 307 : Les fils de la fange sont les hommes qui, selon la Gense, ont t crs par Dieu partir du limon. Vers 308 : Te se rapporte sans doute larbre.Vers 308-310 : Ces trois derniers vers semblent tre prononcs par le pote qui coupe la parole au serpent dont il limite le pessimisme : il se peut que la science humaine ne soit jamais que le produit orgueilleux dun Nant (ltre humain) perptuellement insatisfait ; toujours est-il que ce Nant arrive se donner ainsi une existence positive (ltre) et une Toute-Puissance sur la nature._________________________________________________________________________________

Les Dures grenades entr'ouvertes Cdant l'excs de vos grains, Je crois voir des fronts souverains clats de leurs dcouvertes !

Si les soleils par vous subis, grenades entre-billes Vous ont fait d'orgueil travailles Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l'or sec de l'corce la demande d'une force Crve en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture Fait rver une me que j'eus De sa secrte architecture.

Commentaire

Le pome est un sonnet, organis en deux phrases dont la premire stend sur le premier quatrain, la seconde, qui est une amplification de la premire, sur les autres strophes.Le Mditerranen qutait Valry voit dans ces fruits, si typiquement mditerranens, qui, dorgueil travaills (cest--dire tourments par lorgueil) ont vu lor sec de lcorce sclater sous laction dune force intrieure, leurs grains tant plus loin des gemmes (cest--dire des pierres prcieuses), le symbole de chercheurs intellectuels victimes de la puissance mme de leur gnie crateur, de la lente maturation de leurs ides jusqu'au moment o une force mystrieuse fait apparatre au grand jour leurs richesses intrieures.Do les fronts souverains de la premire strophe. Puis, le pote parlant de lui-mme dans les trois autres strophes, cette me dont il dit quil leut lorsquil fut un de ces chercheurs (en fait, il en est rest un toute sa vie) et dont il dcouvre dans les grenades la secrte architecture.Par la prcision vocatrice du vocabulaire et la qualit expressive des vers, la description peut rivaliser avec une nature morte de Czanne ou de Matisse. _________________________________________________________________________________

Le vin perduJ'ai, quelque jour, dans l'Ocan,(Mais je ne sais plus sous quels cieux)Jet, comme offrande au nant,Tout un peu de vin prcieux...

Qui voulut ta perte, liqueur? J'obis peut-tre au devin?Peut-tre au souci de mon cur,Songeant au sang, versant le vin?

Sa transparence accoutume Aprs une rose fume Reprit aussi pure la mer...

Perdu ce vin, ivres les ondes !... J'ai vu bondir dans l'air amer Les figures les plus profondes...

Commentaire

Ces quelques gouttes de vin rappellent les libations la mode antique ou l'offrande eucharistique. En apparence, elles vont se perdre dans l'Ocan et leur action semble vaine ; pourtant, les ondes sont ivres et l'immensit est mise en mouvement. Ainsi les trouvailles des artistes et des penseurs, qui semblaient perdues, peuvent susciter des chefs-d'uvre inattendus.Vers 3 : Offrande au nant car elle semble perdue.Vers 6 : Jobis peut-tre la volont du destin.Vers 7 : Peut-tre quelque impulsion secrte.Vers 8 : Comme le prtre, versant le vin, renouvelle le sacrifice du Christ._________________________________________________________________________________

Intrieur

Une esclave aux longs yeux chargs de molles chanesChange l'eau de mes fleurs, plonge aux glaces prochaines,Au lit mystrieux prodigue ses doigts purs ;Elle met une femme au milieu de ces mursQui dans ma rverie errant avec dcence,Passe entre mes regards sans briser leur absence,Comme passe le verre au travers du soleil,Et de la raison pure pargne l'appareil.

Commentaire

Valry n'a lou l'amour que sous les formes du sommeil et de la mort : c'est le rendre un jeu de lignes, de masse et de pure beaut qui s'accorde ce rve._________________________________________________________________________________

Le cimetire marin

Ce toit tranquille, o marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommence ! rcompense aprs une pense Qu'un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins clairs consumeMaint diamant d'imperceptible cume, Et quelle paix semble se concevoir !10Quand sur l'abme un soleil se repose, Ouvrages purs d'une ternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir.

Stable trsor, temple simple Minerve, Masse de calme, et visible rserve, Eau sourcilleuse, il qui gardes en toi Tant de sommeil sous un voile de flamme, mon silence !... difice dans l'me, Mais comble d'or aux mille tulles, Toit !

Temple du Temps, qu'un seul soupir rsume, 20 ce point pur je monte et m'accoutume, Tout entour de mon regard marin ; Et comme aux dieux mon offrande suprme, La scintillation sereine sme Sur l'altitude un ddain souverain.

Comme le fruit se fond en jouissance, Comme en dlice il change son absence Dans une bouche o sa forme se meurt, Je hume ici ma future fume, Et le ciel chante l'me consume 30Le changement des rives en rumeur.

Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change ! Aprs tant d'orgueil, aprs tant d'trangeOisivet, mais pleine de pouvoir, Je m'abandonne ce brillant espace, Sur les maisons des morts mon ombre passe Qui m'apprivoise son frle mouvoir.

L'me expose aux torches du solstice, Je te soutiens, admirable justice De la lumire aux armes sans piti ! 40 Je te rends pure ta place premire : Regarde-toi !... Mais rendre la lumire Suppose d'ombre une morne moiti.

pour moi seul, moi seul, en moi-mme,Auprs d'un cur, aux sources du pome,Entre le vide et l'vnement pur,J'attends l'cho de ma grandeur interne,Amre, sombre et sonore citerne,Sonnant dans l'me un creux toujours futur !

Sais-tu, fausse captive des feuillages,50Golfe mangeur de ces maigres grillages,Sur mes yeux clos, secrets blouissants, Quel corps me trane sa fin paresseuse, Quel front l'attire cette terre osseuse? Une tincelle y pense mes absents.

Ferm, sacr, plein d'un feu sans matire, Fragment terrestre offert la lumire, Ce lieu me plat, domin de flambeaux, Compos d'or, de pierre et d'arbres sombres, O tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres ; 60La mer fidle y dort sur mes tombeaux !

Chienne splendide, carte l'idoltre !Quand solitaire au sourire de ptre,Je pais longtemps, moutons mystrieux,Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,loignes-en les prudentes colombes,Les songes vains, les anges curieux !

Ici venu, l'avenir est paresse.L'insecte net gratte la scheresse ;Tout est brl, dfait, reu dans l'air70 je ne sais quelle svre essence...La vie est vaste, tant ivre d'absence,Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.

Les morts cachs sont bien dans cette terre Qui les rchauffe et sche leur mystre. Midi l-haut, Midi sans mouvement En soi se pense et convient soi-mme... Tte complte et parfait diadme, Je suis en toi le secret changement.

Tu n'as que moi pour contenir tes craintes ! 80 Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes Sont le dfaut de ton grand diamant... Mais dans leur nuit toute lourde de marbres, Un peuple vague aux racines des arbres A pris dj ton parti lentement.

Ils ont fondu dans une absence paisse, Largile rouge a bu la blanche espce, Le don de vivre a pass dans les fleurs ! O sont des morts les phrases familires, L'art personnel, les mes singulires? 90 La larve file o se formaient des pleurs.

Les cris aigus des filles chatouilles, Les yeux, les dents, les paupires mouilles, Le sein charmant qui joue avec le feu, Le sang qui brille aux lvres qui se rendent, Les derniers dons, les doigts qui les dfendent, Tout va sous terre et rentre dans le jeu !

Et vous, grande me, esprez-vous un songe Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici? 100 Chanterez-vous quand serez vaporeuse? Allez ! Tout fuit ! Ma prsence est poreuse, La sainte impatience meurt aussi !

Maigre immortalit noire et dore,Consolatrice affreusement laure, Qui de la mort fais un sein maternel, Le beau mensonge et la pieuse ruse ! Qui ne connat, et qui ne les refuse, Ce crne vide et ce rire ternel !

Pres profonds, ttes inhabites,110 Qui sous le poids de tant de pelletes,tes la terre et confondez nos pas,Le vrai rongeur, le ver irrfutableN'est point pour vous qui dormez sous la table,Il vit de vie, il ne me quitte pas !

Amour, peut-tre, ou de moi-mme haine?Sa dent secrte est de moi si prochaineQue tous les noms lui peuvent convenir !Qu'importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche !Ma chair lui plat, et jusque sur ma couche,120 ce vivant je vis d'appartenir !

Znon ! Cruel Znon ! Znon d'le !M'as-tu perc de cette flche aileQui vibre, vole, et qui ne vole pas !Le son m'enfante et la flche me tue !Ah ! le soleil... Quelle ombre de tortuePour l'me, Achille immobile grands pas !

Non, non !... Debout ! Dans l're successive !Brisez, mon corps, cette forme pensive !Buvez, mon sein, la naissance du vent !130Une fracheur, de la mer exhale,Me rend mon me... puissance sale !Courons l'onde en rejaillir vivant !

Oui ! Grande mer de dlires doue,Peau de panthre et chlamyde troueDe mille et mille idoles du soleil,Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,Qui te remords l'tincelante queue Dans un tumulte au silence pareil,

Le vent se lve !... Il faut tenter de vivre !140 L'air immense ouvre et referme mon livre,La vague en poudre ose jaillir des rocs !Envolez-vous, pages tout blouies !Rompez, vagues ! Rompez d'eaux rjouiesCe toit tranquille o picoraient des focs !

Commentaire

Ce cimetire, qui domine la mer, qui est tag au flanc du Mont Saint-Clair, est celui de Ste, ville natale du pote. Il y repose aujourd'hui auprs des siens.Il a confi : Ce ne fut dabord pour moi quune figure rythmique vide ou remplie de syllabes vaines qui me vint obsder quelque temps. Le cimetire marin a commenc en moi par un certain rythme, qui est celui du vers franais de dix syllabes, coup en quatre et six. je n'avais encore aucune ide qui dt remplir cette forme. Peu peu des mots flottants s'y fixrent, dterminrent de proche en proche le sujet, et le travail (un trs long travail) s'imposa. Le pome possible fut un monologue de moi, dans lequel les thmes les plus simples et les plus constants de ma vie affective et intellectuelle tels qu'ils s'taient imposs mon adolescence et associs la mer et la lumire d'un certain lieu des bords de la Mditerrane, fussent appels, trams, opposs. Ces images et ces ides taient toutes plus ou moins rattaches au culte inconscient de trois ou quatre dits incontestables : la Mer, le Ciel, le Soleil.Le pome est constitu de sizains de dcasyllabes, le mtre le plus nergiquement structur de la langue franaise.Le pome module musicalement les thmes philosophiques de ltre absolu (len-soi, le dieu de Parmnide et de Znon symbolis par ciel et le soleil) de ltre relatif (le pour-soi, ltre humain incarn par le po`te et symbolis par lagitation marine) et du non-tre (la mort, voque par lappareil funbre du cimetire de Ste). La pense se dplace constamment entre ces trois points, concepts philosophiques attirants et repoussants la fois, mtaphoriss par le cadre matriel ; elle conclut sur lacceptation joyeuse des turbulences dici-bas, le refus des soifs dabsolu pathologiques. Valry est notre Lucrce dclara Alain propos de ce pome dont le lyrisme et la musique temprent laridit spculative.On sentira, sur un autre registre, la diffrence entre Valry et les romantiques, en s'attachant au Cimetire marin, qui est en passe de devenir le plus clbre de ses pomes. Les cimetires ont donn au pessimisme romantique ses lieux d'lection. Gautier, Hugo, Baudelaire ont dvelopp avec puissance ou fait jaillir avec dchirement, dans leurs pomes de cimetire, l'angoisse ou l'ironie macabre. Ici la mditation sur un cimetire au bord de la mer implique bien tout l'appareil obligatoire, technique, de telles mditations, la prsence, mme l'hallucination du cadavre ou de squelette, et tels vers prcis la Villon ou la Baudelaire. Mais, comme les morts eux-mmes, fondus dans une absence paisse et rentrs dans le jeu, la mditation est une mditation rentre dans l'tre, commensurable l'tre impersonnel, une mditation mtaphysique.Mer et cimetire sont pris dans une essence commune, cimetire marin et mer cimetire de l'tre. Mais cimetire senti, prouv, ralis de l'intrieur, toit tranquille du premier et du dernier vers. Et l'homme, lui aussi, ne voit de son tre qu'une seule pellicule superficielle comme celle de la mer, un toit.Eau sourcilleuse, il qui gardes en toiTant de sommeil sous un voile de flamme, mon silence ! difice dans l'me,Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit !Cimetire, force paisible des morts confondus qui rentrent dans le jeu universel ; mer, corps vivant qui est l et qui s'interroge ; tous trois passent sous le dnominateur commun de cette mtaphore : le toit. Lieu parfait pour penser la substance, pour se penser dans la substance par del ces corces, ces toits. La rumeur de la mer se tient ici comme la gardienne du silence intrieur et de la mditation sur l'tre.Chienne splendide, carte l'idoltre !Quand, solitaire au sourire de ptre,Je pais longtemps, moutons mystrieux,Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes, loignes-en les prudentes colombes,Les songes vains, les anges curieux !Que la mditation demeure obstinment fixe sur l'essence, retire, absorbe, par del les toits, dans la profondeur, au foyer, la citerne. pour moi seul, moi seul, en moi-mme,Auprs d'un cur, aux sources du pome