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La lettre trimestrielle Mercator Océan N°16 – Janvier 2005 – Page 1 GIP Mercator Océan La lettre trimestrielle Editorial Chers mercatoriens, Cette année la Lettre Trimestrielle débute avec quelques nouveautés. Tout d’abord une rubrique "Note d'actualité" voit le jour afin de vous informer de l'avancement des chantiers Mercator : une nouvelle configuration modèle arrive, une nouvelle thématique est développée, une campagne en mer sert de jeu de validation temps réel pour les prototypes... Afin aussi de vous présenter, par exemple, un projet clef lié à Mercator, bref, de vous parler de... notre actualité! Ensuite, nous souhaitons inclure plus largement dans la publication, des études issues de la recherche d’accompagnement à Mercator, moteur crucial et efficace de la «machine océan opérationnelle». Cet éditorial nous permet, à ce titre, de faire un appel réitéré à toutes les bonnes volontés des équipes du GMMC : nous avons besoin de vous pour faire vivre cette Lettre! L'actualité autour du projet Mercator est vaste et mérite d'être diffusée ! A vos plumes donc! Bien sûr, nous continuerons à vous présenter la validation effectuée sur les différents prototypes R&D ou opérationnels Mercator puisqu’il s’agit là de la vocation principale de la Lettre Trimestrielle. Cette année 2005 commence aussi de façon singulière. En effet, une erreur dans les résultats d’un des articles prévus a été détectée juste avant la publication. Nous avons décidé, logiquement, de retirer cet article de la Lettre et commençons donc l’année avec un exemplaire exceptionnellement allégé, mais néanmoins intéressant! Vous y trouverez un sujet tourné vers l’avenir puisqu’il s’agit de la glace de mer qu'intégrera le prototype global en 2006 et découvrirez la nouvelle rubrique « Note d’actualité » inaugurée par le projet Drakkar, pilier incontournable de la recherche d'accompagnement à Mercator Sommaire Note d’actualité : DRAKKAR: hiérarchie de modèles glace-océan pour l’étude du climat Par Thierry Penduff Page 2 La banquise : nouvelle composante du projet Mercator Par Gilles Garric et Patrick Charpentier Page 4

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La lettre trimestrielle Mercator Océan N°16 – Janvier 2005 – Page 1

GIP Mercator Océan

La lettre trimestrielle

Editorial

Chers mercatoriens,

Cette année la Lettre Trimestrielle débute avec quelques nouveautés. Tout d’abord une rubrique "Note d'actualité" voit le jour afin de vous informer de l'avancement des chantiers Mercator : une nouvelle configuration modèle arrive, une nouvelle thématique est développée, une campagne en mer sert de jeu de validation temps réel pour les prototypes... Afin aussi de vous présenter, par exemple, un projet clef lié à Mercator, bref, de vous parler de... notre actualité! Ensuite, nous souhaitons inclure plus largement dans la publication, des études issues de la recherche d’accompagnement à Mercator, moteur crucial et efficace de la «machine océan opérationnelle». Cet éditorial nous permet, à ce titre, de faire un appel réitéré à toutes les bonnes volontés des équipes du GMMC : nous avons besoin de vous pour faire vivre cette Lettre! L'actualité autour du projet Mercator est vaste et mérite d'être diffusée ! A vos plumes donc!

Bien sûr, nous continuerons à vous présenter la validation effectuée sur les différents prototypes R&D ou opérationnels Mercator puisqu’il s’agit là de la vocation principale de la Lettre Trimestrielle.

Cette année 2005 commence aussi de façon singulière. En effet, une erreur dans les résultats d’un des articles prévus a été détectée juste avant la publication. Nous avons décidé, logiquement, de retirer cet article de la Lettre et commençons donc l’année avec un exemplaire exceptionnellement allégé, mais néanmoins intéressant! Vous y trouverez un sujet tourné vers l’avenir puisqu’il s’agit de la glace de mer qu'intégrera le prototype global en 2006 et découvrirez la nouvelle rubrique « Note d’actualité » inaugurée par le projet Drakkar, pilier incontournable de la recherche d'accompagnement à Mercator

Sommaire

Note d’actualité : DRAKKAR: hiérarchie de modèles glace-océan pour l’étude du climat Par Thierry Penduff Page 2

La banquise : nouvelle composante du projet Mercator Par Gilles Garric et Patrick Charpentier Page 4

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Drakkar : hiérarchie de modèles glace-océan pour l’étude du climat

Note d’actualité : DRAKKAR: hiérarchie de modèles glace-océan pour l’étude du climat Par Thierry Penduff

Parcouru depuis des millénaires mais étudié scientifiquement depuis à peine plus d'un siècle, l'océan nous apparaît maintenant largement impliqué dans la variabilité du climat et sensible à l’activité humaine. Notre connaissance de la dynamique océanique est limitée par la relative rareté des observations in situ, le coût et la difficulté des explorations maritimes. Malgré le développement de la recherche théorique, de l'océanographie satellitaire et de la modélisation couplée, on connaît encore mal par exemple la réponse de l'océan et de la glace de mer à la variabilité atmosphérique sur quelques décennies.

Figure 1

Température de surface (de –2°C en blanc à 30°C en rouge) et concentration de glace (contours de 0 à 100%) le 29 décembre après 11 ans d’intégration du modèle DRAKKAR global 1/4°, sans assimilation de données. Simulation réalisée par Jean-Marc Molines du LEGI sur 186 processeurs IBM P655 de l'IDRIS. Le cadre indique l’emprise des modèles régionaux à moyenne et très haute résolution destinés à l’étude fine de l’évolution climatique de l’Atlantique Nord et des mers nordiques.

En collaboration avec des équipes européennes1 et en liaison avec différents programmes d'observation océanique2, une douzaine de chercheurs et ingénieurs issus de cinq laboratoires français3 travaillent depuis deux ans sur le programme DRAKKAR. L'objectif principal est de simuler numériquement la réponse de l'océan et de sa couverture de glace à l'atmosphère depuis les années 1950, afin d'en comprendre les mécanismes et aider à l'interprétation des observations. Des océanographes, climatologues, atmosphériciens, numériciens, et biogéochimistes se sont rassemblés autour du développement et de l'analyse

1 IFM-GEOMAR (Kiel, Allemagne), Shirshov Institute of Oceanology (Moscou, Russie), Université d'Helsinki (Finlande).

2 Notamment OVIDE (LPO, Brest), SFB460 et SFB 574 (IFM-GEOMAR, Kiel).

3 LEGI (Grenoble), LPO (Brest), LODYC (Paris), LEGOS (Toulouse), LSCE (Gif-sur-Yvette).

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Drakkar : hiérarchie de modèles glace-océan pour l’étude du climat

d'une hiérarchie de modèles numériques glace-océan basés sur le système NEMO4. La définition des expériences DRAKKAR et l'analyse des résultats seront menées en partenariat avec des équipes associées pour stimuler l’interaction entre modélisateurs, théoriciens, observateurs, et "opérationnels".

Deux modèles globaux DRAKKAR simulent en ce moment l'évolution en 3 dimensions de l'océan mondial et de la glace de mer à des résolutions de 1/2° et 1/4°, cette dernière étant développée en collaboration avec l’équipe POG Mercator. De telles simulations permettront d'étudier notamment les interactions océaniques locales et distantes, et la dispersion des CFCs relâchés dans l'atmosphère depuis 1950 puis séquestrés dans les masses d'eaux. Deux modèles régionaux seront ensuite couplés au modèle global 1/4° (Figure 1) pour étudier les interactions inter-gyre et inter-bassins dans l'Atlantique Nord et les Mers Nordiques, et le rôle climatique de la moyenne échelle (tourbillons, fronts, overflows). A l'horizon 2006, des modèles régionaux DRAKKAR au 1/4° et à très haute résolution (autour de 1/16°) simuleront donc l’évolution forcée du système glace-océan depuis 1950 entre le Tropique du Capricorne et le Spitzberg. Le logiciel de raffinement AGRIF, en cours d’implémentation dans NEMO avec le soutien de Mercator-Océan, permettra d'étudier finement l’impact de la dynamique régionale de certaines zones-clé de l'océan (sud de l'Afrique, Indonésie, etc.) sur la variabilité grande échelle, et d’affiner la paramétrisation des processus non résolus dans les modèles climatiques actuels. L'équipe DRAKKAR travaille particulièrement sur de nouvelles paramétrisations de la turbulence au 1/4°, des flux air-glace-mer et des contraintes topographiques.

L'originalité de DRAKKAR réside donc dans sa dimension européenne, son approche multi-configurations, sa volonté de fédérer la recherche autour d’outils communautaires, de simuler et comprendre la signature océan-glace des fluctuations climatiques observées depuis 50 ans, et d’améliorer les modèles actuels. Comme son prédecesseur CLIPPER, le programme DRAKKAR est soutenu par le GMMC(5), et contribuera à développer les systèmes d'océanographie opérationnelle et de réanalyse océanique.

Informations, documents, et liste des participants sur http://www.ifremer.fr/lpo/drakkar/

4 NEMO : "Nucleus for European Modelling of the Ocean", incluant l'outil national de modélisation océanique OPA9, et le modèle de glace de mer LIM.

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La banquise : nouvelle composante du projet Mercator

La banquise : nouvelle composante du projet Mercator Par Gilles Garric et Patrick Charpentier

Introduction

A l’heure où le réchauffement climatique se fait fortement ressentir aux hautes latitudes, régions particulièrement sensibles aux changements climatiques [Comiso and Parkinson, 2004; Smith et al., 2002], où les étendues estivales 2003-2004 de la banquise boréale représentent les étendues les plus faibles jamais observées [Comiso et al., 2004], où l’année polaire internationale en 2007 va générer de nombreux programmes de recherches et des campagnes de sensibilisation dans le grand public (http://www.ipy.org), le projet Mercator se donne les moyens de représenter un des éléments essentiels du système climatique polaire : la glace de mer. Partie intégrante des océans, la glace de mer sera en effet une composante du futur prototype océan global au ¼° prévu pour être opérationnel en 2006. Sa prise en compte reste essentielle si l’on veut représenter correctement les océans aux hautes latitudes, notamment au niveau du cycle saisonnier, mais aussi au niveau des échanges méso-échelles d’énergie ou de masse à la frontière océan/banquise.

Cet article présente le modèle numérique de banquise qui sera implémenté dans le prototype opérationnel de l’océan global ainsi que les capacités de ce modèle à reproduire les caractéristiques grandes échelles et méso-échelles de la glace de mer.

Le modèle de glace de mer

Le modèle de glace de mer LIM (Louvain-la-Neuve sea-Ice Model) est un modèle complet développé à l’Institut d’Astronomie et de Géophysique Georges Lemaître de l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) [Fichefet and Maqueda, 1997; Goosse et al., 2001]. On peut formellement séparer ce modèle en une partie thermodynamique et une partie dynamique, même si ces composantes sont intrinsèquement couplées entre elles.

La dérive de la banquise se fait sous l’équilibre de la tension du vent, de la tension du courant océanique, de la force de Coriolis, de la force de gradient de pression de surface et de la force interne (rhéologie). La paramétrisation de la rhéologie provient essentiellement de la formulation viscoplastique d’Hibler [1979]. La banquise est considérée comme un fluide plastique (force interne indépendante des taux de déformation), visqueux pour les faibles taux de déformation, très résistante sous l’effet de la compression et non élastique (force de tension très faible).

La partie thermodynamique, quant à elle, est essentiellement issue du modèle 3-couches de [Semtner, 1976] qui comprend deux couches de glace et, éventuellement, une couche de neige. La diffusion de chaleur à l’intérieur de la glace et de la neige est assurée par une diffusion verticale 1D ; la température de surface de la glace est déterminée explicitement par l’équilibre énergétique à la surface neige ou glace ; les chenaux (zones libres de glace à l’intérieur du pack1) sont représentés grâce à des échanges d’énergie latéraux et verticaux ; la présence de poches de saumure dans la glace est prise en compte sous forme de stockage d’énergie interne ; la transformation de la neige en glace (« neige blanche ») est elle aussi représentée ; l’albédo de la surface englacée est fonction de l’épaisseur de glace, de la température de surface (fondante ou non), du type de surface (glace ou neige) et des multiples rétroactions engendrées par la présence des nuages.

Les quantités pronostiques du modèle se réduisent à la concentration de glace de mer sur la maille, les épaisseurs de glace et de neige, le contenu thermique de la glace (chaleur sensible et latente) et la vitesse de la banquise. Mais ce modèle complet pourra nous permettre de diagnostiquer les principaux phénomènes liés aux états de la glace de mer comme les transports de masse (eau douce en l’occurrence) et de chaleur, la variabilité du cycle saisonnier, les formations de masses d’eaux à l’interface océan/banquise. Une particularité de ce modèle est qu’il utilise un ensemble de paramètres communs aux deux hémisphères alors que les banquises boréales et australes ont des caractéristiques différentes. Malgré cela, ce modèle a été éprouvé [Goosse and Fichefet, 1999 ; Fichefet et al., 1997] et a montré qu’il était capable de représenter de façon réaliste le cycle annuel de la croissance et de la décroissance de la glace de mer [Timmermann et al., 2004] en termes d’étendues, d’épaisseur et de vitesse de glace de mer.

1 Pack : Zones océaniques englacées dont la concentration en glace est supérieure à 15%.

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De la grande échelle … : le cycle saisonnier.

Ce modèle a été utilisé dans un premier temps avec une résolution horizontale de 2° pour mener une expérience interannuelle (1993-2002) utilisant les analyses2 du CEP (Centre Européen de Prévisions météorologiques) en moyenne journalière comme forçage atmosphérique. Les analyses du CEP ayant été choisies pour se rapprocher des conditions du futur modèle opérationnel. Nous avons comparé nos résultats aux données de concentrations de glace de mer dérivées du SMMR et du SSM/I et élaborées au NSIDC [Comiso, 2002].

L’étendue de glace simulée est continuellement sous-estimée dans l’hémisphère nord (figure 1). En hiver, on a une sous-estimation globale dans les Baie de Baffin, Baie d’Hudson, Mer de Kara, Mer de Laptev, Mer de Beaufort et Mer de Béring mais on obtient aussi dans le même temps une surestimation dans les zones marginales des Mer d’Okhotsk et Mer de Béring et, de façon plus importante, dans les Mer de Barents, Mer du Groenland et Mer du Labrador (non montré). En été, on observe une surestimation dans toutes les zones marginales du pack mais une large sous-estimation à l’intérieur du pack. Globalement, on a une surestimation de la surface occupée par les chenaux et le phénomène inverse (plus compacte) dans les zones marginales. Les estimations de concentration de glace restent sujettes à caution dans les données, et [Comiso, 2002] rapporte une incertitude de 15-20% sur les données en été. On peut attribuer la surestimation de l’étendue de glace le long de la côte est du Groenland à la résolution du modèle (2° dans cette expérience) qui ne permet pas une représentation correcte de l’étroite bande de glace [Timmermann et al., 2004]. On peut s’attendre à une amélioration avec la configuration au ¼° dans cette zone.

Dans l’hémisphère Sud, la couverture de glace de mer hivernale est très proche des observations (figure 1) avec toutefois une glace de mer moins compacte. En été, on a globalement une large sous estimation de l’étendue de glace avec, notamment, une quasi-totale disparition de banquise dans certaines zones (Est Antarctique). Une expérience menée avec une configuration au ¼° (configuration prévue pour le modèle opérationnel) sur un domaine géographique restreint à [30°S-80°S] aboutit à des conclusions identiques. La figure 2 montre un déficit de glace estivale dans cette simulation ainsi qu’une glace moins compacte au sein du pack. La question se pose sur la fiabilité du forçage atmosphérique vu qu’avec d’autres conditions atmosphériques, le modèle reproduit une étendue de glace de mer plus conforme aux observations [Timmermann et al., 2004].

Figure 1

Séries temporelles de l’étendue de glace de mer (définie par la somme totale des surfaces des mailles couvertes par au moins 15% de glace) pour les données SSM/I du NSIDC (National Snow and Ice Data Center) (ligne pleine) et la simulation à 2° de résolution horizontale (ligne pointillée) pour l’hémisphère Nord (figure de gauche) et l’hémisphère Sud (figure de droite).

2 Analyses : résultats de simulations contraintes par des observations.

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SSM/I – mars (1997-2001) Simulation – mars (1997-2001)

SSM/I – septembre (1997-2001) Simulation – septembre (1997-2001)

Figure 2

Moyenne 1997-2001 de la concentration de banquise (1.0 correspond à 100% de la surface considérée occupée par la glace de mer) pour les mois de mars (haut) et de septembre (bas) et les données SSM/I (gauche) et les résultats de la simulation au ¼° de résolution horizontale (droit).

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… A la moyenne échelle : les polynies en Antarctique.

Nous avons pu aussi vérifier la faisabilité du modèle de glace de mer LIM à reproduire des phénomènes méso échelles tels que le cycle de vie des « polynies » côtières Antarctique. Ces phénomènes, pourtant bien connus3, ont un regain d’intérêt suite à de nombreux travaux récents démontrant leurs influences importantes sur le climat en général (voir [Marsland et al., 2004] par exemple). Nous décrivons brièvement ici les processus qui donnent lieu à l’émergence de ces phénomènes.

Une particularité du continent Antarctique est la quasi-permanence de forts vents soufflant de la terre vers la mer près de la surface. Ces vents, dits « catabatiques », résultent du refroidissement diabatique de la couche de surface stable située au-dessus des plateaux englacés du continent Antarctique. Ce flux catabatique, intimement lié à la topographie, suit les couloirs orographiques et se propage vers le nord au dessus de l'Océan Austral. La présence de ces vents froids à la surface de l’océan génère de fortes pertes de chaleur et engendre, en hiver, d’intenses formations de glace. Cette nouvelle glace marine est par la suite advectée par les vents créant des zones libres de glace appelées « polynies ». La chaleur latente de fusion dégagée par la formation continuelle de la glace permet de compenser les pertes de chaleur vers l’atmosphère et d’entretenir la polynie. Il en résulte l’existence récurrente de régions propices à la présence de polynies. Ces polynies ont une durée de vie de quelques jours à quelques semaines durant laquelle elles peuvent s’ouvrir et se fermer plusieurs fois. Les pertes de chaleur observées à l’intérieur de ces polynies sont accompagnées d’importants rejets de sel consécutifs à la formation de glace de mer. Cette formation de saumure affecte la structure locale de la densité de l’eau, provoque des phénomènes de convection et la formation d’eaux profondes et induit, à grande échelle, de larges modifications des masses d’eau.

Pour étudier ces phénomènes nous avons analysé une partie de l’expérience (1993-2001) menée avec la configuration au ¼° sur le domaine géographique de 30°S à 80°S. La figure 3 montre les six zones sélectionnées toutes situées dans l’est Antarctique. En caractérisant l’occurrence des polynies par une variation relative de la concentration de glace, on peut identifier clairement des polynies dans les séries temporelles des zones de la baie de Prydz (figure 4) et de la plate-forme de Shackleton (non montré), polynies présentes à la fois dans la simulation et dans les données satellitaires (Tableau 1). Des occurrences de polynies se produisent également dans les zones de la terre d’Enderby et du glacier Mertz mais de manière moins claire et moins fréquentes (non montrés). Ces occurrences n’apparaissant pas toutefois dans les observations satellitaires. En revanche, l’examen des zones de la Terre Adélie et, plus encore, de la baie Terra Nova, ne révèle pas la présence de polynies dans la simulation. Le tableau 1 résume sous forme de corrélation linéaire la disparité des résultats selon la zone considérée durant la saison hivernale uniquement.

Figure 3

Localisation des zones d’études

Figure 4

Concentration de glace moyenne sur la zone de la Baie de Prydz sur la période du 01/01/1993 au 31/12/1995 pour la simulation (en rouge) et les données SSM/I (en bleu). Les zones bleutées représentent l’occurrence de polynies dans les données et dans la simulation. L’année 1993 (0 à 365 sur l’axe des abscisses) n’est pas analysée en raison de la possible influence des conditions initiales mais aussi des sorties moyennées sur 15 jours au lieu des 5 jours les années suivantes.

3 Polynies : consulter [Smith et al., 1990] ou, plus récemment, [Maqueda et al., 2004] pour une description de ces phénomènes

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La banquise : nouvelle composante du projet Mercator

Zones d’étude/Périodes Hiver 1994 Hiver 1995

Plateforme de Shackleton 0.59 0.51

Baie de Prydz 0.58 0.54

Glacier Mertz -0.32 -0.14

Terre d’Enderby 0.71 0.31

Terre Adélie -0.09 -0.11

Zones d’étude/Périodes Hiver 1994 Hiver 1995

Plateforme de Shackleton -0.52 -0.39

Baie de Prydz (80°/100°) -0.38 -0.63

Glacier Mertz (0°/-20°) -0.31 -0.24

Terre d’Enderby (50°/80°) -0.42 -0.62

Terre Adélie (60°/80°) 0.22 0.32

Tableau 1

Coefficients de corrélation linéaire entre la concentration de glace issue de la simulation et celle issue des données SSM/I. Les valeurs en rouge sont significatives à 99%.

Tableau 2

Coefficients de corrélation linéaire entre la concentration de glace issue de la simulation et l’intensité du vent selon la direction catabatique. Les angles entre parenthèses représentent les secteurs angulaires liés au régime catabatique des vents. Les valeurs en rouge (resp. en verte) sont significatives à 99% (resp. 95%).

Nous avons ensuite tenté de déterminer une quelconque relation entre le vent catabatique et la concentration de glace dans la simulation. Les vents catabatiques étant caractérisés à partir d’un axe déterminé autour duquel on identifie un secteur angulaire lié au régime catabatique, la Tableau montre une relation certaine entre l’intensité des vents catabatiques et la concentration de la glace de mer (plus le vent est fort, plus la glace est évacuée de la zone considérée d’où l’anti-corrélation entre ces deux variables) pour les zones de la plate-forme de Shackleton, la baie de Prydz et la terre d’Enderby. Par contre aucune relation linéaire n’apparaît dans les zones de la Terre Adélie et du glacier Mertz. L’examen des données concernant la baie Terra Nova a révélé des vents très faibles et très peu d’épisodes dépassant les 10 m.s-1 ; il apparaît ainsi que les vents catabatiques sont mal représentés sur cette zone dans les analyses du CEP. A noter que dans tous les cas, ces corrélations sont supérieures lorsqu’on introduit un déphasage positif (vent en avance) de quelques jours (en général un jour) ; cela traduit l’inertie de la réponse de la glace de mer au forçage dynamique.

Etude d’événements particuliers

Baie de Prydz du 26 avril au 14 août 1994

La Tableau nous a montré une relative corrélation entre le vent catabatique et la concentration de glace ; un examen plus précis de la figure 5 nous révèle que même une variation d’amplitude modérée de l’intensité du vent semble pouvoir provoquer un infléchissement de la concentration de glace. Toutefois, les occurrences de polynies proprement dites sont associées à des périodes de vents forts d’intensité moyenne supérieure à 10 m.s-1 pendant 10 à 20 jours. On observe un lien étroit entre le vent et la dérive de glace. On remarque également que l’intensité du vent catabatique est fortement corrélée avec la température de l’air (figure 5), en effet, l’air transporté par le flux catabatique se réchauffe par compression adiabatique, il en résulte une température généralement plus chaude que celle initialement présente à la côte. La formation de glace étant intimement liée aux pertes de chaleur en surface, et donc du gradient de température entre la surface et l’atmosphère, l’élévation de température générée par les coups de vents catabatique va s’opposer à la formation de glace.

Il apparaît également que le flux de chaleur océanique à la base de la glace est lui aussi fortement corrélé avec l’intensité du vent catabatique (figure 6). Cela s’explique par le fait que le vent induit un mélange des couches superficielles qui, par brassage vertical de la colonne d’eau, remonte de la chaleur en surface. On peut aussi mettre en relation les pertes de chaleur en surface, et donc la formation de glace, avec ce flux de chaleur océanique. Alors que l’advection d’air plus chaud est un facteur limitant de la formation de glace, le réchauffement des eaux de surface participe quant à lui à la formation de glace et à l’entretien de la polynie sur la période considérée.

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Figure 5

Evolution temporelle de la concentration de glace (pointillé noir), de l’intensité du vent catabatique (rouge), de la production thermodynamique de glace (bleu) et de la température de l’air à 2m (vert) au cours de la période du 26 avril au 14 août 1994 moyennés sur la zone de la Baie de Prydz. La ligne droite marque l’amplitude de 10 m.s-1 pour le vent ; les zones bleutées représentent l’occurrence de polynies dans la simulation.

Figure 6

Idem figure 5 mais avec le flux de chaleur océanique à la base de la glace (en vert)

Glacier Mertz : 5 juin au 18 octobre 1995

La figure 7 montre une diminution sensible de la fraction d’eau libre fin août début septembre (jours 85-90) et, même si la fraction d’eau libre était déjà relativement faible auparavant, on peut assimiler cet événement à une fermeture de polynie. La dérive de la glace dans la direction du vent catabatique reste faible, ce qui n’a rien de surprenant au regard de la faible intensité du vent catabatique sur cette période (figure 7). Cependant, la dérive de glace vers l’ouest est particulièrement forte entre les jours 85 et 90. Compte tenu de la configuration de la côte (figure 3), la glace ainsi advectée ne peut facilement être évacuée et va contribuer à l’accumulation de glace dans la zone. Cette dérive de la glace vers l’ouest provient indubitablement du flux d’est d’une dépression de 960mb passant sur la zone entre le 29 août et le 1er septembre 1995 (figure 8). L’autre fait remarquable est la baisse subite de production de glace sur cette courte période; la formation de glace dépend des échanges (pertes) de chaleur à la surface : plus la concentration d’eau libre est faible, plus la formation de glace est faible. D’autres événements en tous points analogues se produisent au cours de la simulation dans diverses régions. Alors que l’augmentation du gradient de pression à la côte est normalement une des conditions favorables à l’intensification du flux catabatique et donc, a priori, à la formation de polynies côtières, le flux d’est provoquée par la dépression tend à rendre plus compacte la couverture de glace.

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Figure 7

Evolution temporelle de la concentration de glace (en noir), de l’intensité du vent catabatique (en rouge), de la production thermodynamique de glace (en bleu) et de la dérive de glace (positive vers l’est) au cours de la période du 5 juin au 18 octobre 1995 moyennées sur la zone du glacier de Mertz. La zone bleutée représente la « fermeture » de la polynie dans la simulation.

Figure 8

Analyses du CEP ; Pression moyenne au niveau de la mer le 30 août 1995 à 12H00. Contours tous les 10mb.

Remarques conclusives

L’analyse de ces deux événements particuliers met en évidence les interactions complexes intervenant dans le cycle de vie des polynies côtières et, par extension, le rôle critique que joue la banquise à l’interface océan-atmosphère aux hautes latitudes. Cette analyse a aussi montré les capacités du modèle à reproduire ces phénomènes, sous la condition d’un forçage dynamique atmosphérique adéquat. Quoiqu’il en soit, cette résolution du ¼° semble suffisante pour résoudre les processus inhérents au cycle de vie des polynies.

Avec l’arrivée du prototype global au ¼° avec ce modèle de glace, il s’avère nécessaire de pouvoir comparer nos résultats avec des données de glace de mer offrant une résolution horizontale compatible et suffisante avec celle du modèle. Une collaboration s’est instaurée avec le CERSAT (Centre ERS d’Archivage et de Traitement) pour pouvoir valider nos expériences avec leur données de concentration de glace de mer à 12.5km de résolution et leur données plus « grandes échelles » de dérive de glace à 62.5km de résolution [Ezraty et al., 2004]. Cela constituera notre prochaine étape vers une meilleure appréhension de la banquise dans le modèle opérationnel.

On vous donne donc rendez-vous pour les premières prévisions des états de la glace de mer sur l’océan global !

Remerciements

Nous tenons à remercier les équipes de l’Université Catholique de Louvain de T. Fichefet ainsi que celle du LODYC sans lesquelles ce travail n’aurait pu aboutir.

Références

Comiso, J., Bootstrap sea ice concentrations for Nimbus-7 SMMR and DMSP SSM/I, (2002), Boulder, CO, USA: National Snow and Ice Data Center. Digital Media.

Comiso, J.C., and C.L. Parkinson, (2004), Satellite-observed changes in the Arctic, Physics Today, 57(8), 38-44.

Ezraty, R., J.-F. Piollé, L. Kaleschke, and G. Heygster, Sea-ice concentration and drift in the Central Arctic estimated from Special Sensor Microwave Imager data, (2004), CERSAT.

Fichefet, T., and M.A.M. Maqueda, (1997), Sensitivity of a global sea ice model to the treatment of ice thermodynamics and dynamics, J. Geophys. Res., 102-C6, 12,609-12,646.

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La banquise : nouvelle composante du projet Mercator

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Giles Garric et Patrick Charpentier

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Prochaine édition : Avril 2005