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HERMÉNEUTIQUE RADICALE ET PROXIMITÉ INTER-GROUPES. CATHOLIQUES TRADITIONNELS, CATHOLIQUES CHARISMATIQUES ET PENTECÔTISTES AU CAMEROUN Edouard-Adrien Mvessomba et al. Presses universitaires de Liège | Les cahiers internationaux de psychologie sociale 2009/4 - Numéro 84 pages 59 à 79 ISSN 0777-0707 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2009-4-page-59.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mvessomba Edouard-Adrien et al., « Herméneutique radicale et proximité inter-groupes. Catholiques traditionnels, Catholiques charismatiques et Pentecôtistes au Cameroun », Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 2009/4 Numéro 84, p. 59-79. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses universitaires de Liège. © Presses universitaires de Liège. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.24.206.126 - 26/10/2014 21h57. © Presses universitaires de Liège Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.24.206.126 - 26/10/2014 21h57. © Presses universitaires de Liège

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HERMÉNEUTIQUE RADICALE ET PROXIMITÉ INTER-GROUPES.CATHOLIQUES TRADITIONNELS, CATHOLIQUESCHARISMATIQUES ET PENTECÔTISTES AU CAMEROUN Edouard-Adrien Mvessomba et al. Presses universitaires de Liège | Les cahiers internationaux de psychologie sociale 2009/4 - Numéro 84pages 59 à 79

ISSN 0777-0707

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2009-4-page-59.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Mvessomba Edouard-Adrien et al., « Herméneutique radicale et proximité inter-groupes. Catholiques traditionnels,

Catholiques charismatiques et Pentecôtistes au Cameroun »,

Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 2009/4 Numéro 84, p. 59-79.

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes. Catholiques traditionnels, Catholiques charismatiques et Pentecôtistes au Cameroun

Radical Hermeneutics and Inter-group Proximity. Traditional Catholics, Charismatic Catholics and Pentecostals in Cameroon

“”

Edouard-Adrien MVESSOMBA*, Raymond M’BÉDÉ* et Jean-Pierre DECONCHY*** Université de Yaoundé-I, Yaoundé, République du Cameroun** Université de Paris-Ouest, Nanterre, France

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En premier lieu, on demande à des chrétiens camerounais (N=216) de prendre position (Echelles –3/+3, sans case zéro) sur quatre « formulations radicales » que l’on a construites à partir d’énoncés doctrinaux de base attestés par tous. Dans cette recherche, les Catholiques traditionnels (N=72) sont considérés comme for-mant un groupe organisé sur la base d’un fort contrôle social ; les Catholiques charismatiques (N=72) comme formant un groupe plus efferves-cent, inséré dans l’Eglise catholique, mais protes-tant de manière interne contre le contrôle social qu’elle exerce ; les Pentecôtistes (N=72) comme formant un groupe exogène et protestant de manière externe contre le contrôle social de l’Eglise catholique. On a recouru, pour ce faire, aux typologies de Troeltsch (1912) et de Wach (1955). En second lieu, on demande aux sujets d’évaluer la similitude qu’ils perçoivent entre la position collective de chacune des trois apparte-nances (y compris la leur) avec la position per-sonnelle qu’ils ont précédemment exprimée. Ce plan expérimental 3x3 fait l’objet d’une analyse de covariance, la position personnelle des sujets tenant lieu de covariant. Les données montrent principalement que les Charismatiques évaluent la position collective des Pentecôtistes comme plus semblable à leur position personnelle que ne l’est la position collective des Catholiques traditionnels ; et que les Pentecôtistes évaluent la position collective des Charismatiques comme presque aussi semblable à la leur que ne l’est la position collective de leur propre groupe Pentecôtiste. Il semble que, interne ou externe, c’est la protestation à l’égard du contrôle social exercé par l’Eglise catholique qui peut expliquer cette proximité. On se pose, à ce propos, la ques-tion de la pertinence du concept de « schisme » telle que Sani (2005) l’opérationnalise.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Edouard-Adrien Mvessomba, Université de Yaoundé-I, BP 337, Yaoundé, République du Cameroun. Courriel <[email protected]>.

Authors remind us that it has been demonstrated in “orthodox” the adoption of “beliefs” which leans more on the maintenance of social regulation which supports them than on the significance given to their content. Thus the question that is asked here is whether this premise of social regulation equally intervenes in intergroupal relationships as it occurs in a system and inn particular places. In the first place, Cameroonian Christians (N=216) were asked their opinions (scale-3/+3, without any case of neutrality), on four « radical formulations » constructed from basic doctrinal statements attested by everyone. In this study, traditional Catholics (N=72) are considered as forming an organized group on the basis of a strong social control; the Charismatic Catholics (N=72), as forming a more effervescent group within the Catholic church, but internally protesting against social control that exists; the Pentecostals (N=72), as forming an exogenous group and protesting externally against social control of the Catholic church. In order to carry out this study, reference was made to Troeltsch (1912) and Wach (1955) typologies. In the second place the sampled population was asked to evaluate the similarity they perceive in the collective position of each of the three groups (including theirs) with the personal positions previously expressed. This experimental plan 3x3 was tested through a covariant analysis of the personal position of the sampled population taking into account the covariance. The analyzed data principally show that the Charismatic Christians evaluate the position of the Pentecostals as most similar to theirs unlike the collective position of traditional Catholics; and that the Pentecostals evaluate the collective position of the Charismatics as almost similar to theirs compared to the position of their own Pentecostal group. It would seem that whether external or internal, it is the protestation regarding social control by the Catholic Church which explains this proximity in opinions. In this case therefore, one questions the pertinence of the concept of « schism » as operationalized by Sani (2005).

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DDans un système de croyances fortement institutionnalisé et strictement hiérarchisé, le contrôle social – ce que l’on a appelé ailleurs la régulation sociale - intervient à de multiples niveaux du fonctionnement de ce système : notamment pour régler l’appartenance des sujets au groupe qui noue son consensus autour de ce fonctionnement. En ce qui concerne les proximités « doctrinales » que les sujets entretiennent entre eux -indépendamment de leurs proximités affectives ou pragmatiques-, on peut penser qu’elles sont moins réglées par le contenu et par la signification des propositions qui formulent les croyances que par le réglage social qui supportent ces propositions et qui sont supportées par ces propositions. Dans cette introduction, on rappellera brièvement quelques travaux antérieurs qui portent sur les proximités doctrinales intra-groupe [a] ; on examinera ensuite l’hypothèse de la transposition aux proximités doctrinales inter-groupes du modèle introduit par ces travaux [b] ; on évoquera quelques problèmes techniques posés par cette transposition [c].

a- Les proximités « doctrinales » intra-groupe.

À propos d’un groupe religieux fortement institutionnalisé et strictement hiérarchi-sé – que nous avons appelé « orthodoxe » (Deconchy, 1984)1 –, on a déjà introduit un modèle à propos du primat de la régulation sociale des croyances par rapport à la signification que les adeptes accordent à ces croyances. Dans le cadre de l’Eglise catholique, on a demandé à des membres de la frange inférieure de son appareil de pouvoir (catéchètes, séminaristes, ecclésiastiques…) de prendre position par rapport à un ensemble d’énoncés extraits de leur corpus de croyances (Dieu a créé le monde, le Pape est infaillible, etc…..) ou hypothétiquement inscriptibles ou non-inscriptibles dans ce corpus (La Vierge est apparue à Lourdes, l’enfer est une période transitoire, etc…). En reprenant l’idée de Rokeach pour qui l’adoption d’une croyance est toujours assortie, au moins implicitement, de l’évaluation qu’il y a de l’urgence, pour tout le monde, de l’adopter ou de la refuser (opinionation : Rokeach, 1954, 1960), on avait demandé aux sujets de classer ces énoncés en qua-tre groupes : A.- accord extrêmisé : j’y crois et tout le monde doit y croire s’il veut faire partie de mon groupe ; B.- accord libéral : j’y crois mais quelqu’un qui n’y croirait pas pourrait néanmoins faire partie de mon groupe ; C.- désaccord libéral : je n’y crois pas mais quelqu’un qui y croirait pourrait, néanmoins et le cas échéant, faire partie de mon groupe ; D.- désaccord extrêmisé : je n’y crois pas et personne ne peut le croire s’il veut faire partie de mon groupe.

Le modèle du primat de la régulation sociale sur la signification des énoncés a été observé dans quelques situations paradoxales que l’on ne fera que rappeler. Ainsi, il est apparu comme plus facile à une source d’autorité interne au groupe de faire passer un adepte d’une position A (accord et régulation sociale extrêmisée) à une position D (désaccord et régulation sociale extrêmisée) qu’à une position C (désac-cord et régulation sociale libérale). Il lui est également plus facile de le faire passer d’une position D (désaccord et régulation sociale extrêmisée) à une position A (accord et régulation sociale extrêmisée) qu’à une position B (accord et régulation sociale libérale) (Deconchy, 1971). Dans les deux cas, le changement de signifi-

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cation apportée à la proposition (/accord-désaccord/) a été moins coûteux que le changement de la régulation qui s’exerce sur elle et par elle (/extrémisé-libéral/). Dans la même situation et à propos de tel ou tel énoncé de croyance, un adepte qui dit son accord de façon libérale (B) considère plus volontiers comme faisant partie de son groupe (« en communion ») quelqu’un qui dit son désaccord de façon également libérale (C) que quelqu’un qui, comme lui-même, dit son accord mais qui le dit de façon extrêmisée (A). Ultérieurement –mais dans un registre que nous n’examinerons pas ici-, on a rattaché ce modèle à l’hypothèse théorique qui veut que, en système orthodoxe, la fragilité rationnelle de l’information est compensée par la vigueur de la régulation sociale (Deconchy, 1980).

Principalement établi à propos d’une orthodoxie religieuse, le modèle a été trans-posé à certains espaces de pratique (Gaffié, 1991) ou de polémique politiques (Deconchy, 1976), à la construction de la laïcité (Robitzer, 2008) ou même aux activités de psychologues cliniciens (Janssen et Durand-Delvigne, 2006) .

b.- Les proximités « doctrinales » inter-groupes.

Dans l’enveloppe sociale globale où s’inscrit une idéologie particulière, un ensem-ble de développements imprévus, de protestations et de scissions peuvent prendre forme. C’est évidemment le cas des groupes religieux qui relèvent du christianisme. Par rapport au catholicisme, forme historique longtemps considérée comme origi-nelle et dominante, un certain nombre de groupements et de regroupements sont apparus et, pour certains, existent encore : tous proclamant et recherchant une plus grande fidélité au message fondateur et prenant alors une distance sereine ou polé-mique par rapport à l’Eglise dominante. Il serait aussi vain, ici, d’essayer de rendre compte des circonstances et des dissidences qui, sur la base des mêmes intuitions de départ, ont abouti à un émiettement du champ social « chrétien », que de faire le détail de toutes les typologies que l’on a proposées pour rendre économique l’approche de cet émiettement. Plus bas dans ce texte, nous évoquerons de façon extrêmement simplifiée les typologies de Troeltsch (1912) et de Wach (1955) aux-quelles, parmi d’autres, nous avons été amenés à nous référer.

Dans l’espace chrétien, les énoncés fondateurs –pratiquement tous issus de sour-ces vétéro et néo-testamentaires d’ailleurs inégalement canoniques- sont, d’une certaine façon, hors contestation. Ce qui est mis en cause à propos du groupe dominant –en l’occurrence : catholique- c’est, ou bien, les ajouts ou les distorsions que, au nom de ses droits prétendus et de ses options hiérarchiques, ce groupe a greffés sur les intuitions et les « révélations » de départ (que l’on songe à la Ré-forme : notion de « protestation », chez Wach) ; ou bien, la dissonance du climat effervescent, chaleureux et quasi-extatique des évènements de départ avec la froi-deur, la bureaucratie et l’embrigadement ultérieurs du groupe dominant (notion de « mystique » chez Troeltsch). A vrai dire, dans les deux cas, il s’agit bien d’une mise en cause du contrôle social et de la mise en question du type de régulation qui, doctrinalement, est compatible avec la signification des énoncés de départ.

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 63

On retrouve ainsi les deux termes que l’on avait évoqués, au paragraphe précédent, à propos de la proximité doctrinale intra-groupe : et, avec ces termes, une exten-sion possible de la problématique. À l’intérieur de la même enveloppe socio-idéo-logique globale (ici : le christianisme) et à propos de groupes qui, sous une forme ou une autre, se distancient du fonctionnement dominant (ici : le catholicisme), le jeu des proximités doctrinales inter-groupes renvoie-t-il également au primat de la régulation sociale ? On verra dans la suite du texte comment nous avons essayé d’opérationnaliser cette question.

c.- Une question pratique et préalable.

Si l’on veut faire évaluer par les adeptes d’un groupe particulier leur proximité doc-trinale avec les adeptes des autres groupes, on ne peut pas se référer à n’importe quelles propositions. Décider du genre que ces propositions adopteront n’est pas une opération simple.

On ne saurait faire évaluer cette proximité à partir des énoncés de base (par exem-ple : Jésus est sauveur….) : par définition, tous les groupes chrétiens les adoptent. Mais on ne saurait pas non plus le faire à partir de propositions qui porteraient directement sur les différences de contrôle social qui existent entre ces groupes et qui, précisément, légitiment doctrinalement leurs anathèmes, leurs protestations et leurs scissiparités. Il ne sert à rien de faire évaluer par des Catholiques et par des Protestants, par exemple, la proximité doctrinale qui existe entre eux à propos d’énoncés comme « le Pape est infaillible » ou comme « les sacrements donnent la foi » : c’est la différence d’approche de ces deux énoncés qui, précisément et notamment, instituent les Catholiques et les Protestants dans leur spécificité res-pective.

Nous avons donc travaillé sur la base de ce que l’on a appelé une herméneutique radicale des énoncés de base. Radicale, en ce sens que les propositions que nous utiliserons traduisent, dans des formulations inusitées, la signification « radicale » et sans doute doctrinalement et socialement ingérable de tel ou tel de ces énoncés de base. Nous nous en expliquerons davantage quand nous décrirons la séquence expérimentale de cette étude. Dans l’instant, nous voulions simplement donner un sens provisoire à son titre.

1. Méthodologie

1.1. Projet et variables

1.1.1. Idée expérimentale

À des adeptes de trois groupes de chrétiens camerounais – dont nous décrirons brièvement les fonctionnements sous l’angle de la régulation sociale qu’ils impo-sent à leurs rituels et à leur doctrine –, nous présenterons quelques-unes de ces formulations radicales. Nous leur demanderons d’abord de dire leur position per-sonnelle par rapport à ces formulations radicales ; nous leur demanderons ensuite d’évaluer la similitude des positions collectives probables de chacune des trois appartenances avec cette position personnelle. On rappelle quelle est la question

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générale que nous nous posons : à l’intérieur de la même enveloppe socio-idéolo-gique globale (ici : le christianisme) et à propos de groupes qui, sous une forme ou une autre, se distancient du fonctionnement dominant (ici : le catholicisme), le jeu des proximités doctrinales inter-groupes renvoie-t-il au primat de la régulation so-ciale, tel qu’on avait pu l’établir à propos de la proximité doctrinale intra-groupe ?

1.1.2. Les trois groupes

Dans le fourmillement des groupements et des mouvements chrétiens du Came-roun, de dimensions et de vitalités différentes, on a choisi de travailler sur trois d’entre eux.

Un premier groupe : les Catholiques (que, par rapport au deuxième groupe, on dira traditionnels) (N=72, désormais siglés KT). L’Eglise catholique, hautement et ferme-ment hiérarchisée, se présente comme un groupe à fort contrôle social : en matière de doctrine, de comportements, de programmation rituelle ainsi que de définition des statuts et des rôles. Ici comme ailleurs, elle réfracte la structure pyramidale de l’Eglise catholique dite universelle et elle ne cache pas son propos universaliste. Sa proximité avec les traditions politiques et économiques nées de la colonisation est évidente et intelligemment menée. Dans la typologie de Troeltsch, elle renvoie à la notion d’Eglise et son fonctionnement psycho-social peut être référé au concept d’orthodoxie tel qu’on a essayé de l’opérationnaliser (Deconchy, 1971, 1980).

Un deuxième groupe : les Catholiques charismatiques (N=72 : désormais siglés KC). Il s’agit de membres de l’Eglise catholique, qui s’en réclament et qui en récla-ment la reconnaissance, mais qui, en contrepoint ou même en réaction au contrôle social qui y est exercé, veulent aller « au-delà » ou « ailleurs » dans une autonomie au moins rituelle qui n’est d’ailleurs pas alternative au culte catholique. Ils se réu-nissent en groupes de ferveur, d’expérience mystique, de libre-échange occasion-nellement glossolalique. Leur relative autonomie les rend quelquefois suspects aux yeux des autres catholiques et les amène à souvent proclamer très haut leur iden-tité catholique. L’articulation entre le contrôle catholique et l’autonomie spirituelle charismatique peut déboucher sur un statut identitaire incertain. Leur mouvement relève de ce que Wach appelle une protestation interne et leur fonctionnement psycho-social pourrait être référé au concept de messianisme tel qu’on a essayé de l’opérationnaliser (Deconchy, 1971, 1980) .

Un troisième groupe : les Pentecôtistes. (N=72, désormais siglés PN). Au nom du respect intégral et exclusif de la Parole de Dieu, ils opposent le primat de l’Esprit reçu par chaque croyant au primat catholique de l’organisation institutionnelle de l’Eglise. Leur centration sur le texte biblique pourrait les faire dire fondamentalistes : en matière de doctrine et de mœurs et dans leur opposition au Monde. Organisé autour de pasteurs choisis dans leurs rangs, leur rituel de célébration fait largement place à l’initiative personnelle non programmée (prières spontanées, adoration, expression « en langues » de type glossolalique). Dans la typologie de Troeltsch, on ne saurait toutefois considérer les Pentecôtistes comme une secte, au sens fâ-cheux que le mot a pris désormais. Mais leur protestation relève de ce que Wach

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appelle une protestation externe, à l’égard de l’Eglise catholique comme à l’égard du Monde. La gestion de leur fondamentalisme et le formatage de leur identité les amènent, par la force des choses, à exercer un contrôle strict sur le comportement –notamment moral- de leurs adeptes et à régler finement leur propre système d’ap-partenance. On pourrait presque parler ici de néo-orthodoxie.

S’il fallait mettre en perspective la situation doctrinale de ces trois groupes, on pourrait dire que les Catholiques traditionnels et les Pentecôtistes adoptent des structures de contrôle et de pouvoir tendanciellement isomorphes : avec l’inci-tation à l’affrontement que peut induire cet isomorphisme. Les Catholiques cha-rismatiques entrent dans la structure de contrôle et de pouvoir catholique avec le jeu de proximités doctrinales qui en découle, mais leur protestation –interne- est formellement proche de celle –externe- des Pentecôtistes.

On devrait pouvoir mettre en évidence cet affrontement entre catholiques tradi-tionnels et pentecôtistes et cette incertitude identitaire des catholiques charisma-tiques.

1.1.3. Les variables

a- Les variables indépendantes

Une première variable indépendante renvoie à l’appartenance des sujets (trois mo-dalités : facteur indépendant). Une deuxième variable indépendante renvoie à la cible collective (trois modalités : facteur indépendant) par rapport à laquelle les sujets auront à évaluer leur proximité.

b- Les variables dépendantes

Une première variable dépendante concerne la position personnelle que les sujets expriment au préalable. Une seconde variable dépendante concerne l’évaluation, par chaque sujet, de la similitude entre l’évaluation de la position collective de chacun des trois groupes-cibles (y compris le leur) et cette position personnelle. Dans la mesure où, évidemment, l’évaluation de cette similitude dépend de la po-sition personnelle des sujets, le traitement des données recourra à une analyse de covariance : la position personnelle étant traitée comme covariant.

c- Hypothèses

On ne fait évidemment aucune hypothèse sur la distribution des positions person-nelles en fonction de l’appartenance des sujets.

Par contre, on fait l’hypothèse d’une prise de distance entre le groupe orthodoxe (Catholiques traditionnels) et peut-être néo-orthodoxe (Pentecôtistes) : concurrents à cause de la protestation externe des seconds et en fonction de l’isomorphisme du contrôle social que les uns et les autres mettent en place. On fait également l’hypothèse que l’isomorphisme formel de la protestation (interne) des Catholiques charismatiques et de la protestation (externe) des Pentecôtistes les amènera à évo-quer des similitudes privilégiées entre leurs positions doctrinales respectives. Si tel

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était le cas, on pourrait parler du primat de la régulation sociale –protestataire- sur la signification des croyances : ici, dans une situation inter-groupes.

2. Séquence expérimentale

2.1. La population

2.1.1. Accès

L’accès à ces trois groupes et le travail avec leurs adeptes se sont évidemment effec-tués de façon différenciée. À tous, le travail a été présenté comme réalisé par des chercheurs de l’Université de Yaoundé.

Les Catholiques traditionnels. Nous nous sommes adressés à des membres du clergé catholique pour avoir accès à des groupes de sujets dont ils étaient institu-tionnellement responsables, dans les lieux et dans les situations qui convenaient. Nous avons ainsi travaillé avec des étudiants du Grand Séminaire de Yaoundé, avec des Membres de la Légion de Marie et avec des « choristes » participant au culte dominical. C’est donc dans des églises et dans leurs lieux habituels de dépendance que nous avons atteint les catholiques traditionnels, soit après la messe dominicale, soit au moment des répétitions, soit dans le lieu de rassemblement hebdomadaire des membres de la Légion de Marie. On demandait à ceux d’entre eux qui, par ailleurs, participaient à des groupes de prière « charismatiques » de ne pas parti-ciper à l’épreuve. Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières lors de la passation.

Les Charismatiques. En accord avec le laïc coordinateur du Mouvement charismati-que, nous avons travaillé dans la mouvance de « Colonne de feu » (spécifiquement camerounais) et d’ « Epphata » (plus international) : en collaboration avec chacun des « bergers » qui animent chaque groupe de prière et durant les réunions de chacun de ces groupes, le mardi et le vendredi (et donc sans concurrence avec la messe dominicale catholique où peuvent se mêler Catholiques traditionnels et Charismatiques). L’étrangeté de la tâche et la radicalité des propositions soumises à l’évaluation ont provoqué un certain émoi : crainte d’être introduits à une activité « hérétique » (sic) et, de ce fait, d’être considérés comme déviants par les autorités catholiques. Nous avons donc dû demander –et nous avons obtenu- l’autorisation de l’Evêque catholique, dont nous avons pu arguer auprès des sujets.

Les Pentecôtistes. Après avoir pris contact avec quelques pasteurs, nous avons rencontré des membres de la « Vraie Eglise », du « Christianisme céleste » et du « Campus pour Christ », dans les bâtiments où chacun de ces groupes se rassem-ble habituellement, en banlieue de Yaoundé. C’est à la fin ou au cours de leur célébration dominicale que nous avons travaillé avec les sujets. Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières lors de la passation.

La position sociale globale de ces chrétiens n’est naturellement pas identique pour les diverses appartenances. On ne saurait, dans les limites de cet article, en faire une description détaillée. Les Catholiques traditionnels, -et un peu moins les Cha-rismatiques-, sont économiquement plutôt privilégiés. Recrutés dans des secteurs

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 67

sociaux moins favorisés, les Pentecôtistes –d’âge moyen moins élevé- ont une for-mation scolaire et culturelle plutôt plus ferme que les autres. Le travail a été effectué en Français et avait été annoncé pour tel : d’une certaine façon et sous cet angle, les trois groupes faisaient partie de strates sociales et culturelles relativement proches.

2.1.2. Circonstances et procédés

Toutes les séances de travail ont été menées sous la direction du même expérimentateur camerounais, présenté comme étudiant-enseignant à l’Université de Yaoundé-I et probablement perçu comme étant lui-même de culture catholique. Dans tous les cas, il apparaissait comme « autorisé » par les responsables des différents groupes.

Notre plan expérimental (trois appartenances x trois cibles) requérait neuf groupes de sujets : pour diverses raisons, nous désirions avoir un nombre égal de 24 person-nes dans chacune des situations introduites par ce plan (soit N=216). Une mortalité expérimentale relativement élevée étant à prévoir (principalement à cause de la difficulté de compréhension et même quelquefois de lecture des protocoles), nous avons, pour chaque situation, communiqué le protocole à un nombre de sujets supérieur à 24. Au dépouillement, nous avons éliminé les protocoles incomplets ou dont, à l’évidence, la technique n’avait pas été comprise : leur nombre était à peu près identique pour les trois groupes et ils n’ont jamais été – et de loin – majoritai-res. Nous avons finalement tiré au sort –pour les éliminer- les quelques protocoles complets qui excédaient le nombre voulu. Il n’était pas possible de ventiler les sujets selon leur âge (entre 18 et 45 ans) et on n’a pas tenu compte de leur genre (à peu près moitié-moitié).

2.2. La séquence expérimentale

2.2.1. Le matériel et la tâche

a- On a commencé par communiquer aux sujets quatre énoncés de base, à formu-lation lapidaire, extraits de l’Evangile de Matthieu, reconnus et attestés par tous les chrétiens. Ces quatre énoncés sont très disponibles dans la culture chrétienne. Ils n’ont pourtant pas été choisis de façon tout à fait arbitraire et chacun d’entre eux renvoie, explicitement ou implicitement, à un certain type de contrôle social. Ces énoncés sont les suivants :

[a] : Heureux les pauvres ; [b] : Ne vous faites pas appeler Maître ; [c] : Quand tu jeûnes, ne le montre pas à tout le monde ; [d] : Ma maison sera appelée une maison de prières mais vous en avez fait une caverne de voleurs.

Ces quatre énoncés ont été présentés dans chacun des 4 ! = 24 ordres possibles : ordre dont, naturellement, le traitement des données n’a pas pu tenir compte. La totalité du protocole était rédigée en Français.

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b- Pour chacun de ces énoncés, nous avons procédé à ce que l’on a appelé une herméneutique radicale. Nous en avons construit des formulations qui, dans le champ religieux, en déduisent des conséquences potentielles extrêmes. Aucune de ces formulations ne s’écarte fondamentalement de l’information introduite par l’énoncé de base, mais aucune n’est déjà intégrée (ni peut-être socialement inté-grable) au corpus de croyances de l’une ou l’autre des trois appartenances.

À propos de chacun des quatre énoncés de base, on a introduit l’idée que «cer-tains le résument de la façon suivante : ». On ne précisait évidemment pas leur appartenance. C’est ainsi que l’on a proposé aux sujets les formulations radicales suivantes :

Pour [a] : « En ce qui concerne la Foi, ce sont les pauvres –ceux qui n’ont pas d’ar-gent ni de pouvoir- qui, seuls, savent ce qu’est la Vérité » ;Pour [b] : « En ce qui concerne la Foi, tous les croyants sont égaux et aucun d’entre eux n’est plus important ou plus digne que les autres » ;Pour [c] : « On pourra jeûner quand on en a envie : pas forcément les jours où l’Eglise dit de le faire » ;Pour [d] : « En ce qui concerne la Foi, nos Eglises doivent, pour être fidèles à Jésus, abandonner tout signe extérieur de richesse, dans leur façon de vivre et d’organiser leurs cérémonies ».

L’ensemble formait un fascicule de quatre pages : pour chacun des neuf groupes (trois appartenances et trois cibles), les quatre énoncés de base et les formulations radicales afférentes étaient présentées dans l’un des 24 différents ordres possibles.

2.2.2. Les étapes

En haut de chacune des quatre pages, un des quatre énoncés de base apparaissait dans une cartouche. On a considéré que tous les sujets y adhéraient et qu’il était inutile de leur demander si tel était bien le cas.

a- la position personnelle des sujets

On commençait par dire, à propos de chaque énoncé de base, que « certains » le résumaient sous la formulation radicale que nous en avions construite. Pour chacune de ces formulations, on a fourni aux sujets une Echelle d’évaluation à six échelons (-3/+3 sans case zéro)

« Est-ce votre avis ? Si c’est tout à fait votre avis, vous mettrez une croix dans la case +3 de l’Echelle ci-dessous. Si ce n’est pas du tout votre avis, vous mettrez cette croix dans la case –3. Si vous nuancez votre opinion, vous mettez la croix dans la case correspondante. »

b- l’évaluation de la similitude entre les diverses positions collectives et la posi-tion personnelle des sujets

Après tâtonnements et plutôt que de faire pronostiquer la position collective de chacun des trois groupes d’appartenance, on a préféré faire évaluer par chaque sujet la similitude qu’il pensait exister entre sa position propre et celle d’un autre

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représentant – de statut institutionnel non précisé – de son propre groupe d’appar-tenance ou un représentant – de statut institutionnel non précisé – de chacun des deux autres groupes d’appartenance. On pensait pouvoir ainsi amener le sujet à évaluer la similitude probable entre la « position collective» de chacun des trois groupes et sa « position personnelle ». Il est probable que, vu la formulation pour le moins inhabituelle des propositions présentées aux sujets, les évaluations inter-groupes aient pris en compte des systèmes de représentations complexes (Des-champs et Moliner, 2008) et que, parallèlement, la rhétorique des formulations radicales ait fait entrer ces formulations dans le champ relativement indifférencié des « widespread beliefs » (Fraser et Gaskell, 1990).

On a fourni aux sujets une Echelle d’évaluation à six échelons (-3/+3 sans case zéro) A titre d’exemple, nous reproduisons ici – parmi les neuf situations possibles (trois appartenances x trois cibles) – la consigne donnée aux sujets pentecôtistes :

« Pensez-vous que, à propos de cette façon de résumer « Heureux les pauvres », un autre pentecôtiste (ou un catholique traditionnel, ou un catholiques charismatique) aura une po-sition identique à la vôtre ? Si vous pensez qu’il aura une position totalement identique à la vôtre, vous mettrez une croix dans la case +3 de l’Echelle ci-dessous.. Si vous pensez qu’il aura une position totalement différente de la vôtre, vous mettrez cette croix dans la case –3. Si vous nuancez votre opinion, vous mettez la croix dans la case correspondante. »

3. résultats

On a transformé les échelons des Echelles (-3/+3) en scores (1-6). On observe que la distribution des positions personnelles et celle des évaluations de similitude sont globalement identiques pour les quatre énoncés (alpha de Cronbach : .75 et .76). On a donc travaillé sur la distribution de la moyenne globale de ces mesures.

3.1. La position personnelle des sujets

Nous n’avions fait aucune hypothèse sur la distribution des positions personnelles en fonction de l’appartenance des sujets. A simple titre descriptif, on a toutefois procédé à une analyse de variance de ces prises de position personnelle. Cel-les-ci ne diffèrent pas en fonction de l’appartenance des sujets, ni globalement (MKT=3.937, MKC=4.048, MPN=3.670 ; ns), ni d’appartenance à appartenance. On trouve la même indifférenciation pour chacune des quatre formulations radicales.

3.2. L’évaluation de la similitude entre les positions collectives et la position per-sonnelle

En ce qui concerne cette évaluation, on a fait une analyse de covariance avec la prise de position personnelle comme covariant. On trouvera cette analyse de cova-riance au Tableau 1 (cf. page suivante).

3.2.1. L’analyse de covariance

A facteur simple, l’Appartenance des sujets n’est pas séparatrice ni globalement (M°KT=3.802, M°KC=3.881, M°PN=3.358 ; ns), ni d’appartenance à appartenance. Par contre, la Cible est fortement séparatrice (F(2,206)=20.285 ; p. <.001) : la si-

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militude avec la position des Catholiques traditionnels est significativement infé-rieure (M°KT=3.434) à la similitude avec la position des Catholiques charismatiques (M°KC=4.232 ; p. <.001) et avec celle des Pentecôtistes (M°PN=3.989 ; p. <.001). C’est la première fois que, dans cette situation de triangulation, apparaissent à la fois la prise de distance par rapport aux Catholiques traditionnels et la proximité avec les Catholiques charismatiques. Cette prise de distance et cette proximité ap-paraîtront avec plus de précision dans l’analyse de l’interaction entre l’Apparte-nance et la Cible : fortement significative (F(4,206)=9.616 ; p. <.001).

3.2.2. L’interaction Appartenance*Cible

On trouvera au Tableau 2 les moyennes ajustées des covariables (siglées M°).

Tableau 2 : Moyennes ajustées des covariables (les covariables sont évaluées pour une valeur moyenne de la position personnelle de 3.885 ; les lignes correspondent à l’appartenance des sujets ; les colonnes à l’appartenance dont ils évaluent la similitude de la position collective avec leur position personnelle)

Catholiquestraditionnels

Catholiquescharismatiques

Pentecôtistes

Catholiquestraditionnels 3.860 4.003 3.472

Catholiquescharismatiques 3.174 4.053 4.195

Pentecôtistes2.214 3.913 4.242

Sur la base de la forte signification de l’interaction entre l’Appartenance et la Cible (F (4,206)=9.616 ; p. <.001), un modèle global se dégage de façon très nette. On sait toutefois que, dans une analyse de covariance, la faible dispersion des Moyen-nes ajustées favorise l’apparition d’écarts très significatifs.

On peut considérer que ce modèle global se retrouve de façon à peu près intégrale pour chacune des formulations radicales. Dans les très rares cas où, pour l’une ou l’autre d’entre elles, l’écart de case à case n’est pas significatif, il ne joue jamais dans l’autre sens.

Tableau 1 : Analyse de covariance

ddl Erreur F. Signification

Appartenance 2 206 3.024 ---

Cible 2 206 20.285 <.000001

Appart*Cible 4 206 9.616 <.00001

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 71

1.- La mise en regard du groupe orthodoxe (KT) et du groupe néo-orthodoxe (PN).

Nous avions envisagé un « affrontement » entre Catholiques traditionnels et Pen-tecôtistes. En fait, c’est la force de la protestation des seconds par rapport aux premiers qui apparaît de la façon la plus nette.

Les Catholiques traditionnels évaluent la similitude de la position collective des Pentecôtistes avec leur position personnelle comme beaucoup plus faible que celle de la position collective de leur propre groupe avec cette position personnelle (M°KT*KT=3.860 et M°KT*PN=3.472 ; /t / de Student : p. <.001). Ils évaluent également la similitude de la position collective des Pentecôtistes avec leur position personnelle comme beaucoup plus faible que celle de la position collective des Charismatiques (qui font partie de leur Eglise) avec cette position personnelle (M°KT*PN=3.472 et M°KC*PN=4.003 ; P.<001). Curieusement, ils estiment que la position collective des Charismatiques est plutôt plus proche de leur position personnelle que la position collective de leur propre groupe d’appartenance (M°KT*KT=3.860 et M°KT*KC=4.003 ; P.=.01). Contrairement à ce qu’ils pensent souvent, les Charismatiques ne donnent donc pas lieu à un soupçon de dissidence de la part des Catholiques traditionnels. Mieux : leur position collective exerce, à titre personnel, une certaine attractivité chez ces derniers.

Les Pentecôtistes évaluent comme beaucoup plus faible la similitude de la position collective des Catholiques traditionnels avec leur position personnelle que celle de la position collective de leur propre groupe d’appartenance avec cette posi-tion personnelle (M°PN*KT=2.214 et M°PN*PN=4.242 ; p. <.001) : ce qui ne saurait étonner. On remarquera toutefois qu’ils évaluent comme beaucoup plus faible la similitude de la position collective des Catholiques traditionnels avec leur position personnelle que les Catholiques traditionnels évaluent la similitude de la position collective des Pentecôtistes avec leur propre position personnelle (M°PN*KT=2.214 et M°KT*PN=3.472 ; p. <.001) : chez les Catholiques traditionnels et chez les Pentecôtis-tes, on observe donc une véritable dissymétrie dans la perception des positions des uns et des autres. Les Pentecôtistes évaluent la similitude de la position collective des Charismatiques avec leur position personnelle comme plus faible que celle de la position collective de leur propre groupe d’appartenance avec cette position personnelle (M°PN*KC=3.913 et M°PN*PN=4.242 ; p. <.001). Mais ce qui paraît plus significatif, c’est que les Pentecôtistes évaluent la similitude de la position col-lective des Charismatiques avec leur position personnelle comme beaucoup plus forte que celle de la position collective des Catholiques traditionnels avec cette position personnelle (M°PN*KC=3.913 et M°PN*KT=2.214 ; p. <.001). Les Pentecôtistes semblent donc percevoir les Charismatiques comme un groupe qui leur est relati-vement proche.

2.- L’incertitude identitaire des catholiques charismatiques.

Les Catholiques charismatiques construisent leur champ de similitude de façon plus paradoxale. Ils évaluent la similitude de la position collective de leur propre groupe avec leur position personnelle comme nettement plus grande que celle de la

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position collective des Catholiques traditionnels (M°KC*KT=3.174 et M°KC*KC=4.05 ; p. <.001) : sous cet angle, ils se perçoivent comme un groupe bien défini par rapport aux Catholiques traditionnels, au sein de l’Eglise catholique. Mais, ce qui est plus étonnant, c’est qu’ils évaluent la similitude de la position collective des Pentecô-tistes avec leur position personnelle comme nettement plus grande que celle de la position collective des Catholiques traditionnels (M°KC*KT=3.174 et M°KC*PN=4.195 ; P.=<.001). Au point que, aux yeux des Charismatiques, la similitude de la position collective des Pentecôtistes avec leur position personnelle n’est que très légèrement plus forte que celle de la position collective de leur propre groupe d’appartenance (M°KC*KC=4.053 et M°KC*PN=4.195 ; P.=.01) : alors qu’une analyse de covariance fa-vorise évidemment l’apparition d’écarts à très forte significativité (dans cette étude, pratiquement tous <.001).

La situation identitaire des Catholiques charismatiques est donc ambiguë. Ils se revendiquent comme faisant partie de l’Eglise catholique : où les Catholiques tra-ditionnels évaluent la similitude avec leur position personnelle de la position col-lective de ces Catholiques charismatiques comme légèrement supérieure à celle de la position collective de leur propre appartenance. Les Catholiques charismatiques évaluent les positions collectives des Pentecôtistes comme plus semblables à leur position personnelle que celle des Catholiques traditionnels : alors que Charisma-tiques et Catholiques traditionnels se disent de la même Eglise. Le primat de la contestation (externe ou interne) de la régulation dont les Chrétiens traditionnels sont les porteurs s’impose, alors même que les Charismatiques tiennent à leur ins-cription dans le champ institutionnel catholique.

3.3. La perception de la cohérence entre la position collective du groupe propre et la position personnelle

L’intensité avec laquelle les sujets perçoivent la proximité de la position collective de leur propre groupe avec leur position personnelle diffère selon leur appartenance.

Les Catholiques traditionnels sont ceux qui perçoivent cette proximité comme étant la plus faible : nettement plus faible que chez les Pentecôtistes (M°KT*KT= 3.860 et M°PN*PN=4.242 ; p. <.001) et légèrement plus faible que chez les Charismati-ques (M°KT*KT= 3.860 et M°KC*KC=4.053 ; P.=.01). C’est là –chez les Catholiques traditionnels- où l’identité de groupe est probablement la mieux contrôlée que l’identité personnelle par rapport aux positions collectives du groupe semble être la moins assurée : signe, peut-être, d’une réactivité à l’égard du fort contrôle so-cial et peut-être indice d’un début de protestation. Par contre, les Pentecôtistes sont ceux qui perçoivent davantage la proximité de la position collective de leur propre groupe avec leur position personnelle : plus que les Catholiques tradition-nels (M°PN*PN=4.242 et M°KT*KT= 3.860 ; p. <.001) et plus que les Charismatiques (M°PN*PN=4.242 et M°KC*KC=4.053 ; P.=.001). Il y a probablement là une trace de la forte cohésion des groupes qui prennent forme dans la contestation des formes sociales dominantes.

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 73

4. une transcription graphique

Dans une analyse de covariance et dans une comparaison de case à case, l’ob-tention d’écarts très significatifs tient, dans certains cas, à la faible dispersion des distributions des moyennes ajustées (voir : Howell, 1998). On trouvera à la Figure 1 une représentation graphique qui peut rendre directement visible le modèle ob-tenu, en conformité avec les hypothèses.

Figure 1 : Évaluation par les sujets de chaque appartenance de la similitude (en ordonnées) de la position collective de chaque appartenance (en abscisses) avec leur position personnelle

Trois images principales se dégagent de l’examen de ce graphique :

-La grande différence entre les évaluations que font les Pentecôtistes et –à un moin-dre degré- les Charismatiques de la similitude entre les positions collectives de leurs groupes respectifs avec leurs positions personnelles et de la similitude entre la position collective des Catholiques traditionnels avec leurs positions personnel-les. Par rapport à ces derniers, Pentecôtistes et même Charismatiques se perçoivent comme « non-reconnus » par les Catholiques traditionnels.

-La quasi-indifférenciation des évaluations que font les Charismatiques des simi-litudes entre les positions collectives des trois appartenances avec leur position personnelle. Au fond, ils se perçoivent comme également reconnus par tout le monde.

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-L’indifférenciation que les Pentecôtistes font entre la similitude des positions col-lectives de leur propre groupe et des positions collectives des Charismatiques avec leur position personnelle : position personnelle avec laquelle la position collective des Catholiques traditionnels apparaît comme beaucoup plus éloignée.

5. discussion

[1] Dans un groupe orthodoxe, il avait été assez facile de montrer que la régulation sociale exerce un primat sur la signification accordée par les sujets orthodoxes aux propositions qu’ils attestent ou qu’ils contestent : tous les sujets s’inscrivent dans le même système de régulation. Le montrer dans des relations inter-groupes demande évidemment un autre outillage, aussi bien technique que conceptuel. C’est déjà le cas lorsque les groupes que l’on met en vis-à-vis relèvent de systèmes idéologiques différents et accordent des significations différentes aux propositions qui, précisé-ment, constituent le fondement de leur altérité : on avait pu le montrer à propos d’ecclésiastiques catholiques exposés à des propositions marxistes émises par des militants inscrits soit dans des systèmes de régulation sociale forte, soit dans des sites sociaux effervescents (Deconchy, 1976). Ce l’est bien davantage quand les groupes mis en vis-à-vis relèvent fondamentalement du même gisement idéologi-que. Indépendamment des implications émotionnelles et institutionnelles mises en jeu, les systèmes de croyances, tels qu’ils sont formulés, ne diffèrent alors que par l’appel que l’on y fait au contrôle social tel qu’il devrait s’exercer en stricte doctrine ou tel qu‘il s’y exerce de fait.

C’est naturellement le cas des trois groupes religieux sur lesquels nous avons tra-vaillé, au Cameroun. La notion de régulation n’y est plus aussi univoque que dans les études précédentes. Par rapport au système socialement et historiquement do-minant représenté par les Catholiques traditionnels, les Catholiques charismatiques proposent tout à la fois un système de régulation sociale plus effervescent alors même que, institutionnellement parlant, ils s’inscrivent dans le système orthodoxe catholique. Par rapport au système dominant représenté par les Catholiques tradi-tionnels, les Pentecôtistes en appellent également à un système de régulation so-ciale plus effervescent, contestent par ailleurs celle qu’exerce le système dominant catholique tout en étant probablement amenés à mettre en place un système d’or-dre –moral et doctrinal- structurellement proche de ce système. Les Catholiques traditionnels sont évidemment totalement attestataires de leur propre système ; les Catholiques charismatiques sont formellement attestataires du système catholique mais ils en appellent à une régulation sociale moins rigide et relèvent de ce que l’on appelle la « protestation interne » ; les Pentecôtistes sont institutionnellement contestataires du système catholique par rapport auquel ils mettent en place un système social relativement isomorphe, en appellent pourtant à une régulation so-ciale effervescente et relèvent de ce que l’on appelle la « protestation externe ». On a retrouvé, dans cette recherche, des traces de la capillarité réciproque entre les positions des Catholiques charismatiques et des Pentecôtistes ; on n’a pas trouvé de traces, chez les Catholiques traditionnels, de soupçon de dissidence à l’égard des Catholiques charismatiques; on n’a pas non plus trouvé de traces d’une totale

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 75

proximité que les Catholiques charismatiques auraient avec les Catholiques tradi-tionnels.

Si le propos de départ semble ainsi convenablement confirmé, il importe toutefois d’analyser un peu plus l’espace conceptuel et technique où s’est concrétisé ce propos.

[2] Les formulations radicales. Nous restons persuadés qu’il était impossible de faire saillir des proximités et des antagonismes entre ces trois groupes sur la base d’énoncés de base qu’ils attestent tous : d’une certaine façon, il était impossible de travailler avec des propositions que tous adoptent. Nous restons également persua-dés qu’il était impossible de travailler sur des propositions qui auraient été référées à la régulation sociale telle qu’elle est attestée ou contestée par l’un ou l’autre des trois groupes qui, identitairement, se distinguent les uns des autres justement par une conception différente de cette régulation sociale : d’une certaine façon, il était impossible de travailler avec des propositions spécifiques à l’un ou l’autre des trois groupes. Toujours d’une certaine façon, nous avons donc choisi de travailler avec des propositions qui, formellement parlant, ne sont attestées par aucun des trois groupes mais qui, « logiquement » parlant, peuvent être déduites des énoncés de base adoptés par tous. Alors même que l’on peut douter de leur viabilité sociale.

On est relativement démuni pour rendre compte de la pertinence « logique » de l’opération herméneutique qui a été menée. Il faudrait pouvoir la référer à ce que l’on sait de la production de systèmes de croyances cohérents : davantage perçus dans leurs modulations culturelles (Deconchy, 1971b, 1972) ou davantage perçus dans leurs aspects formels (Barthélémy, 2007). En fait, la psychologie sociale pro-pose peu de notions auxquelles se référer pour rendre compte de la « radicalité » de ces propositions sensées réfracter des énoncés de base : conservatisme ? rigidi-té ? normativité ? Tous concepts éclairants mais qui ne correspondent pas tout à fait aux opérations qui interviennent probablement dans la modulation des systèmes de croyances, tout à la fois et forcément « renouvelés » et « fidèles » : c’est-à-dire à la fois «différents » et « identiques ». Il est probable que la sociologie –notamment celle des religions et des idéologies- est allée plus loin dans la typologisation de ces opérations, sans d’ailleurs beaucoup de formalisation processoriale. Nous pensons moins à l’inévitable « fondamentalisme » lui-même engoncé dans sa stéréotypie qu’à des distinctions comme celles que l’on a faites à propos du catholicisme : intégriste, ou intégral, ou intransigeant. On pense naturellement à l’œuvre d’Emile Poulat (au départ : 1969). Nous manquons, en psychologie sociale, d’instruments de ce genre pour différencier ce qui, pourtant, n’existe que dans la différence : même dans les secteurs non-religieux d’une société, alors même que, dans ses secteurs religieux, le jeu de la rationalité et du contrôle social sont probablement exemplaires. Il est également certain que, hors de ce point d’application particulier, ce qui est en question c’est le lien possible ou nécessaire entre une psychologie sociale d’option expérimentale et les champs culturels dont elle extrait les méca-nismes qu’elle formalise.

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[3] La similitude de la position collective et de la position personnelle. L’option en faveur d’une analyse de covariance (covariant : position personnelle ; covariable : évaluation de la similitude) s’imposait. A l’évidence, l’évaluation des deux mesures est liée. D’une part, on convient que, en fonction de l’appartenance (voir l’ouvrage fondateur de Carrier, 1960), la croyance collective et la croyance personnelle se renvoient constitutivement l’une à l’autre, selon un modèle proche de celui qui intègre les notions d’identité personnelle et d’identité sociale. D’autre part, on est tenté, pour rendre compte de la double évaluation des sujets, d’en appeler au concept de « cohésion » dont, désormais, on est conscient qu’on doit le reformuler en termes de catégorisation et d’identité (par exemple : Hogg, 1992, 1995).

Le présent travail peut y contribuer pour une petite part. Toutefois, à rester dans le champ hypothétique de la « cohésion », on ne peut oublier que les systèmes religieux intègrent à leur propre fonctionnement et à leur propre analyse non seu-lement l’action –d’une certaine façon régulatrice- de leaders charismatiques, en contrepoint avec la gestion plus ou moins conformiste de leur propre champ : éventuellement en dissonance « prophétique » avec elle (comment ne pas citer Weber, 1963 ?). Mais il est clair que, dans les trois groupes où nous avons travaillé, la référence au « prophétisme », sélectif ou collectif, n’a pas la même fonction ni le même poids : la notion implicite de « cohésion » y prenant alors bien des nuances.

[4] Le statut identitaire des Catholiques charismatiques est évidemment celui qui pose le plus de questions. Nous l’avons dit « incertain » -comme en d’autres cir-constances mais dans les mêmes lieux, à propos de la lecture métrique d’un espace commun (Mvessomba, M’Bédé et Deconchy, 2008)-, en ce sens que les Catholi-ques charismatiques font partie d’une institution qui les reconnaît pour tels mais que, conjointement, ils évaluent la position collective d’un groupe qui s’oppose à leur propre Eglise comme plus proche de leur position personnelle que celle des membres traditionnels de leur propre Eglise. En ce sens, aussi, que les Pentecôtistes évaluent la similitude de la position collective des Catholiques charismatiques avec leur position personnelle comme presque identique à la similitude de la position collective de leur propre groupe avec leur position personnelle. A vrai dire, en par-lant de l’incertitude du statut des Catholiques charismatiques, on risque d’entériner l’idée qu’il n’y a de certitude personnelle que lorsque l’on se sait en accord avec les positions du groupe auquel on appartient : comme si la perception d’un écartèle-ment entre deux appartenances collectives antagonistes ne pouvait pas susciter un autre type de certitude personnelle. Avec ces sujets, dont on ne peut même pas dire qu’ils oscillent entre deux appartenances ni même qu’ils les alternent, on se trouve probablement devant des modèles socio-cognitifs dont nous n’avons pas encore épuisé la complexité : même s’ils se greffent sur les processus établis à propos de situations où les appartenances ne se dessinent pas à bords totalement francs. On songe, bien sûr, à des notions comme celles de covariation, de minorité agissante ou même d’effet de brebis galeuse.

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Herméneutique radicale et proximité inter-groupes 77

[5] Il serait peut-être possible de se référer à des modèles sociaux plus culturelle-ment lestés. On pense, par exemple, à une notion comme celle de schisme que, en contrepoint de son poids historique et sociologique (par exemple : Sutton et Cha-ves, 2004). on est en train d’équiper dans une dimension plus psycho-sociale (par exemple : Sani, 2005). L’analyse porte alors sur « ces groupes qui peuvent se sépa-rer de leur groupe d’origine soit pour rejoindre un autre groupe qui leur préexiste, soit pour créer un nouveau groupe de genre séparatiste » (Sani et Reicher, 1998). On ne peut pas, à propos des Catholiques charismatiques tels que nous en avons établi certains fonctionnements, ne pas se demander si, au moins potentiellement, ils ne relèvent pas de cette catégorie : au-delà même de la notion de conversion, souvent perçue comme option individuelle. Sani (2005 ; Sani et Todman, 2002) propose ainsi un modèle qui renvoie à la distinction entre la « common identity » et le « common bond » (Prentice, Miller et Lightdale, 1994). La probabilité d’occur-rence d’un schisme dépendrait alors conjointement du niveau d’identification au groupe d’insertion actuel (et qui ne deviendrait groupe d’origine qu’en cas d’actua-lisation de cette probabilité) et du degré de découragement (dejection) des sujets et des harmoniques émotionnelles que ce découragement suscite. L’occurrence effective du schisme dépendrait, selon Sani, de l’interaction entre un bas niveau d’identification et une haute prise de conscience de ce découragement.

Il va sans dire que, dans la situation particulière où nous avons travaillé, il serait imprudent d’augurer de la probabilité de cette occurrence.

notes

Edouard-Adrien Mvessomba, Raymond M’Bédé et Jean-Pierre Deconchy ont conceptualisé l’ensemble de la recherche. Edouard-Adrien Mvessomba a mis au point le matériel et réalisé, au Cameroun, l’implantation expérimentale dans les différents groupes..

Raymond M’Bédé et Jean-Pierre Deconchy ont encadré, à Yaoundé et à Nanterre, la thèse en co-tutelle qu’Edouard-Adrien Mvessomba a soutenue le 17 Novembre 2008 à Yaoundé et dont cet article réexamine l’une des approches.

Pour le présent article, Edouard-Adrien Mvessomba et Jean-Pierre Deconchy ont appliqué aux données un nouveau traitement statistique, l’ont introduit par une théorisation renouvelée et en ont co-écrit le texte.

1. On dit d’un sujet qu’il est orthodoxe quand il accepte et même demande que sa pensée, que son langage et que son comportement soient réglés par le groupe idéologique dont il fait partie et notamment par l’appareil de pouvoir de ce groupe. On dit d’un groupe qu’il est orthodoxe dans la mesure où ce type de fonctionnement y est assuré et où le bien-fondé technologique et axiologique de ce fonctionnement fait lui-même partie de la doctrine attestée par le groupe. On appelle système orthodoxe l’ensemble des dispositifs sociaux et psycho-sociaux qui règlent l’activité du sujet orthodoxe dans le groupe orthodoxe.

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CIPS n°84 – 2009 – pp. 59-7978

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