88
1 Executive Master Communication Promotion 2013/2015 Joy MELKI Paris Soutenance le 6 novembre 2015. Mémoire professionnel Comment l’art devient-il le levier de communication prépondérant des entreprises en France ?

Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

1

Executive Master Communication

Promotion 2013/2015

Joy MELKI

Paris Soutenance le 6 novembre 2015.

Mémoire professionnel

Comment l’art devient-il le levier de communication prépondérant des entreprises en France ?

Page 2: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

2

Sommaire

Remerciements 4 Introduction 5

I L’art au service de la communication des entreprises : les différentes formes de mécénat et leurs avantages. 8

I.1 Regard sociologique et historique sur les circonstances de l’avènement de l’art au sein des entreprises. 8

I.1.1 L’accès à l’art dans le domaine public : les questions soulevées par Malraux et Bourdieu sont toujours d’actualité 8

I.1.2 Le modèle historique du mécénat resurgit. 13 I.1.3 Le lien entre l’avènement de l’art dans les entreprises et la théorie des parties prenantes de Freeman semblé avéré.

22

I.2. Le mécénat culturel est un socle pour le développement durable de l’entreprise 28

I.2.1 L’implication du mécénat d’entreprise dans des causes d’intérêt social. 29 I.2.2 Le mécénat représente une fenêtre vers l’avenir pour les entreprises. 31

I.2.3 Pour l’entreprise, le mécénat est un des aspects d’un mode de management intelligent.

35

I.3 Les fondations d’entreprises tournées vers l’art : un outil au service de la communication. 37

1.3.1 Les fondations sont des leviers de communication et d’échange en elle mêmes. 39

1.3.2 L’art au service de la communication représente une liberté pour l’entreprise de réinventer son positionnement et d’enrichir ses valeurs. 45

1.3.3 Les fondations s’imposent comme partie intégrante de la stratégie d’entreprise.

51

II. Etude de cas : analyse de la cohérence du lien entre l’art et le secteur d’activité de l’entreprise, ainsi que de la communication autour de ce lien. 56

II.1 Le cas de la collection d’art contemporain de la Société Générale. 56 2.1.1 Un nouveau dialogue s’opère entre l’œuvre d’art et la nature immatérielle de l’activité bancaire.

56

2.1.2 Les œuvres d’art de la Société Générale deviennent un outil de communication et de cohésion interne.

59

2.1.3 Mariage de passion ou mariage de raison : remise en question de l’utilisation de l’art en matière de communication en milieu bancaire.

60

II.2 Les actions de Pernod-Ricard en faveur de la culture

62

Page 3: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

3

2.2.1 Les points de contact entre l’univers des spiritueux et celui de l’art. 62

2.2.2 La longévité des liens tissés entre Pernod-Ricard et les institutions culturelles qu’il soutient sont en eux-mêmes des leviers spécifiques de communication entre l’entreprise et le public.

64

2.2.3 Le mécénat de Pernod-Ricard et du Centre Pompidou est un échange de bons procédés.

66

III. Recommandations destinées aux grandes entreprises pour l’intégration de l’art dans leur stratégie de communication.

69

3.3.1 Mettre en place des départements adaptés aux spécificités de la communication culturelle et au choix des artistes dans chaque entreprise. (Réussir à autonomiser son propre raisonnement quant aux œuvres, disposer de suffisamment d’informations pour pouvoir se créer son propre avis sur les œuvres).

69

3.3.2 Favoriser la jeune scène contemporaine française pour l’acquisition d’œuvres et donner la parole aux artistes en tant que médiateurs pour parler de leurs travaux et de ceux des autres dans le cas de la collection d’art moderne (artistes décédés).

70

3.3.3 Donner la possibilité aux salariés de contribuer à la constitution d’une collection d’entreprise.

73

Conclusion

75

Bibliographie

78

Annexes, analyses

81

Page 4: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

4

Remerciements

Mes parents : Pour leur soutien dans cette reconversion, leur écoute.

Mon frère Benjamin : Pour sa bienveillance, sa disponibilité.

Jean-Claude : Un cousin en or, merci de ton aide dans cette nouvelle aventure !

Linda PINTO : Une précieuse petite perle. Sans toi cela n’aurait pas été possible. Merci …

Maya : À mon tour de te remercier pour ces 26 ans d’amitié.

Lucie : Tes mots justes, nos fous rires, qui résonnent et donnent du courage même à distance.

Valentine : Ta bienveillance, tes encouragements. Une amie parfaite.

Sarah : Fidélité, complicité, disponibilité, amitié.

Rebecca : Pour ta présence, ton amitié sincère tout simplement, même à 6000km.

L’équipe de l’Executive Master Communication.

Ambroisine BOURBON et André de MARCO de m’avoir donné la chance de pouvoir intégrer ce master.

Hélène TINLOT et Myriam ZAZZARON pour leur disponibilité et leur gentillesse.

L’ensemble des intervenants.

Toute la promotion Pierre LEVY pour ces échanges et pour ces moments inoubliables…

L’équipe des tuteurs : Aurélie et Jean-Baptiste.

- Jean-Christophe CASTELAIN, Rédacteur en chef du Journal des Arts.

- Jean-Yves BOBE Service des arts plastiques Direction générale de la création artistique, ministère de la culture et de la communication.

- Robert FOHR, chef de la mission du mécénat, ministère de la culture et de la communication.

- Sylvie MACHENAUX, directrice du Mécénat, chez Pernod Ricard

- Florence VIELFAURE chargée de mission Numérique Département de la politique des

publics Direction générale des patrimoines, ministère de la culture et de la communication.

- Benoit PARAYRE, Direction de la communication et des partenariats, Centre Pompidou,

Paris.

- Jean-François GRUNFELD, Museum Expert, Paris.

- Carine DECROI, Directeur Marketing, Communication et Activités culturelles, Artcurial,

Paris.

- Shelley MANION, Senior Product Manager, British Museum, Londres.

- César CHEMINEAU, département Mécénat du Musée du Louvre.

- Catherine VOIRIOT, département des objets d’art du Musée du Louvre.

- Aurélie DEPLUS, Commissaire d’exposition, la Société Générale, la Défense.

- Nathalie HEINICH, Sociologue.

Page 5: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

5

Introduction

« Faites toujours que votre tableau soit une ouverture au monde »

Léonard de Vinci1

À travers l’histoire, les États ont été amenés à utiliser l’art comme un moyen de valoriser

leurs actions. Témoins de leur époque, les artistes, ainsi que leurs œuvres, et précisément

les lieux où ils s’exposent ont changé (par art nous entendons toutes les formes de

créations, modernes ou contemporaines, qu’elles soient des peintures, des sculptures ou

des dessins. Ce qui nous intéresse dans ce cas est la démarche plutôt que la nature de

l’œuvre). Ces lieux dédiés à la culture et au loisir que sont les musées, étaient hier

détenteurs d’une sorte de monopole de l’accès à l’art et se voient aujourd’hui voler la

vedette par des entreprises, des fondations d’entreprise ou des mécènes privés (nous nous

intéresserons ici aux PME, aux grandes entreprises, et tenterons de dégager les

particularités d’un engagement en faveur de l’art dans les family offices).

Hier, au service des grands mécènes tels que François 1er, les Tudors, les Médicis à

Florence ou les Camondo à Paris, les artistes valorisaient ces derniers par l’art du portrait,

par le biais duquel ces donateurs étaient mis en scène en costume d’apparat, à la gloire de

leurs actions, de leur fonction ou de leur règne.

Nous sommes en droit de nous demander comment ce modèle ancien de mécénat a muté.

Nous le verrons au cours de cette étude, les mécènes d’aujourd’hui, donateurs pour de

grandes expositions, sont impliqués dans d’importantes actions culturelles à l’échelle

nationale et internationale. Leur champ d’action s’est étendu et le modèle de la Renaissance

s’est inversé : ce sont à présent les mécènes qui valorisent les artistes et non le contraire.

Cette recrudescence du mécénat dit « privé », qui par conséquent semble avoir pris le relais

de l’État, témoigne des limites de l’action publique en matière de soutien à la création. Pour

ne citer qu’eux, Bernard Arnault (LVMH), François Pinault (Kering, ex-PPR) mais aussi la

maison Pernod-Ricard, ou encore des financiers désireux de prouver qu’ils sont capables de

sortir du secteur financier, sont devenus des acteurs prépondérant dans l’univers de l’art.

La destinée de l’art, et particulièrement de l’art contemporain semble désormais liée, pour le

meilleur et pour le pire, à celle des industries du luxe, des spiritueux ou de la finance.

1 ZOLLNER Franck, Léonard de Vinci, Toute l’œuvre graphique et peinte, Taschen, 2007, p.126

Page 6: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

6

Le XXIème siècle, semble devoir faire date pour le rapprochement entre le monde de l’art et

le monde du luxe et de la finance. Si ces univers ont pu se tenir tête, se haïr ou se rejeter,

comme ce fut le cas de l’art moderne, qui, selon André Malraux dans 2L’Homme précaire et

la Littérature a pris naissance par refus du luxe. Le XXIème siècle marque un

rapprochement inédit entre le monde de l’art, du luxe et de la finance.

Ce rapprochement a suscité des interrogations. D’un côté l’art et les institutions culturelles

en acceptant de collaborer avec des univers très éloignés du leur, s’exposent au risque de

voir leur image associée à des domaines dont la réputation a été noircie, et de perdre un

peu de cette noblesse qui leur a permis d’acquérir, entre autres, au fil du temps,

considération et privilèges au sein des plus hautes sphères de la société.

De l’autre les entreprises qui, évoluant dans un contexte économique fragile, doivent

repenser leurs leviers de croissance.

Cependant, ces dernières qui exposent de l’art ou constituent des collections, ont été la

cible de beaucoup d’interrogations de la part des professionnels de l’art quant à l’utilisation

qu’elles en font et au risque potentiel en termes d’instrumentalisation des œuvres.

Devant ces différents constats, nous sommes en droit de nous interroger quant à leur

sincérité et la mise en oeuvre de leurs actions dans l’utilisation qu’elles font de l’art.

Au même titre que de multiples « expériences » de la vie quotidienne, l’art est un enjeu de

consommation, en termes de parts de temps disponible et de bagage culturel pour

l’apprécier.

Car si l’appétence pour l’art et la culture a augmenté de façon inédite dans l’histoire de

l’humanité, il n’en demeure pas moins ségrégatif en termes de population exposée.

Le postulat d’André Malraux sur l’évidence de la beauté semble totalement contredit par la

notion d’acculturation et de transmission mise en évidence par Pierre Bourdieu. En effet,

l’art ne s’impose pas de lui-même. Il nécessite un apprentissage, un décodage, un

logiciel. C’est, entre autres, sur cette particularité que la cohérence du lien entre l’art et le

monde de l’entreprise, fût, à mon sens, intéressant à étudier. Alors que certaines se

tournent vers la santé, le sport, ou l’humanitaire, d’autres imaginent l’art comme étant un

élément essentiel de leur image et surtout de leur communication. Qu’elles soient novices

en matière d’art ou au contraire s’inscrivant dans une tradition familiale, les entreprises ont

fait ce choix et cela n’est pas par hasard.

Par conséquent, ce bilan nous amène à nous interroger sur les raisons qui poussent les

entreprises à utiliser l’art en parallèle des autres outils de communication « traditionnels »

dont elles disposent.

2 MALRAUX André, L’Homme précaire et la Littérature, Gallimard, 1977, p. 252.

Page 7: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

7

En dissociant les actions de mécénat de la communication traditionnelle, de quelle manière

et pourquoi les entreprises utilisent-elles l’art pour répondre à leurs problématiques de

communication ?

Il paraît donc utile d’examiner le rôle des entreprises dans la diffusion de l’art au travers de

leur communication interne et externe pour faire face à un triple enjeu :

-­‐ Demeurer des référents dans leur domaine.

-­‐ Assurer croissance et visibilité à l’entreprise.

-­‐ Répondre à des enjeux de stratégie et de communication en interne pour mieux

relayer en externe.

À partir de ces différents constats, nous analyserons, dans un premier temps, le contexte de

l’avènement de l’art dans les entreprises à travers un aperçu historique et sociologique.

Nous déterminerons ensuite quelles sont les mises en œuvre des entreprises dans leur

approche de l’art et quels intérêts elles y trouvent.

Nous verrons enfin, au travers d’une série de préconisations à destination des entreprises

utilisant l’art, comment améliorer la cohérence des dialogues entre le monde de l’entreprise

et celui de la création.

Page 8: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

8

I L’art au service de la communication d’entreprises : les

différentes formes de mécénat et leurs avantages

I.1. Regard sociologique et historique sur les circonstances de l’avènement de l’art au sein des entreprises.

I.1.1 L’accès à l’art dans le domaine public : les questions soulevées par Malraux et Bourdieu sont toujours d’actualité.

« Il n’est pas vrai que qui que ce soit au monde ait jamais compris la musique parce qu’on lui a expliqué la Neuvième Symphonie. Que qui que ce soit au monde ait jamais aimé la poésie parce qu’on lui a expliqué Victor

Hugo. Aimer la poésie, c’est qu’un garçon, fut-il quasi illettré, mais qui aime une femme, entende un jour : ‘Lorsque nous dormirons tous les deux dans l’attitude que donne aux morts pensifs la forme du tombeau’ et

qu’alors il sache ce qu’est un poète. »

Discours d’André Malraux, pour l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens en 1969.

L’art a tenu une place immense dans la vie de Malraux.

Dans son existence privée, publique et politique, la confrontation avec l’art exprime une

passion, consacre l’art dans une fonction métaphysique et enfin oriente une politique

culturelle - celle qu’il conduit comme ministre entre 1958 et 1969.

Pour Malraux, la culture n’est autre qu’une rencontre vivante avec l’art. Et cette conception

sera le fondement de toute sa politique culturelle. Nous en apercevons déjà les prémices

lors de son discours à l’Assemblée nationale le 9 novembre 1967: « 3Notre travail, c’est de

faire aimer les génies de l’humanité et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les

faire connaître. La connaissance est à l’Université : l’amour, peut-être, est à nous ! ». Cette

idée d’une confrontation directe à l’art, éloignée de toute médiation, à la fois innée et

instinctive, naît chez Malraux de la philosophie kantienne, sans doute pénétrée par le biais

des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, de Friedrich von Schiller, écrivain

allemand de la fin du XVIIIème siècle. Selon Schiller, le Beau produit un effet directement

sur le moral. Car le beau rencontre un écho dans la nature même de l’homme et comble son

besoin le plus élevé, l’unité et l’harmonie.

Au travers de son ouvrage Critique de la faculté de juger, Kant développe l’idée qui est celle

d’une œuvre d’art que l’on ne peut juger sous l’éclairage de ses caractéristiques car le

jugement esthétique, dit-il, « 4doit être désintéressé de ces vues, des codes de notre

jugement habituel qui se réfère bien trop à la raison pour satisfaire la définition de la

3 de SAINT PULGENT Maryvonne, Le gouvernement de la culture, 1999, Gallimard. 4 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6.

Page 9: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

9

beauté ». Le Beau serait chez Kant, et chez Malraux, un concept sans codes qui relèverait

du sens commun et serait « 5objet d’une satisfaction universelle ».

Cette esthétique kantienne semble créer une résonance chez Malraux : l’idée d’une culture

universelle, relevant du sens commun et donc d’une forme de connaissance sensible

inhérente à l’homme, sans nécessité d’éducation à l’art.

Malraux semble accorder une fonction sociale à l’art, lui attribuant une capacité fédératrice

et une disposition à créer l’émotion et l’expérience.

L’idée d’une démocratisation culturelle vient alors seconder ce rôle social de l’art en

déployant des institutions culturelles sur l’ensemble du territoire pour créer cette

communauté d’émotions. Cependant, pour démocratiser la culture, encore faudrait-il pouvoir

y accéder. La médiation culturelle, relativement écartée de la politique culturelle de Malraux,

fut critiquée, à partir de 1965, par le sociologue Pierre Bourdieu. Ses études ont été

principalement basées sur les différents publics qui fréquentaient les musées, français et

européens. Différentes conclusions ont été tirées à partir de graphiques mettant en évidence

l’âge, la classe sociale, le degré de connaissance, la spécialité artistique préférée en

fonction des différentes classes sociales, ou encore les musées les plus fréquentés. On peut

retrouver l’ensemble de ces graphiques au travers de l’ouvrage L’Amour de l’art.

Le graphique ci-dessous reprend les deux idées principales de Bourdieu, la première étant

que plus le niveau d’études est élevé et spécialisé et plus l’accès à l’art est présent dans le

quotidien. C’est le contraire pour les agriculteurs, les ouvriers et les commerçants. La

deuxième idée étant qu’avec la culture, qui induit un certain niveau d’études, l’appréciation

de l’œuvre n’en sera que plus importante. Est soulevée ici la question de la médiation et son

importance dans l’appréciation de l’art. Dans ce graphique, Bourdieu note une prédisposition

par le capital culturel, c’est-à-dire produit à la fois par le système scolaire et familial, dans un

milieu et une éducation propices, qui facilite évidemment le sens artistique. Le plaisir de

contempler un tableau ou même d’écouter un opéra serait selon les résultats de ce

graphique, le produit de normes sociales, qui ne toucheraient alors pas toutes les franges de

la population. La médiation culturelle et la communication artistique pourraient donc être des

moyens efficaces d’appropriation de l’art et de remédier à cette inégalité.

5 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6.

Page 10: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

10

Taux de fréquentation annuel des musées selon les catégories sociales

6

7

De plus, la méthode d'enquête et d'analyse qu'emploient Pierre Bourdieu et Alain Darbel

dans l’ouvrage « L’amour de l’art » dessine derrière le plaisir éprouvé face à une œuvre d'art

un arbitraire culturel, un « habitus » qui détruit le mythe du goût inné, retournant la formule

de Kant et de Malraux, pour qui « 8le beau est ce qui plaît universellement sans concept ».

En opposition, à cette idée, le sociologue Pierre Bourdieu, lui, affirme que 9seul ce dont on a

le concept peut plaire. La culture est déterminée par les caractéristiques sociales, culturelles

et nationales du sujet. Au vu de cette étude, la division de la société entres personnes

s’intéressant à l’art et les autres, justifie le monopole des instruments de l'appropriation des

biens culturels en fonction du niveau d’études.

6 Taux de fréquentation annuel des musées selon les catégories sociales. Étude tirée de l’ouvrage L’amour de l’art, BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, Les Éditions de Minuit, 1966, p.101. 7 Définition du mot habitus tiré du dictionnaire Larousse. 8 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6. 9 Tirée de l’ouvrage L’amour de l’art, BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, Les Éditions de Minuit, 1966, p.101

Habitus : Comportement acquis, caractéristique d'un groupe social, quelle que soit son étendue, et transmissible au point de sembler inné.

Page 11: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

11

Plus que des questions méthodologiques, cet ouvrage pose des questions dans la définition

des problèmes et dans la vision a priori de l'art qui sert au sociologue. Celle-ci est orientée

par le sujet-spectateur : l’œuvre existe en tant qu'objet regardé. L'amour porté à l’œuvre est

motivé par les caractéristiques du sujet regardant.

C’est aussi une voie d’accès à de nouvelles problématiques et à l’analyse des différentes

conditions sociales permettant l’accession à la connaissance : 10« La culture n’est pas un

privilège de nature mais il faudrait et il suffirait que tous possèdent les moyens d’en prendre

possession pour qu’elle appartienne à tous ».

Dans l’observation de Malraux et celle de Bourdieu, les désaccords sont les suivants : la

différence principale qui oppose leurs deux visions de l’art se pose sur sa fonction éducative

qui passe à la fois par la médiation et par l’appropriation.

Tandis que pour Malraux l’œuvre d’art est belle en elle-même, et son appréciation doit et

peut se faire à la fois de manière innée et instinctive. Pour Bourdieu, au contraire, l’œuvre

ne se suffit pas à elle même, elle n’est pas ‘simplement belle’. Elle représente une

construction qui contient à la fois des informations sur l’artiste mais aussi une histoire et des

symboles. En somme une globalité. Le spectateur a donc besoin de clefs pour comprendre

l’œuvre qu’il regarde.

Le Centre Pompidou a compris cet enjeu pour pouvoir avoir accès à l’ensemble des

collections et aussi à des informations dédiés. C’est pourquoi le Centre a développé en

2012, avec le mécénat de Pernod-Ricard, ‘Le Centre Pompidou Virtuel’, un centre de

ressources numériques et une plateforme de diffusion de contenus donnant accès aux

internautes à un ensemble de contenus numériques produits par le musée (œuvres de la

collection, ressources documentaires, archives, captation de conférences, interviews

d’artistes, de commissaires d’expositions etc.).

Benoit Parayre, directeur du mécénat et de la communication du musée, précise que :

« Grâce à cette nouvelle proposition le Centre Pompidou touchera un public beaucoup plus

large que les seuls visiteurs physique potentiels. Il s’adressera à tous ceux qui s’intéressent

à l’art, experts, amateurs, curieux et ils pourront eux-mêmes construire leur propre

parcours ».

10 BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, L’amour de l’art, Les Éditions de Minuit, 1966, p.35.

Page 12: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

12

11

Ce type de dispositif délivre des informations sur les œuvres, sur les expositions en cours et

sur les collections permanentes. Les contenus sont adaptés en fonction de l’âge, du degré

de connaissance. Il permet à la fois de progresser et d’apprendre tout en regardant les

œuvres pour les comprendre et ainsi se créer des repères dans l’histoire de l’art.

Premiers chiffres après le lancement de l’application

12

La relative pauvreté qu’on observe en matière d’informations sur les œuvres dans les salles

d’exposition des musées nous amène à nous interroger sur l’impact de la théorie de Malraux

sur le ‘choc esthétique’, en matière d’appréciation et de compréhension des collections

aujourd’hui en musée.

11 Image tirée du communiqué de presse destiné au lancement de l’application du Centre Pompidou virtuel en 2012. 12 Chiffres provenant du communiqué de presse destiné au lancement de l’application du Centre Pompidou virtuel en 2012.

Page 13: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

13

Par opposition, cela remet au goût du jour la problématique soulevée par Bourdieu, sur la

fonction éducationnelle de l’art et sur l’importance de posséder des clefs de compréhension

qui passeraient par l’éducation pour accéder à une œuvre « comme il se doit ». Au travers

de l’ouvrage L’Amour de l’art, Bourdieu et Darbel avance que : 13« L’œuvre d’art considérée

en tant que bien symbolique n’existe comme telle que pour celui qui détient les moyens de

se l’approprier, c’est-à-dire de la déchiffrer. »

Au travers de ces dispositifs, le visiteur reste libre de disposer de cet appareil ou non. Il

peut, s’il le désire, continuer d’apprécier l’art de manière « instinctive », mais il reste libre de

déterminer lui-même ce qu’il veut voir, apprendre, ou lire. Cette liberté dans l’expérience

culturelle que proposent ces dispositifs virtuels en axant l’approche des arts principalement

sur les contenus, vient compléter la visite in situ mais aussi constituer en soi, à une

expérience d’une nature différente. Par ce biais, le centre s’inscrit dans l’identité numérique

qui marque notre époque, et dans une démarche de sensibilisation des publics aux

collections mises à leur disposition. Une prestation de plus pour ces institutions qui avec peu

de moyens financiers doivent assurer leur devenir et celui de leurs collections.

I.1.2 Le modèle historique du mécénat resurgit.

« L’art c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. »

Auguste Rodin

Depuis des siècles, l’art et la monarchie, ou l’art et le luxe ont, grâce aux artistes, dialogué.

Progressivement les entreprises voient leurs murs et leurs salles de réunion investis par des

toiles et des sculptures, les circonstances de l’avènement de l’art en entreprise se sont

imposées par petites touches au fil du temps.

Pour comprendre, pourquoi et comment, cette partie s’attachera à interroger le rôle de l’État

en matière de soutien à la culture. Et également à explorer l’univers des musées français en

termes de développement et de communication. Pour finir, les principales grandes

entreprises françaises qui jouent un rôle important pour soutenir la culture. Nous couvrirons

la peinture, la sculpture et les arts graphiques.

La prédominance du secteur public s’est vue consacrée en 1661, lors de la brutale éviction

de Nicolas Fouquet, amateur d’art et mécène privé, par Louis XIV. Certes, cet événement

n’a pas annihilé le mécénat privé, mais il a participé à la constitution d’un mécénat d’État

dont nous voyons aujourd’hui encore les effets, voire les méfaits dans l’instabilité et la

fragilité de son soutien en matière d’art. Ajoutons que l’appétence de Louis XIV pour les arts

13 BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, L’amour de l’art, Les Éditions de Minuit, 1966, p.65.

Page 14: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

14

a non seulement mobilisé beaucoup des ressources financières du royaume, mais aussi

occupé des bataillons entiers d’artistes majeurs à la décoration de palais civils comme celui

de Versailles, ou militaires comme les Invalides.

Devant le faste de la décoration du palais de Versailles et de ses jardins, nous constatons

que le phénomène de la Cour a attiré artistes et mécènes à Paris, laissant à la province des

moyens plus limités et des artistes moins prestigieux. Cette centralisation autour de la Cour

ne devait que s’amplifier sous la Révolution, puis sous l’Empire avec la création du Musée

national du Louvre. Cette centralisation artistique ne pouvait que donner lieu à la création

d’un art officiel qui se développa tout au long de la IIIème République (1870-1940).

Apparaissent ensuite les grands collectionneurs et mécènes du début du XXème en France

et en Europe. Pour les Kahnweiler, les Rosenberg, les Durand-Ruel ou les Guggenheim, la

passion de l’art était en quelque sorte inscrite dans leur patrimoine culturel et les artistes

qu’ils soutenaient, étaient au fil des siècles, comme marqués de leur empreinte. Daniel-

Henry Kahnweiler, le marchand des cubistes, en est un parfait exemple. Ou encore Peggy

Guggenheim qui soutient Max Ernst, Fernand Léger, Marc Chagall, tous réfugiés à New

York pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Ici aussi le mécénat privé (bien que l’intérêt général soit plus discrètement mis en valeur que

celui des actions menées par les grandes familles d’industriels), ouvre la voix vers une

génération de collectionneurs et mécènes à la fois fortunés, réellement passionnés et dont

l’implication en faveur de la culture résonne encore aujourd’hui.

Il apparaît donc deux traits majeurs du mécénat en Europe : d’une part, si la pratique du

mécénat provient de familles prestigieuses, lors de la Renaissance les familles constituaient

encore en elles-mêmes la structure de la force économique et politique. Les Médicis, par

exemple, ou les Fugger, grande famille de marchands qui domina la finance européenne à

la fin du Moyen-Âge et pendant la Renaissance du Saint-Empire germanique, qui furent les

mécènes du fameux peintre et graveur Albrecht Dürer. La frontière était donc floue entre

famille, mécène et entreprise. Ce n’est qu’au XIXème siècle, avec l’émergence de grandes

familles d’industriels (les Prouvost : fondateurs du musée du textile et de la vie sociale à

Fourmies, et de l’Ecomusée de l’Avesnois à Fourmies, sont aussi collectionneurs d’art, les

Masurel financent la construction d’une école en 1894, s’impliquent dans des associations

de filateurs et d’industries lainières à Paris autour des années 1890), qu’apparaissent les

premières actions de mécénat privé, au sens où nous l’entendons aujourd’hui : c’est-à-dire

un financement qui ne provient pas de l’État ou de la Cour, sinon de particuliers et visant

l’intérêt général.

Il apparaît donc nettement que le phénomène de centralisation autour de l’art est passé de

la monarchie aux grands industriels, puis vers les mécènes et les collectionneurs érudits du

début du XXème. Le rôle social de chacun de ces mécènes est un élément important à

prendre en compte dans l’étude de l’essor du mécénat privé dans le cadre de la culture.

Page 15: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

15

Pour le comprendre, revenons sur les particularités françaises en termes de mécénat

culturel à la fois du côté des entreprises et de l’État.

Du côté de l’État, le budget consacré à la culture semble s’être stabilisé après deux années

en baisse en 2014 et 2013. Pour 2015, il s’élève à 7,7 milliards d’euros. La culture et la

communication arrivent bien derrière l’enseignement et le logement, nettement priorisés par

l’État en 2015 avec 47,4 milliards d’euros. Pour la culture et la communication, nous

remarquons un avantage donné au secteur des médias, du livre et des industries culturelles

avec 4,3 milliards d’euros contre 2,7 milliards d’euros pour la culture et la recherche

culturelle. 734 millions sont consacrés à la création (qui intègre l’art contemporain), et 1.1

milliard d’euros mis à disposition pour la transmission des savoirs et la démocratisation de la

culture.

Budget de la culture en 2015

14

14 Source Ministère de la Culture et de la Communication – 2015

Page 16: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

16

Le poids des investissements des entreprises en matière de mécénat.

Du coté des entreprises, nous constatons que le mécénat est présent dans la plupart des

grands groupes français sous différentes formes. Selon une étude réalisée par Admical,

(association créée en 1979 qui développe le mécénat des entreprises et des entrepreneurs)

publiée en janvier 2014, les groupes du CAC40 ont consacré chacun en moyenne 19,2

millions d’euros en 2012 à des actions de mécénat et leur budget annuel représente en

moyenne 0,06% de leur chiffre d’affaires. 59% investissent dans la culture et le patrimoine,

contre 76% dans l’éducation, 62% dans la santé et 38% dans le sport.

Grandes entreprises mécènes en 2015 en France

15

Une entreprise peut financer des projets selon le domaine d’utilité général auquel elle

souhaite se consacrer (art, santé, sport), mais elle peut également s’investir dans ce type de

projets par l’intermédiaire d’une structure dédiée, portant son nom : association, fonds de

dotation ou fondation d’entreprise.

À titre d’exemple, la fondation BNP Paribas, qui fête ses 30 ans cette année, avait un

budget de mécénat de 7 millions d’euros en 2014 dont 1,5 uniquement consacré à la culture

(spectacle vivant, musique, musées et objets d’art).

15 Grandes entreprises mécènes, source Admical 2015

Page 17: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

17

LVMH, sous la présidence de Bernard Arnault, a donné naissance à la Fondation Louis

Vuitton, dédiée à la création artistique contemporaine, dont le bâtiment a été inauguré en

octobre 2014 à Paris. Pour finir, Gucci, la marque phare du groupe Kering, possède quant à

elle son propre musée à Florence et a récemment financé pour 340.000 euros la

restauration d’une dizaine de tapisseries du XVIème siècle.

Répartition des mécènes en fonction de la taille de leur entreprise

16

Répartition des différentes spécialités par catégorie de mécène

17

Alors que 59% des entreprises mécènes soutiennent la culture (source Admical 2014), ce

sont les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises (GE) qui arrivent

16 Source ADMICAL CSA 2014 17 Source ADMICAL CSA 2014

Page 18: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

18

en première position en matière de mécénat, avec 69%, contre 19% pour les PME et 16%

pour les TPE. 24% des mécènes se consacrent aux musées et aux expositions, et 41% de

leur budget est utilisé à cet effet. Comment expliquer l’attrait des grandes entreprises pour le

mécénat ? L’économiste et financier belge Thibaut André 18remarque que les civilisations et

les sociétés qui ont pu développer les arts et la culture sont celles qui ont accordé une place

prépondérante au commerce et à son libre exercice dans un environnement juridico-fiscal

relativement équilibré. De ce fait, l’accumulation de capital augmentant les standards de vie,

les individus, une fois délivrés des contraintes liées aux besoins essentiels de l’existence,

peuvent s’adonner à des activités non-économiques.

Il rajoute : 19« Les arts et la culture, quand on a accumulé de l’épargne, et même un surplus,

ça ne se finance pas via l’endettement public mais sur fonds propres et privés. » Hors

l’étude ci-dessus, publiée en 2014 par Admical, démontre en effet que plus l’entreprise est

importante, plus les budgets consacrés au mécénat peuvent se développer et perdurer.

Point sur le mécénat, sa fiscalité et ses avantages pour les entreprises

La loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux

fondations, dite « Loi Aillagon », a institué un dispositif fiscal pour développer en

France le mécénat des entreprises et des particuliers dont les caractéristiques

(dispositif de droit commun) sont les suivantes :

-­‐ en faveur des entreprises (Art. 238 bis, CGI) : réduction d’impôt sur les

bénéfices égale à 60% du montant du don (en numérique ou en nature) à un

organisme ou une œuvre d’intérêt général dans la limite des versements annuels de

0,5% du chiffre d’affaires de l’entreprise. En cas d’excédent de versement,

l’entreprise dispose de cinq exercices pour utiliser sa réduction d’impôt.

-­‐ en faveur des particuliers (Art. 200, CGI) : réduction d’impôt sur le revenu au

taux de 20% du revenu imposable du donateur, avec report possible sur cinq ans en

cas d’excédent de versement

Les musées et leur financement aujourd’hui

Depuis 2003, le milieu culturel français a connu un bouleversement. La loi Aillagon sur le

mécénat du 1er août 2003 permet (comme nous le montre ce récapitulatif ci-dessus), aux

18 Thibaut André, blog personnel CONTRARIO, billet : Pourquoi l’état n’a pas à se mêler de la culture, un bref argumentaire, mis en ligne le 29 mai 2013 19 Thibaut André, blog personnel CONTRARIO, billet : Pourquoi l’état n’a pas à se mêler de la culture, un bref argumentaire, mis en ligne le 29 mai 2013

Mécénat : soutien matériel apporté, san

Page 19: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

19

particuliers de devenir mécènes au même titre que les entreprises et avec des avantages

comparables.

Internet, l’essor des réseaux sociaux et la facilité d’accès à une multitude de dispositifs

numériques qui peuplent notre quotidien (tablettes, smartphone, réalité augmentée, visite

virtuelle, visioguide) permettent une expérience de plus en plus personnalisée et enrichie en

termes d’appréciation et de découverte de notre environnement. De fait, la technologie a

aussi sa part à jouer dans la métamorphose de l’expérience culturelle mais également dans

la quête de nouveaux mécènes. Du coté des grands musées français, (nous prendrons le

cas du Musée d’Orsay, et du Centre Pompidou), cette quête, se développe autour de la

mise en relation entre les organisations culturelles, porteuses de projets et les citoyens. Le

fait de chercher à toucher directement les particuliers, est le signe d’une nouvelle

citoyenneté culturelle. Les nombreuses campagnes de mécénat participatif que les plus

grandes institutions culturelles françaises n’hésitent pas à utiliser, le démontrent. C’est

notamment le cas du musée du Louvre, qui, dans le cadre de sa campagne Tous mécènes !

a pu acquérir un joyaux du mobilier français XVIIIème : La Table de Teschen, que nous

détaillerons dans une partie suivante. Cette campagne a permis à des mécènes privés mais

aussi à des entreprises de participer à cette acquisition. Grâce aux réseaux sociaux, et les

sites internet des musées, il est devenu plus aisé pour ces institutions de présenter un projet

de mécénat via des contenus mobilisateurs et de faire appel au plus grands nombre :

mécènes privés, entreprise, mais également de s’ouvrir à l’international.

Le cas du Musée d’Orsay

Depuis 2013, le Musée d’Orsay prépare une campagne territoriale et internationale pour

procéder à la restauration de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet. Le musée a bénéficié

d’un soutien provenant de différents donateurs : 20l’Art Conservation Project de Bank of

America Mellrill Lynch, et des « American friends of Musée d’Orsay ».

En parallèle, le musée a lancé en octobre sa première campagne participative pour

compléter le financement de cette restauration (600.000 euros devaient être récoltés) afin

d’offrir la possibilité à tous, de participer à ce projet. Le musée s’est également appuyé sur

un réseau d’ambassadeurs pour finaliser le projet. Plus de 211335 donateurs ont donné

155.374 euros en 80 jours d’appel aux dons.

20 Tiré du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014. 21 Chiffres tirés du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014.

Page 20: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

20

Ressources propres et financement de l’Etat, dans le cas du Musée d’Orsay de 2004 à

2014.22 (la courbe verte représentant l’Etat).

Nous constatons une baisse de l’apport financier de l’état en faveur du Musée d’Orsay à

partir de 2011 avec un léger rebond en 2014.

Alors qu’en 2014 les subventions de l’Etat s’élèvent à 27 millions d’euros, les ressources

propres du musée atteignent environ 37 millions d’euros.

Le dépassement des subventions de l’Etat au profit des ressources propres s’est amorcé au

cours de l’année 2011 et cette courbe n’a pas été inversée depuis.

Bien que l’Etat soit toujours présent dans le paysage financier d’Orsay, (à hauteur de 26

millions d’euros environ pour 2013 et 29 millions environ en 2014) on observe que le musée

à principalement fait appel à des mécènes particuliers ou des entreprises pour financer ses

principaux grands projets.

22 Tiré du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014.

Page 21: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

21

Dans le cas du Centre Pompidou

Pour le Centre Pompidou, nous nous concentrerons principalement sur les chiffres et les

recettes pour l’année passée. Les détails sur la programmation, les mécènes et les

expositions seront développés dans plusieurs parties suivantes.

Les subventions du ministère de la Culture et de la Communication ont diminué depuis 2007

pour le Centre Pompidou. Elles s’élevaient à 75.881.930 millions d’euros en 2007, le point

culminant étant en 2009 avec un total de subvention accordées par l’État d’un montant de

78.503.611 Millions d’euros. En 2014 elles étaient passées à 66.237.406 millions d’euros. 23

Lors de notre récente interview, Benoît Parayre directeur de la communication et du

mécénat au Centre Pompidou nous a confirmé ce désengagement de l’État. Il indique que

les subventions de l’État s’élèvent à 10% du budget total du centre (ce chiffre étant calculé

sur 6 ans). Dans cet autofinancement, il faut compter les recettes propres qui sont

apportées en grande partie par la billetterie.

Pour les organisations, le fait de pouvoir s’ouvrir directement aux publics et aux particuliers

augmente le nombre de mécènes potentiels. Ces différentes sources de financement,

qu’elles proviennent d’entreprises ou de particuliers, permettent d’explorer une nouvelle

relation entre l’institution et le public.

Le mécénat des particuliers ne remplace pas celui des entreprises. Il peut le compléter en

apportant un soutien populaire et citoyen aux cotés des acteurs de la culture.

Finalement, comme le témoignent les chiffres ci-dessus, face à la restriction des budgets

accordés par l’État aux institutions culturelles française, c’est le renouveau d’un mécénat

ancien qui est à présent en train d’éclore. Celui des particuliers, mais aussi celui des

entreprises.

N’est-ce pas là un moyen de rendre à l’art ses lettres de noblesses en donnant la possibilité,

à qui le souhaite, citoyens, entreprises, françaises ou internationales, d’apprécier ces

créations en y étant associés. De plus, l’initiative de s’ouvrir à des campagnes de mécénat

participatif, ou de faire appel à des entreprises confronte et responsabilise la société aux

problèmes bien réels que rencontre l’art aujourd’hui au sein des institutions qui conservent

ces créations. Des restrictions financière, qui se répercutent également sur la médiation et

l’accès à l’art pour les publics. Les campagnes de mécénat participatif semblent être une

solution car elles permettent aux musées comme aux citoyens de s’associer autour d’un

projet commun.

La recrudescence d’un modèle ancien de mécénat, confirme une baisse des subventions de

l’État en faveur de la culture, mais d’un autre coté offre des solutions pour décloisonner les

23 Chiffres provenant du rapport d’activité du Centre Pompidou, édition 2014.

Page 22: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

22

liens entre les citoyens, le monde de la culture et celui des entreprises. De plus, ces actions

vont dans le sens d’une forme de démocratisation culturelle.

I.1.3 Le lien entre l’avènement de l’art dans les entreprises et la théorie des parties

prenantes de Freeman est avéré.

« Face aux œuvres d’art, les hiérarchies professionnelles font davantage place à des dialogues transversaux »

José Frèches, ancien conservateur du musée Guimet, Paris.24

Ed Freeman, philosophe et universitaire américain, né en 1951, part du principe que

l’entreprise ne devrait pas uniquement être attentive à ses actionnaires mais bien à

l’ensemble des catégories d’acteurs avec lesquels elle est en relation. Il en déduit une

théorie : la théorie des parties prenantes. Représentant l’une des pierres angulaires de la

RSE (responsabilité sociale des entreprises) elle s’est progressivement affirmée comme un

courant théorique d’importance pour appréhender l’entreprise et son organisation.

La RSE a commencé à se développer à la fin du XIXème aux États-Unis, poussée par la

présence accrue de la religion au sein des entreprises et plus précisément chez les

dirigeants qui encouragent les actions philanthropiques au travers de fondations (par

exemple Rockfeller, Carnegie, Ford…).

De plus, une forte méfiance envers l’État pousse les entrepreneurs anglo-saxons à agir par

eux-mêmes et trouver des moyens pour assurer le développement de leur entreprise.

24 Article L’art au service de la culture d’entreprise, Eric Delon, Les Echos, 10/01/2006

Page 23: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

23

De l’importance des stakeholders et de l’imagination

25

Ed Freeman s’inscrit dans cette logique protestante de méfiance envers l’État. La vision de

Freeman est d’abord de mettre en avant le but premier d’une entreprise, sa raison d’exister,

avant même les enjeux d’actionnaires, d’argent et de profit. Ses travaux s’inscrivent dans le

champ d’une philosophie morale, et plus précisément de l’éthique des affaires.

Contrairement aux idéologies dominantes de ces années, portées par des personnalités

comme l’économiste américain, Milton Friedman qui consistent à penser que le but de

l’entreprise est d’amasser du profit pour ensuite le redistribuer aux actionnaires, Freeman

tente de démontrer le contraire, en plaçant le profit comme une conséquence de l’activité de

l’entreprise, et non sa cause première. Freeman démontre que le but de l’entreprise est de

répondre aux besoins de toutes les parties prenantes, ce qui permettra de réaliser ensuite le

profit.

Ce que la théorie de Freeman apporte en résumé :

Freeman affirme que les parties prenantes sont des personnes réelles. L’entreprise doit

accepter de négocier avec elles (et pour cela identifier des interlocuteurs pertinents,

représentant les différents enjeux des parties prenantes).

L’entreprise doit accepter de questionner ses points de vue pour tenir compte des besoins

des parties prenantes. Bien sûr, elle ne renoncera pas à tous ses principes, mais au moins,

sera posée la question de leur pertinence.

25 Tiré de l’article, De l’importance des stakeholders et de l’imagination, dynamiquemag.com, Coralie Franiatte, 11/06/13

Page 24: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

24

Freeman pense qu’un accord est toujours possible ; en cas d’intérêts contraires entre

parties prenantes, l’entreprise ne doit pas choisir l’une plutôt que l’autre mais rechercher un

compromis, une troisième voie, qui permettrait de satisfaire les deux intérêts.

Freeman soutient ainsi que la RSE est porteuse d’innovation car elle permet d’imaginer de

nouvelles façons de faire.

Lorsqu’une entreprise est au centre d’un contexte économique précaire, marqué par

l’incertitude financière, le fait de reconnaître les liens d’interdépendance entre l’entreprise et

ses parties prenantes constitue un atout pour créer de la valeur, et joue un rôle déterminant

dans le succès à long terme d’une entreprise. La théorie des parties prenantes a aussi le

mérite d’apporter le cadre de réflexion au concept de responsabilité sociale de l’entreprise.

Par une prise en compte globale des besoins et des actions des différentes parties

prenantes, cette théorie permet d’identifier et d’organiser les multiples obligations de

l’entreprise envers les différents groupes qui y contribuent.

Devant cette notion que l’on pourrait qualifier de ‘bien vivre ensemble’, l’entreprise se doit

d’instaurer un dialogue régulier avec ses salariés et le reste des actionnaires de l’entreprise.

Hors selon une récente étude, 26avant même la question de la rémunération, les premières

motivations du salarié sont l’épanouissement professionnel et la qualité de vie au travail. Le

dernier reporting RSE, qui a porté sur le bien-être en entreprise (au même titre que les

risques psychosociaux), va dans ce sens.

Pour répondre à ces besoins, les entreprises perçoivent la nécessité d’investir dans des

solutions telles que les conciergeries, les crèches, les salles de sport mais également dans

des propositions culturelles et pédagogiques vouées à l’enrichissement intellectuel des

salariés.

Selon le magazine INfluencia : 1 euro investi pour le bien-être des salariés rapporte 2,20

euros à l’entreprise, soit plus du double ! (étude ISSA Braunig & Kohstall 2011).

L’apport des œuvres au sein même d’une entreprise semble bien convenir à ces challenges

quotidiens de l’entreprise contemporaine pour à la fois se positionner face à ses concurrents

et offrir à ses employés un cadre de travail plus humain et plus agréable, au sein d’un

environnement créatif. Grâce aux démarches culturelles, les entreprises peuvent mettre en

scène leur histoire, construire leur imaginaire et quitter le cadre purement consumériste.

L’art a le pouvoir de faire sortir l’entreprise hors de ses murs et contraindre ses

collaborateurs à réfléchir en dehors des cadres traditionnels : « les œuvres ont renforcé la

culture d’entreprise, car chacun s’est senti impliqué dans un projet qui dépassait l’aspect

26 Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13

Page 25: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

25

strictement professionnel de l’activité première de l’entreprise. Au sein de l’entreprise l’art

agit comme un déclencheur. » (Jean-François Darrousez PDG Aequitas, Lille) 27

Selon une étude de 2013, réalisée par le magazine INfluencia28, l’art rassemble les publics.

Il peut donner du sens à l’entreprise, doper les leviers de croissance, nourrir la marque

employeur, peut générer de l’innovation produit, et offrir une communication différenciante.

Du côté des artistes et des professionnels de l’art qui se rapprochent du milieu des

entreprises, c’est également une opportunité de bénéficier de nouveaux canaux de diffusion

et d’ouverture sur des publics différents.

Pascale Cayla, fondatrice de l’agence d’art contemporain l’Art en direct, fondée en 1992,

dans le cadre d’une demande croissante des entreprises en matière d’art, le confirme : « Il

nous est apparu clairement que le monde de l’entreprise avait un rôle essentiel à jouer dans

la valorisation de la création auprès d’un nouveau public. Nous étions déjà convaincues que

l’art pouvait être développeur de croissance pour l’entreprise elle-même. Et nous n’avons eu

de cesse de le prouver depuis ». L’agence a développé des projets artistiques, dans le

cadre du management par l’art, d’organisation d’événements autour de l’art comme des

expositions ou des happenings avec des entreprises telles que : Société Générale, Dior, la

Société Foncière Lyonnaise, Orange, Chevrolet, Bernardaud, La Fondation Colas, La Poste,

etc.

27 Article L’art au service de la culture d’entreprise, Eric Delon, Les Echos, 10/01/2006 28 Article Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13

Page 26: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

26

29

Les liens entre la théorie des parties prenantes et les raisons pour lesquelles les entreprises

font appel à l’art sont évidents. Les deux vont dans le sens d’un mieux vivre ensemble,

d’une amélioration de la qualité de vie au travail, d’une manière d’échanger, de

communiquer et de se positionner à travers un projet innovant. Les œuvres sont un levier de

communication qui permet de rassembler les salariés autour d’un projet commun à

l’ensemble de l’entreprise.

À travers le prisme de l’art, la société agit sur son image, s’ouvre à des publics différents par

le biais de nouveaux canaux de diffusion.

29 Interview de Pascale Cayla, fondatrice de l’agence de communication culturelle l’Art en direct, dans La Tribune n°62, par Valérie Abrial, octobre 2013.

Page 27: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

27

Les liens entre l’art en entreprise et la théorie des parties prenantes

*Mise en valeur des liens et des leviers de création de valeur entre la théorie des parties prenantes et l’avènement de l’art en entreprise.

Il n’est pas prouvé que la théorie des parties prenantes, mise au goût du jour par Edward

Freeman en 1984, coïncide avec la naissance des collections d’entreprises.

L’entreprise, au centre d’une démarche de mise en valeur de son capital humain, a dû

réorganiser sa stratégie, et aller dans le sens d’un management intelligent.

L’idée de l’instauration d’une collection d’entreprise, ou d’expositions ponctuelles au sein de

la société, reprend les fondements de mieux vivre - ensemble, de cohésion, et de

développement durable de la théorie de Freeman.

Page 28: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

28

I.2 Le mécénat culturel est un socle pour le développement durable des entreprises.

« La hiérarchie des domaines de mécénat évolue et témoigne d’un véritable souci des préoccupations sociales et sociétales actuelles, ainsi que d’une attention toute particulière apportée aux jeunes et aux nouvelles

générations. »30 Henri Loyrette, président d’Admical

31Mécénat : soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général.

32 Répartition des acteurs de mécénat d’entreprise en 2014.

30 Tiré directement du site d’ADMICAL, dans le cadre des graphiques répartissant les acteurs du mécénat d’entreprise en 2014. 31 Définition tirée du site Mécénova. 32 Enquête : « Que retenir des dix ans du dispositif mécénat ». Etude réalisée par Fidal en 2013

Page 29: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

29

Enquète : Que pensez-vous du mécénat pour une entreprise ?

33

Le mécénat n’est désormais plus cantonné à l’art. Il existe aussi présent sous bien d’autres

formes, qui n’ont parfois plus rien à voir avec les notions de prestige et de rêve, mais qui

sont plutôt synonymes de partage, d’entraide et de solidarité. Les secteurs de la solidarité,

de l’enseignement et de l’écologie sont de plus en plus au cœur des préoccupations. Alors

que les entreprises préfèrent investir sur des sujets sociaux, d’autres privilégient la culture,

d’autres encore investissent dans plusieurs domaines à la fois.

1.2.1 L’implication du mécénat d’entreprise dans des causes d’intérêt social.

La maison Guerlain

Fondée en 1828 par Pierre-François-Pascal Guerlain, la devise de la maison Guerlain était

la suivante : « La gloire est éphémère, seule la renommée dure ». Pendant plus de 150 ans,

elle est restée propriété de la famille Guerlain. À la suite de son rachat en 1994, Guerlain est

désormais une marque de la branche parfums et cosmétiques du groupe LVMH. Magnat

des produits de beauté, symbolisant quelque peu une certaine forme de superficialité, le

groupe LVMH cherche à intellectualiser son image en investissant dans l’écologie. En effet,

leur slogan « Au nom de la beauté, l’engagement durable Guerlain » s’inscrit directement

dans une volonté de s’orienter vers le développement durable.

33 Enquête : « Que retenir des dix ans du dispositif mécénat ». Etude réalisée par Fidal en 2013

Page 30: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

30

Chaque produit a un impact écologique, de la création à l’emballage. Guerlain s’attache à

mettre en avant l’utilisation de matières naturelles dans leurs cosmétiques et maquillages.

Pour ce qui est de la diffusion et plus précisément la publicité, ils sont très attachés à la

deuxième vie des supports.

Ainsi, lors de leur dernière campagne « La petite robe noire », chaque bâche et affiche

publicitaire a été transformée en sacs, pochettes et carnets collectors qui ont été façonnés

par une entreprise employant des personnes en situation de handicap. L’utilisation de

l’abeille comme symbole de cette nouvelle ligne directrice renforce cet argumentaire et

véhicule une image forte. Le rapprochement avec la nature induit une maison concernée et

impliquée dans des valeurs autres que l’insouciance. La beauté et le luxe de cette maison

sont désormais associés à la préservation de la planète. Dans la continuité de cet

engagement social, la devise d’autrefois semble être encore d’actualité : « La gloire est

éphémère, seule la renommée dure ».

Page 31: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

31

Héritiers des célèbres parfumeurs, Florence et Daniel Guerlain sont connus en France pour

leur passion et collection de dessins contemporains. La fondation a été créée en 1996 pour

favoriser la rencontre entre les artistes et le public aussi largement que possible. Depuis

2004, son unique activité est l’attribution d’un Prix de dessin contemporain.

Ce Prix s’adresse à des artistes français et étrangers habitant ou non en France mais ayant

au moins, un lien culturel avec la France. Une commission sélectionne les artistes proposés

à un jury international de collectionneurs privés. La remise de ce Prix se fait au Salon du

Dessin à Paris, chaque année, entre le mois de mars et le mois d’avril et offre au lauréat

une dotation de 15.000 euros. De plus, une œuvre du lauréat est offerte chaque année au

cabinet d’art graphique du Centre Pompidou.

Le mécénat qui associe la culture et l’écologie, apparaît comme un levier stratégique

essentiel pour la communication des entreprises au XXIème siècle.

La maison Guerlain a su se renouveler au fil des époques et trouver les relais d’influence

afin de perdurer sur la scène autant économique que sociale.

1.2.2 Le mécénat représente une fenêtre vers l’avenir pour les entreprises.

Dans une époque de démotivation et de perte de repères, chez les salariés une action

concrète de mécénat peut redonner du sens au travail de chaque collaborateur et ouvre de

nouvelles opportunités pour l’entreprise. Selon Benoit Parayre, directeur de la

communication et des partenariats au Centre Pompidou à Paris, « Le mécénat va toujours

dans le sens d’une évolution pour l’entreprise ». De par son action à la fois en interne et en

externe, il renforce la fierté d’appartenance des salariés, il représente un bénéfice d’image

pour l’entreprise, et de confiance aussi bien en interne qu’en externe. Il offre à l’entreprise la

possibilité de redorer comme nous l’avons vu précédemment un blason terni par un secteur

d’activité ou des événements impopulaires. Enfin le mécénat donne la possibilité à

l’entreprise d’élargir ses compétences et de dépasser les limites que lui assigne sa tâche

spécifique habituelle.

Le cas de Total

Pour Total, première entreprise française et deuxième capitalisation boursière de toute la

zone euro, ne convient-il pas seulement d’améliorer auprès du grand public l’image d’une

multinationale aux bénéfices record et aux effets nocifs pour l’environnement ? La crédibilité

de ses engagements en faveur des causes sociales sera renforcée par la création de sa

Fondation d’entreprise, en 1992. Dans tous ses champs d’activité, la Fondation Total

privilégie les partenariats de long terme. Il s’agit, au-delà du soutien financier, de croiser les

expertises et de les renforcer pour enrichir l’intelligence collective. La Fondation Total, est

partenaire de grandes institutions culturelles françaises (Musée du Louvre, Musée du quai

Page 32: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

32

Branly, Institut du Monde Arabe, le Centre Pompidou), dont elle accompagne régulièrement

les expositions, avec la volonté de contribuer au dialogue des cultures. Elle œuvre par

ailleurs pour développer des passerelles entre culture et solidarité et faire venir aux musées

des publics en situation de précarité sociale et économique. Au-delà de ses partenariats

culturels, la Fondation Total intervient dans trois autres grands domaines d’action : la

solidarité, la santé et la biodiversité marine. C’est ainsi que, pour faire reconnaître le

patrimoine français sur tout le territoire, ses actions en faveur des musées comprennent la

restauration de la galerie d’Apollon au Musée du Louvre, l’ouverture du département des

arts de l’Islam au sein du même musée et le mécénat de l’exposition Monumenta, en mai et

juin 2014, au Grand Palais, consacrée aux artistes Ilya et Emilia Kabakov. La Fondation

Total a contribué à la découverte de ces deux créateurs, dont les travaux très engagés

représentent différentes visions de la ville du monde du progrès et de la science. Elles

éclairent le public sur leur devenir, un pas de plus vers l’avenir pour Total qui souhaite se

tourner vers la jeunesse et soutient par le biais de sa fondation des opérations d’accueil de

publics dits éloignés de la culture, se mobilise pour l’insertion professionnelle des jeunes et

l’accès à l’éducation artistique et culturelle. C’est le cas du colloque « Apprendre par l’art, un

art d’apprendre » organisé en octobre 2014. Réunissant plusieurs personnalités du monde

de la culture, ce colloque tend à éclairer les multiples enjeux de l’Éducation Artistique et

Culturelle. Par ces actions, Total se positionne comme étant un mécène d’importance,

concerné et engagé par le devenir des domaines qui lui sont chers.

Ces exemples d’actions qui répondent aux aléas médiatiques de l’actualité, et prenant part

au quotidien des musées, Total et sa Fondation s’inscrivent, à leur manière, dans l’histoire

d’un lieu emblématique de la culture française, dont la renommée à la fois grandissante et

immortelle assure à l’entreprise Total une visibilité pérenne.

Le cas du Centre Pompidou et du projet Art Car

Le mécénat entre le Centre Pompidou et la société BMW, en 2010, pour la présentation de

la Art Car, décorée par l’artiste Jeff Koons, illustre l’idée d’un partenariat construit sur le long

terme, abordant des sujets à la fois porteurs et d’actualité. La voiture présentée, une BMW,

M3 GT2, s’était affichée à la fois dans le cadre de l’exposition au Centre Pompidou, puis dix

jours plus tard au départ des 24 heures du Mans. Elle a ensuite débuté un tour du monde,

au Royaume-Uni, à Séoul, en passant par Miami. Une opportunité pour la marque BMW et

pour le musée de s’enrichir mutuellement des particularités d’image, de visibilité et de

communication de leur domaine de spécialité respectifs. Pour la marque, cette association a

pu illustrer à la fois son audace et son engagement en faveur de causes artistiques de très

grande envergure, mobilisant des artistes de renommée internationale. Le Centre

Pompidou, quant à lui, a pu bénéficier de l’attractivité de la marque BMW, mais aussi de

tous les efforts de communication engagés par la firme, pour diffuser ses actions, accroître

la visibilité de l’événement et le taux de fréquentation. Benoît Parayre y voit une opportunité

de s’étendre à d’autres domaines très porteurs comme les courses automobile. Il précise

Page 33: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

33

que : « dans une si grande institution, qui ne se cache pas d’avoir perdu six millions d’euros

en six ans, l’importance de ces mécénats croisés comme celui de notre musée et de BMW,

est bien réelle et sécurise l’avenir de notre musée et de nos programmations ».

En s’engageant depuis 2010 avec la marque BMW dans le cadre du projet Art Car, le

Centre Pompidou poursuit son cheminement dans une dynamique d’engagement et

d’accompagnement à long-terme de ses mécènes. De plus, la grande visibilité et notoriété

que génère ce type de projets façonne l’image des entreprises, ancre un peu plus leurs

actions dans l’histoire de leurs organisations. Fort de son succès, le véhicule était à

nouveau visible au Centre Pompidou du 4 février au 16 mars 2015, dans le cadre de la

rétrospective dédiée à l’artiste Jeff Koons.

Au travers d’un musée aussi fréquenté que le Centre Pompidou (3,45 millions de visiteurs

en 2014), BMW assure sa notoriété et sa visibilité en tant qu’acteur culturel tandis que le

musée profite de l’aura de la société automobile allemande.

En s’ouvrant à d’autres domaines de spécialité la marque et le musée s’inscrivent en

s’associant, dans une dynamique innovante de diversification de leurs publics, clients et

stratégies de communication. Par ces actions de mécénat, BMW accompagne le

développement d’un des lieux incontournables de la culture parisienne, mondialement

connu. Malgré la force financière du groupe BMW ou de Total, s’investir dans la culture et

aider à son développement et son rayonnement, semble apparaître pour chaque

entreprise comme un gage de rassurance et de pérennité.

34

34 Présentation en première mondiale de l'Art Car de Jeff Koons au Centre Pompidou à Paris, 2 juin 2010

Page 34: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

34

Aussi bien pour BNP que pour Guerlain, ou Total, les raisons qui poussent les entreprises

à s’investir dans des causes d’intérêts sociales sont stratégiques de différentes manières,

de plus il y a aussi des points communs qui se retrouvent dans chacune de ces

entreprises : de gros moyens financiers, et une notoriété construite au fil de temps. Nous

remarquons également que la nature de l’activité de ces organisations a tendance à

justifier certaines associations dans le domaine social.

En effet, Total, BMW, Guerlain, BNP, comme nous l’avons vu plus haut, symbolisent à la

fois le monde de la beauté qui peut aussi être perçu comme étant futile. Le monde du

pétrole, de la finance ou de la gestion, quant à lui peut générer des perceptions négatives

quant à la nature de son activité dans l’imaginaire collectif. Mais, de part ces différents

partenariats et mécénat, ces entreprises ont réussi à utiliser leur richesse et leur notoriété

à bon escient pour sortir de leur domaine de spécialité par des actions en faveur du

développement durable et de la culture. De part leur fidélité à ces institutions culturelles

depuis de nombreuses années, ces entreprises mécènes, qui favorisent le développement

des musées et de leurs collections, brouillent les frontières qui se trouvent entre l’art et le

développement durable à proprement parler. Bien que le développement durable mette en

exergue la notion de besoins, le cas de Total par exemple de part son implication au profit

de l’apprentissage par l’art, la solidarité ou la santé, renforce l’idée d’un décloisonnement

entre la culture et le développement durable.

Selon une étude réalisée en 2013 par le site Sequovia pour le développement durable en

entreprise confirme qu’il est à la fois un facteur de cohésion, d’innovation, de motivation,

un levier de recrutement, de confiance et de conquête des nouveaux marchés, pour

l’entreprise. Il précise aussi que le développement durable anticipe les risques tout en

renvoyant une image positive de l’entreprise. A ce titre, le Ministère de la Culture et de la

Communication a organisé un colloque en novembre 2012, dans lequel des artistes, des

philosophes et des scientifiques sont venus témoigner du rôle de la culture dans la

transition écologique. Du « Land art » aux films documentaires, ou des éco-festivals, cet

intérêt pour l’écologie et la sauvegarde de la planète dont témoignent les artistes, est une

preuve de plus que l’art reste un médiateur « caméléon » capable de se transformer en

une véritable plateforme de dialogue. Plus précisément, de témoigner de la fragilité de la

planète et de permettrent aux entreprises de se responsabiliser et de se positionner face à

ce phénomène.

Page 35: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

35

1.2.3 Pour l’entreprise, le mécénat est un des aspects d’un mode de management

intelligent.

« La culture, la solidarité, l’environnement sont, au-delà des obligations légales, au cœur de la relation entre l’entreprise et la société. Nous défendons l’idée d’une « performance globale. »

Thomas Chaudron et Didier Livio

Toute entreprise doit travailler à sa pérennité et à la valorisation de ses ressources,

tangibles et intangibles. L’intensification de la concurrence et la mondialisation ont durci le

jeu économique.

Dans un climat économique morose, comme l’explique Jean-François Grunfeld de l’agence

de communication Museum Expert (interviewé par mes soins en avril 2014): « Les

entreprises doivent se réinventer de manière intelligente, Le mécénat et les nouvelles

formes de financement participatif semblent être une bonne solution pour avancer. »

La loi sur les musées du 4 janvier 2002 (complétée par la loi du 1er août 2003 relative au

mécénat, aux associations et fondations) a autorisé de nouvelles pratiques mécènes.

Le musée du Louvre en bénéficie comme l’illustre le cas suivant.

Le cas du Musée du Louvre.

César Chemineau, chargé de communication au Musée du Louvre, interviewé en avril

dernier 2015, évoque des actions de mécénat comme étant un outil à la fois intelligent et

vital pour le développement des collections et le management global du musée. Dans la

continuité de cette démarche, le musée propose depuis 2010 des campagnes publiques

d’appels aux dons, et offre la possibilité à quiconque de participer à l’acquisition d’œuvres

d’art de qualité muséale. Ces campagnes, « Tous mécènes ! » bénéficient de la visibilité et

de la communication étendue des réseaux sociaux, par le biais des pages Facebook,

Instagram, et directement sur le site du musée. L’importance des réseaux sociaux agit à la

fois comme levier de communication et comme moyen de rassembler le plus grand nombre

de personnes autour d’un projet. Le cas d’un mécénat participatif s’inscrit dans cette

démarche à la fois stratégique et publique.

Lancée le 7 octobre 2014, la dernière campagne d’appel aux dons avait pour but de réunir

la somme d’un million d’euros sur un budget total de 12,5 millions nécessaires à l’acquisition

de la Table de Teschen, joyau du mobilier du XVIIIème. La Table, dite aussi Table de

Breteuil, offerte en 1780 au diplomate Louis Charles Auguste Le Tonnelier, baron de

Breteuil, est un chef-d’œuvre incontesté de Johann Christian Neuber, grand orfèvre et

minéralogiste de l’époque. Dès la fin janvier 2015, 700.000 euros ont été réunis grâce à la

contribution de plus de 4 500 donateurs individuels et 350.000 euros grâce au soutien de la

Société des Amis du Louvre. Une opportunité pour le musée d’enrichir ses collections, et de

renforcer les liens avec ses publics. Pour aller plus loin, c’est la force des communautés qui

Page 36: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

36

deviennent actrices de l’économie et de la société. Le principe du financement participatif,

où ‘les petits ruisseaux font de grandes rivières’, semble être de mise dans les institutions

culturelles. De nouveaux mécènes qui, avec quelques euros, se mêlent au destin d’un

musée de renommée mondiale.

De plus, Robert Fohr, Chef de mission du Mécénat au Ministère de la culture et de la

communication, (interviewé en septembre 2014), précise « Nous assistons à une évolution

très frappante des mécènes, qui utilisent leur contreparties (visibilité, mise à disposition

d’espaces, etc.) non pas pour faire des relations publiques mais pour faire encore plus de

mécénat et ça c’est formidable ! »

Le cas du Centre Pompidou et de sa communication croisée avec le PMU

35Mécénat croisé : Soutien de projets combinant au moins deux champs d'intervention. Exemple de mécénat croisé : soutenir des projets d'éducation par la culture, d'insertion par le sport, de sensibilisation à l'environnement par la pratique artistique, etc. Les entreprises optent de plus en plus pour ce type de mécénat.

Selon Alain Seban, directeur du Centre Pompidou, établir une communication croisée entre

le mécène et le bénéficiaire permet un profit mutuel. En somme, chaque entité communique

pour l’autre, permettant à la fois d’accroître la notoriété, de mutualiser les coûts de

communication (création, édition, diffusion) puisqu’ils sont partagés par les marques

partenaires, d’accroître le nombre de visiteurs ou clients potentiels. Pour illustrer cet

exemple de communication et de mécénat croisés nous pouvons citer le cas du PMU, très

engagé en faveur de la création photographique contemporaine depuis six ans. Le PMU

donne carte blanche à des photographes pour porter leur regard sur l’univers des jeux et

des courses qui leur est, a priori, étranger. C’est ainsi qu’en 2015, le PMU devient partenaire

de la galerie de photographies du Centre Pompidou. Inaugurée en novembre 2014, la

Galerie est un nouvel espace permanent d’exposition dédié exclusivement à la

photographie. Cette discipline, déjà présente au sein du musée dans les collections

modernes et contemporaines, trouve une nouvelle visibilité. Elle permet la programmation

régulière de trois expositions par an, thématiques ou monographiques, déclinées selon

différents modules : historique, transversal ou contemporain. Étendue sur 200m2, en accès

libre, elle propose au public de nouvelles lectures d’un fonds riche de 40 000 épreuves et 60

000 négatifs. Bien plus qu’un simple partenariat, cette méthode de communication et de

mécénat croisés s’inscrit dans une perspective stratégique sur le long terme,

35 Définition tirée du site Mécénova

Page 37: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

37

particulièrement recherché par les bénéficiaires. Le mécénat étant devenu un vecteur

puissant de communication, les entreprises qui donnent privilégient de grosses structures

qui les rassurent quant aux retombées en termes de visibilité. À la fois stratégique et

avantageux, ce type de mécénat, de plus en plus recherché par les institutions culturelles,

est une solution salutaire face à une diminution significative du budget du mécénat, qui

depuis 2008, affiche une baisse de 63% (chiffre Admical 2014).

Les institutions culturelles françaises sont elles aussi impactées par la crise et doivent,

comme nous l’avons vu précédemment, trouver des solutions pour réinventer leur

programmation. Le mécénat croisé, tout comme le mécénat participatif, semble faire partie

d’un mode de management innovant et intelligent et offre aux entreprises des leviers

stratégiques inédits.

Le mécénat culturel voit ses crédits fondre, bien souvent, au bénéfice du secteur social.

Ainsi, plutôt que de financer une restauration ou une exposition, une entreprise mécène va

bien souvent désormais financer l’accessibilité des collections permanentes des musées, ou

de leurs expositions temporaires.

Les entreprises et les musées ont réussi un pari. Un pari fondé sur un constat réaliste et

visionnaire, qui matérialise l’éloquence de ce vieil adage : « l’union fait la force ».

I.3 Les fondations d’entreprises tournées vers l’art : un outil au service de la communication.

36

36 Définition d’une fondation, provenant du site droit-finances.net

La fondation est l'acte par lequel un ou plusieurs donateurs décident d'affecter des biens, des droits ou des ressources en vue d'accomplir une oeuvre d'intérêt général sans recherche de profits. L'objectif d'une fondation ne doit pas être de servir des intérêts privés. Par rapport à l'association, la fondation repose sur l'engagement financier de ses créateurs et ne comporte pas des membres mais des donateurs.

Page 38: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

38

37

Depuis 2004, le nombre de fondations dédiées aux arts et à la culture s'est accru de 74%.

Alors que 221 structures avaient été créées entre 1870 et 2004, elles sont 163 à avoir vu le

jour en une décennie. Parmi elles, 81 fondations d'entreprise sont apparues, témoignant non

seulement de l'utilité de ce statut créé en 1990 par le législateur, mais reflétant également

l'engagement nouveau des mécènes privés en France en faveur de l'intérêt général.

L’indépendance des fondations a longtemps été considérée comme un potentiel contre-

pouvoir : « L'État soutient la création des fondations, par le même biais qu'il favorise le

mécénat. Les mentalités ont beaucoup évolué sur ce sujet en un demi-siècle pour faire des

fondations un pilier de la philanthropie en France. Nous n'avons pas encore rattrapé notre

retard sur la création des fondations en Europe, mais la situation a considérablement évolué

depuis la loi Mécénat de 2003 », expose Robert Fohr, responsable de la cellule mécénat au

ministère de la Culture (interviewé en septembre 2014). Les différentes lois

d'assouplissement de cet outil (affaiblissement de la tutelle étatique dans sa représentation,

allégement des procédures administratives, nouveau modèle à capital consomptible)

témoignent de la volonté des pouvoirs publics de favoriser l'initiative privée.

Plus qu'un « pilier de la philanthropie », la fondation est devenue un véritable appui aux

politiques publiques. Hormis la Fondation Daniel et Florence Guerlain, fondée en 1996, et la

Fondation Cartier pour l’art contemporain, fondée en 1984, la plupart des fondations sont

37 Graphique tiré de l’étude Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, par la Fondation de France et L’Observatoire, 2014.

Page 39: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

39

nées au cours de ces dix dernières années. Comme nous le verrons tout au long de cette

partie, la fondation joue un rôle « d’agitateur d’idées ». À la fois active dans le domaine de la

recherche, exposant des artistes oubliés, abordant des périodes de l’histoire de l’art peu

connues, ou proposant une manière originale d’appréhender l’œuvre d’art, la fondation

représente un gage de stabilité à l’égard des besoins de la société privée comme des

politiques publiques.

Quelques chiffres clés sur l’évolution des fondations et fonds de dotation en France (2001-

2013)

38

I.3.1 Les fondations sont des leviers de communication et d’échange en elles-mêmes.

Chaque année, en France, six à sept fondations culturelles sont créées.

Ces fondations, imaginées pour soutenir la notoriété d’un artiste, pour promouvoir un site ou

renforcer la performance de l’entreprise dont elles émanent, sont motivées par le désir de

transmettre un patrimoine culturel d’intérêt général de manière pérenne. Créée en 1969, la

Fondation de France soutient des projets qui répondent aux besoins des personnes face

aux problèmes posés par l’évolution rapide de la société. Elle se consacre principalement au

développement de la connaissance, à l’environnement et vient en aide aux personnes

vulnérables. Elle se présente comme étant le trait d’union entre les donateurs, les mécènes

et les acteurs de terrain dans le cadre de la réalisation de projets philanthropiques.

38 Tirés de l’étude Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, par la Fondation de France et L’Observatoire, 2014.

Page 40: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

40

Les bénéfices des fondations pour les entreprises se font sentir également en interne

puisqu’une fondation génère aussi une fierté d’appartenance et une forte mobilisation des

salariés. Comme le confirme Dominique Lemaistre, directrice du mécénat à la fondation de

France, « les fondations sont souvent conçues comme un outil de communication interne. »

Au sein de la fondation SNCF par exemple, l’implication des cheminots est un enjeu

important. Ainsi, ils sont très fréquemment associés aux choix des actions mises en place

dans le cadre de la fondation. Chez BNP Paribas, les appels à projets sont également

largement tournés vers le personnel.

Le cas de la Fondation d’entreprise Hermès

« Nos gestes nous créent. »

Devise de la Fondation d’entreprise Hermès

Fondée il y a plus de 175 ans, la maison Hermès est riche d’une longue histoire, construite

par les cinq générations qui l’ont dirigée. Selon Pierre-Alexis Dumas, président d’Hermès, il

évoque sur son site : « une entreprise qui ne gagne que de l’argent est bien pauvre, si elle

ne sait pas s’enrichir parallèlement sur le plan humain et culturel ». C’est autour de cet

engagement que sera créée en 2008 une fondation d’entreprise en lien avec les valeurs

humaines que revendique la marque.

Guidée par les savoir-faire et par la recherche de nouveaux usages, la Fondation agit selon

deux axes complémentaires : savoir-faire et création, savoir-faire et transmission. Elle

développe ses propres programmes : expositions, résidences d’artistes, Prix Emile Hermès

pour le design, appels à projets pour la biodiversité…

Catherine Tsekenis, directrice de cette fondation, reconnaît que l'arrivée de Pierre-Alexis

Dumas (en 2005), a permis la création de la fondation d'entreprise Hermès qu'elle dirige et

qui existe depuis trois ans. À ses yeux, une fondation alimente forcément l'image d'une

entreprise, même si c'est moins indispensable quand sa réputation est déjà bien ancrée 39:

« Si nous mettons en place des projets intéressants, cela nourrit forcément l'aura de

l'entreprise ». D'ailleurs, la Fondation Hermès ne dépend pas du département

communication, elle existe de fait comme une entité à part entière et constitue en elle-même

une plateforme puissante de communication. Catherine Tsekenis 40soutient que la fondation

a pris le relais des opérations de mécénat qui existaient déjà chez Hermès dans le but de

les amplifier en les détachant des activités commerciales. En somme, une manière de

39 Tiré de l’article : Fondations d'entreprise : D'une pierre deux coups Grandeur d'âme et intérêts bien compris n'ont rien d'incompatibles, Le Nouvel économiste, Ariane Warlin, 11/05/2011. 40 Tiré de l’article : Fondations d'entreprise : D'une pierre deux coups Grandeur d'âme et intérêts bien compris n'ont rien d'incompatibles, Le Nouvel économiste, Ariane Warlin, 11/05/2011.

Page 41: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

41

compartimenter la communication et l’image de l’entreprise Hermès. En développant une

résidence d’artiste, la marque va encore plus loin dans ses convictions en faveur de la

culture. Instaurer un dialogue sur le long terme avec un artiste qui réalise in situ une création

permet de motiver la créativité. Pierre-Alexis Dumas témoigne : 41« Si je lance un

programme de résidences d’artistes dans nos manufactures, je ne suis plus dans l’activité

commerciale, mais bien dans une émulation culturelle entre des artisans et des jeunes

artistes dont la finalité est la recherche ». Selon lui, ces initiatives ont permis à la marque de

gagner dix ans en termes d’innovation et de savoir-faire. Pour Hermès, puissant acteur du

monde du luxe, la fondation d’entreprise est un moyen d’aller plus loin dans ses activités, en

procurant à la fois image, stabilité, et visibilité. Actrice sur plusieurs fronts, (culture, design,

biodiversité) sa fondation est un relais de communication et offre la possibilité à la marque

d’être présente sur différents pôles.

Le cas de la Fondation Cartier

« Rien ne me réjouit plus que de constater que nombreux sont ceux qui ont oublié que la Fondation Cartier pour l’art contemporain est une fondation d’entreprise. Pour eux, elle est tout simplement La Fondation, et ceci est

notre plus belle victoire ».

Alain Dominique Perrin, 1986, directeur de la Fondation Cartier.

Celle qui est née d’une conversation avec le sculpteur César sur les difficultés des artistes

privés de soutiens et de conseils juridiques va devenir un lieu d’accueil emblématique pour

l’art vivant. En 1984, la fondation s’installe à Jouy-en-Josas dans l’ancienne propriété du

baron Oberkampf, créateur de la toile de Jouy. Liberté ! Le mot est lancé. Il est la clé du

mécénat selon Cartier. Les artistes seront exposés dans le contexte de grandes expositions

thématiques et de résidences de création, le principe de l’exposition à thème se mettant

alors en place. Arts visuels, architecture, design, mode, les artistes sont de tous horizons.

En 1994, la Fondation Cartier déménage dans le VIème arrondissement de Paris, dans un

bâtiment de verre et d’acier, œuvre de l’architecte Jean Nouvel. Avec la Fondation, Cartier

entame simultanément une communication avec l’extérieur et l’intérieur de l’entreprise. Au

sein même de la Maison, elle est pensée à la fois comme un motif de fierté collective, un

outil d’éducation du regard et de la pensée, un mode d’exigence et de dépassement et la

source d’un enrichissement personnel. Alain-Dominique Perrin, directeur de la fondation

précise que : « La Fondation est un objet de fierté absolue pour la très grande majorité des

salariés de Cartier, à tous les niveaux. […] Au-delà du personnel, les fournisseurs de Cartier

sont sollicités et contribuent par des dons à l´acquisition d’œuvres d´art pour la collection. Ils

sont donc très impliqués. De nombreux collaborateurs sont devenus collectionneurs. Il y a

41 Tiré de l’article Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13

Page 42: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

42

une indiscutable transmission, une symbiose naturelle qui se fait. » À l’extérieur, la

Fondation occupe une place stratégique et pionnière. Ancrée dans une culture d’entreprise,

elle est devenue un élément essentiel du paysage culturel, national et international.

Inventive, tant dans sa programmation que ses publications, elle insuffle un esprit de liberté

reconnu et respecté par ses pairs. Une fois encore, la fondation d’entreprise agit comme un

outil d’expansion pour l’entreprise à laquelle elle est rattachée. De par son ancienneté, la

fondation Cartier s’inscrit sur la scène contemporaine française comme étant une plateforme

puissante d’échange entre plusieurs domaines et plusieurs univers. Avec une

programmation artistique internationale (artistes japonais, américains, russes etc.), la

fondation Cartier, forte d’une image désintéressée de par son statut non financier, s’ouvre

des portes vers les marchés internationaux.

Le cas BNP

BNP est un acteur majeur dans le mécénat d’entreprise depuis trente ans. La fondation BNP

a été créée en 2006. Son engagement est pluridisciplinaire : culture, environnement et

solidarité.

Fidèle à son engagement en faveur de la culture, la Fondation BNP Paribas, se consacre à

la danse, aux nouveaux arts du cirque en devenant mécène de la Biennale des Arts du

Cirque en accompagnant la première édition prévue pour 2015 et dont sa contribution

atteindra environ 40.000 euros. La fondation BNP soutient aussi la Fondation Royaumont

pour la danse contemporaine qui a célébré en 2014 son 50ème anniversaire. En faveur du

patrimoine la fondation est un mécène reconnu des musées, tout d’abord pour son

programme en faveur de la restauration de leurs œuvres, notamment avec un ensemble de

peintures du XVIe siècle conservé au Musée des beaux-arts de Reims. Elle s’engage aussi

aux cotés du Musée d’art Moderne André Malraux au Havre pour la restauration de deux

panneaux laqués datant du XXIème siècle.

Avec son projet « Banlieues », la fondation s’engage en faveur des quartiers et plus

particulièrement des jeunes. L’objectif étant de les insérer dans des entreprises afin de lutter

contre les différentes formes d’exclusion, à savoir le racisme ou l’illettrisme. Pour cela, elles

prennent le problème à la racine et travaillent sur l’amélioration des conditions de vie en

proposant des accompagnements scolaires, la pratique de sports avec des éducateurs, des

formations ou encore des activités culturelles comme le théâtre. La fondation se veut basée

sur l’écoute, le soutien et la confiance. Qualités humaines qui font d’elle un mécène

respecté et influent. Dans la continuité de cette action la BNP et sa fondation soutiennent

L’ADIE (association pour le droit à l’initiative économique) et favorisent directement la

création d’emplois dans les zones urbaines sensibles. Cela a permis l’ouverture de 15

agences de proximité, la création de plus de 4700 entreprises et d’environ 6000 emplois.

Par le biais de cette action sociale, la fondation BNP, valorise sa raison d’être en tant

qu’entreprise, et l’origine même de son activité.

Page 43: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

43

Le cas Carmignac

Fondé en 1989 par Edouard Carmignac et Eric Helderlé, Carmignac Gestion est l’un des

principaux acteurs européens de la gestion d’actifs financiers.

Ce fonds représente 57 milliards d’euros d’actifs sous gestion, 13 pays de distribution et 1,9

milliard de fonds propres. Ils ont fait le choix de gérer une gamme resserrée de fonds pour

mieux valoriser le capital de leurs clients dans la durée.

Leur devise est : « Un modèle de développement pensé pour une croissance contrôlée ».

Carmignac s’engage à adopter les principes pour l’investissement responsable instituer par

l’ONU.

42

La Fondation Carmignac est née en 2000. Elle est aujourd’hui dirigée par Gaya Donzet et a

pour mission, de soutenir la création contemporaine par le biais de sa collection

internationale, d’organiser le prix Carmignac Gestion de photojournalisme ainsi que de

financer des actions de mécénat en faveur de la culture. Plus précisément, en 2009, la

fondation est mécène de l’exposition « Primitive d’Apichatpong Weerasethakul » au musée

d’Art moderne de la ville de Paris.

En 2010, elle est mécène exclusif de la rétrospective consacré à Jean-Michel Basquiat au

même musée. Leur engagement artistique s’insère jusque dans la structure de la société

42 Œuvre de Roy Lichtenstein, Vicki I--I Thought I Heard Your Voice, 1964, peinture, 106 x 106 cm, collection Carmignac.

Page 44: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

44

elle-même. Leurs salariés sont fiers de l’image qu’elle renvoie, ce qui favorise un travail et

une collaboration plus ouverts. Le prêt d’œuvres aux musées exprime une dimension basée

sur l’altruisme. À travers ces expositions, son amour pour l’art et ces artistes est assouvi et,

plus profondément, cela permet à Carmignac Gestion de s’ancrer dans le domaine de la

culture et d’y avoir un certain poids. Cependant, la fondation s’axe principalement sur le Prix

Carmignac dont les enjeux sont aussi politiques. Sa mission est de soutenir et promouvoir

un projet photographique et journalistique d’investigation dans des territoires à enjeux

géostratégiques complexes, ayant un retentissement global, et où les droits humains et la

liberté d’expression sont bafoués (Gaza, Zimbabwe, Iran, Tchétchénie...).

43

Parce que les lauréats du Prix couvrent depuis cinq ans des régions du monde où la liberté d’opinion est souvent bafouée et que la liberté de la presse a encore une fois été bâillonnée par les armes, la défense de ces droits est plus que jamais notre et votre combat. Parce qu'il existe, en France, des lieux de dérégulation - zones de non-droit - où les principes fondamentaux de la démocratie et du droit humain ne font plus autorité, la liberté de témoigner est, plus qu'en toute autre circonstance, notre bataille cette année. Le Prix Carmignac du Photojournalisme soutient la liberté d’expression et réitère son engagement indéfectible auprès des acteurs essentiels de l’information. 44

Doté d’une bourse de 50.000 euros, le photographe choisi a la possibilité de réaliser un

reportage afin de rendre compte de la réalité d’un territoire et de sa complexité. Chaque

lauréat est accompagné lors de la préparation et la réalisation d’une exposition et d’un livre

monographique.

Carmignac a pris le parti de défendre un regard personnel et engagé, par définition

minoritaire et pour cette raison indispensable. Mais cette position n’est pas sans

43 Tiré du site de la fondation Carmignac pour illustrer la liberté d’expression dans le cadre présentation des convictions de leur prix du photojournalisme. 44 Tiré du site de la fondation Carmignac pour illustrer la liberté d’expression dans le cadre présentation des convictions de leur prix du photojournalisme.

Page 45: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

45

contrepartie. Derrière un projet artistique, ce sont des prises de position qui sont mises en

valeur. En étant mécènes de photographes, ils peuvent aborder des sujets qui ne sont pas

forcément dans l’actualité et donner un visage plus humain à une gestion de fonds dont les

revenus restent très importants.

Respectivement la BNP, Hermès, Cartier, et Carmignac gestion, ont créée leur propre

fondation pour répondre à des besoins similaires : sortir de leur domaine de spécialité, et se

positionner en tant qu’acteur responsable et solidaire. Engagées dans des domaines tels

que le reportage photo pour Carmignac, la danse contemporaine, les arts du cirque ou la

restauration d’œuvres pour les musées dans le cas de la BNP Paribas, ces entreprises ont

choisi leur domaine d’expression.

Comme d’autres entreprises engagées en faveur de la solidarité ou la culture (ou les deux)

nous remarquons quelques similitudes. En effet, il s’agit d’entreprises à haut pouvoir

financier, provenant de l’univers de la banque, de la gestion de patrimoine ou du luxe,

évoluant sur un marché national et international. Ces entreprises richissimes, perçoivent la

nécessité de prouver qu’elles sont capables de sortir de leur zone de confort, d’enrayer les

éventuels risques qui menacent leur marché et leurs organisations. S’investir dans d’autres

domaines et particulièrement la solidarité, ou l’environnement est un moyen pour elles de

montrer patte blanche, prouver qu’elles sont responsables, et surtout, qu’elle savent gérer

leur fortune à bon escient.

Pour l’univers de la banque, et de la gestion de fortune, comme pour celui du luxe, c’est un

message puissant auprès des publics, un levier de communication en lui même, et de

rassurance auprès de leurs actuels clients, et de leurs potentiels prospects. Les fondations

sont en elles mêmes des ponts solides vers l’avenir et des opportunités nouvelles de

croissance pour ces entreprises auxquelles elles sont rattachées.

I.3.2 L’art au service de la communication représente une liberté pour l’entreprise de

réinventer son positionnement et d’enrichir ses valeurs.

Selon les dernières enquêtes de reporting RSE datant de 2014, les premières motivations

des salariés sont l’épanouissement professionnel et la qualité de vie au sein de l’entreprise,

avant même les questions de rémunération. Sur ces constatations, les entreprises

investissent désormais dans des solutions telles que les conciergeries, les crèches, ou les

salles de sport, mais également dans des propositions culturelles et pédagogique. Selon

Pascale Cayla spécialiste de la communication par l’art en entreprise et fondatrice de

l’agence l’Art en direct : « Aujourd’hui, le bien-être dans l’entreprise passe aussi par l’apport

du culturel, outil indispensable au développement de la motivation, de la transversalité, de la

fierté d’appartenance, de l’innovation et de la créativité ». En effet, les collections d’art de la

Société Générale, de Neuflize Vie, de la BNP, ou encore celle de la fondation Carmignac le

prouvent. De nombreuses initiatives ont été mises en place au sein des entreprises autour

Page 46: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

46

d’activités liées à l’art et aux collections in situ : workshops d’artistes, Journées des Talents,

acquisitions en comités mixtes (salariés et professionnels etc.).

Selon Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef du Journal des Arts, (interviewé par

mes soins en juin 2014) précise que « en matière d’art et de communication, il y a une vraie

réflexion apportée à la diffusion des messages à faire passer, et particulièrement autour

d’une certaine hiérarchie de ces messages, à la fois sur le site internet, sur les différents

supports de communication, et autour des différents événements ». En termes de

communication interne, on note une forte tendance à la médiation et à l’interactivité avec les

salariés afin de permettre une meilleure appropriation des actions.

Le ministère de la culture et de la communication lance en 2014 « L’entreprise à l’œuvre :

cinq expositions pour faire entrer l’art dans le monde du travail » dans le but de créer les

conditions favorables d’une rencontre entre l’art et les salariés dans leur espace quotidien.

Les projets, reposant sur des expositions réalisées à partir de collections publiques,

s’inscrivent dans le programme ministériel Art et Entreprise dont l’objectif, est d’inciter les

sociétés à accueillir en résidence des artistes afin d'y stimuler l'innovation, et la

créativité. L’œuvre ci-dessous, de l’artiste Fernand Léger, intitulée Les Constructeurs,

illustre bien cet engouement pour le monde du travail qui inspirait déjà les artistes. En 1951,

à la date ou a été créée cette œuvre, les artistes établissaient déjà des liens entre ces deux

univers et s’intéressaient au monde du travail. Et en 1953, Léger lui même avait voulu

montrer son œuvre aux travailleurs de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, entreprise

importante de l’industrie française représentant le fierté du monde ouvrier.

Cette toile monumentale (160x200cm), particulièrement symbolique, sera exposée pendant

une semaine dans l’usine Renault de Flins (Yvelines), en ouverture de la première

exposition dans le cadre du projet « L’entreprise à l’œuvre » initié par le Ministère de la

culture et de la communication en novembre 2014.

Page 47: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

47

45

Aujourd’hui, dans un marché toujours plus concurrentiel, les marques doivent se renouveler

et se distinguer en permanence. À travers des stratégies culturelles, elles peuvent mettre en

scène leur histoire, construire leur imaginaire et sortir de leur image que l’on pourrait

qualifier de « machine consumériste ». Par exemple, demander à un artiste de customiser

ou de revisiter un produit permet de le rendre unique et plus percutant. La signature

artistique sur un produit manufacturé crée la surprise et suscite la curiosité du

consommateur. Aussi, nombreuses sont les initiatives culturelles qui subliment l’histoire de

la marque, son ADN et sa culture. Au-delà de ces collectors arty, de nombreuses boutiques

de luxe deviennent des zones d’exposition d’œuvres au milieu de produits. Louis Vuitton a

ainsi largement fait l’expérience et la démonstration de la réussite du procédé avec

45 Fernand Léger, Les Constructeurs, 1953, huile sur toile, 160 x 200 cm, Musée national Fernad Léger, Biot

(France).

Page 48: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

48

l’installation, au sein de sa boutique du VIème arrondissement, d’une création de l’artiste

japonaise Yayoi Kusama, en 2012, qui invite les visiteurs à vivre une expérience totalement

immersive au cœur de l’œuvre d’art. En parallèle on observe la présence de plus en plus de

livres d’artistes, ou consacrés à l’art de manière générale au sein des boutiques Louis

Vuitton à Paris.

46

47

46 Portrait de l’artiste japonaise Yayoï Kusama 47 Intérieur de la boutique Louis Vuitton à Paris 6, après l’installation de l’artiste Yayoï Kusama en 2012

Page 49: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

49

48

Par le biais de l’art, l’on assiste à une sorte sacralisation des marques, de leurs fondateurs

et de leurs produits. Pour conserver une aura symbolique, la marque de luxe devient le sujet

même d’expositions. De Louis Vuitton et Van Cleef and Arpels au Musée des Arts Décoratifs

de Paris (2012), à Chanel au Palais de Tokyo (2013), en passant par Cartier au Grand

Palais (2013), les expositions se multiplient et font des grandes Maisons de véritables objets

de culte. À l’occasion de l’exposition « N°5 Culture Chanel » en 2013, au Palais de Tokyo,

Jean-Noël Kapferer, professeur-chercheur à HEC Paris et expert des marques, explique

« qu’il s’agit désormais de Chaneliser Gabrielle Chanel (Coco Chanel), de la mettre en

scène de façon à l’élever » grâce à l’art.

Artification : désigne le processus de transformation du non-art en art, résultat d’un travail complexe qui engendre un changement de définition et de statut des personnes, des objets, et des activités. Il entraîne un déplacement durable de la frontière entre art et non-art. 49

Lors de cette exposition, le N°5 de Chanel fut l’objet d’une « artification », faisant passer ce

produit classique dans le domaine du Patrimoine culturel.

En faisant appel à l’artiste contemporain italien Maurizio Cattelan, pour sa collection

automne/hiver 2013/2014, la marque Kenzo, a pu bénéficier de la notoriété et de l’univers

48 Du marketing à l’art-keting, tiré de l’article Les marques de luxe font appel à l’art pour booster leur marketing, par Yves Hanania, Harvard business Review, 9/6/2015 49 Définition tirée de l’ouvrage de Nathalie Heinich et Roberta Shapiro (dir.), De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, Éditions de l'EHESS, coll. « Cas de figure », 2012,p.20.

Page 50: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

50

décalé de cet artiste. Car à travers l’art, les marques trouvent de nouveaux canaux pour

élargir leur champ de résonance à la fois sur leur marché et dans l’imaginaire collectif.

Campagne Kenzo Collection Automne/Hiver 2013/2014

50

À l’heure où l’entreprise doit rendre davantage de comptes à ses actionnaires, salariés et

clients, la culture dans la communication d’une organisation a plus que jamais ses preuves à

faire. Elle doit correspondre à une vraie stratégie. Pour la culture et les artistes, c’est

également une opportunité de nouveaux canaux de diffusion et d’ouverture sur des publics

différents.

Comme le montre le graphique n°39, l’expérience client est enrichie grâce aux

collaborations entre marques de luxe et artistes mais également par les fondations et les

musées dédiés à l’art et aux marques elles-mêmes. Vient ensuite s’ajouter à cet ensemble

d’actions, le mécénat qui apporte un soutien financier aux créateurs. Dorénavant le luxe

pourrait davantage se traduire dans l’expérience plutôt simplement que dans le produit en

lui–même. Cette étude démontre que les consommateurs recherchent davantage des

expériences à la fois intimes et uniques. L’art semble répondre à ces particularités via

l’enrichissement de l’imaginaire, de l’unicité des produits, et de la symbolique des marques.

50 Campagne Automne-Hiver 2013/2014 de la marque Kenzo en collaboration avec le magazine Toiletpaper et l’artiste Maurizio Cattelan.

Page 51: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

51

I.3.3 Les fondations s’imposent désormais comme partie intégrante de la stratégie

d’entreprise.

Malgré un environnement marqué par de fortes incertitudes économiques et fiscales, des

fondations d’entreprises, reconnues d’utilité publique ou sous égide, continuent à être

créées. L’implication des entreprises, désireuses de s’engager financièrement et d’engager

l’ensemble des collaborateurs au service de projets d’intérêt général, semble être une des

raisons à cette progression constante du nombre de fondations et de fonds de dotations en

France. Mais l’explication se situe également, comme le prouve cette courbe de croissance,

autour du domaine législatif français.

Courbe représentant les fondations créées par les entreprises, édition 2014

51

Par rapport à cette courbe, nous constatons que la création de fondations par des

entreprises, tout domaine confondu, a connu une croissance assez régulière et ce

indépendamment de la conjoncture économique. On note une forte inflexion de la courbe de

croissance en 2003 : depuis cette année de promulgation de la loi relative au mécénat, le

nombre de fondations créées a quasiment été multiplié par quatre. Quant aux fonds de

dotation, leur nombre a dépassé la centaine dans les cinq années suivant la première

création en 2008, un niveau que les fondations ont mis plus de vingt ans à atteindre. Dans le

cas des fondations d’entreprises, nous le verrons tout au long de cette partie, l’accélération

51 LME : Loi de Modernisation de l’économie - Source étude IMS Entreprendre pour la Cité et Ernst & Young, édition 2014

Page 52: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

52

de ce phénomène de création nous amène à interroger le rôle de l’entreprise dans le

quotidien d’une fondation, et par opposition, l’impact d’une fondation dans la stratégie d’une

entreprise. D’un point de vue communicationnel et stratégique, comment l’entreprise et la

fondation dialoguent-elles entre elles pour mener à bien leurs missions respectives, par le

biais des réseaux sociaux ou d’une communication plus « traditionnelle » ?

L’entreprise

Au sein de l’entreprise, les fondations sont, la plupart du temps, créées à l’initiative du

dirigeant, et restent majoritairement rattachées à la direction générale. C’est notamment le

cas de la Fondation Carmignac Gestion et de la Fondation Ricard. Cette proximité n’est pas

sans conséquences pour l’ensemble des salariés d’une entreprise et peut être interprétée

de différentes manières. D’un côté, elle peut indiquer que les fondations se voient accorder

une importante dimension stratégique par les entreprises, mais en même temps, cela pose

des questions quant à l’implication des salariés dans la vie quotidienne de la fondation.

Selon le rapport Ernst & Young 2014 sur les liens entre les fondations et la stratégie de

l’entreprise, les fondations affirment majoritairement que leurs champs d’intervention sont

liés à la stratégie RSE de l’entreprise. De plus le mécénat « fait partie de » ou « est en

cohérence avec » la politique RSE du groupe, ou les actions de la fondation ou du fonds

sont valorisées dans le rapport RSE de l’entreprise.

Répartition des spécialités des fondations d’entreprise enregistrées pour 2014

52

Le pourcentage de fondations consacrées à la culture s’élève à seulement 26%. La priorité

est tournée vers l’action sociale et l’insertion professionnelle. Ces domaines d’intervention

semblent légitimes du fait des besoins de notre société en période de crise… Cependant, de

nombreuses entreprises couvrent plusieurs champs d’action à la fois. Certaines pratiquent

52 Baromètre des fondations d’entreprise, IMS Entreprendre pour la Cité, 2012

Page 53: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

53

parfois un mécénat croisé : insertion par la culture, éducation à l’environnement… C’est le

cas de la Fondation Daniel et Florence Guerlain engagée à la fois pour la protection de

l’environnement et dans la culture par le biais de l’organisation du Prix du dessin

contemporain. La fondation Kering, quant à elle très engagée pour la cause des femmes du

monde entier (et dont le PDG est, en même temps, à la tête d’une des plus grandes

collections d’art contemporain au monde), confirme par le biais de Louise Beveridge, sa

directrice communication et partenariats, que la fondation représente parfois la branche de

l’engagement sociétal de l’entreprise. Dans le cadre de la communication de cette fondation,

Louise Beveridge confirme qu’au-delà du projet social consacré aux femmes, leur

communication cible un public en particulier, segmenté en fonction de l’âge, des intérêts, du

sexe, ou d’une situation de handicap. Dans le cas d’une organisation venant en aide aux

femmes, et ce comme la majorité des fondations impliquées dans des projets sociaux, celle-

ci s’adresse à des publics en situation de précarité et par ce biais s’ouvre à de nouveaux

marchés et de nouveaux canaux de communication.

La communication de la fondation par rapport à l’entreprise

Comme nous l’avons vu précédemment, 26% des fondations sont consacrées à la culture.

En temps de crise, la culture n’est pas jugée comme étant une nécessité première pour le

public, bien que de grosses entreprises (Carmignac, Kering, Guerlain, BNP, Société

Générale) choisissent de s’y consacrer, par le biais du mécénat ou des fondations

d’entreprise. Dans le cas des fondations d’entreprise, pour pallier ce manque d’intérêt ou de

visibilité des publics envers la culture, la mise en place d’une stratégie digitale et d’un site

internet indépendant de celui de l’entreprise peut se révéler pertinente. Comme dans toutes

les activités liées au mécénat, il s’agira de trouver un juste équilibre entre le discours

promotionnel et commercial d’une entreprise et un discours allant dans le sens de la RSE

(Responsabilité Sociale et Environnementale).

63% des fondations disposent désormais de leur propre site internet, et les structures

n’ayant pas de site dédié sont au moins citées sur le site de l’entreprise. La moitié des

structures n’utilise pas du tout les réseaux sociaux, bien que cette démarche soit au stade

de projet pour 25% d’entre elles. Parmi les freins évoqués, celui de l’articulation entre la

communication de la fondation ou du fonds de dotation et la communication de l’entreprise

est le plus cité. 30% des structures intégrées au site de l’entreprise ont une rubrique dédiée,

les autres étant mentionnées dans les rubriques « développement durable »,

« engagements et valeurs », « mécénat », etc.

Page 54: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

54

53

L’étude ci-dessus montre que Facebook est en tête des réseaux sociaux utilisés, suivi de

Twitter. Les fondations n’utilisent que très peu les réseaux professionnels comme Viadeo ou

LinkedIn, peu considérés comme des compléments utiles aux réseaux sociaux. Selon

Sébastien Urios, spécialiste des stratégies digitales, intégrer une stratégie web dans la

communication d’une fondation nécessite une définition des enjeux. En effet, il s’agit de

délimiter clairement la vocation de la fondation et la place de l’entreprise ou du particulier à

laquelle elle est rattachée. Certaines fondations comme la Fondation Ricard pour l’art

contemporain ou la fondation EDF ont su profiter d’une stratégie digitale, à la fois claire,

actuelle, affichant une image active et attractive. Elles ont su, grâce à un site internet

efficace, proposer des accès grand public (informations claires et actualisées sur les actions

menées), la possibilité pour les potentiels candidats de déposer leurs dossiers, et, dans le

cas d’EDF, une mise en valeur des salariés par le biais du bénévolat. En mettant à

disposition un contenu facile d’accès, elles ont naturellement contribué à donner à leurs

actions une résonance sur le web pour les valoriser, et par extension agir pour l’image de

l’entreprise.

Une fondation d’entreprise semble représenter une sorte « d’outil humanisant » en faveur de

l’organisation à laquelle elle est rattachée. Elle vise à confirmer - ou à valoriser- les qualités

humaines du dirigeant de l’entreprise. Par conséquent, elle peut être considérée comme un

levier stratégique de communication interne pour les salariés en termes de fierté

d’appartenance et d’image. À la fois empathique, pédagogique, formatrice, ouverte sur le

monde et accessible à tous, l’entreprise, par le biais de sa fondation, a la possibilité d’élargir

son empreinte et de s’offrir une image à la fois économique et sociale dans l’imaginaire

collectif. Bien que le choix du programme d’une fondation implique d’être cohérent par

rapport aux activités de l’entreprise, nous sommes en droit de nous demander jusqu’à quel

53 Étude Ernst & Young et IMS, panorama des Fondations et fonds de dotations, créés par des entreprises, édition 2014.

Page 55: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

55

point une entreprise peut apparaître comme étant désintéressée et sincèrement concernée

lorsqu’elle choisit de s’engager dans des causes d’intérêt social. Cependant, une chose est

sûre : par le biais de sa fondation, l’entreprise peut de son côté profiter d’un levier important

de visibilité, gage de pérennité et d’une notoriété nouvelle construite autour des domaines

pour lesquels elle s’est engagée. De son côté, la fondation rattachée à une entreprise, et à

la figure plus ou moins puissante de son dirigeant, peut bénéficier d’une stabilité et d’une

sécurité pour poursuivre ses actions. L’entreprise et sa fondation s’enrichissent

mutuellement, et travaillent main dans la main dans le sens de la pérennité de leurs actions

respectives. Finalement, les fondations représentent un lien important entre le secteur

marchand et celui non lucratif.

Comme nous l’avons vu au cours de cette étude, les fondations d’entreprise se développent

de plus en plus depuis une dizaine d’années, faisant ainsi écho aux enjeux de notre société,

et témoignent d’une nouvelle conception des responsabilités auxquelles doivent faire face

les entreprises. Développer une fondation, représente un moyen puissant pour l’entreprise

de renforcer son ancrage territorial et peut s’appréhender comme un outil relationnel, un

porte parole précieux pour l’entreprise.

Page 56: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

56

II. Études de cas : Analyse de la cohérence du lien entre l’art et le secteur d’activité de l’entreprise ainsi que de la

communication autour de ce lien

II.1 Le cas de la collection d'art contemporain de la Société Générale.

II.1.1 Un dialogue nouveau s'opère entre l'œuvre d'art et la nature immatérielle de l'activité bancaire.

« Renforcer notre rôle au cœur de la société civile »

Slogan, Rapport RSE de la Société Générale

La Société Générale est créée le 4 mai 1864 à l'initiative d'un groupe d'industriels et de la

famille Rothschild. Nationalisée à la fin de la seconde Guerre Mondiale, elle se développe

alors rapidement en France et à l'étranger grâce à la forte croissance d'après-guerre.

Privatisée le 29 juillet 1987, elle devient l'une des trois banques françaises non mutualistes,

avec le LCL et BNP Paribas. Forte de son passé, elle s'est construite une réputation de

banque solide et puissante. Impliquée dans le mécénat culturel (arts et musique), elle s'est

ouverte à d'autres domaines et a pu ainsi bénéficier d'une image engagée dans des causes

d'intérêt social. Depuis 1995, la Société Générale a initié, dans ses locaux, une collection

d'art contemporain qui compte aujourd'hui plus de 350 œuvres originales. Cette partie

s'attachera à mettre en évidence les points d'ancrage sur lesquels le milieu bancaire et l'art

parviennent à dialoguer. Nous tenterons d'identifier dans quelle mesure une collection peut

également devenir un levier de communication. Pour une banque, dont la réputation est à la

fois fragile et capitale, une collection d'art contemporain peut-elle aussi devenir un outil de

stratégie marketing en complément de la communication « traditionnelle » de l'entreprise ?

Pour comprendre les raisons pour lesquelles la Société Générale s’est éloignée de son

champ de spécialités en constituant une collection d'art, il semble nécessaire de revenir aux

origines de ces engagements et d'analyser l'entreprise d'un point de vue organisationnel.

Avec la crise des subprimes de 2008, les banques ont perdu crédibilité et confiance auprès

de leurs clients. Une étude menée par C. Charon et S. Muller en 201154 met en avant

l'importance de la réputation dans le secteur bancaire: « Une réputation solide semble

pouvoir permettre de lisser les effets négatifs d'une image à un moment donné. La

54 Tirée de l’étude Le risque de réputation : le cas du secteur bancaire menée par Florent Pratlong et Sophie Gaultier-Gaillard, Cairn.info, cahier n°48, 2011.

Page 57: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

57

réputation contribue à la fois à la création de la valeur de l'entreprise et stabilise les

performances ». Une bonne réputation résulte de la combinaison sur le long terme de la

cohérence des actions, de l’adoption d’une communication portée sur le dialogue avec les

parties prenantes et de l’adéquation des valeurs de l’entreprise avec celles de la société.

Elle repose sur un processus en 5 étapes55 :

- différentiation : par rapport aux autres concurrents ;

-­‐ positionnement : ciblage de la clientèle potentielle ;

-­‐ personnalité : circulation de l’information au sein de l’entreprise ;

-­‐ vision : convaincre les potentiels acheteurs de l’intérêt du produit, service ou

processus ;

-­‐ valeur ajoutée : convaincre les individus de la valeur ajoutée du produit

Comme nous l’avons vu précédemment, l’art est un moyen de se démarquer de la

concurrence, de s’inscrire dans son temps tout en mettant en avant les valeurs de la marque

et de l’entreprise. Pour permettre aux collaborateurs d’interagir avec les œuvres, la direction

du mécénat artistique de la société générale a fait le choix d’exposer toutes les œuvres :

aucune œuvre n’est conservée en réserve; les informations sont accessibles aux

collaborateurs via l’intranet, les réseaux sociaux interne et externe et le site de la collection.

En termes de circulation de l’information en interne, l’art constitue un bon moyen de créer

des liens entre les collaborateurs. Laure Bergala, journaliste pour l'AGEFI, précise que la

matière immatérielle, impalpable, notamment auprès des publics, de l'activité bancaire 56pousse la banque à œuvrer dans le sens de l'intérêt général. Les établissements peuvent

avoir du mal à se différencier sur les offres et produits. Les banques s'appuient donc sur des

actions concrètes à la fois de mécénat, de création de fondations ou comme nous l'avons vu

dans la constitution d'une collection comme à la Société Générale. José Frèches, ancien

conservateur en chef du Musée Guimet et dirigeant de Artissimo & Co, agence de

communication culturelle, précise que l'art en entreprise est un excellent moyen d'ouvrir les

esprits des collaborateurs, de fabriquer du lien social et de booster la culture d'entreprise :57

« Face aux œuvres d'art, les hiérarchies professionnelles font davantage place à des

dialogues transversaux ». Autres possibilités offertes par la culture : faire sortir l'entreprise

hors de ses murs et contraindre ses collaborateurs à réfléchir en dehors des cadres

traditionnels.

55 Tirée de l’étude Le risque de réputation : le cas du secteur bancaire menée par Florent Pratlong et Sophie Gaultier-Gaillard, Cairn.info, cahier n°48, 2011. 56 Tiré de l’article Quand les banques investissent la vie culturelle, sociale et sportive, par Laure Bergala, Revue Banque, 19/11/2013 57 Tiré de l’article L’art au service de la culture d’entreprise, par Eric Delon, Les échos, 10/01/2006

Page 58: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

58

Alors que le mécénat culturel est davantage tourné vers des actions à l'extérieur de

l’entreprise, la constitution d'une collection d'entreprise est quant à elle plus tournée vers

l'interne. De par le nombre d'œuvres qui figurent dans la collection (environ 350, toutes

originales, pour certaines de qualité muséale comprenant des signatures comme Soulages,

Riopelle, Adami), l'exposition permanente étant accessible à tous les salariés de l'entreprise,

la Société Générale a tenu à offrir à ses collaborateurs un environnement de travail agréable

et stimulant. D’un point de vue communicationnel, aussi bien en interne qu’en externe, la

collection est une plateforme d’échange originale et stimulante pour les 25.000

collaborateurs des sites de la Défense et de Val de Fontenay.

Comme nous l'avons vu précédemment, la réputation d'une entreprise se construit de

l’interne vers l’externe. Selon Guillaume Cerrutti, PDG de Sotheby’s France, maison de

ventes aux enchères : « Offrir aux salariés un environnement de travail original et créatif, par

l’insertion d’œuvres d’art, agit comme un déclencheur de performance ». Sur ces différents

constats, nous notons des liens évidents entre la réputation d’une entreprise et la

constitution d’une collection d’art. Les principaux points d'ancrage qui lient le monde des

arts et de la banque sont donc stratégiques. Ces points communs se situent à la fois sur la

longévité, sur l’image de l’entreprise et sur son implication dans des causes d’intérêt social.

La Société Générale soutient à la fois des artistes contemporains dans le cadre de sa

propre collection, et participe à des actions de mécénat de grande envergure (Musée

d’Orsay, restaurations diverses dans de grands musées etc.). L'art inscrit la banque dans

une stratégie globale de communication. Cette initiative permet à la fois de développer des

leviers en interne : cohésion du personnel, échanges, lien social entre les collaborateurs,

fierté d'appartenance.

Mais également en externe, car l'art impacte à la fois l'image de l'entreprise, sa réputation,

son marché, et ses clients. Le fait que la Société Générale possède une collection de si

grande qualité est un gage de croissance. Ces éléments sont essentiels à la bonne

réputation de l'entreprise, qui est en elle-même un support de transmission des informations

et de la communication. Une bonne réputation sécurise l'avenir de l'entreprise et de ses

actions. La collection d’art contemporain de la Société Générale, de par sa richesse et sa

longévité, est un point d’ancrage solide autour duquel l’entreprise peut se reposer pour faire

perdurer une réputation favorable. Dans ce cas précis, la collection est un élément

sécurisant et agissant à la fois sur la réputation et la communication ; deux éléments

indissociables et capitaux pour la vie et la croissance de l’entreprise.

Page 59: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

59

II.1.2 Les œuvres d’art à la Société Générale deviennent un outil de communication et

de cohésion interne.

« On se donne rendez-vous à l’éléphant ? » 58

L’éléphant, c’est le traditionnel point de ralliement des salariés de la Société Générale qui

travaillent à la Défense. En effet, nombre sont ceux qui se retrouvent devant cette

imposante œuvre de Barry Flanagan, datée de 1986, avant de partir déjeuner ou prendre un

café. Tellement intégrée dans la culture de l’entreprise que certains salariés confient même

qu’ils n’hésitent pas à frôler cette œuvre pour se porter chance, avant de rentrer en réunion.

Cette sculpture monumentale fait partie de la collection initiée depuis 1995 dans les locaux

de la banque, exposée aux salariés quotidiennement au travers des couloirs, salles, halls…

La collection de la Société Générale fait partie intégrante de l’entreprise.

*Oeuvre de Barry Flanagan, 1986, dans le Hall de la Société Générale à la Défense.

Les 350 œuvres de la collection se déploient dans les locaux et sont quotidiennement

visibles par l’ensemble des salariés.

« Cette collection - intégralement exposée dans les locaux du groupe - a été initiée en 1995

par l’ancien PDG Marc Viénot. La collection a été faite pour les collaborateurs, avec l'objectif

d'animer leur cadre de travail », raconte Aurélie Deplus, responsable du mécénat artistique

Société Générale. Hafida Guenfoud-Duval, directrice mécénat et sponsoring à la Société

Générale, précise quant à elle qu’au-delà des accrochages, de nombreuses initiatives

enrichissent les interactions entre l'art contemporain et les collaborateurs : conférences,

visites guidées de la collection, expositions thématiques organisées par des commissaires

indépendants, vidéos pédagogiques présentant les œuvres sur le site de la collection, et

une « Journée de l'Art » organisée chaque année pour les collaborateurs, les trois

conférences mensuelles organisées dans l'amphithéâtre du siège sur les activités culturelles

de la capitale affichent généralement complet.

58 Tiré de l’article, Quand l’art s’invite au bureau, site internet de Challenges, publié par Chloé Dussapt le 21/03/14

Page 60: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

60

Page dédiée uniquement aux collaborateurs de la Société Générale avec un accès privé

59

La modification des accrochages dans les espaces communs du siège génère des

discussions entre collaborateurs, qui se positionnent par rapport à cette nouvelle exposition,

ils restent rarement indifférents, affirme Hafida Guenfoud-Duval.

II.1.3 Mariage de passion ou de raison: remise en question de l’utilisation de l’art en

matière de communication en milieu bancaire.

Nous l’avons vu, dans le milieu bancaire, la réputation a une importance capitale. Nous

pouvons même avancer qu’elle est d’une certaine manière le pivot de la plupart des actions

en rapport à la fois à l’image de l’entreprise et à sa communication. Au cours de ces

différentes parties consacrées à la vie de la collection de la Société Générale, nous avons

pu démontrer qu’elle contribuait, par sa qualité, son ancienneté et sa richesse, à la bonne

réputation de la banque. Alors que certaines entreprises se sont improvisées grands

mécènes de la culture à la suite de la loi Aillagon sur le mécénat en 2003, cette collection,

59 Tiré du site de la collection d’art contemporain de la Société Générale.

Page 61: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

61

débutée en 1995, a assuré à l’entreprise un levier de communication solide et stable. Dans

un cas critique comme celui de l’affaire Kerviel, et de la crise de février 2008, représentant

un danger vital pour l’entreprise, nous sommes en droit de nous interroger sur la manière

dont l’entreprise a géré la communication autour de cette collection. Va-t-elle s’en servir

comme d’un outil au service de son image ? Va-t-elle s’inscrire dans une stratégie globale

de communication pour renouveler l’image de la banque ? Selon certains salariés de la

Société Générale, alors que l’entreprise voit la valeur de son action s’effondrer de 61% en

2008, la collection d’art n’était clairement pas l’outil de rassurance premier à mettre en

avant. Renvoyer l’image d’une entreprise investissant des millions dans des œuvres d’art de

qualité muséale, au moment où elle est frappée de plein fouet par la crise, aurait été

absurde. La Société Générale au contraire, s’est recentrée sur ses actions mettant en avant

l’esprit d’équipe avec une image forte : « l’union fait la force pour faire face à la crise ! » Le

19 mars 2011, la Société Générale a lancé son plan « Ambition 2015 », une stratégie de

communication importante et réfléchie dans le but d’établir une nouvelle image pour la

banque. La nouvelle campagne mise en place par la banque se base sur une signature

explicite : « développons ensemble l’esprit d’équipe ». Après le bouleversement de la crise

économique, mais surtout de l’affaire Kerviel, cette nouvelle campagne est perçue comme

une cure de jouvence, un renouveau ou encore un moyen de sortir gagnant de la crise.

Pour la Société Générale, c’est également la possibilité d’affirmer ses valeurs. Des valeurs

fortes qui rejoignent le monde de la santé ou du sport (comme en témoigne leur partenariat

avec le monde du rugby et la Fédération Française de Rugby depuis plus de 20 ans). Cette

campagne, qui n’est que le commencement d’une stratégie à long terme puisqu’elle fait

partie d’un plan stratégique « Ambition 2015 », est amenée à exposer toutes les facettes et

les avantages de l’esprit d’équipe afin de devenir la banque n°1 en termes de relation client.

Grâce à cette idée, l’entreprise affirme la fierté du collectif de pouvoir avancer ensemble.

Dans le cadre de cette importante campagne de « reconquête » de l’entreprise, ni le

mécénat en faveur de la culture, ni la collection d’art ne sont mis en avant. « Les arts et la

culture, quand on a accumulé de l’épargne, et même un surplus, ça ne se finance pas via

l’endettement public mais sur fonds propres et privés. » L’analyse de l’économiste et

financier Thibaut André prend à nouveau tout son sens dans le cas de la Société Générale.

Page 62: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

62

II.2 Les actions de Pernod‐Ricard en faveur de la culture

II.2.1 Les points de contact entre l’univers des spiritueux et celui de l’art.

« Il est bon d'être charitable ; Mais envers qui et comment ? C'est là le point. »

Jean de La Fontaine, Le Villageois et le Serpent

Pernod-Ricard est né en 1975 du rapprochement des deux sociétés françaises de spiritueux

anisés : Pernod, dont la création remonte à 1805 et Ricard, fondée par Paul Ricard en 1932.

Depuis 200 ans, Pernod est une société à l’histoire riche, et à l’âme forte. Association de

deux fortes personnalités, Paul Ricard et Jean Hémard, qui décident de s’associer en créant

Pernod Ricard. Fidèle à ses objectifs de départ, la société s’attache aujourd’hui à la

diversification de sa gamme de produits et s’ouvre à l’international en partant à la conquête

de nouveaux marchés et de nouvelles spécialités. La marque s’affiche comme un groupe

international et s’inscrit dans l’histoire d’une affaire familiale transmise, aux fortes valeurs :

l’esprit entrepreneur, la confiance mutuelle et le sens de l’éthique.

60

Pernod-Ricard, magnat des spiritueux, symbolisant à ce titre un univers festif, et nocif, use

de son ancrage dans les spiritueux pour miser sur l’aspect convivial. La signature du

groupe, « créateurs de convivialité », l’exprime. Son logo, aux allures d’un soleil bleu,

60 RICARD Paul, La passion de créer, Albin Michel, 1983, 270 pages,

Page 63: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

63

évoque à la fois la volonté de rayonner à l’international et fait référence à la méditerranée,

aux vacances, et à la jovialité des apéritifs entre amis les soirs d’été.

Au même titre que le parfum, l’univers de la banque, ou la gestion de fortunes privées

comme nous l’avons vu dans de précédents exemples, nous pouvons affirmer que c’est

pour améliorer son image, ou pour renforcer ses projets de développement sur le long terme

qu’une société va créer des actions tournées vers l’extérieur, hors les mûrs. Dans une

perspective de performance, de développement et de positionnement, elle va élargir son

champ d’action, en allant chercher à l’extérieur ce qu’elle n’a pas à l’intérieur… C’est le cas

de Pernod Ricard, dont l’image des spiritueux reste un référent puissant dans l’imaginaire

collectif et tend à donner une dimension importante à son département RSE : 61« L’engagement de Pernod Ricard en matière de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise

n’est pas nouveau : le Groupe, par l’action visionnaire de ses fondateurs, a joué un rôle

pionnier en matière de politique sociale, de protection de l’environnement, de responsabilité

entrepreneuriale et de mécénat solidaire, bien avant que le développement durable ne

s’impose à tous comme une nécessité. »

Dans la continuité de cet engagement en faveur du développement durable, Pernod-Ricard

accorde une place particulière au mécénat culturel que la société présente comme étant une

pierre angulaire de l’engagement citoyen du groupe. Très impliqué dans la vie des grands

musées de Paris, le groupe s’occupe à la fois d’art contemporain, (le partenariat du Centre

Pompidou, que nous verrons dans une prochaine partie, remonte à 1997), ou d’arts

premiers, en étant un des mécènes important du musée du Quai Branly.

L’engagement de Pernod Ricard en faveur de l’art s’inscrit dans un projet global, social et

citoyen.

C’est ici la rencontre de deux mondes, la culture et les spiritueux, qui ensemble, va aller plus

loin.

D’un côté la culture, un univers chargé d’histoire, qui représente la richesse, le patrimoine,

l’identité d’un pays, d’un créateur. Puis la diffusion des collections publiques et du

patrimoine, qui passe par les musées. Ces derniers, véritables marqueurs de la culture

61 Tiré de l’édito Pernod-Ricard concernant leurs engagements en faveur de la RSE

Page 64: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

64

française, diffusent leurs collections et doivent à la fois assurer la qualité des objets exposés

et leur sauvegarde. De l’autre, Pernod-Ricard, qui voit en la culture une manière de travailler

son image et d’afficher son engagement dans des causes d’intérêt social. Les musées, très

demandeurs en matière de restauration et de sauvegarde des collections (désengagement

de l’État pour causes financières que nous avons évoqué précédemment), voient en ce type

de mécènes une solution pour diversifier leurs canaux de communication, et un moyen de

pouvoir assurer leur développement et leur rayonnement. L’association de ces deux univers,

celui des spiritueux et de la culture qui se différencient par leur forme de richesse,

pécuniaire pour l’un, patrimoniale pour l’autre, ont un souhait commun : grandir ensemble.

Grandir ensemble pour deux raisons différentes : la culture (matérialisée ici par les musées),

et la survie de leur organisation. Quant à Pernod-Ricard, important acteur de l’univers des

spiritueux, dont la nature même de son produit subit les campagnes de sensibilisation contre

l’alcool, voit, en s’impliquant dans des causes d’intérêt général, l’occasion d’afficher un

nouveau visage.

Un nouveau visage, et une patte blanche…

II.2.2 La longévité des liens tissés entre Pernod Ricard et les institutions culturelles

qu’il soutient sont en eux-mêmes des leviers spécifiques de communication entre

l’entreprise et le public.

« L’art contemporain n’est pas un choix facile. Il instaure un dialogue avec des artistes qui n’hésitent pas à “casser les codes”. Ceci permet à l’entreprise de mieux s’inscrire dans son temps ».

Francisco de la Vega, directeur de la communication de Pernod-Ricard, 2009

Le cas du Centre Pompidou et de Pernod-Ricard

En matière de parrainage et de mécénat, Benoit Parayre, directeur de la communication et

des partenariats du Centre Pompidou, a précisé lors de notre interview, l’importance de

recentrer les projets du groupe autour de partenariats sécurisants pour le musée, c’est-à-

dire des partenaires s’impliquant dans les événements du musée depuis déjà plusieurs

années. L’accompagnement du Centre Pompidou par Pernod-Ricard date de 1997. Dans le

cadre de sa politique de mécénat, le Groupe parraine un chantier important du Centre pour

l’art contemporain : l’aménagement des espaces extérieurs du Centre Pompidou, réalisé par

l’architecte italien Renzo Piano et baptisée en 1998 « Terrasses Paul Ricard ». En 2003,

grâce au soutien de Pernod Ricard, l’œuvre « Tête en profondeur » (1930) de Julio

Gonzáles, (artiste espagnol considéré comme le père fondateur de la sculpture en fer

moderne), rejoint les collections du Centre Georges Pompidou.

Page 65: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

65

62

Aujourd’hui, Pernod-Ricard participe à un projet en phase avec une de ses valeurs-clefs,

l’innovation. Et en cohérence avec son ambition de favoriser le partage des cultures: celui

du Centre Pompidou Virtuel. Cet espace digital, entre le musée virtuel et le centre de

ressources, permet au grand public de découvrir les collections du Musée et dévoile des

contenus supplémentaires. Une innovation qui encourage un partage culturel décloisonné et

permet l’accès aux œuvres, au plus grand nombre, partout dans le monde. Pour pérenniser

encore un peu plus les liens, des contreparties pour les partenaires et mécènes sont

disponibles tout au long de l’année : mise à disposition de lieux pour leurs événements,

entrées et billets coupe-file, invitations privées pour les vernissages, expositions, soirées,

conférences etc. C’est le cas de Pernod Ricard, qui organise tous les ans une soirée

annuelle dans les salles du Centre Pompidou. La direction du mécénat et de la

communication du centre, parle de l’importance du mécénat croisé. Cette pratique,

particulièrement salutaire en temps de crise, permet aux deux entités, mécène et

bénéficiaire, de recueillir différents avantages, d’un point de vue de la visibilité de leurs

actions ou de la communication. Chaque entité peut respectivement communiquer à son

propre réseau sur ses actions de mécénat, permettant ainsi d’atteindre un public étendu et

varié. La longévité des liens entre le mécène et le bénéficiaire est tout aussi importante que

l’ancienneté respective des entreprises. Car la visibilité et les réseaux sont plus larges et

plus étendus dans le cas d’entreprises avec beaucoup d’ancienneté.

L’ancienneté génère la confiance et favorise ainsi une meilleure communication. Au vu de

ces différents constats, nous pouvons imaginer que plus le partenariat est étendu dans la

62 Tête en profondeur, 1930, Julio Gonzàlez (1876-1942), Trésor national acquis grâce au mécénat de la société Pernod Ricard, 2003

Page 66: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

66

durée, plus il s’inscrit dans l’image et dans l’ADN de la société. En effet, le Centre Pompidou

compte parmi ses mécènes le groupe Pernod-Ricard depuis 18 ans. Mutuellement, les deux

entités ont pu inscrire dans l’histoire de leur entreprise leurs actions communes.

II.2.3 Le mécénat de Pernod-Ricard et du Centre Pompidou est un échange de bons

procédés.

Nous l’avons vu, il est plus enrichissant pour les deux entités, mécène et bénéficiaire, de

travailler sur le long terme. Dans le cas de l’association entre le Centre Pompidou et le

groupe Pernod-Ricard, ce partenariat s’est construit autour de besoins bien réels de la part

de cette institution culturelle, et, selon les membres fondateurs du groupe, autour d’une

passion pour les arts, ancrée dans la culture de l’entreprise depuis sa naissance. 63« Soutenir l’art contemporain est un engagement historique de Pernod Ricard. Cette

priorité dans la politique de mécénat du Groupe est guidée par la volonté d’encourager la

création et l’innovation sous toutes ses formes. Depuis 1997, Pernod Ricard participe de

diverses manières à la préservation, l’enrichissement et le rayonnement du premier centre

d’art contemporain en Europe : le Centre Pompidou, à Paris. »

63 Texte de présentation sur le site Pernod-Ricard, sur leur engagement aux cotés du Centre Pompidou.

Page 67: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

67

Points d’étude sur lesquels se complètent et s’enrichissent mutuellement le groupe et le

musée

*Exemple de tableau de mise en évidence d’un enrichissement mutuel pour le mécène et le bénéficiaire

Nous l’avons vu dans le cas de la collection de la Société Générale et de Pernod-Ricard,

l’implication dans des causes artistiques fait, partie intégrante à la fois de l’image de

l’entreprise, de son positionnement et de sa stratégie.

Cependant, dans le cas de la Société Générale, la collection se présente comme étant

principalement destinée aux salariés.

Dans le cas de Pernod-Ricard, c’est relativement différent. D’une part car la marque

possède une fondation destinée pleinement à l’art contemporain et à sa diffusion (Fondation

d’entreprise Ricard). D’autre part Pernod-Ricard, participe au quotidien du Centre Pompidou

et à son développement, en tant que grand mécène depuis 1997.

Pernod-Ricard et la Société Générale ont cependant quelques points communs : ces deux

sociétés ont des ressources financières très importantes. Elles appartiennent à deux univers

qui symbolisent à la fois le pouvoir et la méfiance (la banque) et de l’autre, l’univers des

spiritueux, de la fête, pouvant aussi être perçue pour partie comme étant potentiellement

dangereuse pour la santé. C’est à partir de cette image entachée ou dangereuse dans

l’imaginaire collectif, que se sont développées des actions en faveur de l’intérêt général.

Page 68: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

68

Dans quel but ? Pour lisser l’image ? Rassurer le public ?

Ce sont des pistes à envisager pour comprendre ces engagements artistiques de la part des

entreprises.

Cependant, l’organisation mise en place par ses grandes entreprises autour de l’art, en

termes de communication est de visibilité, est elle développée à son plein potentiel ?

Permet-elle à l’entreprise et aux artistes de dialoguer comme il se doit autour de leurs

actions communes ? Enfin, dans le cas des collections d’art contemporain, (artistes vivants)

les artistes trouvent-ils leurs intérêts ?

Selon moi, la culture est un univers spécifique qui dépend de plusieurs facteurs pour être

exprimé à son plein potentiel. L’art à besoin d’un décodage pour être appréhendé et

compris. Pour cela, doit être créée l’idée d’une communication spécifique au monde de l’art

et aux artistes au sein même du département de communication ou du mécénat des

entreprises qui exposent de l’art ou s’investissent dans ce domaine.

Page 69: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

69

III Recommandations destinées aux grandes entreprises pour l’intégration de l’art dans leur stratégie de

communication

La communication (à mon sens) manque de clarté et de richesse, (pas assez complète,

n’étant pas assez précise et didactique quant à l’œuvre, ou l’artiste. De ce fait, le visiteur a

du mal à percevoir la cohérence ou le fil conducteur de l’exposition) et l’idée d’interroger les

raisons poussant les entreprises à exposer des œuvres d’art s’est naturellement posée à

moi. Ce manque de communication et de clarté est-il la preuve que nous sommes encore

dans le schéma de Malraux, qui avançait que l’appréciation d’une œuvre d’art ne nécessite

aucun apprentissage ? Le sujet de ce mémoire est parti de ce constat, qui continue de

m’interpeller aujourd’hui.

III.3.1 Mettre en place des départements adaptés aux spécificités de la communication culturelle, et au choix des artistes dans chaque entreprise (dans le but de réussir à autonomiser son propre raisonnement face à l’art, avoir suffisamment d’informations pour pouvoir se créer son propre avis sur les œuvres).

Une œuvre d’art incorpore une valeur esthétique, mais celle-ci a été pensée et construite

par l’artiste. Elle est donc à la fois l’empreinte de l’identité et de la personnalité de l’artiste, et

aussi chargée d’histoire. Elle peut présenter une technique esthétiquement tout à fait

novatrice. Un projet artistique comme une exposition en musée, en galerie, ou encore lors

de foires d’art et salons, est un projet global, qui contient un peu de toutes les personnes qui

ont contribué à ce projet. Il met en scène l’artiste, son histoire, la démarche qui a conduit à

l’œuvre qu’il présente. Il y a aussi le lieu : la scénographie, les éclairages, les couleurs, la

décoration. Il y a aussi les personnalités qui font ce lieu, le directeur de la galerie, du musée,

ou du salon. Et pour finir il y a tout ce qui a trait à la diffusion de l’événement, à savoir la

communication, la publicité, l’événementiel.

Il est à mon sens capital que le public puisse saisir dans son ensemble le projet et avoir

accès à la fois à l’artiste, à son histoire, à l’œuvre en elle-même, aux explications quant au

choix de la scénographie et à l’identité du lieu ou de son directeur. L’approche esthétique,

voir affective d’une œuvre d’art, n’empêche pas sa connaissance au contraire. Au même

titre que le monde de l’art s’inscrit dans le monde de l’entreprise comme outil de stratégie ou

de communication, il pourrait être judicieux que l’entreprise, ou le lieu d’exposition, rentre

dans l’univers de l’art par le biais d’une stratégie adaptée et compréhensible par tous…

C’est-à-dire en adaptant les contenus de communication aux différents publics. Un enfant ne

Page 70: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

70

pourra comprendre la même chose qu’un amateur, un spécialiste un novice. Il est important

de communiquer sur les œuvres en ayant une certaine connaissance du marché, des

publics et de ses acteurs. Un spécialiste de la communication artistique est une véritable

valeur ajoutée pour une entreprise qui expose de l’art dans ses locaux ou qui est mécène de

projets artistiques. L’intérêt d’une démarche comme celle-ci se situe à plusieurs niveaux : la

compréhension du message, l’atteinte de la cible, la prise en compte des particularités de

l’œuvre par une remise en contexte (même succincte) dans l’histoire de l’art de manière à

valoriser son travail. Une communication adaptée aux particularités du monde de l’art aura,

par répercussion sur l’entreprise, une meilleure prise en compte de ses actions et un moyen

indéniable de toucher encore plus de public. Notamment celui du marché de l’art lui-même.

Étant eux aussi touchés par la crise, les galeristes et marchands d’art, maisons de ventes

ou même antiquaires sont à la recherche de moyens tangibles et sécurisants pour le futur

de leur entreprise. Les entreprises et leurs collections constituent pour eux un excellent

moyen d’écouler leur stock et d’augmenter leur visibilité.

III.3.2 Favoriser la jeune scène contemporaine française pour l’acquisition d’œuvres et donner la parole aux artistes en tant que médiateurs pour parler de leurs travaux et de ceux des autres dans le cas de collections d’art moderne (artistes décédés).

"Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres." Zao Wou Ki

Dans le cas d’une collection d’entreprise ; j’ai donné la parole à un jeune et talentueux

artiste, Axel Mathieu-Mahias, (interviewé en juillet 2015) à qui j’ai demandé d’expliquer

pourquoi selon lui les artistes sont encore les meilleurs médiateurs pour parler à la fois de

leur travail mais aussi de celui des autres. Ce dernier raconte, que lorsqu’on lui demande

d’expliquer son travail, il estime qu’il ne s’agit pas uniquement de décrire ce que tout le

monde pourrait voir ou percevoir dans une œuvre d’art. Selon lui, un des aspects les plus

intéressants réside dans l’invisible, le domaine de l’émotion. Et si l'émotion du spectateur est

le but recherché, que pourrait-on dire des émotions de l'artiste lors du processus de création

?

Il rajoute : « les émotions sont indispensables à la compréhension de ce qui transcende le

visible. Personne n'est, à mon sens, plus apte à les décrire que le "sujet" physique lui-

même.»

Selon Axel, chaque toile possède son lot d'émotions et d'insatisfactions, comme une sorte

de virus qu’il cherche à éradiquer. Afin d'illustrer son propos, il prend l’exemple de la

décomposition de la lumière à travers un prisme. Les couleurs observées sont belles et

réelles, mais l’intérêt, une fois que le visible a livré ses secrets, réside dans les propriétés

physiques intrinsèques au phénomène.

Page 71: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

71

Il affirme « qui serait mieux placé qu'un physicien pour révéler la partie invisible de cette

décomposition ? Je pense qu'il en va de même pour l'artiste. Il est le mieux placé pour

expliquer son propre reflet à travers le prisme de sa technique et de son insatisfaction. »

Axel Mathieu-Mahias

Buste, 2014

Acrylique sur toile

Page 72: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

72

Selon la commissaire d’exposition israélienne Laura Schwartz (interviewée en juillet 2015)

qui se spécialise dans la Jeune Création, la collaboration avec une collection d’entreprise

est toujours une perspective stimulante. Selon elle, une manifestation en musée peut parfois

décourager par sa rigidité institutionnelle ; la mise en place d’une exposition dans une

galerie privée est trop souvent bridée par un budget limité et des considérations

commerciales. Et enfin l’achat par des collectionneurs privés est la plupart du temps,

dépendant des goûts personnels de l’acheteur.

Elle affirme que : « On peut rappeler que, depuis 2003, l’incitation fiscale faite aux

entreprises pour l’achat et l’exposition d’œuvres d’art fait de la France un excellent terrain

d’expérimentation pour les jeunes curateurs et les entrepreneurs. »

En tant que médiatrice, elle estime que la collection d’entreprise est un formidable tremplin

pour les jeunes artistes. Le commissaire d’exposition d’entreprise n’est pas soumis aux

aléas cités plus haut du musée, de la galerie et de la collection personnelle. Quand bien

même cela ne semble pas évident au premier abord, la collection d’entreprise permet une

prise de risque artistique qui a peu d’équivalents ailleurs : « Une collection d’entreprise

efficace et cohérente est selon moi celle qui ne se contente pas d’acquérir et exposer des

œuvres mais celle qui se transforme en boîte à outils pour l’entreprise et pour les artistes».

Laura Schwartz, cite l’exemple de la collection d’art contemporain de la Fondation

d’Entreprise des Galeries Lafayette qui, avant même son ouverture officielle, est déjà

devenue une plateforme ambitieuse et brillante de soutien à la jeune création par le biais de

« Galerie Lafayette Anticipation ». Pour affiner son propos, il est intéressant de souligner le

rôle indispensable d’un commissaire d’exposition dans la création d’une collection

d’entreprise. En effet, un curateur aguerri et informé des dernières tendances de la création

contemporaine peut filtrer et chorégraphier efficacement les projets d’artistes. Sa mission

est multiple : il porte à la fois les propositions artistiques, les produits et décide d’un

accrochage qui doit être cohérent autant pour les artistes que pour le grand public, les

cadres et clients de l’entreprise. La finalité étant d’une part de lancer de jeunes artistes et

d’autre part de contribuer au rayonnement d’une entreprise en général déjà très établie.

Ce rôle « d’équilibriste », à la fois entre l’artiste, les œuvres et l’entreprise, est selon la

spécialiste, « tenable que par un commissaire d’exposition capable de comprendre les

enjeux de la création contemporaine et de les rendre abordables pour un public plus large

par le biais de l’entreprise ». De cette manière, elle estime qu’une collection d’entreprise

portée par une équipe de curateurs énergique et ambitieuse participe tout autant au débat

actuel sur l’art contemporain que n’importe quelle autre institution.

À mon sens, pour saisir les particularités d’une œuvre dans sa globalité, aussi bien d’un

point de vue esthétique qu’historique, il est important de pouvoir privilégier la parole des

artistes qui connaissent à l’évidence le mieux leurs œuvres. Dans le cadre d’une collection

d’entreprise (nous nous consacrons ici aux œuvres d’artistes vivants : contemporains), où,

Page 73: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

73

comme nous l’avons vu, l’œuvre devient aussi un outil au service de la stratégie de

l’entreprise, dont les œuvres sont exposées quotidiennement au public et aux salariés. Nous

pouvons imaginer que le créateur de l’œuvre lui-même serait amené à délivrer avec plus de

clarté le message que renferme sa création. Partant d’un des constats de Pierre Bourdieu

dans l’Amour de l’art, à savoir que l’on apprécie plus ce que l’on connaît mieux, avoir la

possibilité de comprendre la démarche de création d’une œuvre, jusqu’à la finalité de son

processus, peut être la clef pour bénéficier de tous les avantages qu’offre l’art en entreprise,

d’un point de vue de l’image (interne et externe), de la communication, et du management.

Enfin, donner la possibilité aux artistes de se faire connaître, dans d’autres milieux que le

leur, offre une opportunité de sortir de l’anonymat, de prendre la parole, de se positionner

face à leurs travaux et à ceux des autres, et, pour les moins connus, de sortir d’une certaine

précarité financière que subit encore beaucoup l’univers de la création et plus

particulièrement celui des artistes.

III.3.3 Donner la possibilité aux salariés de contribuer à la constitution d’une collection d’entreprise. Dans le cas des entreprises qui exposent de l’art ou possèdent une collection, l’entreprise

apparaît en elle-même comme à la fois un lieu de socialisation et de construction identitaire,

il paraît tout à fait cohérent que la collection d’art en entreprise fonctionne, entre autres,

comme un « liant » avec les salariés.

Selon Maurice Thévenet, professeur au CNAM et à l’ESSEC, qui a beaucoup travaillé sur la

question de la cohérence entre l’entreprise et ses valeurs, la notion de cohérence reste

fondamentalement liée à la motivation des salariés.

Pour Thévenet, il y a cohérence quand : « les règles, les procédures, et systèmes sont

cohérents avec des valeurs opérantes ».

Or, si une entreprise décide de se constituer une collection et de l’exposer, elle prend le

parti d’investir un univers qui n’est pas le sien, et se donne la possibilité de bénéficier des

particularités de cet univers en termes de communication et de levier de croissance.

Le fait d’exposer de l’art dans ses locaux agit directement sur le quotidien des salariés et sur

leur environnement de travail. Participer à la constitution d’une collection d’entreprise permet

d’inscrire les salariés à la fois dans le quotidien de l’entreprise mais aussi de les confronter

aux valeurs et à la culture de celle-ci de façon claire et plus tangible.

Leur donner la possibilité de participer à cette culture d’entreprise, en se rapprochant du

monde de l’art, semble porteur à plusieurs niveaux en termes de management :

Page 74: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

74

-­‐ Comprendre les valeurs de l’entreprise de façon tangible. D’une certaine manière, la

collection matérialise ces valeurs.

-­‐ Adhérer à la culture de l’entreprise en s’impliquant dans la construction de projets à

long terme, valorisant le patrimoine de l’entreprise.

-­‐ Sentiment de fierté de la part des salariés de se sentir sollicités et de participer à la

constitution d’un projet collectif en cohérence avec les valeurs de l’entreprise.

-­‐ Cohésion des salariés.

-­‐ Maintien de la motivation, ou augmentation de celle-ci.

-­‐ Meilleur relais des valeurs et de la culture de l’entreprise en externe (car meilleure

compréhension en interne).

-­‐ Mise en valeur de l’image de l’entreprise.

-­‐ Attirer de futurs collaborateurs en véhiculant une bonne image par des canaux à la

fois internes et externes.

Constituer une collection d’entreprise en y impliquant ses salariés entre dans un schéma du

mieux vivre ensemble en entreprise.

Pour aller plus loin, dans le cadre de collections en entreprise, nous pouvons imaginer la

mise en place systématique d’un département ou d’un bureau destiné à centraliser les

propositions et idées des salariés pour le développement de la collection, ou des

acquisitions.

Page 75: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

75

Conclusion

Nous l’avons vu tout au long de cette analyse, l’art a dû et a su s’adapter à l’air du temps.

Alors qu’hier il était destiné à la mise en valeur de son mécène, jusqu’à l’invention du

daguerréotype et de la photographie en 1839, il avait encore sa fonction originelle : informer,

matérialiser la vie, les gens, les choses, les sentiments… Il se suffisait à lui-même. C’est sur

la mutation de la fonction originelle de l’art et autour de l’évolution de cette autosuffisance,

que s’est construite mon étude. Sa nature même a changé, son utilisation n’est plus la

même.

Au fur et à mesure des années, des évolutions politiques et des multiples crises

économiques, les entreprises ont petit à petit été amenées à se diversifier et à se tourner

vers l’extérieur, pour se renforcer et protéger leur devenir.

L’art est un puits de ressources pour l’entreprise : à la fois révélateur de différentes formes

d’images favorables, il est aussi un vecteur de cohésion interne pour les salariés, un levier

de croissance en termes de notoriété, de visitorat ou de visibilité. Il est aussi un instrument

de communication précieux, qui ancre l’entreprise dans le quotidien du monde de l’art, un

domaine à la fois innovant, évolutif et en lui-même international. Autrement dit, un allié de

taille pour la pérennité de ces organisations.

Les entreprises se retrouvent face à deux particularités qui jouent en leur faveur lorsqu’elles

décident d’inclure des créations dans leur organisation : elles bénéficient du double pouvoir

de l’art qui se situe d’une part dans l’imaginaire collectif du public (l’art véhiculant, d’une

certaine manière, l’image d’un monde merveilleux, quelque-peu inaccessible, dont l’unicité

des créations attise l’intérêt). Et la nature même de l’art au travers de cet imaginaire collectif

est devenue un outil pour les entreprises. D’autre part, les sociétés peuvent aussi se

reposer sur une réalité plus concrète du monde de l’art : un marché hautement spéculatif, et

dans certains cas, l’accès à des relations très fortunées.

Ces deux particularités permettent aux entreprises de véhiculer une image à la fois

bienveillante et stratégique qui leur permet d’aller plus loin dans leur développement.

Malgré les grands discours passionnés vis-à-vis de l’art, dans le cadre de son utilisation en

entreprise, mon impression première est toujours et plus que jamais d’actualité après cette

étude : il s’agit d’un outil, certes noble, mais un outil quand même, au service de la stratégie

d’entreprise. À la question l’art devient-il un des leviers prépondérants de la communication

des entreprises en France, la réponse est oui. Pour les entreprises qui ont décidé de faire

rentrer l’art dans leur organisation, cette décision s’est développée dans l’idée de consolider

l’image et d’affirmer une identité. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt : le vecteur qui en

dit long sur la santé de l’entreprise. De toute évidence, l’art est un outil de communication

actif, et vivant par nature. Son indépendance et son marché lui donnent une richesse

Page 76: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

76

attractive pour les entreprises. De plus, il offre aux sociétés beaucoup de liberté en termes

de communication. L’entreprise peut utiliser l’art comme elle le souhaite, en fonction de la

visibilité qu’elle veut donner à ses actions. À titre d’exemple, à la suite de l’affaire Kerviel, la

Société Générale avait concentré sa communication et ses actions sur l’esprit d’équipe en

retravaillant toute son organisation en interne, et en s’impliquant dans le sport (rugby). Le

repositionnement de sa communication avait pour bût de rassurer et de renouveler l’image

global de l’entreprise. Elle avait pris le soin de mettre de côté la communication autour de sa

collection. Il n’était pas forcément de bon ton à ce moment précis, d’exposer au goût du jour

l’actualité d’une collection représentant plusieurs millions d’euros alors que la société était

en danger.

La nature évolutive et mouvante de l’art et de son marché, oblige l’entreprise à rester active

et attentive à un autre marché que le sien : celui de l’art. Elle peut ainsi se positionner et

anticiper des actions ou des événements sur le long terme.

Mais l’entreprise apporte-t-elle autant à l’art que l’art à l’entreprise ?

En temps de crise, comme c’est actuellement le cas, y compris pour le marché de l’art, la

réponse est oui. Les artistes qui ont rencontré de nombreuses difficultés à se faire

reconnaître et à vivre de leur art, dans un marché de plus en plus concurrentiel, ont trouvé

de nombreux intérêts à nouer un partenariat avec les entreprises.

Bien que les univers du luxe, de la finance et de l’art aient pu entretenir des relations

complexes et susciter des interrogations en termes de cohérence d’association, oscillant

entre fascination et répulsion, l’art reste présent partout. Les maisons de luxe, qui ont

presque toujours trouvé leur inspiration dans le monde de l’art, ont compris que l’art pouvait

être un allié important pour affronter les stratégies d’internationalisation et de diversification.

Les financiers, comme Carmignac, qui disposent d’une richesse patrimoniale s’inscrivant

dans la lignée d’une longue tradition familiale, peuvent ainsi lisser une image agressive voire

effrayante liée à leur activité de financier.

Les différentes formes que peuvent prendre une création confirment son caractère

protéiforme, et la grande liberté qu’elle laisse à ses propriétaires.

Si la réussite économique de ces associations n’est plus à prouver, peut-on y voir la même

réussite du point de vue artistique ? Qu’en pensent les artistes ?

Takashi Murakami, artiste contemporain japonais, décrit avec une grande lucidité les

associations entre les maisons de luxe et l’art contemporain : « de l’art, ils ont retenu sa

capacité à renouveler le sentiment de nouveauté et d’originalité ». La sincérité et le sens de

la pratique artistique par les entreprises sont ici remis en cause par l’artiste.

Les entreprises sont-elles finalement les galeristes de demain ? L’accès à l’art et sa

médiation, semblent être des questions importantes à prendre en compte pour le devenir de

l’art.

Page 77: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

77

En effet, tant qu’ils ne peuvent pas à nouveau acquérir une véritable indépendance,

retourner aux mains des marchands et galeristes spécialisés, quelle trace dans l’histoire de

l’art laisseront ces artistes contemporains dont les œuvres trônent sur les cimaises des

entreprises ? Il reste à savoir ce que les gens saisiront et garderont de la portée artistique

de ces collaborations, et ce que les entreprises en feront.

Seul l’avenir peut le dire, et la magie de l’art réside dans le fait qu’au fur et à mesure des

années et des siècles, les artistes ne se sont pas inscrits dans l’histoire de la même

manière. Certains grâce à des marchands d’art compétents, certains grâce à leur audace,

d’autres grâce à un roi ou à un grand mécène, d’autres grâce au temps et d’autres encore

qui ne sont jamais sortis de la misère… Et c’est finalement a posteriori, l’image de l’artiste

maudit qui bien souvent marque l’histoire et les consciences (Cf : Modigliani, Soutine, Van

Gogh etc.).

Si comme le décrit Rodin, « l’art est toujours sacré64 », les entreprises sauront-elles être à la

hauteur de tous ces grands galeristes et mécènes qui ont contribué à l’histoire d’un artiste, à

faire vivre et comprendre son talent, à le respecter, y compris dans la postérité ?

C’est peut-être en reconsidérant la nature même de l’artiste et de son œuvre, en revenant à

ses fondements, que nous parviendront peut-être à élucider cette question afin que l’art

garde sa singularité, et ses lettres de noblesse.

L’art raconte une belle histoire, embellit, rassemble, questionne, fait parler les artistes et les

entreprises. Il devient en lui même un vecteur de communication.

Bernard Sabatier, lors d’un entretien avec Bernard Pivot en 1975, parlait déjà de la

communication en ces termes, qui, dans le cas de cette analyse, semblent prendre tout leur

sens: « A notre époque, où on parle tant de communication la vraie communication est

poétique ».

64 Se dit des sentiments de crainte et de respect inspirés par les choses qui sont l'objet d'une révérence religieuse. Qui revêt une importance primordiale, et à quoi il ne faut pas toucher. Définition tirée du larousse.fr

Page 78: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

78

Bibliographie

P. BOURDIEU & A. DARBEL, L’amour de l’art, les musées d’art européens et leur public, Les Éditions de Minuit, Paris, 1997

N. SIMON et M. ESHET, Le mécénat, valeur actuelle. Quand la société peut compter sur l’entreprise, Gallimard, Paris, 2009.

F. BENHAMOU, L'Économie de la culture, La Découverte-Repères, Paris, 1996, 2e éd. 2004

V. SEGHERS, Ce qui motive les entreprises mécènes : philanthropie, investissement, responsabilité sociale ?, Autrement, Paris, 2007

G. DE BRÉBISSON, Le Mécénat, P.U.F., Paris, 1993

F. HASKELL & N. PENNY, Pour l'amour de l'antique. La statuaire gréco-romaine et le goût européen : 1500-1900, trad. F. Lissarague, Hachette, Paris, 1988

N. HEINICH, L'Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, Paris, 2005

N. HEINICH, Faire voir. L’art à l’épreuve de ses médiations, Les impressions nouvelles, 2009.

F. MARTEL, De la culture en Amérique, ibid., 2006

M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, P.U.F., 1950

S. ROZIER, Le Mécénat des entreprises, in Les Cahiers français, no 312, 2003

F. H. TAYLOR, The Taste of Angels. A History of Art Collecting from Rameses to Napoleon, New York, 1948

COLBERT F., Le marketing des arts et de la culture, 2001, G. Morin édit.

EVRARD, Y., Le management des entreprises artistiques et culturelles, 1993, Economica

COLLECTIF., Publics et projets culturels, un enjeu des musées en Europe, 2000, L’Harmattan

Sources Internet

Guide du mécénat document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/mecenat_guide_juridique.pdf

Le mécénat entreprises et associations document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Plaquette_mecenat_12-08.pdf

La communication du mécénat en question ADMICAL PDF

http://www.admical.org/editor/files/ACTES_Colloque_ADMICAL_COMMUNICATION_du_mecenat.pdf

Guide du mécénat document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/mecenat_guide_juridique.pdf Le mécénat entreprises et associations document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Plaquette_mecenat_12-08.pdf

Page 79: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

79

La communication du mécénat en question ADMICAL PDF http://www.admical.org/editor/files/ACTES_Colloque_ADMICAL_COMMUNICATION_du_mecenat.pdf Culture et développement durable : 1) http://reseauculture21.fr/labo/2011/11/05/diversite-culturelle-et-droits-culturels/#more-1036 2) http://www.vedura.fr/social/culture Crise du mécénat ou mécénat de crise http://communicationorganisation.revues.org/2260 Les nouveaux médias sphère publique et sphère privée http://www.fadben.asso.fr/Les-nouveaux-medias-sphere.html

Musées et mécénat

Château de Versailles, paroles de Mécènes http://www.chateauversailles.fr/soutenir-versailles-/le-mecenat-a-versailles/mec--paroles-de-mecenes Le Louvre aura son Cranach Le Figaro 20/12/2010 http://www.lefigaro.fr/culture/2010/12/20/03004-20101220ARTFIG00322-le-louvre-aura-son-cranach.php

Blog

Mécénat culturel YOUPIL : Dix ans de mécénat état des lieux (archives des entretiens du mécénat les 5 et 6 novembre 2013) http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2014/01/19/dix-ans-de-mecenat.html#more http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2014/06/23/mecenat-culturel-comment-innover-4086.html#more Parrainage et mécénat une autre façon de communiquer http://www.bepub.com/view_fiche_pratique.php?id_fic=20 Google art project http://www.google.fr/intl/fr/culturalinstitute/about/ Fondation de France http://www.fondationdefrance.org/Votre-espace/Entreprises/Paroles-d-experts/Mecenat-et-communication Ministère de la culture http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Mecenat Fondation culture et diversité École du Louvre : http://www.ecoledulouvre.fr/ecole-louvre/soutenir-ecole/mecenat/fondation-culture-diversite

Page 80: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

80

MECENOVA http://www.mecenova.org/entreprises.php Culture et communication http://culture-communication.fr/fr/category/dossiers/mediation-culturelle-et-outils-multimedia/ Listes de sites et livres sur le mécénat via le site associathèque https://www.associatheque.fr/fr/guides/mecenat/bibliographie.html    

Entreprises et fondations  Guerlain

http://www.guerlain.com/

Fondation Cartier

http://fondation.cartier.com/ - /fr/home/

Fondation Total

http://fondation.total.com/fr

Fondation d’entreprise Ricard

http://www.fondation-entreprise-ricard.com/

Pernod Ricard

http://pernod-ricard.fr/

Collection Société Générale

http://www.collectionsocietegenerale.com/fr/

Fondation BNP Paribas

http://www.bnpparibas.com/fondation-bnp-paribas

Fondation Carmignac

http://www.fondation-carmignac.com/fr/

Daniel et Florence Guerlain

http://www.fondationdfguerlain.com/FR/

Kering

http://www.kering.com/fr

Page 81: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

81

Annexes

Interviews

Résultats

Analyses

Page 82: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

82

Liste des interviews réalisées au cours de cette étude

Carine DECROI, Directrice de la communication et de l’événementiel, Arcurial, Paris, avril

2014

Gaia DONZET, Directrice de la Fondation Carmignac, Paris, septembre 2015

Jean-Christophe CASTELAIN, Rédacteur en chef du Journal des Arts, Paris, juin 2014

Robert FORH, Mission du mécénat, Ministère de la Culture et de la Communication

Délégation à l'information et à la communication, septembre 2014

Jean-Yves BOBE, Service des arts plastiques Direction générale de la création artistique,

Ministère de la Culture et de la Communication, octobre 2014

César CHEMINEAU, Chargé de mécénat individuel au Musée du Louvre, Paris, mars 2015

Benoît PARAYRE, Directeur de la communication et des partenariats, Centre Pompidou,

Paris, avril 2015

Shelley MANNION, Senior Product Manager, Bristish Museum, Londres, mai 2015

Sylvie MACHENAUD, External communications director, Groupe Pernod Ricard, Paris, mai

2015

Axel MATHIEU-MAHIAS, Artiste peintre, août 2015

Aurélie DEPLUS, Commissaire d’exposition, Collection Société Générale, Paris, la

Défense, août 2015

Laura SCHWARTZ, Commissaire d’exposition, et directrice de la galerie Cohen & Schwartz

Gallery, Yafo, Tel Aviv, août 2015

Nathalie HEINICH, Sociologue, Paris, Août 2015

Ann DABOVILLE, chargée de mécénat pour les musées, Fondation BNP Paribas,

septembre 2015

Page 83: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

83

PREPARATION DES INTERVIEWS

J’ai réalisé une série d’interviews auprès 14 personnes. Différents acteurs ayant une

activité plus ou moins directe dans le domaine de la culture. L’on pourrait séparer

l’ensemble de ces personnes interviewées en deux groupes : ceux, spécialistes du monde

de l’art qui travaillent en musée, agences de communication spécialisées, commissaire

d’exposition, artiste et journaliste spécialisé. Il y en a 8 dans ce premier groupe

Les autres, ceux donc l’activité principale est autre, où dont les collections, ou les actions de

mécénat ou partenariat en faveur de la culture, sont impulsés par une structure dont

l’activité première n’est pas liée à l’art. Leur implication dans des actions en faveur de l’art

se faisant par le biais du mécénat, le développement de collections d’entreprise, ou la

création de fondations, pour ces derniers l’art vient en complément de leur activité

principale. Il y’en a 5 dans ce second groupe.

Les mêmes questions ont été posées à ces deux groupes de manière à dégager les points

sur lesquels les deux groupes ont le même avis, et ceux sur lesquels ils divergent afin d’en

connaître les raisons de les analyser.

J’ai commencé à envoyer des demandes d’interviews par mail en janvier 2014.

26 demandes envoyées avec 6 questions.

Sur ces 26 demandes, hommes et femmes confondus, d’une moyenne d’âge allant de 35 à

60 ans.

Il y avait 23 personnes françaises travaillant dans des entreprises ou des institutions

culturelles à Paris.

3 autres étaient étrangères : 1 anglaise, 1 belge, 1 américaine. 10 ont répondu

favorablement, dans le délai proposé à cet effet (1 mois), quatre autres ont mis bien plus de

temps. Pour les deux institutions les plus importantes : le Centre Pompidou et le Louvre, j’ai

mis respectivement 5 et 6 mois avant de pouvoir avoir une réponse. J’étais introduite au

préalable par une personne ayant déjà travaillé avec eux auparavant.

80% des interviews ont été réalisées en face à face à la demande de la personne

interviewée. Les entretiens ont duré de 30 minutes à 2h30 dans le meilleur des cas, et se

sont déroulées directement sur leur lieu de travail.

Dans l’ensemble la demande a été bien accueillie. Un intérêt a été démontré pour le sujet

du mémoire, souvent par curiosité, aussi pour faire passer un message.

Dans le cas du Louvre et de Pompidou, ou j’ai eu l’impression que les deux interlocuteurs

étaient ravis de l’audience potentielle qu’allait leur procurer Sciences Po, sur leurs

problèmes de communication, le manque de moyens mis à disposition, et l’actualité de leur

programmation.

Page 84: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

84

Il n’ y a pas eu de réponses négatives, sinon les personnes ne répondaient pas.

Toutes celles qui ont répondu étaient d’accord et toutes les interviews ont pu se faire.

ORIENTATION DES QUESTIONS

Les 14 personnes interviewées ont une carrière d’une durée allant de 5 à 25 ans.

Les questions couvraient principalement les deux champs suivants :

Le digital au service de la culture :

-­‐ Leur positionnement face à la digitalisation des dispositifs de communication

et de médiation dans leurs institutions et plus généralement pour la culture

(bien que la demande fût adaptée en fonction des dispositifs à disposition sur le lieu,

mes questions portaient principalement sur les tablettes, visio-guide, applications, ou

réalité augmentée)

-­‐ L’acceptation du digital dans les institutions culturelles ou lieux où sont

exposées des œuvres.

-­‐ L’intérêt ou les menaces de la digitalisation des collections. (disponible via des

applications ou directement sur les sites des musées ou des entreprises)

Médiation, communication culturelle et leur mise en œuvre :

-­‐ Les canaux de communication les plus utilisés pour leurs collections et leurs

événements.

-­‐ Les moyens actuels qui s’offrent à eux pour assurer leur développement et la

pérennité des collections.

-­‐ Auto-évaluation de leur stratégie de communication globale et de médiation dans le

cadre de leur collection ou mécénat.

-­‐ Dans leur domaine de compétence, un ou deux exemples de communication

réussie, autour d’un événement, d’une collection, d’un mécénat, ou exposition, et

selon eux les raisons, de cette réussite

-­‐ Au contraire un exemple de ratage et si possible en expliquer les raisons.

Page 85: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

85

-­‐ D’un point de vue plus général, leur appréciation globale concernant la médiation des

actions en faveur de la culture aujourd’hui et de leur communication.

RESULTATS

I) Pour le groupe dont l’activité principale et l’entreprise sont spécialisées dans la

culture (8 personnes)

Raisons principalement évoquées quant au manquement de dispositifs de médiation

digitale dans les institutions culturelles : (ces raisons sont classées par ordre

d’importance).

-­‐ Coût

-­‐ Une préférence pour une médiation plus traditionnelle (pas encore assez « dans les

mœurs »)

-­‐ Fragilité des dispositifs (tablettes, visio-guides etc.)

-­‐ Coûts des réparations en cas de casse du matériel.

-­‐ Baisse du visitorat si trop d’œuvres et de détails sont disponibles sur les sites ou via

des applications dédiées.

-­‐ Expérience culturelle et appréciation des œuvres potentiellement dénaturées.

Positionnement global face à la communication des collections et des expositions

dans les institutions culturelles (raisons classées par ordre d’importance).

-­‐ Priorité au mécénat pour le développement des collections au sein des institutions

culturelles publiques (musées) avec comme moyenne 60% des événements,

expositions et des acquisitions proviennent de mécènes privés.

-­‐ Recherche et développement de mécénats croisés

-­‐ Développement de campagnes de mécénat participatif (notamment dans le cadre de

restaurations, ou d’acquisitions)

-­‐ Recherche de mécènes sur le long terme

-­‐ Communication axée autour des actions de mécénats de grands groupes

-­‐ Efforts de communication grâce à des dispositifs digitaux (applications)

-­‐ Contreparties pour les grands mécènes tout au long de l’année.

Page 86: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

86

II) Pour le groupe dont l’activité principale de l’entreprise est autre que la culture (5

personnes).

Ces cinq personnes interviewées, proviennent de grands groupes nationaux et

internationaux réalisant plusieurs millions de chiffres d’affaire par an.

Raisons principalement évoquées quant au manquement de dispositifs de médiation

digitale en entreprise au profit des collections d’art : (ces raisons sont classées par

ordre d’importance selon les personnes interviewées).

-­‐ Discrétion car il s’agit de collections privées ou à destination des collaborateurs.

-­‐ Avoir la liberté de communiquer comme on le souhaite sur ce que l’on souhaite

-­‐ Les collections ne sont pas cachées, mais leur nature première n’est pas d’avoir été

constituée pour le public sinon pour et par le PDG de l’entreprise dans une logique

souvent interne, à disposition des collaborateurs.

-­‐ Ce manque est volontaire dans certains cas.

-­‐ Les collaborateurs disposent de toutes les informations nécessaires sur l’actualité

des collections par un accès en réseau en interne.

Positionnement global face à la communication des collections et l’utilisation de l’art

en entreprise (raisons classées par ordre d’importance)

-­‐ Communication principalement axée sur les actions autour des collections (mécénat,

prêt pour des expositions) plutôt que sur le contenu des collections.

-­‐ S’ouvrir à d’autres domaines de spécialité

-­‐ Enrichir culturellement les collaborateurs

-­‐ Cohésion interne des collaborateurs

-­‐ Positionnement de l’entreprise dans des causes d’intérêt général

-­‐ Positionnement de l’entreprise sur un marché porteur, riche, autre que le sien, dans

cadre de mécénats croisés avec les institutions culturelles.

Page 87: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

87

ANALYSE

Globalement, les différences principales entre les deux groupes autour desquels j’ai effectué

mon analyse, sont ici :

1) Pour le groupe des spécialistes de la culture, la recherche de fonds, le développement

et la survie des collections, sont réels et vitaux. La communication, et la médiation, en

interne comme en externe, se positionnent comme étant des outils centraux et

nécessaires dans leur quotidien, en termes de visibilité et de maintient du visitorat.

L’idée de l’utilisation entres autres de procédés digitaux n’est pas mal accueillie dans

l’idée, mais pour autant, elle ne peut se faire principalement à cause d’obstacles de nature

financière. Que ce soit dans l’acquisition de ces dispositifs, que dans leur entretien dans le

temps, le coût est l’élément qui revient le plus fréquemment. De plus, y a aussi une

certaine appréhension à mettre de coté l’expérience culturelle ‘traditionnelle’ qui

consiste à se rendre au musée, à acheter son billet et admirer les collections in situ. Les

organisations des musées interrogées semblent tournées vers le passé, occupées à

conserver ce qu’elles ont déjà dans leurs mûrs, et ont du mal à se positionner vers

l’avenir et accepter les solutions qu’apportent le digital. Pour ce qui est du positionnement

de ce groupe par rapport à la communication globale des institutions culturelles, la priorité

est clairement à la recherche de fonds et de développement, le mécénat constituant la

majeure partie des fonds collectés pour les nouvelles acquisitions, les expositions, et les

événements. L’importance des mécénats croisés et de campagnes de mécénat participatif

est aussi mise en avant. De plus, les difficultés financières que subissent les institutions

culturelles aujourd’hui, frappées elles aussi par la crise, poussent l’ensemble de

l’organisation à aller chercher des solutions à l’extérieur. Par le biais du mécénat, de

prêts d’œuvres ou de campagnes de mécénat participatif, elles n’ont pas d’autres

choix que de s’ouvrir à d’autres domaines, et à un autre public. A la fois en diversifiant

leurs sources de revenus, (mécénat participatif), et en optant pour le mécénat croisé, elles

s’enrichissent d’un point de vue financier et culturel.

2) Pour ceux dont l’activité principale est autre que la culture, ou dont l’entreprise est

autrement spécialisée, ils cherchent avant tout à communiquer sur leur actions autour de

l’art et moins sur le contenu de leur collections. Leur collection, n’étant pas, au premier

abord destinée au public, les entreprises se donnent le droit de communiquer en externe

comme elle le souhaitent. Elles communiquent en externe volontiers sur les actions

qu’elles mènent en faveur de l’art comme dans le cadre de mécénats, de prêts, ou de

mécénats croisés. En revanche le contenu de leur collection se fait plus discret et est

Page 88: Mémoire de recherche : "Comment l'art devient le levier de communication prépondérant des entreprises en France"

88

davantage tourné vers l’interne en donnant accès aux collaborateurs (dans le cas de

collections d’entreprises) à des espaces dédiés, privés et en réseau.

Le choix qu’on fait ces entreprises en s’investissant dans l’art, et l’utilisation d’une

communication moins libre, plus contrôlée et orientée, que celle du premier groupe

nous donne des indications sur plusieurs niveaux :

- Sur la place d’une collection au sein d’une entreprise d’un point de vue stratégique : en

interne en donnant accès aux collaborateurs à l’ensemble de la collection et des

informations dédiées.

- Sur la cohabitation des salariés avec les œuvres, sur l’impact de l’art dans leur

environnement de travail et sur leurs performances.

- Sur les impacts en externe par le choix qu’on fait les entreprises de s’investir dans l’art

plutôt qu’une autre discipline, sur leur positionnement, et leur image.

L’art représente pour ce second groupe un outil d’image. Ils peuvent compter sur la force et

les moyens mis en place dans la nature même de l’activité principale de leur entreprise,

pour pouvoir se consacrer à des besoins qui ne sont pas vitaux mais utiles et flatteurs

pour leurs organisations, pour leur positionnement et leur image, comme dans le cas

d’implications dans des causes en faveur de l’art et du patrimoine. La responsabilité que

doivent endosser les entreprises en termes de RSE peut paraître comme étant l’une des

raisons pour comprendre l’engagement des organisation au profit d’autres domaines que

leur activité première. En revanche, choisir le domaine de l’art plutôt que celui de la santé,

ou du sport (dans le cas des entreprises étudiées et des personnalités interviewées) est un

choix propre à l’entreprise. Ce choix est motivé par une idée de positionnement, d’image, de

goût et d’identité. Et c’est, à mon sens, clairement sur cette liberté de pouvoir faire ce

choix que les différences principales entre les deux groupes étudiés viennent

s’articuler :

à Pour le premier groupe, la communication globale, interne comme externe de

l’organisation est relativement plus transparente. Elle est pensée et construire sur une

notion de besoin, de croissance, de sauvegarde.

à Pour le second groupe, la communication globale est développée de manière plus

stratégique. Au delà de la stratégie, l’utilisation de l’art à de surcroît une dimension à la fois

‘implicite’ et ‘sous-entendu’ : celle d’une figure presque ‘humaine’ de l’entreprise, à la

fois, altruiste, généreuse, responsable et engagée.