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Génération Expat – Le think tank des français de l’étranger Etude n°1 – L’Avenir de l’Industrie Française (octobre 2012) Rapport — www.generationexpat.fr 1 L’Avenir de l’Industrie Française Etude n°1 – Octobre 2012 Sous la direction de Sébastien Laye, Secrétaire général, co-fondateur de Génération Expat Directeur du pôle "Economie & Industrie", New York Avec la participation de: Mikå Mered, Columbia University, New York Nicolas Panis, Polytechnique/Princeton, Londres Aurélia le Tareau, Consultante en Stratégie, Montréal

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Et si on écoutait un peu plus les expatriés?! Sébastien Laye, entrepreneur et conseil de nombreux industriels, co-fondateur du think tank des Français de l'Etranger (Génération Expat), vient de coordonner avec les contributions d'autres membres de l'organisation, un rapport sur l'avenir de l'industrie, qui a été remis à Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, à trois semaines de la présentation du rapport Gallois sur la compétitivité. Génération Expat y développe une trentaine de propositions concrètes pour restaurer le blason industriel français. Ce rapport propose une vision industrielle fortement influencée par les réussites étrangères et le regard différent des Français vivant en dehors de l'Hexagone.

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L’Avenir de l’Industrie Française Etude n°1 – Octobre 2012

Sous la direction de Sébastien Laye,

Secrétaire général, co-fondateur de Génération Expat Directeur du pôle "Economie & Industrie", New York

Avec la participation de:

Mikå Mered, Columbia University, New York Nicolas Panis, Polytechnique/Princeton, Londres

Aurélia le Tareau, Consultante en Stratégie, Montréal

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Avant-Propos

Alors que le gouvernement s’apprête à lancer une réflexion en profondeur sur le devenir industriel de la France, avec la publication du rapport Gallois, les premières orientations de la Banque Publique d’Investissement (BPI) et du Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), les Français de l’Etranger se devaient d’apporter leur contribution à ce effort national d’envergure, crucial pour le futur de notre pays.

Sébastien Laye, HEC-Sciences Po, entrepreneur et conseil de nombreux

industriels, co-fondateur de Génération Expat, propose dans cette contribution une vision industrielle fortement influencée par les réussites étrangères et le regard différent des Français vivant en dehors de l’hexagone, avec la participation d’autres membres du think tank Génération Expat. Ce document repose sur l’expérience professionnelle et académique de ses auteurs ainsi que sur les récents entretiens avec de nombreux industriels et consultants spécialistes en France et à l’Etranger, les membres de Génération Expat, menés par le directeur de l’étude ou sous son orientation.

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Table des matières

Introduction 5 I) Constat : la désindustrialisation n’est pas une fatalité a) L’Exception française : la désindustrialisation made in France 9

b) Les Renouveaux industriels dans le monde développé 15 II) Propositions

a) Réformes relatives au financement de l’industrie et à l’actionnariat 20 b) Réformes relatives à l’innovation, la formation, et la recherche 24 c) Réformes relatives au systèmes administratif et social 27

III) Applications sectorielles sélectives a) Energie/Mines 30 b) Textile/Habillement (par Nicolas Panis) 30 c) Biotechnologies : une filière d’avenir (par Aurélia Le Tareau) 34 Conclusion 40 Bibliographie sélective 41 Vademecum 42

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Introduction

« Quand on ne sait pas où on va, tous les chemins mènent nulle part » Henry Kissinger

Il fut un temps où la France avait une haute idée de son destin, une époque où nos dirigeants, faisant fi des clivages idéologiques de la guerre froide, avaient une conception exigeante du futur de leur nation.

La politique industrielle s’inscrivait pleinement dans cette ambition. Il y eut une politique industrielle pompidolienne avec un second Président de la République fin connaisseur de Sénèque: « Il n'y a pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas où il va » nous enseigne le philosophe. Cette ambition a été passée par pertes et profits deux décennies plus tard au seul motif que les marchés devaient décider de l’allocation optimale des ressources, et à la suite de certains échecs de la planification à la française (plan informatique notamment).

Si c’est en effet notre conviction que seuls les entrepreneurs, les industriels et

innovateurs peuvent créer de la richesse et de la valeur ajoutée, et si la détention directe de parts dans des entreprises industrielles par l’Etat est une voie sans avenir, nous voulons insister dans ce travail sur la nécessaire revalorisation du rôle d’un Etat stratège en matière industrielle.

Si les entrepreneurs sont les mieux placés pour déchiffrer les futurs continents de

l’industrie, l’Etat a un rôle à jouer pour assigner le cap général en vertu de ses objectifs sociétaux et économiques. Nous plaidons ici pour un Etat réactif en matière de prospective, à l’aune de nos expériences à l’étranger, et du succès en la matière de certains pays comme l’Australie et plus récemment les Etats Unis.

La France déplore son déclassement industriel, attesté par la perte de 800 000

emplois industriels en dix ans (10% des effectifs), un secteur industriel ne représentant plus que 16% de la valeur ajoutée (alors que la moyenne européenne se situe à 22.4%, évidence qu’il n’y a pas que l’Allemagne qui ait maintenu son statut industriel parmi nos voisins) et un déficit commercial de l’ordre de 70 milliards d’euros en 2011.

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A l’heure des thuriféraires de la société post-industrielle et des chantres de la mondialisation débridée, que peut signifier une stratégie industrielle pour un Etat qui accepte et comprend les règles du capitalisme, respecte les entrepreneurs, mais souhaite orienter son modèle économique vers un capitalisme commercial-industriel plutôt que purement libéral ?

Que peut être une réflexion industrielle pour qui souhaite s’absoudre des débats

idéologiques, qui n’ont pas lieu d’être dans le cadre de ce travail, et ambitionne de proposer de manière pragmatique quelques réformes pour reconfigurer le modèle industriel français ?

Nous, Français de l’étranger, savons que l’histoire des nations n’est pas linéaire, que leurs destins économiques ne sont pas gravés dans le marbre.

Nous, vivant en Australie, avons vu très tôt le pari du gouvernement sur une

symbiose avec la Chine. Nous, vivant aux Etats Unis, avons connu une forme de renouveau industriel

américain fondé sur des partenariats avec l’Etat et une énergie locale peu chère. Nous, vivant en Allemagne, bénéficions du soutien sans faille du gouvernement

au Mittelstand et aux myriades de PME à l’export.

Si ce sujet du renouveau industriel français parait complexe au premier abord, ce n’est pas uniquement du fait de sa politisation à outrance. C’est aussi car il est inextricablement lié à différents aspects du débat public: fiscalité, modèle social, éducation.

En d’autres termes, dresser un panorama exhaustif des solutions industrielles

pour la France requière une vision holistique de la future politique économique et sociale de la nation, et même au-delà, du type de société souhaitée par les Français.

Autant que faire se peut, et aussi par contraintes de temps, nous avons essayé

dans le présent (court) document, de ne pas nous appesantir sur les réformes de structure liées au marché du travail, à la fiscalité, et nous sommes concentrés sur les questions les plus appliquées, à proprement industrielles, au premier rang desquelles la question- récurrente- du financement de ce renouveau industriel.

Le noyau dur de notre travail — que nous concevons comme évolutif avec une deuxième version début Décembre — consiste en une trentaine de propositions,

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réalistes, directement applicables dans les prochaines années par des partenariats entre le secteur privé et le Ministère du Redressement Productif ou le Ministère de l’Economie, ou directement par les seuls pouvoirs publics.

Dans cette perspective, ce travail présente d’abord succinctement les principales

faiblesses actuelles du modèle industriel français et sa lente dégradation (I A), en le comparant aux récents renouveaux industriels à l’étranger (II B).

Le cœur du document est ensuite consacré à des propositions de réformes, en

matière de financement du tissu industriel et de rôle des actionnaires (II A), en termes de systèmes d’innovation/recherche (II B), enfin des mesures relatives au système de relations sociales & administratives (II C).

La dernière partie applique ces idées à deux sous segments spécifiques, aux

deux extrêmes du spectre des valeurs ajoutées possibles: l’industrie du textile/habillement, et celle des biotechnologies (III).

Les propositions les plus radicales sont sans nul doute liées au financement de notre industrie, avec la proposition de créer de nouvelles sources de crédits non bancaires et non étatiques (même si un nouvel Etat stratège, appelé des vœux de l’auteur, doit être un partenaire essential dans cet édifice), par la création de Business Development Corporation à la française, des plateforme privés de transactions, et un statut spécial pour les actionnaires de long terme au détriment des fonds spéculatifs.

Le rapport se démarque nettement de toute la littérature sur le sujet en refusant

de blâmer la seule question des charges sociales, des salaires et de la compétitivité coût pour justifier notre déclin industriel et par là même notre inaction en la matière.

Il propose des choix clairs en matière de secteurs, parfois iconoclastes (une certaine forme de protection dans l’industrie biotechnologique par exemple), appelant un Etat stratège, avec une vision industrielle, faisant fi des clivages idéologiques — le rapport étant lui-même inclassable en tant qu’ensemble sur l’échiquier politique.

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I) Constat : la désindustrialisation n’est pas une fatalité  Il s’agit ici d’expliciter le déclin industriel français, ses causes, ses caractères intrinsèques, notamment à l’aide de graphiques simples (A), et de présenter en contraste les renouveaux industriels à l’étranger, notamment l’exemple américain (B).

a) L’Exception française : la désindustrialisation made in France

 

Le tournant des années 2000 a été marqué par une réduction de l’emploi industriel, une contraction de la part des exportations françaises dans le commerce mondial et son corollaire, à savoir le creusement de la balance commerciale, alors même que la construction européenne rendait iniques les politiques de dévaluation compétitives et les grands programmes industriels.

Cependant, c’est la fin du modèle fordiste dans les années 70 qui marque les linéaments de ce déclin industriel: il semblerait, dans le cas français, que l’emphase prise par les salaires comme facteur de compétitivité-cout, par opposition à leur rôle de stimulation de la demande domestique lors de la période précédente, et la fin de la régulation macro-économique, aient sonné le glas de la performance industrielle. Le dynamisme entrepreneurial, le tissu de PME, du moins dans la période 1980-2010, ne viennent pas se substituer aux anciens grands programmes industriels.

Face à cette situation, après l’échec de plusieurs politiques de relances

keynésiennes, les gouvernements français ont fait un choix peu convaincu, et à tâtons, celui d’un modèle libéral financier, par opposition au modèle commercial industriel allemand, nordique ou japonais. Un choix qui malheureusement n’a pas été pleinement embrassé du fait de la présence d’un Etat providence tentaculaire et de l’impossibilité pour les PME françaises de s’engager dans un combat sur la compétitivité-cout.

Une vision archaïque de l’effort de R&D fut le dernier élément à obérer toute

vraie relance industrielle: in fine, la France n’a choisi ni le modèle commercial-industriel (compétitivité-produit, innovation, pacte social) ni le modèle libéral financier (compétitivité-prix et couts, primauté des actionnaires), mais plutôt un système hybride, essentiellement libéral avec des charges sociales écrasantes. La production industrielle française est en déclin, un symptôme manifeste des problèmes de l’économie française…

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Production industrielle

Légende : CZ : industrie manufacturière - (C1) : IAA –industries aérospatiale et aéronautique (C3) : équipements électriques, électroniques, informatiques ; machines - (C4) : matériels de transport - (C5) : autres industries Sources : Insee, SSP

…qui n’investit que marginalement et irrégulièrement dans son secteur manufacturier :

Variation annuelle de l’investissement dans l’industrie manufacturière

Le taux de croissance moyen des investissements manufacturiers, sur 20 ans, est quasi-nul.

La part de l’industrie dans le PIB et la valeur ajoutée est en recul constant, plaçant l’emploi industriel dans le total des emplois à un niveau similaire à celui du Royaume-Uni, un pays décrié comme étant “sans usines” et “totalement financiarisé” !

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Cependant, cette régression en termes d’emplois industriels doit être relativisée par la reclassification ou l’apparition d’emplois de services qui sont ipso facto des emplois industriels externalisés: bureau d’études, recherche et design, services afférents (nettoyage, restauration), et externalisation de fonctions transversales (ressources humaines, comptabilité…)

La frontière entre services et activité industrielle "pure" tend à s’estomper, rendant caduques nombre de statistiques. De même, nombre des emplois externalisés ou délocalisés dans les pays émergents correspondent à des IDE (investissements directs à l’étranger) dans des pays aux marchés domestiques prometteurs. Cependant, il convient de noter qu’il est normal qu’avec la

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progression de la richesse d’un pays, la part de l’industrie dans sa valeur ajoutée diminue, comme en atteste la science économique.

Le trait saillant du secteur industriel français, notamment depuis la fin des grands programmes industriels, est l’absence d’un effort soutenu de recherche dans le secteur privé. Encore assujetti aux spectres du passé, tout se passe comme si le secteur privé avait considéré que la recherche fondamentale devait émaner de l’Etat, alors même que ce dernier se désengageait du secteur par contraintes budgétaires. La faiblesse des dépenses de R&D par les acteurs privés est une réelle spécificité française.

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La conséquence de ces choix collectifs plutôt hasardeux (préférence pour un système libéral financier à la française sous l’égide du gouvernement Fabius en 1984, faible valorisation de la recherche dans le secteur privé) est un recul marqué de l’emploi industriel comme nous l’avons déjà vu, même s’il n’est pas propre à la France:

Cependant ce recul a concerné plus spécifiquement des secteurs industriels à fort multiplicateur d’emplois :

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La préférence pour les services, le petit commerce et l’artisanat a eu un impact marqué en termes de pertes d’emplois pour la société française, du fait de leur faible multiplicateur de valeur ajoutée.

La rupture de l’ancien modèle fordiste, son remplacement vers le milieu des années 80 par un timide et hybride système libéral-financier, engendrent deux grands déséquilibres pour l’économie française, qui dans une boucle de feed-back négative, obèrent à nouveau le renouveau industriel français :

1) l’explosion du ratio dette/PIB directement lié au nouveau calibrage industriel fondé sur une compétitivité-cout illusoire (au moment où le monde émergent se lance dans la bataille industrielle)

2) le déficit croissant de la balance du commerce extérieur, la construction européenne

rendant impossible toute correction par dévaluation compétitive

Lecture : La ligne pleine représente les exportations, la ligne avec points les importations (échelle à gauche), les rectangles la balance commerciale (échelle à droite)

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Cette préférence pour une version médiocre et peu imaginative du système libéral financier, sur fond d’archaïsmes sociétaux relatifs à la recherche et à la valorisation de l’industrie, signe la fin du compromis fordiste classique, alors même que les Etats Unis le remettent au gout du jour par exemple à Détroit:

Source du graphique : CNI, rapport annuel

B) Les Renouveaux industriels dans le monde développé

Cet échec industriel français n’était pas et ne demeure pas inéluctable, comme en attestent, à la lumière de nos expériences à l’étranger, quatre contre-exemples, même si seul le renouveau américain sera véritablement analysé dans le cadre de ce travail. Japon : force est de reconnaitre que ce pays a témoigné d’une vigueur de la politique d’innovation (technique mais aussi produits) qui a fait défaut à la France. Cependant, alors que souvent émergent dans le débat français les litanies relatives à l’absence de recherche, on peut constater que le Japon, champion des brevets, n’a pu maintenir un emploi industriel abondant sur son territoire. La faute en incombe à la délocalisation massive de ces emplois vers le sud-est asiatique, souvent le principal nouveau marché pour les produits japonais, à un problème démographique évident, mais aussi à la réévaluation du yen par rapport au dollar du fait des constantes interventions des autorités japonaises (assouplissement monétaire).

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Les résultats mitigés du Japon mettent en exergue l’importance de la coordination entre la politique industrielle et la politique macro-économique et les risques inhérents à un euro trop fort. Suède: le renouveau industriel suédois a combiné pilotage macro-économique (taux de change compétitif), efforts sur la compétitivité-produits et la différenciation industrielle, et formation de la main d’œuvre pour l’orienter vers de nouveaux secteurs à la suite d’un impressionnant travail de prospective. La Suède doit inspirer la politique industrielle française pour un travail en amont sur la formation de la main d’œuvre en relation avec une réflexion de prospective sur les secteurs d’avenir. Allemagne : plus qu’un renouveau, il s’agit là d’une résilience d’un vieux modèle commercial-industriel. L’austérité salariale ne nous semble pas le facteur déterminant dans cette réussite : l’Allemagne jouit d’un compromis fordiste entre entrepreneurs ambitieux et salariés hautement qualifiés, d’une ambition saint simonienne dans plusieurs secteurs, qui la rend intrinsèquement compétitive en matière industrielle. Une fois encore, l’effort de prospective pour s’adapter à la demande mondiale et notamment aux émergents, la patience dans les réformes de structure avec consensus national, ont joué un rôle primordial lors de la dernière décennie. L’Allemagne doit inspirer la classe politique, syndicale et entrepreneuriale en France dans la gestion d’une ambition industrielle de long terme, au-delà des clivages partisans. L’état d’esprit de la réforme industrielle, plus que les détails, doit être d’inspiration allemande. Etats-Unis : Nouvel eldorado industriel ? Alors que les Etats Unis avaient connu la même désindustrialisation que la France entre 1990 et 2007, sur fond d’utopies liées à une économie sans usines et massivement axée sur les nouvelles technologies, ce pays a su profondément renouveler sa base industrielle au cours des trois dernières années, à tel point que nous prédisons d’ici 2020 un nouvel Age d’or industriel (mineur). Plusieurs facteurs expliquent ce revirement à contre-courant de l’expérience française:

1) La volonté du gouvernement américain, qui avec la crise de 2008 a jeté aux orties les antiennes libérales de l’administration Bush. L’administration Obama a concentré ses efforts sur le secteur automobile, à fort effet multiplicateur, faisant vivre nombre de PME et sous-traitants. Non seulement il a organisé le sauvetage de GM, mais il a saisi cette occasion, en conjonction avec une myriade d’entrepreneurs de la région de la Rust Belt, pour mettre en place un nouveau compromis fordiste et industrialiste dans ce secteur afin de le rendre à nouveau compétitif.

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2) Une politique macro-économique résolument tournée vers ce renouveau industriel, avec vis à vis du dollar une politique de “benign neglect”, les autorités laissant la monnaie se déprécier sans la défendre, afin de donner des armes à l’export au secteur industriel, et ce au détriment de l’objectif d’attrait des capitaux. Des taux d’intérêt faibles promis jusqu’en 2015, une constante politique d’assouplissement monétaire et d’injections de liquidités devraient à cet égard durablement affaiblir le dollar et soutenir la capacité exportatrice de l’appareil industriel américain.

3) Le renouveau du rail, peu mentionné dans le débat français. Les couts prohibitifs du trafic de marchandises par avions et camions ont permis l’essor d’un nouvel Age du rail. Or ce secteur fait vivre une myriade de PME et de sous-traitants, redynamisant le tissu industriel.

4) Le constant support du gouvernement fédéral à l’industrie aéronautique et militaire, lui aussi avec un fort effet multiplicateur en termes d’emplois, et ce même en période de restriction budgétaire (à rebours de la France qui sabre dans ses commandes pour tenir des objectifs budgétaires).

5) Le renouveau énergétique américain avec la révolution des gaz de schiste et de la fracturation hydraulique (aussi applicable désormais au pétrole avec la formation du Bakken dans le Dakota comme premier gisement). Ce point a trop souvent été éludé en France, mais les matières premières (minérales et énergétiques) sont les fondations de tout effort industriel et un pan important des couts industriels. Alors que la France s’est engoncée dans un débat souvent stérile sur la seule compétitivité-couts lié à la variable salaire, les Américains ont réussi à massivement abaisser la variable couts énergétiques, rendant à nouveau profitables sur le sol américain de nombreuses activités industrielles.

L’exploitation d’une énergie abondante et peu onéreuse sera le facteur décisif pour

les Etats Unis lors des sept prochaines années, en particulier alors qu’au niveau mondial, le prix des matières premières demeure élevé. Grace essentiellement à deux techniques (forage horizontal et fracturation hydraulique), la production gazière a été multipliée par 12 en cinq ans aux Etats Unis. L’abondance nouvelle de cette ressource a divisé par quatre en quatre ans son prix local. D’après Natixis, cette seule faiblesse des prix du gaz donne aux Etats Unis un avantage en termes de couts des biens produits, de 6% par rapport à la zone euro, et de 12% par rapport au Japon, une arme encore plus efficace que celle des taux de changes dans la compétition industrielle. Le cout de l’électricité- les compagnies se tournant massivement vers les centrales à gaz au détriment de celles utilisant le charbon- baisse, avec des gains de pouvoir d’achat pour le consommateur américain.

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Les mêmes techniques sont désormais utilisées pour l’exploitation du pétrole non conventionnel, la production locale étant attendue en forte hausse sur la décennie avec l’exploration de plusieurs gisements : Bakken, Permian, Utiqa. L’industrie pétrolière et gazière relocalise et représente un vivier d’emplois qualifiés important. Cette révolution énergétique aura cinq ramifications industrielles à nos yeux:

a) Une transition énergétique réaliste avec la diminution du nombre des anciennes centrales thermiques au charbon au profit de nouvelles centrales électriques fonctionnant au gas naturel, réduisant l’empreinte CO2 des Etats Unis

b) Un renouveau de certains sous-secteurs industriels précédemment en déclin, dans l’ordre suivant en fonction de la prépondérance du gaz dans leur structure de couts:

a. Matériaux (gas naturel représentant 50% des couts énergies dans ce sous-secteur)

b. Machine-outil (45%) c. Raffineries (38%) d. Chimie et pétrochimie, qui devraient aussi massivement profiter de

l’exploitation du pétrole de schiste, devenant à l’horizon 2020 le principal gagnant de la révolution énergétique américain

e. Aluminium et produits en aluminium f. Acier et fer, structures tubulaires g. Construction h. Industrie Minière i. Papier

Pour la première fois en plusieurs décennies, des usines d’éthylène sont par exemple massivement en construction aux Etats-Unis. Les industriels français capitalisent sur cette révolution en créant des emplois industriels aux Etats Unis, comme en atteste la nouvelle usine de Vallourec à Youngstown, Ohio, construisant des structures tubulaires en acier. Cette usine de $650mln est justifiée par la proximité des clients (sociétés d’exploitation de gas de schiste) mais aussi les couts de fabrication peu onéreux, des dérivés du gas naturel local étant utilisés comme agents dans la fabrication de l’acier pour ces structures.

c) Une révolution dans l’efficience énergétique des bâtiments et du secteur de la construction: les méthodes de chauffage classique et polluantes aux Etats Unis (“heating oil”) sont abandonnées au profit du gaz naturel, et de nombreuses habitations doivent être rénovées pour être mises aux normes avec ce nouveau standard, générant une activité accrue pour le secteur.

d) L’exportation de gas naturel liquéfié: alors même que les Etats Unis avaient orienté leur outil industriel et certains de leurs ports vers l’importation de cette matière première, les

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récents changements dans l’industrie de l’énergie font des Etats Unis un exportateur net, qui pourra vendre son surplus sur les marchés asiatiques. Ce processus requerra la construction de nouvelles infrastructures en matière portuaire et de transport.

e) L’apparition d’une nouvelle industrie de la voiture fonctionnant au gaz naturel. Vers

2016, ces véhicules doivent représenter 9% du marché, alors qu’ils sont déjà utilisés pour le parc des municipalités et par les sociétés de gros œuvres (camions pour la construction, les mines ou l’industrie du fret).

Une étude réalisée mi 2012 par la banque Citigroup estime que la révolution des gaz et pétrole non conventionnels devrait générer entre 2010 et 2020, près de 550 000 nouveaux emplois directement dans l’extraction/exploitation, et près de 2.3mln du fait des effets induits dans divers secteurs industriels. Enfin, les gains en termes de pouvoir d’achat représentent l’équivalent de 785 000 nouveaux emplois. L’effet total serait donc de 3.6mln d’emplois nouveaux, soit une réduction du taux de chômage lié à cet effet d’environ 0.8% d’ici 2015 et 1.1% d’ici 2010, sur une base 2012. Sur la base de nos expériences de Français de l’Etranger, que pouvons-nous retenir du succès industriel d’autres nations développées, qui elles aussi, il y a dix ans, semblaient engagées dans une voie rapide de désindustrialisation ?

Matrice des Redressements Industriels dans le monde développé

Cercle vertueux du renouveau industriel, à la croisée des expériences allemandes, américaines et suédois. Source : Laye Holdings

Prospective et Formation

Pilotage Macro-

économique

Consensus National

Energies moins

onéreuses

RENOUVEAU INDUSTRIEL

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II) Propositions  Nos propositions se répartissent en trois types de problématiques, pour lesquelles nous avons repris peu ou prou la structure tripartite de l’approche de l’ancien capitaine d’industrie JL Beffa dans son ouvrage La France doit choisir : les questions liées au financement de l’industrie et au rôle des actionnaires (I), les problématiques relatives à l’innovation, la formation et la recherche (II), enfin les réformes relatives au système social et administratif encadrant l’industrie française (III).

a) Réformes relatives au financement de l’industrie et à l’actionnariat

 

A juste titre, le gouvernement Ayrault semble décidé à reformer la fiscalité du capital, en introduisant une différenciation entre actionnaires de court terme et de long terme. A cet égard, nombre de nos grands groupes industriels mais aussi des ETI cotées en Bourse souffrent d’un actionnariat par trop volatil, s’opposant aux projets de recherche et de développement les plus ambitieux.

Le trading à haute fréquence et les comportements mimétiques et grégaires de

certains investisseurs, ainsi que la dispersion de l’actionnariat (les grandes familles françaises contrôlant des sociétés en Bourse ayant abandonné le secteur industriel au profit des marges plus confortables du luxe, des cosmétiques et de la finance) sont des facteurs contrariants de nos ambitions industrielles maintes fois documentés. Nous considérons que toute réforme destinée à favoriser l’actionnariat de long terme parmi les sociétés industrielles cotées devrait être plus ambitieuse et embrasser divers aspects (fiscalité, droit boursier,…).

Proposition 1 : Créer un statut de l’actionnaire de long terme, accessible pour tout investisseur individuel ou institutionnel, pouvant justifier de deux années continues de détention de 1% au minimum du capital d’une société. Ce statut sera accessible par constitution d’une demande auprès de l’Autorité des Marchés Financiers. Proposition 2 : Etablir une fiscalité sur les gains en capital spécifique à ces investisseurs, fixée à 30% (maximum tout prélèvement libératoire, social et autres inclus) la troisième année, puis de manière dégressive avec le passage des années, 25%, 20% et 15% afin de favoriser des blocs détenus au moins cinq années durant.

Nombre de sociétés industrielles ont souffert aussi ces années de rachat par effet de levier massif (leveraged buy out) afin de les retirer de la cote. Ces opérations ont

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réduit l’intérêt de l’orientation de l’épargne des Français vers la Bourse, lardé le bilan de ces compagnies de dettes de long terme, et réduit les possibilités de la croissance. Nombre de ces opérations ont été suscitées par l’impossibilité pour les actionnaires désirant contrôler une société, d’accumuler plus de 30% du capital desdites sociétés sans déclencher une OPA. Nous proposons d’abandonner cette législation pour ceux des actionnaires qui disposent de capitaux permanents (ce qui exclut les fonds d’investissement et favorise les hommes d’affaires ou sociétés souhaitant prendre le contrôle d’autres sociétés en Bourse sans lancer de LBO). Proposition 3 : Ouvrir la possibilité, à ceux des actionnaires enregistrés comme actionnaires de long terme auprès de l’AMF (voir proposition1) et qui disposent de capitaux permanents (ce qui exclut des gérants d’actifs de tiers), de posséder jusqu’à 50% du capital d’une société en Bourse sans avoir à déclencher une OPA.

Enfin cet actionnariat des sociétés industrielles en Bourse, déjà dispersé, est par trop volatil du fait des pratiques de trading à haute fréquence. Il est impératif de mieux comprendre cet impact, son origine, et les marges d’intervention. Proposition 4 : Créer une commission d’étude du trading de haute fréquence avec des praticiens sur Paris, Londres et New York pour envisager des mesures concrètes pour stabiliser l’actionnariat industriel sur le court terme.

Nos propositions de réforme de l’actionnariat industriel sont clairement destinées à faire émerger un actionnariat stable, de long-terme, avec de nouveaux acteurs non financiers (hommes d’affaires d’une nouvelle génération, industriels, groupes drainant une épargne de long terme). La Bourse n’est cependant pas la panacée pour les PME et ETI industrielles, et en matière de financement, nous voudrions apporter les contributions suivantes relatives aux transactions privées et au crédit des entreprises. L’essentiel des réflexions actuelles en la matière porte sur la création d’une Banque Publique d’Investissement (BPI), regroupant le FSI, OSEO, et divers dispositifs en conjonction avec la CDC. Cet effort, certes louable, ne sera couronné de succès que si des partenariats BPI/privé sont mis en place, afin d’éviter des biais dans la sélection des dossiers et l’emprise du politique au détriment de l’efficacité industrielle (et du respect du contribuable). Proposition 5 : Tout financement accordé par la BPI en fonds propres devra être accompagné d’un investissement par un acteur non public, afin d’optimiser la sélection des dossiers.

La Bourse, y compris Alternext et les nouveaux projets en cours d’étude, ne peut être la solution unique pour toutes les grosses PME et ETI, et ne peut arriver par ailleurs dans leur cycle d’existence avant de longues années. Au lieu de favoriser la cotation de

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la moindre PME technologique ou industrielle, nous proposons de créer des “antichambres” à la cotation, sous la forme de place de marché privé ou seuls les investisseurs accrédités (entrepreneurs-fondateurs, fonds, sociétés d’assurance, individus aux revenus élevés) pourraient acheter et vendre des parts de ces sociétés.

Ce modèle, essentiellement utilisé aux Etats Unis avec l’exemple de Second

Market pour les start ups, pourrait être utilisé en France pour les grosses PME et ETI industrielles, offrant ainsi des solutions de liquidité aux fondateurs et évitant les scandales pour les petits porteurs. Ces plateformes traiteraient du marché secondaire (achat/vente de parts existantes) mais aussi primaire (émission de capital), à la fois sur les fonds propres mais aussi sur le financement hybride (mezzanine) ou en dettes. Cependant, dans ce dernier cas, afin d’éviter le relatif récent échec du Projet Micado, les plateformes doivent se construire des investisseurs (en amont, en fonction de leurs besoins) vers les émetteurs, et non l’inverse ! Proposition 6 : Favoriser la création par des entrepreneurs/institutionnels, de plateformes de marchés privés, antichambres à la Bourse, permettant aux grosses PME, sociétés innovantes et ETI, de lever des fonds ou d’offrir de la liquidité aux fondateurs, par transactions privées et standardisées avec des investisseurs accrédités.

Nous attendons de telles plateformes plus de fluidité dans les processus de levées de fonds propres pour les starts ups et grosses PME industrielles. A un niveau un peu plus élevé, les industriels en expansion attendent avant tout un financement en dette ou en capital hybride (mezzanine, convertibles) qui se raréfie du fait de la crise bancaire et des normes Basel III à venir. Il faut donc impérativement se soucier de la construction d’un nouvel écosystème de crédit industriel en France, les banques se retirant du secteur. On notera par exemple l’abandon par la Société Générale et d’autres banques françaises de tout financement en fret maritime ou pour les avions. Le même risque se profile à l’horizon pour les énergies renouvelables.

Or coté investisseurs, avec des taux d’intérêt bas du fait des politiques de

banques centrales, les produits obligataires (obligations d’état, obligations de grandes sociétés) ne fournissent plus les rendements espérés par les épargnants français et investisseurs internationaux désirant une exposition à la France. Il faut donc croiser les deux attentes et favoriser l’émergence d’un nouveau système de crédit industriel non principalement adosse aux banques.

Si les fonds d’investissement sont - souvent à juste titre- décriés en France, il existe un compartiment de ce secteur dont le secteur industriel français aura de plus en plus besoin, c’est celui des fonds de dettes hybrides ou mezzanine. Il y a la possibilité de drainer plus d’épargne anglo-saxonne vers le financement en dettes des sociétés française en créant un statut ad hoc pour ces fonds. Ce point est primordial dans la

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mesure où le système de retraites français ne permet pas de drainer l’épargne vers la Bourse ou les fonds de manière optimale, nous forçant à nous en remettre à l’épargne étrangère y compris pour le financement crédit à l’avenir.

Proposition 7 : Créer un nouveau statut pour les fonds mezzanine opérant à 80% de leur activité en France au minimum et installés en France même, en défiscalisant un quart de la prime de performance (carry) touchée par les gérants, et en créant des partenariats BPI/ Fonds Mezzanine.

Même si un renforcement des capacités de financement de ce type de fonds en France serait appréciables, il s’agit encore une fois de structure de gestion d’actifs pour compte de tiers, censées monétiser leurs investissements après trois-cinq ans ou en cas de situation difficile pour eux ou leurs clients.

Afin de donner une base plus stable de financement crédit aux grosses PME

françaises, nous recommandons en complément de la BPI (la BPI pourrait d’ailleurs souscrire les premiers prêts importants, puis syndiquer ces prêts auprès de ces nouvelles structures que nous préconisons), la création de firmes de financement industriel similaires aux BDC (Business Development Corporation) aux Etats Unis.

Les BDC sont des sociétés qui lèvent de l’argent en Bourse, donc du capital permanent, et empruntent auprès d’institutions publiques (ce pourrait être en France la BPI ou de la dette bancaire classique) et investissent cet argent en prêts directs à des sociétés de taille intermédiaire. Elles se rémunèrent par le coupon (intérêts) payés par les emprunteurs (en général, il s’agit de crédits un peu risqué, d’où un coupon de l’ordre de 6-7%), s’acquittent du cout de leur propre dette, et bénéficient d’un statut fiscal particulier aux Etats Unis qui leur garantit d’attirer aisément l’épargne populaire lors de leur entrée en Bourse: elles sont exemptées de l’impôt sur les sociétés si 90% de leurs résultat est reversé en dividendes aux actionnaire (structure similaire aux REITs en immobilier).

Cette distribution généreuse garantit l’attrait de capitaux lors de l’introduction en Bourse. Nous estimons le marché de ces BDC à la française à 3-4 structures, capables de lever 500mln euros chacune. Avec l’effet de levier ( 2/3 dette, 1/3 fonds propres), 6 milliards d’euros de financement pour des sociétés affichant un EBITDA entre 10 et 50 millions euros par an pourraient être levés (sur les 4 milliards de dettes BDC, la BPI ne serait sollicitée qu’à hauteur de 25%).

En soutenant ces structures crées par des entrepreneurs (qui se rémunèrent par

des parts dans la BDC), la BPI pourrait par effet multiplicateur injecter 6 milliards d’euros de crédit dans l’industrie française pour un cout de 1 milliard.

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Proposition 8 : Créer une nouvelle catégorie de société de crédit industriel, les BDC (Business Development Corporation) à la française, par partenariat avec les pouvoirs publics. Les BDC, créées et gérées par des entrepreneurs financiers privés, lèveront des fonds propres en Bourse par appel à une épargne publique attirée par un haut rendement du dividende, et de la dette auprès de la BPI, les institutions bancaires et internationales (fonds souverains). Elles octroieront des prêts aux projets les plus risqués des grosses PME et ETI françaises seulement, contre un coupon de l’ordre de 7%, et les accompagneront sur 8-10 ans. Des secteurs à fort effet multiplicateur en termes d’emplois et de valeur ajoutée seront ciblés dans la législation sur les BDC: aéronautique, automobile, défense, fret maritime, transports, énergie et service associés, mines, matériaux, machines-outils. En cumulant BDC à la française, stimulation des fonds mezzanine, et création de plateformes de transactions privées, nous estimons à 10 milliards d’euros la création de crédit industriel potentiel.

b) Réformes relatives à l ’innovation, la formation et la recherche

A nos yeux, le grand défi d’un renouveau industriel de la France, ne réside pas tant

dans la diminution des couts du travail — qui, trop élevés, obèrent en effet notre compétitivité, mais qui n’expliquent pas en soi le désert industriel français grandissant — mais dans l’amélioration de la compétitivité hors prix de nos entreprises, à savoir (1) l’innovation technologique (R&D), mais aussi (2) — cela est trop peu souligné dans les exemples allemands et américains — la dimension non technologique de l’innovation: marketing, branding, procédures de livraison, standardisation des services, process,…

L’Etat, s’il est un actionnaire peu efficace, doit retrouver son rôle de stratège et de pilote de la politique industrielle. Les deux mouvements doivent aller de pair et permettre de dégager des marges de manœuvres pour les politiques indiquées.

Proposition 9 : Reprendre le programme de désengagement des participations minoritaires de l’Etat dans des entreprises industrielles et permettre à des entrepreneurs français de redresser et développer en France et à l’international ces entreprises. Programme pluriannuel (4 ans) de désengagement par le FSI et l’Agence des Participations de l’Etat à hauteur de respectivement 3.5 et 6.5 milliards d’euros: intérêts dans Vallourec, CGG Veritas, Eramet, Areva Mining Uranium, Renault,….et reconfiguration de ces entreprises avec des industriels ou institutionnels français. Ces nouveaux moyens doivent être affectés aux divers programmes annoncés dans la première partie, à l’aide aux entreprises innovantes ou industrielles en difficulté (pour le FSI), et à certaines mesures spécifiques étayées dans cette partie.

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Proposition 10 : Réorienter le FSI vers deux missions: le financement de l’innovation technologique (capital-risque de sociétés matures en partenariat avec les fonds classiques) et la restructuration des compagnies industrielles en difficulté.

L’impératif industriel impose à l’Etat français de repenser les avantages comparatifs de notre économie et de notre outil industriel en fonction de ses objectifs sociétaux. Aujourd’hui, il n’y a pas de lieu au sein de l’appareil d’Etat, comme aux Etats Unis, dédié à compiler les travaux de prospective, de recherche, et à en présenter la synthèse, pour dégager les voies possibles en matière de spécialisation industrielle au regard des objectifs du politique et des grandes forces françaises en matière d’innovation.

La disparition du Commissariat General du Plan, remplacé par un Centre

d’Analyse Stratégique inexistant dans le débat public et qui n’a pas officiellement de rôle en matière de stratégie industrielle, a marqué une régression dommageable. Nous considérons aussi la disparition de l’ANVAR lors de la Présidence précédente comme une erreur de politique industrielle. Le gouvernement Ayrault a annoncé une mission de réflexion sur la création d’un “commissariat de la prospective”.

A la date de la conclusion de nos travaux (début octobre 2012), nous ne

pouvons préjuger ni de la forme, ni de l’ambition, de cet organisme qui sera proposé par la mission de réflexion vers la fin 2012. Nous appelons bien sûr de nos vœux la création de cette structure, même si notre vision sera peut être différente de l’organisme final mis en place par le gouvernement. Nous considérons que cet organisme de prospective doit aussi intégrer une vision d’ensemble de la recherche fondamentale française, d’où le nom que nous lui donnons. Ses futurs membres devront partir des points forts de la recherche française, les conjuguer avec les objectifs du politique, pour en définir des secteurs industriels privilégiés par l’effort public, et coordonner les moyens de différents ministères mais aussi acteurs privés. Enfin, ce nouvel organisme devrait travailler en partenariat étroit avec les organismes similaires existant dans d’autres pays de l’Union Européenne, préfigurations d’une Agence Européenne de la Prospective.

Proposition 11 : Créer un Conseil de la Recherche et de la Prospective, rattaché à l’Elysée, aux fins de (1) faire la synthèse des multiples travaux de prospective chaque année ; (2) Intégrer les grandes lignes de la recherche fondamentale française et les objectifs du politique ; et (3) définir de manière rationnelle les spécialisations industrielles et les modalités de partenariats public/privé pour développer ces secteurs. Ce nouveau Conseil doit bien sûr intégrer en son sein ou superviser d’autres institutions pour éviter les redondances: DATAR, Conseil d’analyse stratégique, ANVAR (qui doit être rétablie sous l’autorité de ce nouveau Conseil).

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Proposition 12 : Rétablir l’ANVAR (Agence nationale de valorisation de la recherche) et la placer sous l’égide du nouveau Conseil de la Recherche et de la Prospective. Accueillir des industriels et des chercheurs du privé au sein de ces deux organismes. Si ces deux institutions étaient en fonction à l’heure actuelle, elles démontreraient que les succès français- continus, malgré les problèmes budgétaires- en mathématiques et le fort effet multiplicateur des industries aéronautiques, de défense et de transport, plaident pour un recentrage sur les mathématiques fondamentales, la physique mécanique et les industries en découlant. Proposition 13 : Piloter un effort national en mathématiques fondamentales, en renforçant son enseignement et ses centres de recherche, en favorisant l’émergence d’un nouveau statut de Fondation Mathématique pour encourager les donations privées, et en travaillant en partenariat avec les industriels des secteurs aéronautiques, militaires, et mécaniques. Ce nouveau Conseil de la Recherche et de la Prospective devrait, sur le modèle américain, régulièrement lancer des projets/concours sur des objectifs particuliers, à destination du privé, avec des prix/financement à la clef. Ce modèle fut utilisé aux Etats Unis pour les solutions spatiales privées. Proposition 14 : Immédiatement créer sur 10 projets industriels appliqués un appel au privé/ concours avec comme récompenses des prix (E1mln) à destination des entrepreneurs et des financements. Cet effort de recherche et innovation doit bien sûr commencer dans l’enseignement supérieur, avec une nécessaire relance de la formation scientifique. Il faut à nouveau rendre les études scientifiques attractives pour les plus brillants esprits français. En dix ans, les inscriptions en première année universitaire dans les cursus scientifiques ont diminué de 40% malgré une filière S prééminente au lycée. Proposition 15 : Permettre aux Fondations de droit privé de prendre en charge par des bourses privées, uniquement sur mérite, la scolarité de nos jeunes scientifiques. Proposition 16 : Introduire dans le calcul des Bourses, un coefficient augmentateur pour les étudiants dans le domaine scientifique. Proposition 17 : Rendre gratuite la scolarité en doctorat scientifique. Proposition 18 : Réfléchir, dans le cadre du futur fonds Qatari pour les banlieues, à des aides spécifiques pour encourager les vocations scientifiques dans ces milieux.

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Il est impératif de continuer à "décloisonner" les formations scientifiques, et également à les rapprocher des formations commerciales et économiques. Nous plaidons donc pour une accélération de la constitution de grands pôles d’enseignement, similaires aux universités américaines généralistes, favorisant la fertilisation croisée entre domaines d’enseignement. Proposition 19 : Créer de véritables Universités d’Excellence généralistes, par regroupement de grandes écoles et universités, au-delà des simples pôles actuels et collaborations ponctuelles. Afin de favoriser l’émergence de véritables entrepreneurs industriels, tout programme scientifique doit être accompagné de cours entrepreneuriaux, aussi ouverts à des non-scientifiques, qui apporteront leur connaissance d’autres domaines, afin de créer un dialogue entre purs scientifiques et commerciaux/gestionnaires. Le modèle émulé ici serait celui de HEC Entrepreneurs. Proposition 20 : Créer des programmes de type HEC Entrepreneurs dans chaque formation scientifique, y compris parmi les doctorats.

c) Réformes relatives au systèmes administratif et social Nous avons délibérément choisi, dans ce travail, de laisser à l’écart la question de la compétitivité-prix, et donc des salaires et des charges sociales, cette question renvoyant à la politique sociale elle-même et à l’interconnexion entre nos ambitions industrielles et nos vues sociétales. De manière générale cependant, si l’ambition industrielle est l’objectif prioritaire, et toutes choses étant égales par ailleurs, nous sommes plutôt enclins à recommander la CSG universelle pour financer la partie dépendance de la protection sociale, la partie assurance étant elle toujours assise sur les cotisations sociales. Proposition 21 : Réfléchir à une séparation du financement de la partie dépendance de la protection sociale vs la partie assurance. Dans nos discussions avec de nombreux entrepreneurs, nous avons été surpris de constater que si de grands progrès ont été réalisés au cours des dernières années pour faciliter les démarches administratives, notamment en termes de créations d’entreprises, beaucoup de PME notaient que des textes ne les concernant pas directement, mais votées sans leur consultation, en matière sociale, environnementale, fiscale, impactaient leurs activités et contribuait à l’inflation règlementaire. Aux Etats-Unis ou

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en Scandinavie existent des organismes chargés de veiller au respect du droit des PME et ce modèle devrait émuler en France à juste titre. Proposition 22 : Créer un Bureau des Droits des PME, et associer cet organe consultatif au travail règlementaire et parlementaire afin d’identifier ex ante les mesures dans les textes généraux qui pourraient créer des problèmes d’application pour les PME. Au niveau administratif, il faut impérativement rationaliser la supervision des projets à destination des PME avec la création d’un équivalent au SBIC (Small Business Investment Community) américain , afin de piloter les aides en fonds propres et en dettes en partenariat avec le privé. Cet organisme doit contrôler OSEO, et donc en pratique faire partie de la BPI. Proposition 23 : Créer une Agence du Financement Industriel des PME, rattachée à la BPI et structure de tête d’OSEO (partie publique des fonds), afin de rationaliser le processus décisionnaire public/privé d’aides aux PME. S’il n’est pas non plus de l’ambition de ce rapport de proposer une réforme fiscale complète, nous voudrions tout de même fournir quelques réflexions en la matière directement liées aux problématiques industrielles. Il s’agit d’abord de rationaliser les incitations fiscales en matière d’investissements dans les PME, et de faire fi de l’empilement incongru des dispositifs en la matière au fil des ans. Proposition 24 : Repenser les dispositifs ISF/TEPA et Madelin en fusionnant les deux systèmes d’incitation fiscale en un dispositif unique, engendrant déductibilité sur tous les impôts et toute la base imposable, pas uniquement l’ISF. La majeure partie des dispositifs d’incitation fiscale pour l’investissement dans les jeunes entreprises et PME nous parait souffrir d’une grave déficience congéniale, à savoir l’absence de traitement différentié selon la nature de l’investisseur et la nature de l’investissement. Nous avions déjà souligné ce problème pour les sociétés matures cotées en Bourse. Proposition 25 : Etablir une distinction fiscale entre les business angel en phase d’amorçage et les business angels en phase de revenus, sur le modèle du Royaume Uni. De plus, pour favoriser les FCPI en la matière, la fiscalité a été alignée avec celle des investissements directs, ce qui ne nous parait pas favoriser les vrais entrepreneurs/business angel.

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Proposition 26 : Etablir une distinction fiscale entre l’investissement direct dans une entreprise et l’investissement dans un fonds d’amorçage FCPI. Il faut de manière générale limiter la fonctionnarisation de ces systèmes d’aide aux PME et associer le secteur privé à la sélection des projets par souci d’efficacité. Un autre pan des réformes administratives qui concernent directement les PME industrielles est celui relatif à la simplification des procédures. Nous sommes favorables en la matière à la création d’un guichet unique pour les entrepreneurs et à un vaste effort numérique (sites internet, numérisation) qui aurait par ailleurs vertu de stimulus en faisant travailler une myriade de sous-traitants informatiques sélectionnés sur la base de l’implantation française. Proposition 27 : Créer un Guichet Unique en Ligne pour la création d’entreprises, sur le modèle du Companies House britannique. Proposition 28 : Lancer un effort massif de numérisation de l’administration française pour rationaliser les près de 700 sites en gouv.fr. Unifier leurs chartes graphiques, éviter les redondances de contenus et les informations peu adaptées. Ouvrir des systèmes de messagerie instantanée privée sur ces sites accessibles aux individus âgés, handicapés, ou vivant trop loin des administrations physiques.

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III) Applications sectorielles sélectives En guise d’introduction, nous rappelions que notre ambition n’était pas de proposer de lourdes réformes de structure du modèle français, mais bien des mesures pratiques pour redorer notre blason industriel. A cet égard, certaines mesures de la partie II de ce rapport sont à proprement parler industrielles, d’autres plus généralistes. Dans cette dernière partie, nous abordons des problématiques sectorielles, en nous focalisant sur trois secteurs: énergie/mines, textile/habillement, et biotech, afin de montrer les besoins différents en fonction de la valeur ajoutée créée par le secteur, du gisement d’emplois, du contenu en innovation technologique.

a) Energie/Mines

  Il est impératif pour le renouveau industriel français de maintenir des sources d’énergie et de matières premières abondantes, peu onéreuses et, si hors sol national, localisées dans des régimes stables, amis et amicaux.

Proposition 29 : Permettre l’essor de l’exploitation pétrolière offshore en Guyane.

Proposition 30 : Créer un sous véhicule au FSI pour financer de nouvelles entreprises d’exploitation pétrolière ou minière cruciales pour les intérêts français (du fait de leur géographie ou de la nature de la ressource).

Proposition 31 : Envisager l’adossement d’Areva Mining et d’Eramet à de nouvelles structures entrepreneuriales (sortie de l’Etat) à un horizon de trois-quatre ans.

b) Textile/Habillement

 

Autant que la sidérurgie & métallurgie, le secteur du Textile & Habillement évoque une industrie française sinistrée, en voie d’extinction. Il est vrai que les crises à répétition depuis les années 1960 ont touché les segments fortement utilisateurs de main d’œuvre peu qualifiée. La concurrence des pays voisins d’abord (Italie, Allemagne), puis de l’Europe Centrale et du Maghreb, et plus récemment de la Chine et

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de l’Inde, ont favorisé délocalisation et sous-traitance dans les pays où les coûts, en particulier le coût du travail, est plus faible.

C’est donc la partie industrielle de la filière, manufacture et confection, qui est la plus fortement touchée par ce phénomène de délocalisation. A titre d’exemple, le nombre d’emplois en France dans la partie Textile seulement est passé de 120,000 en 2002 à 70,000 en 2011, après avoir connu un déclin similaire la décennie précédente. La plupart de ces emplois sont au sein de PMI de moins de 250 employés. Ce phénomène ne se limite pas à la France: les principaux acteurs en Asie à la fin des années 1990 (Corée du Sud, Taiwan, Indonésie, Japon) ayant atteints des niveaux de développement comparables à l’Occident, le coût du travail dans ces pays est moins avantageux qu’il ne l’était. Ces acteurs perdent aussi des parts de marché face aux nouveaux entrants (Chine, Inde, Vietnam, Turquie) où les coûts, en particulier coût du travail, sont encore avantageux. Cette dynamique est favorisée par la suppression progressive du protectionnisme douanier : adhésion de la Chine à l’OMC en 2002 (Organisation Mondiale du Commerce), suivie du démantèlement des accords multifibres en 2005. Ces accords favorisaient l’utilisation de textile européen, et donc la régionalisation des échanges entre Union Européenne d’une part, et bassin méditerranéen et Europe centrale d’autre part, pour limiter les coûts de transport. Dans un premier temps, la nouvelle donne a favorisé l’utilisation de textiles en provenance de pays comme la Chine, qui bénéficiait d’un avantage tant sur le coût des matières premières, que sur le coût du travail.

A titre de comparaison, le coût horaire de la main d’œuvre est de 15,9 dollars en France, 1,89 dollars au Maroc, 0,4 dollar en Chine (0,7 dollar pour la Chine côtière) : les employés dans ces deux derniers pays ne possèdent bien entendu pas les mêmes avantages sociaux qu’en France. Cependant, le développement rapide de la Chine se traduit par une hausse des coûts année après année (entre 30 et 40% de hausse entre 2008 et 2011, matière première et main d’œuvre incluses), ce qui bénéficie directement au Maghreb et à la Turquie, dont la proximité et la main d’œuvre faiblement plus chère en fait encore des destinations de choix pour délocalisation ou sous-traitance de la production.

Le Textile & Habillement, l’une des industries les anciennes en France, perd donc en part de marchés, en particulier dans le domaine de la confection. Les exportations se limitent à quels pays limitrophes, et la dépendance dans l’habillement vis-à-vis de la Chine et l’Italie est importante. Le total des exportations textiles est ainsi passé de 9.3 milliards d’euros en 2002 à 7.9 milliards d’euros en 2011 (chute de 21.5%). Sur la même période, les importations textiles sont passées de 12.2 à 14.8 milliards d’euros (hausse de 21.3%).

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Une redistribution des rôles: la production cède la place à la distribution et à la création

Simultanément, les modes de consommation ont évolué d’une consommation de masse, où la production (confection) contrôle la filière, vers une consommation plus sélective, où la distribution contrôle maintenant la filière. Les acteurs proches des clients mènent la danse. Le secteur s’est donc recentré sur les services : création, innovation, importation et commercialisation sont les activités principales. Les activités industrielles sont abandonnées progressivement au profit des activités tertiaires, évolution naturelle dans une société de services. En somme, la suppression des barrières commerciales et la mondialisation poussent chaque acteur à se recentrer sur les activités pour lesquelles ils possèdent un avantage compétitif, activités plus spécialisées et à plus forte valeur ajoutée. Commercialisation et innovation s’effectue donc en France, alors que production ou sous-traitance sont délocalisée vers des acteurs à bas coûts. La proportion d’ouvriers est ainsi passée de 60% en 2000 à 45% en 2011 Quelle direction pour le Textile & Habillement en France? Innovation, Marques et Niches

La forte mondialisation de l’économie nous place plus que jamais dans un contexte très Darwinien: évoluer ou disparaitre, victime d’une concurrence débridée sur les coûts. Absent tout protectionnisme, l’innovation est donc une stratégie d’évolution naturelle et nécessaire. Mais si l’on tient compte des atouts français, ce n’est pas la seule. Le développement de marques est une alternative stratégique viable, qui va de pair avec l’innovation, et une stratégie d’autant plus viable compte-tenu du rayonnement des marques françaises du Japon jusqu’aux Etats-Unis. C’est aussi la solution que nos voisins Italiens semblent avoir adoptée. Ces suggestions ne sont bien sûr pas une panacée, mais des stratégies qui expliquent le succès d’un certain nombre d’entreprises. N’oublions pas que certaines tentatives de diversification des activités se sont révélées infructueuses, à l’instar de DMC qui s’est éteint après plus de 250 ans. Leurs efforts de diversification dans les activités loisir & création se sont révélées infructueuses, et seule l’activité plus « industrielle » de fils pour vêtement et fils à broder était bénéficiaire.

Proposition 32 : Réorienter les vieilles industries textiles au-delà du pur débouché vestimentaire, vers les applications professionnelles et innovantes.

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La première stratégie est donc l’innovation technologique et l’élargissement au-delà du champ purement vestimentaire, comme l’exemple de Thuasne le démontre ci-dessous. Il s’agit en particulier de textiles techniques et innovants, avec des applications médicales, sportives, aéronautiques. La Recherche & Développement y joue un rôle plus important que dans les entreprises de confection classique. Comparativement à d’autres secteurs de haute technologie, la structure typique est une PMI, pour lesquelles la part de R&D est souvent plus faible. Il convient donc de favoriser la R&D, par exemple via des partenariats avec les universités et écoles spécialisées. A cet égard, la création des réseaux de partenariat R2ITH / R3iLab est un progrès significatif pour favoriser l’innovation. L’une de clés de cette stratégie est aussi de valoriser et protéger la propriété intellectuelle par le dépôt des brevets.

Proposition 33 : Création d’un label AOP (Appellation d’Origine Protégée) pour les marques artisanales françaises de qualité avec un savoir-faire dans la fabrication.

Une seconde stratégie connexe est le développement de marques

emblématiques, fortement reconnaissables et différenciées de la masse de biens « standards » à la disposition du consommateur (« branding »). Contrairement à l’innovation technologique, la valeur ajoutée du produit ne repose pas seulement sur sa fonction matérielle (médicale, etc.) que sur l’imaginaire du consommateur. Le rationnel est éclipsé: le produit fait appel aux désirs, aux émotions du consommateur. On ne vend plus un produit, mais un rêve. Dans le contexte du Textile & Habillement, la haute couture française ou les carrés de soie Hermès sont des exemples bien connus.

Ces exemples sont bien sûr très « haut de gamme », mais la stratégie s’applique

aussi aux articles milieu-de-gamme. La partie à forte valeur ajoutée (design, marketing & commercialisation du produit) est donc accomplie en France, mais la partie à plus faible valeur ajoutée (confection) est parfois accomplie à l’étranger. S’agissant d’articles de qualité, on pourrait cependant envisager une fabrication artisanale et une extension du système d’AOP (Appellation d’Origine Protégée) dans le but de protéger et valoriser le savoir-faire de fabrication. C’est une des raisons pour laquelle l’industrie textile italienne se porte relativement bien, compte tenu de l’impact de la crise économique : valorisation de leur savoir-faire, de la qualité de leur tissu ou des procédés d’impression. Et tout le cycle productif se trouve concentre côte à côte. Un exemple à suivre pour la France.

Comme pour l’innovation technologique, cette stratégie doit s’accompagner

d’une protection de la propriété intellectuelle (la marque) et d’une lutte accrue contre la contrefaçon.

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Un exemple d’innovation technologique: Thuasne

Thuasne est le symbole même de l’innovation. Fondée en 1847, Thuasne est, à l’origine, une fabrique de tissu élastique pour bretelles et jarretelles. Lorsque que l’ingénieur textile Maurice Thuasne reprend les reines au début du XXe siècle, sa première innovation est d’entendre la gamme avec des tissus pour bandage, utilisant le latex. Après la seconde guerre mondiale, il comprend que l’activité d’origine n’a pas d’avenir. Fort de sa vision innovante, il oriente définitivement la stratégie de l’entreprise vers le médical : ceintures médicales, orthèses médicales (genouillères, etc.), tant de produits innovants qui n’existaient pas à l’époque. Cela nécessite de réinventer l’entreprise complètement : nouveau cahier des charges, nouvelles machines, nouveaux clients, nouveau marketing, dépôts de brevets. Cinq générations de dirigeants plus tard, cette stratégie d’innovation a amené l’entreprise à devenir un leader européen, une marque reconnue, fort de 1200 collaborateurs. La production s’effectue dans des usines au sein de l’Union Européenne. Et Thuasne consacre 30 collaborateurs et 7% de son chiffre d’affaires à la Recherche & Développement, moteur de l’innovation. Un exemple d’innovation qui est suivi par de multiples entreprises du secteur. Valeur ajoutée, le moteur de toute stratégie d’avenir. Autant louable soit-il de vouloir sauver les emplois d’une usine de production appelée à fermer, la réalité est simple: une entreprise, surtout une PMI, peut difficilement survivre sur des marchés à faibles marges, sans avantage compétitif. Quel que soit le secteur, il est évidemment préférable de mener une stratégie à forte valeur ajoutée, avec un avantage compétitif clair et des barrières d’entrée élevées : innovations technologiques, marques, valorisation du savoir-faire et protection de la propriété intellectuelle doivent être les moteurs de l’avenir de l’industrie Textile & Habillement.

c) Biotechnologies : une filière d’avenir

 

Les biotechnologies françaises constituent un secteur de pointe, en forte évolution et au potentiel immense. Bénéficiant d’assises solides dans le secteur des sciences de la vie (pharmaceutique, équipement médical etc.), la filière biotech joue par ailleurs un rôle émergent dans les domaines de l'environnement, de la bio-industrie, de l'agronomie, de l'agriculture et de l'agro-alimentaire, ainsi que pour la mise au point de processus industriels innovants.

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Mais, alors que le marché mondial, évalué à 260 milliards de dollars1, enregistre une croissance fulgurante ces dernières années, la France, qui a pourtant placé la science au cœur de ses priorités, accuse un certain retard, se heurtant à plusieurs freins comme les capacités de financement limitées des entreprises innovantes de la filière, leur manque de structure financière et la dégradation boursière post crise.

Si le poids de la crise conjoncturelle économique a affecté la filière (les financements privés ont notamment connu une baisse de 56% des montants investis par les capitaux risqueurs entre 2008 et 2009), plusieurs observateurs annoncent l’amorce d’un retour en grâce des biotechs. Le projet de Grand Emprunt français, en 2011, par exemple, prévoit allouer au secteur une enveloppe totale de 1,55 milliards d’euros, qui permettrait d’accélérer la valorisation industrielle de la filière. Par ailleurs, en 2011, les sociétés cotées françaises du secteur affichaient une croissance de revenus de 10 à 20%. Finalement, on observe une réouverture de la fenêtre boursière, avec une croissance des introductions en Bourse depuis 2010 et plusieurs levées de fonds secondaires (70 millions € pour NicOx, 150 millions pour Transgène etc.).

Par ailleurs, les initiatives de soutien des pouvoirs publics se sont multipliées2, avec la mise en place d’une palette de dispositifs fiscaux, juridiques et économiques permettant de stimuler la filière. Certaines initiatives, comme le Crédit Impôt Recherche, ou encore le statut de Jeune Entreprise Innovante, ont portés fruit. Le statut de Jeune Entreprise Innovante, qui exonère de charges sociales les employés impliqués dans les projets R&D, permet par exemple de réaliser des économies, représentant environ 20% de la masse salariale, et ainsi le réinvestissement dans le recrutement de talents hautement qualifiés, l’achat d’équipement de pointe, de nouveaux projets R&D etc.

Zoom sur la filière biotechnologie santé On constate depuis plusieurs années un phénomène d’impartition du volet recherche et développement des grandes entreprises pharmaceutiques vers des sociétés de biotechnologies santé, chargées de rechercher les causes des maladies, concevoir, tester et produire des médicaments spécifiques. Certaines régions3 (cf. figure ci-après)

                                                                                                               1  Source  :  LEEM  2  Source  :  Ministère  de  l’Économie,  des  Finances  et  de  l’Industrie  2  Source  :  Ministère  de  l’Économie,  des  Finances  et  de  l’Industrie  3  Source  :  http://competitivite.gouv.fr/  

En France, les sociétés de biotechnologie sont en majorité des jeunes PME, qui investissent de manière très importante dans des projets de recherche et développement. On compte plus de 450 entreprises de biotechnologie, qui emploient environ 6000 personnes dont plus de la moitié en R&D. Source : Ministère du redressement productif

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ont développé de véritables grappes biotechs (pôles de compétitivité) où un tissu de jeunes entreprises innovantes devient source de développement stratégique pour les industriels de la santé.

La filière française des biotechnologies santé bénéficie de l’appui d’un écosystème structuré (pôles de compétitivité, IHU, SATT, PRES, sociétés pharmaceutiques et de diagnostic leaders) 4 . Les entreprises françaises de biotechnologies restent cependant dans la « moyenne » du benchmark mondial5 (Cf. figure ci-dessous) : malgré les progrès enregistrés ces dernières années, elles gardent un degré de maturité inférieur à celui de leurs concurrentes européennes et américaines (taille, nombre…), et restent présentes mais rarement leaders sur des approches thérapeutiques innovantes6.

La France enregistre un ratio produit en développement clinique par entreprise supérieur à l’Allemagne. Le pipeline de produits thérapeutiques en développement – riche de 150 nouvelles molécules en développement, dont plusieurs dizaines sont déjà au stade de l’étude clinique (23 en phase 1, 31 en phase 2 et 11 en phase 3) –                                                                                                                4  Source  :  Adebiotech  5  Source  :  LEEM  6  Source  :  LEEM  

Alsace Biovalleywww.alsace-biovalley.com

§ Région : Alsace / Pôle à vocation mondiale§ Thématiques :

• Nouvelles molécules thérapeutiques (du gène et de la chimie au médicament)• Outils innovants pour la médecine (imagerie et robotique médicale et chirurgicale)

Atlanpole Biotherapieswww.atlanpolebiotherapies.com

§ Région : Pays de la Loire

Cancer Bio Santéwww.cancerbiosante.fr

§ Régions : Midi-Pyrénées, Limousin§ Thématiques :

• Prévention alimentaire • Cibles thérapeutiques • Innovations thérapeutiques • Outils biomédicaux

Eurobiomedwww.eurobiomed.org

§ Régions : Languedoc Roussillon et Provence Alpes Côte d'Azur§ Thématiques :

• Maladies infectieuses, tropicales et émergentes • Maladies rares et orphelines • Dispositifs médicaux (biomarqueurs, diagnostic) • Immunologie et ses applications thérapeutiques • Pathologies neurologiques, vieillissement et handicap

Lyon Biopôlewww.lyonbiopole.com

§ Région : Rhône-Alpes / Pôle mondial§ Thématiques :

• Maladies infectieuses • Infectiologie • Virologie • Parasitologie • Bactériologie • Immunologie

Medicenwww.medicen.org/

§ Région : Ile de France / Pôle mondial§ Thématiques :

• Médecine translationnelle, pour une approche créatrice d’innovations • Outils biologiques à usage industriel et produits bio-thérapeutiques • Bio-numérique pour mieux comprendre, modéliser et simuler la maladie

Nutrition Santé Longévitéwww.pole-nsl.org

§ Région : Nord -Pas- de- Calais§ Thématiques :

• Nutrition • Maladies métaboliques et cardiovasculaires • Maladies liées au vieillissement

Pôles de compétitivité biotechnologies santé

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témoigne d’un certain dynamisme de l’industrie biotechnologique française. Parmi les acteurs français les plus actifs, citons Sanofi-Aventis, Pierre Fabre, Servier, Ipsen ou BioMérieux. Au-delà de la santé humaine qui mobilise pour l’instant l’essentiel du potentiel de la recherche biotechnologique nationale, s’ouvrent progressivement de nouveaux débouchés dans des domaines aussi divers que l’environnement, la sécurité alimentaire ou la cosmétologie.

Le modèle américain : leçons à tirer ?

Les Etats-Unis dominent très nettement le paysage mondial, avec un nombre de sociétés moindre que l’ensemble des pays européens, mais près de dix fois plus d'emplois et trois fois plus d'investissement par le capital-risque. La filière américaine arrive également en tête en termes de produits commercialisés et de dépenses de recherche et développement. La réussite des biotechs américaines, appuyé par la recherche et porté par de nombreuses jeunes entreprises innovantes de petite taille, s’explique en partie par le concept de « complémentarité institutionnelle » (interaction et complémentarité des domaines de l’organisation, de la finance et de la propriété intellectuelle. Plus précisément, le succès des biotechs américaines repose sur trois leviers principaux : Primo, le renforcement du régime de la propriété intellectuelle avec l’élargissement du champ de la brevetabilité à différents domaines biotechnologiques.

94%Europe(incl. Suisse)

Suisse 205

6% 2 347

5% 95%

Royaume-Uni 8195% 95%

1 72618% 82%

5% 95%

Suède 3287% 93%

France 3886% 94%

Allemagne 457

États-Unis

Côtées en bourse Non côtées en bourse

Entreprises de biotechnologies santé – Balisage mondial2011, Entreprises (N); Présence sur le marché boursier (% ) et Produits en développement clinique

854

130

74

150

220

150

États-Unis 1 500

France

Allemagne

Royaume-Uni

Europe(incl. Suisse)

Suisse

Suède

Nombre de produits en développement clinique

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Secundo, le financement par le capital-risque des PME intensives en recherche puis leur introduction en bourse. Tertio, la réorientation des politiques publiques favorisant l’essaimage public et la production de connaissances au sein de réseaux de recherche associant laboratoires publics et PME intensives en recherche; et alliances avec de grandes entreprises7.

Sur ce dernier volet, soulignons l’effort des biotechs françaises qui intensifient leurs démarches de partenariats (entre 35 à 40 % de leur budget de R&D sont désormais alloués à des accords et des projets collaboratifs8) et tendent à une relative consolidation du secteur, au vu de récentes opérations de fusions-acquisitions (193 en 2009 et 81 en 20109).

Perspectives de la filière : vers une réforme de la fiscalité?

La filière biotech française cumule plusieurs forces distinctives (synthétisées dans la figure ci-dessous) mais également certaines faiblesses, notamment reliées au financement.

                                                                                                               7  Source  :  Carpentier,  Liotard  et  Revest  «  La  promotion  des  firmes  francaises  de  biotechnologie  »  Revue  d’économie  industrielle  (2007)  8  Source  :  XERFI  9  Source  :  Euler-­‐Hermès  

Forces à consolider Points d’amélioration à adresser

§ Un écosystème structuré (pole de compétitivité, IHU, SATT, PRES, sociétés pharmaceutiques leaders etc.)

§ Un pipeline de produits en développement bien rempli§ Un pool de jeunes entreprises dynamiques§ Les pôles de compétitivité, moteur de croissance et

d’innovation§ Une pluralité de compétences reflété par un haut

niveau d’enseignement, considéré comme l’un des meilleurs au monde

§ Un degré de maturité inférieur à celui des concurrents américains et de certains pays européens (ex. Allemagne, Royaume-Uni) en termes de nombre et taille d’entreprises,emplois etc.

§ Des entreprises de biotech santé présentes mais rarement leader sur des approches thérapeutiques innovantes

§ Manque de structure financière dans les entreprises

Opportunités à considérer Menaces à prévenir

§ Une croissance des partenariats stratégiques et des projets collaboratifs en R&D

§ Essaimage public et réseaux de recherche associant laboratoires publics et PME intensives en recherche

§ Alliances de PME avec de grandes entreprises§ Des introductions boursières en croissance§ Des pressions pour réformer la fiscalité des PME

françaises (fiscalité non confiscatoire, amélioration du crédit d’impôt recherche, allongement du statut de Jeune Entreprise Innovante etc.)

§ Une fiscalité lourde§ Des sources refinancement insuffisantes§ Une attractivité insuffisante pour les étrangers et

investisseurs français hors de France§ Frilosité des capitaux risqueurs

La filière biotech française : diagnostic sommaire

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Pour combler son retard, le secteur biotechnologique français doit saisir plusieurs opportunités (ex. partenariats publics-privés et alliances stratégiques, introductions boursières en croissance) et amorcer une réflexion stratégique notamment en termes de fiscalité, pour attirer les investisseurs et ainsi développer la filière.

À cet effet, plusieurs organismes indépendants, dont l’organisation France Biotech, qui défend les intérêts des entreprises de biotechnologie françaises, ont récemment interpellé le gouvernement sur la nécessité d'une réforme de la fiscalité des PME françaises en proposant plusieurs "propositions d'avenir" en matière fiscale, telles que l’amélioration du crédit impôt recherche et la redéfinition de son assiette, l’allongement du statut de Jeune Entreprise Innovante, la réintégration de l'exonération totale et non plafonnée des charges patronales ou encore la révision de la fiscalité sur la propriété intellectuelle pour la rendre plus attractive.

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Conclusion « Demain est moins à découvrir qu’inventer », a pu dire Gaston Berger. A cet égard, la France doit reprendre le contrôle de son destin industriel et sa dérive face à nos concurrents n’est pas une fatalité inéluctable. Avant même de remettre à plat le modèle français, nous pouvons enrayer cette désindustrialisation en traitant immédiatement deux problèmes: le manque de financement et l’absence de travail de prospective, notamment sur les secteurs de spécialisation. Notre rapport est jalonné de mesures concrètes sur ces deux domaines qui ne demandent qu’une impulsion du politique et une collaboration privé (entrepreneurs)/ public. Nous pouvons créer ces BDC à la française — que nous appelons de nos vœux — dans les prochains mois. Nous pouvons rationaliser notre effort de prospective rapidement. Nous pouvons relancer la recherche industrielle et scientifique à peu de frais. La France va devoir s’atteler à la réduction de sa balance commerciale, en consacrant la priorité aux secteurs créateurs de valeur ajoutée et attirant des devises: aéronautique, militaire, transports, mais aussi dans une moindre mesure agroalimentaire et tourisme. Nous ne pouvons pas faire feu de tout bois et ne pourrons pas essaimer cette volonté dans tous les secteurs, au risque de disperser nos moyens limités. L’heure est donc aux priorités industrielles. Ces choix industriels, in fine, renvoient au choix de modèle de société et aux grandes lignes sociales, économiques, et culturelles du futur de la France.

« Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir »

François Mitterrand

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Bibliographie sélective Lester & Piore. Innovation, the missing dimension. Harvard University Press (2006)

Jean-Michel Treille. Les clés de l’avenir, l’ambition industrielle. L’Harmattan (2012)

Artus & Virard. La France sans ses usines. Fayard (2011)

Gabriel Colletis. L’urgence industrielle! Le Bord de l’Eau (2012)

Colletis & Lung. La France industrielle en question. La Documentation Française (2006)

Jean Louis Beffa. La France doit choisir. Seuil (2012)

Conseillers du Commerce Extérieur Français au Royaume-Uni. Entre austérité et relance

entrepreneuriale, rapport 2012.

Rapports annuels du Conseil National de l’Industrie 2010, 2011

                         

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Vademecum Proposition 1 : Créer un nouveau statut de l’actionnaire de long terme, accessible pour tout investisseur individuel ou institutionnel, pouvant justifier de deux années continues de détention de 1% au minimum du capital d’une société. Ce statut sera accessible par constitution d’une demande auprès de l’Autorité des Marchés Financiers. Proposition 2 : Etablir une fiscalité sur les gains en capital spécifique à ces investisseurs, fixée à 30% (maximum tout prélèvement libératoire, social et autres inclus) la troisième année, puis de manière dégressive avec le passage des années, 25%, 20% et 15% afin de favoriser des blocs détenus au moins cinq années durant. Proposition 3 : Ouvrir la possibilité, à ceux des actionnaires enregistrés comme actionnaires de long terme auprès de l’AMF (cf. proposition1) et qui disposent de capitaux permanents (ce qui exclut des gérants d’actifs de tiers), de posséder jusqu’à 50% du capital d’une société en Bourse sans avoir à déclencher une Offre Publique d’Achat (OPA). Proposition 4 : Créer une commission d’étude du trading de haute fréquence avec des praticiens sur Paris, Londres et New York pour envisager des mesures concrètes pour stabiliser l’actionnariat industriel sur le court terme. Proposition 5 : Tout financement accordé par la BPI en fonds propres devrait être accompagné d’un investissement par un acteur non public, afin d’optimiser la sélection des dossiers. Proposition 6 : Favoriser la création par des entrepreneurs/institutionnels, de plateformes de marchés privés, antichambres à la Bourse, permettant aux grosses PME, sociétés innovantes et ETI, de lever des fonds ou d’offrir de la liquidité aux fondateurs, par transactions privées et standardisées avec des investisseurs accrédités. Proposition 7 : Créer un nouveau statut pour les fonds mezzanines opérant à 80% de leur activité en France au minimum et installés sur le territoire français, en défiscalisant un quart de la prime de performance (carry) touchée par les gérants, et en créant des partenariats BPI/ Fonds Mezzanine. Proposition 8 : Créer une nouvelle catégorie de société de crédit industriel, les BDC (Business Development Corporation) à la française, par partenariat avec les pouvoirs

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publics. Les BDC, créées et gérées par des entrepreneurs financiers privés, lèveront des fonds propres en Bourse par appel à une épargne publique attirée par un haut rendement du dividende, et de la dette auprès de la BPI, les institutions bancaires et internationales (fonds souverains). Elles octroieront des prêts aux projets les plus risqués des grosses PME et ETI françaises seulement, contre un coupon de l’ordre de 7%, et les accompagneront sur 8-10 ans. Des secteurs à fort effet multiplicateur en termes d’emplois et de valeur ajoutée seront ciblés dans la législation sur les BDC: aéronautique, automobile, défense, fret maritime, transports, énergie et service associés, mines, matériaux, machines-outils. Proposition 9 : Reprendre le programme de désengagement des participations minoritaires de l’Etat dans des entreprises industrielles et permettre à des entrepreneurs français de redresser et développer en France et à l’international ces entreprises. Programme pluriannuel (4 ans) de désengagement par le FSI et l’Agence des Participations de l’Etat à hauteur de respectivement 3.5 et 6.5 milliards d’euros: intérêts dans Vallourec, CGG Veritas, Eramet, Areva Mining Uranium, Renault,… et reconfiguration de ces entreprises avec des industriels ou institutionnels français. Proposition 10 : Réorienter le FSI vers deux missions: le financement de l’innovation technologique (capital-risque de sociétés matures en partenariat avec les fonds classiques) et la restructuration des compagnies industrielles en difficulté. Proposition 11 : Créer un Conseil de la Recherche et de la Prospective, rattaché à la Présidence de la République, aux fins (1) d’intégrer les grandes lignes de la recherche fondamentale française et les objectifs du politique ; et (2) de définir de manière rationnelle les spécialisations industrielles et les modalités de partenariats public/privé pour développer ces secteurs. Proposition 12 : Rétablir l’ANVAR (Agence nationale de valorisation de la recherche) et la placer sous l’égide du nouveau Conseil de la Recherche et de la Prospective. Accueillir des industriels et des chercheurs du privé au sein de ces deux organismes. Proposition 13 : Piloter un effort national en mathématiques fondamentales, en renforçant son enseignement et ses centres de recherche, en favorisant l’émergence d’un nouveau statut de Fondation Mathématique pour encourager les donations privées, et en travaillant en partenariat avec les industriels des secteurs aéronautiques, militaires, et mécaniques.

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Proposition 14 : Immédiatement lancer 10 projets industriels appliqués d’envergure par appel au privé/concours, avec prix à destination des entrepreneurs (E1mln) et financements. Proposition 15 : Encourager les fondations de droit privé à la prise en charge de la scolarité de jeunes scientifiques via l’octroi de bourses spécifiques uniquement sur mérite. Proposition 16 : Introduire dans le calcul des bourses universitaires, un coefficient augmentateur pour les étudiants avec un solide projet entrepreneurial, et pour les étudiants dans le domaine scientifique. Proposition 17 : Rendre gratuite la scolarité en doctorat scientifique. Proposition 18 : Réfléchir, dans le cadre du futur fonds Qatari pour les banlieues, à des aides spécifiques pour encourager les vocations scientifiques dans ces milieux. Proposition 19 : Créer de véritables Universités d’Excellence généralistes, par regroupement de grandes écoles et universités, au-delà des simples pôles actuels et collaborations ponctuelles. Proposition 20 : Créer des programmes de type HEC Entrepreneurs dans chaque formation scientifique, y compris parmi les doctorats. Proposition 21 : Réfléchir à une séparation du financement de la partie dépendance de la protection sociale vs la partie assurance. Proposition 22 : Créer un Bureau des Droits des PME, et associer cet organe consultatif au travail règlementaire et parlementaire afin d’identifier ex ante les mesures dans les textes généraux qui pourraient créer des problèmes d’application pour les PME. Proposition 23 : Créer une Agence du Financement Industriel des PME, rattachée à la BPI et structure de tête d’OSEO (partie publique des fonds), afin de rationaliser le processus décisionnaire public/privé d’aides aux PME. Proposition 24 : Repenser les dispositifs ISF/TEPA et Madelin en fusionnant les deux systèmes d’incitation fiscale en un dispositif unique, engendrant déductibilité sur tous les impôts et toute la base imposable, pas uniquement l’ISF.

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Proposition 25 : Etablir une distinction fiscale entre les business-angels en phase d’amorçage et les business-angels en phase de revenus, sur le modèle du Royaume Uni. Proposition 26 : Etablir une distinction fiscale entre l’investissement direct dans une entreprise et l’investissement dans un fonds d’amorçage FCPI. Proposition 27 : Créer un Guichet Unique en ligne pour la création d’entreprises, sur le modèle du Companies House britannique. Proposition 28 : Lancer un effort massif de numérisation de l’administration française pour rationaliser les près de 700 sites en gouv.fr. Unifier leurs chartes graphiques, éviter les redondances de contenus et les informations peu adaptées. Ouvrir des systèmes de messagerie instantanée privée sur ces sites accessibles aux individus âgés, handicapés, ou vivant trop loin des administrations physiques. Proposition 29 : Permettre l’essor de l’exploitation pétrolière offshore en Guyane. Proposition 30 : Créer un sous-véhicule au FSI pour financer de nouvelles entreprises d’exploitation pétrolière ou minière cruciales pour les intérêts français (du fait de leur géographie ou de la nature de la ressource). Proposition 31 : Envisager l’adossement d’Areva Mining et d’Eramet à de nouvelles structures entrepreneuriales (sortie de l’Etat) à un horizon de trois ans. Proposition 32 : Réorienter les vieilles industries textiles au-delà du pur débouché vestimentaire, vers les applications professionnelles et innovantes. Proposition 33 : Création d’un label AOP (Appellation d’Origine Protégée) pour les marques artisanales françaises de qualité avec un savoir-faire dans la fabrication.