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Vive la bagnole ?Rencontre AUGO « Ville et voitures » du 5 novembre 2015
Sylvain Grisot / [email protected]
@sylvaingrisot
Vive la bagnole ?
Nous, professionnels consciencieux, sommes engagés dans une lutte sans merci depuis des décennies. Une guerre asymétrique si l’en est, une guerre contre un ennemi de masse, agile et envahissant : la bagnole.
Nous avons usé de politesses, d’incitations, créé des alternatives lourdes à coup de tramway, ou douces en prônant le vélo sous les embruns. Nous avons usé de (parkings de) dissuasion, lutté contre la sauvagerie (du stationnement), enterré les bagnoles, densifié les axes de transport en commun, contraint l’étalement urbain…
Une lutte sans fin avec un seul objectif, honorable s’il en est : contenir l’ennemi au delà de portes de la ville, préserver la civilité de nos urbanités des miasmes automobiles.
Mais l’ennemi a muté. Il est désormais plus propre (au delà des ratés logiciels du diesel allemand), il se partage, se collectivise, et après demain il sera intelligent et autonome.
Après demain, ou simplement demain ? Le changement de paradigme est en marche, en marche accélérée, et pourrait redonner une place honorable au Dieu automobile. Une nouvelle place qui viendra interroger nos pratiques, questionner la destination d’espaces aujourd’hui dédiés au repos de nos anciens ennemis, et remettre au cause les fondamentaux de la planification urbaine.
Alors prenons un coup d’avance, et imaginons l’avenir.
Sylvain Grisot / dixit / Novembre 2015
Nous, urbanistes, sommes en lutte.
L’ennemi est là…
Elles sont nombreuses, perverses, violentes.
La nuisance
11 jours d’embouteillages en Chine récemment…
A chaque nouvelle infrastructure bâtie, l’encombrement s’accentue. Trente ans que le cercle vicieux se répète. Bégaye.
La voiture, c’est encombrant…
Scène de la vie quotidienne à Sao Paulo.Le problème relève ? :A) du code de la routeB) du dimensionnementC) de l’affluenceD) d’un mélange douloureux des trois
La voiture, c’est sale.
La voiture c’est souvent gênant…
En fait la voiture ne roule pratiquement jamais
Une voiture passe en moyenne 5% du temps à rouler et les 95% restant à l’arrêt.Pour les 40 millions de véhicules en France, cela fait 1 milliard de m2 (100 000 ha) uniquement dédiés au stationnement.
Les moyens de la lutte
On pourrait attendre que le changement climatique limite la circulation ?
Ouagirdefaçondrastiquecontrelesembouteillages ?Maisnon,nousavonsagiintelligemment, noussommes entrésenguerre.
Enoccupantleterrain: Réductiondelaplacedelabagnole,pacification desespaces publics…
En livrant une guérilla urbaine ?
La guerre asymétrique, c’est transformer le vélo en vraie alternative : promesse de sueur et de pluie.Rupture technologique, le vélo à assistance électrique (VAE). Il représente 2,7% des ventes globales en France en 2014, en forte croissance. Aucune ambiguïté : c’est un transport du quotidien rapide et efficace.
L’arme de destruction massive, c’est le transport en commun, tellement cher que certains arrêtent même de le faire payer.
Passer de l’approche tactique à la stratégie ?Planification adaptée, densification le long des axes de transport en commun, limitation drastique des flux, de l’offre de stationnement…
Ou éviter le combat en supprimant les besoins de déplacements ?
Le recensement de 2014 aux Etats Unis a montré que le « telecommuting » (trajet domicile-travail numérique) rattrapait les transports en commun, 4,5% contre 5,2%, mais surtout il croit beaucoup plus vite. Il a déjà largement dépassé les transports en commun à San Diego, Atlanta, Austin, Denver et Phoenix.
Mais l’ennemi a muté
VW a aussi fait beaucoup pour rendre la voiture plus propre par la disqualification définitive du diesel. De son côté, Londres active un plan d’électrification massif de ses taxis. Tout bouge très vite dans le bon sens.
La voiture devient propre
Par l’abandon de la propriété, les voitures sont moins nombreuses, roulent plus et avec plus de monde.
La voiture se partage
Voiture servicielle : la prestation repose uniquement sur le service avec ou sans chauffeur et non plus sur la possession.
Uber : Le chauffeur de taxi taciturne se transforme en application sympathique. Les premières études montrent une baisse du taux d’équipement des nombreux utilisateurs d’Uber.
L’objet mute en service
Et maintenant elle conduit toute seule…
Maintenant 2020 2025 2030 2035 Plus tard…
A quand la fin des prototypes, et de vrais clients à bord de taxis autonomes ?
Maintenant 2020 2025 2030 2035 Plus tard…
Demain.
Mars 2016
Au Japon, la société de taxis autonomes « Robot Taxiflotte » a annoncé le lancement de son service en mars, avec pour clientèle cible les personnes âgées.
Les assureurs sont prêts à y aller, la législation évolue vite. Le seul frein actuellement est un blocage psychologique.
Cela va aller vite, très vite. Quels seront les impacts de ces changements sur les usages ? Quels impacts sur la ville ?
Aujourd’hui
Quel sera l’impact des flottes de véhicules mutualisés (et automatiques) en complément massif des transports en commun ?
Nous n’aurons plus besoin de posséder un véhicule, le passage au serviciel sera entériné, et les voitures rouleront sur la route, au lieu d’encombrer les parkings.
Que fera-t-on de ces espaces ? Il est temps de penser la mutation à venir, et la réversibilité des stationnements. Beaucoup de choses à explorer et tester, mais vite, le rythme des mutations des usages est plus rapide que celui du changement de la ville.
Et demain ?
Quels nouveaux usages pour ces (chers) espaces sous-terrains ?
Comment mutualiser des usages de véhicules dans des parkings fermés privés ?Pourquoi enchérir durablement le coût des logements et des bureaux pour des besoins temporaires ?Il faudrait repenser les politiques urbaines, qui ont une influence sur le bâti pour les 30 à 50 ans à venir. Il est nécessaire d’anticiper (ou du moins de s’en donner la possibilité) une désaffection de la bagnole et une mutabilité des espaces.
Volume mutable
Espace mutable
Jeudi 5 novembre 2019, 8h06.
Je suis à la bourre.En passant devant la machine à café, je lui adresse un ordre bref :- Un petit colombien, bien serré s’il te plait.
Une voix grave me répond :- Bonjour Sylvain, c’est Gérard, votre assistant personnel- Heu, oui Gérard ?
Avant mon assistant personnel était une assistante, Léana, que j’avais choisie pour sa voix suave, aux tonalités sud-américaines, mais l’intelligence artificielle a analysé qu’elle avait peu d’impact sur mon comportement. Alors Gérard est arrivé. Pas le même style.
- Vous êtes manifestement en retard Sylvain et le tramway est bondé ce matin. Souhaitez-vous que je trouve un moyen alternatif pour rejoindre votre espace de coworking ?- Heu… oui- Il y a 82,3% de probabilité de fortes averses dans la soirée, je vous conseille d’éviter le vélo
aujourd’hui, même si un peu de sport vous ferait du bien, vous n’avez pas eu d’activité sportive significative depuis 11,2 jours.- Oui oui, je sais, ça va.- Une voiture automatique de la coopérative peut passer vous chercher dans 3 minutes et 21 secondes, il faudrait boire rapidement votre café.- Ah non faut pas pousser !
- Sinon Paul passe à proximité en véhicule électrique, il a une place de libre, je peux lui proposer de faire du co-voiturage ?- Je connais ce Paul ?- Non, mais cela pourrait être une bonne occasion de le rencontrer, des opportunités professionnelles pourraient être envisager dans une approche collaborative. Il est architecte, c’est lui qui vient de finaliser la reconversion du parking aérien des machines de l’île en ferme urbaine et usine de stockage énergétique.- Ah oui le chantier que j’ai vu lundi dernier ?- Non mardi, à côté de ce bar où vous avez manifestement pris une ou plusieurs consommations jusqu’à à une heure tardive.- Bon bon ok, va pour Paul.- Très bien, il approche. Pensez à prendre votre veste en sortant, je fermerais à clef et je préviens la machine à café du bureau, vous avez plusieurs dossiers à boucler ce matin.
Sympa ce Gérard…
En sortant, je passe devant ma voiture qui gît sur le trottoir. La « Métro » a collé un élégant panneau lumineux sur le pare-brise : « Ce véhicule n’a pas été utilisé depuis 485 jours, il est temps de penser à une alternative. »
C’est vrai que c’est la dernière garée dans ma rue, tous les voisins se sont débarrassés de leurs véhicules personnels pour passer à des moyens alternatifs : vélo, transports en commun, abonnement à une flotte de taxi automatiques…
La « Métro » en a profité pour doubler d’un coup le linéaire de pistes cyclables en 2018, en supprimant tout simplement le stationnement le long des trottoirs qui ne servait plus à rien.
C’était sympa comme opération participative, la ville fournissait la peinture en dégageant les dernières épaves et les habitants, quartier par quartier, ont effacé les places de stationnement en peignant des pistes cyclables à la place. Pas forcément très droit mais entre la bonne ambiance et la ristourne sur les impôts locaux, c’était bien agréable.
Il faudrait que je me décide à vendre ma voiture, mais une hybride de 4 ans ne vaut plus rien, même en milieu rural. Et puis je dois reconnaître que j’y suis quand même attaché à cette bagnole, même si je ne l’utilise plus …
Heureusement que ce n’est pas une diesel, depuis le scandale Volkswagen, les class actions qui ont suivi aux USA et l’étude retentissante de l’OMS de 2017, le diesel a été complètement interdit à moins de 10 km des espaces significativement habités.
Il y a bien encore quelques ruraux qui sont entrés en résistance, notamment les ZADistesqui tournent au biodiesel, mais ces bagnoles ne valent plus rien.
Tiens, d’ailleurs il paraît qu’ils vont bientôt démarrer les travaux de l’aéroport, j’avais oublié cette histoire d’aéroport.
Ah voilà Paul ! Voiture électrique deux places rose. Ça promet.- Sylvain, c’est Gérard, votre assistant personnel. Paul est arrivé.- Oui Gérard. Merci Gérard, j’ai vu.
