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Henri Emmanuelli : « L'histoire de la perte d'une année de fiscalité, c'est de la fiction complète. » PHOTO P BATS/< 50 RECUEILLI PAR JEFFERSON DESPORT [email protected] H enri Emmanuelli, député PS des Landes, sera un des acteurs de la remise à plat de la fiscalité française voulue par jean-Marc Ayrault Un sujet qu'il connaît bien pour avoir déjà tenté de s'attaquer-en vain-à ce dossier lorsqu'il était secrétaire d'État au Budget en 1985. « Sud Ouest ». Cette remise à plat de la fiscalité repose sur la re- tenue à la source de l'impôt sur le revenu. Quel est l'intérêt? Henri Emmanuelli. On en parle dans ce pays depuis 1969. Le pre- mier à l'avoir évoqué est le minis- tre des Finances de l'époque, Fran- çois-Xavier Ortoli ; c'estvous dire si le sujet est neuf... je l'avais aussi proposé en 1985, pour le budget de 1986. Mais on m'avait alors opposé le fait qu'à l'approche des législati- ves, c'était trop risqué. je proposais d'y aller par étapes en expérimen- tant d'abord dans le secteur public pour démontrer que c'était possi- ble. Laurent Fabius (alors Premier ministre, NDLR) n'a pas voulu. Pourtant, les pays qui ont adopté le prélèvement à la source ont un bon équilibre entre la fiscalité di- recte, c'est-à-dire progressive, et la fiscalité indirecte. Le véritable en- jeu est là. Sans compter que cette retenue à la source rend le prélève- ment direct moins douloureux. Pourtant, même l'administration fiscale chargée du recouvrement n'y est pas favorable... Je vois ressurgir les mêmes argu- ments qu'on avait opposés à Orto- li ent969 et à rnoi en1985. Ces argu- ments ne tiennent pas debout La vraie préoccupation de l'adminis- tration fiscale, même si elle ne le dit jamais, c'est qu'il y aura moins de fonctionnaires. Mors, on invente des trucs. Ils disent qu'on va perdre une année fiscale : c'est de la fiction complète. « Dans ce pays - de Descartes, nous mettons la rationalité au service de la mauvaise foi » Il suffit de rebaptiser les impôts que vous payez cette année :au lieu de considérer que ce sont ceux de 2012, vous considérez que ce sont ceux de cette année. En revanche, c'est lourd à mettre en place et je ne suis pas sûr que ça puisse se faire d'un coup de baguette magique. La droite aussi est réticente... Elle n'en veut pas car elle préfère la fiscalité indirecte cornmela IVA ou la TIPP. La fiscalité indirecte n'est pas fonction des revenus et n'est pas progressive. Cette réforme fiscale reposerait aussi sur la fusion de la C.SG et de l'impôt sur le revenu. Vêtes-vous favorable? C'est une façon de retrouver un taux de fiscalité directe progres- sive. Mais pour réaliser la fusion des deux, il faut être prudent, car il y aura des effets de seuil, des cas particuliers... Mais oui, ça peut se faire. Jean-Marc Ayrault veut aussi ren- dre l'impôt plus compréhensif. Est-ce la bonne méthode? Je suis plus pragmatique et moins enchanteur. C'est d'abord une question de justice et d'efficacité. Que les gens soient plus ouverts à l'impôt s'il est prélevé à la source, d'accord, mais tous ceux qui sont mensualisés n'ont plus de problè- mes avec le fisc... Surtout, nous de- vons aussi revoir l'assiette de l'im- pôt sur le revenu. Et ce, en instaurant des tranches progressi- ves plus nombreuses. En Allema- gne, quand un étudiant fait un stage de trois mois, il va payer 5 eu- ros d'impôt sur le revenu. Cest une question de principe. Tout le monde doit en payer, même si c'est symbolique. Durant sa campagne, François Hollande assurait vouloir mettre la finance au pas. Cet objectif est loin d'avoir été atteint... L'important, c'est de faire cette ré- forme fiscale. Et j'ose espérer que d'ici à la fin de ce quinquennat, on aura fait ce cadeau à la France. Si tous les pays modernes ont adop- té le prélèvement à la source, de la Suède aux États-Unis, ce n'est pas par hasard. C'est quand même ahurissant qu'il n'y ait que chez les Gaulois qu'on ne puisse pas le faire. Dans ce pays de Descartes, nous mettons la rationalité au service de la mauvaise foi. En s'emparant de cette réforme fiscale, qui était une promesse de François Hollande, Ayrault n'a-t-il pas forcé la main du président? Non, je n'imagine pas un instant qu'Ayrault ait annoncé ça sans en avoir parlé longuement avec le pré- sident Quand on regarde com- ment ils fonctionnent, je n'y crois pas une seconde. « Un cadeau à la France » RÉFORME FISCALE Henri Emmanuelli, député PS des Landes, espère que, cette fois, le gouvernement ira au bout. Et n'épargne pas l'administration fiscale

ITV Henri Emmanuelli Sud Ouest Réforme fiscale 28.11.13

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Page 1: ITV Henri Emmanuelli Sud Ouest Réforme fiscale 28.11.13

Henri Emmanuelli : « L'histoire de la perte d'une année de fiscalité, c'est de la fiction complète. » PHOTO P BATS/< 50

RECUEILLI PAR JEFFERSON DESPORT [email protected]

H enri Emmanuelli, député PS des Landes, sera un des acteurs de la remise à plat

de la fiscalité française voulue par jean-Marc Ayrault Un sujet qu'il connaît bien pour avoir déjà tenté de s'attaquer-en vain-à ce dossier lorsqu'il était secrétaire d'État au Budget en 1985.

« Sud Ouest ». Cette remise à plat de la fiscalité repose sur la re-tenue à la source de l'impôt sur le revenu. Quel est l'intérêt? Henri Emmanuelli. On en parle dans ce pays depuis 1969. Le pre-mier à l'avoir évoqué est le minis-tre des Finances de l'époque, Fran-çois-Xavier Ortoli ; c'estvous dire si le sujet est neuf... je l'avais aussi proposé en 1985, pour le budget de 1986. Mais on m'avait alors opposé le fait qu'à l'approche des législati-ves, c'était trop risqué. je proposais d'y aller par étapes en expérimen-tant d'abord dans le secteur public pour démontrer que c'était possi-ble. Laurent Fabius (alors Premier ministre, NDLR) n'a pas voulu. Pourtant, les pays qui ont adopté le prélèvement à la source ont un bon équilibre entre la fiscalité di-recte, c'est-à-dire progressive, et la fiscalité indirecte. Le véritable en-jeu est là. Sans compter que cette retenue à la source rend le prélève-ment direct moins douloureux.

Pourtant, même l'administration fiscale chargée du recouvrement n'y est pas favorable... Je vois ressurgir les mêmes argu-ments qu'on avait opposés à Orto-li ent969 et à rnoi en1985. Ces argu-ments ne tiennent pas debout La

vraie préoccupation de l'adminis-tration fiscale, même si elle ne le dit jamais, c'est qu'il y aura moins de fonctionnaires. Mors, on invente des trucs. Ils disent qu'on va perdre une année fiscale : c'est de la fiction complète.

« Dans ce pays - de Descartes, nous mettons la rationalité au service de la mauvaise foi » Il suffit de rebaptiser les impôts que vous payez cette année :au lieu de considérer que ce sont ceux de 2012, vous considérez que ce sont ceux de cette année. En revanche, c'est lourd à mettre en place et je ne suis pas sûr que ça puisse se faire d'un coup de baguette magique.

La droite aussi est réticente... Elle n'en veut pas car elle préfère la fiscalité indirecte cornmela IVA ou la TIPP. La fiscalité indirecte n'est pas fonction des revenus et n'est pas progressive.

Cette réforme fiscale reposerait aussi sur la fusion de la C.SG et de l'impôt sur le revenu. Vêtes-vous favorable? C'est une façon de retrouver un taux de fiscalité directe progres-sive. Mais pour réaliser la fusion des deux, il faut être prudent, car il y aura des effets de seuil, des cas particuliers... Mais oui, ça peut se faire.

Jean-Marc Ayrault veut aussi ren-dre l'impôt plus compréhensif. Est-ce la bonne méthode? Je suis plus pragmatique et moins

enchanteur. C'est d'abord une question de justice et d'efficacité. Que les gens soient plus ouverts à l'impôt s'il est prélevé à la source, d'accord, mais tous ceux qui sont mensualisés n'ont plus de problè-mes avec le fisc... Surtout, nous de-vons aussi revoir l'assiette de l'im-pôt sur le revenu. Et ce, en instaurant des tranches progressi-ves plus nombreuses. En Allema-gne, quand un étudiant fait un stage de trois mois, il va payer 5 eu-ros d'impôt sur le revenu. Cest une question de principe. Tout le monde doit en payer, même si c'est symbolique.

Durant sa campagne, François Hollande assurait vouloir mettre la finance au pas. Cet objectif est loin d'avoir été atteint... L'important, c'est de faire cette ré-

forme fiscale. Et j'ose espérer que d'ici à la fin de ce quinquennat, on aura fait ce cadeau à la France. Si tous les pays modernes ont adop-té le prélèvement à la source, de la Suède aux États-Unis, ce n'est pas par hasard. C'est quand même ahurissant qu'il n'y ait que chez les Gaulois qu'on ne puisse pas le faire. Dans ce pays de Descartes, nous mettons la rationalité au service de la mauvaise foi.

En s'emparant de cette réforme fiscale, qui était une promesse de François Hollande, Ayrault n'a-t-il pas forcé la main du président? Non, je n'imagine pas un instant qu'Ayrault ait annoncé ça sans en avoir parlé longuement avec le pré-sident Quand on regarde com-ment ils fonctionnent, je n'y crois pas une seconde.

« Un cadeau à la France » RÉFORME FISCALE Henri Emmanuelli, député PS des Landes, espère que, cette fois, le gouvernement ira au bout. Et n'épargne pas l'administration fiscale

Sud Ouest Jeudi 28 novembre 2013