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LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN DES PRÉCAIRES Céline Braconnier professeure des universités en science politique, directrice de Sciences-Po Saint-Germain- en-Laye, politiste, auteure du livre Les inaudibles, sociologie politique des précaires CONFÉRENCE

#capcom15 - Conférence Braconnier : La communication publique dans le quotidien des précaires

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LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN

DES PRÉCAIRESCéline Braconnier

professeure des universités en science politique, directrice de Sciences-Po Saint-Germain-en-

Laye,politiste, auteure du livre Les inaudibles,

sociologie politique des précaires

CONFÉRENCE

LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN DES PRÉCAIRES

« Ce livre va au-devant d'une

population oubliée et hétérogène,

celle des « précaires », et cherche

à comprendre et à mesurer l'impact

de la précarité sur les rapports

des individus à la politique. »

LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN DES PRÉCAIRES

Réunion de travail le 6 novembre à l’Assemblée

nationaleautour de Céline Braconnier

et Brigitte Bourguignon, députée, membre du groupe d’étude

« Pauvreté, précarité et sans abri »

Regard de jeunes sur les élections régionales

et la citoyenneté

REPORTAGE

LES PRÉCAIRES ET LEURS RAPPORTS

AU POLITIQUECéline Braconnier

professeure des universités en science politique, directrice de Sciences-Po Saint-Germain-en-

Laye,politiste, auteure du livre Les inaudibles,

sociologie politique des précaires

CONFÉRENCE

Point de départ : une enquête pour comprendre le rapport au politique des inaudibles à l’occasion des élections présidentielles

Question à l’origine de l’enquête : conséquences politiques de la précarité (rapport aux institutions, au vote, aux partis)

Précarité multidimensionnelle :- pas seulement pauvreté, privation matérielle, chômage, dépendance aux

aides- mais aussi isolement et insécurité sociale (Castel, 2005)

LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN DES PRÉCAIRES

Comment ?Méthodologie mixte, 2 volets complémentaires

Qualitatif : une centaine d’entretiens semi-directifs sur le terrain via

des associations caritatives ou des services d’insertion/logement

sociaux. Dans tous les cas, bénéficiaires d’aides à l’issue d’une

démarche administrative (angle mort de l’enquête : les jeunes).

Quantitatif : Indicateur de précarité des centres d'examens de

santé, 1998, pour repérer les populations à risque.

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Consigne : « On est à quelques semaines des élections présidentielles et on fait une étude pour essayer de comprendre ce qu’en pensent les gens. Qu’est-ce qui va bien, qu’est-ce qui ne va pas, qu’est-ce qu’il faudrait changer… ? On voudrait savoir comment vous, vous voyez les choses » 

=> enquêtés sollicités en tant que citoyens

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La précarité ainsi définie affecte jusqu’aux segments les plus intégrés

• 36% de la population inscrite sur listes électorales est affectée par la précarité (seuil ≥ 30) soit 17 millions

contre 4,9 à 8,5 millions de pauvres avec définition monétaire (R. mensuels moins 50/60% du R. médian soit 828 / 993 euros )

• Ouvriers les plus touchés. 52% de précaires

• 42% des employés, 47% des petits commerçants et artisans, 37% des agriculteurs, 11,5% des cadres…

• Au total, les ouvriers ne représentent que 34% des précaires, les employés 37%

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La précarité affecte toutes les catégories socio-professionnelles

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Les multiples visages de la précarité d’aujourd’hui

• ⅓ des précaires de l’enquête quanti sont des actifs en emploi (travailleurs pauvres) ; ¼ de l’enquête quali

• ¼ des enquêtés quali ont le baccalauréat• La majorité a connu une vie de couple• Diversité des trajectoires de mobilité :

39 % des précaires se disent déclassés par rapport à leurs parents,

35% dans la même position, 25% en ascension

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Les multiples visages de la précarité d’aujourd’huiRôle des coups durs accumulés dans le basculement.

« Une femme qui vous quitte et vous sombrez », Eric, 60 ans ;

« J’suis né là, j’ai même pas de studio ! J’ai rien ! J’ai eu un accident. Une fois, t’as un accident : on te met dans un sac à poubelle ! »

Karim, 43 ans

80% des Français pensent qu’eux ou leurs proches peuvent basculer

41% estiment qu’eux ou leurs proches ont déjà connu une situation de précarité,

85% pensent que lutter contre la précarité devrait être une priorité politique.

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Des attitudes très variées à l’égard de la politiqueCertes, la précarité éloigne de la politique • « Quand on a des soucis de ce genre, rien n’importe plus… quand

on n’a pas l’essentiel c’est un peu difficile de penser à la politique »(Fatima, 42 ans, en CDD, séparée de ses filles)

> Plus le score de précarité augmente, moins les personnes sont intéressés par la politique, moins elles sont convaincues de l’efficacité du vote, plus elles refusent un positionnement sur l’échelle G/D

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Des attitudes très variées à l’égard de la politique

Certes, le désenchantement se diffuse aussi là où les difficultés se cumulent :

• Abdel : « Quand c’est les socialistes, ça tombe un peu trop dans le social mais ça en parle, ça en fait pas ! Quand c’est la droite, ça en parle pas mais ça le fait pas non plus ! »

• Malika, ancienne militante PC, à propos de Jean-Luc Mélenchon

pour qui elle incite ses enfants à voter : « Cassez vous pas la tête, ça sera pareil ! »

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Mais pas de rupture avec le politique

Rôle de la socialisation politique primaire : Maher, ouvrier dans le bâtiment qui a fait des études d’ingénieur en Egypte, Maria qui a été kiné en Equateur, Eric qui a été professeur dans le privé, restent très politisés Malgré les difficultés matérielles / morales = ils continuent de

s’intéresser à la politique

Au delà des plus politisés : les mesures annoncées peuvent faire basculer (sociales, migratoires), elles distinguent les plus fragiles d’autres fractions des catégories populaires

LA COMMUNICATION PUBLIQUE DANS LE QUOTIDIEN DES PRÉCAIRES

Mais pas de rupture avec le politique

La politique comme dernière chance malgré tout :

Bilal, 60 ans, au RSA : « On attend le changement, il va venir vite fait… on a confiance en lui (F. Hollande) »

Nadia, 58 ans : « Marine Le Pen, ce qu’elle nous dit, c’est ce qu’on aimerait avoir »

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Pas non plus de candidat des précaires • La précarité accentue les clivages : elle fait voter ceux qui vont aux urnes plus

à gauche, moins à droite et augmente la sympathie pour le FN• La capacité des médias grand public à imposer une hiérarchie des candidats • Une lecture agonistique et personnifiée de l’enjeu électoral

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En revanche, la précarité maintient loin des urnes• Précarité x 4 la non inscription déclarée (32%)• Précarité x 3 abstention constante à la présidentielle (19%)

Car cumul d’obstacles institutionnels à la pratique électorale :• Importance de la non inscription et de la mal inscription

(forte mobilité résidentielle et coût des déplacements + coût de la procédure administrative + incompréhension )

• Field experiment 2011 : quand on inscrit les gens chez eux, ils votent dans les mêmes proportions que les autres à la présidentielle et un peu moins aux législatives (Braconnier, Dormagen, Pons)

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NOM DE L'ATELIER À MODIFIER DANS "EN-TÊTE ET PIED DE PAGE"

L’isolement neutralise les effets d’entraînement

Un précaire sur deux vit seul (de Q1 à Q5, isolement x 2)

La honte et la pauvreté font se tenir à l’écart des amis, des voisins« Les amis, vous savez, les amis et tout ... Quand vous sortez, vous êtes obligée de payer une fois le café, de payer ... c'est pas logique de ... d'aller tout le temps avec eux et de ne rien payer ! (…) Ah moi j'évite ... J'ai commencé à éviter tout ça ! Que avant, je payais ... le restaurant à mes copines, on sort, euh on fait des soirées, on fait ... pas mal de choses. Mais là, je peux pas, je peux pas ! Euh ... j'arrive plus !  » Radija, 46 ans,

NOM DE L'ATELIER À MODIFIER DANS "EN-TÊTE ET PIED DE PAGE"

Un monde peu solidaire

Peu de solidarité entre précaires « Il y a des gens qui sont dans des situations de difficultés, et entre eux, il y a beaucoup de méchanceté. Il ne faut pas croire que c'est très solidaire. Ce n'est pas très solidaire. Il y en a qui pense que le café que tu prends c'est comme si ça venait de sa poche, alors que ça ne vient pas de sa poche.  ».(Moussa, 63 ans, célibataire, Paris)

Ils échappent à l’entraînement vers les urnes ; or la politique se pratique en groupe.

Vrais pauvres et faux pauvres Il n’y a pas de sentiment d’appartenance lié à des conditions de vie partagée, mais plutôt une concurrence pour des aides limitées.

Leila, 31 ans, 2 enfants, femme au foyer : « En même temps qu’il a commencé à travailler (mon mari), voilà qu’il y a l’huissier, voilà qu’il y a eu les dettes à rembourser... Ce qui fait qu’on y arrive plus financièrement. Vous voyez ? Et pourtant, il travaille ! Voilà d’où je vous parle. Ces gens qui ont le droit à des RSA, qui ont des 7 gosses à la maison, à se déclarer femmes seules alors qu’elles ont un homme à la maison qui travaille, qui assume derrière. Je vois pas… à ce moment donné… parce que pour moi, les vrais pauvres c’est les travailleurs, c’est pas ceux qui sont au RSA, je suis désolée. »

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En quête de respect :Les précaires sont objet de discours dévalorisants, sinon stigmatisants, souvent adressés aux non précaires. Ils sont rarement interpellés en tant que sujets, que citoyens.Sentiment généralisé de ne pas compter, d’être transparent

« Les gens précaires, c’est à partir de 900 euros, j’aimerais bien les avoir…avec 417 euros, on fait partie des clochards alors ! » (Corine, 59 ans)

« Donc, ben, vous avez pas de CAF, vous avez rien, et vous allez voir l’assistante sociale : « oui… oui » Et puis tout compte fait elle vous a zappé. On vous zappe en continu. » (Femme, 44 ans, Grenoble)

« Moi la télé je la regarde même pas, parce que ça m’énerve… ils se critiquent, ils se disent du mal les uns des autres, mais après ils vont… se mettre du pognon dans les poches, alors que nous on est dans la misère ! (…) On est les pions !».(Robert, 54 ans)

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En attente d’exemplarité

« Il voit que le pays, il est en crise. Normalement, il ne doit pas augmenter sa paye comme ça ! Lui, il prend l'argent des pauvres ! Non, c'est pas bon. Et ce n'est pas normal ! ».

(Homme, 60 ans, Paris) 

« Bah ouais ils détournent tous. Lui il est venu, il a augmenté son truc à 180%. Y a jamais un… jamais un président qui réussit à… 180% ! (…) Eux ils sont tranquilles ! Nous, on n’est pas, nos enfants ils sont pas tranquilles On va faire des courses, c’est juste ! ».

(Homme, 38 ans, Grenoble)

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Rapprocher les élus des plus fragiles : un président pauvre

« Faudrait… je sais pas… Mettre un pauvre en tant que président, voilà ce qu’il faudrait !, parce que cette personne, elle saura ce que les personnes ont besoin exactement. Eux, ils ont leur argent. Eux, ils ont leur nourriture tous les jours. (..) Ils ont pas le souci du lendemain. Ils sont en costume cravate. Nous, on va se promener avec le pantalon de 5€ du marché qui se déchire au bout de quatre à cinq lavages.(…) voilà quoi, il faut rester logique ! ».

(Leïla, Grenoble, 31 ans, mariée, 2 enfants, sans emploi)

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Ou un président qui « s’immerge » dans la vie des gens« Bon, ils font leur meeting, d’accord, ils disent qu’ils vont auprès du peuple, mais ils ne le font pas assez, ils devraient le faire déjà longtemps, longtemps, longtemps avant de… d’être candidat (…) Ils devraient déjà s’immerger, venir… venir chez moi, venir s’immerger dans les familles, pour être vraiment au cœur de la France… et des Français.

Et puis peut-être, en étant dedans le… dans l’immersion, on trouve mieux la solution.

Parce qu’ils ne se rendent pas compte. Ils savent que c’est difficile, le chômage, etc. mais moi je leur dirais « écoutez, moi j’ai un gros problème, puisque n’ayant pas de voiture, quand y a un tram ça va, mais quand y a pas de tram comment vous faites pour aller dans une usine à trente kilomètres, je leur dirais « voilà mon obstacle ».

(Femme, 54 ans, Grenoble).

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Construire la cité dans les quartiersL’exemple des mères seules : la fréquentation des guichets de

proximité familiarise avec le monde institutionnel, permet l’appropriation, stimule la prise de parole (mères poussées par la défense de leurs enfants à forcer les portes des institutions, pour obtenir un logement)

Faire société pour construire la cité : en l’absence d’encadrement politique de proximité et à l’heure d’internet, le rôle est devenu primordial des passeurs et intermédiaires de terrain pour produire de l’intégration citoyenne (associations, acteurs de l’école, facteurs …

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Pour une intégration politique des précairesL’expérience de la précarité ne conduit pas forcément au ban de la cité :

dispositions au combat acquises dans la lutte pour la survie

intérêt maintenu pour la politique

obstacles institutionnels à la participation à lever

faire société pour faire la cité ; importance des dispositifs de terrain et des adresses citoyennes

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