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UNIVERSITE PARIS 8 - VINCENNES-SAINT DENIS
ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES SOCIALES (ED 401)
CENTRE DE RECHERCHES ET D’ANALYSES GEOPOLITIQUES
Doctorat en Géographie – Mention Géopolitique
Benjamin AUGE
Produire du pétrole en zone de conflit :
cas de l’Afrique médiane
Thèse dirigée par Béatrice Giblin
Présentée et soutenue le 20 novembre 2012
Membres du Jury :
Béatrice GIBLIN Professeur Université Paris 8 Emmanuel GREGOIRE Directeur de recherche, IRD
Géraud MAGRIN Chercheur/HDR, CIRAD (rapporteur)
Jean-Yves MOISSERON Chercheur/HDR, IRD
Roland POURTIER Professeur émérite Université Paris 1, (rapporteur)
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Remerciements
Cette thèse a vu le jour grâce à l’appui confiant de nombreux fonctionnaires des différents ministères africains, rencontrés au cours de mes voyages sur le continent. Certains sont devenus des amis, d’autres ont gardé une certaine distance, mais ils ont tous contribué significativement à cette recherche. Je les en remercie chaleureusement.
Deux personnes clé ont facilité ce travail : Michel Demaeght en République démocratique du Congo et James Serugo en Ouganda. Leur accueil chez eux pendant plusieurs mois et leur connaissance des arcanes de la politique locale m’ont fait gagner un temps précieux.
L’apport de la rédaction d’Indigo au contact de laquelle j’ai énormément appris depuis quatre ans -en particulier auprès de Philippe Vasset- et les discussions et expériences avec les chercheurs du programme Afrique de l’Institut Français des relations internationales et son directeur Alain Antil ont également eu un rôle indéniable dans l’écriture de cette thèse.
J’ai également une pensée particulière pour le Professeur des Universités Jean-Claude Daumas, qui a dirigé mon mémoire de master en histoire économique sur la première crise pétrolière. Il m’a donné le goût de la recherche et de l’effort.
Je ne saurais trop remercier ma directrice de thèse Béatrice Giblin dont l’approche a été très efficace : grande disponibilité et précision pour me corriger, m’encourageant lorsque cela s’avérait nécessaire et m’aiguillant lorsque manifestement je n’allais pas dans la bonne direction.
Je remercie tout particulièrement ma famille, mes frères, et évidemment mes parents André-Marcel et Anny Augé qui m’ont poussé à aller le plus loin possible et m’ont soutenu moralement et financièrement dans un processus long et parfois difficile. Mon ami d’enfance, Richard Vuillemin, a aussi contribué, grâce à sa grande disponibilité, à l’achèvement de ce doctorat.
Enfin, la personne la plus méritante est sans nul doute mon épouse Rawaa Kalassina. Elle est restée au fil des années, un soutien indéfectible et une aide formidable pour débloquer des situations inextricables. Rawaa a su faire preuve d’une patience hors pair avec moi, y compris dans les moments de grande tension. Ce doctorat lui est tout naturellement dédié.
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Produire du pétrole en zone de conflit : cas de l’Afrique médiane
Résumé
L’exploration pétrolière sur le continent africain évolue très rapidement depuis la hausse des cours du brut au début des années 2000. On compte désormais une quarantaine d’Etats africains en exploration. Plus aucun obstacle n’arrête les sociétés venues mettre à jour les réserves indispensables à une demande mondiale croissante. En Afrique, les majors occidentales sont rejointes par des compagnies d’Asie, de Russie, du Brésil. Seulement, sur un continent où les conflits sont légion, l’arrivée du pétrole se superpose parfois à des situations déjà instables. Cette thèse se donne comme objectif d’expliquer ce phénomène d’une exploration/exploitation pétrolière exacerbant les tensions préexistantes. Si des exemples de pays pétroliers sont pris sur tout le continent, la focale est mise sur l’Afrique médiane, vaste région alliant l’Afrique des Grands Lacs et l’Afrique de l’Est. Cette région a été marquée dans les années 1990 par deux guerres en République démocratique du Congo. Plusieurs coalitions se sont combattues sur le territoire d’un pays dont les ressources minières sont pillées par les Etats voisins et des milices locales au détriment de l’Etat. L’exploration pétrolière, dans les zones frontalières à l’est du Congo, conduit à de nouveaux litiges avec les belligérants d’hier (Rwanda et Ouganda). Quant au pillage du brut par l’Angola à l’embouchure du fleuve Congo, c’est la rançon du maintien de la famille Kabila au pouvoir. La division du Soudan, en deux Etats en 2011 crée un dangereux précédent : les frontières du 19ème siècle en Afrique ne sont plus intangibles. Or, le rôle du pétrole dans ce processus est loin d’être secondaire.
Mots-clés
Pétrole • Afrique • Conflit • Frontières • Gaz • République Démocratique du Congo • Ouganda • Soudan • Géopolitique • Représentation
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Producing oil in a confict zones: The case of central-east Africa
Abstract
Oil exploration has been changing at break-neck speed since the oil price began to spike around the year 2000. Exploration is now taking place in around 40 countries on the continent. No barriers or difficulties whatsoever stand in the way of companies turning up to search for new reserves, a key raw material to fuel the continuous growth of the global economy. In Africa, western majors are joined by companies from Asia, Russia and Brazil. But on a continent where conflicts are widespread, oil extraction can superimpose itself on unstable situations. This doctoral thesis aims to explain how oil exploration/production can exacerbate pre-existing tensions. To focus on this particular issue, examples will be cited from across Africa but we will look at greater depth at central-east Africa, a vast area composed of the Great Lakes region and eastern Africa. In the 1990s this region was plagued by two wars that raged in Democratic Republic of Congo. Coalition forces fought over a country whose mineral resources are still being looted by neighboring nations and local militias at the expense of the Congolese government. Oil exploration around the borders of eastern Congo has fuelled new conflicts with former adversaries (Rwanda and Uganda). Elsewhere, the theft of crude by Angola around the mouth of the Congo River has been the price that Joseph Kabila's family has had to pay to remain in power. South Sudan, which broke away from the North in 2011, has created a dangerous precedent; the move demonstrated that the 19th century borders of Africa are not definitive. And the role of oil in the process has been decisive.
Key words
Oil • Africa • Conflict • Borders • Gas • Democratic Republic of Congo • Uganda • Sudan• Geopolitics
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Figures ...................................................................................................................................... 11
Introduction ............................................................................................................................ 14
Partie I : Le pétrole africain, un danger ou une chance pour le marché mondial des hydrocarbures ? ...................................................................................................................... 26
1 La production africaine d’hydrocarbures, des situations très diverses ................ 36
1-1 Les producteurs de pétrole en Afrique ................................................................. 36
Les piliers pétroliers .................................................................................................. 39
Les pays pétroliers en stagnation .............................................................................. 44
1-2 Les producteurs de gaz en Afrique ...................................................................... 47
Les exportateurs de gaz ............................................................................................. 50
Les producteurs mineurs qui consomment entièrement leur débit. ........................... 55
2 Les menaces pesant sur la production du continent ............................................... 58
2-1 L'accroissement de la consommation africaine, un défi pour la sécurité énergétique mondiale ? ......................................................................................... 58
Un nouveau producteur de pétrole africain, le cas du Ghana .................................... 59
Le problème de frontière maritime avec la Côte d'Ivoire.......................................... 66
2-2 Les tensions géopolitiques liées aux hydrocarbures en Afrique .......................... 71
Les litiges frontaliers ................................................................................................. 71
La gestion pacifique entre la Tunisie et la Libye ...................................................... 72
Les zones de développement conjoint ....................................................................... 74
Le cas particulier de la péninsule de Bakassi ............................................................ 81
Les autres cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures en suspens .................... 87
2-3 Le Nigeria, une menace persistante sur l'approvisionnement ....... d'hydrocarbures mondiale ............................................................................................................... 91
La montée progressive des violences ........................................................................ 94
Le MEND ou la professionnalisation du combat contre l'Etat et les compagnies .... 97
Les réponses de l'Etat nigérian face aux défis posés par les militants du Delta ........ 99
Les causes profondes du militantisme dans le delta du Niger ................................. 102
Les tensions géopolitiques liées au pétrole et l'arrivée de Boko Haram ................. 105
2-4 L'exploration et la production pétrolière dans le Sahara, un défi sécuritaire ....... et géopolitique ........................................................................................................ 107
Le poids des sociétés nationales dans la zone saharienne. ...................................... 108
8
Les sociétés nationales du Maghreb actives au Sahara. .......................................... 108
L'implication des Chinois dans le Sahara ................................................................ 113
Comment exporter le brut des zones enclavées ? .................................................... 121
2-5 Le pétrole comme vecteur de financement de conflit ........................................ 124
2-6 La gouvernance du secteur pétrolier africain, le cas emblématique du Tchad ........ ............................................................................................................................ 128
Conclusion de la partie I ......................................................................................................... 133
Partie II : Le secteur pétrolier en République démocratique du Congo et en Ouganda, une gestion confuse, opaque et présidentialisée. ................................................................ 137
1 La gouvernance du secteur pétrolier en République démocratique du Congo .. 142
1-1 Le ministère des hydrocarbures, la Cohydro et la présidence ........................... 149
1-2 La difficile entrée de la société italienne ENI .................................................... 156
1-3 La production et l'exploration au Bas-Congo ..................................................... 159
Perenco, le pilier du secteur pétrolier au Congo ..................................................... 161
L'exploration au Bas-Congo .................................................................................... 168
Les impôts et obligations des sociétés en exploration ............................................. 173
1-4 L'exploration dans le bassin de la Cuvette centrale ........................................... 174
L'enjeu environnemental au Congo en général et dans la cuvette centrale en particulier ............................................................................................................. 175
L'historique de l'exploration de la Cuvette centrale ................................................ 179
La cuvette centrale, un bassin pétrolier partagé avec le Congo-Brazzaville ........... 186
2 L’histoire tourmentée des blocs congolais du rift est-africain ............................. 188
2-1 La véritable « saga » des blocs du lac Albert, côté congolais ............................ 190
Un contrat sans décret présidentiel .......................................................................... 194
Le nouveau consortium de Lambert Mende : Divine Inspiration Group ................ 197
L'attribution des blocs du Graben Albertine à des inconnus. .................................. 200
Caprikat et Foxwhelp, les protégés du pouvoir ........................................................ 203
Les autorités congolaises accompagnent Caprikat et Foxwhelp .............................. 206
Tullow et Divine demandent des comptes au pouvoir ............................................. 209
2-2 Les défis géographiques de l'exploration pétrolière dans la zone du Graben Albertine ............................................................................................................. 211
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3 Le pétrole du graben Albertine, une stratégie ougandaise différente pour une même zone ......................................................................................................... 224
3-1 Une histoire pétrolière récente ........................................................................... 230
3-2 La gouvernance du secteur pétrolier en Ouganda .............................................. 236
Une gestion du secteur pétrolier facilitée par la Norvège. ...................................... 243
Le contrôle présidentiel du secteur pétrolier ........................................................... 249
Le rôle des ministres comme porte-voix du président face aux pétroliers. ............. 251
Quel rôle joue l'Assemblée nationale dans le pétrole ? ........................................... 253
Les nouveaux parlementaires tentent de prendre la main. ...................................... 255
La sécurisation politique et militaire de la zone pétrolière ..................................... 257
Le royaume de Bunyoro cerné ................................................................................ 260
Les problèmes fonciers et environnementaux liés au pétrole ................................. 263
Conclusion de la partie II ....................................................................................................... 268
Partie III : Nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de l’Est et litiges frontaliers entre le Congo et ses voisins ................................................................................................ 270
1 Les litiges frontaliers entre le Congo et l'Ouganda sur le lac Albert .................. 274
1-1 La tuerie d'août 2007 et le lancement d'un processus de concertation. .............. 275
2 Le litige frontalier entre la République démocratique du Congo et l'Angola .... 284
2-1 Des blocs angolais contestés par le Congo ........................................................ 287
2-2 Nouvelles manœuvres dilatoires: la création d'une zone de développement conjoint ............................................................................................................... 290
2-3 Le plateau continental, un débat international cachant un problème bilatéral ... 293
2-4 Les ambassades américaines mettent à jour la teneur exacte du conflit ............ 300
2-5 La négociation du gazoduc de Chevron avec le Congo ..................................... 306
3 Les autres bassins sédimentaires partagés entre le Congo et ses voisins. ........... 309
3-1 Le méthane du lac Kivu ..................................................................................... 310
La coopération bilatérale Congo/Rwanda sur le méthane ....................................... 317
3-2 Le bassin du lac Tanganyika .............................................................................. 320
La coopération entre les Etats sur le lac Tanganyika .............................................. 325
10
4 Afrique de l’Est: une nouvelle géopolitique pétrolière et gazière régionale ....... 327
4-1 L'enjeu pétrolier dans un Soudan éclaté ............................................................ 328
Les zones de production et les multiples problèmes frontaliers .............................. 332
Les espoirs dans l'exploration pour le Nord ............................................................ 336
Les espoirs pétroliers pour le Soudan du Sud. ........................................................ 341
La mainmise d'Omar el Béchir et ses proches sur le secteur pétrolier .................... 342
Les nombreux enjeux pétroliers non réglés depuis l'indépendance du Sud. ........... 345
Le rôle de la Chine dans le conflit pétrolier entre les deux Soudan. ....................... 348
Pas un mais des projets d’oléoducs ......................................................................... 350
4-2 Les conséquences régionales des découvertes pétrolières ougandaises............. 353
La raffinerie d’Hoïma, quelle taille et pour quel marché ? ..................................... 356
L’exportation du brut ougandais ............................................................................. 359
4-3 Le Kenya comme nouveau hub pétrolier ........................................................... 360
L’option d’un oléoduc Lac Albert/Mombasa .......................................................... 362
4-4 Les découvertes gazières au Mozambique, quelles perspectives ? .................... 367
Conclusion de la partie III ...................................................................................................... 373
Conclusion ............................................................................................................................. 376
Bibliographie et personnes interrogées: ................................................................................. 381
Annexes .................................................................................................................................. 392
Annexe 1 : La declaration de Kaiama, texte fondateur du mouvement de revendication Ijaw dans le delta du Niger. ............................................................................................................ 392
Annexe 2 : Résolution du parlement ougandais du 10 Octobre 2011 mettant en difficulté le gouvernement sur la question pétrolière. ............................................................................... 396
Annexe n°3 : Principaux évènements au Soudan, d’une independence à l’autre .................. 399
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Figures
Carte n°1a et 1b: Diversité des sociétés pétrolières actives en Afrique ................................... 33 Tableau n°1 : Les producteurs de pétrole africains en 2011 .................................................... 36 Carte n°2: La production pétrolière africaine. .......................................................................... 38 Carte n°3: Pétrole et gaz en Libye. ........................................................................................... 41 Carte n°4 : Les blocs pétroliers en Angola ............................................................................... 43 Tableau n°2: Les producteurs africains de gaz......................................................................... 48 Carte n°5 : La production gazière en Afrique ......................................................................... 49 Carte n°6 : Gazoducs existants et en projet entre le Maghreb et l'Europe ............................... 51
Carte n°7: Découvertes pétrolières dans l'offshore ghanéen .................................................... 61 Carte n°8: Blocs pétroliers ivoiriens en novembre 2011.......................................................... 70 Carte n°9: Frontière maritime entre la Tunisie et la Libye. ..................................................... 73 Carte n°10: L'AGC entre le Sénégal et la Guinée Bissau. ....................................................... 76 Carte n°11 : ZDC entre Sao Tomé et le Nigeria ...................................................................... 78 Carte n°12 : Péninsule de Bakassi ............................................................................................ 82 Carte n°13: Blocs partagés entre le Nigeria et le Cameroun. ................................................... 86 Carte n°14: Blocs pétroliers de Juan de Nova .......................................................................... 90 Carte n°15 : Région du delta du Niger au Nigeria ................................................................... 93 Carte n°16: Blocs pétroliers du bassin de Taoudenni en Mauritanie et au Mali .................... 110
Carte n°17: Blocs pétroliers au Niger .................................................................................... 116 Carte n°18 : Exportation et transformation du pétrole nigérien et tchadien........................... 122
Tableau 3 : Ministres en charge du secteur pétrolier depuis la chute de Mobutu Sese Seko . 147
Carte n°19 : Production pétrolière onshore et offshore en RDC ............................................ 160 Carte n°20 : Blocs congolais de la Cuvette centrale .............................................................. 181 Carte n°21 : Les quatre lacs congolais partagés avec présence d’hydrocarbures .................. 189
Cartes n°22: Blocs 1 et 2 du graben Albertine ....................................................................... 212 Carte n°23 : Blocs 3 et 5 du graben Albertine........................................................................ 213 Carte n°24 : Enclavement de la zone d’exploration du rift est-africain ................................. 214 Carte n°25: Falaises et plages autour du lac Albert ............................................................... 218 Carte n°26 : Parc des Virunga dans le bloc d'exploration 5 opéré par Soco et Dominion ..... 219
Carte n°27 : Anciennes et nouvelles zones d'activité de l'Armée de résistance du Seigneur en Ouganda. ................................................................................................................................ 227
Carte n°28 : Blocs pétroliers en exploration en Ouganda ...................................................... 230 Tableau 4 : Ministres en charge du secteur du pétrole depuis la fin des années 1990 ........... 238
Carte n°29: Ville d’Hoïma, futur carrefour pétrolier ............................................................. 259 Carte n°30: Bunyoro et les autres royaumes de l’Ouganda ................................................... 260 Carte n°31: Parc de Murchison dans la zone pétrolifère. ....................................................... 267 Carte n°32: Ile de Rukwanzi disputée entre le Congo et l’Ouganda ...................................... 279
Carte n°33 : Zone économique exclusive de la RDC, étouffée par les blocs angolais. ......... 286
Carte n°34 : Blocs pétroliers litigieux entre la RDC et l'Angola ........................................... 289 Carte n°35 : Prétention territoriale maritime de la RDC ........................................................ 296 Carte n°36: Proposition de découpage en concessions sur le lac Kivu entre le Congo et le Rwanda ................................................................................................................................... 313
12
Carte n°37: Lac Tanganyika partagé en quatre ...................................................................... 321 Carte n°38: Blocs pétroliers et projets d’exportation du brut du Soudan du Sud .................. 333
Carte n°39: Oléoduc kenyan et projet d’extension vers l’Ouganda ....................................... 354
Carte n°41: Projets d’oléoducs entre l’Ouganda et le Kenya. ................................................ 366 Carte n°42: Découvertes gazières au Mozambique/Tanzanie et projets de centrales électriques. .............................................................................................................................. 369
Schéma n°1 : Les relations entre les Congo et ses voisins ..................................................... 372
13
14
Introduction
La géographie de l’exploration et la production du pétrole et du gaz sur le continent africain
évolue rapidement depuis le début des années 2000. Cela est en partie le résultat de
l’augmentation de la consommation d’hydrocarbures en Asie et dans les pays producteurs, et
des multiples instabilités géopolitiques (Irak, Iran, Venezuela, Arabie Saoudite, Nigeria) qui
ont entraîné depuis 2003 une hausse continue des cours du brut (sur les bourses de Londres et
New York). Ces cours ont permis d’une part, l’accroissement des budgets d’exploration des
plus importantes compagnies pétrolières, celles que l’on appelle les « majors » et d’autre part,
la création de nombreuses sociétés, intéressées par la nouvelle rentabilité que le secteur offre.
Cette séquence économique a immanquablement entraîné un accroissement de la prise de
risque du fait des importantes réserves financières pour les sociétés établies, ainsi qu’une sorte
de raison d’exister pour les firmes récemment créées, ou les nouveaux venus comme les
Chinois, Indiens, Coréens, Brésiliens et Russe, avides de mettre à jour de nouvelles
« frontières » pétrolières que les majors n’ont pas encore découverts. Ce nouveau contexte de
consommation et de cours élevés a un impact direct sur le continent africain où l’exploration
ne se limite désormais plus aux seuls pays du Maghreb et du golfe de Guinée, mais concerne
une quarantaine de pays africains. Cette nouvelle situation a ainsi accru des tensions pour
l’appropriation et le contrôle de territoires autrefois considérés par ces mêmes Etats comme
peu stratégiques puisque ne présentant pas d’intérêt majeur. Or cette nouvelle phase pétrolière
se produit sur un continent africain on le sait non exempt de conflits.
Parmi les éléments pouvant exacerber considérablement les conflits sur le continent africain,
les ressources naturelles (eaux, minerais, hydrocarbures) sont déterminantes. On sait par
exemple que les minerais ont contribué à la création ou du moins à l’allongement de certains
conflits: Liberia, Sierra Leone et République démocratique du Congo, Angola. De même pour
les guerres civiles en Angola et en République du Congo où les revenus du pétrole ont permis
à l’une ou à plusieurs des parties, de se procurer de l’armement et donc d’aggraver les
dommages de part et d’autre. Le pétrole a même parfois été la cause principale d’un conflit
comme dans la région du delta du Niger depuis les années 1990, ce conflit étant loin d’être
terminé.
La multiplication des zones d’exploration pétrolière en Afrique, y compris dans des zones
contestées, où les frontières ont été mal définies depuis l’indépendance et où des tensions
entre communautés ou Etats ont déjà éclaté en conflits, est une des préoccupations
15
économiques et géopolitiques actuelles du continent. L’utilisation de la démarche
géopolitique d’Yves Lacoste est ici éclairante car elle implique l’étude des différents acteurs
et leurs luttes de pouvoir pour contrôler des territoires où il y a la présence effective ou
supposée d’hydrocarbures. Ces territoires ne sont pas nécessairement l’objet d’un litige pour
ce qu’ils renferment car dans la période d’exploration, il est encore impossible de déterminer
la présence de ressources, mais ils représentent déjà un potentiel gain politique, économique
ou de pouvoir. Un conflit n’est pas forcément un combat entre deux armées officielles comme
il y en eut de nombreux au 20ème siècle, y compris pour le contrôle du pétrole. Cela peut être,
un conflit entre une armée et des milices, entre une grande compagnie multinationale et des
villageois travaillant à proximité de sa zone d’exploitation. Cela peut être aussi un conflit
majeur du fait de l’importance, politique, symbolique, économique du territoire objet du litige
mais qui peut se dérouler sans violence physique du fait d’une domination diplomatique,
économique et militaire d’un acteur sur l’autre comme nous le verrons entre la République
démocratique du Congo et l’Angola. C’est un cas plus feutré voire étouffé mais qui
n’empêche pas des conséquences importantes. Le conflit représente selon moi les actions ou
moyens mis en œuvre dans le but de dominer un adversaire pour s’emparer et contrôler l’objet
du dit-conflit. La diplomatie et le chantage, dans le cas de différends entre Etats, peuvent
avoir des effets aussi dévastateurs que nombre de combats entre armées.
Si le pétrole, dont l’utilisation à l’échelle industrielle a débuté au milieu du 19ème siècle (aux
Etats-Unis et à Bakou dans l’actuel Azerbaïdjan), n’a historiquement quasiment jamais été la
raison officielle d’une guerre entre armées, il a cependant, dans la réalité été l’un des moteurs
de nombres de conflits. L’un des plus anciens est probablement celui entre la Bolivie et le
Paraguay lors de ce qu’on appelle la guerre du Chaco entre 1932 et 1935. Les deux pays se
sont ainsi combattus causant la mort de centaines de milliers de soldats à la suite de rumeur
sur la présence de pétrole dans la région frontalière de Chaco (nord-ouest du Paraguay et sud-
est de Bolivie). Cela étant, le pétrole n’était pas la raison première du conflit mais davantage
un élément se surajoutant à celui né de frontières mal définies par la puissance colonisatrice
espagnole et de problèmes relationnels passés entre les deux nations. Ce cas de figure d’un
pétrole, ultime étincelle pour enflammer un conflit dont les réels motifs sont ancrés dans
l’histoire d’une région depuis longtemps, se retrouvera souvent dans l’histoire, en particulier
en Afrique où le découpage des frontières par les puissances colonisatrices pose souvent
problème. En l’occurrence, du pétrole, dans le Chaco, il n’en a finalement pas été découvert à
l’époque, et c’est du gaz qui dans la région a commencé à être produit dans les années 1970.
16
Mais la probabilité de mettre la main sur un gisement pétrolier a pesé très lourdement dans les
motifs du lancement de la guerre des années 1930.
Après la guerre du Chaco, la seconde guerre mondiale démontre combien le pétrole est
devenu un enjeu stratégique puisque principal combustible pour les transports. En 1942,
Adolphe Hitler se lance dans la conquête de Bakou pour s’assurer d’un approvisionnement en
hydrocarbures, nécessité absolue pour le fonctionnement des blindés et des avions devenus
essentiels dans les combats depuis l’entre-deux guerres. Les Soviétiques empêchent alors
Hitler d’atteindre Bakou grâce à la longue et meurtrière bataille de Stalingrad. Dans ce dernier
cas, ce n’est pas un gisement potentiel en pétrole mais du pétrole produit depuis le 19ème
siècle qui est l’objet du conflit. L’accès à cette matière première aurait représenté un avantage
considérable pour l’armée allemande. Hors des seuls moments de conflits, posséder de
grandes quantités de pétrole comme aux Etats-Unis depuis les années 1850 (en Pennsylvanie,
puis au Texas) est un puissant vecteur de croissance économique. Aux Etats-Unis, cela a
lourdement contribué à la construction de la puissance du pays. Une énergie bon marché et
abondante est capitale dans l’économie d’une nation si celle-ci sait correctement en employer
les revenus. Cependant les réserves américaines se sont bien vite avérées insuffisantes, le pays
a alors privilégié la diplomatie afin de contrôler de nouvelles zones pétrolières comme en
Arabie Saoudite (accord de Quincy en 1945). D’autres conflits pour le contrôle des ressources
pétrolières surgissent rapidement après-guerre. En effet, la découverte par la France en 1956
du pétrole et du gaz à Hassi Messaoud et Hassi R’mel en Algérie a certainement contribué à
rendre le conflit pour l’indépendance entre le Front de libération nationale (FLN) et l’armée
française encore plus violent. L’indépendance suite aux accords d’Evian en 1962 (où dans les
discussions préalables les Français avaient proposé la partition du pays avec un Sahara
pétrolier français et la côte algérienne, évidemment refusé par la partie algérienne) n’abolit
cependant pas tous les privilèges pour l’industrie pétrolière française. Il faut attendre 1965
puis la nationalisation de février 1971 pour que le pays retrouve une réelle souveraineté sur
ses hydrocarbures [voir les ouvrages d’Hocine Malti]. La région du Golfe n’a pas non plus été
épargnée par les conflits liés au pétrole. Si la guerre Iran/Irak entre 1980 et 1988 n’a, une fois
de plus, pas mis en avant le pétrole comme motif (des litiges frontaliers existaient depuis
longtemps), le contrôle par Saddam Hussein des régions iraniennes proches de Bassorah
(région pétrolière du sud la plus prolifique d’Irak avec l’actuel Kurdistan irakien) avait de
toute évidence une visée pétrolière. De même, la première guerre du Golfe de 1990 lors de
l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, est en grande partie liée à la nécessité pour l’Irak,
surendetté du fait de la guerre qui l’opposa à l’Iran, de trouver des moyens d’accroitre sa
17
production. A l’époque, le prix du brut était très bas, à peine 10 dollars le baril (contre-choc
brutal après l’envolée des prix lors de la révolution iranienne), et les pays prêteurs de l’Irak,
en l’occurrence l’Arabie Saoudite et le Koweït avaient refusé d’annuler leur créance vis-à-vis
de Bagdad. Quant à la deuxième guerre du golfe (ou troisième, c’est selon, si l’on considère la
guerre Iran-Irak comme la première) suite aux événements du 11 septembre 2001, le rôle du
pétrole est beaucoup plus discutable. Si les compagnies américaines sont revenues
nombreuses dans le pays pendant et après le conflit, qui s’est officiellement arrêté en
décembre 2011 avec le retrait des troupes américaines, elles sont loin d’être les seules à avoir
obtenu des contrats. La recherche du contrôle du pétrole a été l’une des composantes du
conflit mais pas la seule. Dans ce conflit, il ne faut pas négliger de prendre en compte de
l’idéologie des néo-conservateurs et de leur représentation du rôle de leader mondial de la
démocratie que doivent assumer les Etats-Unis et de donc de leur mission de l’étendre aux
Etats qui n’en connaissent pas encore les bienfaits.
L’objet de cette thèse n’est pas de comprendre dans quelle mesure le contrôle du pétrole est
facteur de conflit, cela a été maintes fois démontré, mais bien de comprendre dans quelle
mesure l’exploration puis la découverte de pétrole accroît, aggrave et fait durer des conflits
préexistants à son arrivée. Les travaux de Paul Collier et Anke Hoeffler pour la Banque
mondiale « Greed and Grievance in Civil War » publié en 2003 et repris par d’autres
chercheurs comme Philippe Hugon (Hérodote, 3/2009) ont entre autres démontré à l’aide
d’une méthodologie économique quantitative que la présence de matières premières dans une
zone en conflit (en l’occurrence la plupart du temps les minerais comme en Sierra Leone et
Liberia) aggrave les situations car les matières premières permettent le financement de l’effort
de guerre1. Le cas de l’Angola est à cet égard parlant, les deux principaux partis pendant la
guerre civile entre 1975 et 2002 se sont chacun financés par une matière première, le MPLA
grâce au pétrole et l’UNITA grâce au diamant et parfois aussi le pétrole. Cependant, les
réflexions de Collier se sont bien davantage focalisées sur des pays miniers et non pétroliers.
C’est pourquoi l’étude de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Est que nous
réunissons ici sous la formule d’Afrique médiane2 est utile car si des conflits existaient dans
1 Les thèses de Collier ont été combattues pour leur simplification par Christine Messiant et Roland Marchal dans « De l'avidité des rebelles », Critique internationale 3/2002 (no 16), p. 58-69. Les deux chercheurs considèrent que le rapport de la Banque mondiale de Collier ne prend pas en compte les dynamiques politiques et sociales de chacun des conflits mentionnés. 2 Cette expression d’Afrique médiane a notamment été utilisée par Yves Lacoste dans la revue Hérodote en 1997 lors d’un numéro intitulé « Géopolitique d’une Afrique médiane » dont le but était d’étudier le rôle et l’influence des pays frontaliers- ou proches- sur la nouvelle République démocratique du Congo. Cette acception permet aussi bien de parler de l’Angola que de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi, Tanzanie mais aussi du Soudan.
18
ces deux zones avant l’arrivée du pétrole, cette matière première a eu ou pourrait avoir des
conséquences aggravantes. On se demande ainsi comment le facteur pétrole se greffe sur une
zone déjà conflictuelle.
Or le continent africain présente une particularité, très dangereuse dans le cas de l’exploitation
du pétrole: les frontières sont très souvent litigieuses car mal délimitées et imprécises,
héritage de partages coloniaux que les Etats africains lors de leur indépendance ont décidé
ensemble d’assumer. Or, si les imprécisions des traités coloniaux ou des balisages peuvent
être surmontées lorsque l’on parle de zones de pêche comme dans les Grands Lacs (Albert,
Edouard, Kivu, Tanganyika, Nyassa), l’exploration des hydrocarbures impose de délimiter ces
frontières au mètre près. C’est pourquoi la recherche de pétrole est souvent le début des
problèmes sérieux, la relative bienveillance passée se transforme vite en une franche hostilité
pour s’accaparer ce qui représente l’avenir économique d’un pays ou plutôt parfois d’un
régime. Les revenus pétroliers peuvent être l’opportunité de s’émanciper, de devenir
réellement indépendant pour certains pays africains, « abonnés » aux aides internationales du
FMI, de la Banque mondiale ou des bailleurs bilatéraux depuis l’indépendance. Le pétrole est
donc le moyen d’une réelle émancipation économique et donc politique pour les dirigeants
dans certaines conditions de gouvernance.
Si les conflits africains n’ont pour la plupart rien à voir avec le pétrole, le continent n’a pas
pour autant complètement été exempté de conflits liés à cette matière première. Ainsi, bien
que la présence de pétrole au Biafra (sud-est du Nigeria), où dans les guerres civiles en
Angola ou en République du Congo, n’ait pas été l’élément déclencheur, elle a néanmoins
renforcé le conflit en le prolongeant du fait de puissances extérieures avides de le contrôler
comme la France dans le cas du Biafra qui a pris le parti des indépendantistes. Le pétrole a pu
aussi être le moteur de financement du conflit comme pour l’Angola. Cependant, si ces
conflits feront l’objet de développements dans la première partie sur les menaces portant sur
la production d’hydrocarbures en Afrique, c’est bien davantage les conséquences des récentes
découvertes, notamment en termes de frontières, qui vont nous préoccuper ainsi que l’arrivée
de nouveaux acteurs (pays producteurs, compagnies venant de divers horizons). Ces acteurs
récents et les changements du secteur pétrolier en Afrique qu’ils accompagnent sont le cœur
de notre sujet.
Cette Afrique médiane -Grands Lacs et Afrique de l’Est- sera cependant scrutée avec
davantage de minutie. Dans ces deux grandes régions, l’exploitation ou l’exploration du
pétrole s’est superposée à des situations déjà conflictuelles. La République démocratique du
19
Congo, pays central de l’Afrique des Grands lacs, vit depuis une vingtaine d’années des
situations conflictuelles de différentes natures : dans l’est du pays des conflits ouverts armés
avec certains de ses voisins ou avec les milices congolaises que ceux-ci soutiennent, et des
situations que l’on pourrait qualifier post-conflictuelle sur le reste de son territoire. Cette
instabilité à l’est, mais aussi au sud est fortement entretenue par certains des pays voisins,
surtout l’Angola et le Rwanda (l’Ouganda dans une moindre mesure), afin que le grand
Congo (2,3 millions de km² et 70 million d’habitants) ne puisse pas profiter du produit de ses
immenses richesses naturelles et reste un Etat affaibli. Rappelons que ce pays a connu une
sorte d’âge d’or après l’indépendance le 30 juin 1960 où le cuivre ainsi que les autres
minerais lui permettaient d’être un centre de rayonnement régional voire continental au
niveau économique et culturel. Les élites de toute la région venaient se former dans les
universités à Kinshasa ou Lubumbashi comme les Angolais, Gabonais, Congolais de
Brazzaville etc…Or, comme nous allons le voir, l’un des moyens les plus efficaces
d’empêcher la République démocratique du Congo (RDC) de retrouver ce statut est de lui
piller ce qu’il a de plus précieux : ses matières premières.
On sait que la RDC a de nombreuses richesses minières, que l’on connait déjà depuis la
colonisation belge (fin du 19ème siècle-1960) et qui couvre la quasi-totalité de son territoire :
du cuivre dans le Katanga au sud, or et diamant dans la province Orientale au nord, au Kasaï
et dans le district de l’Ituri ainsi que coltan, cassitérite dans les provinces des Kivus (liste non
exhaustive). Seulement si les conséquences du pillage organisé par le Rwanda et l’Ouganda et
du pillage plus sournois, œuvre des fonctionnaires congolais ou hommes d’affaires congolais
avec des soutiens étrangers à l’est du territoire ou au sud en Zambie, ont été très précisément
étudiés par des rapports de l’ONU (notamment le Mapping de la décennie 1993/2003 sorti en
2010), des articles et ouvrages de chercheurs [Pourtier, 2003, Vircoulon, 2005, Deneault,
2008] et diplomates [Jacquemot, 2009], des rapports fréquents d’organisation non
gouvernementales (International Crisis Group, Human Rights Watch, Global Witness), les
conséquences de l’exploration et production pétrolière sont largement inconnues. Avant de
commencer cette recherche en 2007, seul un journaliste allemand Dominic Johnson avait
spécifiquement travaillé sur la question précise du pétrole dans la zone de l’Ituri au Congo et
de son implication dans les conflits locaux déjà préexistants qui avait donné lieu à un rapport
en 2002. Le reste de l’information disponible sur le pétrole dans cette région se trouvait
principalement dans la presse congolaise et ougandaise ainsi que dans les quelques rapports
d’activités des sociétés pétrolières Tullow et Heritage Oil, actives du côté ougandais du lac
Albert (l’autre partie appartenant au Congo). Avec l’importance des découvertes en Ouganda,
20
de l’ordre de 2,5 milliards de barils en 2012, et l’arrivée de nouvelles sociétés comme Total et
la compagnie chinoise CNOOC, l’intérêt pour cette zone s’est accru. Non seulement les
articles des journaux des pays concernés sont de plus en plus fréquents, (certains journalistes
à Kampala ne font désormais que couvrir le secteur pétrolier) mais les ONG commencent à
rédiger des rapports sur la question des contrats pétroliers (comme Platform) ou sur les
conséquences de l’exploration pétrolière. Ce dernier point a été abordé dans le premier
rapport écrit sur les conséquences de l’exploration au Congo en dehors de celui de Johnson, et
auquel j’ai grandement contribué, de l’International Crisis Group en 2012. L’accélération de
ces publications témoigne aussi d’une crainte de plus en plus prégnante de certains analystes
concernant l’est du Congo. Les minerais ont été et continuent d’être un facteur très important
du prolongement des conflits et de leur autofinancement dans cette région, validant une fois
de plus une partie des théories de Paul Collier sur les raisons des conflits et des guerres civiles
dans le monde. Le pétrole pourrait aussi être un facteur de déstabilisation supplémentaire dans
cette région qui subit depuis 20 ans les pires atrocités.
Durant ces cinq années de travail, mon objectif a été d’apporter des éléments de réponse à un
thème global qui est celui de la conflictualité de l’exploration et l’exploitation du pétrole et de
nous questionner sur les rivalités de pouvoir suscitées par cette matière première. J’ai choisi
de répondre plus précisément à cette question de la conflictualité de cette matière première
dans un cadre géopolitique d’abord large avec le continent africain puis à un niveau d’analyse
davantage circonscrit avec le cas particulier de l’Afrique médiane. La démarche géopolitique
est dans ce cas utile car elle permet de comprendre comment les différents acteurs congolais
(hommes politiques nationaux, cadres de la fonction publiques, conseillers du président,
dirigeants locaux comme les gouverneurs ou députés…) luttent pour s’approprier ces blocs
pétroliers congolais territorialement bien délimités. A un autre niveau d’analyse, plus grand, il
s’agit de comprendre comment les pays voisins s’ingèrent dans les affaires congolaises afin
d’empêcher le Congo de se développer, en matière pétrolière comme dans d’autres secteurs.
Même si le pétrole n’a pas encore été découvert dans cette zone est du Congo (les
explorations n’en sont qu’à leur début), les champs ougandais qui produiront vers 2016/2017
font déjà rêver. Cela impose de comprendre comment le secteur pétrolier congolais est
organisé, qui prend les décisions (l’un des objectifs les plus difficiles de ce travail) et quelles
sont les raisons qui poussent ces acteurs à les prendre? Ce travail impose de connaître au plus
près les acteurs congolais (ministres, conseillers, députés, cadres de la présidence, du
ministère des hydrocarbures, de l’environnement, de l’énergie).
21
Mais cette problématique ne peut se limiter au seul Congo, car ce dernier doit négocier avec
ses voisins pour développer ses ressources pétrolières potentielles. Celles situées à l’est de son
territoire sont en partie limitrophes des lacs partagés avec l’Ouganda, le Rwanda (pour le
méthane) et le Burundi/Tanzanie/Zambie pour le pétrole. Il s’est donc avéré nécessaire
d’étudier la politique pétrolière de ses différents pays en réservant une part beaucoup plus
importante à l’Ouganda, seul pays frontalier à avoir jusqu’alors fait des découvertes
pétrolières significatives depuis 2006. Une comparaison de ce secteur entre le Congo et
l’Ouganda sera donc l’objet de longues analyses. Mais l’étude de la gestion et gouvernance
par les gouvernements n’est pas suffisante pour ces bassins frontaliers. L’intérêt des pétroliers
pour ces zones partagées a entraîné de nombreuses tensions au sujet du tracé de ces frontières.
L’un des objectifs de cette recherche est de décrypter la relation entre le Congo et ses voisins
par l’intermédiaire d’un secteur précis qui est celui de la gestion des bassins partagés
pétroliers. En se focalisant sur ce sujet unique, il est plus aisé de comprendre comment
fonctionne les couples de présidents Kabila/Museveni, Kabila/Kagamé, Kabila/Kikwete. Du
côté Atlantique, la totale sujétion du président congolais Kabila à son homologue angolais
José Eduardo dos Santos sur la question pétrolière montre bien combien le Congo est encore
loin d’avoir recouvert sa souveraineté.
Si le cœur géographique du sujet est bien le Congo et ses voisins de l’est et de l’ouest, j’ai fait
le choix de faire une place importante dans ma réflexion à la problématique d’exportation du
brut. Car en effet, tous les producteurs de la région, ou ceux qui vont le devenir, doivent lutter
contre leur enclavement. Cet enjeu est valable pour l’est du Congo mais également pour
l’Ouganda et pour le Soudan du Sud. L’indépendance de ce dernier en juillet 2011, seule
puissance pétrolière actuelle de la région, change considérablement la donne. La relation
tendue que ce nouveau pays entretient avec le régime du président soudanais Omar el Béchir
entraîne le Soudan du Sud à regarder de plus en plus vers le sud et principalement vers
l’Ouganda et le Kenya afin d’exporter son brut, totalement arrêté suite à un nouveau conflit
avec son voisin historique du nord. Autrefois la totalité de son pétrole passait par Port-
Soudan, désormais, il faut soit trouver une solution de compromis avec le ministère du pétrole
à Khartoum (qu’on attend depuis 2010 et qui aurait été trouvée en août 2012) ou construire
d’autres infrastructures vers le sud. Mais en cas d’accord en 2012 entre les deux Soudan,
aucune certitude ne sera possible sur la durée de leur entente. Le passif est trop lourd. Le
Soudan du Sud fait les frais de sa géographie sans accès à la mer. Il est nécessaire de tenir
compte de ce nouveau pays dans l’analyse régionale et expliquer aussi comment le secteur
22
pétrolier depuis son commencement en 1999 s’est structuré autour de l’armée et des services
de renseignement au Soudan. Ce dernier est de plus dans une situation identique à celle du
Congo (en cas d’importantes découvertes), le pétrole est venu se rajouter à une situation déjà
conflictuelle. Analyser les similitudes et les différences entre les deux cas est intéressant dans
une démarche prospective pour le Congo. Les différents projets de tracés d’oléoducs
d’exportation des compagnies pétrolières, pour le pétrole ougandais et plus tard congolais et
peut être sud-soudanais se terminent au Kenya (Lamu ou Mombasa) ou en Tanzanie (Dar es
Salaam), il convient de comprendre quels sont les avantages et les enjeux de ces différents
tracés. Cela est d’autant plus intéressant à analyser que le Kenya a fait ses premières
découvertes pétrolières au début de l’année 2012 et va donc probablement rentrer dans le club
des producteurs à la fin de cette décennie. Dans la même problématique d’enclavement, il est
difficile de ne pas dire un mot sur le Mozambique qui a fait depuis 2010 des découvertes
gazières gigantesques. Seulement, le Mozambique qui est dépourvu de marché local et même
régional, doit réfléchir à l’exportation par liquéfaction et l’approvisionnement des pays
asiatiques. Notre sujet s’inscrit donc résolument dans l’Afrique des Grands Lacs mais aussi
dans l’Afrique de l’est, sans laquelle rien n’est possible en termes d’exportation et de marché.
Concernant le Congo et les problématiques avec ses voisins immédiats de l’Afrique des
Grands lacs, j’ai fait le choix de commencer l’analyse avec l’arrivée de Laurent Désiré Kabila
au pouvoir en 1997. Cette étude se termine avec les élections présidentielles de la fin 2011 au
Congo que je n’ai pas traité. En effet, pour ce sujet, les conséquences les plus intéressantes de
cette élection sont la formation des gouvernements (qui est intervenue seulement en avril
2012) et la nomination des cabinets et des nouvelles personnes influentes. Or, à l’écriture de
ces lignes, le nouveau gouvernement et principalement le ministère des hydrocarbures n’a pas
encore pris la moindre décision. C’est donc sous les présidences de Laurent mais
principalement Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001, que le secteur pétrolier sera étudié.
La relation du Congo avec les pays frontaliers sera également étudiée pendant les mandats de
la famille Kabila. Concernant l’Afrique de l’Est et son lien avec l’Afrique des Grands Lacs
pour l’exportation et la question de l’enclavement, dans une démarche d’ouverture et de
prospective, j’ai centré cette analyse sur les projets d’oléoducs vers le Kenya, sur les
négociations entre le Nord Soudan et le Soudan du Sud et les découvertes au Mozambique.
L’étude du secteur pétrolier s’est focalisée sur les acteurs politiques : des ministres, aux
conseillers du président, jusqu’aux députés nationaux et provinciaux des régions pétrolières,
les cadres de la fonction publique en charge du pétrole (au ministère de l’énergie, de
23
l’environnement ou des hydrocarbures) et évidemment sur les compagnies pétrolières privées
et publiques. Cela a été complété aussi par le travail des ONG et des représentants de la
société civile dans les zones d’exploration au Congo comme en Ouganda. Le jeu d’acteurs est
compliqué à comprendre au Congo car il a une résonnance éminemment géopolitique, les
différents protagonistes jouant une partition parfois très singulière pour leur rang (la
hiérarchie ne veut pas dire grand-chose au Congo, un ministre peut n’avoir aucun pouvoir) et
fonctionnant davantage en fonction d’intérêts liés à leur province d’origine ou de leur
proximité avec le chef. La dimension de sujétion à l’extérieur est également à prendre en
compte. Au sein du pouvoir congolais, il est nécessaire de savoir qui a des accointances avec
l’Angola, avec le Rwanda ou avec l’Ouganda. Les choix de politique nationale sont
intrinsèquement liés à l’influence de ces trois pays ayant des intérêts importants au Congo.
Cela explique d’avoir privilégié l’étude des lieux de pouvoir et d’avoir passé la plus grande
partie du temps des terrains d’enquêtes à tenter d’approcher puis de nouer des liens de
confiance avec ces personnes et acteurs de haut niveau, qui pour certains ne désirent pas
parler et sont difficiles à interroger.
Afin d’apporter des éléments de réponse à la problématique de la conflictualité pétrolière sur
des zones déjà instables, j’ai d’abord souhaité commencer par une partie introductive sur ce
qu’est le pétrole en Afrique. L’axe de cette première partie a été de privilégier les cas de
litiges en répondant à cette question, quelles sont les menaces qui pèsent sur la production
pétrolière et gazière africaine ? Le continent étant un formidable pourvoyeur d’énergie pour le
marché mondial, va-t-il continuer à le rester, malgré ses conflits multiples dans le delta du
Niger au Nigeria, les guerres civiles passées (Congo Brazzaville, Angola), les nationalismes
pétroliers conduisant à la baisse de la production (Algérie) ? De même, la multiplication des
conflits frontaliers liés à l’exploration de cette matière première, peuvent-ils dégénérés et
quels sont les moyens à la disposition des Etats pour les régler ? Enfin, la faible
consommation du continent et donc sa très grande capacité d’exportation (7 barils sur 10 sont
exportés hors de l’Afrique) représente-t-elle une tendance qui va durer ?
Cette première partie repose d’une part, sur les travaux de chercheurs qui se sont intéressés au
pétrole en Afrique mais surtout sur mes enquêtes de terrain depuis 2007 sur le continent
africain. D’abord dans le cadre du master où nous sommes restés plusieurs mois en
Mauritanie pour étudier les conséquences de l’exploitation pétrolière qui avait commencé en
février 2006, ensuite dans le cadre du doctorat où nous nous sommes rendus à nouveau en
Mauritanie, au Mali, au Sénégal pour l’exploration pétrolière, ainsi qu’au Ghana (producteur
24
depuis 2010), et bien évidemment en République démocratique du Congo et en Ouganda où
nous nous sommes rendus à de nombreuses reprises et en Afrique du Sud pour les multiples
sommets pétroliers. Ces terrains nous ont permis de rencontrer les acteurs de ce secteur ainsi
que de visiter les installations pétrolières notamment en Ouganda où nous avons pu nous
rendre aux abords du lac Albert (ce qui est désormais quasiment impossible pour les
chercheurs). Autre source majeure d’informations depuis l’été 2008, mon travail comme
principal rédacteur de la lettre d’informations Africa Energy Intelligence qui délivre toutes les
deux semaines le résultat d’investigations poussées sur les secteurs du pétrole, gaz et
électricité en Afrique. Cette fonction m’a permis grâce aux sommets pétroliers (très bons
moyens de rencontrer des cadres de pays marginaux dans le pétrole comme la Somalie, Sao
Tomé, la Gambie..) puis lors de très fréquentes entrevues privées, d’enrichir un réseau de
sources dans une trentaine de pays africains, notamment avec des cadres de ministères et
hommes politiques en charge des secteurs de l’énergie et du pétrole. Cette connaissance de
chacun des pays africains dans ces secteurs précis s’est avérée précieuse afin de brosser un
tableau le plus fidèle possible de la réalité car basée sur des entretiens très fréquents (plusieurs
par semaine pour certains pays) avec les fonctionnaires et hommes politiques qui prennent les
décisions dans leur pays. Ces conversations m’ont permis d’être en permanence en prise avec
le terrain. Je ne citerai que très rarement mes interlocuteurs, les conversations ayant été
acceptées quasiment à chaque fois en échange d’un anonymat total.
Ce réseau de sources fidèles ainsi que les nombreux voyages effectués pour Africa Energy
Intelligence ou dans le cadre du doctorat m’a aussi permis de rédiger les deux autres parties
de cette thèse sur lesquelles la littérature est peu prolifique. Notre deuxième partie sur la
gouvernance du pétrole au Congo et en Ouganda et sur les explorations en cours a été presque
entièrement basée sur des entretiens et l’observation sur le terrain. Certains cadres du secteur
ont parfois écrit de livres très intéressants en particulier en Ouganda comme l’ex responsable
du ministère de l’énergie en charge de l’exploration/production Reuben Kashambuzi, mais
leur diffusion ne dépasse pas le cadre du pays, se les procurer et apprendre même leur
existence a donc pris du temps. Le plus chronophage a été de comprendre qui a le pouvoir et
pourquoi les décisions dans le secteur pétrolier sont prises, en effet les titres officiels n’ont
que peu de valeur au Congo. L’Ouganda n’est d’ailleurs pas exempt non plus de ce type de
fonctionnement parallèle comme on le verra et ce, même si ses cadres pétroliers ont très
rapidement appris alors même que le pays n’a jamais rien produit, contrairement au Congo.
25
La troisième partie que nous avons rédigée sur les problèmes de bassin partagés entre
plusieurs pays et sur l’enclavement pétrolier de région en conflits: l’Afrique des Grands Lacs
et par extension de celui de l’Afrique de l’Est, a été aussi principalement traitée en nouant des
relations particulières avec des fonctionnaires, hommes politiques et militaires en Angola, au
Soudan et Soudan du Sud, au Kenya et en Tanzanie. Ces derniers s’ajoutant à ceux que nous
avions déjà au Congo et en Ouganda, dont l’aide a été une nouvelle fois précieuse et décisive.
26
Partie I : Le pétrole africain, un danger ou une chance
pour le marché mondial des hydrocarbures ?
27
Avant de nous appesantir plus avant sur la région des Grands lacs, cœur géographique de
notre recherche, et plus particulièrement sur la question de l'exploration/exploitation
pétrolière et gazière, il est indispensable de faire un point sur l'industrie pétrolière sur un plan
plus large, à l'échelle du continent africain. Sur ce sujet, nous ne partons pas de rien, beaucoup
de recherches ont donné lieu à la publication de travaux académiques ou d’ouvrages de
journalistes d’investigation. Cependant, cette ressource bibliographique est principalement
focalisée sur les producteurs anciens. Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux
conséquences de l'exploitation pétrolière dans un pays en particulier, thème plus
particulièrement étudié depuis les années 1990. On peut faire état de certains doctorats qui
sont encore fréquemment cités aujourd'hui, c'est le cas de celui de Douglas Yates sur le
Gabon « The Rentier State in Africa: Oil Rent Dependency and Neocolonialism in the
Republic of Gabon » soutenu en 1996. Yates y montre les effets pervers de la manne
pétrolière dans un pays qui n'a pas réussi à diversifier son économie et qui n'a eu que trois
présidents depuis l'indépendance en 1960 (deux seulement lors la rédaction de son doctorat).
On peut également citer le travail de Géraud Magrin sur « Le sud du Tchad en mutation. Des
champs de coton aux sirènes de l'or noir », soutenu en 2001. Magrin met l'accent sur les
mutations profondes d'une région autrefois agricole où la production de coton était importante
et sa lente transformation lors du développement de l'exploitation pétrolière, qui a commencé
en 2003. Il y a aussi les travaux de Nicolas Donner sur le thème « l'Exploitation pétrolière et
dynamiques géographiques dans les territoires insulaires du golfe de Guinée ». Ses articles
rendent compte de l’exploitation du pétrole en Guinée équatoriale et de l’exploration à Sao
Tomé et Principe3. Le pétrole en Guinée équatoriale qui est exploité depuis 1993 a permis
d’accentuer le pouvoir de son président Teodoro Obiang Nguema depuis 1979. Ce dernier a
ainsi trouvé les moyens de durcir son emprise sur un pays auparavant parmi les plus pauvres
du continent africain. Concernant le plus gros producteur africain, le Nigeria, la thèse de
Kathryn Nwajiaku « Oil politics and identity transformation in Nigeria: the case of the Ijaw of
the Niger Delta » soutenue en 2005 sur le groupe ethnique des Ijaw du delta du Niger a donné
un éclairage unique sur la stratégie d'un groupe ethnique dans l'appropriation d'une ressource
qui bouleverse son quotidien en terme environnemental et financier. Tous les moyens sont
mis en œuvre pour capter une partie des revenus grâce à la création d'Etat (comme Bayelsa
d'où vient l'actuel président du Nigeria Goodluck Jonathan) et de gouvernements locaux. Un
autre groupe ethnique dominant du delta du Niger, les Ibo, a été décrite par Philipe Sébille-
3 Nicolas Donner, « Notes sur la dimension immunitaire des enclaves pétrolières », EchoGéo [En ligne], numéro 17 ou du même auteur « The Myth of the Oil Curse: Exploitation and Diversion in Equatorial Guine »a, Afro-Hispanic Review, vol.28, n°2, 2009.
28
Lopez dans sa thèse « Géopolitique des hydrocarbures au Nigeria du plan mondial au plan
local » soutenue à l’Institut Français de Géopolitique en 2009. D’autres chercheurs ont
travaillé sur la question pétrolière d'un point de vue plus régional comme Ricardo Soares de
Oliveira avec le golfe de Guinée : « Oil and politics in the Gulf of Guinea », ouvrage paru en
2007 et directement inspiré de ces travaux de doctorat. Il y explique notamment combien les
pays de cette zone allant du Nigeria à l'Angola sont ultra dépendants de la manne pétrolière et
que cette dernière renforce les moyens de leurs dirigeants pour se maintenir au pouvoir. Deux
ouvrages de référence de journalistes d'investigation sortis en 2007 ont également beaucoup
apporté au sujet avec cette fois-ci une vision davantage continentale. C’est d'abord le cas du
livre de John Ghazvinian “Untapped, the scramble for Africa's oil” ainsi que de “Poisoned
Wells, the dirty politics of african oil” écrit par Nicholas Shaxson. Grâce à leurs nombreuses
enquêtes de terrains, ces deux auteurs ont permis une approche instructive et très détaillée des
conséquences du pétrole à l’échelle de l’Afrique. Ghazvinian est encore aujourd'hui l'un des
rares auteurs à avoir pu montrer la particularité et la spécificité de chacun des producteurs ou
futurs producteurs, grâce à des séjours sur place, y compris dans les zones difficiles (sud du
Soudan de l'époque, delta du Niger, Guinée équatoriale, Cabinda en Angola). Chacun de ces
pays est différent du fait de son histoire, de l'état de son administration après l'indépendance
(les colonies britanniques et françaises ont davantage fait participer "les locaux" à
l'administration contrairement aux colonies portugaises où ils en ont été davantage écartés4).
La spécificité géographique peut jouer également, Ghazvinian parle par exemple très
longuement de l'enclave de Cabinda qui appartient à l'Angola mais dont le territoire, riche en
brut, aiguise les tentations indépendantistes...
Citons également les travaux de l'économiste Duncan Clarke qui anime chaque année depuis
vingt ans le plus important sommet pétrolier du continent au Cap en Afrique du Sud, l'Africa
Oil Week. Clarke a fait paraître en 2008 un ouvrage sur l'histoire de l'exploration et la
production pétrolière « Crude continent, the struggle for Africa's oil prize ». Ce livre qui se
veut assez exhaustif est une sorte de tableau de la situation pétrolière actuelle du continent.
Clarke donne sa vision des compagnies pétrolières et de leur stratégie selon leur taille et leur
provenance. L’ouvrage est très instructif pour comprendre les différences et stratégies des
divers acteurs pétroliers. On compte aujourd’hui plus d’une centaine de sociétés pétrolières en
activité dans une quarantaine de pays africains.
4 Voir Ghazvinian ainsi que conversations personnels avec des cadres angolais et mozambicains de la fonction publique.
29
L'exploration et la future exploitation dans les Grands Lacs s'inscrivent dans un contexte bien
particulier, celui d'une Afrique où les producteurs sont déjà nombreux (19) et parfois très
anciens (fin des années 1950 pour le Nigeria, l'Algérie, le Gabon). Ils ont tous une histoire
particulière et un lien singulier avec le secteur pétrolier. Ce dernier peut être ultra dominant et
destructeur pour les autres secteurs économiques qui ont peu à peu dépéri, c'est le cas de la
plupart des Etats africains qui n'ont dans l'ensemble jamais réussi le pari de la diversification
économique avec un budget alimenté jusqu’à 80% par des recettes pétrolières (cas du Nigeria,
République du Congo et Gabon). Ce secteur peut-être également mineur ou représenter un
parmi d'autres: cas de l'Afrique du Sud, Mauritanie ou Tunisie par exemple, tous ces pays
consommant bien davantage que leur production. Dans ces derniers cas, il n'y a pas eu de
bouleversement, l'économie n'ayant pas été transformée après l'arrivée de cette ressource.
Evidemment, dans cette première partie, nous allons bien davantage nous concentrer sur le
premier cas des pays exportateurs d'hydrocarbures. La problématique de cette partie consiste à
se demander quelles sont les menaces qui pèsent sur la production de pétrole et de gaz du
continent africain, qui pourvoit à la production d'un baril sur huit consommés par l'économie
mondiale chaque jour ainsi que près de 11% des besoins en gaz. La thématique de la
production en zone de conflit, fil rouge de la démonstration de ce doctorat est applicable à de
nombreux producteurs africains. Cette conflictualité du pétrole n’implique pas que des Etats
soient toujours en guerre ouverte (cela a très rarement été le cas dans l’histoire pétrolière)
mais l’exploitation entraîne la multiplication de différends entre acteurs de différents niveaux.
Cette situation pétrolière nouvelle où le niveau des cours excitent les compagnies ainsi que les
responsables du secteur sur place seraient parfois en Afrique dans un environnement déjà
difficile voire en instabilité préexistante (nous le verrons avec l’Afrique des Grands lacs et
l’Afrique de l’est dans la deuxième et troisième partie). Les conflits actuels liés à
l’exploitation de cette ressource si spéciale sont bien évidemment de diverses natures. Les
hydrocarbures peuvent être la cause de litiges frontaliers entre Etats (Grands Lacs,
Nigeria/Cameroun etc…), la captation des revenus du pétrole peut aussi conduire à un jeu
violent entre acteurs locaux, régionaux et fédéraux ainsi qu’avec les compagnies comme au
Nigeria avec comme conséquence une atomisation du pouvoir ; le pétrole peut conduire au
renforcement du pouvoir de dirigeants autocrates comme en Guinée équatoriale (qui devienne
tout d’un coup fréquentable auprès des nouveaux clients : les Etats-Unis), l'arrivée de
nouveaux acteurs dans ce secteur comme les sociétés d’Etat asiatiques peut s’avérer aussi une
source de conflit avec les cadres nationaux du secteur comme ceux des ministères (Niger,
Tchad, Soudan/Soudan du Sud).
30
Les études récentes sur les nouvelles zones d'exploration et de futures exploitations sont loin
d'être légion. Hormis qui nous avons déjà cités, les doctorats et travaux académiques se
focalisent principalement sur les anciennes zones productrices comme le Gabon, le Nigeria,
l’Algérie qui produisent depuis la fin des années 1950. Et pourtant, la géopolitique pétrolière
et gazière du continent a beaucoup évolué ces dix dernières années.
A cela deux causes principales. La première est d’ordre économique : le marché pétrolier
mondial s'est métamorphosé depuis la fin des années 1990. En 1998, les cours étaient au plus
bas avec un baril à 10 dollars à peine. A partir de 1998, grâce au respect des quotas de
l'Organisation des pays explorateurs de pétrole (OPEP), le baril a fluctué entre 22 et 28
dollars. A partir de 2003, une nouvelle séquence économique s'ouvre. Grâce à une croissance
de la demande et de multiples conflits géopolitiques (Iran, Irak, Arabie Saoudite, Venezuela,
Nigeria, etc…), le baril est parti de 28,1 dollars en 2003 pour atteindre 36,5 dollars en 2004,
50,6 en 2005, 61,1 en 2006, 69,1 en 2007, 94,4 en 2008 (avec un pic historique à 147 dollars
le 11 juillet) avant de redescendre ponctuellement à 61,1 en 2009 et remonter finalement à 76
en 2010. Ces cours à la hausse ont eu comme principale conséquence de modifier en
profondeur la géopolitique des zones d'exploration dans le monde. Les budgets d'explorations
des sociétés pétrolières ont encouragé la recherche dans des bassins sédimentaires peu
connues et plus instables comme dans l’Afrique des Grands Lacs afin d'ouvrir de nouvelles
perspectives de découvertes.
La ruée spécifique sur le pétrole africain et donc de la conquête de zones particulièrement
difficiles est aussi la conséquence de la politique énergétique des Etats-Unis mise en place
après le 11 septembre 2001. Dans un souci de rééquilibrer la politique énergétique de son
pays, l'administration Bush, fortement poussée par le vice-président Dick Cheney, a misé sur
l'Afrique afin de moins dépendre du golfe Persique d’où venait la quasi-totalité des terroristes
du 11 septembre. Les prévisions du National Intelligence Council, indiquent que les Etats-
Unis (plus grand consommateur du monde) pourraient faire passer le volume de leur
importation africaine de 16% en 2001 à 25% d’ici à 2015. Cela laisse donc pour les
compagnies américaines et étrangères de grands espoirs d’achats de cargaison de la part des
Américains venant d’Afrique.
La conjugaison d’importants moyens financiers de la part des pétroliers et la nouvelle
importance géopolitique de l’Afrique pour les puissances comme les Etats-Unis entraînent
une multiplication des découvertes dans des zones considérées encore récemment par les
majors, comme marginales voire inintéressantes. C'est le cas de l'offshore ouest-africain allant
31
de la Guinée Conakry jusqu'au Ghana (en passant notamment par les très prometteurs Sierra
Leone et Liberia), de la bande sahélienne : de la Mauritanie au Soudan en passant par le Niger
et le Tchad, de l'Afrique des Grands Lacs (République démocratique du Congo, Ouganda,
Rwanda, Burundi) ou de l'offshore d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Mozambique). Ces
zones ne sont quasiment pas étudiées, elles requièrent donc qu'on y prête une attention toute
particulière dans cette première partie (l’Afrique de l’Est sera principalement couverte lors de
la 3ème partie). Hors de ces nouvelles zones sur lesquelles il faut s'appesantir, il semble utile de
revenir sur ce que représentent actuellement les producteurs historiques car ils comptent
toujours pour une part majoritaire du débit pétrolier et gazier du continent. Par historique,
nous faisons référence au Nigeria, Gabon, Angola, République du Congo, Algérie et Libye.
Mais au lieu de les traiter les uns après les autres, nous chercherons à chaque fois à mettre en
valeur un axe particulier afin de comprendre leur spécificité face à la problématique de fond :
produire en zone de conflit. Les conflits peuvent être localisés comme c'est le cas avec le delta
du Niger où des militants combattent l'Etat ainsi que les compagnies pétrolières. Cela peut
également être un conflit poussé par un nationalisme pétrolier fort qui met en danger la
production de long terme comme en Algérie, ou bien des conflits de frontières pour
l'appropriation des hydrocarbures (l'Afrique en connait ou en a connu de nombreux), ou
encore des conflits entre compagnies pétrolières. A ce titre, l’arrivée de la Chine est un
exemple intéressant, elle a pu être considérée comme un danger pour les major pétrolières
occidentales mais peu à peu, elle devient grâce à ces trois sociétés étatiques, un acteur
"presque" (elles opèrent encore dans des zones où les autres ne veulent plus aller) comme les
autres.
Si la géographie de l'exploration a changé, les acteurs pétroliers aussi se sont diversifiés. Les
majors occidentales sont toujours massivement sur le terrain africain depuis le début du 20ème
siècle. Elles continuent d'avoir un rôle clé pour mener des projets d'importance au Nigeria,
Angola, Algérie, Congo-Brazzaville, Gabon, et sont toujours largement les premiers
producteurs en volume sur le continent africain. Elles sont cependant rejointes depuis les
années 1980, par des sociétés intermédiaires qui ont un rôle de pionnier, elles prennent
d'avantage de risques dans leur stratégie que les firmes géantes. Cela peut d'ailleurs être
payant comme au Ghana et en Ouganda avec les découvertes de Tullow Oil. Ce type d'acteur
qui produit déjà, a de l'expertise et une importante surface financière (où au moins la
confiance des marchés pour lever des fonds) mais il ne peut entreprendre des projets
gigantesques à lui tout seul. Il doit se résoudre à travailler à un moment du développement de
son projet, en coopération avec des majors. Les sociétés intermédiaires sont elles-mêmes
32
rejointes par des compagnies nouvellement créées, qui ont parfois peu de moyen et peu
d'expertise. Ces sociétés spéculatives sont intéressantes car elles parviennent parfois à obtenir
de très bon permis d'exploration. Les majors ou groupes intermédiaires sont contraints de
négocier avec elles en cas de découvertes à proximité de leur blocs. Hors de la simple
question de la taille et de l'expertise des sociétés, la nationalité d'origine est importante à
analyser. Si jusqu'aux années 1980/90, les sociétés venaient quasi-exclusivement d'Occident
c'est-à-dire Etats-Unis, Canada, Europe et Australie, cela n'est plus du tout le cas aujourd'hui.
Les sociétés indiennes, chinoises, malaisiennes, coréennes, brésiliennes, argentines, et russes
ont pris une part considérable dans l'exploration du pétrole africain. Si c'est principalement les
sociétés étatiques de ces pays qui sont actives, ces Etats en très forte croissance économique
ont aussi des compagnies privées sur le continent. La présence chinoise doit encore être
cependant mise à part dans l'analyse. Les sociétés de ce pays, principalement publiques, ont
consenti des milliards de dollars d'investissement depuis le milieu des années 1990 et ont
permis à des pays comme le Soudan ou le Niger de devenir producteurs, alors même que le
potentiel de leur sous-sol était connu depuis longtemps, grâce aux majors occidentales.
Cependant, aucune de ces sociétés venant d'Europe et des Etats-Unis n'a voulu se lancer dans
le développement des gisements pour des questions de risques politiques ou et d'enclavement
géographique. Enfin, tous ces acteurs sont rejoints par l'entrée des sociétés africaines
nationales dans l'exploration dans leur pays d’origine, dans d'autres pays africains ou même
en dehors du continent (cas de la Sonangol angolaise présente en Iran, Irak et Venezuela ou de
la Sonatrach algérienne en Colombie). Des sociétés privées africaines se développent aussi
principalement au Nigeria avec des visées d’abord nationales puis régionales (cas d’Oando,
MRS ou de Taleveras), très actives en Afrique de l’Ouest.
33
Carte n°1a et 1b: Diversité des sociétés pétrolières actives en Afrique
Source : Sites internet des sociétés pétrolières mentionnées.
34
Sources : Sites internet des sociétés mentionnées.
Hors des compagnies pétrolières, un autre acteur a profondément changé en Afrique: l'Etat.
Avec dix-neuf producteurs de pétrole et neuf de gaz, ainsi que plus de quarante nations en
exploration, le continent africain est "cerné" par les opérateurs du secteur. La gouvernance
35
pétrolière est cependant très différente selon les pays. Cela vient principalement de la période
où la production a commencé. Au début des années 1950 par exemple, aucun de ces pays
n'étaient indépendants et l’organisation d'administrations en charge du secteur a pris du temps
à se former, voire n'a jamais réussir à se structurer. D’où une importante présidentialisation
des décisions. A l'opposé, on peut prendre le cas du Ghana où la production de pétrole n'a
commencé qu'en 2010. Ce pays a eu le loisir de s’inspirer des différents modèles de
gouvernance afin d'éviter certains contre-exemples. Le Ghana, ayant déjà un système
politique parmi les plus démocratiques en Afrique, a pu également profiter de l'aide
d'organismes tels que les bailleurs de fonds ou de la coopération norvégienne pour former ses
cadres à des pratiques optimales dans le secteur pétrolier.
Nous nous proposons de commencer cette partie par une étude globale de l'exploration et la
production en Afrique. Ce sera l'occasion de se pencher sur le poids du continent dans la
production et consommation mondiale ainsi que sur les espoirs de découvertes futures pour
répondre à l'accroissement de la demande. Les acteurs pétroliers sont très divers et leur poids
diplomatique et économique est loin d’être identique. Pour répondre à la problématique
centrale, de la production en zone de conflit, nous poursuivrons par l’étude des différentes
menaces qui ont pesé ou pèsent sur la production du continent, que cela soit lié à des conflits
de frontières (Ghana/Côte d’Ivoire) des conflits internes géopolitiques (delta du Niger au
Nigeria) ou des guerres civiles qui ont été permises, allongées et davantage meurtrière grâce
ou pour l’argent du pétrole (Congo-Brazzaville, Biafra, Angola). Nous ne prétendons pas que
le continent africain n’a que des producteurs pétroliers et gaziers en conflit, cependant, cette
ressource est aujourd’hui un puissant stimulateur de litige territorial et parfois légal, ainsi que
de violence. Cela s’explique par la puissance de la représentation du pétrole chez les élites
comme chez les populations. Il faut chercher à le contrôler à tout prix, y compris s’il ne nous
appartient pas. A ce titre, cette ressource représente une incarnation parfaite de l’étude
géopolitique : lutte de pouvoir sur ou pour le contrôle d’un territoire.
36
1 La production africaine d’hydrocarbures, des situations très diverses
1-1 Les producteurs de pétrole en Afrique
Avant de détailler les différences entre les Etats producteurs, analysons le tableau ci-dessous
qui regroupe le débit quotidien, les réserves et l'année de première production des nations
africaines.
Tableau n°1 : Les producteurs de pétrole africains en 2011
Production/Millions
barils par jour
(2011)
Reserves/milliards
de barils
Année du premier
baril exporté
Nigeria 2,4 37,2 1958
Angola 1,8 13,5 1959
Libye 1,6 46,4 1961
Algérie 1,8 12,2 1958
Egypte 0,7 4,5 1910
Soudan du Sud 0,35 6,7 1999
République du
Congo
0,29 1,9 1967
Guinée équatoriale 0,27 1,7 1993
Gabon 0,24 3,7 1957
Tchad 0,12 1,5 2003
Soudan (Khartoum) 0,1 1 à 2 1999
Ghana 0,8 1 à 2 2010
Tunisie 0,080 0,4
Cameroun 0,073 0,5 1977
Côte d’Ivoire 0,034 0,5 1982/
37
République
Démocratique du
Congo
0,025 0,5 1976
Niger 0,20 0,6 2011
Afrique du Sud 0,020 0,5
Mauritanie 0,008 0,2 2006
Total 10 132 /
Sources : BP Statistical Review of World Energy 2011/Benjamin Augé
38
Carte n°2: La production pétrolière africaine.
Sources : BP Statistical Review, Benjamin Augé
39
Au-delà des données déjà évoquées, le tableau 1 permet de donner une vision prospective
grâces aux flèches indiquant si la production des différents pays stagne, diminue ou s'accroît.
Cette carte permet de localiser tous les producteurs ainsi que de mesure leur importance. Il
n'est pas question ici de faire un développement sur chacun des producteurs mais d'expliquer
les grandes tendances en prenant quelques pays clés. La première remarque est que l'Afrique
compte pour près de 9,5% des réserves du monde en pétrole soit 132 des 1382 milliards de
barils actuellement mis à jour. C'est finalement assez peu. Ce pourcentage est à peu près le
même depuis trente ans. En 1980, le continent ne comptait que 53,4 milliards de barils de
réserve sur un volume global de 667. L'Afrique pesait alors 9% des réserves mondiales. On
peut en conclure qu’historiquement les découvertes sur le continent Africain se sont fait au
même rythme que celles dans les autres zones du globe car la part du continent n'a jamais
diminuée alors que les réserves mondiales ont été multipliées par deux. Cela démontre un
intérêt des compagnies pétrolières depuis fort longtemps pour l'Afrique : des moyens
importants y ont été investis. Ce que l'on voit aussi dans ce tableau et la carte, c'est la très
grande hétérogénéité des cas. Une multitude d'Etats produisent quelques dizaines de milliers
de barils par jour et seuls quatre sont au-dessus d'un million de barils par jour : Nigeria,
Angola, Algérie, Libye.
Les piliers pétroliers
Les deux piliers pétroliers africains devraient rester la Libye et le Nigeria. A eux deux, ils
renferment les 2/3 des réserves totales de pétrole avec 83 sur 132 milliards de barils. L'Angola
arrive en troisième position et peut, grâce à ses découvertes récentes, monter sensiblement,
sans toutefois espérer rejoindre la Libye ni le Nigeria dans le court et moyen terme. Ces deux
derniers produisent d'ailleurs assez peu compte tenu de leur réserve. Pour le Nigeria, les défis
sécuritaires dans la région de production, le delta du Niger, expliquent largement ce débit
assez bas (2,4 millions b/j), la Libye a quant à elle souffert des embargos américains des
années 1980 à 2004 et sanctions onusiennes entre 1993 et 1999. Dans le cas nigérian, la
sécurité est loin d'être rétablie (nous y reviendrons plus tard), et pour la Libye, plus aucune
sanction n'est en place mais les défis des nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir à la chute
de Mouammar Kadhafi en octobre 2011 sont immenses et il est difficile de se prononcer si tôt
sur sa politique pétrolière. Ces deux pays peuvent être considérés comme l'Arabie Saoudite et
l'Iran d'Afrique et ils seront probablement les derniers à produire sur le continent. Des
découvertes importantes sont évidemment à prévoir ailleurs encore, mais elles ne permettront
probablement pas de rivaliser avec celles des deux géants. De plus, les réserves nigérianes et
40
libyennes ne sont pas non plus vouées à rester au même niveau. Si l'onshore du Nigeria est
assez bien radiographié, des milliers de forage depuis les années 1950 ont été effectués, des
découvertes sont encore possibles dans l'offshore profond permettant d'accroitre encore les
réserves. La croissance de la production dépend de la sécurité mais atteindre 3 voire 4
millions de b/j serait tout à fait faisable en cas de longue période de calme dans le Delta (zone
de production). Quant à la Libye, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, seule une
petite partie de son territoire est en production, et son territoire est loin d’avoir été entièrement
radiographié.
41
Carte n°3: Pétrole et gaz en Libye.
Source : African Energy, n°206, 1 avril 2011/Benjamin Augé
Hors de la zone ouest, l'offshore libyen est encore assez mal connu. Des blocs ont été attribués
notamment à des sociétés occidentales après 2004 mais davantage de temps est nécessaire
pour avoir une vision du potentiel des eaux territoriales libyennes. Actuellement une très
42
faible part de la production provient de l'offshore du pays. De même, les régions sahéliennes
les plus lointaines de la côte, frontalières avec le Tchad et le Soudan, sont également mal
connues. La Libye a besoin d'investissements lourds sur le long terme pour mettre en
production ce qui a été déjà découvert et améliorer le taux de récupération5. Son cas est à
rapprocher de celui de l'Irak avant la guerre de 2003. Les découvertes étaient déjà immenses
mais le manque d'investissements et l'usage de technologie vieillissante faisaient stagner la
production aux alentours des 2 millions de b/j alors que les réserves étaient de 115 milliards
de barils6. Avant la chute de Kadhafi en 2011, la production libyenne était aux alentours de
1,6 million b/j, mais en 1970, alors que les découvertes étaient beaucoup moins importantes
qu'aujourd'hui, la production atteignait 3,3 millions de b/j7.
Revenons à nouveau au tableau 1, en particulier sur le cas du potentiel de l'Angola. La guerre
civile de 1974 à 2002 a lourdement pénalisé ce pays. La mort de Jonas Savimbi en 2002, le
chef de d'un des deux mouvements l'UNITA, a d'ailleurs coïncidé avec le début d'une
croissance rapide de la production, passé de 740 000 b/j à 1,8 million en l'espace de huit ans.
Les découvertes en offshore très profond vont faire croitre la production du pays au-delà des 2
millions de barils d'ici à 2014. Les mises en développement des seuls projets de Total dans le
bloc 17 (voir carte ci-dessous) se succèdent rapidement : Girassol (240 000 b/j) en 2001,
Dalia (250 000 b/j) en 2006 Pazflor (220 000 b/j) le 22 novembre 2011, CLOV (160 000 b/j)
en 2014.
5 Le taux de récupération correspond au pourcentage d'huile que la société opératrice peut effectivement extraire de la poche pétrolière. Ce taux est en moyenne entre 30 et 40% dans le monde. Cependant, il peut descendre en cas d'utilisation de technique ancienne. La Libye du fait des embargos et du manque de pièces de rechange a dû se débrouiller avec peu de moyen : les taux de récupération sont assez faibles sur la plupart des champs. 6 BP Statistical Review of World Energy, 2011. 7 BP Statistical Review of World Energy, 2010.
43
Carte n°4 : Les blocs pétroliers en Angola
Source : Benjamin Augé, sites internet Total et Sonangol
44
Cette carte montre que la plupart des zones en production sont dans l’offshore mais qu’une
très faible partie des eaux territoriales du pays est encore en exploitation.
Outre ces trois cas particuliers dont les réserves et la production devraient mécaniquement
s'accroître dans les prochaines années, sauf en cas de problème géopolitique, dont on parlera
plus tard, d'autres pays peuvent voir leur production s'accélérer également. C'est d'abord le cas
du République du Congo (Brazzaville). Cette dernière a vu sa production doubler entre 1990
et 2010, passant de 150 000 à 292 000 b/j. Plusieurs projets sont actuellement en
développement et devraient permettre au pays de stabiliser voire d’accroître le débit actuel.
Les deux nouveaux producteurs, à savoir le Ghana en 2010 et le Niger en 2011 vont
également voir leur production s’apprécier. De 80 000 b/j en 2012, on peut estimer qu'avec les
découvertes déjà effectuées, la production ghanéenne pourra atteindre autour de 200 000 b/j
au milieu à la fin de cette décennie. Quant au Niger, la production actuelle:20 000 b/j, sert
uniquement à l'approvisionnement d'une raffinerie à Zinder (deuxième plus grande ville du
pays), l'excédent venant des champs du permis d'Agadem devrait être exporté par le Tchad et
la Cameroun d'ici à 2 ou 3 ans8. Les nigériens du ministère du pétrole comptent atteindre entre
60 et 100 000 b/j d’ici à la fin de la décennie. Enfin, l'arrivée de l'Ouganda dans le club des
producteurs d'ici à 2016/2017 (voir partie II) permettra vers 2020 d'atteindre un plateau de
250 000 b/j supplémentaires en faveur du continent. Ce dernier est un bon exemple de
découverte récente significative. Près de 2,5 milliards de barils ont été découverts dans une
zone autrefois totalement oubliée des majors qui n'y ont jamais vraiment cru.
Les pays pétroliers en stagnation
Outre la bonne situation de certains producteurs pétroliers anciens, et l'arrivée de nouveaux
avec des gisements de taille conséquente, d'autres cas africains ont un avenir beaucoup moins
optimiste. C’est d’abord le cas du Gabon: en 2010, ce pays produisait une moyenne de 245
000 b/j alors qu'au pic de sa production en 1996, il atteignait 356 000 b/j. Cette baisse de
volume risque de se poursuivre, une grande partie de ses champs sont matures et ont
désormais une durée de vie comptée. Dès 2010, le Gabon a lancé des discussions pour
octroyer des licences en offshore très profond mais à la mi-2012, aucune société n'avait
encore signé le moindre contrat ferme. La raison majeure réside dans la profondeur d'eau de
cette zone, entre 2000 et 3000 mètres. Cette particularité nécessite l'intérêt des majors, seul
type de sociétés capables technologiquement et financièrement de mener des explorations
8 Africa Energy Intelligence, n°643, 12 janvier 2011.
45
dans ce genre de conditions extrêmes. Or actuellement, à l’exception de quelques sociétés
d’Etats asiatiques, elles ne se sont pas vraiment mobilisées pour venir négocier à Libreville.
L’intérêt du Gabon pour les pétroliers réside dans le fait qu'il consomme très peu de brut, soit
13 000 b/j, du fait de sa très faible population : 1,7 million d’habitants. Il peut donc exporter
plus de 80% de sa production, même si celle-ci est déclinante. L’une des autres particularités
peu appréciée du Gabon du point de vue des compagnies étrangères, réside dans ses syndicats
pétroliers. Le plus puissant d'entre eux, l'Organisation nationale des employés du pétrole
(ONEP) peut entrainer des grèves qui se terminent parfois par l'arrêt de la production (cas en
avril 2011). Il réclame des augmentations de salaire ou comme plus récemment, l'expulsion
des salariés étrangers pour réattribuer des emplois aux locaux. Le Gabon est déjà le pays
africain avec la législation la plus sévère à ce sujet : plus de 90% des emplois du secteur
doivent être occupés par des Gabonais. Ces dispositions datant de 1968 et 1975 n'ont pourtant
jamais été appliquées à la lettre, au plus grand plaisir des sociétés pétrolières. Selon le dernier
recensement de novembre 2011 que nous avons pu obtenir auprès de l'ONEP, sur 9 000
salariés, 2 888 sont étrangers. Or ce n'est pas principalement les postes d'expatriés venant
d'Europe et des Etats-Unis qui sont visés par ces revendications mais bien davantage des
postes non qualifiés occupés par des Africains, le plus souvent venant du Cameroun ou du
Congo. Les pays frontaliers avec le Gabon ont une main d'œuvre abondante qui accepte des
salaires très bas, en tout cas moins élevés que si ces emplois étaient proposés à des Gabonais.
L'ONEP lutte pour que ces emplois, peu qualifiés, soient réservés aux seuls Gabonais. Cela
risque mécaniquement d’accroître la masse salariale au grand dam des sociétés pétrolières.
Les multiples grèves orchestrées par l'ONEP depuis le début de l'année 2011 ont en tout cas
forcé le président gabonais Ali Bongo à durcir les procédures de visa pour les étrangers. Cette
puissance de l’ONEP a entraîné plusieurs compagnies à se détourner du pays9.
Dans la même région en Afrique centrale, le cas du Cameroun est également inquiétant.
Produisant, en 1985, 181 000 b/j, il plafonnait en 2010 à seulement 73 000 b/j. Le manque
d'opportunité et de champs porteurs a même conduit en 2010 Total à quitter le pays, la major
a vendu la totalité de ses actifs à la petite société familiale française Perenco10. Le pays
compte actuellement sur les explorations sur la péninsule de Bakassi que le Nigeria lui a
officiellement rétrocédé en 2008. Cette zone frontalière avec le Nigeria pourrait regorger de
pétrole, mais cela prendra beaucoup de temps afin déterminer les éventuelles réserves car
9 Conversations privées avec plusieurs d’entre eux en Afrique du Sud. 10 Africa Energy Intelligence, n°640, 24 décembre 2010. L'histoire et le parcours de la société Perenco seront décrits lors de la deuxième partie sur l'Afrique des Grands lacs.
46
l'appel d'offres lancé en 2010 vient seulement de conduire à la signature d’un premier contrat
en mai 2012 avec Dana Petroleum (rachetée en 2010 par la société d’Etat coréenne KNOC).
Un autre cas de producteur en chute libre est celui de l'Egypte. Ce dernier produisait 924 000
b/j en 1994 et se retrouve désormais avec un débit de seulement 735 000 b/j (entièrement
consommé pour les besoins locaux d'ailleurs). On verra qu'en matière de gaz les opportunités
sont encore possibles, mais concernant la production pétrolière, les chances de succès pour
redresser la barre semblent très réduites. Des découvertes sont toujours effectuées dans le
golfe de Suez, la péninsule du Sinaï et les zones désertiques mais celles-ci couvriront au
mieux les baisses des champs déjà en exploitation.
L'Algérie est également un cas préoccupant. Etant l'un des quatre plus importants producteurs
du continent et le plus ancien d'entre eux (hors de l'Egypte), l'Algérie a une longue histoire
pétrolière. Cependant, depuis 2004, la production diminue pour des questions majoritairement
liées au régime fiscal influencé par un nationalisme pétrolier assez fort. La loi pétrolière de
2005, amendée en 2006 a en effet obligé la société nationale Sonatrach à prendre 51% de tous
les champs du pays. Cela implique que les compagnies étrangères ne peuvent obtenir au
mieux que 49% des permis, en cas de succès lors d'un appel d'offres11. Cette mesure a conduit
à un important désinvestissement des sociétés déjà présentes dans le pays et un ralentissement
des arrivées de nouveaux pétroliers. Outre cette question de participation, les sociétés
pétrolières qui produisent en Algérie doivent depuis cette nouvelle loi, s'acquitter de 50% de
taxe sur leurs bénéfices exceptionnels lorsque le prix du baril dépasse les 30 dollars (ce qui est
chaque année le cas depuis 2003). Les sociétés étrangères engagées dans le pays n'investissent
pas autant qu'elles le souhaiteraient du fait de la part imposée pour la Sonatrach, et très peu de
nouvelles compagnies rentrent dans l'exploration. La conséquence est immédiate, la
production pétrolière est passée de 2 millions b/j à 1,8 alors que la consommation, à l'inverse,
passait de 250 000 b/j à 327 000. De même pour le débit gazier, entre 2005 et 2011, il est
passé de 88,2 milliards m3 à 78, alors que dans le même temps la consommation a crû de 23,2
à 28,9 milliards m3. De plus, les trois derniers appels d'offres lancés depuis 2006 ont été des
échecs. Le dernier, datant de mars 2011, a donné lieu à seulement quatre offres pour 10 blocs
proposés. Or, la situation est périlleuse. Engagée dans de nouveaux projets de livraison pour
le gazoduc Medgaz (8 milliards de mètres cubes), et bientôt peut-être pour Galsi (8 milliards
m3) dont nous allons parler plus en détails, l'Algérie sera prochainement dans l'impossibilité
d'honorer ses promesses de livraison du fait de la stagnation des productions gazière et
11 KPMG, Algeria hydrocarbon guide, 2007.
47
pétrolière et de la croissance de sa consommation. Les résultats de ces trois derniers appels
d'offres sont loin d'être anecdotiques. Ils conditionnent le futur pétrolier et donc économique
du pays car sans nouvelle exploration, il est à prévoir que la production continue à diminuer.
Le cas de la Mauritanie est beaucoup moins crucial, en termes de poids pétrolier, que les
précédents. Seulement, il est symptomatique de la difficulté qu'ont les géologues, même s'ils
appartiennent à de grandes sociétés, de prévoir la production future de gisements
nouvellement découverts. La firme australienne Woodside qui a mis à jour le gisement de
Chinguetti à 70 kilomètres des côtes en 2001 avait prévu une production de 75 000 b/j.
Seulement, lors de son lancement en février 2006, le champ n'a jamais dépassé les 40 000 b/j
et son débit est très vite tombé en dessous des 10 000 b/j12. Début 2012, il plafonne à 7000 b/j.
Les autres découvertes n'ont toujours pas été mises en développement. Seulement, le pays n'a
jamais vraiment contribué à une part importante du volume pétrolier produit sur le continent.
La Mauritanie reste cependant une déception.
1-2 Les producteurs de gaz en Afrique
Les importantes nations gazières en Afrique sont assez peu nombreuses, comparés aux acteurs
du secteur pétrolier. Cinq pays : l'Algérie, l'Egypte, le Nigeria, la Libye et la Guinée
équatoriale représentent 80% du débit gazier africain. Or, s'il y a d'autres producteurs, c'est
uniquement ces cinq derniers qui exportent une partie de leur production. Les autres
consomment la quasi-totalité de leur production pour assouvir leurs propres besoins
énergétiques. Le tableau 2 ci-dessous montre le poids des principaux producteurs gaziers.
12 Voir Benjamin Augé, 2007. "Les Enjeux géopolitiques du pétrole en République islamique de Mauritanie". Mémoire de master 2, Université Paris 8, Saint-Denis.
48
Tableau n°2: Les producteurs africains de gaz
Production/Milliard
de mètres cubes en
2010
Reserves/Trillion
pieds cubes
Première
année de
production.
Algérie 80.4 159,4 60'
Egypte 61.3 78 60'
Libye 15.8 54,7 1971
Nigeria 33.6 186,9 60'
Les autres
(Principalement
Guinée
équatoriale,
Tunisie,
Tanzanie,
Mozambique,
Afrique du
Sud)
17.8 45 /
Sources: BP Statistical Review of world Energy 2011, Benjamin Augé
49
Carte n°5 : La production gazière en Afrique
Sources : BP Statistical Review, Benjamin Augé
Ce tableau et cette carte montrent la grande prééminence de l'Algérie et du Nigeria qui
devraient rester de par leurs réserves respectives les grands producteurs du continent. Et
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pourtant ces deux cas sont très différents du fait du mode d'exportation de leur gaz. L'Algérie,
tout comme la Libye et l'Egypte exportent en grande partie par l'intermédiaire de gazoducs
vers l'Europe et le Moyen Orient pour l'Egypte (Israël et Jordanie). Quant au Nigeria et la
Guinée équatoriale, au regard de leur position géographique, loin des marché de
consommation, c'est uniquement par l'intermédiaire de gaz liquéfié que leur production est
exportée vers les Etats-Unis et l'Europe.
Les exportateurs de gaz
La carte ci-dessous montre l'importance pour l'Union européenne du gaz venant des pays du
Maghreb.
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Carte n°6 : Gazoducs existants et en projet entre le Maghreb et l'Europe
Source : Benjamin Augé/ Rapport Penspen.
Nous pouvons voir que trois gazoducs relient l'Algérie à l'Europe. D'abord deux via l'Espagne
(Medgaz en bleu et Maghreb/Europe en jaune) et un via la Sicile (TransMed en violet). Le
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Maghreb/Europe a été mis en service en 1996 et transporte 12 milliards de mètres cubes par
an. Quant au Medgaz, il envoie 8 milliards de mètres cubes depuis le 1 mars 2011. Le
Maghreb Europe n'est pas le premier gazoduc à avoir relié les deux rives de la méditerranée.
Le premier, le Transmed (appelé également Enrico Mattei en mémoire au fondateur de la
société pétrolière italienne ENI) a été inauguré dès 1994. Il transporte quelque 30 milliards de
mètres cubes par an, pompés pour l'essentiel dans le méga champ d'Hassi R'mel, en plein
désert algérien. La Libye n'a actuellement qu'un seul gazoduc pour exporter son gaz, le
Greenstream, en fonctionnement depuis octobre 2004. Il approvisionne l'Italie à hauteur de 11
milliards de mètres cubes. Les autres gazoducs représentés sur la carte, le Galsi (Orange) et le
Trans Saharan Gas Pipeline (jaune) ne sont encore qu'à l'état de projet. Le Galsi semble faire
consensus auprès des autorités italiennes ainsi que françaises (il passerait par la Corse13). C'est
désormais davantage un problème de capacité de production de la part de l'Algérie qui
pourrait éventuellement poser problème. Sa mise en fonctionnement théorique en 2014 sera
probablement repoussée au-delà de 2016.
Quant au gazoduc transsaharien (en rouge), le projet est beaucoup plus incertain. Le Trans
Saharan Gas Pipeline (TSGP) partirait de Warri dans le delta du Niger au Nigeria puis
passerait par Kano au Nord du pays, puis Agadez au Niger avant de rejoindre Hassi R'mel en
Algérie. De plus, les autorités maliennes ont poussé pour que le gazoduc passe aussi par son
territoire (voir carte précédente). L'Autorité pour la promotion de la recherche pétrolière au
Mali (Aurep) a commandé en septembre 2009 un rapport de préfaisabilité à la compagnie
canadienne ERCO Worldwide qui a dû se prononcer sur deux questions concernant ce
gazoduc. D'abord, le TSGP peut-il être plus économique en passant par le territoire malien ?
Et les connaissances géologiques actuelles des blocs du pays permettent-elles d'être optimiste
concernant un éventuel approvisionnement du TSGP ? Une hypothèse très improbable au vu
de la faiblesse actuelle des recherches14. Des émissaires maliens ont tout de même rencontré
les autorités nigérianes et algériennes à ce sujet 2010 en et 201115.
Les réserves gazières non exploitées sont importantes dans le Delta, mais c'est davantage les
instabilités multiples le long du tracé qui minent le TSGP. En dehors de l'instabilité de la
région du delta du Niger d'où proviendrait l'essentiel du volume de gaz, le tracé proposé par le
13 Le 2 février 2010, le président Français s'est rendu en Corse où il a déclaré que le gazoduc Galsi passerait bien par cette île. Le surcout de ce détour est estimé à 285 millions d'euros mais il semble nécessaire au plan local car les centrales au fuel en Corse sont très polluantes. Source : Africa Energy Intelligence, n°622, 17 février 2010. 14 Africa Energy Intelligence, n°615, 4 novembre 2009. 15 Africa Energy Intelligence, n°621, 627, 632, 650.
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cabinet Penspen16 va devoir emprunter des zones très difficilement contrôlables du fait de leur
très faible densité de population en particulier au Niger et en Algérie. Plusieurs menaces sont
à prendre en considération : les Touaregs du Niger et du Mali dont une partie qui étaient au
service de Mouammar Kadhafi sont revenus dans leur pays d'origine. Au Mali, ces derniers
ont créé fin 2011, l'organisation indépendantiste le Mouvement National de libération de
l'Azawad (MNLA). Le MNLA est à prendre au sérieux car ses membres se sont approprié une
partie des stocks d'armes de l'ancien guide Libyen. Ce mouvement ainsi que d’autres
représentants des Touaregs pourraient très bien causer des troubles pour le fonctionnement
d’un tel gazoduc si stratégique. Au début 2012, le MNLA avait, avec d’autres groupements à
tendance islamistes comme Ansar Dine et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et je djihad en
Afrique de l’Ouest) un contrôle total sur la zone nord du Mali appelée Azawad17. Tant que la
situation ne sera pas reprise en main par une armée malienne bien en peine, avec le concours
des armées de la CEDEAO18 (en particulier du Nigeria), le TSGP restera à l’état de projet. Ce
gazoduc restera un objectif très facile de faire sauter de par sa longueur soit 3841 kilomètres
(1000 au Nigeria, 841 km au Niger puis l’Algérie sur près de 2000 km pour rejoindre le nœud
gazier de Hassi R’mel). L'autre menace dans la région vient de l'ancien Groupe pour la
prédication et le combat (GSPC), devenu en 2007 Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI).
Ses membres agissent, par l'intermédiaire d'enlèvement notamment depuis 2007 en
Mauritanie, Mali et Niger. AQMI a d’ailleurs renforcé les groupes islamiques du nord du
Mali. Enfin la dernière menace est celle de Boko Haram. Ce mouvement islamiste né au début
des années 2000 dans l'Etat de Borno au nord-est du Nigeria veut imposer une application
stricte de la Sharia. La répression brutale de ses membres et la mort de son leader historique
Mohamed Yusuf en 2009 suite aux actions des forces armées nigérianes a conduit à une
radicalisation du mouvement en 2010/2011. Grâce au financement de leur action par certaines
élites nordistes, écartées des postes fédéraux à responsabilité depuis l'arrivée du président
Goodluck Jonathan19 en 2010, Boko Haram est passé à une phase d'attentats suicides et de
16 Cette société britannique ainsi qu'IPA Energy ont été mandatées par le Nigeria et l'Algérie pour proposer un tracé ainsi qu'une étude de faisabilité économique et technique sur le TSGP. Le premier rapport de faisabilité a été rendu en mai 2006, les deux cabinets assurent que le projet est viable économiquement ainsi que techniquement faisable. Benjamin Augé, Les nouveaux enjeux pétroliers de la zone saharienne, Hérodote, n°142, 2011. 17 A l’écriture de ces lignes, c’est davantage les groupes islamiques qui avaient repris la main dans l’Azawad, laissant le MNLA sans réel pouvoir. 18 Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 19 Goodluck Jonathan est le premier président nigérian issu de la région du delta du Niger (Etat de Bayelsa). Il a d'abord, en tant que vice-président, remplacé en février 2010 son prédécesseur, Umaru Yar'Adua, gravement malade. Puis, Jonathan a été élu en avril 2011 président plénipotentiaire. Les élites du Nord, habitués à obtenir la plupart des postes importants de la fédération, moyens d'avoir accès à d'importantes mannes financières se sont alors sentis écartés et ont appuyé Boko Haram pour redonner des moyens au Nord. Cette explication politique et
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pose de bombes. Les plus spectaculaires manifestations de ce nouveau mode de
fonctionnement sont l'attentat contre le siège des Nations Unies à Abuja où 18 personnes ont
péri le 26 août 2011 et l'explosion de plusieurs églises le 25 décembre 2011 à Damaturu (Etat
nordiste de Yobe) où 130 personnes sont décédées. Ce groupe, possède des militants dans la
plupart des Etats nordistes et en particulier dans celui de Kano où passerait précisément le
TSGP. Le 20 janvier 2012, des attaques coordonnées dans divers postes de police de la ville
de Kano ont fait 180 victimes dont 150 civils. Tant que cette menace n'est pas écartée, il est
très difficile d'envisager le passage du TSGP par l'Etat de Kano. Une autre des difficultés de
ce gazoduc est économique. Son coût qui oscille entre 10 et 21 milliards dollars selon les
sources compliquent considérablement sa faisabilité. Actuellement, aucune société privée ne
veut mettre les moyens pour financer un tel ouvrage dans une zone si instable. C'est la raison
pour laquelle, plusieurs nouveaux projets d'usine de liquéfaction du gaz (LNG) dans le delta
du Niger ou en Guinée équatoriale sont peu à peu en train de se monter20. Cela n'est pas
beaucoup plus onéreux et surtout cette méthode représente un investissement beaucoup plus
sûr pour les pétroliers.
L'Egypte exporte également son gaz par l'intermédiaire de gazoduc vers Israël21 et la Jordanie.
Seulement les ¾ de ses 42.5 milliards de pieds cubes par jour sur 61,3 sont consommés
localement. Le pays devrait réduire ses exportations à mesure que sa demande interne en
électricité augmente. Les potentielles découvertes dans la région du delta du Nil et dans les
régions désertiques, entrainent les principaux producteurs du pays : BG, ENI, Apache, Dana
Petroleum à être cependant optimistes. Il ne faudra pas compter sur l'Egypte dans un futur
proche pour satisfaire une partie des besoins du marché méditerranéen. Ce rôle sera repris par
Israël à l'horizon 2017/2020 grâce aux champs de Léviathan, Dalit, et Tamar (qui produira dès
2013.
économique de l'émergence violente de Boko Haram est partagée par le National Security Adviser du Nigeria, le général Azazi (principal conseiller sur président sur les questions de sécurité) rencontré en mars 2012 à Bruxelles. Le général Azazi venant du même Etat que le président, celui de Bayelsa dans le delta du Niger a d’ailleurs été remplacé en juin 2012 par Sambo Dasuki venant de Sokoto à l’extrême nord-ouest. 20 On peut citer Brass LNG, dans l'Etat de Bayelsa, dont la décision finale d'investissement devrait être prise en 2012. Cela permettra de produire quelque 5 millions de tonnes de LNG supplémentaires par an. 21 Israël devrait acheter de moins en moins de gaz à son voisin du fait des très importantes découvertes réalisées depuis 2010 dans son offshore. Le champ géant de Léviathan découvert en 2010 par la firme américaine Noble Energy recèle près de 17 trillion de pieds cubes. Cela ferait d'Israël à terme, un pays indépendant pour son électricité. Lorsque Léviathan sera mis en production vers 2015, le pays aura également des capacités excédentaires afin d'exporter une partie de son gaz (on parle d’un gazoduc passant par Chypre qui a aussi découvert du gaz vers l’Europe par la Grèce). Israël a déjà un champ gazier en production depuis 2004 : Mari-B. La découverte de Léviathan fait suite à celle de Tamar en 2009 (9 trillion de pieds cubes) qui devrait produire en 2012/2013.
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Le dernier cas d'utilisation de gazoduc pour l'exportation est le Mozambique. Depuis 2004, la
totalité de la production des champs de Pande et Tamane dans le sud du pays est envoyée
directement en Afrique du Sud pour approvisionner l'usine de Secunda. Cette dernière opérée
par la société sud-africaine Sasol transforme le charbon en essence selon le procédé Fischer–
Tropsch inventé par les Allemands et mis en pratique durant la deuxième guerre mondiale.
Les autres pays exportateurs utilisent uniquement des terminaux de liquéfaction. Le plus
important en Afrique est le Nigeria, grâce aux six trains de l’usine de Nigeria Liquefied
Natural Gas (NLNG) basée dans l'Etat de Rivers. La production y a commencé en 1999, pour
atteindre désormais 22 millions de tonnes de gaz liquéfié. La totalité de l'exportation au
Nigeria se fait par ce biais. La différence avec la production totale, de l'ordre de 30 milliards
de mètres cubes par an, s'explique par la consommation interne. La quasi-totalité de la
production électrique dans le sud du Nigeria se fait grâce à des centrales à gaz. L'autre pays
importants en matière de LNG est la Guinée équatoriale. Depuis 2007, EG LNG produit
quelque 4 millions de tonnes de gaz liquéfié par an (soit 9,5 millions mètres cubes) grâce à un
train de liquéfaction sur l'île de Bioko où est située la capitale Malabo. Evidemment, cette
production est bien en dessous de celles des quatre géants du continent dont on a parlé plus tôt
mais le projet d'ouvrir rapidement un second train devrait faire augmenter la production.
Les producteurs mineurs qui consomment entièrement leur débit.
Outre les exportateurs de gaz, qui possèdent des réserves significatives, le continent a
également quelques petits producteurs. Ces derniers parviennent depuis une dizaine d'année à
approvisionner une partie de leur marché intérieur en électricité grâce à leurs faibles
ressources en gaz. Deux cas de figure sont possibles, soit des importants producteurs de
pétrole utilisent le gaz associé pour l'électricité mais n'ont pas de capacité suffisante pour
exporter ou alors des pays non producteurs de pétrole découvrent de petits champs gaziers et
décident de les développer afin de faire baisser la facture énergétique (plombée par le prix du
pétrole importé). En dehors des pays du Maghreb comme l'Algérie, la Libye et l'Egypte qui
produisent leur électricité quasiment entièrement avec leur gaz, plusieurs pays ont été tentés
depuis les années 1990 par ces projets de transformation.
En Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire a été pionnière en la matière. Toutes les centrales de la
capitale économique Abidjan, sont approvisionnées au gaz : Azito (290 MW), et Ciprel I et II
(210 MW). Le gaz est principalement extrait du champ de Foxtrot dans l'offshore du pays. La
Côte d'Ivoire, qui n'a jamais eu les capacités suffisantes pour envisager une filière de
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liquéfaction, s'est lancée dès le début des années 1990 dans la transformation locale du gaz
grâce à des investisseurs tels que Bouygues, qui gère la Compagnie ivoirienne d'électricité
jusqu'en 2020, c’est le cas aussi des autres opérateurs des champs ivoiriens : Foxtrot, Afren,
CNR et Devon. Ces sociétés produisent quelque 160 millions de pieds cubes par jour, destinés
uniquement à approvisionner les centrales.
Dans une moindre mesure, toujours en Afrique de l’Ouest, le Sénégal a lancé depuis 2001 une
production de gaz au nord du pays grâce au permis de Tamna. C'est la petite société
américaine Fortesa qui opère ce bloc dont le débit est de 11 millions de pied cube par jour.
Tamna permet principalement d'approvisionner quelques clients privés à Dakar. Ce débit reste
cependant encore trop faible pour alimenter une centrale électrique de grande ampleur. Cela a
cependant un impact très important pour faire baisser les prix et proposer un
approvisionnement continu, très rare au Sénégal depuis quelques années.
En Afrique centrale, le cas de Douala, la capitale économique du Cameroun, est singulier.
Cette ville profite depuis 2012 de la production du champ onshore de Logbaba. Ce petit
gisement gazier, situé dans le quartier éponyme de la banlieue Est de Douala entraîne, grâce à
sa localisation, un faible coût de transport pour atteindre les clients. C'est une petite société, la
britannique Victoria Oil & Gas qui est responsable de ce projet, qui produira dans un premier
temps huit millions de pieds cubes par jour. L'objectif serait d'accroître la capacité jusqu'à 40
millions de pieds cubes pour produire quelque 500 MW (le pays produisait à peine plus de
1000 MW). Un réseau de gazoducs d'une quarantaine de kilomètres permet d'acheminer le gaz
aux différents clients privés à Douala. Un tel projet a nécessité 70 millions de dollars, soit une
somme assez raisonnable au regard des économies que les clients, des compagnies privées,
peuvent espérer réaliser grâce à ce gaz. Le Cameroun produit du pétrole depuis les années
1970, mais il brule la quasi-totalité de son gaz associé car la plupart de ses champs sont situés
dans ses eaux maritimes.
Toujours dans la même région d'Afrique centrale, le cas de la République du Congo est
également intéressant. La société italienne ENI a été la première à utiliser le gaz associé de
ses champs pétroliers pour approvisionner une centrale en 2002 à Djeno (terminal pétrolier
situé sur la côte). Plus récemment, en mai 2010, la même société ENI a commencé à alimenter
en gaz le Centrale électrique du Congo (CEB) près de Pointe Noire (deuxième ville du pays,
sur la côte). La CEB, qui était auparavant approvisionnée par le petit gisement de Kitina, est
désormais raccordée au plus important champ pétrolier onshore du pays, M'Boundi (40 000
bpj), opéré par la société italienne ENI. D'une capacité installée de 300 MW, l'objectif d'ENI
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est de faire passer en quelques années la capacité de génération à 450 MW. Si la CEB sert en
priorité les activités de la société italienne, elle approvisionne aussi le réseau national.
Enfin, en Afrique de l'Est, la Tanzanie a commencé en 2004 la production de ses champs
gaziers de l'île de Songo Songo opérés par la junior britannique d'Orca Exploration. Reliés par
un gazoduc de 207 kilomètres à la centrale d'Ubungo à Dar es Salaam, ils produisent 180 MW
sur une capacité électrique totale de 1000 MW. La production actuelle de gaz, de 83 millions
de pieds cube par jour, devrait doubler d'ici fin 2012/début 2013. Avec ce gaz supplémentaire,
Orca devrait sensiblement accroître la production électrique actuelle de la centrale d'Ubungo.
Un autre champ proche de Songo Songo, Songo Songo West, pourrait également accroître les
capacités du pays sur le moyen terme. Enfin, la Tanzanie a découvert depuis 2010
d’importantes réserves gazières dans le Sud du pays, susceptibles d’être suffisante pour
envisager un projet d’exportation avec son voisin mozambicain (on en reparlera dans la partie
III).
Ces différentes situations montrent que les petits projets ne sont pas l'œuvre des majors
pétrolières. Ces dernières se lancent dans de tels projets uniquement dans des pays
producteurs significatifs comme au Congo-Brazzaville avec ENI. Cette société a concédé ces
investissements pour transformer le gaz en électricité, sans espoir d'exporter, afin de répondre
à ses propres besoins électriques dans le pays et également car elle est soumise à la pression
des chefs d'Etats. Ces derniers ont besoin pour des raisons politiques d'obtenir des pétroliers la
réalisation de projets sociaux ainsi que l'électrification des villes et villages aux alentours de
l'exploitation. Il semble aussi évident que ce type d'investissement, non rentable sur le court ni
moyen terme, soit effectué pour obtenir d'autres concessions pétrolières du pouvoir en place.
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2 Les menaces pesant sur la production du continent
2-1 L'accroissement de la consommation africaine, un défi pour la sécurité
énergétique mondiale ?
Après avoir fait le tour des différents cas de producteurs de pétrole et de gaz, il est nécessaire,
dans le cadre de la sécurité énergétique, de se pencher sur la consommation en hydrocarbures
en Afrique. Les sociétés pétrolières ont toujours considéré le continent comme une importante
source d'énergie. En effet, la consommation interne de l'Afrique a été très faible, est très faible
et le restera selon leurs calculs. L'histoire pétrolière du continent montre qu'à mesure que les
sociétés ont mis, depuis les années 1950, de nouvelles découvertes à jour, la croissance de la
consommation n'a pas suivi le même rythme. En d'autres termes, c'est grâce au faible
développement économique du continent, et malgré la croissance rapide de sa population
atteignant désormais 1 milliard de personnes, que la capacité exportatrice en hydrocarbures
s'est accrue de façon exponentielle depuis les années 1950. Toute énergie confondue, le
continent ne représente que 3,1% de la consommation mondiale, alors que le même temps,
l’Afrique représente 1/6 de la population du globe. Pour le pétrole, sur les 10 millions de
barils produits en Afrique, seuls 3 sont consommés sur place22. En ce qui concerne le gaz, sur
les 203 milliards de mètres cubes produits, seuls 40% sont utilisés localement.
Les pays producteurs de pétrole et gaz en Afrique sont des cas à part dans le monde pour leur
consommation. La plupart du temps, les producteurs de pétrole consomment beaucoup plus
per capita que les autres Etats car ils ont accès à des ressources bon marché et ont donc
tendance à les gaspiller. Le cas de l'Arabie Saoudite est à cet égard très intéressant. Avec une
population de 30 millions d'habitants, le royaume consomme 2,8 millions de b/j23. C'est à dire
que 12 Saoudiens suffisent pour consommer quotidiennement un baril. Comparons cette
consommation avec un pays occidental comme le Portugal qui a les mêmes revenus per
capita que l'Arabie Saoudite soit 23/24 000 dollars24. Le Portugal n'est pas nucléarisé et n'a
pas de ressources en hydrocarbures. Celui-ci consomme 261 000 b/j pour 10 millions
d'habitants, soit un baril pour 40 personnes. Prenons désormais un cas africain, le plus
emblématique, le Nigeria. Celui-ci produit 2,4 millions de barils par jour et consomme entre
22 BP Statistical Review of World Energy 2011. 23 BP Statistical Review of World Energy 2012 24 CIA, The World Factbbok, 2012.
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200 000 et 300 000 b/j25. Avec ses 160 millions d'habitants, il faut 500 personnes pour
consommer un baril quotidiennement. La différence entre l'Afrique et les autres cas est
évidemment liée au très faible développement des pays de ce continent, y compris de ceux qui
produisent du pétrole. Le Nigeria n'est pas un cas isolé, ce type de comparaison est tout à fait
valable pour les autres pays producteurs africains.
Est-ce que cette spécificité africaine d'une consommation très faible d'hydrocarbures va
perdurer ? Les compagnies pétrolières devraient pouvoir continuer à se représenter le
continent comme une source conséquente d'hydrocarbures. L'histoire économique des 20
dernières années leur donne en tout cas plutôt raison. De 1990 à 2010, alors que la croissance
africaine était en moyenne de 5%26, soit bien davantage que la moyenne du reste du monde (à
l’exception de la croissance chinoise et indienne), la consommation de pétrole est passée dans
le même temps de 2 à 3 millions27. L'Afrique devrait donc rester, même avec une croissance
soutenue une source d'énergie pour le reste du monde. Cependant, comme on l’a vu certains
pays producteurs sur le continent sont déjà passés dans une phase quasi irrémédiable (selon
les projections actuelles) de baisse de leur débit (Gabon, Cameroun). D'autres auraient les
moyens d'accroitre la production, mais pour des questions de sécurité ou de régimes fiscaux
très punitifs découragent les investisseurs (Algérie). Seulement ces cas sont largement
compensés par de nouveaux arrivants dans le club des producteurs comme le Ghana.
Un nouveau producteur de pétrole africain, le cas du Ghana
Certains producteurs historiques vont continuer à voir leur débit croitre encore plusieurs
dizaines d'années, tels que l'Angola, le Nigeria ou la Libye. Cependant, une partie non
négligeable de la croissance de la production en hydrocarbures proviendra de nouveaux
acteurs. En pétrole, quatre Etats vont faire la différence dans les prochaines années : le Niger,
l'Ouganda, le Ghana et enfin le très prometteur bassin partagé entre l'offshore libérien et
25 La consommation au Nigeria ne peut être que théorique pour deux raisons. D'abord car près de 150 000 b/j sont siphonnés sur les milliers de kilomètres de réseaux dans la région productrice du delta du Niger. Une partie des 150 000 b/j est également issue du vol de cargaison entière aux terminaux pétroliers grâce à la corruption des douaniers et de certains soldats. Une partie non négligeable de ce brut volé sera revendue sur le marché noir à des prix très compétitifs, après avoir été raffiné dans des conditions plus que précaires. Mais cette imprécision sur les chiffres tient aussi au fait que les données officielles (qui font état de 371 000 b/j) ne tiennent pas compte de la très importante revente dans les pays frontaliers (Cameroun, Bénin, Niger, Tchad, République Centrafricaine) de produits raffinés importés par le Nigeria et lourdement subventionnés par l'Etat fédéral. Ces volumes représenteraient quelque 150 000 b/j selon une commission d'enquête menée par le sénateur Farouk Lawan lancée début 2012. Africa Energy Intelligence, n°668, 2 février 2012. 26FMI, World Economic Outlook et FMI, African department Data base, 2011. 27 BP Statistical of World Energy, 2010.
60
sierra-léonais. Pour ce qui est du gaz, les Etats actuels seront rejoints par le futur géant : le
Mozambique28.
Le cas ougandais est amplement traité dans la partie II concernant les découvertes du lac
Albert. Nous nous attarderons davantage sur le cas du Ghana, l'une des démocraties africaines
les plus avancées actuellement ainsi que sur le Niger dans la sous partie sur le Sahara. Cela
nous permettra d'introduire le problème des frontières maritimes liées aux hydrocarbures en
Afrique, véritable enjeu géopolitique des prochaines années.
Le Ghana produit depuis décembre 2010 quelque 80 000 b/j grâce à un seul champ situé dans
des eaux territoriales : Jubilee. Ce gisement a été une grande surprise lors de sa découverte en
2007. D'abord, de par sa taille, entre 700 millions et 1,8 milliard de barils récupérables (on ne
trouve plus très souvent ce type de volume) mais de plus car il a été suivi par d'autres
découvertes significatives comme Tweneboa, Enyara, Teak, Akasa, Mahogany (voir carte ci-
dessous).
28 Alors que nous écrivions ce doctorat, l’annonce de nouvelles découvertes tombent quasiment chaque semaine au Mozambique. Du fait du manque de recul sur l’impact de ces réserves mises à jour depuis 2010, on parle de 60 à 80 trillions de pieds cubes soit la moitié des réserves du Nigeria, il nous est apparu plus prudent de ne pas trop s’engager et donc de développer les conséquences de ce gaz dans la dernière partie sur l’enclavement. Il semble évident que l’économie du pays doublera en une décennie, et que de nombreux mémoires et thèses seront nécessaires pour analyser les conséquences. Une analyse sur la nouvelle géoponique de l’Afrique de l’Est dans la dernière partie proposera tout de même quelques explications sur la question de l’enclavement du Mozambique.
61
Carte n°7: Découvertes pétrolières dans l'offshore ghanéen
Source : Tullow Oil
C'est la même société britannique Tullow Oil qui a été à l'origine de tous ces gisements. Si la
production est encore modeste, elle devrait, compte tenu de ce qui est déjà connu des réserves,
62
atteindre au moins 200 000 b/j d'ici à 2015/2016 et voir se déverser des milliards de dollars
chaque année dans les caisses de l'Etat. Le Ghana, ou Gold Coast sous la colonisation
britannique, connait déjà les potentiels méfaits des industries extractives car elle exploite
d'importantes quantités d'or depuis une centaine d'années. Seulement, les circonstances sont
désormais très différentes, en particulier pour l'industrie pétrolière. Les nouveaux producteurs
africains ont eu tout le loisir de regarder leur voisin nigérian, exemple quasi caricatural (on
expliquera plus tard pourquoi), de ce qu'il faut éviter à tout prix pour gérer convenablement
cette nouvelle manne qui peut s'avérer très dangereuse.
Le Ghana a cependant plusieurs avantages sur tous ces voisins africains. Il a d'abord un
enracinement réel, même si encore assez récent, dans une démocratie bipartisane apaisée. Son
histoire post indépendance, soit après 1957 (l'un des premiers pays africains indépendants à
l'exception du Liberia en 1847, de l'Egypte en 1922 et du Soudan en 1956), a été cependant
heurtée par de multiples coups d'Etat. Mais cette période d'instabilité a pris fin avec la
démocratisation mise en place par le Général Jerry Rawlings grâce à un cycle électoral
vertueux à partir de 1992 (IVème République). Rawlings et son nouveau parti le National
Democratic Congress (NDC) a été élu avec 58% des voix dans un scrutin reconnu comme
transparent et juste par la plupart des organisations internationales de contrôle. Il sera
d'ailleurs réélu en 1996. N'ayant pas le droit de se présenter une troisième fois en 2000, c'est
son successeur à la tête du parti John Atta-Mills qui se lance dans la bataille. Ce dernier
échouera devant John Kufuor, le leader du New Patriotic Party (NPP). C'est une première
transition réussie, alors que c'est l'opposition qui remporte le scrutin, très peu de contestation
émaille l'annonce des résultats. Après deux mandats, Kufuor s'en va en 2009. Une fois de
plus, c'est un changement de majorité que plébiscite le Ghana avec l'arrivée de John Atta-
Mills. Le candidat soutenu par Kufuor, Nana Akufo-Addo perd sans heurt. Ce parcours
démocratique des deux dernières décennies démontre un enracinement profond du jeu
électoral libre. Le NDC est considéré comme plutôt conservateur et le NPP plutôt socialiste.
Même si l'idéologie n'est pas vraiment mise en valeur lors des campagnes ni d’ailleurs durant
l'exercice du pouvoir, le changement des présidents fait qu'aucun système organisé et
confiscatoire ne peut plus contrôler le pays.
Un des rares désavantages de cette relative bonne démocratie au Ghana (l'une des rares en
Afrique sub-saharienne sur laquelle nous avons déjà deux décennies de recul) où un parti
succède à un autre sans culte de la personnalité d'un chef, concerne le secteur particulier des
hydrocarbures. En effet, une réelle suspicion entre les deux partis s'est faite jour à ce sujet.
63
Lorsque le NPP est arrivé aux affaires en 2009, il a remis en cause ce qu'avait fait le NDC lors
des découvertes de Jubilee, il lui a donc fallu plusieurs années avant de prendre la moindre
décision et surtout faire passer les lois indispensables à la gestion du secteur. Nos fréquentes
discussions avec Moses Assaga, responsable du comité sur l'énergie au parlement29
démontrent bien cette suspicion entre les deux principaux partis. Quasiment tout a été repris
depuis le début, les rapports du NDC lors du passage de témoin en 2009 ont été ignorés par le
NPP. Ces suspicions ont été également alimentées par les participations de sociétés proches
de John Kufuor qui ont été données sur les permis où a été découvert Jubilee. En effet, EO
Group qui a 1,75% sur ce champ de Jubilee30 est une société dirigée par le Ghanéen George
Yaw Owusu (un ancien responsable de Shell) et Kwame Bawuah-Edusei (un médecin
exerçant à Washington), tous les deux de hauts dirigeants du NDC. Or c'est John Kufuor qui a
demandé à ses deux amis vivant aux Etats-Unis de convaincre des sociétés pétrolières
américaines de venir au Ghana en 2004 au moment où personne ne s'intéressait à ce pays.
Kwame Bawuah-Edusei et son compère, ont donc été récompensés en obtenant des parts sur
le permis où la société américaine Kosmos (Texas) qu'ils ont convaincue de venir au Ghana, a
décidé d'investir. Kosmos est devenu le partenaire de Tullow sur ce permis où sera découvert
Jubilee en 2007. Kufuor a également récompensé Edusi en lui confiant le poste d'ambassadeur
du Ghana à Genève puis à Washington pendant sa présidence. La façon dont cela s'est passée,
et que Kufuor décrit très librement comme étant une récompense en échange de lobbying
payant réalisé aux Etats-Unis31, pose problème lors de son départ en 2009. Le parti du
nouveau président John Atta-Mills a alors reproché aux dirigeants d'EO Group d’avoir obtenu
leurs participations grâce à leur proximité avec l’ancien chef d'Etat et en échange de pot de
vin. Cet épisode montre combien le pétrole est un sujet de friction de par la manne qu'il peut
générer pour le Ghana et de par la représentation qu'en ont les partis. En cas de nouveau
changement de parti lors des élections de la fin 2012, il se peut que de nouvelles
manifestations de suspicions se fassent jour. Ce manque de confiance entre les partis fait
perdre beaucoup de temps au pays.
Le point positif de ce regard critique et sérieux de la part des partis est le côté relativement
constructif des débats parlementaires. Il y a même parfois des divisions au sein des deux
formations politiques majoritaires, nécessitant de faire des compromis. Cependant, ce
29 Moses Asaga a été nommé en janvier 2012 ministre du travail. 30 Jusqu'au rachat de ses parts sur le champ de Jubilee ainsi que la part sur le permis de West Cape Three Points sur lequel se trouve Jubilee (3,75%) pour 305 millions de dollars par Tullow oil en juin 2011. Africa Energy Intelligence, n°653, 8 juin 2011. 31 Voir l'entretien à ce sujet de l'ex président John Kufuor dans le Financial Times du 25 octobre 2010.
64
processus de discussion qui commence à l'intérieur du ministère de l'énergie puis au sein du
parlement a tout de même pris presque deux années. Trois lois d'importance sur le secteur
pétrolier ont été votées en 2011 : Ghana Petroleum Revenue Managment bill, Ghana
Exploration and production et la Ghana National Petroleum Commission. Cependant, elles
ont été votées après le début de la production de décembre 2010. Celle concernant la part des
locaux dans cette industrie (Local Content bill) devrait être votée seulement en 2012. Le
processus a donc été long et cela en grande partie suite à cette suspicion politique ambiante.
Outre la qualité de certains de ces parlementaires qui mènent des débats de haute tenue, le
Ghana a aussi la particularité d'avoir une société civile organisée et influente. Elle ne peut pas
être complètement court-circuité par le gouvernement, ni par le parlement32. Nos discussions
lors de nos recherches à Accra en octobre 2011 avec Steve Manteaw de l'organisation
Integrated Social Development Centre, (ISODEC), puis à nouveau lors d'un colloque à Jinja
en Ouganda en décembre 2011 nous montre combien son organisation, sorte de groupe de
pression et Think Tank (rédaction de rapport), a le potentiel d'influencer les décisions sur le
secteur pétrolier. Il a les moyens de le faire d'une part car il est très bien formé (docteur de la
North London University) et très bien informé, mais aussi parce qu'il est l'un des
coordinateurs de Civil Society Platform on Oil and Gas. Cette dernière plateforme regroupe
depuis 2010 110 ONG qui ont la charge de scruter, proposer et amender s'il le faut, les lois et
décisions sur le secteur pétrolier au Ghana.
Enfin, comment réussir son entrée dans l'industrie pétrolière sans de bons fonctionnaires bien
formés ? Ceux rencontrés en octobre 2011 au ministère de l'énergie et à la Ghana National
Petroleum Corp (GNPC) ont une vision assez claire sur ce qu'ils ont à faire et où ils veulent
aller. La plupart ont été formés aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne. Ils ont notamment pu
profiter de l'assistance de la coopération norvégienne (NORAD) qui a lancé un programme
visant à renforcer les capacités du pays dans ce secteur (elle a également aidé à l'élaboration
des différentes lois). Cependant, le Ghana est probablement pour un chercheur ou un
journaliste l'un des pays parmi les plus difficiles où travailler en Afrique. Les fonctionnaires
ne parlent pas facilement et se retranchent très vite derrière la nécessité d'avoir un accord de
leur supérieur avant de parler. Cela est l'héritage d'une bureaucratie lourde et hiérarchisée
voulu par Nkrumah, le père de la nation. Si le directeur de l'énergie (numéro 3 du ministère)
nous a parlé longuement et librement, c'est en grande partie, selon ses explications, qu'il a été
32 Multiples discussions depuis 2009 avec Moses Asaga, le président du Parliamentary Sub-Committee on Energy (Parlement du Ghana).
65
formé au Canada et qu'il y a travaillé longtemps. Il critiquait à mot couvert la frilosité de ses
collègues à nous parler lors de nos recherches sur place. Or, en dehors même de notre
expérience, l'administration ghanéenne est très pesante et les décisions prennent très
longtemps à être tranchées. Les discussions avec les opérateurs pétroliers sur place nous
conduisent à penser qu'il est difficile de savoir comment les décisions vont être prises et qu'il
y a un flou sur qui décide de quoi. Ces problèmes sont aussi probablement liés au fait que le
pétrole est une nouvelle industrie et que les fonctionnaires hésitent à parler en conséquence.
Ce bilan contrasté est pourtant porteur d'espoir. Les bailleurs ont d'ailleurs toujours considéré
le Ghana comme un bon élève d'Afrique33. Le président américain Barack Obama s'est même
rendu sur place en 2009 pour y prononcer un discours très favorable aux efforts
démocratiques et économiques du pays (John Atta-Mills a été reçu avec les honneurs à
Washington en mars 2012), alors qu'il ne s'est jamais rendu au Kenya d'où son père est
originaire. Habitué à une croissance assez robuste (4,1% en 2009 malgré la crise
internationale et 7,7% en 2010), celle de 2011, première année de production, a été comme
prévu dopée par le pétrole. Selon le Fonds monétaire international, elle a atteint les 13,5%. Le
FMI table sur une croissance de 8 à 9% pour l'année 2012, soit une des plus fortes du
continent34. Cependant le Ghana qui a d'autres richesses minières comme l'or mais aussi
beaucoup de cacao (deuxième producteur après la Côte d'Ivoire), va devoir éviter la mort
lente de ses autres secteurs d'activité. Il devrait aussi tout faire pour éviter la hausse des
importations liées aux marges de manœuvre budgétaire supplémentaires grâce aux revenus du
pétrole. Ceux-ci sont difficilement estimables du fait de la grande volatilité des prix du baril.
Cependant, on peut aisément tabler sur plusieurs milliards de dollars chaque année alors que
le budget de l'Etat était de 9 milliards de dollars en 201135. L’arrivée du pétrole représente
bien un bouleversement économique et ne peut en aucun cas être indolore. Seulement, le cas
de la Norvège qui a dès les années 1970 créé un fonds pour récolter l'argent du pétrole afin de
payer les retraites de sa population et réaliser des dépenses de long terme, est inimaginable
dans les pays en développement. Ce genre de choix implique de ne jamais inclure dans le
budget les revenus du pétrole et donc de n'envisager aucune dépense de fonctionnement avec
cette manne. Les pays africains comme le Ghana ont besoin d'accroître leur efficacité
étatique, il est vrai que ce n'est pas uniquement une question pécuniaire. Cependant, la
création immédiate d'écoles, la formation puis l'embauche de nouveaux professeurs, en
33 Très grande facilité d’avoir des fonds par la Banque mondiale, le FMI, ou les organismes comme la Banque africiane de développement. Discussions avec des cadres de l’Agence française de développement (AFD). 34 African Press organization, communiqué du 5 mars 2012. 35 CIA World Factbook.
66
nombre très insuffisant actuellement, va dès maintenant coûter de l'argent. A cela s’ajoute la
nécessité d’investir dans des infrastructures au sens large. Il est donc inconcevable de sortir la
totalité des revenus pétroliers du budget de l'Etat. Le Ghana a d'ailleurs fait le choix dans sa
loi Petroleum Revenue Bill de dépenser plus de la moitié de ses revenus pétroliers (qui seront
entièrement déposés dans un Transitory Petroleum Account avant d'être réintégrés dans le
budget) et de créer par précaution deux fonds spéciaux. L'un pour les générations futures, le
Heritage Fund qui ne concernera pas plus de 10% des revenus et qui sera dédié à des
dépenses de long terme comme les infrastructures et le Stabilization Fund qui veillera à
rééquilibrer le budget en cas de baisse brutale du cours du baril de brut, afin de garantir les
dépenses déjà engagées.
En termes d'emplois, l'équation ne sera pas simple non plus pour le gouvernement ghanéen, il
est encore trop tôt pour juger de ses actions à ce sujet. Plus de 50% de la population vit encore
du travail de la terre. Un abandon trop rapide des aides à ce secteur et le recours aux
importations de nourriture seraient un coup dur pour ces millions de paysans. Or c'est bien le
principal écueil à éviter. L'industrie pétrolière ne requière pas beaucoup de main d'œuvre. Ces
agriculteurs ne pourront pas passer des champs vers les plateformes pétrolières. Il faudra
néanmoins dans la loi prévue d’être votée en 2012 sur le Local Content s'assurer qu'un
pourcentage important de locaux soient imposés aux sociétés pétrolières, sans pour autant que
cela retarde les travaux et les investissements. Le pourcentage à imposer est en fonction du
nombre de locaux qualifiés au moment de la loi. Au Ghana, ils sont peu nombreux, mais il
faut que les formations localement et à l'étranger soient accélérées et concernent le plus grand
nombre pour que la frustration soit la moins importante possible. On parle au ministère de
l'énergie d'imposer 90% de Ghanéens en donnant dix années aux pétroliers pour y parvenir
(standard gabonais). Des paliers seraient cependant imposés afin que l'accroissement du
pourcentage des locaux soit continu avec une échéance finale.
Le problème de frontière maritime avec la Côte d'Ivoire
Hors des défis purement nationaux liés à la gestion pétrolière, le Ghana doit aussi gérer un
conflit frontalier dans ses eaux maritimes avec son voisin la Côte d'Ivoire. Ce type de conflit
où l'exploitation du pétrole est en jeu, est de plus en plus courant depuis l'accélération de
l'exploration des grandes profondeurs marines dans les années 1990. Depuis une vingtaine
d'années, des commissions techniques mixtes entre les deux Etats ont travaillé afin de borner
clairement les frontières terrestres. Cette démarche a été notamment (mais pas seulement)
accélérée par des accrochages dans le nord-est du pays à partir de 2002, mêlant les Forces
67
nouvelles de Guillaume Soro (ex Premier-ministre de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara
puis Président du parlement depuis mars 2012) qui ont traversé la frontière afin de piller le
territoire ghanéen36. Cependant, ce bornage terrestre s'est relativement bien passé (78 bornes
avaient déjà été posées en 1903 mais une bonne partie avaient été enlevées), la frontière
restant tout de même toujours aussi poreuse avec le Ghana, le Liberia, la Guinée, le Mali ou le
Burkina Faso. Le bornage des frontières maritimes n'a quant à lui pas été réalisé car il était
d'abord plus contraignant au niveau logistique et surtout le pouvoir a changé en Côte d'Ivoire
avec l'élection à la présidence de Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo le 22 octobre 2000. Le
mandat de ce dernier a été très rapidement marqué par un conflit conduisant à la partition en
septembre 2002 du pays en deux entités géopolitiques distinctes, un nord en butte au pouvoir
de Gbagbo et un sud soutient du président. Depuis cette fin 2002, le pays n’a plus été géré de
manière classique et les médiations se sont succédé pour tenter d'aplanir la situation (accords
de Linas-Marcoussis en 2003 et Ouagadougou en 2007).
Finalement après des élections très contestées à la fin 2010, Laurent Gbagbo a été écarté du
pouvoir le 11 avril 2011 suite à l'intervention des forces militaires françaises Licorne sous
mandat des Nations unies. Durant les dernières années du pouvoir Gbagbo, les questions de
frontières maritimes ont été traitées avec une certaine sérénité car le président ivoirien et le
président ghanéen John Atta-Mills sont depuis longtemps réputés proches. Officiellement
donc, la règle non écrite que les deux présidents ont édicté stipule qu'en cas de découverte
pétrolière franchissant la frontière coloniale (1905), des discussions sur le partage seraient
lancées37. Or, comme on l'a vu sur la carte 6 montrant les découvertes du Ghana, les
gisements de Tweneboa mais surtout d'Owo (Enyara) se trouvent à proximité immédiate de la
frontière. Enyara découvert en 2010 est le plus proche mais sa mise en valeur la dernière
année de présidence de Laurent Gbagbo, n’a pas vraiment causé de vague en Côte d'Ivoire, le
chef de l'Etat étant davantage occupé par des problèmes de survie politique interne.
L'arrivée au pouvoir en Côte d’Ivoire d'Alassane Ouattara en avril 2011 change la donne.
Ouattara qui sait que son homologue ghanéen Atta-Mills a soutenu la campagne de son
rival38, ne va pas avoir la même mansuétude que son prédécesseur. Le problème est réel et
sérieux, les pétroliers actifs au Ghana ont une connaissance désormais plus précise de la taille 36 Discussion avec l'attaché de Défense à l'Ambassade de Côte d'Ivoire au Ghana (octobre/novembre 2011). 37 Discussions avec des membres du cabinet du ministre ivoirien du pétrole de l'époque Augustin Komoé Kouadio (2010). 38 John Atta-Mills a toujours milité contre l'intervention militaire de peur de l'arrivée de nombreux réfugiés sur son territoire et de part la proximité idéologique (tout deux dirigeants de parti dit de gauche) et historique entre lui et Laurent Gbagbo. Gbagbo a même aidé financièrement Atta-Mills lorsque celui-ci était dans l'opposition entre 2000 et 2009. Sourcess: discussions avec journalistes ivoiriens depuis 2010.
68
et de la position des gisements frontaliers. Or comme on l'a vu, la frontière maritime issue de
la colonisation a été basée sur des accords très flous entre la Grande Bretagne et la France en
190539.De plus, la Côte d'Ivoire a besoin de fonds pour se reconstruire après une décennie
économique assez difficile. Sa propre production pétrolière est passée en quelques années de
50 000 à 34 000 b/j en 201140.
Le président Alassane Ouattara joue d'abord sur plusieurs registres. Il menace de poursuite
judiciaire devant les tribunaux internationaux (les deux choix possibles sont Tribunal
international du droit de la mer à Hambourg ou la Cours Internationale de Justice de la
Haye) le Ghana, en cas de laxisme de son gouvernement envers les centaines de cadres du
régime de Laurent Gbagbo qui se sont réfugiés au Ghana (notamment des hauts gradés
militaires et économiques41). Ce message de fermeté est porté le 2 mai 2011 par le premier
ministre ivoirien Guillaume Soro, lors d'une visite au président ghanéen John Atta-Mills à
Accra42. Il précise bien que le règlement du différend frontalier, à l'amiable, serait privilégié
tant que les opposants à Ouattara seraient neutralisés. Quelques mois après, constatant la
bonne volonté ghanéenne, Alassane Ouattara et John Atta-Mills, décident, le 30 juin 2011,
lors de discussions privées en marge du sommet de l'Union africaine dans la capitale équato-
guinéenne Malabo, de créer une zone de développement conjoint. Cela permettra, à terme, de
partager les revenus selon l'étendue des réserves se trouvant de part et d'autre de
la frontière litigieuse. On parle alors de la réactivation de la commission technique constituée
de fonctionnaires des deux pays, d'abord mise en place en 2010 pour suivre le dossier des
limites de cette zone conjointe. La société pétrolière nationale, Petroci, est sensée piloter la
discussion entre les pétroliers concernés. Côté ghanéen, les principales intéressées sont la
britannique Tullow Oil, opérateur d’Enyara ainsi que Kosmos Energy et Anadarko.
Cependant, cette discussion va bien au-delà de ces seules sociétés, car du côté ivoirien des
blocs frontaliers ont également été attribués. Immédiatement à l'ouest des découvertes
ghanéennes, la société américaine Vanco opère les blocs CI-101 et CI 401 (voir carte 8 ci-
dessous). Ces permis sont importants car des quantités commerciales de gaz ont déjà été
mises en valeur. Enfin, un peu plus au sud, le CI 100, a été attribué par Laurent Gbagbo à la
major française Total en 2010. Total voulait ce bloc du fait des découvertes ghanéennes et
39 Pour comprendre l'historique compliquée de la détermination de cette frontière terrestre et maritime depuis la fin du 19ème siècle, voir Dabié Désiré Axel Nassa « Les frontières nord de la Côte-d'Ivoire dans un contexte de crise », Les Cahiers d'Outre-Mer 3/2010 (n° 251), p. 461-483. 40 Chiffres émanant d'un document du ministère de l'économie discuté en conseil des ministres (jamais rendue publique). 41 Nous en avons rencontré certains à Accra en octobre 2011. 42 Africa Energy Intelligence, n°656, 20 juillet 2011
69
Gbagbo a souhaité le donner à une société importante car il voulait un allié dans son combat
futur pour le partage des gisements.
Cependant, cette brève accalmie est violemment battue en brèche après la très décevante
rencontre du 6 octobre 2011, entre le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue
John Atta-Mills. Lors de cette discussion, Ouattara demande l'expulsion des anciens
dignitaires du régime de Laurent Gbagbo, accusés de visées déstabilisatrices depuis le Ghana,
mais n'obtient aucune garantie43. La contre-attaque ivoirienne est rapide: lors de la 18ème
édition de l'Africa Oil Week au Cap44 (2 au 4 novembre 2011), le directeur des hydrocarbures
de Côte d'Ivoire, Ibrahim Diaby et le directeur de la PetroCI Daniel Gnangni présentent une
nouvelle carte des blocs pétroliers de leur pays (voir carte 7 ci-dessous). Un changement
notable y a été introduit : cinq nouveaux permis, allant de CI 540 à 544, ont été dessinés à l'est
des eaux territoriales ivoiriennes (cela forme un triangle bleu sur la carte). Ces périmètres se
superposent à plusieurs blocs ghanéens, notamment Tano Deepwater. C'est bien sur ce permis
que Tullow Oil a fait ses découvertes en 2008 et 2009, avec Tweneboa et Enyenra. Les
ministres ghanéens, mis au courant de l’élaboration de cette nouvelle carte, défilent à Abidjan
depuis le mois de septembre pour tenter de déminer le dossier. Cette carte, officielle,
estampillée République de Côte d'Ivoire, est un élément très fort de la négociation. Elle "dit"
en résumé que comme le Ghana ne veut pas négocier de bonne foi, la Côte d'ivoire s'approprie
les zones litigieuses y compris les zones où des découvertes ont été effectuées. Nos
discussions avec Ibrahim Diaby en novembre 2011 montrent que cette stratégie a été
murement réfléchie et qu'elle n'est pas le fruit d'un simple coup de sang.
43 Cette conversation est rapportée par des membres de son cabinet interrogés par nos soins. 44 Grand-messe annuelle où les sociétés pétrolières et les représentants des Etats africains producteurs et en exploration se rencontrent. Quelque 1000 délégués y font des présentations, des stands permettent également de faire la promotion des blocs libres (Etats) ou de technologie et projet en développement (sociétés pétrolières).
70
Carte n°8: Blocs pétroliers ivoiriens en novembre 2011.
Source : Ministère ivoirien des hydrocarbures.
Le ministère ivoirien du pétrole a bien préparé le coup d'éclat de l'Africa Oil Week. Il a
envoyé début octobre aux quatorze opérateurs dans les eaux territoriales ivoiriennes, ainsi
qu'aux principales ambassades, un document dans le but d'expliquer la stratégie ivoirienne sur
ce dossier. La position ivoirienne repose sur le fait que son voisin a profité de la situation de
crise politique qui a prévalu en Côte d'Ivoire depuis 2002 pour attribuer des blocs dans la zone
litigieuse de l'offshore, notamment à Tullow. Après avoir tenté d'ouvrir des pourparlers, le
président Alassane Ouattara veut désormais forcer son voisin à négocier au plus vite, c'est-à-
dire avant que Tweneboa et Enyenra n'entrent en production (entre 2014 et 2017).
Après cet épisode, les pourparlers reprennent sur de nouvelles bases. Le Ghana comprend que
si le pouvoir de Gbagbo était très contesté, celui de Ouattara est amplement appuyé par les
Etats-Unis, la France, l'Union européenne en général et qu'il doit faire des propositions
concrètes. Un premier accord de principe est signé en décembre 201145. Il prévoit qu'en
échange de l'abandon des prétentions ivoiriennes sur les découvertes de Tullow Oil,
Tweneboa et Enyara, le Ghana s'engage à arrêter et à remettre aux autorités ivoiriennes
quelque 200 ex-gendarmes, policiers, militaires et personnalités politiques partisans de
45 Africa Energy Intelligence, n°665, 14 décembre 2011.
71
Laurent Gbagbo. Une partie de ces derniers font par ailleurs l'objet de mandats d'arrêt
internationaux. L'accord négocié entre les deux parties prévoit également qu'en cas de
découverte d'un gisement à cheval sur la frontière, il soit exploité conjointement par les deux
pays. Les modalités d'exploitation devant faire l'objet de rencontres futures.
Si la frontière n'a pas été précisée pour autant (elle devrait faire l'objet d'autres négociations),
les deux gouvernements discutent sur de nouvelles bases. Les forages de Total prévus en
2012/2013 doivent faire également l'objet de discussion et de communication permanente
pour éviter toute tentation d'un durcissement de ton. On voit bien ici que ces problèmes sont
réglés de manière totalement différente selon les régimes qui les mènent. Gbagbo n'avait pas
la même stratégie que son successeur. De même, on ne peut être certain que le successeur de
Atta-Mills (ce dernier est décédé en juillet 2012, remplacé jusqu’aux élections de décembre
2012 par son vice-président John Dramani) poursuivra la même politique. Si ces négociations
de frontières sont basées sur l'interprétation de traités ainsi que l'étude de données
géophysiques et géomorphologiques, c'est avant tout des décisions politiques et donc des
rapports de force qui s'installent et amènent à une décision d'apaisement ou au contraire de
grande tension. Et de façon encore plus incontrôlable et imprévisible, la relation personnelle
entre des chefs d'Etat est déterminante dans le règlement du conflit.
2-2 Les tensions géopolitiques liées aux hydrocarbures en Afrique
Les litiges frontaliers
La description de l'exemple ghanéen n'est pas fortuite, elle ouvre la discussion sur un
problème assez répandu sur le continent africain : les litiges frontaliers liés aux
hydrocarbures. Dans la troisième partie, nous nous pencherons très longuement sur ce sujet
dans la région des grands lacs, en particulier entre la République démocratique du Congo et
l'Ouganda sur le lac Albert et entre la République démocratique du Congo et l'Angola à
l'embouchure du fleuve Congo. Tous les cas de ce type sur le territoire africain sont la
conséquence directe de traités signés par les colons, avec la particularité d’être très flous, et
utilisant des démarcations basées sur des éléments naturels dont certains bougent au fil du
temps, cas typique du lit d'une rivière. La plupart du temps, la relative pauvreté des données
disponibles délimitant les frontières ne pose pas de problème majeur entre les Etats. Parfois,
certains litiges très locaux entre habitants de villages frontaliers pour des questions d'élevages
(en particulier dans l'Est africain comme au Kenya, Somalie, Djibouti etc...) ou d'agriculture
conduisent à certaines luttes. Cependant la découverte d'hydrocarbures dans une zone
72
frontalière change bien vite la donne en mettant finalement en lumière une fragilité des
traités : l'imprécision. A leur décharge, dans les cas des explorations en haute mer, ces traités
ne pouvaient pas avoir cette vision de très long terme46. Le pétrole est donc un puissant
révélateur d'une nécessité de contrôle d'un territoire particulier qui était auparavant peu défini,
sans que cela ne pose le moindre problème (la question préalable est le partage des zones de
pêche sur lesquelles les Etats peuvent s'opposer parfois). Ces discussions ou tensions
permettent aussi de jauger du poids politique, économique et diplomatique (en particulier
dans le cadre de la recherche efficace des soutiens d'autres Etats) des deux, trois ou quatre
parties qui font face à un même différend frontalier. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, la part
« scientifique » du problème compte mais le plus faible des protagonistes doit comprendre
que sans l'appui d'institutions tierces il ne pourra pas gagner contre plus fort que lui (cas
d'école de la péninsule de Bakassi entre le Nigeria et le Cameroun où ce dernier a du avoir
recours à des arbitrages internationaux).
Le but n'est pas ici de faire la liste de tous le cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures
mais de montrer les spécificités de certains d'entre eux. Celui du Ghana et de la Côte d'Ivoire
est déjà particulier car on a à faire en l'espèce à deux pays de puissance, de taille, de
démographie assez semblable. Le Ghana semble tout de même avoir profité d'une situation
d'instabilité en Côte d'Ivoire sous le régime de Laurent Gbagbo afin de lancer des projets
d'exploration dans des zones qui n'avaient pas fait l'objet de traités clairs entre les deux Etats.
Cela se serait probablement passé différemment en cas de pouvoir stable et légitime à
Abidjan. Le fait qu'Alassane Ouattara fasse jouer ses arguments est le résultat d'une stratégie
de rééquilibrage assez naturel.
La gestion pacifique entre la Tunisie et la Libye
La relative égalité des forces entres des nations en litige frontalier lié aux hydrocarbures est
un cas assez rare. Commençons par un type de résolution de conflit par consensus quasi
immédiat, qui est d'ailleurs l'un des plus anciens dans l'histoire pétrolière africaine : le cas de
la Tunisie et de la Libye dans le bassin frontalier de Ghadamès. La Libye qui est un important
producteur depuis les années 1960 accepte en 1989 (alors qu'il produit à l'époque 1,164 000
46 Le pétrole a commencé à être extrait et utilisé dès le milieu du 19ème siècle aux Etats-Unis puis vers 1870 dans la région de Bakou, actuelle capitale d'Azerbaïdjan.
73
b/j) de créer avec son voisin Tunisien (produisant alors 105 000 b/j) une société commune
appelée Joint Oil qui aura en charge la gestion de cette zone difficile à départager. En effet,
les travaux sismiques ont montré que des structures géologiques étaient de part et d'autre de la
frontière communément admise entre les deux Etats (voir carte ci-dessous).
Carte n°9: Frontière maritime entre la Tunisie et la Libye.
Source : site internet de Sonde Resources : www.sonderesources.com.
Seulement ici, une fois de plus, et comme sous le couple Gbagbo/Atta-Mills qui avaient des
affinités particulières permettant d’éviter tout emploi de la force, le colonel Mouammar
Kadhafi appréciait beaucoup son homologue tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. Kadhafi avait
même décidé d'appeler le permis d'exploration opéré par Joint Oil, le bloc 7 novembre,
comme le jour de l'arrivée au pouvoir de Ben Ali en 198747. Evidemment à la fin du pouvoir
de Ben Ali en février 2011, le bloc 7 novembre a rapidement été rebaptisé Joint Oil block. Du
gaz a été découvert dès les années 1990 sur ce périmètre puis du pétrole en novembre 2010
grâce à la société canadienne Sonde Resources. Cependant, ces quantités n'ont pas encore
atteint la masse critique pour être développées. A l'époque de la création de la Joint oil, cela
n'était pas très difficile pour Kadhafi de partager cette zone, la Libye avait déjà les plus
grandes réserves du continent et une population très faible (4 millions d'habitants). De plus,
les pétroliers et à fortiori les autorités ne savaient pas les quantités d'hydrocarbures se trouvant
dans la zone. La Tunisie de l'époque, quelque 6 millions d'habitants, avait une armée assez
bien formée ainsi qu'un soutien sans faille de la puissance coloniale, la France. Les deux pays
avaient donc plutôt intérêt à s'entendre, surtout que Kadhafi faisait déjà l'objet d'un vif rejet de
l'occident du fait de ses velléités à soutenir le terrorisme (ETA, Fractions armée rouge etc...).
47 Oil and Gas Journal, 15 septembre 2008.
74
On ne peut s'empêcher de se demander comment cela va se passer en cas de partage de la
production. Il peut y avoir des tensions en cas de grandes quantités d'hydrocarbures.
Les zones de développement conjoint
D'autres cas de litige frontalier en Afrique ont pu être réglés d'une manière différente.
Certains pays, au lieu de créer une société commune comme pour la Libye et la Tunisie ont
privilégié l'établissement d'une zone conjointe partagée. Cette dernière peut s'appeler de
différentes manières : zone de développement conjoint (JDZ en anglais) ou zone d'intérêt
commun (ZIC)...On trouve historiquement la première trace de ce type de procédé en Asie
entre le Japon et la Corée du Sud qui signe le Japan-ROK agreement en 1974. Ce dernier qui
rentre en pratique en 1978, après la validation des parlements nationaux va permettre le début
de l'exploration pétrolière en 1979 et le premier forage en 198048. Cet accord est signé alors
que la Chine est farouchement contre car lésée, dans une zone qui se trouve à l'est de la Mer
de Chine. On voit qu'à l'époque le Japon, rapidement devenu la deuxième économie mondiale
après la deuxième guerre mondiale pouvait se permettre des décisions non concertées qui
avaient des conséquences sur son voisin chinois, encore très replié sur lui-même et incapable
de défendre ses positions. Plusieurs sociétés vont se succédés dans cette zone partagée, y
compris des américaines comme Texaco. Cependant aucune découverte commerciale n'a été
mise à jour.
Les cas de ce type vont ensuite se multiplier du fait de la nouvelle précision des textes
juridiques concernant le droit de la mer. La convention de Montego Bay de 1982 met à plat le
droit maritime et les limites des eaux économiques exclusives (200 miles) ainsi que celles du
plateau continental (350 miles). L'Australie va créer une JDZ avec le Timor Oriental en 1989
(en pleine guerre avec l'Indonésie qui considère le Timor comme sa 17ème province depuis le
départ des Portugais en 1975). Le Vietnam fait de même avec la Malaisie en 1992, cette zone
produira dès 199749. L'Asie est donc précurseur dans ces zones communes créées pour
explorer le pétrole du fait de pourtours maritimes très accidentés et très proches les uns des
autres. L'Afrique va aussi y venir assez rapidement.
Le 14 octobre 1993, un « Accord de Gestion et de Coopération » entre le Sénégal et la
Guinée-Bissau est conclu à Dakar entre les deux gouvernements. Cet accord vient refermer
48 BBC Summary of World Broadcasts, 9 mai 1980. 49 Wikipédia sur le Vietnam.
75
une longue procédure juridique qui a commencé par un arbitrage lancé dès mars 198550. En
effet, la Guinée Bissau conteste l'accord Franco-Portugais édicté lors de l'indépendance du
Sénégal en 1960 concernant la détermination des frontières maritimes. Cependant, la Cour
internationale de justice de La Haye se déclare en partie incompétente pour régler le litige et
incite à de nouvelles discussions qui amènent à l'accord de 1993. Ce dernier crée une Agence
qui prend la dénomination d’« Agence de Gestion et de Coopération entre le Sénégal et la
Guinée-Bissau (AGC)». L'AGC est la première de ce type en Afrique avec un personnel
dédié, elle est basée à Dakar. C'est donc un processus beaucoup plus lourd que celui de la
Tunisie et de la Libye. Cependant, au départ, dans les objectifs de l'AGC, nulle mention du
pétrole. C'est uniquement les ressources halieutiques qui intéressent les deux partis mais
l'AGC va servir de cadre à sa deuxième vocation : le partage du pétrole en cas de découverte
dans la zone partagée. Des découvertes ont été mises à jour en 1967 et 1971 par Exxon dans
ce territoire litigieux entre les deux pays puis par Total sur le permis de Dôme Flore à l'est de
l'AGC profond (voir carte ci-dessous).
50 Voir à ce sujet l'article de Ibou Diaité, « Le règlement du contentieux entre la Guinée-Bissau et le Sénégal relatif à la délimitation de leur frontière maritime ». In: Annuaire français de droit international, volume 41, 1995. pp. 700-710.
76
Carte n°10: L'AGC entre le Sénégal et la Guinée Bissau.
Source : Site d’Ophir Energy, Benjamin Augé
L'accord de l'AGC prévoit qu'en cas de mise en développement d'une découverte, le Sénégal
aurait 80% des revenus et la Guinée Bissau 20%. Entre 1997 et 1999, l'AGC commande de
nouvelles opérations de sismique afin de mieux promouvoir ses blocs. En 1998, un code
pétrolier sénégalais donne aussi un cadre fiscal à l'exploration. Les forages n'ont jusqu'à 2012
pas permis de mettre en valeur suffisamment d'huile. Pourtant des compagnies sérieuses ont
cru à ce procédé de résolution de conflit de frontière maritime. En 2012, deux sociétés de
dimension importante Ophir Energy (très présente en Guinée équatoriale et en Tanzanie) et
Noble Energy (société qui a mis à jour toutes les découvertes gazières de l'offshore israélien
depuis 2000) sont toujours sur le permis d'AGC profond. Elles y ont cependant effectuées un
forage en 2011 qui s'est avéré décevant.
Le cas de l’AGC est symptomatique d'un grand déséquilibre de puissance. Le Sénégal est très
influent en Guinée Bissau, pays qualifié par l'Office contre la drogue et le crime des Nations
unies de "narco Etat" et où plusieurs chefs d'Etat-major ont été assassinés en une décennie
ainsi qu'un président en 2009. La création de l'AGC en 1993 montre que le président
77
sénégalais Abdou Diouf a été contraint par la justice internationale de trouver un accord avec
la Guinée Bissau mais clairement ce dernier est un "nain" diplomatique, militaire et un Etat en
totale déliquescence51. Plusieurs discussions avec des membres de l'AGC ainsi que des
consultants qui ont eu à voir le président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012) nous on dit
que ce dernier voulait, vers 2009, modifier les règles de l’AGC. En effet, la Guinée Bissau n'a
jamais payé sa quote-part de l'organisation et sa gestion de cette zone de pêche commune
augure mal d'un possible partage de revenus pétroliers. Wade qui était assez excédé de cette
situation, n'a jamais mis ses projets à exécution car il a rencontré les consultants pour
appréhender la faisabilité d'un tel changement, dans la même période où a eu lieu le meurtre
du président Bissau Guinéen. Lancer le processus aurait été perçu comme l'utilisation d'un
moment de faiblesse de la Guinée Bissau.
L'un des cas de zone de développement conjoint les plus médiatisé en Afrique est celui du 21
février 200152 entre le petit archipel de Sao Tomé et Principe (170 000 habitants) et le Nigeria
(160 millions d'habitants). La similitude avec le Sénégal et la Guinée Bissau se situe au
niveau de l'extrême différence de poids diplomatique, économique, militaire et
démographique entre Sao Tomé et le Nigeria. Sao Tomé, ancienne colonie portugaise vit
quasi exclusivement de son agriculture et de l'exportation de son chocolat (l'un des meilleurs
du monde du fait du climat et de son sol volcanique) et de son café. Toutefois, son budget
reste en bonne partie financé par l'aide internationale. Quant au Nigeria, c'est le premier
producteur de pétrole et le troisième de gaz en Afrique. Différence de taille. Là encore, ce
sont des problèmes de pêche qui ont été à l’origine des premières disputes dans les eaux
séparant les deux nations. Des négociations sont lancées en novembre 1999 lors d'une
National Boundary Commission pour déterminer des frontières maritimes. Constatant
l'absence de consensus, la création de cette JDZ (ou ZDC en français) a été privilégiée, zone
en jaune sur la carte ci-dessous.
51 International Crisis Group, "Au-delà des compromis : les perspectives de réforme en Guinée-Bissau", 23 janvier 2012. 52 Africa Energy Intelligence, 30 janvier 2002.
78
Carte n°11 : ZDC entre Sao Tomé et le Nigeria
Source : site internet de la JDZ/Africa Confidential
Le texte de création de la ZDC en 2001 prévoit qu'en cas de découverte dans cette zone, 60%
des revenus revenant à la partie étatique iraient au Nigeria et 40% à Sao Tomé et Principe.
L'histoire de cette création est cependant un peu plus compliquée que la présentation
officielle, car d'une certaine manière la JDZ est le résultat marchandé de l’appel au secours de
79
Sao Tomé au Nigeria pour le règlement de ses problèmes pétroliers. En effet, l’Etat de Sao
Tomé crée en 1998 la compagnie ST Petro en collaboration avec la petite société américaine
ERHC (groupe à l'époque spécialiste dans les questions environnementales) qui contrôle 60%
des parts. L'accord prévoit que ERHC est chargé de faire la promotion de tout l'offshore du
pays, en prenant évidemment une participation dans chacun d'entre eux. ERHC découpe alors
les 22 blocs de la zone économique exclusive de Sao Tomé dès 199753, (voir carte ci-dessus).
Or cette alliance ne s’avère pas aussi fructueuse que prévu, un arbitrage est lancé à Paris en
1999 concernant 5 millions de dollars que ERHC n’aurait pas payé à Sao Tomé, le patron de
la société américaine répliquant que le président santoméen Miguel Trovoado a accepté des
pots de vin54. Devant une situation bloquée, s'en suit une demande d'aide du président
Trovoada au Nigeria pour tenter de sortir le très pauvre archipel de ce guêpier. L'un des
proches du très puissant président nigérian de l'époque Olusegun Obasanjo, Emeka Offor, va
alors forcer EHRC d'accepter que sa société (Chrome Energy) rentre à son capital, à la suite
de quoi ERHC/Chrome négocient un accord avec Sao Tomé dans lequel le consortium aurait
15% dans quatre blocs frontaliers avec le Nigeria. Le règlement du litige de Sao Tomé avec
ERHC va donc être conditionné à la création de cette JDZ (composée de neuf blocs) où le
Nigeria va pouvoir accroitre ses revenus en cas de découvertes, tout en donnant des blocs aux
amis d'Obasanjo et en passant aux yeux de l'ONU comme le pays qui a réglé un litige
juridique et maritime d'un coup, sans violence. En réalité, ce procédé a été très bénéfique pour
le Nigeria qui n’a rien eu à débourser, et Sao Tomé n'a eu que le choix d’accepter la
proposition du grand voisin du Nord, le procès avec ERHC aurait pu financièrement être
coûteux. La découverte en 1996 du gigantesque champ de Zafiro en Guinée équatoriale au
nord-est de Sao Tomé et Principe a fait prendre conscience au Nigeria que cette zone, assez
loin de ses côtes (presque 200 kilomètres) pouvait être très productive.
Depuis lors, si aucune découverte n'a été considérée comme commerciale, les majors s’y sont
néanmoins installées. Chevron a été d'ailleurs la première à prendre un bloc (le 1, désormais
opéré par Total, voir carte ci-dessus) et a foré en 2006 le puits d'Obo-1. La grande profondeur
d'eau et la déception d'Obo-1 a entraîné des années sans aucun autre forage (un seul d'entre
eux coûte 100 millions de dollars). La nouvelle formule d'ERHC à capitaux nigérians a réussi
sans débourser un seul dollar, des participations dans les blocs 2-3-4-5-6 et 9 de cette JDZ.
Grâce à son partenaire chinois Sinopec, elle a foré en 2009 dans le bloc 2. De même sur le
bloc 3, son partenaire Addax Petroleum (racheté également par Sinopec en 2009) a fait trois
53 Africa Energy Intelligence, n°351, 26 août 1998. 54 John Ghazvinian, ibid, p. 216.
80
autres forages entre 2009 et 2010. Total qui est rentré en 2010 sur le bloc 1 de Chevron
devrait forer en 2012. Cependant, cet activisme n'a pas encore permis de mettre à jour des
réserves suffisantes pour les mettre en développement. La profondeur d'eau impose d'avoir de
gros volumes de pétrole ou de gaz afin de rentabiliser les investissements. Plusieurs sociétés
sont d'ailleurs parties de la JDZ après avoir obtenu des participations dès 2005, c'est le cas de
Noble Energy ou Ophir dont on a déjà parlé.
Cet exemple montre bien que parfois les JDZ sont une solution bénéfique non pas uniquement
pour les Etats mais pour des intérêts particuliers, là en l'occurrence ceux des proches de
l'ancien président nigérian Olusegun Obasango (qui a probablement été lui aussi récompensé
pour son volontarisme). Une fois de plus, si la justice a été invitée dans le processus, elle n’a
pas été à son terme et les Etats ont trouvé d’autres solutions. Cependant, nous ne sommes pas
encore dans le cas de découverte commerciale, si cela survient, rien ne prédit que le Nigeria
ne souhaiterait pas renégocier sa part dans la JDZ qui est déjà de 60%. Sao Tomé qui vit en
partie des investissements des Nigérians et de la relative bienveillance de ce voisin, se verrait
mis devant le fait accompli et n'aurait d'autre choix que de négocier. La nouveauté depuis le
début des années 2000 est l'intérêt toujours plus fort de l’Angola à Sao Tomé. L'Angola a
beaucoup plus de moyens depuis la fin de sa guerre civile en 2002 et la montée en flèche de
sa production pétrolière. La société nationale pétrolière Sonangol a d'ailleurs acheté en quasi-
totalité (75%) la société de distribution d'essence de l'archipel55 (Empresa Nacional de
Combustiveis e Oleos). Lors d'une de ses visites en Angola en mai 2011, le premier ministre
santoméen Patrice Trovoada a rappelé que les projets de Sonangol d'un port en eau profonde
ainsi que de nouvel aéroport dans son pays sont les bienvenus. Sao Tomé pourrait jouer du
soutien angolais contre le Nigeria. Ces deux pays étant d'ailleurs parfois opposés dans leur
politique étrangère, le Nigeria étant très pro-occidental et très pro américain (le président
Goodluck Jonathan a beaucoup appuyé le départ de Laurent Gbagbo du pouvoir ivoirien en
2011) alors que l'Angola est plutôt pour une sorte de non ingérence (elle a appuyé Gbagbo,
son ambassadeur étant l'un des seuls à assister à la prestation de serment).
D'autres cas de zones de développement conjoint ont été créés en Afrique, c'est le cas
notamment entre l'Angola et ces deux voisins congolais dont nous parlerons dans la deuxième
et troisième partie.
55 Africa Energy Intelligence, n°651, 11 mai 2011.
81
Le cas particulier de la péninsule de Bakassi
La résolution du conflit entre le Cameroun et le Nigeria pour le contrôle de la péninsule de
Bakassi qui s’est déroulé entre 1993 et 2008 a eu pour motif sous-jacent la potentielle
présence d'hydrocarbures56. Contrairement à tous les cas précédemment étudiés, ce litige
porte sur la souveraineté d’un territoire et non sur un conflit de frontière. Bakassi est
l'extension de la péninsule de Calabar dans le golfe de Guinée. Ce territoire situé à la frontière
entre le Nigeria (plus particulièrement de l'Etat de Cross River, voir carte ci-dessous) et le
Cameroun a fait l'objet d'un important contentieux entre les deux pays.
56 Voir l'article de Léon Koungou « Comment construire la paix dans un espace postconflictuel ? », Afrique contemporaine 2/2010 (n° 234), p. 11-24.
82
Carte n°12 : Péninsule de Bakassi
Source : Google Earth
A la suite de la décision d'annexion de la péninsule par le président nigérian Sani Abacha en
décembre 1993, la tension a logiquement monté entre les deux pays. Cependant, à la suite de
la saisine par le Cameroun des Nations Unies en mars 1994, un arrêt de la Cour Internationale
de Justice (CIJ) de la Haye rendu en octobre 2002, a finalement attribué cette zone au
Cameroun. Le processus a été très compliqué tellement les traités, en particulier celui entre la
Grande Bretagne et l'Allemagne de 1913 qui définissent les sphères de contrôle des deux
83
puissances ont été contestés par le Nigeria57. Et pourtant, c'est bien en partie à partir de ce
dernier que la Cour Internationale de Justice de La Haye s'est appuyée pour statuer en faveur
du Cameroun. Il faudra cependant attendre le mois d’août 2008 pour que l'armée et la police
nigériane quittent définitivement la péninsule. Les premiers bataillons ayant commencé à
quitter la zone dès 2006. Pourtant, nos conversations avec les soldats camerounais
responsables de la péninsule de Bakassi58 montrent combien une certaine violence perdure
entre les pécheurs locaux, quasiment tous d'origine nigériane et l'armée et la police
camerounaise qui a construit plusieurs casernes à Bakassi. Une unité du BIR (bataillon
d'intervention rapide, unité d'élite) est d'ailleurs stationnée en permanence dans la zone et est
gratifié de primes pour cela59.
Si la décision de justice de 2002 rendant Bakassi au Cameroun va être acceptée (contraint et
forcée) par le pouvoir du président nigérian Olusegun Obasanjo, cela ne va pas être le cas des
populations basées à Bakassi. Si des violences ciblent les militaires camerounais, la lutte
contre les Camerounais et le refus d'accepter la "faiblesse" nigériane a aussi entrainé la
création de mouvements violents avec des discours indépendantistes sur Bakassi. C'est
notamment le cas du Bakassi Movement for Self-Determination (BAMOSD) créé en 2006 qui
a proclamé l'indépendance de Bakassi le 2 juillet 2006 depuis la capitale de l'Etat de Bayelsa
au Nigeria60. La BAMOSD se déclare d'ailleurs solidaire d'un autre mouvement dont on
parlera plus tard, le Movement for the emancipation of the Niger Delta (MEND) qui mettra à
genoux les compagnies pétrolières et l'Etat fédéral en 2009. Plusieurs autres mouvements vont
rapidement naître et revendiquer des actions violentes comme des kidnappings avec demande
de rançons. C'est le cas du mouvement des Bakassi Freedom Fighters (BFF) qui émerge le 20
octobre 2008 avec la prise en otage de dix expatriés sur un bateau de la société française
Bourbon. Il demande l'ouverture immédiate de négociation sur Bakassi. Les BFF dont le
nombre n'a jamais dépassé la centaine de membres, n'ont pas revendiqués d'actions depuis
2009. Certains d'entre eux ont été mis en prison, d'autres ont certainement accepté l'amnistie
57 Le processus juridique de ce différend entre le Nigeria et le Cameroun sur Bakassi nous a été expliqué lors de longs entretiens avec l’un des avocats qui a eu à défendre le Nigeria. Le processus a été dès le départ très politisée, le Nigeria savait selon lui qu’au géologiquement et au niveau juridique il perdrait mais il était impossible pour Sania Abacha puis Olusegun Obasanjo de ne pas mener la bataille du fait des très fortes pressions internes de la part des hommes politiques de l’opposition et surtout pêcheurs de Bakassi. 58 Lors d'une intervention que nous avons donnée à l'Ecole Militaire en mars 2011 auprès de colonels venant de divers pays dont plusieurs Nations africaines, puis après lors d'entretiens privés. 59 L'endroit est particulièrement difficile : forte prévalence de la malaria avec la présence de moustiques ; serpents en nombre et chaleur humide. La présence de mangrove facilite les maladies et la prolifération d'animaux dangereux. 60 Quotidien nigérian Vanguard, 10 juillet 2006.
84
destinée aux militants du Delta au Nigeria61. En mars 2010, un nouveau sigle surgit lors du
kidnapping de sept chinois sur un bateau de pêche, c'est l'Africa Marine Commando (AMC)
qui revendique l'action. Une rançon de 320 000 euros sera payée pour la libération de
l'équipage. Si les BFF avaient des motifs affichés assez politiques, l'AMC semble davantage
être motivée par des motifs uniquement crapuleux. Nos discussions avec les militaires
camerounais montrent aussi la possible instrumentalisation de ce genre de mouvements par
les militaires camerounais basés à Bakassi. Mécontents suite à des différends au sujet des
grades ou des salaires, certains kidnappings, sont l'œuvre ou sont aidés par le BIR (Bataillon
d’intervention rapide) camerounais. Ce genre d’actions permet de se constituer une cagnotte
et de donner un signal à Yaoundé, la hiérarchie militaire étant évidemment au courant de ce
type d'actions.
Si le potentiel géologique de Bakassi n'est pas connu, la proximité avec les réserves
pétrolières nigérianes a depuis les années 1990 poussé les deux Etats à lutter pour récupérer
cette zone potentiellement intéressante. La zone onshore de Bakassi a été comme on l’a vu, en
partie attribuée dans le courant 2012 par les autorités camerounaises. Mais si Bakassi a bien
été rendue, le partage des eaux territoriales entre les deux pays est encore en suspens. Le 11
mai 2007, les autorités nigérianes et camerounaises ont cependant approuvé une frontière qui
reprenait trois accords passés. Le premier, signé en 1972, portait sur le partage des eaux de
l'estuaire de Calabar à l'est de Bakassi en douze points (Yaounde Line). En 1975, la Marua
Line délimitait les frontières maritimes au sud de Bakassi. Enfin en 2002, l'arrêt de la Cour
internationale de justice de La Haye achevait de délimiter la frontière maritime entre les deux
pays. Or ce nouveau tracé coupe trois blocs nigérians (voir carte ci-dessous) qui se trouvent,
de facto, à cheval sur les eaux territoriales camerounaises et nigérianes62. Ainsi les champs
d'Abana et Ekwe, qui font partie du bloc nigérian OML 114 opéré par Monipulo, sont aussi
sur le territoire camerounais. Plus au sud, 1/10e de l'OML 123 d'Addax Petroleum déborde de
même sur les eaux camerounaises. Composé des champs d'Ebne, Ebughu, Ebbé et Bogi,
l'OML 123 produit 55 000 bpj63. Enfin, à l'extrême sud, se trouve l'OML 115 assez peu
exploré par les Nigérians d'Oriental Petroleum Resources. Une vingtaine de kilomètres carrés
seraient situés côté camerounais tandis qu'une autre portion du bloc serait à cheval sur les
eaux équato-guinéennes, dont la frontière reste encore à déterminer.
61 Benjamin Augé, "le delta du Niger ou la quadrature du cercle sécuritaire", Armand Colin. 2011. 62 Africa Energy Intelligence, n°600, 6 mars 2009. 63 Africa Energy Intelligence, n°600, 11 mars 2009
85
Cependant, les négociations avec les autorités nigérianes s'enlisent dans des comités
interminables, le Nigeria a du mal à partager...
86
Carte n°13: Blocs partagés entre le Nigeria et le Cameroun.
Source : Carte issu d'un rapport daté de 2007 obtenu auprès d'un des cabinets d'avocat qui a défendu le Nigeria
pour Bakassi.
Le Nigeria et le Cameroun ont créé des commissions qui sont chargées de régler les
problèmes de frontières maritimes en lien avec les questions pétrolières. Ces commissions
87
dont nous avons pu rencontrer certains membres, sont aidées par les deux sociétés nationales
Nigerian National Petroleum Corp (Nigeria) et Société national des hydrocarbures
(Cameroun). Seulement, les rencontres qui ont lieu plusieurs fois par an n'ont toujours pas
conduit à une solution pérenne64. Les enjeux sont considérables pour le Cameroun dont la
production baisse continuellement mais aussi pour le Nigeria qui doit sécuriser son futur,
toujours considérablement dépendant des hydrocarbures.
Les autres cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures en suspens
Plusieurs autres cas africains de règlement de litiges frontaliers sont toujours en cours de
négociation ou d'instruction. C'est notamment le cas des îles de Mbanié, Cocotier et Conga
disputées entre la Guinée équatoriale et le Gabon. Le litige a commencé en 1972 lorsque le
président de la Guinée équatoriale Francisco Marcias Nguema a déclaré que le traité signé en
1900 par l'Espagne (colonisateur de la Guinée équatoriale) et la France (qui contrôlait le
Gabon), prévoyait que ce petit ilot de 30 km² à peine, appartenait à l'Espagne. Seulement, lors
de cette déclaration de Nguema, la Guinée équatoriale qui vient d'obtenir son indépendance de
l'Espagne en 1968 est très pauvre, elle n'a pas les moyens de défendre plus avant son point de
vue en s'adjoignant les conseils de cabinets d'experts (en droit international ainsi que pour son
lobbying). Le Gabon, au contraire produit du pétrole depuis 1958 et peut se prévaloir du
soutien inconditionnel de la France. Dès 1974, le président gabonais Omar Bongo Ondimba
(qui gouverne jusqu'en 2008) parvient à arracher un accord avec son homologue Francisco
Marcias Nguema donnant les droits de propriété sur l'ilot de Mbanié, Cocotier et Conga au
Gabon. Il est fort probable que ce genre de différend ait été réglé de façon discrète mais
efficace, grâce à de l'argent, dont manquait cruellement le pouvoir dictatorial de Nguema. Ce
dernier fut d'ailleurs tué en 1979 par le président actuel du pays Teodoro Obiang Nguema, qui
est son neveu.
Ce cas de différend frontalier est singulier car la Guinée équatoriale va changer de dimension
et de poids diplomatique après ses premières découvertes pétrolières au début des années
1990. Le rapport de force va ainsi se rééquilibrer voire se déséquilibrer au profit de la Guinée
équatoriale cette fois-ci. Les autorités de ce pays, fort mécontentes du règlement de 1974,
vont donc réactiver en 2003 le combat face à leur voisin gabonais, mais avec des armes
financières : des conseils et des soutiens diplomatiques de poids mieux "aiguisées". On a
davantage d'amis quand on produit du pétrole, les Etats-Unis ont d'ailleurs complètement
64 Voir Africa Energy Intelligence, nos : 648, 650, 651
88
changé leur politique face à Malabo en deux décennies. Afin de symboliquement appuyer sa
position, le Gabon envoie le 26 février 2003 son ministre de la défense sur l'île de Mbanié qui
réaffirme la souveraineté gabonaise de la zone65. Cette visite du ministre Ali Bongo, fils du
président de l'époque (qui deviendra président en 2009) va encore davantage mettre sous
tension les relations bilatérales. Les deux présidents décident de se rencontrer le 2 mai 2003
afin de calmer la situation, on envisage à l'époque une zone de développement conjoint,
preuve que la position guinéenne s'est renforcée66. L'exploration pétrolière avait commencé
dans la zone notamment grâce à la compagnie américaine Santa Fe Snyder qui opère le bloc
d’Ebene Marin autour de Mbanié. Cependant depuis que la société a rendu le permis,
l'exploration est gelée (elle n'a toujours pas repris en 2012).
Les conversations directes entre les deux présidents au début de l'année 2003 semblent ne
mener nulle part, on évoque sans grande conviction l'opportunité de créer aussi cette zone de
développement conjoint lors d'un somme de l'Union africaine en juillet 2004 mais cette
proposition est sans lendemain. L'ONU a nommé quelque mois plus tôt, le 30 octobre 2003, le
canadien Yves Fortier comme négociateur afin de trouver une solution au différend. Ce
dernier, avocat et diplomate a été membre de la Cour d'arbitrage internationale de La Haye
entre 1984 et 1989 et a donc une grande expérience des différends entre Etats, y compris liés
aux questions délicates de territoire et de souveraineté. Yves Fortier effectue ainsi de
nombreuses navettes entre Malabo et Libreville afin de rapprocher les positions, sans résultat
concret. Pensant que c'est peut être le médiateur lui-même qui n'est pas à la hauteur, le
secrétaire général de l'ONU Kofi Annan (d'origine ghanéenne) s'implique lui-même
directement à partir de 2006. Ce dernier quitte son poste la même année, sans avoir rencontré
davantage de succès qu'Yves Fortier. En 2008, c'est le professeur de droit à Genève Nicolas
Michel qui est nommé à ce poste de médiateur. Plusieurs rounds de négociations ont lieu à
New York durant l'année 2009 et 2010, mais une fois de plus sans résultat. Désormais, nous
sommes dans un processus d'arbitrage international classique, accepté par les deux parties.
C'est la Cour Internationale de La Haye qui devra trancher67.
Il faut noter que les deux ex-puissances coloniales se sont impliquées sur le tard dans la
médiation sur Mbanié. Du fait de la nécessité de gagner des contrats dans son ancienne
colonie devenue intéressante grâce à son pétrole, l'Espagne a appuyé ostensiblement la
Guinée équatoriale. Dès novembre 2003, la ministre espagnole des Affaires étrangères, Ana
65 9 juin 2004, Winhua News Agency. 66 Africa Energy Intelligence, n°462, 7 mai 2003. 67 Discussions avec certains médiateurs de l’ONU.
89
Palacio, affirme lors d'une visite à Malabo que "la documentation existante en Espagne sur ce
sujet indique que Mbanie appartient à la Guinée équatoriale68". Trois ans après, le 23 octobre
2006, le ministre espagnol des affaires étrangères Miguel Angel Moratinos Cuyaube,
accompagne une délégation espagnole de plus de 80 personnes, dont de nombreux hommes
d'affaires. Cela est suivi par la visite officielle à Madrid le 15 novembre du président équato-
guinéen, qui ne s'y était pas rendu depuis une quinzaine d'années69. De même pour la France,
le président Jacques Chirac a aidé son ami de 30 ans, Omar Bongo, qui a financé les
campagnes électorales de la gauche comme de la droite en France et qui avait même son mot
à dire sur les ministres de la coopération (écartement de Jean-Marie Bockel en 2008 du poste
dans le gouvernement de François Fillon70). Lors d'un sommet du 2 octobre 2006 programmé
à Genève mais qui n'a finalement pas eu lieu, Jacques Chirac et le premier ministre espagnol
José Luis Rodriguez Zapatero auraient dû être aux côtés des présidents gabonais et
équatoguinéen ainsi que du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan pour avancer sur le
différend71. L'implication des deux leaders européens est quand même symptomatique
d'enjeux importants autour de Mbanié comme celui du pétrole (même si celui-ci est pour le
moment totalement fantasmé par manque d'étude). Auparavant, lorsque la Guinée équatoriale
n'était qu'un pays pauvre, les discussions ne s'étaient pas internationalisées, le Gabon avait
gagné par l'achat des négociations.
D'autres litiges frontaliers font toujours l'objet de discussions ou d'arbitrages, c'est notamment
le cas de la Guinée équatoriale avec le Nigeria. Ce dernier fait durer les débats, tout comme
avec le Cameroun. Il est aussi à craindre que de nouveaux différends naissent des récentes
découvertes gazières en Afrique de l’Est et australe notamment à la frontière entre la Tanzanie
et le Mozambique, entre ce dernier et Madagascar. Dans cette zone, la France devrait être
dans le futur impliquée une fois de plus à cause de l'île de Juan de Nova située entre
Madagascar et le Mozambique. Voir carte ci-dessous :
68 Xinhua, Ibid. 69 La Lettre du Continent, n°505, 9 novembre 2006. 70 La Lettre du Continent, n°537, 19 mars 2008. 71 La lettre du continent, ibid..
90
Carte n°14: Blocs pétroliers de Juan de Nova
Source : Périmètres des titres miniers d'hydrocarbures, Direction générale de l'énergie et du climat. République
Française.
Des explorations ont lieu depuis 2008 sur cette île de Juan de Nova, autrefois revendiquée par
l'ancien président malgache Didier Ratsiraka (1975-1989). Depuis lors, l'armée française a
conservé des soldats en permanence sur cette île non habitée. Si ces revendications ne sont
plus très courantes depuis plus de deux décennies, une découverte pétrolière à Juan de Nova
ne manquerait pas de relancer les débats. Outre la souveraineté même de l'île de Juan de
Nova, on peut voir sur la carte officielle française des périmètres pétroliers que les frontières
maritimes avec Madagascar et le Mozambique restent à déterminer. Ces imprécisions sont
d'ordre mineur pour les pêcheries, mais majeures en ce qui concerne le pétrole et le gaz. Les
découvertes gazières au Mozambique depuis 2010 sont telles (on parle de 85 trillion de pieds
91
cubes soit l'équivalent de la moitié de réserves du Nigeria) qu'inévitablement tous ces
problèmes vont ressurgir et vont imposer une clarification rapide. Une autre bataille juridique
risque d'être menée entre la République des Comores et la France pour les eaux territoriales
de Mayotte (département français depuis 2011). Les Comores, encore très sous explorées, ont
déjà donné un permis au début 2012 à Bahari Resources (petite compagnie bien connectée
politiquement) et cette zone à quelques dizaines de kilomètres à peine des découvertes
mozambicaines. Or comme les Comores revendiquent la souveraineté sur Mayotte, cela
promet des débats houleux entre l'ex-puissance coloniale et Moroni.
Enfin, concernant les différends frontaliers, il faut parler des questions liées non plus aux
zones économiques exclusives mais également au plateau continental. Tous les Etats membres
de l'ONU avaient jusqu'au mois de mai 2009 pour déposer leur dossier aux Nations-unies
pour appuyer leur demande d’augmentation de leur plateau continental. Plus d'une dizaine de
pays africains ont déposé un dossier avec un objectif : passer de 200 à 350 miles marins (la
plupart n'ont pas cette chance car ils doivent déjà partager avec un autre Etat dans les 200
miles). Ces demandes ont parfois été déposées en commun, c'est le cas des îles de Maurice et
des Seychelles afin d'avoir davantage de chance d'obtenir ces précieux miles supplémentaires
et délivrer des licences d'exploration aux compagnies pétrolières au plus vite. Mais en
Afrique, ces demandes se sont faites la plupart du temps en "solo", c'est le cas de la Côte
d'Ivoire et du Ghana, comme de la Mauritanie, du Cap Vert et du Sénégal, même s'ils
travaillent depuis lors pour harmoniser leur position. Le tribunal de la Mer en Jamaïque ou
celui de Hambourg prendront beaucoup plus longtemps pour rendre une décision en cas de
litige évident. Cela gèlera de fait toute exploration sur les plateaux continentaux au-delà de
200 miles. Cependant comme le verrons dans la partie III, ces dossiers d'extension des
frontières maritimes, ont parfois servi à régler des comptes entre deux pays n'arrivant pas à
résoudre seuls leurs différends dans leur zone économique exclusive, alors que théoriquement
cela n'était pas le sujet. C'est notamment le cas de la République Démocratique du Congo
opposée à l'Angola.
2-3 Le Nigeria, une menace persistante sur l'approvisionnement
d'hydrocarbures mondiale
La plus lourde menace pesant sur la production pétrolière africaine, et par extension mondiale
(un baril non produit ne sera pas immédiatement compensé ailleurs), vient du Nigeria. Les
eaux bordant le delta du Niger, zone où est située la totalité de la production du pays, sont
92
devenues avec 114 attaques en 2008, les deuxièmes plus dangereuses au monde après celles
aux larges de la Somalie. Si ce chiffre a grandement diminué en passant à 91 en 2009 puis 58
en 201072, la société danoise de conseil Risk Intelligence évalue désormais à 70 les actes de
piraterie dans les eaux du pays en 201173. Cette instabilité a des conséquences économiques
innombrables. En effet, le Nigeria représente une puissance particulière sur le continent
africain et même plus largement sur le marché mondial des échanges. Comme on l'a vu, c'est
un "mastodonte énergétique". Il est membre de l'Organisation des Pays Exportateurs de
Pétrole (OPEP) depuis 1971 grâce à sa production pétrolière importante : entre 2 et 2,5
millions b/j, et premier producteur du continent (deuxième en termes de réserves). Quant au
gaz, le Nigeria produit depuis le début des années 1970 et se place au troisième rang du
continent avec 35 milliards de mètres cube par an (premier pour les réserves).
La totalité de l'exploitation des hydrocarbures au Nigeria se situe dans la région du
delta du Niger. Quelque 40% du volume total est produit onshore, et 60% en offshore. La
tendance globale de la production est à l’accroissement des gisements situées dans les eaux
territoriales et une décroissance des gisements "à terre", qui sont les plus anciens, et
considérés pour certains d'entre eux, déjà matures, c'est-à-dire en fin de vie. Le delta du Niger
n'est pas uniquement une réalité géographique comme pourrait être le delta du Nil ou du
Mékong, elle est aussi, pour le pouvoir nigérian, une zone géopolitique bien distincte qui
regroupe les trois principaux Etats producteurs de pétrole du pays : Rivers, Delta et Bayelsa
ainsi que les Etats producteurs de moindre importance: Abia, Akwa Ibom, Cross River, Edo,
Imo et Ondo. Cette région est représentée sur la carte ci-dessous en rouge vif.
72 Risk Intelligence Nigeria, Review of 2010 and Outlook for 2011. 73 Africa Energy Intelligence, n°667, 18 janvier 2012.
93
Carte n°15 : Région du delta du Niger au Nigeria
Source : Wikipedia/Benjamin Augé
Outre son poids économique évident pour le Nigeria, le pétrole pourvoit à 80% des
réserves en devises du pays, le Delta pèse aussi démographiquement puisqu'il abrite une
quarantaine de millions d'habitants sur 160 millions. Il est donc logique que cette région soit
gérée distinctement. Au niveau fédéral, dans la capitale Abuja, un ministère dédié au Delta est
en place depuis novembre 2007. Le président a également un conseiller spécial chargé de
cette région qui a un rôle opérationnel de premier plan.
94
Cependant, cette zone est sujette à une instabilité chronique depuis plus de deux
décennies. Les raisons du mécontentement de ce qu'on appelle les "militants", auteurs des
violences dans le Delta contre les sociétés pétrolières, sont nombreuses. Aucun des problèmes
qu'ils soulèvent n'ont été réglés par les gouvernements nigérians successifs : peu ou pas
d'électricité, pollutions majeures liées au pétrole empêchant les pêcheurs de travailler74, pluies
acides liées au torchage du gaz etc...Enfin, ce qui reste probablement le problème principal, la
répartition des revenus pétroliers n'a pas bougé depuis 1999. Le pays dans son ensemble ne
s’est pas du tout enrichi depuis le début de la production pétrolière en 1958. En tenant compte
de l’inflation depuis les premières années de la production pétrolière, les Nigérians se sont
même appauvri « grâce » au pétrole. En 1971, le PIB (produit intérieur brut) par habitant était
de 382 dollars dont 103 dollars de revenus pétroliers ; en 2000 les revenus pétroliers par
habitant étaient de 170 dollars et pourtant le PIB global par parité de pouvoir d’achat est passé
en dessous du niveau constaté 29 ans plus tôt75.
La montée progressive des violences
Après une guerre du Biafra (1967-1970), violente et meurtrière (1 million de morts), qui a
anesthésié toute contestation des populations affectées par l'exploitation pétrolière dans les
années 70 et 80, les protestations ont considérablement évoluées depuis le début des années
1990. C'est le Movement for the Survival of Ogoni's People (MOSOP) qui, le premier, a fait
valoir de façon organisée son mécontentement face aux pratiques de la société anglo-
néerlandaise Shell. Les membres de l'ethnie Ogoni, estimés à 832 000 personnes76 que le
MOSOP représente, vivent dans l'Etat de Rivers (voir carte précédente). Le leader du
MOSOP, Ken Saro Wiwa promeut cependant des méthodes non violentes contre les
pétroliers. Dans son manifeste fondateur de décembre 1990, l'Ogoni Bill of Rights, il écrit que
son mouvement se bat pour une « utilisation dans des proportions justes des ressources
économiques pour le peuple Ogoni ». Saro Wiwa se bat contre un des principes les plus
décriés par les habitants du Delta : depuis une loi de 1978 votée par le parlement nigérian, les
propriétaires d’un terrain où se trouve du pétrole peuvent théoriquement être légalement
expropriés sans compensation. Le MOSOP combat de façon plus globale pour une meilleure
74 A ce sujet, lire le rapport du Programme des nations-unies pour l’environnement (PNUE) « Environmental assessement on Ogoniland » sortir en 2011. Il estime que pour une zone très restreinte de cette région de l’Ogoni dans l’Etat de Rivers salie par Shell dans les années 1990, il faudrait plus de 10 milliards de dollars de nettoyage. 75 Jean-Marie Chevalier et Marie-Claire Aoun, La Croissance, la promotion de l'emploi et la gestion de la rente pétrolière : défis et enjeux, conférence à Nouakchott le 26 février 2007, p. 2. 76 Ce chiffre est donné dans le rapport du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), « Environmental Assessement of Ogoniland», 2011.
95
redistribution des revenus pétroliers entre l’Etat fédéral et les Etats producteurs ainsi que
contre les pratiques d'exploitation du pétrole par les compagnies qui dégradent
considérablement l'environnement. Entre 1976 et 1999, le pourcentage revenant aux Etats
producteurs n'est que de 3%77.Ces manifestations, exclusivement pacifiques, conduisent
cependant le chef de l'Etat de l'époque Sani Abacha, à pendre Ken Saro-Wiwa, ainsi que neuf
autres activistes du MOSOP en 1995.
Le relatif échec des dirigeants du MOSOP à contrôler une plus grande partie des
revenus issus du pétrole va quand même avoir un effet sur la décision du nouveau président
Olusegun Obasanjo, élu en 1999. Quatre ans après les pendaisons, il fait passer de 3% à 13%,
la part dévolue aux Etats producteurs. Cependant, si cela symbolise un pas important, cela
reste très insuffisant pour les populations locales et ne change rien aux pratiques des
compagnies notamment face aux problèmes environnementaux (l'autre combat des
communautés du Delta). Cette relative surdité du pouvoir contribue à la fin des années
1990/début des années 2000, à l’émergence de nouvelles "rebellions" plus exigeantes et plus
violentes envers l’Etat et les compagnies. Le combat pacifique semble en effet révolu. Un
discours de radicalisation se fait jour avec l'apologie de l'utilisation des armes contre les
pétroliers ainsi que l'armée nigériane (cette dernière symbolise l'Etat dans ce qu'il a de pire : la
répression violente). Ces nouveaux mouvements continuent toujours à défendre une ethnie en
particulier, mais cette fois-ci c'est celle des Ijaw qui représente l'une des plus grandes
communautés (la deuxième en nombre après les Ibo) dans plusieurs des neuf Etats du Delta et
en particulier dans celui de Bayelsa. On estime à 14 millions leur nombre au Nigeria (chiffres
à prendre avec précaution car les recensements sont fortement contestés78). Plusieurs
mouvements se créent pour représenter les revendications de cette ethnie. C'est le cas
notamment des Ijaw Youth Council (IYC) qui dans leur manifeste de 1998 (The Kaima
Declaration, voir en annexe 1) n'emploie pas de termes violents mais revendique leur droit
d'obtenir les revenus du pétrole sur leur sol même s'il ne demande pas d'indépendance. Deux
points sont particulièrement importants à cet égard dans le communiqué final de la réunion
dont sortira The Kaima Declaration:
77 A l'indépendance en 1960, il était de 60%. Cependant à l'époque, les revenus pétroliers étaient très faibles. La production a cru significativement à partir de 1970 où il a atteint 1 million de barils par jour. Source : BP Statistical Review of World Eneegy 2010. 78 Kathryn Nwajiaku, Between Discourse and Reality, The politics of oil and Ijaw Ethnic Nationalism in the Niger Delta, Cahier d'Etudes Africaines, 2005. L'auteure utilise la fourchette entre 8 et 12 millions en se basant sur les travaux de Sokari Okine (2001) ou de Human Rights Watch. Selon Nwajiaku, le recensement de 1952 fait mention de 900 000 Ijaw et aucune autre recherche de terrain n'a pu mesurer précisément le nombre de membres de cette communauté. Ce commentaire est d'ailleurs valable pour la plupart d'entre elles au Nigeria.
96
4. Ijaw youths in all the communities in all Ijaw clans in the Niger Delta will take
steps to implement these resolutions beginning from the 30th of December, 1998, as a step
towards reclaiming the control of our lives. We, therefore, demand that all oil companies
stop all exploration and exploitation activities in the Ijaw area. We are tired of gas flaring;
oil spillages, blowouts and being labelled saboteurs and terrorists. It is a case of preparing
the noose for our hanging. We reject this labelling. Hence, we advise all oil companies staff
and contractors to withdraw from Ijaw territories by the 30th December, 1998 pending the
resolution of the issue of resource ownership and control in the Ijaw area of the Niger
Delta.
"Les jeunes Ijaw dans toutes les communautés du delta du Niger vont prendre des
mesures pour mettre en pratique les résolutions suivantes avant le 30 décembre 1998, afin de
montrer que nous pouvons prendre le contrôle de notre destin. Nous demandons que toutes
les compagnies arrêtent l'exploration et la production de pétrole dans la zone Ijaw. Nous en
avons assez du torchage du gaz, des marées noires ainsi que d'être considérés responsables
de ces faits et appelés de ce fait saboteurs et terroristes. Nous rejetons cette responsabilité et
ces termes. En conséquence, nous conseillons à toutes les compagnies et leurs salariés de
partir du territoire Ijaw au plus tard au 30 décembre 1998, en attendant de trouver une
solution concernant le contrôle des ressources dans la région Ijaw du delta du Niger"
Le point 10 est également à noter:
10. We agreed to remain within Nigeria but to demand and work for Self
Government and resource control for the Ijaw people. Conference approved that the best
way for Nigeria is a federation of ethnic nationalities. The federation should be run on the
basis equality and social justice.
Nous acceptons de rester au sein de la fédération du Nigeria mais à la seule condition
que les Ijaw puissant s'approprier et contrôler les ressources de leur sol. La conférence (de
Kaima) considère que le meilleur futur pour le Nigeria est une fédération basée sur les
ethnies. La fédération doit être gérée sur des bases de justice et équité.
97
Le manifeste revendique aussi ainsi la création d'un "Ijaw Land". Pour résumer, les
Ijaw veulent obtenir 100% des revenus des ressources pétrolières extraits sur leur sol, et ce
même s'ils ne sont jamais les seuls sur un territoire.
Ce mouvement qui a des revendications fortes et légitimes pour beaucoup est dirigé de
2001 à 2004 par un militant converti à l'islam79 "Mujahid" Asari Dokubo80. Cependant très
vite, en désaccord avec les autres leaders, Dokubo créé en 2004 le Niger Delta People's
Volunteer Force (NDPVF), qui va lutter à Port Harcourt et Warri (les deux plus grandes villes
du Delta) contre un mouvement rivale, le Niger Delta Vigilant (NDV) dirigé par un autre Ijaw
Tom Ateke. L'action violente est lancée. Si le mot Ijaw disparait des dénominations de ces
deux groupes, ils sont tous les deux quasi exclusivement formés de membres de cette ethnie.
S'ils ont aussi des revendications politiques, comme le contrôle de la manne pétrolière par les
populations locales, ils ont surtout comme but de s'arroger le "business" très rentable de la
contrebande de pétrole brut81. Ils aident aussi les hommes politiques locaux durant les
élections en échange d'une certaine immunité pour leurs "affaires". Dokubo est par exemple à
cette époque réputé très proche du gouverneur de Rivers Peter Odili82. Si les mouvements
Ijaw sont fortement réprimés par le pouvoir fédéral, ils sont également fortement
décrédibilisés par leurs actions dans les villes où nombre de civils meurent alors que c'est à
Abuja que les décisions se prennent. Les idéaux de Kaima sont d'une certaine manière battue
en brèche par l'affairisme des leaders Ijaw de l'époque.
Le MEND ou la professionnalisation du combat contre l'Etat et les compagnies
La création en 2006 du Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND) marque
une nouvelle étape dans la violence. Le MEND est le premier mouvement d'ampleur qui ne se
réclame pas d'une ethnie en particulier mais de tous les habitants de la région du Delta. Dans
son premier courriel envoyé à certains organismes de presse locaux en janvier 2006, sa
rhétorique est autrement plus radicale que ces prédécesseurs: « notre but est de détruire
entièrement la capacité du gouvernement à exporter du pétrole ». Le MEND veut aussi que la
terre du Delta appartienne aux habitants et que la redistribution soit revue. Constatant que ces
79 La grande majorité des habitants du Delta sont chrétiens ou animistes contrairement aux Etats du nord où la religion musulmane est dominante. 80 Nous avons pu rencontrer ce dernier en 2010. 81 Les professionnels du secteur pétrolier, estiment le vol de pétrole par les militants et hommes d'affaires locaux à quelque 150 000 b/j en période normale, c'est-à-dire en dehors des crises de 2006/2009 où ce chiffre a explosé. Source : Le volume de 150 000 b/j volé a été donné lors d'un discours du Vice-président de Shell Africa Ian Craig, le 20 février 2012 à Abuja lors de la conférence Nigeria Oil & Gas 2012. Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 82 Kathryn Nwajiaku, Ibid.
98
revendications n'avancent pas, il veut contraindre l'Etat à négocier en détruisant les
infrastructures pétrolières. Le MEND effectue sa première attaque en janvier 2006 où il
assassine neuf salariés de la société parapétrolière italienne Saipem. Le groupe met en place
une habile stratégie de communication: il revendique ses attaques par des courriels envoyés à
des journalistes identifiés, sous l'alias Jomo Gbomo. Cependant, aucun de ses membres ne se
fait connaître publiquement. Le MEND n'a pas non plus de hiérarchie formellement établie.
Le mouvement est une sorte de nébuleuse comme est devenue Al Qaeda, où certains de ses
membres participent à des actions en son nom puis reprennent ensuite leur autonomie.
Plusieurs de ses militants vont cependant se faire arrêter, c'est notamment le cas de Henry
Okah, considéré comme le vendeur d'arme attitré du mouvement. Okah est incarcéré en
septembre 2007 alors qu'il est en Angola, il sera extradé en 2008 vers le Nigeria puis libéré en
2009 lors d'un processus d'amnistie. Il est incarcéré à nouveau depuis 2010 près de
Johannesburg.
Grâce à ses moyens venant en partie du trafic de pétrole brut (comme les mouvements plus
anciens), le MEND a à sa disposition d'implorantes capacités de nuisance : bateaux rapides,
armements lourds... Ces combattants sont de plus bien entraînés. Le MEND parvient
rapidement à déployer sa stratégie de prise en otage de l'industrie pétrolière contraignant le
gouvernement de négocier. L‘organisation frappe les pétroliers au cœur: les oléoducs,
gazoducs sautent, les usines de liquéfaction sont endommagées. Ces attentats arrêtent chaque
fois la production pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Cela est grandement
facilité par des militants qui travaillent aussi pour les compagnies pétrolières et savent
précisément quels sont les points névralgiques à viser83. Il n'y a d'ailleurs pas davantage
d'étanchéité entre les membres de l'armée et le MEND. En effet, les soldats nigérians, mal
payés, peuvent soutenir pour des raisons financières et même parfois idéologiques ce
mouvement, alors même qu'ils sont partie intégrante des forces de défense.
Le MEND a aussi la particularité d'attaquer dans les zones où les pétroliers se sentaient
auparavant en sécurité comme dans l'offshore, parfois très loin des côtes. Le 2 juin 2006 par
exemple, ils prennent le contrôle d'une plateforme de la société pétrolière norvégienne Statoil.
16 personnes y sont kidnappées. Le 20 juin 2008, des bateaux rapides attaquent la plateforme
de Bonga (produisant plus de 200 000 bpj), située à 120 kilomètres des côtes. Si cette attaque
83 Discussions depuis 2011 avec des militants ayant accepté l’amnistie de 2009 et envoyés en Malaisie pour une formation.
99
fait peu de dégât, elle est orchestrée comme une démonstration de force : l'organisation peut
désormais agir partout. Après plusieurs bombardements de l'armée nigériane contre des
villages où seraient cachés des militants en septembre 2008, la mission "Barbarossa" est
lancée par le MEND où plusieurs dizaines d'attaques vont faire à nouveau plonger la
production pétrolière et gazière. Puis un cessez le feu intervient le 27 septembre 2008, rompu
dès le 30 janvier 2009. Le 25 février 2009, une nouvelle étape est franchie, un hélicoptère en
vol transportant des civils est visé. Plus aucun espace (mer, terre, air) n'est désormais sûr. Le
11 juillet 2009, le MEND sort du Delta en faisant sa première attaque à la bombe dans la
capitale économique du pays à Lagos. Il monte encore d'un cran sa capacité de nuisance avec
l'attentat du le 1er octobre 2010 à Abuja, la capitale fédérale, lors de la célébration du
cinquantenaire de l'indépendance.
Le but immédiat des activités du MEND au Nigeria est atteint, la production d'hydrocarbures
plonge. Certains jours de 2009, elle sera divisée par trois. Entre 2008 et 2009, la production
gazière a baissé de 29% passant de 35 à 25 milliards de mètres cube durant l'année. On assiste
dans le même temps à l'explosion des budgets sécurité des sociétés pétrolières. Dennis
Amachree, le chef de la sécurité d'Addax (une des sociétés actives dans le Delta) estime en
février 2009 les budgets sécurité des sociétés pétrolières de la région (primes d'assurance,
employés, mesures de sécurité en général) à 3,5 milliards de dollars pour l'année 2007, et à
plus de 3 milliards de dollars les pertes de pétrole.
Les réponses de l'Etat nigérian face aux défis posés par les militants du Delta
Pour résoudre la crise du Delta, le président nigérien Olusegun Obasanjo, met en place dès la
première année de son mandat, en 2000, le Niger Delta Development Commission (NDDC)84.
Ce dernier a pour but de financer des projets d'infrastructures et faciliter la création d'emplois
pour la région. Mais les budgets de cette institution, trop limités, empêchent des résultats
significatifs. Cette institution n'a comme seul résultat tangible de placer des personnalités
influentes du Delta à son conseil d'administration. Par chance, à l'époque, les combats sont
encore peu violents. Pour écraser les premiers actes de violence, en plus du volet économique,
Obasanjo met en place en 2003 la Joint Task Force (JTF), formée de militaires et de policiers
d'élite spécialement chargés de ramener le calme dans le Delta (elle sera dès 2010 envoyée
84 Pour voir le détail des tentatives de règlement politique des violences dans le delta, Benjamin Augé, « Pillage et vandalisme dans le delta du Niger », Hérodote, 2009.
100
dans le Nord pour mater avec un succès mitigé les membres de la secte Boko Haram).
Cependant, très vite, les JTF vont se forger une mauvaise réputation de par leur extrême
violence. De plus, ils vont aussi s'intéresser au "business" du recel du pétrole de contrebande,
tout comme certains groupes de militants.
L'arrivée du président Umaru Yar'Adua en mai 2007 va assez peu modifier la stratégie globale
dans ces premières années de gouvernement85. Yar'Adua crée le 4 septembre 2008 le Niger
Delta Technical Committee (NDTC) avec à sa tête le dirigeant du MOSOP, Ledum Mitee.
Les membres de ce comité sont installés le 8 septembre avec comme triple mission de
synthétiser tous les rapports effectués sur la question du Delta depuis 1958, d’en tirer les
recommandations à court, moyen et long terme et de faire des propositions pour une solution
pérenne. Après trois mois de consultations, y compris avec le MEND, le NDTC rend son
rapport. Ses recommandations les plus marquantes sont : l’augmentation immédiate de 13 à
25% du pourcentage des revenus du pétrole alloué au Delta, une amnistie pour un certain
nombre de leaders rebelles et une réinsertion des militants. Le rapport, jamais publié, n'a
aucune suite immédiate. Fin décembre 2008, le premier ministre en charge du Delta est enfin
nommé, mais une fois de plus, il n'a qu'un très faible budget à sa disposition, tout comme le
NDDC. Sa nomination ne va pas modifier la politique vis-à-vis du Delta.
Devant l'inefficacité des mesures politiques et militaires (la production pétrolière continue à
s'écrouler avec l'accroissement des attaques), le président Yar'Adua, poussé par les sociétés
pétrolières à agir, propose en mai 2009 un projet d'amnistie qu'il lance le 25 juin 2009. Il
faudra cependant attendre le 25 octobre pour que le MEND accepte enfin une nouvelle trêve.
Entre le 6 août et le 4 octobre 2009, fenêtre ouverte par le gouvernement aux militants, 20 192
militants ont officiellement ralliés ce processus d'amnistie. D'autres militants ont souhaité,
après coup, rallier le programme qui compte en 2010, près de 26 000 personnes. L'amnistie
permet déjà aux 26 358 militants "de base" qui ont accepté de rendre leur arme86 d'obtenir un
paiement mensuel de 52 000 nairas soit 338 dollars. Quant aux chefs, ils négocient
directement avec le conseiller du président pour le Delta en charge de l'amnistie, Timi Alaibe
puis depuis 2010 Kingsley Kuku87. Leurs avantages sont considérablement plus importants.
85 Benjamin Augé, ibid. 86 Il semble évident qu'ils n'ont rendu qu'une partie de leur arsenal au cas où la situation dégénérerait à nouveau. 87 Avec lequel nous avons pu nous entretenir à de nombreuses reprises.
101
On peut citer le cas de Boyloaf, Farah Dagogo, Tom Polo qui obtiennent des montants plus
généreux ainsi que des garanties de sécurité de la présidence.
L'autre volet de l'amnistie est la formation/réinsertion. Des centres de "rééducations" sont
créés dans le Delta pour apprendre un métier aux militants. Certains sont envoyés à l'étranger.
Au total, 1 538 anciens rebelles, sur les quelque 5 280 qui étaient en cours de formation fin
2011, ont trouvé une place à l'étranger. En majorité, les Etats qui les accueillent sont assez
peu implantés économiquement au Nigeria : Afrique du Sud (933), Malaisie (172),
Philippines (129), Inde (65), Bénin (42), Sri Lanka (34), Pologne (21)88. A l'inverse, ceux
disposant déjà d'intérêts économiques importants dans le pays sont moins accueillants : seuls
64 militants sont en Russie, 56 aux Etats-Unis et 22 en Israël. Ces formations ne se font
cependant pas sans heurts, certains envoyés en Malaisie, avec lesquelles nous nous sommes
entretenus, n'avaient toujours pas commencé leur formation après un an dans le pays. De
même, au Ghana, une dizaine d'entre eux ont même été incarcérés début 2011 pour mauvaise
conduite89. Enfin, l'un des 74 militants envoyés en Malaisie en juin 2010, soit après huit mois
sur place, nous a appris90 qu'une bonne partie de ses "collègues" ne savent même pas écrire
leur nom. Ceux-là sont automatiquement mis en échec dans ses formations et leur frustration
de ne pas construire quoique ce soit de nouveau et solide pour leur avenir les poussent à
nouveau vers le militantisme, âge doré où l'argent « coule à flot ».
L'un des autres problèmes de l'amnistie est le budget alloué, quelque 600 millions de dollars
en 2011 et "seulement" 458 millions (74 milliards de Nairas) en 201291. Ce budget qui est très
faible compte tenu du nombre de militants engagés, va continuer à diminuer jusqu'à l'arrêt du
dispositif. Kingsley Kuku évoque parfois une échéance vers 2013/2014 comme fin de
l'amnistie mais il est nécessaire de se demander à quoi tout cela va servir si tous les militants
ne sont pas bien réinsérés ? Or, cette hypothèse est bien la plus probable.
88 Ces chiffres comme ce paragraphe sont issus d'entretiens avec des militants ainsi qu’avec Kingsley Kuku, le conseiller du président nigérian pour la région du delta. 89 Africa Energy Intelligence, 23 février 2011, n°646. 90 Conversation privée en mars 2011. 91 Africa Energy Intelligence, n°668, 1er février 2012.
102
Les causes profondes du militantisme dans le delta du Niger
Il est difficile de comprendre les problèmes actuels de sécurité dans la région du Delta en
mettant de côté la place prépondérante du pétrole et du secteur de l’énergie dans le pays. La
mauvaise gestion du pétrole est certainement la cause essentielle des troubles de la région du
Delta ; elle est aussi l’une des grandes faiblesses d’un pays qui n’a pas réussi à développer
d’autres industries fortes pour la contrebalancer. Le pétrole représente 95% des exportations
et près de 80% des recettes du budget de l’Etat fédéral. Le pays a gagné 330 milliards de
dollars de revenus pétroliers de 1971 à 2000, plus de 100 milliards de 2000 à 2004 et plus de
55 milliards en 200792. Malgré cela, le Nigeria se trouve toujours dans le bas du tableau en
termes de développement mais dans les places de tête pour la corruption.
L’un des principaux problèmes de la gestion pétrolière du Nigeria tient dans sa politique
décentralisatrice. Alors qu’à l’indépendance, le Nigeria était composé de trois grandes
régions, il compte aujourd’hui trente-six Etats, eux même subdivisés en 774 gouvernements
locaux. Dans les zones de production, ces gouvernements locaux peuvent s’avérer être le
premier maillon à «graisser» pour que les compagnies pétrolières travaillent en relative paix.
Cette décentralisation incomplète s’est révélée désastreuse pour la gestion pétrolière. L’Etat
fédéral redistribuait 50% des revenus du pétrole aux régions pétrolières en 1960, puis 45% en
1970. A mesure que la production a cru, le pourcentage a continué à s'effondrer : 20% (1975)
2% (1982), 1.5% (1984) puis une légère amélioration en 1992 avec 3%93. L'une des
principales raisons de cette baisse de la "redérivation" dès les années 1970 est que le pouvoir
militaire en place pendant de nombreuses décennies au Nigeria se désintéressent
complètement du développement du Delta, (la quasi-totalité des dirigeants venaient du Nord,
du centre et de Lagos) et ont privilégié les dépenses liées à la création de la nouvelle capitale
politique Abuja. Comme on l’a vu en 1999, le premier président civil élu Olusegun Obasanjo
porte le pourcentage de redistribution aux Etats producteurs à 13%. Le budget des Etats
dépend encore aujourd’hui en grande partie des redistributions de l’Etat fédéral qui viennent
quasi exclusivement des recettes pétrolières. La décentralisation a complètement échoué sur le
plan de la gestion pétrolière car tout est verrouillé à Abuja. De plus, la multiplication des Etats
et des gouvernements locaux diluent les sommes versées à chacune des entités administratives
et rend la dépense publique peu efficace de par son "émiettement". 92 L’année 2007 a été meilleure pour les revenus pétroliers au Nigeria. Cela s'explique par une production stable contrairement à 2008 où les cours sont en moyenne plus élevée mais où la production est en chute libre du fait des attaques des militants. 93 Ces pourcentages sont disponibles dans le texte de la déclaration de Kaima des Ijaw (en annexe).
103
Ces dotations spéciales aux Etats producteurs sont aussi très mal perçues dans le Nord du
pays. Si les militants ont de tout temps demandé une meilleure répartition entre l'Etat fédéral
et leur propre dotation, ceux du Nord combattent même le principe de son automaticité. Le
gouverneur de l'Etat nordiste de Niger (nord-ouest, en dehors du Delta), Mu’azu Babangida
Aliyu, depuis 2012 critique cette formule qui doit, selon lui, profondément changer.
S'exprimant en tant que représentant des 12 Etats nordistes regroupés dans une association,
dont il est le président, Aliyu propose par exemple de ne pas inclure les revenus des champs
pétroliers loin des côtes dans les 13% de redistribution94. Ces gisements seraient ainsi
considérés comme appartenant à l'Etat nigérian -car dans ses eaux territoriales- mais sans
rétribution particulière pour les Etats producteurs, très loin géographiquement. Ce procédé
permettrait alors que les Etats du nord notamment, plus pauvres, obtiennent d'avantage
d'Abuja, car celui-ci ne rétrocéderait pas automatiquement 13% au Delta sur ces nouveaux
champs. Cette revendication du gouverneur Aliyu s’explique par le fait que le Delta profite
déjà des taxes des pétroliers qui sont actifs sur son territoire, ainsi que des nombreuses
opportunités d'emplois du fait de l'industrie pétrolière. Tout cela n'est pas du tout profitable
pour le nord du pays, qui est principalement agricole et très en retard comparé à Lagos (la
capitale économique) et le Delta.
Cette lutte des différentes ethnies du delta, qui n'ont pour le moment pas vraiment portée
leur fruit (à part pour les militants amnistiés), se situe dans un contexte national très difficile.
Alors qu'il est le premier producteur de pétrole du continent, le Nigeria se montre par exemple
incapable de raffiner la quantité nécessaire de produits pour sa propre consommation (250
000 bpj) alors que celle-ci ne représente qu’1/6ème de sa production de brut. De même, pour sa
consommation électrique, le Nigeria produisait en 2011 3.000 MW pour 150 millions
d’habitants. Par comparaison, l’Afrique du Sud possède 43 000 MW de capacité installée
alors qu'elle ne compte que 48 millions d’habitants et ne jouit que de très peu de gaz et de
pétrole (20 000 bpj seulement). Cela est d'autant plus problématique que les compagnies
pétrolières ont depuis 50 ans brûlé la quasi-totalité du gaz associé au pétrole. Cette action
appelée « torchage » est estimé à 70 million de mètres cubes par jour95 par le vice-président
nigérian en 2008, fait perdre 2 à 3 milliards de dollars par an au Nigeria, détériore
l’environnement et contribue à la pénurie de gaz des centrales électriques qui ne peuvent donc
94 Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 95 Chiffres donnés par le vice-président de l'époque Goodluck Jonathan, devenu président depuis 2010, dans un discours prononcé le 11 février 2008 pour les 50 ans du début de la production pétrolière.
104
pas délivrer suffisamment de courant. Le Nigeria détient aujourd’hui les premières réserves
gazières d’Afrique, devant l’Algérie. Cependant, du fait de ce torchage massif du gaz associé,
il n’arrive qu’en troisième position, pour la production, après l’Algérie et l’Egypte96. Le
manque de volonté politique prime aussi ici, car les gouvernements, n’ont pas su contraindre
les sociétés pétrolières à stopper le torchage. Cette pratique est officiellement interdite depuis
1984, après le vote de « The associated Gas Re-injection Act », en 1979. Sous la présidence
Obasanjo, le Parlement vote une résolution donnant aux compagnies jusqu’au 31 décembre
2007, pour se conformer à la loi. Les pétroliers obtiennent un nouveau délai d’un an sous
Yar’Adua. A partir du 31 décembre 2008, les compagnies s’acquittent d’une amende de 3,50
dollars par 1000 mètres cubes de gaz torché. Cependant, aucune compagnie n’a créé les
réseaux nécessaires à l’arrêt du torchage dans les temps impartis. Les compagnies ne cessent
de négocier pour obtenir de nouvelles échéances pour se mettre en conformité avec la loi97.
Les pétroliers sont devant un dilemme, vendre le gaz au Nigeria en construisant des réseaux
coûteux et produire à quasi perte, brûler ce gaz, ou bien trouver des clients sur le marché
international qui seront livrés sous forme de gaz liquéfié, et gagner de l'argent. La ministre
des ressources pétrolières Diezani Alison-Madueke arrivée en mai 201098, a proposé dès le
mois de juin aux compagnies, une hausse graduelle des prix d'achat du gaz pour
l'approvisionnement des centrales. Le million de BTU (British Thermal Unit), unité de mesure
utilisée le plus couramment, passerait à 1 dollar à la fin 2010 au lieu de 0,2 auparavant, puis à
1,5 dollar en 2011 et 2 dollars en 2012. Cette mesure pourrait à terme changer la donne.
Cependant, au début 2012, cette nouvelle grille de prix n'était toujours pas appliquée et les
coupures de courant systématiques. La population consciente des ressources du pays, déplore
cette gestion très mauvaise du secteur énergétique et ne peut que constater que son niveau de
vie baisse et qu'aucun "business" ne peut survivre à l'absence d'énergie.
96 BP Statistical Review of World Energy, 2010. 97 Africa Energy Intelligence, n°601, 25 mars 2009. 98 Diezani Allison-Madueke a un parcours singulier car elle a pasé la plus grande partie de sa carrière chez Shell (société la plus haïe au Nigeria). Elle a notamment été la directrice exécutive de Shell dans le pays de 2006 à 2007. Son père a par ailleurs été un cadre de la major anglo-néerlandaise : Diezani Allison-Madueke a ainsi grandi sur un compound du groupe à Rumuomasi (Port Harcourt).
105
Les tensions géopolitiques liées au pétrole et l'arrivée de Boko Haram
Le président de transition Goodluck Jonathan qui a remporté le scrutin présidentiel nigérian
d'avril 2011 doit lutter sur plusieurs fronts en même temps. Si le Delta se réarme et les
attentats et kidnapping reprennent car les problèmes de fond n'ont pas été réglés, le « feu
brûle » dans le nord du pays. La montée en puissance de la secte islamiste Boko Haram active
au départ dans les Etats nordistes de Borno, Yobe, Bauchi et Kano depuis 2002 a connu une
accélération avec l'attentat suicide du 26 août 2011 contre le siège de l'ONU à Abuja où 18
personnes ont péri. Boko Haram qui demande une application stricte de la sharia
(théoriquement en place depuis 1999 dans le Nord) s'est radicalisée lors de la mort de 700 de
ses membres ainsi que de son leader Mohamed Yusuf en 2009. L'élection de Goodluck
Jonathan, un chrétien du Delta en 2011 a encore aggravé la détermination du mouvement à
perpétrer davantage de violence. En effet, lors de son arrivée au pouvoir, Jonathan a mis aux
postes stratégiques des personnes qui lui sont proches (comme la ministre du pétrole ou le
conseiller sécurité du Nigeria Andrew Azazi), au détriment des nordistes (la plupart du temps
musulmans) qui ont pris l'habitude de conserver des prébendes et des avantages depuis
l'indépendance. Cela a créé une grande frustration des élites du nord qui ont pour certains
d’entre eux soutenu Boko Haram qui n'était à l'origine qu'un petit groupe extrémiste local. Le
groupe a tué plus de 100 personnes lors d'attentats simultanés le 25 décembre 2011. Des
églises chrétiennes ont été visées faisant craindre une guerre de religion. Or, il n'en est rien ou
plutôt cela n’est qu’une représentation commode99. Boko Haram est désormais
instrumentalisé par certains nordistes pour obtenir une part du gâteau pétrolier dont ils ont pu
jouir grâce à des postes décisionnels à Abuja pendant des années. Si le gouvernement a eu la
même stratégie lors des premières années de Boko Haram "on ne négocie pas avec des
terroristes, on les écrase", il a été obligé de négocier. Boko Haram vise aussi l'Etat lors
d'attaques de postes de police (à Kano par exemple en janvier 2012), il a donc davantage un
message politique que religieux. Ce discours prolifère sur un terreau fertile grâce à la pauvreté
du nord et la grande frustration face aux revenus engrangés par le delta, "aggravées" par
l'argent de l'amnistie. Boko Haram cherche donc à faire d'une certaine manière comme le
MEND : créer une situation telle, que l’Etat fédéral sera contraint de proposer des amnisties
pour les jeunes « lampistes » et des grosses sommes ou postes pour les leaders.
99 Voir l’article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos: « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria :insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ? », CERI, Sciences-Po, juin 2012.
106
Goodluck Jonathan se trouve donc dans une situation difficile. Il ne peut favoriser le statu quo
dans le Delta. L'amnistie ne durera pas et n'a pas réglé grand-chose, elle a juste permis
d’acheter du temps pour les pétroliers et renflouer les caisses de l'Etat. Cependant, il ne peut
pas trop promettre au Delta, région dont il est originaire. Les habitants du Nord ne
comprendraient pas que le président nigérian augmente à nouveau les revenus du sud-est, cela
montrerait qu'il est influencé par sa région. De plus, cela conduirait à amoindrir les revenus
alloués au Nord, et aussi par ricochet, ceux du gouvernement central qui en a grandement
besoin. La menace de Boko Haram empêche désormais toute initiative dans ce sens. A
l'inverse, le président ne peut pas donner trop au nord, sous peine d'avoir d'autres mouvements
du même type naître avec d'autres revendications qui déstabiliseraient un peu plus encore le
pays. De plus, les militants sont très hostiles à toute aide au nord comme celles dont ils ont
bénéficiés. Ils se considèrent comme des militants "chevalier blanc contre les pétroliers et
l'Etat fédéral" alors qu'ils considèrent Boko Haram comme des terroristes100.
Pour finir avec le delta, les manifestations violentes des militants depuis le début des années
2000 ne doivent pas uniquement être perçues comme la conséquence du désespoir. Le chaos
des Etats pétroliers permet au "business" du vol du brut, par le perçage d'oléoduc ou grâce à
des organisations bien plus grandes qui s'emparent de plus grandes quantités, de prospérer
plus facilement. Les mouvements Ijaw comme ceux d’Asari Dokubo au début des années
2000 ou certaines entités du MEND à partir de 2006 gagnent beaucoup d'argent grâce à ce
pétrole. Ils le raffinent dans des petites structures de fortune puis le revende dans les pays
frontaliers comme au Cameroun, Bénin, Niger et Tchad ou alors payent les douaniers et les
responsables des ports pour emporter des cargaisons entières au large. Le pétrole est ensuite
raffiné dans les grandes structures de la région, Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire et Ghana et
est ainsi "blanchi". Ce commerce a pu atteindre en 2008, pire moment de la crise, quelque
15% de la production du pays soit plus de 200 000 bpj. Très souvent le discours politique de
ces mouvements n'est qu'un vernis. Cependant, tant que la corruption des élites du pays
empêchera les habitants de profiter de la manne pétrolière, que l'environnement sera pollué
par l'exploitation pétrolière sauvage sans que l'Etat prenne des mesures de coercition, tous les
mouvements de militants pourront prospérer sur un mécontentement des Nigérians. Cela est
aussi valable pour Boko Haram au nord, qui applique une stratégie "miroir" avec celle les
militants du Delta: "le chaos pour obtenir des dollars".
100 Multiples conversations avec des militants.
107
2-4 L'exploration et la production pétrolière dans le Sahara, un défi sécuritaire
et géopolitique
Toujours dans l'objectif d'expliquer les évolutions récentes du continent en matière pétrolière,
il est nécessaire de parler d'une zone géographique assez méconnue pour ce secteur : la bande
saharo-sahélienne. Grâce à nos nombreux terrains dans la région (en Mauritanie et au Mali)
ainsi que des conversations très fréquentes avec les cadres des ministères et des sociétés
pétrolières au Tchad et au Niger, nous allons tenter de poursuivre l'axe directeur de cette
première partie, à savoir le conflit lié à l'exploration et la production des hydrocarbures en
Afrique. Le Sahara est depuis 2007 largement troublée par les actions de nombreux
mouvements islamiques comme Al Qaeda Au Maghreb Islamique ainsi que par la question
Touareg dont la zone d'influence couvre le nord du Mali et du Niger ainsi que le Sud de
l'Algérie101. De même, la description de la zone du Sahara permet de parler d'un autre type de
conflit en invoquant un autre acteur : la Chine. Le Niger et le Tchad ont mis en grande partie
leur destin pétrolier dans les mains de cette puissance asiatique : le résultat est mitigé. Enfin,
l'un des autres aspects géopolitiques essentiels, en dehors des menaces sécuritaires
croissantes, est la difficulté d'exporter le brut dans cette zone totalement enclavée (cela fera
écho avec le thème de notre troisième partie).
L'exploration pétrolière dans la région saharienne a beaucoup évolué depuis une dizaine
d'années, résultat principalement d'une augmentation des cours du pétrole sur les marchés
internationaux. Cette vaste étendue caractérisée par une hyper aridité englobe
géographiquement des régions allant de la Mauritanie jusqu'au Soudan, en passant par
l'Algérie, le Mali, le Burkina Faso, la Libye, le Niger, le Tchad et le Soudan. L'exploration au
Sahara n'est cependant pas une nouveauté pour tous les pays de la région. Les sociétés
pétrolières, en particulier française, ont commencé à produire dans la partie septentrionale du
Sahara algérien à partir de 1958 (même année que sur les côtes libyennes ainsi qu'au Nigeria).
Cependant, il a fallu attendre 1999 pour qu'un autre pays de cette zone devienne producteur.
En effet, le Soudan grâce à la China National Petroleum Corporation102 et à Petronas
(Malaisie) produit quelque 450 000 barils par jour dans la région qui est devenu le 9 juillet
2011, l'Etat du Soudan du Sud103. La zone de production échappe pourtant à la région
101 Voir Emmanuel Grégoire, "Touaregs du Niger, le destin d'un mythe", Nle éd., 2001, Paris, Éd. Karthala, 360 p., (coll. Hommes et Sociétés). 102 China National Petroleum Corporation. 103 Une partie des gisements pétroliers sont également sous le contrôle unique de Khartoum à hauteur de 100 000 baril par jour mais une partie des blocs sont situés à cheval sur la frontière ce qui pose de lourds problèmes dans les négociations entre les deux Etats.
108
saharienne, au sens purement climatique du terme, qui s'arrête à l'ouest du pays, au Darfour.
Quatre ans après les débuts pétroliers du Soudan, c'est au Tchad, dans la région sud du bassin
de Doba que la production commence avec un peu moins de 150 000 b/j. La Mauritanie
obtient ce statut envié de producteur de pétrole en 2006, grâce au gisement offshore de
Chinguetti situé à 70 kilomètres à l'Ouest de Nouakchott. Enfin, le Niger devient en 2011 le
dernier producteur de pétrole en date du continent africain avec 20 000 b/j qui
approvisionnent la raffinerie de Zinder (ville proche de la frontière avec le Nigeria).
Le poids des sociétés nationales dans la zone saharienne.
L'étude des cadastres pétroliers de la région met en évidence la présence de trois types de
sociétés pétrolières. Le premier, largement dominant et surreprésenté, sont les sociétés d'Etat
maghrébine (principalement Algérie, Tunisie et Libye), du golfe (Qatar et Koweït) ou de
Chine. Le deuxième: les quelques majors et sociétés intermédiaires occidentales, uniquement
européennes, avec notamment Total, ENI, Exxon, Repsol, et Wintershall. Enfin, le troisième
type qui est très répandu, en particulier en Mauritanie jusqu'à peu et au Mali encore
actuellement, sont les très petites sociétés qui sont parfois sans moyen et qui en prenant un
bloc, réalisent une simple affaire de spéculation en espérant que d’autres compagnies opérant
dans des zones proches fassent des découvertes qui valoriseront leur périmètre. Si la présence
des majors est un phénomène assez ancien -les Français se sont intéressés au pétrole et au gaz
du Sahara bien avant l'indépendance de l'Algérie- l'arrivée des sociétés nationales du Maghreb
et de Chine est beaucoup plus récente.
Les sociétés nationales du Maghreb actives au Sahara.
Les sociétés pétrolières nationales venant des pays producteurs du Maghreb s'intéressent toute
à la zone Sahara au sud de leur territoire pour des raisons de contrôle géopolitique d'une sorte
d'arrière-pays car elles ont des relations privilégiés de langue (français ou arabe) et d'histoire.
Leur investissement pétrolier dans cette zone est souvent le premier en dehors de leur
territoire national. Cependant, l'arrivée de ces sociétés coïncide aussi avec la récente hausse
des cours du pétrole qui les poussent, (grâce à leur "cagnotte"), à aller explorer ailleurs que
sur leur sol.
La société algérienne Sonatrach a commencé à s'intéresser aux Etats sahariens du sud il y a
moins d'une dizaine d'années. La Sonatrach International Petroleum Corporation (Sipex), a été
créée et enregistrée aux îles vierges Britanniques en 1999 afin de permettre à Sonatrach de
prendre des participations dans des blocs en dehors du territoire algérien. La multiplication
109
des investissements de Sipex est largement encouragée par les réserves en devises engrangées
par la maison mère pendant "les années folles" de 2000 à 2008 (entre 300 et 400 milliards de
dollars). En 2005, Sonatrach s'est donné comme objectif ambitieux, de produire à l'horizon
d'une décennie, 30% de son débit total de champs en dehors de son territoire national104. Cet
objectif très ambitieux est inatteignable dans le moyen terme.
En 2005, la Sipex commence par prendre 20% des deux blocs détenus par Total (Ta7 et Ta8)
dans la partie mauritanienne du bassin de Taoudenni partagé entre la Mauritanie, le Mali et
l'Algérie105, voir carte ci-dessous :
104 Africa Energy Intelligence, n°505, 2 mars 2005. 105 Le Taoudenni algérien (environ 100 000 km²) n'a quasiment pas été exploré. Il n'y a eu aucun forage, ni de sismique. Juste quelques carottages peu profonds et un travail de terrain de repérage. Cependant selon des discussions avec des cadres de la Sonatrach, la société s'y intéresse et pense qu'il y a d'énormes potentiels mais le développement des zones plus septentrionales est prioritaire. N'oublions pas que le Taoudenni algérien se trouve à l'extrême sud ouest du pays, soit très loin des côtes. Les études du Taoudenni dans les autres pays permettent tout de même aux cadres de Sonatrach de mieux comprendre la géologie de ce bassin en vue d'une exploration prochaine plus poussée du potentiel de leur partie nationale du bassin.
110
Carte n°16: Blocs pétroliers du bassin de Taoudenni en Mauritanie et au Mali
Sources : Ministère du pétrole en Mauritanie, AUREP au Mali, Benjamin Augé
Total voulant partager les risques sur une zone très enclavée et où les connaissances
géologiques sont très faibles, vend également 20% de ces deux périmètres à Qatar Petroleum
en 2007. La même année, Sipex signe un contrat de coopération avec la Société
111
mauritanienne des hydrocarbures (SMH) pour le développement blocs Ta1,
Ta30, Ta31 et Ta3 (sans aucun effet sur le terrain). Sipex poursuit son expansion dans la zone
saharienne en prenant le bloc nigérien de Kafra en 2005 (nord-est du pays) sur lequel elle est
sensée forer en 2012/2013. Enfin, la société algérienne décide de prendre sur le Taoudenni
malien un bloc en propre (le 20) et cinq en partenariat avec la société italienne ENI (blocs 1, 2
,3 ,4 et 9). Cependant en 2009, voyant qu'elle ne pouvait pas honorer ses engagements
contractuels pour tant de blocs, la joint-venture entre les deux sociétés procède à la restitution
des blocs 3 et 9, et signe un avenant au contrat de partage production qui permet la fusion des
blocs 2 et 4. Cette opération ne s'explique aucunement par des problèmes de trésorerie de
Sonatrach mais davantage par le souhait d'attendre les résultats du premier forage dans ce
bassin sur l’un des blocs de Total en Mauritanie (voir carte), achevé à l'été 2010. Sonatrach
souhaite ainsi prendre des risques modérés. Le forage de Total a d'ailleurs été décevant mais
le groupe français est tenu de forer un autre puits. Cependant, l'attentisme de Sonatrach lui
impose de rendre une partie des blocs à l'Etat malien. La société est d'ailleurs aux premières
loges sur le périmètre mauritanien du fait de son partenariat avec la majore française.
Au Mali, Sonatrach a profité durant les deux mandats de l'ex président Amadou Toumani
Touré, de la faiblesse de la gouvernance et du relatif laxisme des autorités pétrolières de ce
pays représentées par l'Autorité pour la promotion de recherche pétrolière (AUREP) pour
repousser son forage depuis 2009. Puisqu'elle n'a plus que deux blocs, elle n'est désormais
contrainte d'effectuer qu'un seul forage par périmètre. Ils devaient "théoriquement" avoir lieu
en 2011 puis en 2012106. Seulement, toute la zone malienne du Taoudenni est depuis le début
2012 contrôlée par le Mouvement National de libération de l'Azawad (MNLA107) qui se sont
ensuite fait doubler par des groupes islamistes comme Al Qaeda au Maghreb Islamique et
Ansar Dine (voir carte 5 sur les gazoducs vers l’Europe). Ces rebellions, alliées de
circonstance, vont empêcher toute exploration pour un temps plus ou moins long selon les
efforts de médiation, dans cette zone qui va de la frontière mauritanienne à celle du Niger. Le
106 Selon l'ex première ministre Mariam Kaidaba Cissé Sidibe, lors de son discours de politique général prononcée le 24 juin 2011 devant l'Assemblée nationale. Cissé a précisément indiqué que le premier forage d'ENI et Sipex sur le bloc 2, dans le bassin de Taoudenni, est désormais programmé pour le mois de février 2012 (Africa Energy Intelligence, n°655, 6 juillet 2011). 107 Le MNLA est en partie composé d'anciens soldats touaregs employés par Mouammar Kadhafi qui ont fui la Libye avec leurs armes et leurs véhicules lors de la chute du régime en 2011. N'ayant pas de place dans la politique et l’économie à leur retour au Mali, ils ont créé divers mouvements de rébellion afin d'être en position de force face au gouvernement. Ils contrôlaient en avril 2012 plus de la moitié du pays. Le discours du MNLA peut prendre facilement dans un contexte d'extrême pauvreté du nord du Mali qui n'a jamais été développé convenablement. La construction d'infrastructure dans cette zone a toujours été un problème du fait des faibles moyens de l'Etat central et surtout la très faible densité de population au nord où à peine quelques centaines de milliers de personnes habitent sur près de 500 000 km², soit la superficie de la France.
112
gel des investissements pétroliers dans le Nord va dépendre de la capacité du Mali à recouvrer
sa souveraineté sur la totalité du territoire.
Hors de la Mauritanie, Mali et Niger, la Sonatrach est aussi active via des joint-ventures,
notamment Numhyd, société mixte contrôlée à 50% par la Sonatrach et à 50% par l'Entreprise
tunisienne d'activités pétrolières (ETAP), société nationale locale. Numhyd dispose de deux
permis en Afrique du Nord : Kabboudia dans l'offshore tunisien et Hmara dans la préfecture
d'Illizi, en Algérie.
L'ETAP tunisienne travaille aussi sous son nom propre, notamment sur la partie
mauritanienne du bassin de Taoudenni. La société a signé un premier accord en 2007,
confirmé en 2008, pour collaborer avec la Société mauritanienne des Hydrocarbures (SMH)
sur l'exploration des périmètres Ta 40, 39, 54 et 22. La SMH créée en 2004, voulait bénéficier
de l'expérience de l'ETAP qui a des participations dans quasiment tous les champs onshore et
offshore en Tunisie108. Cependant au début 2012, cet accord n'était toujours pas ratifié. Ceci
résulte en partie de l'instabilité au poste de ministre en charge du pétrole en Mauritanie où huit
titulaires se sont succédé depuis 2005. Mais elle est aussi le résultat d'un manque réel de
volonté de la part des cadres pétroliers tunisiens. L'accord de 2007 relève d'une décision
politique soulignant la bonne volonté de Tunis vis-à-vis de son "pauvre" voisin du Sud.
Si la Libye n'a pas de participation directe dans l'exploration des pays sahariens par
l'intermédiaire de sa société nationale National Petoleum Corporation (NOC), elle contrôle en
revanche une grande partie des stations-services au Niger. Elle a en effet racheté les actifs
d'ExxonMobil dans la distribution en Tunisie, au Maroc et au Niger en janvier 2008, ainsi
qu'au Sénégal en novembre 2007. C'est la société Tamoil qui appartient à la Libya Oil
Holdings Ltd (l'un des fonds d'investissement libyen109) qui se charge de ces opérations. Le 5
septembre 2009, la LOHL qui possède aujourd'hui près de 3000 stations-services en Afrique,
a fait ses premiers pas dans l'exploration en rentrant au capital de Circle Oil, compagnie
irlandaise. Enfin, ce fonds s'est vu attribuer, en décembre 2007, trois permis d'exploration au
nord du Tchad : Erdiss 1 et 2, ainsi que Djado 1.
108 Selon les chiffres du BP Statistical Review of World Energy 2012, la Tunisie produisait 78 000 bpj en 2011. Sa production n'a jamais dépassé les 118 000 bpj atteint en 1980. La quasi-totalité de son territoire est explorée par des sociétés de taille moyenne. Le pays produit aussi des quantités significatives de gaz, le directeur général de l'Etap a même évoqué dans un entretien au magazine Petrole et Gaz Arabes en janvier 2011, une possible filière d'exportation dans les 5 à 10 prochaines années. 109 Africa Energy Intelligence, n°588, 17 septembre 2008.
113
L'implication des Chinois dans le Sahara
La description de cette zone saharienne nous donne l'occasion de mieux comprendre
l'implication de la Chine dans l'industrie pétrolière africaine. Si la Chine est présente depuis
plusieurs décennies sur le continent, notamment dans la construction, (stades, ministères,
ouvrages d'Art divers), ou même grâce à une diaspora très ancienne comme à Madagascar110,
son arrivée dans le secteur pétrolier est beaucoup plus récente. La Chine possède trois sociétés
pétrolières étatiques, China National Petroleum Co (CNPC), China National Offshore Oil Co
(CNOOC) et Sinopec (voir carte 1) qui ont le devoir de sécuriser les approvisionnements de la
patrie qui ne sont plus, depuis 1993, satisfaits par les ressources nationales en charbon et en
pétrole. En 2011, la Chine consommait quelque 9 millions de barils par jour, et seuls 4
millions étaient produits sur son territoire. La stratégie de son implantation pétrolière en
Afrique s'est faite en trois temps111.
D'abord, la Chine qui n’avait pas les moyens d’être en concurrence frontale avec les majors
occidentales privées cible des pays aux régimes devenus « infréquentables » pour nombre de
pays de l’ONU. C'est ainsi que la CNPC signe en 1996 ses premiers contrats pétroliers avec le
Soudan du président Omar El Béchir. Ce dernier ayant abrité sur son territoire Oussama Ben
Laden (entre 1992 et 1996) et le terroriste Illich Ramirez Sanchez dit "Carlos" ainsi que
soutenu explicitement l'invasion irakienne du Koweït en 1991, est sous embargo américain
depuis 1997. Toutes les sociétés qui ont exploré le pays auparavant, notamment Chevron qui a
fait de multiples découvertes dans les années 1970, sont parties soit du fait de l'instabilité liée
aux deux guerres civiles (1955/1972, 1983-2005) soit suite à l'interdiction américaine
d'investir dans ce pays (cas de Marathon Oil). La CNPC n'a ainsi aucun rival à son arrivée en
1996. Elle produit grâce à d'autres sociétés asiatiques comme ONGC (Inde) et Petronas
(Malaisie) entre 400 et 450 000 b/j depuis 1999 grâce à deux oléoducs partant de l'actuel
Soudan du Sud jusqu'à Port Soudan (nous développerons ce pays dans la dernière partie).
La deuxième étape des activités pétrolières des Chinois s’opère grâce à une politique de
rachat de sociétés déjà existantes, bien implantées en Afrique. C'est le cas avec le rachat en
2009 par Sinopec da la société suisse Addax Petroleum qui produit 100 000 b/j au Nigeria et
au Gabon. Cet achat, d'un montant de 7,2 milliards de dollars, est décidé afin de rentrer sur le
marché nigérian, très difficile d’accès car très concurrentiel. En effet, ce pays est ultra
110 Mathieu Pellerin, « Le renforcement des relations bilatérales Chine - Madagascar », Note de l'Ifri, mars 2011. 111 Cette analyse vient de notre observation grâce à notre travail de veille pour Africa Energy Intelligence ainsi que grâce aux conversations avec les pétroliers los de sommets pétroliers.
114
compétitif et il n'est pas si facile de s’entretenir avec le chef de l'Etat pour tout régler avec lui
et quelques-uns de ses conseillers. Or, les sociétés chinoises fonctionnent le plus souvent ainsi
pour le secteur pétrolier et minier. Elles ont l'habitude de tout régler -contrats et obligations
mutuelles- directement avec la plus haute personnalité de l'Etat, sans même passer parfois par
le ministre. Or, si cela est possible au Soudan qui est aux abois au milieu des années 1990,
cela n'est pas le cas avec le Nigeria112. Cette stratégie de rachat fait également gagner du
temps car une partie des blocs d'Addax sont déjà producteurs. La CNPC a de son côté, pris
pendant cette période des participations sans lendemain en Mauritanie et au Kenya, d'où elle
est par la suite partie. Durant cette deuxième phase de la première décennie du 21ème siècle,
les pétroliers chinois ont beaucoup appris. Ils se sont améliorés technologiquement et ont fait
leur « apprentissage » du continent. Alors qu'ils ont toujours été habitués à travailler seuls
dans leur exploration (les blocs sont souvent opérés avec 100% des parts), les pétroliers
chinois s'ouvrent depuis quelque temps à la coopération avec les occidentaux, c'est ce qu'on
pourrait qualifier de « troisième étape » de leur stratégie africaine. Le cas ougandais illustre
parfaitement cette étape avec la prise par CNOOC de 33% des trois blocs autour du lac
Albert. Or, si CNOOC a bien candidaté, c'est la société Tullow Oil, une junior britannique qui
va faire sciemment le choix de travailler avec les chinois (avec Total). Les dirigeants de
Tullow, avec lesquels nous avons discuté longuement expliquent cette décision comme ceci :
« les Chinois maîtrisent des savoir-faire que nous ne maitrisons pas, comme la construction
d'oléoducs (secteur sous-traité par les majors occidentales depuis longtemps) ou dans le
raffinage, et deuxièmement ce choix a été fait car les sociétés chinoises ont accès à beaucoup
de liquidités ». Dans une période de trouble économique où le crédit est rare, travailler avec
une compagnie étatique est un atout car elle représente un partenaire de long terme. Cela est
encore plus vrai lorsqu’il s’agit de projets complexes où l'enclavement et le passage d'un
oléoduc à travers des pays tiers rend le processus long et coûteux.
L'arrivée dans la région saharienne de la CNPC se déroule plutôt à la fin de sa première phase
d'implantation en Afrique où elle négocie avec des régimes autoritaires. Sa première
participation dans la région remonte à 2005 où elle prend les blocs mauritaniens 12, situés sur
la côte entre Nouakchott et la frontière sénégalaise ainsi que les 13 et 21 sur le bassin de
Taoudenni (partagé avec le Mali et l'Algérie, voir carte 18). CNPC négocie alors à l'époque
avec le pouvoir du militaire Maaouiya Ould Taya qui se fait renverser dès le mois d'août 2005
112 Outre les actifs nigérians de Sinopec grâce au rachat d'Addax, seule la CNOOC est présente dans ce pays : elle possède 45% du bloc offshore OML 130 opéré par Total. Ce permis produit depuis 2009 grâce au champ d'Akpo.
115
par le directeur de la sureté nationale Ely Ould Mohamed Vall113. Ould Taya était au pouvoir
depuis 1984. Après avoir effectué un forage sec (sans aucune découverte) sur le permis 12 en
2007, la société rend tous ses périmètres au gouvernement en 2009, y compris ceux sur le
bassin de Taoudenni, situés juste au sud de ceux opérés par Total. Si la CNPC n'est pas au
Mali114, elle est en revanche au Niger et au Tchad. Au Niger, elle rentre en 2003 sur le bloc de
Ténéré, qui s'étend sur près de 70 000 km² sur les régions de Diffa, Zinder et Agadez115. En
2008, elle prend le contrôle du périmètre géant d'Agadem à l'est du pays dont la production
commencera à la fin 2011 (voir carte ci-dessous).
113 Voir Benjamin Augé, Les enjeux géopolitiques du pétrole en Mauritanie, mémoire de master 2, Institut Français des relations internationales, 2007. 114 Sinopec a pourtant essayé de s'y implanter. Le groupe a en effet longuement rencontré le président malien Amadou Toumani Touré (un militaire également) lorsque d'un séjour en Chine en août 2004. En octobre de la même année, une délégation de Sinpec, conduite par son vice-président Mou Shuling, s'est rendu à Bamako pour négocier des permis dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal avec le premier ministre Ousmane Issoufi Maiga et le ministre de l'énergie Hamed Diane Séméga. Cela ne s'est pourtant pas matérialisé. Africa Energy Intelligence, n°497, 3 novembre 2004. 115 Africa Energy Intelligence, n°475, 26 novembre 2003.
116
Carte n°17: Blocs pétroliers au Niger
Source : ministère nigérien du pétrole
Ces négociations de 2003 et surtout celles de 2008 se déroulent de la même manière : à la
présidence, court-circuitant quasi totalement le ministère des mines de l’époque. La CNPC a
ainsi emporté le contrat d'Agadem grâce à sa proximité avec le président de l'époque
Mamadou Tandja. Ce dernier, lieutenant-colonel de l'armée nigérienne est pourtant arrivé
normalement par les urnes en 1999 puis réélu lors d'un nouveau suffrage en 2004. Cependant,
Tandja va peu à peu administrer ce secteur pétrolier, tout comme celui des mines (le Niger est
le premier producteur d'uranium d'Afrique) comme sa chasse gardée116. En butte aux Français
d'Areva (qui exploite l'uranium), il va se rapprocher de la Chine. Son propre fils,
Ousmane Tandja, va devenir conseiller commercial de l'ambassade du Niger à Pékin, chargé
de faire le pont entre les deux pays117.
Grâce aux 300 millions de bonus et à la promesse de construire une raffinerie de 600 millions
de dollars, la CNPC remporte le bloc d’Agadem. La raffinerie est construite à Zinder
116 Discussions avec plusieurs cadres du ministère nigérien des mines ainsi qu’à la présidence. 117 Africa Mining Intelligence, n°160, 18 juin 2004.
117
(deuxième centre urbain du pays, voir carte suivante), très loin du principal centre de
consommation qui est Niamey, à 890 kilomètres. Mais Zinder n'a pas été choisi au hasard par
Mamadou Tandja. Le président qui envisageait déjà en 2008 de se présenter à un troisième
mandat, ce qui impliquait de modifier la constitution, a voulu lancer plusieurs chantiers
visibles par la population comme un nouveau pont sur le fleuve Niger à Niamey inauguré en
février 2011 ou la raffinerie de Zinder. L'emplacement de cette dernière n'a pas été anodin. Le
but était de ramener les partisans de l'un des principaux opposants à Mamadou Tandja :
Mahamane Ousmane118, dans le giron de Tandja. La Chine accepte donc de financer une
stratégie politique davantage qu’une stratégie économique.
Le succès de CNPC au Tchad est similaire : le pouvoir d'Idriss Déby, (une fois encore un
colonel de l'armée) est total. Déby, arrivé à la tête de l'Etat en décembre 1990, grâce à l'appui
de la France, dirige le pétrole (comme beaucoup d'autres domaines), de façon très
personnelle119. La CNPC peut donc facilement tout régler avec le président et ses quelques
conseillers. Il n'y a pas de nécessité de passer par de longues étapes où les processus édictés
par les codes miniers et pétroliers seraient respectées. Au Tchad, la CNPC est d'abord
associée avec la petite société canadienne Encana, qui développe depuis son arrivée en 2003
les champs du permis de Rônier proches de la petite ville de Bousso (sud-ouest). En 2006, elle
prend 50% des parts du consortium, avant de racheter le 12 janvier 2007 la totalité du permis
H qui se prolonge sur plusieurs bassins sédimentaires. La CNPC promet en septembre 2007,
au président Déby de lui construire une raffinerie en échange de ces champs, cette dernière est
inaugurée en juin 2011 (voir carte suivante). Il est nécessaire de comprendre le contexte : c'est
une récompense pour avoir reconnu en 2006 la Chine Populaire au détriment de Taïwan.
Les conséquences néfastes de ce type de négociations très personnelles entre des Etats : le
Tchad et le Niger d’un côté, et les chinois de la CNPC de l’autre, sont rapidement
perceptibles. Elles se cristallisent sur ces raffineries cadeaux, qui ont à leur lancement, une
rentabilité plus qu'incertaine.
Concernant celle de Zinder d'abord, la CNPC savait dès le départ que la rentabilité d'une telle
structure serait très risquée. En effet, le pays consomme entre 6 et 7 000 bpj de produits
pétroliers correspondant à seulement 1/3 de la capacité de Zinder. Or, cette ville est située à
proximité immédiate de la frontière du Nigeria par laquelle transite chaque jour des milliers
118 Mahamane Ousmane a été président du Niger de 1993 à 1996, puis président du parlement sous Mamadou Tandja. Il est originaire de la région de Zinder. 119 Discussions régulières avec l’un de ses conseillers, des cadres de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) et du ministère du pétrole.
118
de barils par jour de produits raffinés de contrebande, trois fois moins chers que le prix à la
pompe au Niger. Dans l'un de ses rapports de 2007 destiné aux services de l'Etat que nous
avons pu nous procurer, la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP) décrit la
contrebande de pétrole raffiné ainsi : "Ce phénomène à manifestations diverses est devenu si
ancré dans la mentalité de certaines populations qu’il devient culturel. Traditionnellement la
fraude était l’apanage des régions frontalières du Nigeria (Tahoua, Maradi, Zinder et Diffa).
Aujourd’hui, elle a pris une telle ampleur que les zones jusque-là épargnées sont littéralement
envahies de produits pétroliers provenant de la fraude". En d'autre terme, la SONIDEP fait le
constat que l'achat de pétrole de contrebande venant du Nigeria est devenu une habitude de
consommation naturelle pour les Nigériens, non seulement parce que les stations-services ne
sont pas en nombre suffisant, mais aussi parce que le prix de l'essence légale est beaucoup
plus élevé. La raffinerie de Zinder qui lors de la décision de sa construction n'avait pas grande
chance de survivre du fait de cette contrebande nigériane qui inonde toute la sous-région, a
cependant pu profiter d'une décision inespérée. Le 1er janvier 2012, le président nigérian
Goodluck Jonathan a décidé de supprimer les subventions sur le carburant vendu dans son
pays. Les prix à la pompe sont passés ainsi de 65 nairas à plus de 143 Nairas (88 cents de
dollar) en l’espace de 24 heures. Cela a permis aux quantités d'essence de contrebande venant
du Nigeria et à destination des pays comme le Niger, le Tchad ou le Cameroun de baisser
sensiblement120. Si Jonathan, sous la pression des grèves et manifestations au Nigeria,
réintègre mi-janvier une partie des subventions (le prix passe à 97 Nairas soit 0,61 dollar),
l'essence de Zinder arrive désormais à s'écouler tout de même grâce à un prix de vente
relativement modeste (579 F CFA soit 1,1 dollar). Cela aurait été impossible avec le prix
subventionné de 2011 au Nigeria.
Pour preuve que CNPC, maître d’œuvre de la raffinerie, est bien consciente de la possible non
rentabilité de l'ouvrage, la part de l'Etat (40%) dans la construction de Zinder était au départ
sensé être financée par la vente des produits pétroliers transformés par la raffinerie. Mais de
nouvelles négociations informelles ont eu lieu en 2009 entre quelques conseillers du président
nigérien et le patron de la CNPC locale Fu Jilin. Ce dernier a proposé que les 40% de l'Etat
soient gagés sur la vente des produits raffinés et sur le pétrole d'Agadem destiné à
l'exportation revenant théoriquement au trésor publique, soit entre 15 et 20 % de la production
totale. Ceci fut conclu.
120 Conversations en janvier 2012 avec des militaires camerounais dans la région nord de Maroua, avec des cadres du ministère du pétrole à Niamey et à N’Djamena.
119
Depuis la chute de Mamadou Tandja à la suite d'un coup d'Etat en février 2010, et l'arrivée
d'un pourvoir "légitime" personnifié par l’élection de Mahammadou Issoufou en 2011, cet
accord qui n'a pas fait l'objet d'une ratification officielle est rediscuté. De plus, les
fonctionnaires nigériens remettent en cause le coût de la raffinerie affiché par la CNPC : 980
millions de dollars. Ce dernier était à l'origine de 600 millions dans le contrat. La différence
est telle que le Programme des Nations Unies pour le développement a été jusqu'à financer en
2011 une étude d'un expert indépendant121 chargé de mener un audit sur les coûts de
construction de Zinder. En définitive, afin de s'assurer de ne pas perdre d'argent dans ce
projet, les Chinois ont essayé de gonfler la note de l'ouvrage pour pouvoir rentabiliser au
maximum leur investissement, dont ils n'ont à la base pas voulu. Lors d’un voyage en Chine
en juillet 2012, le président Issoufou a même publiquement reproché au président de la CNPC
la surfacturation des travaux au Niger, 3 à 4 fois plus élevés que les prix pratiqués
habituellement dans le pays122 (en particulier concernant les routes).
Ces relations particulières entre la CNPC et l'Etat sont le résultat d'une période où Tandja,
pour se maintenir au pouvoir a fait de nombreuses concessions pour obtenir des fonds. Or,
tous les contrats importants, dans le pétrole comme dans l'uranium, ont échappé aux
fonctionnaires du ministère des mines. Cela a conduit à l'absence totale de contrôle de l'Etat et
à des mauvais contrats. Les Chinois se mettent au niveau de leur interlocuteur : si les
négociateurs sont de bons niveaux, les Chinois sont contraints de proposer les meilleurs
services et contrats. Par contre, si l'interlocuteur, en l'occurrence le Niger, est faible car en
manque d'argent et sans aide d'experts, Pékin profite au maximum de son avantage. C'est une
des raisons pour lesquelles dans des Etats plus forts comme en Angola ou au Nigeria, la Chine
a eu de grosses difficultés pour s'implanter dans l'industrie pétrolière123. Et ce, y compris en
proposant la construction d'infrastructures en échange des investissements, comme au Nigeria
où cela n'a pas marché.
Au Tchad, la CNPC a inauguré le 27 juin 2011 à Djermaya, 40 kilomètres au nord de
N'djamena, une raffinerie de même capacité que celle de Zinder soit 20 000 bpj. La CNPC qui
opère désormais cinq blocs au Tchad, approvisionne Djermaya grâce aux champs de Rônier et
de Mimosa, proches de la ville de Bousso (sud-ouest), eux même reliés par un oléoduc de 311
kilomètres à la nouvelle usine de transformation. Cependant, les problèmes entre le Tchad et
121 Discussions avec cet expert, professeur à l'Institut Français du Pétrole (IFP). 122 Propos rapportés par le Journal officiel du Niger, Le Sahel, 19 juillet 2012. 123 Voir à ce sujet le rapport de Alex Vines, Lillian Wong, Markus Weimer and Indira Campos, "Thirst for African Oil: Asian National Oil Companies in Nigeria and Angola", Chatham House, août 2009.
120
la CNPC ont été d'une toute autre nature. Le coût fixé au départ, quelque 600 millions de
dollars va être respecté (le président tchadien peut se prévaloir de davantage d'expérience
pétrolière que son voisin nigérien) mais de gros problèmes relationnels avec la Chine
conduisent à la fermeture provisoire de la structure en janvier 2012.
Le président Idriss Déby a en effet ordonné la fermeture administrative de la raffinerie de
Djermaya le 19 janvier 2012, excédé par les pénuries constatées dans la capitale et dans
l'intérieur du pays. Il en a profité pour congédier son ministre du pétrole Eugene Tabe,
remplacé le 27 janvier 2012 par Brahim Alkhalil Hiléou124. La CNPC a en réalité arrêté la
production dès le 23 décembre 2011 car les cuves de stockage d'essence étaient pleines et
l'empêchaient de fonctionner. Les prix du litre de carburant traité à Djermaya ont été fixés le
29 décembre 2011 à 380 F CFA pour l'essence, et 520 F CFA pour le diesel (de loin le plus
couramment utilisé dans le pays). Relativement modiques, ces prix restent malgré tout, plus
élevés que ceux de l'essence de contrebande venant du Nigeria, qui continue à être exportée
dans la sous-région. C'est donc in fine l'impossibilité d'écouler les stocks d'essence qui ont
bloqué techniquement la raffinerie et crée la pénurie sur le gasoil125.
L'autre problème est que les fonctionnaires en charge du secteur pétrolier au Tchad sont
agacés par la façon dont les cadres de CNPC font fonctionner la raffinerie. Et pour cause,
alors que la partie chinoise a nommé le directeur général de l'usine, c'est à la partie tchadienne
de nommer le directeur général adjoint (DGA). Cependant, ce poste, occupé jusqu'au 30
janvier 2012 par un tchadien, avait été "encadré" dès la fin de l'année 2011 par quatre autres
DGA chinois. Le DGA tchadien, a été ainsi cantonné dans des fonctions purement
administratives, et n'a jamais remplacé le directeur général lors de ses déplacements. De
même, concernant les salaires, les différences sont très importantes : l'écart pour les cadres
selon leur nationalité peut aller d'un à quatre. Et ce alors que c'est la même société qui
emploie tous les salariés de la structure.
Ces multiples problèmes : capacité de stock de gasoil insuffisante, trop de production
d'essence comparé au diesel, différence de salaires entre les locaux et les Chinois sont la
conséquence logique de décisions présidentielles sans réel suivi. Si les procédures avaient été
respectées, les contrats avaient été convenablement rédigés, les études de marché et technique 124 Brahim Al-Khalil Hiléou était jusqu'alors le président de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM) du Tchad. Hiléou a rapidement gravi les échelons de l'appareil juridiciaire tchadien, avant d'être nommé membre du Conseil supérieur de la magistrature en 2009 après en avoir été le secrétaire administratif. Il est titulaire d'un master en droit public de l'Université de Poitiers. N'ayant jamais été confronté au secteur pétrolier auparavant, il devrait comme ses prédécesseurs appliquer les directives venant de la présidence. 125 Explications venant d’un des directeurs de la structure de Djermaya. Multiples entretiens privés.
121
correctement effectuées, cela ne se serait pas passé ainsi. Il a fallu en arriver à cette crise pour
que les choses soient remises sur la table. Le ministre tchadien de la Justice, Abdoulaye
Fadoul, chargé des négociations, nous a expliqué que le conseil d'administration de Djermaya
doit faire des propositions concrètes pour résoudre ces problèmes. En juin 2012, aucun de ces
problèmes n’avaient été réglés de façon pérenne. Entre le président tchadien et la CNPC, la
relation s’est d’ailleurs considérablement tendue. Pour le comprendre, Idriss Déby a décidé de
ne pas attribuer tous les permis autour du lac Tchad (appelé BCT I) à CNPC alors qu’en 2006,
il les avait arbitrairement repris à la CPC taïwanaise pour les donner à la major chinoise (dans
le prolongement de la reconnaissance du Tchad de la Chine au détriment de Taïwan). La
relation n’est donc clairement plus aussi bonne126.
Comment exporter le brut des zones enclavées ?
Hors de l'exploitation du brut par les raffineries, les réserves déjà prouvées au Niger ou au
Tchad, où le cas échéant celles du Taoudenni mauritanien ou malien, doivent être exportées.
Or pour ce faire, la construction d'un oléoduc est nécessaire. Cette thématique de
l'enclavement sera de plus en plus prégnante dans les prochaines années car des pays
auparavant trop loin des côtes étaient ignorées, mais désormais cette limite physique n'est plus
une barrière. Il faut mettre de nouvelles réserves à jour, le prix du brut étant suffisamment
élevé pour permettre aux sociétés pétrolières de rentabiliser leur investissement (voir le
traitement de cette question dans la dernière partie sur la géopolitique des oléoducs en Afrique
de l’Est).
126 Africa Energy Intelligence, n°676, 29 mai 2012.
122
Carte n°18 : Exportation et transformation du pétrole nigérien et tchadien.
Source : conversations avec cadres des ministères nigérien et tchadien du pétrole.
Concernant le bloc d'Agadem à l'Est du Niger (le seul à produire dans le pays), la CNPC a fait
évoluer son projet d'oléoduc d’exportation. A l'hypothèse béninoise en passant par le port de
123
Cotonou (1600 kilomètres) trop long et donc excessivement coûteux, la CNPC privilégie
depuis 2010 la solution tchadienne (voir carte ci-dessus). L'oléoduc partirait d'Agadem puis
rejoindrait la frontière avec le Tchad soit quelque 200 kilomètres puis passerait au nord du lac
Tchad et se connecterait à l'ouvrage opéré par ExxonMobil et Petronas pour évacuer le pétrole
du bassin de Doba127. Au Tchad, le nouvel oléoduc de raccordement serait de 800 kilomètres.
Ce projet sera plus facilement réalisable du fait de la présence de CNPC dans les deux pays. Il
n’est pas encore très clair si CNPC qui a déjà construit un tronçon inauguré en 2011 entre
Bousso et Djermaya au nord de N’Djamena afin d’approvisionner la raffinerie éponyme va
utiliser cette partie pour l’exportation du brut nigérien. Les deux administrations nigérienne et
tchadienne ont déjà discuté de ce projet, ce que confirme le ministre du pétrole tchadien
Eugène Tabe en mars 2011128. Les actions sur le dossier d’oléoduc d’exportation se sont
accélérées avec l'élection du président nigérien Mahamadou Issoufou en avril 2011. Une
délégation nigérienne conduite par le ministre du pétrole Foumakoye Gado et son homologue
aux affaires étrangères Mohamed Bazoum s’est rendue en février 2012 au Tchad et au
Cameroun. La délégation a été reçue par le premier ministre camerounais Philémon Yang qui
a promis qu'il transmettrait la demande de soutien de ce projet au président Paul Biya. Si
l'étape camerounaise n'a pas débouché sur un accord du fait de l'absence du ministre et du
président, la visite au Tchad le 26 février a été plus fructueuse. Le président tchadien Idriss
Déby et son ministre du pétrole Brahim Al-Khalil Hiléou ont directement signé un protocole
ouvrant la voie au raccordement d'Agadem à l'oléoduc tchadien. Ce projet est dans l'intérêt
des tchadiens et camerounais car il leur permettra de lever des droits de transit (de l'ordre de
50 cents de dollars par baril) sans rien avoir à dépenser. De plus, la relation personnelle entre
les dirigeants de ces pays est plutôt bonne, il n’y a donc aucune raison de repousser un tel
projet.
Concernant le bassin de Taoudenni (entre la Mauritanie et le Mali), l'enclavement va aussi
poser de lourds problèmes129. La campagne de forages menée par Total depuis 2009 dans la
partie mauritanienne est située à plus de 800 kilomètres des côtes, ce qui obligera, en cas de
découverte, la construction de coûteuses infrastructures. Des champs moyens peuvent être
économiquement rentables sur les côtes, ou dans l'offshore peu profond ou enfin s'ils sont
proches d'autres champs où le partage des infrastructures existantes est possible, la rentabilité 127 Cet oléoduc a été construit en 2003 par Exxon pour transporter quelque 250 000 bpj, il a donc actuellement une capacité excédentaire de presque 100 000 bpj. 128 Entretien privé avec le ministre lors de sa venue à l'Organisation de coopération et de développements économiques le 3 mars 2011. 129 La société allemande Wintershall a décidé de jeter l’éponge en janvier 2012 sur la partie mauritanienne. Elle n’a pas trouvé de partenaire alors que les forages dans cette zone sont très coûteux.
124
est par contre tout à fait différente lorsqu'il faut rejoindre la mer avec des oléoducs de
plusieurs centaines de kilomètres. Cela vaut également pour la partie malienne du Taoudenni
où l'enclavement est encore plus pénalisant. Cela exigera donc de développer les
infrastructures pétrolières ou gazières dans un cadre régional. Cette zone du Taoudenni serait
d’ailleurs davantage gazière que pétrolière selon les premières données disponibles. Dans ce
cas, les problèmes seraient identiques mais cela pourrait par contre permettre l’utilisation
locale de cet hydrocarbure pour produire de l’électricité à moindre coût.
2-5 Le pétrole comme vecteur de financement de conflit
Le continent africain a dans son histoire post-indépendance abrité au moins trois conflits, en
l'occurrence des guerres civiles, qui ont été entretenues et probablement rallongées par les
revenus du pétrole. Le pétrole n'était pas en l'espèce, la raison de ces conflits, mais un
puissant pourvoyeur de devises permettant l'achat d'armes par l'une ou plusieurs des parties en
présence. On a brièvement parlé du Nigeria et du cas spécifique de la guerre du Biafra entre
1967 et 1970. La déclaration d’indépendance de cette région du Nigeria en 1967 comprend un
territoire abritant à l'époque les 2/3 de ce qu'on appelle désormais le delta du Niger où la
totalité des réserves pétrolières et gazières se situent. Cela pourrait laisser penser que ces
ressources ont été le principal motif ou cause du conflit. En réalité, c'est bien davantage
l'autonomisation d'une ethnie, les Ibo, la plus importante dans cette région, qui se sentait à
cette époque exclu du pouvoir détenu par les Haoussa et Yoruba, qui a conduit à
l'indépendance du Biafra. Cette dernière correspondait en réalité à l'une des trois régions du
Nigeria postindépendance, en l'occurrence, l'eastern region. Le périmètre du territoire
revendiqué par les biafrais était donc bien plus vaste que les zones sur lesquelles il y avait la
présence d'hydrocarbures à cette époque. La superficie du Biafra s'étendait beaucoup plus au
nord que l'actuel delta du Niger. La capitale du Biafra était située à Enugu dans l'actuel Etat
éponyme qui n'a jamais produit de pétrole. Il faut également souligner qu'au déclenchement
de la guerre du Biafra, suite à la déclaration d'indépendance du général Odumegwu Emeka
Ojukwu130 le 30 mai 1967, le Nigeria produisait encore relativement peu de pétrole: 319 000
b/j en moyenne pour l'année 1967. C'était une toute nouvelle industrie, moins de dix ans
d'ancienneté, et le but des indépendantistes était davantage de s'autonomiser face à un pouvoir
fédéral à Lagos (capitale à l'époque) qui leur était hostile. Un coup d'Etat en janvier 1966
avait de plus été perpétré par des Ibo et le président putschiste Johnson Aguiyi-Ironsi avait été
130 Ojukwu qui était commandant de l'eastern region (frontière du Biafra) à l'époque est décidé en novembre 2011. Il a eu droit à des obsèques nationales au Nigeria entre le 27 février (date de l'arrivée de son corps dans le pays) et 3 mars (date de son enterrement).
125
exécuté en juillet de la même année par les Haoussa/Yoruba. Cela avait encore davantage
renforcé l'idée chez les Ibo qui leur fallait obtenir leur propre territoire afin de ne pas être sous
la domination des autres grandes ethnies qui leur feraient probablement payer ce coup d'Etat.
Si la présence de pétrole dans cette région sécessionniste a probablement été secondaire dans
la décision d'Ojukwu de créer le Biafra, pour les puissances étrangères comme la France, cela
a clairement été un motif pour soutenir financièrement et militairement les Biafrais131. Ce
soutien était pensé comme un moyen d'affaiblir ce grand pays d'Afrique de la sphère
britannique et cela permettait du même coup de mettre la main sur des réserves de pétrole
intéressantes (dès 1974, la production du Nigeria atteint les 2 millions b/j132). La France
n’était pas seule, l’Afrique du Sud d’Apartheid était également à la manœuvre133.
Dans ce sens, cette guerre civile qui a entrainé la mort de près d’un million de personnes, a
bien été entretenue par les forces étrangères, dans le but de contrôler une zone riche en
pétrole. Sans cette ressource, dont les plus grandes sociétés pétrolières (en particulier
française comme Elf, tout juste créée) étaient déjà pleinement conscientes de son importance
dans la région du Biafra, il est très probable que la France n’aurait jamais permis l’armement
des biafrais et que donc la guerre se serait passée différemment. L’armée nigériane aurait eu
en effet bien moins de difficulté à reprendre le contrôle de la zone. Dans ce sens, la présence
d’hydrocarbures a probablement permis au conflit biafrais de durer davantage et à une guerre
civile de s’envenimer, mais c’est davantage par un interventionnisme extérieur que par
l’utilisation des locaux de l’argent du pétrole que cela a pu se passer de cette façon. Les
biafrais n’ont en effet pas vraiment pu toucher l’argent de leur pétrole, d’autant plus qu’une
bonne partie des sociétés présentes comme Shell (la plus importante dans la zone) ont
toujours continué d’appuyer le pouvoir de Lagos, même si des contacts étaient pris avec les
dirigeants à Enugu (capitale du Biafra et de l’actuel Etat éponyme).
Autre cas de guerre civile liée à l’argent du pétrole : le cas de la République du Congo. Ce
conflit interne entre divers factions politiques et ethniques a commencé lors des élections
législatives de juillet 1993 jusqu’à la fin des années 1990 et a causé la mort de probablement
près de 100 000 personnes sur une population totale de l’ordre de 2,5 millions d’habitants.
Cette lutte qui a mis aux prises les partisans de Pascal Lissouba (président de 1992 à 1997),
ceux de Denis Sassou Nguesso (président de 1979 à 1992 puis de 1997 à nos jours) ainsi que 131 Sur le soutien de la France au Biafra, voir Jessie Lhoste « La diplomatie française face à la crise du Biafra, 1966-1970 », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin 1/2008 (N° 27), p. 15-26. 132 BP Statistical Review of World Energy 2010 133 Rony Braumann, « Biafra - Cambodge : un génocide et une famine fabriqué », colloque international « face aux crises extrêmes », faculté des sciences juridiques de Lille, 21 octobre 2004.
126
ceux de Bernard Kolelas (dernier premier ministre de Lissouba) n’a pas été causée par le
pétrole directement mais la durée des combats (non continus mais avec des pics de violence)
n’est que la conséquence de l’argent du brut, principale ressource du pays (avec le bois).
Denis Sassou Nguesso n’a jamais accepté de perdre le pouvoir en 1992 au profit de Pascal
Lissouba. Des 1993, des violences causées par les milices de Sassou (les Cobras) font
plusieurs morts lors des élections législatives, l’état d’urgence est même décrété. Lissouba
recrute à son tour la même année des factions de l’armée spéciale qui lui sont dévouées134.
Les années de pouvoir de Lissouba vont être marquées par des violences des milices qui vont
être financées en partie par l’argent du pétrole. A l’approche du scrutin présidentiel de 1997,
les violences redoublent de vigueur dès le mois de juin à Brazzaville et dans la région du
Pool135. Le maire de Brazzaville à la tête des Ninjas Bernard Kolelas, qui a été aux côtés des
Cobras de Sassou, rejoint finalement Lissouba qui le nomme premier ministre le 13 septembre
1997. Denis Sassou Nguesso se fait aider par un autre acteur clé de la région : l’Angola qui
envoie son armée et repousse les forces encore fidèles à Lissouba et Kolelas. Nguesso se
proclame le 24 octobre 1997 président du Congo.
Dans cette fin de crise, le pétrole a joué un double rôle : il a permis d’acheter de l’armement
et de former des soldats et milices du côté de Lissouba136 mais il a également permis à Sassou
de s’adjoindre les services de l’armée angolaise. On sait déjà à l’époque que certains champs
du bloc angolais 14 (côté Cabinda, voir carte sur les blocs angolais) opéré par Chevron se
situent des deux côtés de la frontière maritime entre les deux pays. Or, l’aide de l’armée
angolaise n’est pas gratuite et la bienveillance de Sassou sur ce dossier pétrolier a été
probablement déterminante dans l’intervention militaire. De plus, la société Elf, très proche
de Sassou lors de ces premiers mandats entre 1979 et 1992 l’a toujours soutenu au détriment
de Lissouba. Ce dernier en a d’ailleurs publiquement voulu à la société française à plusieurs
reprises. Dès 1995, Sassou obtient un nouvel allié de poids, le président français Jacques
Chirac, qui succède à François Mitterrand. Le financement probable d’une partie des activités
de Sassou lorsqu’il était dans l’opposition par des fonds d’Elf a également pu compter. Cette
134 La Lettre du Continent, n°199, 18 novembre 1993. 135 Voir J-C. Mayima-Mbemba, « La violence politique au Congo-Brazzaville », L'Harmattan, 2008. 136 Israël a même formé des soldats congolais au profit de Pascal Lissouba : La lettre du Continent, n°201, 16 décembre 1993.
127
aide aurait été, comme pour les angolais, gagée sur de futurs contrats pétroliers en cas de
retour au pouvoir137.
Enfin, lorsque l’on parle de guerres civiles africaines nourries par l’argent du pétrole,
l’Angola doit être évoqué. Ce pays, indépendant depuis 1975, n’a pas connu de vraie trêve de
long terme avant 2002, année de la mort du chef de l’opposition Jonas Savimbi. Ce dernier,
chef de l’UNITA138 lutte contre le mouvement qui prend le pouvoir dès la fin 1975, le
MPLA139 à tendance marxiste (soutenue par Cuba et l’URSS). Savimbi, soutenu par les Etats-
Unis, Israël et l’Afrique du Sud notamment, va être l’acteur principal d’un des théâtres de la
guerre froide entre les deux grandes puissances mondiale d’alors. Grâce à l’argent des
puissances qui le soutiennent ainsi que celui du diamant, il va pouvoir financer l’effort de
guerre et recruter des soldats alors que dans le même temps, dans le camp rival, le MPLA va
davantage avoir recours au financement de ses activités grâce au pétrole des provinces de
Cabinda et de Zaïre. Cette façon de procéder se brouille parfois car l’UNITA contrôle aussi
des zones auxquelles les pétroliers ont besoin d’accéder pour l’exploitation du brut. C’est le
cas des régions nord à partir des années 1990. Les membres de l’UNITA ont ainsi parfois
accès à la manne pétrolière mais de façon discontinue pour financer leurs actions140. Le conflit
connaît un seul véritable arrêt en 1991 grâce aux accords de paix de Bicesse qui conduisent
aux élections de 1992. Les résultats sont contestés par Savimbi, qui est largement battu. En
1992, la guerre reprend jusqu’en 2002 avec la mort du chef de l’UNITA. La longueur de ce
conflit, est en grande partie liée à cette manne pétrolière qui offre des moyens aux deux partis.
Sans cet élément, il aurait été impossible d’obtenir si facilement des armes et de la
formation141. La mort de Savimbi en 2002 est aisément compréhensible. Il n’a pas pris
conscience que le monde avait changé : la guerre froide était finie et la lutte contre l’idéologie
communiste représentée par l’aide des Etats-Unis à son mouvement dans les premières années
de guerre était totalement anachronique dès les années 1990. Les compagnies pétrolières
américaines comme Chevron et Exxon ont investi des milliards dans le pays et ont très bien
travaillé avec le MPLA, auparavant honni pour des raisons purement idéologiques. Les
137 Cette partie sur le Congo-Brazzaville a été également nourrie par de multiples conversations avec des cadres de Total et des journalistes spécialisés sur cette région. 138 União Nacional para a Independência Total de Angola. 139 Mouvement Populaire pour la Libération de l'Angola. 140 Le PDG d’ELF de 1989 à 1993, Loïc le Floch-Prigent l’a évoqué à de nombreuses reprises lors d’entretiens et des documentaires sur l’Affaire Elf comme dans Les prédateurs réalisé par Lucas Belvaux, diffusé sur CanalPlus en 2007. 141 Voir les articles de Christine Messiant, notamment « Les guerres civiles à l’ère de la globalisation » avec Roland Marchal, Critique internationale 1/2003 (no 18), p. 91-112. Sur cette question également: Philippe Le Billon, « Angola’s political economy of war: the role of oil and diamonds, 1975-2000 », African Affairs, 100, 2000, p. 55-80.
128
soutiens de Savimbi ont donc disparu les uns après les autres : outre les Etats-Unis, c’est le
cas de l’Afrique du Sud avec l’arrivée de Nelson Mandela au pouvoir en 1994. Enfin, il ne
faut pas sous-estimer la fatigue de la population angolaise qui a vécu dans une situation de
guerre civile pendant 25 ans et militait pour la paix et l’acceptation du MPLA. Une partie des
Angolais ont soutenu Savimbi dans les premières années mais dès les années 1990, il a eu
plus de difficulté à faire comprendre sa position alors que des milliers de vies faisaient les
frais de sa lutte.
Les Américains ont par pragmatisme contribué à affaiblir leur ancien protégé car outre
l’achèvement de la guerre froide et l’affaiblissement des idéologies, ils ont obtenu le contrôle
d’une partie des champs pétroliers les plus intéressants du pays. Le moteur de cette guerre
civile a donc été au départ la lutte de deux idéologies mondiales : le libéralisme économique
et politique contre le marxisme, mais le pétrole s’est greffé en devenant un facteur aggravant.
Il a en effet rendu le conflit plus long et plus meurtrier. L’URSS n’a jamais lutté aux côtés du
MPLA pour le contrôle du pétrole en Angola, les réserves en russes sont gigantesques
(première en terme de gaz). Actuellement, aucune société russe n’exploite le pétrole et le gaz
angolais.
2-6 La gouvernance du secteur pétrolier africain, le cas emblématique du
Tchad
Lorsque l'on travaille sur les conséquences de l'exploitation pétrolière, à fortiori sur le
continent Africain, inévitablement la première représentation qui vient à l'esprit est la
mauvaise gouvernance. L'Afrique, serait l'archétype du continent ne sortant pas de ses maux :
écart grandissant entre les riches et les pauvres, démographie incontrôlée, manque de
formation adéquate de la majorité de la population pour accompagner tout défi lié au
développement, démocratie inexistante ou tout au mieux incomplète (voir Ghana) et
corruption généralisée. Ces particularités africaines seraient -couplées avec une ressource (le
pétrole) qui permet de gagner très rapidement beaucoup d'argent- le cocktail fatal de la
fameuse "maladie du pétrole" ou "dutch disease". Or, ce concept utilisé pour la première fois
par l’hebdomadaire britannique The Economist en 1977 n'est pas tout à fait convainquant
concernant le continent africain. Le « dutch disease » implique le passage d'une société
industrialisée, à un autre modèle économique où l'arrivée du pétrole détruit la plupart des
secteurs d'activité productif. La société en question ne vivant plus que grâce à l’industrie
pétrolière. Cette situation entraine un chômage massif et un déficit profond de la balance des
129
paiements car la manne pétrolière sert à acheter les produits à l'étranger, qui étaient produits
localement avant l'exploitation de cette ressource. Mais l’arrivée du pétrole rend les produits
locaux moins compétitifs du fait d’une inflation importante. C'est bien ce scénario qui s'est
déroulé aux Pays-Bas avec le début de la production du gaz du champ géant de Groningue en
1963, d'où le terme de "Dutch disease". Cependant, cet Etat européen s'est bien vite repris.
En Afrique, l'arrivée de la manne pétrolière, pour la plupart des gros pays producteurs à partir
des années 1960 et encore plus massivement dans les années 1970 grâce aux deux crises
pétrolières de 1973142 et de 1979 (révolution iranienne), n'a pas eu un véritable effet sur le
secteur industriel et manufacturé car ce dernier était, à l’arrivée du pétrole, encore très faible.
Si le pétrole n'a pas eu comme effet de désindustrialiser l'Afrique, dont le secteur secondaire
était (et reste) embryonnaire, il a par contre eu des conséquences très profondes sur le secteur
primaire. Des pays comme le Nigeria, dont une bonne partie du territoire était utilisée pour
l'agriculture jusque dans les années 1970, a connu une forte baisse de ce secteur. Les pouvoirs
publics ont d'ailleurs injecté des milliards de dollars afin de relancer l’agriculture, sans aucun
succès jusqu'à maintenant. Le pétrole n'est pas la seule raison de cette baisse de rendement du
secteur agricole constatée dans les pays africains. La plupart d’entre eux sont en effet loin de
parvenir à l'autosuffisance alimentaire alors qu'ils ne sont pas tous producteurs de pétrole.
Cependant, le pétrole a clairement été un accélérateur de l’affaiblissement du secteur agricole.
Les Etats producteurs de pétrole ont suffisamment d’argent pour importer de la nourriture,
cela rend moins urgent d'insuffler des politiques volontaristes afin de viser l'autosuffisance
alimentaire voire l’exportation. De ce point de vue, très clairement, la gouvernance du secteur
pétrolier a échoué sur le continent africain. Et ce d'autant plus que le secteur pétrolier est très
capitalistique (lourds investissements) mais ne permet pas de donner du travail à un grand
nombre de citoyens (on a vu l'exemple gabonais avec seulement 9000 salariés pour une
production de 240 000 b/j).
On pourrait donner plusieurs exemples africains pour comprendre combien la gouvernance du
secteur est loin d'être satisfaisante. Cependant, il en est un qui est symptomatique car il a
marqué considérablement les bailleurs de fonds ainsi que leurs pratiques: le Tchad. En effet,
le cas de ce pays d’Afrique saharienne a été très tôt discuté au siège de la Banque mondiale,
pour qui un prêt visant à faciliter la construction des infrastructures pétrolières, devait 142 Crise causée par l'embargo de l'Organisation des pays arabes des pays producteurs de pétrole (OPAEP) sur les importations des pays soutiens d'Israël pendant la guerre de Yom Kippour en octobre 1973 (Etats-Unis, Pays-Bas etc...). Plus fondamentalement, cette crise a permis à l'OPEP de prendre une position centrale sur la fixation des prix du brut passée de 3 à 11,65 dollars en l'espace de deux mois. Benjamin Augé, "La genèse de la première crise pétrolière", Mémoire de Master 2 d'histoire économique, Université de Franche-Comté, 2006.
130
s'accompagner d'un important volet sur la gouvernance. Une façon de faire « à l'occidentale »
a donc été imposée au Tchad, qui a pu ainsi devenir producteur dès 2003.
Les bailleurs partent d’un constat simple sur le Tchad : les deux derniers pays à s’être lancés
dans l’exploitation du pétrole en Afrique, la Guinée équatoriale, qui produit depuis 1993, et le
Soudan depuis 1999, sont loin d'utiliser les revenus de leur pétrole de façon optimale. Bien au
contraire, cet argent semble même renforcer le pouvoir du président autocrate Teodoro
Obiang Nguema, arrivé en 1979 ainsi que celui d'Omar El Béchir (1989) au Soudan. Ce
constat les pousse à agir et éviter ce genre de mauvais exemple "moderne" de gouvernance
pétrolière. Les sociétés opératrices au Tchad : Exxon, Petronas et Chevron convaincues du
potentiel pétrolier gisant dans les champs du bassin de Doba (sud du Tchad) ont d’une
certaine manière conditionnée le développement des champs à l’implication des bailleurs. La
raison était simple : ces majors éprouvaient une certaine gêne à investir seules sur un projet de
4 milliards de dollars dans un pays potentiellement instable143. La Banque mondiale ainsi que
la Banque européenne d'investissement ont donc décidé de s'impliquer en prêtant des fonds au
Tchad (140 millions de dollars). L’organisme de prêt a aussi été actif dans le travail de
médiation entre les trois acteurs: l'Etat tchadien, les populations touchées par le projet
pétrolier et les compagnies pétrolières144.
En échange de ce soutien financier et technique, les deux institutions ont imposé au président
Déby de créer un fonds pour les générations futures et que la quasi-totalité des revenus (80%)
soit utilisée pour des secteurs prioritaires (santé, éducation, infrastructures). De plus, tous les
revenus ont été déposés à la CitiBank de Londres et non dans les caisses de l’Etat tchadien.
Cela a même fait l’objet d’une loi appelée 001 et ratifiée en 1998. Cependant, acculé par les
multiples tentatives armées de le faire chuter du pouvoir en 2005, Déby suspend la dite loi
afin de contrôler plus directement l’argent du pétrole. En réaction au blocage du compte à
Londres imposé par le président de la Banque mondiale Paul Wolfowitz suite au souhait de
Déby de revoir le processus de redistribution de l’argent du pétrole, le président tchadien
décide de supprimer le fonds destiné aux générations futures, et de modifier la répartition des
143 Le président tchadien Idriss Déby est arrivé par un coup d’Etat militaire chassant ainsi du pouvoir Hissène Habré en décembre 1990 avec l’appui de l’ancienne puissance coloniale française. Cependant, son pouvoir est sans cesse fragilisé par des rebellions abritées par le Soudan. Depuis les années 2005/2006, ces mouvements sont principalement dirigés par des proches de Déby écartés du pouvoir comme Tim et Timam Erdimi (ses neveux issus de la même ethnie que lui : Zighawa). Timam est le chef du Rassemblement des forces pour le changement (RFC). Voir René Lemarchand « Où va le Tchad ? », Afrique contemporaine 3/2005 (no 215), p. 117-128. 144 Voir Géraud Magrin, Geert Von Vliet, Greffe Pétrolière et dynamiques territoriales, l'exemple de l'onshore tchadien, Afrique contemporaine, n°216, 4ème numéro de 2005.
131
80% restants lors d’une nouvelle modification de la loi 001 en janvier 2006145. La Banque
mondiale accepte en juillet 2006 un compromis où la suppression du fonds pour les
générations futures est actée. Cependant, ces tensions récurrentes poussent le gouvernement
tchadien à se rapprocher des investisseurs non occidentaux comme la Chine qui pose bien
moins de conditions avant de décaisser des fonds. Cela coïncide d’ailleurs avec la montée en
puissance de la firme chinoise CNPC dans le pays146.
Le 9 septembre 2008, une autre étape est franchie, le Tchad rembourse, avant terme, le prêt de
la Banque mondiale soit 65,7 millions contractés en 2001 plus les intérêts. Le Tchad profite
ainsi de la hausse du baril (1,4 milliard de dollars de recettes pétrolières pour la seule année
2008) pour se passer des services des organismes multilatéraux. Un an après, Idris Déby
décide de commercialiser directement la part du brut qui lui revient soit quelque 40 000 bpj
sur les 145 000 produits. A la faveur de négociations au siège d'Exxon-Mobil à Houston en
mars 2009, la major accepte ce procédé qui théoriquement doit d’abord être validé par le
dernier partenaire n’ayant pas encore été remboursé : la Banque européenne d’investissement
(BEI)147. Si cette dernière se refuse d’abord à donner son quitus et n’accepte pas le
remboursement avant terme148 (prévu pour 2015), elle doit finalement céder après des
pourparlers menés à N’Djamena en février 2010. Les Tchadiens ont menacé de poursuivre
devant des tribunaux la BEI. Le Tchad finit ainsi en 2010 le remboursement de tous les prêts
auprès d’organismes multilatéraux. Conséquence : le contrôle de la "manne" pétrolière par les
ONG et les institutions de Bretton Woods devient très compliqué, voire impossible.
Cet épisode entre les bailleurs et un Etat nouvellement producteur est très révélateur. En effet,
le Tchad dont la production a commencé en 2003, s'est émancipé de la communauté
internationale grâce à ses revenus pétroliers. Lorsqu'un Etat obtient d'importants revenus
grâce à ses matières premières, la tendance naturelle est de se débarrasser au plus vite des
organismes qui vont orienter la dépense vers des secteurs spécifiques. Le régime d'Idriss Déby
peut désormais utiliser l'argent en toute indépendance. Les nouveaux et futurs pays
producteurs africains comme le Ghana ou l'Ouganda ont préféré dès les prémices de leur
exploitation se tourner vers la coopération norvégienne pour l’’expertise en terme de gestion
des hydrocarbures. La Norvège procède d’une telle manière, que son aide est vécue par les
Etats comme étant beaucoup moins interventionniste et beaucoup plus "à la carte". En résumé,
145 La Lettre du Continent, n°486, 19 janvier 2006. 146 Voir John Ghazvinian sur ce sujet. 147 Africa Energy Intelligence, n°603, 25 mars 2009. 148 Africa Energy Intelligence, n°621, 3 février 2010.
132
la Norvège fait des propositions aux pays pétroliers : formation des fonctionnaires ainsi que
des hommes politiques (cas de l’Ouganda), conseils sur les contrats, expertise sur les
questions de frontières (Madagascar, Mozambique…), et elle n’impose rien (ou en tout cas
fait comme si rien n’était imposé). Le pays de plus, n’est pas considéré comme profitant de ce
genre de pratiques : sa compagnie pétrolière Statoil n’est pas en Ouganda, ni au Ghana, ni au
Mozambique…Evidemment, cela peut être une bonne façon pour faciliter sa venue dans le
futur. Cependant, il est indéniable que sur le terrain, la coopération norvégienne est très
efficace, voire parfois même un peu intrusive dans des pays vierge en terme de textes légaux
sur le secteur pétrolier (Zambie). Si cela se passe mal, la coopération s’arrête, en tout cas de
manière officielle, comme à Madagascar après le coup d’Etat d’Andry Rajoelina en mars
2009 où la représentante norvégienne (à qui nous avons pu parler) a quitté le pays. Cependant,
une coopération par l’intermédiaire de l’ambassade se poursuit car ce n’était pas l’action des
Norvégiens qui posait problème mais le contexte politique dans lequel le pays se trouvait.
Outre le cas norvégien, il est nécessaire de reparler de la coopération chinoise. Dans son
projet pétrolier en développement depuis 2008, le Niger suit la même stratégie que le Soudan
dans la deuxième moitié des années 1990. Le financement et la mise en place de l'industrie
pétrolière sont uniquement le fait de sociétés étatiques chinoises, en l'occurrence de la CNPC.
Le pays ne compte ainsi pas du tout sur les bailleurs de fonds traditionnels pour ce secteur. Le
Niger a d’ailleurs reçu d’énormes moyens pour construire notamment des routes, la Chine va
lancer prochainement les travaux de goudronnage d'une route entre Diffa et la frontière
tchadienne. Elle a également fait des propositions concernant la route reliant N'Guigmi
(frontière avec le Nigeria), Agadem, Bilma et la frontière libyenne149. Cependant, la formation
des locaux a été très faible (en particulier les premières années des projets pétroliers). Le
manque de main d’œuvre qualifié a même été d’une certaine façon instrumentalisé par les
sociétés chinoises pour éviter d’embaucher des locaux, stratégie causant d’importants
problèmes de relation : fermeture de la raffinerie au Tchad. Les cadres des ministères du
Niger comme du Tchad se plaignent d’ailleurs lors d’entretiens privés qu’ils ne peuvent pas
accroître leur compétence s’ils ne travaillent qu’avec des chinois car non seulement ces
derniers préfèrent travailler avec leurs salariés mais en plus, ils n’ont que des relations très
épisodiques avec les ministères, préférant gérer directement avec la présidence. Ce type de
coopération devra évoluer ou alors elle posera davantage de problèmes : grèves, violences de
la part des populations locales etc…
149 Africa Energy Intelligence, n°666, 1er janvier 2012.
133
Conclusion de la partie I
Cette première partie a permis d’expliquer ce que représentent vraiment les ressources en
pétrole et gaz du continent africain. L’Afrique compte des cas très divers : ceux dont l’avenir
semble géologiquement assuré pour plusieurs décennies (Nigeria, Libye, Angola), les cas où
cela est moins clair (Gabon, Cameroun), les cas très marginaux où l’importation est tout de
même obligatoire (Afrique du Sud, Mauritanie) ainsi que les nouveaux venus (Ghana, Niger,
Ouganda). Avec le niveau d’exploration et les moyens mis en œuvre par les compagnies
pétrolières, le continent africain va continuer à bouger très vite en matière d’hydrocarbures.
Les récentes découvertes en Sierra Leone, Liberia et Kenya (pétrole) et en Tanzanie et
Mozambique (gaz) démontrent que la géographie des ressources va continuer à se modifier en
profondeur. De même, si les acteurs étatiques sont toujours plus nombreux, les compagnies
pétrolières le sont aussi. Outre l’arrivée des sociétés d’Etat chinoises, l’Asie s’insère très
franchement dans l’exploration du continent avec des sociétés venant de Corée du Sud, d’Inde
ainsi que du Japon. De même, les Russes de Gazprom et la société brésilienne Petrobras sont
également de plus en plus actives. Il n’y a plus, loin de là, de quasi-monopole des majors
occidentales (Shell, Chevron, Exxon, BP, Total, ENI), comme cela pouvait être le cas au
début de l’histoire pétrolière africaine dans les années 1950. Hors des sociétés étatiques
étrangères, une multitude de compagnies de petites et moyennes tailles tentent leur chance
dans l’exploration. Certaines ont été créées par des anciens cadres de majors (Chariot Oil &
Gas en Namibie), d’autres l’ont été par des aventuriers affectionnant particulièrement les
zones délicates (Heritage Oil en Ouganda et Congo-Kinshasa et Libye), d’autres encore ont
été fondées par des personnes ayant juste de bonnes connections (ERHC au Nigeria et à Sao
Tomé et Principe), ou par des gens n’ayant ni connaissance technique, ni capital à dépenser
(multiple cas au Mali et en Zambie). Il y a aussi le cas de compagnies entrant par
« effraction » dans le secteur comme Hyperdynamics, société américaine de logiciel
informatique qui prend la totalité de l’offshore guinéen en 2005 grâce à des connexions
politiques. Il y a donc de la place pour tous, même s’il est plus que probable que des rachats
de sociétés vont conduire à une concentration du secteur avec moins d’acteurs mais plus
puissants. Cela sera encouragé par l’accroissement continu des moyens nécessaires pour
l’exploration150. Une partie des petites sociétés (Dana, Addax Petroleum) ont d’ailleurs été
rachetées par les compagnies d’Etat asiatiques, enchantées de pouvoir profiter de leur
150 Une simple plateforme de forage offshore peut se louer jusqu’à 600 ou 700 000 dollars par jour. Quand on sait que ce type de puits en grande profondeur marine peut prendre plusieurs mois, cela conforte l’idée d’une exploration devenue très coûteuse.
134
connaissance de certains pays africains. D’autre part, une partie d’entre elles ont été mises en
faillite pendant la crise du crédit que l’on constate depuis 2008.
Le continent africain a aussi la particularité d’« abriter » un grand nombre de pays pétroliers
dans lesquels la présence d’un conflit a été entretenue ou a été causée par l’exploitation de
cette ressource. Notre problématique sur la production en zone de conflit est donc éclairante à
cet égard. S’il semble acquis que l’Afrique restera de par sa très faible consommation comme
un important pourvoyeur de pétrole et de gaz pour le marché international, il n’est pas à
exclure que les conflits géopolitiques entrainent des ralentissements ponctuels de la
production. Si cela n’a pas été le cas dans le passé avec les guerres civiles de la République
du Congo, de l’Angola et du Biafra, cela a cependant différé des investissements. Nous avons
vu que même si le pétrole n’est pas la raison de la lutte entre divers acteurs politiques, la
manne qu’il engendre permet à ces conflits de durer, parfois plusieurs durant plusieurs
décennies (Angola).
Le cas du Nigeria reste toujours à part dans les conflits liés au pétrole sur le continent, d’une
part car les violences sont toujours en cours et d’autre part car leurs conséquences sur le
marché sont importantes : ce pays est le plus gros exportateur africain. Les combats des
locaux contre les compagnies pétrolières et l’Etat fédéral ne s’arrêtera pas, tant que
l’éradication de la pauvreté généralisée dans la région du delta du Niger ne sera pas un
objectif à atteindre et tant que l’intérêt général ne primera pas sur les intérêts particuliers. Ce
dernier point étant capital si l’on veut que l’idée, très couramment émise d’explosion de la
fédération nigériane, ne se matérialise jamais. Ce but est fréquemment martelé par certains
nordistes, tout comme de la part de certains militants du delta du Niger. Les groupes qui se
réclament de la population afin d’atteindre des objectifs louables (augmentation des revenus
redistribués aux locaux ainsi que meilleur respect de l’environnement par les sociétés
exploitantes) ont été et sont encore discrédités par l’implication de certains de leurs membres
dans le vol de pétrole et autres activité illégales. Certains de leurs chefs vivent ainsi très bien
et ne voient le combat politique que comme un moyen de s’accaparer davantage de richesses
au détriment de l’Etat fédéral ou des compagnies pétrolières. Le cas nigérian, s’il est
complexe car ancien, est absolument essentiel pour l’approvisionnement du marché
international car il pèse pour ¼ de la production totale du continent africain. La nouvelle
stratégie de résolution du conflit par l’intermédiaire de l’amnistie a permis au secteur pétrolier
de souffler, mais il est à prévoir que cela ne suffira pas à rendre la situation apaisée sur le long
terme.
135
La problématique des conflits de frontière est également centrale dans l’exploitation du
pétrole. Les différents moyens de les résoudre sont nombreux mais comme on l’a vu, ils
dépendent beaucoup de la relation des Etats concernés et du poids politiques, diplomatiques et
économiques des acteurs en présence. Ces conflits risquent de se multiplier sur un continent
dont les frontières terrestres sont mal définies par des textes obsolètes et incapables de
départager des Etats. Le cas des frontières maritimes est encore plus inquiétant, les règles de
Montego Bay ayant été adoptées après les indépendances en 1982, les litiges devraient se
multiplier avec les progrès techniques des compagnies pétrolières, désireuses d’aller de plus
en plus profondément en mer.
Enfin, il faut citer les cas africains qui font fuir les investisseurs de par leur nationalisme
pétrolier. L’Algérie est à un tournant de son histoire économique, soit elle décide de mettre en
place de très grands moyens dans la recherche/développement afin de réaliser ce qu’a réussi
Petrobras au Brésil, c’est-à-dire pouvoir piloter des projets complexes, soit elle doit modifier
ses lois pétrolières (2005/2006) qui empêche les sociétés d’investir. Il est à prévoir que la
première solution sera difficile à mettre en œuvre, tellement la Sonatrach semble paralysée
par la bureaucratie et la mainmise des services de renseignement et l’armée dans son
fonctionnement. Le Mexique qui a nationalisé sa société le secteur pétrolier en 1938 avec la
Pemex, est dans le même cas aujourd’hui. Le manque de réforme et le retard technologique de
sa société nationale l’oblige à s’ouvrir aux sociétés privées, sous peine d’être spectateur de la
baisse chronique de sa production pétrolière, alors que son économie est très peu diversifiée.
Ce nationalisme pétrolier mène à un conflit entre l’Etat et les sociétés pétrolières présentes,
mais il peut aussi mener à un conflit entre la société pétrolière et la population locale. En
effet, la mauvaise efficacité de Sonatrach peut faire baisser à terme les revenus de l’Etat et
donc conduire la population à un mécontentement du fait de la baisse des transferts d’argent
(salaire de la fonction publique etc…). Le régime algérien a pour le moment été « sauvé » du
printemps arabe du fait des « pétrodollars ». Ces derniers ont été encaissés en masse, non pas
du fait de la production (déclinante) mais bien davantage du fait du niveau du baril sur les
marchés internationaux. Se baser uniquement sur ce paramètre est très dangereux, le régime,
du fait du manque de réforme du secteur pétrolier, ne montre pas vraiment qu’il en a
conscience.
Les nouveaux producteurs comme le Ghana, Niger, Mozambique et Tanzanie vont devoir se
pencher sur tous ces cas de producteurs « matures » afin d’éviter de reproduire les mêmes
erreurs. Pour ce faire, ils ont pour certains d’entre eux fait le choix de l’aide norvégienne, à la
136
carte, tout en continuant le dialogue avec la Banque mondiale qui ne veut plus s’impliquer de
la même manière que ce qu’elle a pu faire avec le Tchad à la fin des années 1990. L’arrivée
de la Chine a aussi permis à certains pays comme le Niger et le Soudan de devenir producteur,
son rôle dans la gouvernance du secteur devrait cependant évoluer considérablement dans les
prochaines années. Le partenariat win/win qu’elle propose, n’est pas aussi évident, les retours
d’expérience comme au Tchad et au Niger le démontrent.
137
Partie II : Le secteur pétrolier en République
démocratique du Congo et en Ouganda, une gestion
confuse, opaque et présidentialisée.
138
Après un tour d’horizon du continent africain et des enjeux liés à l’exploitation du pétrole/gaz
ainsi qu’à ses conflits inhérents, le but de cette deuxième partie est de travailler à un niveau
d’analyse géographiquement plus restreint mais en plus grande profondeur. Cette deuxième
partie se veut d'abord comme l'étude de la politique pétrolière d'un Etat, la République
démocratique du Congo (RDC) et de celle de son voisin l’Ouganda, dans une région en conflit
ou en post-conflit selon les zones. Le prisme du secteur pétrolier comme sujet d’étude dans
cette région a été jusqu'à présent très peu abordé par les chercheurs, bien davantage intéressés
par la gestion des minerais que la RDC exploite de façon industrielle depuis le début du 20ème
siècle avec notamment la création de l'Union minière du Haut Katanga créée en 1908. Le
secteur minier a aussi été très médiatisé par les "minerais du sang", qui ont financé des
mouvements rebelles dans les deux provinces du Kivu (à l’Est du Congo) et enrichis des Etats
(Rwanda, Ouganda) au détriment du Congo depuis les années 1990. Comparer les
gouvernances du pétrole en République démocratique du Congo (qui produit déjà de faibles
quantités) avec celle de son voisin ougandais s’explique d’abord car ces deux Etats partagent
l’un des bassins sédimentaires les plus prolifiques et prometteurs dans la région des Grands
Lacs: le graben albertine, là même où se situe notamment le lac Albert. Si la RDC n’y a pas
encore mis à jour du pétrole, par absence de cohérence dans sa stratégie pétrolière comme on
le verra, l’Ouganda, qui n’a jamais produit une goutte de brut, a quant à lui accéléré les
explorations et est déjà à la tête de 2,5 milliards de barils de réserves.
Afin d'appréhender au mieux le fonctionnement du secteur pétrolier au Congo et en Ouganda,
il nous est apparu utile d'analyser en profondeur les réseaux de pouvoir. Lors de nombreux
séjours dans ces deux pays, une centaine d'entretiens (parfois plusieurs à plusieurs années
d’intervalle avec les mêmes personnes) a permis de comprendre la méthode de prise de
décision dans le pétrole, donnant également des indications plus larges sur la gestion étatique
congolaise et ougandaise. Cela passe par l’étude de la façon dont les compagnies tissent des
liens avec des personnes dépositaires du pouvoir (parfois étrangères) pour obtenir leur permis
d’exploration ainsi qu’avec quel genre de personne elles travaillent localement pour arriver à
leurs fins. La gestion du secteur pétrolier au Congo est opaque et réservée à un tout petit
nombre de personnes autour du président, très peu de personnes peuvent influencer les
décisions. De même, en Ouganda, c'est parfois uniquement la relation particulière d'un
fonctionnaire au ministère de l’énergie avec le président qui fait avancer un dossier ou au
contraire l'enterre. Un ministre peut aussi se trouver marginalisé par le président ou les
conseillers (officiels ou officieux) de ce dernier et n'avoir aucun moyen d'agir concrètement.
Les questions de réseaux de pouvoir sont donc l'une des clés de voute de cette gestion
139
pétrolière. Les comprendre impose des relations de confiance avec les acteurs et observateurs
locaux à Kinshasa, dans les provinces pétrolières (Ituri, Bas-Congo) ainsi qu'en Ouganda
(Kampala, Hoïma). Fonctionnaires ou hommes politiques, professeurs d'université ou cadres
de compagnies pétrolières, nos discussions avec ces acteurs ont permis de donner un résultat
probablement incomplet mais le plus fidèle possible de la façon dont fonctionne le secteur
pétrolier dans ces deux piliers de l’Afrique des Grands Lacs. Nous avons pris le parti de
décrire avec un maximum de détails chacun des protagonistes de ce secteur, en faisant une
galerie de portraits. Certains sont connus, d'autres beaucoup moins, ou alors une part très
réduite de ces personnalités est publique.
La géopolitique est une cartographie à différents niveaux d'analyse d'une situation
conflictuelle territorialisée. Cette partie se propose d'expliquer comment au sein d'une toute
petite structure, dans un ministère, à la présidence, à la société nationale, les fonctionnaires ou
conseillers peuvent bloquer des systèmes ou appuyer une décision dont les répercussions sont
importantes sur une zone d’exploration. Ces décisions ont des conséquences (actions ou
inactions) sur des territoires très lointains de Kinshasa (en particulier en Ituri), tout comme sur
des conseils d'administration de sociétés basées en Grande-Bretagne, Canada, France, Afrique
du Sud...etc. Ces sociétés elles-mêmes ne veulent pas seulement regarder leur cours de bourse
varier au gré des décisions de ce petit groupe de fonctionnaires congolais, ou de conseillers
occultes du président Joseph Kabila, il faut donc influencer les décisions avec les bonnes
personnes. Toute l'analyse part de ces quelques personnes capables de délivrer des permis
d'exploration dans un pays où les opportunités pétrolières sont immenses du fait d’une
géologie exceptionnelle. En Ouganda, si les fonctionnaires sont dans l’ensemble mieux
formés et ont plus d’accès aux dossiers qu’en RDC, les vraies décisions et orientations sur ce
nouveau secteur se règlent aussi entre quelques hommes uniquement. Un certain parallélisme
est donc à faire, même si la stratégie de choix des compagnies de l’Ouganda est bien plus
efficace.
L'Afrique des Grands Lacs est probablement l'une des zones d'Afrique (après le Nigeria)
parmi les moins propices à l'exploration pétrolière. S'il y a d'abord des obstacles purement
géographiques avec un enclavement total des bassins sédimentaires les plus intéressants, aux
abords des lacs, les défis sécuritaires et politiques sont également très difficiles à surmonter.
Depuis le génocide rwandais de 1994, la région à l'Est du Congo "vit" une instabilité
chronique. La deuxième guerre du Congo, débutée en 1998, a de plus durablement modifié les
relations entre les Etats qui composent la région au sens large : outre la RDC, l'Ouganda,
140
Rwanda, Burundi, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Angola et également la République du
Congo. Tous ces Etats ont désormais des liens marqués d'une grande méfiance du fait du
rapport de force qui s'est créé entre eux durant cette période de guerre. Dans cet
environnement, le choix des compagnies n’est pas anodin, il peut avoir des conséquences
chez le voisin comme on le verra entre la RDC et l’Ouganda avec Tullow Oil.
La gestion congolaise des secteurs rémunérateurs est à comprendre à l’aulne de la
géopolitique régionale. Si la première guerre du Congo (juin 1996/mai 1997) avait un objectif
assez clair, remplacer à tout prix le dirigeant zaïrois Mobuto Sese Seko, ceux de la deuxième
guerre sont beaucoup moins lisibles. Officiellement, l'objectif était d'expulser les Rwandais et
Ougandais qui contrôlaient le pays jusqu'alors. Cependant, ce qui semble certain sur le terrain,
c'est que les alliances de circonstance entre différentes puissances ou groupes de miliciens qui
se sont formés depuis (et qui continuent aujourd'hui à une moindre échelle) ont un enjeu
commun: piller la République Démocratique du Congo. Le pays est devenu un vaste terrain
de "jeu" considéré par ses voisins comme une immense réserve de matières premières à ciel
ouvert, sans contrôle de ses frontières151. Cette prédation a été également entretenue par
l'ancien président Laurent Désiré Kabila, assassiné en 2001. Afin de repousser ceux qui
l'avaient aidé un an plus tôt, en l'occurrence les Ougandais et Rwandais, Kabila avait besoin
de l'aide d'autres Etats aux armées puissantes. Il a alors fait appel en 1997 aux membres de la
Southern African Development Community (SADC), en particulier à l'Angola, la Namibie et
le Zimbabwe. Mais il a également été plus loin en demandant l'appui du Tchad qui a envoyé
quelque 1000 soldats et enfin celui de la Libye qui a très largement financé le déploiement
tchadien152.
En 1998, le pouvoir de Laurent Désiré Kabila s'est retrouvé attaqué par l'Est, dans la région
des deux Kivu Nord et Sud (par les Rwandais) ainsi qu'en Ituri et province Orientale (par
l'Ouganda), mais également dans la région du Bas-Congo plus proche de Kinshasa où des
éléments rwandais ont tentés de couper l'alimentation des barrages d'Inga 1 et 2 qui
approvisionnent en électricité la capitale congolaise et la région minière du Katanga. En
échange de cette aide immédiate des Etats "amis" du pays, il a fallu partager le « gâteau » que
représentent les richesses congolaises. Le président congolais, mis au pouvoir depuis
seulement un an, grâce aux concessions minières accordées aux alliés d’alors, Ouganda et
Rwanda, a été contraint de recourir au même procédé avec ses nouveaux "sauveurs". Kabila a
151 Colette Braeckman, « Les nouveaux prédateurs : Politique des puissances en Afrique centrale »; Eden Editions, 2009. 152 Le Monde, 16 décembre 1998.
141
donc proposé de les rémunérer en matières premières, sa seule monnaie d'échange. C'est ainsi
que des généraux zimbabwéens et des gradés d'autres nationalités se sont appropriés
d'importantes carrières dans le Katanga et dans les provinces Est du Congo. Après de
multiples médiations, en particulier de l'Afrique du Sud, de la Zambie et de la Tanzanie, un
cessez le feu est acté en 2002 lors des accords de Sun City près de Pretoria. Celui-ci est
conclu pour le Congo par le fils de Laurent Désiré Kabila, Joseph Kabila, nouveau maître à
bord depuis 2001. Il est aussi conclu, non pas directement avec les deux puissances présentes
sur le sol du Congo : l'Ouganda et le Rwanda mais avec les milices et groupes politiques qu'ils
soutiennent de façon plus ou moins voilées. Pour l'Ouganda, c'est particulièrement le
Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean Pierre Bemba qui va le représenter à Sun
City. Pour le Rwanda, cela sera le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD153)
fondé par Ernest Wamba dia Wamba.
Ce cessez le feu a été conditionné à un partage du pouvoir entre les différentes factions
pendant une transition. Joseph Kabila resta président pendant cette période spéciale appelée
1+4, car quatre vice-présidents lui seront adjoints154. Cette transition dura jusqu'à l'élection
présidentielle de 2006 où Joseph Kabila a remporté au deuxième tour son duel face à Jean
Pierre Bemba. Ce dernier est incarcéré depuis le mois de mars 2008 aux Pays-Bas durant la
durée de son procès au Tribunal Pénal International, il est notamment accusé de crimes de
guerre.
S'il n'est pas question ici de faire la genèse des guerres du Congo, il est en revanche
indispensable de comprendre combien la méfiance a eu tout le loisir de s'installer entre le
pouvoir à Kinshasa et ses deux voisins belligérants rwandais et ougandais, mais également
153 Le RCD a considérablement évolué en termes de figures politiques et de bases géographiques entre le moment de sa fondation en 1998 et l'élection présidentielle de 2006. Au départ, c'est davantage des ex-compagnons de route de Laurent Désiré Kabila au sein des Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) qui ont formé le RCD au Nord Kivu. Ils ont rapidement été rejoints par d'anciens cadres du régime précédent dirigé par Mobutu Sese Seko. Le RCD était clairement un mouvement soutenu par les Rwandais, en représailles à la politique de renvoi des cadres de leur armée conduite par Laurent Désiré Kabila en 1998. Le RCD s'est scindé dès 1999 avec le départ de son fondateur Ernest Wamba dia Wamba, ce dernier créant le RCD Kisangani (principale ville au nord du Congo) soutenu par l'Ouganda. Les deux mouvements RDC Goma et RCD Kisangani s'affrontèrent à Kisangani, bataille où le RCD Goma remporta facilement la victoire. La conséquence immédiate fut la mise à l’écart d'Ernest Wamba dia Wamba au profit de Mbusa Nyamwisi qui renomma le RCD Kisangani par le RCD Mouvement de Libération (ML). Quant au RCD Goma, trois chefs se succédèrent entre 1998 et 2003, d'abord Emile Ilunga (qui fut Premier Vice-président du Sénat pendant la transition (2003/2006) et qui est sorti de la politique ensuite), Adolphe Onusumba (qui fut ministre de la défense pendant la transition puis député national depuis 2006) puis Azarias Ruberwa (qui deviendra Vice-président sous la transition puis avocat depuis son échec aux élections présidentielles de 2006). 154 Ces quatre personnalités politiques sont Jean-Pierre Bemba du MLC (vice-président chargé des finances), Azarias Ruberwa du RCD (Vice-président en charge de la Commission politique, défense et sécurité), Abdoulaye Yerodia Ndombasi du parti de Kabila le PPRD (Vice-président en charge de la reconstruction) et enfin Arthur Z'ahidi Ngoma de l'opposition politique (Vice-président de la commission sociale et culturelle).
142
avec certains de ses alliés (ou ceux qui se disaient l’être), en particulier l'Angola, dont on
reparlera en détails dans la troisième partie. La question pétrolière représente ici un puissant
révélateur de cette méfiance dans le cadre des bassins pétroliers transfrontaliers. Les mauvais
choix et errements de Kinshasa sur le choix des compagnies d’exploration et le temps que
prennent chaque décision est le reflet de ce contexte conflictuel avec les voisins ainsi que la
déliquescence de l’administration congolaise et de l’idée d’Etat-nation depuis l’ère mobutiste.
1 La gouvernance du secteur pétrolier en République démocratique du
Congo
La RDC produit de petites quantités de pétrole depuis les années 1970 dans la province du
Bas-Congo (onshore et offshore), le débit a toujours oscillé entre 20 et 30 000 barils par jour
(b/j). Cependant sa gestion du secteur n'a jamais été vraiment optimale. Plusieurs raisons à
cela. D'abord, les responsables de l'économie du pays ont toujours considéré le Congo comme
un pays minier. Cette notion nous parait essentielle pour comprendre le peu d'intérêt suscité
par les élites politiques pour le secteur pétrolier. Ces cadres congolais, conseillers à la
présidence ou au ministère de l'économie n'ont donc historiquement jamais, y compris bien
sûr sous la période de Mobutu (1965/1997), considéré que les réserves pétrolières pouvaient
devenir un important vecteur d'enrichissement pour le pays. C'est d'ailleurs la raison
essentielle pour laquelle le secteur pétrolier a été géré jusqu'à la création du premier poste de
ministre du pétrole le 15 mars 1999 puis celui des hydrocarbures au lendemain de la transition
en 2007, par des ministères à plusieurs attributions. Durant l'époque coloniale belge jusqu'en
1960, c'est le ministère de l'économie qui s'est occupé de l'exploration pétrolière, puis entre
1960 et 1965, ce secteur a été transféré au ministère des travaux publics. Sous l'ère Mobutu, le
pétrole a été sous la coupe du ministère des mines et énergie entre 1965-1987, puis du
Ministère de l'Energie entre 1988 et 1997. En 1998, c'est la naissance du ministère de
l'économie et du pétrole qui préfigure donc celle du pétrole en 1999 dirigé par un proche de
Laurent Désiré Kabila : Jean-Victor Mpoyo (voir encadré ci-dessous) et enfin celui des
hydrocarbures (non couplé avec un autre secteur) en 2007155.
Pierre Victor Mpoyo , titulaire du premier poste ministériel du pétrole de l'histoire du Congo
est nommé le 15 mars 1999 ministre en charge de ce secteur, pour la première fois considéré
comme stratégique. Mpoyo a probablement milité pour la création de ce poste car il a déjà
traité le pétrole dans ses attributions ministérielles précédentes, où il était l'un des deux seuls
155 Conversations avec cadres du ministère des hydrocarbures.
143
ministres d'Etat, en charge de l'économie et du pétrole (encore couplée à l'époque) dans le
gouvernement de janvier 1998. Il était chargé depuis juillet 1997 de l'économie et des
industries dans le premier gouvernement suite à la chute de Mobutu. Mpoyo est un expert du
secteur, il a travaillé comme consultant pour la major française Elf Aquitaine puis
l'américaine Mobil au Nigeria (il travaille également pour le régime Biafrais de 1967 à 1970)
et en Angola (La Lettre du Continent, 29 janvier 1998). Il se lance rapidement en politique et
rentre en contact avec les mouvements de libération en Afrique australe et fait la connaissance
des cadres de l'ANC (Afrique du Sud). Il devient notamment un contact privilégié pour
Winnie Mandela. Il est d'ailleurs organisateur principal de la visite de Nelson Mandela aux
Etats-Unis au lendemain de sa libération en juin 1990. Au Congo, sa grande proximité avec
Laurent Désiré Kabila l'a entraîné à le représenter à plusieurs reprises dans des sommets avec
d'autres chefs d'Etat durant dans la guerre avec le Rwanda et l'Ouganda (1998-2003). Pierre-
Victor Mpoyo est réputé avoir financé l'arrivée au pouvoir de Kabila en partie grâce à sa
grande carrière de trader et entremetteur entre pétroliers et politiques. Opposant à Mobutu
Sese Seko, considéré comme le numéro 2 du régime, il va s'engager durablement avec Kabila
jusqu'à l’assassinat de ce dernier en janvier 2001. Mpoyo fut l'un des ardents partisans de la
nomination du fils de Kabila, Joseph, afin qu'il reprenne le flambeau suite à la mort de son
père. Même s'il est nommé ministre sans portefeuille dans la première équipe de Joseph
Kabila, il retourne vivre en France pour se soigner ainsi que pour s'éloigner d'un pouvoir dont
il ne se sent pas très proche (ou qui ne le veut plus, c’est selon les interprétations). Selon des
cadres du ministère qui ont travaillé avec lui à l'époque, Mpoyo a toujours eu une grande
proximité avec les investisseurs et hommes politiques américains et angolais, cela a eu une
importance particulière dans le secteur pétrolier.
Lors de l'arrivée au pouvoir de Joseph Kabila en janvier 2001, jusqu'à la fin de la période des
gouvernements de Salut Public en 2003, les hydrocarbures seront systématiquement couplés
aux mines. Cette stratégie est une nouvelle fois modifiée en juillet 2003 dans le gouvernement
de transition où aucun ministre en charge des hydrocarbures n’est nommé. C'est l'énergie qui
coiffe désormais ce secteur. Jean-Pierre Kalema Losona (voir encadré ci-dessous) devient
alors le ministre de l'énergie en charge des questions d'électricité et d'eau (avec comme
adjoint Nicolas Georges Badingaka) alors qu'un autre ministre Eugène Diomi Ndongala est
nommé aux mines.
Jean-Pierre Kalema Losona (né en 1956) est ministre de l'énergie en charge des
hydrocarbures du 30 juin 2003 au 25 novembre 2004. Il est écarté ainsi que cinq autres
144
collègues du gouvernement pour corruption et utilisation de l'argent public à des fins
personnelles. Ingénieur civil de formation, il est originaire de la province du Maniema (Est du
Congo). Kalema Losona est diplômé de la Faculté Polytechnique de l'Université de Kinshasa
et a intégré le gouvernement congolais dès la prise de pouvoir de Joseph Kabila en 2001, où il
a été chargé de l'industrie pétrolière comme vice-ministre des hydrocarbures. C'est notamment
lui qui a négocié les différents accords passés à la fin des années 1990 par le Congo-Kinshasa,
via la société nationale Cohydro, avec les traders chargés d'approvisionner le pays en produits
pétroliers. Kalema est membre du mouvement politique de Kabila, le Parti du peuple pour la
reconstruction et la démocratie (PPRD).
Nicolas Georges Badingaka (adjoint de Kalema) est un ministre d'opposition sous la période
de transition 1+4 (2003/2006). Son action a d'importantes répercussions sur le secteur
pétrolier car il signe, à l'achèvement de la période de transition en 2006, le premier contrat de
partage de production attribué sur les blocs 1 et 2 aux abords du Lac Albert. Les sociétés
concernées : Tullow Oil et Heritage Oil, n'ont cependant jamais obtenu la validation de leur
contrat par un décret présidentiel. Badingaka est également parvenu à rester au poste de Vice-
ministre de l'énergie pendant plus de trois ans (2003/2007), ce qui est remarquable alors que
les titulaires du portefeuille ont dans le même temps changé quatre fois.
De multiples batailles politiques s'engagent entre les ministres chargés de l'énergie et celui
chargé des mines pour prendre en charge le secteur des hydrocarbures. En effet, celui-ci
permet d'importantes commissions du fait des multiples contrats d'importations de produits
pétroliers et parfois aussi d’autres liées à l'exploration/production. En septembre 2003, c'est
finalement Kalema en charge de l'énergie qui emporte l'arbitrage du président Kabila, il se
charge donc de l'électricité et des hydrocarbures. Le Congo revient donc une fois de plus en
arrière en évitant de nommer un ministre plénipotentiaire chargé uniquement du pétrole. C’est
donc jusqu'en février 2007, un ministre de l'énergie qui s'occupe du secteur des
hydrocarbures.
A ce manque d'intérêt national pour le pétrole s'ajoute de nombreux changements de
responsables du secteur, la période de transition entraînant des rapports de force fluctuants
entre les groupes politiques. Kalema Losana est ainsi remplacé le 25 novembre 2004 par
Salomon Banamuhere Baliene (voir encadré ci-dessous), ce dernier conserve cependant
Nicolas Georges Badingaka comme adjoint.
145
Salomon Banamuhere Baliene est un proche de Joseph Kabila, il vient de la même zone
géographique, la province cuprifère du Katanga (ex-Sheba). Il est de plus l'un des co-
fondateurs du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD) du président
congolais. Il a d'abord été ministre des affaires foncières dans le premier gouvernement
Kabila en avril 2001 puis responsable de l'agriculture, élevage et pêche le 17 novembre 2002.
Salomon Banamuhere Baliene a été nommé au portefeuille de l'énergie avec la main sur les
hydrocarbures, lors du remaniement ministériel du 18 novembre 2005, en remplacement de
Pierre Muzyumba Mwanahembe. Licencié en biologie de l'Université de Kisangani (nord du
Congo) et titulaire d'une maîtrise en sciences de l'environnement de la Fondation universitaire
d’Arlon (Belgique), il est aussi diplômé de l'Ecole de génie rural des eaux et forêts de
Montpellier. Après le gouvernement de transition (2003/2006), il exerce à nouveau la fonction
de ministre de l'énergie en charge cette fois-ci uniquement des questions électriques jusqu'en
octobre 2008. Il est depuis lors le premier ambassadeur du Congo au Burundi depuis 1993.
L'avènement de la troisième république le 18 février 2006 puis l'élection comme président de
Joseph Kabila le 27 novembre 2006 et la nomination de son premier gouvernement en février
2007 mettent fin aux changements perpétuels de tutelle sur le secteur pétrolier. A partir de ce
gouvernement dirigé par le premier ministre Antoine Gizenga (voir encadré ci-dessous), un
ministère est uniquement en charge du pétrole sous la dénomination "hydrocarbures" car il se
charge de l'exploration/production ainsi que de l'importation et de la distribution des produits
pétroliers dans le pays.
Antoine Gizenga est issu du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) dont il est le président. Il a été
le premier vice-chef de gouvernement du Congo libre entre 1960 et 1961 aux côtés de Patrice
Lumumba (assassiné en 1961 par les services de Mobutu aidé notamment par la Belgique). En
butte au régime mobutiste, il a vécu entre 1965 et 1992 en exil. Gizenga ayant obtenu 13% à
l'élection présidentielle de 2006, soit le troisième meilleur score, le parti du candidat Joseph
Kabila (PPRD) a passé un accord de coalition avec lui en vue de remporter le deuxième tour
des élections. En échange de son soutien, le PALU obtient le poste de premier ministre durant
la mandature de Kabila. Gizenga dirige ainsi les deux premiers gouvernements de 2007 à
2008 puis c'est son adjoint au PALU, et ex-ministre du budget, Adolphe Muzito qui prend la
relève de 2009 à 2012. Muzito est un proche de Gizenga, puisqu'il est son propre neveu.
Le choix de dissocier les deux portefeuilles de l'énergie et du pétrole, et accessoirement de ne
pas seulement attribuer à ce secteur un simple bureau au ministère de l'économie, représente
146
bien davantage qu'un symbole. Cependant, cette avancée est bien tardive. Elle survient pour la
première fois vingt ans après le début de la production dans le pays. Le secteur électrique est
lié au pétrole dans les Etats où aucun de ces secteurs n'est en position ultra dominante dans
l'économie (cas du Bénin ou de la Côte d'Ivoire). Il est en revanche difficilement
compréhensible de lier ces secteurs dans des Etats où le pétrole compte pour une très large
part du budget national, c'est pourquoi les principaux producteurs africains comme le Nigeria,
l'Angola, la Libye, la République du Congo et le Gabon ont scindé depuis longtemps l'énergie
et le pétrole. Dans ses derniers, la gestion du pétrole peut être par contre couplée aux mines
(cas de l'Algérie et du Gabon), secteur où la logique est identique aux hydrocarbures car tous
les deux font partie de la famille des industries extractives.
147
Tableau 3 : Ministres en charge du secteur pétrolier depuis la chute de Mobutu Sese Seko
Ministre en charge du
secteur pétrolier
Vice-ministre (le cas
échéant)
Durée de la
fonction/régime en
place
Dénomination du
portefeuille
Pierre-Victor Mpoyo / Mai 1997/Janvier
1998/Mars 2001
Gouvernement de
Salut Public (L-D
Kabila)
Responsable du
secteur sans
nomination puis
Ministre de
l'économie et du
pétrole puis ministre
d'Etat du pétrole
Simon Tumawaku
Bawanganiwo
Jean-Pierre Kalema
Losana
Avril 2001/17
novembre 2002
Gouvernement de
Salut Public (J
Kabila)
Ministre des mines et
hydrocarbures
Jean-Louis Nkulu
Kitshunku
Jean-Pierre Kalema
Losana
Novembre 2002/24
février 2003
Gouvernement de
Salut Public (J
Kabila)
Ministre des mines et
hydrocarbures
Jean-Pierre Kalema
Losona
Nicolas Badingaka 30 juin 2003 au 25
novembre 2004
Gouvernement de
transition (1+4)
Ministre de l'énergie
Pierre Muzyumba
Mwanahembe
Nicolas Badingaka Novembre 2004/2005
Idem
Ministre de l'énergie
Salomon Banamuhere
Baliene
Nicolas Badingaka 18 novembre
2005/2006
Idem
Ministre de l'énergie
Augustin Simanga Nicolas Badingaka Octobre 2006/février
2007
Ministre de l'énergie
Lambert Mende
Omalanga
/ Février 2007/27
octobre 2008
Troisième république
(J Kabila)
Ministre des
hydrocarbures
148
René Isekemanga
Nkeka
Gustave Beya Siku Octobre 2008/19
Février 2010
Idem
Ministre des
hydrocarbures
Célestin Mbuyu
Kabango
/ 19 février 2010/Mars
2012
Idem
Ministre des
hydrocarbures
Sources : Africa Energy Intelligence et conversations avec des cadres en charge du secteur.
L'une des autres raisons majeures d'une gestion parfois chaotique du secteur pétrolier au
Congo est propre au secteur économique dans son ensemble. Comme toutes les
administrations chargées de l'économie congolaise, les hydrocarbures ont pâti des
conséquences de la lente déliquescence de l'Etat sous le régime de Mobutu Sese Seko depuis
les années 70. On peut probablement faire débuter ce phénomène de délitement avec le
lancement de la Zaïrianisation de l'économie au début des années 1970 et la création du Zaïre
(monnaie remplaçant le Franc Congolais) en 1974. Ce choix de nationalisation brutale de
l'économie a entraîné une importante inflation (jusqu'à 1000% en 1994156) ainsi que
l'importation d'une part toujours plus importante de denrées alimentaires couplée avec un
aggravement de l'endettement157. Conséquence : une désorganisation progressive de
l'économie, accélérée par des phénomènes extérieurs comme les deux crises pétrolières de
1973/74 et de 1979/80. Ces derniers ont alourdi considérablement la balance des paiements du
pays -avec parfois quelques répits grâce à la hausse des cours des minerais comme en 1980-
car le Congo n'a quasiment jamais raffiné son propre pétrole (la raffinerie SOZIR de Banana
au Bas-Congo n’a pas tenu bien longtemps et à vite été transformé en cuve de stockage) et a
donc toujours exporté la totalité de son brut et importé dans le même temps tous ses besoins
en hydrocarbures. Entre 1983 et 1986, le Zaïre doit se résoudre à accepter, contraint et forcé,
les plans d'ajustements structurels proposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international. Au début des années 1990, la baisse des cours des matières premières -en
particulier du cuivre- due à la crise économique, finit d'achever la décomposition du régime
mobutiste.
L'arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila en mai 1997 n’entraine pas de quelconque
réorganisation du secteur économique. Bien au contraire, cela va le déstructurer encore
davantage car le secteur productif (en particulier le secteur minier) est en partie géré par les
156 Theodore Trefon, Van Hoyweghen Saskia and Stefaan Smis, State Failure in the Congo: Perceptions & Realities, Review of African Political Economy, Vol. 29, No. 93/94, (Sep. - Dec., 2002), pp. 379-388. 157 Jusqu'à 9 milliards de dollars en 2000 pour un budget national d'à peine 3 milliards à l'époque.
149
puissances frontalières. Le pays perd peu à peu de sa souveraineté et par conséquent des
marges de manœuvre pour se redresser. Le Rwanda et l'Ouganda qui ont activement participé,
à l'aide de leur armée respective, à l'écartement de Mobutu lors de la première guerre du
Congo (1996-97), ont réclamé leur dû en prenant de fait le contrôle de vastes carrières
minières de l'Est (Ituri et province Orientale) pour l'Ouganda, et les deux Kivus vont être de
fait administrés par le Rwanda pendant quelques années. A sa mort en janvier 2001, Laurent
Désiré Kabila laisse la place à son fils Joseph. L'organisation de l'économie ne s’ordonne pas
davantage car nous sommes au beau milieu de la deuxième guerre du Congo qui ne se termine
qu'en 2003. Or, les pays qui aident la famille Kabila durant le conflit (Angola, Zimbabwe,
Namibie, Tchad et Libye indirectement158) vont à nouveau restreindre la souveraineté du pays
en mettant la main pour longtemps sur une partie des minerais du pays. Vis-à-vis de l'Angola,
la dette est encore plus lourde car ce pays est allé jusqu'à envoyer des troupes pour protéger le
candidat à l'élection présidentielle Joseph Kabila en 2006. L'Angola se rétribue toujours
principalement en pétrole situé à l'embouchure du fleuve Congo dans les eaux territoriales
congolaises.
1-1 Le ministère des hydrocarbures, la Cohydro et la présidence
Au sein des différents ministères auquel le pétrole a été rattaché depuis les années 1950, le
nombre des fonctionnaires a évolué. Ce secteur n'occupait qu'un simple bureau jusqu'aux
années 1980, puis il a été traité par une division, enfin cette dernière est devenue dans les
années 1990 une direction des combustibles solides liquides et gazeux. La naissance du
secrétariat général au pétrole n'est arrivée qu'en 1999. Si les hydrocarbures n'ont, par choix
des dirigeants congolais, jamais été au centre du développement économique du pays, y
compris depuis le début de la production dans les années 1970, on peut se demander en quoi
la prise de conscience grâce au puissant premier ministre du pétrole Pierre-Victor Mpoyo en
1998 de l'importance de cette matière première, puis enfin la création en 2007 d'un ministère
pérenne des hydrocarbures, a pu changer la gestion du secteur ?
Il est difficile de trouver des motifs de satisfaction concernant la gouvernance du pétrole
depuis les années 1990. Sur les quelque 185 fonctionnaires qui travaillent en 2011 au
ministère159, seuls quelques dizaines font réellement "tourner" le secteur. Même constat à la
158 La lettre du Continent, n°314, 8 octobre 1998 et Maghreb Confidentiel, n°404, 4 décembre 1999. 159 Conversation avec un cadre du ministère des hydrocarbures, juillet 2011.
150
Cohydro, la société nationale pétrolière créée en 1999160. Cette dernière est en charge de
l'importation et la distribution d'une partie des produits pétroliers vendus au Congo
(principalement à Kinshasa, les autres zones étant en partie approvisionnées par
l'intermédiaire des pays frontaliers) et de la part de l'Etat sur les champs pétroliers du pays.
Ses 110 fonctionnaires n'ont pas tous, loin s'en faut, les compétences et les capacités de traiter
les dossiers de façon efficace. Malgré un nombre important de "serviteurs de l'Etat" travaillant
uniquement dans le secteur, soit un total de 300 personnes environ, il manque des
compétences en interne pour négocier d'égale à égale avec les sociétés pétrolières161.
Assez peu de cadres ont été formés à l'étranger162, la plupart du temps, ils ont pu réaliser ce
projet du fait de familles ayant d'importants moyens financiers. Une bonne partie est donc
issue de l'université de Kinshasa, l'Unikin, venant des départements de géologie (où la
spécialisation pétrolière n'est pas bien représentée comparée à celle des mines), d'économie ou
en droit. Après un premier cycle général en géologie, les étudiants choisissent en deuxième
cycle la spécialisation mines ou pétrole. Depuis la rentrée 2010, une nouvelle faculté du
pétrole et du gaz a vu le jour à l'Unikin mais elle n'en est qu'à ses balbutiements. Ce nouveau
diplôme, les sortants seront ingénieurs pétroliers, démontre cependant que la représentation
d'un Congo comme puissance minière unique s'estompe, le secteur pétrolier devient crédible,
du moins à l'Université. De petits instituts totalement privés existent aussi comme l'Institut
congolais du pétrole et du gaz, créé par des cadres du ministère des hydrocarbures. Un projet
du même type mais plus vaste est en cours d'élaboration avec comme objectif d'ouvrir un
campus vers 2014/15.
Le principal pourvoyeur de cadres pétroliers, l'université de Kinshasa, a été créée en 1954 par
les colons belges. Elle a été pendant plusieurs décennies l'une des plus réputées en Afrique
centrale (plusieurs pays comme l'Angola, le Cameroun, ou le Congo-Brazzaville y envoyaient
leurs meilleurs étudiants), elle a cependant décliné au même rythme que l'économie du pays à
partir de la fin des années 1970. Manque de moyen et désaffection des professeurs, désespérés
160 Cohydro n'est pas la première société pétrolière au Congo. Son ancêtre, PetroCongo, a été dissoute le 9 août 1999 avec ses 315 employés (Africa Energy Intelligence, n°404, 22 novembre 2000). Cependant PetroCongo, à la différence de Cohydro, s'occupait uniquement de l'importation de produits pétroliers et non de l'exploration pétrolière qui était encadrée par le ministre de l'énergie ou par le ministère du pétrole en 1999 et hydrocarbures depuis 2002. 161 Remarquons aussi combien les dirigeants de Cohydro font l’objet de choix très politique. Le dernier directeur général de la société, nommé en mai 2012, Ludjwera Birindwa, est un ancien membre influent du rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) à qui le pouvoir a dû trouver un poste. Il n’a aucune compétence en matière de pétrole. Africa Energy Intelligence, n°677, 12 juin 2012. 162 L'un des rares docteurs congolais en géologie pétrolière nous confiait que lorsqu'il passait son doctorat à l'Université Aix-Marseille au début des années 1990, seuls 3 ou 4 compatriotes étaient à l'étranger pour se former dans ce domaine.
151
d'attendre sans résultat leur maigre rétribution (quelques centaines de dollars par mois pour
les plus chanceux d'entre eux dans une des villes les plus chères du monde163), et pour les
meilleurs, poussés à embrasser une carrière parallèle de consultant. Certains professeurs, en
particulier en géologie, ont donc créé leur propre cabinet et ont travaillé avec les sociétés
étrangères ou alors ils ont été directement employés par elles. Cela n'est pas davantage
enviable lorsque ces diplômés accèdent enfin à la fonction publique. Les budgets formation
du ministère auxquels toutes les compagnies pétrolières doivent abonder annuellement ne
financent, la plupart du temps, que des séjours de spécialisation de courte durée (lorsqu'ils
sont vraiment utilisés à bon escient). Et, une fois de plus, c'est plutôt les ingénieurs miniers
qui sont favorisés car les opportunités d'emploi dans ce secteur y sont bien plus nombreuses
au Congo. Deux autres universités congolaises forment aux métiers du pétrole : Lubumbashi
dans la province cuprifère du Katanga ainsi que très marginalement Goma (Nord-Kivu).
Lubumbashi a même été jusqu'au milieu des années 1980 (moment à partir duquel Kinshasa
est redevenue la plus grande Université dans ce domaine) l'unique faculté qui formait les
ingénieurs miniers et pétroliers du pays. Cet éclatement avait été un choix opéré à la fin des
années 70 par le président Mobutu Sese Seko. En effet, les différentes spécialités
universitaires étaient à l'époque éclatées dans les différentes provinces, dans un souci
(officiellement) d'aménager le territoire congolais. En réalité, c'était probablement davantage
afin d'éloigner de la capitale politique les professeurs, trop souvent tentés de militer dans
l'opposition du fait de la précarité de leur condition de travail.
Autre défi auquel doit faire face d'administration congolaise: une partie des meilleurs cadres
de la société nationale ainsi que du ministère, quittent la fonction publique pour aller travailler
dans le secteur privé. Il est assez tentant d'aller proposer ses services aux sociétés privées, qui
ont, elles, les moyens d'offrir de meilleures rétributions que dans le secteur public. Pour les
cadres congolais les plus débrouillards, ils peuvent espérer devenir une sorte « d'interface »
entre une société pétrolière étrangère souhaitant s'implanter dans le pays et l'Etat congolais.
Ces cadres congolais aident la société dans les interminables démarches administratives et
peuvent également mettre à disposition leur connaissance des réseaux de pouvoir, essentielle
pour espérer décrocher un contrat ou ne pas être constamment mis sous pression par les
services des impôts (arme souvent utilisée pour obtenir de l’argent). En cas de réussite, ceux- 163 Lors d'un discours visant à démontrer le succès de son mandat prononcé le 14 septembre 2011 dans sa ferme à 70 kilomètres de Kinshasa, Joseph Kabila a évoqué l’augmentation des salaires des professeurs d’universités. D’après lui, leur salaire est passé de 8 $ en 1997 à 200 $ en 1998; puis de 300 $ en 2010 à 500 $ en 2009. Désormais, a-t-il poursuivi, le professeur touche 2.200 $ et sa situation sociale s’est améliorée avec l’acquisition des véhicules. Interrogé par nos soins sur ce discours, plusieurs professeurs ont contesté avec véhémence cet état de fait.
152
ci peuvent espérer devenir le représentant de la société étrangère à Kinshasa et suivre les
différentes démarches et réunions. Le labyrinthe des lois, codes et pratiques au Congo suite à
la désorganisation des structures étatiques rend ces cadres, passés par la fonction publique,
indispensables pour les compagnies étrangères souhaitant mener des campagnes d'exploration
au Congo.
Au sein des sociétés en exploration dans la zone du bassin côtier dans la province du Bas
Congo (sud-ouest de Kinshasa), certaines se sont adjointes ces ex-supers fonctionnaires. C'est
d'abord le cas de la société américaine Energulf qui opère le bloc d'exploration de Lotshi. Elle
a successivement recruté comme directeur général adjoint l'ancien conseiller juridique du
ministre des hydrocarbures Lambert Mende Omalanga, l'avocat Jean Muganza (voir encadré
ci-dessous), entre le 2008 et mai 2009.
Jean Muganza est depuis le 13 décembre 2010, le directeur de cabinet du ministre des hydrocarbures
Célestin Mbuyu Kabango. Avant d'être conseiller juridique de Lambert Mende Omalanga de 2007 à
2008 où il a été associé à toutes les négociations avec les pétroliers et avec les Etats (Ouganda et
Angola), il a travaillé au Sénat et à participer à l'élaboration de la constitution de la troisième
république approuvée en février 2006. Il a été pendant plus d'une décennie avocat au barreau de
Bruxelles, ville où il a également effectué la quasi-totalité de ses études. Rencontré à plusieurs
reprises depuis 2008, il semble avoir un réseau d'influence suffisamment dense pour toujours revenir
dans les cercles du pouvoir, il est issu d'une famille d'hommes politiques congolais.
Energulf a ensuite fait appel à Albert Ongendangenda, nommé quant à lui au poste de
directeur général.
Albert Ongendangenda est docteur en géologie de l'université d'Aix-Marseille, Professeur
de l'Université de Kinshasa, il a été, fonction suprême et recherché (même si pas toujours très
opérationnelle), membre de divers collèges de conseillers à la présidence. D'abord en charge
des infrastructures de 2002 à 2007, il a pris les rênes du collège des mines, énergie et
hydrocarbures de 2007 à 2009. Bien introduit du fait notamment de ses précédentes fonctions,
tout comme son prédécesseur Jean Muganza, il a été une prise de choix pour la société
américaine Energulf164.
164 D'autres sociétés sont davantage tentées par d'autres profils d'anciens fonctionnaires, la société britannique Surestream qui explore dans la même zone qu'Energulf a recruté comme directeur général de sa filiale locale, Baudouin Ebeli Popo qui a été un haut cadre à la Banque centrale du Congo ainsi qu'à l’Agence nationale de renseignement (ANR).
153
Ces diverses désaffections chez les professeurs et ensuite chez les fonctionnaires pèsent sur
les services de l'Etat qui se retrouvent avec un personnel insuffisamment qualifié. Alors que
de nombreux pays africains producteurs de pétrole (tels que le Congo-Brazzaville, le Gabon,
le Tchad, la Côte d'Ivoire etc...) font régulièrement appel à des cabinets de consultants
étrangers pour suppléer à des lacunes ponctuelles en interne : pour établir des contrats,
négociations spécifiques...le Congo-Kinshasa a tendance à assez peu confier son secteur
pétrolier à des mains de extérieures.
Cependant, l'un des problèmes les plus aigus dans la gestion du pétrole en RDC est
l'interférence quasi permanente des services de la présidence dans la gestion quotidienne du
ministère des hydrocarbures. Le président congolais a à sa disposition plusieurs collèges de
conseillers pour chaque sujet, il y a neuf collèges au total. Les hydrocarbures sont jumelés
avec les mines et l'énergie dans un collège composite, mais chaque secteur possède un
conseiller propre qui est chapeauté par le chef de ce collège tricéphale. Depuis le 30 janvier
2009, le responsable de ce collège est Clément Mubiayi Kashama165 qui est ingénieur minier,
il a comme adjoint aux hydrocarbures Michel Ngoi Kahese166. De plus, le président Joseph
Kabila, tout comme ses prédécesseurs utilisent des conseillers officieux (dont la nomination
n'a pas fait l'objet d'une ordonnance). Ces derniers sont beaucoup plus influents que ceux qui
siègent au collège des mines, énergie et hydrocarbures. Ces personnes représentent quasiment
un cabinet noir ou un gouvernement parallèle. Ce sont des technocrates discrets, qui se sont
formés souvent à l’étranger (bonne pratique des langues étrangères en particulier de l’anglais
pour certain et de la finance), à qui le chef de l'Etat confie des missions particulièrement
délicates et qui les rémunèrent en fonction de leur réussite sur chaque dossier. Ils peuvent être
chargés de dossiers très différents. Nous parlerons de certains d'entre eux qui ont joué un rôle
particulier dans les hydrocarbures mais il a été impossible d'en rencontrer directement, leur
rôle central est cependant attesté par de nombreux témoignages directs (nous les avons
interrogé par personnes interposées). Ce genre d’organisation relativise considérablement la
capacité des ministres à pouvoir agir dans leur domaine. Certains sont influents et ont les
coudées franches (cela dépend de leur caractère et de leur lien avec le président), d'autres sont
165 En avril 2010 Clément Mubiayi Kashama nous a accordé un très long entretien dans son bureau à la présidence à Kinshasa. Cela nous a permis de comprendre les fonctions du collège qu'il dirige mais surtout sa compréhension des enjeux pétroliers. A bien des égards, lui-même avoue être largement court-circuité par les conseillers directs, non nommés, du président Joseph Kabila. 166 Michyel Ngoi Kahese vient de la province cuprifère du Katanga tout comme la famille Kabila. Cette donnée est très importante à prendre en compte pour comprendre la plus grande proximité de Ngoi avec le chef de l'Etat que ce dernier a avec le patron de Kahese au collège des hydrocarbures, Clément Mubiayi Kashema. Mubiayi vient en effet de la province du Kasaï occidental. Nous avons pu nous entretenir avec lui à de nombreuses reprises.
154
beaucoup plus corsetés et se contentent d’un rôle symbolique. Cet état de fait conduit à une
politique assez illisible car les acteurs qui sont censés avoir le pouvoir ne l'ont pas forcément.
Cette relative absence de moyen d'action des ministres est encore accentuée lorsque le
ministère titulaire du portefeuille ne communique pas avec la présidence sur des décisions ou
négociations importantes. Parfois, ces dernières années, les deux institutions se sont donc
annulées par manque de communication ou par absence de confiance mutuelle. Ce fossé est
évidemment très différent selon que le ministre des hydrocarbures est proche ou pas du
président Joseph Kabila. Ce dernier étant contraint de sélectionner certains de ses ministres
parmi les multiples partis membres de l'Alliance pour la majorité présidentielle (AMP167).
Enfin, dernier échelon de décision avant d'atteindre le chef de l'Etat, les conseillers qui se
mêlent de tous les domaines et qui ont le pouvoir d'influencer des décisions majeures
particulièrement dans le domaine des mines (très rémunérateur) et du pétrole (depuis qu'ils
réalisent aussi combien les opportunités financières peuvent se révéler alléchantes). Deux
personnes sont identifiées par plusieurs témoignages au ministère des hydrocarbures comme à
la présidence, comme étant essentiel dans le dispositif mis en place par Joseph Kabila depuis
sa prise de fonction. D'abord l'ancien gouverneur du Katanga, Augustin Katumba Mwanke
(voir ci-dessous).
Augustin Katumba Mwanke (né en 1963) a été nommé dans le premier gouvernement de
Joseph Kabila dès le mois d'avril 2001 comme ministre à la présidence. Cela lui permettait
d'avoir prise sur tous les dossiers. Il a été ensuite, à partir de 2004, ambassadeur itinérant pour
le président puis son directeur de cabinet adjoint. Lorsqu'il était gouverneur du Katanga dans
les années 1990, il a été mandaté par Laurent Désiré Kabila pour former le jeune Joseph aux
affaires (principalement liées aux mines). Ce dernier séjournait en effet très souvent à
Lubumbashi après la chute de Mobutu en 1997. Katumba connaissait très bien les affaires
personnels et d'argent de Laurent Désiré car les mines du Katanga ont financé le régime ainsi
que les armées de l'Alliance (Zimbabwe, Angola, Namibie, Tchad). Joseph l'a donc tout de
suite considéré comme son père en affaire. Ingénieur mécanique de formation, Katumba a
longtemps travaillé dans une banque d'investissement en Afrique du Sud. Il est réputé très
167 L'Alliance pour la majorité présidentielle a été créée en 2006 et comprend les partis suivants : Parti de l'alliance nationale pour l'unité (PANU), le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le Parti Lumumbiste unifié (PALU), d'Antoine Gizenga (premier ministre jusqu'en 2008) et l’Union des démocrates mobutistes (UDEMO) du fils du Président Mobutu, François-Joseph Mobutu Nzanga, l’Alliance pour le renouveau congolais (ARC), l’Union des nationalistes et fédéralistes du Congo (UNAFEC), la Convention des Congolais unis (CCU), le Mouvement social pour le renouveau (MSR).
155
proche des Angolais, Zimbabwéens et bien sûr Sud-Africains. S'il n'a plus aucune fonction
officielle auprès de Joseph Kabila, il a quitté le secrétariat exécutif de l'Alliance pour la
majorité présidentielle en 2009, il reste toujours député du Katanga ainsi que le principal
conseiller occulte du président. Katumba a eu une fin tragique en mourant dans un accident
d’avion en février 2012 près de Bukavu (Sud-Kivu). Du fait de sa puissance, certaine rumeur
ont couru comme quoi cela aurait été la seule façon pour Kabila de s’en débarrasser.
Si Augustin Katumba a davantage été porté sur les questions minières, il a aussi joué un rôle
central dans les attributions de périmètres pétroliers à des sociétés inconnues dans lesquelles il
aurait des intérêts (Caprikat et Foxwhelp168). Il a une relation quasi paternelle avec le
président et est considéré comme le véritable numéro deux du régime (jusqu’à sa mort). Le
deuxième conseiller très privilégié de Kabila, lui aussi d'abord intéressé par les mines,
principalement le diamant, est l'israélien Dan Gertler (voir ci-dessous).
Dan Gertler est le petit-fils de Moshe Schnitzer, le président de l’Israel Diamond Institute, et
neveu de Shmuel Schnitzer, ancien président de l’Israel Diamond Exchange. Il dirige un
consortium regroupé sous l’appellation Dan Gertler International (DGI). Gertler a fourni à la
fin des années 1990 de l’armement au régime de Laurent Désiré Kabila en échange d’un
quasi-monopole signé en 2000 sur l’exportation de diamant par l’intermédiaire de sa société
International Diamond Industries (IDI). Après la mort de Laurent Désiré Kabila le 16 janvier
2001, le marché sera rompu en 2002 mais Gertler continu à avoir une relation très privilégiée
avec Joseph Kabila, il est l’un des très rares étrangers à avoir notamment été invité au mariage
du président congolais le 16 juin 2006. Dès le mois d’octobre 2003, il obtient avec sa société
Emaxon Finance International l’exportation de 88% de la production congolaise nationale de
la MIBA (la Minière de Bakwanga). Avec la maison mère d’Emaxon, International Group
(DGI) fondée en 1996, Gertler et ses associés comme Chaim Liebovitz contrôlent de
nombreux sites de production de diamants ainsi que les circuits de vente. Outre les mines de
diamants au Congo, DGI travaille en Amérique Latine, en Europe et ailleurs en Afrique.
Le président lui est reconnaissant pour le soutien financier important qu'il a fourni à son père
pendant la deuxième guerre du Congo. Gertler est un acteur minier et bancaire central au
Congo. Mais il n'apparait pas toujours sous son propre nom. Gertler est devenu à lui seul une
galaxie d'investissement à Kinshasa. Il est, lui aussi, mêlé aux affaires liées aux sociétés
Caprikat et Foxwhelp.
168 Sociétés dont nous développerons les ramifications internationales partuclières plus tard dans cette partie.
156
Ces deux conseillers occultes, non nommés, et assez jeunes, n'ont pas pu être rencontrés mais
ils sont probablement les seuls depuis le début des années 2000 à avoir les moyens de pousser
Joseph Kabila à signer un contrat. Ils ne sont pas des spécialistes du secteur pétrolier, d'où
probablement la succession de mauvais choix effectuée depuis une décennie dans ce domaine.
1-2 La difficile entrée de la société italienne ENI
Afin de montrer le lien parfois conflictuel entre la présidence et le ministère, le cas de
l'histoire congolaise de la major italienne ENI peut être éclairant. Le ministre congolais des
hydrocarbures lors de cet épisode qui se déroule à l'été 2009 est René Isekemanga Nkeka
(voir ci-dessous).
René Isekemanga Nkeka a été nommé le 27 octobre 2008 comme ministre des
hydrocarbures du Congo, poste qu'il conserve jusqu'en février 2010. Nkeka est député sans
étiquette de la circonscription de Befale dans la province de l'Equateur où il est né en 1951. Il
est très proche de François Nzanga Mobutu, fils du président Mobutu Sese Seko et président
de l'Union des démocrates mobutistes (UDEMO). René Isekemanga Nkeka est en outre le
gendre du général Etienne Nzimbi Ngbale, qui a dirigé la Division spéciale présidentielle
(DSP) chargée entre autres de la sécurité de Mobutu. Cette proximité avec l'élite mobutiste lui
a permis d'occuper de hautes fonctions sous l'ancien régime : administrateur délégué à Petro-
Zaïre (ancêtre de la Cohydro) et président administrateur délégué à la Société zaïro-italienne
de raffinage (Sozir) qui gérait avec des capitaux italiens la petite raffinerie de Muanda. Il a
également siégé au conseil d'administration de compagnies étatiques comme la Gécamines
qui produit du cuivre et du cobalt, ainsi qu'à la Sozacom qui commercialisait les minerais à
l'époque mobutiste. Joseph Kabila a rapidement après avoir pris le pouvoir, passé un accord
avec les mobutistes pour les inclure dans son régime. Ces personnes représentent encore une
partie non négligeable de cadres et une importante "force de frappe" pour les élections.
Isekemanga est également un acteur de la distribution de produits pétroliers au Congo par
l'intermédiaire de barges qu'il possède pour approvisionner sa région natale. Il a perdu son
siège lors des élections législatives de 2012.
Isekemenga a reçu une première délégation de l’ENI en juillet. Le ministre s'est rendu avec
les cadres italiens dans la zone du bassin de la Cuvette centrale qui s'étend sur 750 000 km²
dans le nord-ouest du pays où de nombreux suintements de brut ont été décelés. Le ministre
157
connait bien cette zone puisqu'il était à l’époque élu de la province de l'Equateur. Les
discussions après la visite se sont achevées par un accord de coopération paraphé par le
ministre. Cet accord permettait au groupe italien d'avoir accès aux données géologiques
disponibles de la région, de les compiler et les étudier afin d'en apprécier le potentiel. Pour
officialiser l'accord, le Président directeur général de cette société, Paolo Scaroni avait prévu
de se rendre à Kinshasa le 12 août 2009. Sauf que ce partenariat, annoncé par l’ENI avant
l'arrivée au Congo de son PDG et repris par toute la presse financière internationale, n’a en
réalité jamais été signé. Alors qu'une salle avait été réservée au Grand Hôtel de Kinshasa pour
la cérémonie, les conseillers du chef de l’Etat Joseph Kabila ont annulé l’événement deux
heures seulement avant la signature.
Par cette décision, la présidence congolaise a ainsi voulu manifester son « déplaisir » d’avoir
été tenue à l’écart des négociations, menées pour l’essentiel par le ministre des hydrocarbures
René Isekemanga169. Ce dernier, proche des Italiens avec lesquels il a travaillé depuis les
années 1980 dans l'importation de produits pétroliers, n'avait en effet pas jugé utile de
prévenir les conseillers de la présidence avant la veille de la cérémonie de signature. Si ces
conseillers ont certainement été irrités par le comportement d’Isekemanga, ce dernier n'a
certainement pas eu non plus l'appui du président Kabila "derrière le dos" des conseillers.
Isekemanga n'a en effet jamais eu de très bonnes relations avec le chef de l'Etat qu'il n'a
quasiment jamais réussi à voir en tête à tête durant son court passage à ce ministère entre
octobre 2008 et février 2010. Ce manque d'intimité entre un ministre et Joseph Kabila peut
justifier à lui seul l'échec d'un projet. Cela n'est pas le fait de court-circuiter le collège des
hydrocarbures qui pose le plus de problème, même si cela peut aussi entrainer des longueurs.
Ce dernier est la plupart du temps consulter pour des avis techniques mais pas tout le temps
pour les projets les plus stratégiques. Isekemanga a donc payé son manque de connivence
avec Kabila et a pu mesurer la nécessité absolue de le mettre au courant par l'intermédiaire
des conseillers occultes ou d'autres canaux plus traditionnels.
Craignant que cet épisode avec le ministre des hydrocarbures n’éloigne à jamais une major de
la Cuvette centrale, la présidence congolaise a essayé au lendemain de ce fiasco de renouer un
lien avec ENI170. Plusieurs émissaires du président ont dès la fin de l'année 2009, été chargés
de reprendre contact avec la société italienne à Milan. Une lettre d'invitation a même été
envoyée en janvier 2010 par la présidence congolaise pour inviter Paolo Scaroni à se rendre à
169 Discussions privées avec le responsable du collège des hydrocarbures, mines et énergie, avril 2010. 170 Africa Energy Intelligence, n°610, 28 juillet 2009.
158
Kinshasa171. Après de multiples problèmes d'agenda de part et d'autre, une délégation
italienne a finalement été envoyée début mars 2010. Cependant, ENI attendra le 16 septembre
2010 pour signer un accord lui permettant de rentrer au Congo sur le bloc côtier de Ndunda
(beaucoup moins prospectif que la Cuvette centrale) aux côtés de la junior britannique
Surestream. Pour éviter une nouvelle déconvenue, ENI a donc préféré négocier directement
avec une société déjà présente dans le pays172.
Ce manque de coordination des différents acteurs du secteur pétrolier donne une très
mauvaise image du Congo aux investisseurs. Cela est encore plus problématique lorsque cela
concerne de gros investisseurs comme ENI. Le comportement du ministre Isekemanga peut
cependant se comprendre aisément. Isekemanga, a un fort ancrage local, important pour
Kabila dans l'hypothèse d'un soutien lors de prochains scrutins mais il n'est pas proche du
président, comme on l'a vu. Certains ministres, dans le même cas que celui des hydrocarbures,
essayent donc au maximum de s'autonomiser et parfois de faire des coups, susceptibles de
leur ramener au plus vite de l'argent. Ils ont conscience d'être en permanence sur un siège
éjectable et que ce genre de poste ministériel ne leur sera peut-être pas attribué à nouveau
avant plusieurs années. Ils en profitent donc au plus vite. C'est l'une des raisons pour
lesquelles l'économie congolaise, ainsi que d'autres secteurs, souffrent d'un manque de
continuité des décisions. Ce comportement témoigne d'une absence d'Etat car ces ministres
n'agissent pas pour le bien public, mais bien davantage pour leur propre compte. On peut
aussi déplorer cet état de fait dans l'armée congolaise, normalement premier creuset de la
transmission de l'idée de nation à condition d'une réelle diversité et mixité des soldats (en
terme religieux, ethnique et géographique). L'armée congolaise ou Forces armées de la
République Démocratique du Congo (FARDC) est un "patchwork" où se côtoient les
combattants des différentes milices ralliées, à grand frais, à l'armée nationale. Cependant,
l'assimilation n'a pas eu lieu car les milices subsistent et leurs combattants n'ont jamais été
séparés173.
171 Africa Energy Intelligence, n°622, 17 février 2010. 172 Fort de leur meilleure connaissance des réseaux congolais, les dirigeants d'ENI tentent depuis avril 2011 d'obtenir pas moins de sept nouveaux blocs couvrant quasiment tous les bassins sédimentaires du pays, il s'agit des 15-16-17 de la Cuvette centrale, les 1-2-3 au nord du lac Tanganyika et le bloc 4 du Graben Albertine (Africa Energy Intelligence, n°650, 20 avril 2011). Nous y reviendrons plus en détail dans le courant de cette partie. 173 Cas du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkuda soutenu jusqu'en 2009 par le Rwanda. Le CNDP a négocié son intégration dans l'armée nationale en janvier 2009 mais ses quelque 6000 combattants n'ont pas été mélangés, seule façon de réussir un brassage efficace.
159
1-3 La production et l'exploration au Bas-Congo
Avant de commencer à décrire les différentes zones d'exploration partagées ou non avec les
autres pays frontaliers, cœur de notre problématique, il nous semble essentiel de commencer à
décrire les zones déjà en production ou depuis longtemps en exploration au Congo. Le bassin
sédimentaire dit de la zone côtière (voir carte ci-dessous) est actuellement le seul en
République démocratique du Congo où des périmètres sont effectivement en production. La
totalité des puits se situent à l’extrême-Est de la province du Bas Congo (proche de la petite
ville de Muanda).
160
Carte n°19 : Production pétrolière onshore et offshore en RDC
Source : Perenco
161
Le bassin côtier comprend comme on le voit sur la carte, une partie onshore (trois blocs) et
offshore (un bloc). Cette zone produit depuis les années 1970 quelques milliers de barils par
jour, actuellement 25 000. Depuis 35 ans, 315 millions de barils ont ainsi été extraits174. C’est
la société franco-britannique Perenco qui opère175 par l'intermédiaire de contrats de
concession les blocs onshore et offshore de cette zone176.
Perenco, le pilier du secteur pétrolier au Congo
Perenco est rentré au Congo-Kinshasa en octobre 2000 après avoir racheté les participations
de Total Fina Elf sur les trois permis onshore où se trouve les champs de Tschiende,
Liawenda, Kinkasi, Makelekese et Muanda (voir carte précédente). Désormais elle possède
93,18% de ces périmètres onshore aux côtés de la société nationale congolaise Cohydro. La
société a poursuivi ses investissements au Congo-Kinshasa en rachetant en juillet 2004 la
majorité soit 50% des parts des champs offshore détenus par Muanda International Oil
Company (filiale de Chevron). Perenco opère donc depuis lors ce bloc offshore où se trouve
notamment les champs de Mibale, Motoba, Tshiala. Sur ce périmètre, elle est en partenariat
avec la société japonaise Teikoku Oil Company (32%) et ODS qui regroupe les américains de
Chevron et Unocal (17,72%). Au total, les permis onshore et offshore et leur quelque deux
cents puits produisent actuellement entre 25 et 28 000 bpj.
Perenco est une société familiale d’origine française. Son fondateur, Hubert Perrodo (voir
portrait ci-dessous) a commencé ses activités en 1974 en louant des bateaux, il s'est ensuite
lancé dans la location d’appareils de forage à Hong-Kong. Il faut attendre 1985 pour qu'il
rentre définitivement dans l'exploration pétrolière.
Hubert Perrodo est un self-made man, il n'a pas fait d'études particulièrement poussées. Il a
mis assez volontiers en avant cet aspect de sa vie. Il a commencé sa carrière au sein de la
société pétrolière américaine Gulf Oil au début des années 1960. Revenu en France une
dizaine d'année plus tard, il travaille dans des sociétés de services pétroliers comme Forex,
une filiale de Schlumberger, puis à Comex. Il se lance enfin sa propre affaire avec Perenco
aidé par ses amis de Total. Il est réputé avoir été proche d'André Tarallo, le monsieur Afrique
d'Elf. A la mort d'Hubert Perrodo dans un accident de randonnée en décembre 2006, c'est son
fils François qui prend les rênes de la société dont les sièges sont à Londres et Paris. Outre 174 Selon le site internet du groupe : http://www.perenco-drc.com/about-us/permit-area.html. 175 Les opérateurs de blocs pétroliers sont les sociétés qui ont la maîtrise opérationnelle du travail d’exploration/production. Ces sociétés ont la plupart du temps la plus grande participation sur un bloc. 176 Les concessions courent jusqu'en 2023 pour l'offshore et 2021 pour l'onshore. Ces temps longs sont absolument courants dans l'industrie pétrolière dans le cas de contrat de concession.
162
l'Afrique qui est son principal cœur de cible, Perenco est également active en Amérique
Latine, Mer du Nord, Océanie et Europe orientale (Turquie).
La proximité d'Hubert Perrodo avec le directeur général d’Elf Albin Chalandon (1977-1983),
va considérablement aider la société dans ses premières années. Elf a ainsi cédé plusieurs
champs africains matures (en voie d'épuisement) à Perenco, en particulier au Gabon, et dans
les deux Congo177. Grâce à Elf, la petite société française est par exemple devenue très vite, le
deuxième producteur du Gabon après Total à la fin des années 1990. La proximité avec Elf
(devenue ensuite Total en 2003) ne s’arrête pas là car son directeur général de 2001 à 2007,
Jean-François Gavalda, est aussi l’ancien directeur Afrique d’Elf.
Perenco s’est peu à peu fait une spécialité de reprendre des champs matures. Son but est de
redynamiser une production déclinante178 grâce à des procédés chimiques et techniques pour
accroître le pourcentage de liquide récupéré (taux de récupération). Ces champs ne sont plus
intéressants pour les majors qui ont des frais de structure très importants et qui ont besoin de
développer de gros projets avec des productions dynamiques. En revanche, pour Perenco, ces
champs peuvent rester tout à fait rentables. La société familiale estime que sur la partie
offshore de ses champs congolais, les 9/10 des réserves ont déjà été extraites, quant à la partie
onshore, le ratio est de 2/3179. Les périmètres congolais déjà anciens et vieillissants ne
devraient donc pas avoir une durée de vie excédant une quinzaine d’années.
Perenco a un rôle essentiel au Congo et veut le faire savoir. Il met en effet en avant le fait
d'être le premier payeur de taxes dans ce pays sur son site internet180. Le ministre des
hydrocarbures Lambert Mende Omalanga devant l’Assemblée nationale le 13 juin 2008
déclarait que Perenco avait payé quelque 311 millions de dollars au trésor pour la seule année
2007181. Ces sommes transférées au trésor représentent chaque année les impôts et les
royalties, soit les obligations financières contenues dans les contrats182. Perenco met aussi des
177 Un signe que cette tradition de bonnes ententes entre les deux sociétés françaises perdure encore de nos jours, Total a cédé le 10 novembre 2010 la totalité de ses actifs pétroliers camerounais (Total E&P Cameroun) à Perenco. Cela est loin d'être négligeable car ces actifs représentaient quelque 50 000 bpj de production. Elf était présente dans le pays depuis 1976. Africa Energy Intelligence, n°640, 24 novembre 2010. 178 L’industrie pétrolière utilise l’expression « taux de récupération » pour parler du pourcentage de pétrole brut qu’il est possible d’extraire avec une technique donnée. Ce taux est en moyenne de 30% dans le monde, mais plusieurs programmes de recherches des majors pétrolières comme Total estiment qu’il sera possible d’atteindre 50% grâce à de nouvelles techniques comme l’utilisation de polymères. Cela doublerait quasiment les réserves d’un champ. 179 Site d’internet de la société dédié à la RDC : http://www.perenco-drc.com/fr/qui-nous-sommes.html. 180 http://www.perenco-drc.com/about-us/permit-area.html. 181 Source : http://africatime.com/rdc/nouvelle.asp?no_nouvelle=407340&no_categorie=. 182 Les différentes taxes pour les blocs en production et en exploration sont fixées par l'ordonnance loi du 2 avril 1981. Si un nouveau code minier a été mis en place le 11 juillet 2002, celui portant sur les hydrocarbures n'a
163
moyens pour s'attirer la bienveillance des populations locales. Nos conversations avec les
cadres de Perenco au Congo depuis 2008 nous ont permis de déterminer que la société
dépense annuellement quelque 500 000 dollars pour des actions locales. Une somme de 210
000 dollars est gérée par un comité de consultation composé de plusieurs notables locaux et
dirigé par l'administrateur du territoire de Muanda (actuellement Guillaume Ngongo). Perenco
et le comité de consultation décident ensemble de l'utilisation des fonds. Les 390 000 dollars
restants sont directement administrés par Perenco pour financer ce que la société appelle « les
cinq chantiers » : infrastructures, accès à l'eau, électricité, santé, emploi. La société finance
d'autres projets d'envergure qui peuvent s'avérer encore plus importants comme la réfection de
la piste de l'aéroport de Muanda qui a couté 3,8 millions de dollars et dont Perenco a pris à sa
charge 2,5 millions de dollars en mai 2009183. Perenco est l'un des principaux usagers de la
piste mais cela peut aussi profiter au commerce local ainsi qu'à l'armée congolaise. La société
a depuis son arrivée dans la commune de Muanda, un rôle central. Le site wikipedia de cette
ville, qui est la seule grande agglomération côtière du Congo avec quelque 70 000 habitants,
fait d'ailleurs l'éloge des aides apportées par le pétrolier. Grâce à lui : un mégawatt
d'électricité est disponible, l'éclairage public a été installé, la réhabilitation de la principale
avenue du commerce a été faite. De plus, l'ONG Bunkete qui ramasse les ordures est soutenue
par Perenco. Enfin, depuis 2001, la société pétrolière gère une bibliothèque de près de 10 000
ouvrages et une école. En somme, Perenco a réussi à se façonner une image de société
paternaliste dans un lieu auparavant très pauvre. Le site participatif ne mentionne pas une
seule réalisation qui n'ait été soutenue par elle184. L'internaute en quête d'informations sur
cette agglomération va donc être confronté à la représentation que Perenco est un formidable
mécène. Or, cela est loin d'être aussi simple.
Ses actions n'empêchent en effet pas la société d'être accusée, depuis plusieurs années, de
polluer les sols et les côtes. Ces allégations sont relayées par certains députés nationaux
d’opposition élus de la province du Bas Congo. Les deux chefs de file: Jean-Claude Vuemba
et Rufin Mpaka du Bureau politique du Mouvement du peuple congolais pour la République
toujours pas été ratifié. Ce dernier préparé et discuté du 11 au 13 août 2008 par des experts internationaux de cabinets privées et d’organismes para étatiques (Banque mondiale etc…) est déjà passé en première lecture au Sénat et au parlement en 2009. Il prévoit notamment une codification de ce que les contrats de partage de production actuel prévoient. Outre la généralisation des contrats de partage de production et la disparition des contrats de concession, le projet de loi stipule que l'Etat devienne propriétaire de 30% de la production par l'intermédiaire de la Cohydro. Une agence nationale pétrolière serait aussi créée pour attribuer les blocs et s'occuper des questions environnementales. Cela évitera un conflit manifeste Enfin, 40% (pourcentage susceptible d’être diminué) des revenus pétroliers pourraient être rétrocédés aux provinces. 183 Le président Joseph Kabila a personnellement lancé le début des travaux en mai 2009. 184 http://fr.wikipedia.org/wiki/Moanda_(R%C3%A9publique_d%C3%A9mocratique_du_Congo).
164
(MPCR), accusent notamment Perenco de ne pas tout le temps brancher la torchère, laissant
ainsi s’échapper du gaz associé185, mais aussi de déverser à grande échelle du brut dans
l’océan. Ces députés congolais se plaignent en outre des pollutions dans les villages de
Kinkazi, Mibale et Lyawenda. Vuemba s'insurge enfin du manque de coopération de la
compagnie avec les locaux, et l'accuse de faire de l'obstruction aux contrôles de l'Etat186.
Vuemba utilise la presse et interpelle régulièrement le gouvernement au parlement à
Kinshasa. Le député peut aussi facilement "surfer" sur une croyance répandue au sein des
populations locales qui est aussi perceptible également à Kinshasa (y compris au ministère
des hydrocarbures) que Perenco cache les véritables volumes de sa production187. Après de
multiples conversations avec des cadres congolais de Perenco, il semble fort improbable que
cette information soit exacte. En effet, les salariés locaux du groupe sont pour la plupart très
nationalistes. La société ne pourrait pas embrigader facilement les dizaines de personnes ayant
accès aux données afin de tromper l'Etat central. Ses salariés se ferraient un plaisir de
répercuter l'information aux autorités locales, trop contentes de mater une multinationale
(même si cette dernière est généreuse).
Pour les questions de pollution qui peuvent survenir de temps en temps, Mpaka a même voulu
lancer une procédure judiciaire contre Perenco à Paris. Le député congolais a rencontré le 31
mars 2010 le sénateur de Paris du parti des Verts Jean Desassard qui lui a recommandé de
contacter le directeur des affaires internationales du parti des Verts Patrick Farbiaz188. Aucune
plainte n’a cependant officiellement été déposée. Perenco se défend en privé189 et critique
Vuemba et son collègue. La société pétrolière soutient que la seule motivation recherchée par
Vuemba dans l'enclenchement de ce processus est de fédérer derrière lui la population locale
et d’accéder au plus vite à de plus hautes fonctions, comme celle de gouverneur de la province
du Bas-Congo.
185 Le torchage du gaz associé consiste à brûler les volumes de gaz extraits concomitamment au pétrole. Les champs pétroliers ont un volume de gaz plus ou moins important piégé dans le réservoir. Si la quantité de gaz ne justifie pas la création d’un réseau gazier alimentant des terminaux de liquéfaction ou des zones de consommation proches, le gaz est brulé. C’est le cas en RDC mais aussi en Angola, Nigeria (en partie), Gabon, Congo-Brazzaville, etc. Perenco a lancé des études depuis trois ans pour la récupération de ce gaz associé. La RDC pourrait bientôt autoriser la création d’une usine de traitement du gaz près de Muanda. 186 Selon le quotidien Congolais : La Prospérité, 4 mars 2010. 187 Entretien avec certains cadres du ministère des hydrocarbures de 2008 à 2012. 188 Africa Energy Intelligence, n°627, 28 avril 2010. 189 Entretien avec plusieurs cadres de la société en avril 2010.
165
Pour se défendre au niveau local, Perenco n’a pas vraiment une politique de communication
très efficace. Depuis l'arrivée de la société, c'est la congolaise Yvonne Mbala190,
officiellement en charge des relations avec le Gouvernement et les administrations publiques
qui fait office de responsable communication du groupe et lien avec la presse. C'est seulement
au début 2010 que Perenco a consenti à recruter un responsable des relations publiques pour
ses activités au Congo. La société a cependant opérer un choix singulier. Ce nouveau
communiquant est en effet le propre fils du gouverneur de la province du Bas-Congo Simon
Mbatshi Batshia (en poste jusqu’en 2012), Blaise Mbatschi. En plus de cette désignation, pas
nécessairement motivée pour les qualités intrinsèques de Blaise Mbatschi pour la
communication et la connaissance du secteur pétrolier191, ce dernier ne peut apparemment pas
correctement mener à bien son travail, il n'a manifestement aucune latitude pour répondre aux
critiques des députés, populations et journalistes (plusieurs de nos tentatives se sont avérées
infructueuses). Perenco n'a très probablement pas eu le choix dans cette embauche, même si
évidemment elle s'en défend. Toutes les décisions de communiquer (ou plutôt de ne pas le
faire) viennent des sièges londonien et parisien de Perenco. Les dirigeants de la société
préfèrent le plus souvent ne pas démentir et laisser courir les rumeurs. Yvonne Mbala est donc
souvent contrainte de revenir au front face aux médias locaux.
Outre ses problèmes avec certains hommes politiques locaux, Perenco a également des
relations difficiles avec ses propres salariés congolais. Ayant obtenu de très bons résultats
financiers en 2010, les travailleurs du groupe ont demandé en janvier 2011 une hausse de leur
salaire à la direction. Le directeur général de Perenco RDC, Eric Iwochewitsch (parti en
2012), a refusé de répondre favorablement à l'ultimatum des salariés, qui expirait le 1er février
2011. Ces derniers réclamaient la hausse immédiate des revenus les plus bas192. Constatant
l'absence de dialogue, les ouvriers ont été jusqu'à stopper la production onshore dès la fin de
l'ultimatum le 1er février, puis celle de l'offshore le lendemain le 2 février. Perenco a donc
perdu quelque 5 000 barils le premier jour, et près de 15 000 le deuxième jour. C'est la
190 Yvonne Mbala travaillait déjà au service de Fina au début des années 1990 avant que Perenco rachète la totalité des actifs de la société belge. Diplômée en économie de l'Université de Bruxelles, madame Mbala est la fille de l'ancien ministre des mines du Congo Célestin Mbala Mbabu (gouvernement de 1977). Ce dernier qui a également été le président de l'Assemblée provinciale du Kasaï Oriental entre 1982 et 1989, a d'ailleurs été l'un des premiers à donner les permis d'exploration pétrolière dans la zone de Muanda. 191 Rencontré en avril 2010 à Kinshasa, Blaise Mbatschi semblait tétanisé devant les questions et très peu au fait des problèmes que la société traversait. Mbatschi a obtenu au début 2012 une « promotion », il est désormais à l’audit interne de Perenco. Il a aussi profité de son amitié avec le fils de l’ancien ministre de l’environnement José Endundo, Christian, pour le faire entrer à Perenco comme chef de projet. Le groupe franco-britannique a aussi fait le choix de remplacer Mbatschi à la communication par l’ex-rédacteur en chef de Digital Congo, organe de presse contrôlé par Janet Kabila (sœur du président). Africa Energy Intelligence, n°676, 30 mai 2012. 192 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2011.
166
première fois depuis l'arrivée de la société dans le pays que la production est totalement mise
à l'arrêt, c'est également une démarche assez rare dans l'industrie pétrolière en Afrique. Seul le
Gabon pratique régulièrement ce type de méthode assez extrême de revendication193. La
détermination des salariés congolais a cependant été payante. Le directeur général de Perenco
RDC a concédé, le samedi 5 février, un mois de salaire de compensation représentant un peu
plus d'un million de dollars au total. Les salariés ont décidé de se partager la somme
équitablement, empochant 500 $ chacun. Le siège de Perenco a également accepté un
alignement des salaires des sous-traitants sur celui des salariés directs ainsi qu'une hausse de
25% de toutes les rémunérations. La société française donnant des gages de bonne volonté dès
le 3 février, la production a peu à peu repris.
La filiale congolaise de Perenco tourne en effet avec deux types de contrats. Un peu plus de
200 personnes travaillent directement pour le groupe et perçoivent des salaires plus élevés
(proches de ceux des autres travailleurs du groupe dans les autres filiales). Mais la plupart des
employés, soit plus de 2 000 personnes, ont des contrats de sous-traitants, et sont, à ce titre,
moins bien rémunérés. Ce sont surtout ces derniers qui ont mené le mouvement contre la
Perenco pour demander des revalorisations. Grâce à l'alignement des statuts et à la hausse des
salaires, le revenu mensuel le plus faible est ainsi passé de 170 à 425 $. Quant aux cadres avec
des primes d'ancienneté, leur salaire est passé de 2280 à 3250 $.
Ce dossier a été politiquement très sensible. Les élus locaux sont conscients que Perenco
représente une "pépite" pour la région mais aussi pour l'Etat central. En dehors du rôle
financier de la société dans les secteurs sociaux pour lesquels elle s'est engagée, elle est aussi
un important employeur de main d'œuvre occasionnelle, en plus des salariés pérennisés. C'est
donc le poumon de la ville de Muanda et même de la province du Bas-Congo, cette dernière
étant centrale pour Kinshasa du fait de ses infrastructures portuaires (port de Matadi qui
approvisionne en produits de consommation courante une grande partie de l'ouest du Congo).
Dans cet épisode de février 2011, c'est donc le ministre provincial du travail du Bas-Congo,
Modero Nsimba, qui a été chargé de renouer le dialogue entre les salariés et Perenco. Le
193 C'est le cas des salariés de Shell au Gabon qui ont mené une grève dure de douze jours en mars 2008, celle-ci a paralysé près de 60 000 bpj de production. C'est finalement le président gabonais Omar Bongo qui a du intervenir pour y mettre fin (Africa Energy Intelligence, n°579, 16 avril 2008). Un autre épisode similaire s'est déroulé en mars/avril 2011 où le principal syndicat du pétrole l'Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP) a fait stopper la production pour réclamer davantage de Gabonais dans l'industrie pétrolière nationale. L'ONEP est très puissante car le Gabon a déjà le plus fort taux de nationaux dans l'industrie pétrolière soit plus de 5600 sur quelque 8000 personnes (Africa Energy intelligence, n°637, 13 octobre 2010 et n°650, 20 avril 2011).
167
gouverneur Simon Mbatshi Batshia a préféré ne pas trop s'impliquer du fait de la position de
son fils Blaise Mbatshi. Ce dernier s'est d'ailleurs fait très discret pendant les événements.
Afin de bien comprendre le lien très fort entre l'Etat congolais et Perenco, le siège de la
société se situe à l'intérieur même de la base militaire de Muanda, Pour la sécurité de ses
installations, Perenco utilise la compagnie congolaise de sécurité privée Escokin. Si la plupart
des dirigeants des sociétés pétrolières étrangères se plaignent de l'Etat congolais dès qu'ils se
sentent en confiance, Perenco fait preuve d'une communication curieusement différente vis-à-
vis des autorités. Rencontré lors d'un long entretien à Kinshasa en avril 2008, l'un des
directeurs de Perenco RDC (de nationalité française) ne retrouve rien à dire au travail du
ministre en charge des hydrocarbures, à l'époque Lambert Mende Omalanga. Il nous déclare
même avoir de très bonnes relations avec l'Etat en général. Communication contrôlée, même
en privée ? Ou alors, résultat d'une réelle mansuétude des services de l'Etat, habituellement
coutumiers de créer de nombreuses "misères" administratives à toutes sociétés prospérant au
Congo, pour la poule aux œufs d'or du pétrole congolais ? Probablement un peu des deux.
Cependant, le ministère des finances sait ce qu'il doit à Perenco.
Outre la production dans la province du Bas-Congo, Perenco s'intéresse également à plusieurs
autres projets comme l'exploration proche du lac Tanganyika. Elle tente aussi de développer
depuis 2007 avec la société minière Forrest Group International, un autre projet de centrale
électrique au gaz194. En effet, malgré l'utilisation d'une partie du gaz associé au pétrole dans la
centrale électrique alimentant les installations de Perenco ainsi que la ville de Muanda, une
bonne partie est tout simplement brûlée.
194 Africa Energy Intelligence, n°632, 14 juin 2010.
168
L'exploration au Bas-Congo
Hormis les blocs en production opérés par Perenco, cinq autres permis sont en exploration
dans la province du Bas-Congo (voir carte précédente), de loin la mieux radiographiée du
pays. La zone a d'abord été explorée par Fina depuis les années 1970 puis par Conoco au
début des années 1990. Ces dernières ont rapidement abandonné la partie. Kinshasa a ensuite
attribué en 1999 au groupe polonais Kings and Kings, un immense périmètre (plusieurs
dizaines de milliers de km²) sur ce bassin côtier jouxtant le Cabinda angolais. L'importance de
cette zone à explorer a été rendue possible grâce à l’entregent de l’un des associés de la
société, Marian Piaszczynski, qui n'était autre que l'ancien chargé d'affaires de l'ambassade de
Pologne à Kinshasa. Kings and Kings n'ayant rien fait sur ce permis, sa licence lui a été
retirée en septembre 2005 pour cause de non-respect du contrat. Ce périmètre à la grande
superficie, à nouveau propriété de l'Etat, a été ensuite divisé en cinq. Trois petites sociétés
acquièrent ces blocs entre 2005 et 2008.
-Energulf Resources
Le premier bloc issu de ce nouveau découpage est remporté en novembre 2005 par la société
américaine Energulf Resources. Ce périmètre baptisé Lotschi a une superficie de 575 km². Le
directeur général d'Energulf est l’américain Jeff Greenblum qui a travaillé auparavant au
Département de l’Energie et du Commerce sous la présidence de George Walker Bush.
Greenblum est secondé sur place par le directeur général de la filiale congolaise Energulf
RDC qui est depuis juin 2009 le géologue Albert Ongendangenda (personne dont on a déjà
parlé plus tôt). Malgré l'entregent de ce dernier qui a été conseiller à la présidence entre 2002
et 2009, le décret présidentiel de Joseph Kabila, indispensable pour commencer l'exploration
n’est signé qu'en mars 2008, soit deux ans et demi après avoir obtenu l'accord de principe.
Cela peut s'expliquer en partie car les années 2005 et 2006 font partie de la période de
transition (régime particulier de partage de pouvoir) pendant laquelle il a été très difficile pour
les investisseurs d'obtenir des marchés qui engagent le pays pour plusieurs années. De plus, à
la formation du premier gouvernement d'après élection, en février 2007, boucler les dossiers
signés par l'ancienne mandature n'a pas été (loin de là) la priorité du nouveau ministre des
hydrocarbures Lambert Mende Omalanga. Ce dernier a même tout fait pour ralentir un
processus qu'il n'avait pas initié et donc pas contrôlé. Enfin, circonstance aggravante, lors d'un
séjour au siège de la société au Texas en 2006, certains cadres du ministère des mines ont
169
émis des doutes sur le sérieux d'Energulf, en particulier sur le volet financier. Cela a eu
comme effet, de considérablement ralentir le processus.
Energulf s'est intéressé à cette zone car Lotschi se situe à proximité du bloc de Cabinda South
(Angola) opéré par la société argentine Pluspetrol. Or plusieurs forages ont été effectués sur
ce dernier avec des résultats assez encourageants. Après avoir fait effectuer par la société
Geophysical Institute of Israel195 une campagne de sismique 2D entre juillet et septembre
2010, Energulf doit forer plusieurs puits fin 2012196. Les Américains contrôlant ce permis à
90% aux côtés de la société congolaise Cohydro (10%), ils vont probablement devoir trouver
d'autres investisseurs pour partager les frais de cette campagne de forage. Energulf n'a pas le
profil financier idoine pour lever suffisamment de fonds pour s'en sortir seul. Greenblum est
peut être qualifié d’"aventurier du pétrole". Outre le Congo-Kinshasa, il est aussi présent en
Namibie sur le bloc 1711. La raison de sa réussite au Congo est, outre son choix de directeur
de sa filiale congolaise, son conseiller spécial pour les affaires africaines. En effet, ce dernier
est Andimba Toivo Ya Toivo, ex-ministre namibien (entre 1990 et 1999) en charge des mines
et de l'énergie. Toivo a ensuite été ministre du travail et des services pénitenciers jusqu'en
2004. Sa casquette la plus intéressante pour Greenblum est peut être celle d'ancien secrétaire
général du parti qui s'est battu pour l'indépendance de la Namibie en 1990, la Swapo (West
Africa People's Organization). Toivo est un héros de la guerre d'indépendance contre les
colons sud-africains du régime d'apartheid. Il a passé 18 ans en prison à Rubben Island en
Afrique du Sud avec Nelson Mandela. Sachant que la Namibie a aidé militairement le Congo
pendant la deuxième guerre (1998-2003) face à l'Ouganda et le Rwanda, le passé de ce
Namibien a certainement pesé pour finalement faire plier Joseph Kabila et qu'il signe le
décret.
-Soco International
La britannique Soco International Plc est une des autres sociétés présentent sur la zone du
bassin côtier197. Soco obtient un contrat de partage de production pour le bloc de Nganzi du
ministre de l'énergie de l'époque en 2006 mais elle va avoir devoir attendre, tout comme
Energulf, le mois de mars 2008 pour son décret présidentiel. Cette société possède désormais
65% de Nganzi aux côtés des Japonais d’Inpex Corporation (par l’intermédiaire de leur filiale
195 Qui a également précédemment travaillé au Cabinda Angolais. 196 Selon le site internet de la firme américaine consulté en juin 2012, une plateforme de forage a déjà été réservée. 197 Soco est aussi présente sur le bloc 5 du graben Albertine, qui jouxte le lac Edouard et a aussi fait une demande pour des blocs dans la Cuvette centrale.
170
Teikoku) et de Cohydro (15%). Soco a déjà effectué sur Nganzi une campagne sismique 2D
en 2008 et a foré un premier puits en juillet 2010 dans la petite localité de Kipholo. Soco
évoque des réserves qui pourraient atteindre quelque 500 millions de barils198 car ce permis
aurait des "thèmes géologiques" identiques au champ de M’Boundi199 dans l'onshore du
Congo-Brazzaville. Elle opère aussi dans l’offshore du Congo-Brazzaville sur les blocs de
Marine XI et Marine XIV et a également une participation minoritaire (17%) sur celui de
Cabinda North dans l’onshore angolais jouxtant Nganzi. La campagne de sismique sur
Cabinda North a été différée du fait des incidents survenus en mars 2010, pendant lesquels
des militants pour l’indépendance du Cabinda ont tué plusieurs joueurs de l’équipe togolaise
de football alors qu'il se rendait à la Coupe d’Afrique des Nations. Le président du Conseil
d'administration de Soco est le portugais Rui de Sousa200. En juin 2009, Soco a accueilli un
éminent administrateur en la personne d'Antonio Monteiro, un ancien ministre des affaires
étrangères du Portugal qui a également été ambassadeur du Portugal, en RDC et en Angola.
La filiale congolaise Soco Exploration & Production DRC sprl est dirigée par le français
Serge Lescaut201.
Malgré le puissant conseil d'administration de la société, elle n'a pas pu accélérer le processus
du décret présidentiel, lui faisant perdre deux ans. Soco est cependant la seule société présente
dans cette zone qui a pu obtenir un autre permis à l'est du pays. En juin 2010, le président
Joseph Kabila lui a accordé un décret présidentiel concernant le bloc 5 proche du lac Edouard.
-Surestream Petroleum
La dernière société présente sur la zone du bassin côtier a eu considérablement moins de
difficulté à obtenir ce qu'elle voulait grâce à des réseaux d'intermédiaires efficaces. La
compagnie franco-britannique Surestream créée en septembre 2004, possède désormais trois
des cinq blocs d’exploration de cette zone202. Surestream fait la demande pour ces blocs de
Yema, Metamba-Makanzi et Ndunda le 16 novembre 2005. Contrairement à Energulf et
198 Sources : 2009 Preliminary Results Presentation. www.socointernational.co.uk. 199 M’Boundi est actuellement un des plus gros champs du Congo-Brazzaville. Il est opéré par les italiens d’ENI et produit actuellement 40 000 bpj et pourrait bientôt doubler ce débit grâce à un nouveau procédé d’injection d’eau dans le réservoir. Source : Africa Energy Intelligence, n°626, 14 avril 2010. 200 Rui de Sousa préside le conseil d'administration de Soco depuis 1999, il est aussi administrateur de Quantic (basée à Monaco) qui contrôle à 70% GazpromBank, dirigée par le Libanais Samy Maroun. Quantic possède 30% de Soco. L'un des autres administrateurs de Soco est le français Olivier Barbaroux qui a notamment dirigé la Compagnie Générale des Eaux et le pôle énergie de BNP Paribas. 201 Serge Lescaut a notamment été dans les années 1990 au conseil d’administration du fonds d’investissement britannique Westmount Energy Ltd. 202 Surestream a également deux blocs dans la zone du lac Tanganyika au Burundi ainsi que deux blocs aux abords du lac Malawi dans le pays éponyme.
171
Soco, elle n'aura pas à attendre longtemps pour obtenir son décret présidentiel puisque ce
dernier est signé dès le 2 février 2006. C'est la seule société pétrolière ayant conclu un accord
d'exploration avec le gouvernement de transition qui obtiendra l'aval du chef de l'Etat quasi-
immédiatement. Cette spécificité peut pourtant s'expliquer grâce à son réseau local et
international. Le conseil d’administration de Surestream est en effet dirigé par l’ancien
premier ministre sénégalais Moustapha Niasse203. Ce dernier a d'abord l’avantage d’avoir une
bonne connaissance du secteur pétrolier, il a créé sa propre société de trading pétrolier
(International Trading Oil Corporation). Mais surtout, il connait très bien la région de
l’Afrique des Grands Lacs où opère Surestream pour y avoir été de 1999 à 2004 (au plus fort
de la guerre) l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan.
Auparavant il suivait également le dossier en tant que ministre des affaires étrangères du
Sénégal de 1993 à 1998. Niasse a été assez proche du président Joseph Kabila, ce dernier
l'aurait même considéré comme une sorte de conseiller à la mort de Laurent Désiré Kabila en
janvier 2001204. Il a aussi été l'un des invités du mariage de Kabila en juin 2006. Cette relation
semble ne plus être aussi forte depuis quelques années pour des différends. L'un des autres
administrateurs fondateurs de Surestream est le canadien Stéphane Rigny, vice-président de
MagIndustries205 et ancien responsable des projets pétroliers au sein de la Rand Merchant
Bank (Afrique du sud). Le directeur exécutif de la Surestream est l'homme d'affaires français
Pierre Achach, basé à Paris, ce dernier est principalement le financer du groupe. Son directeur
général est le géologue Christopher Pitman qui a l'immense et rare avantage dans cette
profession, d'avoir mené des études géologiques au Congo dans les années 70. Quant au
directeur général de la filiale congolaise de Surestream RDC Sarl, Baudouin Ebeli Popo (voir
ci-dessous).
203 Moustapha Niasse a été également plusieurs fois ministre sous Léopold Sédar Senghor. Niasse s’est présenté à l’avant dernière élection présidentielle du Sénégal en février 2007 où il a remporté 5,9% des suffrages face à Abdoulaye Wade. Il a récidivé en 2012 où il a obtenu 13% et s’est rallié dernière le futur président Macky Sall. 204 Conversations privées avec des cadres du secteur pétrolier. 205 MagEnergy, la filiale énergie de la multinationale canadienne MagIndustries a notamment eu des contrats de réhabilitation des générateurs du barrage d'Inga I et II, financé par la Banque mondiale. Le vice-président de MagIndustries, Stéphane Rigny, est très bien introduit dans les deux Congo où il travaille à la fin des années 1990, il a cependant quitté ses fonctions au conseil d'administration de Surestream en décembre 2010. Il a été remplacé par Ahmed Khelif, un ex directeur de l'exploration de la société nationale algérienne Sonatrach. Ce dernier est au conseil d'administration de nombreuses sociétés présentes en Afrique comme Niger Delta exploration and production Plc (Nigeria) ou Petrolin dont le PDG Samuel Dossou vend la quasi-totalité du brut gabonais qui revient à l'Etat.
172
Baudouin Ebeli Popo est un ancien cadre de la Banque centrale congolaise et de l'Agence
national de renseignement (ANR). Ebeli Popo est donc parfaitement introduit et sait
parfaitement vers quelle personne se tourner pour obtenir un contrat. Il a dès le départ été l'un
des intermédiaires de Surestream, société pour laquelle il a contribué activement à obtenir le
décret présidentiel. Ebeli Popo est également actif dans de nombreux domaines où il joue le
rôle de facilitateur pour les investisseurs étrangers. Il a aussi des activités dans les médias au
Congo, il possède en effet la chaîne de télévision BRT-Africa, la station de radio BR-FM et le
magazine Business Times.
En 2008, Surestream a cédé 42% des blocs de Yema et Metamba-Makanzi à la filiale
exploration du trader pétrolier suisse Glencore (qui a également des participations minières en
RDC), la société nationale congolaise Cohydro a également des parts tout comme
International Business Oil Sprl, société personnelle de Baudouin Ebeli Popo. Surestream reste
cependant opérateur de ces deux périmètres avec 43%. Sur Ndunda, la société a cédé 55% de
ses parts à la major italienne ENI au mois d’août 2010206. Surestream conserve 30% du bloc
aux côtés de Cohydro (8%) et d’International Business Oil Sprl (7%). Une campagne de
sismique 2D a été effectuée en 2009 sur Ndunda. Pour les deux autres blocs, cette opération
s’est déroulée en 2008. Un forage a été effectué sur Yema à la fin 2010.
Les cinq blocs en exploration dans la zone de bassin côtier sont encore loin de pouvoir
prendre le relais des permis de Perenco. Les résultats des premiers forages de Soco et
Surestream n'ont pas encore montré de potentiel de découverte commerciale. Si les forages de
2010 ont uniquement donnés des indications sur le potentiel de ce bassin côtier, il nécessite
d’autres puits. En cas de découvertes commerciales avec ses nouveaux forages, la production
ne pourra pas débuter avant plusieurs années.
On le voit bien, dans l'ensemble, les compagnies pétrolières présentes sur ce bassin sont loin
d'être des majors. Elles tentent chacune de mettre en valeur des blocs en faisant quelques
menus travaux, en espérant intéresser un plus gros investisseur. Surestream a réussi à faire
venir ENI, mais comme on l'a vu avec l'affaire Isekemanga, cette stratégie est davantage pour
les Italiens un premier pas au Congo plutôt qu'un réel intérêt pour la zone du bassin côtier. La
société négocie depuis 2009 pour le bassin de la Cuvette centrale ainsi que d'autres plus à l'Est
du pays. L’intérêt ici est de voir de quelle personnes ces sociétés s’entourent afin d’obtenir ce
qu’elles ont besoin. Tout est une question de réseau.
206Sources :http://www.surestream-petroleum.com/node/169.
173
Les impôts et obligations des sociétés en exploration
Toutes les sociétés pétrolières qui ont signé un contrat de partage de production avec l’Etat
congolais pour les blocs du Bas-Congo payent des impôts identiques. Elles doivent d'abord
s'acquitter chaque année de la taxe « superficiaire » qui représente 2 dollars par kilomètre
carré. Cette somme quasiment indolore pour les sociétés, elle peut représenter quelque 1000
dollars par an, devrait être considérablement réévaluée dans le prochain code des
hydrocarbures congolais, en discussion depuis 2008 au parlement et sénat congolais (en 2012,
il n’est toujours pas approuvé). Actuellement, le code sur lequel l'Etat se base date de 1981.
Ce dernier était de plus à l'époque calqué sur celui régissant les mines. Le potentiel du pays a
changé aussi en trente ans et il est plus que nécessaire que les compagnies s'acquittent de
taxes comparables avec ce qui se fait dans les Etats pétroliers voisins207. Plusieurs moutures
du nouveau code ont également circulé dans les services du ministère des hydrocarbures
depuis 2009 et une fois de plus, la philosophie minière prime. C'est une des raisons pour
lesquelles l'adoption de ce texte traine en longueur.
Les sociétés en exploration doivent aussi s’acquitter d’une taxe pour la formation des cadres
congolais, elle est de 150 000 dollars par contrat et par an. Elles sont contraintes également de
donner annuellement 100 000 dollars pour la constitution de la banque de données
géologiques et enfin 100 000 dollars pour la prospection de la Cuvette centrale (bassin situé
dans la forêt équatoriale entre les deux Congo et la République Centrafricaine). Les sociétés
doivent aussi financer des œuvres sociales (comme des hôpitaux ou des écoles etc…) pour
100 000 dollars. En résumé, les sociétés en exploration doivent s'acquitter d'à peu près 500
000 dollars par an de taxes diverses au trésor ainsi qu'en direction des communautés locales.
Pour la réalisation de projet avec les populations, les sociétés pétrolières constituent la plupart
du temps un comité de concertation avec les chefs de villages et autres membres de la société
civile (voir le cas de Perenco) et ces derniers se mettent d'accord avec les pétroliers sur
l'utilisation de l'argent. Si certains projets voient bien le jour, une partie d'entre eux sont
entravés suite à un gaspille des fonds et une interférence des chefs locaux et pouvoirs
provinciaux.
207 Une revue de toutes les législations et code pétroliers a été lancée en décembre 2010 par l'Association des pays producteurs de pétrole africains (APPA). Cette dernière dont le siège est à Brazzaville regroupe 14 des 16 producteurs de pétrole en Afrique depuis sa création en 1986. Les cabinets Gide Loyrette et Macleod Dixon sont chargés de mener cette revue qui devrait se terminer en 2012 (selon des conversations avec les avocats en charge du processus). Son but est d’éviter aux pays membres de trop grandes disparités entre les législations pétrolières. Cela aussi pourrait favoriser les meilleures pratiques. Malgré l'APPA, les pays pétroliers africains se parlent très peu, et ce même parfois entre deux Etats frontaliers (cas typique de la Mauritanie, Mali, Niger et Tchad). C'est principalement le Nigeria, l'Angola, le Gabon et la Guinée équatoriale qui financent cette revue.
174
Ces sommes qui représentent une partie significative du budget de fonctionnement du
ministère des hydrocarbures, sont cependant très rarement utilisées pour leur but premier.
Plusieurs des sociétés pétrolières ont d'ailleurs monté en mai 2009 le Groupement des
explorateurs et producteurs pétroliers208 (GEPP) pour parler d’une seule et même voix à ce
sujet. Le GEPP comprend notamment toutes les sociétés dont on a déjà parlées: Perenco,
Soco, Energulf, Surestream. Le GEPP a notamment fait pression sur l'Etat pour que les
redevances soient effectivement employées pour leur but premier et non détournées. Le
syndicat est né à la suite d'une demande particulière du ministre des hydrocarbures René
Isekemanga Nkeka à la fin janvier 2009. Ce dernier voulait que les différentes redevances
soient effectuées sur un compte privé à la BIAC209 (Banque internationale pour l'Afrique au
Congo) et non plus directement au trésor Congolais. Si cette demande n'est pas illégale, le
contrôle de l'argent échappe au Trésor congolais.
Les contrats d’exploration au Congo sont valables cinq ans et sont renouvelables trois fois. A
la fin de chaque période d’exploration, soit une fois tous les cinq ans, la société s’engage à
rendre 50% de la superficie du permis à l’Etat. Le Congo est ensuite libre d'organiser un
nouvel appel d'offres pour réattribuer ces zones rendues. Cela n'a pas encore eu lieu depuis
l'attribution des nouveaux blocs depuis 2006 dans cette région du Bas-Congo.
1-4 L'exploration dans le bassin de la Cuvette centrale
Le bassin de la Cuvette Centrale210 est une zone très étendue : près de 800 000 km². En
République démocratique du Congo, le bassin commence au sud à la périphérie de la Ville-
Province de Kinshasa jusqu’au Nord de la Province Orientale en passant par l’Equateur, le
Bandundu, le Kasaï Oriental, le Kasaï Occidental et le Maniema avec une continuité
sédimentaire en République du Congo-Brazzaville, en République centrafricaine et même au
Soudan du Sud (voir carte 20 sur le découpage des blocs de la Cuvette centrale en RDC)
Au total, on estime la zone de sédiment potentiellement riche en pétrole à quelque 1,4 million
km². Ce bassin pétrolier est situé dans la zone de la forêt équatoriale et ce de fait, il fait l'objet
de beaucoup d'attention car avec l'Amazonie brésilienne, c'est l'un des deux poumons de la
planète.
208 Africa Energy Intelligence, n°605, 27 mai 2009. 209 Documents consultés par nos soins. 210 Ce terme de cuvette centrale représentait également autrefois le nom d'une des 22 provinces créées en 1962 par le premier président congolais Joseph Kasa-Vubu. Elle couvrait peu ou prou la province actuelle de l'Equateur qui a pour chef-lieu Mbandaka, fief de l'ancien ministre des hydrocarbures, René Isekemanga Nkeka.
175
L'enjeu environnemental au Congo en général et dans la cuvette centrale en particulier
La République démocratique du Congo a une très forte proportion de son territoire occupée
par la forêt, soit 1,5 million de km² sur les 2,3 millions de superficie totale du pays.
Cependant entre 2000 et 2010, le phénomène de déforestation y a été un des plus rapides au
monde avec une destruction de l'ordre de 350 000 hectares chaque année211. Le bassin
géologique de la cuvette centrale, qui représente plus de 50% de la surface de la forêt
équatoriale, se trouve à ce titre au centre de l'attention des bailleurs de fonds bilatéraux et
multilatéraux. En effet, les thèmes de la lutte contre le réchauffement climatique et le
déboisement212 ont été au cœur de la conférence de Copenhague du 7 au 18 décembre 2009.
Moment clé dans la prise de conscience des pays industrialisés et en développement que la
question environnementale doit être traitée en profondeur et dans l'urgence. Copenhague a
permis d'obtenir un accord de principe sur l'importance à accorder aux mesures visant à
réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la déforestation et de la dégradation
de la forêt en général. Cependant, aucun chiffre ni restriction particulière n'ont été mentionnés
lors de ce sommet, considéré comme très décevant par les participants écologistes et plusieurs
puissances comme la France.
Depuis lors, le gouvernement français a voulu jouer un rôle moteur pour pousser un
mécanisme de compensations financières en direction des pays pauvres; principalement
africains, en échange d'un arrêt ou d'une décélération du déboisement de la forêt équatoriale,
dans lequel le bassin de la cuvette centrale se situe. Ce procédé s'intitule REDD pour
Ressources pour le développement durable. A ce titre, le président français Nicolas Sarkozy a
commandé le 9 février 2010 un rapport sur ce thème au député Jacques Le Guen de l'Union
pour une majorité populaire (UMP) dont les conclusions, ont été rendues en octobre 2010. Ce
rapport a été lancé dans le sillage d'une conférence internationale sur la déforestation qui a
lieu à Paris le 10 mars 2010 avec notamment en invité de marque le président gabonais Ali
Bongo et comme co-président de séance Jean-Louis Borloo et le ministre de l'environnement
de la République démocratique du Congo José Endundo Bononge. Nicolas Sarkozy a tenté à
de nombreuses reprises de gagner en popularité auprès des décideurs de la région grâce à cette
initiative, il en a d'ailleurs longuement parlé devant le parlement et sénat congolais lors d'un
211 Radio Okapi (financée au Congo par l’ONU), 25 juillet 2011. 212 200 000 hectares de forêt équatoriale sont détruits chaque année. Majoritairement ces opérations se situent en Amazonie brésilienne.
176
voyage en mars 2009 à Kinshasa. Nicolas Sarkozy a fait de Libreville au Gabon sa tête de
pont du projet lié aux problèmes d'environnement et de déforestation. Il y a fait installer une
station satellitaire d'observation de 9 millions d'euros213. Alors que c'est bien au Congo-
Kinshasa que les besoins seraient les plus importants, les relations "singulières" entre la
France et son ancienne colonie le Gabon ont donc à nouveau beaucoup joué en faveur de cette
dernière. Cela démontre bien que ce projet, très vigoureusement soutenu par le président
Français a bien davantage une vocation politique que réellement opérationnelle.
Le procédé REDD (ressources pour le développement durable) a été formellement adopté lors
de la conférence de Cancun du 29 novembre au 10 décembre 2010. Il devrait permettre
rapidement de mettre en place des financements pour les pays qui luttent au mieux contre la
déforestation. La RDC devrait être impliquée dans ce dispositif qui va cependant contre
l'intérêt des futurs pétroliers de la zone. Car cette exploration impliquera la création de routes
et de zones de forages qui immanquablement entrainera une importante déforestation. Les
moyens de circulation ainsi réalisés pourront aussi faciliter le travail des sociétés de bois qui
contribueront davantage à accélérer la déforestation.
La Banque mondiale devrait par contre débourser quelque 60 millions de dollars de don entre
2011 et 2013 pour lutter contre la déforestation en RDC par l'intermédiaire d'un programme
sobrement intitulé Programme d'investissement pour la forêt214. Cependant, les zones aidées
par ce programme au Congo ne seront pas principalement localisées dans la zone de la
Cuvette centrale mais davantage proches des grandes villes du pays comme Kinshasa, Mbuji
Mayi (province du Kasaï orientale). Seule la ville de Kisangani située dans la province
orientale (faisant partie de la Cuvette centrale) sera aidée par ce mécanisme Banque mondiale.
En effet, au Congo, c'est principalement à proximité des grandes villes que la déforestation
s'opère. Elle sert en priorité à chauffer les aliments et construire les habitations.
La République démocratique du Congo est un pays vaste, 2,3 millions km², avec une densité
de population faible (70 millions d'habitants). Or, l'incroyable difficulté de se mouvoir et de
vivre dans la forêt équatoriale dans ce pays a conduit à ce que la population dans cette zone y
soit très faible. La densité de population n'est donc pas un réel enjeu dans le cadre de futures
explorations pétrolières. L'absence quasi-totale d'infrastructures routières, dont les rares se
213 La lettre du Continent, n°583, 4 mars 2010. 214 Voir le document relatif à ce projet publié sur le site internet du ministère de l'environnement congolais. http://www.mecnt.cd/.
177
sont dégradées petit à petit sous l'ère Mobutu, ainsi que l'Etat des ponts sur les multiples bras
du fleuve Congo a rendu la région de la Cuvette centrale, s'étendant sur plus de six provinces,
très difficilement praticable. Cette absence de moyen de communication et de transport peut
être analysée comme une "chance" pour la nature. En effet, en dehors des villes côtières du
fleuve comme Mbandaka ou sur les côtes de ses rivières, accessibles par bateau, le seul
moyen d'atteindre les zones plus septentrionales de la forêt reste l'avion. Ce manque cruel de
route représente bien la raison essentielle pour laquelle les sociétés pétrolières n'ont jamais été
très loin dans leur exploration. Par conséquent, ce n'est actuellement pas pour des questions
liées à l'environnement, comme les menaces liées à la déforestation ou les très nombreux
animaux sauvages (éléphants, antilopes etc...) de la cuvette centrale que les pétroliers sont
encore actuellement timides sur cette zone. La RDC, sous pression de la communauté
internationale a d'ailleurs adopté en 2005 un moratoire sur l'attribution de nouvelles
concessions forestières. Sur les quelque 156 licences déjà octroyés auparavant, seules 80 ont
été confirmées en 2011215. Cette baisse pourrait faire penser que le pays est résolument tourné
vers une gestion durable de ses forêts. Pas vraiment. Le problème reste toujours le même pour
les industriels, ils ne viennent pas en masse au Congo pour des difficultés liées à l'exportation
de leurs agrumes. Le fleuve Congo est ensablée par endroit et il est très difficile pour eux
d'atteindre le port de Matadi en barge (Bas-Congo) et encore moins d’aller au-delà. Si ces
problèmes logistiques étaient réglés, le même phénomène de pillage constaté dans les mines
au Kivu (Est) ou au Katanga (Sud) se produirait probablement pour le bois. L'absence d'Etat
serait alors exploitée par les investisseurs. Le problème rencontré par les industriels pour
l'acheminement des grumes par le fleuve Congo pourrait être pallié en principe dans le cas du
pétrole en cas de construction d'un oléoduc partant de la zone d'exploitation jusqu'au port de
Matadi. Mais d'ici là, il faudrait après des repérages par avion (Airmag) acheminer le matériel
de sismique puis celui de forage et aussi, trouver du pétrole. Or ce processus demande des
machines et camions qui ne peuvent pas toute voyager par avion (ou avec un surcoût très
important).
La question environnementale est encore très peu prise en compte à Kinshasa. En dépit de la
création d'un poste de ministre de l'environnement dès 1991 avec Tharcisse Loseke
Nembalemba dans le gouvernement d'Etienne Tshisekedi216, ce portefeuille n'a jamais
215 Nous ne minimisons pas ici l’importance des sociétés opérant sans licence avec le soutien d’élus locaux, voire même de ceux de Kinshasa. 216 Etienne Tshisekedi né en 1932, a été au début de sa carrière politique l’un des proches de Mobutu de l'indépendance en 1960 jusqu'en 1980. Il a occupé les fonctions de ministre de l'intérieur et il a rédigé (il est docteur en droit) les statuts du Mouvement populaire pour la révolution (Parti Unique du Maréchal). En 1980, il n'obtient pas le poste de chef l'Assemblée nationale et rentre dans l'opposition au président en créant son parti
178
vraiment pesé au sein de l'administration congolaise. Il a d'ailleurs souvent été associé au
tourisme et attribué à des personnalités politiques de second rang. Les ministres des mines ou
celui des hydrocarbures ont toujours eu un poids plus important que celui de l'environnement
dans la prise de décision d'exploiter ou non une zone à l'écosystème fragile. Le ministre de
l'environnement et du tourisme nommée en octobre 2008 José Endundo Bononge est issu de
la région de l'Equateur qui est séparée du Congo-Brazzaville par le fleuve Congo. Cette
province englobe la Cuvette centrale. Alors qu'il est à ce poste donné souvent à des "seconds
couteaux" Endundo est considéré comme un ministre de poids au sein du gouvernement
congolais, il représente en effet une région clé pour Kabila, c'est l'ancien ministre des
hydrocarbures René Isekemnaga Nkeka qui était avant la personne clé du gouvernement pour
cette région de l'Equateur. Hors d’Endundo, l'autre ministre issu cette région qui pèse dans ce
gouvernement est Jeannine Mabunda qui est en charge du portefeuille (qui a trait à la gestion
des sociétés publiques du pays).
Alors qu'aucune exploration majeure n'a eu lieu depuis plus d'une décennie dans la Cuvette
centrale, il est possible, à l'aide de l'étude d'un exemple dans la région du Kivu, de présager du
poids du ministre de l'environnement face à son collègue des hydrocarbures217. Pour revenir à
la zone de la Cuvette centrale, si son exploration et exploitation va poser d'importants défis
logistiques, la question environnementale sera traitée en fonction de la force de l'Etat au
moment des découvertes. Si celui-ci est toujours aussi faible qu'aujourd'hui, l'exploitation
devrait commencer sans trop d'encombre pour les pétroliers, si l'Etat est plus fort, il négociera
des conditions plus draconiennes de respect de l'environnement et d'abandon des puits218,
mais il ne sera jamais question d'abandonner des potentielles réserves pétrolières, sources de
centaines de millions de dollars pour l'Etat. L'étude de l'exploration dans la zone du Kivu,
proche du Parc des Virunga est depuis 2010 un test important pour évaluer l'importance de
l'environnement face au secteur des matières premières219.
Union pour la Démocratie et le progrès social (UPDS). Mobutu est contraint de lui confier le poste de premier ministre en 1991, après que la communauté internationale ait imposé une certaine ouverture du régime. Il n'a jamais exercé une quelconque fonction officielle depuis le début de l'ère Kabila. Il a été candidat lors des élections présidentielles en novembre 2011. 217 Cet exemple sera développé dans la partie consacrée à la zone du Graben Albertine. 218 Lorsque la production de pétrole se termine, des budgets sont normalement prévus dès la signature du contrat d'exploitation pour remettre en état la zone impactée par l'exploitation. 219 L’Equateur est le premier pays à avoir essayé de faire payer la communauté internationale en échange d’un arrêt de l’exploitation d’une zone pétrolière se trouvant dans une zone protégée. Cela a été un échec car très peu d’argent a été récolté. Voir à ce sujet Le Monde Diplomatique, juin 2012.
179
L'historique de l'exploration de la Cuvette centrale
La Cuvette centrale congolaise est d'une façon générale très sous explorée par les pétroliers,
seuls quatre forages y ont été effectués, dont un seul a mis à jour la présence de pétrole220. Et
pourtant, son intérêt géologique a été connu dès la période de colonisation par des ingénieurs
belges qui ont mené des travaux de recherche. Ils ont découvert des suintements et des
structures intéressantes mais en l'absence de forage, aucune donnée précise n'a pu être
analysée. Ensuite, dans les années 1970, les sociétés américaines Esso et Amoco ont fait des
études sismiques ainsi que deux forages qui se sont avérés décevants. Mais compte tenu du
gigantisme du bassin sédimentaire, ces forages n’ont pas grande valeur aujourd’hui. Ensuite,
la société japonaise Japan National Oil Corporation a également réalisé quelques petites
études géologiques dans la zone de Kisangani (province orientale au Nord) mais sans résultat
probant. Dans les années 1980, la Banque mondiale a financé pour six millions de dollars des
études effectuées par Petrozaïre (ancêtre de Cohydro) en particulier dans la province du
Bandundu. Plusieurs sites de suintements de brut léger avaient alors été mis en évidence dans
cette province à Bumu et Sia dans le territoire de Bagata, à Tolo et Bombayi dans celui de
Kutu, ainsi qu'à Ibangakole et Isoko dans celui d'Oshwe221. Mais cela n’avait pas permis de
cartographier la zone ni de la découper en blocs d’exploration. A la fin 2005, des cadres du
ministère des hydrocarbures congolais se sont rendus au musée Tervuren en Belgique222 pour
étudier toutes les données géologiques disponibles afin de préparer ce travail cartographique
qui permettrait d’offrir à de nouvelles sociétés l'opportunité d'explorer la zone.
Afin de préparer au mieux ce travail titanesque, du fait de la superficie et la difficulté d'accès
de la zone, plusieurs sociétés de géologues spécialisées dans la mise en valeur de bassin ont
été contactées par le ministère de l'énergie de transition. En juillet 2005, c'est la société
américaine Fusion Petroleum Technologies qui s'est montrée la plus intéressée223. Elle a
cependant très rapidement abandonné le contrat. Et pourtant, le projet était peu risqué pour le
Congo-Kinshasa car le programme de récolte des données et leur mise en valeur par Fusion
220 Document de la Compagnie minière du Congolaise SPRL préparé par le groupe brésilien HRT. Disponible à cette adresse : http://bamanisajean.unblog.fr/files/2009/02/comicocuvettecentrale.pdf. 221 Africa Energy Intelligence, n°541, 20 septembre 2006. 222 Le Musée de Tervuren situé à quelques kilomètres de Bruxelles, conserve un grand nombre d'archives sur la période coloniale belge (Congo, Rwanda, Burundi). Plusieurs chercheurs de différentes disciplines (géologie, histoire, géographes...) étudient cette région. Nous nous y sommes rendus en 2008 et avons pu constater sur les problèmes de frontière coloniale leur connaissance très précieuse. 223 Un contrat a tout de même été signé en juillet 2005 entre l'un des conseillers de la Cohydro, le nigérian Onyema K. Anazonwu et l'un des vice-président de l'époque, Abdoulaye Yérodia Ndombasi, accompagné du ministre de l'énergie en charge des hydrocarbures Pierre Muzyumba.
180
aurait été financée en partie par les compagnies pétrolières intéressées par la Cuvette centrale,
en échange de quoi, ces sociétés auraient eu un accès privilégié aux blocs pétroliers dont le
découpage était prévu à l'époque en 2009.
Constatant l'échec de cette première tentative, une autre société a été contactée pour faire ce
travail de mise en valeur. C'est la brésilienne High Resolution Technology Petroleum (HRT)
qui remporte le 30 janvier 2008 un contrat avec le gouvernement congolais. HRT est à
l'époque une société de consultants en géologie, créée en 2004 par l’ex directeur des systèmes
pétroliers de la société pétrolière nationale brésilienne Petrobras224 Marcio Rocha Mello ainsi
que son ex-directeur exploration production Antonio Agostini. Le Congo-Kinshasa, fier de la
présence d'une équipe d'ingénieurs pétroliers parmi les plus qualifiés au monde, octroie à
HRT plusieurs étages du bâtiment de la société nationale Cohydro. Elle y créée même un
laboratoire afin d'étudier les échantillons d’hydrocarbures. A peine six mois plus tard, du 11
au 13 août 2008, un congrès pétrolier est organisé à Kinshasa en partenariat avec HRT pour
faire la promotion de la Cuvette centrale. La société brésilienne n'a pas eu le temps de faire de
nouveaux prélèvements mais elle a étudié la documentation disponible et a tentée de proposer
un découpage cohérent en 21 blocs. La carte qu'HRT dessine est utilisée jusqu'en 2011 par les
cadres du ministère pour faire la promotion de la Cuvette centrale. Le 9 février 2012, un arrêté
du ministre des hydrocarbures Celestin Mbuyu Kabango décide cependant de découper le
bassin en 35 blocs. Il aurait été décidé que les blocs ne devaient pas excéder 25 000 km². Pour
faire la promotion de ce bassin, les cadres du ministère présente dès 2012 la carte 20 ci-
dessous :
224 Petrobras est la plus grosse société d'Amérique Latine (au regard de son chiffre d'affaires) ainsi que l'une des 15 plus importantes sociétés pétrolières du monde. En 2011, elle a un capital de 237 milliards de dollars. En octobre 2010, elle a obtenu le record historique de levée de fonds en récoltant quelque 127 milliards de dollars auprès des investisseurs privés. Grâce à un budget conséquent en recherche-développement, la société est réputée comme étant l'une des meilleurs au monde dans l'exploration et la production en offshore profond et très profond. Petrobras produit déjà plus de 2 millions de barils par jour soit davantage que la major française Total (1,8). A partir de 2006, Petrobras va encore asseoir davantage son statut de super compagnie en faisant des découvertes considérables dans l'offshore brésilien dans le bassin de Santos. Un grand nombre de champs (Tupie, Guara, Jupiter...) de plusieurs milliards de barils de réserve chacun sont mis à jour. Petrobras appartient à 33% à l'Etat du Brésil mais ce dernier possède 55% des droits de vote, il a donc la capacité de mettre son veto à toute décision venant des actionnaires privés. L'année 2006 est également celle qui va couronner la stratégie de Petrobras de permettre au Brésil de devenir autosuffisant en pétrole.
181
Carte n°20 : Blocs congolais de la Cuvette centrale
Source : Ministère congolais des Hydrocarbures.
Cependant dès le début 2009, HRT décide de lancer une activité d’exploration-production :
HRT Oil&Gas. Après avoir obtenu 21 blocs d’exploration au Brésil en juin 2009, elle devient
182
en mai 2010 opératrice des blocs 2813A, 2814 B et 2814 A dans l'offshore namibien. Ce
choix stratégique s'explique car les côtes brésiliennes ont des similitudes géologiques avec
celles du golfe de Guinée (au sens large, de la Namibie jusqu'à la Mauritanie). En particulier
concernant les couches de sel, en dessous desquelles ont été découverts de très importants
champs aux larges des côtes brésiliennes. La Namibie a ce type de géologie très proche du
Brésil. Cette diversification de HRT ne profite cependant pas au Congo. La société
brésilienne part dès 2009, après un an de contrat, en faisant valoir (selon différentes versions
entendues au ministère des hydrocarbures) que la crise économique l’empêche de continuer
ses activités (ce qui sera démenti avec les acquisitions de blocs quelques mois après) ou alors
qu'elle a des différends avec son partenaire congolais, la Compagnie minière congolaise SA
(Comico). Le contrat qu'elle avait signé avec Kinshasa n'était que pour un an, donc elle n'a
pas eu à le casser, mais il est vrai qu'elle n'a pas souhaité le renouveler.
Depuis le départ d'HRT, le gouvernement congolais cherche à faire revenir la société
brésilienne afin de poursuivre le travail de mise en valeur du potentiel de ce bassin capital. Le
directeur de cabinet adjoint chargé des questions économiques du président congolais Joseph
Kabila, Henri Yav Mulang (voir ci-dessous), a envoyé à la fin du mois d'août 2010 une lettre
au directeur général d'HRT l’invitant à venir au Congo-Kinshasa.
Henri Yav Mulang (56 ans) est un des membres influents du cabinet du chef de l'Etat depuis
sa nomination comme directeur de cabinet adjoint le 30 janvier 2009. D'origine katangaise
(Lubumbashi) tout comme le président, il était depuis 2006, l'administrateur général délégué
de la puissante Fédération des entrepreneurs congolais (FEC). Yav a également été directeur
des études à la fédération des chambres de commerce des Etats d'Afrique centrale et conseiller
technique au Gatt (ex-organisation mondiale du Commerce) à Libreville puis Genève. Source
: Jeune Afrique, 12 mai 2010.
Le ministère des hydrocarbures souhaiterait que HRT, continue de recueillir des données
géologiques sur la Cuvette centrale. Kinshasa n'ayant pas les moyens de payer HRT, un
accord d'intéressement pourrait être envisagé : lorsque Kinshasa lancerait un appel d’offres
sur ce bassin, le groupe brésilien se verrait accorder un pourcentage des bonus de signature.
Le directeur général de la société brésilienne HRT, Marcio Mello, avait été annoncé le 28
183
novembre à Kinshasa mais il n'est finalement pas venu225. Mello auquel nous avons pu parler
a semblé peu intéressé par la RDC, trop compliqué et avec des problèmes géographiques
(manque d’infrastructures) et politiques, trop importants.
Certaines sociétés pétrolières se sont intéressées à l'exploration de la Cuvette centrale en se
basant sur le découpage réalisé par HRT, mais n’ont pas persisté ou n’ont pas obtenu un
décret présidentiel. Joseph Kabila a également demandé dès 2008 à son ministre des
hydrocarbures Lambert Mende Omalanga de ne plus délivrer de contrat sur cette zone avant
d'avoir rehaussé substantiellement le montant du bonus de signature qui était toujours à
l'époque de 500 000 dollars par bloc226.
La société Comico a signé début 2008 un protocole d'accord pour explorer les blocs 1-2 et 3,
au nord-ouest du bassin, frontalier avec le Congo-Brazzaville (voir carte 20). Comico est une
société avec des intérêts congolais ainsi qu'étrangers. L'un de ces derniers est l'investisseur
portugais Idalecio Rodriguez de Oliveira (voir ci-dessous).
Idalecio Rodriguez de Oliveira, (58 ans) que nous avons pu interroger plusieurs fois depuis
mars 2011 a déjà réalisé plusieurs affaires pétrolières sur le continent. Au début 2005, il a
relancé l'exploration en Namibie en créant les sociétés Enigma puis plus tard Chariot Oil.
Enigma, qui est désormais la filiale de Chariot, opère aujourd'hui dix blocs dans l'offshore du
pays. Oliveira s'est depuis dégagé de ces deux groupes. L'homme d'affaires portugais possède
également Lusitania Group dont la filiale de droit béninois, Compagnie béninoise des
hydrocarbures SARL, opère le bloc 4 dans l'offshore béninois en partenariat avec le groupe
brésilien Petrobras depuis février 2011.
Cependant Comico, qui a également participé au découpage avec la collaboration d’HRT, n'a
jamais obtenu de décret présidentiel pour commencer à travailler. Soco désormais actif dans
la zone du bassin côtier ainsi que sur le bloc 5 (Graben Albertine, à l'Est du Congo) a
également cherché à obtenir les périmètres 7 et 8 en collaboration avec la société Dominion
(partenaire de Soco sur le bloc 5227), des négociations ont été menées mais sans résultat. Une
autre société, cette fois-ci sud-africaine, Divine Inspiration a signé un contrat en décembre
2007 pour opérer les blocs 8-21 et 23228. Cette société (dont on parlera plus tard sur les blocs
225 Africa Energy Intelligence, n°639, 10 novembre 2010. 226 Africa Energy Intelligence, n°583, 18 juin 2008. 227 Il existe des liens étroits entre Dominion et Soco : Roger Cagle, le Chairman de Dominion, est également l'Executive Vice-president de Soco. Dominion a également des intérêts en Ouganda et au Kenya. 228 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010.
184
proches du lac Albert), a des actionnaires congolais et sud-africains très influents. Au Congo,
l'un des leaders de la puissante famille du Bas-Congo Kisolokele, Alphonse229, est l'un de ses
directeurs. L'actionnaire majoritaire de Divine Inspiration, qui en est également la directrice
générale est la sud-africaine Andrea Brown. Celle-ci préside également le cabinet de conseil
Transcend, spécialisé dans le conseil en Black Economic Empowerment (BEE). Le BEE
permet d'accélérer la participation des populations noires (totalement écartées lors de
l'apartheid) au milieu des affaires en particulier concernant leur intégration dans les grands
groupes sud-africains. Andrea Brown a été directrice de l'unité BEE au sein du Department of
Trade and Industry sud-africain. Elle a notamment participé à la rédaction des chartes de cette
politique BEE pour les secteurs des finances, de la construction et de l'immobilier230. Les Sud-
africains ont de très puissants circuits d'influence au Congo-Kinshasa, Andrea Brown fait
partie des rares investisseurs étrangers qui parvient à voir le président congolais Joseph
Kabila. En effet, ce dernier ne reçoit pas facilement, la plupart des grands groupes ont recours
à des intermédiaires grassement rémunérés: cas de l'ancien président nigérian Olusegun
Obasango avec Chevron (que nous développerons dans la partie concernant l'Angola).
Enfin, à partir du début 2011, la société nationale italienne ENI a commencé à négocier avec
le gouvernement pour les blocs 15, 16 et 17 au sud de la Cuvette centrale. Le vice-président
exploration et convention de l'ENI, Luca Dragoneti, et l'un des géologues du groupe, David
Casini Ropa, se sont rendus à ce titre à Kinshasa début avril pour négocier pour ces blocs
ainsi que d'autres périmètres à l'Est ainsi que dans la zone du lac Tanganyika (sud-est)231.
Après l'échec d'août 2009 où le patron de l'ENI Paolo Scaroni, était reparti de Kinshasa sans
avoir signé contrat, portant notamment sur la Cuvette centrale, cela serait une assez belle
revanche pour le groupe italien. Cependant, comme ces négociations portent sur de nombreux
blocs et que l'Etat congolais ne veut pas être à nouveau humilié, peu de personne sont
impliqués, cette discussion est gérée directement entre le cabinet du ministre des
hydrocarbures et la présidence. En juillet 2012, ces contrats n’ont toujours pas été actés.
229 La famille Kisolokele est issue de la province du Bas-Congo, Alphonse Kisolokele (à qui nous avons pu parler à nombreuses reprises) est le petit-fils du fondateur de la religion des Kibamguistes, Simon Kimbangu. Le Kibanguisme né dans les années 1920 se base sur une interprétation rigoriste de la bible, ils critiquent aussi la sorcellerie et des pratiques occultes. Son fondateur a été plusieurs fois arrêté par les colons belges car il mettait en péril la domination de la religion catholique et protestante. Au Bas-Congo, les leaders des Kibanguistes ont un pouvoir politique certain car cette "religion" représente quelque 5 millions de fidèles. Au niveau national aussi, les leaders de ce courant chrétien occupent des postes de premier plan. Charles Kisolokele, le père d'Alphonse, a été ministre des entreprises publiques en 1960 puis du travail en 1961. Cette religion a essaimé au Congo-Brazzaville ainsi qu'en Angola. Elle est également connue dans les pays anglophones de la zone des grands lacs comme en Ouganda ou au Burundi. Les membres de la famille Kisolokele peuvent et savent user de leur nom pour faire des affaires. 230 Africa Energy Intelligence, n°573, 23 janvier 2008. 231 Discussions avec des cadres du ministère des hydrocarbures.
185
Depuis 2011, la nouvelle stratégie congolaise vise à obtenir l'expertise technique de la major
brésilienne Petrobras sur l'exploration de la Cuvette centrale. Une délégation congolaise
menée par le ministre des hydrocarbures, Célestin Mbuyu Kabango, son directeur de cabinet,
Jean Muganza, et l’ex directeur de la société nationale Cohydro, Alex Mutombo ont ainsi été
reçu par le directeur général de Petrobras José Sergio Gabrielli à Rio de Janeiro le 20 juin
2011. La délégation congolaise espère à terme convaincre Petrobras de mener des
explorations dans la Cuvette centrale, réputée géologiquement proche de l'Amazonie, ou au
moins de l'aider à la mettre en valeur. La major brésilienne a en effet, en parallèle de
l'offshore profond, également développé une technologie spécialisée dans l'exploration
pétrolière des forêts tropicales. Petrobras a plusieurs blocs dans la forêt amazonienne où elle
produit quelques dizaines de milliers de barils232. Une délégation de Petrobras s'est rendue
durant l'été 2011 à Kinshasa pour étudier les conditions d'un possible partenariat. Si Petrobras
est déjà bien implantée en Afrique où elle est présente en Libye, Nigeria, Bénin, Angola,
Gabon, Namibie et Tanzanie, elle n'a jamais vraiment parié sur les périmètres onshore où elle
n'a encore aucun actif. En cas d'accord avec le Congo, cela serait donc une première sur le
continent pour l'exploration sur la terre ferme. Cela peut s'avérer une bonne stratégie pour le
Congo. Seule une société importante avec des financements suffisants et une capacité de
projection (avion et matériels technologiques) est capable de mettre en valeur cette zone de la
Cuvette centrale, si difficile d'accès.
Avant de donner massivement aux sociétés pétrolières des périmètres d'exploration, il faudrait
avoir des données techniques fiables sur lesquelles les sociétés peuvent se décider à investir
lourdement. La meilleure méthode serait probablement d'organiser un appel d'offres, ce qui
dans le secteur pétrolier congolais n'est pas du tout une habitude : les négociations de gré à
gré sont largement privilégiées. Les appels d'offre permettraient de sélectionner les sociétés
proposant le plus de travail d'exploration. Cela permettrait à ce bassin, si gigantesque, 800
000 km² rien qu'au Congo-Kinshasa, d'avoir un horizon de production plus rapide en cas de
découverte. Actuellement, les potentiels sont totalement inconnus car le ministère des
hydrocarbures a perdu son temps à négocier avec des sociétés au réseau politique dense mais
aux capacités techniques et financières, très en deçà de ce que requière un tel bassin.
232 Africa Energy Intelligence, n°655, 6 juillet 2011.
186
La cuvette centrale, un bassin pétrolier partagé avec le Congo-Brazzaville
Outre les tentatives d'exploration au Congo-Kinshasa, comme on l'a vu, le bassin sédimentaire
de la cuvette intéresse aussi les sociétés au Congo-Brazzaville. Ce dernier qui a une culture
pétrolière ancienne, il produit depuis les années 1960233, a déjà attribué en 2006 un premier
bloc d'exploration dans sa partie de la Cuvette centrale à la société suisse Pilatus Energy. Ce
périmètre, appelé Ngoki, est situé dans la région natale du président congolais Denis Sassou
Nguesso234 dans la zone éponyme de la cuvette. Pilatus Energy a été pendant longtemps
conseillé par Loïc Le Floch-Prigent235, l'ex-Président directeur général d'Elf, condamné par la
justice française à plusieurs reprises, d’abord pour abus de bien sociaux en janvier 2003 (30
mois de prison fermes) ainsi que pour des emplois fictifs en mars 2007. C'est d'ailleurs lui qui
a directement négocié en 2006 avec le président Nguesso (avec lequel il s’entend toujours très
bien) pour ce bloc congolais.
Au terme d'une visite à Brazzaville du 15 au 17 juin 2011, le directeur de la compagnie
Pilatus Energy Congo, Abbas Ibrahim Yousef236, a obtenu du ministre congolais des
hydrocarbures, André-Raphaël Louembé, l'autorisation de prolonger son permis d'exploration
jusqu'au 11 octobre 2012. Ngoki fait d'ailleurs l'objet d'un différend avec Loïc Le Floch-
Prigent, ancien associé de Youssef au sein de Pilatus, qui en revendique la propriété.
233 La République du Congo ou Congo-Brazzaville produisait en 2010 quelque 292 000 bpj. Elle est donc derrière le Nigeria, l'Angola et le Soudan, le 4ème plus gros producteur d'Afrique sub-saharienne. Elle a ravi la place à la Guinée équatoriale qui ne produit plus que 274 000 bpj. 234 Le président du Congo-Brazzaville en exercice depuis 1997, Denis Sassou Nguesso, est né en 1943 dans le petit village d’Oyo dans la région de la cuvette près de la ville d’Edu. Rien ne peut se faire dans cette région sans son accord, il y a fait notamment construire un aéroport à Ollambo (quelque dizaines de kilomètres d’Oyo), inaugurée en 2007. Il a voulu créer une zone franche pour des entreprises spécialisées dans la biotechnologie et l’économie du savoir. Source : La Lettre du Continent, n°614, 23 juin 2011. 235 Loïc le Floch-Prigent continue malgré ses nombreuses condamnations liés à ses activités avec Elf, qu'il a dirigé entre 1989 et 1993, de conseiller plusieurs chefs d'Etat africains. C'est notamment le cas avec Idriss Déby Itno, le dirigeant tchadien. Ce dernier le consulte très régulièrement sur des contrats, des sociétés, des intermédiaires. Evidemment, Prigent a un lien particulier avec Denis Sassou Nguesso qu'il a considérablement soutenu pendant la guerre civil face à l'opposant Pascal Lissouba à qui Elf a sciemment refusé de prêter de l'argent. Pour les autres chefs d'Etat, nos conversations avec leurs conseillers ne nous ont pas permis de prouver des liens probants et réguliers avec Prigent. Cependant, la galaxie des ex-cadres d'Elf est toujours très active dans tous les pays du golfe de Guinée où ils continuent d'avoir un accès privilégié au sommet de l'Etat pour leurs affaires. Ils ont en effet des qualités techniques indéniables, ils ont été bien formés. Mais surtout, ils ont gardé un carnet d'adresses bien rempli et des méthodes de travail Elf : mélange de professionnalisme et de soif d’aventure. 236 Abbas Ibrahim Yousef est un homme d'affaires citoyen de l'émirat d'Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis). Confiant dans le carnet d'adresses de son ami, Youssef a confié en 2006 à Prigent le soin de garnir un portefeuille de périmètres pétroliers pour la société Pilatus Energy. Outre le Congo-Brazzaville, l'ex PDG d'Elf a également réussi à obtenir un bloc au Mali (le 19 situé à l'extrême sud du pays) ainsi qu'un autre au Burkina Faso, il a également essayé sans succès de s'introduire en République de Guinée (Conakry).
187
Seule une campagne sismique a été effectuée sur Ngoki. Pilatus joue davantage un rôle de
société spéculative aux visées financières plutôt qu'une compagnie pétrolière avec des
techniciens sur le terrain visant à produire au plus vite. Pilatus espère pouvoir jouer sur le
carnet d'adresses de ses administrateurs pour nouer des partenariats avec des sociétés
pétrolières qui veulent réellement travailler et qui opéreront réellement le périmètre en
finançant la part des travaux de Pilatus. Une société française SPTEC a été sélectionnée pour
cela en juin 2012237 mais cette dernière a cassé le contrat car Abbas Youssef n’arrivait pas à
payer ses contractants au Congo238. L'autre stratégie consiste aussi à attendre à ce que d'autres
sociétés obtiennent des périmètres à proximité de Ngoki qu'elles explorent et mettent en
valeur, Pilatus pourraient alors en cas de découverte se désengager en faisant une plus-value
intéressante. C'est donc uniquement par la proximité de Prigent puis de Youssef que la société
basée en Suisse obtient depuis 2006 le renouvellement de son permis congolais.
Cependant, comme pour la totalité des bassins sédimentaires au Congo, le bassin de la cuvette
est partagé entre plusieurs souverainetés. Il se trouve en effet des deux côtés du fleuve Congo
séparant les deux pays. La délimitation peut poser un certain nombre de problème car en cas
de découverte, il est très probable que certains champs pétroliers soient localisés de part et
d'autre du fleuve. Même si aucun des deux pays n'a réellement commencé de travaux
significatifs, les probables débuts de l'exploration dans la Cuvette centrale au Congo-Kinshasa
poussent déjà Brazzaville à prendre certaines dispositions. L'Assemblée nationale du Congo-
Brazzaville a adopté fin avril 2011 une loi autorisant la ratification d'un protocole d'accord de
coopération sur l'exploitation et la production des réserves communes d'hydrocarbures situées
dans la zone frontalière avec le Congo-Kinshasa. Des négociations bilatérales sont donc
prévues même si le ministère des hydrocarbures à Kinshasa n'a pas été associé à cette
discussion239. Le Congo Brazzaville veut à tout prix éviter une situation de fait où les
découvertes seraient exploitées par Kinshasa. L'Angola pompe déjà dans les eaux territoriales
congolaises (Kinshasa). De plus, des tensions sont toujours vives entre l'Angola et le Congo-
Brazzaville sur les frontières maritimes, dont nous parlerons en détail plus tard. Ceci conduit
donc les acteurs régionaux à prendre des précautions, et d’éviter une situation de fait
accompli. Même si cela peut sembler prématuré, les deux Congo vont peut-être devoir en
passer par la création d'une zone de développement conjoint (ZDC). Cette dernière viserait à
237 Africa Energy Intelligence, n°680, 25 juillet 2012. 238 Africa Energy Intelligence, n°681, 29 août 2012. 239 Il est tout à fait probable que cela soit le ministère de l'intérieur qui soit dans un premier temps associé à Kinshasa et non celui des hydrocarbures.
188
délimiter un périmètre dans lequel les revenus issus du pétrole seraient partagés entre les deux
Etats. Cette solution choisie avant l'exploration évite en théorie, tout conflit en cas de
découverte. Plusieurs cas africains d'exploration concertée ont déjà été développés dans la
première partie.
Les deux Congo ont une relation assez difficile mêlée de suspicion, officiellement, le Congo-
Brazzaville s'est abstenu d'intervenir de quelque façon que ce soit pendant la guerre chez son
voisin car il était lui aussi en pleine guerre civile. Mais de nombreux gradés de l'armée de
Mobutu se sont réfugiés à Brazzaville à l'arrivée des forces de Laurent Désiré Kabila en mai
1997. Il est très facile de se rendre à Brazzaville depuis Kinshasa, il suffit de prendre un bac
sur le fleuve. Il est possible donc de passer sans que les autorités du Congo-Brazzaville ne
soient vraiment prévenues. Cependant, ces personnes n'ont jamais été renvoyées à Kinshasa et
continuent à vivre paisiblement dans le pays voisin240. De plus, dans les premiers mois de
présidence de Laurent Kabila en 1997, le président à Brazzaville, Pascal Lissouba a reçu de
l'aide logistique et des renseignements de la part de Kinshasa241. Les forces de Lissouba se
battaient contre celles de Sassou Nguesso, le président revenu au pouvoir depuis 1999.
2 L’histoire tourmentée des blocs congolais du rift est-africain
Outre les blocs situés à l'ouest de la République démocratique du Congo opérés par Perenco
ainsi que les explorations au point mort dans la Cuvette centrale (régions ouest et centre), le
pays possède d'autres bassins aux potentiels considérables. Ceux-ci sont localisés dans la
partie Est du pays sur la zone du grand rift est-africain où sont situés tous les lacs partagés
entre le Congo et ses voisins. Plusieurs lacs sont intéressants d'un point de vue géologique,
c'est le cas du lac Edouard, du lac Kivu (pour le méthane) ainsi que du lac Tanganyika, voir
carte ci-dessous :
240 Evidemment, la réciproque fonctionne également. Kinshasa abrite des opposants à Denis Sassou Nguesso. 241 La Lettre du continent, n°289, 18
189
Carte n°21 : Les quatre lacs congolais partagés avec présence d’hydrocarbures
Source : Google Earth.
Cependant, depuis une décennie, c'est dans le lac Albert (carte ci-dessus), situé au Nord Est
du Congo dans la province Orientale et dans la région de l'Ituri que les explorations ont été les
190
plus intenses. Les blocs entourant le lac Albert côté Congo ont fait l'objet de beaucoup
d'attention car les découvertes de l'autre côté du lac, en Ouganda, sont déjà estimées, après
une quarantaine de forages, à 2,5 milliards de barils, soit à peu près le même volume constaté
actuellement au Congo-Brazzaville. Avant de travailler sur la gestion du secteur pétrolier de
l'Ouganda, intéressant comme effet miroir avec le Congo, il est bon d'étudier comment le
ministère et la présidence congolaise ont traité l'exploration de cette zone si particulière du lac
Albert. Il sera aussi question dans cette sous partie des problèmes de gestion commune entre
le Congo et l'Ouganda.
2-1 La véritable « saga » des blocs du lac Albert, côté congolais
L'exploration du lac Albert côté Congo n'a jamais vraiment été poussée. Quelques travaux ont
été effectués par les sociétés américaines Chevron et Conoco dans les années 1970 puis une
nouvelle tentative de Petrozaïre dans les années 1980 grâce à des fonds de la Banque
mondiale pour redynamiser le bassin du rift côté congolais (lac Albert). En juillet 1991, la
société belge Petrofina est l'une des premières à signer un accord d'exploration en bonne et
due forme avec le Zaïre de Mobutu sur le lac Albert et Edouard. Cette exploration portait à
l'époque sur 20 000 km2. L'accord faisait suite à celui signé en mars 1991 avec l'Ouganda où
Petrofina s'engageait à dépenser quelque 60 millions de dollars. Cependant, dès 1992,
Petrofina arrête son exploration des deux côtés du lac du fait des pillages et émeutes au Zaïre.
Comme tout le matériel, y compris pour l'Ouganda, devait transiter par le fleuve Congo puis
ensuite par camion, la société n'a pas jugé que la situation lui permettait de travailler
convenablement242. A l'arrivée de Laurent Désiré Kabila au pouvoir en 1997, hors quelques
sondages et travaux de surface (sismiques menées par Petrofina), il y a très peu de données
géologiques sur lesquelles les sociétés pétrolières peuvent se baser.
En juin 2002, en pleine crise avec les voisins ougandais et rwandais, la compagnie canadienne
Heritage Oil & Gas243 signe un accord de recherche sur un bloc géant (31 000 km²) à
l'extrême est du Congo. Ce bloc, d'une superficie équivalente à celle de la Belgique, s'étend le
242 Africa Energy Intelligence, n°231, 7 juin 1993. 243 Heritage est une petite société pétrolière canadienne qui s'est fait une spécialité de travailler dans les zones difficiles comme au Kurdistan irakien ou au Pakistan (ou en Libye depuis 2011 et la révolution). Elle a été créée en 2006 par un ex-mercenaire chevronné Tony Buckingham. Ce dernier a été actif au sein de la société de sécurité privée sud-africaine Executive Outcomes qui a travaillé pour le gouvernement sud-africain sous l'apartheid, pour les forces spéciales angolaises durant la guerre civile contre l'opposant Jonas Savimbi, et également en Sierra Leone pour sécuriser les mines de diamants. Cette société permettait à des gouvernements qui avaient les moyens de payer de rester en place par tous les moyens. Elle a aidé aussi des sociétés privées comme en Angola, où la société pétrolière Range avait des problèmes pour travailler dans la zone de Soyo que l'UNITA de Savimbi contrôlait. Executive Outcomes a été dissoute en 1998.
191
long de la frontière entre l'Ouganda et le Congo-K depuis la ville de Rutshuru, au sud du Lac
Edouard, jusqu'à Mahagi, à la pointe nord du Lac Albert. Afin de convaincre les cadres
congolais de signer un contrat de partage de production (qui permet plus de visibilité qu'un
simple contrat de recherche), Heritage les invite durant l'automne 2002 à visiter l'avancée de
leur exploration en Ouganda244. Cependant, la société canadienne n'obtient pas ce qu’elle
souhaite à Kinshasa. Et elle n’est pas la seule dans cette situation.
L'étude précise des décisions et revirements du pouvoir congolais sur les blocs du lac Albert
permet de comprendre le manque de stratégie pétrolière du pays. Les ministres naviguent à
vue, font des coups, mais ne répondent pas vraiment à un cap donné par le chef de l'Etat (en
tout cas jusqu'en 2012). Si comme on l'a souligné lors de notre étude de la gouvernance du
secteur congolais, l'absence de décision ou la prise de mauvaises décisions sont inhérentes à
un processus politique en cours depuis 1997 dans lequel le pouvoir est affaiblit,
conséquemment à l'ingérence étrangère (des belligérants d'une part: Ouganda et Rwanda) et
des alliés de l'autre (Angola, Zimbabwe, Namibie, Tchad), ce phénomène ne peut plus se
comprendre à la fin de la période de transition lorsque Joseph Kabila est élu président face à
Jean-Pierre Bemba en 2006.
La véritable saga sur les permis du lac Albert commence à quelques mois de la fin de la
transition en 2006. Les quatre ministres en charge des hydrocarbures depuis février 2006, à
savoir Salomon Banamuhere Baliene et son vice-ministre Nicolas Badingaka (pendant la
période de transition), puis après l'élection présidentielle de Joseph Kabila en 2006 : Lambert
Mende Omalanga (voir ci-dessous), René Isekemanga et enfin Celestin Mbuyu Kabango (voir
ci-dessous) ont en effet donné les mêmes blocs à trois consortiums composés de sociétés
différentes.
Lambert Mende Omalanga a été ministre des hydrocarbures de 2007 à 2008, puis ministre
de l’information de 2008 jusqu’à l’écriture de ce passage en 2012 (on lui a rajouté
l’attribution des relations avec le parlement en 2012). Après plusieurs années d’asile politique
sous l'ère Mobutu à Bruxelles où il a obtenu un diplôme en droit et en criminologie,
Omalanga commence sa carrière d’homme politique dans les années 1990 comme député
d’opposition au pouvoir de Mobutu. Mende est ensuite une première fois ministre de la
Communication dans le gouvernement d’Etienne Tshisekedi. Après un court passage comme
ministre des transports en 1997, il passe à la rébellion contre le président Laurent Désiré
244 Africa Energy Intelligence, n°443, 10 juin 2002.
192
Kabila au sein du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma) en tant que chef
du département information (1998-2000). Omalanga qui est originaire du Kasaï Oriental est
un poids lourd des gouvernements depuis 2007. Il a su monnayer son soutien au chef de l'Etat
qui a toujours préféré l'avoir dans son camp que contre lui. Très bon orateur, il a une forte
capacité de convaincre ses interlocuteurs (nos conversations avec lui l'attestent), il arrive
même à surprendre le président alors que les deux hommes ne viennent pas du tout du même
camp. Sa nomination à l'information récompense cette capacité de conviction. Omalanga est
aussi connu comme écrivain. Il a notamment rédigé un ouvrage publié en 2008 aux éditions
de l'Harmattan, Dans l'œil du cyclone, Congo-Kinshasa: les années rebelles 1997-2003
revisitées. Il y parle de ses transhumances politiques pendant les différentes crises politiques,
on y découvre un redoutable stratège politique.
Célestin Mbuyu Kabango est nommé le 19 février 2010 comme ministre des hydrocarbures.
Natif de la région du Katanga, tout comme le président Joseph Kabila (du côté de son père), il
est réputé proche de ce dernier (au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2011). Mbuyu a
notamment été président de la puissante communauté des Katangais installés à Kinshasa.
Preuve de la confiance spéciale du chef de l'Etat, Mbuyu n’est pas flanqué d’un vice-ministre
aux hydrocarbures contrairement à son prédécesseur René Isekemanga. Mbuyu connaît bien
les arcanes de l'administration, ayant gravi tous les échelons jusqu'au poste de secrétaire
général à l'économie nationale dans les années 90 (l'une des plus hauts-grades de la fonction
publique). Il a également exercé les fonctions d'administrateur de la société nationale minière
: la Gécamines. Avant d'être nommé ministre de l'intérieur en octobre 2008, poste qu'il
occupait avant d'être ministre des hydrocarbures, il exerçait la fonction de vice-ministre du
budget depuis 2007. Passer de l'intérieur aux hydrocarbures peut apparaître comme une
rétrogradation dans la hiérarchie gouvernementale, cependant cette nomination doit être
comprise comme une récompense financière et économique. Le ministre des hydrocarbures
rencontrent et négocient en permanence avec des investisseurs. La conclusion d'accords peut
être un moyen d'enrichissement rapide. Mbuyu est diplômé en chimie.
L'accord d’exploration de Heritage signé le 2 juin 2002, n’est pas suffisant pour commencer
les travaux, il permet juste de mettre par écrit un intérêt mutuel pour poursuivre les
négociations menant théoriquement à un accord définitif. A l’époque pourtant, l’un des
directeurs d’Heritage Bryan Westwood (certainement peu au fait des pratiques au Congo)
193
déclare être certain d’obtenir son contrat de partage de production dans les six mois245. Et
pourtant, dès le mois d'août 2004, le ministère de l'énergie ouvre un appel à manifestation
d'intérêt pour les blocs 1 et 2 (lac Albert) ainsi que les blocs plus au sud (3 et 4) aux abords du
lac Edouard. Heritage semble donc ne pas avoir les faveurs du ministre de l'énergie en charge
du secteur cette année-là : Jean-Pierre Kalema Losona (qui était pourtant déjà avant le début
de la transition, le vice-ministre de l'énergie). Ce dernier vient de remporter la tutelle sur les
hydrocarbures face à son collègue des mines et veut marquer son territoire en choisissant lui-
même la compagnie à qui ces blocs si stratégiques seront confiés. De plus, le fait que Heritage
soit déjà en Ouganda pose un problème. Nous sommes au début de la transition de partage du
pouvoir et à la fin de la guerre officielle avec l'Ouganda et le Rwanda (même si elle
poursuivra sous d’autres formes). La méfiance avec le voisin ougandais n'a absolument pas
disparu, en particulier parmi les ministres venant du camp de Kabila, comme Kalema Losona.
Le fait qu'Héritage y soit actif pose donc un problème de confiance.
Le 21 juillet 2006, soit quatre ans après le contrat de recherche de 2002, la situation se
décoince enfin et un contrat est bel et bien signé. C’est une association entre les Irlandais de
Tullow Oil246 et Heritage (tous deux présents en Ouganda de l’autre côté du lac à cette
époque) qui va parvenir à "arracher" un accord de partage de production sur les blocs 1 et 2
qui bordent le lac Albert. La superficie de la zone d’exploration que représentent ces blocs 1
et 2 a été divisée par cinq en comparaison avec le premier accord de 2002. Heritage a 39,4%
des blocs, aux côtés de Tullow (48,4%) qui devient l’opérateur (celui qui travaille
concrètement sur le terrain) et la compagnie nationale Cohydro (12%).C'est le vice-ministre
de l'énergie de l'époque Nicolas Georges Badingaka qui signe lui-même ce contrat247. Le fait
que ce soit (uniquement) un vice-ministre est important pour la suite de cet accord. Il est aussi
contresigné par le ministre en titre des finances Marco Banguli. Cependant, le moment choisi
pour cette signature est porteur de lourde suspicion. En effet, cet accord est validé par
245 La lettre de l’Océan Indien, n°1003, 6 juillet 2002. 246 Tullow Oil est une société basée à Londres et Dublin toujours dirigée par son fondateur d'origine irlandaise Aidan Heavey. La société a été créée en 1985 spécialement pour travailler sur le continent africain. Après avoir mené ses premières explorations au Sénégal à partir de 1986, Tullow a peu à peu diversifié son portefeuille et a désormais des activités dans quinze pays africains et pèse près de 18 milliards de dollars à la bourse de Londres. Elle a également pu prospérer en rachetant deux acteurs essentiels en Afrique : Energy Africa en 2004 puis Hardman Resources en 2007. Outre l'Ouganda, c'est également elle qui a découvert le pétrole au Ghana, pays producteur depuis le 15 décembre 2010. Les importantes découvertes dans ces deux pays l'ont propulsé parmi les junior les plus dynamiques et prospères opérant sur le continent. Elle emploie en 2010 quelque 935 personnes et est présente dans sept pays en dehors du continent Africain. 247 Le contrat est disponible grâce à un blog d'un député de la province Orientale (Nord) très impliqué dans la question pétrolière, Jean Bamanisa, à cette adresse : http://bamanisajean.unblog.fr/files/2010/05/frenchtullowheritagepsaannexesjuly2006.pdf. Bamanisa a été battu en 2012 aux élections législatives, probablement que son activisme lui a été fatal.
194
Badingaka à quelques jours à peine du premier tour des élections présidentielles (neuf jours
exactement). Légalement, quelle valeur peut avoir un tel document ? A l'approche d'élections
présidentielles, les ministres en exercice sont tout au plus chargés d'expédier les affaires
courantes. Ils ne sont en aucune façon autorisés, à priori, à signer des contrats qui engagent
l'Etat pour plusieurs années. Ces contrats seront d’ailleurs contestés dès le lendemain des
élections par la nouvelle équipe. De plus, le vice-ministre Badingaka, membre d'un petit parti
d'opposition, sait que ces jours comme ministre sont comptés et qu'il y a fort peu de chance
d’obtenir un poste dans l'équipe suivante alors que le premier tour qui a lieu le 30 juillet 2006
donne Kabila favori (il a en effet obtenu 44% au premier tour). Il est fort plausible que le
vice-ministre ait voulu faire un coup avec Heritage et Tullow, en échange d'avantages
financiers. Badingaka connait bien le dossier pétrolier du lac Albert car il est issu de la
province Orientale où sont situés ces périmètres. Il leur a peut-être promis de faire du
lobbying après son passage au ministère auprès des acteurs locaux comme le gouverneur ou
les futurs députés provinciaux.
Si on se place du point de vue des deux sociétés pétrolières, on peut comprendre leur
satisfaction de remporter ces blocs 1 et 2, après de si longues années de palabres avec les
différentes ministres. Cependant, elles font preuve d'une certaine naïveté en espérant que leur
contrat sera un jour validé par le futur chef de l'Etat qui sortira des urnes du deuxième tour
prévu quelques semaines après, soit le 29 octobre 2006.
Cette longue période entre les premières négociations et l’accord définitif s’explique en partie,
comme pour les autres zones, par l’absence de légitimité du président Kabila pendant les
années de transition entre l'accord de Sun City où le pouvoir est formellement partagé en avril
2002 et l’élection présidentielle de la fin 2006. Cependant, cela tombe au pire moment pour
les pétroliers.
Un contrat sans décret présidentiel
Si Tullow et Heritage ont bien signé un accord avec le vice-ministre de l’énergie Nicolas
Badingaka en 2006, ces sociétés ne peuvent pas commencer l’exploration sans obtenir le
décret présidentiel signé par le chef de l’Etat nouvellement élu Joseph Kabila. Or ce décret ne
viendra jamais car il sera donné en 2010 à d’autres sociétés. En dehors de la fragilité juridique
du contrat Heritage/Tullow de 2006, utilisé ad nauseam par le nouveau ministre des
hydrocarbures Lambert Mende Omalanga, la société va également payer ses relations avec les
195
ministres des hydrocarbures successifs et celles pour le moins tendues entre le Congo et
l’Ouganda, pays dans lequel ils opèrent de l'autre côté du lac Albert. Cet épisode de vide
juridique complet va démontrer une nouvelle fois, l'absence totale de cap en matière de
politique pétrolière au sommet de l'Etat. En effet, rares sont les Etats où un ministre signe un
contrat avec un investisseur qui ne soit pas ensuite validé par l'autorité suprême. Cela
démontre bien la période d'exception, de vide politique, que vit le Congo depuis le début des
années 1990.
Lambert Mende Omalanaga, le ministre des hydrocarbures du gouvernement d'Antoine
Gizenga (nommé en février 2007), est évidemment en pointe pour s’opposer à la validation du
contrat signé par Tullow et Heritage Oil. L'un de ces premiers angles d'attaque est que le
bonus de signature248 n’a pas été entièrement payé. Tullow et Heritage ont en effet réglé
250 000 dollars par bloc, le gouvernement en demande désormais deux fois plus. Du fait des
nombreuses découvertes pétrolières de l'autre côté du lac en Ouganda depuis 2006, Omalanga
sait que son propos peut porter auprès du président et des nouveaux parlementaires. Que des
bonus s'accroissent dans le temps, cela n'est pas vraiment problématique, en particulier
lorsqu'une zone pétrolière prend de la valeur. Cependant, lorsqu'un montant est accepté par un
représentant de l'Etat en juillet 2006, cela peut paraitre un peu "curieux" de demander deux
fois plus, six mois après l'accord. Mende continue à formuler des arguments pour anéantir le
contrat, il précise que ce dernier n’est pas valable car il a été signé par un vice-ministre alors
que le droit congolais impose une signature par le ministre en titre249. Malgré de nombreuses
discussions avec des parlementaires congolais, il nous est toujours impossible d'affirmer ou
d'infirmer que cette donnée juridique est véridique. Par absence de témoignage public et privé
de la part de Badingaka (décédé en 2010) et de son supérieur hiérarchique de l'époque
Salomon Banamuhere Baliene, il est difficile de trancher l'argument d’Omalanga. Cependant,
il semble bien que dans le droit congolais, en cas d'absence du territoire d'un ministre en titre,
son adjoint, a le droit de signature sur les contrats. Mais Badingaka était un ministre en sursis
car en période préélectorale.
248 Lorsqu'une société obtient un permis pétrolier ou minier, il est de rigueur qu'elle paye une somme à l'Etat dont le montant fait soit l'objet d'une négociation entre les deux parties, soit ce montant est décidé par les parlementaires quel que soit le périmètre. Il est dans ce cas forfaitaire. En Angola, ce bonus a déjà atteint 1 milliard de dollars. 249 Benjamin Augé, Border conflicts tied with hydrocarbons in the great lakes region of Africa, in Governance of Oil in Africa : an unfinished Business, Institut Français des Relations Internationales, avril 2009, p. 175.
196
En dehors des problèmes juridiques et légaux, les relations entre le ministre congolais et le
vice-président en charge des affaires africaines de Tullow Oil Tim O’Hanlon250 deviennent
très vite exécrables. Lors d’une audience avec le président Joseph Kabila en 2007, le ministre
disqualifie les contrats de Tullow et Heritage en rendant les deux sociétés responsables des
affrontements ethniques en Ituri depuis 2003251. Cet argument est aussi soutenu par certains
auteurs comme le chercheur canadien Alain Deneault252 ou le journaliste allemand Dominic
Johnson253. Or, l’affrontement, exacerbé depuis les années 2002/2003, entre les deux ethnies
rivales Hema et Lendu a bien davantage été instrumentalisé par les commerçants locaux et par
les milices (soutenues à l’époque par l’Ouganda) qui ratissent l’Ituri (zone entourant le lac
Albert) pour contrôler les circuits d’exportation illégaux de minerais254. Il est vrai que
Heritage Oil ne se cache pas de mettre en avant lors des négociations avec les Etats pétroliers,
l'image d'une compagnie capable de travailler dans les zones difficiles du fait du passé de
certains de ses cadres ayant travaillés dans des compagnies de sécurité privée ou ayant fait
partie de l’armée. Cependant l’intérêt que ses dirigeants auraient d’aggraver des tensions
ethniques en Ituri paraît nul. Les zones de conflit violent et meurtrier comme c’est le cas en
Ituri en 2002/2003, ne sont quasiment jamais propices aux compagnies pétrolières (delta du
Niger, Irak). Cela est encore plus vrai dans des situations d’exploration, en particulier en
onshore comme en Ituri. Heritage est donc punie par sa communication « musclée » suivant
les accords d'exploration de principe de juin 2002.
Après avoir entrepris des dizaines de voyages à Kinshasa entre 2006 et 2007, Tim O’Hanlon
n'arrive pas à convaincre de la légalité de son contrat. Alors qu'il est totalement récusé comme
négociateur par la partie congolaise, la direction de Tullow garde O'Hanlon comme seul
250 Tim O'Hanlon est vice-président en charge des affaires africaines de Tullow Oil depuis les années 1990. Il a commencé sa carrière avec Tullow au Sénégal en 1986, d'où sa bonne maîtrise du français, essentielle pour travailler au Congo. Il gère tous les projets africains du groupe et est donc au fait des problèmes entre l'Ouganda où la société est implantée depuis 2004 et la RDC. Son franc parlé, voire son arrogance, a considérablement agacé Lambert Mende avec lequel le contact n'est jamais passé. Lors de discussions privées avec Mende et O’Hanlon, il nous a paru évident que le problème relationnel entre les deux hommes serait difficilement surmontable. Cela a entraîné en partie l'imbroglio juridique et l'attente, jamais récompensée, pour Tullow d’obtenir un décret présidentiel pour les blocs du lac Albert congolais. 251 Conversations avec des cadres de Tullow, propos confirmés en privé par Lambert Mende Omalanga (avril 2008). 252 C’est dans son livre Noir Canada sorti en 2008 que le canadien Alain Deneault développe l’idée que Heritage Oil est en partie responsable des violences en Ituri. Son argumentaire est basé sur le passé du fondateur d’Heritage Oil : Tony Buckingham. Buckingham est un vétéran de l’armée de l’air britannique. Il a notamment travaillé pour le gouvernement angolais contre l’UNITA durant la guerre civile (1975-2002). Il a eu une longue carrière de mercenaire en Sierra Leone et en Namibie. Avant de fonder Heritage en 1992, il va diriger la société Ranger Oil qui obtiendra des périmètres d’exploration en Angola, en Namibie et en Côte d’Ivoire. 253 Dominic Johnson, Shifting Sands, Goma Institute, 2003. 254 Voir International Crisis Group, Congo, quatre priorités pour une paix durable en Ituri, rapport Afrique n°140, 13 mai 2008.
197
interlocuteur255. Et pourtant, les congolais disent en privée qu'une nouvelle discussion est
possible avec une personne neutre comme le patron de Tullow Aidan Heavey. La stratégie du
groupe qui a notamment consisté à convaincre certains députés de l’Ituri de l’absence de
pertinence des arguments du ministre des hydrocarbures n'a pas fonctionné. Des députés, des
sénateurs ainsi que des ministres comme Omalanga lui-même, se sont d’ailleurs rendus à
plusieurs reprises aux frais de la société pétrolière irlandaise pour jauger de l’avancée des
travaux du côté ougandais du lac Albert. Cependant, peine perdue, Mende considère que le
contrat avec Tullow et Heritage est caduc, constatant qu'elle n'a pas payé le bonus de
signature de 500 000 dollars par bloc, il reprend le bloc 1 dès le 17 octobre 2007. Tullow
conteste évidemment cette procédure qu’elle considère comme illégale.
Le nouveau consortium de Lambert Mende : Divine Inspiration Group
Afin de faire plier Tullow pour qu'elle paye officiellement et officieusement davantage,
Lambert Mende Omalanga sait précisément que la société est capable financièrement et
techniquement d'explorer l'Ituri (zone complètement enclavée), le ministre congolais fait venir
un autre consortium. Dès le début 2007 (soit bien avant l'annulation du contrat de Tullow256),
le ministre des hydrocarbures commence à négocier avec des Sud-Africains intéressés pour
explorer le bloc 1. Lambert Mende qui voulait son propre consortium a donc pu lui-même
choisir ses membres (ou du moins on lui a soufflé). Le nouveau consortium signe un contrat
de partage de production dès le 15 janvier 2008. Il est mené par une société Sud-Africaine
inconnue appelée Divine Inspiration Group dont la directrice est la puissante femme d'affaires
Andrea Brown (dont on a déjà parlé), pionnière du Black Economic Empowerment. En
dehors de Divine Inspiration (51%), le consortium est composé du groupe franco-espagnol H-
Oil (37%). Du côté congolais, outre la société nationale Cohydro (7%), d’autres petites
sociétés congolaises sont associées au contrat comme Congo Petroleum and Gas SPRL (3%)
et Sud Oil SPRL (2%). Ce qui est sensé crédibiliser cet attelage de compagnies inconnues,
repose principalement sur la présence de la société nationale sud-africaine PetroSA, mise en
avant par les membres du consortium comme caution technique du projet. Pour justifier ce
partenariat avec PetroSA, une simple lettre signée par le directeur régional Afrique de
l'Ouest/Est de PetroSA Bradley Cerff est glissée à la fin du contrat signé avec Lambert Mende 255 Tullow Oil a également embauché plusieurs personnes qui travaillaient en permanence pour la société à Kinshasa. Le principal contact et lobbyiste de Tullow sur place est Japhet Muhindo Kabauka qui est un homme d'affaires originaire du Nord-Kivu. La deuxième personne est l’angolais Lusitano Vaz Saraiva, que nous avons pu rencontrer. 256 Cela est attesté par le directeur régional Afrique de l'Est de PetroSA, partenaire technique du nouveau consortium, Bradley Cerff dit dans un document officiel adressé au ministre Lambert Mende avoir été approché par le groupe Sud-Africain Divine Inspiration dès le mois d'avril 2007.
198
en janvier 2008. Cerff indique sobrement, qu'après avoir été consulté en avril 2007 par des
privés sud-africains et avoir effectué un voyage à Kinshasa en novembre pour se rendre
compte des potentiels des blocs à l'est du pays, il accepte un partenariat technique avec Divine
Inspiration Group. Bradley Cerff mentionne aussi d'autres sociétés sud-africaines comme
Sacoil qui va négocier également en 2007 pour un contrat sur le bloc 3, situé entre le lac
Albert et Edouard257. PetroSA ne met donc pas d'argent dans l'exploration, elle accepte juste
de donner son avis si Divine le lui demande.
Le fait que cette lettre ne soit pas paraphée par le directeur général de PetroSA est tout de
même un peu suspect. Certains cadres de PetroSA nient d'ailleurs l’existence d’un tel
partenariat258. L'étude du parcours professionnel de Bradley Cerff est à cet égard intéressante.
Ce dernier qui a seulement 34 ans en 2007, est nommé en mai 2011 au poste de vice-président
de Sacoil en charge de la partie commerciale de la société259. Cette nomination est-elle
intervenue en échange de service rendu en 2007 sur le consortium Divine Inspiration ? Cela
est fort probable. En tous les cas, sans l'appui de cette lettre de PetroSA, la crédibilité du
projet aurait été fortement écornée.
En effet, Divine Inspiration qui serait l’opérateur officiel du bloc 1 a seulement été créée le 2
août 2007260 sous l'impulsion d'Andrea Brown (dont on a déjà décrit le parcours) en probable
concertation avec certains congolais bien placés. Quant à la société H-Oil, elle est dirigée par
l'homme d'affaires Franco-espagnol Jacques Hachuel et son fils Alvaro. Jacques Hachuel a
notamment travaillé pour la société de trading Marc Rich & Co devenu depuis le milieu des
années 1990, le groupe Glencore basé en Suisse, l'un des plus grands traders pétroliers
indépendants du monde. L'un des intermédiaires de la société au Congo est un ancien
compagnon de maquis de Laurent Désiré Kabila, Dihur Godefoid Tchamlesso, qui a été
nommé à la fin des années 1990, ambassadeur en Angola261. H-Oil Group, la société mère a
notamment des participations dans les mines mais son site internet ne fonctionne plus depuis
plusieurs années, comme si H-Oil n'avait plus d'activité. Les responsables de la branche
construction du groupe avaient été tentés par investir en Ouganda. La fille du fondateur de H-
Oil, Laetitia Hachuel était dans une délégation patronale française (MEDEF) qui s'était rendue
257 SacOil (pour South Africa Congo Oil) obtiendra son décret présidentiel pour le bloc 3 le 18 juin 2010 et sera publié au journal officiel le 22 juin 2010. 258 Conversations avec des cadres de PetroSA, octobre 2008. 259 http://www.sacoilholdings.com/a/board.php. 260 Africa Energy Intelligence, n°572, 9 janvier 2008. 261 Africa Energy Intelligence, °573, 23 janvier 2008.
199
à Kampala en décembre 2009262. Depuis plus rien. Quant aux sociétés congolaises privées,
cela sera difficile de remonter jusqu'à leur véritable propriétaire malgré le fait que nous ayons
pu avoir accès au contrat. Le pouvoir de signature de Congo Petroleum and Gas SPRL a été
donné à l'avocat congolais Muaka Khonde qui est libellé comme directeur général dans le
contrat. Ce dernier protège très certainement d'autres intérêts bien plus puissants, il a juste agi
comme prête nom. Concernant Sud Oil SPRL, elle est officiellement dirigée par Pascal
Kinduelo Lumbu qui n'est autre que le directeur d'une grande banque de la place Kinoise: la
Banque Internationale de Crédit SAR. Il est également depuis 2010, le président du conseil
d'administration de la BGFI Bank RdCongo263. Lumbu connait bien l'Afrique du Sud pour
avoir été aussi le président de la fédération des entreprises du Congo (FEC) et à ce titre avoir
effectué de nombreux voyages à Johannesburg afin de dynamiser les échanges entre les deux
nations. Lumbu est réputé proche de Kabila et d’avoir une grande influence sur lui dans les
affaires.
L’absence d’expérience pétrolière de Divine Inspiration témoigne de l’inexistence de
sélection par la compétence alors que les blocs du rift ouest-africain requièrent de
l’expérience et de lourds moyens. Cependant, pas davantage que Tullow et Heritage, le
contrat de Divine Inspiration sur le bloc 1 n’obtient le précieux décret présidentiel. Lambert
Mende Omalanga ne réussit même pas à ce que le contrat soit examiné lors du Conseil des
ministres. Inscrit à deux reprises par le ministre des hydrocarbures à l’ordre du jour, le sujet a
toujours été écarté par la présidence et la primature264. Du fait d'un processus de sélection
opaque (pas d'appel d'offres) et de son empressement à faire valider un contrat aux multiples
inconnues, Mende sera même sanctionné par le chef de l’Etat à l’été 2008. Dans un courrier
du président Kabila, ce dernier lui interdit à partir de cette date d’engager le Congo dans
quelque négociation que ce soit265. Le contrat de Divine Inspiration semble bien avoir été
signé par le ministre pour faire pression sur Tullow afin qu’elle s’acquitte de plus importants
bonus de signature et d’autres compensations financières266. L’une des principales
262 Africa Energy Intelligence, n°617, 2 décembre 2009. 263 BGFI Bank est une des plus grosses banques privés de la communauté des Etats d'Afrique centrale (CEMAC), principalement implantée dans les pays francophones. 264 Africa Energy Intelligence, 21 mai 2008. 265 Africa Energy Intelligence, n°593, 26 novembre 2008. 266 Le consortium mené par Divine Inspiration a versé 2,5 millions dollars de bonus de signature pour le bloc 1. Sources : entretien avec des cadres du ministère des hydrocarbures en avril 2009. Selon un télégramme diplomatique américain de l'ambassade de Kampala daté du 13 mars 2008 et mis en ligne par le site Wikileaks, Lambert Mende dont le nom n'est pas explicitement cité mais qui est facilement identifiable de par la fonction et la date de la citation, aurait reçu 5 millions de dollars de commissions pour valider cet accord. L'un des cadres de Tullow en Ouganda raconte à l'ambassade américaine que le ministre aurait demandé à Tullow d'enchérir pour
200
préoccupations du ministre a aussi été que d’autres sociétés pétrolières plus petites (et plus
proches du pouvoir et de ses intérêts) rentrent sur le bloc 1, ce à quoi Tullow était plutôt
opposé267. Lors de nos entretiens avec Tim O'Hanlon de Tullow, ce dernier a toujours déclaré
qu'il s'opposait fermement à se faire "tordre" le bras par le ministère, pour accepter l'arrivée
sur le bloc de petites sociétés proches du pouvoir, en particulier si Tullow doit les porter,
c'est-à-dire payer leur part des travaux d'exploration.
L'attribution des blocs du Graben Albertine à des inconnus.
La nomination le 27 octobre 2008 de René Isekemanga Nkeka au poste de ministre des
hydrocarbures représente un espoir pour les pétroliers comme Tullow Oil qui espère revenir à
la table des négociations pour récupérer le bloc 1. Les relations étaient en effet si
personnalisés et si mauvaises entre Omalanga et O'Hanlon, qu'aucune solution n’était plus
envisageable. Dès le 6 novembre de la même année, le nouveau ministre se rend en Ituri pour
discuter du pétrole avec les députés et la société civile locale. Accompagné de plusieurs autres
ministres dont Lambert Mende Omalanga, qui s’occupe depuis le remaniement du portefeuille
de la communication, Isekemanga affirme que les dossiers concernant l'exploration pétrolière
de la région trouveront rapidement une issue. En mars 2009, lors d’un déplacement à
Brazzaville, Isekemanga va même jusqu'à déclarer que Tullow et Heritage pourraient
recouvrer leurs droits sur les blocs 1 et 2 en échange d’une hausse du bonus et d’une
ouverture à d’autres partenaires268. Tim O’hanlon, le vice-président de Tullow en charge des
affaires africaines, s’exprime pour la première fois favorablement pour un partenariat à quatre
compagnies dans un journal irlandais269. Il utilise cette carte en pensant qu'en acceptant toutes
les demandes du ministre, Isekemanga n'aura plus aucun moyen de dire que Tullow ne
consent pas à des efforts. Finalement, aucun développement sur le Graben Albertine (rift Est-
africain) notable n’est enregistré durant le mandat d’Isekemanga qui se termine
précipitamment en février 2010. Le ministre s'est d'ailleurs plutôt intéressé à la Cuvette
centrale, là où est situé son fief (Mbandaka dans la province de l'Equateur), pour laquelle il a
négocié à l'été 2009 avec ses amis italiens d'ENI.
obtenir le bloc. Tullow aurait refusé en proposant 5 millions de dollars d'investissement en infrastructure et projets de santé. Sans succès. 267 Discussions avec des cadres de Tullow en octobre 2008 et novembre 2009. 268 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 269 Irish Independant, 1 avril 2009.
201
Isekemanga a reçu ce ministère prestigieux car il représentait un poids lourd dans la zone de
l’Equateur270 et qu’il était proche du clan Mobutu (notamment de François-Joseph Mobutu
Nzanga, ministre d’Etat à l’agriculture et fils de Mobutu Sese Seko). Mais il a très vite déçu
en négociant des contrats pour lui, dans son coin. Dès le milieu de l'année 2009 et l'affaire
d'ENI sur la Cuvette centrale, il connaît d’ailleurs le même sort que son prédécesseur :
interdiction d’engager l’Etat dans quelque contrat que ce soit. Les pétroliers, en particulier
Tullow, déchantent vite et sont persuadés dix mois avant le limogeage d’Isekemanga que le
dossier des blocs du lac Albert ne sera pas solutionné sous son autorité au ministère des
hydrocarbures. Le secteur végète jusqu’à l’arrivée aux hydrocarbures de Célestin Mbuyu
Kabango, nommé ministre le 19 février 2010.
Célestin Mbuyu Kabango, jusqu'alors ministre de l'intérieur, n’a pas du tout le même profil
que ses prédécesseurs. Il n’a pas été nommé car il représentait une puissance politique
dangereuse ou une région "rebelle" pour la majorité présidentielle. Mbuyu est un proche du
président, il est tout comme lui Katangais. Il a clairement eu de la part de la présidence une
feuille de route plus ouverte que ces deux prédécesseurs avec la capacité, cette fois-ci,
d'engager l'Etat et donc de conclure au plus vite des contrats. Et ces derniers ne tardent en
effet pas à être paraphés. Cependant, le ministre prend ses fonctions dans un contexte
difficile. Il doit préparer au plus vite le sommet Cape IV organisé à Kinshasa par
l’Association des pays producteurs de pétrole africains (APPA271) du 23 au 27 mars 2010.
Cela lui donne moins d'un mois pour finaliser tout le processus. Durant trois jours, quatorze
pays producteurs africains (y compris les plus importants : Nigeria, Libye, Angola, Soudan,
Guinée équatoriale) se réunissent à Kinshasa dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. La
capitale congolaise se trouve au centre de l'attention de toutes les grandes puissances
économique du continent (l'Afrique du Sud est également membre de l'APPA). Si ce sommet
est important diplomatiquement, au moins à l'échelle du continent, il l'est aussi pour des
raisons économiques qui dépassent la seule l'Afrique : de nombreuses sociétés internationales
270 Au deuxième tour des élections présidentielles du 29 octobre 2006, Joseph Kabila a obtenu 69 563 voix face à son rival Jean-Pierre Bemba qui a totalisé 2 372 326 dans la région de l'Equateur. Même si l'Equateur est la province natale de Bemba, ce résultat montre le très faible niveau de popularité de Kabila dans cette région assez peuplée. Des doutes ont d'ailleurs été émis en 2006 sur la validité des scores de Bemba, très voire trop élevés. Cependant, le cas opposé a également été constaté dans les régions acquises à Kabila comme les Kivu, le Maniema et le Katanga. 271 L’APPA a été créé en 1987. Son siège est basé à Brazzaville. Il regroupe par ordre de production : le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, la Libye, Egypte, le Soudan, la Guinée équatoriale, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Cameroun, la Cote d’Ivoire, la RDC, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, le Bénin. Cette organisation a comme principale vocation de partager les expériences de chacun afin d'harmoniser les pratiques. Malheureusement, elle ne remplit pas très bien son rôle car les Etats producteurs sont très jaloux de leur prérogative. Contrairement à l'OPEP où les ministres africains (Nigeria, Angola, Algérie, Libye) se rendent régulièrement, les réunions de l'APPA attirent davantage les cadres des ministères.
202
exposent leur activité grâce à des dizaines de stands. Ces groupes viennent aussi pour vendre
leur savoir-faire et surtout pour rencontrer le nouveau ministre des hydrocarbures272. Le
président congolais, conscient de l'enjeu a d'ailleurs financé l'événement sur les deniers
propres de la présidence. Cela a évité des pesanteurs administratives avec la primature273 et le
ministère des finances.
Mais, une fois de plus, si l'on se place au niveau des symboles et des représentations, la
manifestation du Cape IV a été l’occasion de réaliser combien le pétrole est loin d’être devenu
une priorité pour le pouvoir. La présence du chef de l’Etat était annoncée pour l’ouverture.
Finalement les participants venant de tous les pays du continent n’ont eu droit qu’au vice
premier ministre en charge des Postes Téléphones et Télécommunications, Simon Bulupiy
Galati pour ouvrir le sommet. Cela a fait sourire plusieurs participants historiques de ces
réunions, Cape IV est en effet le quatrième événement de ce type. En 2003, à Cape I en Libye,
le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait ouvert les débats, à Cape II à Alger le président
Abdelaziz Bouteflika s'était également déplacé. Enfin, à Cotonou en 2007, c’est le Premier
ministre qui avait ouvert les débats. En RDC, seul un vice-premier ministre est venu. Le
symbole est fort. Plusieurs témoignages de très haut niveau, glanés lors de l'événement où
nous étions, attestent que des raisons de sécurité ont empêché Joseph Kabila de venir.
Cependant, les participants qui n'ont pas du tout été prévenus de cette cause, retiendront
uniquement son absence. Il n'est pas impossible que la sécurité ait joué, les fouilles étaient
inexistantes à l'entrée et la présence policière assez lâche. Le déroulement des trois jours s'est
pourtant passé sans accroc. Quant aux sociétés pétrolières qui ont droit à la parole à la tribune,
elles n'ont bien évidemment jamais critiqué la gestion congolaise des affaires pétrolières.
Elles ont déjà conscience d'être privilégiées d'avoir obtenu des blocs d'exploration. Tullow Oil
à qui les organisateurs n'ont pas donné la parole obtient d’ailleurs un très mauvais
emplacement pour son stand.
272 Ce genre de manifestation est l'occasion rêvée pour les pétroliers qui abhorrent venir à Kinshasa (ville où il est très difficile de travailler du fait de mauvaises infrastructures et où le sentiment d'insécurité est assez fort en particulier du fait de l'omniprésence des militaires et policiers) de voir les autorités mais aussi de recruter leur futurs représentants sur place. Ces derniers permettront de suivre les dossiers, de repérer les opportunités et de comprendre quelles sont les nouveaux cadres influents autour du ministre arrivant. Comprendre les cercles de pouvoir demande une importante gymnastique à tous les services de renseignement occidentaux, tout comme aux investisseurs à Kinshasa. 273 N'ayant eu aucun contrôle sur l'événement, le premier ministre Adolphe Muzito va d'ailleurs poser des problèmes administratifs à la mesure de son déplaisir d'avoir été écarté.
203
Le sommet Cape IV terminé, le ministre des hydrocarbures congolais ne met pas deux mois
avant de signer un nouvel accord sur le lac Albert qui sera, celui-ci, immédiatement
sanctionné par un décret présidentiel.
Caprikat et Foxwhelp, les protégés du pouvoir
Après quatre années sans décision de la part du chef de l’Etat sur le lac Albert, les blocs 1 et 2
sont finalement attribués à deux sociétés inconnues enregistrées aux Iles Vierges britanniques:
Caprikat et Foxwhelp. Cette décision est connue le 22 juin 2010 lors de la parution du Journal
Officiel. Leurs noms ont été pour la première fois divulgués lors du Conseil des ministres du
2 juin 2010. Le 18 juin, le chef de l’Etat a signé avec grand empressement (au regard de
l'histoire passée avec Tullow et Divine Inspiration) le décret présidentiel, publié seulement
quatre jours plus tard274. Comme convenu dans le contrat de partage de production signé le 5
mai 2011, Caprikat et Foxwhelp s'acquittent alors d'un bonus de signature de 3 millions $ par
bloc soit considérablement davantage que pour Tullow en 2006 (mais cela reste cependant
très raisonnable compte tenu des découvertes déjà effectuées du côté ougandais). Les bonus
ont été payés par l’avocat congolais Palankoy Lakwas Medard275 à la Banque centrale du
Congo276 et à la Rawbank de Kinshasa.
Pour éviter tous les doutes et les critiques qui ont été portés sur les contrats précédents, de
nombreux signataires de haut rang sont conviés. Outre le ministre des hydrocarbures Célestin
Mbuyu Kabango, pas moins de trois autres ministres de poids le paraphe. C'est le cas de la
ministre du portefeuille Jeannine Mabunda Liongo277, du ministre du budget (dont le nom et
la qualité sont rajoutés au stylo sur le contrat) Jean Baptiste Ntahwa Kuderwa ainsi que le
ministre des finances Matata Ponyo Mapon (nommé Premier ministre en avril 2012).
Cependant, ces ministres ne sont pas n'importe qui pour le président Joseph Kabila. Ils sont
parmi les fidèles du chef de l'Etat qui leur fait confiance pour ne pas en parler aux médias
avant le conseil des ministres du 2 juin. Sur les quatre ministres, seul celui du budget n'est pas
274 Deux autres sociétés obtiennent leur décret présidentiel le même jour. Il s’agit des Sud-Africains de Sacoil qui rentrent sur le bloc 3 situé entre le lac Albert et le lac Edouard ainsi que le consortium mené par Dominion et Soco qui obtiennent le bloc 5 (lac Edouard). Ces blocs ne feront pas l’objet d’un long développement car leur potentiel est considéré comme moins important, aucune lutte particulière n’a été nécessaire pour les obtenir. 275 Palankoy Lakwas Médard est notamment l’avocat de l’homme d’affaire israélien Dan Gertler très proche de la présidence ainsi que du trader pétrolier Glencore (également présent dans l’exploration sur le bassin côtier). 276 Le chèque a été émis par la Banque internationale de crédit (BIC) contrôlée depuis décembre 2008 par les hommes d’affaires israéliens Dan Gertler et Benny Steinmetz. 277 Jeannine Mabunda Liongo est ministre du portefeuille depuis le premier gouvernement Gizenga en février 2007. C'est quasiment la seule ministre à avoir conservé son poste pendant toute la durée du mandat de Joseph Kabila. Le portefeuille est essentiel, il a la tutelle sur les entreprises publiques congolaises, il se charge des participations dans des sociétés mixtes ainsi que les investissements congolais dans des projets (tel que le pétrole). La ministre vient de l'Equateur, zone où Kabila pèse très peu électoralement comme on l'a déjà vu.
204
membre du parti présidentiel, le PPRD. Jean Baptiste Ntahwa Kuderwa vient du parti du
premier ministre, le Parti Lumumbiste Unifié (Palu). La présence de ce dernier permet aussi
d'éviter toute critique venant du parti Palu, principal allié de Kabila dans l'Alliance de la
majorité présidentielle (AMP).
Caprikat et Foxwhelp ont été fondées uniquement pour l'exploration au Congo. Leur acte de
fondation est daté du 24 mars 2010278. Si l'on ne sait pas qui sont exactement les actionnaires
du groupe, les personnes publiques qui se disent proches de ses sociétés ont une grande
importance. L'un des administrateurs de Caprikat est Khulubuse Zuma279, neveu du président
sud-africain Jacob Zuma. Il s’est rendu à plusieurs reprises à Kinshasa en 2009 et 2010 pour
notamment travailler sur le dossier avec certains cadres de la présidence280. C'est Khulubuze
Zuma lui-même qui signe le contrat avec les ministres congolais au ministère des
hydrocarbures. Quant à Foxwhelp, c’est l’avocat sud-africain Michael Andrew Thomas
Hulley qui signe le contrat281. Hulley n'est pas non plus un inconnu, il est notamment célèbre
en Afrique du Sud pour avoir été l’avocat personnel de Jacob Zuma lors des accusations de
corruption et trafic d'influence qui l'écarte de la Vice-présidence du pays en 2005 (sous la
présidence de Thabo Mbeki). L'avocat et le président ont donc des liens très forts, il est très
difficile d'imaginer que l'affaire congolaise ait pu être menée sans en informer le président
Jacob Zuma qui a été élu en mai 2009. L’administrateur officiel des deux sociétés est quant à
lui l’avocat suisse Marc Bonnant282.
Comme aucune des deux sociétés n'a de passé pétrolier, Caprikat et Foxwhelp travaillent sur
leurs deux blocs avec la société de conseil Medea Development SA dirigé par l’italien
Giuseppe Ciccarelli (voir ci-dessous).
Giuseppe Ciccarelli a notamment été le directeur des opérations internationales de SNAM,
société détenue à 50% par la major italienne ENI. SNAM dispose actuellement d’un quasi-
monopole sur l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en Italie. Avec Medea, Ciccarelli 278 Selon les documents officiels des Iles Vierges britanniques que nous avons pu consulter. 279 Khulubuse Zuma est également actionnaire de la société Aurora Empowerment Systems dirigée par le petit fils de Nelson Mandela, Zondwa Gadhafi Mandela. Aurora va rencontrer de lourds problèmes judiciaires en Afrique du Sud début 2011 car les salariés de ses mines d'or de Pamodzi représentant 1200 personnes vont porter plainte contre les dirigeants de la société. Ses derniers réclament des arriérés de salaire (plus d'un an). Ils accusent aussi les dirigeants d'Aurora d'avoir sciemment coulé cette dernière en retirant massivement des capitaux. 280 Outre l’implication du conseiller de Kabila, Augustin Katumba, le directeur de cabinet du président et ex-ministre des hydrocarbures Gustave Beya Siku aurait joué un rôle clé dans cet accord. 281 Africa Confidential, volume 51, numéro 14, 9 juillet 2010. 282 Africa Confidential, op. cit. Marc Bonnant est un avocat très célèbre du cabinet Bonnant Warluzel & associés basé à Genève. Bonnant qui plaide depuis les années 1970 a notamment défendu le romancier Paul-Loup Sulitzer dans l’affaire des ventes d’armes à l’Angola.
205
propose du conseil dans les secteurs du pétrole/gaz ainsi que des mines. Alors que la société
existe depuis 1992, son site internet n'est toujours pas mis à jour, aucune activité n'est
répertoriée.
Si des intérêts sud-africains ont une nouvelle fois (après Divine Inspiration) la part belle dans
ces contrats, il y a plusieurs explications. D'abord, la présidence congolaise pousse et
avantage au maximum les investisseurs sud-africains qui veulent faire des affaires dans le
pays. Cela s'explique d'abord historiquement en partie par le soutien que Laurent Désiré
Kabilha a toujours reçu de la part de Nelson Mandela pendant les négociations pour le départ
de Mobutu. L'Afrique du Sud post-Apartheid a en effet toujours abhorré le régime Mobutiste.
Kinshasa a également besoin du soutien indéfectible de l'Afrique du Sud au sein de la
Southern African Development Community (SADC) ainsi qu'à l'ONU pour obtenir des aides
financières, des soutiens de processus politique et surtout, à terme, le retrait des forces de la
Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC). En plus des
raisons stratégiques et géopolitiques, certains conseillers à la présidence, comme Augustin
Katumba Mwake, connaissent bien l'Afrique-du Sud pour y avoir travaillé et font des affaires
avec les Sud-Africains. Ce genre de contrat n'est jamais totalement désintéressé.
Une fois de plus, très peu de personnes ont été mises au courant de la négociation du contrat
donné à Caprikat et Foxwhelp. Mais cette fois-ci, cela a pris de nouvelles proportions. Même
le collège des hydrocarbures de la présidence n’a pas été mis dans la boucle de décision283. Le
directeur de cabinet du président Kabila Gustave Beya Seku284, aurait été la cheville ouvrière
de cette accord. Ce dernier a été nommé en février 2010 à ce poste après avoir été ministre
délégué aux hydrocarbures. Une promotion qui a été obtenue après avoir géré, comme il
fallait, le secteur pétrolier pendant l'ère de René Isekemanga. C'est-à-dire, sans
communication aucune et en réglant rapidement des problèmes épineux avec l'Angola et
Chevron (dont on parlera plus tard). Beya est le seul au cabinet présidentiel à comprendre
parfaitement le secteur pétrolier. Augustin Katumba est très influent mais il est davantage
familier avec le secteur minier, du fait de ses précédentes fonctions comme gouverneur du
Katanga. L’autre personne clé du dossier Caprikat et Foxwhelp à la présidence est l'israélien
Dan Gertler dont on déjà parlé précédemment pour avoir prêté de l'argent pour l'achat d'armes
lors de la présidence de Laurent Désiré Kabila. S’il dément toute implication, le nom de Dan 283 Entretiens avec des cadres du ministère des hydrocarbures, juin-juillet 2010. 284Gustave Beya Seku a l’avantage d’être Katangais tout comme le président Kabila. Avant d’être au poste de vice-ministre des hydrocarbures, Beya était expert pour le Congo auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Il a été avocat au barreau de Kinshasa pendant trente ans après avoir obtenu son doctorat en droit à l’Université de Bruxelles.
206
Gertler fondateur de la société Dan Gertler International (DGI) revient souvent concernant
Caprikat et Foxwhelp. L’homme d’affaires a un accès direct au président. Il semble qu'après
s'être emparé du marché du diamant et d'être aussi présent dans le cuivre et l'or, il se soit enfin
intéressé au secteur pétrolier. Le dernier ministre des hydrocarbures nommé en avril 2012,
Atama Crispin Tabe a avoué lors d’une interview au Financial Times du 25 juin 2012 que
Dan Gertler est personnellement impliqué dans Caprikat et Foxwhelp, s’il s’est rétracté le
lendemain, l’information est bien passée285.
Si les dossiers Tullow/Heritage ainsi que Divine Inspiration ont été traités au ministère de
l'énergie puis des hydrocarbures, celui de Caprikat et Foxwhelp a clairement été pensé et
ficelé à la présidence. Cela s'explique également par le nouvel intérêt stratégique du secteur
d'hydrocarbures. On voit bien avec Gertler que la représentation du pétrole évolue dans la
stratégie des investisseurs étrangers (ou prédateurs financiers, spéculateurs) présents au
Congo. Autrefois, les mines étaient leur unique cible. Désormais le pétrole doit également
rentrer dans l'équation de leur exploitation des matières premières de la nation congolaise en
partenariat avec le pouvoir central ou du moins ses plus hauts représentants. En effet, du côté
ougandais du lac Albert, les découvertes en 2010 sont déjà de l'ordre de 1 milliard de barils
(en 2012, on parle de 2,5 milliards). Or, pour beaucoup de géologues rencontrés, les plus
grandes opportunités sont plutôt du côté du Congo sur ce bassin du Graben Albertine. Il faut
compter sur le pétrole et c'est pourquoi ce nouveau dossier a été traité entre les conseillers de
Kabila (pas forcément d'ailleurs en consultant le chef286), et les Sud-Africains. De plus, les
découvertes ougandaises vont de pair avec la hausse du cours du pétrole depuis 2003. Le
nombre toujours plus important de sociétés pétrolières venant à Kinshasa pour obtenir des
blocs pétroliers fait réfléchir les conseillers à la présidence et au ministère, où l’on comprend
bien désormais que le nouvel « eldorado » se trouve dans les hydrocarbures.
Les autorités congolaises accompagnent Caprikat et Foxwhelp
Le pouvoir congolais fait tout pour que ces sociétés, venues littéralement de nulle part, soient
bien accueillies sur le terrain. C'est ainsi qu'à un niveau local, une bonne partie de la
nomenklatura congolaise se mobilise pour soutenir Caprikat et Foxwhelp. Le 21 juillet 2010,
soit un mois à peine après l'attribution des deux permis, le ministre des hydrocarbures
Célestin Mbuyu Kabango, le vice-premier ministre en charge des télécommunications Simon
285 Financial Times, 25 juin 2012. 286 Plusieurs cadres pétroliers d'habitude bien informés nous ont affirmé que le président s'était mis en colère contre ses conseillers pour avoir été trompé sur le dossier Caprikat et Foxwhelp. Il n'a pas pu suivre avec suffisamment de minutie le processus pour voir qu'en fait, cela profitait à certains de ses conseillers et leurs amis.
207
Bulupiy Galati, ainsi que le gouverneur de la Province Orientale (dont la région de l'Ituri fait
partie), Médard Autsai Asenga (voir ci-dessous), se rendent à Bunia (principal centre urbain
de l'Ituri) avec le Sud-Africain Khulubuse Zuma, principale figure publique de Caprikat. Une
réunion est organisée en catastrophe pour expliquer à la population (triée sur le volet) les
futures retombées positives des activités de ces sociétés pour la région. La rencontre ne donne
cependant lieu à aucun débat, le gouverneur et le ministre ayant juste publiquement soutenu
les sociétés en promettant "monts et merveilles". Durant la soirée, un dîner est gracieusement
offert à Bunia par les pétroliers.
Médard Autsai (né en 1942), avant d'être élu gouverneur de la province orientale en 2007,
était le vice-gouverneur en charge de l'économie et de l'administration. Durant la période
Mobutu Sese Seko, enseignant puis directeur d'école, il a commencé en politique comme étant
animateur politique dès 1980 (personne chargée de relayer les idées du parti de Mobutu et de
préparer ses venues fréquentes dans la région) puis député en 1982. Dès que Laurent Désiré
Kabila est arrivé au pouvoir en 1997, il l'a suivi en adhérant à son parti l'Alliance des forces
démocratiques du Congo (AFDL) puis il a adhéré au parti pour la reconstruction et la
démocratie (PPRD) de Joseph Kabila dès sa création en 2002. Il n'a donc jamais été un
opposant mais plutôt un homme politique assez légitimiste. Originaire de l'Ituri, il a délaissé
le poste de gouverneur pour se présenter aux élections législatives de fin 2011 où il a été élu.
Sources : discussions avec plusieurs députés de l'Ituri membre du PPRD.
Cependant, le gouverneur de la Province Orientale, chargé du dossier par la présidence, a pu
constater l'opposition de la quasi-totalité des députés nationaux d'Ituri (ils sont au nombre de
28), ainsi que de la société civile287. Il a donc de nouveau tenté de mobiliser, le 2 août, les élus
locaux en faveur des deux sociétés pétrolières, enregistrées aux îles Vierges britanniques.
Autsai a réuni dans sa villa les douze chefs de quartier de Bunia, ainsi qu'une cinquantaine de
notables locaux. Il leur a promis que Caprikat et Foxwhelp allaient apporter prospérité et
développement: construction de la route entre Komanda et Bunia, ainsi que celle entre Kaseni
et Bunia, réhabilitation du barrage de Budana et construction d'un réseau d'adduction d'eau à
Bunia. Cependant, ce que ne précise pas le gouverneur, c'est que ces chantiers d’une valeur de
plusieurs centaines de millions de dollars, ont pour certains été déjà attribués à des
287 Discussions avec plusieurs députes de l'Ituri ainsi que des membres de la société civile juste après l'événement. Leur connaissance du secteur pétrolier n'est pas très précise, ce qui arrange le pouvoir, mais ils ont le sentiment que ces deux nouvelles sociétés n'ont pas du tout les moyens financiers et techniques de ce qu'elles promettent contrairement à Tullow qui pouvait mettre en avant ses avancées de l'autre côté du lac Albert pour prouver de sa bonne foi. Les habitants de l'Ituri vont assez fréquemment de l'autre côté de la frontière ougandaise et sont donc parfaitement au courant de ce qui s'y passe. Y compris sans avoir accès aux journaux.
208
compagnies chinoises dans le cadre des contrats "minerais contre infrastructures288" signé en
2007. Autsai a menacé lors de sa venue (il vit et travaille à Kisangani : à plusieurs centaines
de kilomètres à l'ouest de Bunia) plusieurs chefs d'organisations civiles d'Ituri et certains
députés locaux s’ils continuaient de s’opposer au projet289. Plusieurs responsables locaux ont
soigneusement évité de se rendre à Bunia pendant quelque temps car ils étaient considérés
comme des meneurs de l'opposition à l'arrivée Caprikat et Foxwhelp.
En coulisse, le dossier de Caprikat et Foxwhelp est suivi par plusieurs personnes proches du
pouvoir qui effectuent toujours les déplacements à Bunia lors des réunions d'information.
C'est d'abord le cas du député national de la province du Bas-Congo, Antoine Ghonda
Mangalibi, très proche de Joseph Kabila. Il était ambassadeur itinérant attaché à la présidence
jusqu'en 2006, pendant la période de transition entre 2003 et 2004, il a même été ministre des
affaires étrangères290. S'il n'a plus officiellement le titre d'ambassadeur itinérant, il en garde
les prérogatives. Ghonda a notamment fait partie de la délégation de Joseph Kabila lors de son
séjour en Ituri, les 17 et 18 septembre 2010. Le président congolais s'était déplacé pour
assurer à la population que le barrage de Budana, qui approvisionne la ville de Bunia, serait
réhabilité grâce au financement de Caprikat et Foxwhelp. Cette opération de communication
visait principalement à obtenir le soutien de la population de l'Ituri en vue de l'élection de
novembre 2011. La délégation des deux sociétés lors du voyage en Ituri était aussi composée
de Ngyukulu Malufua291, qui est officieusement représentant de la filiale congolaise de
288 Ces contrats signés au deuxième semestre 2007 entre l'Etat congolais et l'Etat chinois prévoyaient qu'en échange de la construction d'infrastructures (route, ponts, centrales électriques etc...) pour un montant total de plusieurs milliards (on l'estime à 8,5 milliards de dollars), l'Etat chinois pourrait importer pour l'équivalent de cette même somme des minerais divers (principalement cuivre) afin de "nourrir" l'économie chinoise. Le FMI et la Banque mondiale ont manifesté dès 2008 leur mécontentement par rapport à cet accord en soulignant le manque de transparence sur la compensation réelle en minerai ainsi que le procédé, endetterait davantage le Congo et que donc, cela serait en contradiction avec le travail de désendettement réalisé avec les bailleurs de fonds traditionnels. Pour davantage de précisions, voir: Thierry Vircoulon « La Chine, nouvel acteur de la reconstruction congolaise », Afrique contemporaine 3/2008 (n° 227), p. 107-118. 289 Recueil de témoignages directs de certains d’entre eux. 290 Selon un article de Monique Mas, publié sur le site de RFI le 18 août 2004, Antoine Ghonda a été limogé de son portefeuille du ministre des affaires étrangères en 2004 sous pression du président ougandais Yoweri Museveni qui a lui-même fait pression sur le vice-président congolais de l'époque, Jean-Pierre Bemba. Ce dernier, dirigeant du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) était financé par le pouvoir ougandais pendant la guerre. Ghonda, à l'époque membre du MLC depuis 2000 (pour lequel il a été responsable de relations extérieures pendant les années de guerre), est ainsi passé dans le camp de Kabila qui en a fait l'un de ses deux ambassadeurs itinérants en 2005. S'il est élu en 2006 au parlement, Kabila continue de lui confier des missions assez spéciales, requérant une totale confiance et discrétion. 291 Ngyukulu Malufua est un ancien directeur de la Cohydro (société nationale) Il a travaillé pour plusieurs sociétés comme Forrest Group (Mines) ainsi que Perenco pour la récupération du gaz des puits dans le Bas-Congo. Quatre témoignages le désignent comme étant la personne en charge des sociétés au quotidien, cependant, joint par téléphone, ce dernier le nie avec véhémence.
209
Caprikat, ainsi que de Giuseppe Ciccarelli, ex-ENI, qui s'occupe de la partie technique de
l'exploration292.
A l'occasion d'une nouvelle visite du vice-premier ministre en charge des télécommunications,
Simon Bulupiy Galati, ainsi que du gouverneur de la Province Orientale, Médard Autsai, à
Bunia à la fin janvier 2011, accompagnant les représentants de Caprikat et Foxwhelp, des
petits cadeaux ont été apportés : la police locale a ainsi reçu cinq jeeps de marque Nissan ainsi
qu'une vingtaine de motos293. Auparavant, seule Divine Inspiration, pensant avoir rapidement
son décret présidentiel, avait financé des projets sociaux dans la région. Le groupe avait
acheté une quinzaine de jeeps utilisées par l'armée et la police, ainsi que plusieurs bateaux
rapides pour naviguer sur le lac Albert294. Ces deux exemples montrent que les sociétés
pétrolières dans l'Ituri ont tendance à favoriser les forces de sécurité au détriment des
populations. Aucune d'entre elles n'a eu l'idée de construire quelques écoles ou dispensaires
médicaux. Elles ont probablement songé qu'elles auraient été l'objet de harcèlement des forces
de sécurité, très mal équipées.
Tullow et Divine demandent des comptes au pouvoir
Cet accord avec les nouvelles sociétés inconnues a fait réagir Tullow, tout comme Divine
Inspiration, qui considèrent toutes deux que ce nouveau contrat donné à Caprikat et Foxwhelp
est illégal. Cependant, les deux sociétés flouées ont choisi des voies différentes en fonction de
leur relation avec le pouvoir congolais. La société anglo-irlandaise a d'emblée lancé une
procédure d’arbitrage internationale295, son vice-président Tim O’Hanlon répète que son
contrat signé en 2006 avec Heritage est toujours valide. Tullow a d'abord lancé dès le mois de
juin, une procédure devant l'Eastern Caribbean Supreme Court qui a compétence sur la zone
des îles vierges britanniques (où sont enregistrées Caprikat et Foxwhelp). Si la cour a dans un
premier temps donné raison à Tullow le 21 septembre 2010, en obligeant Caprikat et
Foxwhelp de stoper immédiatement toute exploration des blocs 1 et 2 sur le lac Albert, la
société irlandaise n'a pas pu faire reconduire cette procédure devant ce même tribunal au
début novembre. Tullow a également lancé en juin 2010 une procédure d'arbitrage contre
Caprikat et Foxwhelp devant la Chambre de commerce international de Paris. Cette démarche
pouvant durer plusieurs années, les Irlandais ont décidé de passer par la cour des îles Vierges
pour stopper l'exploration en attendant les résultats de l’arbitrage à Paris. Cependant, la
292 Africa Energy Intelligence, n°636, 29 août 2010. 293 Africa Energy Intelligence, n°646, 23 février 2011. 294 Selon l'un des chefs de la police de l'Ituri inerrogé par nos soins. 295 Tullow Oil plc, 2010 half year results, p. 8.
210
société ne voyant aucune issue juridique a baissé les bras en 2011. Dans son rapport de
résultats annuels 2010 publiés sur son site internet le 9 mars 2011, elle déclare abandonner,
avec regret, toute poursuite296.
Si elle ne l’a pas fait savoir publiquement, la présidente de Divine Inspiration, Andrea Brown,
considère également que ce nouvel accord est illégal, d’autant plus que la société a payé plus
de quatre millions de dollars de bonus pour le bloc 1. Brown s'est rendue à plusieurs reprises
dans les bureaux des ministres à Kinshasa en novembre 2010 afin de se faire rembourser
l'argent décaissé deux ans plus tôt. Elle est parvenue à s'entretenir avec le premier ministre
Adolphe Muzito à qui elle a fait part de sa demande de remboursement de la totalité de la
somme à laquelle elle a rajouté 1,2 million de dollars d'intérêts et de taxes diverses297. Le
trésor congolais est évidemment opposé à ce genre de remboursement (le budget de l'Etat était
en 2010 de l’ordre de 5 milliards de dollars, 8 milliards en 2012). Divine Inspiration (dont le
nom a été remplacé en 2010 par Dig Oil) a donc proposé aux fonctionnaires du ministère des
hydrocarbures d'ouvrir une ligne de crédit correspondant à cette somme pour les travaux
futurs dans le pays notamment concernant la Cuvette centrale. Divine espère ainsi que les
négociations de décembre 2007 pour opérer les blocs 8, 22 et 23 de ce bassin, aboutiront
rapidement. Par une lettre datée du 26 juillet 2011, adressée au ministre des hydrocarbures
Célestin Mbuyu Kabango et à celui des finances Matata Ponyo (futur premier ministre de
2012), le premier ministre Adolphe Muzito demande à ces derniers de créer cette ligne de
crédit298. Il règle donc partiellement le problème.
Le ministre des hydrocarbures congolais Célestin Mbuyu Kabango avait promis dès
l'attribution à Caprikat et Foxwhelp, que le trésor rembourserait dans les plus brefs délais la
totalité des bonus aux sociétés qui n’ont finalement pas obtenu les périmètres 1 et 2. Si Divine
a bien joué du fait d'une bonne relation avec le pouvoir, Tullow attendait toujours un
dédommagement lors de l’écriture de ces lignes.
En dehors des problèmes liés aux sociétés pétrolières qui se trouvent lésées, cette affaire a
laissé des traces auprès de la communauté internationale. L’attribution des blocs à Caprikat et
Foxwhelp arrive à un mauvais moment. C’est le 30 juin 2010 que devaient se prononcer les
bailleurs de fonds, Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI), sur le point
d’achèvement du Congo qui octroie le statut de « Pays pauvre très endetté ». Ce dernier
296 Tullow Oil plc 2010 Annual Report and Accounts, p. 57. 297 Conversation avec des cadres du ministère des hydrocarbures, décembre 2010. 298 Discussion avec l'un des conseillers de Divine Inspiration (août 2011).
211
permet aux Etats de demander une annulation d’une partie significative de leur dette en
échange de la poursuite de réformes économiques drastiques. Les bailleurs de fonds
considèrent bien le 30 juin que la RDC a atteint ce point d’achèvement : 12,3 milliards de
dollars ont été effacés. Cependant cela n’a pas été sans heurt. La Suisse et le Canada ont
milité pour que ce statut ne soit pas accordé au Congo. Le 30 juin, ils se sont abstenus de
voter299. Si la Suisse considère que la RDC n’a pas donné suffisamment de gage de sa volonté
à améliorer le fonctionnement de son économie, le Canada lui reproche entre autre l’éviction
d’Heritage du lac Albert. Le cas d’Heritage se rajoute à celui de la société minière canadienne
First Quantum, éjectée à l’été 2009 de l’énorme projet d’exploitation de cuivre et de cobalt de
Kingamyambo Musonoi (plus de 750 millions de dollars investis) au Katanga. Kinshasa a
accordé en janvier 2010 ce projet à Highwind Properties Ltd, immatriculé tout comme
Caprikat et Foxwhelp aux Iles Vierges britanniques300. Le Premier ministre canadien Stephen
Harper avait déjà attiré l’attention de ses pairs sur ce sujet lors du sommet du G8 de Huntville
le 28 juin 2010.
2-2 Les défis géographiques de l'exploration pétrolière dans la zone du Graben
Albertine
Outre l'attribution du bloc 1 et 2 à Caprikat et Foxwhelp le 18 juin 2010, le président
congolais Joseph Kabila a également paraphé le décret concernant deux blocs plus au sud,
longeant la frontière ougandaise et rwandaise. C'est le cas du bloc 3 qui a été au consortium
sud-africain Association South Africa Congo Oil Pty301 ainsi que le bloc 5, opéré depuis 2010
par les sociétés Soco et Dominion302 (voir carte n° ci-dessous).
299 Financial Times, 2 juillet 2010. 300 Africa Mining Intelligence, n°230, 7 juillet 2010. 301 Association South Africa Congo Oil Pty est une joint-venture entre la société sud-africaine South Africa Congo Oil (50%) et les anciens de Divine inspiration (50%) dirigée par Andrea Brown. A elles deux, les sociétés sud-africaines ont 85% du bloc 3 aux côtés de la Cohydro congolaise (15%). Voir ordonnance 10/043 du Journal officiel paru le 22 juin. Outre le bloc 3, South Africa Congo Oil (Sacoil) est également présente au Nigeria sur un bloc onshore et a également une usine en Afrique du Sud qui fabrique du manganèse. 302 Dominion est une société britannique qui est active des deux côtés du lac Edouard (RDC et Ouganda). Elle a obtenu le bloc 4B en Ouganda le 27 juillet 2007. Dominion et Soco sont proches car le président du conseil d'administration de Dominion Roger Cagle, n'est autre que le directeur adjoint de Soco.
212
Cartes n°22: Blocs 1 et 2 du graben Albertine
Source : Tullow Oil
213
Carte n°23 : Blocs 3 et 5 du graben Albertine.
Source : International Crisis Group.
214
Ces 4 blocs déjà attribués (les blocs 1 et 2 sont visible sur la carte 21), un cinquième, le 4,
devrait être attribués plus tard, font partie du même bassin sédimentaire qu'on appelle le
Graben Albertine qui représente une partie du Rift Est-africain. Le graben est un terme venant
de l'allemand désignant une sorte de fossé entre les différentes couches de roche qui est
favorable au piégeage du pétrole. On en trouve dans de nombreuses zones en Afrique comme
au Niger ou au Mali.
Si Soco et Dominion, qui ont obtenu le bloc 5, peuvent mener seuls leur exploration du fait de
leur capacité financière, au moins dans un premier temps, toutes les autres sociétés doivent
recourir à des partenaires. En effet, la zone est totalement enclavée comme le montre la carte
ci-dessous où les blocs de 1 à 5 sont situés autour des lacs Albert et Edouard.
Carte n°24 : Enclavement de la zone d’exploration du rift est-africain
Source : Google Earth
215
Il est nécessaire de transporter de très lourdes machines depuis l'Ouganda comme des
plateformes de forage, pour toute cette zone. Les matériels d'exploration ne peuvent pas venir
du Congo, ils devront donc passer par l'Ouganda ou bien par le Rwanda. Soulignons ici que la
région pétrolière qui va de l'Ituri (province Orientale) au Nord Kivu est en moyenne à plus de
2000 kilomètres de Kinshasa et aucune infrastructure routière ni fluviale ne permet de
transporter ce matériel depuis le principal port de Matadi (province du Bas-Congo). De plus,
aucune des sociétés, en particulier Caprikat et Foxwhelp n'ont les compétences techniques et
les moyens pour mener ses explorations dans une zone difficile. Cela est d'autant plus vrai que
tous les périmètres ont une partie offshore (dans les lacs) où les défis technologiques sont
nombreux et les coûts de forage, multipliés. Des partenariats vont très probablement devoir se
nouer pour travailler (en échange d’importants bonus d’entrée) avec des sociétés pétrolières
connues et reconnues pour leurs compétences. D'une certaine façon, après avoir attribué des
blocs difficiles techniquement mais avec d'énormes potentiels à de petites sociétés, l'Etat
Congolais va devoir faire venir des compagnies qui ont les moyens de travailler. Le président
Joseph Kabila l'a d'ailleurs souligné lors du discours annuel de l'état de la nation devant les
deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) le 10 décembre 2010 : il est temps pour le
Congo d'accueillir les grandes sociétés pétrolières303.
Sacoil a été la première à commencer pendant l'été 2010 les discussions avec un partenaire de
poids : la major française Total304. Cette dernière a pris 65% du bloc et est devenu opérateur.
Un premier document émanant du ministère des hydrocarbures a été signé le 11 février 2011
pour accepter le nouveau tandem. Le consortium a également attendu aussi que le ministère
des hydrocarbures signe l'arrêté concernant les coordonnées exactes du permis avant de
travailler effectivement sur le bloc305. Ce même calendrier doit d'ailleurs s'appliquer pour
chacun des opérateurs. Cette procédure a cependant pris du retard car un an après l'attribution,
aucune société n'a obtenu d'arrêté de la part ministère des hydrocarbures. Total regardait les
opportunités dans cette zone du Congo depuis plus de deux ans. La société savait en effet
qu'elle serait choisie par la société irlandaise Tullow pour rentrer en Ouganda dès la fin 2009.
Elle voulait ainsi tenter de réaliser ce que Tullow n'avait pas réussi : être présente des deux
côtés de la frontière.
303 Africa Energy Intelligence, n°650, 20 avril 2010. 304 Total est également rentré en 2011 de l'autre côté du lac en Ouganda. 305 Après avoir obtenu un décret présidentiel pour un permis d'exploration, des cadres du ministère des hydrocarbures sont invités par la société à délimiter précisément sur le terrain la zone d'exploration. Cela arrive souvent qu'au Congo, les blocs se chevauchent, c'est le moment de corriger ce type d'erreur. Pour les blocs 1 et 2 de Caprikat et Foxwhelp, les coordonnées contenues dans le contrat de partage de production allait jusqu'à 7 kilomètres à l'intérieur du territoire ougandais, il a donc fallu régler ce problème.
216
Quant à Caprikat et Foxwhelp, l'opacité qui règne sur les actionnaires étrangers et
personnalités congolaises n'entrainent pas la confiance des investisseurs. Ces sociétés
inconnues du milieu pétrolier font clairement peur aux sociétés établies qui sont cotées en
bourse, dans lesquels le conseil d'administration préfère traiter avec de petites sociétés qui
sont transparentes. Or, ce profil de sociétés établies, type major, représente la plupart de celles
qui auraient les moyens de développer de telle région avec des défis géographiques et
techniques comme ceux du graben albertine. Cependant, un acteur au moins échappe à ces
"dictatures" des bourses et conseils d'administration : les compagnies étatiques asiatiques et
en particulier celles venant de Chine. Dès le mois de mai 2011, un cadre de la société China
National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a rencontré le ministre des hydrocarbures
congolais Célestin Mbuyu Kabango306 et probablement d'autres Congolais proches de la
présidence. Son entrée ferait sens car la CNOOC est depuis 2011, de l'autre côté du lac Albert
en Ouganda. Les Italiens de l'ENI qui ont négocié pour obtenir le seul bloc disponible à la mi
2011, le 4307, a aussi candidaté pour faire affaire avec Caprikat et Foxwhelp. ENI a l'avantage
de déjà disposer de puissants réseaux au Congo dans lequel elle explore le périmètre de
Ndunda sur le bassin côtier depuis 2010. ENI a un profil plus « aventurière » que ses
homologues européennes mais elle est pénalisée par le problème de l'opacité des deux
sociétés.
L'autre défi de l'exploration dans la zone du graben, cause majeure de la recherche de
partenariat avec de grosses sociétés expérimentées, est la difficulté d'accès, géographique
particulière, et la diversité de la faune et flore locale. En effet, contrairement à la partie
ougandaise du lac Albert, la façade congolaise est principalement entourée de falaises (voir
carte ci-dessous). Assez peu de villages sont installés sur le pourtour par absence quasi-totale
d'accès direct au lac Albert. Au sud du lac, dans la zone des montagnes bleues (parfois
appelées Monts Bleus), il y a aussi beaucoup de falaises. Côté Congo, les sociétés pétrolières
vont être contraintes de réaliser des forages dans des conditions de pur offshore alors qu'en
306 Africa Energy Intelligence, n°654, 22 juin 2011. 307 ENI n'a pas candidaté directement pour le bloc 4 mais elle est passée par une société véhicule, sorte de faux nez, appelé International Business Oil Due (IBOS II). Cette société dirigée par le directeur de Surestream RDC, Baudouin Ebeli Popo, s'engage à négocier directement les blocs puis à revendre une partie à ENI (une lettre de son PDG Paolo Scaroni reconnait officiellement la société), IBOS II reversera l'argent amassé à l'association Objectif Congo créée par le Saint-Siège (Vatican) pour financer des œuvres de charité au nom de la religion catholique. En d'autres termes, grâce à l'entregent de certains congolais, déjà fortunés, l'Eglise obtient des fonds pour reconstruire le pays notamment en termes d'école et de dispensaires. L'église catholique était très puissante dans l'éducation et la santé pendant la période coloniale puis ses moyens ont diminué alors que l'Etat congolais devenait de plus en plus déliquescent. La plupart des hauts fonctionnaires et ministres congolais formés sous la période Mobutu sont passés par des écoles chrétiennes avant de partir pour l'étranger (France ou Belgique) pour les plus chanceux d'entre eux.
217
Ouganda, elles peuvent mener des forages dirigés qui partent de la terre ferme308. S'il y a bien
des zones de plages avec des villages comme Mahagi Port (à peine plus d'un millier
d'habitants), où l'exploration va être beaucoup plus facile, cela est sans commune mesure en
termes de kilomètres avec l'Ouganda où les plages représentent la plus grande partie du
pourtour. Les villages de pêcheurs y sont par exemple beaucoup plus nombreux côté
ougandais 309. La prise de vue sur la carte ci-dessous montre bien que du côté ouest du lac:
côté Congo, la couleur verte représente une végétation dense sur une chaine de montagnes
quasi continue, quant au versant est de l’Ouganda, la couleur du sable et de la terre est visible
à de nombreux endroits démontrant la présence de terrains au même niveau que la mer, où les
pétroliers pourront opérés plus facilement.
308.Les forages dirigés sont donc moins chers que ceux sur les mers ou lac profond comme celui du Tanganyika au sud du graben Albertine où la profondeur atteint 1433 mètres d'eau. Le lac Albert n'est pas très profond car son point bas atteint seulement 51 mètres. 309 Appréciations à partir d'un séjour sur les berges du lac Albert côté Ougandais et d'un vol en petit avion au dessus du lac (juin 2008).
218
Carte n°25: Falaises et plages autour du lac Albert
Source : Google earth
Pour le lac Edouard concerné par les blocs 4 et 5, l'exploration posera moins de problème côté
congolais que sur le lac Albert, il y a davantage de zones de plages et la profondeur du lac
n'excède jamais 147 mètres.
Si le problème des animaux protégés et la forêt va certainement se poser bientôt pour les blocs
plus au nord (1 et 2) du fait de la présence de la zone forestière de Aruwimi310, la présence du
310 Cette forêt qui fait partie de la forêt équatoriale est protégé au titre du patrimoine de l'UNESCO. Elle renferme une population assez importante d'Okapis.
219
bloc 5 dans la réserve naturelle, et protégée, du Parc des Virunga311 a déjà fait l'objet d'une
importante mobilisation nationale et internationale.
Carte n°26 : Parc des Virunga dans le bloc d'exploration 5 opéré par Soco et Dominion
Source : Dominion Oil
Dans cette dernière carte, comme la légende le montre, on voit que le bloc pétrolier comprend
une très grande partie du Parc de Virunga même s’il évite la partie où il y a la présence de
grands gorilles situés au Sud du parc, coté congolais et rwandais.
311 Le parc des Virunga s'étend sur 790 000 hectares, il est officiellement considéré comme patrimoine protégé de l'Unesco depuis 1979. Ancêtre du parc national Albert créé en 1925 (premier d'Afrique), les Virunga a été baptisé ainsi dès l'indépendance en 1960 lorsqu'il a été partagé en deux, laissant la partie est du parc Albert au Rwanda. Il possède une grande variété d'animaux (notamment hippopotames et les derniers grands gorilles des montagnes du monde) ainsi que quelques éléphants, beaucoup ont disparu depuis les années 1980 où les braconnages ont beaucoup sévi. Son relief va de 700 à plus de 5000 mètres. Fermé pour des questions de sécurité une première fois au début des années 1990 pendant les troubles au Rwanda pré-génocide du fait de l'afflux de réfugiés. Il a fermé à nouveau de 2007 à mai 2009 (présence des anciens Hutu génocidaires du Rwanda : Force Démocratique de Libération du Rwanda FDLR). Il a ensuite rouvert pour accueillir une clientèle assez fortunée mais encore assez peu nombreuse.
220
En effet, dès l'attribution des permis en juin 2010, le ministre congolais de l'environnement
José Endundo Bonange a été mis à rude épreuve lorsque Soco Oil a obtenu son décret
présidentiel pour explorer ce bloc, à cheval entre la province du Nord-Kivu et celle de la
province Orientale. Dès le mois d'août 2010, une équipe de Soco accompagnée de cadres du
ministère des hydrocarbures se rend à Rutshuru (Nord-Kivu) afin de borner du Sud au Nord
leur bloc. Les premières critiques ne tardent pas, en particulier de la part de certaines ONG.
Le responsable de l'Observatoire volcanologique de Goma, Kacho Karume, met en doute les
futures études d'impact environnemental car c'est Soco elle-même qui doit la réaliser312. Le
ministre de l'environnement, José Endundo va d'ailleurs rejeter dès le 25 novembre les
conclusions de cette étude d'impact environnemental présentées par le pétrolier. Pour ce faire,
le ministre s'est appuyé sur un rapport de l'Institut congolais pour la conservation de la
nature313 (ICCN), qui rappelle l'interdiction de l'exploitation pétrolière dans les parcs
nationaux du pays. Le ministère juge aussi "très insuffisantes" les mesures de sécurité
proposées par les pétroliers pour surveiller leur stock de dynamite dans une région en proie
aux attaques de groupes armés314.
L'Unesco a également été particulièrement actif dans la dénonciation de cet accord pétrolier.
Il a plusieurs fois mis en garde le Congo concernant l'exploration pétrolière dans le parc des
Virunga. Une lettre de la directrice de l'organisation, Irina Bokova a été envoyé le 6 août 2010
au président Joseph Kabila. Constatant que le Congo ne bougeait pas suffisamment, malgré le
rejet de l'étude d'impact du 25 novembre, Irina Bokova a elle-même fait le déplacement à
Kinshasa à la mi-janvier 2011 où elle a pu s'entretenir avec le premier ministre Adolphe
312 Agence d'informations chinoise, Xinhua, 23 août 2010. 313 ICCN est un organisme d'Etat en charge de la protection de l'environnement. Il est dirigé depuis 2008 par une figure de la politique congolaise, Yves Mobando Yogo. Ce dernier a été de 2004 à 2007 le gouverneur de la province de l'Equateur. A ce titre, il connait bien le ministre de l'environnement José Endundo, qui vient aussi de cette région. Ils ont donc pu, organiser de concert la stratégie pour faire plier Soco. 314 La zone du Kivu est la plus instable avec un grand nombre de groupes armés (voir carte d’International Crisis Group sur les blocs pétroliers congolais 3 et 5). Le plus connu est le FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), constitué d'ex-soldats des Forces Armées Rwandaises (FAR) de l'époque de l'ancien président Juvénal Habyarimana. Ils ont été les principaux exécutants du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Les FDLR sont considérés comme la principale source de l’insécurité à l’est de la RDC. Mais il y a aussi des groupes dissidents mais dont les membres ont la même histoire : c'est le cas des RUD (Forces du Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie), et les FOCA (Forces Combattantes Abacunguzi). Il y a deux groupes armés ougandais qui opèrent aussi plus au Nord dans la région de l'Ituri: les ADF-NALU (Allied Defense Forces/National Alliance for the Liberation of Uganda) basés dans le Mont Ruwenzori et la LRA (Lord Resistance Army), groupe créé en 1986 qui bouge entre le Soudan, la RDC et la République centrafricaine. S’agissant des groupes armés congolais (soutenus par le Rwanda), le plus connu est le CNDP (Conseil National pour la Défense du Peuple) qui a signé sa réintégration dans l'armée congolaise en 2009 lors de la capture de son chef Laurent Nkunda. Le numéro 2 de Nkunda, Bosco Ntaganda qui est recherché par la Cours Pénal Internationale, a réouvert en 2012 les hostilités contre Kinsahsa en créant un nouveau front de rebellion, le M23.
221
Muzito315. L'Unesco a également été suivi par la Banque mondiale qui a envoyé un courrier
au même premier ministre le 30 novembre 2011 pour lui intimer de revoir sa position sur
l'exploration dans la réserves des Virunga. Dans ce courrier, les menaces étaient à peine
voilées, elle prie Adolphe Muzito de "confirmer l'engagement de la RDC à préserver
l'intégrité du Parc national des Virunga afin de nous permettre de poursuivre nos
financements dans le domaine de la conservation de la nature et du développement durable
des forêts en RDC316". En d'autres termes, si l'exploration se poursuit, les budgets d'aide
seront coupés. L'Union européenne, l'un des principaux bailleurs des fonds des programmes
de conservation au Congo, est également sur la même ligne que l'Unesco et que la Banque
mondiale317. Le Belge Emmanuel de Merode, nommé en août 2008 à la tête du parc par les
autorités congolaises est également un important soutien des institutions internationales. Or ce
dernier dispose d'un vaste réseau de lobbying : issu de la grande noblesse belge (il a le titre de
prince), il est également l'époux de Louise de Merode, la fille de Richard Leakey, le célèbre
paléoanthropologue kenyan blanc, qui fut également chef de la fonction publique à Nairobi à
la fin des années 2000. Louis Leakey, le grand-père de Louise de Merode, est le premier à
avoir mis en place un programme de protection des gorilles de montagne318.
Cependant, Soco ne désarme pas et met en place sa riposte. Le groupe britannique a organisé
à Goma (capitale de la province du Nord-Kivu), le 27 janvier 2011, une rencontre avec les
organisations de la société civile du Kivu, sous le patronage du gouverneur Julien Paluku
Kahongya. But de l'opération : mettre en avant les bénéfices de l'exploration pétrolière pour la
province. Pourtant prévenu par le ministre de l'environnement de sa nonchalance concernant
la protection des explosifs liée aux problèmes sécuritaires de la zone, un ingénieur sud-
africain d'une entreprise contractée par Soco est kidnappé le 14 février avec plusieurs soldats
congolais par un groupe armé de la région. Ils seront relâchés seulement deux jours plus
tard319. A l'avenir, il va falloir négocier avec les différents groupes armés de la région, en
particulier ceux soutenus par le Rwanda. Mais également, les ennemis du président actuel de
ce pays Paul Kagamé, qui ont été actifs pendant le génocide de 1994.
Dans un courrier adressé le 14 mars 2011 à un collectif d'ONG internationales (dont le WWF,
la Wildlife Conservation Society et l’African Wildlife Foundation), le ministre de 315 Quotidien Congolais La prospérité, 24 janvier 2011. 316 La Libre Belgique, 20 novembre 2010, Marie France Cros. 317 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010 318 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2011. 319 Agence France Presse, 17 février 2011.
222
l’environnement congolais, annonce la suspension des activités d’exploration de Soco Oil
dans le parc des Virunga. Le ministre précise dans son courrier avoir "rejeté les
recommandations d’une étude d’impact réalisée par Soco Oil, car elle était prématurée, trop
sommaire et non conforme aux standards qu’on pouvait en attendre320". José Endundo
Bononge a également annoncé que, grâce à l’appui des partenaires économiques et financiers
du Congo (dont l’Unesco et l’Union européenne), ses services pourraient conduire une
"évaluation stratégique environnementale" préliminaire à l’étude d’impact, qui couvrirait non
seulement le parc national des Virunga mais aussi "l’ensemble de l’aire géographique
transfrontalière affectée par l’attribution de blocs". A la vue de la carte du bloc 5 (voir carte
24), plus d’1/3 de la surface est située dans le parc des Virunga, cela va être très difficile pour
la compagnie d'accepter d'exclure entièrement cette zone.
Le cabinet Safege SA (filiale de Veolia Environnement), est recruté fin août 2011 sur
financement de la Commission européenne pour mener une étude environnementale sur
l’exploration et l’exploitation pétrolière dans les cinq blocs du Graben Albertine (Est du
Congo). Les quatre consultants (chef de mission, économiste, biologiste et ingénieur pétrolier)
doivent soumettre leur rapport à un Comité interministériel consultatif, placé sous la
responsabilité du ministre de l’environnement. Safege doit vérifier si l'exploitation pétrolière
peut se faire en conformité avec le droit national et international. Les consultants doivent
s’intéresser aussi à l’impact environnemental sur des aires protégées hors du parc des
Virunga, comme le domaine de chasse de Rutshuru, dans le bloc 5 de Soco et Dominion. La
mission doit trouver un compromis difficile. "L’exploitation des ressources naturelles non
renouvelables est interdite par la loi congolaise et ne peut être envisagée que par un
renoncement aux engagements internationaux contractés par l’Etat congolais", relève la
Commission, qui indique néanmoins que l’étude va examiner s’il est possible d’aménager les
limites du parc. Les experts doivent aussi étudier les alternatives, notamment le système de
compensations carbone envisagé par l’Equateur, qui a prévu de créer un fonds alimenté
pendant dix ans par la communauté internationale et géré par le PNUD à hauteur de la moitié
de ce qu’aurait rapporté l’exploitation pétrolière321. Cette dernière possibilité parait assez peu
envisageable. Cette nouvelle étude est un gage donné par l'Etat congolais aux bailleurs de
fonds. Cependant, clairement, le pays ne peut pas se permettre de ne pas exploiter la zone.
320 Africa Energy Intelligence, n°648, 23 mars 2011. 321 Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.
223
En effet, et malgré le volontarisme de Endundo, le ministère congolais des hydrocarbures
devrait ainsi prédominer dans la décision. Ce dernier portefeuille pèse davantage pour le chef
de l'Etat car il rapporte de l'argent au trésor et également sous forme de commissions.
Interrogés longuement pendant cette affaire d'exploitation pétrolière dans le parc des Virunga,
l’un des cadres du ministère des hydrocarbures résume la situation de façon rationnelle et
terre à terre : "Si les occidentaux veulent que l'on préserve les zones protégées, il faut
compenser financièrement le Congo pour le manque à gagner en conséquence de la non
exploitation pétrolière". Avec un budget national de l'ordre de 7 milliards de dollars en 2011,
il est évidemment très compliqué de faire passer l'exploitation de richesses naturelles pour un
crime aux yeux des congolais (et ce même si le produit de l'exploitation est mal dépensé
localement et nationalement). En résumant à grand trait, l'idée d'arrêter l'exploration pour des
questions d'environnement est communément perçue au sein du ministère des hydrocarbures,
comme une pensée "bourgeoise d'occidental".
Toujours dans la problématique environnementale, il faut souligner que le Congo-Kinshasa
n'est pas dans la même situation que certains pays comme le Kenya ou la Tanzanie où le
tourisme lié à la faune et la flore est au centre du développement économique. Le Congo
n'accueille quasiment pas de tourisme, pour des raisons évidentes d'insécurité (à l'est en
particulier), de manques de logistiques (sur la plus grande partie du territoire) et d'incessantes
contrariétés avec les fonctionnaires non payés qui maillent le territoire ou ex-fonctionnaires
qui en gardent les prérogatives (absolument partout). Il n'y a donc pas de crainte immédiate
quant à la destruction de régions protégées. Quelques déboisements ou pollutions n'auront en
effet pas de répercussions immédiates sur l'économie du pays. Les ONG rappellent
l'augmentation du tourisme dans les parcs naturels comme les Virunga notamment, mais cela
reste encore un phénomène très minime. S'il reviendra in fine au président Joseph Kabila de
trancher entre l'exploration pétrolière ou le mécontentement des ONG appuyé par les bailleurs
de fonds, il est fort à parier que l'option choisie dépendra beaucoup des contreparties
financières de la communauté internationale. En cas de non réactivité de cette dernière en
matière de dons (l'offre de la Banque mondiale ne peut être qu'une première étape),
l'exploration et l'exploitation suivra sans nul doute son cours normal. La stratégie des bailleurs
a cependant pris une tournure de menace, si le Congo exploite cette zone protégée, les budgets
sectoriels d'aide déjà votée pourraient être suspendus. Il est très possible que cette décision
d'octroyer une partie du Parc des Virunga soit prise après les prochaines élections.
224
3 Le pétrole du graben Albertine, une stratégie ougandaise différente pour
une même zone
Le profil de l'Ouganda est très différent du Congo voisin. L’une des principales raisons tient
au fait que l'Ouganda jouit d'une certaine stabilité depuis la prise de fonction du président
Yoweri Museveni en 1986. Le pouvoir est en plus très clairement soutenu militairement par
les Américains et les Britanniques, en numéraire et en formation, ce qui fait de Museveni, un
des hommes forts de la région, avec Meles Zenawi en Ethiopie et Paul Kagamé au Rwanda322.
En échange de cette aide, l'Ouganda s'est engagé à être et rester le principal pourvoyeur de
soldats de l'une des missions les plus périlleuses dans le cadre du maintien de la paix, la
Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM323). Après le fiasco du passage des
Américains en Somalie entre 1992 et 1994 où 18 soldats sont morts dans les rues de
Mogadiscio, la prise de relais de l'Ouganda à la tête d'une mission de l'Union africaine est un
soulagement pour les Américains qui ont vécu l’épisode somalien comme une humiliation324.
C'est donc l'une des raisons importantes du soutien américain quasi indéfectible au président
ougandais Yoweri Museveni.
De plus, les bailleurs de fonds on été, au moins jusqu'à 2006, très favorables au président
ougandais pour avoir mené des réformes libérales lors des plans d'ajustement structurel à
partir de la fin des années 1980. L'Ouganda a d'ailleurs été le premier Etat à obtenir le statut
de Pays Pauvre très endetté en 1998. Ce dernier lui ouvrant la voie à une importante
annulation de dette de 700 millions de dollars325. Il a également atteint le point d'achèvement
de l'initiative des pays pauvres très endettés en 2000, permettant à nouveau d'accélérer
322 Ce dernier voit cependant progressivement sa relation privilégiée avec les Etats-Unis se détériorer du fait de sa méthode assez autocratique de diriger son pays. L'un des symboles de cette détérioration est peut être l'adoption de la loi américaine Dodd-Franck officiellement entrée en vigueur le 1er avril 2011. Cette loi impose aux importateurs de minerais de prouver à la Securities Exchange Commission (SEC) l’origine non conflictuelle des minerais. Or, le Rwanda qui profite illégalement des minerais de son voisin congolais est durement pénalisé, mais aussi le Congo : au Nord-Kivu, une baisse des deux tiers des recettes tirées de la production (actuellement interrompue) de la cassitérite, du coltan, du wolfram et de l'or a été ressentie à la fin 2011. Sources: Africa Mining Intelligence, n°251, 1 juin 2011. 323 La participation massive de l'Ouganda à l'AMISOM a un prix : les Shebab somaliens n'hésitent pas à perpétrer des attentats meurtriés à Kampala. L’un des plus meurtiriés a eu lieu le 11 juillet 2010 dans des cafés et boîtes de nuit de la capitale ougandaise, bilan : 76 personnes. Il a été revendiqué par les Shebab. 324 Les deux missions américaines Operation provide relief et Operation restore Hope, ont fait l'objet d'un film hollywoodien Black Hawk Down (La chute du faucon noir) qui a eu beaucoup de succès lors de sa sortie en 2001. La mort de 18 soldats américains tombés avec les hélicoptères, vécus comme une tragédie et une impuissance de la puissance américaine, ont changé la stratégie d'intervention extérieure des Etats-Unis qui se sont beaucoup appuyés sur des casques bleus ensuite (hors de l'Irak et Afghanistan). Cet événement a également modifié les tactiques de guerre, les boys sont désormais moins exposés (utilisations des drones au maximum). 325 Selon le site internet de la Banque mondiale : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/AFRICAEXT/UGANDAEXTN/0,,contentMDK:20225952~menuPK:473833~pagePK:141137~piPK:217854~theSitePK:374864,00.html
225
l'annulation de dette. Deux milliards de dollars ont à nouveau été effacés de l'ardoise que le
pays doit aux bailleurs de fonds multilatéraux tels que le FMI ou la Banque mondiale ou bien
les bilatéraux que sont les Etats (Club de Paris). En comparaison, le Congo n'a atteint le point
d'achèvement qu'en 2010, soit dix ans plus tard.
Le territoire ougandais n'est pas entièrement pacifié, cependant contrairement au Congo, les
principales menaces ont été au moins écartées. C'est le cas de la principale d'entre elles, The
Lord Resistence Army (LRA)326, qui sévit depuis 1987, et dont l'un des buts est de renverser
Museveni du pouvoir pour exercer un régime théocratique. La LRA prend appui sur le Holy
Spirit Movement développé par Alice Auna Lakwena, mouvement mystique venant des
régions du nord de l'Ouganda, principalement issu du groupe ethnique Acholi. Ce mouvement
devient très dangereux pour Museveni à partir de 1988 lorsque Joseph Koni, neveu de
Lakwena, prend la tête du mouvement en le renommant LRA. Kony dont le but est
l'application stricte des dix commandements est beaucoup plus violent que Lakwena. Il
commet massacres, viols, tortures dans le nord de l'Ouganda durant les années 90 et début
2000. Il généralise notamment le rapt de jeunes qui deviennent enfants soldats et vivent tout le
temps de leur capture (certains s’échappent) dans la forêt. Kony est aidé à partir de 1994 dans
cette entreprise par le Soudan d'Omar El Béchir qui lui demande, en échange d'armements et
de logistiques, d'intervenir au Soudan du Sud (à l’époque territoire sans autonomie réelle au
grand dam de ses leaders, voir partie III) animiste et chrétien pour le déstabiliser327. Cette
décision conduit immédiatement au soutien de Museveni au combat de Sudan People's
Liberation Army du leader rebelle John Garang (mort en 2005 dans un accident d'hélicoptère
prêté par le président Museveni). Malgré l'arrêt progressif de l'aide de Béchir à la LRA,
l'armée ougandaise n'a jamais réussi à capturer Joseph Kony qui se joue des frontières et
bougent avec sa petite armée de quelques centaines de soldats, entre le nord de la République
démocratique du Congo, le sud de la République Centrafricaine et le désormais Etat du
Soudan du Sud. S'étant aliéné la population acholi, base arrière de son mouvement anti
Museveni, Kony a donc quitté le Nord de l'Ouganda. Il n'est donc plus une menace immédiate
pour le pouvoir ougandais. Cependant, des expéditions de l'armée ougandaise, y compris en
territoire congolais, ont lieu depuis 2009. Du 22 au 25 juillet, l'armée ougandaise Uganda
People's Defense Force (UPDF) ainsi que l'armée congolaise (Force armée de la République
démocratique du Congo) ont ainsi agi au nord de la ville congolaise de Kisangani (province
326 Sandrine Perrot, Who's the Bull in the Kraal ? , Cahiers d'études africaines 1/2010 (n° 197), p. 153-179. 327 Leslie Piquemal, La guerre au nord de l'Ouganda, une "solution militaire" sans issue ?, Afrique Contemporaine, n°209, 2004/1.
226
orientale) et tué plusieurs membres de la LRA mais sans arriver à tuer son chef. Cet épisode a
d'ailleurs montré un certain réchauffement des relations entre les deux pays ennemis328.
L'écartement par Museveni de la menace LRA est peu à peu récompensé dans les urnes par
les populations du nord de l'Ouganda, traditionnellement hostiles au président (qui vient du
sud), pour avoir permis une certaine stabilité. Entre les élections de 2006 et celles de février
2011, le président a considérablement accru ses votes dans les régions touchées par la LRA.
Les districts où la LRA a été active concernant principalement: Gulu, Kitgum, Pader, Apac,
Lira, Katakwi, Kumi et Soroti (voir cartte ci-dessous). En 2006, le président a obtenu en
moyenne dans ces sept districts 16,2% des voix329, ces pourcentages ont été quasiment
doublés en 2011. Museveni a compris dès les années 1990, qu'il était important de faire
émerger au sein du pouvoir central des élites du Nord afin d'obtenir un meilleur soutien de son
pouvoir et de rassembler. Ainsi sur 229 ministres que Museveni a nommés depuis 1986, 43
viennent du Nord330. Cependant, il reste que le Nord dont la ville principale est Gulu est
considérablement sous développée du fait des actions de la LRA.
328 Cela a cependant créé des remous au sein de la majorité présidentielle à Kinshasa où le président du parlement et ex-directeur de campagne de Joseph Kabila, Vital Kamerhe, s'est publiquement opposé à cette autorisation donnée aux forces ougandaises d'agir sur le territoire congolais. Vital Kamerhe a du démissionner et est depuis lors dans l'opposition à Kabila. Il s’est même présenté aux élections présidentielles en 2011. 329 Chiffres par district disponibles à cette adresse:http://en.wikipedia.org/wiki/Ugandan_general_election,_2006. 330 Michael Mubangizi, dans l'hebdomadaire Ougandais The Observer, 29 mai 2011.
227
Carte n°27 : Anciennes et nouvelles zones d'activité de l'Armée de résistance du Seigneur en
Ouganda.
Source : Wikipedia.
L'une des autres menaces pour le pouvoir est localisée dans la région de Karamoja, à l'extrême
nord-est de l'Ouganda.
La région de Karamoja est une des plus pauvres du pays, elle a même été confrontée à une
période de famine à la fin des années 1970 du fait de la sécheresse. Le gouvernement central
ougandais est confronté dans cette zone à des conflits armés très fréquents entre les
propriétaires de bétails impliquant l’armée et la police ougandaise. La prolifération d’armes
de guerre est liée à la proximité des conflits régionaux comme celui de la Somalie. Plusieurs
campagnes de désarmement ont eu lieu mais sans pouvoir éradiquer complètement le
228
phénomène de violence. Alors qu'elle n'est pas issue de cette région, c'est la propre femme du
président ougandais, Janet Musèlent qui est ministre en charge de cette région depuis 2009.
Elle est d'ailleurs passée du rang de secrétaire d'Etat en 2009 à ministre plénipotentiaire en
mai 2011. Cependant, ces problèmes sont loin de nuire directement au pouvoir du président.
C'est un conflit très local et au nombre de victimes très bas. Il n'en reste pas moins qu'il
constitue jusqu'alors un échec de la politique du président.
Enfin, avant d'aborder la question pétrolière, il semble nécessaire de rappeler que les deux
guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2003) dont on a longuement parlées, ont tout de même
eu une incidence sur le territoire ougandais. Plusieurs milliers de réfugiés congolais sont
venus sur le territoire ougandais. Le plus grand camp de réfugié ougandais se situe à Nakivale
dans le district d'Isingiro, frontalier avec le Rwanda. Créé dans les années 1960 afin
d'accueillir les réfugiés Tutsis chassés par le pouvoir Hutu au Rwanda, Nakivale s'est peuplé
de « populations » plus diverses lorsqu'une partie de ces Tutsis sont rentrés chez eux avec
l'arrivée au pouvoir de Paul Kagamé en 1994. Certains rwandais hutu les ont remplacés, tout
comme des congolais fuyant les pillages dès les années 1990 puis les combats à partir de 1998
avec la deuxième guerre du Congo. Ce camp a pu atteindre jusqu'à 60 000 réfugiés.
Cependant, ces guerres du Congo ont aussi été un important facteur d'enrichissement pour un
certain nombre de gradés et d'hommes d'affaires ougandais qui ont mis en place des réseaux
pour vendre les minerais (en particulier or et diamant) issu de la province orientale
congolaise. S'il y a bien eu des reflux de réfugiés congolais (venant de la province orientale
mais aussi des deux provinces du Kivu) sur le territoire ougandais à la fin des années 1990,
une bonne partie d'entre eux ont soit décidé de rentrer dans leur pays d'origine, soit ils se sont
peu à peu insérés dans la société ougandaise331.
Alors que les deux principales menaces territoriales (LRA et Karamoja) ainsi que les
membres de l’Allied Defense Forces/National Alliance for the Liberation of Uganda ADF-
Nalu -dont on a déjà parlé et qui sont principalement actifs au Congo désormais332- sont loin
de Kampala et semblent être en grande partie contrôlées par le gouvernement, le président
Museveni s’est aussi renforcé politiquement, en usant parfois de la force et du clientélisme.
Les scores du National Resistence Movement (NRM), le parti du président sont en constante 331 Multiples discussions avec des réfugiés congolais à Kampala sur une relativement longue période entre 2008 et 2011. Si cette méthode ne peut faire office d'enquête sociologique, cela peut donner une idée en retraçant leur parcours et leur demandant des nouvelles de la communauté congolaise qui se côtoie beaucoup dans la capitale ougandaise. 332 International Crisis Group, “Black gold in Congo: Threat to stability or development opportunity?”, Africa Report 188, juillet 2012.
229
hausse depuis les élections de 2001. Pour les premières élections organisées sous sa
présidence, en 1996, il a obtenu 75,5%, mais il n'y avait aucune structuration de partis
d'opposition. En 2001 où il était en compétition contre son ancien médecin personnel Kezza
Besigye, Museveni remporte les élections avec 68,3% des suffrages. L’année 2006 est une
élection importante car Museveni ne gagne "qu’" avec 59% contre Besigye. Cette dernière
élection a d'ailleurs été très disputée et fortement contestée par le challenger de Museveni.
Après une forte réorganisation du parti NRM et une stratégie de reconquête et de contrôle des
zones peu enclines au président comme dans le Nord, les élections de février 2011 reviennent
à des scores d'antan, Museveni est élu dès le premier tour avec 68,3%. L'élection de 2006 a
été très mal vécue par le président qui a senti que trop de liberté et de démocratie (la liberté de
parole et de faire campagne n'a jamais été aussi ouverte qu'en 2006) peut à terme le mettre en
danger. Il a donc mis en place une politique de reprise en main des districts rebelles grâce à
des intimidations et des débauchages généralisés de cadres des partis d'opposition qui
comptaient dans leur zone. Cela s'est évidemment accompagné d'argent, en particulier dans
les zones clés comme dans l'ouest pétrolier333.
L'arrivée du pétrole est une donnée importante pour un pays qui a toujours été très dépendant
de l'aide étrangère pour son budget. Pour la seule année fiscale 2011, près d'un milliard de
dollars (soit 1681 milliards de shillings) viennent de l'aide étrangère sur un budget total de 3
milliards de dollars (soit 8,374 milliards de shillings)334. Cela fait qu'un tiers du budget vient
de l'extérieur. Ce ratio est d'ailleurs en progrès car il a atteint jusqu'à 50% au milieu des
années 2000. Le début de la production vers 2016/2017 devrait donc faciliter une nouvelle
indépendance de l'économie ougandaise. Encore faut-il utiliser à bon escient la future manne
pétrolière. La description des années d'exploration et de découvertes peuvent déjà nous
donner des indices à ce sujet.
333 Nombreuses discussions avec des maires et députés de la région ouest, en particulier avec celui d’Hoïma, Francis Atugonza. 334 Discours du ministre des finances Maria Kiwanuka devant l'assemblée, Daily Monitor du 8 juin 2011 : http://www.monitor.co.ug/News/National/-/688334/1177096/-/item/20/-/f7rsy1z/-/index.html.
230
Carte n°28 : Blocs pétroliers en exploration en Ouganda
Source : Tullow Oil
3-1 Une histoire pétrolière récente
Jusqu'à la toute fin des années 1990, le côté ougandais du lac Albert (bassin du graben
Albertine335) n'a pas forcément été plus gâté par les pétroliers que le Congo voisin. Les
premières explorations datent de 1938, elles sont réalisées par le groupe sud-africain African
European Investment Company336, mais très vite ce dernier abandonne après un forage
décevant (Waki-1 près de Butiaba). La société était de plus gênée par l'enclavement du bassin
dans une période économique de prix du pétrole encore très bas. La deuxième guerre
mondiale achève le projet. Si des négociations sont menées avec le groupe anglo-néerlandais
Shell en 1988, elles n'aboutissent pas, par manque de données disponibles337. Il faut ensuite
335 Plusieurs autres bassins ont été délimités grâce à des études aériennes et sismiques dans les années 1980 : Lake Kyoga Basin, Hoima Basin, Lake Wamala Basin et Moroto-Kadam Basin. Cependant, comme seuls ceux du lac Albert et du lac Edouard font l'objet d'exploration actuellement, nous ne nous attarderons pas sur les autres. 336 Reuben Kashambuzi, The Story of Petroleum exploration in Uganda (1984-2008), 2010. 337 Selon l'ouvrage de Reuben Kashambuzi, les cadres du ministère de l'énergie se posent à l'époque la question de savoir comment récolter des données sur les bassins sédimentaires du pays sans signer de contrat d'exploration avec des sociétés étrangères? Ils vont peu à peu être contraints de se lancer eux-mêmes dans la
231
attendre les essais infructueux de Petrofina en 1991 pour que les premières sismiques soient
menées, mais la société part dès 1992 du fait des troubles au Congo (émeutes, pillages) où elle
a signé le même type de contrat. Cependant, et contrairement au Congo qui s'est peu à peu
enfoncé dans le chaos durant les dernières années de Mobutu, l'Ouganda a pu assez
rapidement rebondir. Dès février 1995, une surface de 8 500 km2 correspondant au bloc 2
(voir carte 26 ci-dessus), soit environ le tiers de la zone proche du Lac Albert fait l'objet d'un
accord d'exploration avec la société Uganda General Works and Engineering Co Ltd
(UGWEC) formée avec des fonds américains338 et ougandais (Etat). Des dépenses
d'exploration de 10 millions $ sont prévues dans la période initiale de quatre ans. En cas
d'exploitation, on parle déjà l'époque d'un contrat de 25 ans339.Cependant, dès 1995, UGWEC
s'avère incapable de dégager suffisamment de fonds pour le forage d’un premier puits
d'exploration. Sa recherche d'un partenaire trainant en longueur, le gouvernement à Kampala
lui donne jusqu'en février 1996 pour trouver des fonds et réaliser sa part du contrat. La licence
est annulée dès le mois de mars 1996340.
Le ministère des ressources naturelles en charge du secteur à l'époque341, n'a pas attendu très
longtemps pour qu'une autre société, cette fois-ci bien plus sérieuse ne vienne en Ouganda. La
canadienne Heritage Oil se met à négocier avec le gouvernement dès 1996 et signe le 15
décembre 1997 avec le ministre des ressources naturelles Gerald Sendaula (voir portrait ci-
dessous) pour explorer un bloc de 4800 km² sur les rives sud du lac Albert (actuel bloc 3, voir
carte 26).
Gérald Sendaula né en 1943, est un pilier du parti du président ougandais Yoweri Museveni,
(National Resistence Movement) arrivé au pouvoir en 1986. Sendaula a été ministre sans
discontinuité de 1991 à 2006. Commençant par le portefeuille du Commerce et l'industrie en
1991, il prend celui des ressources naturelles et de l'environnement après les élections
récolte de telles données. Les sociétés pétrolières sont frileuses à l'époque du premier contre choc pétrolier de 1986 où le cours du brut est de l'ordre de 10 dollars le baril (à comparer avec les 34 à 40 durant le deuxième choc pétrolier issu de la révolution iranienne de 1979). 338 Les Américains font partie de la société californienne International Resources Development Group. Cette dernière, totalement inconnue du monde pétrolier, ne va d'ailleurs pas s'avérer suffisamment fortunée pour poursuivre l'exploration. 339 Africa Energy Intelligence, n°253, 15 juin 1994. 340 Africa Energy Intelligence, n°296, 1er mai 1996. 341 La tutelle sur le secteur pétrolier va être exercée jusqu'à la fin des années 1990 par le titulaire du portefeuille des ressources naturelles. Puis à partir de 2001, c'est l'énergie qui se charge principalement des explorations pétrolières avec quelques interférences de temps en temps. Un département exploration/production est créé à la fin des années 1990 et directement rattaché à l'énergie.
232
présidentielles de 1996 où il est l'un des 40 cadres pilotant la campagne de Museveni. Ensuite
de 1998 à 2006, il sera le ministre des finances du pays. Preuve de l’importance de son rôle, il
continue au même poste après les élections présidentielles de 2001. Il est depuis le président
du conseil d'administration de la banque ougandaise: Tropical Bank ainsi que le président de
l’Uganda Revenue Authority qui gère les impôts. Sendaula est un grand propriétaire terrien, il
produit du café dans son district natal de Masaka (au sud-ouest de Kampala).
Cette zone sud appelée le bassin de Semliki (du nom de la rivière éponyme qui se jette dans le
Lac Albert) est déjà considérée à l'époque par l'équipe ougandaise en charge du pétrole,
comme la plus prospective342 (cela sera prouvée plus tard avec le découverte du champ de
Kingfisher par Tullow). Le directeur général de Heritage Bryan Westwood (dont on a déjà
parlé au Congo), propose même quelque 200 millions de dollars d'investissement sur
plusieurs années. Le montant est tellement élevé pour le pays, peu habitué à tant d'intérêt,
qu'il en est presque suspect343. Dès le mois de décembre, Heritage est rejoint par la petite
compagnie australienne Hardman Resources qui prend un périmètre de 4675 km² au nord du
lac Albert (équivalent du bloc 2 aujourd'hui). Cette dernière est déjà présente en Mauritanie
où elle a pris pied en octobre 1996 dans l'offshore. En septembre 2001, Heritage fait entrer à
hauteur de 50 % la société sud-africaine Energy Africa sur le bloc 3 afin de partager les frais
du premier forage.
Après avoir quitté l'Ouganda en 1999, les Australiens de Hardman Resources reviennent le 8
octobre 2001 grâce à la signature d'un accord pour prendre 50% du même bloc 2 aux côtés du
partenaire sud-africain d'Heritage, Energy Africa344. Au mois d'avril 2003, Heritage met
finalement à jour les premières traces de pétrole et gaz (bloc 3) de l'histoire de l'Ouganda,
situé au sud du Lac Albert. Voyant ses efforts récompensés, Heritage obtient en 2004 le bloc
1 (au Nord du lac) aux côtés d’Energy Africa qui vient d'être racheté quelques mois plus tôt
par Tullow Oil. Grâce au forage de Waraga-1, cette dernière met à jour de nouvelles
découvertes le 13 mars 2006 sur le bloc 2 qu'elle opère avec Hardman. A la fin de l'année,
c'est d'autres succès sur le bloc 3A qui viennent confirmer le potentiel de la zone qui, après les
rachats de Energy Africa en 2004 puis de Hardman Resources en septembre 2006 par Tullow,
n'est plus exploré que par cette dernière (50% du bloc 1 et 3A et 100% du 2) et Heritage (qui a
342 Kashambuzi, Ibid, p. 6. 343 Conversation avec des cadres ougandais du ministère de l'énergie qui étaient déjà en charge à l'époque des faits. 344 Africa Energy Intelligence, n°425, 17 octobre 2001.
233
50% du bloc 1 et 3A). La concentration des efforts d'exploration entre les mains de seulement
deux acteurs favorise une conduite rapide, voire très rapide, des travaux d'exploration.
Après avoir effectué de multiples découvertes en commun, plus d'une trentaine de puits sont
forés entre 2006 et 2009 (soit plus d'un milliard de barils de réserves), Heritage décide que le
moment est venu de se séparer de ses actifs ougandais345. A l'été 2009, elle propose ses
participations sur les blocs 1 (50%) et 3A (50%) à plusieurs sociétés. Le président de la
société italienne ENI Paolo Scaroni profite de son voyage calamiteux au Congo (d'où il est
reparti bredouille, voir début de cette partie sur le Congo) pour s'arrêter en Ouganda le 13
août. Il y rencontre le président Yoweri Museveni et lui fait passer le message que sa société
voudrait investir au plus vite dans son pays. La société commence à faire jouer ses réseaux à
Kampala et le 23 novembre 2009, une offre de 1,45 milliard de dollars est officiellement
acceptée par Heritage pour le rachat de ses actifs par la firme italienne. Cependant, Heritage
qui a déjà signé un accord de principe avec les italiens, est gênée par son partenaire Tullow.
Réagissant à cette annonce de cession, Brian Glover, qui dirige les opérations de Tullow Oil
en Ouganda346, contre-attaque immédiatement en déclarant publiquement que sa société
dispose, d’un droit de premier refus347, ce qui est tout à fait véridique du point de vue
strictement légal. Si la société anglo-irlandaise n'a au départ aucun apriori vis-à-vis d'ENI, elle
ne veut pas se faire imposer un partenaire qui risquerait de lui "voler" la conduite futur du
projet. Et ce d'autant plus qu'ENI n'est pas une petite société, elle a une très importante
capacité financière et possède une longue expérience de gestion de projets de grandes
tailles348. Mais Tullow estime qu'ayant fourni les efforts initiaux dans une région à laquelle
personne ne croyait cinq ans plus tôt, elle doit pouvoir négocier elle-même les conditions d'un
partenariat et ainsi continuer à garder l'ascendant sur la conduite des opérations.
Les deux sociétés se livrent donc à un combat sans merci pour prendre le contrôle des parts
d'Heritage. Le PDG d'ENI, dans un entretien au quotidien italien La Repubblica daté du 25
345 En plus d'une confortable plus value pour ses actionnaires dont certain comme Tony Buckingham vont d'ailleurs considérablement s'enrichir grâce à l'opération, Heritage veut surtout utiliser cet argent pour financer ces projets de développement pétrolier au Kurdistan Irakien où les potentiels sont très importants. 346 La filiale ougandaise de Tullow est présidée depuis 2007 par Elly Karuhenga. Ce dernier que nous avons pu rencontrer, est un avocat aux réseaux très puissants, il a été député du district de Nyabushozi. Depuis 2010, il est également le président de l'Uganda Chamber of Mines & Petroleum qu'il a lui-même créé. Karuhanga est l'un des membres du Rotary club le plus prestigieux de Kampala. 347 Cette disposition légale prévoit qu'en cas de cession d'actif sur un bloc pétrolier, les autres actionnaires restant sur le périmètre (s'il y en a) sont privilégiés dans le cas d'une vente. Ils doivent cependant pour cela s'alignent sur la meilleure offre extérieure proposée par des sociétés non partenaires. 348 Hors d'Afrique, ENI est l'une des majors impliquées dans le développement du champ géant de Kashagan au Kazakhstan (20 milliards de barils). Ce dernier découvert en 2000 ne devrait pas produire avant 2013/2014. Les défis climatiques, géopolitiques et techniques sont légion.
234
janvier 2010, donne un aperçu des investissements promis en Ouganda au cas où les parts
d'Heritage lui reviendraient. Scaroni promet de dépenser pas moins de 13 milliards de dollars
pour une raffinerie, une centrale électrique, un oléoduc allant du lac Albert jusqu'à Dar es-
Salaam en Tanzanie, ainsi que pour la réhabilitation d'une ligne de chemin de fer entre
Kampala et Mombasa (Kenya). Le responsable Afrique de Tullow Oil, Tim O'Hanlon,
s'entretient le même jour, le 25 janvier, avec le président Yoweri Museveni à Entebbe. Tullow
a de quoi être inquiet, le ministre ougandais de l'énergie, Hilary Onek, a déclaré publiquement
mi-janvier que l'Ouganda soutenait ENI pour l'achat des participations d'Heritage, et ce afin
d'éviter une situation de monopole de Tullow. En effet, en cas de reprise par Tullow des actifs
de son partenaire, la société aurait 100% sur les trois blocs entourant le lac Albert.
Lors de cette rencontre avec le chef de l'Etat ougandais le 25 janvier 2010, O'Hanlon tente de
démontrer qu'il n'y aurait aucun monopole en cas d'achat des parts d'Heritage par Tullow. En
effet, le groupe irlandais a initié dès la fin du premier semestre 2009 (soit quasiment au même
moment qu'Heritage) un processus pour trouver des partenaires afin de développer ses blocs
dans le pays. Au départ, ce processus avait pour but premier de partager les coûts, car les
découvertes s'accumulant, la taille de la société devient un handicap. Elle ne peut pas lever
suffisamment d'argent pour ce type de projet. Mais, dans le cas du rachat des parts de
Heritage, cette stratégie est devenue un atout pour démontrer le souhait d'éviter tout
monopole. Ironie de l'histoire, la major italienne a d'ailleurs fait partie des sociétés avec
lesquels Tullow a négocié en 2009 pour lui vendre une partie de ses actifs dans les blocs 1 et
3A, ainsi que dans le bloc 2, qui borde aussi le lac Albert et que Tullow opère. L’accord du 23
novembre entre l’ENI et Heritage prive donc Tullow d’un acheteur potentiel.
Les candidats privilégiés par le groupe anglo-irlandais sont connus dès le mois de janvier
2010 : la major française Total et China National Offshore Oil Corp. (CNOOC). Le PDG de
CNOOC Fu Chengyu se trouve d'ailleurs aux côtés de Tim O'Hanlon lors de la rencontre du
25 janvier avec le président Museveni349. Le chef des opérations de Tullow en Ouganda, Paul
McDade, annonce par ailleurs opportunément le 27 janvier que les champs ougandais
commenceraient à produire 1 000 b/j à la fin de l'année. La production passera à 10 000 b/j en
2011, puis atteindra 150 000 en 2015350.
349 Fu Chengyu va d'une certaine façon servir la stratégie de Tullow qui est d'éviter au maximum d'être perçue comme une société qui fait tout pour être en situation monopolistique. 350 Ceci s'est avéré être démenti car en 2011, il n'y a toujours aucune production pétrolière en Ouganda.
235
Il faut cependant attendre le 26 juillet 2010 pour que le gouvernement ougandais donne enfin
un accord de principe pour le rachat pour 1,45 milliard de dollars des actifs d’Heritage par
Tullow. Cette dernière possède alors 100% des blocs 1, 2 et 3A. Cependant la rudesse de la
bataille entre les deux sociétés a laissé des traces : dans un télégramme de l'ambassade
américaine de Kampala qui a fuité grâce à Wikileaks en 2010, Tim O’Hanlon aurait indiqué à
l’ambassadeur américain que deux ministres ougandais auraient appuyé (contre d'importantes
rétributions financières) la candidature du groupe italien. Il a accusé nommément le ministre
de l'énergie, Hilary Onek (sur lequel nous reviendrons plus tard), et celui de la sécurité,
Amama Mbabazi (également à l'époque secrétaire général du National Resistance Movement,
le parti du président Yoweri Museveni) d'être derrière le lobbying en faveur d'ENI. Mbabazi
est un proche du président, il a d'ailleurs été nommé premier ministre le 24 mai 2011. Si
O'Hanlon a démenti avoir tenu de tel propos lors de la mise en ligne du télégramme, il est très
vraisemblable (selon nos multiples conversations avec l'intéressé et compte tenu de son
caractère) qui l'ait tout de même prononcé ces accusations.
Le 29 mars 2011, Tullow qui possède désormais 100% des trois blocs du lac Albert, vend à
son tour (non sans mal comme on le verra plus tard) pour 2,9 milliards de dollars 33% des
trois blocs 1-2 et 3A à Total ainsi que 33% à CNOOC. Chacune des trois sociétés opérera un
des trois blocs. Tullow a choisi ces deux sociétés car elles sont complémentaires. La société
irlandaise est non intégrée, elle n’est active qu’en exploration-production, elle a donc besoin
de partenaires ayant des compétences pour produire mais aussi pour construire des oléoducs
(indispensables pour exporter le brut) et une raffinerie en Ouganda (exigence du président
ougandais Yoweri Museveni). CNOOC et Total sont capables de construire ou au moins
d'encadrer de tels travaux.
En parallèle à ces trois blocs, deux autres blocs vont être attribués à de petites sociétés.
D'abord le bloc 5 au nord du lac Albert, uniquement onshore, que prendra la compagnie
britannique Neptune Petroleum en janvier 2006. Cette dernière sera rachetée la même année
par Tower Resources351. Le permis de Tower Resources est renouvelé en mars 2010 sur un
périmètre réduit352.
351 Tower Resources est dirigé par Peter Kingston, également administrateur indépendant de Soco (présent en RDC sur le bloc 5). Tower est financièrement soutenue depuis 2008 par le fonds australien Global Petroleum qui pourrait prendre à terme 25% du bloc 5. Le président de Global Petroleum, Mark Savage, est également au conseil d'administration de Tower. 352 A chacune des périodes d'exploration -en Ouganda elles sont de deux ans chacune et renouvelables trois fois- la superficie du permis est réduite de 50%. Les zones ainsi rendues vont à l'Etat qui a tout loisir de les redonner à de nouvelles sociétés. C'est cependant la société opératrice qui décide des parties du bloc qu'elle redonne à l'Etat.
236
Celui entourant le lac Edouard (4B) est donné en juillet 2007 à Dominion Petroleum qui est
devenue en 2010 actionnaire d'un autre permis de l'autre côté de la frontière sur le bloc 5
congolais (avec Soco). Dominion a été assisté dans sa démarche qui a duré quasiment un an,
par l'ancien ministre de l'énergie Richard Kaijuka (1998/1999) qui est d'ailleurs devenu
brièvement le directeur général de sa filiale ougandaise dès 2007. La société a effectué un seul
forage en 2010 qui s'est avéré décevant, cependant il lui a permis de mieux comprendre la
géologie. Dominion compte beaucoup sur l'acquisition de son bloc congolais pour mieux
comprendre cette zone.
D'une exploration embryonnaire à la fin des années 1990 avec de très petites sociétés qui ont
rapidement abandonnées, l'Ouganda se retrouve après une décennie d'exploration, avec des
majors pour mener à bien un projet pétrolier considérable. Le but: produire quelque 250 000
bpj d'ici à 2016/2017. Cependant, depuis 2007, aucun nouveau permis n'a été attribué, faute
d'une législation suffisamment précise. Le secrétaire d'Etat ougandais à l'énergie, Simon
D'Ujanga, avait pourtant annoncé en 2007 que les attributions de permis d'exploration ne
seraient gelées que pendant un an353.
Cinq ans après cette annonce, il n'y a toujours pas eu de nouveau bloc offert. Pas moins de 82
pétroliers ont déposé des offres auprès du ministère de l'énergie, pour opérer les zones
récemment rendues par Tullow Oil sur les blocs 1, 2, et 3A sur le lac Albert. Parmi les
candidats figurent notamment les Russes de Lukoil354, la compagnie privée Cairn India, la
société nationale indienne ONGC, ainsi que CNPC, Caprikat et Foxwhelp (déjà opérateurs
des blocs 1 et 2 du côté congolais du Graben Albertine). ExxonMobil a également discuté
avec le ministère ougandais de l'énergie mais n'a pas déposé d'offre formelle.
3-2 La gouvernance du secteur pétrolier en Ouganda
Le secteur pétrolier en Ouganda est administré par le ministère de l'énergie qui a aussi la
tutelle sur les questions d'électricité. Trois personnes sont la plupart du temps en charge du
secteur, un ministre titulaire, un secrétaire d'Etat à l'énergie et un autre préposé au secteur
minier. Ce dernier est également amené à intervenir sur le pétrole mais il est sous la tutelle du
ministre de l'énergie. Contrairement à ce qui se fait au Congo depuis la fin des années 1990
353 Africa Energy Intelligence, n°567, 24 octobre 2007. 354 Le pétrolier russe part avec un avantage car les relations entre l'Ouganda et la Russie sont au plus haut. La Russie a ainsi livré en juillet 2011 à Kampala deux des six chasseurs Sukhoï 30 Mk2 commandés en août 2010. Le président Museveni a convaincu en juin les parlementaires de voter une partie du paiement de ces avions, qui serviront à protéger la zone pétrolière. De plus, Moscou avait, dès le départ, proposé à l'Ouganda des facilités de paiement si Lukoil obtenait des périmètres d'exploration. Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.
237
avec Jean-Victor Mpoyo puis de façon régulière depuis l'élection de Joseph Kabila en 2006, le
président Yoweri Museveni n'a jamais fait le choix de nommer un ministre qui serait
uniquement en charge du pétrole et des hydrocarbures. A quelques exceptions près, le poste
n'a pas vraiment été donné à des pontes de son parti, National Resistance Movement (NRM).
Les ministres en charge de l'énergie se sont donc principalement attelés durant leur mandat
aux problèmes liés à la pauvreté de l'offre électrique dans le pays. L'énergie est cependant un
poste très difficile car très exposé, il fait donc figure de test pour le président ougandais, afin
d'éventuellement faire grimper les impétrants à de fonctions plus "stratégiques". Les
mécontentements de la population liés à l'irrégularité de la fourniture de courant ou alors à la
pénurie de carburant sont légion. En effet, la totalité de l'essence consommée en Ouganda
vient du Kenya, soit du port de Mombasa depuis les pays du golfe soit directement de la
raffinerie de la ville portuaire kenyane. L'absence de portefeuille dédié au pétrole pouvait
s'expliquer jusqu'à récemment, car le pays n'a jamais produit et donc il n'y avait pas lieu de
créer un poste spécifique, contrairement au Congo qui produit depuis les années 1970.
238
Tableau 4 : Ministres en charge du secteur du pétrole depuis la fin des années 1990
Ministres en charge du
secteur pétrolier
Vice-ministre Durée de la fonction du
ministre en titre
Fonction suivante
Gérald Sendaula 1996/1998 Ministre des finances
de 1998 à 2006.
Richard Kaijuka 1998/avril 1999 Cadre à la Banque
mondiale (écarté pour
corruption)
Hajjat Syda Bbumba Francis Babu (jusqu'en
2001) puis Daudi
Migereko jusqu'en
2005
1999/2006 Ministre affaires
sociales et emploi puis
finances
Daudi Migereko Michael Kafabusa
Werikhe (2005/2006)
puis Simon D'Ujanga
2005/2009 Responsable des
députés de la majorité
à l'Assemblée (écarté
pour corruption)
Hilary Onek Simon D'Ujanga 2009/2011 Ministre de l'intérieur
Irene Muloni Simon D'Ujanga Mai 2011/- En poste
L'analyse du tableau 4 ci-dessus montre qu'il y a eu, contrairement au Congo, assez peu de
ministre en charge de ce portefeuille. Six titulaires seulement de 1996 à 2011, ce qui peut
nous amener à formuler plusieurs conclusions. D'abord que ce ministère est souvent donné à
des hommes de dossier membre du NRM ou même parfois des ingénieurs, assez peu à des
hommes ou femmes355 très politisés. Ensuite que l'exposition du poste n'a jamais vraiment
discrédité les titulaires car ils poursuivront après leur passage à l'énergie une carrière politique
à de hautes fonctions. Seul Richard Kaijuka, soupçonné d'avoir accepté de l'argent en échange
d'un appui concernant le projet de barrage de Bujagali (situé à l'est du pays proche de la ville
de Jinja), a été écarté du pouvoir à Kampala mais replacé tout de même à un poste à
responsabilité au sein de la Banque mondiale. Il faut cependant diviser en deux la période
choisie pour le tableau ci-dessus. Il y a d'abord les premières années d'exploration à la fin des
années 1990 qui n'ont pas véritablement conduit à la dépense de gros montants. Ensuite,
Heritage Oil rentre à partir de 2003 dans la période des forages où les moyens vont petit à
petit considérablement augmenter. C'est seulement à partir de cette époque que le ministère de
355 Syda Bumba est la ministre qui a gardé le poste de l'énergie le plus longtemps entre 1999 et 2006.
239
l'énergie dirigé par Hajjat Syda Bbumba (voir profil ci-dessous) et son Vice-ministre Daudi
Migereko (profil également ci-dessous) va commencer de traiter de façon spéciale la question
pétrolière, secteur qui occupait auparavant moins d'une dizaine de personnes.
Hajjat Syda Bbumba est née en 1952 dans le district de Nakasese (sud-est de Kampala) au
sein d'une famille musulmane (communauté importante et parfois en conflit avec Museveni).
Elle est comptable de formation. Dès 1996, elle fait partie de la commission électorale puis
est élue députée pour la première fois la même année. De 1996 à 1999, elle est chargée de la
surveillance économique (economic monitoring) à la présidence. C'est après cette expérience
que Bbumba deviendra pour la première fois ministre, en charge de l'énergie et des ressources
naturelles jusqu'aux élections de 2006. Sous le feu des critiques répétées concernant
l'approvisionnement électrique, elle est nommée au ministère du genre, affaires sociales du
travail. En février 2009, elle part aux finances jusqu'à son retour depuis mai 2011 au genre,
affaires sociales et travail. Membre active du NRM, Bbumba doit toute sa carrière au
président Yoweri Museveni qui lui a fait confiance depuis 1999 sans discontinuité. Le chef de
l’Etat a eu à utiliser les liens privilégiés de sa ministre avec la communauté musulmane, et en
particulier avec l'Uganda Muslim Supreme Council pour éviter des problèmes avec les
importants donateurs venant du golfe: La Lettre de l'Océan Indien, n°1288, 26 juin 2010.
Daudi Migereko est né en 1965 dans le district de Jinja (à 100 kilomètres à l'est de Kampala).
Diplômé de Makerere, la meilleure université du pays basée à Kampala, il va travailler dans
une société privée de 1986 à 2001, avant d'être élu pour la première fois député national du
parti présidentiel en 2001. Dès son élection, il est immédiatement propulsé comme secrétaire
d'Etat à l'énergie, poste qu'il conservera jusqu'en 2006 où il sera nommé ministre en titre.
Entre 2009 et 2011, il sera nommé chief whip (responsable du groupe National Resistence
Movement, fonction qui vise à s'assurer que les membres du groupe votent bien
conformément à la consigne de vote) à l'Assemblée nationale avant de revenir comme
ministre du logement et du foncier en mai 2011.
Lorsque Daudi Migereko devient ministre de l'énergie en 2006, le pays est déjà dans une autre
époque : Tullow a racheté Energy Africa en 2004 puis Hardman Resources en 2006. On sait à
ce moment-là que l'Ouganda deviendra une nouvelle province pétrolière africaine de premier
plan. Migrereko et son adjoint Simon D'Ujanga (profil ci-dessous) que nous avons tout deux
240
rencontrés en 2008 ainsi qu’en 2011, sont donc les personnes qui ont accompagné les succès
des dizaines de forages positifs.
Simon D'Ujanga né en 1953 dans le district de Zombo (au nord de l'Ouganda) est ingénieur
électricien de formation. Dès 1994, il devient directeur général adjoint de l'Uganda Electricity
Board (organe étatique de pilotage du secteur de l'énergie) puis directeur général jusqu'en
1999. En 2001, il décide de se lancer en politique et se fait élire député du district de Nebbi
(nord-Est du pays, zone faisant partie des explorations pétrolières). En juin 2006, il devient
secrétaire d'Etat à l'énergie, poste auquel il est conforté en mai 2011. D'Ujanga n'a pas eu le
soutien du National Resistence Movement pour se présenter aux élections législatives de
2011. Il est donc l'un des rares ministres qui ne soit pas également député. Loi non écrite, les
ministres doivent normalement être élu local. Avant les élections de 2011, le président a
promis à D'Ujanga qu'il garderait son portefeuille. Cela l'a dissuadé de passer à l'opposition
ou de se présenter en tant qu'indépendant.
Hilary Onek est né en 1948 dans le district de Lamwo dans le Nord du pays. Ingénieur
diplômé en URSS, il a également une formation en commerce de Harvard et de Makarere.
Spécialiste des barrages, il a participé à la construction de plusieurs ouvrages à travers le
monde avant de rentrer en Ouganda en 1980. Il incorpore la société nationale d'eau National
Water Sewarage Corp, qu'il quitte en 1998 alors qu'il occupe le poste de directeur général. Il
rentre au national Resistance Movement en 2000 et fait campagne avec succès pour Museveni
dans sa région d'origine (traditionnellement très hostile au NRM). Il est élu dès 2001 comme
député avant de prendre le portefeuille de l'agriculture en 2006 jusqu'en 2009, puis de
l'énergie de 2009 à 2011. Il est depuis mai 2011, ministre de l'intérieur.
Migereko qui a du connaître un différend avec le chef de l'Etat, est cependant remplacé par
Hilary Onek (portrait ci-dessus) en 2009. Ce dernier va notamment régler avec
l'insubmersible D'Ujanga les multiples problèmes de taxes liées à la vente des actifs de
Heritage à Tullow en 2010, puis ceux de cette dernière à Total et CNOOC en 2011 (que nous
développerons plus tard). Outre les ministres, un cadre du ministère en particulier est
incontournable dans la gestion du pétrole depuis plus de vingt ans : le secrétaire général du
ministère Fred Kabagambe-Kaliisa.
241
Fred Kabanga Kaliisa est né à Hoïma (région pétrolière actuelle) en 1954, après un diplôme
obtenu en géologie à l'Université de Makerere à Kampala, il rentre au ministère où il se
spécialise dans les questions minières. Durant sa carrière, il sera envoyé en Australie ainsi
qu'à Aberdeen en Ecosse pour se spécialiser dans l'exploration pétrolière. Il va être le
principal inspirateur des projets de lois régissant le secteur : The Mining Act, The Petroleum
Act, and The National Oil and Gas Policy, 2008, ainsi que la dernière loi en débat depuis
2010, toujours pas votée en 2012. Il est la mémoire du ministère, administration qu'il a
intégrée il y a trente-cinq ans et dans laquelle il a été associé à toutes les négociations. En cas
de nécessité de court-circuiter un ministre, c'est lui qui fait le lien avec la présidence.
Kaliisa est sans doute la personne la plus influente dans le secteur car il n'a pas d'affiliation
politique mais a tout de même réussi à nouer des liens très forts avec les personnes qui
comptent à la présidence et au parlement pour faire avancer les projets. Contrairement à tous
les ministres de l'énergie successifs depuis 1996, il a l'immense avantage d'être originaire du
district de Hoïma, futur "nœud" pétrolier de la région du lac Albert qui est aussi la commune
qui devrait accueillir la future raffinerie. Il a de ce fait de bonne relation avec les pouvoirs non
officiels sur place, comme les dirigeants du royaume de Bunyoro356 dont il a reçu la plus
haute distinction, celle de Mujwarakondo (équivalent de Lord). Le deuxième cadre
incontournable du ministère était Reuben Kashaambuzi357. Ce dernier a été le directeur de
l'Exploration & production department basé à Entebbe de la fin des années 1990 à 2009.
Depuis lors, il a pris sa retraite mais a été officiellement embauché comme conseiller
technique auprès du ministre de l'énergie jusqu’en avril 2012. Il suit avec Kaliisa le secteur
pour le président pour lequel ils peuvent être amenés à rapporter directement. Quant au
successeur de Kashambuzi à Entebbe, Ernest Rubondo358, plus jeune que les deux autres
hommes clé, il a tout de même suivi le secteur depuis les années 1980 où il était géologue
principal du département avant de devenir le directeur adjoint à Entebbe.
Comme on l'a vu dans l’organigramme, un autre poste est associé au contrôle du secteur
pétrolier, celui de secrétaire d'Etat aux ressources minérales. Le titulaire du poste depuis 2009,
356 Le royaume de Bunyoro est un des cinq royaumes ougandais (les autres étant Buganda, Toro, Anchole, Busoga), il a été créé au 16ème siècle. Tous les royaumes ont été interdits par Idi Amin Dada dans les années 1970 avant d'être réinstaurés comme un pouvoir culturel par Yoweri Museveni en 1994. 357 Reuben Kashambuzi que nous avons interrogé régulièrement depuis 2008 est parmi les rares ougandais a avoir obtenu des formations de haut niveau en géologie pétrolière dans les années 1970. Il est géologue de la London University, il a également suivi un cursus en géophysique de l'University of British Columbia (États-Unis). Il a dirigé depuis les années 1980 le Department of Geological Surveys and Mines ougandais avant de prendre la tête du nouveau Petroleum Exploration and Production Department créé en 1991. 358 Ernest Rubondo a la particularité d'avoir été en partie formé en Chine au Changchun College of Geology.
242
renouvelé dans ses fonctions en mai 2011 est Peter Lokeris. Ce dernier est député depuis 1996
du district de Chekwii, situé à l'extrême ouest du pays, frontalier avec le Kenya. Il a été à ce
titre l'un des conseillers spéciaux du président Museveni pour la région en conflit de
Karamoja. Il doit, comme pour tous les ministres, sa carrière au chef de l'Etat. Ce poste de
secrétaire d'Etat aux ressources minérales comprend donc la promotion du secteur minier
(principalement) et également parfois celui secteur pétrolier. Lokeris a participé à plusieurs
reprises à des discussions avec les pétroliers. Le 23 février 2010, il a même effectué un
voyage au Nigeria comme envoyé spécial du chef de l'Etat pendant lequel il a demandé au
président par intérim nigérian Goodluck Jonathan, l'aide de son pays dans le secteur pétrolier
ougandais359. En juin 2010, c'est le conseiller spécial du président nigérian, Emmanuel
Egbogah qui s'est rendu à Kampala pour signer un accord de principe avec Lokeris. Cet
accord prévoyait l'entraide du Nigeria pour les questions de sécurité et de gestion des
communautés locales habitants dans les zones pétrolières360. Le ministre des mines semblent
donc être parmi les ministres, l'homme de confiance du chef, de part ses précédentes fonctions
à la présidence.
C'est donc principalement sur la période commençant à partir de 2006 que nous allons nous
concentrer en étudiant particulièrement la gestion pétrolière des hommes clé dont on a évoqué
le nom et le parcours. Nous montrerons aussi l'importance des personnalités ougandaises
davantage dans l'ombre mais qui ont compté dans le développement de l'industrie pétrolière
du pays.
Avant de passer à la gestion effective du secteur pétrolier dans ce pays, il est souhaitable de
mener une réflexion sur le rôle en général des ministres en Ouganda. Au Congo, comme on l'a
vu, le poids d'un ministre dépend beaucoup de sa relation avec le président Joseph Kabila361.
Les ministres Lambert Mende et René Isekemanga n'ont pas pu faire avancer les dossiers car
il n'avait aucun moyen d'obtenir l'aval du "chef". En Ouganda, au poste de l'énergie en tous
les cas, les ministres et secrétaire d'Etat ont tous été sélectionnés pour services rendus au parti
présidentiel. Le poste de ministre est comme une récompense pour un député qui a su
accroître l'emprise du NRM dans sa circonscription362. Il y a de plus un savant dosage
359 Africa Energy Intelligence, n°623, 2 mars 2010. 360 Africa Energy Intelligence, n°630, 16 juin 2006. 361 Le président congolais dirige depuis 2006 avec une coalition. Il doit donner des portefeuilles à des hommes politiques n'étant pas membres de son parti : le PPRD. Les ministres ont un rôle particulier s'ils font parti du clan des Katangais. Cela n'est pas le cas pour Museveni qui ne distribue des postes qu'au membre du NRM. Il les choisi plutôt selon leur mérite pendant les élections et leur fidélité au parti. 362 L'Ouganda a depuis longtemps adopté un type de gouvernement pléthorique avec un ministre et un secrétaire d'Etat pour quasiment chaque portefeuille. Comme le président doit récompenser beaucoup de députés du NRM,
243
géopolitique pour essayer de ne pas trop défavoriser une région plutôt qu'une autre363.
Cependant, cette petite victoire de devenir ministre, ne donne en rien au titulaire du
portefeuille un poids suffisant pour faire avancer ses idées. Plus le dossier est stratégique,
c'est-à-dire possiblement apporteur de devises, plus la présidence va prendre l'ascendant sur le
ministre (cela ressemble en somme à la logique congolaise et à celles de certains autres pays
africains). C'est exactement comme cela que d'un portefeuille de l'énergie, assez technique,
car principalement focalisé sur les questions électriques, absolument pas rentable pour le
président, ce dernier intervenant encore au début des années 2000 assez peu dans les affaires
du titulaire de la charge, on est passé depuis 2006 à un portefeuille plus exposé, plus
stratégique et donc au moins partiellement confisqué par la présidence.
Une gestion du secteur pétrolier facilitée par la Norvège.
Alors que le Congo produit du pétrole depuis les années 1970, son avance dans la formation
des cadres dans le secteur face à l'Ouganda a été très vite rattrapée. Et pourtant, l'Ouganda n'a
jamais produit une seule goutte de pétrole. Elle a cependant appliquée dès le départ un modèle
très différent de son voisin.
A l'intérieur de l'organisation du ministère de l'énergie, une petite unité dédiée au pétrole a été
créée en 1985 au sein du Geological Survey and Mines Department (qui s'occupait de la mise
en valeur des minerais ainsi que du pétrole). Cette unité a été en partie montée grâce à des
financements de la Banque mondiale. Il faut attendre 1991 pour la création d'un département
dédié à l'exploration et la production pétrolière. Le Petroleum Exploration and Production
Department (PEPD) aura ses bureaux à Entebbe contrairement au ministère de l'énergie situé
au centre de Kampala. Ce département est composé de 90 fonctionnaires en 2011364 dont plus
de la moitié sont des cadres de haut niveau (formés à l'étranger). Nous avons pu discuter avec
certains d'entre eux à partir de 2008 lors de notre visite dans leur bureau au bord du lac
Victoria. Ces fonctionnaires suivent les explorations des sociétés pétrolières, négocient avec
il nomme un grand nombre de ministres. Le dernier d'entre eux, annoncé le 27 mai 2011, comprenait quelque 74 membres, 29 ministres plénipotentiaires et 45 secrétaires d'Etat. 363 Cette affirmation est historiquement à nuancer. Sous les multiples gouvernements de Milton Obote entre 1962 et 1971 puis entre 1980 et 1985, l'équilibre entre les différentes régions concernant les nominations ministérielles était assez bien respecté (Est =23 ministres, Ouest=23 ministres, Nord=21 ministres et centre=15). Cependant, sous le régime de Idi Amin Dada de 1971 à 1979, il y a eut un très nette accroissement des ministres venant du nord, la région natale de Dada (Est=11, Ouest=5, Centre=10 et Nord=23). Enfin, Museveni qui vient du Sud du pays (comprise officiellement dans la région ouest), est revenu depuis 1986, à un dosage assez équilibré mais qui fait tout de même la part belle à sa région (Est=51, Ouest=70, Nord=43 et Centre=65). Sources : The Observer, Michael Mubangizi, 29 mai 2011. 364 Selon la responsable de la communication du dit-département Gloria Sébikara. Ce poste a d'ailleurs été nouvellement créé en 2011, preuve que ce secteur suscite de plus en plus d'intérêt.
244
elles pour la mise en place des projets ainsi que sauvegardent et classent les données des
explorations365. Cette dernière fonction est cruciale, elle permet de faire la promotion
d'éventuels nouveaux permis lors de prochains appels d'offres. Dans l'ensemble, ces cadres
sont très aguerris dans leur domaine car ils ont reçu des formations en Norvège, Grande-
Bretagne, Etats-Unis. L'un de nos interlocuteurs, l'actuel commissioner (responsable) du
département, Ernest Rubondo, nous disait que des débats avaient même lieu avec les
compagnies pétrolières pour déterminer la place exacte de positionnement des forages366. Cela
reste cependant à relativiser et tient probablement de la fanfaronnade.
S'il a le mérite d'exister, les premières années de fonctionnement du Petroleum Exploration
and Production Department seront financièrement très difficiles. Le budget dédié à
l'exploration pétrolière passe de 3,3 millions de shillings en 1987 à 3,6 milliards en 2008
(1.280.000 dollars) soit un accroissement par 1000 (un peu moins si l'on prend en compte
l'inflation qui est assez forte en Ouganda). Cela a permis de former au moins un cadre par an à
l'étranger à partir des années 1990. Les conséquences des budgets "rachitiques" des années
1980 se mesurent concrètement sur le terrain : manque de véhicules (un seul land rover
disponible ainsi que des budgets essence misérable), manque d'équipements de mesure (GPS,
équipement de gravimétrie, seulement 2 ordinateurs en 1991 pour tout le service) et de budget
de fonctionnement pour les voyages de terrain proches du lac Albert. De plus, ces zones
d'exploration étaient difficiles d'accès, car aucune route n'était goudronnée à l'époque et les
reliefs (bien que peu nombreux) compliquaient encore davantage le travail. Du fait de
l'obsolescence des cartes disponibles, il était très compliqué de se repérer précisément, la
plupart des villages n'étaient pas répertoriés. Il a donc fallu effectuer un vrai travail de
cartographie dans des conditions particulières voire dangereuses367.
Si la plupart des cadres formés dans les années 1980 comme Fred Kabagambe-Kaliisa, l'actuel
secrétaire général du ministère de l'énergie, Reuben Kashambuzi (ancien directeur du PEPD)
et Ernest Rubondo (actuel directeur du PEPD) l'ont été grâce à des financements de la Banque
mondiale, la formation des cadres ougandais du secteur a été accélérée grâce à la coopération
norvégienne. Dès les premières découvertes, la Norvège s'est engagée à aider le pays à mettre
en place un environnement propice à la bonne gestion de ce secteur. Après des problèmes 365 Benjamin Augé, Hydrocarbons tied with border conflicts in the great lakes region of Africa, Governance of Oil in Africa, Unfinished Business, Institut Français des Relations Internationales, La documentation Française, Paris, mai 2009, p. 165-193. 366 Entretien réalisé à Entebbe en mai 2008. 367 Reuben Kashambuzi raconte dans son ouvrage que lors des travaux de terrain, à plusieurs reprises les équipes du ministère ont été chargés par les animaux sauvages comme les buffles. Certains fonctionnaires n'ont rien trouvé de mieux que de monter au cactus pour éviter de se faire prendre de front par les bêtes (p. 36).
245
avec le régime de Milton Obote368 dans les années 80, la Norvège recommence a prêter de
l'argent à l'Ouganda dès 1994369. Elle aide le secteur énergétique en particulier dès 1995370. Ce
pays a donc une longue tradition de coopération avec l'Ouganda. La Norwegian Agency for
development Cooperation (NORAD) commence son projet de soutien au secteur pétrolier
Ougandais à partir du 29 décembre 2005 avec l'Oil for development initiative. Cette dernière
dure trois ans et soutient le ministère de l'énergie et des mines ainsi que son département
exploration/production pour améliorer leur compréhension du secteur par le biais de
formation continue ou de consultation ponctuelle. Elle lui apporte aussi un soutien au niveau
légal pour mettre en place les structures de gestion (société nationale, organe de régulation...),
pour rédiger les contrats aux normes internationales, ainsi qu'une législation sur les questions
environnementales. Pour financer ce programme, NORAD propose un don de 3,276,100 de
dollars371. Cela permet notamment de payer des consultants de l'association norvégienne
Petrad372 durant trois ans. Le 9 juillet 2009, une nouvelle phase commence avec la signature
d'un contrat de coopération avec l'ambassade norvégien. Cette fois-ci, c'est un don de 8
millions d'euros destiné au secteur pétrolier qui s'étale jusqu'en 2014 (la somme ne sera pas
décaissée en une fois mais uniquement sur demande justifiée pour chaque projet réclamée par
l'Ouganda). Cette nouvelle étape est plus large que la première car elle prend davantage en
compte l'aspect environnemental en associant notamment la National Environnment
Managment Authority (NEMA373).
Ce programme fait parti d'une stratégie encore plus large de NORAD signé mi août 2009.
L'organisation a en effet consenti à un don total à l'Etat Ougandais de 37 millions de dollars
pour lutter contre la pauvreté. Sur cette enveloppe, 10,7 millions de dollars sont uniquement
destinés au secteur pétrolier pour améliorer sa gouvernance374. La Norvège accepte aussi de
368 Milton Oboté a rythmé la vie politique ougandaise depuis l'indépendance. Il a été d'abord président de l'Ouganda de 1966 à 1971, année du coup d'Etat orchestré par son chef d'Etat major Idi Ami Dada. Ce dernier est chassé du pouvoir en 1979 et Milton Oboté redevient président à la faveur d'élections peu transparentes, il est écarte en 1985 par un pouvoir de transition, lui-même renversé en 1986 par la rébellion de Yoweri Museveni. 369 La lettre de l'Océan Indien, n0658, 11 février 1995. 370 Site de l'ambassade de Norvège en Ouganda : http://www.norway.go.ug/Embassy/Development/Energy-and-Petroleum-Sector/Oil-for-Development-in-Uganda/ 371 Arntzen de Besche pour NORAD, Mid-term review of the project 0329, disponible à cette adresse : http://www.norad.no/en/Thematic+areas/Energy/Oil+for+Development/Where+we+are/Uganda. 372 PETRAD est une association à but non lucratif créée en 1989 qui regroupe tous les experts pétroliers du pays qui souhaitent donner de leur temps pour des formations et de consultations ponctuelles. Pour payer ses consultants (quasiment tous norvégiens), PETRAD ne fonctionne que grâce aux fonds de NORAD. C'est donc un organisme étatique de coopération uniquement destiné à la formation dans le domaine du pétrole. PETRAD organise notamment chaque année plusieurs sessions de formation de huit semaines en Norvège. 373 Cette dernière supervise tous les projets économiques qui ont un impact sur l'environnement. Nous avons pu discuter avec son directeur, Henry Ayamanya, à de nombreuses reprises (il a été remplacé en juillet 2011). La NEMA ne semble pas avoir beaucoup de poids pour faire valoir son point de vue face au ministère de l'énergie. 374 Africa Energy Intelligence, n°610, 26 août 2009.
246
financer les études sur la construction d'une future raffinerie. L'appel d'offres pour
sélectionner un cabinet de consultants est lancé le 17 août. L'étude, d'une durée de six mois à
compter d'octobre, avait à analyser la situation actuelle du marché régional des produits
pétroliers, mis en valeur les bénéfices d'une nouvelle raffinerie en Ouganda, ainsi que trouver
une localisation idéale et les différentes options pour le transport du brut et des produits
pétroliers.
La Norvège est sans aucun doute le partenaire qui s'est le plus impliqué dans le secteur
pétrolier en Ouganda depuis les premières découvertes commerciales. La coopération est
désintéressée si on se fie aux documents norvégiens, le choix de faire des dons et non des
prêts est également une stratégie clairement affichée. Cependant, cette coopération, capitale
pour l'Ouganda, favorise d'une façon ou d'une autre les intérêts norvégiens lorsqu'ils sont en
compétition avec d'autres. Si aucune société pétrolière norvégienne, la plus importante étant
Statoil, n'a pas de contrat dans le pays, le pays est par contre très présent dans le secteur
électrique. Les Norvégiens de Jacobsen Eleckro opèrent depuis le 5 novembre 2009 une
centrale de 50 MW qui a été construite à Namanve (à l’est de Kampala). La même société
devrait construire une autre centrale de 53 MW pour le compte de Tullow afin d'alimenter les
équipements pour la production du lac Albert375. Elle serait basée à Hoïma et produira d'ici
2013/14, avec une possibilité d'atteindre 100 MW lors d'une deuxième phase. C'est également
la Norvège qui s'occuperait des aspects environnementaux de ce chantier. La branche
ougandaise du cabinet norvégien Norplan est en effet chargée des études d'impact
environnemental. De même, plusieurs sociétés norvégiennes ont été contractées pour la
conception et la construction du barrage géant de Bujagali (250 MW) : cas de Veidekke et
Skanska International Civil Engineering.
Hors de la Norvège, très peu d'organismes de coopérations bilatérales se sont intéressées au
développement du secteur pétrolier en Ouganda. On peut quand même en citer deux autres.
D'abord l'Inde par l'intermédiaire de sa société nationale Oil & Gas National Commission
(ONGC) qui a organisé nombre de séminaires pour les cadres ougandais. Ces derniers ont été
en partie pris en charge par ONGC mais également par l'Etat ougandais376. Les Indiens sont
très présents dans le commerce en Ouganda. Beaucoup de magasins de produits d'importation
sont tenus par des citoyens d'origine indienne. Une grande communauté est présente dans le
pays depuis plusieurs générations: ils ont été amenés par le colon britannique pour notamment
375 Africa Energy Intelligence, n°581, 21 mai 2008. 376 Reuben Kashambuzi, Ibid, p 55.
247
construire les chemins de fer. Les Indiens ont d’ailleurs historiquement fait office de bouc
émissaire du fait de leur réussite économique après l'indépendance en 1962. Une partie d'entre
eux (quelque 20 000) ont été expulsés sous l’ancien président ougandais Amin Dada dès 1972
après avoir donné un ultimatum de 90 jours. Ils seraient encore quelque 10 000 aujourd'hui
dans le pays. ONGC n'a pas obtenu de marché en échange mais il n'est pas impossible qu'elle
rentre un jour dans l'exploration pétrolière. La société est depuis la fin des années 1990 très
active au Soudan du Sud voisin aux côtés des chinois de China Petroleum Corporation
(CNPC). Par contre, comme on le verra dans la troisième partie, la société privée indienne
Essar a déjà un pied en Ouganda.
La GTZ allemande (renommé GIZ depuis 2011) a également financé pendant plusieurs
années un consultant énergie377 (pétrole et électricité), hébergé dans les locaux même du
ministère de l'énergie. Concernant les bailleurs de fonds traditionnels multilatéraux, ils se sont
assez peu impliqués. La Banque mondiale n'a plus eu depuis les années 1990 de budget
spécifique, quant au Fonds monétaire international, s'il a bien parrainé avec NORAD, une
conférence sur les taxes pétrolières qui s'est tenu du 29 juin au 1er juillet 2010 à Kampala, il
n'a pas davantage un programme de soutien spécifique. L'aide au secteur pétrolier ougandais
est donc monopolisé depuis quelques années par les Norvégiens, avec le plein accord des
autres bailleurs qui seraient bien moins compétents dans un domaine très technique, la
Norvège produit du pétrole depuis 1971. Les autres préteurs ont bien assez d'autres secteurs à
accompagner dans le pays.
Une succession de textes a régi le secteur depuis les années 1980. C'est d'abord le Petroleum
exploration & Production Act (1983) puis un autre sur les pratiques dans l'exploration en 1993
qui sont votés. Ils sont complétés en 2000 par le Petroleum Act puis le Petroleum Supply Act.
Depuis 2010, une nouvelle loi est en débat au parlement. Plusieurs versions ont été amendées
durant la session parlementaire 2010/2011, sans vote. Depuis le début de la décennie 2000,
deux textes de principe, sensés montrer la vision du gouvernement pour ce secteur, ont été
rédigés par les services du ministère de l'énergie, toujours accompagné par les Norvégiens de
NORAD. D'abord l'Energy Policy qui est publié en 2002. Ce dernier n'est pas spécifique au
pétrole mais à tous les secteurs dont le ministère de l'énergie à la charge. Seules quelques
pages sont consacrées à l'exploration où seules des généralités sont mentionnées. La plus
importante partie du rapport concerne l'électricité (hydraulique, renouvelable et centrale
377 Nous avons pu rencontrer Philippe Simonis plusieurs fois en 2008 puis nous avons garder le contact par des conversations téléphoniques ensuite.
248
thermique), le pétrole n'est traité que comme un sous-secteur378. En 2008 enfin, un texte de 56
pages est entièrement dédié à la question de l'exploration et la production du pétrole :
National Oil and Gas Policy for Uganda. L'introduction rappelle bien le contexte, la
découverte de plusieurs champs conséquents depuis 2006 a conduit le ministère à rédiger ce
rapport avec ses partenaires. Le rapport rappelle que 300 millions de barils de réserve ont déjà
été mises en valeur grâce à plusieurs champs (en 2011, Tullow parle de plus d'un milliard de
réserves certaines et 2,5 milliards probables). C'est la première fois qu'est mentionnée la
nécessité de créer une société pétrolière nationale.
La nouvelle loi discutée depuis 2010 au parlement prévoit (selon un premier jet que nous
avons pu nous procurer) la création d'un nouvel organe de régulation (Petroleum authority Of
Uganda) qui serait notamment chargé de délivrer les permis et de contrôler le travail des
compagnies. Cette autorité de régulation aurait un conseil d'administration, un directeur
exécutif et aurait le pouvoir de nommer des comités pour régler des points techniques. La
future autorité de régulation hébergerait aussi une commission (article 117) dont la tâche sera
de déterminer le prix des produits pétroliers vendus sur le territoire ougandais. Si le projet de
loi mentionne bien la création d'une société nationale, un seul article lui est consacré (article
42). Cette dernière pourra notamment prendre des participations dans les périmètres
d'exploration. Alors que la loi n'était toujours pas adoptée, le projet de budget 2010-2011,
avait déjà prévu 1,4 million $ pour la création de l'autorité de régulation et de la société
nationale (sachant qu’aucun de ces deux organes n’ont été créé, on peut se demander où
l’argent est passé). L'Ouganda impose aussi d'associer les sociétés nationales : l’article 128
oblige en effet les pétroliers étrangers à travailler avec les sociétés locales si elles s’alignent
sur les prix et la qualité des prestations de leurs concurrents étrangers. Cependant un point que
devra corriger la version finale est la fiscalité, le projet de loi reste vague et ne chiffre ni le
niveau des royalties, ni celui des taxes. Ces paramètres seront déterminés lors des
négociations avec les opérateurs379.
Si cette nouvelle loi n'est toujours pas votée, deux ans après les premières discussions au
parlement, ce n'est pas par manque de soutien dans l'hémicycle, le National Resistence
Movement (NRM) du président Yoweri Museveni contrôlait 60% des députés dans la
378 Energy Policy 2002, http://www.rea.or.ug/userfiles/EnergyPolicy%5B1%5D.pdf. 379 The Draft petroleum Bill, avril 2010.
249
législature 2006/2011380. C'est davantage pour discuter avec les sociétés des taxes et
conditions ainsi que pour mettre au point la clé de répartition des revenus pétroliers entre
l'Etat, les régions, les districts de production, et le royaume de Bunyoro. Seulement, même ces
raisons sont un peu minces, surtout que les députés de la nouvelle Assemblée ont énormément
poussé pour que la loi leur arrive entre les mains (voir partie sur le pouvoir du parlement).
Le contrôle présidentiel du secteur pétrolier
Grâce à une sélection plutôt efficace des sociétés qui travaillent sur la partie du graben
albertine qu'il contrôle, l'Ouganda contrairement au Congo, n'a pas bridé les chances de son
exploration pétrolière. Les pétroliers ont tous foré à temps et respecté les travaux mentionnés
dans leur contrat. Seul point noir, Tower Resources est finalement parti du bloc 5 en 2012381,
voir carte 26 pour la localisation des permis. Comme on l'a vu aussi, les fonctionnaires en
charge du secteur sont peu nombreux mais bien "armés" pour négocier avec les sociétés
pétrolières. Cependant, peu à peu, la présidence semble prendre le contrôle du secteur
directement, sans concéder de véritables contre-pouvoirs. Historiquement, le rôle des
ministres de l'énergie n'a jamais vraiment été entravé par la présidence. Cela a clairement
changé suite aux importantes découvertes pétrolières depuis 2006. Yoweri Museveni a bien
compris l'importance de cette matière première et donc son intérêt à la protéger.
Avant d'étudier le rôle réel que peut jouer le parlement dans le secteur, revenons un moment
sur celui du ministre de l'énergie. Selon le projet de loi de 2010 régissant le secteur, qui
devrait passer devant l'Assemblée nationale en 2012 (elle était déjà prévue pour 2011), tous
les pouvoirs concernant la gestion du pétrole sont attribués au ministre de l'énergie. Il a ainsi
la haute main sur le département d'exploration/production d'Entebbe, sur la nouvelle société
pétrolière nationale ainsi que sur la nouvelle autorité de régulation qui délivrerait notamment
les blocs aux sociétés pétrolières. Cependant, l'un des problèmes est le choix crucial des
ministres par le président. En effet, depuis 2006, que cela soit Daudi Migereko avec son Vice-
ministre Simon D'Ujanga, Hilary Onek depuis 2009 ou bien la ministre nommée en mai 2011,
Irene Muloni, ils sont tous des spécialistes des questions électriques ou alors des politiciens
qui ont réussi dans leur région à fédérer la population derrière Museveni. Aucun n'a une
expérience de géologue ayant eu précédemment un rapport avec le pétrole, sujet sensiblement
différent de celui de l'électricité. Cette absence de ministre technicien du pétrole n'est pas non
380 Ce pourcentage s'est encore accru aux élections du 18 février 2011. Sur 375 parlementaires, 263 ont été élus sous les couleurs du NRM, ce qui porte à 70%, le pourcentage de la formation du président dans l'hémicycle ougandais. 381 Africa Energy Intelligence, n°678, 27 juin 2012.
250
plus contrebalancée par l'expérience du secrétaire d'Etat aux ressources naturelles, Peter
Lokeris, comptable de formation.
Et pourtant, Museveni avait fait entendre à certains de ses conseillers avant les élections de
2011 qu'il serait souhaitable de créer un poste de ministre du pétrole, dissocié de celui de
l'énergie (qui serait dédié uniquement aux questions électriques). Dans les conciliabules avant
les nominations, certains noms avaient même été mentionnés pour occuper cette nouvelle
fonction, comme par exemple celui d'Amelia Kyambadde382, qui a été la secrétaire
particulière du président Yoweri Museveni pendant presque deux décennies. Kyambadde
avait donc l'avantage de jouir de la totale confiance du chef de l'Etat. Elle avait également été
trésorière du NRM. Mais finalement, le président a préféré ne pas créer de poste chargé du
pétrole.
Officiellement, c'est donc la nouvelle ministre de l'énergie et des ressources minérales, Irène
Muloni, qui est en charge du pétrole depuis le 27 mai 2011. Dans les faits, la présidence l'a
choisie pour conserver la haute-main sur ce secteur-clé383. Ingénieure électrique de formation,
Muloni384 a davantage un profil de technicienne tout comme son prédécesseur. Elle a dirigé la
société nationale de distribution : Uganda Electricity Distribution Co. Ltd de 2001 à 2005.
C'est une fois de plus, le tout puissant secrétaire général du ministère, Fred Kabagambe
Kaliisa, qui a plaidé pour que le futur ministre soit un technicien. Il avait de mauvaises
relations avec l'ancien titulaire, Hilary Onek, jugé trop politique. Muloni qui n'a aucune
connaissance dans le pétrole, va donc s'occuper principalement de l'électricité et Kaliisa et la
présidence continueront de suivre les questions pétrolières385. Le secrétaire d'Etat aux
382 Amelia Kyambadde a finalement été nommée ministre du commerce en mai 2011. Elle a démissionné de son poste au côté du président pour se présenter en février 2011 aux élections législatives dans le district de Mpigi (centre). Kyambadde a été notamment évoqué pour le poste de ministre du pétrole et du gaz dans le quotidien privée Daily Monitor. Plusieurs sources personnelles nous avaient également parlé de la création du poste. 383 Nos échanges téléphoniques avec Irene Muloni montrent sa crainte à parler sur le secteur pétrolier. Elle n’a pas accepté de nous rencontrer lors de notre dernier passage à Kampala en novembre 2011. Cela n’a rien à voir avec la difficulté de son emploi du temps mais bien avec la sensibilité autour du secteur pétrolier actuellement. 384 Irene Muloni, née en 1960, a commencé à s'intéresser aux affaires publiques au milieu des années 1990 et a été candidate sans succès pour le National Resistance Movement (NRM) à plusieurs reprises aux élections législatives dans l'Est du pays (elle est issue du district de Bulambuli) avant d'être finalement élue en 2011. Muloni était jusqu'à peu administratrice de la banque locale Finance Trust. 385 Contrairement au Congo voisin, le secteur minier n'est pas très développé en Ouganda. Il n'y a donc pas beaucoup de géologues capables de comprendre le secteur pétrolier pour éventuellement prendre le portefeuille du pétrole. Les géologues rentrés en politique sont d'autant plus rares. Les mines ont été très importantes en Ouganda jusque dans les années 1970 où 30% des devises du pays provenait de la vente de minerais. Cependant l'industrie s'est écroulée à l'arrivée du pouvoir militaire d'Idi Amin Dada en 1971. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Nordic Development Fund ont réalisé en 2009 un recensement géophysique aéroporté de haute résolution sur l'ensemble du territoire afin de faire la promotion du secteur auprès des investisseurs (Africa Mining Intelligence, n°200, 1er avril 2009). Le pays est potentiellement riche en or (quelques mines déjà en production), tantalite, cuivre et cobalt. On parle aussi fréquemment de l'uranium.
251
ressources naturelles Peter Lokeris, sous la tutelle de Muloni, est également trop proche du
président, après avoir été son conseiller pour Karamoja, pour le gêner dans la gestion
pétrolière.
Le rôle des ministres comme porte-voix du président face aux pétroliers.
Une affaire assez particulière a montré la volonté du président d'utiliser ses ministres pour
mettre au pas les compagnies pétrolières. Alors que Tullow Oil l'emporte sur ENI pour
racheter les parts d'Heritage sur les blocs 1 et 3A, grâce à un accord de principe
(memorandum of understanding) avec le gouvernement intervenu le 26 juillet 2010, un
nouvel imprévu va faire durer le suspense pendant l'année 2010. Le ministre de l'énergie
Hilary Onek, qui va être le porte voix du président (et en sera gracieusement récompensé)
demande, pour que cet accord soit définitivement conclu, que Heritage paie 404 millions de
dollars de taxe. La société refuse et lance une procédure d'arbitrage à Londres contre l'Etat
ougandais. Cependant, cette affaire rejaillit sur Tullow, ainsi bloqué et ne pouvant jouir
comme il l'entend des participations qu'il vient juste d'acheter pour 1,5 milliard de dollars.
Pour faire pression sur Tullow, Hilary Onek ne renouvelle pas la licence sur le bloc 3A dont
la période initiale d'exploration était arrivée à échéance le 7 septembre 2010. S'en suit une
longue bataille entre Tullow, Heritage et l'Etat qui dure jusqu'en mars 2011. Tullow décide
alors le 15 mars 2011 de payer quelque 455 millions de dollars au gouvernement,
correspondant à une partie de l'argent que Héritage doit à l'Etat (314,7 millions de dollars)
ainsi que 141 millions de dollars correspondant à une partie des taxes liées à la vente à Total
et CNOOC386. Tullow est forcé de se substituer à Heritage car non seulement elle a perdu
depuis le bloc 3A mais en plus, elle n'a aucune possibilité de faire rentrer ses deux partenaires
Total387 et CNOOC sur les trois blocs qu'elle possède depuis juillet 2010. Tullow se retourne
dès le mois d'avril vers Heritage pour se faire rembourser cette somme. Après ce long
imbroglio juridico-politique qui risque de se poursuivre encore longtemps, Tullow doit
toujours payer au gouvernement plus de 300 millions de dollars pour finaliser la vente de ses
parts à Total et CNOOC.
Cet épisode témoigne de plusieurs modifications dans le comportement de l'Etat ougandais.
D'abord contrairement aux années précédentes, où les sociétés Energy Africa et Hardman 386 Afin d'obtenir son accord de rachat en juillet, Tullow avait convaincu Heritage en juillet 2010 de donner quelque 121 millions de dollars à l'Etat et de mettre sur un compte bloqué le reste (soit 283 millions de dollars) en attendant le verdict de la procédure d'arbitrage. 387 Le président directeur général de Total, Christophe de Margerie s'est d'ailleurs rendu à Kampala le 25 juin 2010 pour rencontrer le président Yoweri Museveni afin de tenter d'accélérer le processus de règlement fiscal empêchant son groupe de rentrer dans le pays. Africa Energy Intelligence, n°631, 30 juin 2010.
252
Resources ont vendu leur part à Tullow, sans donner quoique ce soit au gouvernement, le
climat est totalement différent, le président veut montrer qu'il est bien au commande du
secteur. Ces taxes, même si parfaitement compréhensibles du point de vue des Ougandais
(pays pauvre en développement), sont totalement illégales, c'est à dire qu'elles n'ont pas fait
préalablement l'objet d'une loi. Le ministère de l'énergie considère qu'en l’absence de bonus
de signature pour les contrats initiaux (contrairement au Congo voisin), il se doit de récupérer
une partie de la plus value d'une telle opération. Néanmoins, ce genre d'action fragilise
énormément la parole de l'Etat et la sécurité des contrats. Cependant, vu l'énormité des
réserves, les pétroliers se doivent de plier, sans attendre le résultat des arbitrages
internationaux qui peuvent prendre plusieurs années. La deuxième réflexion qu’impose cet
épisode, c'est sa préparation par le pouvoir. Etant donné la fragilité juridique de la demande
ougandaise, la présidence met très clairement l’axe sur la lutte contre les riches
multinationales face aux pauvres ougandais. Cet épisode a été orchestré comme une question
de souveraineté: si la compagnie veut partir et faire des plus values, elle doit en faire profiter
le pays. En 2010, Yoweri Museveni est à quelques mois des élections présidentielles de
février 2011. Il doit montrer qu'il est bien en charge du pétrole et qu'il peut lutter contre les
puissants lobbies pétroliers. Dans le même temps, en février 2010, le rapport Uganda's
contrats-A bad deal made worse de l'ONG britannique Platform condamne les contrats
pétroliers signés par Tullow et Heritage. Selon elle, ils sont beaucoup trop favorables aux
compagnies, au détriment évidemment, de l'Etat388. Cette argumentation est fortement
contrebalancée par le fait que le Fonds Monétaire international a demandé en 2008 au
ministre de l'énergie, à l'époque Daudi Migereko, de renégocier les contrats pétroliers du fait
qu'ils étaient trop favorables à l'Etat389. Ce rapport de Platform a un grand écho auprès des
médias ougandais car à l'époque, les contrats ne sont pas librement disponibles, ce qui laisse
penser que le pouvoir ou les compagnies pétrolières cachent quelque chose. La concomitance
du problème de taxe et celui de l'attaque de l'ONG affaiblissent considérablement la position
des compagnies qui ne peuvent uniquement se défendre en arguant de l'illégalité du procédé.
Elles vont donc céder sur les deux tableaux, la publication des contrats en 2011 et surtout le
paiement d'une partie des taxes.
388 Voir rapport de l''organisation non gouvernementale britannique Platform http://www.carbonweb.org/showitem.asp?article=375&parent=39. 389 Entretiens en mai et juin 2008 avec le ministre de l'énergie Daudi Migereko ainsi que le président du comittee on natural resources du parlement ougandais Emmanuel Dumbo. Ces deux personnes ont eu accès à la lettre du FMI qui faisait part d'une certaine crainte que les contrats ougandais, trop favorables à l'Etat, fasse fuir les pétroliers.
253
Le président ougandais a laissé monter au front son ministre de l'énergie Hilary Onek qui a
orchestré toute la partie publique. Onek a du s'en expliquer à de nombreuses reprises devant le
parlement. Comme il a accusé directement Tullow d'avoir essayé de le corrompre pour obtenir
l'accord de l'Etat concernant l'achat des parts d'Heritage390, il ne va pas pouvoir conserver son
poste malgré sa gestion du dossier (jugée relativement bonne en haut lieu). Les compagnies
comme le secrétaire général du ministère de l'énergie Fred Kabagambe Kaliisa veulent traiter
avec un autre ministre, moins politisé. Onek obtient cependant une promotion dans la
hiérarchie gouvernementale en étant nommé ministre de l'intérieur le 27 mai 2011.
Quel rôle joue l'Assemblée nationale dans le pétrole ?
L'institution sensée élaborer le cadre légal dans lequel l'exploration et la production du pétrole
vont se réaliser est en théorie l'Assemblée nationale. Or, les conversations menées avec
plusieurs députés dont le responsable du comité en charge des ressources naturelles (comittee
on natural resources) en 2008, Emmanuel Dumbo, montrent bien combien cette enceinte est
encore loin de pouvoir appréhender convenablement le secteur pétrolier. De plus, durant nos
entretiens avec monsieur Dumbo, ce dernier a martelé l'idée d'un sentiment de frustration
d'être régulièrement tenu à l'écart par le ministère et la présidence des éléments de
compréhension nécessaires à la bonne marche de son comité. Et pourtant, Dumbo est un
membre du parti présidentiel NRM. Il se battait à l'époque pour que les contrats soient rendus
publics. Or, ils ne l'ont finalement été qu'en 2011. Ce comité n'a donc pas vraiment les
moyens de peser dans l'écriture de la législation pétrolière.
Dans la nouvelle législature qui a débuté après les élections présidentielles et législatives du
28 février 2011, le Comittee on natural resources dont les membres ont été nommés en
mai/juin 2011, a été organisé de telle façon, que les contestations possibles sur le sujet clé du
pétrole soient évitées. D'abord sur ses trente membres, dix-neuf viennent du NRM, ses
présidents et vice-président en font également partie391. Le nouveau président du comité
Michael Kafabusa Werikhe, connait assez bien le secteur pour avoir été brièvement secrétaire
d'Etat à l'énergie entre 2005 et 2006 (voir tableau 4), il a ensuite été secrétaire d'Etat au
logement jusqu'en 2011. Il sait, comme tout ministre en Ouganda, qu'il doit sa carrière au
président. En cas de bonne gestion de ce comité, il peut espérer revenir rapidement au
gouvernement au cours de la législature. Quant à son adjoint, Eddie Kwizera, député de 1996
390 Daily Monitor, 6 avril 2011. 391 On peut évidemment relativiser en disant que les membres du NRM ne correspondent qu'à 63% des membres du comité alors que 70% des députés élus sont du NRM. Seulement, ne pas nommer un membre de l'opposition comme vice-président est symbolique.
254
à 2001, il a ensuite été nommé conseillé particulier du président Museveni jusqu'en 2010. Il a
notamment été l'un des principaux négociateurs ougandais pour les problèmes de voisinage
avec le Congo voisin. Kwizera réélu député en 2011 est originaire de l'extrême sud de
l'Ouganda, plus précisément du district de Bufumbira, frontalier avec le Congo. Il bénéficie
donc de la totale confiance du président pour codiriger ce comité, il fait évidemment
"remonter" tous les débats qui peuvent s'y dérouler. Kwizera peut d'ailleurs contribuer aux
discussions liées aux questions frontalières sur le lac Albert avec le Congo où le pétrole est la
principale donnée. La troisième personnalité du comité, qui est déterminante pour le
président, est le général David Tinyefunza. Il est l'un des plus hauts gradés de l'armée
ougandaise392 (Uganda People's defense Force). Seulement, ce militaire de carrière qui est
également avocat n'est pas n'importe qui. Depuis 1993, Tinyefunza a occupé des postes de
conseiller auprès du président. D'abord en charge des questions de paix et de sécurité jusqu'en
1997, il est propulsé depuis 2005 coordinateur des services de renseignement, prenant ses
ordres directement du président Museveni, également chef des armées. S'il était dans la
législature précédente membre du comité Legal and Parliamentary affairs, son passage aux
ressources naturelles est loin d'être fortuit. Avec ce trio, aucune chance que le comité puisse
être un contre poids éventuel au gouvernement et au ministre de l'énergie en particulier.
L'une des autres spécificités du comité est que très peu de membres sont issus des régions
pétrolières de l'ouest et du sud. Ils ne sont que six dans ce cas. Sur trente participants,
seulement trois ont été élus dans des districts proches du lac Albert. C'est le cas de Julius
Bigirwa Junjura (district de Buhaguzi) et de Stephen Adyeeri Mukitale Biraahwa (district de
Buliisa) et Andi Drito Martin (district de Madi-Okollo) situé au nord du lac Albert, proche des
explorations de Tower Resources. Cependant, aucun de ces trois députés viennent des rangs
de l'opposition. Quant aux explorations de Dominion sur le lac Edouard, il n'y a que trois
membres élus de cette région: Yokasi Bihande Bwambale (district de Bukonjo), membre du
FDC393, Benjamin Cadet (district de Bunyaruguru) député Indépendant et Jim Muhwezi
Katugugu (district de Rujumbura) du NRM.
La seule possibilité de contrebalancement du président pourrait cependant venir de Béatrice
Atim Anywar, l'une des membres de ce comité. Elle a été choisie en juin comme responsable
392 David Tinyefunza n'est pas élu mais il représente l'armée à l'Assemblée nationale depuis 1986, année d'arrivée au pouvoir du président Museveni. Sources : www.parliament.go.ug ainsi que sa notice Wikipédia : http://en.wikipedia.org/wiki/David_Tinyefunza. L’armée ougandaise a un nombre de poste au parlement déterminée par la constitution, tout comme d’autres catégories de la population comme les jeunes et les femmes. 393 Forum Democratic Change. C'est le principal parti d'opposition. Il est dirigé par l'ancien médecin personnel de Museveni, Kizza Bessigye
255
des questions énergétiques et pétrolières au shadow cabinet de l'opposition (elle doit ainsi
suivre ce sujet pour répondre et questionner le ministre correspondant au gouvernement).
Anywar est membre du principal parti d'opposition Forum for Democratic Change (FDC).
Elle était déjà membre du Shadow cabinet dans la précédente mandature où elle s'occupait des
questions d'environnement394. Femme à fort caractère, elle risque d'être tout de même un peu
seule pour peser dans les décisions du gouvernement.
Si l'on se fie aux discussions avec les députés, même de la majorité, et que l'on y ajoute
l'étude de la composition du dit-comité, il y a assez peu de chance que le parlement ait les
moyens de faire son travail de contre pouvoir au gouvernement et à la présidence.
Les nouveaux parlementaires tentent de prendre la main.
Les députés ont peut être ouvert une nouvelle page dans leur quête d'influence sur l'exécutif
les 10 et 11 octobre 2011. Lors de ces journées, un débat sur les questions pétrolières a été
imposé par une majorité des parlementaires, qu'ils viennent du NRM ou de l'opposition
(principalement du FDC). Ces deux journées ont été le résultat d'un vote le 20 septembre de
plus d'un tiers des députés pour imposer un débat sur ce thème. Afin de faire pression sur le
gouvernement et principalement le président, l'un des députés Gérald Karuhanga
(indépendant) a accusé trois ministres sous l'ex mandature (Sam Kutesa aux affaires
étrangères, Hilary Onek à l'énergie et Amama Mbabazi à la sécurité) qui s'est achevé avec la
réélection de Museveni en février 2011, d'avoir accepté d'importantes sommes d'argent de la
part de Tullow Oil. Cela dans le but de faciliter l'agrément pour l'arrivée de Total et CNOOC.
Ces accusations sont quasiment un prétexte (voir une sorte de chantage) des parlementaires
pour obliger l'Etat à traiter avec eux. Dans une résolution adoptée le 11 octobre 2011 après les
débats (voir annexe), les députés veulent des avancées sur plusieurs points concrets :
• un moratoire sur tous les contrats en cours de négociation tant que la loi pétrolière
n'est pas votée.
• que cette même loi soit présentée au parlement dans les 30 jours
394 Béatrice Anywar a beaucoup fait parler d'elle lors de campagnes contre l'exploitation de la forêt Mabira (au nord du pays), que le gouvernement voulait transformer en champs de cannes à sucre. Elle a réussi à faire reculer le projet. Nous avons eu l'occasion de lui parler dès sa nomination.
256
• que tous les accords passés entre les pétroliers et le ministère de l'énergie soient rendus
publiques, tout comme tous les contrats
• qu'un compte soit créé sous sept jours pour accueillir tous les revenus pétroliers et que
le parlement puisse jouer son rôle de contrôle
• que les dépenses liées aux revenus pétroliers soient publiques sous sept jours
• que l'Ouganda rejoigne l'Initiative de Transparence des industries extractives (ITIE)
qui permet de comparer les revenus reçus par les Etats et ceux que les compagnies ont
effectivement payés.
• qu'aucun nouveau contrat ne soit attribué avec une clause de confidentialité
• qu'un comité ad-hoc soit créé pour enquêter sur les affaires de corruption visant les
trois ministres
• la démission des trois ministres suspectés de corruption en attendant qu'ils soient
blanchis ou inculpés.
Ces différentes demandes, très précises et accompagnées d'ultimatums, sont une première sur
ce sujet pétrolier en Ouganda (et probablement même sur tous les sujets confondus, hors des
habituels discussions sur le budget). Le président Museveni, très mécontent de cette reprise en
main du secteur convoque une conférence de presse dès le mercredi 12 octobre où il défend
ses ministres et tance les parlementaires. Sam Kutesa démissionne pour une autre affaire (liée
à l'organisation Commonwealth Heads of Government Meeting organisée à Kampala en
2007), cependant, les autres restent en place, n'étant pas désavoués par le seul chef qui compte
à leur yeux: Yoweri Museveni. Cet événement a tout de même marqué une rupture car
l'avertissement a été clair : il sera difficile ou en tout cas plus difficile de faire sans le
parlement dans le domaine pétrolier. Ce dernier devenant à brève échéance le principal
secteur économique du pays en termes de revenus pour l'Etat ougandais, les parlementaires
veulent reprendre la main.
Le président convoque d’ailleurs dès la fin octobre les députés NRM lors d'une "retraite" dans
la commune de Kyankwanzi au centre du pays395. Objectif affiché, répondre aux
préoccupations des parlementaires en faisant venir des spécialistes étatiques de chacun des
395 Cette commune abrite le National Leadership Institute Kyankwanzi qui forme les hauts cadres de l'armée ainsi que certains hauts fonctionnaires travaillant dans la sécurité.
257
domaines concernés par le pétrole. Des fonctionnaires de la Central Bank of Uganda, du
Petroleum Exploration and Production Department (PEPD), Ministry of finance et enfin de la
Tax Revenue Authority sont venus édifier les parlementaires sur leurs préoccupations donnant
lieu au débat. Le président lui-même a publiquement discuté avec certains meneurs du 10 et
11 octobre comme Theodore Ssekikubo (à qui nous avons longuement parlé), Wilfred
Niwagaba et Muhammad Nserek. Afin de les déstabiliser, il les a accusés d'avoir mené un fort
lobbying sur leurs collègues afin qu'ils ne se rendent pas à Kyankwanzi, ce qu'ils ont
démenti396. La figure du président a été abimé par ces échanges car les députés comme
Ssekikubo n'ont pas hésité à lui répondre et d'une certaine façon à se mettre à son niveau. La
représentation du chef intouchable a été écornée par ses débats, surtout qu'il n'a pas convaincu
tout le monde pour qu'ils renoncent à leur résolution votée quelques jours plus tôt à
l'assemblée.
La sécurisation politique et militaire de la zone pétrolière
En dehors du contrôle du parlement et du gouvernement, le président Museveni a
méthodiquement mis la main sur les zones pétrolières. Cela aussi bien du point de vue
politique que sécuritaire. Afin d'éviter toute violence entre paysans et sociétés pétrolières, et
tout problème de sécurité en général, l'armée a déployé à partir de 2008 dans la zone
pétrolière, entre 7000 et 10 000 soldats commandés par le propre fils du président ougandais,
Muhoozi Kainerugaba397. Lieutenant-colonel dans l'armée ougandaise, Kainerugaba dirige les
forces spéciales depuis 2008 dont l'une des tâches est de protéger le président ainsi que les
strategic assets (comme le pétrole). Le nombre de soldats des forces spéciales ne peut être
qu'estimé, leur nombre n'est pas publique. Avant 2008, des milliers de soldats étaient déjà en
poste dans la région mais leur nombre est impossible à déterminer398. Afin de maximiser le
nombre de ses bataillons, l'armée ougandaise instrumentalise beaucoup dans cette zone
pétrolière la prétendue dangerosité du mouvement des Allied Democratic Forces-Nalu. Ce
dernier, créé en 1995 dans les montagnes du Ruwenzori (nord du lac Albert) est composé de
Congolais et d'Ougandais, pour la plupart des chrétiens convertis à l'Islam. Leur mouvement
396 The Observer, Emma Muthaizibwa, 24 octobre 2011. 397 Selon un article du Wall Street Journal, Ugandan Presidential Guards To Help Boost Security In Oil Region, June 6th 2010, repris par le rapport de l'ONG Global Witness Donor engagement in Uganda’s oil and gas sector: an agenda for action, publié en octobre 2010. Kainerugaba est né en 1974 et à intégré l'armée en 1999. Après un an de perfectionnement à l'école militaire Sandhurst en Grande Bretagne en 2000, il a intégré l'école militaire égyptienne. Il a été nommé second lieutenant en 2000, major en 2001 puis commandant de la garde présidentielle et chef des forces spéciales en 2008. Il a été élevé au rang de colonel de l'UPDF depuis le 28 septembre 2011. 398 Conversation avec les attachés de défense de l'ambassade de France et des Etats-Unis en mai 2008.
258
qui a perpétré des meurtres et enlèvement dans l'ouest du pays a été quasiment décimé par
l'armée ougandaise en 2004. Cette dernière craint également que l'Armée de résistance du
Seigneur ne revienne dans cette région.
Il est très difficile pour un chercheur d'aller dans la région pétrolière par la route, un permis
spécial du ministère de la recherche ou du ministère de l'énergie (que nous avons pu obtenir
en 2008) est nécessaire. Cette région ouest est donc très protégée, certaines zones, notamment
celles où des explorations ont lieu sont totalement bouclées. Il y a donc un contrôle total de
cette zone, y compris pour les journalistes ougandais du journal de l'Etat, New Vision.
Le fils du président ougandais n'est pas le seul membre de la famille à être impliqué dans la
sécurisation des zones pétrolières. Le demi-frère de Museveni, Salim Saleh, a déjà été cité
dans des rapports de l'ONU comme ayant des relations privilégiées avec la société de sécurité
privée Saracen399. Cette compagnie protégeait notamment les champs pétroliers d'Heritage,
qui a quitté le pays en 2010. Tullow est quant à elle protégée par la société privée anglo-
danoise G4S, en plus de la société Saracen Uganda.
En dehors du simple contrôle sécuritaire de la zone, le président Museveni a voulu renforcer
le contrôle politique des districts proches du lac Albert afin d'éviter toute opposition. Pour le
parti présidentiel, le National Resistance Movement (NRM), il a d'abord fallu à tout prix
reprendre la ville d'Hoïma, futur carrefour pétrolier de l'Ouest, contrôlé par l'opposition
depuis 2006. Hoïma est de plus la capitale du district éponyme est aussi l'une des plus grandes
villes de cette région avec quelque 100 000 habitants (voir carte ci-dessous) :
399 Global Witness, Ibid.
259
Carte n°29: Ville d’Hoïma, futur carrefour pétrolier.
Source : Google Earth.
Le maire sortant d’Hoïma, Francis Atugonza (membre du Forum for Democratic Change), a
donc été largement battu, lors des dernières élections municipales début mars 2011, par la
candidate NRM, Mary Grace Mugasa. Préoccupé par la popularité d'Atugonza, le beau-fils du
président, Odrek Rwabogo, l'aurait approché le 5 janvier pour lui proposer une importante
somme d'argent (630 000 $) en échange de son ralliement au NRM, sans succès400. De plus, le
gouvernement s'est acharné judiciairement contre Atugonza qui a passé plusieurs séjours en
prison depuis 2008 pour avoir bénéficié de commission en vendant des terrains appartenant à
la commune. Il a opportunément été blanchi juste après les élections municipales, en juin
2011.
Hoïma est essentiel pour le pouvoir car le brut des trois blocs (1-2 et 3A) y transitera avant
d'être exporté vers l'océan Indien par un futur oléoduc. De plus, une raffinerie de 20 000 b/j
sera également installée dans le district d'Hoïma, exactement à Kabaale.
400 Plusieurs conversations privées avec Francis Atugonza.
260
Le royaume de Bunyoro cerné
Le contrôle politique de la région passe aussi par la nomination d'un ministre en charge de la
région circonscrite par le royaume Bunyoro, où se trouve la quasi-totalité des découvertes
pétrolières (voir carte ci-dessous) :
Carte n°30: Bunyoro et les autres royaumes de l’Ouganda
Source: Wikipedia
261
Le président décide pour la première fois de nommer un ministre en charge de cette région en
mai 2011. Problème pour les autorités du royaume de Bunyoro : le ministre nouvellement
nommé, Saleh Kamba, est originaire du sud-est, du district de Kibuku, soit très loin du
royaume. Comptable de formation, il a travaillé jusqu'en 2005 au sein de l'armée ougandaise
comme auditeur avec le grade final de Sergent. Kamba a été élu député de Kibuku sous les
couleurs du parti au pouvoir (NRM) en 2006, puis officiellement réélu en 2011. Il est un
ardent défenseur du président Yoweri Museveni, à ce titre il a activement participé à la
réélection de ce dernier à la tête du pays. Le numéro un de l'administration du royaume
traditionnel de Bunyoro avec le rang de Premier ministre, Yabeezi Kiiza, a publiquement fait
état de sa désapprobation quant au choix du ministre401. Selon lui, une personne qui ne vient
pas de Bunyoro ne peut pas défendre convenablement les intérêts de ses habitants, en
particulier concernant la part des revenus pétroliers qui devrait revenir à la région.
Le royaume a espéré que le Parlement, qui a contesté le 1er juin 2011 la nomination de Kamba
pour avoir "enjolivé" ses diplômes universitaires, empêchera sa validation. Et il a finalement
eu gain de cause en dehors du Parlement. Kamba a été déchu le 5 août 2011 de son poste de
parlementaire par la Haute Cour de Mbale pour avoir triché lors des élections et usé de
corruption et d'intimidation lors des échéances électorales402. C'est une plainte de sa principale
rivale, Jennifer Kacha Namuyangu403 qui a abouti dans ce sens. Le président pourrait nommer
quelqu'un d'autre mais le mal est fait pour la population de Bunyoro, pour qui, Museveni a
commis une faute politique. Du fait de l'utilisation des postes politiques par le président en
remerciement de service rendu, il est tout à fait probable que le poste reste vacant pendant
longtemps. En tout cas, le temps que Museveni retrouve une autre personnalité qui s'est battue
pour lui dans sa région d'origine. Il a suffisamment d'indicateurs dans la région pour ne pas
être obligé de nommer un ministre en charge. L'un de ses meilleurs relais sur place est
Godfrey Mwijakubi. Ce dernier est historiquement un membre du parti d'opposition Forum
for Democratic Change (FDC) pour lequel il a même été le responsable du district de Masindi
(nord d'Hoïma, voir carte 27). Cependant après une visite du président Yoweri Museveni à
Hoïma durant la campagne présidentielle de 2006, Mwijakubi est devenu subitement membre
401 The Daily Monitor, 31 mai 2011. 402 New Vision, 5 août 2011. 403 Jennifer Kacha Namuyangu née en 1968 est rentrée en politique en 2001 comme député de la circonscription de Paliisa (Sud) sous les couleurs du parti présidentiel NRM. Elle est nommée la même année secrétaire d'Etat à l'industrie et aux technologies. Réélue en 2006, Namuyangu prend le portefeuille de l'eau. Cependant, pour les élections législatives de février 2011, elle n'obtient pas le soutien du NRM et se présente donc en indépendante, sans se soucier du NRM qui choisit Saleh Kamba. Ce dernier est élu avec à peine un millier de voix d'écart mais sera invalidé dès le mois d'août.
262
du NRM. Interrogé sur cette défection, l'un des dirigeants du FDC, Francis Atugonza raconte
que ce passage au NRM s'est fait en échange d'argent et de véhicules. Depuis quelques
années, Kyaligonza est également le conseil du président Museveni pour les affaires de
Bunyoro. Cependant, si son titre peut paraître assez prestigieux, il ne fait office que
d'indicateur au même titre que bien d'autres personnes.
Il est cependant légitime de se poser la question du poids réel du royaume de Bunyoro dans la
politique nationale et même régionale. Interdit de 1967 à 1993 comme tous les autres
royaumes du pays, Bunyoro n'a jamais eu le poids politique et la puissance foncière qu'exerce
celui de Buganda (zone de Kampala que le colon britannique a conquis en premier à la fin du
19ème siècle). Cependant, en 1993 lors de la nouvelle légitimation des Royaumes par Yoweri
Museveni, l'idée de ce dernier était davantage de les contrôler et d'en faire une sorte de
d'acteur culturel à sa solde. C'était également pour contenter les citoyens pour qui, pour une
partie d'entre eux en tout cas, un sentiment de grand respect est éprouvé pour leur famille
royale. Cela n'est d'ailleurs pas uniquement valable dans les zones rurales.
Cependant, depuis 2007, le roi de Bunyoro et ses ministres font clairement de la politique, en
particulier lorsqu'il s'agit du pétrole découvert dans leur sol. Ils réclament régulièrement 30%
des revenus de la manne pétrolière404. De plus, Museveni est très préoccupé par la proximité
entre le roi de Bunyoro Solomon Gafabusa Iguru et l'ancien dirigeant libyen Mouammar
Kadhafi (au pouvoir jusqu'au mois d'août 2011). Iguru s’est en effet rendu à quatre reprises à
Tripoli durant la seule année 2009. La Libye finance déjà plusieurs projets d’hôpitaux et
d‘écoles à Bunyoro. Sachant que Museveni et Kadhafi ont eu par le passé des divergences405,
le roi a pu utiliser sa relation avec le "guide" libyen pour demander des gages de Kampala
quant à la clé de répartition future des revenus pétroliers. Lors des frappes aériennes de
l'OTAN contre les troupes de Mouammar Kadhafi qui ont commencé après le vote de la
résolution 1973 à l'ONU en mars 2011, le roi de Bunyoro a publiquement fait part de sa vive
opposition. Le journal de l'Etat New Vision daté du 11 juin 2011, reproduit les paroles du roi
404 Africa Energy Intelligence, n°587, 3 septembre 2008. 405 Au début des années 1980, Kadhafi a distribué armes et argent à Museveni pour l’aider à prendre le pouvoir des mains de Milton Obote. Les deux hommes sont restés proches durant une vingtaine d’année, mais depuis 2008, les relations se sont tendues. Lors d’une visite officielle de Kadhafi en mars 2008 à Kampala pour l’inauguration d’une mosquée, ses gardes du corps ont provoqué ceux du président ougandais. Lors de ce même séjour, Kadhafi s’est rendu dans le royaume de Bunyoro sans en avertir son hôte. Enfin il n’a pas assisté à la cérémonie en mémoire des combattants de la National Resistance Army (parti de Museveni) tombés lors d'une bataille décisive pour l’arrivée du président ougandais en 1986. Sources : La Lettre de l’Océan Indien, n°1235, 29 mars 2008. Cette brouille a été encore plus manifeste lorsque Kadhafi est devenu le président de l’Union africaine (UA) au début 2009. Museveni visiblement peu confiant dans l’action de son homologue libyen est allé jusqu’à proposer une direction collégiale à la tête de l’UA durant son mandat qui s’est achevé début 2010.
263
de Bunyoro lors d'un de ses discours dans la cathédrale de Hoïma. Iguru appelle les pays
africains à lutter contre les envahisseurs occidentaux qui n'en veulent qu'au pétrole libyen.
La deuxième mouture du projet de loi discutée à l'été 2010, laisse 15% des revenus pétroliers
au gouvernement régional et local contre 85% au pouvoir central. Le royaume n'aurait donc à
priori droit à rien. Il y a assez peu de chance que Bunyoro fasse partie de la version finale de
la loi pétrolière car le royaume n'est pas considéré comme un échelon de la décentralisation
contrairement aux régions et districts. La question de la dangerosité de cet acteur est
cependant à prendre en compte dans l'avenir. Actuellement Bunyoro est faible car désargenté,
peu organisé et divisé. Cependant, il pourrait à moyen ou long terme devenir un acteur tout
choisi pour exprimer la frustration de la population locale, en cas de trop grande centralisation
de la manne pétrolière par les instances désignées du pouvoir ou alors de pollutions multiples
liées à cette nouvelle industrie. Bunyoro pourrait profiter d'une façon ou d'une autre de
l'enrichissement de la zone, en particulier grâce à la vente de terrains. Le royaume pourrait
donc théoriquement exercer une capacité de nuisance qu'il n'avait pas auparavant (davantage
de communication pour critiquer et affaiblir systématiquement le pouvoir central ou même
l'utilisation d'armes). Ce scénario conduit donc l'armée à quadriller totalement la région pour
montrer qu'il n'y a qu'un acteur en charge: le pouvoir central à Kampala.
Les problèmes fonciers et environnementaux liés au pétrole
Les conflits fonciers entre paysans et sociétés pétrolières pourraient considérablement
augmenter avec le début de la production pétrolière aux abords du lac Albert entre 2014 et
2017. De 1997 à 2006, il n'y a pas eu réellement de problèmes car les sismiques et les
quelques forages secs n'ont pas fait l'objet d'une utilisation permanente des terrains. Au bout
de quelques semaines de travail, les sociétés pétrolières partent avec l'obligation de
dédommager les propriétaires de la terre ou de remettre en état la zone concernée. Les
compensations aux paysans ne posaient donc pas de grands problèmes à l'époque. Cependant,
l'accélération de l'exploration depuis 2006 avec les premières découvertes, a eu des effets sur
les relations entre paysans et sociétés pétrolières car le prix des terrains a fortement augmenté.
La région ouest, proche du lac Albert, est très agricole, on y cultive beaucoup de maïs, patates
douces, manioc, haricots et on y élève aussi des bêtes (caprins et ovins). Il y a donc des
cultures à compenser.
Le pétrole a également encouragé les disputes intra-familiales pour la propriété de la terre. Et
ce, même si le petit lopin de terre familial n'a fait l'objet d'aucune exploration. Les chefs de
264
famille s'arrogent par exemple des terres à des orphelins ou à des veuves sous prétexte qu'ils
ne sont pas à même de les mettre en valeur. Les conflits entre les pasteurs qui bougent et
viennent parfois de loin pour la clémence du climat dans cette région Ouest et l'ethnie
Bugungu, majoritaire chez les paysans locaux se multiplient également. Les membres de
l'armée, très nombreux dans cette région sont aussi accusés de s'arroger des terrains sans avoir
payer quoique ce soit à leur propriétaire. La première affaire de ce type a été enregistrée en
2006 dans le village de Kyanga-Rwensororo (district de Masindi) où un soldat de la garde
présidentiel a brûlé 40 maisons expliquant qu'il avait payé les propriétaires pour partir (ce qui
était évidemment faux). Il n'y a pas un mois sans que les journaux locaux ne fassent état de
conflit de ce type406. La lenteur de la justice locale entraine malheureusement des actions
directes des paysans qui combattent (au sens premier du terme) ceux qui veulent s'arroger les
droits sur leur terre. L'un des policiers responsables de cette région, Zurah Ganyana, estime
lors d'un entretien avec le quotidien Daily Monitor en août 2011 qu'une dizaine de plaintes
sont déposées chaque mois dans chacun des districts de Bunyoro. Il ne précise pas cependant
si ce nombre comprend aussi les districts qui ne font pas l'objet d'exploration pétrolière, mais
cela donne une idée de l'importance du problème.
L'une des raisons majeures qui empêche que les compensations soient réellement efficaces et
acceptées est que sur les treize districts concernés par l'exploration, les sommes proposées par
les sociétés pétrolières aux paysans, dont la terre a été utilisée pour un forage ou une
sismique, ne sont pas harmonisées407. Les dédommagements sont déterminés par chacun des
districts, sans aucune cohérence. De plus, les paysans tentent de maximiser la valeur de leur
terrain. Afin de traiter ces multiples problèmes, l'administration du royaume de Bunyoro a
créé en 2006 un poste de ministre du pétrole, du foncier et des ressources naturelles, confié à
Georges Kyaligonza408. Cependant, ce dernier n'a pas les moyens de bien travailler et n'a pas
une grande connaissance du secteur pétrolier. Le roi, bien conscient qu'il fallait aller plus loin,
a également créé en juin 2011, une commission en charge de régler les problèmes fonciers et
de réguler la hausse des prix des terrains409.
Et en effet, ce dernier élément est également capital. Les prix des terrains s'envolent
littéralement. A Hoïma, carrefour pétrolier où sera implantée la raffinerie, une parcelle de 50
sur 100 mètres coûte désormais 10 000 dollars. Pour une région jusqu'alors très pauvre, cela 406 Daily Monitor, Bunyoro Grapples With Land Disputes, 6 août 2011. Article non signé. 407 Conversations avec des habitants de la région d'Hoïma en juin 2011. 408 Georges Kyaligonza est également un homme d'affaires prospère, il a une société de construction de routes. Discussions privées menées en août 2011. Il est depuis mars 2012, le vice-premier ministre du royaume. 409 Africa Energy Intelligence, n°654, 22 juin 2011
265
représente une somme très importante. En moyenne, avant les explorations, les terrains
proches du lac Albert coutaient entre 180 et 350 dollars l'acre (soit l'équivalent de 40 ares ou
0,4 hectare). En 2011, soit cinq ans après les premières explorations, ces prix ont été
multipliés par dix, pour atteindre 3500 dollars l'acre. Cette flambée des prix a conduit le
président Yoweri Museveni à signer un décret en août 2009, interdisant l'acquisition de terrain
dans les zones pétrolières410. Cette dernière précision est assez floue car ces zones peuvent
être variables, les explorations ne sont pas tout le temps localisées au même endroit dans les
13 districts. Cela a cependant un peu calmé le royaume de Bunyoro. La présidence semble
pourtant vouloir éviter que ces problèmes de terre soient trop mis en valeur. L'un des
parlementaires du NRM Stephen Adyeeri Biraahwa Mukitale avait voulu former une
commission durant l'été 2011 et il en a été empêché411.
Si aucune affaire de pollution des sols ou du lac conséquemment à l'exploration pétrolière n'a
encore vraiment été médiatisée dans les districts concernés (et pour cause nous n'en sommes
qu'à la phase d'exploration), l'instrumentalisation du pétrole comme facteur potentiel de
destruction est très souvent utilisée par les habitants. Comme on l'a déjà vu, les paysans sont
les premiers à essayer de maximiser leur dédommagement en cas d'utilisation de leur terre.
Les pétroliers sont aussi confrontés à des demandes d'exploitants agricoles qui possèdent des
parcelles (seulement) proches d'une zone d'exploration. Ce n'est pas la seule profession qui
tente de faire payer les pétroliers. Les pêcheurs se plaignent aussi régulièrement de la rareté
de leur pêche et de la taille de plus en plus petite des poissons piégés dans les filets. En effet,
depuis plusieurs années, les tonnages de poissons diminuent dans le lac Albert. Cela est
principalement la cause de la surpêche. Les districts d'Hoïma, Masinde et Buliisa essayent de
faire respecter les règles concernant la taille des filets qui ne doivent pas dépasser une certaine
ampleur, de même pour les « bébés » qui doivent être relâchés, mais sans résultat. Selon les
fonctionnaires en charge de la pêche dans ces districts, plus de sept usines de transformation
de poissons ont fermé ces dernières années par manque de stock412. Or, si aucun lien ne peut
être fait avec l'industrie pétrolière, la production n'a toujours pas commencé et le phénomène
est largement antérieur à l'exploration, certains pécheurs l'accusent déjà d'être responsable de
cette hécatombe.
Comme au Congo avec le Parc des Virunga, dont une partie a été donnée à Soco et Dominion
ainsi que Total et Sacoil pour exploration, l'Ouganda a plusieurs parcs dans les zones
410 Daily Monitor, 6 août 2011, article non signé. 411 Daily Monitor, 11 octobre 2011. 412 Daily Monitor, 9 août 2011.
266
d'exploration. C'est le cas du Murchison Falls National Park qui se situe dans le district de
Masindi (voir carte ci-dessous) ainsi que sur celui d'Amuru. Ce parc qui accueille quelques
milliers de touristes chaque année abrite quantités de Buffalo, éléphants, lions, léopards ainsi
que quelques rhinocéros. Il est adjacent à deux plus petites réserves, celles de Bugungu et de
Karuma. Dès 2007 et les premiers forages dans le parc, un rapport sur les conséquences de
l'exploration est commandé par la National Environnment Managing Authority à l'ancien
ministre du tourisme et du commerce entre 2000 et 2005, Edward Rugumayo. Cependant, ce
dernier n'aura aucun effet. Non seulement, aucun organisme étatique n'arrête les pétroliers,
pas même pour des réserves protégées (comme au Congo). Le président veut à tout prix que
les explorations aillent au plus vite. De plus, Rugumayo n'est pas vraiment en cours auprès de
Museveni après avoir refusé un poste d'Ambassadeur à Paris en 2005413. Or, après plusieurs
dizaines de puits, des découvertes importantes pétrolières (400 millions de barils) ont été
mises à jour au début 2009 dans le parc, par la firme canadienne Heritage qui opérait à
l'époque le bloc 1, le plus au Nord. Les champs de Buffalo-Giraffe seront donc parmi les
premiers à être mis en exploitation. Cependant, s'il est difficile de se prononcer sur les
problèmes environnementaux lors de la phase de production, il est déjà possible de voir une
importante recrudescence du braconnage depuis le début de l'exploration. Plusieurs antilopes
de type particulièrement rare reedbuck ont été retrouvées mortes en novembre 2009. Plusieurs
Ougandais contractées par Tullow ont été arrêtées pour cela. L'Ugand Wildlife Authority a
écrit au ministère de l'énergie pour tenter de juguler ce problème en interdisant aux salariés
l'accès des choses protégées durant la nuit. Cela n'a au aucun effet. En 2007, 537 pièges à
animaux ont été découverts dans le parc, en 2008 ce chiffre a grimpé à 1357, puis en 2009 à
1225414.
413 The Observer, 30 mars 2009, Ssemujju Ibrahim Nganda. 414 Selon l'hebdomadaire ougandais The Independant, 26 janvier 2010, Oil Exploration Blamed for Increased Poaching in Parks.
267
Carte n°31: Parc de Murchison dans la zone pétrolifère.
Source : Site du Parc de Murchison/ Tullow Oil.
268
Conclusion de la partie II
La République Démocratique du Congo a un potentiel pétrolier gigantesque avec ces
multiples bassins que l’on a décrit, mais elle n'a toujours pas trouvé les moyens de le mettre
en valeur. Cela est soit la résultante d’une absence de décision du président (Cuvette centrale)
soit la conséquence de choix aléatoires voire très mauvais des compagnies (Caprikat et
Foxwhelp sur le lac Albert). Le pays doit aussi lutter contre une géographie difficile pour les
opérateurs pétroliers avec le bassin de la Cuvette centrale, très compliqué d'accès du fait de la
densité de la forêt équatoriale et de l'absence quasi-totale d'infrastructures routières et de
ponts pour franchir les multiples bras du fleuve Congo dans ces provinces septentrionales. Le
choix par la présidence de sociétés pétrolières inconnues, probablement très proches du
pouvoir, après de multiples années de tergiversations de la part des ministres successifs est
symptomatique d'une volonté d'accaparement des ressources mais en dépit du bon sens : plus
les compagnies sont faibles techniquement, plus le moment de mise en développement des
ressources sera tardif. Cela s'explique aisément car les petites sociétés doivent trouver des
partenaires pour développer des zones complexes et que ce processus rallonge encore un peu
plus la période d'attente avant l'éventuelle production. Cependant, le dépositaire du pouvoir,
dans les cas de processus long comme celui de l'exploration pétrolière ne voit pas forcément
d'intérêt immédiat car très peu d'argent circule dans les années précédant la phase de
production. Il est plus intéressant de vendre des blocs à des amis comme cadeau en échange
d'argent et de services immédiats, qui revendent eux-mêmes à des prix plus élevés leur
concession plus tard.
Alors que le Congo est producteur depuis les années 1970, il n'a toujours pas ce qu'on pourrait
appeler une culture pétrolière. Les fonctionnaires comme les habitants rencontrés durant les
séjours dans le pays se représentent leur pays comme étant un grand producteur de minerais,
le fameux scandale géologique. Cela s'explique par la présence de métaux sur la quasi-totalité
du territoire : cuivre au Katanga, coltan au Kivu, or dans la province orientale et diamants aux
deux Kasaï etc...Cette acception d'un secteur pétrolier vu comme mineur est très prégnante et
elle entraîne des mauvais choix et surtout un désintérêt de l'Etat pour les hydrocarbures.
Toujours la même idée du long terme que les sociétés pétrolière ont du mal à faire
comprendre, à quoi bon s'intéresser à une production qui viendra dans une décennie pour une
partie de la classe politique dont le premier des objectifs est l’enrichissement rapide afin
d’être à l’abri du besoin ? Le secteur pétrolier congolais reflète le "court-termisme" de la
gestion des affaires publiques, que l’on qualifierait aujourd'hui de mauvaise gouvernance.
269
Lorsque l'on compare cette gestion pétrolière avec celle de l'Ouganda, on voit une toute autre
stratégie, consistant à sortir le pétrole au plus vite, avec évidemment des accidents de parcours
pour le président Museveni (affaiblissement maximal du pouvoir du parlement et
instrumentalisation du secteur pour obtenir l’assentiment populaire). Si l'Ouganda va vite,
c'est qu'il n'est pas dans une économie de rente comme l'est le Congo depuis l'indépendance
avec les minerais. Hors du café, thé, et de quelques fruits, le pays produit peu de matière
première et a toujours été dépendant de l'aide étrangère pour payer ses fonctionnaires (on
pourrait, il est vrai, considérer cela comme une rente avec ses méfaits). La perspective
d'obtenir d'importants revenus pour gagner en autonomie et indépendance financières a
rapidement séduit Yoweri Museveni qui a tout fait pour accélérer le processus, en le gênant le
moins possible jusqu'en 2010 où il s'est arcbouté sur le paiement de taxes sur les plus values
effectuées par les sociétés. Les fonctionnaires sont en général assez compétents dans le
secteur pétrolier ougandais, ce alors qu'ils n'ont jamais produit une goutte de brut auparavant.
Une fois de plus, il est important de comparer ce tableau avec celui du Congo où les
fonctionnaires bien formés existent mais sont très peu nombreux et sont sous exploités, les
vraies décisions comme la signature de contrats d'exploration, se prennent entièrement par des
conseillers du président. Si in fine, le président Museveni prend les décisions, les capacités
des fonctionnaires sont beaucoup plus sollicitées qu'au Congo voisin.
Cette partie dont l’un des buts était d'expliquer comment s'organise le secteur pétrolier au
Congo et quelle était son importance nationale, démontre une très grande faiblesse de l'idée
d’Etat nation. La situation n'est pas simple : la sécurité est loin d'être optimale en particulier
dans les Kivus, les administrations ont connu des décennies de délaissement depuis au moins
la fin des années 1980 de Mobutu (voire déjà dans les années 1970 avec la zairisation de
l’économie). Ces constations expliquent en partie une nécessité de reconstruire l'imaginaire
d'un Etat puissant (d'une superficie continentale), contrôlant son territoire et à même de payer
ses fonctionnaires décemment.
270
Partie III : Nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de
l’Est et litiges frontaliers entre le Congo et ses voisins
271
La quasi-totalité des bassins pétroliers congolais sont partagés avec les pays voisins. Cela
pourrait ne pas poser un problème en soi, mais dans cette région qui a connu de longues
périodes de guerre avec des alliances diverses contre ou au côté du Congo, cela entraîne
parfois des conflits, plus ou moins violents. Ceux-ci dépendent en grande partie des relations
que Kinshasa a pu construire ces deux dernières décennies avec les différents Etats qui
l’entourent. Avec l’Ouganda et le Rwanda (les deux ennemis durant la guerre), les relations
sont bien évidemment d’une toute autre nature que celles que le Congo entretient avec
l’Angola qui l’a aidé à lutter contre ces mêmes belligérants durant les années de conflit
1998/2003. Cependant, la bienveillance du régime du président angolais José Eduardo Dos
Santos envers le président congolais Joseph Kabila n’est pas dénuée de contreparties. Ces
dernières sont dans le cas d’espèce, très lourdes, voire comme on le verra quasi-
confiscatoires. Les conditions imposées au maintien au pouvoir de Kabila coûtent chers au
peuple congolais. Quant à l’Ouganda, si les premières découvertes ont abouti à de franches
tensions avec Kinshasa sur le lac Albert, les relations ont évolué depuis lors. La méfiance
avec le Rwanda reste et devrait rester très importante pour longtemps dans le cadre de
l’exploitation du méthane du lac Kivu, cela n’est pas du tout le cas pour les explorations
balbutiantes dans le lac Tanganyika avec les voisins tanzaniens, burundais et probablement un
jour zambiens. Ce qui semble une fois de plus l’emporter chez tous les voisins du Congo,
c’est l’application d’une stratégie qui consiste à l’empêcher ou au moins de ne pas l’aider à
redevenir (ou devenir c’est selon) une puissance régionale. Outre la nécessité d’empêcher le
Congo d’exploiter ses ressources pétrolières (elle y parvient même seule avec ses choix
hasardeux de compagnies d’exploration) en s’en emparant à sa place afin de dynamiser des
économies nationales qui ont eu à subir aussi des catastrophes (Armée de Résistance du
Seigneur, génocide rwandais, guerre civile en Angola), il y a bien cet objectif final : empêcher
le Congo de se redresser trop vite voire de se redresser tout court.
Cette troisième partie se propose d’articuler le lien entre la présence d’hydrocarbures dans
l’Afrique des Grands Lacs avec l’Afrique de l’Est. Du fait de son enclavement
géographique415, la quasi-totalité de l’exportation du pétrole ou du gaz de l’Afrique des
Grands lacs (hors de l’Angola) devra nécessairement passer par l’Afrique de l’Est où une
nouvelle géopolitique des hydrocarbures est également en train de se structurer autour de trois
piliers : le Soudan du Sud (où le pétrolier est produit depuis 1999), l’Ouganda (où le pétrole
415 L’enclavement en géographie a plusieurs définitions, la plus claire est selon nous celle donnée par le « Dictionnaire de le géographie » de Pierre Georges et Fernand Verger paru originellement en 1970. Les auteurs donnent comme définition de l’enclavement une « absence d’accès au marché dans un espace donné ».
272
est déjà découvert) et la zone Mozambique/Tanzanie (où de très importantes quantités de gaz
ont été mises à jour depuis 2010). Par géopolitique des hydrocarbures, je pense aux
découvertes pétrolières et gazières récentes qui vont créer de nouveaux rapports de force entre
Etats. A ces piliers s’ajoute le rôle important du Kenya comme hub d’exportation et peut être
futur producteur. Le point commun de tous ces futurs producteurs d’Afrique des Grands Lacs
et d’Afrique de l’Est est cet enclavement de leur territoire. Longtemps cantonnées dans le
golfe de Guinée (voir cartes de la première partie) et au Maghreb, les découvertes de pétrole
et de gaz sur le continent se rééquilibrent peu à peu avec des gisements de taille significative
en Afrique de l’Est (au sens large en allant du Soudan du Sud au Mozambique). Seulement, à
contrario des pays producteurs bordant le golfe de Guinée -comme le Nigeria, le Ghana, le
Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale-, les deux Congo et l’Angola, la plupart des zones
où des gisements ont été découverts sont enclavées. Cela impose comme pour les pays sahélo-
sahariens (cas du Tchad et bientôt du Niger) de construire des oléoducs afin d’acheminer les
hydrocarbures jusqu’aux ports d’exportation les plus proches. Ces nouvelles infrastructures
sont loin d’être aisées à réaliser, non pas pour des raisons techniques, les oléoducs par très
basses températures comme au Kazakhstan ou entre la Russie et la Chine sont autrement plus
difficiles à construire et à maintenir en état, mais bien pour des raisons politiques: relation
avec les Etats côtiers voisins et aussi géopolitiques avec les conflits potentiels le long de ces
ouvrages d’exportation. Or, des conflits en Afrique de l’Est, il n’en manque pas : présence des
Shebab en Somalie, tensions et conflits armées entre le Soudan et Soudan du Sud (Heglig en
avril 2012), l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) ainsi que les divers mouvements et
milices qui apparaissent puis disparaissent en RDC (après réincorporation dans l’armée
nationale) à proximité de la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda etc…Ces conflits de
diverses natures peuvent modifier la stratégie des pétroliers concernant les projets
d’exportation. En tout cas, ils rentrent en compte dans le tracé qui sera choisi pour les
oléoducs d’exportation.
Cette partie se propose d’abord d’étudier l’exploitation des bassins partagés entre le Congo et
ses voisins et des problèmes de frontières y afférant. Cette situation est d’une certaine
manière, une autre forme d’enclavement car elle implique l’impossibilité pour la République
démocratique du Congo d’exploiter seule ses ressources et donc d’avoir obligatoirement
recours à la discussion et à la négociation avec ses voisins. Pour le Congo, ce n’est pas
uniquement l’absence d’accès à un marché dont le pays souffre, mais bien l’absence d’accès
direct à la ressource, du fait de son partage obligatoire. Nous étudierons chaque cas en
commençant par les plus problématiques : le lac Albert entre le Congo et l’Ouganda,
273
l’embouchure du fleuve Congo entre le Congo et l’Angola. Puis nous poursuivrons par les
conditions de l’exploitation du méthane du lac Kivu entre le Congo et le Rwanda et enfin
l’exploration pétrolière dans et autour du lac Tanganyika entre le Congo, le Burundi, la
Tanzanie et la Zambie. Cette troisième et dernière partie a également pour but d’analyser la
conséquence de l’enclavement des réserves pétrolières de cette zone étendue Grands
Lacs/Afrique de l’Est. Le premier cas d’enclavement: les découvertes pétrolières en Ouganda
depuis 2006, est d’ailleurs voué à être lié avec le deuxième, le Soudan du Sud indépendant
depuis 2011. Mais ces deux zones où la présence d’hydrocarbures est démontrée n’ont pas le
même type d’enclavement. L’Ouganda a toujours connu depuis le début de la colonisation
britannique à la fin du 19ème siècle un enclavement total de son territoire, sans aucun accès à
la mer. Il s’est ainsi organisé pour ses importations et ses exportations hors de la région
(principalement café) en passant très largement par le Kenya (autre colonie britannique). Son
commerce et son développement dépend donc en grande partie de sa relation avec ce dernier.
Il le paye d’ailleurs régulièrement avec des pénuries de certains produits comme l’essence.
L’autre bouleversement pétrolier récent d’Afrique de l’Est est la partition du Soudan en deux
Etats le 9 juillet 2011, avec la création d’un nouvel Etat africain enclavé: le Soudan du Sud.
Le Soudan (Khartoum) étant toujours bordé par la Mer Rouge et le port de Port Soudan, il n’a
pas ce problème alors que le Soudan du Sud est frontalier avec la République démocratique
du Congo, l’Ouganda et le Kenya au Sud, l’Ethiopie à l’est, la République centrafricaine à
l’ouest et enfin le Soudan au Nord. Il n’a donc aucun accès à la mer et doit négocier avec l’un
de ces voisins pour importer (essence, nourriture, ciment etc…) et exporter des produits
(principalement du pétrole). Le Soudan du Sud se retrouve enfermé dans ses nouvelles
frontières et est obligé de s’entendre avec ses voisins. Les découvertes ougandaises et la
partition du Soudan sont à rapprocher car la production pétrolière de ces deux Etats, depuis
1999 au Soudan/Soudan du Sud et à partir de 2016/2017 en Ouganda pourrait éventuellement
être exportée par les mêmes infrastructures dans un futur plus ou moins lointain. Le dernier
événement que nous traiterons dans cette partie est le gigantesque volume de gaz découvert à
la frontière du Mozambique et de la Tanzanie depuis 2010. Ces pays sont confrontés à une
autre forme d’enclavement : l’impossibilité de consommer leurs réserves sur place, ni de les
vendre dans la région, par absence de marché suffisant, y compris en Afrique du Sud
(économie africaine la plus importante). L’enclavement est ici l’absence d’accès direct à
marché dans un espace donné [Pierre George, 1996]. Il faut donc liquéfier le gaz puis
l’exporter vers les marchés asiatiques. Si le Mozambique est le seul -avec des ressources en
hydrocarbures- à pouvoir bénéficier dans la région d’une façade maritime lui permettant
274
d’éviter d’interminable discussions et conflits avec ses voisins pour exporter ses ressources, il
doit sécuriser son marché, dans une période où l’abondance de gaz à destination des marchés
asiatiques (Qatar, Iran, Australie) peut causer à terme une surproduction dangereuse. Ce
problème se pose avec d’autant plus d’acuité que la Tanzanie voisine a fait de très
substantielles découvertes gazières également depuis 2010.
1 Les litiges frontaliers entre le Congo et l'Ouganda sur le lac Albert
La très grande tension entre les Congolais et Ougandais sur la gestion des ressources
pétrolières du lac Albert au milieu des années 2000 a été pourtant précédée de gestes de bonne
volonté de part et d'autre. En effet, à la mi 1995, un accord de principe est paraphé entre les
administrations zaïroise et ougandaise en charge de l'énergie. Ce document prévoit l'échange
de données techniques sur l'exploration autour du Lac Albert par l'intermédiaire de la création
de commissions mixtes "géologie, géophysique et géochimie416". Cependant, cet accord
survient la dernière année du pouvoir de Mobutu, il est donc mort-né. De plus, il faut
relativiser sa portée, il est très facile d'échanger des données lorsqu'aucune découverte n'a
encore été effectuée. D'échanges, il n'y en a donc pas vraiment et cet accord fait long feu.
L'"opportunité" des tensions est tout à fait différente lorsque des nappes pétrolières sont mises
à jour. Ces Etats sont susceptibles de rentrer en effet dans le cas de découverte pétrolière, dans
une stratégie géopolitique de rivalité de pouvoir pour le contrôle d'un territoire (le gisement
pétrolier) selon la géopolitique d'Yves Lacoste417. Ils désirent s'approprier ce qui peut
rapidement les enrichir. Pourtant, depuis les indépendances (1960 pour le Congo et 1962 pour
l'Ouganda), les problèmes de frontière dans cette zone du lac Albert n'ont jamais conduit à de
grandes tensions. Seule la pêcherie était en jeu avant "l'ère pétrolière" et les stocks étaient
suffisamment importants (cela est cependant en train de changer comme on l'a vu) pour éviter
tout problème d'embarcations qui passeraient de l'autre côté d'une prétendue démarcation
entre Etats. Or, en 2007, les découvertes effectuées par Heritage et Tullow Oil du côté
ougandais démontrent selon le ministre ougandais de l'énergie Daudi Migereko que la
production peut atteindre 60 000 bpj418. Ce chiffre est considérablement revu à la hausse à
mesure des découvertes. Cependant déjà à l'époque, ce volume fait rêver et attire la convoitise
car il est largement suffisant pour assouvir les besoins en produits pétroliers de l'Ouganda.
Ces derniers représentant un véritable enjeu car des pénuries d’essence sont de plus en plus
fréquentes chaque année. Elles sont principalement entrainées par les problèmes 416 Africa Energy Intelligence, n°279, 19 juin 1995. 417 Développée principalement dans la revue de géographie et de géopolitique Hérodote depuis 1976. 418 Wikileaks, Kampala Embassy, 7 août 2007.
275
d'acheminement depuis le port de Mombasa au Kenya d’où provient la quasi-totalité des
besoins.
L’équation entre l’Ouganda et le Congo se complique du fait d’une définition très dangereuse
des frontières sur le lac Albert. Un traité de 1915 signé entre les colons anglais et belges
stipule ainsi que le lit de l’une des sources du lac au sud, la rivière Semliki, déterminera la
frontière entre les deux Etats. Le danger de ce type de définition est que la frontière est et
restera mouvante car les lits de rivières bougent continuellement. C’est le cas avec la Semliki
qui s’est déplacée vers l’ouest depuis la signature du traité et s’est ainsi enfoncée dans les
terres congolaises419. En théorie, l’Ouganda devrait donc gagner du territoire par rapport à la
carte dessinée à l’époque coloniale. Les motifs politiques agrégés aux motifs géopolitiques
sont donc réunis pour conduire à une exploration conflictuelle.
1-1 La tuerie d'août 2007 et le lancement d'un processus de concertation.
Le 3 août 2007, trois bateaux des forces armées de la République Démocratique du Congo
(FARDC) tue Carl Nefdt : un ingénieur britannique qui travaille pour la compagnie
canadienne Heritage. Ce cadre se trouvait sur une embarcation sismique sur le lac Albert. Cet
incident n’est pas le premier de l’année420, mais il fait prendre conscience aux deux Etats
qu’une collaboration pétrolière est non plus souhaitable mais indispensable. Plusieurs gradés
ougandais interrogés par l'ambassade américaine (Wikileaks) ainsi que des membres de la
Monusco (ONU) à Kampala que nous avons pu questionner font le même constat : les
relations entre les deux Etats n'étaient pas spécialement tendues à ce moment-là (elles
n'étaient pas bonnes pour autant mais rien n'indiquait une dégradation). Cet événement a donc
été une grande surprise pour l'Ouganda. Et pour cause, aucun ordre n'a été donné de Kinshasa.
Cet incident est très probablement survenu suite à une décision prise par un commandement
local de l'armée congolaise qui n'en a nullement référé à sa tutelle. Cela démontre une fois de
plus l'état très dégradé de l'Armée au Congo421. L'une des raisons évoquées de cette action est
moins un problème de souveraineté que le non-paiement des salaires des soldats de la région
419 Benjamin Augé, IFRI, ibid. 420 Quatre soldats ougandais ont été interceptés le 29 juillet 2007 sur le lac Albert près de l'île de Rukwanzi par l’armée congolaise. Ils seront incarcérés à Bunia (Ituri) jusqu’au 6 août. Voir Crisis Group, Four priorities for sustainable peace in Ituri, mai 2008. Voir également Wikileaks, Kampala Embassy, 7 août 2007. 421 Sébastien Melmot, « Candide au Congo, l'échec annoncé du secteur de la sécurité », focus stratégique n°9, IFRI, septembre 2008.
276
de l'Ituri. Cette raison, tout à fait plausible, est d'ailleurs également mentionnée par des gradés
ougandais qui se sont confiés à l'ambassade américaine à Kampala peu après les faits422.
Dès le 11 août 2007, le président Kabila téléphone à son homologue ougandais pour s'excuser
de cet incident. Il promet d'envoyer au plus vite son ministre des affaires étrangères Antipas
Mbusa Nyamwisi afin de donner des explications plus détaillés sur ce qui s'est passé. Ne
voyant toujours rien venir, c'est finalement le ministre des affaires étrangères ougandais Sam
Kutesa (voir portrait ci-dessous) qui se rend à Kinshasa.
Sam Kutesa né en 1949 est ministre des affaires étrangères depuis 2005. Il a été reconfirmé à
ce poste le 27 mai 2011. Il fait partie des rares ministres ougandais qui a une réelle autonomie
et peut influencer les décisions du président. Lors de son mariage le 16 août en 2008 avec
Edith Gasana (une ex responsable du PNUD au Bénin), Yoweri Museveni était d'ailleurs
présent avec son épouse Janet. Dès sa première élection en 2001 comme député du district de
Sembabule, Sam Kutesa est nommé secrétaire d'Etat aux investissements. Il est avocat de
formation, avant de rentrer en politique, il a d'ailleurs exercé dans un cabinet privé entre 1973
et 2001.
L'un des télégrammes de Wikileaks sur cette rencontre est intéressant à étudier. En effet,
l'officiel ougandais confie aux diplomates américains que Kabila est tout à fait d'accord de
discuter directement avec son homologue, il ajoute même que cela ne le dérangerait pas qu'un
sommet bilatéral se déroule en Ouganda (où il a passé une partie de sa jeunesse ainsi qu'à Dar
Es Salaam) comme le propose le ministre Kutesa. Cependant, le président congolais, par
l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, ajoute que vis-à-vis de sa population, il
doit toujours agiter le sentiment anti-ougandais423 et qu'il préfère donc un terrain de rencontre
plus neutre. Joseph Kabila ne peut donc pas encore se permettre de se rapprocher de façon
trop visible de son ex-ennemi. La population a à l'époque besoin d'être confrontée à la
représentation d'un Ouganda symbolisant l'ennemi et l'envahisseur (tout comme le Rwanda).
Kabila peut ainsi en jouer à des fins électorales ou en tous cas, éviter que ses adversaires
politiques utilisent une proximité affichée avec l'Ouganda contre lui. Les Congolais ont
tellement souffert des différentes invasions des armées étrangères, quelles qu’elles soient,
qu'ils ne sont pas en capacité d'oublier et de pardonner si facilement.
422 Wikileaks, Kampala Embassy, 11 septembre 2007. 423 La formule en anglais "but had to continue to beat an "anti-Uganda drum" for domestic purposes" est sans équivoque. Elle montre combien il est encore difficile de se montrer trop proche des pays qui ont envahi le Congo entre 1998 et 2003 comme l'Ouganda et le Rwanda. Et ce alors que le président congolais souhaiterait personnellement une normalisation plus rapide.
277
Ce terrain neutre de négociation sera bien vite trouvé. Le président tanzanien Jakaya Kikwete
accepte rapidement d'accueillir le sommet entre les deux chefs d'Etat à Arusha (nord du pays)
près du volcan de Ngurdoto. Outre l'importance de démarquer et de sécuriser la frontière sur
le lac Albert ainsi que de la préciser au niveau terrestre (au nord et au sud du lac), plusieurs
autres thèmes sont à l'ordre du jour : le partage des ressources (pétrolières), la relance de la
commission mixte permanente entre les deux pays (créée avant la guerre pour discuter des
sujets économique et de sécurité mais arrêtée depuis la chute de Mobutu en 1997), et enfin le
rétablissement des relations diplomatiques en ouvrant de nouveau des ambassades de part et
d'autre424. En d'autre terme, la tuerie d'août a permis une discussion sur le pétrole mais
également un rapprochement diplomatique beaucoup plus large. Après près de dix ans de
suspicions mutuelles, suite au début de la deuxième guerre du Congo en 1998, tout contact
officiel a dû passer par des voies spéciales et non par des voies diplomatiques classiques. C'est
souvent dans l'adversité que des interlocuteurs en froid sont obligés de se reparler car la
population, déjà traumatisée par de longues années de guerre, y voit un intérêt immédiat :
éviter une reprise des violences.
Après plusieurs jours de discussions, assez détenues et cordiales entre les deux présidents qui
s'apprécient425, l'accord connu sous le nom de Ngurdoto est paraphé le 8 septembre 2007 (voir
en Annexe). L'Ouganda qui a besoin d'une sécurité maximale dans la région pour que le
pétrole coule au plus vite a vivement pressé la partie congolaise afin que le sommet ait lieu au
plus vite.
Si les deux Etats réaffirment dans cet accord l’intangibilité des frontières issues de la
colonisation, ils reconnaissent bien que le texte du 3 février 1915 signé entre la Belgique et la
Grande Bretagne est insuffisamment précis pour déterminer la frontière sur le lac Albert. La
principale avancée de l’accord de Ngurdoto est la mise en place d’une commission mixte
chargée de déterminer la frontière sur le lac (border authority). L’une des priorités de cette
commission est de régler le cas de la presqu'île de Rukwanzi426. Cette dernière (voir carte 32
424 En décembre 2005, la cour internationale de justice de Haye a condamné l'Ouganda à dédommager le Congo pour avoir envahi son territoire en 1998 et avoir pillé les matières premières de la province orientale. Cette somme n'a jamais été déboursée et a encore davantage tendue les relations entre les deux Etats. Source : http://www.congovision.com/nouvelles/ouganda_rdc.html. 425 Contrairement à leurs entourages qui tendent souvent de caricaturer la partie adverse pour que le statu quo perdure et le chaos continu pour permettre certains commerces frontaliers illégaux. 426 Cette île est surtout habitée par des pêcheurs congolais, entre 500 et 1000 selon les périodes. Il n’y a pas de maisons en dur mais plutôt des cases en bois pour que les pêcheurs puissent s’abriter et stocker leur marchandises avant de le revendre dans les villes, notamment à Kasenyi.
278
ci-dessous) se situe au sud du lac et n’existait pas lors de la période coloniale427. Rukwanzi est
supposée se situer à proximité d’une vaste nappe pétrolière. La présence de géologues comme
Nefdt dans la zone a renforcé des fantasmes côté congolais où plusieurs cadres rencontrés
estiment que l’île serait située au-dessus de réserves pétrolières.
427 Conversation avec le chercheur Johan Lavreau du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, juillet 2008.
279
Carte n°32: Ile de Rukwanzi disputée entre le Congo et l’Ouganda
Source : New Vision.
Du fait de l’absence de forage direct dans la zone428 il est toujours difficile de savoir si
Rukwanzi est proche d’une nappe pétrolière. Le champ de Kingfisher, l’une des plus
importantes découvertes jusqu’à maintenant, pourrait cependant être situé à proximité. Afin
428 Conscient du problème géopolitique entre les deux Etats, Tullow et Heritage n’ont quasiment pas foré dans le lac (seuls quelques forages dirigés horizontaux ont été effectués depuis la terre ferme). Les forages ont été principalement menés en onshore, sur les berges du lac Albert.
280
de calmer les deux parties, un administrateur par pays doit être envoyé sur l'île selon l'accord
de Ngurdoto ainsi qu'un nombre identique de policiers de part et d'autre. A Ngurdoto, il est
également acté que les ministres chargés des hydrocarbures devront se rencontrer dès
novembre 2007 pour élaborer un nouvel accord d’unitisation429. Ce dernier remplacerait celui
signé le 23 juin 1990 qui ne convient plus aux enjeux actuels du lac Albert430.
Plusieurs réunions de la commission technique mixte se sont bien tenues après l'accord de
Ngurdoto. Deux rencontres ont eu lieu en 2007, la première à Bunia et la deuxième à Entebbe
du 12 au 15 décembre 2007. A cette occasion, près de 70 Congolais, politiciens et cadres des
ministères de l’intérieur et des hydrocarbures se sont rendus en Ouganda. Les Congolais ont
notamment visité les installations pétrolières sur le lac Albert431. Le 28 janvier 2008, les deux
parties déterminent de nouvelles règles sur l’exploration pétrolière dans le lac Albert. Les
ministres des hydrocarbures congolais Lambert Mende Omalanga et son homologue à
l'énergie Daudi Migereko (Ouganda) se mettent d’accord sur une interdiction pour les sociétés
de s’approcher à moins de quatre kilomètres de la frontière maritime432. Cela ne fait que
repousser un peu plus le problème. Une autre réunion de la commission mixte s'est déroulée
en juin 2008 à Kinshasa. Cependant, en 2012 la délimitation des frontières précises n'est
toujours pas actée.
Comme nous l’avons vu, Ngurdoto ne règle pas tous les problèmes bilatéraux. Le 26
septembre 2007, soit quelques jours à peine après l'accord, des soldats ougandais font feu sur
un ferry congolais transportant des civils entre Rukwanzi et Kasenyi (situé sur la rive
ougandaise du lac). Il y aura six morts côté congolais, la majorité d’entre eux étant des
pêcheurs de Rukwanzi433. La cause de cet incident : les membres de l'UPDF (force armée
ougandaise) ont apparemment demandé aux deux soldats congolais à bord de désarmer, ce
qu'ils n'ont pas fait. La tension est donc encore extrême entre les deux camps. L'Ouganda qui
429 L'unitisation est un terme pétrolier. Il implique un processus de partage des ressources entre plusieurs compagnies ou Etats. Ce type de reglèment s'impose lorsque la nappe pétrolière dépasse les limites d'un bloc pour un pétrolier ou dépasse les frontières pour les pays. Dans ce cas, on détermine à qui appartient quoi en s’engageant dans un processus d'unitisation. 430 Benjamin Augé, op. cit, IFRI. 431 Benjamin Augé, op. cit, p 177. 432 Le ministre des hydrocarbures congolais Lambert Mende et son collègue de l’énergie ougandais Daudi Migereko amendent également le 28 janvier 2008 un accord signé en 1990 sur la gestion des gisements transfrontaliers. Selon Mende qui s’exprimait à l’Assemblée nationale le 13 juin 2008 sur les hydrocarbures « un gisement même localisé totalement dans un des deux pays mais difficile d’accès à partir de celui-ci pouvait être considéré comme commun. Aujourd’hui, seuls les gisements transfrontaliers sont reconnus communs et feront l’objet d’une procédure spécifique d’unitisation impliquant des opérateurs désignés par chacun des deux Gouvernements ». Texte lu par le ministre et publié dans le quotidien congolais La Prospérité, le 16 juin 2008. Disponible à l’adresse : http://africatime.com/rdc/nouvelle.asp?no_nouvelle=407340&no_categorie=. 433 Selon l’hebdomadaire ougandais The Independant, 24 juin 2012.
281
n'a toujours pas confiance en la partie congolaise (et vice versa) en particulier dans son armée,
doublé d'une crainte (probablement exagérée) d'actions de la Lord Resistance Army contre les
sociétés pétrolières, demande l'aide directe des Etats-Unis. Le 4 mars 2008, l'amiral américain
Greene ainsi que l'ambassadeur américain en Ouganda Steven A Browning se rendent ainsi à
Hoïma (l’une des plus grandes villes à proximité du lac Albert) avec des hauts gradés
ougandais afin de mettre en place une stratégie pour sécuriser la zone. Certains cadres de
Tullow sont aussi présents lors de ces réunions pour s’exprimer sur les points de faiblesse434.
L'un des brigadiers représentant l'UPDF informe les Américains que l'Ouganda n'a aucune
stratégie de protection des lacs, seuls huit bateaux sont mobilisés pour la protection de la
totalité du lac Albert (5270 km²). De plus, les militaires chargés de cette protection sont
insuffisamment formés. En d'autre terme, si l'état de l'armée congolaise laisse à désirer par
son manque de moyen et son manque d'homogénéité (du fait de l'intégration des différentes
milices), l'armée ougandaise ne semble pas davantage équipée pour la protection de ses eaux
territoriales. Toujours au cours de cette réunion, le représentant de Tullow, John Morlay,
déclare que sa société n'a pas vocation à payer des formations militaires à l'armée ougandaise
mais il propose d’aménager des accès routiers au lac435. Nous apprenons dans un télégramme
américain du 24 décembre 2008 que le ministère américain de la défense prévoit pour 2009 un
budget de formation de 150 000 dollars pour répondre aux demandes ougandaises sur le lac.
Afin de renforcer ce dispositif, le président américain Barack Obama signe en mai 2009 le
Lord's Resistance Army Disarmament and Northern Uganda Recovery Act qui vise à stopper
la LRA et son leader Joseph Kony. Le texte est accepté en mars 2010 par le Sénat et par la
chambre des représentants en mai. Le 24 novembre 2010, le président américain demande
davantage d'argent pour lutter contre la LRA au Congrès. Enfin, le 14 octobre 2011, une
nouvelle étape est franchie, Barack Obama décide d'envoyer (toujours en se basant sur l'act de
2009) une centaine de conseillers militaires afin d’aider l'Ouganda à lutter contre la LRA dans
cette région Nord et Nord-Ouest ainsi qu'au Congo, République Centrafricaine et Soudan du
Sud436. Si ces conseillers vont surtout être déployés en dehors de l'Ouganda, le moment de
leur déploiement coïncide avec l'approche de la mise en production des ressources pétrolières.
Leur base est d’ailleurs proche de l’aéroport d’Entebbe en Ouganda. Ce déploiement suit
aussi l'indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet 2011, dans laquelle les Etats-Unis ont été
434 Wikileaks, Kampala Embassy, 13 mars 2008. 435 Il poursuit en disant qu'il investit déjà 250 000 dollars dans des infrastructures : 3 écoles primaires, une maternité, un centre de collecte de miel, ainsi que le salaire de certains professeurs, La société a également financé la construction d'un centre d'urgence à Kaiso pour secourir les pécheurs 436 www.cnn.com, 14 octobre 2011.
282
très impliqués437. Le programme américain contre la LRA s’inscrit donc en appui de ce que
l’armée américaine fait déjà dans cette région. Cela participe en tout cas à la sécurisation de la
zone pétrolière.
Afin d'accélérer le processus de réconciliation entre l’Ouganda et le Congo, un nouveau
sommet est organisé entre les deux présidents le 11 mai 2008 à Dar Es Salaam. A partir de
cette date, la presqu'île de Rukwanzi est officiellement administrée de façon conjointe438. Les
militaires des deux côtés frôlent parfois les combats pour défendre « leur » île. Rukwanzi est,
selon Kampala à l’Ouganda ; selon Kinshasa, puisque des centaines de pêcheurs congolais y
séjournent en permanence depuis longtemps, l’île est devenue congolaise. Les archives
cartographiques belges, détenues par le musée Tervuren près de Bruxelles, ne donnent pas
davantage d’informations sur la souveraineté de cette île nouvelle. Pour les spécialistes,
l’acharnement des deux parties à détenir les droits sur cette terre, proviendrait peut-être du fait
qu’on pourrait y positionner des instruments de forage. Cela rendrait l'exploration moins
onéreuse qu'en offshore complet. Dans le compte rendu de la réunion de Dar Es Salaam, les
deux présidents expriment aussi leur volonté d'échanger au plus vite des ambassadeurs dans
leurs capitales respectives. Comme la démarcation n'a pas encore pu avoir lieu sur le lac
Albert, les deux présidents acceptent de respecter une zone de 4 kilomètres de part et d'autre
de la frontière (décidées en janvier par leur ministre respectif de l'énergie) dans lesquelles
aucune exploration ne sera menée.
Cependant, une fois encore, le problème de frontière reste entier. La principale difficulté est
que la séparation déterminée dans le texte de 1915 par le lit de la rivière Semliki a bougé: il
s'est déporté de plusieurs centaines de mètres vers l’ouest réduisant la part du Congo sur les
eaux du lac. En cas de forage au centre du lac, les deux parties vont devoir se mettre d’accord
précisément sur une délimitation pérenne qui ne se base pas sur des éléments naturels en
mouvement comme le lit d’une rivière. L’une des solutions à envisager serait la création
d’une zone de développement conjoint (ZIC ou ZDC) comme celle de la façade océanique
entre le Nigeria et Sao Tomé et Principe (Partie I). Celle-ci pourrait englober toute la zone
frontalière sur quelques kilomètres de largeur sur toute la longueur du lac. Les sociétés
437 Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes en Afrique, Fayard, 2010. 438 Pour les cadres chargés de ce problème au ministère des affaires étrangères ougandais, l’île de Rukwanzi appartient à l’Ouganda depuis la colonisation. Peu à peu des pêcheurs congolais s’y sont installés sans autorisation. Cela a permis à Kinshasa d’affirmer que l’île lui appartient du fait du peu de résistance ougandaise. L’accord de Dar Es Salaam prévoit que les autorités locales militaires et civiles proches du lac Albert doivent en référer au commandement militaire et politique à Kinshasa et à Kampala avant de prendre une quelconque initiative.
283
exploitantes reverseraient (pourcentage à déterminer) à chacun des deux Etats leurs parts des
revenus tirés du pétrole produit dans la ZIC.
Cependant, si la frontière n’est pas déterminée, la relation entre les deux pays a
considérablement évolué. L’Ouganda n’a plus les mêmes intérêts que dans le passé à une
instabilité de l’Ituri. Museveni souhaite que la production pétrolière puisse commencer au
plus vite et que l’Ouganda devienne le carrefour pétrolier du lac Albert. La production
congolaise du lac et de ses environs pourra uniquement être exportée par le territoire
ougandais. Tullow et ses nouveaux associés, Total et CNOOC prévoient de construire un
oléoduc qui relierait le lac Albert jusqu’au port de Mombasa au Kenya. La production
atteindra à terme quelque 200 000 à 250 000 bpj et ne pourra pas être totalement (loin de là)
consommée localement439. Nous développerons ce point à la fin de cette partie.
La relation entre le Congo et l’Ouganda évolue lentement après la mort de l’ingénieur
britannique. Il faut attendre finalement le 3 mars 2009, lors d’une nouvelle entrevue à Kasese
(RDC), pour que Museveni et Kabila décident après une décennie de rupture, de reprendre les
relations diplomatiques. Une nouvelle étape symbolique est franchie lorsque pour les
festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la RDC le 30 juin 2010, le président
Museveni est présent à la tribune officielle. Hors des questions pétrolières, la principale raison
de ces retrouvailles est que Kampala veut que la RDC se mobilise contre l’Armée de
Résistance du Seigneur qui échappe à l’Uganda People Defense Force (UPDF) en se jouant
des frontières entre la RDC, la République Centrafricaine et le Soudan du Sud. Plusieurs
missions conjointes entre l’armée ougandaise et congolaise ont d’ailleurs eu lieu en 2009 pour
chasser la LRA et arrêter son chef Joseph Kony440.
Cependant malgré ces avancées notables, un climat de méfiance latente subsiste tout de même
entre les deux Etats. Il est alimenté par une suspicion permanente sur Tullow et Heritage
(lorsque la société était encore dans le pays). La presse congolaise se fait l’écho du point de
vue de certains responsables de la politique pétrolière en RDC incriminant les compagnies qui
pomperaient le brut congolais à partir des rives ougandaises. Techniquement, cette opération
439 Une petite raffinerie devrait être construite rapidement pour traiter le brut nécessaire à la consommation locale. Cela pourrait notamment remplacer le fuel lourd jusqu’alors importé. De grandes quantités de fuel lourd sont actuellement utilisées dans les cimenteries comme celle de Hima Cement Ltd (filiale de Lafarge en Ouganda) qui a négocié avec Tullow pour son approvisionnement. Plusieurs centrales électriques comme celles opérées par Jacobsen Elektro AS et Aggreko (à elles deux elles produisent 120 MW) fonctionnent aussi au fuel lourd. Elles en importent actuellement pour plus de 40 millions de dollars par an. Sources : Africa Energy Intelligence, n°628, 19 mai 2010. 440 Voir International Crisis Group, rapport Afrique n°157, L’Armée de Résistance du Seigneur, une stratégie régionale pour sortir de l’impasse, 28 avril 2010.
284
est faisable en utilisant des forages dirigés, mais cela serait sans aucun doute un casus belli
pour les autorités congolaises. En l’occurrence, le pétrole ne coule pas encore en Ouganda,
donc aucun fondement crédible n’étaye ces rumeurs qui rendent les négociations lourdes de
sous-entendus. Les poids du passé et de la guerre sont toujours bien présents. Outre les
relations personnelles difficiles entre certains cadres au sein des compagnies et les
décisionnaires congolais, il y a le fait que Tullow et Heritage (qui espéraient encore jusqu'en
2010 obtenir les blocs 1 et 2 en Ituri) représentent les compagnies de l’Ouganda. Lors des
négociations de Ngurdoto en septembre 2007, Tim O'Hanlon, le directeur Afrique de Tullow
était d'ailleurs présent comme conseil à la partie ougandaise. Cela a été très mal ressenti par
les Congolais. Ces compagnies ont, du fait de leur rôle de pionnières beaucoup influencé le
gouvernement ougandais dans sa politique pétrolière. Cette image de « proche de Kampala »
leur a causé des torts irrémédiables à Kinshasa. Le manque de clarté sur le rôle des acteurs
pétroliers a clairement complexifié la relation bilatérale Ouganda/RDC qui reposait déjà sur
des préjugés très négatifs.
2 Le litige frontalier entre la République démocratique du Congo et
l'Angola
Si la relation entre le Congo et son voisin ougandais est complexe, l’analyse de celle avec
l'Angola l'est probablement encore davantage du fait du nombre très réduit de sources et de
témoignages écrits sur lequel se reposer. Aucun des deux acteurs ne donne réellement
d’indices pour analyser convenablement l'évolution de cette relation si fondamentale dans la
région. Au niveau des représentations, il est très difficile pour un ministre ou pour un
représentant de l'Etat congolais de dire qu'il se sent proche de l'Angola. Les Congolais se
méfient tout autant de l'Ouganda que de l'Angola qui est devenue une puissance continentale
(3ème économie du continent après l’Afrique du Sud et le Nigeria) du fait de ses revenus
pétroliers (voir partie I). Cette relation est d'autant plus intéressante à analyser que l'Angola,
dès la présidence de Laurent Désiré Kabila, a aidé à combattre et a repoussé dans leur pays
respectif les armées ougandaises et rwandaises. L’Angola pourrait donc être considéré comme
le sauveur de la RDC, mais cela n’est pas le cas : pour la population, les très fréquentes
expulsions de Congolais d'Angola depuis 2003 (suivis toujours de mesures identiques de la
part du gouvernement congolais) compliquent les relations441. Et ce alors que c'est très
441 Ce phénomène a commencé dès la fin 2003 avec un premier objectif : expulser les creuseurs congolais très présents dans les provinces du Nord de l'Angola, très riches en diamants. Les Angolais, principalement militaires, ont voulu à partir de ces années contrôler ce "business", l'un des plus rémunérateurs du pays après celui du pétrole. Le deuxième objectif est apparu plus tard, vers 2009, avec l'expulsion très massive de Congolais
285
souvent les mêmes familles qui habitent des deux côtés de la frontalière, dans les provinces du
Bas-Congo, Bandundu et du Kasaï Occidental d'un côté et celles de Cabinda, Zaïre, Uige,
Malange et Luanda Norte de l'autre.
Depuis l'aide de l’armée de l'Angola en 1998 pour repousser les « envahisseurs » rwandais et
ougandais, le fil directeur de la relation Angola/Congo doit s’appréhender comme une
sujétion de plus en plus importante. Cet état de fait s'est accéléré davantage avec la fin de la
guerre civile en Angola à la mort de Jonas Savimbi en 2002, le pays a commencé à accumuler
d'immenses réserves en devises et a pu user de cette force dans ses relations avec les élites
congolaises.
Le plus grand enjeu pétrolier de la RDC qui n'est pas réglé depuis les années 1990 se joue sur
sa façade océanique. Si le pays ne produit actuellement que 27 à 28 000 bpj, c’est en partie
parce que sa zone économique exclusive est (anormalement) très réduite. L'étude d'une carte
de la côte maritime de la RDC qui s’étend sur 37 kilomètres, permet de rapidement remarquer
que les eaux territoriales congolaises représentent uniquement un petit triangle équivalent à
une centaine de kilomètres carré à peine. La carte la plus précise (et la plus à jour) est
d’ailleurs celle de la société nationale angolaise Sonangol442 (ci-dessous).
(plusieurs dizaines de milliers selon l'ONU) pour témoigner du mécontentement angolais face aux revendications de son voisin sur les blocs pétroliers à l'embouchure du fleuve Congo. On compte plusieurs centaines de milliers de Congolais expulsés du territoire angolais, souvent après été battus ou violés pour les femmes (voir par exemple ce témoignage recueilli par BBC en octobre 2011 :http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2011/10/111014_angolaviolences.shtml). Sources : Agence France presse, 27 octobre 2009. Luanda se « venge » des demandes congolaises à l’ONU sur les blocs pétroliers dans les eaux maritimes. Le Congo réplique à son tour après le mois d’août 2009 en renvoyant des Angolais chez eux. Le 13 octobre 2009, un moratoire sur les expulsions est signé entre les deux Etats. Sources : New York Times, 14 octobre 2009. Cependant, le moratoire n'a pas été respecté, des Congolais ont de nouveau été expulsés depuis le mois de janvier 2010. 442 Disponible sur le site internet de la société : www.sonangol.co.ao.
286
Carte n°33 : Zone économique exclusive de la RDC, étouffée par les blocs angolais.
Source : Sonangol/Benjamin Augé
Sur cette carte, les blocs angolais cernent complètement les eaux territoriales congolaises
(dans le rectangle courge sur la carte) déterminées en 1974 du temps de Mobutu Sese Seko443.
Les blocs ainsi attribués par l'Angola empêchent même le Congo d'avoir un accès à la haute
mer ce qui est illégal du point de vue du droit international444. Selon l'alinéa 6 de l'article 7 de
la convention de Montego Bay: "La méthode des lignes de base droites ne peut être appliquée
par un Etat de manière telle que la mer territoriale d'un autre Etat se trouve coupée de la
haute mer ou d'une zone économique exclusive". Comme on le verra, un « couloir central »
sera accepté en 2003 entre les deux parties, ce qui permettra cet accès à la haute mer pour le
Congo. Celui-ci est très limité et fait partie de la stratégie de négociation d’endormissement
de l’Angola. Or, aujourd’hui l’Angola produit 1,85 millions de bpj445 en grande partie dans
cette zone contestée.
443 Historiquement, c’est le 15 février 1885 qu’a été signé le traité qui donne au Portugal l’enclave de Cabinda qui va de Landana à Molembo avec les eaux territoriales correspondantes. Cependant, aucune coordonnée précise délimitant les eaux maritimes n’a jamais figuré dans une loi, y compris après l’indépendance de l’Angola en 1975. Les frontières terrestres issues de la colonisation ont été réaffirmées et considérées comme intangibles lors de la première conférence de l’organisation de l’Union africaine le 21 juillet 1964 au Caire. C’est par une loi très floue datant de 1974 que le Congo détermine ses frontières maritimes. 444 Selon la convention de Montego Bay de 1982 qui régit jusqu'à maintenant le droit de la mer. 445 Les chiffres sont issus du BP Statisctical Review of World Energy 2011. La production pétrolière en Angola est passée de 745 000 bpj en 1999 à 1,78 en 2009. Cela est le résultat de deux phénomènes interdépendants. D’abord l’arrêt de la guerre civile en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi revêt un signal pour les compagnies pétrolières qui décident donc d’augmenter considérablement leurs investissements. Grâce à ce surcroit de moyens, les majors pétrolières, en particulier Chevron, Exxon, Total et BP vont faire de multiples découvertes
287
2-1 Des blocs angolais contestés par le Congo
La RDC demande depuis le mois de juin 2003 formellement et de façon plus informelle
depuis plus bien plus longtemps446, une partie de la production des blocs producteurs en eau
profonde dans la zone de Cabinda ainsi qu’au nord de la zone économique exclusive de
l’Angola continentale (terme n'englobant pas l’enclave de Cabinda). La RDC n’a eu aucun
moyen de négocier avant 2003 pour cause de guerre interne. L’Etat était au plus faible à la fin
des années 1990 et la période de transition de Laurent Désiré Kabila de 1997 et 2001 a été
brutalement stoppée par l’assassinat de ce dernier. Le nouveau président, Joseph Kabila n’a
pas non plus été en position de demander, dans ses premières années de pouvoir, une
renégociation des frontières maritimes avec son voisin. Les questions sécuritaires dominaient
à l’époque, en particulier dans la province Orientale et dans les Kivus. De plus, l’Angola a
aidé militairement le Congo pendant cette deuxième guerre du Congo (1998-2003) contre le
Rwanda et l’Ouganda et ses multiples milices. Il était donc à l’époque difficile de demander
quoique ce soit au voisin angolais. La dernière raison pour laquelle ce problème de frontières
maritimes n’a pas éclaté avant 2003 est que la production pétrolière dans les blocs litigieux a
commencé très tard. Elle s’est échelonnée entre 2000 et 2004.
Même s’ils sont conscients de leur supériorité économique, politique et militaire, les Angolais
comprennent447 qu’ils ne peuvent pas proposer un perpétuel statu quo aux Congolais. Une
stratégie de "pseudo-négociation" se met alors en place, dans le but premier est de faire croire
à l'ouverture d'une nouvelle phase alors que les Angolais n'ont aucune envie d'avancer dans
les discussions. La stratégie, qui dure encore aujourd'hui (en 2012) est de gagner du temps
alors que le pétrole coule toujours dans les zones litigieuses en faveur de l'Angola. Dès le
début, les négociateurs angolais ont comme mot d'ordre de ne jamais lâcher une zone
dans l’offshore profond. C’est notamment le cas des blocs 14 et 15, 31 qui sont litigieux avec Kinshasa. Cette exploration dans les eaux profondes angolaises résulte également des progrès techniques importants depuis les années 1990. 446 Les années Mobutu ont déjà connu quelques négociations informelles, peu poussées du fait de l’absence de production à l’époque dans les zones litigieuses. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila en 1997 met momentanément fin à tout processus de discussion. En effet, le ministre d’Etat chargé de l’économie puis du pétrole en 1999, Pierre-Victor Mpoyo est très proche des Angolais. Il a notamment été l’un des dirigeants de la branche angolaise de la société pétrolière Elf dans les années 1990. Il a également favorisé la venue de la Sonangol dans la distribution d’hydrocarbures au Congo. Mpoyo va être l’un des artisans du soutien de l’Angola à Laurent Désiré Kabila contre le régime Mobutiste (1996-1997), soutien qui ne se démentira pas après 1997. Mpoyo considère que cette aide politique et financière de Luanda conditionne une certaine retenue sur le dossier des blocs pétroliers en offshore. Laurent Désiré Kabila en sera assez rapidement convaincu. Mpoyo est aussi l’un des hommes politiques qui a milité pour que Joseph Kabila gouverne à la suite de la mort de son père en 2001. Il va cependant rapidement s’écarter du nouveau président suite à des désaccords politiques et des problèmes de santé. Sources : Africa Energy Intelligence, n°464, 4 juin 2003. 447 Entretiens avec des avocats portugais de la Sonangol.
288
productrice ou en voie de l'être. En mai 2003, les premiers rounds de discussions entre les
deux Etats commencent à Luanda. Les blocs litigieux sont le 1 (opéré par Tullow depuis
2006), le 14 (opéré par Chevron448 depuis 1995), le 15449 (opéré par Exxon-Mobil depuis
1994) et dans une moindre mesure le 31450 (opéré par BP depuis 1999). Voir carte ci-dessous :
448 Chevron opère en Angola par l’intermédiaire de sa filiale qu’elle contrôle à 100% : Cabinda Gulf Oil. 449 A l’intérieur du bloc 15, un nouveau périmètre a été octroyé depuis 2006, il s’agit du bloc 15/06 situé dans la partie est de la zone. A chaque fin de période d’exploration, les sociétés ont en effet l’obligation de rendre une partie de leur bloc (la plupart du temps équivalent à 25% de la surface totale explorée). C’est la raison de la création de ce périmètre à l’intérieur d’un bloc déjà existant. Sept forages ont déjà mis à jour de très importantes découvertes mais le bloc 15/06 ne produira que vers 2014. Il est opéré par l’italien ENI avec 35% des parts. Sources : www.eni.com. 450 Le bloc 31 opéré par BP est le seul disputé par le Congo à être situé dans les eaux très profondes soit à peu près à 2000 mètres sous le niveau de l’eau.
289
Carte n°34 : Blocs pétroliers litigieux entre la RDC et l'Angola
Sources : Total et Benjamin Augé
Notons que les blocs 1 et 31 ne sont pas encore producteurs. Le 31 devrait être produire en
2013, avec un débit de 200 000 bpj, cela va complexifier davantage le problème. Lors de ces
290
négociations de Luanda, le Congo réclame 200 000 bpj à son voisin alors que seul le bloc 14
produit depuis janvier 2000 quelque 100 000 bpj grâce notamment au champ de Kuito ;
suivront ensuite les champs de Benguela Belize–Lobito Tomboco, Tombua et Landana. Du
côté angolais, c’est le vice-président de la Sonangol, Syanga Abilio451, qui dirige de 2003 à
2008 les négociations avec les Congolais. Côté congolais, les interlocuteurs vont souvent
changer, donnant davantage de facilité à la partie adverse pour faire durer le processus, géré
principalement par des cadres du Ministère de l’intérieur et des hydrocarbures, ainsi que les
ministres des affaires étrangères et parfois même le Premier Ministre.
2-2 Nouvelles manœuvres dilatoires: la création d'une zone de développement
conjoint
En août 2003, un premier memorandum of undestanding (accord de principe) sur les
frontières est signé à Luanda entre les deux Etats. Cet accord met en place des comités
techniques mixtes pour faire des propositions en vue de régler définitivement le différend. Il
met officiellement la question des frontières au centre des relations bilatérales. Une nouvelle
zone spéciale d’exploration parfois connue sous le nom de zone d’intérêt commun (ZIC452)
est créée en principe entre les deux Etats dès 2004. Selon le texte en discussion, elle
comprend des périmètres au nord du bloc 1, au sud du bloc 14, au nord du bloc 15 et 31453.
Cependant l’Angola, dont les négociations sont toujours dirigées par Syanga Abilio, souligne
bien qu’aucun champ en production ou en développement ne fera partie de la ZIC. Cette
dernière est approuvée en principe dès septembre 2004 par le gouvernement angolais454. Il
faut cependant attendre 2007 pour que le Sénat congolais donne à son tour son accord à un
texte définitif signé le 30 juillet 2007 par le ministre des hydrocarbures congolais Lambert
Mende Omalanga et son homologue angolais Desiderio Verissimo e Costa. Ce délai est à
451 Syanga Abilio est depuis 2008 le vice-ministre angolais de l’environnement. L’un des avantages de ce haut cadre est qu’il parle parfaitement le français, indispensable pour négocier avec les Congolais. Abilio a obtenu un diplôme d’ingénieur en géologie en Algérie. Il est entré à la Sonangol en 1982 après avoir travaillé pour Total. A la Sonangol, il a exercé plusieurs postes de direction comme responsable de la commission allouant les concessions dans les bassins de Soyo et Cabinda. En 1993, il est nommé directeur de l’exploration-production du la société nationale avant de rentrer à son conseil d’administration comme vice-président (1999-2008). Sources :http://www.mstelcom.co.ao/wps/portal/!ut/p/c1/04_SB8K8xLLM9MSSzPy8xBz9CP0os3gDd2N_AzefUEMXA38Pi0BjI1NjQwMwAMpHAuUtjJ19DI0NXByB8t6mhsaWRgZQefy6w0H24dePTd4lyBBVHgdwNND388jPTdUvyI0wyAxIVwQAQmRDKw!!/dl2/d1/L0lDUmlTUSEhL3dHa0FKRnNBL1lCUlp3QSEhL2VuX1VT/. 452 Une autre Zone d’intérêt commun a été créée en juin 2003 entre la République du Congo (Brazzaville) et l’Angola. Elle concerne la partie sud du permis congolais de Haute Mer ainsi que la partie nord du bloc 14 au Cabinda angolais. Les revenus de cette zone seront partagés à égalité entre Brazzaville et Luanda. La découverte de Lianzi en 2004 par Chevron devrait être mise en production dès 2015 selon le groupe pétrolier américain. Sources : www.tendersinfo.com, 31 décembre 2009. 453 International Oil Daily, 4 septembre 2004. 454 Africa Energy Intelligence, n°494, 22 septembre 2004.
291
imputer en grande partie au contexte politique du Congo qui se trouve de juillet 2003 (début
de l’application de l’accord de Sun City en avril 2002) à décembre 2006 (élection de Joseph
Kabila) dans une transition politique difficile avec la formule 1+4, soit le président Joseph
Kabila et quatre vice-présidents. Le chef de l’Etat congolais n’a pas encore la légitimité pour
traiter des dossiers lourds qui engagent le pays sur le long terme. En Angola, le contexte est
bien différent, depuis 2002 et la mort de Jonas Savimbi de l’UNITA455, le président José
Eduardo Dos Santos peut prendre les décisions en toute indépendance. Il n'est pas à exclure
que le retard de la mise en place de cette ZIC soit également imputable à certains cadres
congolais, opposés à un procédé qui vise une nouvelle fois à repousser la discussion sur les
réels problèmes: la détermination des frontières latérales et par ricochet immédiat, le partage
des blocs producteurs.
Le dossier des frontières maritimes est relancé après l’élection de Joseph Kabila comme
président plénipotentiaire (c'est-à-dire sans vice-président) à la fin 2006. Après la signature de
la création de la ZIC par le Parlement congolais le 22 septembre 2007, c’est le Sénat qui se
prononce favorablement le 2 octobre de la même année456. Cependant, si la loi instaurant la
ZIC est bien votée, sa superficie et ses coordonnées exactes restent floues selon certains
parlementaires nationaux comme Gilbert Kiakwama (démocrate-chrétien du Bas-Congo). En
effet, le texte définitif ne donne aucune indication plus précise que : nord ou sud des blocs 1,
14, 15 et 31457. Pour convaincre les députés de signer le texte, le ministre congolais des
hydrocarbures Lambert Mende Omalanga promet devant l’Assemblée nationale que cette ZIC
pourrait faire tripler la production du pays à long terme.
Lors des discussions sur la ZIC, s’engage également le débat sur l’absence d’accès à la haute
mer, qui est comme on l’a vu avec Montego Bay illégal du point de vue du droit international.
L’Angola propose dès 2003 à son voisin congolais, la création d’un couloir maritime (de
quelques kilomètres à peine) qui permettrait à Kinshasa d’explorer l’offshore profond458. Le
12 mars 2008, le président Kabila signe le décret présidentiel nº 08/022 qui attribue le premier
contrat de partage de production dans le couloir maritime à la société Nessergy ltd. Cette
dernière, basée à Londres, est totalement inconnue du milieu pétrolier. Son directeur général
Congo est l’homme d’affaires français Gad Cohen. Cohen est assez discret, il a servi
455 União Nacional para a Independência Total de Angola. 456 Africa Energy Intelligence, n°566, 10 octobre 2007. 457 Le texte peut être téléchargé avec les remarques de certains sénateurs à cette adresse : http://www.congoone.net/PDF/MendeContratPetrole.pdf. 458 Africa Energy Intelligence, n°466, 2 juillet 2003,
292
d’intermédiaire politique dans la guerre civile congolaise459 (Brazzaville) et a été membre
actif d’un comité d’hommes d’affaires promouvant l’amitié franco-ivoirienne par
l’intermédiaire de sa société Conseil International460. Nessergy n’a pour le moment pas
commencé le moindre travail d’exploration dans la ZIC. En octobre 2008, Nessergy s’est
associé avec le Gertner Group dirigé par les frères Moshe et Mandy Gertner. Gertner Group a
pris 49% du bloc461. Pour le moment, l’investissement des deux sociétés tient plus d’une
logique spéculative que d’un réel intérêt pour conduire des recherches afin de développer le
bloc. Sachant que ce bloc est en offshore, les moyens à consacrer à son exploration sont très
importants. Les travaux sont cependant aussi bloqués par le différend frontalier qui perdure
aujourd'hui. Le bloc de Nessergy a cependant été renouvelé le 9 avril 2012 alors que le
gouvernement en place n’était chargé que des affaires courantes avant la formation d’un
gouvernement de plein exercice462.
Le problème de la ZIC a ressurgi en 2011 dans les négociations bilatérales sur la question
pétrolière. Dans les multiples voyages de septembre/octobre à Luanda, les officiels congolais,
en particulier Gustave Beya Seku, le directeur de cabinet du président, Michel Ngoi Kahese,
le conseiller hydrocarbures à la présidence, et le ministre de la coopération internationale
Raymond Tshibanda, le sujet ZIC a été remis sur la table des négociations463. Cependant, à
quelques semaines des élections présidentielles de novembre, cette stratégie peut être
davantage comprise comme une tentative d’obtenir des « cadeaux » plutôt que de tenter de
réellement faire avancer les choses. Ces trois personnalités ne savaient pas à quel poste ils
officieraient après ce scrutin, voire même s'ils auraient un poste.
459 La Lettre du continent, n°339, 28 octobre 1999. 460 La Lettre du continent, n°442, 19 février 2004. 461 Africa Energy Intelligence, n°594, 10 décembre 2008. 462 Africa Energy Intelligence, n°674, 2 mai 2012. 463 Conversation avec Michel Ngoie Kahese, octobre 2011.
293
2-3 Le plateau continental, un débat international cachant un problème
bilatéral
Cependant, la nouvelle ZIC, décidée en 2007, ne règle en aucune façon le problème des
frontières maritimes liées aux hydrocarbures464 entre le Congo et l’Angola. Plusieurs
négociateurs congolais465 expliquent que les Angolais, et en particulier Syanga Abilio, ont,
dès les premières réunions en 2003, mis de côté la question ultrasensible des frontières liées à
l’extension du plateau continental. En effet, chaque Etat a la possibilité d’étendre son plateau
continental. L’Etat doit ainsi prouver que les structures géologiques de sa zone économique
exclusive qui s’arrête aux 200 miles marins, se prolongent jusqu’aux 350 miles marins466,
limites maximales du plateau continental. Entre les 200 et 350 miles, l’Etat doit partager les
revenus de l’exploitation des ressources minérales avec l’Autorité internationale des fonds
marins, plus connu sous son appellation anglo-saxonne International Seabed Authority. Basée
à Kingston en Jamaïque, elle représente l’ONU pour la gestion des fonds marins. C’est la
Commission on the limits of continental shelf composée de 21 experts en géologie,
géophysique et hydrographie qui est chargée de statuer sur les limites de ce plateau
continental467. La commission ne se réunit que deux fois par an à New York.
Pour Luanda, la ZIC permettait initialement de clore le sujet des frontières maritimes en
donnant une nouvelle zone à la RDC où aucune découverte n’a encore été mise à jour. Cela ne
menaçait donc en rien la production qui croît régulièrement grâce aux nouveaux gisements.
En 2010, la production sur le bloc 14 (Chevron) est de 197 000 bpj et celle du bloc 15
(Exxon-Mobil) atteint quasiment 700 000 bpj. BP ne produit pas encore sur le périmètre 31,
tout comme Tullow sur le bloc 1468. Avec la mise en développement des champs de Tombua
et Landana, Chevron a accru la production du bloc 14 de 100 000 bpj supplémentaires en
2011. Exxon-Mobil vise quant à lui les 800 000 bpj sur le bloc 15 d’ici 2013. Les réserves de
464 Les frontières terrestres entre l’Angola et le Congo posent aussi problème en particulier au sud des provinces du Bas-Congo et du Bandundu où les bornes de délimitation sont régulièrement déplacées ou volées. En cas de brouille entre les deux Etats, des travailleurs frontaliers sont expulsés. La plupart des Congolais qui travaillent dans la zone frontalière sur le territoire angolais (province de Luanda Norte) sont comme on l'a vu des petits creuseurs à la recherche de diamant. L’enclave angolaise de Cabinda a aussi expulsé des milliers de Congolais. 465 Notamment l’un des conseillers du ministère des hydrocarbures sous Lambert Mende Omalanga. 466 Toutes ces données ont été codifiées dans la Convention des nations unies sur le droit de la mer signé en 1982 à Montego Bay (Jamaïque). C’est l’article 76 qui définit le plateau continental. Le Congo a ratifié cette convention en septembre 1988. 467 Voir sur cette question de délimitation du plateau continental : Nuno Marques Antunes, Fernando Mai Pimentel, Reflecting on the legal interace of article of the LOSC, tentative thoughts on practical implementation, 3nd Ablos International Conference à Monaco, 28-30 octobre 2003. 468 Le bloc 31 a cependant déjà mis à jour de grandes découvertes avec les champs de Plutão, Saturno, Vênus et Marte dont la production commencera dès 2011. Quant à Tullow sur le bloc 1, si aucune mise en développement n’est encore programmée, les champs de Pitanguiera, Bananeira et Sapesapeiro ont déjà été mis à jour.
294
ces deux blocs sont considérables, plusieurs milliards de barils chacun pour le 14 et le bloc
15.
Le dossier ultra-sensible du plateau continental que les Angolais pensaient enterrer grâce à la
ZIC, devient pour la première fois un sujet public au mois de mars 2009. Le ministre des
hydrocarbures congolais, René Isekemanga Nkeka, déclare à l’agence Reuters lors d’une
visite à Brazzaville que l’Angola occupe « de fait le territoire du Congo » et que « certains
blocs producteurs pourraient revenir au Congo »469. Le ministre des hydrocarbures a par la
suite démenti ses propos à la Radio Okapi, sa sortie médiatique n'ayant certainement pas eu
l’aval préalable du chef de l’Etat congolais. Kabila lui en a par la suite tenu rigueur (il ne l'a
pas reçu une seule fois en tête à tête durant sa charge de ministre). C'est la première fois
qu'une déclaration aussi forte et médiatisée sur ce litige pétrolier avec l'Angola. Pour réparer
« l’affront » fait à son grand voisin, Kabila envoie à Luanda son premier ministre Adolphe
Muzito le 21 juin 2009 pour s’entretenir avec le président angolais. Isekemanga n’est pas du
voyage. Officiellement il a raté son avion mais en réalité l’Angola ne veut plus traiter avec
lui. Cette visite n’a cependant pas réussi à calmer l’Angola. Et pour cause, le Congo a donné,
début juin 2009, comme plusieurs dizaines d'autres pays dans le monde, son dossier à la
commission de l’ONU chargée de statuer sur la question de l’extension des plateaux
continentaux.
Kinshasa saisit ainsi l’opportunité de la discussion mondiale sur les plateaux continentaux
pour affronter de façon détournée son voisin sur les frontières latérales. Le Congo reproche à
l’Angola de produire depuis près de quinze ans dans ses eaux territoriales. Elle se saisit ainsi
du débat international pour ne pas donner l’impression d’attaquer frontalement l’Angola sur
un sujet ultra-sensible. Car le problème ne se situe pas au-delà des 200 miles marins mais bien
dans la zone économique exclusive du Congo. Celle-ci se résumant actuellement au petit
triangle de quelques centaines de kilomètres carré délimité par les blocs 0 et 14 au sud de
Cabinda et 1, 2, 15 et 31 au nord de l’Angola continentale (province de Zaïre).
Pour rédiger le rapport sur l’extension du plateau continental de juin 2009, une commission
nationale congolaise est créée le 6 avril 2009 par un arrêté interministériel. Ses membres sont
désignés par un autre arrêté daté quelques semaines plus tard. Cette commission chargée de la
rédaction du rapport pour la commission onusienne sur le plateau continental470 est dirigée par
469 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 470 Rapport disponible sur le site de l’ONU : http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/preliminary/cod2009informationpreliminaire1.pdf.
295
le porte-parole du président Mobutu entre 1992 à 1997, le professeur de sociologie Célestin
Lumuna Kabuya. Un choix honorifique, permettant le contrôle direct de la présidence,
Lumuna étant un vieux monsieur, simplement heureux d’obtenir une charge. Parmi les trente-
cinq membres, certains d’entre eux sont connus, comme l’administrateur principal de
l’Agence nationale du renseignement (ANR) en charge de la sécurité intérieure Kalev
Mutond, présenté dans le document comme « politologue ». Deux citoyens Camerounais font
également partie de la commission en tant qu’experts, Jean Folack et Louis Foyang qui ont
notamment travaillé sur le différend entre leur pays et le Nigeria sur la péninsule de Bakassi
(voir partie I). Le rapport congolais réaffirme clairement en page 9 de son document rédigé
pour l’ONU ce qu’avait déjà énoncé Isekemanga en mars: « la zone du plateau continentale
concernée par la présente information fait l’objet par l’Angola d’une occupation de fait, pays
voisin au nord et au sud. ». Le Congo considère que son plateau continental représente 6614
kilomètres carrés soit plus de cinquante fois la zone économique exclusive actuelle. Le 13
avril 2009, toujours pour montrer l’importance de ce dossier, le ministre congolais de
l’intérieur Célestin Mbuyu Kabango (et futur ministre des hydrocarbures), défend devant les
sénateurs un projet de loi pour redéfinir les frontières maritimes, loi effectivement votée le 7
mai 2009. Les frontières signées le 19 juillet 1974 ne vont en effet pas au-delà des 12 miles
marins471.
Le problème pétrolier entre le Congo et l’Angola tient à une méthode différente pour
délimiter les frontières maritimes. L’Angola a depuis plusieurs années sécurisé juridiquement
son dossier par l’intermédiaire de cabinets d’avocats portugais472. Quant au Congo, il n’a pas
eu recours à des aides de haut niveau hormis celles des Camerounais473. L’Angola détermine
la zone économique maritime du Congo en traçant une droite qui part du sud de Cabinda
incliné à 45° et une autre (quasi horizontale) partant du centre du fleuve Congo à son
embouchure du fleuve Congo. Ces deux lignes se rejoignent donc logiquement en mer en
formant ce fameux triangle qui est actuellement la ZEE (zone économique exclusive)
congolaise. Le Congo dans son rapport prend les mêmes points de base mais trace des lignes
qui sont parallèles (l'inclinaison de la limite nord fait toute la différence) et qui coupent les
blocs précités : 14, 15, 1 et 31. Voir carte ci-dessous :
471 Africa Energy Intelligence, n°600, 11 mars 2009. 472L’avocat Miguel Galvão Teles du cabinet Morais Leitão, Galvão Teles, Soares da Silva & Associados a notamment eu à travailler sur la position angolaise de la frontière maritime avec le Congo. Sources : Africa Energy Intelligence, n°617, 2 février 2009. 473 Entretiens avec des cadres du ministère des hydrocarbures et des conseillers du collège des hydrocarbures à la Présidence de la République (avril 2010).
296
Carte n°35 : Prétention territoriale maritime de la RDC
Source: Information préliminaire à la commission des limites du plateau continental.
Les deux méthodes font l’objet de débats et sont disputés entre scientifiques. Les quelques
kilomètres de côte maritime congolaise (en droit international, le Congo est sur ce sujet
considéré comme défavorisé) comparée à l’Angola (plus de 2000 kilomètres soit 50 fois plus)
plaide en faveur du tracé de Kinshasa. Les juges tiennent compte de cette donnée dans un
verdict sur des frontières maritimes.
Le 13 novembre 2009, le président angolais José Eduardo Dos Santos désigne officiellement
la ministre de la justice Guilhermina Prata pour diriger la commission chargée de déterminer
les frontières maritimes. Cette commission est composée du ministre des affaires étrangères,
de celui de l’intérieur, du pétrole, du transport, de la pêche, des mines, de l’urbanisme. Cette
commission inclue aussi deux des personnes les plus puissantes dans l’appareil étatique
angolais : le chef de la maison militaire du Président, Manuel Helder Vieira Dias, ainsi que le
président du conseil d'administration de la société nationale Sonangol Manuel Vicente (futur
ministre de la coordination économique et probable vice-président). Quelques mois plus tard,
297
en décembre 2009, la 9ème commission mixte Congo-Angola est de nouveau été un rendez-
vous manqué, aucune décision n'a été prise sur ce sujet.
Le 19 février 2010 c’est l’ex ministre de l’intérieur Célestin Mbuyu Kabango (portrait ci-
dessous) qui arrive à la tête du Ministère des hydrocarbures.
Célestin Mbuyu Kabango est originaire de la province cuprifère du Katanga tout comme le
président Joseph Kabila. Il a été le président de plusieurs associations de Katangais de
Kinshasa pendant plusieurs années (très puissantes corporations politico-économique). Avant
d’être ministre de l’intérieur, il a été vice-ministre du budget de 2007 à 2008. Il a auparavant
eu une carrière de fonctionnaire couronnée par le poste de Secrétaire général à l’économie.
Mbuyu a aussi été l’un des administrateurs de la société nationale minière Gécamines. Il est
notamment licencié en chimie de l’université de Kinshasa (Unikin). Du fait de sa proximité
avec le président, il est probablement le ministre qui a eu le plus de latitude aux
hydrocarbures. Cependant, son passage à ce poste ministérielle a été suffisamment décevant
pour qu’il n’obtienne aucun portefeuille lors du gouvernement de Matata Ponyo en avril 2012.
Si les différends frontaliers sont toujours gérés au ministère de l’intérieur474, le nouveau
ministre des hydrocarbures a comme avantage la connaissance du problème (qui est assez
technique en plus d’être politique) du fait de ses précédentes fonctions. Mbuyu a déjà eu à
négocier avec ses homologues angolais sur ce sujet en tant que ministre de l’intérieur475. Il
n’est donc pas exclu que Kabila ait placé Mbuyu à ce poste pour travailler sur ce différend
précis476. Il est en effet peu fréquent dans le protocole de passer de ministre de l’intérieur
(ministère régalien proposé à des poids lourds politiques) à celui des hydrocarbures (ministère
plutôt technique). Il est l’un des rares Congolais a très bien connaître le problème de
frontières avec l’Angola et à avoir dirigé plusieurs délégations à Luanda. Il a de plus une
oreille attentive de Kabila contrairement à René Isekemanga qui a toujours eu beaucoup de
difficulté pour avoir accès au Président.
474 Selon un des ministres du gouvernement Muzito avec lequel nous avons pu discuter, le ministre de l’intérieur Adolphe Lumanu Mulenda Bwenda N’sefu doit préparer les prochaines élections et ne considère par les frontières maritimes comme un dossier prioritaire. 475 Entretien avec le ministre, avril 2009. 476 Il est aussi à noter que le poste des hydrocarbures au Congo est très bien placé pour s’enrichir du fait de la multitude des contrats, tout comme pour celui des mines. C’est donc aussi une position de reconnaissance du point de vue du président.
298
Après plusieurs visites de Mbuyu à Luanda pour essayer de relancer le processus de
négociation, très difficile sous Isekemanga, la situation semble se tendre à nouveau. Le 20
septembre 2010, les présidents congolais Joseph Kabila et angolais José Eduardo dos Santos
se rencontrent pendant une heure et quarante minutes sans qu'aucun ministre ni conseiller ne
soient présents. Si les sujets bilatéraux ne manquaient pas, une grande partie de la
conversation a été consacrée à la question des frontières maritimes477. Kabila, qui cherche à se
faire réélire un an plus tard, a besoin du soutien de son homologue angolais. Or, depuis le
dépôt du document préliminaire à l’ONU sur l'extension du plateau continental, les relations
entre les deux pays se sont dégradées. Les deux présidents décident de créer une nouvelle
commission mixte sur le litige de frontière maritime au début 2011. Celle-ci sera placée
directement sous leur supervision. Cette décision a été imposée par la partie angolaise qui
considère que la commission déjà en place dirigée par le professeur Lumuna Kabuya est
incontrôlable. Quel meilleur moyen pour enterrer un dossier que de créer une commission
sous la tutelle directe des présidents ? Le 13 décembre 2010, le premier ministre congolais
Adolphe Muzito répond à la question orale du sénateur Raphaël Siluvangi Lumba sur
l'avancée des négociations avec l’Angola sur la frontière maritime478. Le premier ministre
indique que ces pourparlers sont toujours d’actualité. Kinshasa va commencer par renégocier
les termes de l'accord de la Zone d'intérêt commun puis une discussion est prévue avec les
sociétés auxquelles l'Angola a accordé un permis dans la zone du couloir maritime.
L'année 2011 n'a pourtant pas été marquée par des avancées notables. Les délégations
congolaises ont défilé à partir du mois d'août jusqu'à la fin octobre à Luanda pour discuter de
la question des frontières maritimes. Nous avons pu en dénombrer trois uniquement sur ce
sujet, mais il y en probablement eu davantage. Elles ont pour la plupart été présidée par le
directeur de cabinet du président congolais Gustave Beya Siku qui s'est révélée être l'une des
personnes clé du dossier pétrolier durant la fin de ce mandat de Kabila (nous élaborerons
davantage le rôle de Beya à la sous partie suivante). La stratégie de la partie congolaise dans
ces discussions, auparavant très floue, semble se structurer quelque peu. Les discussions sur
les frontières maritimes sont confiées à des experts au ministère de l'intérieur, la zone d'intérêt
commune est pilotée par la présidence, et celles concernant le plateau continental par le
ministère des hydrocarbures et la primature. Ce cloisonnement des sujets, pourtant tous
éminemment liés, va continuer à avantager la partie angolaise, qui ne souhaite qu'une chose :
477 Selon des discussions privées avec des membres de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR), chargés de la sécurité de Joseph Kabila, octobre 2010. 478 Africa Energy Intelligence, n°642, 22 décembre 2010.
299
profiter le plus longtemps possible des barils dans les zones maritimes disputées par Kinshasa.
Cette organisation, qui ressemble davantage à une formidable désorganisation va donc encore
faciliter le travail de l’Angola qui a d'ailleurs tout fait pour en arriver là.
Les deux parties savent qu'une décision rapide de la Commission onusienne sur l’extension du
plateau continental est à exclure479. Elle ne peut pas statuer avant plusieurs années car les
vingt et un experts ont à traiter un grand nombre de dossiers et les décisions sont prises
collégialement. Cela représente un avantage considérable pour l'Angola qui continue à
pomper le brut. Dans le document préliminaire du Congo sur le plateau continental, les
experts sont d'ailleurs tout à fait conscients de ce problème. Le chronogramme qu'ils décident
de suivre en témoigne : il prévoit le dépôt du rapport final à l'ONU en juillet 2014480. Cela
implique un début d'examen par les experts onusiens plusieurs mois voire plusieurs années
après la date du dépôt. Durant toutes ces années de tergiversations juridiques, l'Angola a tout
le loisir de produire une ressource finie et épuisable dont elle sera la seule à apprécier la
grande valeur marchande (qui croîtra) au détriment du Congo.
Afin d'éviter ce scénario, le Congo peut décider, après avoir épuisé toutes les négociations
bilatérales de s’en remettre par exemple à la Cour Permanente d’arbitrage de La Haye aux
Pays Bas. Cette procédure d’arbitrage international serait fort mal prise par Luanda qui lors
des réunions bilatérales menace tout à fait clairement d’utiliser la force pour déstabiliser le
pouvoir congolais si cette étape est franchie. Les Angolais sont venus pour « aider » le Congo
au début des années 2000481, ils peuvent y revenir pour y déstabiliser le pouvoir de Kabila482.
C’est d’autant plus facile que les cinq chantiers du quinquennat n’ont pas suffisamment
avancé et que les élections présidentielles de 2011 approchaient à l'époque. L’armée angolaise
n’irait certainement pas elle-même à Kinshasa, mais la crainte est que des milices congolaises,
comme lors de la deuxième guerre du Congo à l’Est (1998-2003)483, puissent être encouragées
et financées cette fois-ci par l’Angola.
La deuxième solution de règlement consiste en un accord entre les Présidents congolais et
angolais parrainé par une figure politique régionale ou internationale. Joseph Kabila y est
479 La commission ne statue d'ailleurs jamais dans des cas conflictuels qui sont traités directement par les tribunaux d'arbitrage compétents. 480Information préliminaire à la commission des limites du plateau continental, p. 12 481 L’armée angolaise a aussi aidé le président Joseph Kabila à lutter contre les forces armées de Jean-Pierre Bemba lors des élections présidentielles de 2006. 482 Entretien avec un conseiller du ministère des hydrocarbures à l’issue de négociation avec les angolais, juin 2008. 483 Celles-ci n’ont jamais vraiment disparues comme on a pu le voir depuis le début 2012 avec le M23 ou avec leur prédécesseur du CNDP de Laurent Nkunda.
300
apparemment favorable484. Seulement, plus les années passent, plus le problème des arriérés
va compliquer la résolution du différend. Les Congolais ne peuvent pas se contenter non plus
de périmètres non producteurs. Mais dans le même temps, le Parlement angolais donne un
signal opposé en préparant depuis 2010 une loi pour déterminer de façon pérenne et définitive
les frontières maritimes du pays. Au Congo comme en Angola, aucune délimitation des
frontières maritimes ne sont codifiées avec des coordonnées précises dans une loi. Seules les
coordonnées des blocs pétroliers font l’objet de lois. C’est donc par l’intermédiaire de ces
blocs pétroliers que l’Angola a déterminé de fait ses frontières maritimes. Une sorte de
sujétion est perceptible de la part de Kabila vis-à-vis de son homologue angolais. Si c'est sous
sa présidence que les choses ont évolué et que les négociations ont véritablement débuté, il
n’y a aucune avancée notable. Les Angolais discutent, et acceptent de discuter, des années s'il
le faut, tant qu'ils ne donnent rien.
La solution d’une zone de développement conjoint (ou Joint Development Zone en anglais)
comprenant les parties litigieuses, sud des blocs 14 et nord des blocs 1, 15 et 31 pourrait être
privilégiée. Seulement, celles déjà créées en Afrique comme entre le Sénégal et la Guinée
Bissau en 1993 ou celle entre le Nigeria et Sao Tomé et Principe en 2001 n’étaient pas (et ne
sont toujours pas) des zones en production. Le sujet est tout à fait différent avec deux Etats
qui se disputent des zones en production. L’Angola serait alors contraint d’accepter de faire
baisser ses recettes pétrolières. Difficile à envisager.
2-4 Les ambassades américaines mettent à jour la teneur exacte du conflit
La divulgation en septembre 2011 par Wikileaks de la totalité des télégrammes diplomatiques
américains des ambassades de Kinshasa et de Luanda donnent de nouvelles précisions
intéressantes sur le problème pétrolier entre les deux Etats. Certains commentaires méritent
d'être retranscrits. Les premières mentions du litige pétrolier dans les eaux maritimes entre les
deux pays datent de 2009. Par exemple, dans un télégramme du 21 décembre 2009, l'analyste
américain de l'ambassade de Kinshasa écrit :
The DRC's inflammatory ministerial
statements (reftel) accusing Angola of stealing its rightful
resources do not seem to be lighting any fires here in
Luanda. Angolan officials have been and will contin ue to
participate in diplomatic missions aimed at resolvi ng the
484 Entretiens avec des dirigeants de l’Agence nationale du Renseignement, mars 2010.
301
issue, but most likely with the full intention of d ragging it
out as long as possible. Angola knows it has nothi ng to gain
from a speedy resolution, and GRA officials appear confident
that Angola's upper hand in the bilateral relations hip will
win the day. For now, time is on Angola's side and we expect Angola to
make the most of it
"Le commentaire explosif du ministre congolais (il est ici fait référence à René Isekemanga
lors de son séjour à Brazzaville) accusant l'Angola de voler les ressources de son pays ne
semble pas inquiéter outre mesure à Luanda. Les fonctionnaires angolais ont et continueront
à participer aux missions diplomatiques visant à résoudre le problème, mais avec la ferme
intention de les faire durer le plus longtemps possible. L'Angola sait parfaitement qu'elle n'a
rien à gagner d'une résolution rapide du problème, les fonctionnaires angolais sont confiants
dans le fait que leur pays qui a l'ascendant diplomatique sur son voisin gagnera la partie.
Aujourd'hui, le temps est du côté de l'Angola et nous pensons que celui-ci en tirera
parfaitement partie".
Dans le même télégramme, l'ambassade américaine s'intéresse également à la résolution
technique du différend maritime (n'oublions pas que Exxon et Chevron ont des participations
en jeu) et consulte des spécialistes notamment des juristes et avocats. En résumé, voilà le
commentaire du compte rendu:
Countries can demarcate their borders normally one of two ways: either by drawing parallel
lines out to sea or by following the natural contours that their borders follow inland. The ICJ,
he said, typically draws parallel borders, and then take into consideration what is fair
and equitable.
"Les Etats peuvent démarquer leurs frontières maritimes de deux façons, soit en dessinant
deux droites parallèles depuis la côte, soit en suivant le contour de la frontière terrestre, (ce
qui donnera deux droites non parallèles et qui peuvent se rejoindre en mer). La cour
international de justice, opte la plupart du temps pour les droites parallèles, et ensuite prend
en considération d'autres éléments pour rendre la situation juste et équitable".
302
Le télégramme précise également que la société nationale angolaise Sonangol a rassuré
Chevron sur le fait qu'elle n'avait rien à craindre du Congo.
Un autre télégramme du 23 décembre 2009 fait suite à une rencontre à Luanda entre une
délégation congolaise présidée par le ministre de la coopération régionale Raymond
Tshibanda qui s'est entretenu avec son homologue Asssuncao dos Anjos du 15 au 17
décembre. L'ambassade américaine de Luanda commente la rencontre ainsi:
the Angolan interest is likely best served by havin g the joint maritime
boundary issue languish in an interminable round of commission meetings,
and we suspect this is the tack the GRA will take.
"L'intérêt angolais sera préservé aux mieux en favorisant des consultations et réunions
interminables sur la question des frontières maritimes, nous supposons que c'est la stratégie
que va suivre le gouvernement angolais.".
L'ambassade américaine à Kinshasa a également émis des télégrammes intéressants sur ce
problème de frontière. Dans un premier télégramme du 13 mars 2007, elle parle de la question
des expulsions massives de Congolais liées aux zones diamantifères de la province de Luanda
Norte, prémices aux plus grandes expulsions liées cette fois-ci au pétrole.
Après une visite d'une délégation congolaise à Luanda du 24 au 31 juillet 2007 pour la 8ème
commission bilatérale ainsi que d'une rencontre entre Kabila et Dos Santos le 30 et 31 juillet,
certains accords sont paraphés. Voici les commentaires de l'ambassade dès le 30 juillet 2007
sur cette visite.
The delegations also agreed to a 50/50 share of pro duction and revenues
from any new oil wells developed in an offshore Zon e of Common Interest
extending from the 15 km coastal zone in a 10 km st rip to the 375 km (200-
mile) limit . Wells currently being exploited by Angola in the zone will not
be affected by the arrangement. Mbusa expressed satisfaction, noting that
existing agreements provided no economic benefits to Congo. Reporters
quoted Petroleum Minister Lambert Mende estimating that results would take
at least a year to achieve, and Mbusa enthusiastica lly predicting OPEC
membership "in the near future ."
303
"Les délégations se sont aussi mises d'accord pour partager de façon égale : 50/50, la
production et les revenus de tout nouveau puits développé dans une nouvelle zone d'intérêt
commun à 15 kilomètres des côtes congolaises et s'étendant sur une bande 10 kilomètres
jusqu'au 200 miles (limite de la zone économique exclusive). Les puits actuellement exploités
par l'Angola dans la zone ne seront pas affectés par ce nouvel accord. Mbusa (le ministre
congolais des affaires étrangères) a exprimé sa satisfaction, notant que les accords actuels
n'octroyaient cependant aucun revenu pour le Congo. Le ministre des hydrocarbures Lambert
Mende a estimé que les résultats (des recherches pétrolières) prendraient un an avant d'être
connues, et Mbusa a prédit dans un élan d'enthousiasme que le Congo pourrait rapidement
devenir membre de l'OPEP".
Avec le recul, nous savons que cette zone d'intérêt commun et le couloir maritime ont été
proposés par l'Angola dans un seul but : repousser une discussion sur les frontières latérales
qui auraient immanquablement touchées des blocs déjà mis en production. La partie
congolaise s'est donc sentie gagnante mais en réalité elle a plutôt perdu. En 2011,
l'exploration dans cette ZIC n'a pas commencé car il n'y a pas d'accord sur les coordonnées
ainsi que sur la méthode de sélection des sociétés par les deux parties. Enfin, le commentaire
de Mbusa sur l'OPEP démontre l'incroyable méconnaissance des congolais, même de haut
niveau485, de l'industrie pétrolière. Afin de devenir membre de l'organisation des pays
pétroliers de Vienne, un débit quotidien d'au moins 300/400 000 est demandé avec de plus
une certitude sur une production de long terme. Il faudrait donc que le Congo multiplie par 15
sa production. Les Angolais ont donc été très habiles: faire croire à la partie adverse qu'il
lâchait quelque chose. Or, ils n'ont rien lâché sur l'essentiel, aucun bloc producteur n'a été mis
en discussion durant la commission.
Lors de cette 8ème commission bilatérale, les deux parties se sont par contre mises d'accord sur
l'aide de la Belgique et du Portugal pour déterminer les 2400 km de frontière terrestre qu'ils
ont en commun. Cela n'a eu aucun résultat486.
Dans un télégramme du 21 juillet 2008, l'ambassade précise que plus de 60 000 Congolais ont
été expulsés d'Angola en seulement six mois. Les relations se tendent peu à peu, sur une
année on estime à 100 000 le nombre de congolais forcés à quitter le territoire angolais. Le 21 485 Antipas Mbusa n’a pas fait de longues études, c’est un rebelle de l’Est de la RCD qui a rejoint le président Joseph Kabila avant de le quitter en septembre 2011 pour se lancer comme candidat à l’élection présidentielle de 2011. Il a donc monnayé son entrée au gouvernement en 2007 en échange de l’arrêt officiel de sa lutte contre le président. 486 Conversation avec Johan Lavreau, l'un des chercheurs du musée tervuren de l'Afrique centrale près de Bruxelles en juillet 2008.
304
octobre 2009, l'ambassade américaine livre des informations intéressantes : entre juillet et
septembre 2009, plus de 65 000 Congolais ont été expulsés d'Angola dont 42 000 veulent
revenir vivre là où ils se trouvaient avant d'être chassées. Dans le même communiqué, le
chargé d'affaires américain émet une hypothèse qui semble assez pertinente.
Many have speculated that Angola is unhappy
with DRC attempts to have the maritime boundaries r edrawn,
which would apparently involve a significant transf er of off-shore oil
fields to the DRC
"Beaucoup estiment que l'Angola est mécontent des tentatives de la RDC de redessiner les
frontières maritimes, qui impliqueraient un important transfert de champs pétroliers offshore
au Congo".
Le 4 décembre 2009, un télégramme est uniquement consacré à ce problème de frontière entre
les deux Etats. Il reproduit en grande partie une lettre transmise le 2 décembre 2009 aux
grandes chancelleries signé par le ministère congolais des affaires étrangères. En voici des
extraits:
the real problem that hits a sensitive nerve in the Republic of Angola is
the fact that the DRC legitimately exercised its ri ght, as recognized for
all coastal states by the Montego Bay Convention, b y submitting its
preliminary request for a hearing to the Commission on Borders of the
Continental Shelf .
Rightfully indeed, and regardless of the degree to which the
request is well-founded, the DRC,s maritime territory shall
be reconsidered which, obviously will not be without
consequences for the Republic of Angola, which until the
present time has been exploiting exclusively for its own
profit, all resources found in the Continental Shelf
including, particularly, oil.
Le vrai problème qui touche la corde sensible de l'Angola est le fait que la RDC use de son
droit légitime, reconnu pour tous les Etats côtiers par la convention de Montego Bay, de
305
soumettre une requête préliminaire en vue d'une audience à la commission des frontières du
plateau continental de l'ONU. En mettant de côté le problème du bien-fondé d'une telle
démarche, le territoire maritime du Congo doit être revu, ce qui évidemment ne sera pas sans
conséquence pour l'Angola, qui jusqu'à maintenant a pu jouir des ressources congolaises du
plateau continental congolais, en particulier du pétrole.
Dans un ultime télégramme du 9 décembre 2009, le ministre congolais des affaires étrangères
demandent l'aide direct des Etats-Unis.
Foreign Minister Thambwe asked SA Wolpe for USG
arbitration of the ongoing maritime boundary disput e between
the DRC and Angola. The countries contest Block 15 , a sea
area encompassing four major Exxon oil wells repute d to
account for up to 30 per cent of Angola's annual oi l
production with estimated reserves of 4 billion bar rels.
Thambwe said the DRC prefers arbitration to pursuin g either
an UNCLOS or ICJ ruling (Note: Ambassador Garvelin k
responded that he was still awaiting instructions f rom Washington.
Le ministre congolais des affaires étrangères Thambwe a demandé à Howard Wolpe
(l'envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des grands lacs, mort en novembre 2011)
l'aide des Etats-Unis pour un arbitrage concernant les différends sur les frontières maritimes
entre l'Angola et son pays. Les deux Etats se contestent la souveraineté sur le bloc 15, sur
lequel quatre des puits produisent 30% de la production annuelle angolaise représentant des
réserves de quatre milliards de barils. La RDC aimerait régler le problème au tribunal
international de la mer (basé à Hambourg) ou à la Cour internationale de justice (La Haye).
L'ambassadeur Garvelink (l'ambassadeur américain de l'époque) a répondu au ministre qu'il
attendait les instructions de Washington avant d'agir.
Dans le même télégramme diplomatique du 15 décembre 2009, un commentaire de
l'ambassade américaine sur la relation de certaine haute personnalité congolaise avec l'Angola
est éclairant. Ce commentaire fait suite à la démission d’Augustin Katumba Mwanke (le
principal conseiller de Kabila) comme président de l'Alliance pour la majorité présidentielle
(AMP) qui a en charge de représenter tous les partis qui soutiennent le président congolais.
306
Comment: Other sources, privately and in the press ,
have speculated that Katumba was "Angola's man" in Kinshasa.
This counter viewpoint suggests Katumba's removal w as an
intentional move by Kabila to reduce Luanda's influ ence in
Kinshasa.
D'autres sources, privées ainsi que dans la presse, ont émis l'hypothèse que Katumba était
"l'homme de l'Angola" à Kinshasa. Ce point de vue suggère que le retrait de Katumba (de
l'AMP) était un geste pour réduire l'influence de Luanda à Kinshasa.
Depuis son retrait, l'influence de l'Angola dans la politique congolaise n'a absolument pas
diminué. Joseph Kabila a du se faire adouber auprès de José Eduardo Dos Santos en donnant
des gages sur la question pétrolière. En d'autres termes, cette question qui concerne le partage
de 800 000 b/j (ce qui est considérable), ne sera probablement jamais réglée. Le pouvoir de
nuisance de Luanda est très important, et les menaces, y compris lors des négociations de
techniciens pétroliers n'ont pas été voilées. La raison de la longévité de Kabila au pouvoir et
même de sa réélection en 2011 est en partie liée à l'accord tacite de l'Angola. Pour en revenir
à Katumba, si celui-ci a bien quitté la direction de l'AMP, cela n'a en rien diminué sa présence
aux côtés du chef de l'Etat et son pouvoir d'affluence dans les décisions politiques et
économiques (cas du choix de Caprikat et Foxwhelp en juin 2010). Jusqu’à sa mort en février
2012 lors d’un accident d’avion au Kivu, il a gardé la main sur la plupart des dossiers
stratégiques. Précisons également que l'un des ministres les plus proches de l'Angola a gardé
son poste durant tout le mandat (2007-2011). Olivier Kamitatu, ministre du plan, est un poids
lourd du gouvernement et un très bon représentant de la politique menée à Kinshasa vis-à-vis
des bailleurs de fonds. Il a, il est vrai, quitté le gouvernement en 2012 où il n’a pas été
reconduit dans le gouvernement de Matata Ponyo.
2-5 La négociation du gazoduc de Chevron avec le Congo
Sur certains sujets, c'est l'Angola qui a cependant eu besoin de l'indulgence de son voisin.
C'est le cas notamment sur le gazoduc entre Cabinda et Soyo. Ce projet qui est mené par la
major américaine Chevron et sa filiale Cabinda Gulf Oil vise à transporter dès 2013 le gaz
associé extrait des champs 0, 14 dans les eaux cabindaises vers l'usine de liquéfaction Angola
LNG à Soyo (dans la province angolaise de Zaïre). Approuvée par l’Etat angolais en
307
décembre 2007, l’usine fonctionne depuis l’été 2012 grâce aux champs de la zone maritime de
l’Angola continentale situés dans les blocs 15, 17 et 18. Cependant, ce projet techniquement
réalisable sans problème, se transforme bien vite en un enjeu géopolitique car le gaz des blocs
0 et 14 doit nécessairement passer par les eaux territoriales congolaises (peu profondes) pour
éviter d’énormes surcoûts d’installation de réseaux sous-marins dans les très grandes
profondeurs. Il faut donc convaincre le Congo pour qu'il accepte cet ouvrage dans ses (petites)
eaux maritimes.
Les négociations pour obtenir l’assentiment des autorités congolaises sur ce projet ont
commencé dès 2007, soit immédiatement la validation par les autorités angolaises du dossier
de Chevron. Les Congolais, conscient de l'importance stratégique de ce gazoduc pour leur
voisin, ont voulu conditionner, et c'est bien logique, leur accord à des avancées sur les blocs
offshore litigieux (principalement 14, 15, 31). L'ironie de l'histoire est qu'une bonne partie du
gaz qui sera transformé à Soyo viendra de ces mêmes blocs litigieux. Les Angolais et en
particulier Syanga Abilio (à l'époque vice-président de la Sonangol) ont, comme on l’a décrit
plus tôt, écarté les questions des frontières pour uniquement parler des projets concrets. Or,
les discussions bilatérales n’ont pas avancé en 2008 du fait du problème de frontière.
En 2009, les choses semblent bouger. Un accord de principe pour le passage du gazoduc sur
le territoire congolais est même obtenu lors d’un conseil des ministres d'août 2009, mais
aucune négociation sur le droit de passage (en terme pécuniaire) et le bonus de signature ne
suit. Les directeurs régionaux de Chevron tentent alors de rencontrer Joseph Kabila mais sans
succès487. Constatant ce blocage qui risquait déjà à l'époque de retarder l’approvisionnement
de l’usine de Soyo, Chevron fait appel à la société de lobbying d'Andrew Young488,
GoodWorks International, qui fait elle-même appel à la médiation de l’ancien président
nigérian Olusegun Obasanjo (1976/1979, 1999/2007). Ce dernier, médiateurs de l’ONU pour
la région des grands lacs depuis 2008, doit justement se rendre à Kinshasa en décembre 2009
487 Contrairement à nombre de chefs d'Etat africains, Joseph Kabila est très difficile à rencontrer en audience privé. Comme il voyage assez peu lors de sommets internationaux, il est donc très difficile pour une société privée de l'influencer afin de finaliser un dossier ou de lancer un projet. D’un tempérament très réservé, il aime laisser ses proches apporter les affaires, et non les traiter lui-même. 488 Andrew Young, noir américain, est un personnage important dans l'histoire des relations entre les Etats-Unis et le Nigeria. Ambassadeur de Washington à l'ONU entre 1977 et 1979, il va renforcer l'influence du Nigeria sur le continent africain en le mettant au centre de toutes les discussions (Afrique du Sud d'apartheid, cubains en Angola, indépendance de la Namibie et de la Rhodésie...). Young va nouer des liens très forts avec le président de l'époque Olusegun Obasanjo qui va lui être reconnaissant d'avoir contribué au nouveau rôle du Nigeria en Afrique et même sur la scène internationale. Source : Daniel Bach, Le Nigeria, un pouvoir en puissance, Karthala, 1989, p. 57. Cette amitié continue à durer. Après son mandat à l'ONU, Young est élu comme maire d'Atlanta de 1982 à 1990 puis il se retire de la vie publique après un échec électoral en Georgie et fonde en 1996 sa société de conseil en risque politique GoodWorks International, surtout active en Afrique et aux Caraïbes.
308
pour discuter des questions de sécurité relatives aux provinces des Kivu. Obasanjo profite de
sa visite pour introduire dans la plus grande discrétion489 le responsable de Chevron Angola
Alan Kleier auprès du président Kabila490. Kleier saisit alors l’occasion qui lui est offerte pour
présenter le projet du gazoduc Cabinda/Soyo au président congolais. Obasanjo insiste ensuite
auprès de Kabila pour qu’une personne du cabinet présidentiel soit désignée pour suivre le
dossier. C'est une jeune femme d’origine du Kivu, Manya Riche, qui a notamment supervisé
au nom de la présidence les négociations avec le Conseil national pour la défense du peuple
(CNDP) de l’ex-chef rebelle Laurent Nkunda, qui est désigné pour ce dossier Chevron. Riche
a ensuite directement travaillé sur ce sujet avec le vice-ministre des hydrocarbures Gustave
Beya Seku491 court-circuitant totalement le ministre en titre de l'époque: René Isekemanga.
Depuis la nomination de Beya comme directeur de cabinet du président Kabila en février
2010, ce sont des cadres du ministère des hydrocarbures comme le responsable des nouveaux
projets Joseph Pili Pili Mawezi492 qui ont négocié avec Chevron. L’un des rounds de
négociation du 22 au 25 juin 2010 a vu s’affronter des propositions assez éloignées. Chevron
représenté par Jim Wisner et conseillé par le cabinet d'avocat Herbert Smith a proposé 14
millions de dollars de bonus de signature alors que l’Etat congolais en réclamait 300
millions493. Après plusieurs visites et discussions, un accord a finalement été conclu au début
mois du mois d’août. Le nouveau ministre des hydrocarbures congolais Celestin Mbuyu
Kabango a accepté un bonus de 39,7 millions de dollars494. Quant au droit de passage, il a été
finalement déterminé à 2,25 dollars les 1000 mètres cube par la partie congolaise et accepté
par Chevron. Le ministère des hydrocarbures s'est s’appuyé dans sa négociation sur les
contrats existants du même type, comme celui qui a cours en Ukraine avec le gaz venant de
Russie. Kiev est payé 2,5 dollars les 1000 mètres cube par 100 kilomètres par la société
étatique Gazprom. Au Congo, ce droit de passage devrait rapporter 4 à 5 millions de dollars à
l’Etat, la distance parcourue dans ses eaux territoriales n’excède en effet pas 25 kilomètres.
Si Chevron est bien le maître d’œuvre de la construction du projet, le gazoduc est cependant
exploité par Sonangol. Dès le début des négociations et tout au long du processus, l’Angola a
489 Aucune information sur Chevron et Olusegun Obasango n’est sortie dans la presse congolaise ni étrangère. Nos sources sont directement des cadres de la société américaine Chevron rencontrés en avril 2010 à Kinshasa. 490 Discussions avec les cadres du ministère des hydrocarbures ainsi que des cadres de Chevron. 491 Gustave Beya Seku est depuis le mois de février 2010 le directeur de Cabinet du président Kabila. C’est notamment grâce à ce dossier Chevron qu’il a obtenu cette promotion. Beya a aussi l’avantage d’être Katangais tout comme le président Kabila. 492 Avec lequel nous avons eu de nombreuses conversations. 493 Africa Energy Intelligence, n°631, 6 juin 2010. 494 Entretien avec un responsable du ministère des hydrocarbures, août 2010.
309
été absente, afin d'éviter toute confrontation d’Etat à Etat : les relations étant suffisamment
tendues par les blocs litigieux. La Sonangol a donc délégué le processus de négociation à
Chevron. Cette absence de la société nationale angolaise a été l’un des arguments du Congo
pour négocier un meilleur bonus de signature. En effet, en droit, l’absence d’une des parties
prenantes d’un contrat peut conduire à des litiges. Du fait des enjeux et du soutien du projet
de Kabila, une décision finale a été prise en 2010. En cas de modification des frontières
maritimes, des amendements seraient ajoutés au contrat495. La pression de l'Angola a donc à
nouveau fonctionné. Qu'a réussi à obtenir en échange le président Kabila et les négociateurs ?
Cela reste difficile à dire. Très peu de gens ont été associés de près aux négociations. Une fois
de plus, les intérêts du Congo sont passés derrière des intérêts particuliers de certains
dirigeants congolais. Le président Kabila ne s’est pas saisi de cette formidable opportunité
pour faire fléchir son homologue angolais sur les frontières maritimes. C'est une occasion
manquée mais probablement totalement assumée de la part du chef de l’Etat congolais.
La constante dans les négociations avec l'Angola reste que Joseph Kabila ne doit son pouvoir
qu'au soutien de Dos Santos. Ce dernier sait d'ailleurs trouver les arguments pour lui faire
comprendre en cas de besoin. La réélection, très contestée par les Américains et Européens,
de Joseph Kabila comme président en novembre/décembre 2011 a été par contre
copieusement applaudie à Luanda. José Dos Santos a été avec Yoweri Museveni et Paul
Kagamé (Rwanda), parmi les premiers à féliciter Kabila, sans attendre les résultats définitifs
de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le ministre délégué angolais
aux affaires extérieures Manuel Domingos Augusto était dès le 13 décembre 2011 à Kinshasa
pour témoigner officiellement de la satisfaction de son président à l'égard du processus et de
la victoire de Kabila496. Le président de la CENI, Daniel Ngoy Mulunda-Nyanga497 était de
toute façon si proche de Kabila, que l'annonce des résultats, intervenue quelques jours plus tôt
était sans réel enjeu. Cela démontre, si besoin en était, la grande satisfaction de Luanda face à
la politique menée à Kinshasa et les décisions prises. Le reste, commentaires de certains
ministres ou brouilles passagères ne sont que gesticulations.
3 Les autres bassins sédimentaires partagés entre le Congo et ses voisins.
495 Cet aspect a été formellement discuté entre les deux parties. 496 MediaCongo.net, 13 décembre 2011. 497 Outre qu'il est Katangais, Daniel Ngoy connait Joseph Kabila depuis la fin des années 1990 lorsque Joseph était encore dans l'armée au service de son père. En tant que pasteur, Daniel Ngoy a beaucoup œuvré au processus de paix aux côtés de Desmond Tutu et Nelson Mandela (médiateur pendant la deuxième guerre du Congo).
310
Outre les bassins partagés avec l'Angola et l'Ouganda, le Congo possède d’autres bassins
géologiques qu'il doit gérer en commun avec d'autres pays voisins à l'est. Dans le
prolongement sud du lac Albert, les lacs Edouard, Kivu et Tanganyika ont tous la même
particularité: ils sont partagés entre plusieurs souverainetés. Les explorations dans le lac
Albert ont déjà longuement été abordées dans cette partie. L’exploration sur le lac Edouard et
balbutiante et pour le moment décevante. La société britannique Dominion qui explore côté
ougandais le bloc 4B depuis 2007 a entrepris son premier forage Ngaji-1 au cours du mois de
juin/juillet 2010. Ce dernier s’est avéré décevant498. Quant au côté congolais, le bloc 5 autour
du lac Edouard a été validé par le président Kabila à la fin du mois de juin 2010. Dominion
qui travaille aux côtés de SOCO qui en est l’opérateur499 devra forer deux puits dans les cinq
ans. Nous n’en parlerons pas davantage du fait de l’absence d’avancement, sachant de plus
que les acteurs étatiques sont les mêmes que ceux du lac Albert. Deux autres lacs plus au sud
sont particulièrement intéressants à étudier: le lac Kivu que le Congo partage avec l'ennemi
d'hier (et d’aujourd’hui), le Rwanda, et le Tanganyika avec le Burundi, la Tanzanie et la
Zambie.
3-1 Le méthane du lac Kivu
La gestion des immenses ressources contenues dans les eaux du lac Kivu, partagé entre la
RDC et le Rwanda pourrait donner des indices sur l'évolution des relations entre les deux
ennemis officiels d'hier (et officieux d’aujourd’hui), contraints d'agir de concert pour un
projet énergétique essentiel. Cependant, ce que révèlent les projets que nous allons décrire
succinctement, c'est une situation assez proche de celle analysée entre le Congo et l'Ouganda
sur le lac Albert : dynamisme rwandais et absence cruelle de volonté politique congolaise. Le
Rwanda ignorant quasi totalement la partie congolaise pour avancer à son rythme dans ses
propres projets.
Depuis 1935, les experts belges ont identifié la présence d’une très importante quantité de
méthane (gaz) dans les eaux du lac Kivu. Il faut cependant attendre 1963 pour qu’une équipe
d’ingénieurs de l’Union Chimique Belge monte le premier projet d’extraction du méthane du
lac qui a servi jusqu’en 2005 à approvisionner une brasserie au Rwanda500. Outre la présence
498 Communiqué de presse du 21 juillet 2010 de Dominion Petroleum. 499 Soco qui est présent sur le bassin côtier, sur le lac Edouard et qui veut également rentrer dans la Cuvette Centrale a vendu sa filiale Thaïlandaise pour 105 millions de dollars à Salamander Energy : http://www.socointernational.co.uk/?entityType=NewsArticle&id=174&d=. Cette décision a été confirmée lors d’un conseil d’administration du 6 septembre 2010. Cette opération lui permet notamment de financer ses investissements congolais. 500 Benjamin Augé, op. cit. p. 17.
311
de méthane, le lac Kivu a une autre particularité : il est susceptible de produire des irruptions
limniques, en d’autres termes, une explosion gazeuse liée à une saturation en gaz carbonique
dans l’eau. Il n’y a que trois lacs en Afrique avec cette caractéristique. Les deux autres sont
situés au Cameroun: Nyos et de Monoun. Le lac Nyos a déjà connu une irruption limnique en
1986 au cours de laquelle 1700 personnes ont perdu la vie. Le lac Kivu est susceptible d'être
encore plus dangereux, il est situé à proximité de villes importantes comme les
agglomérations contiguës de Goma au Congo et Gisenyi au Rwanda (voir carte 33 pour les
villes autour du lac Kivu). Les deux villes, au total de près d’1 million d’habitants se
touchent.
Les réserves de méthane contenues dans le lac Kivu sont très importantes ; selon le physicien
français Michel Halbwachs que nous avons interrogé à de nombreuses reprises depuis 2008,
près de 65 Gm cubes peuvent y être extraits. Cela permettrait théoriquement à une centrale
électrique de 160 MW de fonctionner pendant une centaine d’années. Alors que le Rwanda ne
consomme que 87 MW501, l'utilisation optimale du méthane ferait ipso facto du Rwanda un
pays exportateur d’énergie. D'autres experts comme Philip Morkel qui fait partie des
spécialistes qui ont travaillé sur le lac Kivu, font état de 800 MW pendant 100 ans502. Les
prévisions semblent donc faire encore l'objet de querelles d'experts, mais les ordres de
grandeur sont quoiqu'il arrive très importants.
Cependant, une fois de plus, les frontières sur le lac sont assez floues. Il n’y a pourtant jamais
eu véritables tensions à ce sujet entre la RDC et le Rwanda. Dès 1975 une convention est
signée à Bukavu (Sud-Kivu) balisant l’exploration du lac. Il est stipulé que l’exploitation du
méthane devra se faire de façon conjointe. Ces conclusions sont réaffirmées lors d’un sommet
bilatéral à Gisenyi du 26 au 28 mars 2007 où des experts internationaux sont également
invités. Ils martèlent aussi l’importance de trouver au plus vite des méthodes de dégazage du
lac pour éviter une explosion limnique. L’autre raison de l’exploration pacifique du lac est
que le méthane ne forme pas de poche comme pour le pétrole ou le gaz conventionnel. Le
méthane se trouve concentré dans l’eau, plus particulièrement dans les grandes profondeurs (à
son point bas, la profondeur d’eau atteint 485 mètres). Il n’y a donc pas de risque qu’un
gisement se trouve des deux côtés de la frontière comme dans le cas du lac Albert pour le
pétrole. De plus, il y a du méthane en abondance, aucun intérêt actuellement de s’approcher
501 Puissance consommée selon l'ex ministre rwandais de l'énergie Albert Butaré, conversation privée de janvier 2012. 502 http://editions-sources-du-nil.over-blog.com/article-35037500.html.
312
de la ligne de démarcation coloniale. Cette dernière n'étant d'ailleurs pas située là où les
profondeurs sont les plus intéressantes pour les industriels.
Lors de la réunion du 26 au 28 mars 2007, les experts présents mettent en place un
programme de recherche sur le long terme financé en partie par la Banque mondiale. Ce
groupe intitulé Expert working group on Lake Kivu Gas Extraction503 va rendre le 17 juin
2009 un rapport Managment of Prescription for the development of Laka Kivu Gas Resources
où quantité d'informations techniques mais aussi géographiques, du fait du partage de la
ressources, vont être données. Ils proposent même un découpage en onze concessions : six en
RDC et cinq au Rwanda (carte ci-dessous) qui n'a pas vraiment été appliqué par les deux
parties. La logique du groupe d'experts se base sur le fait que toutes les concessions devraient
avoir au moins une partie de leur superficie comprenant des profondeurs marines suffisantes
pour extraire du méthane en quantité économique. L'une des autres recommandations de ce
groupe d'experts était la mise en place d'une Bilateral Regulatory Authority qui permette aux
deux Etats de gérer au mieux les ressources du lac Kivu et qui prenne en charge les projets
communs.
503 Ce groupe a été encadré par John Boyle, consultant environnemental pour la zone Afrique de la Banque mondiale. Les membres du comité, qui travaillent tous comme consultants dans le secteur privé venaient d'Allemagne Klaus Tietze, du Danemark Finn Hirslund, Afrique du Sud Philip Morkel et deux suisses Alfred Wüest et Martin Schimd. Aucun fonctionnaire des ministères des deux pays concernés ont été véritablement associés à l'écriture du rapport. D'où l'aspect très technique qui s'en dégage.
313
Carte n°36: Proposition de découpage en concessions sur le lac Kivu entre le Congo et le
Rwanda
Sources : Groupe d’experts Banque mondiale, Benjamin Augé
Réunis une nouvelle fois en février 2011 à Gisenyi au Rwanda, les membres du groupe
d'experts se sont bornés à faire de nouvelles présentations. Aucune des mesures contenues
dans le rapport n'a été mise en œuvre par les deux partis.
Au début 2012, seul le Rwanda a lancé des projets concrets. Cela s'explique en partie car
l'utilisation des richesses du lac Kivu est loin d'être une priorité pour le gouvernement
congolais qui siège à 1500 km de la grande ville de Goma. Pour le secteur électrique,
Kinshasa se préoccupe plus volontiers de la réhabilitation d’Inga I et II ainsi que du projet
d’Inga III sur le fleuve Congo504. Malgré le manque chronique d’électricité des villes de
504 Les barrages d'Inga sur le fleuve Congo sont la principale source d'énergie de Kinshasa mais ils permettent également à la région cuprifère du Katanga de faire fonctionner une partie de son industrie. Inga 1 et 2 sont dans un tel état de délabrement que leur production effective est d'à peine 800 MW au lieu des quelque 2000 MW installés. Africa Energy Intelligence, n°665, 14 décembre 2011. Dans la région du Kivu, Kinshasa et Kigali partagent également deux barrages sur la rivière Ruzizi. Un troisième de 145 MW est à l'étude depuis 2010.
314
Goma ou Bukavu au sud du lac Kivu (et sur la totalité du territoire) qui ont
démographiquement explosées depuis les années 1990 suite aux conflits dans la région, le
Congo exporte de l’électricité à ses voisins zambiens, angolais, et même sud-africains. Le
Rwanda peine aussi en matière d’électricité mais il avance, sa croissance rapide depuis le
début des années 2000505 impose de trouver des solutions énergétiques. Le pays avait dans les
années 1990 l'un des taux d’électrification parmi les plus faibles au monde avec 5% des
foyers reliés. En 2011, ce taux approche les 14% et les objectifs du gouvernement sont
d'atteindre 50% d'ici à 2017506. Ce ratio est très optimiste, cependant la gestion actuelle du
Rwanda par le président Paul Kagamé, mêlant autoritarisme et aides multiples de la Grande
Bretagne, des Etats-Unis et des grands bailleurs de fonds multilatéraux, démontre que
l'objectif n'est pas une simple fantaisie.
Pour en revenir à l'exploitation du méthane du lac Kivu, plusieurs projets ont récemment été
lancés au Rwanda. Le groupe écossais Danes a conclu un premier accord avec Kigali en avril
2005 qui prévoyait la production de 34 MW, électricité qui aurait été vendue à la société
nationale Electrogaz. Dès le mois de mai 2006, Danes obtient des promesses de financement
de la Banque mondiale (15 millions de dollars) et de la Société financière internationale507
pour un montant équivalent. Cependant, un an après, en avril 2007, le ministre de l’énergie
rwandais Albert Butaré rompt l’accord entre Danes et l’Etat. Selon Butaré, Danes n’a pas
rempli son contrat en dépensant beaucoup d’argent de préparation sans aucun résultat sur le
terrain. La société chargée du projet : Kibuye Power One (KP One) passe alors sous le giron
de l'Etat et produit dès novembre 2008 entre 1 et 2 MW, soit beaucoup moins que le cahier
des charges qui mentionnait 5 MW. L'Etat revend ensuite le projet aux israéliens d'Israel
Africa Energy Ltd à la fin 2011508. Un deuxième projet géré techniquement par la société du
français Michel Halbwachs (Data Environnement) travaille depuis 2002 sur un procédé pour
extraire le méthane. Ce projet qui devait produire depuis 2008 a été ralenti par plusieurs
problèmes techniques, il pourrait produire à terme quelque 5 MW. Il est financé par le
505 Selon le FMI, le taux de croissance réel du pays oscille depuis 2004 entre 5 et 11%. 506 Selon une présentation de l'ex ministre rwandais de l'énergie Albert Butaré lors d'un forum à Rome Solution forum on Agribusiness, renewable energy & food security, 7 décembre 2011. 507 La Société financière internationale est la branche de la Banque mondiale qui prête au secteur privé. 508 Le Rwanda de Paul Kagamé et Israël ont une relation très particulière basée sur « une communauté de destin » avec le génocide que les Tutsi de Kagamé d'une part et les juifs pendant la deuxième guerre mondiale d'autre part ont eu à subir. Ces représentations favorisent les affaires des Israéliens au Rwanda qui sont actifs dans les systèmes de sécurité, de renseignement et de télécommunication. Pour comprendre cette relation toute particulière qu'assez peu d'auteurs ont couverte, voir l'ouvrage de Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 2010.
315
Rwanda Investment Group (RIG) des hommes d’affaires rwandais Tribert Rujugiro509, Said
Sekoko Hatari et Charles Mporanyi510.
Enfin, le dernier projet de méthane est celui des américains de ContourGlobal511 sur la
concession de Kibuye (sur la partie septentrionale du lac). C'est la première société qui vise à
construire des installations d'ampleur industrielle et non expérimentale comme les projets
précédemment cités. Après avoir mené des études sur le potentiel du lac dès la fin 2007,
ContourGlobal signe en mars 2009 avec le gouvernement rwandais un accord pour un projet
de 100 MW (estimé à 325 millions de dollars). Cela représente davantage que la
consommation actuelle du Rwanda. ContourGlobal espère pouvoir faire fonctionner une
première tranche de 25 MW dès la fin 2012 puis monter en puissance graduellement jusqu'en
2014512. Preuve de la confiance des investisseurs dans ce projet, KivuWatt (nom officiel
donné par ContourGlobal à sa société locale) a déjà obtenu des prêts pour un total de 142
millions de dollars de la part de plusieurs bailleurs : Emerging Africa Infrastructure Fund,
Netherlands Development Finance Company (FMO), la Banque africaine de développement,
et la Société belge d’Investissement pour les Pays en Développement. Le pouvoir rwandais
est très ferme sur les délais et sur la mise en place de la centrale électrique. ContourGlobal qui
avait d'abord parié sur la mise en production d'une première tranche début 2011 repousse en
janvier 2011513 une première fois son délai à la fin de l'année. Cependant, dès le mois de mars,
la nouvelle secrétaire d'Etat en charge de l'énergie Coletha Uwineza Ruhamya prévient que le
contrat des américains est en train d'être révisé et que d'autres propositions sont en cours
d'examen514. Ces entretiens distillés à la presse locale ont pour but de mettre la pression sur
ContourGlobal. Le Rwanda a besoin d'énergie immédiate, le recours à des centrales d'urgence
au fuel lourd/diesel pour l'équivalent de 10 MW est très couteux et grève son budget.
ContourGlobal n'arrivant pas davantage à tenir les délais de mise en service à la fin 2011 a
accepté que sa centrale fonctionne d'abord au fuel lourd avant de passer au méthane. Cela
509 Tribert Rujugiro est un homme d’affaires rwandais, réputé avoir été très proche du président Paul Kagamé jusqu'en 2009 où il est tombé en disgrâce. Il a dirigé le Rwanda Investment Group (proche du Front Patriotique Rwandais, parti de Kagamé) jusqu'en janvier 2009. Rujugiro a des investissements dans la production de tabac. 510 Charles Mporanyi est un homme d'affaires qui dirigent depuis les années 1980 la Société rwandaise d'assurance (Soras Group) à Kigali. Il a également créé dans les années 1980 l'Imprimerie de Kigali. Mporanyi a pris la suite de Tribert Rujugiro à la tête du RIG en janvier 2009. 511 ContourGlobal est dirigé par Joseph Brandt qui est l’ex vice-président exécutif de la société multinationale AES (notamment présente au Cameroun et au Nigeria). ContourGlobal est également actif au Togo où il a construit une centrale de 100 MW à Lomé. Cette centrale fonctionne depuis 2010. 512 Entretien privé, avril 2010. 513 The New Times, quotidien gouvernemental du Rwanda, 5 janvier 2011. 514 The New Times, 8 février 2011.
316
pourrait lui éviter de payer de très lourdes pénalités à l'Etat515. En août 2011, la barge qui va
supporter l'usine de pompage a été mise en eau et la société finlandaise Wärtsïla a été
contractée pour les turbines. La réussite du projet, à plus ou moins grande échéance, va faire
baisser la facture au Rwanda qui passera de 21 cents de dollar actuellement à près de 15516.
Au début 2012, aucune compagnie n’avait officiellement obtenu de concessions côté
congolais. Au mieux, elles obtiennent des protocoles d'accord qui n'engagent en rien l'Etat
congolais mais permets à certains cadres du ministère et ministres successifs en charge du
dossier (énergie et hydrocarbures) d'empocher une rétribution. Ces concessions qui devraient
être au nombre de quatre, ne sont pas encore précisément délimitées au Congo. Plusieurs
sociétés sont cependant sur les rangs et mènent un lobbying acharné auprès des ministres des
hydrocarbures. C'est d'abord le cas de la Société des gaz et des hydrocarbures du Kivu de l'ex
directeur de la Société congolaise des Postes, Téléphones et Télécommunications Jean-Pierre
Muongo. Ce dernier a été envoyé en prison en septembre 2011 pour une présomption de
détournement de fonds517. Il y a aussi Lake Kivu Energy Corporation du Sud-Africain John
Herselman518. L’entreprise Bantu Investment Holdings, présidée par Malemolla David
Makhura, est aussi sur les rangs. Makhura est secrétaire provincial de l’ANC dans la province
sud-africaine de Gauteng. Bantu a pour PDG le Congolais Claude Ibalanky, ancien cadre
d’IBM et d'Hewlett-Packard. Enfin, Catic Power, filiale de la China Africa Trade & Industry
Development Corp., a présenté un projet de centrale de 200 MW au ministre congolais de
l’énergie, Gilbert Tshiongo, au premier trimestre 2011. Pour le moment, aucun de ces dossiers
n'a encore formellement abouti. Le ministère de l'énergie et des hydrocarbures s'intéressent de
très loin au potentiel du lac Kivu. De plus, les sociétés candidates n'ont aucune capacité
technique. Or, s'il faudra bien de l'argent pour sortir le méthane du lac, la maîtrise d'un savoir-
faire est essentiel dans ce cas précis. Le Rwanda a mis des années avant de maitriser, et
encore pas complètement, le procédé d'extraction et de séparation de l'eau du méthane.
Aucune des firmes qui ont candidaté au Congo n'a de compétences spécifiques dans le
méthane, elles devront donc nouer des alliances. Certaines de celles qui ont approché le
ministère sont presque fantaisistes. Une fois de plus au Congo, des sociétés essayent de faire
des coups et non de vrais développements industriels. Le ministère devra faire des choix et
éviter au final de se retrouver dans le cas du lac Albert avec des contrats octroyés à des 515 Africa Energy Intelligence, n°649, 6 avril 2011. 516 Conversation avec Albert Butaré, ex-ministre rwandais de l'énergie. 517 Selon le quotidien kinois La prospérité, 5 septembre 2011. 518 John Herselman est l'un des directeurs de la société congolaise de construction Techno-Build. Herselman a été l'un des directeurs de la firme sud-africaine d'ingénierie Bateman, rachetée en 2002 par le diamantaire israélien Benny Steinmetz.
317
proches des dirigeants au pouvoir, mais sans réelle capacité technique et financière. Cela
promettrait une nouvelle décennie perdue pour ce méthane, susceptible de résoudre le
problème énergétique de toute une région en forte croissance démographique.
La coopération bilatérale Congo/Rwanda sur le méthane
Les deux Etats ont relancé leur coopération sur le lac Kivu en 2009. Au début du mois de juin
2009, le président du Conseil d’Administration de la Société nationale d’électricité du Congo
(SNEL) Eugène Serufuli Ngayabaseka signe avec le ministre rwandais de l’énergie Albert
Butaré à Kigali un accord prévoyant la construction d’un projet commun de 200 MW grâce au
méthane du lac Kivu519. Serufuli connait bien le Rwanda pour avoir été de 2000 à 2007 le
gouverneur de la province du Nord-Kivu dont Goma est la capitale. Ce projet est également
discuté entre les présidents Joseph Kabila et Paul Kagamé lors d’une rencontre le 6 août 2009
à proximité de Goma. Les ministres de l’énergie Albert Butaré (Rwanda), Laurent Muzangisa
(Congo-K) et Samuel Ndayiragije (venant du Burundi, en qualité d’observateur) se
rencontrent à leur tour les 15 et 16 août 2009 à Rubavu au Rwanda pour créer un comité de
pilotage mixte chargé de rendre un rapport de préfaisabilité au mois d’avril 2010520. La
Communauté économique des pays des Grands Lacs521 (CEPGL), et notamment son
département Energie des Grands Lacs (EGL) sont étroitement associés à ce projet. Le comité
mixte Rwanda/RDC comprend cinq experts par pays. Il s’est réuni à plusieurs reprises en
2009 et 2010. La réunion du 9 juillet 2010 à Kigali a acté l’étape du recrutement d’un cabinet
d’experts qui doit mener des études de faisabilité, des études environnementales et proposer la
localisation des barges d’extraction. L’Union européenne ainsi que l’Agence Française de
développement étaient aussi présentes lors de cette réunion et ont proposé leur concours pour
le financement des travaux. Lors d'une nouvelle réunion le 25 avril 2011 au Grand Hôtel de
Kinshasa, plusieurs experts internationaux accompagnés de l'ambassadeur du Rwanda au
Congo et des fonctionnaires congolais discutent du projet. Une fois de plus, le constat à faire
après la réunion est que la coopération n'avance pas.
On est donc assez loin d'un quelconque début de réalisation bilatérale sur le méthane. De plus,
certains fonctionnaires rwandais impliqués dans ce processus (que nous avons interrogés)
envisagent la coopération avec leur voisin congolais avec des représentations très négatives.
519 Xinhua News Agency, 12 juin 2009. 520 Africa Energy Intelligence, n°610, 26 août 2009. 521 Organisme régional regroupant la RDC, le Rwanda et le Burundi relancé en 2004 par la Belgique et en particulier le Commissaire Européen au développement de l’époque : Louis Michel. La CEPLG est également chargé de la gestion du futur barrage de Ruzizi III.
318
Ils considèrent que les Congolais sont incapables de s'organiser, incapables de proposer des
projets concrets et réalisables. Leur jugement est très dur, même si en partie justifiée, après
examen des faits. Les tentatives de coopération entre les deux ressemblent davantage à de la
communication afin de plaire aux bailleurs de fonds. Les réunions sont souvent repoussées,
les deux parties sont assez rarement représentées à un très haut niveau. De plus, le projet
phare de construire 200 MW de capacité est surdimensionné. Cela serait-il l'addition de tous
les projets privés autour du lac ou un nouveau projet ? Mystère. Les Rwandais signent des
contrats, mettent la pression sur les sociétés privées qu’ils contractent. Ils n'attendent pas leur
voisin qui s'enferre dans l'indécision et la négociation de contrats avec des sociétés incapables
de mettre en place un réel projet d'extraction. Cependant, on ne peut pas dire ici que le
Rwanda utilise ce secteur pour déstabiliser encore un peu plus son voisin. Il le laisse juste
tourner en rond tout seul.
Les relations entre le Congo et le Rwanda sont très complexes. Elles ont connu plusieurs
phases. Comme une partie des génocidaires hutus Interahamwe se sont réfugiés dans l'est du
Congo dès 1994 sans jamais en être expulsés (le Zaïre des dernières années Mobutu n'en avait
d'ailleurs pas les moyens), le pouvoir de Paul Kagamé a utilisé cet argument pour contrôler
militairement la zone des Kivu dès la première guerre de 1996/97 où s'installe Laurent Désiré
Kabila au pouvoir. Le soutien du Rwanda à ce dernier s'achève avec le lancement de la
deuxième guerre du Congo en 1998, résultat de l'éviction des cadres militaires rwandais
travaillant aux côtés du nouveau chef d'Etat congolais, y compris le chef d’Etat-major de
l’armée congolaise James Kaberebe (de nationalité rwandaise et actuel ministre de la défense
dans son pays.
Dès les années 2000, certains Interahamwe522 ainsi que les ex-forces pro Hutu forment dans
l'est du Congo les "Forces démocratiques de libération du Rwanda" (FDLR). Leur objectif est
la chute du gouvernement à Kigali dirigé par les Tutsi de Kagamé. Cela donne davantage
encore de raisons au président rwandais d'agir au Congo. Les FDLR gênent Kigali, non
seulement car ils veulent changer le pouvoir, mais aussi car ils mettent peu à peu la main sur
des zones minières523. Le Rwanda crée plusieurs mouvements de déstabilisation dans les
Kivu, afin de gêner politiquement Joseph Kabila afin qu’il agisse contre les FDLR. Ces
mouvements permettent également faire prospérer l'économie rwandaise grâce au contrôle de
522 Milices hutus créés en 1992 par le parti de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. Ces dernières sont responsables de la plupart des tueries durant le génocide rwandais de 1994. 523 Voir Pierre Jacquemot « Ressources minérales, armes et violences dans les Kivus (RDC) », Hérodote 3/2009 (n° 134), p. 38-62.
319
réseau de trafic de minerais (voir rapports de l’ONU sur ce sujet). Le plus célèbre de ces
mouvements est le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de l'ex militaire
congolais Laurent Nkunda. De 2006 à 2009, ce mouvement implanté au Nord Kivu va défier
les militaires congolais en contrôlant totalement (y compris par la levée d'impôt) le territoire
de Masisi et Rutshuru. Grâce à quelque 8000 hommes524, il va complètement déposséder de
souveraineté le Congo dans cette zone. Déviant peu à peu vers une critique menaçante du
pouvoir de Joseph Kabila qui pourrait à terme poser problème au niveau national, Kabila
passe un accord avec Paul Kagamé pour arrêter Laurent Nkunda. Chose faite le 22 janvier
2009. En échange de cela, les Rwandan defence forces (DRF) ont pu, avec l'accord de
Kinshasa, pourchasser les FDLR sur le territoire congolais525. Cette décision est un tournant
dans la relation bilatérale des deux voisins. Depuis lors, les marques de rapprochement ont été
de plus en plus fréquentes et appuyées. Paul Kagamé nomme dès le mois de mai 2009 un
nouvel ambassadeur de poids à Kinshasa526. Ce dernier, Amandin Rugira était jusqu'alors le
Secrétaire général du ministre des affaires étrangères. Par la suite, Norbert Nkulu Kilombo
Mitumba est nommé à Kigali en novembre 2009527. Si les relations ne sont pas aussi cordiales
qu'entre Kabila et Yoweri Museveni, qui comme on l'a vu, s'apprécient en privé mais doivent
se contrôler en public, on a pu croire aussi que les relations entre les deux chefs d'Etat se
normalisaient. Et ce d'autant plus que Paul Kagamé n'est pas aussi soutenu qu'avant par les
Etats-Unis. Le Rwanda est par contre directement pénalisé économiquement avec l'entrée en
vigueur en avril 2011 de la loi Dodd-Frank qui impose aux importateurs de minerais de
prouver à la Securities Exchange Commission (SEC) que l’origine des minerais ne vient pas
d’une zone en conflit et que les circuits d’achat sont légaux Or, le Rwanda qui profite
illégalement des minerais de son voisin congolais est durement touché. Cet arrêt du soutien
américain au pillage des minerais congolais par le Rwanda ne peut que détendre les relations
afin qu’elles soient davantage équilibrées. Cette analyse peut rapidement devenir caduque.
Depuis le mois d’avril 2012, le mouvement M23 formée d’ex combattants du CNDP, et
524 "Renewed Crisis in North Kivu", Human Rights Watch, 22 octobre 2007. 525 Pierre Jacquemot, Ibid. 526 Les relations diplomatiques officielles ont été gelées entre 1998 et 2004. Entre temps, Kigali a envoyé l'homme d'affaires Antoine Juru Munyakazi pour déminer la situation conflictuelle. C'est donc le deuxième ambassadeur rwandais nommé à Kinshasa depuis plus d'une dizaine d'années. 527 Norbert Nkulu Kilombo Mitumba, avocat de formation est un très proche de Kabila. Il a été nommé en 2007 ministre d’État auprès le président de la République. Membre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), il a travaillé dans le Cabinet du Chef de l’Etat en tant que Conseiller Principal au Collège Juridique et Administratif avant d’être nommé Directeur de Cabinet Adjoint du président. Il est originaire du territoire de Malemba-Nkulu dans la Province du Katanga, tout comme Joseph Kabila. Ce dernier a une confiance totale en lui. A la mort du principal conseiller du président Augustin Katumba en février 2012, Kilombo va reprendre une partie des attributions de ce dernier en tant que conseiller politique de l'ombre avec un autre confrère Maître Jean Mbuyu (katangais également).
320
soutenue par le Rwanda selon l’ONU, déstabilise une nouvelle fois le Nord-Kivu. Cela
entraîne d’ailleurs la baisse des aides militaires américaines ainsi que le gel d’une partie de
l’aide au développement venant des Pays-Bas ainsi que des débats en Belgique528. Ces
montants sont, il est vrai, très modestes, 150 000 dollars pour les Etats-Unis et 5 millions
d’Euros pour les Pays-Bas, mais c’est un signe que certaine barrière ont été franchies. Le M23
est notamment formée d’anciens cadres du CNDP dont certains comme Bosto Ntaganda sont
recherchés par la Cour pénale internationale.
3-2 Le bassin du lac Tanganyika
Le lac Tanganyika est une nouvelle frontière de l’exploration pétrolière au Congo. Les lacs
situés plus au nord sont tous partagés entre deux souverainetés mais le lac Tanganyika est,
quant à lui, partagé entre quatre pays. : RDC, Burundi, Tanzanie et Zambie (voir carte ci-
dessous). Avant le regain d'intérêt pour ce bassin au milieu des années 2000, très peu
d'informations ont été récoltées par les géologues pétroliers sur la zone. Juste quelques
travaux universitaires menés par les équipes américaines en 1984 sont disponibles pour les
compagnies pétrolières. Jamais aucun forage n'a été effectué sur les rives, ni dans le lac en lui-
même.
528 RFI, 28 juillet 2012.
321
Carte n°37: Lac Tanganyika partagé en quatre
Source : Surestream Petroleum.
Cette carte ci-dessus montre bien une autre particularité du lac Tanganyika comparé aux
autres lacs plus au nord : sa profondeur. En effet, la hauteur d'eau commence entre 250 et 400
mètres aux extrémités nord et sud du lac mais de nombreuses zones sont au-delà de 1250
mètres avec un maximum de 1430 mètres (le deuxième plus profond après le lac Baïkal en
Russie). Cette caractéristique va immanquablement entraîner un coût élevé pour l'exploration
322
des blocs attribués au Congo ainsi qu'en Tanzanie où les profondeurs d'eau sont les plus
importantes. Une donnée supplémentaire et très couteuses, l’enclavement, le lac Tanganyika
est à plus de 1200 kilomètres du premier port (Dar es Salaam). En définitive, seuls des majors
ou des sociétés fortunées et expérimentées vont pouvoir mener des forages. Cela constitue
donc une situation de forage en condition identique à celle du deep offshore avec en plus un
contexte d'enclavement, ce qui est assez unique. Le cas du lac Tanganyika est unique à un
autre titre: il est le plus long de la surface du globe (677 kilomètres). Analysons désormais où
en est l'exploration et quelle est la politique pétrolière des différents Etats sur leur partie de
souveraineté du lac Tanganyika.
Seuls deux des quatre pays bordant le lac ont attribué début 2012 des permis d’exploration : la
Tanzanie et le Burundi. La Tanzanie a découpé sa superficie du lac Tanganyika en deux
blocs : Tanganyika North et Tanganyika South. Le bloc de Tanganyika South (5400 km²) a
été remporté en juillet 2010 par la firme australienne Beach Energy529 et sa filiale tanzanienne
Beach Petroleum Tanzania. Le permis était aussi disputé par Surestream qui a une stratégie de
présence tout autour du lac comme nous allons le comprendre. Concernant North Tanganyika,
un appel d'offres a été lancé en juin 2011 dont la major française Total est sortie vainqueur
remportant le permis en août 2011530. Comme on l'a vu, Total s'est considérablement renforcé
en Afrique de l'Est avec son entrée en RDC (bloc 3), Ouganda (1, 2, 3A) ainsi sa nouvelle
présence dans l'offshore kenyan. Ces nouveaux développements s'accélèrent avec l'acquisition
de blocs dans des zones difficiles et encore assez peu connues comme le lac Tanganyika. Si
Total est capable d’effectuer les travaux jusqu'au forage, il semble assez probable que Beach
Petroleum devra céder une partie de son permis à d'autres sociétés avec davantage de
ressources financières. Un seul forage dans le lac pourrait atteindre quelque 160 millions de
dollars.
Quant au Burundi où quatre blocs ont été découpés, le ministère des mines a délivré en
novembre 2008 le bloc D et en novembre 2009 le bloc B à Surestream. Cette dernière a mené
une sismique en 2D en 2011531. Dès 2008 la société canadienne Terra Seis (spécialisée dans
les campagnes sismiques) tente de négocier pour le bloc A (seul bloc qui entoure le lac mais
sans comprendre de périmètre sur le lac) et la société sud-africaine Samroc (l’un des
actionnaires de Sacoil qui explore le bloc 3 au sud du lac Albert avec Total) prend langue 529 Beach Energy est une petite société australienne qui a produit une moyenne de 18 000 b/j en 2011. Elle est présente en Australie (d’où provient la grande majorité de sa production), Papouasie Nouvelle-Guinée, Etats-Unis, Egypte, Espagne, Albanie. 530 Africa Energy Intelligence, n°658, 27 août 2011, 531 Entretien individuel avec des responsables de la société.
323
avec le Burundi pour le bloc C. Cependant ces blocs sont attribués lors du conseil des
ministres du 11 mai 2011 à d'autres sociétés532. Le permis onshore A, qui empiète sur les
provinces de Bubanza, de Bujumbura et de Cibitoke revient aux nigérians d’A-Z Petroleum
Products Ltd du groupe Chicason. Ce dernier, dirigé par Chief Chika Okafor533, est actif au
Nigeria dans la distribution de produits pétroliers, le trading mais aussi l'importation de
nourriture et la construction. Il n'a cependant aucune expérience dans l'exploration pétrolière.
Le second contrat sur le bloc C (principalement offshore) dans la région de Rumonge au sud
de Bujumbura est accordé à la société Minergy R.E. Ltd. Enregistrée aux îles Vierges
britanniques, Minergy est principalement active dans le diamant au Brésil et n'a pas davantage
d'expérience dans le pétrole. En définitive, hors de Surestream qui a déjà une certaine
expérience du fait de ses blocs dans l'ouest de la RDC, les deux autres sociétés vont avoir
beaucoup de mal à entreprendre les travaux nécessaires sans aide extérieure. La sélection
burundaise des opérateurs ressemble à celle effectuée par le Congo voisin. Il y a un problème
évident de cohérence de choisir des compagnies sans compétence particulière dans un bassin
très compliqué.
Avant d'en arriver au Congo, il est nécessaire d'évacuer la Zambie de la démonstration. Ce
pays n’a pas l’intention d’attribuer de bloc dans l’immédiat sur le lac Tanganyika dont elle ne
possède de toute façon, qu’une petite portion au sud (considérée souvent comme la moins
prospective en terme de concentration de méthane). La Zambie a lancé son premier appel
d’offres pétroliers de son histoire à la fin 2009 mais les blocs proposés sont très loin de cette
zone. La plupart sont proches de la frontière avec l’Angola ou au sud du pays. La Zambie est
un très important pays cuprifère (au nord) et le pétrole est encore loin de mobiliser les
fonctionnaires et hommes politiques zambiens. Actuellement, au ministère des mines, seul un
agent de l'Etat s'occupe à plein temps de ce secteur534.
Le cas congolais est une fois de plus complexe. En 2008, le ministère congolais des
hydrocarbures accepte en principe le découpage de sa partie du lac Tanganyika. Avec l’aide
de Surestream, dix blocs de cette zone où aucune exploration d’ampleur n’a jamais eu lieu
sont définis. Cependant il faut attendre le décret 017 du 31 octobre 2011 du ministre des
hydrocarbures Célestin Mbuyu Kabango, pour qu'un découpage, non pas en 10 mais en 11
532 http://www.burundi-gov.bi/Communique-de-presse-du-conseil,1815. 533 Chief Chika Okafor a également dirigé la Nigeria-South African Chamber of Commerce ainsi que l'Independant Petroleum Marketers Association of Nigeria qui représentent les importateurs d'essence au Nigeria (association très puissante). 534 Nombreuses conversations privées avec ce fonctionnaire, Kennedy Liyungu.
324
permis soit finalement officialisé535. Cette première étape ne veut pas dire que le ministère va
annoncer rapidement un appel d'offres. Depuis 2011, les fonctionnaires du ministère des
hydrocarbures nous disent qu'ils privilégient une période d'études indépendantes (gravimétrie,
aéromagnétique) par des sociétés spécialisées qui vendront ensuite les résultats obtenus aux
sociétés pétrolières intéressées par la zone. Cela permettrait, selon les Congolais, de mieux
évaluer le potentiel du Tanganyika et proposer des contrats et le niveau des bonus éventuels
en fonction du potentiel. Les premières attributions se feront donc probablement après ses
travaux.
Et pourtant, nombreuses sont les sociétés pétrolières qui ont témoigné de leur intérêt pour
cette zone. Il y a d'abord Surestream qui veut depuis longtemps deux permis. Présent déjà au
Burundi, le directeur général et géologue de la société Christopher Pitman pense que la zone
est très prolifique et qu'il faut se placer le plus tôt possible avant que les majors n'arrivent et
cadenassent le lac Tanganyika. La société Bayfield Energy, créée en 2008, a également
envoyé son directeur exploration-production Stefano Santoni au sommet Cape IV de Kinshasa
(23-27 mars 2010) pour rencontrer le ministre congolais des hydrocarbures Célestin Mbuyu
Kabango. Santoni a proposé que sa société prenne deux blocs sur le Tanganyika. Bayfield
produit actuellement à Trinidad et Tobago et explore plusieurs blocs gaziers dans l’offshore
de l’Afrique du Sud536. Les dirigeants de cette société sont connus dans le milieu pétrolier car
ils dirigeaient la société Burren Energy, rachetée en 2007 par la major italienne ENI, et
possédaient des parts dans le champ congolais (Brazzaville) de M’Boundi (40 000 b/j). La
société française Perenco, qui produit la totalité du pétrole congolais, a aussi témoigné de son
intérêt à venir explorer le lac Tanganyika. Enfin, une délégation de la société nationale
brésilienne Petrobras, a séjourné au Congo en août/septembre 2011537 concernant les
potentiels d'exploration. Les conditions d'offshore profond du lac Tanganyika, sont une
spécialité de Petrobras, considérée comme une des majors les plus efficaces à des grandes
profondeurs marines. Aucun contrat n'a cependant été signé, et pour cause, le gouvernement
veut une fois de plus attendre (mais peut-être pour une bonne raison cette fois-ci) pour mieux
cerner le potentiel de ces permis.
535 Africa Energy Intelligence, n°644, 30 novembre 2011. 536 Africa Energy Intelligence, n°626, 14 avril 2010. 537 Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.
325
La coopération entre les Etats sur le lac Tanganyika
Le lac ne pose actuellement pas de problème majeur entre voisins car l’exploration y est
encore balbutiante (contrairement au Lac Albert). Deux des quatre pays ont même déjà fait
quelques pas timides vers une coopération pétrolière. Le Congo et la Tanzanie ont en effet
signé le 10 mai 2008 un accord pour explorer le lac en commun538. Cet accord, assez flou,
signé par Lambert Mende Omalanga et son homologue tanzanien William Ngeleja prévoit un
projet commun d'exploration en prenant en compte les questions environnementales. Depuis
lors, plus rien. La RDC et la Tanzanie ont toujours été plutôt proches : l'ex président tanzanien
Benjamin Mkapa a depuis 1999 cherché à être l’un des médiateurs du conflit congolais tout
comme son homologue zambien Frederick Chiluba. Alors que les explorations n'ont pas
réellement commencé, les relations sont déjà bonnes. Cela ne préjuge pourtant pas d'une
entente cordiale en cas de découvertes au milieu du lac, requérant un partage de certains
gisements. Dans ce cas, les frontières définies entre Britanniques et Belges avant
l'indépendance de ces Etats ne manqueraient probablement pas d'être contestés (comme dans
la plupart des cas où d'importantes ressources sont mises à jour). Mais le règlement de cette
question ne viendra pas se surajouter à une relation déjà conflictuelle et heurtée comme c'est
le cas entre la RDC et l'Ouganda ou entre la RDC et le Rwanda. Les représentations que
projettent les cadres congolais du secteur pétrolier sur leurs collègues tanzaniens et zambiens
ne sont pas façonnées par la même charge émotionnelle négative dont peut encore souffrir les
cadres rwandais et ougandais. Il n'y a pas la même notion « d'ennemis » qui a depuis les
années 1990 envenimée les relations entre les uns et les autres.
Quant au Burundi, s'il a été accusé d'abriter des opposants au régime de Laurent Désiré puis
Joseph Kabila, ses relations avec le Congo ne sont pas aussi mauvaises que celles avec le
Rwanda. Cependant, de 1993 à 2009, il n'y a pas eu d'ambassadeur congolais à Bujumbura.
Seuls des chargés d'affaires géraient l'ambassade pendant cette longue période539. Il faudra
attendre la nomination de Salomon Banamuhere Babiene, dont on a parlé dans la IIème partie
pour son rôle de ministre de l'énergie entre 2005 et 2008, pour qu'un ambassadeur
plénipotentiaire résidant au Burundi reprenne la main. Banamuhere est tout de même un poids
lourd du régime Kabila, il a participé à la création du PPRD (parti au pouvoir). C'est un geste
fort dans la relation bilatérale avec le Burundi de mettre une personne si proche du président
congolais. La guerre n'a pas été ouverte entre la RDC et le Burundi, la plaie n'est donc pas
538 BBC monitoring Africa, 11 mai 2008. 539 Rapport de stage de Milat Mashaka à l'Ambassade de Bujumbura. Université de Goma, 2009.
326
vive. De plus, le Burundi n'a pas beaucoup de moyen pour nuire à son grand voisin. Devenue
depuis une quinzaine d'années, l'un des pays les plus pauvres au monde, ses fonctionnaires, en
tout cas dans le secteur pétrolier, sont parmi les plus mal formés du continent, ils ont très peu
de moyen. Le pays n'est toujours pas sorti des rébellions internes et n'a pas pris le chemin de
son voisin rwandais concernant la difficulté majeure pour son avenir : le contrôle des
naissances. Ces deux pays ont une superficie assez similaire, 26 000 km² pour le Rwanda et
27000 km² pour le Burundi. Sur leur territoire exigüe, le Burundi concentre 10 millions
d'habitants et le Rwanda 11 millions, soit une densité de plus de 300 habitant par km². Le
Rwanda a réussi par une politique volontariste à baisser le taux de natalité de 7 à 5 enfants par
femme (officiellement tout au moins). Le Burundi est toujours à plus de 6540. Cela constitue
une bombe à retardement pour le partage de la terre. Le génocide au Rwanda (dans le même
temps dizaines de milliers de Hutus et Tutsis étaient tués au Burundi), est en partie lié au
problème du partage de la terre541.
Les multiples suintements laissent à penser que le lac Tanganyika pourrait devenir une
importante province pétrolière. Il n’y a cependant pour le moment aucune estimation
concernant les quantités, tant que les forages ne sont pas lancés. Si des blocs sont donnés en
2012/13 côté congolais, il faudrait attendre de nombreuses années avant une possible mise en
développement. L'enclavement du lac impliquera la construction d'un nouvel oléoduc en
direction de Dar Es Salaam qui deviendra le hub pétrolier, tout comme Mombasa ou Lamu au
Kenya avec le pétrole ougandais et congolais sur lac Albert.
540 CIA World Factbook, 2011. 541 Pour les problèmes de terre dans l’Afrique des Grands Lacs, voir Roland Pourtier « L'Afrique centrale dans la tourmente », Hérodote 4/2003 (N°111), p. 11-39; René Lemarchand. “The dynamics of violence in Central Africa”. Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 2009 ou Gérard Prunier « The Rwanda Crisis: History of a Genocide”, New York, Columbia University Press, 1995.
327
4 Afrique de l’Est: une nouvelle géopolitique pétrolière et gazière
régionale
Après avoir étudié les bassins pétroliers et gaziers frontaliers entre le Congo et ses voisins, il
est nécessaire de se pencher sur les perspectives des découvertes ougandaises et de celles
futures au Congo à l’est de son territoire en matière d’exportation. Pour rejoindre le marché
international, il va falloir nécessairement passer par les pays d’Afrique de l’Est où une
nouvelle géopolitique des hydrocarbures est également en train de se mettre en place avec de
nouveaux acteurs et des pays comme le Soudan du Sud dont l’indépendance change
considérablement les enjeux pétroliers de la région. C’est à partir de ce dernier cas que nous
souhaitons commencer cette sous partie sur la nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de
l’est car si le pays produit depuis 1999, son indépendance en 2011 est susceptible de
complètement modifier sa stratégie.
Afin de parler du Soudan et des conséquences régionales de l’explosion du pays en deux
entités nationales, il est nécessaire de faire un point sur son histoire pétrolière et comment
cette dernière a été gérée de 1999 à 2011. La relation entre la partie nord vis-à-vis du sud est
également à expliciter afin de comprendre comment la séparation de 2011 a pu survenir et
comment les grandes difficultés subsistent entre les deux entités soudanaises indépendantes.
Nous poursuivrons notre propos en faisant entrer l’Ouganda dans cette géopolitique régionale
du pétrole, le Soudan du Sud du fait de ses relations tendues avec Khartoum envisage de sortir
son brut par le Kenya en utilisant les mêmes oléoducs que ceux qui viendront depuis
l’Ouganda. Il faudra également expliciter les problèmes liés au passage par le territoire
ougandais. En cas de découvertes sur le côté congolais du lac Albert, le brut passerait très
probablement par le Kenya, cela fait un pays de plus à inclure dans notre réflexion. Le rôle du
Kenya dans la géopolitique pétrolière régionale doit être également regardé de près, prend-il
la mesure en termes d’infrastructures et d’engagement politique de sa future position
stratégique en tant que hub pétrolier ? Le Kenya a, début 2012, également découvert du brut
dans son sous-sol pour la première fois de son histoire. Que cela change-t-il ? Enfin, nous
verrons les problèmes que posent les découvertes au Mozambique (pays considéré comme
faisant partie de l’Afrique de l’Est dans son acception large). Son poids économique dans les
dix prochaines années va être plus que doublé grâce à son gaz, son charbon et ses potentiels
en hydroélectricité. Mais son enclavement en termes d’absence d’accès à un marché local
suffisant, rend également, comme pour tous les pays de la région, sa stratégie de
développement pétrolier éminemment risquée. Pour des pays qui n’ont pas de culture et de
328
passé pétrolier, y compris le Soudan du Sud car toutes les décisions ont été prises à Khartoum,
les prochaines années vont être décisives pour leur développement.
Cette troisième partie se veut prospective mais elle se base cependant sur des faits avérés et
objectifs, la présence et non pas l’hypothétique présence d’hydrocarbures dans une zone en
conflit et enclavée. Tout comme ce que l’on a déjà écrit sur le « couple » RDC/Ouganda, il est
nécessaire de voir dans quelle mesure l’obligation de traiter un sujet ensemble, celui du
transport du pétrole, peut rapprocher des Etats en mauvais terme ou au contraire, rendre
encore plus difficile leur relation.
4-1 L'enjeu pétrolier dans un Soudan éclaté
Si la guerre entre le Congo et ses voisins ougandais et rwandais a été très dure entre 1998 et
2003, la guerre civile au Soudan a eu bien davantage de temps de s’installer et de créer des
relations teintées de très grande méfiance après l’indépendance de 2011 (voir la frise
historique du Soudan en annexe). Après plus de 22 ans de guerre civile, les Sud-Soudanais
(autour de 9 millions) se sont ainsi massivement prononcés (99%) pour l'indépendance de leur
pays lors d’un référendum organisé le 9 janvier 2011. Cette quasi-unanimité s’explique
aisément au regard de l’histoire pour le moins tourmentée du pays depuis son indépendance
en 1956 de la Grande-Bretagne. L’indépendance du Soudan du Sud semblait tellement
inscrite dans un processus historique que certains chercheurs français spécialistes de ce pays
comme Marc Lavergne ont écrit sur le thème de l’Indépendance annoncée542. En effet,
certaines puissances extérieures comme les Etats-Unis et Israël ont tout fait pour que le
processus commencé par l’autonomie manquée du Sud en 1972, soit vouée à devenir
inéluctablement une indépendance en bonne et due forme. Cette indépendance obtenue en
2011 a permis d’affaiblir un pays arabe, qui a imposé une pratique très rigoriste et extrême de
la région musulmane à certaine période de son histoire politique, et qui a de plus vécu une
deuxième jeunesse économique grâce au pétrole. Cette dernière donnée étant vécue par
certains Etats hostiles au Soudan, comme un accroissement du danger que représente le
régime à Khartoum, du fait de la nouvelle manne dont l’Etat a pu jouir à partir de 1999.
Si la production pétrolière a commencé plus de vingt ans après les premières découvertes de
Chevron dans les années 1970, c’est bien sûr du fait de la guerre civile mais pas uniquement.
Le gouvernement du président Omar el Béchir arrivé au pouvoir en 1989, loin d’essayer de
542 Marc Lavergne, « Le régime de Khartoum bouscule par la sécession du sud, Chronique d’une indépendance annoncée », Le Monde diplomatique, février 2011.
329
calmer la relation conflictuelle de ses prédécesseurs avec le Sud, émet un nouveau code pénal
en 1991 où l’application stricte de la sharia est imposée. Si la sharia n’est théoriquement pas
applicable au Sud, Omar el Béchir décide tout de même de former les juges du Sud au droit
musulman. Cela dégrade considérablement la relation avec les leaders sudistes comme John
Garang, fondateur en 1983 du South People’s Liberation Army (SPLA), mouvement de loin
le plus organisé contre le pouvoir d’Omal el Béchir. Si la relation se tend au plan national
entre nord et sud (schématiquement) pour les raisons qu’on a exposé, elle devient rapidement
très critique au niveau international. Béchir soutient publiquement l’invasion de Saddam
Hussein au Koweït en 1990/1991. De plus, Khartoum devient peu à peu un sanctuaire pour
terroristes, il accueille Oussama Ben Laden de 1992 à 1997, le palestinien Sabri Al Banna
(Abu Nidal) fondateur du très meurtrier Fatah/conseil révolutionnaire, ainsi que le
vénézuélien Ilitch Ramirez Sanchez dit « Carlos » de 1991 à 1994. L’administration
américaine de Bill Clinton qui arrive au pouvoir en 1992, met dès 1993 le Soudan sur la liste
des pays soutenant le terrorisme et les premières sanctions économiques tombent en 1997543.
La relation s’envenime encore davantage avec les attentats contre les ambassades américaines
de Nairobi et Dar Es Salaam en août 1998 perpétrée par Al Qaeda, le mouvement créé
quelques années plus tôt par Oussama Ben Laden. L’un des principes des sanctions
économiques américaines mises en place en 1997 puis complétées ensuite est qu’aucune
société américaine ne peut investir au Soudan et que toute société étrangère qui veut y investir
ne pourra avoir de présence aux Etats-Unis sous peine de sanction. Les sanctions américaines
conduisent ainsi à réduire le nombre des sociétés susceptibles juridiquement de se permettre
de développer les réserves pétrolières soudanaises. La plupart des compagnies occidentales
ayant quitté le pays dès le début de la deuxième guerre civile (sauf Total qui a seulement gelé
son bloc B) ce sont les Chinois, aidés des Malaisiens et des Indiens qui se chargent du
développement du secteur pétrolier du Soudan à partir de la signature du premier contrat en
1996. La Chine, qui a des besoins énergétiques grandissants, inassouvis par ses réserves
nationales depuis 1993544, permet donc au pétrole de couler dès 1999 grâce à des
infrastructures que l’on décrira plus tard.
Un événement important va cependant profondément modifier la relation, très tendue entre le
Soudan et les Etats-Unis. Omar El Béchir opère à partir des attentats du 11 septembre 2001 de
New York et Washington, un revirement de stratégie en ouvrant un dialogue sur le terrorisme
543 Site du département d’Etat sur le Soudan : http://sudan.usembassy.gov/ussudan_relations.html. 544 Thierry Sanjuan, « Dictionnaire de la Chine contemporaine », Armand Colin, Paris, 2006.
330
avec le gouvernement américain545. Le pouvoir à Khartoum considère (au même titre que
Mouammar Kadhafi en Libye et que Pervez Musharraf au Pakistan) qu’après le lancement
d’opérations militaires de grandes ampleurs en Afghanistan et en Irak dans le but d’éradiquer
les « ennemis » de l’Amérique, il peut très bien être le prochain sur la liste des pays où les
Américains sont susceptibles de débarquer afin d’y renverser un régime qui a longtemps
soutenu le terrorisme. L’arrivée du républicain George Walker Bush à la Maison Blanche en
2000 est encore un facteur aggravant pour la relation avec le Soudan. Bush étant protestant
très pratiquant (born again), et très à l’écoute des lobbys évangélistes, il utilise la situation
post 11 septembre 2001 de faiblesse de Béchir, pour pousser un autre dossier : l’autonomie
puis l’indépendance du Soudan du Sud546. Sous pression des américains, le conseiller chargé
des questions de paix d’Omar el, Béchir Ghazi Salahuddin Atabani, et le vice-président du
principal mouvement de rébellion du sud, le SPLM (branche politique du mouvement : South
People’s Liberation Army) Salva Kiir signent dès juillet 2002 les premières bases d’un accord
de paix au Kenya. Le texte est connu sous le nom de Machokos Protocol. Les discussions
s’enchainent et montent d’un cran avec l’entrée en scène du vice-président du Soudan Ali
Osmane Taha qui mène des pourparlers avec le président du SPLM John Garang dès le mois
de septembre 2003, toujours au Kenya. Ces dernières se poursuivent par intermittence
jusqu’en janvier 2005 et aboutissent à la signature du Comprehensive Peace Agreement
(CPA). Ce CPA prévoit une importante autonomie pour le Soudan du Sud durant une période
de transition, la création d’un poste de vice-président pour le leader du SPLM et
l’organisation d’un référendum pour l’autodétermination des habitants des peuples sud-
soudanais. Le volet pétrole du CPA est également capital, il prévoit que sur les champs situés
au sud (qui sont de loin les plus productifs), 50% des revenus allant à l’Etat soudanais
reviendront désormais à Djouba (capitale du Sud-Soudan). En d’autre terme, des milliards de
dollars tombent dans les caisses du pouvoir SPLM entre 2005 et le référendum du 9 janvier
2011 qui conduit à l’indépendance du Soudan du Sud en juillet de la même année. La mort de
John Garang, quelques jours après la signature du CPA dans un accident d’hélicoptère,
affaiblit la position des « historiques » du mouvement de lutte contre Khartoum. Garang ainsi
qu’un certain nombre de cadre du régime SPLM comme le futur ministre du pétrole Lual
Deng547 (2010/2011) sont en effet contre l’indépendance du Soudan du Sud car ils pensent
que ce nouvel Etat ne pourrait survivre économiquement. Garang est davantage favorable à 545 Toujours selon le site du Département d’Etat américain. 546 Sur le rôle de l’administration américaine et des lobbys religieux dans l’indépendance du Soudan du Sud, le livre le plus documenté reste celui de Pierre Péan, « Carnages, les guerres secrètes en Afrique », Fayard, publié en 2010. 547 Interrogés directement sur ce sujet.
331
une reconnaissance des droits de tous les peuples marginalisés au sein d’un Etat unitaire et
laïc548. Cependant, de 2005 à 2011, les cadres du SPLM, plus jeunes que les leaders
historiques font largement la promotion de l’indépendance, devenue la seule voie acceptable.
Une partie d’entre eux se sont incroyablement enrichies pendant la transition et ils pensent
que l’indépendance sera vectrice d’encore plus d’opportunités d’enrichissement. Ils n’ont de
toute façon pas grande difficulté à convaincre: quoi de plus facile après 50 ans de guerre
civile plus ou moins interrompue, de mobiliser les habitants, dont la plupart ont perdu des
proches, de s’engager derrière l’indépendance. Comme on pouvait s’y attendre, le 9 janvier
2011, les habitants réservent un plébiscite au oui, le Soudan du Sud devient le 54ème Etat
africain. Le début des problèmes commencent.
Aujourd’hui, si les médias généralistes parlent fréquemment de la question pétrolière
lorsqu'ils évoquent le Soudan, le chercheur peut éprouver des difficultés lorsqu'il souhaite
dépasser les connaissances da base qui peuvent se résumer ainsi : "les réserves pétrolières sont
au sud et les infrastructures au nord". Si cette idée n'est pas complètement fausse, elle est très
incomplète car comme nous allons le voir, une partie non négligeable des réserves se trouvent
bien au nord. Si pour le nord, le pétrole n’est pas le seul secteur économique (les produits
agricoles et l’élevage549 y sont puissants et jusqu’à 1999, ils représentaient les principales
exportations), pour le Gouvernement du Soudan du Sud (GoSS), la donne est différente.
Depuis les accords de paix (Comprehensive Peace Agreement) de 2005 entre Omar el Béchir
et John Garang, la quasi-totalité de son budget est basé sur les revenus pétroliers. Tous les
organismes, type bailleurs de fonds (Banque mondiale ou FMI) ou Etats préteurs utilisent, par
commodité, le pourcentage de 98% pour mesurer l’importance du pétrole dans le budget du
Soudan du Sud.
Notre réflexion et nos analyses dans cette sous partie bénéficient de fréquentes conversations
et correspondances avec de nombreux fonctionnaires du nord Soudan, à la société nationale
Sudapet, au ministère du pétrole, y compris Lual Deng l’ancien ministre en charge du secteur
depuis les élections législatives et présidentielles du 11 avril 2010 jusqu’à l’indépendance de
juillet 2011. Au Sud, l’ex ministre de l'énergie Garang Diing Akuong (2010/2011) qui couvre
le secteur du pétrole et de l'électricité nous a aussi beaucoup aidé à comprendre les enjeux.
Enfin, nous avons eu la chance de correspondre avec le secrétaire général de National
548 Marc Lavergne, « Les conflits soudanais, ou l’échec d’un projet d’Etat-nation unitaire et laïc », dans Les Conflits dans le Monde, 2011 549 Voir les travaux de Géraldine Pinauld sur les réseaux de vente de bétail entre l’Afrique de l’est et la péninsule arabique.
332
Petroleum Commission (NPC) Haithman Babikir. Cet organisme a eu pour tâche, depuis les
accords de paix de 2005 jusqu’à l’indépendance du Sud, de s'accorder sur les décisions
pétrolières qui concernent les deux entités. Il était dirigé par le président Omar el Béchir ainsi
que son vice-président Salva Kiir (jusqu'en juillet 2011), également président du Soudan du
Sud. Enfin, les rapports de l'ONG américaine Global Witness et les conversations avec ses
chercheurs sur le Soudan ont permis d'appréhender la question essentielle de la validité des
chiffres de production.
Les zones de production et les multiples problèmes frontaliers
Avant de parler des problèmes d’enclavement pour le pétrole du Soudan. Il semble nécessaire
de faire un point sur la localisation des champs pétroliers et des problèmes géopolitiques que
cela entraîne. Seuls sept blocs produisent du pétrole (autour de 450/500 000 barils par jour
depuis 1999) au Soudan. Ils sont tous opérés par des consortiums de compagnies. La plupart
sont conduits par le tandem composé de la société étatique chinoise China National Petoleum
Corporation (CNPC), son homologue malaisienne Petronas et Indian Oil and Natural Gas
Corporation (ONGC). En plus du contrôle de la plupart des consortiums, la domination de la
Chine s'exerce aussi car elle achète les ¾ des cargaisons soudanaises.
A l’indépendance, quelque 350 000 bpj sont produits uniquement sur le territoire du Sud-
Soudan. Cependant, plusieurs périmètres sont situés de part et d’autre de la frontière entre
nord et sud ou dans des zones de litige frontalier comme Abyei. Seul le bloc 6 se trouve
entièrement au Nord, entre les Etats du Sud Darfour et du Sud Kordofan (voir carte ci-
dessous).
333
Carte n°38: Blocs pétroliers et projets d’exportation du brut du Soudan du Sud
Sources : Site de la Sudapet, conversation avec Lual Deng.
Le bloc 6 est opéré par le consortium Petro Energy composé de CNPC (95%) et Petronas
(5%) et produit aux alentours de 60/70 000 bpj. Les blocs 5A (25 000 b/j), 1 (50 000 b/j) et 3
(100 000 b/j) sont les seuls à être entièrement au sud, sans contestation des deux parties. Les
autres périmètres font ainsi l'objet de négociations depuis août 2010.
Si la production des blocs 3 et 7 (270 000 bpj), ne pose actuellement pas de problème (elle est
entièrement située au sud), la partie nord du bloc 7 se trouve en revanche au nord. Pour le
moment cette zone située au nord ne renferme pas de champ producteur, mais des découvertes
334
y ont été ont réalisées. Il est à envisager la séparation du bloc en deux puis de partager les
éventuels champs des deux côtés de la frontière. Cela ne pose en théorie pas de difficulté, ce
procédé dit "d'unitisation" s'opère très couramment entre deux pays550 ou entre deux sociétés
qui opèrent deux blocs distincts, avec un gisement qui se situe sur deux périmètres.
Cependant, le cas soudanais est un peu particulier car il implique la délimitation de blocs
producteurs et non uniquement des périmètres en exploration. Les blocs 3 et 7 sont opérés par
Petrodar Operating Company composé principalement de CNPC (41%) et Petronas (40%).
Les périmètres 1-2 et 4 (132 000 bpj combinés) dans le bassin de Muglad sont les premiers à
avoir été mis en production en juin 1999. Ils sont opérés par Greater Nile Petroleum
Operating Company (GNPOC) composé de CNPC (40%), Petronas (30%), ONGC (25%) et
Sudapet (5%). Si le bloc 1 appartient bien au Sud, le bloc 4 pose problème car il se situe dans
la région disputé d'Abyei dont la souveraineté n'est pas encore complètement tranchée. Le
bloc 4 est déterminant car il produit plus de 50 000 bpj à lui seul. Or, Khartoum, dans ses
calculs prend déjà en compte ce bloc comme lui appartenant. De même, certaine zone du bloc
2 pourrait a fait l'objet de négociation.
Le sort de la région d’Abyei gisant actuellement dans les Etats du Sud Kordofan et du Bahr el
Ghazal devait être théoriquement scellé lors des discussions entre les deux parties sensées
prendre fin à la proclamation de l'indépendance du Sud-Soudan le 9 juillet 2011. Un
référendum à Abyei était prévu le même jour que le référendum pour l'autodétermination du
Soudan du Sud le 9 janvier, mais il a été annulé. Abyei est le théâtre de nombreuses luttes
ethniques depuis le début de la deuxième guerre civile, en 1983, entre populations Dinka, qui
contrôlent en grande partie la Sudan People's Liberation Army / Movement SPLA/SPLM et
militent pour un rattachement de cette enclave au Sud-Soudan, et les Misseeria qui se sont
battus aux côtés de Khartoum. Abyei n’est pas la seule zone où des conflits sont ouverts entre
le Nord et le Sud pour obtenir la souveraineté. Il y a aussi l’Etat du South Kordofan et celui de
Blue Nile, tous deux abritant des réserves pétrolières.551 Ces deux Etats devaient également
tenir des référendums populaires le 9 janvier 2011 afin de déterminer s’ils veulent rester avec
le Nord ou s’ils préfèrent être sous souveraineté de Djouba. Tout comme Abyei, et pour les
mêmes raisons, la peur de Khartoum de perdre les dernières zones pétrolières qu’il possède, le
conduit à annuler et reporter ces votes. Ces deux Etats restent donc sous domination de
Khartoum. La défense de ces zones stratégiques conduit à des conflits armées. C’est
550 Plusieurs exemples de gestion commune de champ et bassin entre deux Etats existent déjà sur le continent africain (voir partie I). 551 Voir Benjamin Augé, « Le pétrole dans un Soudan éclaté », Politique africaine, 2011.
335
notamment le cas de la zone pétrolière d’Heglig (bloc 4) au South Kordofan où les deux
armées s’opposent entre mars et avril 2012. Si c’est bien l’armée du Soudan du Sud qui a
envahi la zone pour faire pression sur le nord au sujet des négociations pétrolières, c’est bien
l’aviation soudanaise qui a causé le plus grands nombre de morts.
Ces conflits le long de la frontière sont également la conséquence de la mésentente profonde
entre Khartoum et Djouba sur le prix à payer par le Sud pour l’utilisation des deux oléoducs
d’exportation allant vert Port Soudan. En effet, la totalité de la production soudanaise est
exportée par ces deux oléoducs, l’un transportant le pétrole des blocs 3 et 7 (principalement
sous contrôle de Djouba) et l’autre allant des permis 1 (sous domination de Djouba), 2 et 4
(partagé entre Djouba et Khartoum). Djouba n’a pas d’autre choix que de passer par ces
oléoducs et négocie ainsi depuis août 2010 un prix de transit avec son voisin du Nord.
L’impossibilité de se mettre d’accord après les multiples médiations de Thabo Mbeki (ancien
président sud-africain) et Meles Zenawi (Premier ministre éthiopien) n’y ont rien changé. En
effet, si Djouba propose 1 dollar par baril, Khartoum considère lui que ce prix doit incorporer
une partie de la perte financière suite à l’indépendance du Soudan du Sud, il propose donc 31
dollars ! Par comparaison, le Tchad donne moins d’un dollar par baril au Cameroun pour
l’exportation de son brut par son territoire. Cette impasse ainsi que les fréquentes accusations
du principal négociateur du Soudan du Sud, le secrétaire général du SPLM Pagan Amum, sur
le vol de cargaisons par le Nord (sans paiement au Sud) a conduit à la baisse de la production
pétrolière au Soudan du Sud à partir de janvier 2012 puis à son arrêt progressive les mois
suivants. Un accord de principe a été conclu en août 2012, après que l’ONU a imposé un
ultimatum, au-delà duquel des sanctions auraient été appliquées. Un prix moyen de 9,48
dollars par baril aurait été accepté par les deux partis, ainsi qu’un paiement de 3 milliards de
dollars par le Soudan du Sud552. Seulement, lors des rounds de négociation sur les territoires
disputés prévus pour septembre 2012 lors de l’écriture de ces lignes, cela ne va pas forcément
être facile. De même, sur la reprise de l’exportation par Port Soudan, le responsable des
négociations Pagan Amum, et également secrétaire général du SPLM, prévient le 3 août553
que le Soudan du Sud va poursuivre ses projets d’indépendance (comprendre en passant par le
Kenya). L’accord d’août 2012 est donc provisoire.
552 Financial Times, 4 août 2012. 553 Financial Times, ibid.
336
Les espoirs dans l'exploration pour le Nord
L’extrême nervosité du Soudan concernant les territoires pétroliers frontaliers ainsi que ses
demandes sur le niveau exorbitant du droit de passage sont compréhensibles. En effet, du jour
au lendemain, Khartoum a été obligé d’accepter la perte sèche de quelque 350 000 b/j soit les
¾ des revenus pétroliers du pays. Contrairement au cas angolais qui opère dans une relative
tranquillité près d’1 million de barils par jour dans les eaux territoriales du Congo, la pression
américaine a été forte pour que la partition de la souveraineté du Soudan et donc des revenus
s’opèrent. Il est vrai que l’indépendance du Soudan du Sud n’a pas de conséquence pour les
compagnies pétrolières américaines, seuls les Chinois, Indiens et Malaisiens sont en première
ligne. C’est peut être l’une des différences majeures avec le cas Congo/Angola,
précédemment développé.
Pour le Nord, découvrir de nouveaux gisements est donc devenu vital suite à la baisse
considérable de ses revenus à partir de juillet 2011554. Khartoum est de plus rentré dans une
crise économique sévère avec une inflation galopante, des rationnements d’essence de fait
avec des pénuries d’essence, l’arrêt progressif des subventions sur certains produits comme
l’essence dès décembre 2011555 mais aussi sur le sucre etc…556. Une dévaluation de sa
monnaie de 30% en mai 2012 est un signe que le ministère des finances tente tout pour
sauvegarder une économie en danger557. Le gouvernement essaie de mettre en place des
mesures afin de regagner des marges de manœuvre budgétaire. Selon la mission économique
de France à Khartoum, les revenus de l’Etat du Soudan ont baissé de 23% entre 2011 et 2012,
alors qu’entre 2010 et 2011, ils avaient déjà sensiblement baissé. L’une des mesures phare,
hors de l’arrêt des subventions sur certains produits, est la hausse de la taxe sur la valeur
ajoutée qui est passée de 15 à 17% au début 2012. Depuis l’indépendance de juillet 2011, la
balance des paiements de Khartoum s’est totalement déséquilibrée. Autrefois excédentaire
grâce au pétrole, celle-ci est fortement déficitaire sur un an: 3,2 milliards de dollars
d’exportation quand les importations atteignent 6,6 milliards de dollars, soit plus du double.
554 Selon les accords de Paix du Comprehensive Peace Agreement (CPC) entre le nord et le sud en 2005, le chapitre 3 sur le partage de la richesse stipule que les revenus pétroliers issus des champs au Sud seront partagés à égalité entre les deux parties. La Standard Bank estime dans Southern Sudan : future potentiel shines a torch on current shortcomings, publié sur son site le 12 mai 2010 que le nord a gagné 13 milliards de dollars depuis 2005 et le sud 8 milliards. Khartoum a des revenus supérieurs du fait notamment des champs qu'il ne partage pas avec le Sud, ainsi que de ses raffineries. 555 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2012. 556 Multiples discussions avec les responsables de la mission économique française à Khartoum. 557 http://www.iol.co.za/news/africa/sudan-s-bashir-unveils-austerity-plan-1.1321877#.T-GoThfr36c.
337
Le territoire soudanais était avant l’indépendance du Soudan du Sud, le plus grand d'Afrique
avec 2,5 millions de km². Or, une très faible partie de cette superficie a été explorée par les
pétroliers, au Nord comme au Sud. Les recherches de Chevron dans les années 1970, n'ont
couvert que les zones frontalières actuelles entre nord et sud. Les sociétés chinoises, arrivées
en 1996, ont décidé de mettre en production les zones les plus faciles où des gisements
avaient déjà été découverts. CNPC a donc mené très peu d’exploration dans des zones
« vierges » en données géologiques disponibles.
Devant l'inéluctabilité d'un Sud indépendant, Khartoum a essayé, mais bien trop tardivement,
d'accélérer le travail des pétroliers présents au Nord ainsi de diversifier au maximum les zones
d'exploration. La société nationale soudanaise Sudapet a même mobilisé à cet effet des engins
de forage supplémentaires en 2010558. Un nouvel appel d’offres a été lancé début 2012 par le
ministre du pétrole Awad Al Jaz afin de proposer six nouveaux permis d’exploration dont une
partie ont déjà été explorés puis rendus (8, 10, 12 B, 14, 15 et 18), voir carte 35. Cependant,
les sociétés qui se sont présentées puis celles qui ont remporté les permis début juillet 2012
ont des capacités limitées voire inexistantes. En effet, pour la première fois depuis les années
1990, aucune des sociétés étatiques chinoises n’a candidaté à cet appel d’offres organisé par
Khartoum. Même constat pour les Indiens d’ONGC et les Malaisiens de Petronas. Ces
sociétés sont conscientes qu’elles n’auraient plus eu aucune chance de se rapprocher de
Djouba en cas de volonté affichée d’accroitre leurs travaux au nord. Les grands gagnants de
ce round sont les Brésiliens de Petra Energia, qui s’étaient rendus à Khartoum en mai 2012,
leur filiale STR Projects, a remporté les blocs 9, 11 et 18 ainsi que le bloc C situé à proximité
de la zone contestée d’Abyei. Petra Energia est une petite société dont les seuls actifs
pétroliers sont dans l’onshore du Brésil. Son directeur général, Otacilio Lang s’active depuis
le début 2012 pour rentrer au Niger et au Tchad voisin. La société basée à Hong-Kong
PetroTrans, et son partenaire, le magnat de l’immobilier et président de Polytech Assets
Holding, Wai Sheun, ont remporté les blocs 15 et 8. Leur nouvelle joint-venture s’appelle
Forever Investments. PetroTrans dispose de 15% et Sheun contrôle le reste559. Le dirigeant de
PetroTrans, John Shaw Tong Shin, n’est pas un inconnu : il a déjà réussi à s’emparer en 2011
des permis de l’Ogaden éthiopien opérés auparavant par Petronas. L’une des surprises
émanant des services du ministre du pétrole Awad Al Jaz vient de l’arrivée au Soudan
558 Conversation avec un ex-directeur de la Sudapet, avril 2010. 559 Africa Energy Intelligence, n°679, 11 juillet 2012.
338
d’International Petroleum560 de Frank Timis, qui prend le bloc 10 (proche de Khartoum).
Avec ses permis obtenus au Niger courant juillet 2012, International Petroleum fait une entrée
en fanfare dans la région saharienne. Le bloc 14, opéré précédemment par PetroSA (société
nationale sud-africaine), est désormais développé par Statesman Resources, une junior encore
inconnue basée au Canada. Son PDG, Dougal Ferguson, est actif depuis le début des années
1990 dans des sociétés australiennes parapétrolières et des compagnies dédiées à
l’exploration, comme Adelphi Energy ou Neon Energy. Il a aussi été le responsable de
l’exploration dans la société privée chinoise Brightoil Petroleum, tout comme un autre
directeur de la société, Greg Channon.
Aucune de ces sociétés n’a les capacités de produire seules le brut au nord et c’est inquiétant
pour la pérennité du secteur pétrolier. Aucune major n’a voulu prendre le risque de
s’approcher de Khartoum, soit par peur de s’éloigner de Djouba, soit alors par peur de tomber
sous le coup des sanctions américaines. On voit qu’après l’indépendance du Soudan du Sud,
Khartoum est toujours pénalisé par les sanctions car les investisseurs qui prennent le risque de
s’y implanter sont de tailles moyennes voire petites et les sociétés de grandes tailles que le
pays avait réussies à attirer dans les années 1990 ne sont plus aux côtés du président El Béchir
car elles veulent se rapprocher du Soudan du Sud où la richesse pétrolière est beaucoup plus
importante.
Il y a urgence pour le nord de relancer l’exploration d’un secteur qui a pris du retard et où la
production baisse régulièrement du fait de la maturité des champs (cas similaire au sud mais
dans une moindre mesure). Le ministère du pétrole à Khartoum a accordé avant
l’indépendance des licences sur la mer Rouge, au Darfour, dans le grand nord, dans les
régions proches d'Abyei, principalement à des consortiums dominés encore par des sociétés
d'Etat, souvent asiatiques mais aussi à des petites sociétés africaines. Les résultats ont été dans
l’ensemble assez décevants.
Sur la mer Rouge, trois blocs avait été découpés et attribués: 13, 15 et 16. Le 16, le plus au
nord, est disputé avec l'Egypte, il n'y a donc quasiment jamais eu d'exploration. Le 15 où se
situe la ville portuaire de Port-Soudan est opéré par Red Sea Operating Corporation (CPOC)
composé notamment de CNPC (35%), Petronas (35%) et Sudapet (15%). Deux forages ont 560 International Petroleum est probablement la société pétrolière la plus sérieuse qui soit rentrée en 2012 au Soudan. Son patron, Frank Timis, est un homme d’affaires d’origine roumaine vivant en Australie qui a réussi en l’espace de 5 ans à obtenir des permis pétroliers au Sénégal, Liberia, Niger, Gambie, Sierra Leone, Côte d’Ivoire. Timis est également actif dans les mines en Afrique, notamment en Sierra Leone avec sa société African Minerals. L’homme d’affaires a eu de nombreux démêlés avec la justice notamment en Grande-Bretagne pour avoir fait de fausses déclarations au marché financier.
339
été effectués dans ce périmètre en offshore (les premiers de l'histoire pétrolière du Soudan)
entre février et décembre 2010, mais ils ont été décevants. Ce permis a d’ailleurs fait partie de
l’appel d’offres de 2012. Le bloc 13 également opéré par CNPC se situe dans une zone avec
des profondeurs d'eau beaucoup plus importantes. La société chinoise menace depuis 2010 le
ministère du pétrole de se retirer si elle n'obtient pas de meilleures conditions fiscales pour
poursuivre l'exploration. La mer Rouge est pour l'instant peu encourageante, mais les zones
effectivement explorées sont encore très réduites. L’Arabie Saoudite s’y intéresse, des
explorations devraient commencer dans ses eaux territoriales dès 2012.
Dans le Northern State, frontalier avec l'Egypte, le bloc 14 (283 000 km²) a été opéré par la
société nationale Sudapet depuis le départ de la société d'Etat sud-africaine PetroSA en 2009.
Seuls quelques travaux de sismique et de surface ont été effectués. PetroSA, dont c'était la
seule participation dans le pays, est parti à la suite de pressions des Etats-Unis. En effet, le
financement par des banques américaines de l’extension de sa raffinerie de gaz à Mossel Bay
en Afrique du Sud était conditionné au départ du Soudan561. Ce dernier a été très mal reçu à
Khartoum car PetroSA représentait un symbole fort de la coopération entre l'Afrique du Sud
et le Soudan. Ce permis, très difficile, est comme on l’a vu désormais entre les mains de
Statesman Resources.
Dans la région du Darfour (ouest), le seul bloc actuellement en exploration est le 12A dans
l'Etat du Nord Darfour. Le 12B qui était proposé dans l’appel d’offres de 2011/2012 n’a pas
trouvé preneur. Le 12A est opéré par le consortium Great Sahara Petroleum Operating
Company (GSPOC) aux intérêts très "dispersés" à l'image de tous les consortiums opérant
dans le pays. Comme on l’a vu, les sanctions américaines depuis 1997, font que seules des
sociétés n'ayant jamais à traiter avec les Etats-Unis viennent au Soudan, cela est encore plus le
cas au Darfour (pour lequel Omar el Béchir est accusé de crime contre l’humanité par la Cour
pénale internationale de La Haye). GSPOC est en effet composé de Saoudiens (AlQhtani),
Yéménites (Ansan), Soudanais (Sudapet et Hi-Tech), Jordaniens (Dinder), enfin d'un fonds
partagé entre la Libya Oil Holding Limited (fonds de l'Etat libyen) et Petrolin dirigée par
Samuel Dossou. Dossou est un homme d'affaires béninois qui a fait sa fortune en obtenant un
quasi-monopole sur la vente des cargaisons de pétrole gabonais562. Le bloc 12A a fait l'objet
en 2009/2010 d'une campagne de sismique 2D conduisant l'ONG Global Witness à publier, le
3 juin 2010, un communiqué pour réclamer la transparence de l'exploration pétrolière dans
561 Selon le responsable de l’époque du bloc 14 pour PetroSA. Citoyen soudanais ne souhaitant pas être cité du fait de ses activités actuelles dans son pays. 562 Multiples articles sur ce sujet dans Africa Energy intelligence et La Lettre du Continent.
340
cette zone en conflit. Un premier forage y a été effectué en février 2012 mais GSPOC n’a pas
communiqué sur les résultats. Si des gisements sont mis à jour, Khartoum devra négocier avec
les autorités locales pour leur proposer une part des revenus. La guerre au Darfour a causé la
mort de milliers de personnes, l’arrivée du pétrole dans cette région serait probablement le
début de lutte pour son indépendance563.
Dans les Etats de Khartoum, Al Jazira, White Nile et North Kordofan se trouvent les blocs 9
et 11 autrefois opérés par le groupe pakistanais Zaver Petroleum Group. Trois forages ont été
effectués depuis 2005 mais sans aucune découverte. Zaver a cherché depuis lors des
partenaires, sans succès. Cette zone semble être peu stratégique pour l'avenir. Ils seront
désormais pris en charge par les Brésiliens de Petra Energia. Dans la même région, le bloc 8 a
été opéré par Petronas mais il a été rendu et fait l’objet de promotion depuis 2012 où il a été
attribué à Forever Investments. Trois forages secs ont été effectués depuis 2005. Les
Malaisiens s'y sont longtemps obstinés car en 1983, Chevron avait mis à jour un intéressant
gisement.
Les espoirs de découvertes pour le Nord-Soudan se portent enfin sur le bloc 17 qui se trouve
au nord de la région disputé d'Abyei. Ce périmètre, opéré par le consortium Star Oil composé
du yéménite Ansan (85%) et Sudapet (15%) a lancé sa première campagne de forage en 2011.
Star Oil est dirigé au Soudan par l'ex directeur de la Sudapet Yousif Mohamed Ahmed. Une
fois de plus, la société compte sur des découvertes (Abu Gabra et Sharif) déjà réalisées par
Chevron au début des années 1980.
Pour résumer, les espoirs du Soudan d’accroitre sa production (comprise 100 à 120 000 b/j en
2012) sont assez minces à court terme. La première raison est qu’aucune découverte
significative n’a été faite depuis une décennie. L’autre raison est qu’aucune société
occidentale, possédant encore actuellement les meilleures technologies, n’a exploré le pays
depuis quasiment trois décennies. Et du fait des sanctions américaines qui s’appliquent
toujours sur le Soudan, malgré l’indépendance du Sud, aucune major ou sociétés importantes
ne va se risquer dans ce pays. La grande majorité des petites compagnies présentes lors des
promotions des permis proposés au début 2012 venaient d’Asie et d’Amérique Latine. Or, les
moyens à mettre en œuvre pour découvrir le pétrole au Soudan sont très importants, il ne
563 Le Darfur Peace Agreement ou Doha Agreement, signé en juillet 2011 dans la capitale Qatari envisage la création d’un poste de vice-président du Soudan qui serait occupé par un Darfuri. Cet accord stipule également la création d’une autorité Darfur Regional Authority qui aurait un certains nombres de prérogatives sur la région au détriment de Khartoum.
341
suffit plus de mettre en développement des champs déjà découverts par les majors
américaines dans les années 1970.
Les espoirs pétroliers pour le Soudan du Sud.
Hors de ses blocs producteurs, 1-2-4 et 3-7 dont certaines zones font l'objet de contestation, et
le 5A, l'exploration du Sud-Soudan est très réduite. Le bloc 5B qui jouxte le 5A dans la région
de l'Upper Nile a été tellement décevant que l'un des partenaires, le suédois Lundin
Petroleum, est parti du pays en 2009. Dans son rapport annuel de 2008 publié le 15 avril
2009, Lundin Petroleum a reconnu que les trois puits d'exploration forés au cours de l'année
2008 sur ce bloc 5B se sont tous avérés secs564. Lundin était la seule société occidentale à
avoir des participations dans un bloc pétrolier au Soudan et à y travailler (contrairement à
Total). Depuis 2010, le 5B est opéré par la société moldave Ascom.
Le bloc le plus intéressant de par sa superficie et les sociétés qui devraient bientôt y travailler
est le périmètre B qui s'étend sur 120 000 km² (1/5 du territoire Français). Ce bloc est opéré
depuis 1980 par Total. La major française (32,5%) est en partenariat avec les Koweïtis de
Kufpec (25%), Sudapet (10%) et la Nilepet (société nationale du Soudan du Sud). Dès le
début de la guerre civile en 1983, la société a arrêté toute exploration. Elle a utilisé la
disposition de "force majeure" qui permet de stopper des travaux en cas d'insécurité ou de
catastrophe naturelle. Khartoum a depuis accepté chaque année de renouveler ses droits. Le
principal partenaire de Total, l'américain Marathon Oil, est parti en 2007 suite aux sanctions
américaines.
A la suite de cette défection, Total propose au printemps 2008 un nouveau partenaire.
Cependant ce dernier, le fonds émirati Mubadala, est rejeté par le gouvernement du Sud-
Soudan qui veut éviter les investisseurs arabes. Depuis 2010 et l'approche du référendum, de
nouvelles discussions ont débuté entre Total et les autorités du Soudan du Sud. Le ministre de
l'énergie du Sud Garang Diing Akuong a été invité en novembre 2010 au siège de la major à
la Défense près de Paris pour discuter des projets à venir565. Total voudrait reprendre ses
activités depuis l'indépendance officielle du Soudan du Sud en juillet 2011 mais pas à
n’importe quel prix. La société a tenté de convaincre le ministre d'accepter le groupe national
Qatar Petroleum pour reprendre les parts de Marathon. Cependant, le ministre des affaires
étrangères de Djouba Nhial Deng Nhial, nous a confirmé en mars 2012 que cela n’était plus à
564 Rapport annuel 2008 disponible à l'adresse suivante : http://www.lundin-petroleum.com. Passage sur le Soudan p. 2 et 3. 565 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010.
342
l’ordre du jour. Et pourtant, à la suite de plusieurs conversations privées avec Garang Diing
en décembre 2010 et février 2011, il s’était avéré que le gouvernement du Soudan du Sud
n’était plus opposé à un investisseur venant du Golfe.
Plusieurs blocs pourraient être attribués au Soudan du Sud en 2012/2013, une carte avec de
nouveaux périmètres devrait être rapidement disponible. Un regain d'intérêt de compagnies
occidentales est à prévoir en cas de levée des sanctions américaines. La secrétaire d'Etat
Hillary Clinton s'y était engagée en cas de bonne tenue du référendum d'autodétermination de
janvier 2011. Cela a été le cas aux vues des satisfécits émanant des diplomaties américaines et
européennes. Cependant, ces sanctions américaines seront difficiles à lever car ceci nécessite
l'aval du Congrès. Or, les lobbies américains religieux chrétiens sont opposés à tout
relâchement de la diplomatie face au Soudan. Cependant, selon l’ex ministre de l'énergie
Garang Diing Akuong, le Sud-Soudan en tant que nouvel Etat, n’est plus tenu par les
sanctions américaines.
La mainmise d'Omar el Béchir et ses proches sur le secteur pétrolier
Afin de montrer combien le ressentiment a pu aisément grandir entre les deux entités
géopolitiques soudanaises pendant la période de transition et mener au résultat inéluctable du
9 janvier 2011, il est nécessaire de se pencher sur la gestion très personnelle et confiscatoire
de l’entourage du président Omar El Béchir du secteur pétrolier. Une personnalité politique
soudanaise est très importante dans cette gestion car elle a façonné toute la politique pétrolière
du Soudan depuis les années 1990. C'est le ministre du pétrole Awad Ahmed Al Jaz, revenu à
ce poste en décembre 2011 qui est le principal responsable de l’architecture du secteur.
Awd Ahmed Al Jaz est un maillon clé du régime d'Omar el Béchir et de son parti, le
National Congress Party (NCP). Quelques mois après l'arrivée de Béchir à la tête de l’État
soudanais, en 1989, Al Jazz devient ministre du commerce. Il a occupé depuis divers postes
ministériels sans discontinuité. En 1994, il prend la tête du ministère de l'énergie et des mines
qui coiffe notamment le secteur du pétrole. Il le quitte pour le ministère des finances en 2007
puis de l’industrie en 2011 avant de revenir la même année au pétrole. Al-Jazz a eu donc
treize ans pour concevoir et mettre en place un secteur pétrolier très étroitement contrôlé par
le président Omar el Béchir566.
566 Selon plusieurs discussions avec des cadres du ministère du pétrole ainsi que de la société nationale Sudapet.
343
Le président soudanais et Al-Jaz se sont assurés de leur totale mainmise sur le secteur
pétrolier en créant dès 1999 des structures dirigées par des militaires qui leur étaient acquis.
Longtemps piloté par le général Abdel Haffez, le Petroleum Security Department (PSD) est
chargé au sein du très puissant National Intelligence and Security Services (NISS), dirigé par
le général Mohamed Atta al-Moula, de gérer les affaires pétrolières. Al Jaz a rencontré chaque
semaine durant ses années au ministère du pétrole, les patrons de la NISS et du PSD pour
faire le point sur les activités du secteur567. Son successeur au ministère du pétrole en 2007,
Al-Zuber Ahmed Al-Hassan, n'a pas modifié cette organisation. En revanche, le portefeuille
du pétrole du gouvernement de transition est revenu à une personnalité du SPLM en échange
de la prise par le NCP de Béchir du ministère des affaires étrangères. Le ministre du pétrole
nommé en 2010 et qui a gardé son poste jusqu’en juillet 2011, Lual Deng, par ailleurs
membre du SPLM568, a eu certainement moins de poids sur le secteur car il a été "marqué" par
son secrétaire d'Etat Ali Ahmed Osmane, membre du NCP de Béchir.
Cependant, ces divers changements au ministère du pétrole n'ont pas amoindri le poids
concret du NISS. Lorsqu'une société pétrolière lance une campagne sismique ou de forage,
des unités commandos du NISS encadrent les activités sur le terrain. Les pétroliers doivent
alors nourrir, loger et rémunérer ces détachements.
Quelques sociétés proches du pouvoir ont aussi exercé un important contrôle sur le secteur, au
moins jusqu’à 2005 mais probablement encore pendant la transition entre les deux Soudan.
Pour la main-d’œuvre, c’est la compagnie d'Etat Petroneed dirigée par le général Salah Al-
Tayeb, membre du NISS, qui a sélectionné les salariés de la société nationale Sudapet au sein
des différents consortiums. Grâce à nos nombreuses discussions privées avec d'anciens
salariés en janvier 2010, on peut conclure que les rémunérations proposées par Sudapet sont
jusqu'à deux fois plus élevées que celles des sociétés privées. Seulement, pour y travailler, il
est obligatoire d'être membre du parti au pouvoir (NCP). Dans le domaine parapétrolier,
Samasu International Co569 est incontournable. Basée à Londres et dirigée par Idris Taha, un
proche d’Al-Jaz, elle est associée aux principales opérations de fourniture de matériels :
plateforme de forage, générateur électrique, fluides. La proximité de la société avec le pouvoir
rassure les groupes occidentaux qui travaillent avec elle. La famille présidentielle est aussi
567 Discussion avec un ex-dirigeant de Sudapet. 568 Après les dernières élections présidentielles de 2010, le portefeuille du pétrole a été donné à un membre du SPLM en échange du poste de ministre des affaires étrangères pour le NCP. Lual Deng a la particularité d'avoir toujours milité au sein du SPLM contre la séparation du Sud-Soudan, préférant une autonomie du Sud dans un Soudan uni. 569 Africa Energy Intelligence, n°619, 6 janvier 2010.
344
directement présente dans le secteur via Hi-Tech Petroleum Group qui est liée à Ali Hassan
Ahmed el-Béchir, le frère du chef de l’Etat. Disposant de participations dans les blocs 8, 12A,
C et 15, HTPG a été largement soutenue par l’Etat soudanais. Son ex-responsable Salah
Hassan Wahbi est devenu, au début 2008, le patron de Sudapet.
Cette mainmise des services de sécurité et du parti du président Béchir a été
immanquablement bousculée par l'indépendance du Sud. De même, les sociétés pétrolières et
parapétrolières proches du pouvoir ont désormais probablement des difficultés à garder leur
marché avec les nouvelles autorités du Soudan du Sud. Outre le fait que ces sociétés sont
marquées du sceau des obligés d’Omar El Béchir, elles ont bien du mal à travailler dans un
environnement concurrentiel sans privilège venant du pouvoir. Elles risquent de ne pas
pouvoir s’étendre et de devoir rester cantonnées au Nord. Au Sud, la question est de savoir si
elles vont être remplacées par des acteurs internationaux ou si les sudistes vont chercher à
mettre en place un contrôle similaire.
A cette grande confiscation du secteur pétrolier par les proches du régime de Khartoum,
s’ajoute une grande méfiance des sudistes concernant les chiffres de production durant la
période de transition (2005-2011). L'ONG Global Witness a par l’intermédiaire d’un rapport
Fuelling Mistrust: The need for transparency in Sudan's oil industry publié en 2009, mis en
évidence une importante différence de chiffres de production entre les données venant des
compagnies et ceux communiqués par le ministère du pétrole à Khartoum. Selon ce rapport,
pour l'année 2007, Global Witness constate des différences allant de 9% pour les blocs du
consortium Greater Nile Petroleum Operating Co à 14% pour ceux du Petrodar Operating Co.
La différence atteint même 26% pour Petro Energy en 2005. Lors d'un séminaire organisé le
18 août 2010 à Khartoum avec la participation des sociétés pétrolières, Global Witness et des
services de l'Etat, le ministre du pétrole Lual Deng a affirmé que ces différences étaient dues à
un changement de pression entre la sortie de puits (là où les sociétés pétrolières mesurent le
débit) et le terminal pétrolier de Port Soudan (là où l'Etat fait ses calculs). Argument peu
convaincant. Le ministre a aussi promis le lancement d'un audit du secteur pour les années
2005 à 2009. Cette étude ne devrait cependant pas être lancée avant juillet. C'est le National
Petroleum Council (NPC) où les grandes décisions pétrolières se prennent entre le président
soudanais, Omar el Béchir, et son homologue du Sud, Salva Kiir qui était théoriquement en
charge de cet audit. Cependant, le NPC a été dessaisi mi-février 2011 de tous les dossiers au
profit des commissions de négociations bilatérales créées pour régler les affaires entre les
deux futurs Etats. Si Khartoum prend le parti de la transparence, un audit pourrait contraindre
345
le nord à payer de très lourds arriérés en cas de mensonge manifeste sur la production durant
les années étudiées. Cela pourrait démontrer que Khartoum a sciemment sous-évalué les
chiffres de production pour redistribuer des revenus plus faibles au Sud. Cependant, si cet
audit est très important pour solder le passé et repartir sur des bases saines, il ne règle pas les
questions d'avenir. Or, à la mi-2012, toujours aucun audit n’avait été officiellement lancé. La
situation pétrolière et politique entre les deux blocs à cette date est suffisamment complexe et
explosive pour éviter de revenir chercher des motifs supplémentaires de litige dans le passé.
Les nombreux enjeux pétroliers non réglés depuis l'indépendance du Sud.
Si la relation a été historiquement très difficile entre les nordistes et sudistes, l’indépendance
n’a pas tout réglée, loin de là. Les dossiers (en particulier celui du pétrole) sur lesquels les
deux acteurs devaient travailler durant les six mois séparant le vote des sud-soudanais le 9
janvier jusqu’au 9 juillet, période de transition prévue par les accords de 2005, a été
insuffisante car elle n’a pas fait avancer la discussion. Si certaines négociations comme celles
sur le partage de la dette ont pu un peu progressé lors de certaines réunions, elles ont été
immédiatement contrebalancées par celles sur le pétrole. Un accord sur ce dernier point
conditionne en effet le partage du fardeau de la dette. Le problème est que le secteur pétrolier,
contrairement aux autres dossiers qui peuvent trouver une solution sur le plus long terme,
impose un règlement rapide du fait de l’enclavement du Soudan du Sud. La grande différence
des positions des deux acteurs, notamment sur le niveau des royalties demandé par Khartoum,
bloque totalement la situation depuis le début 2012 et a conduit à l’arrêt progressif de la
production. Ce pays vit depuis le début 2012 uniquement sur ses réserves en devises (très
réduites) et les aides internationales. Les 700 millions d'euros promis par l'Union européenne
à Djouba en janvier 2012 arrive donc opportunément570, cependant non seulement ils ne
suffiront pas, mais en plus ils ne devraient pas être décaissés en une seule fois. L’Australie a
également donné quelque 29 millions de dollars, en espérant que cela aide les sociétés
australiennes à obtenir des contrats miniers et pétroliers. La visite de l’ancien vice-premier
ministre Tim Fischer le 15 juin dans la capitale du Soudan du Sud témoigne de l’intérêt de
son pays pour le Soudan du Sud571.
Outre le problème des zones particulières et contestées comme Abyei, il faut traiter de
l'utilisation des infrastructures. Les deux oléoducs qui relient les blocs 1-2-4 et 5A ainsi que
des blocs 3 et 7 à Port Soudan sur la Mer Rouge ont tous les deux un statut particulier.
570 Africa Energy intelligence, n°668, 1er février 2012. 571 Africa Energy Intelligence, n°678, 26 juin 2012.
346
L'oléoduc qui transporte le pétrole dit « Nile Blend » : blocs 1-2-4 et 5A appartient à l'Etat
(l'autre actionnaire étant CNPC). Il est entièrement contrôlé par Khartoum depuis 2012572.
Pour ce qui est de l'oléoduc venant des blocs 3 et 7, le Nord le contrôlera théoriquement
totalement à partir de 2015. Il aurait fallu déterminer comment les deux entités se
partageraient ces infrastructures, indispensables pour l'exportation du brut, ainsi que pour
l'approvisionnement des raffineries. Au ministère du pétrole à Khartoum, il ne fait cependant
aucun doute que les deux oléoducs appartiennent totalement au Nord. Selon des cadres du
ministère de l'énergie à Djouba interrogés en mars 2011, cela est nettement moins évident.
Cependant, c’est bien Khartoum qui contrôle l’accès à la mer. L’arrêt de l’exportation du brut
venant du Sud au début 2012 montre que la solution du pire a été privilégiée. Non seulement
le Sud n’a plus aucun revenu mais le nord perd toute possibilité de taxes provenant de ce
brut573.
Pour ce qui est des trois raffineries, toutes situées au Nord-Soudan, aucun motif de conflit de
propriété du fait de leur localisation. La plus grande transforme 100 000 bpj grâce à un accord
passé avec la CNPC à la fin 2010. Cela pose tout de même le problème de
l’approvisionnement du Soudan du Sud. Auparavant, c’est le Nord qui approvisionnait le Sud.
Dorénavant, l’essence vient principalement du Kenya et de l’Ethiopie.
Au début 2011, lorsque l’optimisme était toujours de mise sur l’issue des pourparlers à Addis-
Abeba entre deux futures entités soudanaises, l'une des grandes interrogations portait sur le
degré d'autonomie économique que le Sud souhaitait acquérir à long terme. L'utilisation des
oléoducs vers Port-Soudan semblait alors incontournable, tout comme l'achat du pétrole
raffiné venant des raffineries du nord. Le cas d’un conflit ouvert ou simple mésentente avec
Khartoum, pouvait laisser augurer d’une politique d'autonomisation graduelle mais pas
davantage. Plusieurs sociétés s’étaient déjà présentées pour aider à cette stratégie. Le groupe
japonais Toyota Tsusho Corp a fait le premier pas en proposant dès mars 2010 aux autorités
du Sud de construire un nouvel oléoduc visant à exporter le brut non plus par Port Soudan
mais par Lamu au Kenya574 (voir carte précédente).
572 La propriété de l’oléoduc fait cependant l’objet d’une procédure d’arbitration internationale. Le gouvernement en réclame la propriété mais les sociétés pétrolières réclament la totalité de leur remboursement. 573 Nous ne pouvons pas présager de la réussite de réussite de l’accord d’août 2012 dont nous avons parlé plus haut. Si le brut reprend sa route vers Port Soudan dans le courant 2012, le Soudan du Sud va obtenir à nouveau des revenus et le Nord devrait pouvoir juguler la crise économique. Cela est susceptible de soulager les deux Etats, mais rien n’empêche d’autres arrêts de la production au Sud, suite à de nouveaux conflits avec Khartoum. 574 Africa Energy Intelligence, 31 mars 2010, n°625.
347
Cette proposition a une certaine logique car le Japon est le deuxième plus important acheteur
de brut soudanais, cependant, elle semblait à l’époque peu réaliste dans un futur proche. Cette
offre japonaise est arrivée alors que la plupart des spécialistes de la région (y compris les
Norvégiens qui ont aidé au processus de négociation à Addis-Abeba), pensaient que les deux
acteurs étaient contraints de gérer en commun le pétrole. Le calcul (y compris venant de
ministre du Soudan du Sud interrogés par nos soins) étaient qu’en cas d'importantes
découvertes au Sud comme par exemple sur le bloc B de Total, la construction d'un nouvel
oléoduc pour rejoindre celui des blocs 1-2-4, soit entre 200 et 600 kilomètres selon la
localisation exacte du gisement serait posée. Djouba pouvait dans ce cas décider en accord
avec la société pétrolière française de construire un nouvel ouvrage vers le Kenya qui
favoriserait l'indépendance économique et géopolitique du Sud. Cette stratégie aurait été
encore plus crédible si le débit des nouveaux champs découverts ne pouvait pas être
entièrement transporté par les oléoducs existants et qu'un nouvel oléoduc devenait une
nécessité. L'ouvrage partant du bloc 1 qui est le plus au Sud, vers Port Soudan fait 1600
kilomètres, or depuis la partie septentrionale du bloc B de Total jusqu’à Lamu, il n'y a « que »
1400 kilomètres, et vers Mombasa (tracé aussi envisagé) il y a 1600 kilomètres. Il n'y aurait
donc, en cas de découvertes importantes au Sud, nécessitant la construction de nouvelles
infrastructures, aucun intérêt pour Djouba de passer par le Nord. Si d'aventure d'autres blocs
"sudistes" regorgent de nouvelles découvertes, cela ne ferait que renforcer encore un peu plus
le projet.
Seulement, cette méthode de penser l’exportation du brut, consistant à dire « en cas de
nouvelle découvertes au Sud du Soudan du Sud, un nouvel oléoduc sera construit » a fait long
feu. Au fur et à mesure que les négociations s’enlisaient à Addis-Abeba, d’autres sociétés ont
parlé de cet oléoduc, sans préciser que cela serait conditionné par de nouvelles découvertes au
Sud. En d’autre terme, elles proposent leur concours pour un oléoduc qui transporterait le brut
auparavant exporté par Port Soudan. C’est le cas de Total dont le directeur général,
Christophe de Margerie, a déclaré le 7 décembre 2011 lors du World Petroleum Congress à
Doha au Qatar que la construction d’un oléoduc allant de l’Ouganda vers le Kenya pourrait
aussi rejoindre le Soudan du Sud575 (là où la major est également active). Une autre major,
l’anglo-néerlandaise Shell a fait le même type de proposition mais cette fois-ci en voulant
passer par l’Ethiopie en janvier 2012576. Ces propositions ne sont sans doute pas dénués
d’arrière-pensées et ne coûtent pas chers aux sociétés qui les formulent. Total veut reprendre
575 http://www.reuters.com/article/2011/12/07/total-idUSL5E7N72YY20111207. 576 http://mg.co.za/article/2012-01-04-shell-sizes-up-south-sudan-for-oil-opportunities.
348
son travail sur le bloc B au plus vite et a besoin pour cela du soutien du Soudan du Sud.
Soutenir son projet d’oléoduc fait certainement partie d’une stratégie globale de « séduction ».
Quant à Shell, qui n’est pas au Soudan du Sud, il regarde les opportunités dans le pays et se
dit que soutenir ce projet un peu « hasardeux économiquement » n’est pas cher payé en cas
d’obtention de permis lors d’appel d’offres futurs577.
Cependant, ce que les observateurs -banquiers d’affaires et compagnies pétrolières
notamment- pensaient encore en 2011 de l’oléoduc entre le Soudan du Sud et le Kenya, c’est-
à-dire un projet chimérique car coûteux, inutile (l’oléoduc existe déjà) et surtout
géopolitiquement dangereux a dû évoluer dès le début 2012. Le durcissement des
négociations entre les deux parties et les accusations de la fin janvier du secrétaire général du
SPLM Pagan Amum sur le vol de cargaison de brut Sud-Soudanais par Khartoum et l’arrêt
progressif de la production au Soudan du Sud à partir de cette date a changé la donne578. Les
Sud-Soudanais ont choisi la politique du pire n’acceptant pas d’être selon eux floués par le
régime du président Omar el Béchir. Cette décision d’arrêter progressivement la production
pétrolière jusqu’au mois d’avril/juin 2012 où elle s’est quasiment arrêtée, fait bouger le seul
acteur véritablement influent dans le conflit : la Chine.
Le rôle de la Chine dans le conflit pétrolier entre les deux Soudan.
Le président Sud-Soudanais se rend pour la première fois en Chine en 2007 alors qu’il est
encore également vice-président du Soudan. Il parvient à faire comprendre la nécessité pour
Pékin de s’investir davantage dans l’économie du Soudan du Sud, ce qui passe par l’ouverture
dès septembre 2008 d’un consulat à Djouba avec quelques salariés.579 Cependant, dans la
grande tradition de non-ingérence de sa politique étrangère, la Chine a officiellement une
attitude neutre jusqu’en 2011. Elle a investi des milliards au Soudan du Nord depuis le milieu
des années 1990580 et elle ne veut pas mécontenter le président soudanais Omar el Béchir qui
lui a ouvert en grand le sous-sol de son pays dès 1996. Au milieu de l’année 2011, constatant
l’inefficacité de sa politique de non-ingérence dont elle pourrait être la grande perdante en cas
d’arrêt de la production, la Chine décide de s’impliquer timidement dans le conflit. Son
ministre des affaires étrangères Yang Jiechi se rend à Khartoum puis à Djouba les 8 et 9 août
577 D’une certaine manière, ces sociétés font exactement le même calcul que Gazprom ou Repsol qui ont proposé la construction de Trans Saharan Gas Pipeline entre le Nigeria et l’Algérie (voir partie I). Si ces sociétés ne croient pas beaucoup à sa faisabilité, elles veulent des permis au Nigeria et savent que cela plaît au pouvoir à Abuja de faire des déclarations en faveur du TSGP. 578 Selon le quotidien kenyan The Nation, 20 janvier 2012. 579 International Crisis Group, China’s new courtship in South Sudan, Africa Report N°186 – 6 avril 2012. 580 Voir à ce sujet le rapport d’International Crisis Group, op. cit.
349
2011. Jiechi s’entretient avec le président sud-soudanais Salva Kiir ainsi qu'avec Omar el-
Béchir, et fait valoir que la Chine n'a pas pris position et qu'elle soutient les deux pays afin
d’être considérée comme impartiale. Si cette stratégie de dialogue est appréciée par toutes les
parties, Salva Kiir fait directement pression sur Jiechi afin que la société pétrolière chinoise
CNPC qui a ouvert depuis longtemps un petit bureau de liaison à Djouba le transforme en
siège opérationnel du groupe, aux dépends de celui de Khartoum581. En d’autres termes, il
faut des engagements et des actions concrètes, même si cela doit fâcher le voisin du nord.
Cinq mois plus tard alors que la situation s’est encore envenimée, un des diplomates chinois
les plus chevronnés, Liu Guijin, se rend le 7 décembre à Djouba et le lendemain à Khartoum
pour tenter à nouveau de renouer le dialogue entre les deux Etats sur le dossier pétrolier. Il
rencontre le ministre sud-soudanais de l'énergie, Stephen Dhieu Dau. Guijin connaît bien les
problèmes soudanais, il a été nommé en mai 2007 représentant spécial en charge du Darfour.
Il a également une longue carrière sur le continent: il a été auparavant ambassadeur en
Afrique du Sud et au Zimbabwe, ainsi que diplomate en Ethiopie et Kenya. Ces visites de plus
en plus régulières de hauts diplomates chinois montrent que la non-ingérence est désormais
impossible et que le feu brûle. Seulement, la relative bienveillance de Djouba se transforme
peu à peu en franche hostilité vis-à-vis des intérêts chinois et ce afin d’obliger Pékin de
s’impliquer davantage. Le 22 février 2012, les autorités du Soudan du Sud donnent 72 heures
au directeur général du consortium Petrodar Operating Co., Liu Yingcai, pour quitter le
territoire national582. Petrodar, qui est mené par CNPC et Petronas, opère plusieurs permis qui
sont situés des deux côtés de la frontière entre les Soudan. Ces blocs, le 3 et le 7, produisent à
eux deux 230 000 b/j. Petrodar est également en charge de l'oléoduc transportant le pétrole
depuis ces deux permis jusqu'à Port-Soudan. Liu fait ainsi les frais du peu d'enthousiasme de
sa société (et par extension de la Chine vu que CNPC est à capitaux 100% étatiques) pour la
construction d'un nouvel oléoduc passant par le Kenya afin d'éviter de dépendre de Port-
Soudan.
Le président Salva Kiir se rend une nouvelle fois à Pékin en avril 2012 où il rencontre son
homologue chinois. La Chine joue d’emblée la séduction en offrant 8 milliards de dollars
d’investissements en infrastructures sur deux ans583. Ce prêt pourrait théoriquement être
remboursé en échange de brut. Cependant, en absence de production de brut, il pourrait être
repoussé. La question de la construction de l’oléoduc est discutée directement avec les
581 Africa Energy Intelligence, n°657, 24 août 2011. 582 Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 583 Tenders Info, 8 mai 2012.
350
autorités chinoises à Pékin qui semblent plus compréhensives mais qui ne s’engagent
toutefois sur aucun accord. CNPC se refuse d’ailleurs de prendre part à sa construction ou à
être associé d’une manière ou d’une autre au projet584.
Si la Chine ménage toujours son allié historique soudanais, le Japon quant à lui continue de
faire le forcing sur cet oléoduc. Il va réitérer sa proposition de 2010 en juin 2012. Le directeur
général de Toyota Tsusho Corporation Yoichiro Iwasaki se rend le 12 juin à Djouba afin de
relancer le projet d’oléoduc entre le Soudan du Sud et le Kenya. Cependant, Iwasaki met cette
fois-ci toutes les chances de son côté : lors de sa rencontre avec le vice-président sud-
soudanais Riek Machar, il précise que les études de faisabilité sont déjà réalisées et la
question du financement n’en est pas vraiment une car Toyota serait prêt à sécuriser les fonds
sous forme de prêt. Une inconnue de taille demeure cependant : sur quoi garantir un tel prêt
(on parle d’un investissement d’au moins 2 milliards $) alors même que la production
pétrolière est arrêtée et que les concessions sont encore la propriété de la CNPC (Chine),
ONGC (Inde) et Petronas (Malaisie) ? La lutte sourde entre le Japon et la Chine sur ce sujet
d’oléoduc au Soudan du Sud est assez clair.
Pas un mais des projets d’oléoducs
Hors du tracé allant vers le Kenya, le Soudan du Sud a dès la période de transition envisagé
divers scénarii alternatifs. Le ministre du pétrole Lual Deng (membre du SPLM) nous a
confirmé en privé585, que des études avaient été entreprises pour évaluer l'opportunité de
nouveaux ouvrages allant des zones en cours d'exploration vers d’autres pays. Deux tracés ont
été étudiés. Première possibilité : le brut sud-soudanais passerait par le Tchad pour rejoindre
l'oléoduc déjà existant de Doba/Kribi afin d’être exporté par le Cameroun (voir carte de la
partie I, reprise ci-dessous)
584 International Oil Daily, 4 mai 2012. 585 Correspondance datant de janvier 2011.
351
Source : conversations avec cadres des ministères nigérien et tchadien du pétrole.
Deuxième parcours alternatif : le ministère a testé la faisabilité d’un ouvrage partant de Melut
ou Malakal dans l'Etat de l'Upper Nile puis traverserait l'Ethiopie pour rejoindre Djibouti. Il y
a donc trois parcours différents possibles. Cependant, les deux derniers comportent des défis
sécuritaires très importants. Celui passant par le Tchad et le Cameroun traverserait l’est du
352
Tchad, zone de départ de la quasi-totalité des rebellions contre le président tchadien Idriss
Déby depuis une dizaine d’années. Ces groupes auraient avec cet ouvrage stratégique, une
cible privilégiée pour considérablement affaiblir le chef de l’Etat à N’Djamena. Et ce d’autant
plus qu’une partie de ses groupes sont financés par le Soudan d’Omar El Béchir, ce dernier
étant évidemment opposé à une autonomisation du Soudan du Sud par des oléoducs
alternatifs. Cela semble donc exclu sur le moyen terme, en tout cas, tant qu’aucune solution
définitive ne vient régler le conflit interne au Tchad. Pour ce qui est de l’Ethiopie, le contrôle
strict du territoire par l’armée semble rassurant mais sur les marges du territoire comme en
pays Afar (nord-est), certains mouvements (Afar Revolutionary Democratic Union Front) en
butte au gouvernement central pourraient trouver avec cet oléoduc un moyen en or pour
« s’exprimer ». Or, si cet oléoduc passe par l’Ethiopie puis Djibouti, il devrait passer par la
région Afar.
L'enjeu d'un nouvel oléoduc doit absolument être envisagé au niveau régional. Si le Soudan
du Sud regarde vers le sud, les conséquences de son changement de statut, pays enclavé
depuis juillet 2011, doivent être mises en perspective avec les découvertes ougandaises et
kenyanes. En effet, les importantes découvertes de pétrole dans l'ouest ougandais depuis 2006
modifient en profondeur la géopolitique du pétrole de l'Afrique de l'Est. Les trois blocs
bordant le lac Albert, sont estimés par Tullow Oil entre 1 et 2,5 milliards de barils (niveau de
celles de la République du Congo). Pour exporter ce brut ougandais, pays enclavé et lui-même
peu consommateur, il est indispensable de construire un oléoduc qui irait soit vers Lamu ou
Mombasa au Kenya soit vers Dar Es Salaam en Tanzanie. La décision de s'autonomiser des
infrastructures du Nord-Soudan par les autorités du Gouvernement du Soudan du Sud prend
en compte l'oléoduc ougandais. Un ouvrage partant du Soudan du Sud pour rejoindre celui de
l'Ouganda, ferait ainsi gagner plusieurs centaines de kilomètres de "tuyaux" et rendrait
beaucoup plus rentable l'ouvrage pour les deux parties. Cela est d'autant plus plausible, en
plus de la prise en compte de la relation explosive entre Djouba et Khartoum, que Total est
entré officiellement en avril 2012 (et officieusement dès décembre 2010) sur les blocs
ougandais de Tullow. La major est donc déjà active dans les deux pays en cas de construction
d'un réseau d'oléoduc est-africain.
353
4-2 Les conséquences régionales des découvertes pétrolières ougandaises.
L’Ouganda a deux choix dans l’utilisation de son pétrole, soit le transformer sur place, soit
l’exporter. Evidemment, l’un n’empêche pas l’autre. La transformation du brut du lac Albert
par l’intermédiaire d’une raffinerie dans le district de Hoïma (voir carte 27) ne fait plus de
doute. Le processus de sécurisation de la parcelle est réglé depuis 2011, la raffinerie devrait
être située dans le sous comté de Buseruka, à 37 kilomètres de la ville d’Hoïma. Outre que
relativement peu d’habitants vivent dans cette zone, le choix s’est porté sur Buseruka car un
mini barrage hydroélectrique (9 MW) sera mis en fonctionnement en 2012586. Il pourra ainsi
permettre à la raffinerie d’être alimentée en électricité. Seulement, tout n’est pas réglé pour
autant. Les 29 000 hectares nécessaires au complexe587, aux habitations pour les salariés, au
petit aéroport et aux industries pétrochimiques vont entrainer le déplacement de près de
40 000 personnes environ588. Des négociations étaient en cours au début 2012 pour savoir
comment dédommager les habitants, comment et où les reloger.
Seulement si la construction d’une raffinerie semble acquise à la mi-2012, sa taille fait encore
débat. Les sociétés pétrolières sont favorables à la construction d’une petite structure
permettant d’approvisionner le pays avec une capacité compris entre 20 et 30 000 barils par
jour. Cela permettrait à l’Ouganda de devenir indépendant du Kenya qui approvisionne la
quasi-totalité du pays en essence. Si un oléoduc existe déjà entre le port kenyan de Mombasa
(d’où provient l’essence) et la ville à l’ouest du pays Eldoret, l’essence doit ensuite emprunter
la route avant d’arriver en Ouganda (voir ci-dessous). La route est longue et parfois mauvaise
pour les camions avant de rejoindre le principal centre de consommation ougandais qu’est
Kampala.
586 http://ugandaradionetwork.com/a/story.php?s=39576. 587 Selon le consultant suisse Foster Wheeler, qui a été mandaté par le gouvernement ougandais pour étudier le projet et le marché en 2010. 588 The New Vision, 27 mars 2012.
354
Carte n°39: Oléoduc kenyan et projet d’extension vers l’Ouganda
Source: Kenya Pipeline Company. Ltd.
Les pénuries d’essence sont très fréquentes en Ouganda du fait des obstacles qu’ont à
surmonter les camions afin d’arriver à temps pour livrer les produits pétroliers. La distance
entre Eldoret (où l’oléoduc s’achève) et Kampala est de près de 400 kilomètres soit une bonne
journée de route. Or le président ougandais Yoweri Museveni ne cesse de répéter depuis les
découvertes dans l’ouest en 2006 que le pétrole doit conduire au contrôle des
approvisionnements du pays. Cela s’explique en partie par la colère des taxis amplifiée par
celles des usagers (automobiles et motos) en période de pénurie. Ces dernières peuvent
355
s’avérer très dangereuses pour le régime589. Il ne faut pas non plus sous-estimer le coût très
important du trajet depuis le port de Mombasa qui rend le prix du litre inabordable pour grand
nombre d’Ougandais.
Seulement, dès le début des découvertes considérées comme commerciales par les sociétés
pétrolières, le président Yoweri Museveni n’a pas voulu en rester là. Il a souhaité construire
une raffinerie avec un objectif plus ambitieux, non seulement l’approvisionnement de son
pays mais aussi celui de toute la région d’Afrique de l’Est. Pour renforcer son point de vue, il
a plaidé sa cause auprès de l’organisme économique régional : East African Community
(EAC). Une étude réalisée par l’EAC en 2007, soit un an seulement après les premières
découvertes, avait d’ailleurs démontré que la région (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda,
Burundi et l’est du Congo-k) consommait quelque 150 000 b/j avec une croissance de l’ordre
de 5%. Or la seule raffinerie de la région est celle de Mombasa (Kenya) dont l’état est
vieillissant et la production tout à fait insuffisante, même pour le seul Kenya. Cette situation
renforce dès 2009 le nouveau ministre ougandais de l’énergie Hilary Onek qui s’exprime ainsi
lors de la conférence de l’EAC à Mombasa au sujet de la raffinerie ougandaise :
“Our objective is to process the oil. We don't want to export it... Our aim is to get an
economic return, to get jobs (and) investment. We don't want anything raw to get out590 ».
Notre objectif est de transformer localement le pétrole. Nous ne voulons pas l’exporter. Notre
but est d’avoir un retour économique direct, de créer des emplois localement et d’attirer des
investissements. Nous nous voulons exporter rien de brut.
Ce point de vue de 2009 reflète totalement celui du président Yoweri Museveni. Ce dernier
confie d’ailleurs l’étude de faisabilité de ce projet au consultant suisse Foster Wheeler qui lui
remet son rapport en octobre 2010 appuyant très largement les options de son commanditaire.
Foster Wheeler défend la construction d'une raffinerie à Hoïma, dans l'ouest du pays, plutôt
qu’un pipeline de 1 500 km destiné à exporter le futur pétrole brut via Mombasa. Le rapport
de Foster Wheeler estime à un milliard de dollars le coût d’une raffinerie d’une capacité de
transformation de 150 000 barils de brut par jour, et à 2 milliards de dollars si cette capacité
est portée à 350 000 barils. Foster Wheeler évalue à 1,7 milliard de dollars le coût d'un
pipeline, option qui engendrerait selon lui la nécessité d'installer plusieurs stations le long du
pipeline afin de retirer la paraffine contenue dans le pétrole brut et qui se solidifie à
589 Daily Monitor, 20 octobre 2011, 13 septembre 2005. Le problème des pénuries en Ouganda du fait de problème au Kenya est ancien, on en trouve la trace déjà en 1983 dans le New York Times du 2 janvier. 590 “New Oil Policy Set for Uganda; Government Intent on Construction of Refinery”, Global Insight, IHS, 8 avril 2009.
356
température ambiante591. Le gouvernement s’appuie sur ce rapport pour négocier avec les
pétroliers pour s’engager derrière un projet qui alimenterait non pas le pays comme il était
prévu au début des découvertes, mais bien la région entière. Seulement ce rapport sous-estime
considérablement le coût d’une raffinerie. Actuellement, une usine de 150 000 b/j coûte
probablement entre 3 et 6 milliards de dollars et non 1 milliard comme l’écrit Foster
Wheeler592.
Cependant, l’hypothèse d’une structure régionale doit prendre en compte deux facteurs
essentiels sur lesquels le gouvernement ougandais ne peut pas passer outre : le financement du
projet (qui va financer un tel ouvrage, le trésor ougandais en est totalement incapable) et le
marché disponible (y-a-il une certitude que les 150 000 b/j seront bien consommés dans la
région et seront-ils compétitifs ?).
La raffinerie d’Hoïma, quelle taille et pour quel marché ?
On voit bien que peu à peu, la quantité de pétrole découvert dans l’ouest ougandais a été
perçue par le président Museveni comme un moyen de pression face aux pétroliers. Tout doit
être raffiné sur place et rien ne doit être exporté. Seulement qu’en est-il de la réalité du
marché du raffinage en Afrique de l’Est et plus largement à l’échelle africaine? La raffinerie
de Mombasa transforme actuellement 32 000 b/j soit 1,6 million de tonne/an593. Cela ne
représente même pas la moitié de la consommation du Kenya estimée à 78 000 b/j avec une
croissance très rapide. La consommation de la deuxième économie régionale, la Tanzanie est
de 38 000 b/j, quant à l’Ouganda, son économie requiert actuellement 14 000 b/j ; enfin, le
Burundi (3 000 b/j) et le Rwanda (6 000 b/j) complètent le tableau régional594. On arrive déjà
à 139 000 b/j, si l’on compte le Soudan du Sud ainsi que l’Est de la République démocratique
du Congo, on atteint facilement les 150 000 b/j d’essence, de diesel et de fuel consommés
dans la région. En ce sens, l’étude de l’East African Community est vérifiée par les faits. Il y
a donc en théorie un marché pour plus de 100 000 b/j si on soustrait les capacités actuelles de
591 La Lettre de l’Océan Indien, n°1297, 20 novembre 2010. 592 Les chinois ont construit deux structures au Niger et au Tchad de 20 000 b/j chacune (voir partie 1). Le coût par unité était proche d’1 milliard de dollars alors que la capacité est 8 fois moins importantes que celle que préconise Foster Wheeler. 593 East Africa Business Week, 9 juillet 2012. 594 Les chiffres sur la consommation pétrolière des pays africains sont très difficiles à obtenir et à vérifier, seul le « CIA Factbook » donne des ordres de grandeurs sur son site internet, il faut ensuite joindre chaque ministère pour avoir une idée de la pertinence de ces chiffres. Pour la RDC, les chiffres officiels n’ont pas exemple aucune crédibilité, sa consommation étant estimée à moins de 20 000 b/j pour 70 millions d’habitants. Une bonne partie des cargaisons d’essence arrivent par contrebande d’Angola, de Zambie ou par l’est du pays.
357
la raffinerie de Mombasa avec en plus en ligne de mire la croissance importante de la
consommation de cette région.
Seulement plusieurs éléments très importants sont à prendre en compte dans cette équation
régionale. Premièrement, le marché du raffinage est en plein bouleversement depuis une
dizaine d’années. L’association des raffineurs africains (ARA) dont le siège est à Abidjan
s’inquiète constamment pour la survie des raffineries africaines. Celles-ci sont très peu
rentables car elles ont une taille relativement limitée (en dehors de l’Afrique du Nord et de
l’Afrique du Sud), aucune d’entre elles n’atteint les 100 000 b/j transformés. Elles ont aussi
des frais de structure très élevés du fait d’un manque d’entretien régulier. Cela fait que
plusieurs d’entre elles fonctionnent loin de leur capacité initiale (Sénégal, Gabon, Nigeria,
Ghana, Zambie, la SIR en Côte d’Ivoire faisant exception). Ces faits entrainent l’importation
de plus en plus importante de produits pétroliers dans les pays où il y a déjà une raffinerie
(comme au Kenya) car le prix modique du baril transformé dans les structures du golfe
Persique rendent non rentable l’essence transformée localement. Par exemple, la raffinerie de
Mina Al-Ahmadi Refinery au Koweït produit 470 000 b/j, l’Arabie Saoudite possède six
raffineries de plus de 400 000 b/j. En définitive, les raffineries du Golfe, très excédentaires
par rapport à la consommation locale exportent énormément sur la côte est-africaine et
empêchent toute usine de transformation de grande importante de s’y implanter. De ce fait, la
tendance pour les raffineries africaines, assez anciennes, est de les transformer en cuve de
stockage pour accueillir l’essence importée. C’est le cas de l’usine de Ndola en Zambie
approvisionnée par un oléoduc partant de Dar es Salaam. Elle ne transforme plus de brut
depuis quelques années595.
Au delà la menace des produits venant du golfe et dont le prix risque d’être de plus en plus
compétitif (ces pays sont de gros producteurs de brut et ne sont pas soumis aux mêmes aléas
des cours internationaux du brut), il y a la menace à court terme des raffineries indiennes. Ce
pays asiatique qui produit très peu de pétrole (800 000 b/j) par rapport à sa consommation (3
millions b/j) s’est donné comme objectif de devenir un hub mondial du raffinage. Un exemple
avec la société privée Reliance qui a inauguré en 1998 à Jamnagar (dans l’Etat du Gujarat) la
plus grande raffinerie du monde : 668 000 b/j. Dix ans plus tard, l’extension de l’usine lui
permet de transformer 1,24 million b/j. A court terme, ces structures ultra rentables pourraient
venir concurrencer celles situées en Afrique, le coût du transport étant totalement amorti par
le gain de compétitivité obtenu grâce à la taille des usines indiennes.
595 Discussions avec des cadres de l’ARA.
358
L’autre crainte quant à la construction d’une raffinerie de taille régionale à Hoïma, repose sur
son environnement immédiat : quel devenir peut avoir la raffinerie de Mombasa ? Cette
dernière appartient depuis 2009 pour 50% à la société privée indienne Essar596 (le reste étant
détenu par l’Etat kenyan). Essar opère de nombreuses raffineries en Inde, notamment celle de
Gujarat (405 000 b/j). Or le projet des Indiens lors de leur arrivée au Kenya était d’accroitre la
capacité actuelle de Mombasa de 1,6 million de tonne par an (32 000b/j) à 4 millions de
tonnes par an (80 000 b/j) afin de répondre à la consommation du pays. Essar a été lente à
réellement débloquer les fonds pour que ce projet se réalise car elle a eu peur que l’Ouganda
développe un projet concurrent de son côté. Le directeur général d’Essar Prashant Ruia a
rencontré le 8 septembre 2010 le président Ougandais Yoweri Museveni avec le ministre des
affaires étrangères Moses Wetangula afin d’éviter la construction de deux projets
concurrents597. Constatant la lenteur de décision des ougandais où le projet de raffinerie
d’Hoïma est encore loin de voir le jour, Essar et le gouvernement kenyan ont annoncé en
juillet 2012 qu’ils allaient améliorer la raffinerie de Mombasa et accroitre sa capacité grâce à
un financement de 250 millions de dollars de la banque sud-africaine Standard Chartered598.
Cette décision empêche l’Ouganda de lancer un projet régional car le marché kenyan sera, si
ce projet est exécuté, alimenté à terme par Mombasa.
A toutes ces difficultés liées aux capacités excédentaires du golfe, de l’Inde et à l’amélioration
de l’usine de Mombasa, le projet d’Hoïma doit aussi faire face à une crise du crédit. Aucun
projet de raffinerie n’a pu être financé en Afrique depuis une vingtaine d’années. Seules les
deux petites structures au Niger et au Tchad (20 000 b/j chacune) construites et financées par
la Chine ont pu voir le jour car elles représentaient des conditions pour l’accès aux ressources
pétrolières de ces pays (voir partie I). L’exemple le plus parlant de ce problème du crédit en
Afrique est celui de l’Angola et la raffinerie de Lobito. Ce projet de 200 000 b/j est en
discussion depuis les années 1990599 mais il n’a jamais trouvé les financements nécessaires
alors que le pays produit quelque 1,8 million de b/j. Il n’a donc aucun problème pour se
procurer le brut, ni pour garantir les prêts nécessaires à la construction grâce à sa manne
pétrolière. L’Angola qui possède uniquement une petite centrale à Luanda, est donc contraint
d’importer une partie de sa consommation d’essence (cas identique au Nigeria). Avec la crise
financière de 2008, le financement de raffinerie en Afrique est devenu encore plus délicat. Le
ministère de l’énergie à Kampala est donc peu à peu en train de réaliser que si les compagnies
596 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 597 Africa Energy Intelligence, n°635, 15 septembre 2010. 598 East African Business Week, 9 juillet 2012. 599 La Lettre du Continent, °293, 13 novembre 1997.
359
sur son sol, en l’occurrence Total, CNOOC et Tullow Oil, ne veulent pas financer une
structure de dimension régionale, celle-ci ne verra jamais le jour. Or, c’est bien cela qui
empêche Kampala de rêver à son projet régional: les pétroliers ne veulent pas financer une
grande structure car ils n’y croient pas et il est beaucoup plus rentable pour eux d’exporter la
plus grande partie du pétrole par un oléoduc. Cela s’explique par le fait que le pétrole exporté
est vendu en fonction des cours (avec une décote plus au moins grande selon la qualité du
brut) alors que celui vendu à une raffinerie peut être soumis à des contrats de long terme
beaucoup plus contraignants et moins rémunérateurs, en particulier dans une période où le
brut est structurellement assez élevé. S’il est très probable que les sociétés pétrolières en
Ouganda participent au financement de la raffinerie d’Hoïma, non seulement ils ne le feront
pas seuls, l’Etat devrait prendre une part significative du risque du crédit, mais en plus ils ne
s’engageront jamais derrière un projet de dimension régionale. Notons que certains sous-
traitants de CNOOC sont d’ailleurs intéressés pour construire l’ouvrage600.
Les découvertes pétrolières depuis 2006 ont pu un moment donné changer le statut de
l’Ouganda, jusqu’alors à la remorque du Kenya au niveau économique et même politique, en
particulier au sein de l’East Africa Community (AEC). Cependant, le levier de ce
changement, l’approvisionnement en essence de la totalité de la sous-région, semble très
compromis comme on l’a vu. Le Kenya qui a de plus découvert du pétrole début 2012, les
quantités sont encore inconnues du fait du manque de recul lors de l’écriture de ces lignes,
risque de rester encore pour longtemps le poumon économique de l’Afrique de l’Est.
L’exportation du brut ougandais
La faiblesse de l’hypothèse d’une raffinerie régionale, fortement compromise en Ouganda
pour les raisons déjà évoquées plus haut, nous conduit à privilégier une exportation massive
du brut du lac Albert. Les pétroliers tablent désormais sur un début d’exportation entre 2016
et 2017 avec des productions pilotes quelques mois avant601. Le débit ougandais pourrait être
compris entre 200 et 250 000 b/j soit assez proche de pays comme le Gabon ou la République
du Congo. Depuis les découvertes, plusieurs scenarii ont émergé pour exporter ce brut piégé
dans un pays totalement enclavé. Les dirigeants de Tullow Oil parlent dès 2009 de trois ports
sur la côte Est du continent : Dar es Salaam en Tanzanie ainsi que Lamu et Mombasa au
Kenya. Il n’y a aucun intérêt à passer par le Kenya puis par l’Ethiopie et Djibouti car il serait
alors nécessaire d’obtenir l’accord de trois pays (et accessoirement leur verser à tous des
600 Africa Energy Intelligence, n°671, 14 mars 2012. 601 Conversation avec des cadres de Total à Kampala, octobre 2011.
360
royalties) ainsi que traverser la région éthiopienne de l’Ogaden, toujours en butte au pouvoir
d’Addis-Abeba. Le passage par le Soudan du Sud est également à exclure du fait des
problèmes que l’on a décrit entre Djouba et Khartoum. Le passage par l’ouest est également
compromis, la partie Est de la République démocratique du Congo est loin d’être pacifiée
(notamment du fait du mouvement du M23 en activité depuis le début 2012), de plus la côte
atlantique est très lointaine. Du côté de Kinshasa, le ministère des hydrocarbures n’envisage
pas sérieusement d’exporter le brut de l’Ituri par son propre territoire, il n’y a pas d’autres
issues que de rejoindre l’oléoduc qui partira de l’Ouganda pour rejoindre la côte sur l’océan
Indien602. Il n’y a donc bien que les solutions kenyanes ou tanzanienne qui semblent encore
résister à l’analyse. La Tanzanie, pays relativement pacifié (hors de problèmes institutionnels
avec Zanzibar603) avec lequel l’Ouganda a de bonnes relations n’a cependant jamais vraiment
été au cœur de la stratégie de négociation sur ce projet. Le projet couterait probablement plus
cher que ceux via le Kenya (Hoïma/Dar es Salaam sont à 1670 kilomètres), de plus, ce trajet
ne permettrait pas de contourner les chaines de montagnes du rift est-africain au Kenya. Ce
tracé par la Tanzanie aurait même davantage de relief du fait du passage dans la zone nord-est
du pays (à proximité du lac Manyara, du Kilimandjaro et de la région de Tanga) qui est le
prolongement du grand rift est-africain du Kenya. En 2012, on n’évoque plus vraiment
l’utilisation du territoire tanzanien pour exporter le pétrole ougandais. Les pétroliers se
retrouvent désormais devant deux choix : Lamu au nord du Kenya ou Mombasa su Sud de ce
même pays.
4-3 Le Kenya comme nouveau hub pétrolier
Les deux projets kenyans pour l’exportation du brut ougandais (et peut être sud-soudanais et
congolais) sont très différents. D’abord Lamu, qui se trouve sur la carte 41 est actuellement
un port très petit. Lamu, archipel de petites îles (dont les plus grandes sont Lamu, Manda et
Pate) est davantage connu par les touristes occidentaux qui apprécient ses eaux bleues, son
calme et la nature peu domestiquée. Ce tableau a été d’ailleurs quelque peu écorné par
602 Le rapport d’International Crisis Group « L’or noir au Congo : risque d’instabilité ou opportunités de développement» sorti en juillet 2012 et auquel nous avons participé, fait référence au fait que le gouvernement congolais « envisage de construire un oléoduc de plus de 6 500 kilomètres reliant l’Est du pays à la côte Atlantique » dans un document « Hydrocarbures du cœur de l’Afrique à l’Atlantique », de la Chambre de commerce Italie Afrique Centrale, 13 décembre 2010. Cependant, ce type de projet très onéreux et dangereux n’a aucune chance de voir le jour. Aucun cadre du ministère des hydrocarbures à Kinshasa ne trouvent sérieuse cette hypothèse. 603 L’archipel de Zanzibar demande notamment un nouveau partage des compétences avec l’union de la Tanzanie. Notamment sur les questions liées à l’exploration pétrolière, Zanzibar ne veut plus avoir à faire aux autorités de Dodoma/Dar es Salaam, cela bloque d’ailleurs depuis près de dix ans toute exploration pétrolière dans la zone. Source : Conversations privées avec le ministre des hydrocarbures de Zanzibar Mansoor Y Himid, députés tanzaniens et cadres de l’organisme de régulation de l’énergie en Tanzanie, l’UWERA, juin 2012.
361
l’enlèvement puis la mort de la touriste française, Marie Dedieu, le 1er octobre 2011. Cette
dernière avait une petite maison à Lamu et elle s’est fait kidnapper par les Shebab somaliens.
La frontière avec la Somalie n’est en effet qu’à quelques dizaines de kilomètres au nord de cet
archipel. Le Kenya a en tête depuis 1975 la création du Lamu Port and Lamu Southern Sudan-
Ethiopia Transport Corridor (LAPSSET), projet qui viserait à construire un port en eau
profonde, une ligne de chemin de fer qui partirait de la capitale du Soudan du Sud (qui
passerait aussi par Addis-Abeba), une raffinerie, un oléoduc et des aéroports. En d’autres
termes un projet gigantesque estimé à plus de 20 milliards de dollars, qui trente ans après son
esquisse est toujours dans les cartons. Actuellement, Lamu n’a pas de port en eaux profondes
afin d’accueillir les gros tankers qui viendraient réceptionner le brut ou amener des produits
pétroliers. C’est donc un projet entier à construire avec des travaux gigantesques à réaliser
avec trois enjeux majeurs à surmonter: le terrorisme venant de la Somalie (loin d’être
éradiqué), les défis environnementaux du fait d’une zone naturelle avec de nombreuses
espèces d’animaux protégés604 et enfin le tourisme, secteur parmi les plus importants pour
l’économie kenyane (même si cette zone abrite davantage un tourisme de voyageurs fortunés
en nombre relativement limité).
Ce projet semble cependant avancer plus rapidement depuis l’indépendance du Soudan du
Sud car ce pays est totalement dépendant des produits venant de l’Ethiopie, du Kenya et de
l’Ouganda pour sa survie depuis que la relation avec Khartoum est à nouveau très difficile. Le
Kenya a lancé symboliquement les travaux de construction du LAPSSET début 2012 avec
comme premier objectif la construction du port en eau profonde (18 mètres de tirant d’eau).
Une inauguration des travaux a même réuni le 2 mars 2012 à Lamu le président kenyan Mwai
Kibaki, le premier ministre Ethiopien Meles Zenawi et le président sud-soudanais Salva
Kiir 605. Plusieurs bailleurs de fonds comme la Banque africaine de développement (BAD) se
sont déclarés intéressés pour le financement de ce projet606, le conseil d’administration de
cette organisation a prévue de statuer sur le LAPSSET à la fin de l’année 2012607.
Cependant, le gouvernement kenyan n’a pas suffisamment de moyens pour gérer ce projet
seul, tant que les bailleurs ne se sont pas décidés. A chaque visite d’un chef d’Etat au Kenya,
le président Mwai Kibaki, en fonction depuis 2002, ne cesse de vanter les avantages d’investir
dans le projet de Lamu. Cela a été par exemple le cas avec le premier-ministre sud-coréen
604 La zone est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. 605 Sudan Tribune, 8 mai 2012. 606 Mena Report, 25 avril 2012. 607 http://www.afdb.org/fr/projects-and-operations/project-portfolio/project/p-z1-d00-019/.
362
Kim Hwang-sik en visite le 9 juillet 2012 à Nairobi. Ces initiatives font suite à de nombreuses
désillusions et déconvenues. Le Qatar s’était par exemple engagé lors d’un séjour à Doha de
Kibaki en décembre 2008 à prêter quelque 3,5 milliard de dollars en échange de terre arable
au Kenya608. Mais cela a tourné court609. C’est ensuite la Chine qui a repris en main le projet
après la visite du ministre des affaires étrangères chinois Yang Jiechi en janvier 2010610. Le
ministre s’est dit intéressé et a promis qu’il demanderait aux sociétés d’Etat chinoises de
nouer des partenariats avec des sociétés locales kenyanes afin de faire avancer le projet.
Cependant, à la mi-2012, le projet est toujours au point mort. La Chine qui en théorie aurait
tout à gagner à construire ce port (qui n’est que la phase 1 du projet LAPSSET) afin de sortir
le pétrole que ses sociétés produisaient jusqu’en février 2012 au Soudan du Sud est hésitante.
Elle craint que cela soit mal interprété à Khartoum et que cela lui nuise dans un pays où elle
contrôle une bonne partie de l’économie notamment dans la construction et où elle a investi
d’importants montants depuis le milieu des années 1990611. Ce projet kenyan ne pourra pas
voir le jour tant que les organismes type Banque mondiale, Banque africaine de
développement ou Union européenne (par l’intermédiaire de la Banque européenne
d’investissement) ne seront pas directement impliqués. Même la Chine ne peut pas financer
un tel projet seule. Il n’est pas à exclure que tous ces pays et organisations attendent les
élections présidentielles kenyanes du début 2013 avant de se décider franchement. Les
dernières élections de décembre 2007 avaient en effet causé la mort de plus de 1000
personnes suite à des conflits ethniques liés à des fraudes612. Depuis lors, les investissements
étrangers au Kenya ont considérablement ralenti avant de reprendre timidement en fin de
mandat de Mwai Kibaki.
L’option d’un oléoduc Lac Albert/Mombasa
Les pétroliers Tullow/CNOOC et Total dont l’intérêt est de sortir le pétrole au plus vite
devraient privilégier le projet d’exportation le plus faisable et le plus sûr. Or, si l’hypothèse de
Lamu peut paraitre séduisante, ce projet est long (1490 kilomètres) et va devoir se confronter
à des problèmes de reliefs importants, le trajet présente enfin l’énorme désavantage de
nécessiter la construction d’un oléoduc ainsi que d’un port en eau profonde avant d’être
608 Xinhua, 1 décembre 2008. 609 Agence France Presse, 6 janvier 2010. 610 Ibid. 611 International Crisis Group, “China’s new courtship in Sudan”, Africa report, n°186, 4 avril 2012. 612 Pour plus de détails, voir le briefing d’International Crisis Group de février 2008 : http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/corne-de-lafrique/kenya/137%20Kenya%20in%20Crisis.aspx. Ou alors Jean-Christophe Servant, Affrontements très politiques au Kenya, Le Monde diplomatique, février 2008.
363
opérationnel. Cela semble au regard de ce qui est connu des financements du LAPPSET, un
pari très risqué alors que les réserves sont déjà là et attendent juste d’être sorties de terre.
L’autre option, celle de Mombasa, possède une qualité essentielle que le tracé vers Lamu
n’a pas: le port en eau profonde est déjà construit et fonctionne relativement bien. Cela lève
une importante inconnue. S’il faut probablement prévoir la construction d’un terminal spécial
à Mombasa, les tankers peuvent accoster depuis longtemps dans la ville côtière pour livrer la
raffinerie en brut ou remplir les cuves de stockage en produits pétroliers. Ces derniers
repartant directement dans la sous-région comme on l’a vu. Une autre des qualités de ce tracé
est le nombre de kilomètres qui séparent Hoïma et Mombasa soit 1308. C’est donc le chemin
le plus court et celui qui possède déjà une partie des infrastructures nécessaires.
En effet, les produits pétroliers arrivant à Mombasa partent vers Nairobi puis Eldoret par
l’intermédiaire du réseau d’oléoduc déjà existant (carte n°40). L’Ouganda et le Kenya se sont
mis d’accord en 1993 pour prolonger cet oléoduc vers Kampala (soit 320 kilomètres) afin
d’éviter ce problème de transport par camion qui entraîne les pénuries d’essence613. Ce
processus a connu une première avancée en 1997 lorsque la Banque européenne
d’investissement (BEI) a financé une étude de faisabilité faite par le cabinet Penspen pour
250 000 euros614. Penspen conclut à l’époque que le projet est faisable pour 100 millions
d’euros. Cet oléoduc est également prévu pour être étendu vers le Rwanda et Burundi. En
2001, le gouvernement kenyan organise un appel d’offres pour une étude de faisabilité plus
poussée de 8 millions de dollars, financés entièrement par la société étatique Kenya Pipeline
Corporation (KPC) qui gère le réseau. Le cabinet britannique Nexen ltd qui la réalise en 2002
considère que cela serait très rentable pour des pays comme l’Ouganda, l’Est de la RDC et le
Rwanda et que les conséquences pour l’environnement seront très réduites615.
Il faut cependant attendre 2004 pour qu’un appel d’offres soit finalement organisé pour la
construction d’un tel ouvrage entre Eldoret et Namanve (banlieue de Kampala). Les
compagnies apparemment convaincues du potentiel économique que le rapport de Nexen
souligne sont nombreuses (22) et diverses : Asie, Afrique, Europe, Etats-Unis. C’est
finalement les Libyens de Tamoil qui remportent en janvier 2007 le contrat en proposant 71,5
millions de dollars alors que les candidats les plus proches : China Pipeline Construction
Company et le consortium Misa/Shell, ont respectivement proposé 125 millions de dollars et
613 Africa Energy Intelligence, n°263, 23 novembre 1994. 614 Africa Energy Intelligence, n°380, 10 novembre 1999. 615 La Lettre de l’Océan Indien, n°1007, 31 août 2002.
364
135 millions de dollars616. En plus de la proposition, pour le moins très basse de Tamoil, cette
dernière a aussi l’immense avantage d’avoir un puissant représentant sur place: Habib
Kagimu617.
Cependant, les découvertes pétrolières en Ouganda à partir de 2006 changent la donne du
projet initial. Prévoyant que la production de pétrole en Ouganda allait rendre l'oléoduc inutile
au bout de six ans, Tamoil propose aux autorités kenyanes et ougandaises en mai 2009 de
construire un ouvrage à double sens. Dans un premier temps, l’ouvrage transporterait de
l’essence du Kenya vers l'Ouganda puis, dès que la production ougandaise serait suffisante,
les produits pétroliers (ou le brut) iraient dans l'autre sens. Ce type d’oléoduc (appelé dual
carriage) passe cependant de 71 millions de dollars à 320 millions de dollars618.
Le projet de Tamoil n’a cependant pas avancé pour plusieurs raisons. D’abord, il a été ressenti
par les Etats concernés comme trop coûteux: le Kenya et l’Ouganda ont fait d’ailleurs
pression sur la société libyenne pour qu’elle revoit le prix à la baisse. De plus, l’accroissement
des découvertes ougandaises a rendu peu à peu les ougandais très réservé sur le projet. Décidé
avant que l’Ouganda mette à jour toutes ses réserves, ce projet a évolué considérablement
depuis 2007. Si Tamoil a décidé de proposer l’idée de l’oléoduc à double sens, cela a rendu le
projet complexe et d’une autre nature et donc d’une certaine manière Tamoil a remporté un
projet qui n’est plus du tout nécessaire quelques années plus tard. Enfin, Tamoil qui appartient
au fonds d’investissement d’Etat libyen Libyan African Investment Portfolio (LAIP) a fait
partie du régime de Mouammar Kadhafi qui est tombé en 2011. Les gouvernements bien
contents de se débarrasser de ce contrat, l’ont donc annulé dès le milieu 2011 arguant que la
société Tamoil ne pouvait désormais plus honorer ses engagements du fait de la chute du
régime. La Lettre de l'Océan Indien daté du 30 août 2011 interroge le secrétaire général du
ministère kenyan de l'énergie, Patrick Nyoike, qui s’exprime ainsi :"les gouvernements du
Kenya et d'Ouganda estiment qu'étant donné la situation en Libye, Tamoil ne peut plus
réaliser ce travail". La chute du régime libyen arrange bien les affaires des deux Etats qui
devraient organiser en 2012/2013 un nouvel appel d’offres pour un projet très différent: relier
Hoïma à Mombasa en passant par Kampala (comme le tracé en vert sur la carte ci-dessous le
montre). Il devrait alors dupliquer le tracé Eldoret/Mombasa car l’oléoduc est beaucoup trop 616 La Lettre de l’Océan Indien, n°1191, 29 juillet 2007. 617 Kagimu préside l’Uganda Muslim Supreme Council et représente les intérêts libyens en Ouganda via la Southern Investments Company. Kagimu représente également plusieurs autres firmes étrangères à Kampala dont la libyenne House of Dawda, l'égyptienne African Investments Promotion Company et l'américaine RSI Vertex. Enfin, Kagimu est assez proche du président Yoweri Museveni et a entrepris pour lui en février 2006 une mission spéciale auprès de l'Algérie. Source : La Lettre de l’Océan Indien, ibid. 618 Africa Energy Intelligence, n°611, 9 septembre 2009.
365
petit pour les quantités que devrait envoyer l’Ouganda puis le Congo-K et peut être le Soudan
du Sud. Cet oléoduc devrait principalement envoyer du brut pour l’exportation sauf si
l’Ouganda obtient la construction d’une raffinerie de dimension régionale (scénario peu
probable comme on l’a vu). Dans ce dernier cas, l’Ouganda pourrait aussi utiliser l’oléoduc
pour envoyer des produits pétroliers. L’existence d’un oléoduc sur les 2/3 du tracé va déjà
considérablement faciliter le travail des pétroliers sur les questions de compensation pour les
terres, d’études géomorphologiques, reliefs etc…Les coûts seront beaucoup plus bas.
Evidemment, le tronçon Hoïma/Eldoret part quant à lui de zéro.
366
Carte n°41: Projets d’oléoducs entre l’Ouganda et le Kenya.
Sources: Africa Oil, Benjamin Augé
Cet oléoduc partant d’Hoïma, passant par Kampala puis Eldoret pour arriver à Mombasa est
conforté par les récentes découvertes au Kenya. La société Tullow Oil et Africa Oil ont en
effet mis à jour en mars 2012 une colonne de pétrole d’une vingtaine de mètres dans la zone
nord du Kenya, à proximité du lac Turkana. Ce premier forage Ngamia-1 dans le bloc 10 BB
(voir carte ci-dessus) se situe dans Turkana Rift Valley qui a les mêmes propriétés que les rift
367
du lac Albert en Ouganda. Il est donc probable que cette première découverte de l’histoire du
pays soit confirmée par bien d’autres et rentabilisent encore davantage l’oléoduc venant
d’Ouganda qui passerait à proximité de la zone de la découverte. Cette nouvelle géopolitique
pétrolière de l’Afrique de l’est pourrait également voir une prolongation en Ethiopie où
Tullow et Africa Oil ont également des permis dans la région d’Omo (Sud du pays).
Géologiquement, le sud de l’Ethiopie se rapproche du Kenya.
4-4 Les découvertes gazières au Mozambique, quelles perspectives ?
Nous avions pris le parti dans la première partie de peu parler du Mozambique et de ses
découvertes du fait d’un manque évident de recul. Il semble cependant important de ne pas
négliger son cas dans la réflexion sur l’enclavement que nous avons choisi d’entreprendre
dans cette dernière sous-partie sur l’Afrique de l’Est. Avec seulement deux concessions
pétrolières offshores opérées par Anadarko (Etats-Unis) et ENI (Italie), le Mozambique a déjà
découvert l’équivalent de la moitié (en volume) des réserves de gaz du Nigeria (voir carte
n°42). En d’autres termes, entre 2010 et 2012, le potentiel du Mozambique est de l’ordre de
80 trillion de pieds cubes alors que celui du Nigeria est de l’ordre de 185 trillions de pieds
cubes, prenant en compte que l’exploration dans ce dernier pays a commencé dans les années
1950. Producteur depuis 2004 avec les petits champs onshore de Pande et Temane, le
Mozambique exporte déjà la quasi-totalité de sa production vers son grand voisin sud-
africain. Mais il est désormais confronté à une autre équation beaucoup plus difficile à
résoudre et qui, en cas d’échec, est susceptible de plonger le pays dans une grave crise
économique. Que faire de ses énormes réserves qui ne peuvent pas être utilisées localement ?
Le ministre de l’énergie mozambicain Salvador Namburete avec lequel nous avons pu
discuter619, semble être submergé par des projets de grande envergure. Cela s’explique
facilement, car en dehors des immenses réserves gazières du pays, le Mozambique a lancé
plusieurs projets géants de barrages hydroélectriques dans la région de Tete (au nord-est) sur
le fleuve Zambèze (notamment le barrage de Mphanda Nkuwe et de Cahora Bassa Norte, voir
suivante). A cela s’ajoute, plusieurs projets (géants eux-aussi) de centrales au charbon,
minerai dont le pays a des réserves immenses, exploitées principalement par les brésiliens de
Vale (Moatize) et les Australiens de Riversdale (mines de Benga et de Zambeze), rachetée en
2011 par Rio Tinto. Tous ces projets hydroélectriques ainsi que miniers en vue
d’approvisionner des centrales thermiques (voir carte suivante), revêtent eux-aussi un autre
619 Lors de l’Africa Energy Forum de Bâles en juin 2010. Lors de ces mêmes sommets en 2011 et 2012, le ministre Salvador Namburete a également tenté d’attirer l’attention des investisseurs et consultants afin d’aider son pays à transformer les ressources en développement.
368
type d’enclavement: ils sont tous concentrés dans la province de Tete, à l’extrême nord-ouest
du pays, à quelque 1500 kilomètres du centre économique du pays qu’est Maputo. Or, les
lignes de transmissions déjà existantes sont insuffisantes.
L’équation de l’enclavement des ressources naturelles est donc consubstantielle à leur
localisation sur le territoire mozambicain (loin des centres de consommation) ainsi qu’à
l’importance de ces matières premières, impossibles à être entièrement ou partiellement
consommées sur le territoire national, ni même dans la région lorsque l’on parle du gaz.
L’enclavement des ressources dans la province de Tete impliquent la construction de lignes
de transmission pour les projets hydroélectrique et charbonnier afin de les relier tout d’abord à
Maputo puis à l’Afrique du Sud, principal marché de la région. Ce projet sur lequel travaille
depuis 2010 le gouvernement s’appelle « Cesul » ou dorsale électrique. Il consiste en deux
lignes, une première à courant alternatif (950 millions de dollars), qui comprendrait plusieurs
postes de conversion visant à distribuer du courant dans les provinces de Manica, Sofala,
Inhambane et Gaza ; la seconde, à courant continu (850 millions de dollars), relierait
directement Tete à Maputo620. Elle serait ensuite prolongée jusqu’à l’Afrique du Sud. Ce seul
projet couterait près de deux milliards de dollars, montant que le pays ne peut pas se
permettre. Ces projets pourront aussi accroitre la capacité vendue aux pays comme le
Zimbabwe (entre 100 et 180 MW) ou le Malawi qui compte acheter entre 100 et 300 MW
lorsque l’interconnexion sera construite621.
Pour le gaz, la géographie de la région de Cabo Delgado (nord-est, voir carte ci-dessous) et
principalement la ville portuaire de Pemba seront profondément changées dans les dix
prochaines années.
620 Africa Energy Intelligence, n°679, 11 juillet 2012. 621 http://allafrica.com/stories/201205140136.html.
369
Carte n°42: Découvertes gazières au Mozambique/Tanzanie et projets de centrales
électriques.
Sources: ENI, Anadarko, Statoil, BG Group.
370
L’impossibilité de consommer la totalité du gaz localement, ni nationalement, ni même dans
la région (les projets de Tete seront suffisants pour cela) devrait permettre une exportation
massive de ce gaz. Cela impliquerait la construction de plusieurs trains de liquéfaction dans le
port de Pemba et de construire un port en eau profonde dans la région (prévu depuis
longtemps mais jamais lancé, faute de fonds). Le Mozambique doit donc construire des
infrastructures très coûteuses, que les sociétés pétrolières comme ENI, Anadarko et bien
d’autres qui viendront dans les prochaines années, se feront une joie de financer, tellement le
retour sur investissement va être important. Cet enclavement, d’une ressource trop importante
pour une zone (l’Afrique de l’Est et du Sud) impose donc l’exportation vers des marchés
extérieurs au continent africain. Pour le cas du Mozambique, c’est l’Asie qui sera le principal
débouché avec quatre destinations par ordre d’importance : la Chine, le Japon, l’Inde et la
Corée du Sud. Si la Chine produit d’importantes quantités de gaz et de pétrole (102,5 millions
de tonnes par an et 4 millions de b/j), elle doit tout de même importer plus de la moitié de ses
besoins pétroliers et une partie toujours plus importante de gaz : en 2011 près de 30 millions
de tonnes622. Quant au Japon, le Mozambique pourra aussi devenir un client significatif, le fait
que Mitsui possède 20% des parts du permis d’Anadarko où une grande partie des
découvertes s’est faite, est à cet égard un signe important. Le Japon qui est dépourvu
d’hydrocarbures, réfléchit sur son mix énergétique depuis la catastrophe nucléaire de
Fukushima en mars 2011. Son parc nucléaire devrait être réduit dans les prochaines décennies
entraînant un accroissement de ses importations de pétrole et de gaz. De même pour l’Inde
dont la production gazière ne couvre pas sa consommation, (un déficit de 15 millions de
tonnes en 2011), ses sociétés ont su voir dans le Mozambique un important fournisseur futur.
Les compagnies indiennes Bharat Petroleum et Videocon ont ainsi pris chacun 10% du permis
d’Anadarko en 2008. Enfin le cas de la Corée du Sud est à comparer avec celui du Japon.
N’ayant aucune ressource pétrolière et gazière, le pays doit tout importer, soit 46,6 millions
de tonnes pour 2011: un important consommateur à satisfaire.
Le bémol de ce tableau idyllique pour le gaz mozambicain vient de certains autres Etats dont
le potentiel en gaz va être disponible plus tôt et avec lequel il sera difficile d’être compétitif.
C’est notamment le cas de l’Australie dont de nombreux champs ont récemment été mis en
exploitation. Déjà exportateur de la moitié de sa production (soit un peu moins de 20 millions
de tonnes par an), le pays a développé de nouveaux champs dont la commercialisation a été
très rapide. C’est le cas de Pluto et Xena (5 trillions de pieds cubes) qui a commencé à
622 BP Statistical Review of World Energy 2012.
371
produire en avril 2012 ou l’accroissement de la production du North West Shelf dont le débit
est passé de 2,5 millions de tonnes en 1989 à 4,4 en 2008. On peut citer aussi Gorgon
d’Exxon-Mobil (40 trillion de pieds cubes). Le savoir-faire, la main d’œuvre qualifiée et les
infrastructures disponibles en Australie rendent le coût de production du gaz liquéfié moindre
qu’en Afrique. Outre l’Australie, le Qatar (3ème réserve gazière du monde après la Russie et
l’Iran) a vu sa production exploser en dix ans, passant de 24,3 millions de tonnes par an en
2001 à 132,2 en 2011. Sachant que sa consommation est très faible, 23 millions de tonnes en
2011, sa capacité d’exportation est considérable. Il y a peu de chance que ce pays, devenu le
plus riche par habitant en 2011, s’efface facilement devant les nouveaux venus. Enfin, il faut
compter sur l’Iran, même si tous ces projets de liquéfaction (South Pars notamment) ont des
difficultés financières et techniques du fait des sanctions internationales. S’il y aura toujours
besoin de nouvelles réserves gazières du fait des besoins en forte croissance, il n’est en
revanche pas impossible qu’il y ait des phases de surproduction dans les dix prochaines
années dans cette zone. Cela en particulier avec l’arrivée massive de gaz de schiste aux Etats-
Unis, type d’hydrocarbures non conventionnels dont la Chine ainsi que d’autres grands
consommateurs asiatiques pourraient également avoir en grande quantité dans leur sous-sol.
Enfin pour terminer sur ce problème de marché disponible, si les réserves gazières
mozambicaines seront en compétition avec d’autres mastodontes énergétiques de la zone de
l’océan indien, elles seront aussi en compétition avec d’autres réserves africaines.
D’importantes découvertes gazières ont été réalisées au sud de l’offshore tanzanien depuis
2010 par BG Group (ses blocs 1, 3 et 4 atteignent déjà 7 trillions de pieds cubes) et Statoil (le
bloc 2 recèle déjà 9 TCF). Au milieu de l’année 2012, la stratégie de la Tanzanie et du
Mozambique n’est pas clair. Y’aura-t-il deux projets de liquéfaction concurrents ou au
contraire les deux gouvernements vont-ils se mettent d’accord, réalisant la proximité des
découvertes, afin de réaliser des économies d’échelle et viser une meilleure compétitivité en
construisant un seul projet avec plusieurs trains ? Deux projets concurrents serait très mauvais
pour la stabilité des prix car cela les tirerait probablement vers le bas dans une période où –
dans une dizaine d’années- il y aura probablement une (trop grande) abondance de gaz.
372
Schéma n°1 : Les relations entre les Congo et ses voisins
373
Conclusion de la partie III
L'étude des différents cas de bassins partagés entre la République Démocratique du Congo et
ses voisins montre combien l'histoire passée peut agir comme un obstacle à l'exploration
pétrolière (Angola), conduire parfois à des rapprochements (Ouganda après le meurtre de
l'ingénieur sur le lac Albert), se faire dans un profond désintérêt de l'autre voire un certain
mépris (Rwanda) ou enfin dans un certain climat plutôt serein (Tanzanie). A la différence de
l'Angola à l'embouchure du fleuve Congo, en litige avec la RDC, les lacs allant du Nord au
Sud de la RDC sont encore loin de produire. Le lac Albert, qui est le plus avancé, ne devrait
pas obtenir un débit régulier avant 2016/2017. Quant aux autres : le lac Edouard reste
incertain, le lac Kivu produit déjà du méthane côté Rwanda mais est encore très loin de tout
projet concret côté RDC, et enfin le Tanganyika : les potentiels y sont très intéressants mais
aucun des pays frontaliers ne les ont encore véritablement mis en valeur.
Si les cas de méfiance avec l’Ouganda et le Rwanda sont quasiment logiques, celui de
l'Angola est bien plus problématique. Alors que la reprise d'une partie des blocs congolais,
actuellement opérés par des sociétés mandatés par la Sonangol angolaise, pourrait doubler
voire tripler les revenus de l'Etat congolais, le processus est totalement grippé par des
négociations sans fin, dont les protagonistes congolais (y compris le président Joseph Kabila)
sont copieusement "achetés" par le président José Eduardo Dos Santos. La sujétion du Congo
à l'Angola est totale. Son armée a permis à la famille Kabila de garder le pouvoir depuis 1997
grâce à son implication contre les armées rwandaise et ougandaise. Cela montre que sur
beaucoup de points, le Congo est toujours loin d'avoir recouvré une réelle souveraineté. En
dehors du pétrole, cette souveraineté limitée peut s'observer également dans les mines où les
militaires des pays ayant aidés le Congo ont des intérêts. Ce sentiment de souveraineté non
retrouvée est également perceptible, sans être acceptée par Joseph Kabila, dans l'influence de
l'Ouganda et du Rwanda sur l’est du Congo. Si l'Ouganda a fait un effort, sous la pression
américaine et voyant la nécessité de faciliter l'exportation du futur pétrole congolais sur son
territoire, le Rwanda reste toujours très négativement influent dans la zone des Kivu (voir le
mouvement du M23 depuis 2012623). Une souveraineté réelle sur le territoire et sur le
processus de décision va prendre du temps dans une zone post-conflit et parfois encore, en
conflit.
623 Rapport du Groupe d’Experts de l’ONU sur le Congo-Kinshasa, 2012.
374
En dehors des problèmes entre le Congo et ses voisins sur les hydrocarbures, l’Afrique des
Grands Lacs (et le Congo en particulier) n’est pas une île et a besoin de travailler avec les
voisins pour envisager toutes nouvelles exportations vers le marché asiatique. Ce dernier est
seul à pouvoir absorber le pétrole de cette zone, sachant que ces hydrocarbures ne pourront
pas être évacués par l’Océan atlantique. Le Congo dont les problèmes sont déjà nombreux, est
alors contraint de se confronter à la toute nouvelle géopolitique pétrolière d’Afrique de l’Est.
Celle-ci n’est pas non plus simple avec la situation particulièrement conflictuelle que l’on a
analysé entre le Soudan et le Soudan du Sud. Ce dernier envisage de faire transiter son brut
par le Kenya mais est-ce vraiment rentable ? Lors de l’écriture de ces lignes, les négociateurs
des deux parties semblent de nouveau optimistes à la suite de l’entrevue cordiale des
présidents Omar el Béchir et Salva Kiir à Addis-Abeba en juillet de la même année,
conduisant à un accord début août sur les droits de passage du pétrole sud-soudanais par le
nord. Mais cela n’est pas forcément fait pour durer comme le secrétaire général du SPLM
Pagan Amum se plaît à le dire. Combien de déceptions ont jalonné les discussions depuis
deux ans avant d’en arriver à l’arrêt de la production du début 2012 ? Cette tentation de
s’autonomiser depuis 2011 pour le Soudan du Sud devrait perdurer, même après l’accord avec
Khartoum sur le prix du transit pétrolier. La haine entre les dirigeants des deux Etats est très
forte et la guerre civile est encore dans tous les esprits. La raison de l’absence de lancement
du projet d’oléoduc depuis le Soudan du Sud vers le Kenya est principalement liée à des
motifs financiers (aucune banque ne veut se lancer du fait d’un retour sur investissement très
incertain) et d’infrastructures (le port de Lamu n’existe pas). Ces motifs vont probablement
encore pour longtemps forcer les deux Soudan à se parler pour trouver une solution pérenne.
Pour l’Ouganda, il faut rapidement se mettre d’accord avec son voisin kenyan afin d’exporter
son brut. En cas de longues tergiversations avec les pétroliers sur la taille de la raffinerie ou
sur le volume à exporter ou éventuellement le choix du tracé, les revenus du pétrole se feront
davantage attendre. L’Ouganda doit aussi faire en sorte que le Kenya trouve son compte dans
cette opération, cela passe par le paiement de royalties significatives et de bonnes relations de
long terme. Le pétrole congolais et peut être soudanais passeront aussi par le Kenya, ce pays
est donc voué à devenir incontournable. Il doit lui aussi faire attention à l’arrivée d’une
nouvelle manne qu’il doit gérer de manière durable, d’autant plus qu’il commence lui aussi à
faire des découvertes. Les bailleurs de fonds ont une opinion plus nuancée sur sa stabilité
depuis les élections meurtrières de 2008.
En ce qui concerne l’enclavement des réserves d’Afrique de l’Est et des Grands Lacs, doublée
d’une absence de proximité avec un marché de consommation, le pétrole ougandais ou plus
375
tard le pétrole kenyan et congolais ne devraient pas avoir de problème pour l’exportation car
le marché mondial, en particulier asiatique, sera toujours en demande. Les pays du golfe,
préfèrent lorsque cela est possible, produire moins afin de garder les prix suffisamment élevés
pour lancer de nouveaux projets, de plus en plus coûteux. De plus, les capacités excédentaires
des pays du golfe Persique ne sont pas extensibles. Mise à part l’Arabie Saoudite dont les
capacités sont estimées aux alentours de 12/13 millions de barils par jour (sur une production
entre 9 et 10 millions b/j en 2011), les autres producteurs comme le Koweït, les Emirats et le
Qatar sont quasiment à leur maximum alors que la demande continue à s’accroitre rapidement
en Asie et baisse très légèrement en Europe et aux Etats-Unis. Le seul pays dont les capacités
devraient croître très rapidement est l’Irak (deuxième plus importantes réserves pétrolières du
monde après l’Arabie Saoudite). Depuis la fin de la deuxième guerre du golfe (officiellement
en mai 2003), plusieurs champs géants ont été attribués à des majors occidentales et
asiatiques. En 2011, le pays produisait 2,7 millions b/j, et consommait 700 000 b/j. Les
prévisions font état d’une possibilité d’atteindre facilement les 6 voire 8 millions de b/j dans
les dix prochaines années. Pour les pétroliers africains, il devrait y avoir de toute façon de la
place, le rattrapage des économies asiatiques comme celles de la Chine et de l’Inde avec le
passage à la voiture pour le plus grand nombre va requérir de grandes quantités de nouveaux
barils sur le marché.
Pour le gaz, la donne est tout à fait différente, le développement du gaz de schiste en Chine et
la croissance rapide de la production des pays du Golfe et de l’Australie peut poser des
problèmes sur le marché asiatique pour les cargaisons venant du Mozambique et de Tanzanie.
Ce genre de compétition ne devrait être que conjoncturelle mais cela peut causer de lourds
problèmes économiques aux investisseurs gaziers ainsi qu’aux Etats producteurs africains si
le marché est déprimé pour quelques années. Il est difficile de prévoir avec certitude mais ce
cas de figure est une éventualité à prendre en compte.
376
Conclusion
Le thème de la conflictualité de l’exploration et l’exploitation du pétrole pour lequel j’espère
avoir apporté quelques éléments de réponse dans cette thèse, est loin d’être épuisé. Les cas
d’études seront certainement voués à s’accroître dans le futur, tellement l’exploration
pétrolière et les compagnies de ce secteur font office d’ingéniosité et de progrès technique,
permettant de découvrir de nouvelles ressources dans des endroits auparavant sans le moindre
intérêt. De plus, les cours du baril sont sur le long terme voués à s’apprécier du fait de la
croissance de la consommation dans les pays asiatiques, dans les pays producteurs ainsi qu’en
Afrique, avec un nombre de voitures encore très faibles par rapport à la population. Cette
donnée de long terme encourage les pétroliers à prendre beaucoup plus de risques
qu’auparavant et donc d’aller dans des zones de conflit. La diversité des acteurs pétroliers,
majors occidentales, asiatiques, juniors, sociétés d’Etat africaines et étrangères pousse à cet
activité intensive pour se répartir les permis d’exploration dans le monde entier et en
particulier en Afrique où les zones encore peu connues restent nombreuses. Si certaines
compagnies occidentales ne veulent pas travailler dans des zones de conflit, d’autres comme
la CNPC chinoise, l’ONGC indienne ou Petronas (Malaisie) prennent ce risque comme on l’a
vu avec leurs travaux au Soudan alors que ce pays était en pleine guerre civile au milieu des
années 1990. Le profil de plus en plus divers des sociétés et les besoins croissants d’énergie
incitent ces compagnies à chercher le pétrole là où il se trouve quel que soit les risques
encourus pour leurs salariés ou la difficulté d’opérer avec un régime autoritaire voire violent.
Cependant, les cas où l’exploration puis l’exploitation pétrolière se font dans une situation
déjà conflictuelle ne sont pas encore si fréquents. Or, c’est bien cette situation-là qui m’a
intéressé. Déterminer quel est le rôle du pétrole lorsqu’il vient se superposer à une situation
déjà conflictuelle alors que cette matière première déstabilise des pays auparavant plutôt
stables.
A l’échelle africaine, certains conflits présents et passés (Nigeria, République du Congo,
Angola), ont été entretenus par la présence du pétrole. C’est-à-dire que cette matière première
est devenue l’enjeu d’un conflit entre des acteurs pour l’appropriation de ses revenus à des
fins d’enrichissements ou afin de financer l’effort de guerre entre factions, ethnies, partis
politiques. Mais le pétrole n’est pas venu se greffer sur une situation déjà de tension
particulière. La présence de pétrole dans une zone frontalière comme on l’a vu dans la
première partie entraîne très souvent des luttes, pas forcément armées, entre pays qui étaient
auparavant en très bon terme. La façon de résoudre les conflits frontaliers liés au pétrole sont
377
également un marqueur important de la puissance des acteurs. On a pu voir le rééquilibrage de
la diplomatie équatoguinéene face à celle du Gabon sur Mbanié. Le contrôle du pétrole ou de
la présence de pétrole supposé dans ces zones de litiges est capital et tout est mis en œuvre
pour s’en emparer. L’utilisation des données géologiques ou des traités coloniaux (pour les
cas africains) ne sont qu’une petite partie de la stratégie des Etats pour prouver qu’ils sont
souverains et contrôlent ces zones litigieuses. Pour Mbanié, tout était entendu dans les années
1970, le Gabon contrôlait l’ilot. Cependant, la nouvelle puissance pétrolière équato-guinéenne
a changé la donne et les négociations ont été relancées. Les frontières sont donc un puissant
facteur de différend, cela l’a été dans le passé, et cela devrait l’être encore davantage avec les
bassins partagés, très nombreux en Afrique.
Le Soudan du Sud est un des pays où un conflit préexistant a été aggravé par le pétrole. Le
début de l’exploitation pétrolière en 1999 s’est inscrit dans un contexte de guerre civile de
près de quarante ans entre deux peuples, deux territoires, deux histoires différentes et
divergentes. L’exploitation du pétrole par le régime de Khartoum véhiculant déjà à l’époque
de sa découverte dans les années 1970 des représentations très négatives pour les sudistes qui
s’imaginaient dépossédés de leur ressource. L’imminence de son exploitation a probablement
été l’une des causes de la reprise de la guerre civile en 1983. Cette dernière ayant fait partir
précipitamment des sociétés américaines comme Chevron.
L’antériorité de ce cas soudanais, d’une production pétrolière aggravant un conflit préexistant,
devrait faire réfléchir dans le cas du Congo et plus largement dans celui de l’Afrique des
Grands Lacs et de l’Est. Le Soudan s’est en effet séparé en deux entités géopolitiques après
six ans d’exploitation pétrolière. Il est difficile de déterminer avec certitude dans quelle
mesure le pétrole a accéléré le processus de désintégration et d’atomisation du territoire
national, mais cette matière première a participé à ce morcellement même si le processus de
désintégration au Soudan a été principalement accéléré pour des motifs internes, en particulier
d’instrumentalisation de la religion (en l’occurrence l’islam) à des fins d’oppression.
Cependant, le pouvoir d’Omar el Béchir, grâce à l’argent du pétrole, s’est mieux armé et est
devenu plus violent et plus sûr de lui, y compris pour l’imposition de la sharia sur les
territoires du sud dont la population est dans sa grande majorité non musulmane. Le facteur
pétrolier s’est ainsi ajouté aux autres facteurs plus anciens comme la religion, la liberté de
culte, les violences interconfessionnelles perpétrées par le régime de Khartoum depuis les
années 1950 et l’indépendance. L’exploitation pétrolière a également favorisé la division pour
des motifs externes. En effet, grâce aux revenus pétroliers le pouvoir soudanais est devenu
378
trop puissant aux yeux de certains pays étrangers. Cette nouvelle situation s’est en effet
avérée difficilement acceptable pour des pays comme les Etats-Unis et Israël qui ont, à croire
certains auteurs, tout fait pour encourager un processus d’indépendance du sud624. Les
événements du 11 septembre 2001 et l’implication des Etats-Unis dans des théâtres
d’opération extérieurs, a été pour Omar el Béchir un motif suffisamment menaçant pour le
contraindre à négocier un processus de paix avec le sud amenant à son indépendance. C’est
donc bien la conjonction de facteurs internes et les interventions extérieures de certains Etats,
capables de mobiliser de nombreux pays à l’ONU ou dans d’autres enceintes internationales,
qui ont accéléré le processus de désintégration territoriale où le pays a perdu le contrôle des ¾
de ses réserves en brut. La division du Soudan en deux Etats le 1er juillet 2011 est donc bien à
lier à l’exploitation pétrolière même s’il n’est pas le seul élément explicatif, en s’agrégeant
aux facteurs conflictuels préalables, il a contribué à son aboutissement.
Ce cas soudanais est évidemment à méditer pour la République démocratique du Congo, qui
vit depuis les années 1990 dans un cycle de crises permanentes, fait de conflits à ses marges
orchestrés et entretenus par les pays frontaliers ainsi que par une gouvernance interne plus que
déficiente et dangereuse. L’exploration pétrolière se fait dans un contexte politique,
sécuritaire et économique extrêmement dégradé. Dans le cas congolais, comme dans celui de
l’Ouganda, qui n’est pourtant plus réellement dans une situation de conflit (l’Armée de
résistance du seigneur n’est plus sur son territoire), le fonctionnement de l’Etat, de plus en
plus présidentialisé, entraîne une gouvernance pétrolière médiocre. L’une des conséquences
de l’exploration pétrolière dans un contexte conflictuel et où l’absence de culture d’Etat a
disparu depuis longtemps, est une présidentialisation du processus de décision. En d’autres
termes, seul le président et quelques-uns de ses conseillers ou proches (parfois sans rôle
officiels), s’emparent des secteurs rémunérateurs. Les organismes sensés s’occuper du pétrole
dans ces pays sont peu à peu mis de côté à mesure que l’intérêt des sociétés pétrolières
grandit. Le ministère du pétrole, de l’énergie ou des mines devient alors peu à peu une
coquille vide où les cadres formés sont relégués à préparer parfois certains contrats, sans
qu’on ne leur demande jamais leur avis sur l’intérêt des dossiers que la présidence a décidés
de faire instruire. Si j’ai pu constater ce fonctionnement dans l’Afrique des Grands Lacs, cela
est tout aussi vrai dans les pays sahariens comme au Niger et au Tchad où le pétrole est
devenu, depuis le début de la production, un sujet prioritaire, et donc a été accaparé par le
président. Dans une bonne partie de ces cas sahariens ou d’Afrique des Grands Lacs, même le
624 Pierre Péan, « Carnage, les guerres secrètes en Afrique », Fayard, 2010.
379
ministre a un rôle symbolique voire honorifique. Cette gouvernance que j’ai pu constater dans
une bonne partie des pays africains est considérablement exacerbée lorsque les Etats sont
encore en conflit (Grands Lacs) ou alors lorsqu’ils sont dans un régime politique instable (cas
du Niger où un coup d’Etat a changé le régime en 2010) ou autoritaire avec de nombreuses
tentatives de coup d’Etat (Tchad). Cette description, même si je n’ai pas pu la constater sur
d’autres continents est probablement de même nature pour des pays sortant d’un conflit ou
étant encore en situation de conflit.
Le cas du Ghana, pays ayant réussi à bâtir un régime démocratique avec des alternances
réussies est intéressant à étudier. Même avec cette décennie où les deux principaux partis se
sont partagé le pouvoir, le secteur du pétrole a entraîné une telle méfiance, que le National
Democratic Congress arrivé aux affaires en 2009 a recommencé le processus d’étude et les
consultations avant de prendre une quelconque décision dans ce secteur. Tous les projets de
loi ou de grands travaux liés au secteur ont donc pris un retard considérable. De plus, les
procès contre l’ancien président et sa gestion pétrolière n’ont pas tardé. Cet exemple montre
bien que dans un processus stable avec des contre-pouvoirs forts, la gestion du secteur
pétrolier entraîne immanquablement des tensions et conflits qui ne se règlent pas par les
armes mais par les parlements et parfois les tribunaux. Une matière première qui représente
tant de richesse potentielle, même si elle n’a pas encore été découverte, ne peut que
contraindre les régimes en charge d’Etats en conflits préalables à davantage de conflit interne
et externe. L’exploitation du pétrole a rarement contribué à une stabilisation de zones
préalablement en conflit car elle donne des moyens aux dirigeants pour administrer comme ils
l’entendent leur territoire et ses richesses de sorte qu’ils n’ont plus besoin de réclamer d’aides
financières que ce soit aux autres institutions de l’Etat ou à l’étranger comme au FMI ou à la
Banque mondiale. Le cas du Tchad est à ce titre parlant.
L’Afrique conservera sa spécificité d’un continent aux frontières mal définies porteuses de
bien des conflits pétroliers, l’étude de certains d’entre eux dans l’Afrique des Grands Lacs a
permis de montrer que leurs manifestations prennent des formes différentes : conflit ouvert
armé, interétatiques, conflit armé entre milices et armée gouvernementale, mais aussi conflit
masqué ou assumé quand l’un des deux protagonistes est dans la dépendance politique de
l’autre qui lui assure son maintien au pouvoir, ce qu’illustre le cas de la RDC et de l’Angola.
Car un conflit existe bien entre la RDC et l’Angola, mais sa non résolution est pleinement
assumée par le président congolais. Ici, il n’y a pas d’armée, pas de milice, pas de violence
(tout le pillage se passe en mer).
380
Cette thèse a tenté de questionner le concept d’une exploitation pétrolière facilitant,
encourageant ou aggravant des situations de conflits préexistants. Si la réponse est à nuancer,
il semble évident que dans des cas aussi conflictuels au préalable que celui de l’Afrique des
Grands lacs et de l’Est, cette industrie pétrolière si puissante et aux représentations si fortes et
profondément ancrées dans l’esprit des décideurs (enrichissement rapide) peut avoir des
conséquences très négatives. Or, la mise en exploration puis en exploitation de gisements
pétroliers en zones en conflit est susceptible de se multiplier. Il est du devoir des différents
acteurs, décideurs politiques nationaux et étrangers, compagnies pétrolières, communauté
internationale etc… de prendre leurs responsabilités pour accompagner un processus qui déjà
dans des zones calmes représente un véritable bouleversement.
Les besoins en hydrocarbures et les cours élevés de cette matière première poussent les
sociétés pétrolières à l’aventurisme à tout prix, pour le plus grand bonheur des dirigeants
locaux. Pour le bonheur, les populations locales peuvent attendre.
381
Bibliographie et personnes interrogées:
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Publications spécialisées
• Africa Energy Intelligence (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les
questions énergétiques en Afrique avec un angle politique, sur abonnement)
• Africa Confidential (publication bi-mensuelle basée à Cambridge sur l’actualité
politique en Afrique, sur abonnement)
• Africa Mining Intelligence (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les
questions minières en Afrique, sur abonnement)
• African Energy (publication bi-mensuelle basée à Londres sur les questions
énergétiques en Afrique avec un angle très exhaustif sur les projets en cours,
sur abonnement)
• La Lettre de l’océan indien (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les
questions politiques et économiques dans les pays bordant l’océan indien, sur
abonnement)
• La Lettre du continent (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les questions
politiques et économiques dans l’Afrique francophone, sur abonnement)
388
• Le Pétrole et le gaz arabes (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les
questions économiques du pétrole dans les pays arabes du golfe et du
Maghreb)
Site internet
• Site internet du député congolais d'opposition, Jean Bamanisa. Ce dernier était
parmi les plus en pointe dans le secteur pétrolier. On peut trouver la plupart
des contrats signés par les sociétés pétrolières étrangères sur sont site :
http://bamanisajean.unblog.fr/files/2010/05/frenchtullowheritagepsaannexesjul
y2006.pdf.
Personnes interrogées :
Seule une partie des personnes interrogées ont leur nom ci-dessous. L’anonymat ayant été
davantage la règle que l’exception.
En ou sur la République démocratique du Congo :
• Atama Crispin , ministre des hydrocarbures depuis avril 2012.
• Ebeli Popo Baudouin, directeur général de Surestream Congo Sarl. • Fouchardière Benoît (de la), ex-directeur général de Perenco RDC.
• Kabango Célestin Mbuyu, ministre des hydrocarbures entre février 2010 et avril 2012.
• Kabuya Célestin Lumuna, président de la commission congolaise sur le plateau continental.
• Kalangay Willy Albert , conseiller politique de l’ex président de l’Assemblée nationale du Congo Vital Kamerhe.
• Kanku Christian , secrétaire général du ministère des hydrocarbures depuis 2010.
• Lavreau Johan, chef de département géologie et minéralogie à Tervuren, musée royal de l’Afrique centrale (Bruxelles).
• Lukongo William Djunga , secrétaire général du ministère des hydrocarbures (RDC) entre 2008 et 2010.
• Mende Lambert Omalanga, ex-ministre des hydrocarbures (2007-2008) et ministre de la communication et porte parole du gouvernement en RDC depuis 2008.
389
• Moto Dieudonné Mumba, directeur de cabinet du ministre des hydrocarbures depuis février 2010/fin 2010.
• Mubiayi Clément Nkashama, conseiller principal au collège des hydrocarbures, des mines et de l’énergie à la présidence de la République démocratique du Congo.
• Muganza Jean, conseillé juridique du ministre des hydrocarbures (2006-2008) puis directeur de cabinet du ministre entre 2010 et 2012.
• Mutond Kalev, administrateur général de l’agence nationale de renseignement en charge de la sécurité intérieur.
• Ngoy Michel, conseiller pétrole au collège des hydrocarbures à la présidence. • Ongendangenda Albert, directeur général d’Energulf Congo Sarl. • Pipi Pili Joseph, directeur des projets pétroliers au ministère des
hydrocarbures. • Saraiva Lusitano Vaz, lobbyiste de Tullow Oil en RDC.
• Uweka Pierrot Ukaba, député national de la province de l’Ituri de l’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP).
• Vuemba Jean-Claude, député national de la province du Bas-Congo du Mouvement du peuple congolais pour la République (MPCR).
• Vika Noël, directeur de cabinet du ministre de l’énergie (2009-2012).
En ou sur l’Ouganda :
• Asianut Alaso Alice, députée du Forum for Democratic Change (principal parti d’opposition en Ouganda).
• Atugonza Francis, ancien maire de la commune de Hoïma, futur hub pétrolier de l’ouest ougandais.
• D’Ujanga Simon, secrétaire d’Etat ougandais à l’énergie depuis 2006. • Delaeter Arnaud, mission économique française à Kampala (2008-2010).
• Heavey Aidan, président directeur général de Tullow Oil. • Imaka Isaac, journaliste au quotidien Daily Monitor. • Kabanga Fred, géologue principal de département exploration-production du
ministère de l’énergie en Ouganda. • Kagamba Julius, cadre au ministère ougandais des affaires étrangères,
responsable en 2007 des problèmes de frontières avec la RDC.
• Karuhanga Elly, président de Tullow Uganda, avocat et ancien député • Kashambuzi Reuben, ancien chef du département en charge de l’exploration-
production au ministère de l’énergie. • Kulayigye Felix, Colonel et porte parole de l’Armée ougandaise. • Kuster-Menager Aline, Ambassadeur de France en Ouganda.
• Matovu Bukenda, directeur de l’adminsitration au ministère ougandais de l’énergie.
• Mbanga Jeff, journaliste à l’hebdomadaire ougandais The Observer.
• Migereko Daudi, ministre ougandais de l’énergie (2006-2009).
390
• Mugume James, secrétaire général du ministère ougandais des affaires étrangères.
• Muloni Irene , ministre ougandais de l’énergie depuis 2011.
• Mwenda Andrew, directeur de la publication The Independant, ancien du quotidien Daily Monitor.
• O’Hanlon Tim , vice-président du Tullow Oil en charge des affaires africaines.
• Rubondo Ernst, actuel chef du département exploration-production au ministère de l’énergie en Ouganda. Ce département spécial est situé à Entebbe.
• Serugo James, fondateur du quotidien Daily Monitor. • Ssekikubo Theodore, député depuis 2001 du parti présidentiel (National
resistance movement).
Sur les autres pays :
• Abdallah Nassir, deputé du parti au pouvoir (Chama cha Mapinduzi) : Tanzanie.
• Abu‐‐‐‐elbashar Omar B, ancien cadre du ministère du pétrole : Soudan.
• Akuong Diing Garang, ministre de l’énergie du 2009/2011 : Soudan du Sud.
• Asaga Moses, parlementaire spécialiste des questions énergétiques et ministre du travail : Ghana.
• Azazi Andrew, Général d’Armée et conseiller sécurité du président Goodluck Jonathan (2010/2012) : Nigeria.
• Babikir Haithem , secrétaire général de la National Petroleum Commission (organisme qui a géré les affaires pétrolières pendant la transition -2005/2011): Soudan/Soudan du Sud.
• Bol Elizabeth, vice-ministre de l’énergie depuis 2011 : Soudan du Sud.
• Boukar Michel, secrétaire général du ministère du pétrole (2011/2012) : Tchad.
• Bujulu Gabriel , ingénieur à la Tanzania Petroleum Development Corp: Tanzanie.
• Butaré Albert , ancien vice-ministre de l’énergie 2005-2009: Rwanda.
• Deng Lual, ministre du pétrole (2010-2011): Soudan. • Ford Christopher, directeur général de Songas. Organisme qui vend le gaz
des champs de Songo Songo: Tanzanie.
• Galma Abakar, ex directeur adjoint de la raffinerie de Djermaya et nouveau secrétaire général du ministère du pétrole: Tchad.
• Gaya Mahaman Laouan, secrétaire général du ministère du pétrole (depuis 2011): Niger.
• Hacen Mohamed El Moctar, ministre du pétrole (2008-2009): Mauritanie. • Heya Martin , responsable du pétrole au ministère de l’énergie : Kenya.
• Himid Mansoor, ministre de l’énergie puis des ressources naturelles. 2010-2012 : Zanzibar.
391
• Kuku Kingsley, conseiller spécial du président nigérian Goodluck Jonathan en charge du delta du Niger et du processus d’amnistie (depuis 2010) : Nigeria.
• Masebu Haruna, directeur général de l’autorité tanzanienne de régulation de l’énergie (UWERA) : Tanzanie.
• Mbodji Ibrahima , directeur général de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen) : Sénégal.
• Mulunga Immanuel, directeur du pétrole au ministère des mines et de l’énergie : Namibie.
• Oumer Fall Ould Mohamed, directeur de la publication hebdomadaire La Tribune : Mauritanie.
• Prazeres Luis, directeur général de la National Petroleum Agency : Sao Tomé et Principe.
• Tekrour Ahmed Salem, directeur des hydrocarbures au ministère du pétrole : Mauritanie.
• Teny Angelina, ancienne ministre de l’énergie du Soudan du Sud et membre de la délégation en charge de la négociation sur les dossiers post-indépendance avec le Soudan : Soudan du Sud.
• Thuo Peter, responsable de l’exploration pétrolière à la National Oil Corp of Kenya. : Kenya.
392
Annexes
Annexe 1 : La declaration de Kaiama, texte fondateur du mouvement de revendication
Ijaw dans le delta du Niger.
THE KAIAMA DECLARATION
BEING COMMUNIQUE ISSUED AT THE END OF THE ALL IJAW YOUTHS
CONFERENCE
WHICH HELD IN THE TOWN OF KAIAMA THIS 11TH DAY OF DECEMBER 1998.
INTRODUCTION
We, Ijaw youths drawn from over five hundred communities from over 40 clans that make up
the Ijaw nation and representing 25 representative organizations met, today, in Kaiama to
deliberate on the best way to ensure the continuous survival of the indigenous peoples of the
Ijaw ethnic nationality of the Niger Delta within the Nigerian state. After exhaustive
deliberations, the Conference observed:
a. That it was through British colonisation that the IJAW NATION was forcibly put under the
Nigerian State
b. That but for the economic interests of the imperialists, the Ijaw ethnic nationality would
have evolved as a distinct and separate sovereign nation, enjoying undiluted political,
economic, social, and cultural AUTONOMY.
c. That the division of the Southern Protectorate into East and West in 1939 by the British
marked the beginning of the balkanisation of a hitherto territorially contiguous and culturally
homogeneous Ijaw people into political and administrative units, much to our disadvantage.
This trend is continuing in the balkanisation of the Ijaws into six states-Ondo, Edo, Delta,
Bayelsa, Rivers and Akwa Ibom States, mostly as minorities who suffer socio-political,
economic, cultural and psychological deprivations.
393
d. That the quality of life of Ijaw people is deteriorating as a result of utter neglect,
suppression and marginalisation visited on Ijaws by the alliance of the Nigerian state and
transnational oil companies.
e. That the political crisis in Nigeria is mainly about the struggle for the control of oil mineral
resources which account for over 80% of GDP, 95 %of national budget and 90% of foreign
exchange earnings. From which, 65%, 75% and 70% respectively are derived from within the
Ijaw nation. Despite these huge contributions, our reward from the Nigerian State remains
avoidable deaths resulting from ecological devastation and military repression.
f. That the unabating damage done to our fragile natural environment and to the health of our
people is due in the main to uncontrolled exploration and exploitation of crude oil and natural
gas which has led to numerous oil spillages, uncontrolled gas flaring, the opening up of our
forests to loggers, indiscriminate canalisation, flooding, land subsidence, coastal erosion,
earth tremors etc. Oil and gas are exhaustible resources and the complete lack of concern for
ecological rehabilitation, in the light of the Oloibiri experience, is a signal of impending doom
for the peoples of Ijawland.
g. That the degradation of the environment of Ijawland by transnational oil companies and the
Nigerian State arise mainly because Ijaw people have been robbed of their natural rights to
ownership and control of their land and resources through the instrumentality of undemocratic
Nigerian State legislations such as the Land Use Decree of 1978, the Petroleum Decrees of
1969 and 1991, the Lands (Title Vesting etc.) Decree No. 52 of 1993 (Osborne Land Decree),
the National Inland Waterways Authority Decree No. 13 of 1997 etc.
h. That the principle of Derivation in Revenue Allocation has been consciously and
systematically obliterated by successive regimes of the Nigerian state. We note the drastic
reduction of the Derivation Principle from 100% (1953), 50% (1960), 45% (1970), 20%
(1975) 2% (1982), 1.5% (1984) to 3% (1992 to date),and a rumored 13% in Abacha's 1995
undemocratic and unimplemented Constitution.
i. That the violence in Ijawland and other parts of the Niger Delta area, sometimes
manifesting in intra and inter ethnic conflicts are sponsored by the State and transnational oil
companies to keep the communities of the Niger Delta area divided, weak and distracted from
the causes of their problems.
394
j. That the recent revelations of the looting of national treasury by the Abacha junta is only a
reflection of an existing and continuing trend of stealing by public office holders in the
Nigerian state. We remember the over 12 billion dollars Gulf war windfall, which was looted
by Babangida and his cohorts We note that over 70% of the billions of dollars being looted by
military rulers and their civilian collaborators is derived from our ecologically devastated
Ijawland.
Based on the foregoing, we, the youths of Ijawland hereby make the following resolutions to
be known as the Kaiama Declaration:
1. All land and natural resources (including mineral resources) within the Ijaw territory
belong to Ijaw communities and are the basis of our survival.
2. We cease to recognise all undemocratic decrees that rob our peoples/communities of the
right to ownership and control of our lives and resources, which were enacted without our
participation and consent. These include the Land Use Decree and The Petroleum Decree etc.
3. We demand the immediate withdrawal from Ijawland of all military forces of occupation
and repression by the Nigerian State. Any oil company that employs the services of the armed
forces of the Nigerian State to "protect" its operations will be viewed as an enemy of the Ijaw
people. Family members of military personnel stationed in Ijawland should appeal to their
people to leave the Ijaw area alone.
4. Ijaw youths in all the communities in all Ijaw clans in the Niger Delta will take steps to
implement these resolutions beginning from the 30th of December, 1998, as a step towards
reclaiming the control of our lives. We, therefore, demand that all oil companies stop all
exploration and exploitation activities in the Ijaw area. We are tired of gas flaring; oil
spillages, blowouts and being labelled saboteurs and terrorists. It is a case of preparing the
noose for our hanging. We reject this labelling. Hence, we advice all oil companies staff and
contractors to withdraw from Ijaw territories by the 30th December, 1998 pending the
resolution of the issue of resource ownership and control in the Ijaw area of the Niger Delta
5. Ijaw youths and Peoples will promote the principle of peaceful coexistence between all
Ijaw communities and with our immediate neighbours, despite the provocative and divisive
actions of the Nigerian State, transnational oil companies and their contractors. We offer a
hand of friendship and comradeship to our neighbors: the Itsekiri, Ilaje, Urhobo, Isoko, Edo,
395
Ibibio, Ogoni, Ekpeye, Ikwerre etc. We affirm our commitment to joint struggle with the
other ethnic nationalities in the Niger delta area for self-determination.
6. We express our solidarity with all peoples organisations and ethnic nationalities in Nigeria
and elsewhere who are struggling for self-determination and justice. In particular we note the
struggle of the Oodua peoples Congress (OPC), the Movement for the Survival of Ogoni
People (Mosop), Egi Women's Movement etc.
7. We extend our hand of solidarity to the Nigerian oil workers (NUPENG and
PENGASSAN) and expect that they will see this struggle for freedom as a struggle for
humanity
8. We reject the present transition to civil rule programme of the Abubakar regime, as it is
not preceded by restructuring of the Nigerian federation. The way forward is a Sovereign
National Conference of equally represented ethnic nationalities to discuss the nature of a
democratic federation of Nigerian ethic nationalities. Conference noted the violence and
killings that characterized the last local government elections in most parts of the Niger
Delta. Conference pointed out that these electoral conflicts are a manifestation of the
undemocratic and unjust nature of the military transition programme. Conference affirmed
therefore, that the military are incapable of enthroning true democracy in Nigeria.
9. We call on all Ijaws to remain true to their Ijawness and to work for the total liberation of
our people. You have no other true home but that which is in Ijawland.
10. We agreed to remain within Nigeria but to demand and work for Self Government and
resource control for the Ijaw people. Conference approved that the best way for Nigeria is a
federation of ethnic nationalities. The federation should be run on the basis equality and
social justice.
Finally, Ijaw youths resolve to set up the Ijaw Youth Council (IYC) to coordinate the struggle
of Ijaw peoples for self-determination and justice.
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Annexe 2 : Résolution du parlement ougandais du 10 Octobre 2011 mettant en difficulté
le gouvernement sur la question pétrolière.
REPUBLIC OF UGANDA
THE PARLIAMENT OF UGANDA
RESOLUTION OF PARLIAMENT IN RESPECT OF REGULARIZATION OF THE OIL SECTOR AND OTHER MATTERS INCIDENTAL THERETO
(Moved under Rule 43 of the Procedure of Parliament)
WHEREAS under Article 95 (5) of the Constitution of the Republic of Uganda the Speaker of Parliament is mandatorily obliged to summon Parliament when one third of the Members of Parliament request him or her to do so.
AND WHEREAS on the 20th day of September, 2011 one third of Members of Parliament requested the Speaker in writing to summon Parliament to deliberate on matters related on the oil sector.
AND WHEREAS in spite of the existence of the Oil Policy, Government has not presented to Parliament Bills for enactment into law to address various crucial aspects of the oil sector and to put into effect the Oil Policy and in particular.
i. Revenue collection and management
ii. Participation of Ugandans and their empowerment in as far as benefiting from the oil industry is concerned.
iii. Social, environmental and economic aspects related to the sector and how they will be regulated together with other incidental matters related thereto
AND WHEREAS since 2004 or thereabout Government has executed Production Sharing Agreements with various Companies relating to Oil Exploration and Production particularly Heritage Oil and Gas Ltd, Tullow (U) Limited interalia and the Production Sharing Agreements so signed remain largely unknown to the people of Uganda and a big number of their representatives in Parliament.
AWARE that the terms of the Production Sharing Agreements so signed have a direct bearing on revenue to be collected, retained and applied by Government for the 2
benefit of Ugandans continue to be in force and applicable to revenues in spite of the absence of enabling laws
AWARE that the secretive nature of Government transactions in the oil sector may in future not augur well for the country in its quest for wholesome development.
IN RECOGNITION of the Importance of Parliament to make laws for the peace, order, development and good governance of Uganda.
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AND AWARE that laws in the oil sector are a sine quo non for proper utilization of the oil wealth for the country’s economic development.
NOW, THEREFORE, be it RESOLVED by Parliament as follows:
1. A moratorium on executing oil contracts and /or transactions be put on the Executive arm of Government until the necessary laws have been passed by Parliament to put into effect the Oil and Gas Policy.
2. That Government comes up with the necessary laws and tables the same in Parliament within 30 days from the date of this Resolution.
3. That Government produces to Parliament all agreements it has executed with all companies in the oil industry including the Memorandum of Understanding executed with Uganda Revenue Authority and Tullow (U) Limited in March 2011 in Uganda and that it takes note of the decision of the High Court of Uganda Civil Appeal No 14 of 2011 (Commercial Court Division) between Heritage Oil and Gas Limited (Appellant) versus Uganda Revenue Authority (Respondent) to the effect that there shall be no arbitration on any tax dispute more so outside Uganda.
4. That Government reviews all Production Sharing Agreements already executed for purposes of harmonizing them with the law and the decision of Court and in particular the principles that:-
i. Tax disputes are outside the arena of arbitration as they are Statutory and non contractual.
ii. Discards clauses such as the one under clause 33.2 of the Production Sharing Agreement between Heritage Oil and Gas Limited and Government of Uganda signed in 2004 which states thus
“If following the effective date, there is any change, or series of changes, in the laws or regulations of Uganda which materially reduces the economic benefits derived or to be derived by Licensee hereunder, Licensee may notify the Government accordingly and thereafter the Parties shall meet to negotiate in good faith and agree upon the necessary modifications to this agreement to restore Licensee to substantially the same 3 overall economic position as prevailed hereunder prior to such change (s). In the event that the Parties are unable to agree that Licensee’s economic benefits have been materially affected and /or unable to agree on the modifications required to restore to Licensee the same economic positions as prevailed prior to such change within ninety (90) days of the receipt of the notice referred to hereinabove, then either Party may refer the matter for determination pursuant to paragraph 26.1 ”
This is because such clauses oust unconstitutionally the powers of Parliament to make laws for the development of Uganda and put the profit making motive of companies superior to the interest of Ugandans.
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5. An account of all revenues so far received by Government from the oil industry be made to Parliament within 7 day showing how much has been received, from who, for which areas (blocks) and where it is kept and in particular the following revenues
a) Licence fees
b) Signatures bonuses
c) Taxes
d) Royalties
e) State participation
f) Penalty for late payments
6. Government Accounts for expenditures (if any) made from Oil revenues within seven(7) days, and a moratorium be put on Government to stop any further expenditure on oil revenue without the laws on revenue collection and management being first put in place, and further that Government produces up to date financial report(s) and upstream investment costs.
7. Government, as a matter of transparency, joins the Extractive Industries Transparency Initiative and a report to that effect confirming such entry be made to Parliament.
8. Subject to Article 41 of the Constitution, Government shall desist from executing any contract in the oil industry with a provision/clause for confidentiality.
9. That;
a) Parliament sets up an Ad hoc Committee to investigate claims and allegations of bribery in the oil sector, and report back to Parliament within three months.
b) Members to be named on the Ad hoc Committee observe high moral standards while considering the above assignment.
c) Government Ministers namely Hon. Amama Mbabazi, Hon. Sam Kutesa and Hon. Hillary Onek who were named during the debate step aside from their Offices with immediate effect, pending investigations and report by the Ad hoc Committee to Parliament.
10. Government withholds the consent to the transaction between Tullow Oil (U) Limited and Total and CNOOC, until the necessary laws are put in place.
I certify that this Resolution was passed by Parliament on the 11th day of October 2011.
…………………………………………………………….
A.M Tandekwire
CLERK TO PARLIAMENT
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Annexe n°3 : Principaux évènements au Soudan, d’une independence à l’autre
Source: Politique africaine
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